Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 6 - Témoignages du 31 janvier 2005 (séance du matin)
VANCOUVER, le lundi 31 janvier 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 8 h 40 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à Vancouver.
[Traduction]
Nous sommes très heureux d'être ici pour commencer une séance d'audiences au cours desquelles nous visiterons cette semaine Calgary, Regina et Winnipeg ainsi que cette magnifique ville; nous avions tous très hâte de voyager dans l'ouest du Canada. Nous sommes certains que nous entendrons beaucoup de témoignages très intéressants et je suis convaincu que tout comme moi mes collègues sont heureux d'avoir l'occasion d'entendre des membres du public plus tard aujourd'hui, soit environ vers 16 h 15.
[Français]
Comme vous le savez, ce comité examine les médias canadiens d'information et le rôle que l'État devrait jouer pour les aider à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des changements importants qui ont touché le domaine des médias au cours des dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Nos premiers témoins aujourd'hui sont Mme Janet Ingram-Johnson, secrétaire-trésorière de la Media Union of British Columbia, M. Patrick Nagle, journaliste bien connu, et M. Ian Mulgrew. Bienvenue au comité. Je crois que vous étiez tous impliqués dans le Forum des citoyens sur les médias qui a eu lieu en 2003, dans cette salle si je ne me trompe, et que vous allez nous en parler au cours de vos remarques introductives.
Vous savez sans doute comment nous procédons : nous vous demandons de limiter vos commentaires liminaires à une dizaine de minutes pour nous laisser suffisamment de temps pour poser des questions. Comme vous le savez, nous essayons d'entendre le plus grand nombre de témoins possible aujourd'hui, et il nous faudra respecter l'horaire établi. Qui va commencer?
Mme Janet Ingram-Johnson, secrétaire-trésorière, Media Union of British Columbia : Sénateur Fraser, je tiens à vous remercier de m'avoir permis de rencontrer votre comité aujourd'hui. Je m'adresse à vous à titre de secrétaire-trésorière élue du Local 2000 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier ainsi qu'à titre de journaliste qui a plus de 30 ans de métier dans trois continents. En Europe, dans mon pays d'origine la Grande-Bretagne, en Afrique et en Amérique du Nord. Le Local 2000 du SCEP est aussi appelé le Syndicat des médias de la Colombie-Britannique qui représente quelque 2 200 employés et travailleurs assimilés de la presse écrite dans la province. Pour préparer mes commentaires, j'ai fait appel à mes connaissances des médias écrits et, au besoin, des médias électroniques.
En réponse à votre première question, je désire signaler que la quantité de nouvelles à laquelle les Canadiens ont accès varie selon le nombre de journalistes disponibles. Lorsque j'ai fait mes débuts en Grande-Bretagne, avant l'ère de l'informatique, j'en suis devenue parfaitement consciente lorsque le jour de Noël la principale nouvelle à la radio de la BBC portait sur un accident d'autobus en Australie qui avait causé la mort de 10 personnes je crois, et aucune des victimes n'était un touriste ou même Britannique. Pratiquement toutes les régions du monde, certainement du monde anglophone, fêtaient la Noël et il n'y avait tout simplement pas de journalistes pour assurer une couverture médiatique.
Malheureusement, pour ce qui est des nouvelles dans cette province, le jour de Noël en Colombie-Britannique semble arriver plus souvent que le 25 décembre. Les journaux, qui appartiennent presque exclusivement à trois grandes sociétés — CanWest Global, David Black/Torstar, et Hollinger/Horizon — se livrent principalement concurrence pour obtenir des recettes publicitaires et ne cherchent certainement pas à mieux servir le public. Le plus important groupe, CanWest Global, est également propriétaire de stations de télévision dans tous les grands marchés de la province et a récemment confirmé qu'au mois de mars prochain, il lancera un nouveau tabloïd quotidien à Vancouver afin, et je cite : « de rejoindre de nouveaux marchés en matière de publicité ».
Passons à votre question-clé no 4, sur la propriété des médias et la concentration en Colombie-Britannique. Encore une fois je parle principalement de CanWest et ce groupe a sabré dans les ressources éditoriales locales pour détourner de bonnes parties du capital vers des endroits comme Winnipeg pour satisfaire les actionnaires et réduire la dette. Tout le monde reconnaît que les propriétaires des médias ont droit de faire des profits, mais le taux de profits de 8 à 15 p. 100 qui semblait satisfaire parfaitement les anciens propriétaires est maintenant passé à un taux faramineux de 30 p. 100 avec CanWest. CanWest pense peut-être offrir de bons services au public en demandant à un journaliste de préparer un seul article pour un journal communautaire, trois quotidiens et quelques stations de radio relevant d'une seule grande société, mais les citoyens de la Colombie-Britannique ne sont pas du même avis, comme le démontre d'ailleurs la diminution de la diffusion et la perte de confiance publique que s'est méritée cette grande entreprise.
Je dirais que les bras et les jambes du journalisme en Colombie-Britannique bougent toujours, de manière plutôt désarticulée, mais que le coeur a été transplanté ailleurs. Je vais m'abstenir de dire où pourrait se trouver le cerveau.
Le tirage total des journaux de CanWest en Colombie-Britannique, en excluant le National Post, est de 4 019 194 exemplaires, sur un tirage total de 9 150 562 exemplaires, incluant le National Post, ce qui représente un peu moins de 44 p. 100, d'après les statistiques que nous avons obtenues en consultant le site Internet du SCEP consacré aux médias. Non seulement CanWest est dominante dans les médias de Colombie-Britannique, mais la Colombie-Britannique est l'élément principal de l'empire journalistique de CanWest. La compagnie possède les deux quotidiens de la principale ville, Vancouver, et l'unique quotidien de la capitale, Victoria.
Vous entendrez aujourd'hui d'autres témoignages sur l'incidence du déclin des ressources sur la quantité et la variété des nouvelles et de l'information dans le domaine public. L'une des plaintes les plus graves est l'absence de reportages politiques. Je vous invite à consulter, aujourd'hui ou plus tard, le compte rendu de votre forum des citoyens tenu en mai 2003 à Vancouver — oui, il y avait là 130 personnes qui remplissaient cette salle un bel après-midi ensoleillé de mai, des gens qui étaient venus simplement parce qu'ils en avaient entendu parler et qu'ils étaient préoccupés par la qualité ou plutôt l'absence de qualité et l'absence de diversité dans nos médias. J'attire votre attention sur deux passages du compte rendu portant précisément sur cette question, le premier à la page 18, de la part d'un conseiller municipal de Vancouver qui est aussi journaliste et homme d'affaires, Peter Ladner, et l'autre à la page 32, par l'ancien journaliste du Vancouver Sun Charles Campbell. Je pense que le comité trouvera bien d'autres passages intéressants dans le compte rendu de notre forum.
Les deux quotidiens de Vancouver et les deux anciens quotidiens de Victoria — le Times de Victoria et le Daily Colonist de Victoria, ont été fusionnés pour constituer le Times Colonist en septembre 1980 — envoyaient auparavant des journalistes couvrir les affaires courantes de l'Assemblée législative de Colombie-Britannique, tandis que leurs chroniqueurs vedettes s'occupaient des principales manchettes. Le Sun avait jusqu'à quatre journalistes pour couvrir l'Assemblée législative et le journal The Province en avait régulièrement deux. Le Times et le Colonist avaient chacun un journaliste à plein temps, appuyé par un deuxième pendant la session parlementaire. Après la création du Times Colonist, le journal a continué d'y affecter deux journalistes à plein temps et un chroniqueur.
Les deux journaux de Vancouver comptent maintenant sur leurs commentateurs politiques pour couvrir les travaux de l'Assemblée — les chroniqueurs Vaughn Palmer pour le Sun et Michael Smyth pour The Province — tout en reprenant de petits articles du Times Colonist ou de la Presse canadienne. Quelle que soit la valeur indéniable des chroniqueurs pour l'intérêt public, il est inquiétant que l'on se fie uniquement à des commentaires et des analyses au lieu de rassembler objectivement les faits. Je répète que plus il y a de journalistes pour couvrir un événement quelconque, mieux l'intérêt public est servi.
Les salles de nouvelles du Sun et du The Province, à leur belle époque, comptaient au total 760 journalistes et rédacteurs, d'après ce que dit Marc Edge dans son traité publié en 2001 sur l'histoire de Pacific Press. Même dans les années 80, le Sun comptait un effectif d'environ 200 personnes dans sa salle de rédaction et The Province en avait environ 165. L'effectif actuel du Sun est d'environ 120, et il n'y a qu'une poignée de journalistes généralistes pour couvrir l'ensemble de la ville. The Province a un effectif total de 106 au maximum, et ces deux chiffres englobent les employés à temps partiel. Environ 20 journalistes ont été mis à pied au journal The Province en 2003 seulement. Le Times-Colonist a perdu dix journalistes depuis 1993, et la liste s'allonge.
En réponse à vos questions clés numéros 4 et 11, Vancouver était jadis l'une de plusieurs grandes villes canadiennes où deux ou plusieurs quotidiens de langue anglaise se faisaient concurrence. Par contre, contrairement à Winnipeg ou Ottawa, où des marchés ont été conclus pour éliminer la concurrence, ou contrairement à Montréal, où le concurrent a fermé ses portes, les concurrents à Vancouver ont été amalgamés en 1960 sous l'égide de Pacific Presse, maintenant appelé le Pacific Newspaper Group. L'une des contraintes imposées par le Bureau de la concurrence à Pacific Press était la séparation entre la salle de rédaction, la publicité et le service de la diffusion, mais au fil des années, il est resté seulement la séparation des deux salles de rédaction, car les services de publicité et de diffusion ont fusionné.
Tout en demeurant superficiellement séparées, les salles de nouvelles du Sun et du Province sont maintenant liées directement à la station de télévision BCTV de CanWest Global, qui est depuis un certain nombre d'années la station de télévision dominante dans notre province et qui est maintenant affublée du nom quelque peu boiteux de Global TV for B.C. Des listes de bulletins de nouvelles sont échangées entre les salles de nouvelles des journaux et de la télévision. Les journalistes font des prestations à la télévision. Les journalistes télévisuels écrivent pour les journaux. Si BCTV sait ce que font chaque jour les journaux The Sun et The Province, et si les deux journaux en question savent ce que BCTV fait chaque jour, il s'ensuit que les journaux The Sun et The Province doivent avoir une assez bonne idée de ce que chacun des journaux fait chaque jour. Non seulement cela semble abattre la cloison étanche établie par le Bureau de la concurrence, cela semble aussi réduire ce qui pourrait être une couverture colorée et variée en une soupe fade et homogénéisée.
Tel est l'état lamentable des médias démocratiques ici en Colombie-Britannique. On pourrait se lamenter toute la journée en s'attardant à ces nombreux problèmes, mais je vais plutôt me tourner vers la question vitale que vous posez ici : Que peut-on faire à ce sujet et une réglementation est-elle nécessaire ou possible? Je crois qu'il y a des parallèles entre la levée des restrictions à la propriété étrangère et l'absence de restrictions à la propriété locale. Si l'on croit qu'il est bon pour les Canadiens de mettre des menottes aux sociétés étrangères, alors pourquoi ne serait-il pas également dans l'intérêt de nos collectivités locales de menotter nos propres méga entreprises nationales? Pourquoi les intérêts de la Colombie-Britannique passeraient-ils en dernier? Pourquoi les intérêts locaux viendraient-ils en bas de liste? Est-ce que la menace que des multinationales étrangères viennent drainer les ressources et le contenu canadien de notre tissu national est pire que la menace de voir CanWest Global drainer les ressources et le sucre qui nourrissent le tissu provincial de Colombie-Britannique
Le Canada compte une population de 32 millions d'habitants et a 307 députés au Parlement, soit à peu près un pour 104 000 habitants. La Grande-Bretagne, dont la population est à peu près le double, a un ratio très semblable de députés par habitant. La grande différence entre les deux pays se situe au niveau du nombre de journaux et d'autres médias et dans la façon dont ces médias subviennent à leurs besoins. Il y a immensément plus de publications et d'autres médias par habitant en Grande-Bretagne qu'au Canada. Il y a au moins une douzaine de journaux nationaux en Grande-Bretagne. Ici, nous n'en avons que deux.
Le Royaume-Uni est l'un des plus petits pays sur la planète, et il a donc été facile, de tout temps, de distribuer rapidement les imprimés. Le Canada est le deuxième pays au monde par sa superficie, et il a donc toujours été difficile de le faire chez nous, mais à l'ère de l'Internet, cet écart se rétrécit rapidement.
Il y a toutefois une autre grande différence qui n'a pas changé avec l'avènement de l'Internet, à savoir que, historiquement, les principaux médias d'information en Grande-Bretagne ont compté davantage sur leur tirage que sur la publicité pour assurer leur survie. Certains ont bien sûr toujours compté sur la publicité. Ici, au Canada, tous nos principaux médias d'information comptent d'abord et avant tout sur la publicité. Cela n'avait relativement pas trop d'importance quand les éditeurs de journaux étaient des journalistes, quand le contenu était roi. Aujourd'hui, les éditeurs sont des spécialistes de la publicité ou du marketing, ou bien ils ont le titre de directeur général comme à la télévision, et la publicité est tout ce qui compte.
Vous entendrez cet après-midi David Beers, journaliste et professeur d'université dont le principal travail ces jours-ci est d'être rédacteur en chef de The Tyee, journal en ligne qui n'appartient à aucune des grandes entreprises et qui ne veut pas entrer dans un tel groupe. The Tyee se débat pour trouver du financement et pour survivre à contre-courant des conglomérats médiatiques. Cependant, au lieu d'un financement provenant du sommet de la pyramide, comme dans le modèle des subventions versées à CBC/Radio-Canada, je pense qu'il faudrait une volonté politique de mousser le tirage de The Tyee à partir de la base en offrant des encouragements fiscaux ou des remises aux abonnés payants. Je concède que cela avantagerait les gens qui ont un revenu élevé plus que les pauvres, mais les études ont montré que la propriété de l'information augmente en même temps que la richesse matérielle, tandis que les bibliothèques et autres débouchés s'efforcent de financer l'accès pour les moins bien nantis.
Je termine mon intervention en vous faisant part de la pensée suivante : dans une société équilibrée, diversifiée et civile, le gouvernement par le peuple et pour le peuple a le devoir de créer et de préserver des conditions telles que l'intérêt de tous les citoyens soit bien servi et qu'il n'y ait pas domination d'un intervenant unique qui a le plus d'argent et peut donc acheter le plus grand nombre de jouets. Et aussi, on a parfois tendance à oublier que les annonceurs sont des lecteurs eux aussi.
Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole.
La présidente : Merci. C'est à qui? C'est tout? Messieurs Nagle ou Mulgrew, aviez-vous quelque chose à ajouter? Monsieur Nagle?
[Français]
M. Patrick Nagel, à titre personnel : Je vous remercie de l'honneur que vous nous faites par votre visite aujourd'hui.
[Traduction]
Je me présente sous le même jour que la dernière fois que j'étais dans cette salle, voilà quelque temps déjà. À l'époque, j'étais le président indépendant d'une réunion publique qui avait été organisée pour discuter des mêmes questions que vous soulevez aujourd'hui, et je suis toujours indépendant aujourd'hui. J'ai été surpris par la diversité et la curiosité des participants de cette journée organisée par le syndicat des médias, la Simon Fraser University et l'ONG IMPACS. J'ai été très touché et encouragé par l'importance de la participation du public et espère que vous comprendrez à quel point votre comité a suscité l'intérêt de la population.
Grâce aux ressources du syndicat, nous avons pu vous donner la transcription des délibérations, et à part quelques petites coquilles, elle est tout à fait fidèle à ce qui a été dit ce jour-là. Je vous rassure tout de suite, je n'ai aucunement l'intention de répéter mes propos qui figurent dans la transcription. Plutôt, j'aimerais vous parler de certaines questions qui en découlent et vous faire part de certaines de mes observations sur l'actualité. Je dois à nouveau vous signaler que mes observations ne portent que sur la presse écrite. Mon expérience se limite à 50 ans de vie professionnelle dans le secteur des journaux et des revues au Canada. La presse écrite, c'est le seul média que je connais et que je comprends. D'ailleurs, je n'ai jamais eu de télévision, mais il est vrai que ça, ça peut être problématique.
D'abord, je vous demanderais de ne pas sous-estimer l'importance de l'histoire. C'est en formant la Pacific Press, ici, en 1957, qu'on a jeté des bases de l'avenir des quotidiens canadiens. L'enquête menée par la Commission sur les pratiques restrictives du commerce n'a pas été concluante et dès 1960, il fut impossible de retourner en arrière. Dans une perspective historique, il serait intéressant que les attachés de recherche du Sénat trouvent un procès-verbal du Cabinet ou autre document portant sur les politiques de l'époque sur le sujet — qui, à ma connaissance, n'ont jamais été rendues publiques — qui nous permettraient de savoir si le gouvernement du Canada avait alors considéré l'impact qu'aurait la fusion de Pacific Press sur l'avenir des quotidiens au Canada.
Ensuite, il ne faudrait pas oublier les conclusions de la commission O'Leary, auxquelles on n'accorde plus guère d'attention. Le contenu des revues, et par extension, des journaux, était considéré comme un produit qu'on déversait sur le marché canadien à des prix coupés. En d'autres termes, ce n'était pas le contenu qui était important, mais plutôt les coûts de production. Si on se fie à un rapport sur les délibérations de votre comité à Ottawa, on peut dire que ce concept réglementaire est toujours d'actualité. Permettez-moi de citer un article de journal :
L'ancien directeur par intérim du Bureau de la concurrence, M. Gaston Jorre, a dit, devant le comité sénatorial responsable de l'étude des médias canadiens, que la Loi sur la concurrence n'avait pas été conçue pour traiter des questions...
et je cite :
... « de diversité » ou « de diversité d'opinions ». M. Jorre a ajouté que du point de vue des politiques, c'était les publicitaires qui étaient les acteurs les plus importants.
Voilà une description certes sommaire mais fidèle du régime réglementaire régissant les quotidiens au Canada. Dans ce contexte, je vous mettrais en garde contre toute modification du régime réglementaire. L'histoire nous démontre que ce n'est pas une bonne idée.
Enfin, parlons des coûts, auxquels j'accorde une grande importance. J'ai remarqué que le papier journal coûtait plus de 600 $ la tonne et ne cessait d'augmenter. Pour la presse écrite, c'est le premier coût qu'il faut assumer. Plus le papier coûte cher, moins il y aura d'informations dans les journaux. C'est aussi simple que ça. Par contre, même ces pratiques commerciales acharnées ne permettent pas d'expliquer pourquoi le Vancouver Sun n'a pas un seul journaliste législatif à temps plein à Victoria. À ma connaissance, c'est la première fois qu'au Canada, le journal principal d'une province ne soit pas représenté à la tribune de la presse à l'Assemblée législative. Je connais par cœur les arguments portant sur le goût des lecteurs et les coûts d'exploitation, mais dans ce cas, c'est une question de contenu et le journal n'est pas à la hauteur. Vous savez, il y aura des élections cette année en Colombie-Britannique. J'espère que mes propos n'offusqueront personne, mais je me permets de dire que si, par miracle de prestidigitation politique, un gouvernement néo-démocrate était élu en mai, le bureau législatif du Vancouver Sun serait rouvert sur-le-champ.
Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement votre première question, je vous invite à vous reporter à l'intervention de Carol Cole lors de notre précédent colloque. À titre de chercheur dans le domaine de la santé et de l'information à l'Université de la Colombie-Britannique, elle s'est dite extrêmement consternée par la qualité des reportages sur les questions sanitaires de toutes les catégories de médias au Canada. Si c'était possible, j'appuierais sa recherche puisqu'elle porte sur un domaine d'enquête où la quantité et la qualité d'informations laissent sérieusement à désirer. Je signale pour mémoire que je ne suis pas jeune. J'estime personnellement que l'accent mis sur les reportages en matière de santé et de médecine ont pour but non pas d'informer les gens mais de les effrayer.
Merci, et je suis maintenant disposé à répondre à vos questions comme le sont les autres témoins experts.
La présidente : Merci. Permettez-moi de dire que la transcription que vous nous avez fait parvenir était effectivement fort intéressante. Je l'ai lue hier soir. Je l'ai lue au complet. Vous avez parlé de coquilles. Je me souviens, par exemple, que le nom de M. Cellucci était mal épelé. Toutefois, la transcription était fort intéressante et nous vous en remercions, malgré l'épaisseur de la liasse, ce qui est normal pour une séance qui a duré si longtemps. Monsieur Mulgrew?
M. Ian Mulgrew, à titre personnel : Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître ce matin. Je suis ravi d'être là.
Je travaille comme journaliste. J'ai été invité parce que j'étais de ceux qui ont organisé le Forum et je souhaitais surtout venir vous faire part de mon expérience en tant qu'auteur de documentaires au Canada dans la plupart des médias et pour la plupart des principaux propriétaires, éditeurs ou diffuseurs.
Les témoins que vous avez entendus vous auront brossé un tableau de la situation générale et vous recevrez, je le sais, beaucoup de données statistiques et d'autres informations qui démontrent que le marché des médias a changé au Canada. Comme j'ai moi-même reçu beaucoup des mêmes informations au cours des dernières années, j'ai constaté que ces informations sont en grande part très négatives, et, à première vue, très déprimantes, pour un social-démocrate qui croit à un discours public riche. Cependant, je vous prie aujourd'hui de relativiser tout ce que vous avez entendu. Je crois que nous avons tous un peu tendance à croire que le ciel nous tombe sur la tête et je souhaite aujourd'hui vous donner le point de vue d'un praticien. Je vous prie de ne pas oublier que je vous fais part de mon expérience personnelle : elle est précise, unique et différente de celles de mes pairs, particulièrement ceux qui travaillent à Toronto où il existe une vive concurrence entre les quotidiens et les médias.
Permettez-moi de vous expliquer les changements dont j'ai été témoin, les sentiments que ces changements m'inspirent et les raisons qui à mon avis ont entraîné certains de ces changements. Je crois que mon analyse se rattache aux questions que vous posez mais pas dans le sens que vous auriez prévu.
Je suis devenu journaliste peu de temps après que votre prédécesseur, le sénateur Keith Davey, eut annoncé que les salles de presse sont les cimetières des rêves déçus. À l'époque, j'étais adolescent, marié et père de deux enfants, travaillant sur la chaîne de montage chez General Motors. Je n'avais ni diplôme ni certificat en journalisme, mais un petit journal du Nord de l'Ontario m'a embauché. J'aimerais aussi vous dire que le bon sénateur se trompait totalement. La chaîne de montage était peut-être un cimetière de rêves déçus mais j'ai trouvé que les salles de presse au Canada étaient remplies de gens passionnés et engagés. Quand je suis entré au Globe and Mail à la fin des années 70, j'ai eu l'incroyable privilège de travailler avec Victor Malorek, Yves Lavigne, Michael Harris, J. Scott, Oakland Ross, John Fraser, Christie Blatchford et des journalistes qui travaillaient pour The Star et The Sun ou d'autres encore que nous rencontions à l'époque. Je vois M. Munson assis là-bas, que j'inclurais parmi ceux que je viens de citer, tous journalistes incroyablement passionnés pour leur métier. Vous savez, beaucoup de choses ont changé mais pas cela. Je travaille toujours avec des gens comme cela : Kim Bolan, David Baines, Salim Jiwa, Lindsay Kines, Lori Culbert — et je pourrais en nommer beaucoup d'autres.
