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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages du 3 février 2005 (séance du matin)


REGINA, le jeudi 3 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 14 pour étudier l'état actuel des industries de média canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et aux membres du public à une autre séance de notre longue série. Pour ceux qui l'ignorent, je m'appelle Joan Fraser. Je suis la présidente du comité. Nous sommes aujourd'hui en Saskatchewan et nous avons la grande chance d'avoir parmi nous comme vice-président du comité le sénateur David Tkachuk, qui vient de Saskatchewan. J'ai pensé que ce serait tout à fait approprié de lui demander de présider la séance d'aujourd'hui.

Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Je vous souhaite la bienvenue à cette quatrième séance de notre série de réunions cette semaine. Nous avons commencé par passer deux jours à Vancouver, une journée à Calgary et nous sommes aujourd'hui à Regina. Demain nous serons à Winnipeg. Nous rejoindrons ensuite les politiciens à Ottawa lundi prochain.

Je vous souhaite la bienvenue à tous à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous étudions le rôle approprié des politiques publiques en vue de faire en sorte que les médias d'information canadiens demeurent en santé et diversifiés à la lumière des extraordinaires changements qui se sont produits ces dernières années.

Aujourd'hui, comme premier témoin, nous avons le privilège d'accueillir Patricia Bell, directrice de l'école de journalisme de l'Université de Regina.

Mme Patricia Bell, directrice, École de journalisme, Université de Regina, à titre personnel : Bonjour. Bienvenue en Saskatchewan, ou bonjour chez vous en Saskatchewan pour certains d'entre vous.

En ce 25e anniversaire de l'École de journalisme de l'Université de Regina, je suis très heureuse d'avoir cette occasion de décrire la contribution que l'école a tenté d'apporter à la discipline du journalisme dans la province de Saskatchewan et, en fait, avec un rayonnement beaucoup plus étendu. Je me ferai aussi un plaisir de répondre à toute question sur les médias au Canada aujourd'hui.

Le premier programme universitaire de journalisme dans l'ouest du Canada a été créé ici en 1980. Dans le cadre d'un programme fondé sur les principes de la pensée critique et de la rigueur journalistique, notre objectif est d'inculquer à nos diplômés les compétences dont ils ont besoin pour faire leur marque et contribuer à la qualité des journaux et des médias électroniques. Cet équilibre entre la théorie et la pratique attire d'excellents étudiants à notre école et ce sont nos diplômés qui ont bâti au cours du dernier quart de siècle notre réputation qui est tellement solide pour une si petite école.

Nous avons une dette de gratitude envers d'innombrables personnes dans des dizaines de salles de rédaction partout en Saskatchewan, au Manitoba et en Alberta qui ont appuyé le programme depuis le début en offrant un stage payé d'un semestre à tous nos étudiants.

Cette expérience à la télévision, à la radio ou dans un journal quotidien ou hebdomadaire a été précieuse comme partie intégrante du curriculum. Dans bien des cas, un stage est devenu le tremplin d'une carrière enrichissante. Dans tous les cas, cela a donné aux étudiants une expérience pratique, élément crucial dans un curriculum vitae, ainsi que des contacts dans le milieu du journalisme sur lesquels l'étudiant pourra compter plus tard ou qu'il pourra donner comme référence.

Surtout, cela a permis aux jeunes gens de revenir suivre leur dernier semestre de travaux scolaires armés d'une compréhension plus profonde et solide de ce que cela veut dire de suivre le rythme haletant de la nouvelle et des affaires publiques compte tenu de l'heure de tombée, de l'importance d'écrire des articles fidèles, justes et contextuels, et de l'appétit inépuisable du public pour des histoires bien racontées.

C'est extrêmement satisfaisant pour les professeurs quand les étudiants retournent leur dire que leurs conseils et leur aide étaient tout à fait justes. C'était également satisfaisant de travailler avec des étudiants passionnés qui veulent utiliser leurs derniers mois à l'université pour analyser et discuter le monde du journalisme auquel ils ont hâte de se joindre.

Ceux qui ont eu la sagesse il y a plus de deux décennies de planifier un curriculum comportant une aussi riche possibilité d'acquérir de l'expérience du vrai monde du journalisme grand public ont ainsi garanti qu'aucun étudiant, au moment de décrocher son diplôme, ne sera animé du désir frénétique de se précipiter tête baissée pour découvrir à quoi ressemble le monde du journalisme. De concert avec tous leurs confrères de classe, ils en ont déjà une assez bonne idée.

Certains ont décidé qu'ils veulent travailler dans le milieu des médias grand public; ils ont prouvé qu'ils sont prêts et ils ont des idées quant à la manière dont ils vont travailler pour améliorer ces médias. D'autres veulent voyager, s'essayer d'abord à d'autres formes de journalisme, ou continuer à étudier pour obtenir un diplôme de deuxième cycle.

L'École de journalisme à l'Université de Regina forme en moyenne 23 étudiants diplômés par année. Un sondage effectué en 2002 auprès des anciens élève montre qu'environ 65 p. 100 des diplômés travaillent encore dans le domaine du journalisme. De ceux qui sont dans le domaine de la radio et de la télévision, la plupart ont trouvé un emploi à CBC et certains ont même déjà atteint des postes élevés. Ceux qui travaillent dans l'imprimé ont des emplois dans les quotidiens et les hebdomadaires un peu partout au Canada et dans les journaux communautaires. Par ailleurs, les diplômés cherchent de plus en plus des occasions de voyager, surtout dans les pays en développement, et de travailler de manière indépendante dans les médias électroniques et imprimés; chaque année, les progrès de la technologie rendent cela de plus en plus faisable.

Les diplômés en journalisme de l'Université de Regina sont disposés à travailler dans l'imprimé, à la radio et à la télévision. Ils sont tous prêts à travailler dans l'un ou l'autre de ces médias; cependant, peu d'entre eux envisagent favorablement un avenir où l'on attendrait d'eux qu'ils livrent le même reportage le même jour pour la même compagnie qui possède à la fois les médias électroniques et les journaux dans la même ville. Ce n'est pas qu'ils ne sauraient pas l'écrire ou l'enregistrer en vidéo ou en audio; cela, ils seraient capables de le faire. C'est seulement que la plupart d'entre eux conviendraient qu'il faut du temps et des ressources et de la réflexion pour faire des recherches et fouiller chaque histoire.

Les jeunes gens n'examinent pas la liste actuelle des 100 journaux quotidiens de notre pays en déplorant le fait qu'ils sont de plus en plus nombreux à être regroupés dans des grandes entreprises et qu'il y en a de moins en moins qui sont fièrement indépendants. L'argument qu'il en coûte beaucoup d'argent pour diriger une entreprise ne leur échappe pas et ils n'ont pas l'expérience d'avoir été témoins de la grande diversité de voix indépendantes dont beaucoup d'entre nous autour de la table pouvons nous rappeler.

Ils comprennent que le journalisme a la responsabilité de fournir aux citoyens l'information dont ils ont besoin dans une société libre. Ils comprennent également que la démocratie commence dans la communauté et que ce sont les histoires de la communauté que les lecteurs, les auditeurs et les spectateurs doivent suivre pour que cette communauté soit florissante.

Les journalistes qui peuvent raconter ces histoires avec exactitude, sensibilité et méticulosité et qui peuvent les défendre avec clarté et de façon raisonnée au besoin, sont les journalistes qui seront capables de couvrir les histoires les plus importantes n'importe où. Une fois qu'ils ont prouvé qu'ils sont capables de le faire, il devient en fait plus facile de faire des reportages à partir d'endroits éloignés. C'est pourquoi notre école a lancé des initiatives qui renforcent les liens communautaires et inculquent aux étudiants des expériences qui mettent l'accent sur les éléments les plus fondamentaux des liens à établir avec leur audience. Cela comprend la possibilité d'écrire pour des hebdos de Saskatchewan dans le cadre d'un cours donnant des crédits et de participer à de mini-stages dans des stations de radio et de télévision communautaires dans le cadre d'un autre cours.

Une autre initiative a consisté à établir de concert avec le président de l'Assemblée législative de Saskatchewan un institut annuel des journalistes pour donner à nos étudiants un aperçu de la couverture des dossiers politiques provinciaux. Malheureusement, la plupart de nos étudiants s'y trouvent aujourd'hui même; c'était prévu l'automne dernier et nous n'avons pu changer la date; autrement, beaucoup d'entre eux seraient ici. Certains viendront cet après- midi.

Au moment où le nombre de journalistes de la presse parlementaire et législative diminue, cette activité à l'Assemblée législative peut susciter chez des journalistes débutants un intérêt qui ne serait peut-être pas favorisé autrement dans les salles de rédaction qui les accueilleront.

Il est très inhabituel que des journalistes arrivent en grand nombre dans un village, à moins que ce ne soit pour couvrir une tragédie. Au cours des deux dernières années, nous avons amené une classe entière dans des déplacements sur le terrain pour trouver de grandes histoires dans de petites villes, exercice qui a permis aux étudiants de connaître les localités de Saskatchewan et aux collectivités de la province de connaître nos étudiants. Il en est résulté des journaux écrits et produits par des étudiants en journalisme de manière à refléter le visage de ces collectivités.

La diversité des gens et des sujets a été fascinante, depuis les fermiers Huttérites jusqu'aux éleveurs touchés par la crise de l'ESB, en passant par une maire octogénaire pleine d'énergie qui a dirigé le renouveau de sa petite ville à la suite d'une inondation catastrophique, à une religieuse catholique romaine qui a tiré parti d'un magasin d'articles usagés pour rassembler Autochtones et non-Autochtones dans un petit hameau où les visiteurs sont accueillis en entrant dans le village par un panneau disant « Bienvenue au paradis ».

Les étudiants qui savent qu'il faut un petit peu de temps et de patience pour trouver de telles histoires ne se contenteront pas de récrire des communiqués et d'assister assidûment à des conférences de presse. Ils navigueront sur l'Internet pour trouver des points de vue plus riches et plus variés sur les questions d'actualité et ils feront des recherches pour trouver à pratiquer le journalisme là où ils estimeront pouvoir vraiment faire une différence. Parce qu'ils sont bien formés et idéalistes, beaucoup d'entre eux vont justement faire une différence. Ils représentent vraiment notre espoir d'un journalisme plus solide et plus représentatif dans notre pays.

Je suis prête à répondre aux questions et je voudrais vous parler de notre conférence annuelle Minifie, qui nous aide chaque année à prendre le pouls de la santé du journalisme au Canada par l'intermédiaire de conférenciers qui sont d'éminents journalistes venus des quatre coins du pays.

Nous avons eu la grande chance d'obtenir un legs de Global Television qui nous permet d'avoir chaque année un professeur qui met l'accent sur les questions autochtones et sur les reportages sur ces questions qui revêtent vraiment beaucoup d'importance dans l'ouest du Canada. De plus, nous avons récemment reçu de l'argent de CTV qui a été consacré à des bourses de début d'études, des bourses de journalisme d'enquête et des bourses qui permettent de voyager partout dans la province pour mener à bien des projets auxquels les étudiants travaillent dans le cadre de leurs cours.

J'ignore à quelle heure vous partirez aujourd'hui, mais je vous invite très chaleureusement à venir visiter le campus de notre école, si vous en avez le temps.

Le sénateur Fraser : Deux questions, madame Bell, si vous voulez bien. Premièrement, pourquoi est-il plus facile de faire des reportages quand on est éloigné? J'ai trouvé cette phrase intrigante.

Mme Bell : Parce qu'on travaille alors à un dossier que la plupart des lecteurs connaissent mal et on est donc l'expert. Quand on travaille chez soi à un dossier local, dont bien des gens parlent déjà, auquel ils s'intéressent et au sujet duquel ils ont de l'expérience, ils deviennent partie intégrante du dossier et ils savent très bien dans quelle mesure votre reportage est juste et complet.

