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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 9 - Témoignages


WINNIPEG, le vendredi 4 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 8 h 5 afin d'étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, ce sont les représentants du Farmers' Independent Weekly qui vont démarrer la séance d'aujourd'hui. Nous accueillons M. Anders Bruun, copropriétaire et conseiller juridique, Mme Lynda Tityk, copropriétaire et vice-présidente, ainsi que M. Conrad MacMillan, éditeur associé.

Merci d'avoir bravé l'hiver de si bonne heure.

M. Anders Bruun, copropriétaire, secrétaire de direction et conseiller juridique, Farmers' Independent Weekly : Bonjour madame la présidente et honorables sénateurs. Merci beaucoup d'avoir trouvé un moment pour nous recevoir à Winnipeg à la dernière minute. Nous vous en sommes reconnaissants. Les présentations ont déjà été faites, donc je ne les répéterai pas.

Je vais commencer en vous expliquant comment le domaine des journaux agricoles est structuré. De façon générale, les dossiers agricoles sont couverts de façon exhaustive partout au Canada. Les journalistes sont compétents. En effet, les journalistes ont des compétences qui leur permettent de bien couvrir l'actualité agricole, que ce soit l'ESB, les questions commerciales agricoles ou encore la salubrité des aliments. Ce fondement journalistique dans le secteur agricole sert de base à la presse non spécialisée, si vous me permettez l'expression. En effet, les autres journalistes s'inspirent des écrits des journalistes agricoles et suivent les publications, ce qui permet d'informer le grand public par le biais des médias non spécialisés. À mon avis, c'est une contribution précieuse qui ne se limite pas au secteur agricole.

Je vais maintenant vous parler de notre publication, qui existe depuis trois ans. En fait, nous sommes une entreprise virtuelle puisque nous n'avons pas de bureaux à proprement parler. Nos reporters habitent un petit peu partout au pays. Ils ont des ordinateurs portables et des appareils photonumériques; ils envoient leurs articles à un petit bureau dans le sous-sol d'un immeuble où nous assemblons le journal tous les lundis grâce à deux ordinateurs assez puissants. Les articles sont ensuite transmis directement à notre imprimeur. Le journal est imprimé le mardi matin, envoyé le mardi après-midi et livré chez la plupart des lecteurs le jeudi. Nous avons donc un bon avantage concurrentiel, car nos coûts d'exploitation sont très bas.

Je ne sais s'il existe d'autres publications qui sont produites de cette façon-là, mais notre système nous convient tout à fait et est particulièrement bien adapté aux personnes qui sont assez disciplinées pour travailler chez eux.

J'aimerais vous donner un peu de contexte, sans trop m'y attarder puisque nous en parlons dans notre mémoire. Il y a 10 ans, la Saskatchewan Wheat Pool était propriétaire de Western Producer, entre autres publications. La Manitoba Pool Elevators publiait le Manitoba Co-operator ainsi que d'autres publications semblables, la United Grain Growers, Country Guide, Grainews et Cattlemen entre autres. Il y avait donc trois propriétaires.

Dans la plupart des cas, ces publications étaient indépendantes. En effet, on y publiait des articles qui faisaient faire la grimace aux cadres supérieurs ou mettaient en lumière leurs sottises. Tout cela se faisait impunément parce que les journaux jouissaient d'une indépendance du journalisme relativement forte.

Mais le secteur céréalier a connu des difficultés, et les sociétés se sont mises à se débarrasser des activités non essentielles. C'est ainsi qu'il y a trois ans la Saskatchewan Wheat Pool a vendu ses publications à Glacier Ventures, une société d'investissement en capital de risque établie à Vancouver et cotée à la Bourse de Toronto. La Manitoba Pool et la Alberta Pool ont fusionné, puis ont été rachetées par la United Grain Growers. Ainsi, c'est Farm Business Communications, une filiale de Agricore United, qui s'est retrouvée propriétaire de l'ensemble de ces publications. En 2003, Agricore United a vendu Farm Business Communications à Glacier Ventures. C'est ainsi que toutes les publications, sauf la nôtre, se sont retrouvées dans la même structure.

Vous trouverez la liste de ces publications à l'annexe 1 de notre mémoire. En vous y reportant, vous constaterez qu'il s'agit de publications à abonnement payé, soit des hebdomadaires, soit des mensuels. Je pense que Grainews est publié 18 fois par année. Une seule société est propriétaire de l'ensemble des publications, à l'exception de la nôtre.

Il existe aussi d'autres publications moins importantes qui sont distribuées gratuitement. Mais elles ne contiennent essentiellement de la publicité et peu d'articles et de reportages. Elles ont essentiellement une valeur publicitaire et ne sont pas des journaux dignes de ce nom.

La politique de subventions postales de Patrimoine canadien visant les publications canadiennes nous pose problème et devrait être réexaminée. En raison de la concentration que j'ai décrite, Glacier Venture Publications a reçu au moins 1,776 million de dollars de Patrimoine Canada, en 2003-2004. Nous n'avons rien obtenu. La première année, nous n'étions pas admissibles et n'avons jamais pu atteindre le plancher d'admissibilité en vertu des règles ministérielles. Nous donnons des échantillons gratuits pour encourager les gens à s'abonner, ce qui nous éloigne encore plus du seuil d'admissibilité aux subventions. C'est une situation anormale qui pénalise les publications comme la nôtre.

Pour ce qui est de la Loi sur la concurrence : en dépit du quasi monopole qui serait créé par l'achat de Farm Business Communications par Glacier, quand nous avons contacté le Bureau de la concurrence, on nous a informés que le bureau ne pouvait pas empêcher cette acquisition, en dépit du niveau de concentration qui en résulterait dans le secteur. Notre publication venait de voir le jour et, par conséquent, nous n'avions pas les moyens de contrer cette acquisition, qui s'est faite sans problème et qui explique le niveau de concentration d'aujourd'hui.

Nous essayons de nous démarquer en publiant les meilleurs articles et éditoriaux du secteur agricole.

Permettez-moi de me reporter à l'annexe 2. On y trouve la liste des prix qui sont décernés annuellement par la Canadian Farm Writers' Federation. Douze catégories ont été établies : télévision, radio, quotidiens, hebdomadaires, mensuels, etc. J'ai souligné les prix qui ont été décernés aux journalistes du Farmers' Independent Weekly. Il y en a cinq ou six, soit plus que l'ensemble des prix qui ont été décernés à nos concurrents. Ça vous donne une idée de notre qualité rédactionnelle.

J'aimerais aussi vous parler d'un communiqué de presse du 11 mars, que vous trouverez également dans votre trousse. La North American Agricultural Journalists Association a décerné quatre prix aux journalistes du FIW. Le Wall Street Journal, qui offre une couverture assez exhaustive du domaine agricole et de l'agroalimentaire, est le seul autre journal à avoir reçu quatre prix.

L'an dernier, on nous a attribué le prix Audrey Mackiewicz, décerné à la publication ayant le mieux progressé ou le plus augmenté sa couverture des questions agricoles. C'est notre journal qui a été le récipiendaire du prix en 2003. Par le passé, ce prix a été décerné au New York Times; au Los Angeles Times; à Bloomberg News, qui est un service reconnu d'information financière; au Pennsylvania Farmer; au Iowa Farmer et au Daily Oklahoman. Cette année, c'est High Plains Journal qui a été sélectionné.

Notre arme, c'est la qualité, et les prix qui nous ont été décernés confirment que nous sommes concurrentiels à cet égard. À mon avis, nos lecteurs nous font part de leur satisfaction. Nous offrons un bon produit, une publication qui est appréciée de nos lecteurs. Nos efforts ont été récompensés.

Nos annonceurs sont également très satisfaits de notre travail. Comme vous pouvez le constater, dans la publication de cette semaine que nous avons distribuée, il y a de bonnes publicités payantes. De façon générale, en hiver, quand les agriculteurs ne sont pas occupés dans les champs, nous avons depuis quelques années attiré bon nombre d'annonceurs, et la publicité constitue vraiment le moteur économique de notre publication. Les abonnements ne représentent que de 10 à 15 p. 100 de nos recettes. Le reste est engendré par la publicité.

Nous nous considérons comme le plus beau fruit du panier et nous proposons un produit intéressant aux annonceurs. Je crois que notre présence sur le marché exerce une pression sur nos concurrents et les amène à aborder certains sujets que, sinon, ils ne couvriraient pas.

En toute équité pour la concurrence, si rude soit-elle, je dois également dire que les différentes publications individuelles comme le Manitoba Co-Operator et le Western Producer ont leur franc-parler éditorial, et c'est une bonne chose. Ce n'est pas comme si un gros organisme faisait valoir un point de vue unique dans toutes les publications. Ce n'est pas le message que nous voulons vous adresser. Ce risque existe certes, mais il se manifeste pas actuellement. On a une variété de publications, avec des points de vue de gauche et des points de vue de droite; d'autres sont plus modérés, et je crois que nous relevons de cette catégorie.

Cela étant dit, notre publication est modeste, et tous les autres sont dans le même panier. Nous prenons de l'expansion; nous pensons être sur la bonne voie. Est-ce que cela pourrait changer? Qu'est-ce qui pourrait nous menacer? Des éléments très subtils, qui se produisent non pas au grand jour, mais derrière des portes closes. Je pense par exemple au cas où des publications diraient aux annonceurs — nous ne prétendons pas qu'elles le fassent, mais dans un contexte de concurrence, c'est une possibilité — : « Si vous faites uniquement affaire avec nous, nous vous accorderons un rabais de 10 p. 100, vous aurez l'avantage pratique d'un guichet unique et, de surcroît, vous et votre épouse pourrez aller passer une semaine au Mexique en février prochain pour assister à notre séminaire sur la publicité. Est-ce que vous nous accordez l'exclusivité? »

En réalité, je ne pense pas qu'un annonceur intelligent et avisé souhaite s'engager dans une telle aventure. Tout d'abord, c'est illégal; deuxièmement, il se priverait de certains véhicules mieux adaptés à sa propre publicité. Il tomberait du jour au lendemain sous la coupe d'une publication unique pas nécessairement implantée dans un marché particulièrement convoité. Quoi qu'il en soit, ce risque existe, et comme je l'ai dit dans mon exposé, nous sommes la souris qui marche à côté d'un éléphant. Nous espérons qu'il n'y aura pas de faux pas.

Le sénateur Tkachuk : Si vous me permettez de vous poser cette question, combien d'abonnés avez-vous?

M. Bruun : Nous avons une liste de diffusion dont nous nous servons pour les numéros importants, qui se retrouvent dans les boîtes aux lettres de 12 000 agriculteurs. Notre liste d'abonnés en bonne et due forme est passée de moins de 4 000 à environ 5 000.

Le sénateur Tkachuk : Essentiellement au Manitoba?

M. Bruun : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que vous envisagez de conquérir la Saskatchewan, ou voulez-vous rester un hebdomadaire strictement manitobain?

M. Bruun : Nous avons des abonnés en Saskatchewan et en Alberta. Nous en avons même quelques-uns aux États- Unis. Pour l'instant, néanmoins, nous voulons renforcer notre position ici avant d'envisager la Saskatchewan. Nous avons songé à différents scénarios, mais ils sont tous assez coûteux et nous ne souhaitons pas nous lancer dans une telle aventure cette année. Nous l'envisagerons peut-être plus sérieusement l'année prochaine.

M. Conrad MacMillan, éditeur associé, Farmers' Independent Weekly : Nous ne considérons pas sérieusement cette possibilité, essentiellement parce que nous nous consacrons au Manitoba, dont nous sommes originaires. Nous nous sommes lancés en considérant que le journalisme agricole doit se pratiquer sur une échelle régionale modeste plutôt qu'à l'échelle d'un vaste secteur comme l'Ouest canadien. On aurait tort de croire que l'agriculture en Alberta est identique à ce qu'elle est en Saskatchewan ou au Manitoba. Chaque province a sa propre information, et je parle de province, car c'est la référence la plus commode, mais elle se subdivise elle-même en différents types de sols et de cultures, et le contexte politique crée lui aussi une situation spécifique. Nous avons voulu prendre un élément de l'agriculture de l'Ouest canadien et y consacrer non attention, comme nous l'avions fait auparavant; nous étions tous à l'emploi du Manitoba Co-Operator, qui se consacrait exclusivement au plus petit des marchés, celui du Manitoba. Néanmoins, nous avons toujours pensé à notre lecteur. Il est très difficile de s'adresser à un lecteur albertain dans une publication largement diffusée dans tout l'Ouest canadien, car on ne peut pas être aussi proche des sujets qui ont de l'importance pour ce lecteur. C'est pourquoi nous avons centré notre attention sur le Manitoba, et nos journalistes sont tous Manitobains. Une expansion n'est pas facile à envisager. Disons que ce n'est pas, à notre avis, une bonne stratégie.