Malgré tout, les changements n'ont pas touché que la propriété des médias mais aussi la culture et les effectifs des salles de presse. Vous savez sans doute — et c'était le cas quand je suis arrivé en Colombie-Britannique — qu'il y avait une poignée de journalistes du Vancouver Sun qui étaient basés à Victoria pour couvrir l'Assemblée législative et qu'il y avait aussi un chroniqueur. À l'angle de Cambie et de la 12e Rue, le quotidien avait un bureau et un chroniqueur qui couvraient l'hôtel de ville tandis qu'aujourd'hui, nous envoyons aux deux endroits des journalistes de la salle de presse. Cette façon de faire est due en partie à des facteurs d'ordre économique mais j'estime que cela tient aussi au fait qu'il y a eu des changements dans la façon dont les gouvernements fonctionnent, de sorte qu'il est moins productif que déjà de hanter les couloirs. En outre, les politiciens et les journalistes ne passent pas le gros de leur après-midi au bar, ce qui représente un changement culturel.
Le journalisme a changé au fil des 30 dernières années, pour le mieux dans certains cas, pour le pire dans d'autres. J'ai quitté le métier pendant cinq ans environ parce que j'en avais assez des accrochages que j'avais avec les rédacteurs en chef de Southam qui n'aimaient pas mon point de vue ou mon travail. J'avoue que j'ai aussi eu des accrochages avec les rédacteurs en chef du Globe and Mail qui n'aimaient pas mon point de vue et mon travail et, encore aujourd'hui, j'ai des divergences d'opinions avec mes rédacteurs en chef qui n'apprécient pas mon point de vue ou mon travail. Je ne suis pas convaincu que la propriété des médias y ait été pour quelque chose. En fait, je suis convaincu que c'est tout le contraire, sauf quand Roy McGarry n'a pas apprécié mes articles au sujet de sa position constitutionnelle.
Quoi qu'il en soit, les temps ont changé. Les journaux ont du mal à retenir les journalistes spécialisés. Je ne crois pas que cela soit imputable à l'idéologie des propriétaires et ce n'est pas non plus parce que les journalistes qui travaillent pour des journaux ne veulent pas traiter les dossiers de la même façon. C'est plutôt qu'ils évoluent dans un environnement différent. Les journaux et leur relation avec la collectivité ont changé et pas uniquement en ce qui a trait à leur propriété. La relation qu'ont les chroniqueurs et les journalistes avec la collectivité a changé. Ce monde très différent résulte de pressions économiques, de changements technologiques, de la concurrence avec la télévision et l'Internet pour attirer le même auditoire. Le rythme de vie est plus rapide. Le monde est plus bruyant et les journaux et leurs journalistes doivent attirer des lecteurs pour survivre.
Nous pouvons faire beaucoup plus de choses dans nos salles de presse aujourd'hui grâce aux changements technologiques. Ainsi, le fait que nous comptions moins de journalistes ne signifie pas nécessairement que nous faisons du travail de moins bonne qualité. J'estime pour ma part qu'à de nombreux égards, les journaux sont plus vivants, plus attrayants visuellement et plus amusants que jamais auparavant. Nous informons mieux et nous présentons une information plus complète à certains égards. Notre présentation est plus agréable à l'œil et nous savons mieux capter l'imagination de nos lecteurs.
Vous serez peut-être étonnés d'apprendre que je crois que les journalistes sont, dans l'ensemble, mieux instruits et mieux formés aujourd'hui. Par conséquent, les gens comme moi ont moins de chances d'apprendre le métier sur le tas puisque l'on exige des diplômes plus spécialisés. Est-ce pour le mieux ou pour le pire? Je ne saurais vous le dire. Or, nous avons abandonné petit à petit notre ancien rôle de chroniqueurs, d'auteurs de la première ébauche de l'histoire et aujourd'hui, plus souvent qu'autrement, nous offrons une interprétation, un point de vue donné, un éclairage sur le monde.
La concurrence entre les journalistes attise la passion et contribue à l'instauration d'un climat intellectuel propice au travail de qualité, et la collectivité bénéficie de l'enrichissement du débat public. J'y crois et j'en ai été témoin partout où j'ai travaillé. À mes yeux, Toronto est une ville plus stimulante intellectuellement que Vancouver grâce à la concurrence entre les médias. S'il y a moins de journalistes aujourd'hui, il y a aussi moins d'endroits où ils peuvent interagir. Autrefois, il y avait des clubs de presse dans presque toutes les villes, des endroits où les journalistes débattaient entre eux de la couverture médiatique de la journée et c'est là où se fabriquait le ciment de la profession. Cette époque est révolue. Cela traduit la nouvelle culture du journalisme. De nos jours, les journalistes de la plupart des villes canadiennes vivent leur vie professionnelle dans un isolement croissant. La plupart d'entre eux doivent déployer des efforts exceptionnels pour assurer leur propre perfectionnement professionnel. Là où il n'y a qu'un employeur, la progression de carrière se fait à la verticale faute d'autres entreprises où aller exercer ses talents. À Toronto, les journalistes peuvent toujours traverser la rue pour aller chez un concurrent et les salaires payés aux chroniqueurs et aux vedettes le reflètent. À Vancouver, où les journalistes peuvent-ils aller? Ou encore à Victoria? Nous vivons aussi dans un milieu où les collègues de travail d'âge moyen se voient offrir des indemnités de départ anticipé et où des publications apparaissent où l'on n'embauche que des rédacteurs et des rédacteurs en chef de moins de 30 ans.
Comme je vous l'ai dit, les journaux ne sont plus ce qu'ils étaient. Ils ne jouent plus leur rôle d'antan et les décisions sont prises pour des raisons d'ordre commercial. Les promotions se font à l'interne et la loyauté envers le marché est moins récompensée que la loyauté à la chaîne. Cela me semble normal. C'est certainement ainsi que les choses se passaient chez General Motors. C'est aussi la façon dont les choses se passent chez IBM, j'en suis certain.
Je n'ai pas à me plaindre. Mes employeurs m'accordent énormément de latitude en ce qui a trait aux sujets que je traite et à ce que j'écris. Nous ne sommes pas toujours parfaitement d'accord, mais j'apprécie réellement leur soutien. Les conditions de travail ont toujours été assez comparables en ce qui a trait aux chroniques ou aux décisions journalistiques, peu importe pour qui je travaillais : Thompson, Southam, Conrad, CBC ou Aspers.
Dans la plupart des cas, on ne sent pas dans les activités au jour le jour dans les salles de presse le long bras idéologique des propriétaires. Il se fait sentir plutôt dans les décisions stratégiques, les grandes orientations et les dépenses institutionnelles à plus long terme, et c'est une influence beaucoup plus difficile à encadrer. Je ne vous envie pas votre tâche.
Il me semble que ceux qui dirigent nos médias depuis quelques décennies ont opté, pour le meilleur ou pour le pire, en faveur de la vocation de divertissement et tous ont emboîté le pas. Il vous suffit de voir l'éclairage projeté sur Peter Mansbridge ou l'utilisation de musique ou d'autres trucs qui déjà étaient l'apanage de Irv Weinstein et de Eye Witness News. De nos jours, on consacre davantage de temps à la présentation graphique et photographique des nouvelles qu'à leur composition. Le changement de propriété n'y fera rien. Ce serait peut-être bénéfique d'ouvrir l'accès à de nouveaux propriétaires et à des propriétaires différents et je vous presse d'écouter ceux qui comparaîtront devant vous pour vous proposer deux façons d'y arriver. Toutefois, il n'existe pas de panacée.
Les Canadiens ont accès à une information de qualité, en quantité suffisante, au sujet des enjeux internationaux, nationaux, régionaux et locaux. J'entends par là que l'information est pertinente, impartiale et complète, puisque cela vous intéresse, mais les Canadiens doivent s'activer. Je ne crois pas que l'on puisse inciter les adultes à s'intéresser à leur collectivité par un décret du gouvernement ou en modifiant les lois. Les Canadiens, jeunes et vieux, choisissent différents modes d'accès à l'information, cela me semble être manifeste même si la question est importante pour les milieux universitaires et l'étude des médias. Pour ma part, j'estime que ce n'est pas un problème nouveau. Ce qui importe, c'est que chaque génération fasse son propre apprentissage. Chacun de nous doit apprendre à apprécier la narration d'événements, le débat public, la transparence du gouvernement et des affaires publiques, qui sont tous des idéaux ineffables. Nous sommes nombreux à ne pas nous entendre parfaitement sur la qualité et la portée de ce que nous souhaitons, mais je suis convaincu que des subventions, versées directement ou par le biais d'une mesure fiscale, contribueront à accroître la variété de l'offre. Je vous implore de peser soigneusement toutes les questions parce que, même sur le terrain, les enjeux sont loin d'être clairs.
La présidente : Avant d'ouvrir la période de questions, j'aimerais obtenir des éclaircissements, madame Ingram-Johnson, au sujet des données que vous nous avez présentées relativement aux effectifs des salles de nouvelles. S'agissait-il d'équivalents temps plein ou s'agissait-il d'un nombre absolu?
Mme Ingram-Johnson : De nombres absolus. Les chiffres les plus récents sont absolus. Je ne sais pas si les anciens chiffres l'étaient aussi. Ces chiffres sont tirés du livre de Marc Edge et j'imagine qu'à l'époque, il s'agissait pour l'essentiel d'employés à plein temps.
La présidente : Sans doute, oui. Est-ce que cela inclut tout le monde? Es-ce que cela inclut les photographes, les préposés à la copie, tout le monde?
Mme Ingram-Johnson : Cela inclut tout le personnel de la rédaction, mais pas les messagers ou...
La présidente : Très bien. Voici ma dernière question. Je suppose que The Sun et The Province sont entièrement paginés et qu'il n'y a pas de salle de composition pour les pages de nouvelles?
Mme Ingram-Johnson : C'est exact. Il y a des compositeurs, mais c'est tout.
La présidente : D'accord. Merci.
Le sénateur Munson : Bonjour. Je suis ravi d'être ici. D'abord, Patrick, quand êtes-vous devenu résolument indépendant? Non, mais sérieusement, j'aimerais savoir si le gouvernement — je vais vous poser une question directe avec ce préambule : Le gouvernement devrait-il intervenir et démanteler l'empire de ces magnats de la presse?
M. Nagle : Sénateur, je ne vois pas comment cela pourrait être possible. Ce qui compte à l'heure actuelle c'est la propriété d'une licence de télévision. Le jeu n'appartient plus aux propriétaires de journaux. Je n'aurais jamais imaginé il y a 30 ans même le poids qu'ont aujourd'hui les conglomérats de médias. Il faudrait que vous obteniez du CRTC qu'il applique les règlements en vigueur à l'époque et qui ont été déjoués par la propriété croisée. La Commission Kent a recommandé expressément que la propriété croisée soit interdite ou démantelée. Je vois mal comment après tout ce temps — et vous êtes beaucoup plus jeune que je ne le suis — vous pourriez y parvenir sans sérieusement perturber le processus politique et le processus commercial existants.
Le sénateur Munson : S'agissant de la propriété étrangère — je pose la question à la cantonade — comment le retrait des restrictions aiderait-il le journalisme canadien, la démocratie canadienne, et quelles exactement devraient être les restrictions? Quelle devrait être la limite de propriété étrangère d'une entité canadienne?
M. Nagle : Je soutiens depuis des années que nous pourrions améliorer la compétition dans certains médias canadiens en permettant la propriété étrangère. J'ose prédire que cela se fera étant donné l'actuelle structure internationale des opérations commerciales. Certains parlent de « mondialisation ». C'est une possibilité qui ne me plaît guère mais la réalité c'est qu'un cadre nord-américain s'impose petit à petit. Il existe d'excellentes entreprises de médias européennes — tout comme il existe d'excellentes brasseries européennes, sénateur — qui prennent des participations dans des médias canadiens.
J'ai la conviction que les médias dans ce pays sont devenus des entreprises totalement commerciales et devraient être traités comme telles.
Est-ce que cette réponse vous satisfait?
Le sénateur Munson : Oui.
Mme Ingram-Johnson : En ce qui concerne cette province, la propriété étrangère des médias existants m'apparaît parfaitement comparable à la propriété nationale des médias existants, CanWest ou Ganette. Cela importe peu. Ce qui importe c'est l'incidence que cela a sur l'accès aux médias et la diversité de l'information et c'est pour cela que je soutiens dans mon mémoire que si vous voulez protéger — et c'est l'un des sujets que vous examinez — nos médias pour les mettre à l'abri des prises de contrôle étrangères, vous devriez aussi examiner le modèle local.
Le sénateur Munson : Je suis certain que de nombreuses questions mériteraient un examen approfondi mais j'essaie de me faire une idée de l'incidence qu'a la propriété unique des médias sur la société ici à Vancouver. Le monopole appauvrit-il le débat démocratique?
M. Mulgrew : Je dirais que la discussion et le débat public dans cette ville sont moins dynamiques qu'à Toronto, que les points de vue sont moins variés et que les points de vue divergents ont moins de chance de se faire entendre et que c'est pour cela qu'on entend toujours parler de la polarisation de la Colombie-Britannique et de Vancouver. Je me permets de signaler que Vancouver est l'une des villes où la diversité ethnique est la plus riche et je crois que les opinions sont aussi très diversifiées mais la narration médiatique dans cette région du pays est telle que le débat sur n'importe quelle question finit par être tranchée entre les deux camps.
Le sénateur Munson : Est-ce que vous, personnellement...
M. Mulgrew : Oui, personnellement, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. À mon avis, il n'est pas bon d'exclure d'un débat des voix isolées, de ne pas les entendre. Cela amène les gens à penser que le monde obéit à de grosses entités homogènes; cela les emmène à penser qu'il y a nous et les autres; et je ne crois pas que ce soit une bonne chose pour une société démocratique.
M. Nagle : En réponse à la question spécifique qui a été posée, la situation à Vancouver est vraiment merveilleuse. À mon sens, il y a un nombre vraiment remarquable de petites publications, ethniques, alternatives, ainsi que d'autres médias. Je vois mal comment on peut parler de la notion d'une voix politique dans un cadre où foisonnent ainsi les publications. Jusqu'à présent, les gens qui veulent lancer une publication et la gérer comme ils veulent le font, un point c'est tout.
La situation confuse amenée par les années de mauvaises relations entre le personnel et la direction de Pacific Press a conduit à l'émergence de toute une série d'hebdomadaires et de bihebdomadaires de banlieue qui connaissent un vrai succès. L'absence de reportages sur la diversité culturelle a entraîné l'apparition de journaux dans les diverses langues des communautés ethniques. Il y a même à présent une télévision ethnique qui a une certaine allure. Mais ce n'est pas un sujet que je connais non plus.
Toutefois, le discours politique, auquel nous nous livrons tous à un moment ou à un autre, est une notion tout à fait étrangère à une part énorme de la consommation de médias de nos jours. La participation aux élections l'illustre abondamment. Il y a, et c'est regrettable, une multitude de gens que le processus démocratique ennuie. C'est une des raisons pour lesquelles je voudrais revenir à un journalisme à l'ancienne, qui faisait participer les gens au processus politique, si mes souvenirs sont bons. Je ne voudrais pas, pour autant, passer pour un vieux qui se lamente de la perte du bon vieux temps. Je suis au contraire enchanté par...
La présidente : Vous êtes sûrement un sage.
M. Nagle : Cela tient à mes origines.
Le sénateur Phalen : Je ne sais pas s'il s'agit d'une question complémentaire, mais elle a trait à ce qui a été dit.
On a beaucoup parlé au comité de la concentration de la propriété des médias, notamment sur le marché de Vancouver. CTV, CBC et CHUM diffusent tous des nouvelles locales mais, selon les chiffres fournis au comité par le Centre for Media Studies, plus de 75 p. 100 des téléspectateurs choisissent de regarder les nouvelles locales de CanWest BCTV à l'heure du souper. D'où ma question : si la propriété des médias d'une localité préoccupe tant la collectivité, pourquoi 6 p. 100 des gens seulement regardent-ils CBC? Il y a un problème. Si les gens se plaignent d'une mainmise sur les médias mais choisissent tous ou choisissent à 75 p. 100 la programmation de BCTV, que peut-on dire?
Mme Ingran-Johnson : Je connais mal les médias électroniques, mais vos chiffres me surprennent quand même. Je crois que la part de marché de BCTV a beaucoup diminué. Des spécialistes des médias électroniques vous diront que l'époque où tout le monde regardait les nouvelles locales à 6 heures est révolue. Les gens choisissent d'avoir des nouvelles en temps réel, sur Internet. Les stations de télévision détenues par CanWest se préoccupent aussi de part de marché et assurent une promotion croisée. En d'autres mots, chaque émission se conclut avec « et vous trouverez dans votre journal de demain... » Quant à votre question, je regrette, je ne peux pas y répondre. CBC fait un excellent travail. Je suis surprise qu'ils obtiennent seulement 6 p. 100 du marché.
M. Mulgrew : Pourrais-je répondre? Je voudrais ajouter quelque chose. Est-ce possible?
La présidente : Qui veut la parole? Monsieur Mulgrew. Fort bien. Je voulais juste demander à chacun d'être le plus bref possible.
M. Mulgrew : Je serai très concis. Si BCTV domine le marché, c'est pour de bonnes raisons. Par exemple, à cause du hockey, le bulletin de nouvelles de CBC n'est jamais à une heure fixe et les gens ne peuvent ainsi en prendre l'habitude. De plus, BCTV a toujours conçu ses bulletins de nouvelles comme un divertissement : à l'américaine, pas par quatre chemins, sans se soucier, contrairement à CBC, de lancer une discussion publique. Comme je vous l'ai dit, on ne peut s'attendre à ce que les gens se lèvent de leur canapé pour s'élargir les idées. Tout ce que vous me dites, c'est que les gens rechignent à aller contre le grain. Évidemment.
Le sénateur Trenholme-Counsell : La discussion de ce matin est vraiment intéressante. J'ai une liste de questions et je ne suis pas sûre d'avoir le temps de les poser. La présidente devra décider du temps dont on dispose pour y répondre.
J'ai d'abord une question sur une remarque qui m'a inquiétée, monsieur Nagle, parce que je suis avant tout un médecin. Vous avez parlé du désir de faire très peur aux gens dans les reportages sur la santé. Je paraphrase mais je crois que c'était le sens de vos propos. Je me demandais si vous parliez des journaux locaux ou nationaux? C'est une question qui me préoccupe. Dans certains de nos journaux nationaux, il me semble, au contraire, que les reportages augmentent en fréquence et en diversité, qu'il s'agisse de cancer, de médicaments ou de nutrition. J'aimerais donc que vous étoffiez un peu votre commentaire.
Monsieur Mulgrew, vous n'avez pas parlé des jeunes en particulier. Vu la qualité de vos remarques, je me demandais si vous pouviez parler un peu des jeunes dans la presse. Vous avez parlé de l'aliénation des gens de l'Ouest; et je me demandais si c'était un reflet de l'aliénation de l'Ouest en général et quelle part les médias y jouaient. Ce sont des questions bien différentes, je crois.
M. Nagel : En ce qui concerne la partie de votre question qui s'adresse à moi, sénateur, je peux y répondre très brièvement : si vous trouvez Carol Cole, et je peux d'ailleurs vous aider, elle effectue des recherches sur ce sujet à l'Université de la Colombie-Britannique et a fait, devant notre groupe initial d'experts, une présentation si intéressante que je vous l'ai signalée ce matin. Si vous me demandez de le faire, je serai heureux de communiquer avec elle et de lui suggérer de se mettre en contact avec vous.
Le sénateur Trenholme-Counsell : Je vous remercie.
La présidente : Et la réponse à la seconde question?
M. Mulgrew : À l'heure où nous sommes, savoir ce que pensent les jeunes est un problème particulièrement épineux pour les journaux et les autres médias, notamment pour les médias syndiqués, parce que, à la suite de difficultés économiques et de licenciements, il reste essentiellement des gens comme moi, blanc et d'âge moyen, ce qui n'est pas vraiment une bonne chose. Imaginez-nous en train de nous creuser les méninges dans une salle de nouvelles, à nous demander ce qui est branché, ce qui se passe, comment on devrait toucher les gens. Nous sommes si déconnectés que ce n'est pas drôle.
Nous avons, en outre, deux problèmes. Le premier est de savoir comment attirer les jeunes gens dans la profession de journaliste, alors qu'il y a toutes sortes d'obstacles à cette profession. C'est quelque chose qu'il conviendra de résoudre dans le cadre de nos conventions collectives. Le second problème a trait, comme je le disais, à la culture des jeunes que nous attirons. Dans les années 70, les personnes que tentait le journalisme étaient des gens comme moi, comme Victor Malorek ou Michael Harris, qui avaient une conscience sociale, qui voulaient secouer la baraque et changer des choses. Or, les personnes qui envisagent aujourd'hui la profession ont, comme je le disais, des diplômes poussés et des attentes ambitieuses en matière de carrière. C'est le brillant du secteur qui les attire, le poste sur CNN avec Christina Amanpour, et le salaire qui s'y rattache. Deux problèmes, donc : la question de culture, que je voie mal comment on pourrait régler et dont il faut s'accommoder; puis le problème structurel de savoir comment attirer plus de jeunes et leur donner accès à la profession, malgré des obstacles majeurs à leur entrée dans les grands journaux.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voudrais également savoir ce que vous pensez...
M. Mulgrew : De l'aliénation?
Le sénateur Trenholme Counsell : ... de la façon de pousser les jeunes gens à lire les journaux.
M. Mulgrew : Excusez-moi?
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voulais également savoir ce que vous pensez de...
M. Mulgrew : Effectivement. Je répugne à vous le dire, mais c'est simplement une question de changement de génération. J'ai des enfants dans la trentaine qui ne lisent pas les journaux et qui s'informent uniquement par Internet. Cela ne me dérange pas. L'idée que l'expérience tactile puisse disparaître ne me pose pas vraiment problème. Ce que je constate, c'est que nous parlons simplement ici de la forme que revêt l'information, que revêt l'opinion. Mon opinion, vous pouvez la présenter de n'importe quelle façon. Ce qui compte, c'est que je puisse l'exprimer dans un medium quelconque, que je puisse la diffuser et qu'elle donne lieu à une discussion. Que le débat public passe de l'imprimé, qui a été le mode dominant pendant deux ou trois siècles, au mode électronique, voire à un forum électronique, à mon avis cela ne devrait pas vraiment inquiéter la démocratie, en ce sens qu'il s'agit simplement d'un changement de génération auquel les vieilles badernes que nous sommes vont devoir s'habituer.
La présidente : Certains d'entre nous sont encore plus vieux que vous, monsieur Mulgrew.
Le sénateur Eyton : Je voudrais d'abord vous remercier d'être venus et vous dire à quel point j'ai apprécié ce que vous avez dit. Et en particulier, monsieur Mulgrew, je me félicite personnellement que vous ayez quitté les chaînes de montage de General Motors. Je pense que cela a été une bonne décision, et elle vous a apparemment bien profité.
Un autre constat de ma part est que ce matin, j'ai été étonné de voir qu'aucun journal ne m'attendait devant la porte de ma chambre d'hôtel. Voilà qui est très rare. Dans certaines villes — en particulier à Toronto — on en reçoit parfois deux.
Le sénateur Chaput : Nous en avons eu un.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous aussi.
Le sénateur Eyton : Alors peut-être n'en donnent-ils pas aux conservateurs, mais quoi qu'il en soit, je n'en ai pas reçu ce matin.