Le sénateur Fraser : Oui. Si vous nommez la mauvaise intersection, vous avez 50 appels téléphoniques avant même que l'encre ne soit sèche. J'ignorais si vous parliez de cela ou bien de la structure oppressante des salles de rédaction dont tous les journalistes veulent s'échapper.

Le vice-président : Est-ce pourquoi tellement de journalistes veulent venir à Ottawa?

Mme Bell : Je ne pense pas qu'ils le veuillent, en fait.

Le sénateur Fraser : Cela m'amène tout naturellement à poser ma deuxième question. J'ai trouvé intéressant votre programme consistant à amener des étudiants dans de petites localités. Nous avons entendu hier une très intéressante présentation de la part de représentants des hebdomadaires communautaires de l'Alberta. Ils nous ont notamment parlé de la difficulté de garder les journalistes dans une petite localité. Ils veulent tous, ou du moins la plupart, s'en aller dans la grande ville. À votre avis, est-ce le cas de vos étudiants, et ce programme a-t-il été conçu pour faire comprendre aux étudiants qu'il y a peut-être du travail à faire dans les petites villes?

Mme Bell : Je pense que c'était probablement vrai auparavant. C'est ma sixième année à Regina. Quand je suis arrivée ici, Roy Bonisteel était le directeur de l'école. Il avait communiqué avec l'Association des journaux hebdomadaires de Saskatchewan et il m'a demandé si nous pouvions commencer à écrire pour les hebdos dans la classe avancée du secteur de l'imprimé. Nous avons lancé ce programme en janvier 2000 et nous le faisons maintenant depuis cinq ans.

J'ai constaté qu'au cours des cinq dernières années, grâce aux contacts que les étudiants ont établis, ils sont beaucoup intéressés à travailler dans les hebdos à la fin de leurs études. Nous avons réussi également à obtenir des stages dans des hebdos. Des étudiants sont allés à La Ronge. L'année dernière, à cette époque-ci, un étudiant était à La Ronge en plein hiver et il faisait très froid. Un autre étudiant était à Moosomin. Après avoir obtenu leur diplôme, des étudiants sont allés à Portage-la-Prairie (Manitoba) et à Nipawin et Humboldt.

Je pense qu'il y a parmi nos étudiants un intérêt croissant pour ce qui est d'acquérir de l'expérience dans une petite ville. J'ai entendu des rédacteurs en chef dire que les étudiants diplômés de l'Université de Regina ont de plus grandes chances de rester que les étudiants qui viennent de la province de l'Ontario ou d'ailleurs dans l'est.

Beaucoup de jeunes gens quittent la Saskatchewan parce qu'ils cherchent un emploi. Je me rappelle la première fois que je suis arrivée ici, j'ai rencontré une femme qui m'a dit : « Comme la plupart des mères à Regina, j'ai un enfant qui travaille à Calgary ». Beaucoup de jeunes partent en effet, mais il y en a un très grand nombre qui ne le veulent pas. S'ils ont l'occasion de rester et de travailler ici, ils vont le faire.

L'un de nos étudiants, tout de suite après ses études, est devenu directeur-rédacteur en chef d'un nouveau journal bihebdomadaire de Saskatoon appelé Planet S. En fait, il vient de l'Alberta, mais il est maintenant là-bas depuis trois ans et il assure la survie de ce journal. Nous désirons fortement assurer la vitalité de notre province.

Le sénateur Carney : C'est à peu près la première fois au cours de cette tournée que le sénateur Fraser a l'occasion de poser beaucoup de questions, parce qu'étant une présidente très compétente, elle laisse habituellement la parole aux autres intervenants. Ce doit être satisfaisant pour elle de pouvoir enfin poser des questions.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur vos étudiants, car la formation des journalistes est une question qui est revenue constamment tout au long de nos audiences? Vous dites que vous avez environ 22 étudiants. Est-ce un programme de baccalauréat? Pouvez-vous nous dire quels sont les prérequis, qui sont les étudiants et quelle est la proportion hommes-femmes? Avez-vous des Autochtones ou des Sino-Canadiens? D'où viennent-ils? Quelle est la proportion du programme consacré aux travaux pratiques et aux cours?

Mme Bell : Je suis très heureuse de répondre à cette question. Nous avons un programme de baccalauréat ès arts en journalisme d'une durée de quatre ans. Les étudiants suivent d'abord deux années de cours de préjournalisme en arts libéraux, après quoi ils viennent à l'école où ils ne font que du journalisme pendant deux ans. Environ le tiers des étudiants nous arrivent armés d'un autre diplôme, mais ils suivent les mêmes deux années préalables que les autres. Nous avons des étudiants qui ont déjà un diplôme en sciences politiques ou en anglais ou en sciences ou en musique et ils enrichissent le corps estudiantin. Nous acceptons 26 étudiants par année et nous avons donc au total 52 étudiants à l'école en tout temps. De plus, pendant un semestre quelconque, le quart des étudiants, c'est-à-dire la moitié d'une classe, sont en stage ailleurs.

Vingt-six étudiants arrivent en septembre et suivent leur premier semestre ensemble. En janvier, la moitié d'entre eux partent en stage, que ce soit en radio, en télévision ou dans l'imprimé.

Le sénateur Carney : Rémunérés?

Mme Bell : Les stages sont rémunérés aux stations de télévision et de radio de CBC à Regina, Calgary, Edmonton et Winnipeg ou à CTV à Regina, Global à Edmonton, au Leader-Post, au StarPhoenix de Saskatoon ou bien au Western Producer. Cette année, pour la première fois, un étudiant fait un double stage, c'est-à-dire qu'il travaille à mi-temps chez Global Television et à mi-temps au Leader-Post, ce qui lui donne l'occasion de travailler à la fois dans l'électronique et l'imprimé. On verra ce que ça donne.

La moitié des étudiants restent à l'école en janvier, de sorte que nous avons alors 13 élèves dans cette classe. Cela leur donne l'occasion de faire beaucoup de travail en groupes restreints et de travailler en étroite collaboration avec leurs professeurs, ce qui fonctionne très bien. Ils partent faire leur stage de septembre à décembre et l'autre moitié revient. Ensuite, en janvier, ils sont tous de retour pour leur dernier semestre et obtiennent leur diplôme en avril de leur deuxième année.

Le sénateur Carney : Parlez-nous de la répartition entre les sexes et de la composition ethnique et dites-nous combien viennent de l'extérieur de la province.

Mme Bell : Cette année et l'année dernière, la proportion hommes-femmes était presque exactement moitié-moitié, ce qui est inhabituel. Certaines années, nous avons déjà eu 22 femmes et quatre hommes. On dirait que les jeunes hommes sont plus nombreux à revenir au journalisme, du moins dans notre école. Nous avons des étudiants du Japon et de la Finlande. Cette année, nous avons notre premier étudiant de Chine. Son anglais est excellent et sa curiosité est extraordinaire. Sa mère est journaliste à Pékin. Nous avons aussi un étudiant du Soudan cette année.

Nous n'avons pas autant de représentants des Premières nations que nous le voudrions. Nous n'en avons qu'un seul actuellement. Nous en avons trois qui veulent s'inscrire en septembre. Notre chargé de cours de la chaire Global cette année est Nelson Bird, qui a obtenu son diplôme de l'école de journalisme il y a environ huit ans, et il est de retour pour enseigner le journalisme spécialisé en questions autochtones. Il donne son cours le vendredi matin dans une salle remplie de 30 étudiants. C'est un cours facultatif et ils veulent tous y aller, ce qui est très très bon.

Nous avons un lien avec la First Nations University of Canada. Durant l'été, leur programme d'études de communications indiennes utilise nos installations et certains de nos professeurs ont également enseigné dans ce programme au fil des années, ce qui aide beaucoup.

Le sénateur Merchant : Combien de candidats avez-vous par rapport à ceux que vous pouvez accepter? Je vais vous poser mes autres questions tout de suite pour ne pas prendre trop de temps. Combien cela coûte-t-il pour les étudiants canadiens et internationaux? Aussi, combien reçoivent leur diplôme, ou bien sont-ils tous diplômés? Y a-t-il des décrocheurs?

Mme Bell : Ce sont de bonnes questions. Nous avons un ratio d'à peu près trois candidats pour chaque place disponible. Nous en prenons habituellement 26, mais il arrive que certains n'obtiennent pas leur financement ou que quelque chose d'autre leur arrive et que nous n'ayons donc pas notre effectif complet de 26. Nous avons le taux de diplômation le plus élevé de tous les départements de la faculté des arts de l'université : 23 sur 26 décrochent leur diplôme, ce qui est un ratio très élevé.

Il en coûte un peu moins de 5 000 $ par année pour les étudiants canadiens, et le double pour les étudiants internationaux.

Le sénateur Merchant : Est-ce à peu près le même coût que dans d'autres collèges à l'extérieur de la province?

Mme Bell : Je crois qu'en Ontario, c'est très semblable. En Nouvelle-Écosse, c'est beaucoup plus cher. Je pense que c'est le double.

Le sénateur Trenholme Counsell : Professeur Bell, c'est merveilleux de vous avoir parmi nous et d'apprendre à votre contact ce matin.

Deux choses en particulier me sont venues à l'esprit en écoutant votre présentation. Je veux vous interroger sur les journaux communautaires, les hebdomadaires et les bihebdomadaires. Deuxièmement, je veux aborder avec vous la question des reportages sur les affaires familiales et sur le domaine de la santé. Cela m'intéresse beaucoup. Je vais essayer de me procurer un exemplaire de votre livre pour le lire. Je me suis occupée de questions familiales pendant longtemps dans ma carrière précédente.

Premièrement, après les audiences d'hier, j'étais inquiète au sujet de l'avenir des journaux hebdomadaires, je me disais qu'ils deviendraient des journaux distribués gratuitement, mettant l'accent beaucoup plus sur la publicité que les hebdos traditionnels et beaucoup moins sur le contenu rédactionnel et communautaire, c'est-à-dire la couverture journalistique du conseil municipal, et cetera. Je veux votre opinion là-dessus.

Si vous le permettez, je vais poser ma deuxième question tout de suite. Deuxièmement, une personne plus à l'ouest nous a dit que la qualité du journalisme n'était pas bonne dans le domaine de la médecine et de la santé. Je suis médecin de famille et je trouve que c'est très bon au contraire. Ce matin, par exemple, dans notre journal national, il y a des articles sur l'obésité. Hier, c'était sur les jeunes et le végétarisme. Ce n'est pas parfait, mais je trouve que c'est très bon. Quelle est votre opinion sur la couverture des affaires familiales dans votre propre province et, à l'échelle nationale, dans le domaine de la santé, des enfants et des parents, et cetera?

Mme Bell : Je vais répondre d'abord à la première question sur les hebdos. Il y a 84 hebdomadaires en Saskatchewan. Beaucoup sont excellents et ils sont férocement indépendants depuis des années. Cependant, ces dernières années, on constate que bon nombre sont rachetés par des groupes. Jusqu'à maintenant, cela ne semble pas avoir nui au contenu.

La différence se situe dans les localités où un deuxième hebdo est arrivé; le deuxième est essentiellement un véhicule publicitaire distribué gratuitement. Il peut avoir un journaliste, mais on y trouve surtout de la publicité et des listes d'événements. Il rivalise pour le budget des annonceurs de la localité et cela nuit au journal communautaire établi de longue date, parce que ces petites entreprises ont besoin de la publicité pour faire de l'argent.

Un autre aspect du rachat de ces hebdos par des grands groupes qui est bien triste, c'est que cela commence à saper l'individualité de ces journaux.