Le sénateur Tkachuk : Presque partout où nous allons, il est question des tarifs postaux et je crois que notre comité commence à comprendre un peu mieux comment ces tarifs s'appliquent à l'industrie des périodiques et des journaux. Néanmoins, la question du « sursis » d'un an avant que les nouveaux tarifs entrent en vigueur a aussi été soulevée par les représentants d'autres publications. Vous avez dit éprouver des difficultés à cause des journaux que vous distribuez gratuitement telle que prévue par votre stratégie de mise en marché. Pouvez-vous nous expliquer plus en détail comment ce système fonctionne?

D'autres témoins nous ont parlé des montants d'argent qui pouvaient être récupérés, mais combien perdez-vous à cause des exemplaires que vous distribuez gratuitement?

M. McMillan : Plus de 50 p. 100 de notre tirage doit être payé. Lorsqu'on lance un journal ou un magazine, on ne s'attend pas à atteindre ce pourcentage dès la première année de toute façon. Il faut alors attirer des lecteurs. Toutefois, pour vendre un tel journal, il faut se faire connaître des lecteurs, il faut qu'ils sachent que le produit existe, il faut que le journal soit diffusé. Or, il y a peu de kiosques à journaux dans les régions rurales du Manitoba, et c'est particulièrement vrai pour une publication comme la nôtre. D'ailleurs, toutes les publications de l'ouest canadien qui sont destinées à des agriculteurs éprouvent des difficultés. En fait, nous n'avons qu'un public cible. Et la Société canadienne des postes est le seul véhicule qui nous permet de faire connaître le journal à ce lectorat. Alors on envoie d'importantes quantités d'exemplaires aux lecteurs que nous visons pour les encourager à s'abonner. Tout cela s'additionne au cours de l'année, et on nous demande : « Vous avez 4 000 abonnements payés; est-ce que cela fait 50 p. 100 du tirage? » Si ce n'est pas le cas, vous ne satisfaites pas aux conditions.

Le sénateur Tkachuk : Ne pouvez-vous pas déclarer que ces frais font partie des coûts de mise en marché ou de promotion qui sont distincts de votre tirage payé?

M. McMillan : Cela fait partie du tirage.

Le sénateur Tkachuk : Cela fait partie de votre tirage, un point c'est tout.

M. McMillan : Exactement.

Le sénateur Tkachuk : Combien de temps devez-vous procéder de cette façon avant d'être admissible? Combien de temps devez-vous maintenir cet équilibre de 50/50 avant que le bureau de poste ne donne son accord?

M. McMillan : Aucun délai n'a été fixé. Si, au moment où vous faites la demande, vous parvenez à cet équilibre de 50/50, vous pourrez alors obtenir la subvention postale. Par la suite vous devrez fournir des bilans vérifiés afin que les responsables puissent s'assurer de façon continue que plus de 50 p. 100 de votre tirage est payé.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'il faut que vous ayez vendu la moitié de vos exemplaires chaque fois que vous publiez ces bilans vérifiés? Si, à un moment donné, vous en vendez moins que la moitié, perdez-vous la subvention postale?

M. McMillan : Non, on se base sur le pourcentage total d'exemplaires vendus en une année. La vérification se fait une fois par année; alors, on se base sur ce cycle de vérification, et l'admissibilité est déterminée à partir des pourcentages annuels.

Le sénateur Munson : Avez-vous déjà fait des profits?

M. McMillan : Cela varie selon qu'on tient compte des salaires ou non.

Le sénateur Munson : Peu importe, faites-vous des profits?

M. Bruun : Nous faisons ce travail par amour pour notre journal, alors les employés acceptent des salaires inférieurs à ce qu'ils pourraient obtenir dans le secteur privé avec leurs compétences. Nous avons une dette presque nulle, et nous avons fait des profits modestes l'année dernière. En outre, cette année s'annonce meilleure que la précédente.

Le sénateur Munson : Sur les défis auxquels vous êtes confrontés, vous avez parlé, dans votre document, des dispositions législatives sur la concurrence. Je devrais peut-être en savoir davantage sur le droit de la concurrence, mais vous semblez adresser des reproches au personnel du bureau de la concurrence. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi, de votre point de vue, la concurrence semble jouer contre vous?

M. Bruun : D'abord, je dois dire que ce n'est pas moi qui ai fait cet appel téléphonique. C'est John Morris, notre éditeur et rédacteur en chef qui a téléphoné. Il a discuté avec l'un des employés du bureau de la concurrence de l'acquisition du groupe de publication Farm Business Communications. Je crois que le montant de la transaction n'atteignait pas le seuil requis et qu'il y avait en outre d'autres raisons pour lesquelles le bureau de la concurrence n'a pas pu empêcher la fusion. Quoi qu'il en soit, cette transaction a fait en sorte que 95 p. 100 de ces publications appartiennent désormais à un seul propriétaire.

La Loi sur la concurrence ressemble à une pièce dotée de nombreuses issues. Il est très rare qu'on entende dire au Canada qu'un recours fondé sur la Loi de la concurrence est efficace dans des situations où il n'y a pas de concurrence. Si une entreprise comme la nôtre devait fermer ses portes à cause de pratiques anti-concurrentielles, il lui serait très difficile de poursuivre son concurrent déloyal et d'obtenir gain de cause. Aux États-Unis, les entreprises peuvent lancer des poursuites et obtenir d'énormes montants en dommages et intérêts. De tels recours, qui n'existent pas au Canada, sont très efficaces pour dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles. Au Canada, les entreprises ont très peu de solutions lorsque les pratiques anticoncurrentielles les mènent à la faillite. Les fautifs peuvent se voir imposer des amendes, mais en quoi cela aide-t-il leurs concurrents qui sont ruinés? Ils ont quand même perdu leur entreprise.

Il existe peut-être d'autres interprétations de la loi selon lesquelles il serait possible de poursuivre les concurrents déloyaux, mais cela risque de s'avérer complexe et coûteux pour les petites entreprises qui sont en position de faiblesse par rapport à un concurrent beaucoup plus puissant.

Le sénateur Munson : Il me semble que cela vaut également pour les marchés plus importants. Les autres études que nous avons menées au sujet des médias qui s'emparent de plusieurs marchés révèlent qu'il est très difficile pour les petites entreprises indépendantes de survivre.

Quelle serait la meilleure recommandation que nous pourrions faire dans notre rapport de juin pour aider les petites publications indépendantes comme la vôtre à rejoindre davantage les agriculteurs?

M. Bruun : Je crois qu'il convient de recommander que des recours clairs et importants soient prévus pour les entreprises touchées par des pratiques anti-concurrentielles. Il faudrait reconnaître que les pratiques anti- concurrentielles sont différentes des autres infractions. Les contrevenants ne laissent pas de fenêtres brisées derrière eux; tout se fait très discrètement. Il est parfois à peine possible de détecter ces infractions. En effet, il n'y a pas d'échantillons d'ADN, pas de cheveux, pas de notes écrites. En outre, on retrouve très peu de preuves dans les disques durs des ordinateurs. Il ne s'agit que d'un type de comportement qui mène à ce résultat. On ne peut pas être témoin d'un type de comportement, on ne peut qu'en ressentir les résultats. Nous devons faire confiance aux annonceurs et espérer qu'ils se montreront raisonnables et intègres dans leurs relations avec toutes les publications dans lesquelles ils veulent faire insérer des publicités. Je crois que nous pouvons nous montrer reconnaissants de l'appui que les annonceurs nous ont témoigné. Comme je l'ai dit, il est avantageux pour eux d'avoir accès à plusieurs publications qui se font concurrence pour accueillir leurs annonces. Si nous étions tous dans le même panier, je suis sûr qu'ils paieraient des tarifs de publicité très élevés s'ils voulaient rejoindre les agriculteurs.

Les agriculteurs constituent un marché important pour les annonceurs car ils consacrent une grande partie de leur fonds de roulement à des investissements pour leur exploitation agricole. Ils sont différents des autres entrepreneurs qui n'achètent pas autant de produits liés à leurs activités commerciales. Les agriculteurs accordent 70, 80 ou 90 p. 100 de leur fonds de roulement à des produits agricoles, et les annonceurs qui veulent vendre ces produits souhaitent se faire connaître auprès des agriculteurs. À titre d'exemple, un agriculteur peut acheter pour 200 000 $ d'engrais en une année, payer 100 000 $ pour des produits chimiques ou 250 000 $ pour un tracteur ou une moissonneuse-batteuse; alors, ces fournisseurs veulent rejoindre les agriculteurs par l'entremise de publications concurrentielles. Je crois que c'est là la protection dont nous bénéficions en réalité.

Il serait utile d'ajouter des dispositions à la Loi sur la concurrence, pas seulement pour notre domaine d'activité, mais pour presque tous les autres secteurs économiques.

En ce qui concerne les subventions postales, si nous y étions admissibles, nous obtiendrions 50 000 ou 60 000 $. Cela ne serait pas un apport énorme pour nous, mais nous serions heureux de compter sur ce financement, compte tenu du fait que nos concurrents reçoivent plus de 1,7 million de dollars. Un montant à cinq chiffres nous conviendrait tout à fait.

Le sénateur Tkachuk : Préféreriez-vous ne pas recevoir de subventions postales du tout?

M. MacMillan : Je crois qu'il s'agit d'une question d'équité, bien entendu. Alors, nous avons toujours affirmé que nous accepterions d'être privés de la subvention postale. Notre point de vue sur la subvention postale est différent. Selon nous, cette subvention est plutôt destinée au lecteur qu'à l'éditeur. C'est un point de vue qui n'est pas partagé par d'autres éditeurs. Si, comme l'indiquaient nos projections, nous étions admissibles au programme de subventions postales, nous réduirions alors nos frais d'abonnement de 10 $, ce qui correspond au montant que nous obtiendrions en subvention postale pour chaque abonné. Nous avons toujours fait en sorte que les subventions profitent aux abonnés. Si nous n'obtenons pas de subventions, alors nos concurrents peuvent offrir des tarifs qui sont artificiellement inférieurs aux nôtres. Telle est la situation; par conséquent, il s'agit avant tout d'une question de concurrence.

Nous visons un lectorat agricole, et nous gérons nos finances très rigoureusement. J'aimerais beaucoup que les agriculteurs profitent de cette subvention. Merci beaucoup.

Anders a parlé tout à l'heure du soutien publicitaire. Pour en revenir à votre question précédente, des annonceurs nous ont dit plus d'une fois qu'ils souhaitaient nous voir nous établir en Saskatchewan et en Alberta, car ils se sentent un peu limités quant aux possibilités que leur offrent ces autres marchés. Au moins, au Manitoba, ils ont un autre journal à leur disposition. Plusieurs annonceurs nous en ont fait la remarque. Mais ce n'est pas dans nos plans; ce ne serait pas une solution pratique pour nous.

La présidente : Quand avez-vous commencé vos activités?

M. Bruun : Il y a deux ans et demi, le 13 juin 2002.

En fait, la question fait plus ou moins l'objet d'un débat interne. Conrad a sans doute raison quand il parle de la difficulté de s'établir en Saskatchewan. Pour le faire, il faudrait modifier une bonne moitié de notre contenu rédactionnel. Il faudrait recruter des journalistes en Saskatchewan, présenter l'actualité nationale et internationale, et réserver un créneau aux nouvelles locales.

La présidente : Et tout cela coûte cher.

M. Bruun : Oui, tout cela coûte cher.

La présidente : Est-ce que le Manitoba Co-operator, où vous avez tous travaillé, existe toujours?

M. Bruun : Oui.

La présidente : Vous avez décidé de le quitter. Parfois, une nouvelle publication apparaît à la mort d'une publication plus ancienne, mais dans votre cas, est-ce que c'était de la concurrence directe?

M. Bruun : Je n'ai pas travaillé au Manitoba Co-operator, et les autres en ont été expulsés. Ce sont les indemnités de départ qui ont financé le lancement du journal.

La présidente : Formidable! La tradition se perpétue.

En matière de droit de la concurrence, vous dites que Glacier Ventures occupe plus de 90 p. 100 du marché. Est-ce que vous parlez du nombre de publications? Je suppose que leur tirage est encore plus important.

M. Bruun : Oui, c'est au moins 90 p. 100. Et pour le tirage, c'est plus de 95 p. 100.

La présidente : D'accord. Vous avez joint les autorités de la concurrence par téléphone?

M. Bruun : Oui.

La présidente : Vous n'avez donc aucune documentation?

M. Bruun : Je ne me souviens plus si John leur a envoyé une lettre.

La présidente : C'est un sujet extrêmement intéressant, mais de notre point de vue, tout document qui pourrait nous être remis, même de simples notes, nous aideraient à mieux comprendre la question. Toute explication quant au seuil dont vous parlez me serait très utile, et c'est ce que je vous demande de nous fournir.