J'ai le sentiment très net, pour plusieurs raisons — en partie en raison de mes antécédents dans le monde des affaires et en partie aussi parce qu'il me semble que je viens souvent en Colombie-Britannique et à Vancouver et à Victoria depuis quelques mois — que la province est en plein essor, qu'on y investit beaucoup, qu'il y a un mouvement en direction des Autochtones d'après les conversations que j'ai pu avoir avec eux. D'ailleurs, plusieurs groupes auxquels je suis associé investissent beaucoup dans la province. Dans ce contexte, ne pourrait-on pas dire que cela représente un élément de solution? Je serais enclin à penser que lorsqu'il y a de l'argent et un afflux de nouveaux arrivants, ceux qui font de la publicité sont prêts à dépenser davantage, et il y a également d'autres commerces qui veulent en faire, il y a de nouveaux consommateurs, et tout cela alimente le mouvement. La Colombie-Britannique est peut-être chanceuse à cet égard, et je voudrais savoir ce que vous en pensez.
M. Mulgrew : Je pense que vous avez parfaitement raison et je dirais également qu'à mon avis, vous faites mouche. Je veux pouvoir vous dire que je fais confiance au marché. Je suis un auteur commercial. Je suis peut-être journaliste, mais je suis avant tout un auteur commercial. Je vais là où on me paiera le plus pour écrire ce que j'écris, et la meilleure chose pour favoriser la concurrence, c'est un marché plus prospère et plus varié où il y a davantage de gens qui paient pour de la publicité et davantage de gens qui peuvent financer leurs points de vue. Ce sera là assurément un élément de la dynamique qui fera changer le visage de la province et qui alimentera le débat public. Cela ne fait absolument aucun doute, je suis entièrement d'accord.
Le sénateur Eyton : Pourrais-je également vous poser la même question, monsieur Nagle, parce que vous avez parlé de la richesse et de la variété de la presse en Colombie-Britannique, et je suis persuadé que cela est en partie dû aux facteurs dont j'ai parlé.
M. Nagle : Si vous parlez du modèle de gestion, sénateur, vous avez tout à fait raison. Si on compare le modèle politique au modèle de gestion du monde des affaires, on constate qu'ils ne sont pas en phase. Dans le monde des affaires, il y a des choses qui doivent être remises en question dans l'intérêt général. Pour l'instant, il n'y a guère de débat au sujet de ce que le monde des affaires apporte à la province. Le modèle des médias et le modèle politique ont été subordonnés au modèle de gestion dans le monde des affaires, ce qui fait que j'ai personnellement le sentiment de ne pas avoir de données solides qui confirmeraient une convergence entre l'intérêt du monde des affaires et l'intérêt général. Personnellement, je ne crois pas qu'un modèle brut de gestion proprement au monde des affaires corresponde le mieux à l'intérêt public. On avait coutume de dire sans mettre de gants qu'un voleur qui ne s'est fait pas prendre est l'homme d'affaires le plus prospère.
Le sénateur Eyton : Cela me donne des frissons.
La présidente : Avant de vous remercier, j'aimerais encore vous dire un mot, madame Ingram-Johnson, au sujet de la couverture médiatique de l'Assemblée législative. Vous avez dit que The Sun et The Province, qui sont les quotidiens de référence en Colombie-Britannique, n'avaient plus de journaliste en poste à l'Assemblée législative, et lorsque je parle de journalistes, je veux dire des reporters. Des chroniqueurs oui, des reporters, non. Mais j'imagine que ces deux quotidiens doivent bien suivre d'une façon ou d'une autre les affaires publiques. Que font-ils? Envoient-ils des gens à l'occasion des grandes manifestations comme le dépôt d'un budget ou le discours du Trône? Ont-ils des reporters spécialisés qui suivent l'évolution des choses dans tel ou tel domaine de politique? Comment s'y prennent-ils?
Mme Ingram-Johnson : Il n'y a plus de spécialiste. Il n'y a pas — CanWest parle d'ouvrir une antenne parlementaire qui servira à alimenter tout le réseau en Colombie-Britannique. Mais cela n'équivaut pas à donner des nouvelles d'intérêt local aux gens qui sont les plus proches de la capitale. Ce qui s'est passé — par commodité économique — c'est que Victoria offre encore une certaine couverture. Il y a des reporters. Grâce à ce modèle de convergence — et je déteste ce terme — ces médias peuvent utiliser leurs reporters de Victoria pour alimenter les journaux de Vancouver ou du reste de la province. Bien sûr, Victoria s'occupe avant tout de ses propres intérêts, ce qui fait qu'à moins d'avoir quelque chose qui puisse intéresser tout le monde, cela n'intéressera pas particulièrement Vancouver. La Presse canadienne couvre encore un peu les activités parlementaires, mais de façon diluée et à plus petite échelle; il n'y a aucune variété, et, comme vous le savez, n'importe qui peut assister à une conférence ou à un point de presse et écrire un article à ce sujet. Mais pour faire un bon reportage, il faut des contacts, il faut vivre sur place et il faut également que les gens des milieux politiques vous fassent confiance.
La présidente : Comment font-ils donc pour couvrir tout ce qui a un impact profond sur la population et qui fait intervenir d'une façon ou d'une autre le gouvernement, le secteur des pâtes et papiers, l'industrie forestière, le monde de la pêche? Comment font-ils?
Mme Ingram-Johnson : Je vois que Pat lève la main et je vais donc le laisser répondre.
M. Nagle : En deux mots, madame la présidente, les industries dont vous venez de parler ont leur siège ici à Vancouver et se sont les reporters en poste à Vancouver qui s'en occupent. Les questions de politique, d'après ce que j'ai pu constater récemment à titre professionnel, ne sont pas vraiment couvertes d'une façon satisfaisante selon moi. Je veux dire par là qu'avant que quelque chose se produise, il faudrait un reportage sur les tendances et ainsi de suite dans les domaines de politique en question. Mais à Victoria, et je parle d'expérience, il n'y a actuellement rien de ce genre.
L'actualité quotidienne, les points de presse et ainsi de suite sont couverts par l'antenne de Victoria du Times-Colonist, une antenne qui est déjà sollicitée au maximum de ses capacités puisqu'elle doit aller un peu partout pour couvrir toute l'actualité du jour.
Ce que je voudrais faire valoir, et c'est quelque chose que je voulais dire depuis longtemps, c'est que le « modèle de convergence » est juste un nom de code utilisé pour parler du journalisme par souscription. C'est ainsi que la famille Aspers a fait fortune, par la souscription franche et directe. Et maintenant, elle utilise ce modèle à l'échelle de son nouvel empire, mais je peux vous garantir que cela ne marchera pas. On ne peut pas se contenter de passer en boucle des reportages sur l'activité parlementaire. On ne peut pas dire : « Voir à la page 1 les plus grands succès de W.A.C. Bennett ». Cela ne donne rien. Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas la même chose qu'un feuilleton télévisé à grande diffusion.
La présidente : Merci beaucoup. Je vous interromps, je l'admets, pas parce que ce vous dites manque d'importance, et vous l'avez fait valoir avec une clarté remarquable, mais parce que nous avons déjà pris une partie du temps que nous avions réservé à nos prochains témoins, à mon grand chagrin d'ailleurs.
Par conséquent, je vous remercie tous d'être venus aujourd'hui. Votre comparution a ponctué de façon fascinante le début de nos travaux ici à Vancouver, et nous vous en sommes reconnaissants à tous, monsieur Nagle, madame Ingram-Johnson et monsieur Mulgrew. Je sais que d'autres sénateurs brûlaient d'intervenir, mais j'en suis également désolée pour eux.
Je vais maintenant inviter nos prochains témoins à prendre place à la table. Ils représentent le chapitre de Vancouver de l'Association canadienne des journalistes, et il s'agit en l'occurrence de Mme Deborah Campbell, la présidente du chapitre, et de Mme Deborah Jones, qui en est membre.
Bienvenue au comité, mesdames. Je devrais peut-être prendre quelques instants pour rappeler aux sénateurs que cette association n'est pas un syndicat. Il s'agit d'une association de journalistes qui s'intéressent au journalisme au sens strict du terme. Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui. Vous connaissez la routine. Efforcez-vous de limiter à 10 minutes votre introduction afin que nous puissions vous poser ensuite toutes sortes de questions fascinantes.
Mme Deborah Campbell, présidente, chapitre de Vancouver, Association canadienne des journalistes : Je m'appelle Deborah Campbell, et comme on vient de le dire, je suis la présidente du chapitre de Vancouver de notre association. L'Association canadienne des journalistes représente 1 400 professionnels des médias au Canada. Elle est également la plus importante association représentant les journalistes canadiens, et nous faisons beaucoup pour éduquer les journalistes et assurer leur perfectionnement professionnel; nous faisons également, au nom de la profession, du lobbying dans certains dossiers qui touchent les journalistes.
En étudiant l'état des industries des médias au Canada, vous touchez un dossier d'une importance capitale pour la démocratie, et je me félicite que la chose ait déjà été évoquée ce matin. Ce que nous savons du journalisme ou de l'actualité est étroitement associé à la montée de la démocratie parce que la démocratie est la thèse voulant que le citoyen doit participer à sa propre gouvernance et, pour pouvoir le faire, qu'il a besoin d'une information précise et complète sur ce qui doit retenir son attention. S'il y a des crimes à l'encontre de la société, de l'humanité ou des fonds publics, le journaliste a le devoir d'en informer le public et de réclamer des comptes aux responsables.
De nos jours, on a le sentiment que les moyens dont les journalistes disposent pour faire leur devoir sont de plus en plus limités. À titre d'exemple, en écoutant de nombreux collègues journalistes, pas seulement ici à Vancouver mais partout au Canada, j'entends poindre une note de désespoir qui teinte insidieusement le dialogue entre journalistes et chroniqueurs. Nous utilisons souvent l'expression « journalisme d'enquête » pour parler plus précisément d'un certain genre de reportage qui exige beaucoup de temps et d'argent, mais en réalité le journalisme digne de ce nom est toujours du journalisme d'enquête. Il y a certes beaucoup de reportages qu'on pourrait qualifier de « légers », et qui livrent néanmoins un certain contenu, mais ce genre de reportage ne mérite pas vraiment d'être appelé du « journalisme » car ce dernier terme sous-tend un bien social, un guide essentiel pour comprendre ce qui se passe dans le monde qui nous entoure. L'importance de ce rôle apparaît clairement lorsqu'il y a un gouvernement corrompu, car celui-ci essaie généralement de contrôler la presse ou de museler la presse libre.
On a entendu beaucoup parler dernièrement de l'aliénation de ceux qui regardent ou écoutent les bulletins d'actualités, surtout les jeunes gens qui ne semblent pas y prêter beaucoup d'attention, de ce sentiment qu'ils semblent avoir que tout ce qui se dit dans ces bulletins ne les concerne pas vraiment. Il y a assurément un sentiment d'aliénation.
Au Canada, nous sommes arrivés au point où on a le sentiment que le journalisme est littéralement attaqué, que l'essentiel de ce que nous appelons le journalisme est en réalité le produit de communiqués de presse qui sont envoyés pour alimenter la chronique plutôt que pour permettre de découvrir des choses, ou alors que le journalisme se réduit à parler des personnalités ou des choses un peu étranges ou bizarres qui se sont passées mais qui n'ont pas vraiment beaucoup d'importance pour les Canadiens et leur place dans le monde. Souvent il s'agit de nouvelles venant d'ailleurs, des nouvelles écrites par des gens d'ailleurs, de la copie recyclée, mais rien de nouveau, rien qui soit vraiment de l'actualité.
Il faut donc se demander ceci : l'actualité est-elle devenue un simple produit destiné à nous vendre quelque chose ou à fournir un auditoire aux messages publicitaires? Le journaliste a-t-il le devoir d'informer les gens en leur disant ce qu'il faut qu'ils sachent pour pouvoir être des participants à part entière à la société, à être des citoyens productifs? Et que se passe-t-il si cela disparaît? Est-ce que la démocratie disparaît elle aussi dès lors que le citoyen n'a plus les outils dont il a besoin pour prendre des décisions en connaissance de cause?
Quelqu'un a dit ce matin que l'environnement était extrêmement concentré ici à Vancouver, et c'est assurément ce dont parlent la plupart des journalistes lorsqu'ils sont entre eux. Comme vous le savez, il y a ici une compagnie, CanWest Global, qui a quasiment le monopole de la presse écrite puisqu'elle possède trois des quatre quotidiens ainsi que les deux quotidiens d'intérêt local; cette compagnie possède également Global Television et CHTV et, à en croire son site Internet, elle possède 22 quotidiens d'intérêt local en Colombie-Britannique, dont une douzaine rien que dans la région continentale sud. Le résultat de cela est que même si nous avons ici une presse ethnoculturelle relativement dynamique, les quotidiens les plus lus appartiennent tous à la même compagnie.
Vancouver est donc le banc d'essai d'une tendance qui semble se propager partout en Amérique du Nord, et je parle ici du regroupement des intérêts commerciaux spécialisés. C'est un microcosme qui mérite d'être examiné, d'autant plus qu'il commence à y avoir de moins en moins de propriétaires qui contrôlent l'information, et qui seraient tentés d'accorder davantage d'attention à leur bilan qu'à l'intérêt public.
L'exemple que beaucoup de chroniqueurs et de journalistes affectionnent de mentionner pour expliquer ce qui se passe lorsqu'une seule compagnie contrôle l'information, c'est le scandale des condominiums qui prenaient l'eau, et si vous passez un peu de temps à Vancouver, vous constaterez qu'ils sont encore tous protégés par des bâches, et vous entendrez parler des milliards de dollars qui ont été engloutis dans ce scandale immobilier. À l'époque, bien entendu, ces condominiums produisaient également énormément de publicité dans le cahier immobilier des différents quotidiens, de sorte que malheureusement, cette histoire a été pratiquement passée sous silence. Il y a eu quelques exceptions. Quelques articles ont été publiés ici et là, mais dans l'ensemble, on vantait surtout les avantages qu'il y avait à acheter un condominiums sans parler des milliers de gens qui avaient intenté des poursuites contre les promoteurs et ainsi de suite. C'est un tout petit exemple de ce qui peut se produire lorsque l'on accorde trop d'attention au bilan financier et qu'il n'y a pas de presse concurrente qui essaie de se faire une part de marché.
En privé, les journalistes affirment qu'à leur avis, les quotidiens locaux ont réduit leur personnel de rédaction d'environ 40 p. 100 depuis les années 80. Je pense quant à moi que les gens essaient de faire davantage avec moins de moyens, mais souvent ils font également moins lorsqu'ils ont moins de moyens. Pour être précis, ils finissent par passer beaucoup moins de temps à faire ce qu'on pourrait appeler du « journalisme d'enquête ». Plus particulièrement, le nombre de chroniqueurs politiques a diminué et ceux-ci ont été regroupés. Même si le dossier des affaires autochtones et des revendications territoriales est le plus gros dossier économique et social de la Colombie-Britannique, un dossier qui intéresse toutes les grandes industries des ressources qui sont fondamentales à l'économie de la province, il n'y a pas un seul journaliste spécialisé qui en parle dans les quotidiens locaux, aucun de ces deux journaux n'a de journalistes spécialisés dans les questions syndicales, il n'y a aucun journaliste affecté spécifiquement à l'Assemblée législative, il n'y a pas de journalistes s'occupant uniquement d'environnement, ou encore de pêche. Le quotidien The Province n'a pas de journalistes spécialisés dans le domaine forestier, mais il en a beaucoup pour ses pages sportives et sa chronique des loisirs.
Nous savons qu'un nouveau quotidien s'apprête à paraître, un quotidien qui va cibler expressément les jeunes gens. Cela dit, les gens du milieu affirment qu'aucun journaliste ne va être engagé pour y travailler. Il s'agira simplement d'une équipe de mise en page qui se contentera de recycler des articles publiés ailleurs. Est-il donc si étonnant que cela que les jeunes gens ne se sentent pas concernés? D'aucuns affirment que les nouveaux médias offrent toutes sortes d'autres options, mais si vous regardez les chiffres, vous constaterez que la plupart des gens consultent précisément les sites Internet qui appartiennent aux entreprises médiatiques. Malheureusement, les nouveaux médias déjà en activité n'ont pas les moyens financiers nécessaires pour faire du journalisme de qualité, pour payer des professionnels afin qu'ils fassent du journalisme d'enquête. Cela n'existe tout simplement pas.
À Toronto, les trois grands quotidiens appartiennent à trois sociétés différentes qui sont donc obligées de se faire concurrence; il y a trois journalistes différents qui couvrent le même événement et ça nous permet au moins de lire trois points de vue différents. Cela assure une profondeur et une ampleur de couverture et une diversité de points de vue. Tous ne chantent pas la même note. À l'heure actuelle, au Canada, il y a de moins en moins de voix différentes et une absence de ce qu'on pourrait appeler un véritable « journalisme ».
Les Canadiens sont privés de renseignements importants parce qu'un trop petit nombre exercent un trop grand contrôle. Récemment, l'ACJ a diffusé un communiqué demandant à CanWest d'annuler un nouveau contrat de pige qui aurait privé de leurs droits les auteurs et journalistes indépendants, y compris leurs droits moraux, ce qui veut dire que ces voix indépendantes auraient perdu tout contrôle à l'égard de leur travail. En les privant de leurs droits moraux, CanWest pourrait modifier un article comme il le souhaite, l'utiliser à des fins de publicité et modifier les opinions qui y sont exprimées sans l'autorisation de l'auteur. Quel recours ont ces journalistes et ces écrivains si cela ne leur plaît pas?
C'est le problème que posent les monopoles dans le secteur des médias. Si nous interdisons les monopoles dans d'autres marchés, parce que c'est mauvais pour le consommateur et pour la qualité des produits, pourquoi en permettre dans un domaine si essentiel et si délicat de l'information qui nous permet, à nous Canadiens, de naviguer dans le monde? N'est-ce pas trop facile, dans un tel contexte, de présenter des opinions comme des faits qui resteront incontestés? Cette situation de quasi-monopole est particulièrement nuisible aux fournisseurs, en l'occurrence, les écrivains, les journalistes et les photographes car, sans concurrence sur le marché, les fournisseurs n'ont tout simplement aucun moyen d'accroître leur revenu, et ils subissent déjà des pressions à la baisse depuis des années. Si leurs opinions divergent de celles des sociétés en question, ils ne peuvent pas s'adresser ailleurs.
Un grand nombre de journalistes abandonnent tout simplement le métier. Un grand nombre de très bons journalistes changent de métier où vont travailler pour des médias publics en Europe ou aux États-Unis. Souvent des journalistes me disent qu'ils ont subi des pressions subtiles ou explicites pour ignorer certains événements ou en couvrir d'autres qu'ils estiment peu importants. Bien que la pratique des éditoriaux nationaux semble avoir cessé, on continue à dissuader les journalistes d'exprimer des opinions contraires à celles des propriétaires. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de nouveau, mais ce qu'il y a de nouveau à mon avis c'est qu'il n'y a qu'un seul ou qu'un petit nombre de propriétaires pour qui les journalistes peuvent travailler. Il est clair que cela n'est pas dans l'intérêt du public ni dans l'intérêt de la diversité ou de la liberté de la presse.
Nous avons entendu dire que CanWest a l'intention de se lancer dans la publication de livres. C'est un secteur où les coûts de démarrage sont très élevés et auquel n'auront pas facilement accès d'autres concurrents.
Que pouvons-nous faire au juste? Aux États-Unis, une société ne peut pas être à la fois propriétaire d'un journal et d'une station de télévision ou de radio dans la même ville. Aux États-Unis, une société ne peut pas être propriétaire de deux stations de télévision sur un même marché. La propriété croisée telle qu'elle existe ici n'est tout simplement pas tolérée là-bas. Ces règles ont été adoptées pour empêcher qu'une entreprise monopolise le contrôle des médias car on reconnaît que l'information est trop importante et trop facile à manipuler. Pourquoi le Canada, un marché beaucoup plus petit que celui des États-Unis, ne pourrait-il pas en faire autant pour empêcher les pratiques monopolistiques? Il nous faut une loi antitrust qui empêcherait la concentration du pouvoir à l'égard d'un bien si précieux et si essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie. Merci de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous.
Mme Deborah Jones, membre, chapitre de Vancouver, Association canadienne des journalistes : Merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous.
Aujourd'hui, j'aimerais faire quelques observations et recommandations. Certaines me sont inspirées par mon rôle de modératrice du Listserv de l'Association canadienne des journalistes. Il s'agit d'une tribune de discussion sur Internet à laquelle participent environ 800 journalistes. Je suis membre de ce forum depuis environ 10 ans et j'en suis la modératrice depuis environ cinq ans.
Certaines de mes observations découlent en outre de mon propre travail. Je suis journaliste depuis environ 26 ans. J'ai choisi de faire surtout de la pige mais j'ai également travaillé au bureau des dépêches de la Presse canadienne et au comité de rédaction du Vancouver Sun. J'ai longtemps écrit pour le Globe and Mail et je suis l'une de ces journalistes qui a abandonné les médias canadiens dont parlait Deborah. Je suis maintenant reporter collaboratrice à la revue Time et reporter local pour l'Agence France Presse.
J'ai pris le temps de venir vous parler aujourd'hui parce que l'état des médias canadiens me remplit de désespoir. Je crois que nous pourrions faire beaucoup mieux. Je crois que si nous faisions beaucoup mieux, la participation publique serait meilleure, et même les affaires seraient meilleures car les gens d'affaires seraient mieux informés et je pense même que la politique serait beaucoup mieux. Je crois que les médias sont terriblement importants pour la société et la démocratie. Je suppose que c'est pour cela que j'y ai consacré ma vie. Je crains qu'une grande partie des médias canadiens ne cèdent à la pression des intérêts partisans et commerciaux.
D'autres témoins, y compris Deborah Campbell, ont soulevé de points avec lesquels je suis d'accord. Pour ma part, j'ai quelques commentaires un peu différents. On parle beaucoup de l'importance d'entendre des voix canadiennes. Des mesures gouvernementales, comme le Fonds du Canada pour les magazines, visent à nous faire entendre davantage de voix canadiennes, mais je ne pense pas qu'elles donnent de résultats et je pense qu'il serait peut-être utile que vous examiniez cette question. Un exemple en est la revue Chatelaine. J'ai été collaboratrice à la rédaction de Chatelaine pendant de nombreuses années. Pendant plusieurs années, j'ai écrit au moins la moitié des articles vedettes de la revue. J'ai cessé d'écrire pour Chatelaine lorsque cette revue a décidé qu'elle gagnerait plus d'argent en remplaçant les articles d'information, que de nombreuses lectrices disaient aimer, par des articles sur le sexe et des conseils de beauté s'adressant à un certain groupe de jeunes femmes que les annonceurs voulaient rejoindre. C'était leur prérogative d'établir un tel plan de publicité et de commercialisation, puisqu'il s'agit d'une entreprise libre, d'une entreprise indépendante. Toutefois, il me semble que si le gouvernement veut encourager les voix canadiennes, si le gouvernement a l'intention de subventionner les revues au moyen du fonds pour les magazines et de subventionner les tarifs postaux, il devrait fixer certains critères relatifs à la qualité de l'information publique dans les publications et au genre de voix qu'elles expriment. Je pense que le gouvernement a non seulement la possibilité, mais également l'obligation, de maintenir une certaine norme s'il souhaite encourager les voix canadiennes plutôt que de subventionner des entreprises très rentables. Je dois dire que j'ai aimé travailler pour Chatelaine et ce n'est pas l'amertume qui m'amène à exprimer ces opinions, mais j'ai choisi de ne pas écrire de conseils en matière de santé et de beauté. J'aimerais mieux gagner plus d'argent ailleurs si ce genre de travail m'intéressait.