Je pense que c'était en 2001 que l'Association canadienne des journaux communautaires a tenu son assemblée annuelle à Saskatoon. Je n'étais jamais allée à une telle conférence de ma vie. Il y avait là des grands-parents, des parents, des adolescents et de petits enfants qui remplissaient à capacité l'Hôtel Bessborough. C'était des familles venues des quatre coins du pays. Les grands-parents étaient éditeurs et rédacteurs en chef de ces journaux; c'était des gens extrêmement occupés et ils avaient amené leurs enfants à ces assemblées depuis des années et des années. Aujourd'hui, les enfants ont grandi et poursuivent la tradition en amenant à leur tour leurs propres enfants qui, espérons-le, deviendront la prochaine génération de propriétaires de ces journaux familiaux.

C'était extraordinaire à voir parce que ce qu'ils faisaient, ce qu'ils font toujours, c'est de choisir une ville différente du Canada chaque année pour tenir cette conférence en été. Ils font coïncider ça avec leurs vacances et en profitent pour visiter le pays. Quand on travaille seul dans une petite entreprise d'une petite ville de Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick ou du nord de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique, c'est une tâche de grande responsabilité et cela peut devenir solitaire, mais chaque année, ils réactivent ce sentiment d'appartenance à une grande organisation.

Robert Fulford et Pam Wallin avaient pris la parole et il se passait plein de choses intéressantes. Il y avait des sessions où l'on expliquait comment augmenter le nombre des annonceurs, comment organiser des concours pour faire participer les petits commerçants de la ville. On s'interrogeait sur l'opportunité d'avoir une liste d'abonnés et un service de la diffusion, ou plutôt de distribuer le journal gratuitement, ce qui évite de consacrer trop d'argent à la diffusion.

Cependant, la chaîne Bowes et d'autres chaînes qui possèdent ces journaux disent : « Non, ce n'est pas nécessaire d'aller à cette conférence annuelle. Vous pouvez y aller dans deux ou trois ans. Nous allons le faire à tour de rôle et le rédacteur en chef de tel autre journal va y aller cette année ». Ces retrouvailles annuelles seront donc moins fréquentes. On constate déjà une diminution et cela va s'accentuer. Ces occasions annuelles de partager des idées et de côtoyer fièrement d'autres propriétaires de journaux hebdomadaires vont devenir plus rares. Je trouve que c'est triste.

Le sénateur Trenholme Counsell : Craignez-vous que les hebdos tels que nous les connaissons deviennent de moins en moins nombreux?

Mme Bell : Je pense que les hebdos vont se ressembler de plus en plus dans la province et partout au pays. C'est devenu rare qu'un journal quotidien ait son propre critique qui présente les films qui passent en ville. Chaque journal d'un groupe ou d'une chaîne semble compter sur le même critique parce que c'est plus efficient. C'est la même chose pour les hebdos; il y aura de plus en plus d'articles de remplissage qui remplaceront les articles d'intérêt local. Tous les petits hebdos ont un effectif extrêmement réduit et, depuis longtemps, ils s'efforcent avant tout d'être le journal qui consigne ce qui se passe dans la collectivité.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est tellement important.

Mme Bell : Si le journal n'est pas le reflet de sa collectivité, alors que devient-il? Je trouve que c'est une réalité qu'il faut reconnaître et qu'il faut agir.

Pour ce qui est de la couverture des dossiers de la santé et de la famille, encore une fois, les gens se tournent surtout vers les journaux nationaux pour cela. Autrefois, beaucoup de quotidiens au Canada avaient un journaliste spécialisé en santé et des chroniqueurs spécialisés qui traitaient des dossiers intéressant, particulièrement les familles dans la région desservie par le journal. Même si les journaux nationaux et les grandes chaînes font souvent du bon travail, cela ne répond pas nécessairement aux besoins particuliers d'une collectivité. Je pense que les journaux nationaux ont leur place, mais je persiste à croire qu'avec la réduction des effectifs dans les salles de rédaction ces jours-ci, on n'accorde tout simplement pas autant de temps et d'attention à des dossiers comme, par exemple, le taux d'enfants asthmatiques à Regina, pas autant qu'on le devrait et qu'on le faisait avant de réduire de moitié les effectifs des salles de rédaction.

Le sénateur Trenholme Counsell : Diriez-vous que nous avons une couverture raisonnablement bonne dans les journaux nationaux, mais beaucoup moins bonne que dans les quotidiens produits localement?

Mme Bell : Oui, il y a un rétrécissement. Ce qu'il y a, c'est que les lecteurs s'y habituent et ne rendent pas compte de ce qui manque.

Le sénateur Munson : J'ai remarqué que dans votre allocution de ce matin, professeur, vous avez dit que les étudiants discutaient de la propriété des médias dans le sens de la propriété multimédia et de son incidence sur le monde journalistique d'aujourd'hui. Vous avez dit à un moment donné qu'il faut du temps pour faire des recherches et fouiller un dossier en vue d'un reportage. Je voudrais votre avis personnel, et peut-être pourrez-vous nous expliquer le point de vue des étudiants et nous dire ce qu'ils pensent de ce phénomène du propriétaire unique qui possède tout un marché. J'ai remarqué qu'ici, à Regina, c'est CanWest Global qui possède le Leader-Post.

Mme Bell : Oui.

Le sénateur Munson : Ce type de propriété est-il bon pour l'avenir du journalisme?

Mme Bell : La plupart d'entre nous qui enseignons à l'école se rappellent de l'époque où la propriété n'était pas aussi concentrée et je pense que nos étudiants sont fatigués de nous entendre parler de cela. Pour eux, c'est la réalité et c'est le monde du travail dans lequel ils vont entrer. Ils ne sont pas aussi critiques que nous le sommes; ils croient cependant qu'ils pourraient en faire plus s'ils avaient plus de temps.

Quand nous disons qu'il nous fallait deux jours pour fouiller un dossier et écrire un bon papier, les jeunes qui doivent écrire trois articles en un seul jour se demandent vraiment pourquoi ça nous prenait tellement de temps. Ils entrent dans un environnement où les articles sont censés être d'une certaine longueur prédéterminée et où l'on peut rédiger un certain nombre d'articles. Ce qu'ils ont appris et continuent d'apprendre, c'est qu'on peut donner beaucoup de bonne information dans un article bien écrit de dix pouces de long; il n'est pas nécessaire d'y mettre le monde entier. On fait cela non pas en coupant, mais plutôt en choisissant et en créant une bonne histoire.

Nos étudiants ont tous leur individualité et ils ont des approches différentes. Certains aiment bien en fait l'idée de travailler dans une salle de rédaction d'un imprimé et de faire en soirée une brève intervention d'une minute à la télévision pour résumer leur article qui paraîtra le lendemain. Pour eux, cette propriété croisée fonctionne très bien; c'est toutefois une minorité d'étudiants qui le pensent.

Le sénateur Munson : Je m'interroge à ce sujet. Quand on a des liens entre, par exemple, le Globe and Mail et CTV, quel bon journaliste de l'imprimé accepterait de renoncer à la primeur de son article la veille de sa parution, à 18 heures ou 23 heures, en ne se contentant pas de dire à l'auditoire qu'il faudra lire l'article dans le journal le lendemain matin? Il y a là un sentiment de propriété de l'histoire à raconter. J'ignore comment cela peut fonctionner dans la fusion médiatique, pour ainsi dire.

Mme Bell : Habituellement, les journalistes qui traitent de l'actualité répugneraient vraiment à faire une telle chose. Dans le domaine du divertissement et d'autres secteurs, les journalistes n'hésiteraient peut-être pas à le faire parce qu'ils veulent attirer l'attention sur leur article. L'idée de la propriété d'un scoop demeure très forte et les gens ne sont pas à l'aise quand on leur demande de le divulguer.

Le sénateur Munson : J'ai une autre question ou peut-être deux, rapidement. Quelle est votre opinion sur la propriété croisée? Par exemple, à Vancouver, le marché est passablement dominé par un seul groupe. Par ailleurs, j'ai une question sur la propriété étrangère. Vous avez été journaliste pendant longtemps. De votre point de vue, faudrait-il assouplir les règles ou modifier les restrictions en vue de permettre la propriété étrangère?

Mme Bell : Je trouve que cette propriété croisée a diminué la richesse, la variété et la diversité de la couverture journalistique et que nous nous retrouvons avec une trop grande uniformité. Je pense que cela ne sert pas bien les citoyens. Je pense au contraire que ce qui sert bien les gens, c'est d'avoir le sentiment d'obtenir un reportage exclusif que les autres n'ont pas. Je me rappelle de l'époque où le Ottawa Journal a fermé ses portes. Le Ottawa Citizen était le seul journal pendant un certain temps. Il y a eu d'autres tentatives également.

Dans une ville où la télévision et le journal ont des liens entre eux, cela incite fortement à laisser tomber certaines histoires parce que l'on sait que la concurrence ne les obtiendra pas. CBC a perdu beaucoup de force sur le plan régional et local et donne donc beaucoup moins l'exemple. Tout est devenu tellement uniforme et tellement fade et de moindre importance.

Je pense que le journalisme est important et que d'avoir assez de temps pour suivre un dossier et comprendre en profondeur ce qui se passe dans différentes institutions dans une ville, c'est vraiment important. Si l'on se contente d'aller aux conférences de presse convoquées par une organisation, au lieu de fouiller l'histoire soi-même, il y a quelque chose qui manque et cela fera une différence.

Quant à la propriété étrangère, je ne sais pas. Je sais que d'autres intervenants vous ont dit que les propriétaires canadiens n'ont évidemment pas réinvesti leur argent dans leur salle de rédaction, et c'est tout à fait vrai. Cependant, je ne suis pas tout à fait sûre que les propriétaires étrangers investiraient davantage; voilà ce que j'ignore.

Le sénateur Merchant : Premièrement, j'ai une question sur la couverture de nos Premières nations, parce que c'est tellement important pour nous dans cette province. Les dossiers des Premières nations sont très importants et ceux qui veulent faire des reportages là-dessus doivent vraiment bien comprendre les dossiers. Que faites-vous pour attirer des étudiants et les inciter à ne pas décrocher? Qu'avez-vous tenté et qu'est-ce qui fonctionne? Devez-vous consentir un effort spécial, peut-être en ayant des normes différentes pour permettre à des gens de s'inscrire? Comment avez-vous abordé ce problème et votre solution fonctionne-t-elle?

Mme Bell : Votre question porte-t-elle sur les étudiants des Premières nations, ou bien demandez-vous si nos étudiants apprennent à écrire des papiers sur ces dossiers?

Le sénateur Merchant : Non, ma question porte sur les étudiants des Premières nations.

Mme Bell : Nous n'avons pas de critères d'admission différents pour quiconque; nous sommes toutefois très heureux quand nous avons des candidats des Premières nations et nous faisons tout ce que nous pouvons pour les encourager à venir et à rester.

Malheureusement, il n'y a pas encore beaucoup de jeunes des Premières nations qui veulent devenir journalistes. Nous devons vraiment faire plus d'efforts dans ce dossier. Depuis six ans que je suis ici, nous avons eu trois diplômés.

J'aurais dû apporter des exemplaires de notre magazine intitulé The Crow, parce qu'on y trouve un excellent article publié il y a deux ans et rédigé par l'une de nos étudiantes. C'est intitulé Growing up Brown in Saskatchewan. Elle présente de manière très fouillée et très réfléchie ce que c'est de grandir en Saskatchewan en tant que membre d'une Première nation.

Nous avons, je crois, trois candidats ou peut-être quatre pour septembre prochain. J'en suis heureuse parce que je pense que c'est très difficile d'être le seul étudiant de ce groupe. C'est bien d'avoir deux ou trois amis. Je me rappelle avoir enseigné au programme INCA il y a deux ou trois ans, alors qu'il y avait 26 étudiants des Premières nations pour un cours de six semaines. Ils utilisaient notre école, mais presque tous leurs professeurs étaient des gens des Premières nations. Ce qui était merveilleux, c'est que ces 26 personnes s'entraidaient et qu'elles sont toutes restées pendant la totalité des six semaines. Le cours était divisé en trois parties : deux semaines sur l'imprimé, deux semaines sur la radio et deux semaines sur la télévision. Il faut compter sur ce soutien supplémentaire et beaucoup d'étudiants l'obtiennent dans le programme des communications indiennes à la First Nations University et ensuite ils viennent à l'école de journalisme. Ils n'apprennent pas vraiment à devenir journalistes là-bas, mais ils y obtiennent une introduction et les premiers rudiments.