M. Bruun : Nous vous le fournirons. Notre éditeur et rédacteur en chef s'est fait opérer hier. Il s'est fait retirer une partie de l'intestin et il est très affaibli, car il va être nourri par intraveineuse pendant deux semaines environ. Lorsqu'il aura récupéré et qu'il sera en mesure de consulter ses dossiers, je lui demanderais de trouver la documentation et je vous la transmettrai. C'est pour la même raison que tous les documents nous parviennent avec un retard de deux ou trois semaines. Cela ne veut pas dire que nous nous occupons désormais d'autres dossiers.

La présidente : Merci beaucoup, et vous transmettrez nos souhaits de prompt rétablissement au convalescent.

M. Bruun : Merci encore de nous avoir accueilli avec un préavis aussi court.

La présidente : Nous sommes heureux de vous avoir eu parmi nous.

[Français]

Honorables sénateurs, nos prochains témoins, que j'inviterais à se présenter, sont des représentants de la Société Radio-Canada, à Winnipeg.

Alors bonjour, messieurs. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous accueillons donc des représentants de Radio- Canada dans l'Ouest du Canada. Il s'agit de M. René Fontaine, directeur de la radio française de la région des Prairies, M. Gilles Fréchette, chef des émissions à la radio française au Manitoba, et M. Lionel Bonneville, directeur de la télévision française de l'Ouest. Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.

Je pense que l'on vous a déjà expliqué que vous devez faire une présentation d'une dizaine de minutes. Nous passerons ensuite à la période des questions. La parole est à vous.

M. Lionel Bonneville, directeur régional, télévision française de l'Ouest, CBC/Radio-Canada : Tout d'abord, honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Manitoba. Je vous remercie beaucoup de cette occasion de vous parler de la télévision française dans l'Ouest, parce que c'est ce que je représente. Chez nous, cela se traduit par quatre stations, une station par province, et quatre bureaux journalistiques.

Nous sommes le seul producteur diffuseur dans l'Ouest à avoir des racines si profondes dans les territoires de l'Ouest. Le câble et le satellite offrent maintenant d'autres télévisions françaises et on accepte cela très bien, parce que lorsqu'on est en situation minoritaire, on ne peut jamais avoir trop de services en français. Donc, c'est de la compétition pour nous et on aime bien cela. Mais Radio-Canada demeure essentiel au développement de la communauté, à l'épanouissement de la communauté et comme interlocuteur principal auprès des parlants français.

Nos stations sont appelées à jouer un double rôle. Le rôle le plus important est d'assurer le reflet à la région. Comment y arrivons-nous? Tout d'abord, nous nous assurons que les auditoires sont bien informés des nouvelles importantes du jour, qu'il s'agisse de nouvelles sur la communauté minoritaire ou de nouvelles d'intérêt général pour tous les citoyens et citoyennes de la région.

Du lundi au vendredi, dans toutes les provinces, chaque station présente un magazine d'information, un bulletin de nouvelles. Toujours sur le plan de l'information, les stations combinent leurs efforts pour produire une demi-heure d'affaires publiques par semaine. On examine les grands dossiers et on analyse plus en profondeur les grandes questions de l'heure. Cela se traduit par une collaboration entre les quatre stations. Nous diffusons des émissions spéciales ponctuelles, par exemple les élections provinciales qui auront lieu très bientôt en Colombie-Britannique.

Comme la vie de la communauté minoritaire va bien au delà des nouvelles, on produit d'autres types d'émissions qui sont importantes à la communauté. Depuis plusieurs années maintenant, nous servons la jeunesse car c'est un segment de la population jugé important pour le bon développement de la communauté. Nous avons une série qui s'intitule « Aujourd'hui on y va » qui s'adresse aux jeunes de 10 à 13 ans et aux élèves des écoles françaises et des écoles d'immersion. Nous sommes assez fiers de cette série.

Nous ne négligeons pas non plus le secteur artistique et culturel car il s'agit là d'un autre important élément de la vie communautaire, c'est un peu l'âme de la communauté. Nous essayons de refléter ce qui se passe sur le plan culturel dans la communauté. Nous avons une série hebdomadaire qui s'intitule Zigzag, un magazine hebdomadaire d'une demi-heure qui est le fruit de la collaboration de quatre stations du Manitoba jusqu'à la Colombie-Britannique.

Cette série est complétée par d'autres émissions qui mettent l'accent sur les artistes en émergence. À titre d'exemple, les collègues de la radio produisent à chaque année un concours intitulé Chant'Ouest, et nous nous inspirons de ce concours pour produire deux demi-heures de variétés. Mais nous mettons également d'autres artistes en émergence à l'antenne, comme par exemple Madrigaïa du Manitoba et Polyester de la Saskatchewan. La moyenne annuelle de production est de sept à huit émissions de variétés par année.

Enfin, sur le plan régional, nous faisons une promotion assez phénoménale des activités et des institutions francophones dans l'Ouest. En 2003-2004, nous avons mis 18 heures de promotion communautaire à l'antenne. C'est l'équivalent d'une série de 36 demi-heures. C'est vraiment un temps d'antenne considérable qui, je pense, est très apprécié par la communauté.

Comme je le disais précédemment, les stations jouent un double rôle. Le second rôle est d'assurer le reflet national de la région sur l'ensemble du pays. Il s'agit pour nous d'un mandat très important. Nous avons une émission hebdomadaire qui s'intitule L'accent, qui se veut une émission sur la vie francophone hors Québec. Cette émission est à l'antenne de la première Chaîne et de RDI depuis maintenant dix ans.

À l'antenne de RDI, nous avons également une émission d'information quotidienne d'une heure qui porte sur les quatre provinces de l'Ouest, sur les Territoires du Nord-Ouest et sur le Yukon. Depuis 10 ans déjà, le Réseau de l'Information diffuse des nouvelles de l'Ouest à l'échelle du pays.

Cinq équipes sont dédiées exclusivement aux émissions d'affaires publiques de la Première Chaîne, des émissions comme Zone Libre, Découverte, Enjeux, La Semaine Verte et Second Regard. À l'année longue, ces équipes montent de grands reportages et nous en sommes assez fiers.

La présidente : Monsieur Bonneville, je regrette de vous interrompre. Nous semblons éprouver certains problèmes avec la traduction simultanée.

M. Bonneville : Je m'exprime peut-être trop rapidement?

La présidente : Il semble que ce soit un problème d'ordre technique.

M. Bonneville : Je crois avoir distribué également des copies de ma présentation en anglais. Si les sénateurs ont manqué certains de mes commentaires, ils pourront se référer au texte anglais.

La présidente : Nous sommes un comité du Sénat du Canada. Je vous invite à parler dans la langue officielle de votre choix.

M. Bonneville : En terminant, j'aimerais mentionner que nous sommes en partenariat avec la communauté, avec nos collègues de la radio et avec d'autres réseaux de télévision tels Art TV, une chaîne spécialisée dans les arts et la culture ainsi qu'avec TV5 Québec/Canada.

Nous travaillons en collaboration avec ces chaînes et avec des producteurs indépendants qui produisent des émissions pour nous. Cette collaboration est très importante. Elle nous permet de bonifier notre offre de programmation.

En conclusion, je peux affirmer que je suis très fier de nos équipes, compte tenu des moyens dont ils disposent pour servir le public de l'Ouest. Je pense que nous occupons une place aussi importante à Radio-Canada aujourd'hui qu'il y a 30 ans et ce, même s'il faut évoluer, changer et s'adapter aux nouvelles conditions.

C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Entre-temps, je cède la parole à mes collègues de la radio.

M. René Fontaine, directeur de la radio française, région des Prairies, CBC/Radio-Canada : Honorables membres du comité, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous pour parler des services de la radio de Radio- Canada dans l'Ouest canadien. J'essaierai tout d'abord de vous brosser un tableau de la place qu'occupe la radio publique dans les provinces canadiennes Je demanderai ensuite à mon collègue du Manitoba de vous parler plus spécifiquement des activités de la radio dans sa région.

Solidement enracinée dans son milieu, la radio française de Radio-Canada compte une vingtaine de stations ou centres de production régionaux, ainsi que 14 bureaux journalistiques au pays. Elle constitue le réseau d'information de langue française le plus complet au Canada. Elle est la seule radio publique francophone au monde à diffuser de part et d'autre de tout un continent par voie hertzienne.

Avec plus d'un million d'auditeurs, notre radio connaît des succès d'écoute sans précédent. Les plus récents sondages d'écoute BBM font foi de cette progression exceptionnelle. Les résultats d'automne 2004 sont les meilleurs jamais obtenus pour la radio française et ce, tant pour la Première Chaîne que pour la nouvelle chaîne, space Musique, dont l'auditoire a augmenté de 43 p. cent par rapport à l'automne 2003.

Notre mandat est d'informer et de divertir. Notre mission est d'offrir aux Canadiens et Canadiennes de l'information pertinentes, de présenter des émissions qui reflètent les réalités et la diversité du pays, de soutenir les arts et la culture au Canada et jeter des ponts entre les diverses communautés et régions.

Cette mission guide nos choix de programmation et les plans de déploiement d'antenne de la radio de Radio-Canada sur ses deux chaînes complémentaires. La Première Chaîne est dédiée à l'information et à la culture en général tandis que Espace Musique est consacrée à la diversité musicale canadienne.

La Première Chaîne est la première voix de la radio de Radio-Canada. Ses antennes pancanadiennes atteignent 98 p. 100 des francophones du pays à travers six fuseaux horaires. Aux heures de grande écoute, ces émissions sont toutes produites en région. D'heure en heure, la Première Chaîne présente des bulletins complets de nouvelles internationales, nationales ou régionales. Elle présente également une émission quotidienne d'actualités ainsi que quatre grands magazines hebdomadaires d'affaires publiques.

L'autre aspect de sa programmation, la culture sous toutes ses formes, se retrouve dans une vingtaine d'émissions produites par des équipes pouvant traiter aussi bien des arts que de la littérature, de philosophie ou de grands courants qui forment ou qui ont formé la société dans laquelle nous vivons.

La deuxième chaîne de Radio-Canada, Espace Musique, est née en septembre dernier, ayant suscité des réactions fort positives de la part des auditeurs en région. Cette chaîne entièrement musicale s'est donnée la mission de combler un manque de diversité musicale sur les ondes canadiennes. Dix-huit nouvelles antennes ont vu le jour sur l'ensemble du territoire canadien et l'offre a effectivement doublé les services radiophoniques de langue française offerts dans la plupart des régions canadiennes.

Cette nouvelle radio distinctive offre un menu composé de musique classique, de jazz, de chanson francophone, de musique du monde et de musique émergeante. Elle a été accueillie avec joie par les francophones et les cotes d'écoute de l'automne dernier reflètent clairement un intérêt marqué de la part de plusieurs auditeurs anglophones.

Offrir deux stations de radio publiques distinctes et complémentaires de langue française accessibles d'un bout à l'autre du pays nous a permis d'atteindre les trois objectifs de la radio de Radio-Canada qui sont l'encrage régional, l'ouverture sur le monde et le développement du talent canadien.

M. Gilles Fréchette, chef des émissions de CKSB Manitoba, va maintenant vous expliquer de quelle façon cette mission de la radio publique s'accomplit dans l'Ouest canadien.

M. Gilles Fréchette, chef des émissions de la radio française (Manitoba), CBC/Radio-Canada : Madame la présidente, honorables membres du comité, j'aimerais à mon tour vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de vous parler des services que nous rendons dans notre région. Les stations de l'Ouest diffusent environ 40 heures de programmation régionale chacune, par semaine, et ce aux plus grandes heures d'écoute de la radio, soit le matin, le midi et l'après-midi sur semaine, ainsi que les samedi et dimanche matin.

Chacune des stations produit une cinquantaine de bulletins de nouvelles régionales par semaine et la station de Regina produit une vingtaine de bulletins de l'Ouest. La station de Winnipeg produit quotidiennement, avec des journalistes des quatre provinces, une courte émission sur les activités de l'Ouest en fin de journée.

Chacune des stations produit un nombre impressionnant d'émissions spéciales qui reflètent l'activité de la région. Elles assurent également un reflet de la région dans les bulletins de nouvelles nationales ainsi que dans les émissions du réseau. En effet, plus de 250 contributions par année sont alimentées de chacun des centres de production, principalement vers le réseau mais aussi vers les autres stations de Radio-Canada.

L'ajout de la nouvelle émission culturelle nationale Portes Ouvertes a ouvert un nouveau créneau de collaboration pour les régions dans la grille de cette année. Nous y entendons régulièrement les journalistes de l'Ouest, comme c'est le cas d'ailleurs dans les autres émissions nationales comme D'un soleil à l'autre ou encore Les Affaires et la vie.

La radio régionale contribue également au succès de la nouvelle chaîne Espace Musique par le truchement d'ententes de production et de captation avec des organismes qui parrainent l'activité musicale dans nos milieux, et ce notamment dans le monde du jazz, dans les villes de Winnipeg, Edmonton et Calgary.