L'autre chose que j'ai à dire au sujet du fonds pour les magazines est que le tarif des pigistes qui écrivent pour les revues n'a pas augmenté depuis 30 ans. Depuis 30 ans, le tarif supérieur que peuvent toucher ceux qui écrivent pour des revues est d'environ un dollar le mot. Il y a quelques exceptions notables. La revue Walrus en est une, mais c'est une nouvelle entreprise et ce genre de revue est trop rare. Un dollar le mot représente 2 000 $ pour un article de 2 000 mots en moyenne qu'un bon auteur très dévoué mettra tout un mois à rédiger. Si les Canadiens veulent vraiment lire de bons articles écrits par des écrivains exceptionnels, le genre d'écrivains qui sont publiés dans des revues comme Atlantic ou le New York Times ou Harper's aux États-Unis, un dollar le mot ne suffira pas à retenir des écrivains de ce calibre.
Nombre de mes collègues se sont tournés vers des publications américaines ou ont abandonné le métier pour rédiger des textes publicitaires à 75 $ l'heure. Je pense que c'est vraiment triste car bien des gens choisissent le journalisme par conviction. Ils passent beaucoup de temps à s'instruire, à réfléchir aux dossiers et ils ont terriblement à cœur que le public fasse confiance aux journalistes. Trop souvent, ce n'est tout simplement pas possible de survivre dans ce domaine à moins d'avoir déjà les poches bien remplies.
Je dirais que même aujourd'hui, il est encore possible qu'un pigiste d'élite gagne l'équivalent d'un salaire de 70 000 $ par année en travaillant sans arrêt et en diversifiant ses activités. Je pense qu'en moyenne un journaliste pigiste gagne environ 12 000 $ par année et probablement encore moins car ils sont nombreux à travailler en même temps comme serveur et serveuse ou à avoir un autre emploi de ce genre, tout comme les acteurs qui attendent d'être découverts à Hollywood. Encore une fois, je répète que le gouvernement a un petit rôle à jouer pour faire avancer un peu la situation en révisant ses critères d'admissibilité au Fonds pour les magazines et à la subvention postale. Il suffirait de peu de choses pour fournir un sérieux encouragement à des rédacteurs qui sont en général très dévoués.
J'aimerais vous parler brièvement des observations que j'ai faites au fil des années en tant que modératrice de la Listserv de l'ACJ. La liste de l'ACJ n'est pas représentative de la communauté journalistique canadienne. Je pense qu'il n'y a pas plus de 400 membres de cette liste qui sont également membres de l'ACJ. C'est ouvert au public ainsi qu'aux journalistes. Toutefois, la vaste majorité sont journalistes, étudiants ou professeurs, et on y trouve des éditeurs, notamment des éditeurs de médias new-yorkais en passant par les étudiants. Les discussions sont très ciblées; il n'y a pas de bavardage et c'est parfois assez animé.
Je sens que les membres de la liste de l'ACJ sont découragés de l'état du journalisme. Parmi les questions qui reviennent il y a l'absence de jeunes, la baisse du nombre de lecteurs des médias grand public, la méfiance accrue du public à l'égard des journalistes, point sur lequel il semble y avoir un consensus, la formation et les compétences que devraient avoir les journalistes et, ce que je trouve particulièrement déconcertant, c'est qu'au fil des années ceux qui sont employés, ou souhaitent le devenir, hésitent de plus en plus à s'exprimer sur la liste de l'ACJ, qui est une tribune publique. Les employés de CanWest semblent particulièrement circonspects. Je le sais parce que, en tant que modératrice qui n'hésite pas à s'exprimer, je reçois parfois cinq messages par semaine, parfois plus lorsqu'il y a un sujet particulièrement chaud, de personnes qui travaillent pour les divers journaux de CanWest dans l'ensemble du pays, y compris Montréal, où les journalistes ont reçu l'ordre de ne rien dire contre leur employeur. Les employés de CanWest m'envoient souvent de l'information et des messages, que j'affiche sous mon propre nom. Je suis vraiment consternée que cela puisse se produire dans un pays où l'on attache de l'importance à la liberté d'expression. Lorsque les employés ne se sentent pas libres de s'exprimer, cela en dit long sur le contrôle que leur employeur exerce sur eux. Je pense qu'il y a une différence entre manquer de respect à son employeur et se sentir libre d'exprimer son point de vue dans une société démocratique.
Nous pourrions continuer à nous plaindre longuement, mais cela ne sert à rien à moins de proposer des solutions et c'est pourquoi j'aimerais formuler rapidement quelques idées. Je pense que lorsque le gouvernement essaie de s'immiscer dans les affaires des médias, il s'engage sur une pente savonneuse et je ne suis pas sûre de vouloir que vous recommandiez cela. Cependant, je pense qu'il y a certaines mesures que le gouvernement pourrait prendre. J'ai déjà parlé un peu du Fonds pour les magazines. Je crois que la législation antitrust et le CRTC peuvent et doivent encourager la qualité dans les médias canadiens. En tant que journaliste, et parlant en mon propre nom, je crois que le CRTC ne remplit pas ce rôle à l'heure actuelle. Je pense que la concentration des médias canadiens a atteint un niveau tel qu'elle commence à affaiblir nos voix et notre société. J'aimerais que le CRTC examine attentivement ou rejette les demandes de licence de radiodiffusion sur les principaux marchés aux entreprises qui sont également propriétaires de revues ou de journaux. Ce genre d'interdiction existe dans bien d'autres pays, y compris aux États-Unis qui est un marché libre. Je ne comprends pas comment le Canada, particulièrement à Vancouver, peut permettre une concentration extrême des médias sans que personne ne s'y oppose. En outre, c'est une question dont le public a rarement la chance de discuter puisque la concentration des médias fait que les journalistes n'en parlent pratiquement jamais. Cette question ne fait l'objet d'aucun débat public.
Cela m'amène à formuler une autre suggestion, soit que le gouvernement contribue à informer le public au sujet des médias. Le gouvernement intervient souvent lorsqu'il s'agit de nutrition. Il y a des campagnes d'information sur l'obésité. Très souvent le gouvernement s'occupe de réglementer la publicité sur la malbouffe. J'aimerais que le gouvernement donne de l'argent aux écoles pour qu'elles élaborent des programmes pour aider les étudiants à développer une pensée critique à l'égard des questions médiatiques. Je pense qu'elles le font un peu — en tant que parent je m'occupe pas mal d'activités scolaires — mais ce n'est pas assez. Dès le départ, comme nous l'avons fait pour l'éducation sexuelle et l'information sur les aliments, je pense que les jeunes devraient pouvoir discuter d'une manière intelligente et critique de l'information qui leur est présentée. Personne n'accuserait le gouvernement de s'ingérer dans les affaires des médias ou de restreindre la liberté d'expression s'il mettait sur pied un programme national pour informer les gens sur ce que j'appelle la presse pourrie. L'idéal serait d'avoir un journal qui serait à la presse ce que CBC/Radio-Canada est à la radio et à la télévision. Je ne crois absolument pas que ce soit possible, mais j'ai bien le droit de rêver de temps en temps.
Enfin, je vous demanderais de protéger CBC/Radio-Canada. Le sénateur Phalen a demandé pourquoi il faudrait appuyer CBC/Radio-Canada alors que le public veut de toute évidence regarder et écouter d'autres chaînes. Je pense qu'il faut protéger CBC/Radio-Canada pour les mêmes raisons que nous appuyons les autres industries culturelles : ballet, arts, et cetera. Au moins, CBC/Radio-Canada protège l'intégrité des médias et l'intégrité des journalistes tout simplement en produisant un journalisme de grande qualité qui contribue à relever la norme.
La présidente : Merci beaucoup. J'étais si fascinée que j'en ai oublié de dresser la liste des sénateurs qui veulent poser des questions. Je vais sonder mes collègues dans un instant, mais auparavant j'aimerais moi-même vous poser une question, madame Jones car, après de nombreuses années, vous continuez à vous occuper de Listserv. D'après mon expérience, qui remonte à 1965, le moral des salles de nouvelles a toujours été terrible, et ce, en partie, en raison du caractère des journalistes. Ceux et celles qui deviennent journalistes sont le genre de personnes qui posent des questions, et qui ont tendance à dire, dans leur propre milieu, tout comme ils le font pour les questions qui intéressent le public : « Il faudrait améliorer ceci », et qui disent que l'idiot de rédacteur en chef ne comprend rien à rien, et qui se plaignent beaucoup. C'est dans leur nature. Tout comme les joueurs de hockey aiment jouer au hockey, les journalistes sont portés à critiquer. Est-ce que c'est plus intense maintenant? À votre avis, est-ce que ça s'est intensifié ou est-ce que c'est simplement la tendance naturelle de tous les journalistes, de tout temps, de dire que les rédacteurs en chef sont des imbéciles?
Mme Jones : Je pense que c'est différent. Je n'ai pas passé beaucoup de temps dans les salles de nouvelles. J'ai travaillé au Vancouver Sun pendant 18 mois en tant que membre du conseil de rédaction mais je le surveille par l'entremise de Listserv et j'ai écrit pour le Globe and Mail pendant de nombreuses années et j'ai eu une idée de l'ambiance de cette salle de nouvelles.
Je pense que c'est différent maintenant parce que, oui, vous avez raison, les gens sont grognons et, oui, les journalistes sont d'éternels insatisfaits; nous nous plaignons, mais aujourd'hui, nous nous plaignons des propriétaires, ce que nous ne faisions pas auparavant et les journalistes hésitent à critiquer les propriétaires de peur de détruire complètement leurs chances de carrière alors que cette crainte n'existait pas auparavant. Je ne peux pas vous donner d'information qualitative à ce sujet, mais c'est ce que j'ai observé au cours des 26 dernières années dans les différentes salles de nouvelles où j'ai travaillé comme correspondante à distance, comme reporter locale et comme collaboratrice au Vancouver Sun.
La présidente : Très bien, merci beaucoup.
Le sénateur Eyton : Je voudrais poser une question complémentaire, madame la présidente.
La présidente : Oh, une complémentaire?
Le sénateur Eyton : Oui.
La présidente : Sénateur Tkachuk, permettez-vous au sénateur Eyton de poser une question complémentaire?
Le sénateur Tkachuk : Volontiers.
Le sénateur Eyton : Je voulais dire que vos remarques sont décourageantes et un peu sombres. En fait, vous représentez une section de l'Association canadienne des journalistes. Voici ma question : pensez-vous que vos sentiments sont partagés par les autres sections du pays? Je suppose qu'il y a d'autres sections. Leur avis est-il le même? Ce que vous dites s'applique-t-il à l'échelle nationale ou simplement à la section de Vancouver?
Mme Campbell : Je parle précisément du climat à Vancouver, tout simplement parce que c'est là que je travaille et que j'y rencontre la plupart des journalistes, et bien des gens à qui je parle travaillent en fait également pour CanWest. Non, je ne dirais pas que je peux parler au nom de tout le pays. Toutefois, je peux dire que mes remarques s'appliquent à d'autres endroits où CanWest est implantée, en particulier à Montréal. J'y ai séjourné et l'atmosphère était, comme vous le dites, décourageante, surtout au journal The Gazette. Je sais que beaucoup de jeunes journalistes également avaient l'impression qu'ils n'avaient pas d'avenir. Je pense que c'est un sentiment largement partagé et qu'il n'est pas limité à Vancouver, mais je pense que les pressions ici étant plus intenses, nous en entendons parler davantage dans la ville, du moins — et quand je dis qu'on en entend parler, je ne veux pas dire en public. Ces remarques sont faites au sein des groupes sociaux, sous forme d'anecdotes.
Le sénateur Tkachuk : Je voudrais aborder un instant la question de la situation de monopole. Je voudrais en connaître le contexte. Je suis arrivé un peu en retard parce que j'ai pris l'avion de Saskatoon ce matin et j'ai raté les exposés du premier groupe, malheureusement. Toutefois, c'est vers le début des années 80 que les deux quotidiens ont été repris par le même propriétaire, même si tous deux ont continué d'exister. Il en est donc ainsi depuis environ 24 ans. Quand Global a-t-elle établi une troisième station en réseau ici?
Mme Jones : Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je pense que Global s'est portée acquéreur de la station BCTV à un moment donné au cours des quatre dernières années. Je voudrais ajouter quelque chose également à propos de... avec votre permission toutefois.
Le sénateur Tkachuk : Allez-y. C'est pour cela que vous êtes ici. Quant à moi, je suis ici pour poser des questions.
Mme Jones : Je voudrais dire quelque chose à propos de la fusion des deux quotidiens locaux ici. J'étais sur place au début des années 80, même si je ne travaillais pas vraiment pour les quotidiens locaux, je les lisais tous les jours, et je suis allée ensuite à Halifax. Je suis revenue il y a 10 ans et il y a cinq ans, je faisais partie de l'équipe au moment où Southam a cédé ses intérêts à CanWest Global. Il est vrai que Southam détenait une partie concentrée des médias mais la différence entre le propriétaire, Southam, et le propriétaire, CanWest, était ahurissante. Je faisais partie de l'équipe de rédaction, et je rédigeais des éditoriaux. Winnipeg exerçait un contrôle serré sur ce que nous pouvions écrire et ne pas écrire. Le climat dans la salle des nouvelles a changé de façon assez spectaculaire à partir du moment où CanWest a pris la relève de Southam, voire de Conrad Black.
Le sénateur Tkachuk : Auparavant, il n'y avait que CTV et CBC/Radio-Canada, n'est-ce pas? Et Southam était propriétaire des deux quotidiens, c'est cela, non?
Mme Jones : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Autrement dit, tout dépend essentiellement de qui est propriétaire et non de la structure. C'est là le problème car vous ne pensez pas qu'il y avait un problème avant quand il existait deux stations, c'est-à-dire une seule voix en plus de celle de CBC/Radio-Canada et un seul propriétaire des deux quotidiens, n'est-ce pas?
Mme Jones : Je pense que quelqu'un d'autre pourrait mieux répondre à cette question car quant à moi, j'étais trop loin à l'époque, étant dans la région de l'Atlantique...
Le sénateur Tkachuk : Eh bien, je...
Mme Jones : ... mais je dirais que oui. Je pense qu'une telle concentration de propriété ne peut fonctionner que si les propriétaires ont à cœur le bien public du journalisme.
Le sénateur Tkachuk : Autrement dit, il vous faut un despote éclairé ou avez-vous besoin d'autre chose? Y a-t-il un élément politique? Autrement dit, vous n'aimez pas l'orientation actuelle, ou peut-être que les gens n'aiment pas l'orientation actuelle, ou lui préfèrent celle d'avant?
Mme Jones : Je pense que bien des gens sont mal à l'aise face à l'orientation, mais je ne suis pas sûre que ce soit entièrement par esprit de partisanerie.
Le sénateur Tkachuk : Eh bien, expliquez-vous.
Mme Jones : Je veux dire que Conrad Black était plutôt un homme de droite.
Le sénateur Tkachuk : En effet, il était conservateur.
Mme Jones : Les propriétaires de CanWest sont également plutôt de droite. Je pense qu'il y a une différence dans la perception du rôle des médias.
Le sénateur Tkachuk : Très bien.
Mme Jones : Il est vrai que bien des journalistes n'aiment pas l'orientation, mais je ne pense pas que cela explique tout. Dans mon cas, cela n'explique pas tout. Je peux très bien accepter diverses orientations, dans la mesure où toutes les voix sont représentées.
Le sénateur Tkachuk : Il y a environ 17 stations de radio ici à Vancouver et je peux me tromper car je n'habite pas ici, mais je pense que trois d'entre elles sont des stations de nouvelles ou de lignes ouvertes, et qu'il y en a quelques-unes qui se consacrent aux sports, sans compter celles qui diffusent de la musique. Cela me semble une situation assez saine. Ces stations envoient-elles des reporters pour couvrir l'Assemblée législative ou certains dossiers dont vous parliez?
Mme Jones : Je ne pense pas qu'elles emploient des journalistes enquêteurs, non. J'assiste aux grandes conférences de presse pour le magazine Time et l'AFP et ce n'est qu'à l'occasion que je rencontre à Vancouver quelqu'un qui travaille pour les deux stations AM locales. La station de CBC/Radio-Canada est toujours représentée. De façon générale, je constate qu'un grand nombre de stations AM, même si elles offrent des émissions de lignes ouvertes et invitent des experts à rencontrer un hôte en ondes, n'envoient pas de journalistes sur le terrain.
Le sénateur Tkachuk : Je voudrais poser deux brèves questions, madame la présidente. Il existe trois stations de télévision ici, l'une d'entre elles étant CBC/Radio-Canada. Est-ce que CBC/Radio-Canada a un auditoire quelconque dans cette ville pour les nouvelles locales?
Mme Campbell : Vous me demandez si les gens regardent CBC/Radio-Canada?
Le sénateur Tkachuk : Eh bien, regardent-ils les bulletins de nouvelles de CBC/Radio-Canada?
Mme Campbell : Je ne peux parler qu'en mon nom personnel, mais...
Le sénateur Tkachuk : Connaissez-vous les chiffres?
Mme Campbell : Non.
Le sénateur Tkachuk : D'après ce que je sais, les cotes d'écoute ne sont pas excellentes. Qu'est-ce que CBC/Radio-Canada fait de travers pour que personne ne regarde? Quelqu'un disait tout à l'heure que la Société diffusait aux heures de grande écoute. Que fait-elle de travers pour que personne ne regarde?
Mme Campbell : Je ne sais pas pourquoi il y a tant de gens qui mangent de la malbouffe. C'est difficile à expliquer. Je ne sais pas quelles sont les cotes d'écoute pour CBC/Radio-Canada. Je pense que c'est un auditoire un peu mieux renseigné qui regarde cette station. D'une certaine façon, on la perçoit comme une source d'information plus élitiste. Quant à moi, je regarde la télévision française de CBC/Radio-Canada et j'y trouve en fait une qualité de journalisme bien supérieure. Je dirais qu'on consacre beaucoup plus de ressources pour montrer divers points de vue et pour faire des reportages de journalisme d'enquête au réseau français de CBC/Radio-Canada. On dira que c'est une question financière, mais je pense que ce n'est probablement pas le cas. Je pense que c'est un sens plus aigu des priorités en matière d'actualité.
Le sénateur Tkachuk : Si CBC/Radio-Canada pouvait compter sur 75 p. 100 de l'auditoire, les bulletins de nouvelles seraient-ils meilleurs?
Mme Campbell : Cela signifierait-il un budget plus important pour la Société?
Le sénateur Tkachuk : Non. Les bulletins de nouvelles seraient-ils supérieurs? La qualité des bulletins de nouvelles serait-elle supérieure si la Société pouvait compter sur 75 p. 100 du marché?
Mme Campbell : Me demandez-vous s'il y aurait des changements à CBC/Radio-Canada?
Le sénateur Tkachuk : Je veux dire que CBC/Radio-Canada est implantée ici et il y a un autre réseau également, un autre propriétaire, même si l'on pourrait parler de deux réseaux.
Mme Campbell : Je ne pense pas que ce soit de bonne guerre de dire que CBC/Radio-Canada suffit ou que la Société donne au consommateur de bulletins de nouvelles tout ce dont il a besoin. Il s'agit d'une station qui est soumise à ses propres contraintes budgétaires. La Société n'emploie qu'un nombre limité de journalistes, ce qui est vrai pour toutes les agences de presse. Nous réclamons de la diversité. Assurément, la télévision et la radio sont des médias importants mais c'est dans la presse écrite que l'on peut approfondir les enjeux et que l'on peut faire une analyse et un reportage circonstanciés. La presse écrite montre largement à la télévision et à la radio la route à suivre. Si l'on écoute la radio de CBC le matin, une grande quantité de l'information transmise quotidiennement provient de la presse écrite, et ce sont des gens qui travaillent dans le secteur qui le disent et qui me l'ont dit. Par conséquent, il est capital que nous puissions compter sur des médias écrits en bonne santé aux côtés de la télévision et de la radio.
Le sénateur Tkachuk : Je voudrais poser une dernière question sur ce point. Madame Campbell, vous avez préconisé une solution. Quant à moi, je n'aime pas beaucoup les monopoles non plus, si bien que nous sommes d'accord là-dessus. Vous dites qu'aux États-Unis, il est interdit qu'une même personne soit propriétaire d'un quotidien et d'une station de radio ou de télévision dans le même marché. Il faut donc poser deux questions, à vrai dire : le gouvernement devrait-il prendre des mesures pour empêcher les monopoles dans chacun des médias? En d'autres termes, la presse écrite et la télévision — la radio semblant s'en tirer assez bien; ensuite, cette mesure devrait-elle être assortie d'incitatifs pour faciliter l'arrivée de nouveaux intervenants dans le marché afin d'accroître la concurrence, surtout dans les médias électroniques, où s'insérer est difficile à cause de l'intervention du CRTC, et cetera?
Mme Campbell : Je répondrais oui à la première question et oui à la deuxième. Prenez le modèle américain : dans le domaine de la radio, on a dû notamment faire face à la domination de Clear Channel. Dans plusieurs des stations radio dont Clear Channel est propriétaire, il n'y a aucun employé.
Le sénateur Tkachuk : Je vois.
Mme Campbell : Par conséquent, en ce qui concerne en particulier les bulletins de nouvelles radiophoniques, il serait très facile que quelqu'un vienne tout doucement prendre le contrôle ou diffuse le même contenu — en d'autres termes, il y aurait un speaker qui lirait les bulletins de nouvelles à tout le pays. Actuellement, c'est le cas dans nos journaux, car le contenu est recyclé à telle enseigne qu'on en arrive à un journal uniforme à l'échelle du pays avec quelques articles individuels ici ou là, provenant d'habitude de conférences de presse ou relatant le départ de quelqu'un ou un accident de voiture, par exemple. Ce n'est pas du journalisme à mon avis. Par conséquent, il faut examiner tous les types de médias, mais également la question de la propriété croisée. Et votre deuxième question était...?
Le sénateur Tkachuk : Les nouveaux intervenants? Je pensais que...
Mme Campbell : Ah oui.
Le sénateur Tkachuk : Leur faciliter l'accès.
Mme Campbell : On reconnaît depuis longtemps que la presse libre appartient à ceux qui en ont les moyens. Cela coûte très cher évidemment de lancer un périodique ou un journal ou d'ouvrir une station radio. Cela coûte moins cher sur Internet, mais il faut quand même payer le fournisseur de contenu. La nécessité d'envoyer des journalistes sur le terrain pour faire des reportages est coûteux également. Comme Deb Jones l'a dit, pour préparer un article sérieux de 2 000 mots, il faut lui consacrer au bas mot un mois, et parfois plus. En fait, cela ne se fait plus. Qui en aurait les moyens? Il y a bien quelques agences qui peuvent se le permettre mais cela devient de plus en plus rare. Il faut qu'il y ait plus de débouchés pour que plus de voix se fassent entendre. Je ne sais pas si cela implique des subventions au départ. Assurément, si le Fonds pour les magazines vise à augmenter le nombre des voix qui se font entendre au Canada, on devrait encourager les fournisseurs et pas simplement grossir les marges bénéficiaires des compagnies.
Le sénateur Tkachuk : Merci de votre indulgence, madame la présidente. Je ne prendrai pas beaucoup plus de temps.
La présidente : Je vais m'en souvenir.
Le sénateur Tkachuk : Si je suis si enthousiaste, c'est que je viens d'arriver ici.
La présidente : En ce qui concerne le nombre de journalistes, sénateur, vous vous souviendrez peut-être que dans notre rapport intérimaire, nous avons effectivement examiné le marché de Vancouver et le travail qui a été fait pour nous montre que les 15 stations de radio du marché comptent en tout 67 journalistes. Cela fait quatre journalistes et demi chacune; 15 d'entre eux sur 67 appartiennent à CBC/Radio-Canada. Les deux grands quotidiens ont en tout au moins 166 journalistes et peut-être, d'après une note en bas de page ici, 90 autres si vous ajoutez les chefs des informations, les réviseurs et assimilés. Cela nous donne une idée des moyens dont on dispose pour couvrir l'actualité du jour.
Le sénateur Chaput : Merci, madame la présidente.