Le sénateur Merchant : Comment prépare-t-on les étudiants à affronter le fait qu'ils vont fouiller des dossiers et rédiger des articles mais que peut-être les gens ne les liront pas? Le lectorat diminue; les gens ne semblent plus aussi intéressés à l'actualité. Comment composent-ils avec cela et comment les préparez-vous à affronter cela?

Mme Bell : C'est une bonne question. Je n'ai pas entendu beaucoup d'étudiants dire : « Eh bien, je ne veux pas écrire parce qu'il n'y a pas tellement de gens qui vont lire ce que j'écris ». Je n'ai entendu personne dire cela. Ils savent qu'ils ont de la concurrence. Chaque article dans un journal fait concurrence à d'autres publiés dans la même page et ailleurs dans le journal ce jour-là et ils doivent donc écrire de manière à intéresser le lecteur, sans sacrifier l'exactitude mais en écrivant ce qui compte.

C'est assez extraordinaire de voir combien de candidats ne lisent pas beaucoup les journaux avant de venir à l'école. Ils deviennent certainement de bons lecteurs de journaux, après quoi ils s'étonnent que leurs amis ne lisent pas le journal, parce qu'ils deviennent eux-mêmes d'avides consommateurs de nouvelles. Peut-être que leur rôle consistera justement en partie à essayer d'en amener d'autres à faire comme eux.

Ils lisent par contre sur l'Internet; c'est de la lecture, mais beaucoup d'étudiants s'informent plutôt en écoutant la radio ou en regardant la télévision, pas en lisant les journaux. Nous savons que le lectorat des journaux diminue. Par contre, les gens reconnaissent encore que c'est dans l'imprimé, dans le journal que l'on peut trouver le contexte, que l'on peut approfondir davantage des histoires que l'on a d'abord entendues à la télévision ou à la radio. C'est la même chose depuis des années et des années et on en a eu une fois de plus la preuve avec l'affaire du tsunami. Les gens se tournent d'abord vers la télévision, mais pour en savoir davantage, ils veulent voir des graphiques et des cartes géographiques et ils trouvent tout cela dans le journal.

Le sénateur Merchant : Êtes-vous au courant de la récente étude de l'Université de la Colombie-Britannique sur le parti pris dans les reportages et le cynisme du grand public envers les journalistes?

Mme Bell : L'enquête de 2004?

Le sénateur Merchant : Oui.

Mme Bell : Oui.

Le sénateur Merchant : Et en avez-vous parlé avec vos étudiants?

Mme Bell : Oui.

Le sénateur Merchant : Qu'en pensent-ils? Que pensent-ils du cynisme croissant du public, du fait que les gens ne croient pas ce qu'ils lisent et qu'ils n'ont pas beaucoup d'estime pour les journalistes? Sont-ils préoccupés par cela?

Mme Bell : Ils le sont. Ils constatent cependant que les Canadiens sont plus nombreux que les Américains à trouver que les journalistes font du travail convenable. Il y a moins de cynisme au Canada à propos des médias, bien qu'il y ait encore place pour beaucoup d'amélioration. Les étudiants sont conscients de cela; ils voient ce qui se passe de nos jours et ne trouvent pas cela merveilleux. Ils veulent faire partie du changement.

Le sénateur Chaput : Votre école a-t-elle une fondation qui peut donner des bourses aux étudiants?

Mme Bell : Nous n'avons pas une fondation en particulier, mais nous avons par contre reçu un legs généreux de la famille de James M. Minifie qui permet de donner un prix en argent au meilleur étudiant diplômé. Cela paie aussi la conférence annuelle Minifie, et aussi une bourse à un étudiant diplômé chaque année pour aller travailler à l'étranger. C'est une bourse de 7 000 $ pour payer les déplacements, et cette année, l'étudiante qui a reçu cette bourse travaille au Mozambique. Elle a un lien avec une station de radio communautaire, Making the Links, de Saskatoon. Elle fait aussi des reportages électroniques pour la CBC parce qu'elle a fait son stage chez CBC.

Nous avons eu la grande chance à l'école d'avoir de très nombreux étudiants récipiendaires d'une bourse.

Le sénateur Chaput : Votre programme d'études doit comprendre un cours sur l'éthique?

Mme Bell : Oui.

Le sénateur Chaput : Comment est-ce défini, quelle est votre opinion sur la question et qu'en pensent vos étudiants?

Mme Bell : Nous avons un cours intitulé « Droits et responsabilités » qui est donné durant le premier semestre, de sorte que la totalité des 26 étudiants ont suivi ce cours avant d'aller en stage. C'est le seul cours pour lequel nous avons un examen, lequel compte pour 50 p. 100 de la note. Tous les autres sont notés d'après les travaux scolaires effectués tout au long du semestre. L'enseignement de ce cours se fait en équipe. Il y a un professeur qui est le coordonnateur, mais nous contribuons tous au cours.

Les étudiants travaillent à des exposés par équipes de trois. Ils examinent de très nombreuses questions, notamment la censure et la confidentialité des sources. Ils sont très conscients de beaucoup de ces questions et ne se contentent pas d'en discuter dans l'abstrait, mais se penchent sur des dossiers particuliers comme Juliet O'Neill et ses reportages sur l'affaire Maher Arar et la perquisition de la GRC chez elle.

Pour ce cours, il y a aussi un manuel assez volumineux intitulé The Canadian Journalist's Legal Guide. Ils apprennent non seulement quelle est la loi mais aussi quelles sont leurs propres responsabilités en matière d'exactitude, d'honnêteté et de sensibilité. Nous discutons de l'utilisation des images et des sensibilités des diverses communautés.

Le vice-président : Quel est le ratio étudiants-enseignants à votre école?

Mme Bell : Notre corps enseignant est très restreint. Nos classes ne comptent jamais plus de 26 étudiants, sauf pour celle de Nelson cette année; c'est une classe de quatrième année, mais certains étudiants de troisième année ont été autorisés à suivre le cours de reportage spécialisé sur les affaires des Premières nations.

Notre classe la plus nombreuse comprend un professeur et 26 étudiants, mais souvent, il n'y a que 13 élèves dans une classe. Nous avons un plafond de 15 étudiants pour les cours de rédaction-magazine, documentaire, radiodiffusion avancée et imprimé avancé, de sorte que durant la dernière année d'étude, le ratio est très bon.

Le vice-président : Vous avez dit tout à l'heure qu'il y a une certaine uniformité et fadeur dans les textes et peut-être même dans la couverture journalistique, même s'il y a ici une station de télévision de plus aujourd'hui que durant la dernière génération. Il y a maintenant Global, CTV et CBC; il reste le Leader-Post qui a toujours été présent, bien qu'il ait eu de nombreux propriétaires différents. Je pense que la situation est la même à Saskatoon. Autrement dit, les médias sont plus nombreux. À votre avis, ce manque de relief est-il le résultat de la propriété croisée?

Mme Bell : Il y a plus de sources d'information, peut-être.

Le vice-président : Oui, plus de stations radio et de tribunes téléphoniques.

Mme Bell : Il n'y a pas plus de journalistes. Les salles de presse comptent moins d'employés chargés d'aller sur le terrain pour chercher les nouvelles et faire des recherches. Il y a plus de médias pour diffuser des nouvelles, mais il n'y a pas plus de journalistes pour faire le travail de reportage.

Le vice-président : Donc, dans les trois stations de télévision et les stations de radio et le journal, il y a en tout moins de journalistes qu'il n'y en avait auparavant, quand il y avait une station de télévision de moins et aussi moins de stations de radio?

Mme Bell : Je le crois.

Le vice-président : C'est intéressant.

Le sénateur Carney : La fiche indique que vous êtes le seul chargé de cours, mais ce n'est pas le cas?

Mme Bell : Non.

Le sénateur Carney : Combien de professeurs ou de chargés de cours avez-vous à l'école?

Mme Bell : Je peux vous dire ce que nous avons sur papier, et puis je peux vous dire ce que nous avons en réalité. Sur papier, nous avons quatre professeurs à plein temps et un technicien de laboratoire à plein temps pour la radiodiffusion. Ce sont des postes menant à la permanence. Nous avons aussi un poste de professeur invité pour un semestre par année et un poste de la chaire Global pour un semestre par année. Certains postes sont actuellement vacants; ils sont comblés par une personne qui est employée pour une durée déterminée et par de nombreux chargés de cours à temps partiel qui ont une expérience et un dévouement extraordinaires, même s'ils ne sont pas professeurs à plein temps à l'heure actuelle.

Le vice-président : Notre témoin suivant est Gillian Steward, qui est professeur invité à l'école de journalisme de l'Université de Regina. Elle est journaliste et a travaillé au Calgary Herald et beaucoup d'autres journaux dans l'ouest du Canada et est également journaliste pigiste pour un certain nombre de journaux au Canada et aux États-Unis.

Je vous souhaite la bienvenue, madame Steward.

Mme Gillian Steward, professeure invitée, École de journalisme, Université de Regina, à titre personnel : Tout le plaisir est pour moi.

Premièrement, je voudrais remercier les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole et d'avoir créé cette tribune publique. Ces dernières années, c'est devenu de plus en plus difficile de trouver des tribunes où l'on peut parler ou écrire librement sur ce qui se passe dans les diverses entreprises médiatiques de notre pays. Chacun a ses propres intérêts à protéger et, en conséquence, on assiste à l'étouffement du débat libre sur l'état des médias, la pratique du journalisme et les liens entre ces deux questions et la démocratie dans nos collectivités locales et nationales.

Ce sera donc le principal thème de mon intervention d'aujourd'hui : le journalisme et la société, en particulier la société civile. Je pense que beaucoup de gens qui s'inquiètent de l'état des médias d'information en parlent en termes de concentration, de corporatisation, de centralisation, de convergence et de censure, mais en réalité, nous discutons de l'avenir du journalisme et de son rôle dans des sociétés démocratiques qui aspirent à être des démocraties libérales où la règle de droit, la liberté d'expression, le pluralisme et l'individualité sont mis en valeur.

Nous traitons d'une menace au journalisme en tant que pilier fondamental du processus démocratique. Les origines du journalisme résident dans la culture civile et le pouvoir des collectivités, grandes et petites, de façonner leur propre destin par la libre discussion, le débat et l'examen objectif des forces qui influent sur leur vie. Dans le tohu-bohu des mass média ces jours-ci, il est facile de l'oublier.

Comme on le sait, le journalisme plus contemporain est depuis longtemps associé aux intérêts financiers des grandes entreprises. Parfois, un journalisme vigoureux fleurit dans le secteur de la grande entreprise; parfois il s'étiole et meurt. Dans ma carrière, j'ai fait l'expérience des deux extrêmes. J'ai conclu qu'à long terme, les priorités établies par les propriétaires ou les gestionnaires comptent énormément. Si les propriétaires décident de fournir des ressources financières suffisantes à leur salle de nouvelles, il y a de fortes chances qu'un journalisme vigoureux apparaisse. S'ils encouragent également la liberté intellectuelle pour que les journalistes puissent refléter leur collectivité sans fard et telle qu'ils la voient, il y a encore de plus grandes chances que cela se produise.

Je vous relate simplement mon expérience personnelle. J'ai aussi parlé à d'autres journalistes, gestionnaires, rédacteurs en chef et dirigeants des médias. J'ai lu de très bons livres canadiens sur la question, mais dans l'ensemble, mes conclusions se fondent sur mon expérience personnelle et une preuve anecdotique. Ce n'est pas inhabituel, car au Canada nous avons très peu de documents solides sur lesquels nous fonder pour évaluer les grandes entreprises journalistiques ou l'influence que peuvent avoir les efforts journalistiques à la base, qu'il s'agisse des hebdomadaires ou des cybercarnets, ce qu'on appelle les blogues. C'est seulement quand on monte une enquête comme la vôtre que les ressources deviennent disponibles pour fouiller un peu la question comme il se doit.