Il y a trois ans, la Première Chaîne a augmenté de façon importante la diffusion de l'information internationale. À l'instar des services nationaux, les stations régionales cherchent également à faire rayonner leur région à l'étranger et s'associent à des radios européennes avec qui elles produisent des émissions spéciales ou échangent des contenus radiophoniques.

À titre d'exemple, CKSB/Manitoba diffuse à toutes les semaines depuis deux ans une émission de 30 minutes avec France-Bleu Alsace. C'est une initiative qui appuie des jumelages récemment entrepris entre les régions du Bas-Rhin en France et le Manitoba. Toutes les semaines, il y a donc des milliers d'Européens qui entendent parler d'actualité canadienne grâce à l'apport de la radio française des Prairies. Il n'y a aucun autre média régional qui peut se vanter d'en faire autant pour mettre sa région en évidence à l'étranger.

Les stations régionales de l'Ouest sont aussi fermement engagées dans le développement des nouveaux talents de la chanson. Radio-Canada participe à un programme de dépistage, de formation et de présentation des talents émergents grâce à un partenariat avec les organismes culturels de l'Ouest.

Des événements de la chanson dans chacune des provinces mènent les artistes les plus prometteurs au gala de la chanson de leur région respective et les lauréat de ces galas se retrouvent par la suite au Chant'Ouest, un concours interprovincial regroupant les quatre provinces. Les lauréats du Chant'Ouest sont automatiquement admis dans le Festival international de la chanson de Granby. Le Chant'Ouest en est à sa seizième édition et les lauréats des dernières années sont parmi les plus couronnés des concurrents de Granby.

Les émissions et les reportages produits par la radio publique en région s'inspirent des mêmes normes et pratiques journalistiques qui guident tous les artisans de Radio-Canada. Au fil des ans, l'excellence du travail accompli dans cette région a été reconnue par diverses organisations, tant au niveau national qu'international. Qu'il s'agisse d'un prix de la Asia Pacific Broadcasting Union pour la production d'émissions pour enfants, ou encore d'un prix de la Commonwealth Broadcasting Association pour l'innovation en matière de gestion, ce sont toutes des marques de reconnaissance du travail exceptionnel qui se fait à la radio publique dans les régions, et dont nous sommes particulièrement fiers. Je vous remercie beaucoup.

La présidente : C'est absolument fascinant. Nous allons commencer avec le sénateur Chaput.

Le sénateur Chaput : Merci, madame la présidente. Bonjour, messieurs. Merci de vos présentations. Je suis, comme vous le savez, une fidèle auditrice des émissions que vous nous offrez, que ce soit à la télévision ou à la radio.

J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de votre cote d'écoute, que ce soit à la télé ou à la radio. Parlez-nous un peu plus, d'après les analyses que vous faites, des gens qui vous écoutent et quels semblent être les programmes les plus importants d'après vos auditeurs et auditrices?

M. Bonneville : Je vais parler pour la télévision, mais je pense que cela peut s'appliquer aussi bien pour la radio. Malheureusement pour nous, les principaux outils de sondage au pays, les BBM, Nielsen et autres, tiennent compte d'échantillonnages beaucoup trop petits dans notre territoire pour donner un sondage exact et pour donner une réponse exacte. Nous ne disposons donc d'aucun outil qui nous donne avec précision, par exemple au Manitoba, combien de gens regardent la télévision française et combien de gens écoutent la radio française.

C'est difficile pour nous. On a déjà essayé de voir si on ne pouvait pas faire un autre sondage beaucoup plus précis sur le territoire et cela coûterait tellement cher que ce n'est pas dans nos moyens.

Cela dit, on fait beaucoup de sondages qualitatifs. On a des grandes familles de francophones dans l'Ouest. On les rencontre souvent, donc on a une idée subjective de qui nous écoute et combien de gens nous écoutent, mais pas de façon scientifique.

Depuis très peu, pour les services qui sont les distributions par satellite, soit à ExpressVu ou à StarChoice, nous pouvons maintenant avoir une certaine portée. Par exemple, au Manitoba, le sondage de l'automne donne pour la télévision française du Manitoba une portée de 180 000, ce qui est vraiment phénoménal. Cette mesure est exacte parce qu'elle est nationale. Malheureusement, cela ne nous dit pas combien de ces 180 000 personnes habitent le Manitoba. Ce n'est que sur le plan national. Cela mesure qui regarde la télévision française par satellite. Mais au moins, on sait que la télévision française au Manitoba intéresse bien des gens, bien au-delà de ses frontières.

C'est une réponse insatisfaisante, et pour vous et pour nous, mais malheureusement c'est la réalité.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous me dire quelle est la taille de la population francophone dans les Prairies ?

M. Bonneville : D'après le recensement de Statistique Canada de 2001, on compte 172 000 francophones de langue maternelle française, et il existe également 580 000 personnes bilingues, ce qui représente une augmentation d'environ sept et demi pour cent par rapport au recensement de 1996.

Le sénateur Tkachuk : À la télévision de CBC, quel est le budget des Prairies et quelle partie de ce budget est consacrée à des documentaires?

M. Fontaine : Tous les chiffres de notre budget apparaissent dans notre rapport annuel. Nous serons heureux de vous en faire parvenir un exemplaire, qui vous donnera une idée des ressources consacrées aux régions.

Je peux vous dire que près de la moitié du budget de la radio francophone est investie dans les émissions à vocation régionale.

Il va sans dire que le financement de toute l'entreprise pose une question difficile car comme vous le savez, en 1996, elle a dû diminuer son budget de 425 millions de dollars. Et depuis, nous nous sommes efforcés d'en faire le plus possible avec ce qu'on nous accorde au plan financier. Je pense que nous avons remarquablement bien réussi, compte tenu de l'ampleur de cette compression budgétaire.

Au cours des quatre dernières années, le gouvernement nous a accordé une rallonge de 60 millions de dollars, mais nous l'obtenons chaque année à titre temporaire, et il est donc très difficile pour nous de planifier la programmation que nous proposons aux Canadiens. Nous espérons que le montant va être intégré au budget de base de l'entreprise.

Le sénateur Tkachuk : Vous pourriez peut-être m'aider, car j'ignore comment se divise exactement le rapport annuel, et si la radio et la télévision sont présentées conjointement, mais j'aimerais savoir quelle partie du budget des Prairies est consacrée aux nouvelles télévisées. Combien de journalistes avez-vous? Voilà ce qui nous intéresse, et il nous serait très utile de le savoir.

M. Bonneville : Je dis parfois — et je plaisante à peine — que, dans l'Ouest canadien, nous sommes tous métis; je suis français et anglais, et ce n'est donc pas un problème pour moi, du moins je l'espère.

Environ 25 p. 100 du budget de la télévision francophone de Radio-Canada est destiné aux régions. Nous avons quatre régions du côté de la télévision, à savoir le Canada atlantique, le Québec, l'Ontario et l'Ouest canadien.

Le sénateur Tkachuk : Quel est le montant de ce budget?

M. Bonneville : Pour la télévision française, il est d'environ 325 millions de dollars. Il est difficile de vous donner un chiffre précis. Je n'essaie pas d'éluder la question, mais il y a un budget de base, dont une partie est reportée d'une année à l'autre, en fonction du nombre d'événements spéciaux qui ont été présentés. Par exemple, cette année, nous allons couvrir les élections en Colombie-Britannique, ce qui va faire augmenter notre budget. Ce qui complique également la situation, c'est que bien souvent les services anglais et français sont combinés, et les installations sont gérées par les services anglophones, si bien que les chiffres correspondants n'apparaissent pas dans notre budget. Les montants sont non pas du côté francophone, mais du côté anglophone. C'est un arrangement financier assez compliqué.

Pour répondre à votre question sur l'affectation de nos ressources, l'essentiel du budget est consacré aux nouvelles et aux affaires courantes. C'est notre mandat principal. Il s'agit de veiller à ce que les francophones et les bilingues de l'Ouest canadien soient bien informés de ce qui se passe dans leur province ou leur territoire. Il importe également de veiller à ce que cette information soit diffusée également au réseau national.

Je n'ai pas les documents devant moi, mais je pourrais vous donner des chiffres plus précis, si vous le souhaitez. Je vous dirais cependant qu'au moins 80 p. 100 de notre budget est consacré aux nouvelles et aux affaires courantes.

Le sénateur Tkachuk : Les 325 millions de dollars sont donc pour l'ensemble du Canada?

M. Bonneville : C'est exact.

Le sénateur Tkachuk : Et une partie de ce budget est consacrée à l'Ouest canadien, mais nous n'en connaissez pas le montant exact, n'est-ce pas?

M. Bonneville : Non, car encore une fois, le budget comporte trois éléments. Il y a le budget de base, puis le budget que nous appelons « extraordinaire ». Il s'agit des montants ponctuels.

La présidente : Ça ne fait pas partie du budget de base.

M. Bonneville : C'est du financement spécial.

La présidente : Du financement unique.

M. Bonneville : C'est cela, du financement unique. Il y a ensuite le financement de l'infrastructure, par exemple, pour tous nos postes émetteurs, qui n'apparaît pas dans mon budget, et pourtant, nous avons une forêt de postes émetteurs dans l'Ouest canadien pour la télévision et la radio. C'est couvert par les fonds généraux. Il est donc difficile de vous donner un chiffre exact.

Le sénateur Tkachuk : Quelle que soit la répartition du budget, combien de journalistes avez-vous dans les Prairies ou dans l'Ouest canadien?

M. Bonneville : Pour la télévision, nous avons 30 journalistes dans les quatre provinces de l'Ouest et nous avons un bureau à Whitehorse, au Yukon, avec un journaliste de la télévision, qui fait partie des 40. Quand je dis 40, c'est parce que nous avons d'autres journalistes, des responsables de la mise en pages, des agents des affectations, des gens qui mettent les émissions en ondes. C'est donc 40 journalistes en tout, dont 30 qui font du reportage.

Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il d'autres sources privées de nouvelles en français qui ne relèvent pas du gouvernement ni de Radio-Canada?

M. Bonneville : Dans l'Ouest canadien?

Le sénateur Tkachuk : Oui.

M. Bonneville : Non, il n'y en a pas.

Le sénateur Tkachuk : Il n'y a donc pas de journaux ou...

M. Bonneville : Excusez-moi, je parlais seulement de la télévision.

Le sénateur Tkachuk : C'est cela, des journaux ou...

M. Bonneville : Si, il y a des journaux. Chaque province a un hebdomadaire qui s'adresse aux francophones.

Le sénateur Tkachuk : Bien.

M. Bonneville : Il y a aussi la radio communautaire. Je ne sais pas si elle propose des émissions d'actualités.

Le sénateur Tkachuk : Oui, je crois que nous allons accueillir aujourd'hui un représentant de la radio communautaire.

M. Bonneville : En ce qui concerne la présence de la radio ou de la télévision nationales, nous sommes les seuls dans l'Ouest canadien.

Le sénateur Tkachuk : En effet. L'avantage d'une date fixe pour les élections, c'est que vous pouvez planifier l'événement pour la Colombie-Britannique.

M. Bonneville : Exactement. Nous l'apprécions beaucoup.

Le sénateur Munson : Je suis originaire du Nouveau-Brunswick et il a fallu attendre mon héros, Louis Robichaud, avant que tout le monde soit traité sur un pied d'égalité. C'était là une annonce payée par le parti. Cependant, au Manitoba, où il faut contrer l'assimilation, préserver l'intérêt des jeunes et les mettre en contact avec leur patrimoine, est-ce que Radio-Canada aurait besoin de fonds supplémentaires pour empêcher que les francophones se fassent assimiler dans cet océan anglophone?

M. Fontaine : Absolument. Il va sans dire que, lorsque la société a subi ces compressions budgétaires en 1996, nous avons été partiellement épargnés, mais nous avons quand même perdu environ 30 p. 100 de notre budget. Nous avons gardé le même nombre d'heures d'antenne, mais le personnel a diminué et nous avons dû présenter dans notre programmation davantage de musique et moins d'information qu'avant.

Aujourd'hui, nous avons plusieurs émissions spéciales pour les jeunes. Pendant plusieurs années, il y avait Les Petites Oreilles qui s'adressait à l'auditoire des 4 à 7 ans, qui a connu un succès considérable et qui est encore diffusée en milieu scolaire. La production se faisait ici, au Manitoba. Nous avons également une nouvelle initiative destinée aux adolescents. L'émission s'appelle Ceci est un TEST!; on l'a annoncée cette semaine et elle va être diffusée dans les Prairies. Il s'agit essentiellement de musique, mais l'émission s'adresse à la jeune génération et elle a déjà remporté un certain succès en Alberta, où on a commencé à la diffuser l'année dernière. Nous l'étendons maintenant à la région des Prairies. Nous avons donc un certain nombre d'initiatives qui visent effectivement la jeune génération.

Le sénateur Munson : Malgré tout, j'ai l'impression qu'avec plus de musique et moins d'information, la tendance n'est pas très bonne. Qu'en pensez-vous?