Je vous remercie toutes les deux de votre excellent exposé. Les monopoles ne me plaisent pas non plus et je n'aime pas m'entendre dire que l'information que les Canadiens reçoivent est recyclée. Une de vous a parlé des règles qui existent aux États-Unis qui empêcheraient ce genre de chose. Connaissez-vous d'autres pays de qui nous pourrions apprendre pour, si nécessaire, corriger la situation ou mettre en place quelque chose d'autre? Pouvez-vous nous dire ce qui se fait ailleurs?
Mme Campbell : Ayant pratiqué le journalisme à l'étranger, en Israël et en Palestine, par exemple, je sais que le nombre de journalistes européens qui faisaient des reportages rigoureux m'a vraiment renversée, surtout ceux venant de France, et il m'a semblé qu'ils avaient un système de radiodiffusion publique très rigoureux qui investit beaucoup dans le reportage des affaires internationales. Je me demande parfois si c'est la raison pour laquelle Radio-Canada couvre si bien les affaires internationales; peut-être est-elle le miroir de la couverture française et s'intéresse-t-elle à ce genre de dossiers au lieu de se laisser influencer par son milieu environnant. Oui, je pense que les systèmes de radiodiffusion publique vigoureux de certains pays européens sont un modèle à imiter.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est à vous que je vais poser mes questions, madame Jones. À part de dire amen à ce que vous avez dit à propos de Châtelaine — et j'aimerais ne pas revenir là-dessus, mais je trouve intéressant de l'avoir entendu de votre bouche —j'ai mes propres idées là-dessus. Je veux seulement vous demander ce que nous pouvons vraiment faire à propos de l'argument que vous avez si bien présenté, pour que l'État finance davantage les écoles quand il s'agit d'information venant des médias, de pensée critique, et cetera, fournir, avez-vous dit je crois, des programmes à la grandeur du pays, alors que nous savons tous que l'éducation est du ressort des provinces. Ça me semble à ce point important et je pense que cela pourrait faire toute la différence si, par exemple, les enseignants donnaient des travaux qui exigeaient la consultation des médias. La presse écrite de préférence, parce que moi aussi j'utilise beaucoup Internet pour les journaux, mais cela me laisse beaucoup sur ma faim. On a des bribes mais pas la vue d'ensemble que vous offre un journal.
Pouvez-vous développer cette idée? Ce n'est sûrement pas quelque chose que vous avez lancé sans y réfléchir.
Mme Jones : Oui, j'y ai réfléchi par suite de mon travail dans les écoles et à mesure que j'ai vu mes enfants vieillir. Je travaille beaucoup dans une des écoles secondaires de Vancouver, aussi bien au conseil de planification scolaire, qui fixe les orientations, qu'au conseil consultatif des parents. Les enseignants de l'école secondaire de Kitsilano et ceux de la plupart des autres écoles que je connais ont un énorme enthousiasme pour la sensibilisation aux médias. Ils se servent des journaux dans des cours, qui vont des études sociales à l'anglais, pour aider à l'enseignement des enfants et parfois pour aider à enseigner aux enfants combien des journalistes qui écrivent mal peuvent travailler et quand même gagner de l'argent.
Je sais qu'il y a des problèmes quand le gouvernement fédéral veut financer un secteur de responsabilité provinciale, mais je me suis dit — et je vous livre ces idées en vrac — qu'il pourrait y avoir une sorte de subvention du gouvernement fédéral pour mettre sur pied des journaux d'école. On a voulu le faire à Kitsilano mais les moyens manquaient. Je pense que les professeurs d'anglais et les conseils d'élèves sont très sollicités. On pourrait débloquer des fonds pour élaborer des programmes de sensibilisation aux médias.
Les enfants participent à beaucoup de programmes différents du gouvernement fédéral. Mon fils, qui est en 11e année, ira à Ottawa en février grâce à un programme du gouvernement fédéral que son école appuie avec enthousiasme. Je suggérerais une trousse de documents sur les médias, éventuellement des fonds pour des journaux scolaires, voire des concours de dissertation sur la pensée critique vis-à-vis des médias, avec des prix pour les enfants.
Le sénateur Trenholme Counsell : Mon collègue se demandait pour des élèves de quelle année, mais j'ai aussi une question supplémentaire. Je voulais rappeler qu'il existe le prix du premier ministre et du gouverneur général pour l'excellence en l'enseignement de l'histoire — je connais des profs d'histoire. Je vais m'arrêter là. Mais c'est peut-être une idée que l'on pourrait transmettre au premier ministre.
Toutefois, mon collègue se demandait à quelles années vous songiez pour les écoles de la Colombie-Britannique que vous connaissez si bien.
Mme Jones : Je connais aussi un peu la situation à Halifax. Je recommanderais de commencer le plus tôt possible, dès que les jeunes apprennent à écrire. On pourrait les encourager à l'aide de financement ou de prix ou seulement de trousses de sensibilisation aux médias pour les jeunes, quand ils commencent à écrire, pour produire de petits journaux dès la première à la troisième année. Dès qu'ils commencent leurs cours d'études sociales et deviennent conscients de questions plus vastes et plus importantes, je dirais donc à partir de la 10e année. En 11e et 12e années, les matières scolaires deviennent très exigeantes. Peut-être dès la 9e année, mais la 10e année serait idéale pour intéresser les jeunes aux journaux.
Le sénateur Trenholme Counsell : Soyez assurée que le comité en prend note, mais peut-être pourriez-vous aussi écrire au premier ministre pour lui suggérer de créer un prix.
Mme Jones : Très bien, je vais le faire.
La présidente : N'oubliez pas cependant que l'éducation et les programmes scolaires relèvent des provinces.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il y a quand même des prix nationaux.
La présidente : Oui, je le sais.
Le sénateur Munson : Parlant de la Nouvelle-Écosse, j'ai vécu à Bedford et mon fils, qui avait neuf ans, a créé le Paper Mill Late News. Le journal n'a duré qu'un an, mais c'est lui qui le confectionnait en entier. Il a donc commencé jeune. Il est aujourd'hui à l'Université d'Ottawa et je crains qu'il ne devienne journaliste.
Mme Jones : Le pauvre. Mon fils aussi.
Le sénateur Munson : Oui. Les critères qui concernent les liens avec les agences d'information ou avec le gouvernement devraient aussi s'appliquer aux magazines.
Mme Jones : Quand il donne l'argent.
Le sénateur Munson : Oui, quand il donne l'argent et les tarifs postaux, et ainsi de suite. Pourriez-vous m'expliquer exactement quels pourraient être ces critères? Ça ne peut pas être fondé sur le revenu, mais il devrait y avoir des critères généraux. À quoi pensez-vous?
Mme Jones : Je n'ai pas vraiment pris le temps de réfléchir à la question et je pense que cela sera nécessaire. Je peux vous donner des idées comme ça; je ne sais pas si ça peut vous aider.
Le sénateur Munson : Oui.
Mme Jones : Je suggérerais que le contenu d'un média soit analysé, c'est-à-dire d'un magazine qui demande des fonds. Je suis certaine qu'il y a des façons d'analyser le contenu selon l'originalité de la couverture, de la rédaction, de la longueur des récits, du genre de sujet couvert. Chatelaine est un exemple et Chatelaine frappait vraiment fort dans des dossiers durs, comme l'adoption autochtone et le commerce du sexe. Il doit y avoir moyen d'examiner la montagne de conseils de beauté et de sexualité et d'articles sur le magasinage et de les comparer aux vrais reportages. Je peux essayer d'y réfléchir et de vous rédiger quelque chose. Je pense que cela devrait être élaboré avec le temps et assorti de critères rigoureux en demandant éventuellement l'avis de ceux qui analysent les médias, les départements de communication des universités ou...
Le sénateur Munson : Si vous pouviez mettre cela par écrit, je vous en serais reconnaissant. Je trouve que c'est une idée intéressante.
Mme Jones : Très bien.
Le sénateur Munson : J'ai une autre question au sujet...
La présidente : Si vous le faites, pourriez-vous l'adresser au greffier du comité pour que nous puissions tous le voir?
Mme Jones : Très bien.
Le sénateur Munson : C'est évidemment ce que je voulais dire. Vous avez dit qu'un froid avait été jeté... mais mes amis conservateurs sont très proches. Avez-vous des exemples de ce froid, des exemples récents d'employés qui ressentent cette douche froide?
Mme Jones : Combien vous en faut-il?
Le sénateur Munson : Deux ou trois ce matin, pour les besoins du compte rendu.
Mme Jones : Au fait, si l'un ou l'autre d'entre vous souhaite s'inscrire à la liste de l'ACJ, vous êtes les bienvenus. Elle est ouverte au grand public et on y trouve des politiques et des fonctionnaires.
Quand CanWest a lancé le contrat de pigiste dont Deborah Campbell parlait, il m'a d'abord été envoyé par plusieurs personnes qui travaillent à CanWest, y compris des rédacteurs qui l'avaient vu et à qui on avait dit de le donner à leurs journalistes. Ça a été envoyé avec la mention que l'on trouve toujours en haut : « Ne mettez pas mon nom là-dessus. » Comme j'ai décidé que je ne veux plus travailler pour CanWest, je vais avoir le courage de les afficher sous mon nom comme modératrice de listes de diffusion.
L'annonce que CanWest envisageait de se lancer dans l'édition m'a été envoyée par un employé assez haut placé de CanWest qui m'a fait parvenir la note de service, je crois, avant qu'elle soit diffusée à CanWest et m'a demandé de l'afficher sur la liste de l'ACJ pour que les journalistes en discutent. Dans les deux cas, cela s'est fait dans les quatre ou cinq derniers mois, je crois.
Chaque fois qu'il est question de nouveaux employés ou de faits nouveaux dans la compagnie, c'est à moi qu'on l'annonce d'abord. Je ne peux me souvenir du cas d'une personne, à part une ou deux personnes qui travaillent au National Post ou qui travaillent à CanWest, qui ait placé un message sur la liste sous son nom, qui concerne son employeur, et ça inclut même une remarque anodine à propos de ce qui se passe à CanWest. Ce n'est pas vrai de la plupart des autres médias. Personne ne va s'en prendre publiquement à son employeur en public, mais vous voyez des gens qui travaillent au Globe and Mail qui affichent des messages au sujet de leur journal ou des articles qui paraissent chez eux. Plusieurs employés de CTV en font autant. De fait, un de mes comodérateurs travaille à CTV, David Akin, Bill Doskoch. Beaucoup de gens qui travaillent pour beaucoup d'autres agences figurent souvent sur la liste. Ceux qui travaillent pour CanWest, par contre, craignent qu'on les croie associés à la liste ou avec l'ACJ, qui a formulé des critiques à l'endroit de CanWest, et ne veulent tout simplement pas que leurs noms y soient. Ils se cachent et leur nom n'est connu que des modérateurs.
Le pire exemple a été quand les journalistes de Montréal se sont retrouvés sous le coup d'une ordonnance du tribunal leur interdisant de critiquer leur employeur. Vous vous souvenez sûrement de l'incident. À l'époque, je recevais des courriels à tour de bras, parfois plusieurs par jour, de gens qui travaillent là. Ils m'envoyaient des courriels en passant par leur compte hotmail en me demandant de les supprimer immédiatement; parfois, ils ne voulaient même pas que je les affiche. Ils voulaient seulement que quelqu'un sache ce qui se passait.
La présidente : Si ma mémoire est bonne, pour être claire, il ne s'agissait pas d'une ordonnance du tribunal, il s'agissait d'une note de service de la direction disant que prendre publiquement une position préjudiciable à l'employeur, ou quelque chose de ce genre, était passible de congédiement. Je suis sûre que ce n'était pas une ordonnance du tribunal; c'était une note de la direction.
Mme Jones : Vous avez raison. Mes excuses. Je pense que c'est allé devant les tribunaux et je ne me souviens pas exactement de ce qui est arrivé, mais je pense que la décision a été cassée.
La présidente : Je pense que le syndicat a gagné.
Mme Jones : Quoi qu'il en soit, personne de Montréal n'affiche de messages sur la liste.
Le sénateur Munson : C'est tout pour moi.
La présidente : Sénateur Carney, rebienvenue.
Le sénateur Carney : Je suis revenue à 9 heures ce matin, mais je savais que si j'allais me coucher je n'arriverais jamais à me lever; je suis donc venue directement ici.
La présidente : Le sénateur Carney a voyagé à travers plusieurs fuseaux horaires pour être des nôtres aujourd'hui et nous lui en sommes très reconnaissants.
Le sénateur Carney : Je ne peux pas me permettre de rater cette séance du comité. Après tout, nous sommes à Vancouver.
Je suis au courant des contrats de CanWest parce qu'on m'en a envoyé un. Je fais partie de la Writers' Union of Canada et je reçois ce genre de chose. Toutefois, même s'il y a deux autres questions que je veux soulever, pour poursuivre dans cette veine, avons-nous une copie des contrats où ils détiennent ces droits à perpétuité?
La présidente : Oui, ils ont été distribués. C'est celui qui dit « Partout dans l'univers pour l'éternité tout entière ».
Le sénateur Carney : Oui. Voici ma question. Est-ce que notre Loi sur le droit d'auteur, dont le Parlement ne cesse d'être saisi, ne nous protège pas contre cela? Qui d'entre vous peut répondre?
Mme Campbell : Si vous signez le contrat, vous renoncez à ces droits. Le contrat de droit d'auteur — l'accord de droit d'auteur, si je comprends bien, stipule bien que les droits moraux appartiennent au créateur à moins qu'il n'y renonce. En signant le contrat, il y renonce.
Le sénateur Carney : Il n'y a donc aucune protection?
Mme Campbell : Pas à ma connaissance. Après avoir fouillé la question, nous n'avons rien trouvé en ce sens.
Le sénateur Carney : La question que je voulais poser à l'une ou l'autre d'entre vous est que répondez-vous à l'argument selon lequel quantité de gens obtiennent leur information des carnets Web et est-ce que les carnets Web sont visés par ces contrats à perpétuité?
Mme Campbell : Les carnets Web sont des sites Web gérés par des particuliers. Ils n'ont donc pas à signer de contrats avec eux-mêmes pour mettre de l'information sur leur site Web. C'est un milieu très dynamique aux États-Unis que celui des carnets Web mais c'est géré par des particuliers un peu partout dans le monde. Ce n'est pas vraiment de la collecte d'informations. Normalement, la personne se sert des moyens dont elle dispose, qu'elle soit journaliste ou pas.
Au Canada, il y a bien quelques carnets Web, mais très peu font de l'information. En fait, je n'en connais pas vraiment. Souvent, le carnetier affiche une information au sujet d'un topo avec un lien à un site Web d'infos qui vous en dira plus. Il n'y a rien là à mon avis qui fasse progresser le journalisme au pays. Un carnetier n'a ni les moyens ni le temps. Pour les carnetiers, c'est un passe-temps. Leur utilité, c'est d'être un forum de débat, d'analyse de l'information, d'expression; on ne collecte pas forcément d'infos, mais on rassemble des renseignements de diverses sources et on y exprime une grande diversité d'opinions. Les carnets Web et ceux qui les suivent sont un petit groupe, en général des jeunes. Ils ont généralement un parti pris de sorte que ce ne sont pas vraiment des autorités comme le Globe and Mail ou CBC/Radio-Canada où il y a des vérifications. Sur un carnet Web, on trouve n'importe quoi. Ça peut être tout à fait faux et il est impossible d'en tenir responsable le carnetier alors qu'en général au moins une agence d'information connue a certains comptes à rendre.
La présidente : Oui, Deborah.
Mme Jones : Concernant les contrats, j'imagine qu'un carnetier pourrait être touché par l'existence d'un contrat s'il travaille déjà pour une entreprise avec laquelle il s'est engagé par contrat. Par exemple, aux États-Unis, des employés d'entreprises médiatiques ont été licenciés pour avoir tenu un carnet Web. Bien d'autres carnetiers travaillant pour des entreprises médiatiques entretiennent de très bonnes relations de travail, je crois. À mon avis, c'est seulement s'il est au service d'une entreprise qu'un carnetier pourrait être touché par ce genre de contrat.
D'après ce que je sais de ce genre de contrat, il ne s'applique qu'aux articles devant être publiés. Ainsi, si je signe un contrat avec un magazine, ce contrat ne s'appliquerait que sur ceux que j'envoie à ce magazine et pas nécessairement à mes carnets Web.
Le sénateur Carney : Certains font valoir que les gens, surtout les jeunes, ne se mettent normalement à lire les journaux, d'après l'explication qu'on m'a donnée de certains résultats de recherche, qu'une fois qu'ils ont des actifs et qu'ils veulent savoir, par exemple, combien vaut leur maison ou leur voiture. Selon les études, les jeunes n'ont pas tendance à lire les journaux. Voulez-vous nous dire que cette tendance n'existe pas au Canada, que les gens ne se tournent pas vers les carnets Web pour obtenir des informations?
Mme Jones : Si, ils le font. Je parlais plus précisément des contrats, mais...
Le sénateur Carney : C'est un des points que je voulais soulever relativement au contrat. Mais je voulais aussi vous demander si le monde se tourne de plus en plus vers les carnets Web pour avoir des opinions plus diversifiées plutôt que vers les journaux?
Mme Jones : Oui. Deux jeunes adultes vivent chez moi et je peux vous dire d'après mon expérience anecdotique qu'ils ne lisent pas beaucoup de carnets Web, mais qu'ils accèdent à de nombreux sites Web comme, par exemple, North Shore, sur le vélo de montagne, ou, hélas, Fox, où ils aiment bien lire les blagues salaces. Mes enfants lisent toutefois aussi le Globe and Mail et le Vancouver Sun, mais je crois savoir que, selon les statistiques, ils sont l'exception. Il y a néanmoins un pourcentage important d'adolescents du niveau secondaire que je connais qui s'intéressent à la politique et qui sont engagés socialement et qui lisent les journaux. Je ne crois pas qu'on puisse généraliser et dire que les adolescents ne lisent pas les journaux, mais nous aimerions certainement qu'ils soient plus nombreux à les lire.
Le sénateur Carney : UBC a présenté les résultats d'études faites par son école de journalisme disant que ce qu'on pense d'Internet diffère beaucoup selon la génération. Les gens de ma génération, par exemple, sont rares à lire de grands articles sur Internet. Moi, je ne le fais pas. Je consacre peu de temps à lire le New York Times, mais les gens de moins de 30 ans le font. Leur perception est différente et voilà pourquoi je me demandais si, de plus en plus, les gens ne consultent pas Internet pour connaître les nouvelles, surtout si les journalistes de notre époque estiment jouir de peu de liberté et que leurs contrats les dissuadent de s'intéresser à de nouveaux enjeux?
Mme Jones : Vous avez raison de dire que beaucoup de gens trouvent leurs nouvelles sur Internet. Je ne me souviens pas précisément du nombre de résidents canadiens inscrits au site Web du New York Times, mais je me souviens avoir entendu dire qu'environ un million de Canadiens lisent le New York Times régulièrement, ce qui m'a grandement étonnée. Je ne suis pas certaine que ce soit vrai. Peut-être pourriez-vous vérifier cela.
Le sénateur Carney : D'accord.
Mme Jones : De plus, les informations qu'on trouve sur Internet ne proviennent pas seulement de carnetiers dogmatiques et peu fiables. De plus en plus, les gens se tournent vers les grands sites Web bien établis comme celui du New York Times. Pour ma part, je n'ai plus la patience de regarder le journal télévisé puisque je peux aller sur le site Web de Radio-Canada ou de CTV pour prendre connaissance des manchettes et lire les nouvelles en quelques minutes. Je n'ai tout simplement pas le temps de lire le journal ou de m'asseoir devant la télé pour écouter un annonceur, à moins que je veuille voir des images.
Le sénateur Carney : Voilà précisément où je veux en venir, le fait qu'on cherche d'autres sources de nouvelles. En ce qui concerne Internet, le problème concernant la source s'applique aussi aux photos. On ne sait pas toujours d'où proviennent les photos, tout comme on ne sait pas toujours d'où proviennent les informations. Mais le fait que les gens soient de plus en plus dirigés vers des sites Web pour obtenir des informations et qu'ils s'y rendent de plus en plus n'a-t-il pas une incidence sur les journalistes? Cela augmente-t-il les perspectives d'emploi ou...
Mme Jones : J'estime que nous sommes dans une période de transition. CBC/Radio-Canada a annoncé hier qu'il publiait des informations sur les arts en ligne, et je lis ces actualités. J'écris peu sur les arts, mais je lis beaucoup sur le sujet, et de temps à autre je tombe sur un article sur les arts. J'aimerais bien écrire quelque chose pour ce magazine en ligne de CBC/Radio-Canada sur les arts. Toutefois, je suis une journaliste de la presse écrite, je ne fais pas d'émissions de télé ou de radio.
J'espère que les perspectives d'emploi seront de plus en plus nombreuses, mais que ce sera du journalisme de qualité. Ce serait un privilège pour moi que d'écrire un article pour le site Web de CBC/Radio-Canada, du Globe and Mail ou du New York Times. Je ne suis toutefois pas certaine de vouloir écrire quoi que ce soit pour n'importe quel cybercarnetier qui me demande mon opinion. En tant que journaliste, j'accepterais de travailler ou non pour un site Web en fonction des mêmes critères de crédibilité et d'intégrité que j'applique quand je décide d'écrire un article pour la presse écrite ou pour tout autre média établi.
Le sénateur Carney : Qu'en pensez-vous, madame Campbell?
Mme Campbell : Vous avez soulevé deux questions, la première étant de savoir s'il n'existe pas à l'heure actuelle diverses formes de diffusion de l'information, ce qui est vrai. Pour ma part, mes sources de nouvelles sont en ligne; je lis probablement cinq ou six journaux en ligne chaque matin car je peux ainsi lire le Guardian, le New York Times, je peux aller sur le site d'Al-Jazira, lire le Asia Times et avoir ainsi des points de vue diversifiés. Sur Googlenews, on trouve les hyperliens de 4 500 journaux en ligne; chaque nouvelle suscite probablement 2 000 articles différents. Ma réponse est donc oui, la diversité existe. Mais ce n'est pas la même chose que le nombre de sources d'où proviennent les articles.
J'ai parlé des sources locales. Quand on dit que les gens prennent connaissance des nouvelles sur Internet, ils vont sur les sites Web des grands médias, que ce soit le New York Times, CTV ou CBC/Radio-Canada, et non pas vers les nouvelles sources indépendantes d'information. J'ai lu les statistiques, je ne peux vous les donner de mémoire, mais la vaste majorité des gens vont vers les mêmes sources de nouvelles sur Internet que pour la presse écrite ou la télévision, les sources qu'ils connaissent, et non pas les nouvelles sources d'information. Cela est attribuable en grande partie au fait que bon nombre de ces nouvelles sources d'information n'ont pas les ressources nécessaires pour publier des articles de fond.
Ce qui se passe est intéressant, mais il semble y avoir encore ce qu'on pourrait appeler une sorte de compartimentation : les gens semblent chercher seulement les sources d'information qui partagent leurs points de vue. Ainsi, il y a des gens qui n'accèdent qu'au site IndyMedia, par exemple, ou aux autres sites présentant leurs points de vue. Je ne crois toutefois pas qu'il y ait beaucoup de gens qui se servent des cybercarnets comme source de nouvelles. S'ils consultent les cybercarnets, ils consultent aussi beaucoup d'autres sites.
Le sénateur Carney : Voici ma dernière question, madame la présidente. Nous entendrons, parmi nos témoins, les représentants de The Tyee, un journal ou magazine — je ne sais trop comment l'appeler — qui n'existe qu'en ligne.
Mme Campbell : C'est un magazine ou journal du même genre que Salon.
Le sénateur Carney : Certains des auteurs sont très respectés...