Je peux vous en donner un très bon exemple. Il y a deux ans, l'Association canadienne des journalistes a demandé à moi-même et à deux autres professeurs de journalisme de faire une enquête dans les salles de presse d'un bout à l'autre du Canada pour voir comment les journalistes étaient touchés par la convergence. Est-ce qu'on demande aux journalistes de l'imprimé de manier des caméras vidéo? Leur demande-t-on de partager leurs reportages? Enfin, ce genre de questions. Ou bien des reportages sont-ils censurés, car il y a quelques années, on a beaucoup parlé de la censure.

Nous avons donc fait une enquête assez limitée et de manière anonyme; nous avons toutefois reçu entre 75 et 100 réponses. Nous avons obtenu des renseignements très intéressants et des données, mais l'échantillon n'était évidemment pas assez étoffé pour répondre vraiment à nos questions. Nous n'avons pas pu pousser plus loin notre enquête ou notre échantillonnage faute d'avoir pu trouver l'argent nécessaire. Le projet a simplement dû être arrêté.

Nous avons pourtant fait plusieurs démarches pour essayer de trouver des fonds. Nous ne demandions pas des sommes énormes. Mais il a fallu tout arrêter. Par conséquent, nous n'avons jamais pu terminer notre enquête et je suis frappée par le fait que dans beaucoup de questions dont nous discutons, nous n'avons la plupart du temps que des données non scientifiques sur ce qui se passe vraiment, ce que je trouve vraiment frustrant.

Je vais maintenant vous faire une suggestion que vous avez probablement déjà entendue. Je préconise vraiment un institut indépendant ou un groupe de réflexion quelconque qui disposerait des ressources voulues pour effectuer les recherches de ce genre. Ce serait très utile pour établir des normes et des objectifs qui renforceraient la pratique du journalisme dans les collectivités d'un bout à l'autre du pays.

Dans tout le discours sur les médias et les médias d'information, c'est tellement facile de confondre médias et journalisme. Bien des gens en parlent maintenant comme si c'était la même chose. Les gens utilisent le mot médias quand ils parlent en réalité des journalistes; et ils disent journalisme quand ils veulent en fait parler des médias. Je pense que tout le dossier est devenu complètement embrouillé, au point où bien des gens parlent avec mépris du journalisme et des journalistes parce qu'ils ont en tête la surcharge d'information dont ils sont constamment bombardés par les divers médias.

Des recherches ont été faites sur les entreprises journalistiques et l'influence du journalisme sur la société civile et sur l'interaction entre la société civile et le journalisme; cependant, une grande partie de la recherche dans notre pays est le fait des grandes entreprises. Cela prend la forme d'études de marché; celles-ci fournissent certainement des renseignements utiles, mais en général, ces enquêtes sont effectuées par des entreprises de sondage qui abordent les gens comme des consommateurs, comme des gens qui achètent des produits et doivent donc être satisfaits de la valeur de leur achat. Les sondeurs abordent rarement les gens comme des citoyens qui se demandent de quelle manière les médias et les journalistes pourraient les aider à participer plus pleinement à l'orientation de la société.

Un centre de recherche qui se pencherait sur la pratique du journalisme et son rôle important dans la création et le maintien des sociétés démocratiques serait utile pour beaucoup de gens et d'organisations. Les journalistes pourraient se tourner vers ce centre pour leur perfectionnement professionnel. Les rédacteurs en chef et les producteurs pourraient évaluer de nouvelles idées et tendances. Citoyens et journalistes pourraient discuter de la manière dont ils pourraient travailler ensemble dans des dossiers importants. De la recherche pourrait se faire pour déterminer si la convergence et beaucoup d'autres phénomènes dont nous discutons ont vraiment une incidence négative sur le fonctionnement des salles de rédaction.

Je vois un tel centre comme un endroit où l'on accorderait la priorité au journalisme par rapport au médium qui véhicule ce journalisme. J'imagine un centre où des aspirants journalistes et des journalistes expérimentés des pays en développement pourraient apprendre et faire part de leurs propres idées sur ce qui fonctionne bien pour eux. Le Canada est reconnu dans le monde entier comme un pays où la pluralité et l'individualité s'épanouissent. Tirons-en le plus grand parti.

J'imagine un centre qui pourrait travailler de concert avec des organisations comme la Fédération internationale des journalistes, Journalists for Free Expression et l'Association canadienne des journalistes. Bien sûr, le financement serait de la plus haute importance parce qu'une telle institution ne saurait exister sans de solides assises financières.

Je pense que si elle veut être prise au sérieux par tous ceux qui ont à coeur la santé du journalisme, son financement doit venir du gouvernement, du secteur privé, des organisations professionnelles, des organisations sectorielles, des fondations caritatives et des particuliers. Il faut que le financement soit sans lien intéressé pour assurer l'indépendance de l'organisation.

Le gouvernement fédéral a accru récemment le financement d'une foule de recherches universitaires et cela fait une énorme différence dans de très nombreux secteurs. Un processus semblable pourrait être utilisé pour financer un institut de ce genre. Il existe déjà des exemples de consortiums de recherche dont nous pourrions nous inspirer. Le Projet pour l'excellence en journalisme aux États-Unis en est un exemple, de même que le Conseil international des droits de la personne qui a publié récemment un rapport détaillé intitulé « Journalism, Media and the Challenges of Human Rights Reporting ». C'est un rapport fabuleux et je voudrais qu'il serve de manuel pour un cours car il est tellement riche d'informations et de données fiables sur ce qui se passe vraiment.

Je ne propose pas que le gouvernement prenne l'initiative d'organiser un tel institut. Je pense que ce serait contre- indiqué, mais il est certain que votre comité pourrait contribuer à mettre la table et à rassembler les divers intervenants qui pourraient rendre possible la création d'un tel institut ou groupe de réflexion.

Le sénateur Fraser : Pour la transparence, je précise que je connais Mme Steward depuis 20 ans et que j'ai travaillé avec elle à l'occasion, quoique pas récemment.

Est-il réaliste de penser que le secteur privé puisse être intéressé à consacrer des sommes importantes à la création d'un institut comme celui que vous décrivez et qui serait essentiellement un outil d'enquête sur les pratiques de ceux-là mêmes qui fourniraient l'argent?

Mme Steward : Si l'initiative venait d'autres groupes et organisations, je pense que le secteur privé, en particulier les gens qui embauchent les journalistes, auraient l'air fou s'ils refusaient de suivre. À mes yeux, c'est justement l'un des points forts d'un tel institut; il introduit une certaine transparence et permet de savoir ce qui se passe vraiment.

Le sénateur Fraser : Et dans votre esprit, faudrait-il qu'il soit installé dans un endroit précis, logé dans des locaux quelque part, ou bien s'agirait-il d'un réseau de centres d'excellence ou quelque chose du genre?

Mme Steward : Je l'imaginais installé quelque part, mais ce n'est pas vraiment nécessaire. Il est certain qu'il doit avoir un point d'ancrage, il faut que ce soit organisé et non pas simplement une conjonction d'éléments disparates.

Le sénateur Fraser : Changement de sujet, vous avez évoqué avec le dédain digne d'un universitaire les données non scientifiques, mais vous êtes une éminente journaliste possédant une vaste expérience et vous savez donc que l'information anecdotique peut être très utile.

Mme Steward : Oui, bien sûr.

Le sénateur Fraser : D'après votre expérience, qui est vaste et à un niveau élevé, qu'est-il arrivé à la manière dont on pratique le journalisme au Canada depuis 10 ou 15 ans. Je choisis cette période parce que, du point de vue des structures, il y a eu des bouleversements incessants, des changements de propriétaires, changements technologiques, de nombreux changements. Quel en a été l'effet sur le journalisme tel qu'il est pratiqué au service du public?

Mme Steward : Cela se remarque probablement beaucoup moins dans une ville comme Toronto ou même Montréal ou Ottawa, où il y a une densité beaucoup plus grande de sources d'information, de journalistes et de couverture journalistique. Dès que l'on sort de Montréal, Ottawa et Toronto, ce qui s'est passé depuis je dirais 10 ou 15 ans, c'est un véritable laminage du journalisme dans les localités du Canada. J'habite à Calgary et je viens ici pour enseigner pendant le semestre hivernal.

Ce que j'ai le plus remarqué, c'est la perte d'expertise dans nos salles de rédaction. Il est certain que quand j'ai débuté dans le journalisme et par après, quand j'ai gravi les échelons jusqu'à des postes de cadre, les salles de rédaction, en particulier dans les journaux mais pas exclusivement, comptaient parmi leur effectif des gens qui étaient des experts dans leur domaine. Le journaliste chargé de l'éducation en savait autant que les membres de la commission scolaire et de l'administration. Les journalistes affectés à l'hôtel de ville connaissaient les affaires municipales par coeur. Ils étaient considérés les experts locaux sur la question. Je pense qu'à bien des égards, nous avons maintenant perdu cela. Il est certain que je n'en vois aucune trace dans les médias de Calgary. Je vois des journalistes qui courent constamment d'une affectation à l'autre. On ne leur donne pas le temps et ils ne touchent pas un salaire qui les encouragerait à devenir experts dans un certain domaine. C'est alors tellement plus facile pour les autorités en place de présenter les choses sous un jour favorable, parce que les journalistes n'ont pas l'expertise voulue, ni le bagage ni le temps nécessaire pour voir au travers le vernis dont on pare l'information.

Le sénateur Fraser : Tout cela résulte-t-il des compressions, de la réduction des effectifs, ou bien est-ce une approche directoriale différente, c'est-à-dire qu'on ne veut plus de spécialistes?

Mme Steward : Je pense que c'est les deux; Les compressions d'effectifs y contribuent, et aussi je crois l'approche directoriale. Tout cela se résume à la volonté de ne pas trop dépenser d'argent pour la salle de rédaction; or des journalistes jeunes et inexpérimentés coûtent moins cher que des journalistes chevronnés. Beaucoup de journalistes éminents et expérimentés ont été mis à pied ces dernières années et remplacés par de très jeunes journalistes qui sont très brillants et très ambitieux. Je ne dis pas que c'est de leur faute, mais dans l'ensemble, on ne donne pas à ces jeunes le temps et les ressources voulus pour bien faire leur travail. En même temps, ils n'ont pas de collègues expérimentés dans la salle de rédaction vers lesquels ils pourraient se tourner.

Je me rappelle que quand j'étais jeune journaliste, il y avait des journalistes et rédacteurs chevronnés qui pouvaient nous encadrer et c'était très important pour moi. C'est loin d'être aussi fréquent.

Le sénateur Fraser : J'ai une dernière question. On entend souvent dire que les journalistes doivent effectuer des tâches multiples dans plusieurs médias. Ils font un reportage pour le journal et, comme le sénateur Munson l'a dit, en font ensuite un résumé pour le bulletin télévisé et peut-être aussi à la radio, et probablement qu'ils en affichent aussi des miettes sur le site Web, pendant qu'ils y sont, du moins en théorie. Comment cela influe-t-il sur la qualité du travail?

Mme Steward : Je ne pourrais même pas compter le nombre de journalistes de la vidéo à CBC ou CTV qui se promènent avec la caméra et qui doivent filmer, faire les interviews, revenir ensuite faire le montage. Essentiellement, ils n'ont pas le temps de faire les recherches voulues avant d'aller filmer. Ils sont occupés à manier la caméra tout en faisant les interviews et leur reportage n'est donc pas aussi approfondi qu'ils le voudraient. C'est une autre manière de perdre l'expertise.