M. Fontaine : Une des choses que nous espérions pouvoir faire et qui a fait l'objet de nos efforts soutenus, c'était d'offrir plus d'émissions d'affaires courantes. Vous savez peut-être que la ministre du Patrimoine a présenté hier au Comité du patrimoine une stratégie d'accroissement de la programmation régionale. Nous espérons que le gouvernement pourra la financer, d'autant plus que le Comité du patrimoine a souligné les besoins criants dans ce domaine, par suite des difficultés financières que nous avons connues par le passé. Nous souhaitons que le gouvernement accepte ces propositions et qu'il veuille bien financer davantage les programmes régionaux pour nous permettre d'offrir plus d'émissions d'information.

La programmation régionale est très appréciée, comme en témoignent les exposés que vous avez entendus aujourd'hui. C'est ce qu'indiquent nos sondages. Naturellement, notre auditoire est un peu plus âgé, étant donné les programmes que nous offrons. En règle générale, les émissions d'information attirent un auditoire plus âgé, mais nous essayons tout de même de diversifier notre programmation afin de diversifier notre auditoire. Voilà pourquoi nous offrons des émissions qui s'adressent aux auditeurs de différents groupes d'âge.

M. Bonneville : Permettez-moi d'ajouter quelque chose. J'ai dit tout à l'heure à quel point je suis fier des gens qui travaillent dans notre région, mais nous ne pouvons pas en faire plus avec les ressources que nous avons et nous ne pouvons pas offrir une programmation aussi complète qu'une station de télévision le ferait normalement. Par exemple, nous ne diffusons les nouvelles locales que cinq jours par semaine. Nous ne le faisons pas les samedis et dimanches, et pourtant la terre continue à tourner ces jours-là. Nous évoluons dans un milieu concurrentiel, nos auditeurs ou nos téléspectateurs ont le droit d'avoir des émissions d'actualités la fin de semaine, ce que nous ne leur offrons pas encore. Nous souhaitons pouvoir le faire.

Nous voudrions aussi offrir des émissions d'actualités le midi, parce que de plus en plus de stations le font.

Les responsables de la télévision française dans toutes les régions aimeraient participer davantage à la programmation nationale, non seulement aux nouvelles, mais aussi au chapitre des dramatiques. Cette année, nous avons la série FranCoeur, en provenance de l'Ontario. C'est la première fois que nous avons une série dramatique située à l'extérieur du Québec. À l'instar des autres régions, nous, dans l'Ouest, aimerions que la télévision nationale présente un reflet de notre région et renseigne l'ensemble de la population sur notre région autrement que par des émissions d'actualités. Les émissions d'actualités sont évidemment très importantes, mais elles ne décrivent pas tous les aspects de la société. Nous devrions faire connaître autre chose au sujet de l'Ouest canadien.

Le sénateur Tkachuk : Le réseau Newsworld couvre le Québec et le reste du Canada, même si c'est un canal de la CBC diffusé par câble. Le réseau RDI qui existe au Québec présente-t-il des nouvelles de l'extérieur du Québec ou se limite-t-il strictement à ce qui se passe dans cette province?

M. Bonneville : Pas du tout. Le tiers de la programmation de RDI est régional, ce qui inclut toutes les régions du Canada. Chaque jour, une heure du temps d'antenne de RDI est consacrée aux provinces de l'Atlantique, une heure aux régions du Québec à l'extérieur de Montréal, une heure à l'Ontario et une heure aux provinces de l'Ouest.

Nous avons également une émission quotidienne appelée Le Canada aujourd'hui, qui présente un aperçu des actualités du jour, d'un océan à l'autre. Et, bien sûr, nous avons le journal télévisé toutes les heures et demi-heures, et nos journalistes régionaux y participent régulièrement, presque tous les jours.

Le sénateur Tkachuk : Ces émissions sont-elles également diffusées les samedis et dimanches?

M. Bonneville : Oui.

Le sénateur Tkachuk : J'imagine que vous présentez plus de nouvelles locales les fins de semaine?

M. Bonneville : Effectivement, et RDI est par ailleurs un réseau accessible par abonnement. Ce n'est pas le principal canal, auquel tout le monde a droit sans frais supplémentaires. La chaîne RDI n'est pas nécessairement accessible à tous les auditeurs du pays, cela dépend des canaux offerts par leur câblodistributeur.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi le réseau RDI n'est-il pas compris dans le service câblodistribution de base? Il l'est dans notre province. C'est peut-être le cas en Saskatchewan et au Manitoba, mais peut-être pas dans d'autres provinces, n'est-ce pas?

M. Bonneville : Les responsables de RDI ont beaucoup travaillé dans ce sens, et cette chaîne fait partie dorénavant de presque tous les systèmes de câblodistribution; cependant, en particulier dans les Prairies, certains des téléspectateurs n'ont pas encore accès à la télévision par câble; ils ne peuvent que capter les signaux à l'aide d'antenne.

[Français]

La présidente : Justement, sur le plan stratégique, je ne l'ai pas vu, nous sommes en voyage et ne sommes pas à Ottawa, mais j'ai entendu aux nouvelles hier soir, en anglais, qu'on cherchait une augmentation de 75 millions pour améliorer les programmations locale et régionale. Ce serait pour tout le monde anglais, français, radio, télé.

Votre part de tout cela, une fois que c'est divisé, ne sera pas énorme. Est-ce que vous savez combien ce serait pour vous, et en termes de personnel ou de bureau, ce que cela représenterait? M. Bonneville vient de parler de ce qu'il aimerait voir comme programmation, mais est-ce que vous engageriez des journalistes? Vous ouvririez des bureaux où il n'en existe pas maintenant? Qu'est-ce que cela implique?

M. Fontaine : Pour la radio, effectivement, il y aurait un ajout de personnel et un ajout de services. Aucune somme n'a été spécifiée encore, mais on sait qu'à la radio, on chercherait à augmenter les bulletins d'information en fin de semaine. Nous n'avons toujours pas de bulletin d'information régional les samedi et dimanche. C'est ce par quoi on aimerait commencer en tout premier lieu. C'est une priorité pour nous.

Ce qu'on chercherait également à faire serait d'ajouter des équipes d'affaires publiques qui pourraient faire d'avantage d'analyse des grands enjeux sociaux dans chacune de nos régions. On ajouterait en deuxième lieu des équipes qui pourraient faire ces analyses et qui pourraient apporter une programmation spéciale d'affaires publiques à l'antenne. Et en troisième lieu, on chercherait à avoir une meilleure couverture de l'activité culturelle qui est répartie sur l'ensemble du territoire. Ce sont vraiment les trois priorités qu'on a identifiées jusqu'à maintenant. Et vraisemblablement, si la somme entière nous était versée, il y aurait un ajout de personnel dans chacun des ces champs d'action.

M. Bonneville : C'est malheureux que vous n'ayez pas le rapport, mais pour compléter peut-être, il est effectivement prévu que nous allons augmenter, si le Parlement décidait de nous accorder les sommes nécessaires, on augmenterait l'effectif journalistique de façon assez appréciable dans l'Ouest, et radio et télé, pour faire des nouvelles de fin de semaine, pour faire des nouvelles du midi, mais aussi pour mieux couvrir le territoire.

Ce que je peux vous dire de façon précise dans l'Ouest, c'est qu'on demande de pouvoir ouvrir des bureaux à Brandon, ici au Manitoba, à Kelowna en Colombie-Britannique, et à Rivière-la-Paix en Alberta. Nous aurions donc un bureau journalistique dans ces trois villes où il n'en existe pas actuellement en français, et ce serait partagé entre la radio et la télé. Donc, on doit combiner nos efforts pour pouvoir limiter la demande qu'on doit faire au Parlement pour agrandir notre service de collecte de l'information.

La présidente : Est-ce que vous aviez des bureaux dans ces endroits avant les grandes coupures?

M. Bonneville : Non.

La présidente : Est-ce que vous aviez plus de journalistes avant les coupures?

M. Bonneville : La réponse est oui et non. On a beaucoup protégé la collecte de l'information. Donc, on a autant de journalistes maintenant qu'on en avait avant les coupures. Là où on a beaucoup réduit, c'est dans l'administration et dans la présentation de ces émissions.

La présidente : Les heures d'antennes et tout?

M. Bonneville : C'est cela, les réalisateurs, les techniciens, parce que la technologie nous a beaucoup aidés. La technologie est beaucoup moins exigeante maintenant en termes de ressources humaines. Donc, c'est là où on a fait nos compressions, beaucoup en administration, en présentation et en technique.

Alors on a protégé la collecte de l'information, parce qu'on a dit que c'était vital de continuer à faire la collecte des nouvelles. C'est donc ce que nous avons protégé — à la télévision, du moins.

M. Fontaine : À la radio, on a à peu près le même nombre de journalistes dans nos salles de nouvelles qu'on avait auparavant. Par contre, on a moins de journalistes dans nos émissions. La plupart des stations avaient des émissions d'affaires publiques en fin d'après-midi. Maintenant, on a plus de journalistes affectés à ces émissions. C'est pourquoi la nature des émissions a changé dans la plupart des régions.

La présidente : C'est fascinant. Malheureusement, il nous manque du temps. La dernière question est pour le sénateur Chaput.

Le sénateur Chaput : Une des questions clés qui est traitée par le comité présentement dans cette étude est de savoir si les collectivités, les minorités et les centres éloignés sont bien desservis. Dans le cas de la communauté francophone en situation minoritaire qui, de plus, est dans un endroit éloigné, est-ce qu'elle a, d'après vous, autant de services en français que la communauté de langue anglaise dans les centres éloignés? Est-ce qu'on peut comparer? La question est difficile.

M. Bonneville : Encore une fois, j'aurais deux réponses. En ce qui a trait à la télévision française, je dois dire honnêtement qu'à l'heure actuelle, si vous faites la comparaison avec la CBC — parce que nous sommes deux télévisions publiques, c'est peut-être là la comparaison la plus honnête —, en réalité nous avons dans l'Ouest maintenant une programmation plus variée du côté français que du côté anglais. Du côté de la CBC, ils font de la nouvelle maintenant. Pour notre part, nous faisons nouvelles, culture et jeunesse. Donc, dans ce sens, nous avons une programmation plus riche que la télévision anglaise, je dois le dire honnêtement parce que c'est le cas.

Est-ce suffisant? Je répondrais par la négative parce qu'en situation minoritaire — et je ne veux pas exagérer le rôle de Radio-Canada parce qu'on est une institution importante, je pense —, on n'est pas la seule qui vient appuyer la communauté. Mais néanmoins, on a un rôle important. Et je pense qu'étant donné que nous sommes les seuls producteurs, le seul diffuseur local, il faut pouvoir aller dans toutes sortes de directions, parce que nous sommes les seuls à pouvoir offrir ce service à la population et elle a besoin de se voir à l'antenne beaucoup pour qu'elle puisse se développer et s'épanouir. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Fontaine : À la radio, on a quand même fait des gains intéressants au cours des dernières années parce qu'on a ajouté du personnel, à titre d'exemple, dans les villes de Saskatoon et de Calgary. À Calgary, en 1999, il y avait une personne affectée et installée à Calgary. Il y en a maintenant six aujourd'hui. Il y a eu un certain déplacement d'Edmonton, mais on a ajouté des ressources là également. Alors, on a vraiment cherché à couvrir beaucoup mieux l'ensemble de la région. Je sais qu'on a ajouté un journaliste également à Victoria. Alors maintenant, lorsqu'on va dans les plus petites localités, on le fait en se déplaçant. Ce n'est pas possible pour nous de faire autrement. Surtout que les populations francophones sont en plus petit nombre, dans certaines de ces régions plus éloignées.

La présidente : Messieurs, nous vous remercions infiniment. Je suis désolée de ne pas avoir plus de temps. Votre témoignage nous a vraiment été très précieux. Nous vous remercions d'être venus.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Madame la présidente, je voudrais apporter une correction à ce que j'ai dit. M. Bonneville avait raison, et je tiens à le clarifier : il faut s'abonner au service le plus complet pour avoir accès à RDI dans les Prairies. Je pensais à la télévision française, pas au réseau RDI.

M. Bonneville : Les câblodistributeurs se sont montrés de plus en plus réceptifs à nos demandes au fil des ans, si bien que la plupart d'entre eux offrent désormais le réseau RDI, mais pas toujours au cours de la première année.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez raison, pas au cours de la première année.

La présidente : Il en va de même du réseau Newsworld à l'extérieur de Montréal. Si je m'arrête à un hôtel de Trois- Rivières, je peux avoir accès à CNN mais pas à Newsworld.

Le sénateur Tkachuk : Cependant, Newsworld fait partie du service de base partout sauf au Québec?

La présidente : Au Canada anglais, oui. C'est la même situation que le réseau RDI.