Mme Campbell : Oui, ce magazine a une bonne réputation à Vancouver.
Le sénateur Carney : Mais prend-il de l'expansion? Je ne sais trop comment cela fonctionne et je pourrai interroger les témoins, mais connaissez-vous ceux qui travaillent pour ce groupe? Peut-on gagner sa vie en ne travaillant que pour ce genre de magazine?
Mme Campbell : J'ai moi-même écrit pour ce journal et je considère que cela fait partie de mes activités bénévoles. Cela ne suffit pas pour gagner sa vie, mais ce genre de travail sert plutôt à accroître la diversité dans ce marché très concentré, et c'est un objectif que je trouve très louable.
La présidente : Madame Campbell, madame Jones, mesdames et messieurs les sénateurs, merci.
Nous accueillons maintenant Catherine Murray, professeure agrégée en communications à l'Université Simon Fraser. Soyez la bienvenue. Merci d'être venue. Je vous demande comme aux autres témoins de limiter vos remarques liminaires à 10 minutes afin que nous puissions poser toutes nos questions.
Mme Catherine Murray, professeure agrégée en communications, Université Simon Fraser : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous souhaite la bienvenue à Vancouver. Nous sommes ravis de vous accueillir ici.
Il semble qu'il y ait des représentants des télés communautaires qui ont demandé à enregistrer certaines des interventions des témoins. On m'a demandé de vous transmettre leur demande. Pour ma part, je n'y vois pas d'objection. Comme vous savez, Vancouver est l'une des pionnières de la télévision communautaire et j'espère que, si c'est possible, vous accéderez à leur demande.
La présidente : Normalement, la télédiffusion des délibérations des comités du Sénat se fait aux termes d'un contrat particulier.
Mme Murray : Je vois.
La présidente : C'est ainsi. Cela ne nous permet pas, même si cela peut sembler une bonne idée, de permettre à certains de téléviser une partie de nos réunions. En général, les séances sont enregistrées et diffusées dans leur intégralité ou pas du tout. Toutefois, quand nous ne sommes pas à Ottawa — voyons voir ce qu'en pense le vice-président.
Le sénateur Tkachuk : Je m'en remets à vous.
La présidente : Qu'en pensent les autres sénateurs?
Le sénateur Munson : Je n'y vois pas d'objection.
La présidente : Disons que c'est un essai. Que le télédiffuseur en question s'en rappelle et qu'il fasse preuve de prudence au montage. J'ai moi-même été éditorialiste. Je sais comment il est facile de faire de l'édition, disons, sélective.
Mme Murray : Bien sûr. Je souligne aussi qu'il faudra obtenir l'autorisation des témoins suivants, mais pour ma part, j'accepte. Merci.
La présidente : Vous avez la parole, madame Murray.
Mme Murray : C'est aussi dans l'esprit de dialogue public de cette salle-ci. Merci.
Vous vous êtes donné un programme ambitieux avec toute la série de questions très difficiles que vous avez posées. Aujourd'hui, j'ai l'intention de ne traiter que de la question 9 : Comment le cadre de politique et de réglementation du gouvernement du Canada pourrait-il favoriser la diversité de l'information et des points de vue sans nuire à la liberté de la presse?
J'ai certains antécédents dans le domaine, mais j'aimerais surtout que le comité sache que j'ai été experte-conseil en média électronique et pour la presse écrite au cours de ma carrière. Je fais aussi des recherches, en collaboration avec la School for Public Policy de l'Université Simon Fraser, pour un article qui paraîtra dans un livre sur l'analyse stratégique au Canada et que publiera l'Université de Toronto. Cet article, dont je vous ai remis quelques copies, en est encore à l'étape de la prépublication... j'ai des difficultés, semble-t-il. M'entendez-vous bien?
La présidente : Oui.
Mme Murray : Je vous ai donc remis des exemplaires de cet article avant sa publication, qui se fera au printemps, et je vous en résumerai le contenu. Je crois qu'on vous le distribue en ce moment. Cet article...
La présidente : Il a déjà été distribué.
Mme Murray : C'est très bien. Merci.
Cet article traite d'une question simple ou plutôt remet en question le stéréotype qui veut que la presse n'est qu'un instrument passif aux mains des décideurs et des politiciens. Il aborde aussi l'indépendance dans les enquêtes sur les politiques et dans l'élaboration des politiques.
Je vous signale aussi que, compte tenu de la taille et de la viabilité des médias, la R et D dans les médias au Canada est sous-financée. Plus particulièrement, je me pencherai sur les fonds versés, par exemple, par le Conseil de recherche en sciences humaines qui est chargé de financer les recherches indépendantes dans les universités et les collèges du pays. Dans une étude qu'il a menée récemment, M. Marc Raboy a constaté qu'au cours des dix dernières années, en dépit de l'augmentation des investissements dans des programmes de recherche fondamentale comme le programme des chaires de recherche du Canada, en général, les sciences sociales ont fait l'objet de très peu d'investissement et que 1 p. 100 seulement des fonds versés au cours de la dernière décennie ont servi à des études sur les médias ou la gouvernance des médias. Nous estimons qu'il faut corriger cette situation. Je me suis jointe à trois autres chercheurs de diverses universités, Marc Raboy, David Terrace et Florian Sauvageau, pour faire valoir au Conseil de recherches en sciences humaines qu'il faut davantage de collaboration à l'échelle du pays en matière de recherche sur la gouvernance des médias. Nous plaiderons notre cause en public, je crois, devant des hauts fonctionnaires, des sous-ministres et, si vous le souhaitez, des sénateurs, les 17 et 18 février à Ottawa. Si cela vous intéresse, je vous ferai parvenir de plus amples informations.
Dans toutes les régions du monde, la gouvernance des médias subit une transformation majeure attribuable à trois grands facteurs. Le premier, bien sûr, c'est la vitesse extraordinaire de la mondialisation des médias, des mouvements de population et d'argent. Le deuxième, c'est l'évolution des théories sur le rôle que doit jouer l'État et même sur la marge de manœuvre dont disposent les États pour se doter de politiques en matière de médias qui s'appliquent à l'intérieur de leurs frontières en cette époque où une bonne part du contenu provient de pays aux normes et aux cultures différentes.
Enfin, un des moteurs de changement dont vous avez discuté ce matin, c'est que les attentes des gens changent, ainsi que la valeur qu'ils accordent aux médias et leur conception nouvelle de l'engagement des médias.
Permettez-moi de résumer rapidement les tendances qui se dessinent à l'échelle mondiale. Comme vous le savez, l'Italie a privatisé son radiotélédiffuseur public. Au Royaume-Uni, toutes les responsabilités politiques relatives à la presse écrite, à Internet et à la télé radiodiffusion relèvent de l'Ofcom, l'Office des communications, qui compte créer un nouveau genre de fournisseur public et concurrentiel de services Internet qui pourrait accorder des subventions à de jeunes journalistes ou à des cybercarnotistes directement par l'entremise des conseils des arts. Autrement dit, on veut créer une nouvelle tribune institutionnelle qui aurait une présence publique et ainsi préserver la présence du journalisme public sur Internet. Une étude à ce sujet sera publiée l'an prochain, je crois.
En outre, divers pays du monde cherchent à mettre en place, à l'extérieur du cadre de l'OMC, une convention sur la diversité culturelle qui protégerait le droit à l'autodétermination pour tout ce qui touche aux médias et à la politique culturelle. Chose certaine, depuis les événements tragiques du 11 septembre, l'autonomie traditionnelle de la presse dans le monde est contestée par une multitude de forces sociales, et ce, en raison de la nouvelle pensée qui souhaite faire appel à la réglementation sociale pour faire échec à la xénophobie et à la haine.
J'attire l'attention du comité sur le rapport intitulé « Tuning into Diversity » que l'Union européenne a publié pour la première fois en 2002 et qui a donné naissance par la suite à des conférences annuelles. Dans ce rapport, on recommande l'adoption d'une nouvelle norme internationale ISO en matière d'équité et de couverture raciale. L'idée serait de lancer un projet de surveillance des médias à l'échelle mondiale qui viserait notamment à déterminer si, dans la couverture des conflits, les divers groupes ethnoculturels sont représentés équitablement et qui s'attaquerait aux questions liées à la rationalisation excessive de l'information.
Vous vous souviendrez que le groupe de travail sur la diversité culturelle mis sur pied par l'Association canadienne des radiodiffuseurs a aussi indiqué qu'il s'agissait là d'un défi auquel le Canada se heurterait en 2006, c'est-à-dire le lancement d'une nouvelle étude à l'échelle nationale et qui se pencherait notamment en 2006 sur la façon dont les races sont représentées dans les médias.
Cela vous donne une idée des énormes changements d'orientation qui se préparent. Le contexte est très instable et soumis à des tendances qui se recoupent. Ainsi, la propriété a tendance à être de plus en plus concentrée alors que la réglementation économique se fait moins insistante, et ce, dans presque tous les pays du monde, non pas seulement dans les pays de l'OCDE. Cette tendance est contrée par les pressions de ceux qui, de plus en plus, appellent à la réglementation sociale, plus particulièrement pour ce qui est de contenu jugé offensant. Bien des pays privilégient dorénavant la réglementation indirecte par la voie d'instruments politiques, de préférence à des mesures plus contraignantes et plus intrusives. Aux règles sur le pourcentage de contenu ou sur les modalités de dépenses, ils préfèrent les incitatifs fiscaux et diverses autres mesures indirectes, notamment à caractère éducatif.
Enfin, et c'est surtout de cela que je voudrais vous parler aujourd'hui, on note un mouvement remarquable en faveur de divers modes d'autoréglementation des entreprises médiatiques dans le monde, qui feraient appel non pas seulement aux corps professionnels mais aussi aux simples citoyens.
Ainsi, je vais surtout vous entretenir aujourd'hui du rôle de l'État canadien en tant que facilitateur dans notre monde complexe axé sur le savoir. À mon avis, pour façonner le cadre qui régira les médias à l'avenir, l'État canadien doit rechercher des systèmes d'autoréglementation marqués au coin de l'efficacité et de la reddition de comptes. Je ne dis pas pour autant qu'il faut renoncer à certains des instruments ou à certaines des politiques existantes, notamment en ce qui concerne l'investissement étranger direct. Je dis simplement que c'est de cela que je vais surtout vous entretenir aujourd'hui.
Je tiens à préciser que, sur le plan historique, je vais m'attarder principalement aux médias d'information. Je suis d'ailleurs d'accord avec ceux qui ont dit plus tôt ce matin que, dans la culture de l'information au Canada, la presse écrite est toujours en tête du peloton — elle est talonnée en quelque sorte par les journalistes de CBC/Radio-Canada, mais de manière générale elle ne risque pas de perdre sa place au profit ni de la radio ni de la télévision privée pour ce qui est de couvrir l'actualité de façon à influencer les décideurs. Traditionnellement, la presse est très peu réglementée, si tant est qu'elle l'est : au Canada, l'intervention de l'État a été jusqu'ici minimal.
À la suite du travail d'une des dernières commissions royales d'enquête qui s'est penchée sur le secteur, nous avons vu naître ici et là des conseils de presse régionaux. D'après diverses études, leur existence n'est toutefois donc pas bien connue de la population. Leurs décisions ne sont pas diffusées à l'ensemble de la population, étant communiquées uniquement aux journalistes en cause. Aussi, nous n'avons que peu d'information pour évaluer l'efficacité du processus d'autoréglementation fondé sur le dépôt de plaintes.
Je suis toutefois un peu mieux renseignée sur ce que fait le Conseil canadien des normes de la radiotélévision qui, comme vous le savez, est chargé du code de déontologie et du code de l'Association des directeurs de l'information en radio-télévision du Canada sur la couverture de l'actualité, et je sais qu'il déploie des efforts énergiques pour informer le public. Il a reçu de l'argent de Rogers et d'autres institutions pour pouvoir publier ses informations et ses conclusions dans des langues autres que l'anglais et le français, si bien que les communautés allophones sont maintenant conscientes de leur droit de déposer des plaintes et des décisions qui ont été rendues. Le Conseil s'emploie à afficher ses décisions en ligne, au cas par cas, pour ce qui est du contenu d'information jugé offensant. Ainsi, beaucoup de ses décisions ont trait au racisme ou à la haine, qui sont bien souvent le fait du milieu radiophonique et des tribunes radiophoniques. Les membres du public peuvent certainement retrouver les motifs de ces décisions, mais d'après un récent sondage, moins de 40 p. 100 sont même conscients, à ce jour, de l'existence du Conseil. Il s'agit d'un sondage réalisé par MediaWatch.
Le moment est donc venu de se poser certaines questions fondamentales. J'estime pour ma part que le processus d'autoréglementation fondé sur le dépôt de plaintes est très important. J'estime aussi que le moment est venu de se demander pourquoi nous avons deux régimes distincts à l'heure de la convergence de la presse électronique et de la presse écrite. Il convient aussi de se demander comment les régimes peuvent être améliorés et ce qu'il faudrait faire pour qu'ils soient mieux connus des Canadiens, car nous devons en savoir davantage sur le corpus de leurs décisions et sur le rôle qu'ils jouent dans la culture d'information de chaque organisme, voire dans le débat démocratique sur ce qui constitue une couverture de l'actualité équitable faite avec intégrité et authenticité, mot qui revient souvent dans la bouche des membres du public lorsqu'ils discutent de la valeur de leurs médias. Il me semble qu'il nous faut savoir si ces décisions sont compatibles avec la Charte et comment elles sont liées entre elles. Il nous faut en savoir davantage sur ceux qui font partie des organes d'autoréglementation. Bien entendu, en Europe et dans d'autres pays du monde, de plus en plus de voix se font entendre pour exiger que ces organes soient constitués de façon plus démocratique, que le public y soit majoritairement représenté ou qu'il participe aux évaluations qui sont faites et que les organes publient des rapports annuels.
Vous aurez compris que je considère que le moment est venu de faire un examen critique du processus d'autoréglementation des médias au Canada, de son efficacité, de sa capacité à rendre des comptes sur le plan démocratique ainsi que de son financement et de ses ressources. J'estime que le rôle de l'État doit être rajusté afin d'inclure la participation d'un bien plus grand nombre d'acteurs, y compris les mouvements sociaux et les membres du public de même que les patrons et les travailleurs du secteur, à l'élaboration des grandes orientations.
Un grand nombre d'acteurs doivent donc participer à l'établissement du cadre stratégique. Les instances créées par les médias eux-mêmes, y compris les organes d'autoréglementation, doivent avoir un rôle à jouer. Le cadre qui sera mis en place devra s'éloigner des modèles traditionnels et il devra prévoir une participation réelle des ONG, des membres du public, des journalistes et des entreprises à de nouveaux mécanismes de reddition de comptes qui soient plus transparents. Il s'agirait en fait de mettre en place un modèle de gouvernance largement réparti, qui reconnaîtrait l'importance des institutions clés et qui pourrait coordonner et évaluer de façon plus explicite les normes en matière de journalisme. Loin de nuire à la liberté de la presse, l'établissement de normes et les discussions sur ce qui caractérise le journalisme de qualité ne feront que la renforcer.
Le modèle que je préconise favoriserait une plus grande inclusivité et inciterait à rehausser la qualité du journalisme. Je conclurai simplement en disant que, outre la nécessité de l'autoréglementation, il y a deux autres éléments dont il faut discuter, qui pourraient facilement être divisés en deux volets. Premièrement, il faut mobiliser la population afin qu'elle soit plus consciente de l'existence des organes d'autoréglementation et qu'elle intervienne davantage. Pour cela, il faudrait peut-être un modèle robuste semblable à celui qui a été proposé pour le secteur de la radiodiffusion et qui prévoit le paiement des frais des parties qui voudraient intervenir auprès des organismes publics pour discuter de questions importantes au nom du public.
Deuxièmement, nous avons grandement besoin à mon avis d'investir dans la R et D, et nous devons chercher à mettre en place des organismes de surveillance des médias qui soient indépendants. J'ai été très encouragée par l'émergence de l'Observatoire sur la politique publique de McGill, qui a organisé au cours des dernières élections fédérales une table ronde très intéressante sur la qualité de la couverture de l'actualité dans la presse écrite. L'Observatoire ne s'occupe pas de médias électroniques, mais il devrait le faire et il devrait sans doute faire l'essai de meilleures méthodes. L'arrivée d'un autre organisme me paraît très encourageant aussi. Il s'agit du Consortium canadien de recherche sur les médias, qui a lancé une version modeste du rapport public réalisé par le Pew Trust. Ce sont là deux exemples que je trouve très encourageants.
Nous avons besoin au Canada d'un plus grand nombre de fondations indépendantes qui s'intéressent aux médias, à la qualité et à la gouvernance des médias, et nous avons manifestement besoin de la collaboration des universités.
La présidente : Merci, madame Murray. Vous parliez de questions vraiment très importantes. Quand je vous ai fait signe qu'il faudrait conclure, ce n'est pas parce que les questions que vous abordiez n'étaient pas importantes.
Mme Murray : Je comprends.
Le président : Ce n'est pas parce que ce que vous disiez n'était pas intéressant, mais c'est que malheureusement il n'y a qu'un certain nombre d'heures dans la journée.
Mme Murray : Je comprends.
Le sénateur Tkachuk : Il faudrait que je retourne à l'école parce que je n'ai compris qu'environ la moitié de ce que vous avez dit, et même là, je ne suis pas vraiment sûr. Avez-vous dit que la presse écrite aurait besoin d'une sorte de — je ne sais pas. Disiez-vous qu'il faudrait un organisme gouvernemental ou un organisme d'autoréglementation où le public aurait un plus grand rôle à jouer qui examinerait la qualité et tout le reste? Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris.
Mme Murray : Vous avez parfaitement raison, sénateur. Vous avez bien saisi. J'estime qu'il faudrait un nouvel organisme indépendant qui serait une version moderne du conseil de presse pour le XX1e siècle. Je crois que le public doit y être mieux représenté. Je crois aussi qu'il doit faire appel à la collaboration d'un certain nombre d'intervenants du secteur des médias.
Le sénateur Tkachuk : Nous n'avons pas de conseil de presse en Saskatchewan. Je crois que nous sommes la seule province à ne pas en avoir un. Personne ne s'est jamais vraiment soucié du fait que, depuis toujours, nous n'avons qu'un quotidien dans chacune de nos villes. Il y a tout un tollé quand cela se produit à Vancouver, mais il n'y en a certainement pas eu chez nous. Le modèle que vous proposez serait-il imposé par le gouvernement au moyen d'une loi? Vous avez indiqué que les fondations, les universités et les autres institutions publiques existantes pourraient financer ce type de conseils d'administration?
Mme Murray : Le secteur devrait lui aussi payer sa quote-part. Il faudrait sans doute prévoir un financement tripartite et une institution publique qui constituerait un modèle novateur, mais qui devrait effectivement, d'après moi, être indépendante. L'existence d'une institution comme celle-là viendrait renforcer le rôle de l'ombudsman nommé par chaque entreprise et elle viendrait aussi consolider le droit des citoyens à faire part de leurs inquiétudes quant au contenu qui leur est présenté, les citoyens ayant l'assurance que leurs plaintes auraient des suites.
Le sénateur Tkachuk : J'aurai peut-être d'autres questions plus tard, mais allez-y.
Le sénateur Carney : Je tiens simplement à faire savoir au sénateur Tkachuk que le professeur Murray est sans doute l'une de nos chercheurs les plus réputés dans ce domaine, du moins au Canada. Elle est bien connue en Colombie-Britannique, et nous ne nous formaliserons pas du fait que vous ne la connaissiez pas en Saskatchewan.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que je ne l'avais comprise. Ce n'est pas du tout la même chose.
Mme Murray : Je vous suis reconnaissante de ces propos, sénateur Carney, mais je pourrais peut-être essayer de reformuler.
Le sénateur Carney : Je vais me faire un peu l'avocat du diable ici, parce qu'il était très clair dans votre exposé que vous parliez de la gouvernance des médias, du fait que nous avons besoin de nouvelles structures de gouvernance des médias. Je vais donc me faire l'avocat du diable. À mon avis, les conseils de presse sont les organismes les plus faiblards que je n'ai jamais vus.
Mme Murray : Tout à fait.
Le sénateur Carney : Pouvez-vous me parler d'un seul cas où un conseil de presse aurait rappelé à l'ordre un journaliste, un quotidien ou un rédacteur en chef?
Mme Murray : Non, les conseils de presse ne font pas cela. Pour ce qui est du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, que je connais quelque peu — et je précise que je parle ici à titre personnel —, ces décisions sont à mon avis bien trop souvent lacunaires sur le plan de la déontologie et de la conformité avec la Charte. Il s'agit là d'un défi de taille, et je sais, pour avoir siégé en tant que membre du public, que je ne faisais pas partie de la majorité. Les membres du public ne sont jamais majoritaires aux audiences du conseil. Il s'agit là d'une question à laquelle il faudrait s'attaquer pour ce qui de l'autogouvernance du secteur, et par ailleurs, les décisions ne sont jamais diffusées très largement de manière à en permettre l'évaluation par les pairs.
Le sénateur Carney : Pour ce qui est de votre participation en tant que membre du public, vous avez une connaissance beaucoup plus poussée de ces questions que les simples citoyens. Si je peux me permettre de continuer à me faire l'avocat du diable, je vous dirai que cela m'inquiète de vous entendre parler d'une participation plus large des intervenants, des membres du public et de divers groupes d'intérêt à un modèle quelconque de gouvernance des médias, car j'y vois le premier pas dans la voie de la rectitude politique. Il faudrait alors se demander si cela ne conduirait pas à refroidir encore plus l'atmosphère. Il convient aussi de se demander qui seront les intervenants. Pourquoi leurs points de vue compteraient-ils plus le mien? Pourquoi accorder un rôle accru aux simples citoyens, qui sont en fait les lecteurs du quotidien, alors que la question en litige concerne les médias en tant que tels et leur gouvernance? Les quotidiens ont déjà des conseils consultatifs et des groupes communautaires, et cetera. Qu'en pensez-vous? À mon avis, ce que vous proposez conduirait à la rectitude politique, à un refroidissement de l'atmosphère accrue ou que sais-je encore, si bien que personne d'autre ne pourrait intervenir sans se faire rappeler à l'ordre. Que répondez-vous à cela?
Mme Murray : Les modèles qui seront envisagés devront être élaborés avec beaucoup de circonspection à mon avis, et il y aurait de multiples façons de s'y prendre. Pour l'instant, je n'ai rien contre l'idée de faire appel aux membres des conseils consultatifs des diverses entreprises médiatiques au moyen d'un quelconque processus électoral. Je suppose que, pour décider du mode de représentation et de délibération, il faudrait faire preuve de la même créativité que celle qui nous a conduit dans cette province vers les assemblées de citoyens.
Il y aurait deux volets au mandat de l'organisme qui serait mis en place. Le premier, et le plus important, serait en fait de juger les plaintes, puisque la culture de l'information au Canada est en proie à une profonde transformation. Nous aurons O'Reilly 24 heures par jour, nous aurons Aljazeera, et nous serons confrontés à bien d'autres défis de toutes sortes qui viendront tant de l'intérieur que de l'extérieur du pays et qui menaceront la « civilité » du discours politique et l'objectivité que l'on associe généralement à l'information.
Le sénateur Carney : N'est-ce pas au lecteur ou au téléspectateur d'en juger par lui-même? N'êtes-vous pas en train d'évincer le lecteur ou le téléspectateur?
Mme Murray : Jamais de la vie.
Le sénateur Carney : Mais c'est ce à quoi votre modèle pourrait conduire, et je vous dis cela en toute sollicitude. Quand vous parlez d'équité, qui décide ce qui est équitable? Vous parlez de reddition de comptes, mais qu'est-ce que la reddition de comptes pour vous?