Le sénateur Fraser : Perte de profondeur, perte de contexte.

Mme Steward : On leur demande de faire trop de choses à la fois. Interviewer quelqu'un est vraiment important et si l'on ne peut pas vraiment se concentrer sur le sujet, y réfléchir et s'y préparer, on ne posera peut-être pas les bonnes questions, celles qu'il faut poser.

Le sénateur Carney : Durant notre tournée dans l'Ouest, nous n'avons eu que peu d'occasions de nous entretenir avec de vrais journalistes, parce qu'ils ne se sont pas présentés, comme vous le comprendrez, sauf à Vancouver.

Mme Steward : J'en connais qui voulaient venir et qui se sont fait dire qu'il n'en était pas question.

Le sénateur Carney : Par qui?

Mme Steward : Par leurs patrons.

Le sénateur Carney : Vous voulez dire le directeur du journal ou de la station de télévision ou du poste de radio? Pouvez-vous identifier le médium?

Mme Steward : Non. Je ne pense pas que je devrais le faire. Oui, je peux identifier le médium : la télévision.

Le sénateur Carney : La télévision. On leur a dit de ne pas venir. Est-ce qu'un propriétaire dans un contexte de convergence était en cause?

Mme Steward : Oui.

Le sénateur Carney : Je pense que nous pouvons tirer nos propres conclusions. Je vous en remercie. Nous nous sommes parfois demandés pourquoi il n'y avait pas plus de journalistes qui se présentaient; ceux qui l'ont fait étaient soit des chroniqueurs spécialisés, soit des journalistes à la retraite ou quelqu'un de votre stature. C'est intéressant, nous devons savoir que des gens qui voulaient participer se sont fait dire de ne pas le faire.

En résumé, ce que nous ont dit des journalistes au sujet du journalisme pendant notre tournée, c'est qu'il y a une plus grande diversité de sources. Nous examinons la question de la diversité : les Canadiens ont-ils une variété de nouvelles sources diverses? On nous a dit qu'il y a une plus grande diversité de sources, mais moins de journalistes; que les effectifs sont vieillissants et offrent moins de points de vue régionaux, ce qui veut dire bien sûr moins de possibilités de participation pour les groupes ethniques si les salles de rédaction rétrécissent. On nous a dit aussi que si les journalistes n'aiment pas cette atmosphère, ils se font dire qu'ils peuvent aller voir ailleurs, qu'ils ne sont pas obligés de rester.

Comme les journalistes sont des gens très inventifs, ils se tournent vers la pige; ils se tournent vers l'Internet; ils se tournent vers d'autres secteurs comme les journaux hebdomadaires, ce qui veut dire moins d'argent, des avantages sociaux inférieurs et des revenus plus précaires.

Donc, à votre avis, quelles sont aujourd'hui les possibilités qui s'offrent aux journalistes dans un monde qui rétrécit? Pour tous ces diplômés pleins d'optimisme des écoles de journalisme, tous les jeunes dans la profession, où se situent les possibilités? C'est la première de mes deux questions.

Mme Steward : C'est une question qu'on me pose tout le temps. Quand je dis aux gens que j'enseigne le journalisme, ils me demandent : « Que diable leur dites-vous donc? Pourquoi voudraient-ils se lancer dans une carrière pareille? » Je constate chez beaucoup de mes étudiants qu'ils ne sont pas aussi attachés à ce qu'on pourrait appeler les médias grand public que l'étaient les étudiants d'il y a 10 ou 15 ans. Ils reviennent souvent de leur stage très désillusionnés. Ils ne trouvent pas ce débouché très attrayant; certains veulent y faire carrière.

Beaucoup d'entre eux se tournent vers les débouchés internationaux; ils veulent travailler avec des ONG à l'étranger dans un domaine apparenté au journalisme, dans les droits de la personne ou la société civile. Comme Pat l'a dit tout à l'heure, ce qu'on dit aux jeunes journalistes, c'est qu'on leur présente le paysage journalistique tel qu'il est et tel qu'ils devront y vivre. Comme vous le dites, ce paysage est très diversifié à certains égards, mais aussi très contraignant.

Je pense que pour les journalistes qui veulent vraiment faire du travail d'enquête approfondie, il y a de moins en moins de possibilités. À l'extérieur du circuit de Toronto et Montréal, on ne peut pas travailler dans des publications qui investissent des ressources dans le journalisme d'enquête.

Comme vous l'avez dit, un journaliste peut quitter la salle de rédaction et se mettre à son compte, mais il faut des ressources pour faire du bon travail d'enquête. C'est très difficile de le faire de manière indépendante et en conséquence, cela ne se fait pas souvent.

Le sénateur Carney : Cela ne se fait pas, en effet. Bien sûr, les consommateurs, les lecteurs souffrent du manque d'information qu'ils recevraient autrement. Il y a beaucoup d'excellentes histoires qui ne sont pas racontées aux lecteurs.

Mme Steward : Je peux vous en donner un bon exemple. À Calgary, les élections municipales ont été marquées par un énorme scandale du vote. Je n'entrerai pas dans les détails, mais c'est essentiellement une histoire qui n'attend qu'un bon journaliste qui ferait enquête sur le terrain pour savoir ce qui s'est vraiment passé, qui est derrière tout cela, quels sont les jeux de coulisses et de partis, et cetera. Cela n'a pas été fait. Les gens savent depuis octobre que quelque chose ne va pas.

Le sénateur Carney : Sur ce point, je voudrais dire que les salles de rédaction font de plus en plus de projets conjoints. Je vais vous donner un exemple. Dans la région de Vancouver-Victoria, où il n'y a qu'un seul propriétaire, CanWest, ils ont uni les efforts des salles de rédaction du Victoria Times Colonist et du Vancouver Sun pour faire les grandes enquêtes dans certains dossiers, par exemple les gangs de motards, les Hell's Angels et tout cela.

Ils ont réparti leurs ressources des deux journaux dans deux villes différentes et deux marchés différents avec deux manchettes différentes. Ils réussissent à faire faire du journalisme d'enquête, mais d'une manière qui nous est tout à fait étrangère. Il y a plus d'efforts conjoints entre les journaux de marchés différents, ce qui est intéressant.

Le mot à la mode pour décrire ce fonctionnement multitâches des journalistes qui font à la fois les articles imprimés, les reportages télévisuels et qui manient eux-mêmes la caméra, c'est le mot « réhabilitation », que vous avez sans doute entendu. Autrefois, on appelait cela « récrire » un texte, quand j'ai fait mes débuts au pupitre de réécriture, mais on dit maintenant « réhabilitation ».

L'un des problèmes de tout cela, comme vous dites, c'est que tout est fade. Pat Bell dit qu'on ne peut pas faire du bon travail si l'on réhabilite le même texte pour de nombreux médias différents ayant la même heure de tombée. Le résultat est un reportage fade qui contient moins d'information. Bien sûr, le lectorat des journaux est en baisse et beaucoup de téléspectateurs décrochent et vont voir ailleurs.

À votre avis, qu'arrivera-t-il des lecteurs de journaux? Qu'arrivera-t-il des médias grand public si l'on met davantage l'accent sur les nouvelles sur demande? On consulte l'Internet pour obtenir ces nouvelles sur demande, si l'on veut connaître les résultats sportifs ou les derniers événements dans la guerre du Golfe, mais on n'y trouve pas nécessairement grand-chose d'autre sur ce qui se passe ailleurs.

Qu'arrivera-t-il à votre avis aux médias grand public? Vont-ils décliner et est-ce que l'Internet et les blogues et autres médias novateurs vont les remplacer? D'après votre expérience, que va-t-il se passer?

Mme Steward : Je pense qu'il n'y a aucun doute que tout le secteur est en train de devenir de plus en plus fragmenté. Je ne suis pas certaine d'avoir besoin de vous dire cela, mais auparavant, les gens d'une localité donnée lisaient un journal et regardaient un poste de télévision et avaient une bonne idée générale, alors qu'aujourd'hui, les gens obtiennent leur information d'une foule d'endroits. Il n'y a plus la même uniformité dans les sources d'information ou d'analyse.

Je crois que l'Internet est déjà évidemment un outil important et le deviendra encore davantage. Il est certain que les grands journaux comme le Globe and Mail ont d'excellents sites Web et qu'ils utilisent les ressources du journal pour offrir un bon produit sur l'Internet. Je n'appellerais pas cela un produit superficiel. Je pense que nous nous tournerons de plus en plus vers cette source. Je pense que les jeunes sont beaucoup plus habiles pour ce qui est d'utiliser ce médium et d'en tirer ce qui répond à leurs besoins. Les gens comme moi et peut-être vous aussi font les deux. Nous lisons le journal et nous utilisons aussi l'Internet pendant la journée.

En un sens, je suppose que ce que je dis, c'est qu'il y aura toujours un foyer central, bien qu'il y a une fragmentation de plus en plus grande.

Un site Web comme celui du Globe and Mail et un journal comme le Globe and Mail font ce que j'appellerais du « journalisme de qualité », mais si je consulte le site Web du Leader-Post ou de n'importe quel journal de CanWest, ils sont essentiellement identiques. Ils ont la même page frontispice, peu importe le journal qu'on consulte. Si le produit lui-même est superficiel, ce sera superficiel également sur l'Internet.

Le sénateur Trenholme Counsell : Professeur, vous avez une biographie des plus intéressantes. En 2000, vous avez écrit un livre intitulé Clear Answers : The Economics and Politics of For-Profit Medicine. Si je comprends bien, vous ne vous concentrez pas sur l'écriture en ce moment, mais plutôt sur l'enseignement?

Mme Steward : Pendant ce semestre-ci, mais j'écris pendant une bonne partie de l'année.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je me demandais si vous pourriez commenter la qualité de la couverture de dossiers comme notre système de soins de santé. Dans les sondages préélectoraux ou autres, c'est très souvent la toute première question en importance aux yeux des Canadiens. C'était encore le cas dans certains sondages récents. Je me demande ce que vous pensez de la couverture et de l'information que les Canadiens reçoivent.

Mme Steward : C'est une bonne question. En faisant mes recherches pour écrire ce livre, et aussi dans les recherches que j'ai faites depuis lors sur cette question, j'ai vraiment remarqué qu'il n'y a à peu près pas de journalistes au Canada qui sont experts dans ce que j'appellerais le système de santé publique. Même si, comme vous le dites, cette question vient presque toujours en tête de liste quand on demande aux gens ce qui les intéresse le plus.

Même à CBC, en particulier pendant la commission Romanow, alors qu'il se brassait bien des choses et que cela faisait les manchettes, il n'y avait personne qu'on pouvait vraiment qualifier d'expert en politique publique de la santé. CBC n'a cessé de réinventer la roue dans ce dossier. Je dirais qu'il y a des gens au Toronto Star et au Globe and Mail; je ne sais pas ce qu'il en est à Montréal. Dans les autres journaux, quand cette question redeviendra d'actualité, quand nous aurons la prochaine commission Romanow, tout le monde reviendra à la case départ parce qu'il n'y a aucune expertise sur cette question précise dans les médias.

Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous été en mesure de comparer les journaux de l'Alberta à ceux des autres provinces pour voir quel est le ton des reportages sur le système de soins de santé? Est-il différent?

Mme Steward : Il est certain que le Calgary Herald s'est prononcé à maintes et maintes reprises dans ses éditoriaux en faveur de la privatisation des soins de santé. L'un des principaux dirigeants d'une compagnie de Calgary qui fait campagne depuis des années en faveur de la privatisation des soins de santé et qui a réussi dans une certaine mesure siège au conseil d'administration de CanWest. Quant à savoir si cela a quelque chose à voir avec leur position éditoriale, je n'en ai aucune idée, mais il existe un lien.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous dites qu'il y a très peu de journalistes qui ont un bagage dans le domaine de la santé publique. En Colombie-Britannique, on nous a dit avoir bon espoir qu'un plus grand nombre de gens ayant une formation scientifique se lanceraient dans le journalisme. Avez-vous quelque espoir de ce côté? Est-ce un besoin qui devrait être signalé à l'attention des écoles de journalisme, c'est-à-dire que vous devez diversifier la formation de base de vos étudiants? Je parle bien sûr du point de vue de ceux qui viennent à l'école après avoir fait des études de premier cycle.