M. Bonneville : La situation des hôtels est particulière. C'est mon cheval de bataille depuis des années. À mon avis, le CRTC traite les hôtels presque comme des résidences privées. Ils n'ont pas l'obligation d'offrir les mêmes services qu'un câblodistributeur. Quand ils s'abonnent à un service de câblodistribution, ils peuvent choisir ce qu'ils veulent. Ils ne sont donc pas régis par les règles du CRTC.

La présidente : Je pense que la situation est la même à l'extérieur des hôtels.

[Français]

Nos prochains témoins représentent la Société franco-manitobaine. M. Daniel Boucher, président et directeur général de la Société franco-manitobaine, merci beaucoup d'être parmi nous ce matin. La parole est à vous.

M. Daniel Boucher, président et directeur général, La Société franco-manitobaine : Mesdames et messieurs les sénateurs, la Société franco-manitobaine tient à vous remercier de lui donner l'occasion de présenter son point de vue concernant les médias canadiens d'information. Permettez-moi d'abord de vous rappeler le mandat de notre organisme.

La Société franco-manitobaine, porte-parole officiel de la communauté franco-manitobaine, veille à l'épanouissement de cette communauté et revendique le plein respect des droits de celle-ci. De concert avec ses partenaires, elle planifie et facilite le développement global de la collectivité et en fait la promotion. Notre vision de l'avenir se résume en peu de mots. Nous désirons assurer la normalisation de la vie en français pour nous-mêmes et pour les générations à venir. D'ailleurs, notre slogan depuis quelques années est « De génération en génération ». En d'autres termes, nous voulons que la vie en français devienne une réalité, c'est-à-dire une partie intégrale du vécu quotidien des francophones du Manitoba. Pour conserver notre langue et notre culture, nous devons veiller à ce que les services des secteurs publics et privés soient offerts dans les deux langues officielles.

Nos points saillants touchent essentiellement l'importance d'avoir des médias francophones qui soient bien appuyés de part et d'autre pour desservir nos communautés. Nous vivons dans un monde de communications complexe, celui des 500 ou 200 canaux, selon l'endroit où nous habitons. Les francophones en situation minoritaire sont submergés par les médias anglophones canadiens et même américains. Il est essentiel d'avoir une programmation et des services accessibles de qualité pour nos francophones.

Au Manitoba français, nous sommes très bien servis par la Société Radio-Canada. Leur présence locale est importante pour notre communauté. Il reste cependant beaucoup à faire, comme vous l'ont témoigné les représentants de Radio-Canada.

Premièrement, nous demandons que l'État appuie davantage de services en français et, deuxièmement, que ces services reflètent davantage notre réalité locale. La télévision et la radio de Radio-Canada, à l'heure actuelle, reflètent principalement les réalités montréalaises et québécoises. Nous comprenons très bien cela, mais peut-être y aurait-il lieu de diversifier la programmation en mettant l'accent sur les régions de sorte que nos gens d'ici puissent se reconnaître, d'une part, et se faire connaître, d'autre part.

En ce sens, RDI est un outil extraordinaire pour faire connaître les francophones d'un océan à l'autre. Cependant, il y a un problème d'accessibilité, RDI ne l'est pas nécessairement. RDI a maintenant un concurrent. Shaw Cable est diffusé sur les ondes de la station MTS TV alors que plusieurs personnes n'ont même pas accès au réseau RDI sur les ondes de MTS TV. Cette situation est tout à fait inacceptable. Nous aimerions que le CRTC mette en place des mesures qui feraient en sorte que la dualité linguistique, une valeur canadienne fondamentale, soit reflétée partout au pays sans que nous ayons à nous battre tout le temps. Il est important que la Francophonie irradie partout au Canada, dans tous les coins de notre province et à tous les niveaux.

Côté radiophonique, CKSB offre un service exceptionnel au Manitoba, quoique si la chaîne est facile à syntoniser en général, dans certains coins de la province c'est un problème. Nous voulons un poste de radio, mais il faut pouvoir l'entendre à Sainte-Rose comme à Dauphin, comme dans toutes nos communautés. Lorsqu'on circule en voiture au centre-ville, si le véhicule ne date pas de 2004, on n'obtient pas toujours la fréquence, ce qui est très frustrant. Il s'agit peut-être de détails, mais ils sont importants.

Nous avons aussi d'autres médias d'information extrêmement importants pour notre communauté et qu'il faut appuyer, telles les radios communautaires, dont la station radiophonique Envol 91,1. Vous entendrez le témoignage de ses représentants dans quelques minutes. Il est essentiel pour nous que l'on continue à les appuyer. Ces radios communautaires représentent non seulement une alternative extrêmement importante à la radio de Radio-Canada, mais elles lui sont complémentaires. Elles sont un important outil de formation, entre autres. Nous espérons qu'elles continueront d'obtenir un appui important.

Nous avons également des médias écrits. Le journal La Liberté existe depuis plus de 90 ans au Manitoba français. C'est un journal de qualité, qui s'est mérité des prix de partout. Il s'agit encore de l'appuyer financièrement, de s'assurer que les annonces des gouvernements, par exemple, soient équitables, d'appuyer nos médias francophones comme on appuie les médias anglophones qui, en passant, coûtent beaucoup plus cher.

Nous voulons nous assurer que le CRTC et des comités comme le vôtre et ceux de la Chambre des communes fassent pression après des câblodistributeurs afin de faciliter l'accès des services en français sur le câble.

Il y a quelques années, lors d'une présentation devant un comité de la Chambre des communes chargé d'étudier la même question, on m'avait répondu que le problème se règlerait d'ici quelques années lorsque la technologie passerait du mode analogique au mode numérique. Nous sommes maintenant en mode numérique et, encore une fois, les services ne sont toujours pas là. C'est inacceptable. Le CRTC doit exercer son rôle de leader et faire pression sur les câblodistributeurs et tous les gens qui peuvent offrir ces services afin qu'ils respectent le choix des deux langues officielles partout au Canada. Nous devons insister sur ce point. Le CRTC doit mettre en place des mesures pour assurer les services de nos médias francophones partout au Canada.

J'aimerais, avant de terminer, parler du secteur privé. TVA a reçu une licence de diffuseur national il y a quelques années. Nous voulons nous assurer qu'il existe des normes qualitatives et quantitatives quant à la programmation de sorte qu'elle reflète notre réalité culturelle. Ce n'est pas un programme fait au Québec, pour les Québécois, qui nous intéresse.

Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Chaput : La Société franco-manitobaine est le porte-parole officiel de la communauté. Dans vos délibérations avec les communautés francophones au Manitoba, a-t-il été question d'une télévision éducative?

M. Boucher : Absolument. Cela fait des années que nous aimerions capter le réseau TFO au Manitoba. Leur programmation axée sur l'éducation et la jeunesse serait extraordinaire pour les jeunes de nos régions, mais toutes sortes de difficultés politiques l'en empêchent. C'est très frustrant. Nous travaillons avec la province du Manitoba justement pour que les câblodistributeurs offrent TFO. La télé-éducative est absolument essentielle, c'est une priorité. L'ironie veut que Les Productions River, une compagnie d'ici, fasse énormément d'émissions pour TFO. On entend parler des émissions sans jamais pouvoir les écouter.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : L'industrie de la câblodistribution est très complexe. Je sais que, si vous avez le service de base, vous avez accès à Newsworld, comme on l'a dit tout à l'heure. Cependant, les câblodistributeurs doivent payer ce service, et je suis sûr qu'ils vont imposer des frais pour RDI, frais que le consommateur devra débourser, et la plupart de la population n'est pas francophone. Si RDI permettait aux câblodistributeurs d'avoir accès gratuitement à son réseau, je suis sûr que ceux-ci l'incluraient dans le service de base. Ne pensez-vous pas?

M. Boucher : Absolument.

Le sénateur Tkachuk : Pensez-vous que RDI devrait le faire et que le gouvernement devrait s'assurer qu'il en est ainsi, plutôt que l'inverse? Parce qu'il s'agit d'une société d'État, n'est-ce pas?

M. Boucher : Oui, des mesures dans ce sens seraient utiles.

[Français]

Je pense qu'il faut absolument trouver une façon de diffuser nos produits canadiens. Qu'il s'agisse de RDI, de Musique Plus ou d'autres programmations francophones, il faut trouver les moyens de les diffuser à l'ensemble des Canadiens. Les câblodistributeurs d'ici prennent des stations américaines avant de prendre des stations canadiennes. Nous trouvons cela tout à fait anormal. Une des priorités du CRTC, de nos câblodistributeurs et du gouvernement canadien devrait être d'assurer que la programmation canadienne, RDI et autres, par exemple, soit disponible facilement pour l'ensemble des Canadiens, ce qui ne veut pas nécessairement dire gratuitement. Il faut s'assurer qu'on travaille avec les câblodistributeurs, qu'il s'agisse du CRTC ou du gouvernement canadien, pour faciliter cette diffusion.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je trouve ironique que le gouvernement canadien ait permis aux entreprises de câblodistribution de s'enrichir en volant la programmation américaine, mais qu'il ne leur permet de voler ses propres entreprises de câblodistribution. Je suis d'accord avec vous.

La présidente : Sénateur Tkachuk.

Le sénateur Tkachuk : Je n'ai plus de questions.

Le sénateur Munson : Je trouve scandaleux qu'on puisse avoir accès à des réseaux aussi extraordinaires que Fox Television au Manitoba, alors qu'on est les voisins de l'Ontario mais qu'on n'a pas accès au réseau TFO. Que faudra-t- il faire pour remédier à cette situation?

M. Boucher : Par satellite.

Le sénateur Munson : C'est un pays qui s'appelle le Canada, vous savez.

M. Boucher : C'est une excellente question, monsieur le sénateur, et il y a des dimensions politiques à cette situation sur lesquelles je n'ai absolument aucune prise.

Le sénateur Munson : Pouvons-nous faire quelque chose?

M. Boucher : Oui, j'en suis persuadé. Je pense qu'il faut aborder la question avec les câblodistributeurs. Je n'en connais pas tous les tenants et aboutissants, mais je sais qu'il y a quelques années, cela touchait la programmation au Québec. Si je me souviens bien, le Québec ne voulait pas recevoir d'émissions francophones de l'Ontario; voilà pour la dimension politique. Je ne sais pas ce qui est arrivé par la suite, mais je pense que nous devons trouver une solution. Je sais que le gouvernement du Manitoba fait des démarches actives pour que sa population ait accès au réseau TFO, mais cela coûtera de l'argent. Il essaie de régler le problème en déclarant que TFO est une station francophone à vocation éducative dans la province, car il y a certaines exemptions à cet égard.

Votre comité pourrait se pencher sur cette question et sur les facteurs qui y ont contribué, parce que l'affaire a l'air très simple mais ne l'est pas. Je ne prétends pas connaître à fond toute cette question, mais je sais que certains essaient depuis longtemps de corriger la situation et j'espère que vous pourrez tirer cela au clair et savoir pourquoi TFO n'est pas accessible au Manitoba.

Le sénateur Munson : J'ai une dernière question, qui porte sur les caractéristiques démographiques de l'auditoire. Dans le témoignage précédent, on a dit que certaines émissions s'adressent à un public plus âgé. Les jeunes Franco- Manitobains quittent-ils la province? Quelle proportion d'entre eux le fait?

M. Boucher : La proportion de ceux qui quittent la province?

Le sénateur Munson : Oui.

M. Boucher : Je ne pense pas qu'ils quittent la province. Le Manitoba compte environ 47 000 francophones, mais 100 000 personnes parlent les deux langues officielles au Manitoba parce que nous avons un programme d'immersion française très actif. Nous voulons offrir une programmation française à ces gens, à tous. Nous voulons prendre les mesures nécessaires pour y arriver. C'est une importante clientèle qui a besoin de ce genre d'émissions.

Non, les jeunes Franco-Manitobains ne quittent pas nécessairement la province. La situation au Manitoba est la même que partout ailleurs : les régions rurales se vident. Dans l'ensemble, nous ne sommes pas différents de beaucoup d'autres provinces. Cependant, nous risquons de perdre certaines occasions si nous ne commençons pas à offrir tous les genres de services, y compris de bons services de communication dans les deux langues officielles. Vous le savez mieux que moi, les gens regardent la télévision et écoutent la radio; les services sont déjà là. Nous devons donc les rendre accessibles.

[Français]

La présidente : Vous avez très bien expliqué vos besoins et votre attitude envers les médias de langue française. Mais j'aimerais vous poser une question sur les médias de langue anglaise, la langue de la majorité ici. Quand les médias du Manitoba ou les médias de langue anglaise en général couvrent votre communauté, est-ce que la couverture est adéquate? Est-ce qu'elle est juste? Parlez-moi un peu de cela. Parce que cela aussi contribue à une communauté, au tissu social.

M. Boucher : Je pense que, lorsqu'on couvre notre communauté au niveau des médias anglophones, c'est surtout toujours autour d'une question controversée. C'est rarement de la programmation ou de la couverture proactive. Quoi qu'on ait eu des discussions dans le passé et l'année passée justement d'une station privée de télévision. Radio-Canada francophone couvre nos affaires. Radio-Canada anglophone, c'est très rare qu'on va les voir, sauf si on a un événement spécial, un événement culturel ou une question controversée.