Mme Murray : Tout à fait.
Le sénateur Carney : Pour ce qui est de la « diversité », qu'entend-on par là? À mon avis, le modèle des assemblées de citoyens de la Colombie-Britannique n'a pas encore fait ses preuves. Nous savons ce qui a été proposé, mais nous ne savons pas encore si le public trouvera cela acceptable, et il faudra sans doute quelques mois encore pour que nous le sachions. Votre idée est intéressante, mais qui fixe les critères? Pourquoi tel groupe et pas tel autre?
Je me souviens que le Vancouver Sun avait publié, il y a de cela quelques années, une série de reportages sur ce qui se passait à Hong Kong et parmi la communauté chinoise, qui se trouve à être la communauté avec laquelle je travaille. Or, beaucoup des membres de cette communauté ont été choqués par les reportages parce qu'ils trouvaient que Hong Kong n'y avait pas été bien présenté, c'est-à-dire que l'image qu'on en donnait n'était pas politiquement correcte. En fait, certains lecteurs, qui ne connaissaient rien de Hong Kong, ont trouvé la série très intéressante.
La présidente : Madame Murray.
Le sénateur Carney : Oui, je vais être brève. Que répondez-vous à mes questions?
Mme Murray : Ce sont-là de beaux défis. Tout d'abord, je tiens à être bien comprise : à mon avis, il y a une ligne de démarcation éthique importante qu'il va falloir renégocier au Canada, et les médias auront un rôle de premier plan à jouer à cet égard. Il s'agira d'une ligne qui fera la distinction entre la libre expression et les propos motivés par la haine ou les préjugés et qui causent un préjudice. Il nous faut des institutions autres que la Cour suprême, c'est-à-dire des institutions de gouvernance des médias qui puissent nous aider à déterminer où il pourrait y avoir préjudice. J'ai confiance que nos constitutionnalistes, nos penseurs vont pouvoir nous offrir un ensemble très raisonnable de règles de base qui nous indiqueront les circonstances où les droits individuels devront peut-être parfois céder la place aux droits collectifs afin d'assurer la sécurité et la représentation équitable dans les médias.
Le sénateur Carney : Une dernière question.
La présidente : Sénateur Carney, vous avez dix secondes.
Le sénateur Carney : Dix secondes, très bien. Où est le muscle? Quelles seraient les conséquences? Quelle efficacité aurait votre proposition?
Mme Murray : Il faudrait investir davantage dans la R et D pour déterminer ce qui est acceptable aux yeux de la collectivité. C'est absolument essentiel, et deux...
Le sénateur Carney : Quelles seraient les sanctions?
Mme Murray : L'application. J'estime qu'il faudrait prévoir bien plus d'amendes dans le cas d'entreprises médiatiques trouvées coupables. Il faudrait aussi qu'il y ait divulgation publique — ce serait une façon de faire honte aux coupables en les nommant. Les décisions devraient aussi être publiées, peut-être sur un réseau public.
La présidente : Merci. Je suis vraiment désolée, sénateur Carney. C'est simplement qu'il se fait tard. C'est une question qui se pose, c'est sûr, et vous l'avez posée.
Le sénateur Munson : Le sénateur Carney a posé presque toutes les questions que je voulais poser. Comment l'organisme indépendant que vous proposez améliorerait-il la qualité du journalisme à Vancouver?
Mme Murray : Pour commencer, je crois que cela faciliterait le débat public. Ce serait aussi un outil pour l'éducation et la promotion de l'étude du journalisme et de l'éthique dans la province, d'après moi essentielle à tous les niveaux. Je suis d'avis également que les journalistes actuellement en place considèrent que le conseil de presse local est dénué de tout pouvoir. Je crois également que c'est ce que croient aussi les citoyens et le dialogue est donc impossible. J'estime qu'ainsi le droit au dialogue des citoyens serait restauré, qu'il deviendrait obligatoire de justifier certaines décisions approuvées ou désapprouvées par la population, ou du moins la possibilité de les examiner rigoureusement.
Le sénateur Munson : Vous êtes éducatrice. Convenez-vous avec les témoins précédents qu'une meilleure éducation des jeunes permettrait de mieux comprendre le rôle du journalisme?
Mme Murray : Absolument. Je crois qu'il y a un énorme effort de compréhension des médias à faire dans le monde entier et en particulier dans notre pays. Il est possible qu'il soit une des victimes de la division juridictionnelle du travail mais il n'a certainement pas reçu l'attention qu'il méritait dans cette province.
Le sénateur Munson : J'ai une autre petite question à vous poser concernant un propos entendu un peu plut tôt ce matin. Je sais que vous n'en parlez pas dans votre rapport mais quelqu'un nous a dit un peu plus tôt ce matin que les marges de profits des journaux avaient augmenté de manière spectaculaire pour passer de 8 à 15 p. 100 à 30 p. 100. Personne n'est contre le profit mais ces profits ne sont-ils pas réalisés aux dépens d'un journalisme de qualité à Vancouver, surtout quand il y a un quasi monopole?
Mme Murray : Permettez-moi de vous donner une réponse universitaire plutôt qu'une réponse, disons, politique. D'après moi, il reste encore nécessaire d'explorer de manière empirique le lien entre les dépenses rédactionnelles et les bénéfices, entre l'importance des bénéfices et l'assiduité du lectorat. C'est ce qu'essaie de faire le très influant Pewg Trust aux États-Unis. Il semble que de bonnes dépenses de rédaction, investir dans le journalisme d'investigation, contrôler les recettes sur une base régulière dans le secteur privé représentent une valeur positive pour les actionnaires et il est nécessaire de démontrer ce lien.
Le sénateur Eyton : Je dois avouer que je suis aussi un peu d'accord avec le sénateur Carney. Ma première observation, et vous pourrez la commenter si vous voulez, est que votre thèse, ou du moins une grande partie de votre thèse, repose sur l'autoréglementation mais ce que vous décrivez ressemble à tout ce que l'on veut sauf à l'autoréglementation. J'ai eu l'impression que c'était un mélange de toutes sortes d'éléments, y compris les gouvernements. Il y a des termes qui me sont immédiatement venus à l'esprit : confus, bureaucratique, coûteux, voire obstacle à la dissension et à la diversité — tout ce genre de choses. Je n'ai en réalité qu'une question à vous poser : vous avez essayé de décrire ce que je ne peux considérer que comme une sorte d'organisation très complexe rendant des sortes d'opinions externes à l'industrie, ou largement externes à l'industrie. Est-ce qu'il y a un modèle? J'ai été dans les affaires pendant très longtemps et d'une manière générale, le guide le plus sûr est de regarder ce que font les autres, de déterminer qui sont les meilleurs et d'essayer de les imiter, mais je ne vous ai entendu citer personne en exemple. Vers qui pouvons-nous nous tourner pour trouver de l'inspiration?
Mme Murray : Probablement vers la Grande-Bretagne et probablement vers l'Europe qui essaie de s'écarter du modèle de gouvernement publiquement financé, ou du modèle d'indépendance, pour adopter un modèle plus authentiquement collectif. Certains spécialistes recommandent d'abandonner les concepts d'autonomie gouvernementale ou d'autoréglementation pour opter pour ce qu'ils appellent la cogestion ou la coréglementation. Ce sont des termes qui ne me plaisent pas trop non plus.
Je sais que les grandes idées mettent du temps à se définir, mais il faut absolument que les médias tant du secteur privé que du secteur public rendent compte publiquement de leurs activités et soumettent leurs produits à un examen public beaucoup plus rigoureux et il existe plusieurs moyens de le faire. Toute une série de propositions successives pourraient déboucher sur l'éventualité d'une instance supérieure. Pour certains, pourquoi ne pas confier cette tâche au CRTC? Le CRTC ne finira-t-il pas un jour par devenir un administrateur social, qu'il le veuille ou non, étant saisi de questions de plus en plus polémiques? Selon moi, même une instance de ce genre ne serait pas idéale. Je préférerais quelque chose de plus souple et à caractère plus communautaire car il faut une participation locale. Au départ, les intentions du premier conseil de presse étaient bonnes, mais je crois qu'il faut les adapter au XXIIe siècle.
La présidente : J'aurais encore au moins 10 questions à vous poser, mais nous avons d'autres témoins à entendre. Nous vous sommes très reconnaissants, madame Murray. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.
Mme Murray : Merci, sénateur. Puis-je ajouter une dernière chose? Je vous demande de lire deux pages du document que nous n'avons pu aborder aujourd'hui et qui concernent l'accès à l'information, questions qui, je sais, sont déjà sur votre écran radar. La seconde concerne la protection des tireurs de sonnettes d'alarme pour que la boîte à outils des journalistes soit plus complète. Je vous remercie infiniment.
La présidente : Nous aussi. Je demanderai maintenant aux représentants de la Canadian Community Newspapers Association de venir s'installer à la table. Nous recevons aujourd'hui, M. Peter Kvarnstrom, et j'espère avoir correctement prononcé votre nom, le président de la Canadian Community Newspapers Association; et M. John Hinds, le directeur général de l'Association. Cette association d'après ce qu'on nous dit est le porte-parole national de la presse communautaire du Canada et ses débuts remontent à 1919 ce qui est assez impressionnant.
Soyez les bienvenus, messieurs. Si vous avez eu le temps de reprendre votre souffle et d'ouvrir vos documents, permettez-moi de vous rappeler que nous aimerions que vous limitiez votre déclaration liminaire à 10 minutes car comme je sais que vous êtes dans la salle depuis un certain temps, vous avez pu voir que les sénateurs ont toujours beaucoup de questions à poser et nous aimerions avoir suffisamment de temps pour le faire.
M. Peter Kvarnstrom, président de la Canadian Community Newspapers Association : Merci, sénateur, mesdames et messieurs.
Je suis président de la Canadian Community Newspapers Association. Le président est élu et c'est un poste bénévole. Je suis accompagné aujourd'hui de John Hinds, le directeur général de notre association.
Permettez-moi de commencer par vous dire qui je suis. Je publie des journaux, des journaux communautaires pour être plus précis. J'ai lancé un journal à Sechelt, en Colombie-Britannique en 1997, et je continue à le publier. C'est mon travail à plein temps. Je joue aussi un rôle actif au sein de la Regional Association of Community Newspapers provinciale et de la Canadian Community Newspapers Association depuis environ sept ans.
Pour vous donner une petite idée, la Canadian Community Newspapers Association est l'association de médias la plus ancienne du pays et elle a été fondée en 1919. C'est une fédération de sept associations de journaux communautaires régionaux et elle entretient des liens étroits avec les hebdos du Québec, l'association provinciale qui représente les journaux communautaires francophones au Québec.
Notre association représente actuellement 709 journaux communautaires dans toutes les provinces et les territoires du pays. Bien que traditionnellement nous représentions les publications en langue anglaise, nous comptons maintenant un certain nombre de membres qui publient dans d'autres langues, ainsi qu'un nombre croissant de publications des Premières nations et de publications ethnoculturelles.
Je vais commencer par vous donner un bref historique de notre secteur et de notre association, puis je répondrai à certains des points que vous avez soulevés. La plupart d'entre nous connaissons bien notre journal communautaire, mais les Canadiens ignorent souvent l'importance du secteur et sa place dans le milieu des médias canadiens. Chaque semaine, nos membres, avec ceux des hebdos du Québec, publient et distribuent plus de 15 millions de journaux au Canada. Leur nature est aussi variée que celle des collectivités qu'ils représentent : petits journaux ruraux, avec des circulations de moins de 1 000, ou gros journaux urbains et suburbains, avec des circulations pouvant aller jusqu'à 185 000 exemplaires par semaine. Vous savez peut-être également que 71 p. 100 des Canadiens et des Canadiennes ont lu le dernier numéro de leur journal communautaire. Nous touchons ainsi plus de gens que tout autre médium au pays. Le journal communautaire est en fait le médium le plus populaire au Canada, popularité qui augmente. Les autres médias s'étant fragmentés ou régionalisés, le journal communautaire est souvent, dans la plupart des collectivités, la seule source qui reste pour apprendre les nouvelles locales. Qui plus est, la quasi-totalité du contenu du journal est rédigée localement.
Il est rare de trouver dans un journal communautaire un article tiré d'un agence de presse. Le secteur est aussi en train d'évoluer. Le journal communautaire était autrefois une entreprise familiale, qui comptait sur l'insertion de publicité locale. Mais le marché a changé, il a évolué, et les journaux ont dû changer aussi. Le secteur a dû mettre au point les outils voulus pour montrer exactement aux publicitaires et aux agences ce qu'ils achetaient. Individuellement, nous avons dû améliorer la qualité de nos publications, pour mieux séduire nos lecteurs.
Dans un effort pour attirer des agences de publicité, le secteur a entrepris toute une série d'initiatives. Il y a quelques années, nous avons mis sur pied un service de vérification des tirages qui vérifie à présent le tirage de plus de 550 publications. Plus récemment, nous avons lancé un système centralisé d'achat d'annonces en ligne, intitulé « Community Media Canada ». Il permet aux publicitaires de planifier des campagnes de publicité nationales ou régionales. D'autre part, et c'est peut-être le plus important, nous avons investi dans des études de lectorat qui ont révélé exactement qui lisait nos journaux. Enfin, individuellement, journaux et sociétés ont investi énormément dans la technologie et l'impression, afin d'améliorer la qualité de nos journaux.
Toutes ces initiatives ont été entreprises par le secteur sans aucun recours aux deniers publics. Nous envions les crédits d'impôt et les subventions directes dont disposent nos concurrents, comme le Fonds du Canada pour les magazines.
Les recettes publicitaires annuelles du secteur se chiffrent actuellement à plus d'un milliard de dollars, ce qui nous met sur un pied d'égalité avec la radio et représente près de deux fois le volume de publicité des magazines. Si l'on considère l'ensemble de la publicité, nous obtenons à présent environ 9 p. 100 de tous les achats publicitaires au Canada.
Je voudrais parler brièvement des tendances qui émergent dans notre secteur. Depuis quelques années, on constate le passage de produits reposant sur les abonnements à des journaux gratuits, livrés dans chaque foyer de la collectivité. Les publications gratuites représentent environ 89 p. 100 de notre tirage que reçoivent la moitié de nos membres. En fait, les grandes agences de publicité de nos collectivités, au lieu d'acheter des annonces dans nos journaux, ont maintenant une envergure plus régionale ou plus nationale et achètent ou créent leurs propres publications sous forme de dépliants publicitaires et ils exigent de notre part une couverture totale du marché. Ils veulent qu'ils soient livrés dans chaque foyer, pas seulement dans ceux des abonnés et cela a changé notre modèle d'entreprise de façon radicale. Ces publicitaires sont indispensables à notre survie, ce qui fait que beaucoup de nos journaux sont passés du modèle de l'abonnement au modèle de la distribution gratuite, contrôlée, dans chaque foyer.
L'autre tendance constatée, c'est que l'on a de moins en moins recours à la Société canadienne des Postes comme véhicule principal de livraison. Dans la plupart des régions urbaines, les journaux ne sont plus livrés par la poste, mais par des transporteurs indépendants. Toutefois, la Société canadienne des postes continue à jouer un rôle important pour bon nombre de nos membres, à titre de moyen de distribution principal. Les Postes sont évidemment notre premier fournisseur de service de distribution et nous livrent une concurrence féroce dans le domaine de la distribution des dépliants.
Une autre tendance, c'est que les journaux communautaires sont de plus en plus la propriété d'entreprises. Dans les années 90, la propriété d'entreprise représentait environ 40 p. 100 de notre secteur, alors qu'à l'heure actuelle, environ la moitié de nos membres sont indépendants tandis que l'autre moitié sont la propriété d'entreprises. Je sais que les opinions sur les avantages et les inconvénients de la propriété d'entreprise sont bien tranchées. Nous-mêmes, dans notre propre association, nous en discutons et il y a autant d'avis que de journaux, comme vous pouvez vous l'imaginer.
Personnellement, j'estime qu'un changement de propriété ne change rien au contenu des éditoriaux des journaux communautaires. Les nouvelles locales demeurent locales. Je sais aussi que beaucoup de journaux qui ont été vendus à des grandes sociétés ont constaté que le soutien professionnel et commercial qu'ils ont reçu leur a permis de publier un journal de meilleure qualité. En dernière analyse, même si les journaux appartiennent à des entreprises, il reste qu'ils sont exploités de façon indépendante par des éditeurs qui vivent dans les communautés qu'ils desservent et dont ils reflètent les valeurs et les intérêts. Pour ces journaux, ce sont les nouvelles locales qui priment.
Dans les questions que vous nous avez distribuées, vous demandez si les Canadiens ont suffisamment d'information de qualité sur les enjeux régionaux et locaux et si les collectivités éloignées sont convenablement desservies. Je vous répondrai ceci : à mon avis, les journaux communautaires font en sorte que les Canadiens reçoivent l'information nécessaire au sujet des collectivités où ils résident. Dans l'ensemble, les collectivités canadiennes sont bien desservies par leurs journaux communautaires. C'est d'ailleurs ce que démontre le grand nombre de Canadiens qui lisent toutes les semaines leurs journaux communautaires. Notre tirage à nous augmente, ce qui n'est certainement pas le cas des autres médias. D'après notre recherche, 26 p. 100 des Canadiens ne lisent que des journaux communautaires. Ils n'écoutent pas régulièrement la télévision ou la radio, ni ne lisent quotidiennement le journal. À mon avis, ils lisent leurs journaux communautaires parce que ceux-ci leur donnent l'information qu'ils souhaitent.
J'aimerais maintenant parler de la façon dont le gouvernement fédéral peut contribuer à faire en sorte que les journaux communautaires continueront à desservir comme il se doit leurs collectivités. Je le disais plus tôt : les journaux communautaires reçoivent actuellement quelque 9 p. 100 des montants en publicité dépensés au Canada. Le seul secteur qui n'ait pas répondu comme il se doit aux améliorations que nous avons apportées à notre industrie, c'est le gouvernement fédéral. Il a réagi tout récemment, et nous sommes disposés à reconnaître que le gouvernement fédéral semble avoir un peu plus confiance en notre capacité à transmettre le message à tous les Canadiens, et nous lui en sommes reconnaissants. D'après les chiffres les plus récents, toutefois, le gouvernement fédéral ne consacrerait que 6 p. 100 de son budget de publicité aux journaux communautaires, par rapport à 9 p. 100 à l'échelle du pays.
Notre industrie regorge d'histoires sur la façon dont le contrôle des armes à feu a été annoncé uniquement dans les quotidiens de la Saskatchewan. Toutefois, si je prends l'exemple de Nipawin, ses habitants ne lisent pas les quotidiens et leur préfèrent leur journal local. On constate également que seulement 30 p. 100 des Saskatchewanais lisent un quotidien.
Autre exemple : la Garde côtière qui annonçait ses permis de plaisance dans les quotidiens de Toronto, mais non dans les journaux communautaires qui desservent la région de chalets bien au nord de Toronto! Nous ne demandons pas qu'on nous accorde un traitement de faveur; nous demandons seulement que lorsqu'il achète de la publicité, le gouvernement fédéral traite les journaux communautaires comme il traite les autres médias. Heureusement, nous avons vu les achats de publicité de la part du gouvernement fédéral se réorienter quelque peu au cours des derniers mois, grâce aux nouvelles directives en matière de publicité, nous espérons que cette tendance se maintiendra.
Je pense que ce n'est pas uniquement une question de publicité. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral a toujours eu ce problème de communication avec les Canadiens, et surtout avec ceux qui vivent aux confins de notre pays. L'une des raisons de cet état de choses est qu'on a négligé les journaux communautaires qui permettent pourtant de faire connaître les initiatives et les programmes du gouvernement, peu importe l'endroit où les Canadiens vivent. En d'autres termes, s'il s'agit de faire passer un message, je dirais que si le gouvernement fédéral faisait un meilleur usage des journaux communautaires, il parviendrait non seulement à renforcer les collectivités, mais il parviendrait mieux à rejoindre les Canadiens, et en particulier les 25 p. 100 de la population qui ne lisent que les journaux communautaires.
Il y a un autre domaine dans lequel le gouvernement fédéral pourrait vraiment influer sur la qualité de l'information qui parvient aux Canadiens. Comme vous le savez, les journaux communautaires qui desservent des collectivités de moins de 25 000 âmes bénéficient du programme d'aide aux publications, le PAP, qui leur offre un dégrèvement des frais d'affranchissement. Ce programme existait déjà avant la naissance de la Confédération et il est toujours d'une importance capitale pour de très nombreuses collectivités. Sans ce programme, ces collectivités n'auraient pas de journal communautaire alors que vous savez pertinemment que les journaux communautaires sont souvent la cheville ouvrière des petits journaux. Nos membres reçoivent environ 4,5 millions de dollars chaque année et sans cela, ils seraient nombreux à être incapables de survivre. Dans bien des régions du Canada, il n'y a que Postes Canada et rien d'autre.
Par contre, le programme n'a pas suivi l'évolution de l'industrie. Comme je l'ai déjà dit, la livraison des journaux de porte à porte dans toute la collectivité est venue remplacer la formule de l'abonnement. Tous les travaux de recherche montrent que peu importe qu'un journal soit gratuit ou non, le nombre et la qualité des lecteurs ne change pas. Si un journal devient gratuit, il perd sa subvention. Or, il dessert toujours la collectivité et il a toujours recours à Postes Canada pour le faire. D'après nos dossiers, 43 journaux sont ainsi directement touchés et il en coûterait probablement à l'État entre deux et trois millions de dollars, mais cette dépense serait un bon investissement dans les plus petites collectivités du pays. C'est particulièrement vrai là où deux journaux sont en concurrence, l'un étant subventionné et l'autre pas.
Pour terminer, je voudrais répondre à vos questions concernant la réglementation de l'industrie, et à ce titre, je pense que cette dernière est unanime. Pour lancer un journal communautaire, il ne faut ni permis ni demande d'autorisation; aucun organisme officiel ne réglemente ni ne contrôle notre industrie, et à mon sens, c'est tout à fait normal. Il y a peu d'obstacles qui empêchent les nouveaux venus de se lancer dans ce domaine. Quiconque dispose d'un ordinateur peut, moyennant un peu de travail, produire un journal communautaire et moi qui vous parle, moi qui publie un journal communautaire, il faut que je fasse tout pour bien desservir ma collectivité. Ce n'est qu'ainsi que je pourrai toucher mes dividendes d'actionnaire ou, si je travaille dans un milieu commercial, on verse à ceux qui sont mes actionnaires. La concurrence est acharnée. Depuis que je me suis implanté à Sechelt, j'ai eu quatre concurrents qui ont essayé de lancer leurs publications. Certains d'entre eux sont toujours actifs, d'autres ont disparu, mais nous devons sans cesse rester aux aguets. Il faut que nous produisions ce qu'il y a de meilleur, il faut que nous communiquions avec nos lecteurs et que nous défendions les valeurs qui sont les leurs.
Je ne vois pas comment une modification du cadre réglementaire pourrait profiter à notre industrie ou aux collectivités que nous desservons. Pour être franc avec vous, si on veut prendre le CRTC pour exemple, le fardeau réglementaire serait tellement lourd que nos membres seraient nombreux à mettre la clé sous le paillasson. À mon avis, la pierre angulaire d'une presse libre, c'est le droit qu'a n'importe qui de publier un journal pour autant qu'il respecte la loi. Cela a toujours été la politique du Canada et j'espère qu'il en sera toujours ainsi.