Mme Steward : Il est certain que je préfère que les journalistes aient une formation dans un domaine quelconque, que ce soit les sciences ou un autre domaine, avant d'apprendre le journalisme. Je pense que cela peut être vraiment utile pour la société dans son ensemble. Certaines personnes ayant fait des études scientifiques trouvent le journalisme frustrant parce qu'ils trouvent que c'est trop simplifié, ce qui est un aspect du problème. Je pense que nous vivons maintenant dans un monde tellement complexe que quiconque est en mesure de rendre toute cette complexité compréhensible, sans simplifier à outrance, peut faire de l'excellent travail.

Le sénateur Trenholme Counsell : Étiez-vous présente ce matin et avez-vous entendu ma question sur les journaux hebdomadaires?

Mme Steward : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quel est votre propre pronostic et vos propres préoccupations au sujet des hebdomadaires?

Mme Steward : Je pense qu'à bien des égards, certains hebdos se débrouillent mieux que les quotidiens des grandes villes; leur lectorat semble plus solide. Dans bien des endroits, les quotidiens des grandes villes perdent des lecteurs beaucoup plus rapidement que les hebdos.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, on a attiré notre attention sur le fait qu'ils ont beaucoup de lecteurs, et même d'après certains sondages plus que les quotidiens.

Le sénateur Phalen : Je voudrais revenir à votre observation sur le journalisme qui aurait été laminé. Je suis sûr que vous avez expliqué cela, mais je voudrais revoir tout cela posément. Dites-vous que les journalistes ne font pas du bon travail parce qu'ils n'ont pas le temps ni les ressources?

Mme Steward : Oui.

Le sénateur Phalen : Et c'est parce que les journaux ne les appuient pas à cet égard?

Mme Steward : Je dirais, en tout cas d'après mon expérience, que l'on a diminué constamment les ressources dans les salles de rédaction, en particulier dans les journaux.

Le sénateur Phalen : Pourquoi?

Mme Steward : Parce qu'ils veulent faire plus de profits.

Le sénateur Phalen : C'est un modèle de gestion qui fait penser au travail à la chaîne.

Mme Steward : J'ignore si vous avez le pouvoir de faire cela, mais ce serait très intéressant de comparer les marges bénéficiaires des journaux durant les 20 dernières années.

Je sais que lorsque j'étais gestionnaire chez Southam, aucun des journaux ne révélait sa marge bénéficiaire dans son rapport annuel. Nous qui travaillions dans la gestion de chacun des journaux savions bien sûr quelle était notre marge bénéficiaire, mais elle n'était jamais rendue publique.

Je pense que ce serait très intéressant de savoir quelle est la marge bénéficiaire et quelle proportion des profits est réinvestie dans les salles de rédaction.

Le sénateur Phalen : Des intervenants ont dit à notre comité que nous devrions permettre la propriété étrangère de journaux canadiens. Étant donné ce que vous dites, le temps est-il venu pour nous de le faire ou bien cela serait-il encore inquiétant?

Mme Steward : Ce qui m'inquiète dans la propriété étrangère, c'est qu'il s'agirait probablement de propriétaires américains.

Le sénateur Phalen : Oui.

Mme Steward : À ce moment particulier de notre histoire, je ne peux tout simplement pas voir comment cela fonctionnerait, étant donné qu'il y a tellement de différences entre le Canada et les États-Unis à l'heure actuelle. Il y a de l'hostilité de part et d'autre. Je suppose que cela dépendrait des personnalités en cause, mais je crois qu'il y aurait énormément de méfiance et de cynisme si nous invitions les chaînes américaines de journaux ou de télévision ou d'autres à s'emparer de nos médias.

Le sénateur Munson : Vous avez dit que nous vivons dans un monde complexe, mais il y a moins de journalistes pour couvrir ces dossiers complexes. Est-il disparu à jamais ce jour où nous avions des journalistes spécialisés qui couvraient les dossiers, ou bien les propriétaires imposent-ils cela simplement pour augmenter leurs profits? Il me semble que les propriétaires ont une responsabilité morale ou sociale envers leurs auditeurs, téléspectateurs et lecteurs; ils doivent couvrir l'actualité de manière approfondie, que ce soit dans une grande ville ou une petite ville, mais ils ne le font plus et s'en tirent impunément.

Mme Steward : Je suis d'accord avec vous. Il est certain que dans le passé, chacun comprenait que cela faisait partie de ses responsabilités. Ils étaient en affaires, mais c'était une entreprise comme aucune autre en ce sens qu'elle assumait une responsabilité envers la communauté.

Ce qui m'inquiète, c'est que même si un grand nombre de gens devaient prendre conscience que nous n'avons pas le journalisme dont une société démocratique a vraiment besoin pour s'épanouir, il faudrait injecter des sommes énormes dans beaucoup de ces salles de rédaction et organisations médiatiques pour remettre les salles de nouvelles dans l'état où elles étaient auparavant, sans compter qu'il faut rétablir le tirage. Je vous le dis franchement, je ne sais pas si c'est possible.

Le sénateur Munson : Vous semblez partager les sentiments du professeur Waddell qui a témoigné devant nous. Je me rappelle à mes débuts à Ottawa lorsque le SCEP, le Syndicat des travailleurs en communications et en électricité du Canada, était le deuxième hansard sur la colline. Ils avaient des journalistes qui couvraient toutes les activités, ce que nous n'avons plus.

Très brièvement, je lis ici : « Entre autres publications, Mme Steward a publié un chapitre intitulé Klein le caméléon (ou comment le premier ministre Klein a utilisé les médias pour prendre le pouvoir) ».

Nous allons acheter le livre, mais pouvez-vous nous en donner un sommaire, nous dire comment M. Klein a fait cela, comment il influence les médias et comment vous, journalistes couvrant les assemblées législatives provinciales, êtes tenus en otage par le charisme d'un politicien?

Mme Steward : Je ferai quelques observations. Premièrement, Ralph Klein a été lui-même journaliste à la télévision pendant de nombreuses années avant d'être élu maire de Calgary, avant de se lancer en politique. Il était très à l'aise devant la caméra; il était habitué à exprimer sa pensée et ses idées de manière concise tout en communiquant certaines émotions.

Je pense que cela l'a beaucoup aidé dans ses discours quand il faisait campagne à la mairie. D'abord, les gens savaient déjà qui il était parce qu'ils l'avaient vu à la télévision. On le voyait tous les soirs au bulletin de nouvelles de 18 heures. Il était à l'aise dans ce médium et cela a fait une immense différence, surtout quand il s'est fait élire maire, parce que c'est à cette époque que les gens ont commencé à obtenir toute leur information électorale à la télévision. C'était important pour lui.

L'autre aspect important, c'est que comme il avait été journaliste télévisuel, il connaissait tous les principaux intervenants dans les médias. Il savait comment leur parler; il savait comment conclure des marchés avec eux. Durant son cheminement politique, quand il est passé de maire à ministre à premier ministre, ces mêmes gens qu'il avait côtoyés à ses débuts dans les médias ont également progressé dans leur carrière. Ils sont devenus gestionnaires, producteurs, et cetera. Il les connaissait tous et cela fait une grande différence en Alberta.

Il a été en mesure d'utiliser ces connaissances et cette expérience à son avantage. Je ne veux pas insinuer qu'il est complètement manipulateur et que tous les Albertains sont vraiment stupides, car il se trouve aussi que je crois que Ralph Klein est très brillant et qu'il sait vraiment ce qu'il fait et qu'il a trouvé un moyen de faire correspondre sa personnalité à ce que les Albertains veulent; cependant, son expérience dans les médias est très importante.

Le sénateur Munson : J'ai une observation, et c'est pourquoi j'ai soulevé la question. Il n'y a pas assez de journalistes; par conséquent, vous avez tendance à être très proches les uns des autres. Il n'y a aucun changement, puisque les organisations ne font pas entrer du sang neuf et ne font pas de mutations et vous êtes donc très proches.

Mme Steward : Quand on est un cercle restreint et que les éditeurs et les producteurs exécutifs craignent de perdre des annonceurs s'ils s'en prennent trop durement au gouvernement, il n'est pas difficile de passer le mot aux journalistes dans les salles de rédaction.

Le sénateur Merchant : Étant donné votre riche expérience, compte tenu de tous les changements qui sont inévitables dans la vie en général, je voudrais examiner comment les gens de la Saskatchewan sont servis par les médias. Dans notre province, je crois que nous nous sommes toujours targués d'être profondément engagés dans le processus politique, dans les affaires publiques. Par exemple, nous avions dans le passé des taux de participation très élevés aux élections. Aujourd'hui, nous devenons davantage dans la norme. Aux dernières élections, notre taux de participation n'a pas été aussi bon que dans le passé. Nous avons une population vieillissante et nous avons par ailleurs une population autochtone jeune. Pour que nous soyons informés, il me semble que nous devons ces jours-ci passer beaucoup de temps à éplucher toutes les différentes sources d'information.

Comment voyez-vous l'avenir dans une telle province? Vous dites que les jeunes journalistes débutants doivent s'en aller dans les grandes villes pour faire du travail de qualité. Dès que nous avons quelqu'un ici qui fait du bon travail à la télévision, nous le voyons tout à coup apparaître au réseau national. Par exemple, il me semble que le réseau CBC nous prend tous nos bons journalistes. Je ne blâme pas les gens de chez nous; ils veulent s'en aller là-bas, bien sûr, parce qu'il y a plus de possibilités qui s'offrent à eux. Que s'est-il donc passé aux quatre coins du pays dans les régions moins peuplées comme la nôtre?

Mme Steward : Je dois dire qu'à mon avis, CBC a vraiment laissé tomber les provinces comme la Saskatchewan et les villes comme Regina et Saskatoon quand ils ont enlevé tellement de ressources au journalisme régional pour mettre l'accent sur le journalisme national. Je n'ai jamais compris cette décision. Je ne comprends pas comment on s'imagine pouvoir obtenir toute l'information au niveau national si l'on ne dispose pas de solides bases régionales. Je pense que CBC s'est vraiment fourvoyé et a vraiment mal compris la réalité de notre pays et le rôle que peut jouer une organisation comme CBC.

Pour commencer, ils doivent réinjecter des ressources, ce qu'ils peuvent faire s'ils le souhaitent.

Le sénateur Merchant : Vous croyez qu'ils peuvent le faire s'ils le veulent? Ils disent constamment qu'ils sont obligés de faire tout cela à cause des compressions budgétaires.

Mme Steward : Le financement, c'est une affaire de priorité. On établit ses priorités, après quoi on répartit l'argent dont on dispose.

Le sénateur Merchant : Dans ce cas, comment peut-on obtenir de l'information de qualité? Les personnes âgées ne sont pas toujours à l'aise avec les nouvelles technologies et les jeunes Autochtones ne font peut-être pas partie de cette filière de recherche. Comment pouvons-nous informer nos propres citoyens?

Mme Steward : C'est une bonne question.

Le sénateur Merchant : Dites-vous que c'est entièrement la responsabilité de CBC?

Mme Steward : Non, je ne le crois pas. À bien des égards, c'est la responsabilité de chaque citoyen, individuellement. S'ils n'obtiennent pas ce qu'il leur faut pour prendre de bonnes décisions, ils devraient s'en prendre en masse à la rédaction de leur journal et leur dire qu'ils n'ont pas ce qu'ils veulent; ils devraient le dire à CBC.