L'année dernière, la station CKY, qui appartient à CTV, nous ont approchés pour rencontrer les gens de la communauté et nous ont demandé comment on pouvait mieux nous desservir et travailler avec nous. Leur démarche était très proactive et on a vu une grosse différence. Ils sont maintenant un partenaire anglophone pour la diffusion du Festival du voyageur.

D'autre part, nous avons une mission accompagnée du premier ministre de la province qui part dans quelques semaines pour l'Alsace en France, et CKY vient avec nous. Un média anglophone vient couvrir cette rubrique, ce qui est du jamais vu.

Alors, je pense que quand on a une communication avec eux et qu'on a l'occasion de leur démontrer qui on est et ce qu'on fait, il y a un intérêt. Par la suite, ils viennent suivre nos événements et c'est à mon avis très positif.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je ne sais pas si vous avez beaucoup réfléchi à certaines de ces questions, mais vous avez soulevé des aspects importants. Dans l'ouest du Canada, nous investissons beaucoup d'argent dans le bilinguisme par le biais de l'éducation. Ma fille a bénéficié du programme d'immersion française. Mon fils, jusqu'à sa neuvième année, était en immersion française. Par la suite, ma fille a obtenu un diplôme universitaire en études françaises. Après ses études, elle est déménagée à Vancouver, et elle pourrait aussi bien se trouver à Hong Kong puisqu'il n'y a absolument rien en français. Nous ne pouvons pas donner des diplômes à tous ces gens; c'est un investissement financier énorme pour permettre à quelques-uns d'entre eux de travailler dans la fonction publique. Mais finalement, le problème réside dans le fait qu'il n'y a personne avec qui parler en français et qu'on ne peut pas écouter d'émissions en français. Par conséquent, c'est là un argument convaincant qui milite en faveur de l'accès à des réseaux comme RDI, parce que c'est le seul moyen qui permettrait aux gens de garder leur français. S'ils ne le pratiquent pas, ils risquent de le perdre. Et ce serait dommage puisque nous y aurons investi tant d'argent. C'est du gaspillage.

[Français]

M. Boucher : Merci pour la question. C'est un très bon point. Et d'ailleurs, il y a quelques années, notre communauté a mis en place une stratégie qui s'appelle « Agrandir l'espace francophone au Manitoba ». Cette stratégie est basée sur 50 ans. Et ce qu'on veut faire, c'est justement aller chercher les services et d'offrir des possibilités à toutes les personnes qui parlent les deux langues officielles. Nous avons une communauté forte, c'est toujours le cœur. Mais ce qu'on veut faire, c'est aller vers les gens d'immersion. Mais pour ce faire, il faut des outils comme RDI, Radio-Canada, la radio communautaire, nos journaux. Nous voulons diffuser ces choses. On a aussi un produit culturel qu'on veut faire valoir. Ces gens qui vont en immersion, s'ils ont la chance de voir une pièce de théâtre en français, c'est bon pour nous et c'est bon pour eux. Alors c'est notre stratégie. Mais il nous faut l'appui de gens comme vous, messieurs et mesdames les sénateurs, de nos parlementaires et de nos gouvernements provinciaux, et il faut travailler ensemble pour trouver les meilleurs moyens pour faire avancer ces stratégies qui vont faire en sorte que plus de gens au Canada vont utiliser les deux langues officielles s'ils choisissent de le faire. Alors quand ils viennent au Manitoba, ils auront beaucoup d'occasions.

Le sénateur Chaput : Ici, au Manitoba français, je pense qu'on peut dire que la communauté s'est bien concertée et elle s'est donné des stratégies. Maintenant que vous parlez d'élargir l'espace et travailler de plus près avec l'immersion, l'immigration et la majorité, est-ce que vous pouvez aussi aller plus loin et regarder une stratégie pour l'ensemble des francophones de l'Ouest du Canada? Est-ce que cela a déjà été considéré en termes de tout ce qui se passe dans les médias, pour faire en sorte que lorsqu'il y a des besoins et des demandes auprès de Radio-Canada, ou si le CRTC peut apporter certains changements, que ce soit maintenant regardé de façon pour tout l'Ouest, les francophones de l'Ouest?

M. Boucher : Absolument. Je pense qu'il est essentiel qu'on travaille ensemble dans l'Ouest canadien comme francophones. Il y a 200 000 francophones dans l'Ouest canadien, c'est donc un bassin de population important — et je parle des francophones et non des immersions, car celles-ci représentent un tout autre chiffre.

Pour nous il est important de faire des partenariats à tous les niveaux, au niveau de la communication, des dossiers de communication. Radio-Canada diffuse l'Ouest en direct, par exemple, sur RDI. Cette émission est très importante. On apprend des gens de l'Ouest canadien, des francophones de l'Ouest canadien et de l'Ouest canadien en général. Pour nous, ce sont des outils importants.

Il faut travailler ensemble pour faire en sorte que cela reste, car la longévité n'est pas toujours garantie. Et deuxièmement, il faut s'assurer que la programmation reflète vraiment les besoins. Mais c'est ensemble qu'on va pouvoir le faire. L'Ouest canadien a beaucoup à offrir et à apprendre. Il existe certainement beaucoup d'options et de possibilités à ce niveau.

Le sénateur Chaput : Lorsque des compressions budgétaires sont faites, comme celles qui se sont produites à Radio- Canada il y a plusieurs années, est-ce qu'on peut dire qu'on voit très directement et facilement les impacts de ces compressions en termes de notre vie comme francophones en situation minoritaire? Est-ce qu'on les subit immédiatement et il y a des impacts assez sérieux lorsque cela se produit?

M. Boucher : Oui, il y a eu des impacts très sérieux à un moment donné. Mais je pense qu'on a ramené les choses beaucoup avec la communication avec Radio-Canada, nous et nos collègues de l'Ouest, et cetera, on a ramené beaucoup. Mais il fut question, il y a plusieurs années, que l'émission Ce Soir soit une émission régionale, par exemple, et qu'elle vienne d'une province. Cette question avait d'ailleurs soulevé beaucoup de controverse. Depuis ce temps, on a ramené notre programmation et c'est très positif. Quand on enlève quelque chose, on réalise ce qu'on a perdu. À ce moment-ci, je pense qu'on a ramené tout cela, nous en sommes plus forts aujourd'hui, et nous voulons bâtir là-dessus. On ne veut pas reculer. Nous voulons bâtir sur ce que nous avons aujourd'hui et aller encore plus loin. Je crois que les possibilités sont là.

La présidente : M. Boucher, nous vous remercions beaucoup. C'était extrêmement intéressant.

M. Boucher : Le plaisir fut pour moi.

La présidente : J'invite nos prochains témoins à venir se présenter. Nous accueillons maintenant Mme Anne Bédard, directrice générale d'Envol 91,1, la radio communautaire du Manitoba, M. Jacob Atangana-Abé, trésorier de la station radiophonique Envol 91,1, et Mme Sylvianne Lanthier, directrice et rédactrice en chef du journal La Liberté. Bienvenue à vous.

Nous avons les textes de vos mémoires que nous allons traduire et faire circuler à tous les membres du comité. Malheureusement, nous ne disposons que de peu de temps. Alors, pour pouvoir consacrer le temps qu'il faut aux questions, si vous le permettez, je vais vous demander de nous parler un petit peu des points principaux que vous voulez nous présenter, plutôt que de lire les textes. La parole est à vous.

M. Jacob Atangana-Abé, trésorier, Envol 91,1 FM (CKXL), La Radio communautaire du Manitoba : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, au nom d'Envol 91,1, la radio communautaire du Manitoba, j'aimerais tout d'abord vous remercier de l'opportunité qui nous est donnée ici. Mon propos aura deux points principaux : vous présenter brièvement ce qu'est Envol 91,1 sans entrer dans les détails, puis tenter de répondre aux questions qui nous ont été posées. Nous n'allons pas aborder toutes ces questions, mais uniquement celles qui reflètent notre réalité vécue.

Envol 91,1 est une radio communautaire qui couvre les francophones du Manitoba. Elle est en service depuis octobre 1991, ce qui fait déjà 14 ans. Nous faisons partie d'un ensemble de réseaux. Au niveau local, nous travaillons en collaboration avec la Société franco-manitobaine et le journal La Liberté dont les représentants feront des présentations.

Nous couvrons un rayon de 120 kilomètres autour de Saint-Boniface et atteignons près de 90 p. 100 de la population francophone, ce qui représente environ 43 000 personnes qui parlent le français comme langue maternelle et 90 environ qui peuvent s'exprimer en français.

Notre spécificité c'est que, comme tout organisme communautaire, nous avons été créé parce que la communauté a ressenti un certain besoin ou un certain manque, manque des services offerts par les radios publiques ou les médias publics ou alors par les médias privés. Donc, généralement, c'est ce qui va créer la nécessité de mettre sur pied une radio communautaire.

Au sujet des questions qui nous ont été adressées, nous avons répondu à celles qui nous concernaient particulièrement, et notamment la troisième question, à savoir si les collectivités, les minorités et les centres éloignés sont bien desservis. À cette question, vous vous en doutez, notre réponse est non, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, actuellement, Envol 91,1 ou toute autre radio communautaire francophone en milieu minoritaire vit une sorte de marginalisation et une sorte de fragilisation. Cette marginalisation est due au manque d'investissements du gouvernement dans ces médias. On se sent un peu comme laissés pour compte par les différents paliers de gouvernements. La fragilité est due essentiellement à la précarité chronique de nos moyens de financement.

De plus, beaucoup de ministères et organismes fédéraux ne font pas appel à nos médias communautaires lors de campagnes d'information publiques et publicitaires. Le coup de grâce a été donné dernièrement, si vous me permettez la métaphore, avec le gel des placements publicitaires qu'a imposé le gouvernement fédéral suite à l'affaire des commandites. Ceci a entraîné pour les radios communautaires une perte de 200 000 $ environ, ce qui représente près de 10 p. 100 de leur budget.

Cette somme peut vous paraître dérisoire, mais, en tant que trésorier d'une radio communautaire, je peux vous dire qu'il nous faut des semaines de débat pour combler un déficit de 5 000 $. Alors imaginez quand il s'agit de 200 000 $.

Par rapport à cette question, nous faisons deux recommandations. Nous suggérons fortement au gouvernement canadien d'encourager la diversité et d'investir dans le secteur des radios communautaires francophones en milieu minoritaire.

La deuxième recommandation est que le gouvernement fédéral incite les ministères et organismes fédéraux à contribuer de façon concrète au développement des communautés minoritaires, conformément à l'article 45 de la Loi sur les langues officielles. Nous recommandons également que les placements publicitaires soient faits dans tous les médias communautaires, tant les journaux que les radios, afin que les communautés francophones soient pleinement informées. Je peux vous garantir que nos taux de placement, à savoir ce que nous demandons pour le placement de telles informations, est complètement dérisoire comparativement à ce qui est demandé par les médias privés.

La deuxième question qui nous concernait ou qui nous interpellait était la question no 10, à savoir quel rôle devrait jouer le CRTC sur le plan de la réglementation et de la supervision des médias d'information du Canada.

Le CRTC joue un rôle important au niveau de la réglementation et nous croyons que ce rôle ne doit pas être changé. Cependant, les délais d'attente pour obtenir des décisions du CRTC deviennent de plus en plus interminables. De plus, nous croyons que le CRTC doit favoriser les radios communautaires et éviter des avis qui les marginalisent. Par exemple, un avis du CRTC en 1997-1998 disait ce qui suit, et je cite :

[...] il a l'intention d'étudier, dans le cadre d'un processus futur, des moyens innovateurs de fournir des ressources financières additionnelles aux radios communautaires.

Je regrette de vous dire que nous sommes toujours en attente de ces moyens innovateurs. Et pendant que nous attendons, nous recommandons que les radios communautaires aient accès à l'enveloppe de contribution des entreprises aux émissions canadiennes et ceci non seulement dans le secteur de la télévision.

La troisième question qui nous interpellait était la question no 13 : y a-t-il des leçons à tirer de l'expérience d'autres pays en matière d'autoréglementation et de réglementation des médias?

Notre réponse est qu'il y a certes des leçons à tirer. L'exemple qui nous vient en tête est celui de la France qui opère depuis plusieurs années avec succès un fonds de soutien à l'expression radiophonique. Ce fonds est alimenté par une taxe sur les publicités auprès des médias privés.

Nous voulons également souligner qu'actuellement au Canada il n'existe aucune contribution des radiodiffuseurs privés au développement et à la production des émissions au secteur non commercial. Ceci nous amène à notre quatrième recommandation. Nous demandons — le terme est exagéré, mais il traduit bien notre sentiment — de reconnaître concrètement le pouvoir de développement des radios communautaires dans leur milieu et de créer un fonds d'expression radiophonique provenant de contributions des radios privées.