Nos associations régionales appartiennent aux conseils de presse provinciaux qui permettent aux membres du public de faire valoir leurs préoccupations et de formuler leurs plaintes. Cela fonctionne bien. Merci beaucoup.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Kvarnstrom, la presse ethnoculturelle nous a également parlé des subventions postales. Comment ces subventions fonctionnent-elles? Un hebdomadaire bénéficie d'une subvention postale pour ses abonnés, n'est-ce pas? De quel ordre? Est-elle équivalente au tarif des lettres ou représente-t-elle un pourcentage de celui-ci? Comment cela fonctionne-t-il?
M. John Hinds, président-directeur général, Canadian Community Newspapers Association : Il y a ce que Postes Canada appelle le tarif imprimés...
Le sénateur Tkachuk : Oui?
M. Hinds : Et à partir de là, les Postes ont adopté un pourcentage par rapport à l'an dernier qui représente environ 71 p. 100 du coût d'envoi d'une publication.
Le sénateur Tkachuk : Qu'en coûterait-il donc pour envoyer par la poste une publication hebdomadaire qui a une liste d'abonnés?
M. Hinds : Ce tarif n'est valable que pour les journaux.
Le sénateur Tkachuk : C'est de cela que je vous parle.
M. Hinds : Cela coûterait environ 71 p. 100 du coût d'affranchissement, et j'imagine donc qu'il s'agirait de 20 à 35 c. par envoi.
Le sénateur Tkachuk : C'est cela que cela coûterait. Et normalement, l'affranchissement au plein tarif coûterait quoi, 75 c..?
M. Hinds : C'est cela.
Le sénateur Tkachuk : Soixante-quinze cents en moyenne? Par contre, un envoi sans adresse est en fait un envoi en nombre, n'est-ce pas? Cela n'est-il pas beaucoup moins cher qu'un envoi portant une adresse?
M. Hinds : Ce n'est guère moins cher que le tarif publications.
Le sénateur Tkachuk : Ah vraiment?
M. Hinds : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Fort bien. Que coûterait donc un envoi sans adresse?
M. Hinds : Un envoi sans adresse coûterait en réalité plus cher qu'un envoi bénéficiant d'une subvention.
Le sénateur Tkachuk : Plus que 20 c.?
M. Hinds : Oui. C'est précisément là le problème qui se pose à nos membres qui envoient leurs publications gratuites par Postes Canada. Leurs frais d'affranchissement sont notablement plus élevés que ceux de nos produits qui sont des journaux dont l'envoi est subventionné. Cela ne se compare pas.
Le sénateur Tkachuk : Très bien, c'est tout ce que je voulais savoir. Afin que cela figure au compte rendu.
Le sénateur Carney : Ma question s'adresse à M. Kvarnstrom. Chaque fois que j'emprunte le traversier Horseshoe Bay-Langdale, je dévore littéralement votre journal et je sais que vous faites un excellent travail journalistique d'intérêt local. Je voudrais vous parler du problème de la concentration. Les chiffres que nos excellents attachés de recherche ont réuni pour nous relèvent qu'en Colombie-Britannique, votre association compte 104 journaux membres dont les trois-quarts appartiennent à deux propriétaires, 62 d'entre eux, soit environ les deux tiers, appartenant à David Black du Groupe de Press Black — l'autre Black — 16 appartenant à CanWest Global et un quart seulement de ces 104 journaux membres étant « indépendants ». Je vous demanderais par conséquent de me dire quelle a été l'incidence de cette concentration sur la situation de l'emploi chez les journalistes. Quelle a été la tendance du marché de l'emploi pour les journalistes des journaux communautaires?
En second lieu, comment a évolué le ratio entre l'espace publicitaire et l'espace consacré aux nouvelles locales lorsque vous avez bénéficié de la franchise de port? Ce sont les deux choses que j'aimerais approfondir avec vous.
M. Kvarastrom : Pour ce qui est des employés, il m'arrive souvent d'en perdre, de perdre de bons journalistes au profit des quotidiens des grandes chaînes. La plupart de ces quotidiens paraissent dans le bas de la vallée du Fraser, le Lower Mainland et dans les grands centres également, ils payent un peu mieux et offrent toute la palette des avantages sociaux. Étant indépendants, nous devons, et c'est ce que nous faisons pour la plupart, rester concurrentiels pour conserver nos employés. Je ne sais pas trop comment répondre à votre question, mais je ne vois pas vraiment de différence de qualité entre leurs journalistes et les nôtres.
Le sénateur Carney : Non, mais la concentration de la propriété n'a-t-elle pas fait diminuer le nombre de journalistes à l'emploi de ces journaux membres en Colombie-Britannique? Vous avez toutes sortes de chiffres au sujet de la publicité, du nombre de lecteurs et des tirages, mais ce qui nous intéresse, ce sont les emplois.
M. Kvarnstrom : Je ne suis pas certain de pouvoir vous répondre avec précision là-dessus. En fait, j'en suis même certain. Le modèle du journal communautaire ne varie guère d'une collectivité à l'autre. Ainsi à Sechelt, nous avons un rédacteur à plein temps et deux journalistes, et puis tous les autres comme moi qui travaillent un peu ici et là. En ce qui me concerne, je rédige une chronique de temps en temps, mon éditeur adjoint publie régulièrement une chronique et nous avons dans toutes les petites localités de la Sunshine Coast des gens qui nous envoient des textes d'intérêt très local. Ensuite, nous avons aussi nos chroniqueurs spécialisés pour les voyages, l'ornithologie et ainsi de suite.
Le sénateur Carney : Très bien. Maintenant, étant donné que les journaux communautaires sont livrés gratuitement, l'espace réservé à la publicité a-t-il augmenté par rapport à l'espace consacré plutôt au texte? Ce que je veux dire par là, c'est que dès lors que vous commencez à distribuer gratuitement, votre publication ne ressemble-t-elle pas davantage à une brochure publicitaire?
M. Kvarnstrom : Je pense qu'en définitive, notre activité dans la région de la Sunshine Coast dépend rigoureusement de ce que nous rapporte la publicité. C'est notre seule source de revenu. Nous ne vendons pas notre produit, si ce n'est à ceux qui ont la gentillesse d'en acheter un exemplaire à bord du traversier, et je vous en remercie d'ailleurs. Notre ratio de publicité est d'environ 65 p. 100, et cela vaut bien sûr pour le modèle gratuit, et cela ne varie pas vraiment beaucoup entre les publications gratuites et celles qui se vendent. Ce que nous constatons par contre, c'est que pour pouvoir vendre nos espaces publicitaires, il faut que nous ayons suffisamment de lecteurs, et ce n'est pas parce que nous livrons gratuitement notre journal à domicile que nous avons des lecteurs. Pour avoir des lecteurs, il faut faire du bon journalisme d'intérêt local et si nous ne le faisons pas, si nous n'avons pas de lecteurs, personne ne nous achètera de l'espace publicitaire. Par conséquent, c'est un genre de moyen terme qui nous sert de balise dans ce sens que oui, je pourrais publier uniquement de la publicité, mais à ce moment-là je perdrais très rapidement mes lecteurs et donc je commencerais à perdre également les clients qui m'achètent de l'espace publicitaire.
Le sénateur Carney : Je vous remercie. Vous faites un excellent boulot sur le plan local.
M. Kvarnstrom : Je vous remercie.
Le sénateur Carney : Ma fille était jadis l'une de vos correspondantes de Madeira Park, ce qui explique pourquoi je m'intéresse à vous.
M. Kvarnstrom : Oh, merci beaucoup.
La présidente : En ce qui concerne les médias, vous ne trouverez pas de critique plus sévère que le sénateur Carney. Vous me disiez que vous avez trois employés à plein temps et une palette de pigistes, de gens qui vous envoient de la copie?
M. Kvarnstrom : C'est exact.
La présidente : Vous tirez à combien? Combien d'exemplaires distribuez-vous et combien de lecteurs avez-vous?
M. Kvarnstrom : Nous tirons à 13 000 exemplaires par semaine, et tous ces exemplaires nous les livrons porte-à-porte ou autrement; nous en livrons environ 12 500. Nous en gardons environ 500 pour les distributrices à monnayeur. Nous en vendons également beaucoup à bord des traversiers.
La présidente : Savez-vous combien vous avez de lecteurs?
M. Kvarnstrom : De lecteurs? Dans notre cas, nous rejoignons plus de 60 p. 100 des membres de la communauté, selon les résultats d'un échantillonnage de 100 lecteurs, 100 personnes interrogées au téléphone, de sorte que ce chiffre est statistiquement exact à plus ou moins...
La présidente : Bien sûr, cela nous donne une bonne idée.
M. Kvarnstrom : Je pourrais peut-être vous donner une réponse sous un angle plus national. À l'échelle nationale, ce chiffre est de 71 p. 100. Partout au Canada, 71 p. 100 des Canadiens lisent régulièrement leur journal communautaire.
Le sénateur Trenholme-Counsell : Chers collègues, messieurs, je suis originaire d'une toute petite ville du Nouveau-Brunswick dont le journal communautaire, le Tribune Press, est extrêmement utile pour nous. Il y aura toujours des critiques, mais je considère néanmoins que ces journaux communautaires sont extrêmement importants en ce sens qu'ils sensibilisent la population locale, qu'ils l'informent et ainsi de suite.
Étant donné que le lectorat et la diffusion des journaux de votre association ou de votre groupe augmente dans l'ensemble du pays, avez-vous envisagé la possibilité d'accorder aux journaux — et ils auraient évidemment le choix de s'en servir ou non — une page qui pourrait s'intituler « Une semaine au Canada » ou « Les nouvelles de la semaine », de façon que les lecteurs qui ne lisent aucun autre journal et ne prête pas beaucoup d'attention aux nouvelles, à l'exception des articles à caractère sensationnel, puissent plus ou moins combler cette lacune? Est-ce que cette possibilité a été envisagée ou est-il totalement inconcevable de consacrer une page aux nouvelles du monde? Je pense en particulier aux nouvelles du Canada.
M. Hinds : Notre association a essayé, entre autres choses, de proposer un service qui fournirait du contenu à nos membres, et nous avons constaté que ces derniers n'étaient pas intéressés. Ils tiennent à créer leur propre contenu au niveau local. Nous avions réuni un certain nombre de journalistes, notamment Dale Goldhawk, ainsi que des spécialistes de l'art culinaire et des humoristes, et nous avons constaté que nos membres ne voulaient pas d'un produit d'envergure nationale. Ils tiennent à créer leur contenu au niveau local.
Nous avons constaté, en prenant un peu de recul, que sur des sujets comme le raz-de-marée, nos journaux donnent une perspective locale en parlant de personnalités de l'endroit et en faisant le lien entre l'événement et la collectivité, les organismes caritatifs locaux, et cetera. Nous avons donc effectivement essayé d'obtenir l'accord de nos membres sur cette question, mais ils tiennent à présenter un contenu local, qu'ils veulent produire eux-mêmes sur place.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, mais je ne parlais pas de rubriques culinaires ni d'humour. Je pensais à de la véritable nouvelle, concernant le gouvernement, notamment le gouvernement fédéral et l'actualité internationale, afin que dans les villages, les gens connaissent le président des États-Unis et surtout, le premier ministre du Canada, et cetera, et qu'il y ait une forme de dialogue, mais vous allez sans doute me répondre que ce n'est pas ce que souhaitent les journaux communautaires.
M. Kvarnstrom : Encore une fois, c'est une question de priorités. La semaine dernière, comme à la fin de chaque semaine, nous avons publié sur la côte Ouest un journal de 72 pages dont près de 40 p. 100 étaient du contenu éditorial, et on n'en revient toujours à la question des priorités. Pour ce qui est de l'actualité nationale et internationale, nous la présentons, mais uniquement dans la mesure où elle est en rapport avec nos lecteurs, les collectivités que nous desservons et la qualité de vie qu'on y trouve. Lors du raz-de-marée d'Asie du sud-est, nous avons parlé des opérations de secours, de l'effort de solidarité et des faits divers qui nous concernaient au plan local. Nous avons continué jusqu'à cette semaine, en remplissant la une pendant quatre semaines avec des reportages de premier plan sur les opérations de secours, sur les personnes qui se trouvaient dans les zones sinistrées, qui avaient des choses à dire à nos lecteurs à leur retour, et qui voulaient parler de ce qu'elles avaient perdu. Nous présentons donc effectivement des articles de dimension nationale qui ont un rapport direct avec nos collectivités. Cependant, nous constatons que pour nos lecteurs, la priorité doit être accordée à ce qui se passe dans leurs propres collectivités.
En réalité, nous avons senti que les années 90 étaient la décennie du cocooning, et les gens se préoccupaient beaucoup plus de ce qui se passait dans leur quartier que des événements d'Irak ou d'Afghanistan. Ils estiment qu'ils n'y peuvent rien. Ils veulent savoir un peu ce qui s'y passe, mais ce qui les intéresse surtout, c'est ce qui est arrivé au brigadier scolaire. Pourquoi n'est-il plus à son poste? Ou pourquoi y a-t-il tant d'ours dans le quartier, au point que chacun se sente menacé? Ou que se passe-t-il au conseil municipal? Pourquoi est-il question de tel ou tel sujet? Voilà autant de questions qui les concernent directement, et c'est notre rôle de les renseigner.
La présidente : Merci beaucoup. Ayez l'obligeance de m'écouter. Pendant un certain temps, j'ai vécu dans une très petite collectivité, un mille carré tout au plus, qui avait un excellent journal communautaire. Pendant des années, on y trouvait une demi-page de nouvelles sous la rubrique « beyond our borders » et ce qui était hors des frontières dont on parlait, c'était la grande ville qui entourait notre petite communauté et qui était à environ un demi-mille de distance. C'était un excellent journal. Vous avez tout à fait raison. C'est un marché très différent, un marché très important pour renforcer l'appartenance à la communauté et, de plus en plus, peut-être le seul endroit où on trouve ce genre de nouvelles.
Dans un autre ordre d'idées, il y a quelque temps, notre comité a reçu des analystes financiers qui nous ont parlé de divers éléments du secteur des médias. On nous a dit notamment que dans les journaux communautaires, pas dans tous les cas mais assez souvent, la marge de profit pouvait dépasser 40 p. 100. Étant donné votre connaissance de ce secteur au Canada, pensez-vous que cette déclaration est assez juste?
M. Kvarnstrom : J'accepterais probablement une telle marge de profit. Autrement dit, j'aimerais bien être propriétaire d'un journal comme celui-là. Ce serait très bien. Je n'ai certainement jamais entendu parler de journaux dont le rendement était de 40 p. 100. Est-ce bien de cela qu'il parle? Je pense que je serais extrêmement satisfait d'un profit de 20 à 25 p. 100, et ça doit être le haut de l'échelle.
La présidente : Je vois.
M. Kvarnstrom : Je ne sais pas très bien d'où est venu ce renseignement, mais comme je m'entretiens avec des éditeurs de l'ensemble du pays depuis sept ans, comme j'essaie d'améliorer le sort de ce secteur, ce chiffre me semble plutôt irréaliste.
La présidente : Étant donné votre position, vous parlez non seulement des journaux indépendants...
M. Kvarnstrom : C'est exact.
La présidente : ... mais aussi des journaux appartenant à un groupe?
M. Kvarnstrom : C'est exact.
La présidente : Est-ce qu'ils sont aussi ouverts dans leurs discussions avec vous?
M. Kvarnstrom : Certains de ces renseignements sont du domaine public et on peut les obtenir sans demander à qui que ce soit. Il s'agit simplement de chercher. Ainsi, ici, en Colombie-Britannique, comme l'a dit madame le sénateur Carney, Black Press est propriétaire de 63 périodiques, je crois. Ce groupe est associé à Torstar, une société ouverte. Il est facile de savoir ce qui s'y fait exactement.
Le sénateur Carney : Nous pensons que c'est 66 périodiques.
La présidente : Votre microphone, s'il vous plaît, sénateur Carney.
Le sénateur Carney : Madame la présidente, le témoin peut-il nous donner le nom de son journal communautaire? Je pense qu'il est bien timide lorsqu'il s'agit de le nommer...
La présidente : Le quoi de Sechelt?
M. Kvarnstrom : Coast Reporter.
La présidente : Le Coast Reporter. Merci.
Le sénateur Eyton : J'aurais probablement dû poser mes questions au début, ou près du début de votre exposé. Pourriez-vous satisfaire ma curiosité : Qui peut faire partie de votre association, comment en devient-on membre et quelles sont les obligations des membres?
M. Kvarnstrom : C'est une très bonne question, et dont nous aurions dû parler, puisqu'il y a en fait des critères. Tout le monde ne peut pas devenir membre. Tout d'abord, il faut être membre de la Canadian Community Newspapers Association, et membre aussi de l'Association régionale de la région où est publié le journal. Ainsi, le Coast Reporter est membre de l'association des journaux communautaires de la Colombie-Britannique et du Yukon. Nos règlements fixent les conditions d'admission. D'abord, il faut avoir publié pendant un certain temps, de manière régulière, au rythme d'au moins 50 numéros par an. Je crois que c'est ce que dit le règlement administratif. Il s'agit donc d'une association d'hebdomadaires, ou de journaux qui paraissent plus d'une fois par semaine. Il doit y avoir un contenu rédactionnel minimum. Des nouvelles doivent être présentées à la une et pas surtout des publicités. Un pourcentage est fixé et je crois qu'il s'agit de 15 p. 100 de publicité au maximum, ou quelque chose du genre pour la une. Il peut donc y avoir une bannière en bas de page. Il doit y avoir une page éditoriale où des opinions sont présentées et des lettres doivent aussi être publiées; c'est à mon avis un élément essentiel pour qu'il y ait une véritable tribune communautaire. Il doit aussi y avoir une certification du tirage. On ne peut pas simplement dire voilà, j'ai publié des journaux. Il faut qu'il y ait une vérification et tous les journaux membres font l'objet d'une certification du tirage. Il y a bon nombre d'autres exigences mais j'ai cité les plus importantes.
Le sénateur Eyton : Il doit aussi y avoir un coût?
M. Kvarnstrom : Pour adhérer à l'association?
Le sénateur Eyton : Oui, et pour en rester membre.
M. Kvarnstrom : Oui. Oui, il y a un coût. Pour notre journal de Sechelt, nous payons environ 600 $ par an pour être membre de la Canadian Community Newspapers Association. Nous participons à des concours dans lesquels nos journaux sont jugés par nos confrères de Colombie-Britannique.
Nous faisons aussi un peu de travail de relations gouvernementales. Dans deux semaines, je serai à Victoria pour représenter les intérêts de notre industrie et de nos éditeurs.
Le sénateur Eyton : Nous avons discuté, ce qui est un petit peu à l'opposé, de concentration parmi vos membres, mais sauf erreur, je ne sais pas combien de membres compte votre association.
M. Kvarnstrom : La Canadian Community Newspapers Association compte 709 membres. Je crois...?
M. Hinds : Oui.
M. Kvarnstrom : Nous représentons donc la majorité des journaux communautaires du Canada. Si vous y ajoutez les hebdos — au départ les membres de notre association étaient tous de langue anglaise. Nous nous sommes agrandis pour accueillir les publications ethnoculturelles et autochtones, ou des Premières nations. Cependant, pour le moment, il y a un équivalent francophone de notre association au Québec qui représente je crois 170 membres; ensuite il y a une autre association qui représente tous les journaux de langue française hors Québec. Il y a donc trois association principales qui représentent la quasi totalité de tous ces journaux.
Le sénateur Eyton : Ma dernière question. Y a-t-il aussi des journaux ethniques qui sont membres de votre association?
M. Kvarnstrom : Oui.
Le sénateur Eyton : Dans ce cas, combien y en a-t-il?
M. Kvarnstrom : Pour commencer, c'est quelque chose d'assez nouveau. En d'autres termes, il n'y en avait pas beaucoup il y a 20 ou 30 ans. Aujourd'hui, il y en a un certain nombre, et nous avons compris qu'il nous fallait élargir nos perspectives pour être plus inclusifs et c'est ce que nous avons fait. La majorité de nos associations et notre association nationale ont modifié leurs règlements administratifs pour permettre l'adhésion de ces journaux. Aujourd'hui, notre association en compte environ 15. Cela ne fait que commencer et je crois que nous en verrons encore plus au cours des prochaines années.
Le sénateur Eyton : Merci.
Le président : Merci. Le sénateur Tkachuk a une toute petite question complémentaire à poser.
Le sénateur Tkachuk : Oui. Je ne sais pas si c'est vraiment une question complémentaire.
Tout à l'heure, monsieur Kvarnstrom, vous avez parlé de publicité du gouvernement fédéral et du registre des armes à feu. Qu'entendez-vous exactement? Vous avez parlé du gouvernement fédéral qui achetait de l'espace publicitaire dans les quotidiens des marchés urbains?
M. Kvarnstrom : Oui.
Le sénateur Tkachuk : C'était pour inciter les gens à enregistrer leurs armes à feu?
M. Kvarnstrom : C'est exact.
Le sénateur Tkachuk : Et le gouvernement fédéral ne faisait pas de publicité dans vos journaux?
M. Kvarnstrom : Il ne faisait pas de publicité dans les hebdomadaires communautaires et, comme vous le savez j'en suis sûr, beaucoup de gens dans les régions rurales possèdent des armes à feu. Un autre exemple. Lors des dernières élections, Élections Canada a eu recours à nos journaux communautaires alors que lors des élections précédentes, en 2000, il ne l'avait pas fait du tout. Il faisait passer l'information par des stations radio américaines qui émettaient au-delà de la frontière pour informer les Canadiens de la tenue d'élections.
Le sénateur Tkachuk : Vous croyez que c'était délibéré?
M. Kvarnstrom : Disons que nous avons reconnu notre obligation envers le gouvernement fédéral et les autres supports de publicité en commissionnant nous-mêmes cette recherche. Depuis que je suis membre du conseil d'administration, nous avons consacré 4,3 millions de dollars à la recherche sur le lectorat pour apporter la preuve empirique que la population lisait bel et bien nos journaux. Tout le monde semble dire, voyez-vous, que : « Oui, c'est vrai, tout le monde dans la communauté. lit... »
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Kvarnstrom, à mon sens, ce n'est pas qu'il pensait que le public ne lisait pas vos journaux, c'est qu'il ne voulait pas que cela paraisse dans vos journaux. Il voulait cela dans les journaux urbains, c'est pourquoi les milliers...
M. Kvarnstrom : C'est bien possible.
Le sénateur Tkachuk : Vous savez ce que je veux dire. J'en resterai là. Merci, madame la présidente.
La présidente : Ce n'est pas un point sur lequel ces témoins sont susceptibles de nous fournir une réponse faisant autorité.
Le sénateur Tkachuk : Je sais, mais il était bon d'obtenir...
La présidente : Je sais, je sais. Vous en avez profité. Je voyais bien ce à quoi vous vouliez arriver.
Bien, je vous remercie, messieurs. Il me reste juste deux demandes. Tout d'abord, pourriez-vous nous envoyer vos critères pour devenir membre de votre association? Il est intéressant que vous avez des définitions relativement strictes étroites de ce qui constitue un journal, et j'aimerais bien les voir. Deuxièmement, serait-il possible d'avoir une version plus complète des données sur le lectorat de ComBase?
M. Hinds : Oui. A vrai dire on en a déjà fait circuler certaines.
La présidente : Nous aimerions une version plus complète, si c'était possible.
M. Hinds : D'accord, nous vous fournirons une version plus complète.
La présidente : Nous vous en serions reconnaissants.
M. Hinds : Nous pouvons vous donner l'ensemble des 400 marchés, si vous le souhaitez.
La présidente : Oui, parce que cela semble en fait très intéressant. Nous voudrions aussi les données habituelles sur les personnes ayant effectué l'étude, l'époque à laquelle elle a été réalisée, et cetera.
M. Hinds : Oui.
La présidente : Merci encore. La séance d'aujourd'hui a été particulièrement instructive et nous vous remercions sincèrement d'être venus.
La séance est levée.