Malheureusement, je pense que bien des gens sont devenus apathiques au sujet de ce qui se passe et ils restent les bras croisés. Ce n'est certainement pas simplement la responsabilité des organisations médiatiques ou des journalistes; je pense que les citoyens doivent aussi exiger mieux, parce que c'est leur société qui est en cause.

Le sénateur Merchant : Il n'y a pas de conseil de presse en Saskatchewan. Croyez-vous que de tels conseils ont leur raison d'être et devrions-nous en avoir un ici?

Mme Steward : Je pense que les conseils de presse et autres institutions semblables ont leur raison d'être en ce sens qu'ils servent de tribune publique. Comme je l'ai dit au début de mon intervention, beaucoup de ces questions ne sont jamais discutées parce que les organisations qui contrôlent les tribunes où ces sujets sont abordés ont des intérêts à défendre et ne veulent pas que certaines choses soient dites. Le réseau CBC ne veut pas que l'on dise certaines choses et il n'en sera donc pas question à CBC. On peut en dire autant de CanWest et de Bell Globe Media.

Je le sais pour y avoir travaillé, chacun garde pour soi son information, personne ne veut dévoiler ses cartes. Ils ne veulent pas amorcer la discussion sur des dossiers mettant en cause leurs concurrents, parce qu'il leur faudrait alors déballer leurs propres affaires.

Il nous faut vraiment davantage de tribunes publiques où tout le monde, pas seulement les journalistes mais tous les membres de la société qui s'y intéressent, peuvent discuter ouvertement de ces questions.

Le sénateur Chaput : Il y a sûrement des leçons à tirer de ce qui s'est passé depuis 10 ou 15 ans. Que feriez-vous si vous aviez le pouvoir de faire des changements? Que feriez-vous et par quoi commenceriez-vous?

Mme Steward : Qu'est-ce que je ferais? Si je dirigeais un journal dans une ville comme Regina, Saskatoon ou Calgary, j'embaucherais des journalistes d'enquête vraiment bons et je commencerais à faire ce qui ne se fait pas. Il y a des choses qu'on ne peut pas faire dans un bulletin de nouvelles diffusé à l'heure du souper à la télévision; il n'y a pas assez de temps et à bien des égards le médium ne s'y prête pas. Cependant, il y a certains dossiers qui ont une grande importance pour la collectivité et que l'on peut fouiller dans un journal et aussi sur l'Internet.

C'est là que je commencerais à injecter des ressources. Je cesserais de faire ce que font les journaux et la télévision et, dans une certaine mesure, même la radio, à savoir tenter de contenter tout le monde et son père en tout temps en faisant du divertissement et des sports et en répétant toujours la même chose. Je mettrais vraiment l'accent sur ce que peuvent faire de vrais bons journalistes. On n'a pas besoin de vrais bons journalistes pour dresser la liste des divertissements dans les journaux, mais cela coûte en fait beaucoup d'argent.

Le sénateur Chaput : Comment voyez-vous le rôle du gouvernement dans tout cela, s'il y en a un?

Mme Steward : C'est la grande question. Je suis ambivalente là-dessus parce que je crois qu'à bien des égards, vous pouvez établir un certain environnement, mais je ne suis pas certaine que le gouvernement puisse forcer les organisations médiatiques du secteur privé à faire certaines choses. Je ne suis pas sûre que cela n'empirerait pas la situation. Je ne sais trop.

J'ai eu une fois un éditeur — certains d'entre vous le connaissent peut-être, c'était Pat O'Callaghan. Il était un très bon éditeur, un journaliste dévoué et un homme passionné qui s'intéressait à tout. Il détestait la commission Kent. Il était en guerre avec la commission parce qu'il trouvait que c'était une telle ingérence dans la liberté et l'indépendance de la presse. À l'époque, je croyais qu'il exagérait un peu, mais quand on veut forcer des médias soi-disant indépendants à faire certaines choses, cela pose certains problèmes. Il faudrait procéder avec la plus grande prudence et c'est pourquoi je pense que l'établissement de normes et d'objectifs dans le cadre de tribunes peut devenir une manière pour le grand public de comprendre ce qui peut se faire et comment le journalisme et la société civile ont vraiment besoin l'un de l'autre. À long terme, cela pourrait aller plus loin que d'essayer d'établir des barrières et des encouragements. Je ne sais pas.

Le vice-président : Devrions-nous avoir plus de réglementation ou moins, en particulier pour les médias électroniques par l'entremise du CRTC? Devrions-nous faciliter la tâche aux nouveaux arrivants, ou devrions-nous prendre des règlements sur la propriété croisée, et cetera, ou bien devrions-nous seulement dire que si quelqu'un a l'argent voulu pour ouvrir une station de radio et s'il semble avoir une tête sur les épaules, alors il peut y aller?

Mme Steward : C'est une bonne question. Je ne suis pas nécessairement d'accord pour dire que quiconque a assez d'argent pour ouvrir une station de radio devrait pouvoir le faire.

Le vice-président : Pourquoi pas?

Mme Steward : Parce que je crois que les ondes sont importantes, que ce n'est pas simplement un véhicule pour diffuser de la publicité à longueur de journée.

Le vice-président : Mais si les gens n'aiment pas écouter cela, ne vont-ils pas simplement syntoniser un autre poste?

Mme Steward : C'est le libre marché des idées, quand les gens disent : « Je n'aime pas cela et je vais donc passer à autre chose ». Ce qui se passe en fait, c'est que les gens qui ont le plus d'argent se retrouvent avec le plus de temps d'antenne.

Le vice-président : Parlons de ce qui se passe dans notre province; nous pourrions avoir une petite discussion là- dessus. Le réseau CBC a été le premier à centraliser son service de nouvelles dans notre province. Je m'en rappelle, et je n'arrivais pas à croire qu'ils aient fait cela. Ils ont fermé le bureau de Saskatoon, ont tout déplacé à Regina et ils prévoyaient tout diffuser à partir de Regina. De tous les réseaux, c'est eux qui avaient le plus d'argent. Personne, localement, ne regardait CBC et ils ont donc tout centralisé à Regina et plus personne ne les regarde aujourd'hui. À l'époque, CTV a fait la même chose.

Global a vu sa chance. Ils se sont dits : « Après tout, nous devrions avoir des nouvelles locales à Saskatoon et à Regina ». Qu'est-il arrivé? Ils sont numéro un et ce n'est pas à cause de l'argent; c'est la couverture, n'est-ce pas?

Mme Steward : Oui.

Le vice-président : Parce qu'ils sont meilleurs que les deux autres. Je suis d'avis que ce qui intéresse les gens, c'est la qualité et le contenu. Nous avons rencontré des gens de CBC à Ottawa et ils n'ont toujours pas compris le problème des nouvelles à CBC, du moins pas à Ottawa ni à Toronto. Nous leur disions que c'était biaisé selon nous et ils rétorquaient : « Oh non, ça ne l'est pas ». Ils vont dire cela jusqu'à ce que plus personne au Canada ne les regarde, parce qu'ils sont bouchés. Comment changer cela?

Mme Steward : Comment changer quoi?

Le vice-président : Comment changer cela sans permettre l'arrivée de nombreux nouveaux arrivants sur le marché et sans laisser libre cours au marché des idées?

Mme Steward : Comment changer la domination de CBC?

Le vice-président : Comment obtenir que CBC produise des émissions que les gens regardent?

Mme Steward : Cela revient à l'éternelle question : produisez-vous des émissions simplement pour avoir un auditoire nombreux, ou bien produisez-vous des émissions qui vont vraiment renforcer la société? Je ne sais pas; c'est toujours la même question. On peut diffuser une partie de football et beaucoup de gens vont la regarder. Cela mérite d'être regardé, mais est-ce le rôle du radiodiffuseur public?

Le vice-président : Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que les gens ne regardent pas CBC parce qu'ils ne trouvent pas que le réseau produit des bulletins de nouvelles qui sont regardables; les gens regardent donc CTV et Global.

Mme Steward : C'est parce que CBC a coupé le budget dans des villes comme Regina et Saskatoon et Calgary. Le bulletin de nouvelles locales de CBC à Calgary consiste essentiellement en une seule personne qui lit les nouvelles devant la caméra.

Le vice-président : Je sais que c'est la même chose partout au Canada.

Mme Steward : Bien sûr que personne ne regarde. C'est une décision délibérée qu'ils ont prise.

Le vice-président : Ils ont un bel immeuble imposant ici aussi, n'est-ce pas?

Mme Steward : Oui.

Le vice-président : Dans cette ville et à Toronto et à Ottawa.

Mme Steward : Ils ont un bâtiment énorme ici, mais je crois que la plus grande partie est maintenant louée à d'autres organisations; CBC ne s'en sert pas. CBC a pris la décision de se retirer des régions.

Le vice-président : Je le sais. Je pense que c'était une mauvaise décision. Merci. Vous avez été très stimulante, madame Steward. C'était un très très bon échange et cela nous a beaucoup plu.

Le sénateur Carney : Je ne suis pas sûre que nous ayons eu la chance de poser cette question, sauf en passant : quelle est votre opinion sur le service aux communautés ethniques, les communautés autochtones, les groupes marginaux, tous ceux qui ne font pas partie de l'auditoire blanc d'âge moyen? À votre avis, comment sont-ils servis dans les régions que vous connaissez, l'Alberta et la Saskatchewan?

À Vancouver, nous avons de très nombreux Asiatiques et nous avons une presse ethnique très active, à la fois dans l'imprimé, la télévision et la radio. Quelle est la situation en Alberta et en Saskatchewan?

Mme Steward : Je pense qu'en général, ce qu'on appelle les médias grand public accusent encore beaucoup de retard pour ce qui est de servir ces communautés. Ce qui se passe, à mon avis, c'est que ces communautés elles-mêmes sont en train de trouver des manières assez novatrices de communiquer entre elles. Nous avons le Réseau de télévision des peuples autochtones. En Saskatchewan, il y a deux ou trois hebdomadaires publiés par des Autochtones. Il y en a de plus en plus et ils sont produits pour eux et par eux. Je pense que ça s'en vient.

L'Université des Premières nations aura ici un impact extraordinaire sur tout cela. Je pense que cela va vraiment stimuler les gens, leur donner des idées et favoriser l'émergence de projets.

Le sénateur Fraser : C'est formidable pour les diverses minorités elles-mêmes. Cependant, est-ce qu'on parle aux majorités des groupes minoritaires? À Vancouver, j'ai dit que j'avais l'impression que les médias grand public continuaient de couvrir les minorités comme des touristes. On prend une photo d'un dragon pour le Nouvel an chinois et on s'imagine avoir assuré la couverture de la communauté chinoise. Discernez-vous une tendance vers une couverture plus réfléchie, plus étoffée et plus continue des minorités comme membres à part entière de la nation canadienne?

Mme Steward : Je pense que le Leader-Post dans notre ville a en fait commencé à en faire beaucoup plus; il a lancé un projet à long terme consistant à consulter la communauté autochtone pour connaître son point de vue sur la couverture continue. Cependant, vous et moi savons tous les deux par expérience que beaucoup de ces projets novateurs prennent le bord quand les salles de nouvelles sont frappées par des compressions budgétaires et qu'on est obnubilé par le budget. Tous ces projets novateurs, qu'il s'agisse d'augmenter le nombre des femmes dans l'effectif, ou la représentation des groupes minoritaires, tout cela prend le bord; on n'en entend plus parler.

La rentabilité devient la priorité absolue et l'on ne se donne plus la peine de dépenser de l'argent pour prendre des risques et innover. Nous en avons fait l'expérience au comité des femmes.

Le sénateur Fraser : Je me ferai un plaisir d'en faire part aux membres du comité à un moment donné.

Le sénateur Chaput : Il y a un journal en français ici en Saskatchewan, L'Eau Vive. Savez-vous si ce journal va bien?

Mme Steward : Je ne sais pas.

Le vice-président : Pour la deuxième fois, madame Steward, merci beaucoup d'être venue témoigner devant nous.

La séance est levée.


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