La quatrième question, la question no 14, demande : Compte tenu des nombreuses transformations des médias canadiens au cours des 20 dernières années, quel rôle doivent jouer les radiodiffuseurs publics?

Nous reconnaissons que ces radiodiffuseurs publics ont un mandat national et doivent continuer à jouer ce rôle. Nous nous sentons également comme étant complémentaires à ces médias nationaux. Malgré cela, plusieurs radios communautaires au pays doivent payer des montants importants à Radio-Canada pour la location d'espace sur leur tour de diffusion et autres services de maintien. Ceci nous surprend un peu, dans la mesure où Radio-Canada fonctionne avec nos taxes à tous et à toutes.

Par conséquent, pourquoi devrions-nous payer la location de ces espaces? Ceci nous amène à recommander que les coûts versés à la société d'État, associés notamment à la location d'espace sur leur tour de diffusion, ainsi que les services de maintien soient éliminés afin de permettre un meilleur essor aux radios communautaires. Dans le cas d'Envol 91,1, les coûts de location de l'espace de la tour et de maintien nous coûte environ 12 000 $ par an, ce qui représente de 5 p. 100 à 6 p. 100 de notre budget annuel. Encore une fois, cette somme est énorme pour nous.

La sixième recommandation est qu'il faut absolument que le gouvernement canadien instaure un programme d'aide aux médias et aux radios francophones de la minorité afin d'assurer une production canadienne locale de qualité.

Ce sont donc nos recommandations. Honorables sénateurs, nous vous remercions du temps que vous accorderez dans les prochains jours à ce dossier afin de rectifier cette situation pour les générations actuelles et futures. C'est avec plaisir que nous nous mettons à votre disposition pour répondre à vos questions.

Je dois dire que le fait que nous soyons invités à cette table nous semble le début d'une non-marginalisation ou une rectification de la marginalisation dont nous avons été victimes. Nous attendrons donc les retombées de votre concertation avec beaucoup d'impatience.

La présidente : Merci beaucoup. Madame Lanthier, je vais vous demander de faire de même et de nous parler de vos points principaux, plutôt que de lire votre texte au complet.

Mme Sylviane Lanthier, directrice et rédactrice en chef, La Liberté : Je vais également commencer par vous remercier de votre gracieuse invitation. Je ne sais pas si tous les membres de votre comité connaissent un peu le journal La Liberté. Je vais donc vous faire un bref portrait de notre situation avant de parler des enjeux qui peuvent être importants pour nous.

La Liberté est le troisième journal francophone qui a vu le jour au Manitoba. Il y a eu avant cela d'autres journaux qui se sont appelés Le Métis et Le Manitoba. La presse écrite francophone existe depuis longtemps en terre manitobaine. Le journal La Liberté a été fondé en 1913 par les oblats. Pour vous donner un cadre de référence, ce fut l'année même où ils ont fondé Le Droit à Ottawa.

Nous sommes là depuis longtemps et nous avons une pénétration importante dans la communauté. Nous jouons un rôle important comme média d'information, mais aussi comme appui à toutes sortes d'événements. Les gens comptent sur nous pour qu'on les encourage dans leurs activités. Nous sommes très communautaires à ce niveau.

Le journal La Liberté a été géré pendant 30 ans par les oblats. Mais quand ils ont cessé ce qu'ils appelaient leurs œuvres de presse en 1971, ils ont vendu le journal à la communauté et ils l'ont fait de la façon suivante. La Société franco-manitobaine a alors fondé une entreprise privée qui s'appelle la Société Presse Ouest limitée.

Le conseil d'administration de Presse Ouest limitée est nommé par la Société franco-manitobaine et il a l'entière responsabilité de la gestion du journal. C'est par cette entremise qu'on continue à appartenir à la communauté, même si nous sommes une entreprise privée du point de vue légal.

C'est par cette entremise également qu'on continue à être tributaire de la communauté. Les gens comptent sur nous. On ne peut pas faire ce qu'on veut avec le journal. Il faut continuer à desservir le plus possible les francophones du Manitoba.

Depuis 90 ans La Liberté joue ce rôle fondamental d'être près des gens et de les desservir. Nous avons un tirage de 6 000 exemplaires distribués dans tous les foyers ayant un enfant qui fréquente une école française. La Liberté est également distribué ailleurs dans la province. Notre mandat est provincial. Nous publions en moyenne 32 pages par semaine avec un personnel d'environ huit personnes.

La présidente : Vous publiez sous quel format?

Mme Lanthier : Nous publions sous le format tabloïd. Presse-Ouest a acheté, il y a deux ans, une publication intitulée Le Journal des Jeunes qui est un mensuel distribué dans les écoles françaises et d'immersion à travers le Canada. Le but de ce journal est d'amener les jeunes à comprendre et à s'intéresser à l'actualité nationale et internationale par le biais de courts textes accompagnés de guides pédagogiques à l'intention des professeurs. Le Journal des Jeunes n'est pas rentable pour nous en ce moment. Nous n'avons pas énormément de ressources à y investir, ce qui est une problématique importante. Toutefois, nous faisons le nécessaire pour assurer sa survie. Je tenais simplement préciser que nous ne publions pas uniquement La Liberté mais également cette publication.

Les revenus de La Liberté proviennent entièrement des ventes de publicité et des abonnements. Nous ne sommes subventionnés d'aucune façon. Pour survivre et rencontrer nos obligations fiscales d'année en année, comme tout journal privé qui se respecte, nous devons diversifier le plus possible nos sources de financement. Nous comptons à la fois sur la publicité des commerçants locaux que sur les organismes francophones, la publicité du gouvernement provincial et évidemment celle du gouvernement fédéral.

L'Association de la presse francophone a comparu, au printemps dernier, devant votre comité pour expliquer un peu l'ensemble de la problématique pour les journaux francophones en milieu minoritaire. Je ne répéterai pas leurs propos. J'aimerais toutefois appuyer ce que l'APF vous a indiqué en ce qui concerne les difficultés que peuvent rencontrer les journaux notamment au point de vue de l'impact qu'a eu le moratoire du gouvernement fédéral depuis le printemps dernier.

Bien que ce moratoire soit levé, nous devons produire plusieurs numéros spéciaux à chaque année, comme tous les journaux d'ailleurs, sur des thématiques particulières dans le but d'aller chercher des revenus. Dernièrement, certains ministères nous ont affirmé que même si, en théorie, le moratoire est levé, ils n'ont pas encore obtenu le feu vert pour contribuer à ces numéros spéciaux ou pour acheter de la publicité dans nos journaux, alors qu'auparavant ils éprouvaient beaucoup moins de difficulté à le faire.

Il existe encore des problèmes de ce côté. On sent également que le gouvernement fédéral n'a pas encore pris les démarches pour être en mesure de mener à nouveau des campagnes de publicité qui, évidemment, apporteraient à nos journaux un certain revenu, mais qui permettraient aux citoyens canadiens de se tenir informés.

Toutes les publicités nationales venant d'agences sont importantes pour un journal comme le nôtre. Elles nous procurent une certaine marge de manoeuvre hebdomadaire. Nous disposons de peu de personnel. Nous devons donc travailler fort pour trouver de la clientèle publicitaire, car cette publicité nous permet de publier notre journal. Que l'on produise 28, 32 ou 40 pages dans une semaine, nous avons toujours le même personnel à combler pour écrire les textes et produire les publicités. Par conséquent, plus notre publicité comporte des items prêts à photographier qui ne nécessitent aucun traitement, plus grande est notre marge de manoeuvre pour faire autre chose. Ces revenus sont donc intéressants en termes d'argent, mais ils permettent une plus grande souplesse au niveau de la gestion des ressources humaines. Le personnel peut alors se permettre de travailler une semaine de 40 heures plutôt que de 50 heures pour produire le même journal.

Les enjeux qui peuvent toucher un journal comme La Liberté sont de trois ordres. Le premier est celui de la diversification des revenus. À ce titre, évidemment, le gouvernement peut nous aider. Le deuxième est celui des ressources humaines. Nous sommes un petit journal et nous disposons d'un budget limité, peu de revenu supplémentaire à chaque année et une marge de profit plutôt étroite. Par exemple, lorsque nos coûts de livraison par la poste ou nos coûts d'impression augmentent, cela réduit notre budget et affecte ce que nous pouvons offrir à nos ressources humaines. Nous ne sommes pas en mesure d'offrir des salaires très élevés. Nous ne pouvons nous permettre d'embaucher la main-d'œuvre supplémentaire pour le travail à faire. Nous ne pouvons pas non plus nous permettre de former nos ressources humaines afin d'améliorer leurs compétences, ni faire en sorte qu'il y ait des programmes de développement professionnel pour garder ce personnel.

Souvent, même une petite boite comme la nôtre n'est pas en mesure d'offrir un salaire énorme, elle a de meilleures chances de garder son personnel en lui offrant d'autres bénéfices. Mais voilà, nous sommes un peu coincés sur ce plan. Nous travaillons avec l'APF pour offrir un minimum de formation. Toutefois, ce n'est pas toujours suffisant et cette lacune peut devenir problématique.

Pour recruter et garder nos ressources humaines, nous sommes en compétition avec d'autres médias dans notre communauté qui parfois disposent de plus de moyens. Il existe plusieurs choix dans notre communauté pour les gens capables d'écrire en français. Ces gens vont donc prendre de l'expérience chez nous pendant deux ou trois ans, au maximum, et souvent vont nous quitter pour aller travailler pour le gouvernement fédéral ou dans d'autres médias qui offrent de meilleurs salaires, un plan de pension et toutes sortes de choses. On ne peut pas les blâmer, ainsi va la vie. Nous devenons donc en quelque sorte une école de formation. Toutefois, plus nous sommes en mesure de garder notre personnel, mieux nous nous portons. Une certaine marge de manoeuvre de ce côté nous aiderait.

Autre chose qui nous aiderait serait d'avoir un petit peu plus d'appui au niveau de la technologie. Vous savez, dans le domaine des médias on achète un logiciel de mise en page et l'année d'après il faut en acheter un autre car les logiciels évoluent constamment. Ce renouvellement constant devient dispendieux à la longue.

Voila donc un bref aperçu des enjeux importants pour un journal francophone comme le nôtre en un milieu minoritaire. Une de nos recommandations serait que le gouvernement fédéral appuie la recommandation du Comité des langues officielles en ce qui concerne la proportion de publicité du gouvernement fédéral qui devrait être octroyée aux médias minoritaires dans le cadre des campagnes publicitaires. Le comité a proposé d'augmenter cette proportion pour qu'elle passe de 1,7 p. 100 à 5,4 p. 100. En ce faisant, cela nous aiderait à régler un certain nombre de choses et à nous donnerait la marge de manoeuvre nécessaire pour faire le nécessaire afin de bien desservir nos communautés.

Le sénateur Chaput : Est-ce qu'il existe des radios communautaires de langue française dans les autres provinces de l'Ouest? Est-ce qu'il en existe en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique?

Mme Annie Bédard, directrice générale, Envol 91,1 FM (CKXL), La Radio communautaire du Manitoba, : Il en existe. Ayant abrégé quelque peu notre présentation, nous n'avons pu le mentionner. Cinq radios communautaires de langue française ont les ondes dans l'Ouest canadien et les territoires et six sont en implantation. On remarque dont dans l'Ouest canadien et les territoires un essor au niveau des radios communautaires. Il en existe une au Manitoba, une en Saskatchewan, une à Rivière-la-Paix en Alberta, une autre à Yellowknife et une à Iqaluit dans les territoires.

Le sénateur Chaput : Il n'en existe aucune en Colombie-Britannique?

Mme Bédard : En Colombie-Britannique il en existe une qui se trouve en phase d'implantation. Elle sera située à Victoria. Il en existe six autres dans l'Ouest canadien, soit deux en Alberta et une en Colombie-Britannique. Je pourrais vous trouver l'information sur les trois autres, mais il en existe six qui sont en développement.

Le sénateur Chaput : Si je vous pose la question, c'est parce que l'intervention du sénateur Tkachuk tout à l'heure m'a fait réfléchir à savoir, si les enfants ont appris le français par l'entremise des écoles d'immersion, ils sont maintenant sur le marché du travail. On sait combien il est facile de perdre une deuxième langue si on ne continue pas à l'utiliser. Est-ce que la radio communautaire est un outil qui peut aider les francophiles et francophones à garder leur français? Par exemple, vous avez au Manitoba beaucoup de bénévoles de tous les secteurs et de tous les milieux.

Mme Bédard : En effet. Dans notre présentation quelque peu étoffée on mentionnait ce point. Nous avons plus de 60 bénévoles. Les bénévoles sont le coeur de la radio communautaire. Nous faisons donc beaucoup d'habilitation. La radio communautaire est plus que le reflet, mais vraiment la voix et le pouls de la communauté, car ce sont ces gens qui viennent parler de leur réalité selon leur expérience. Toutefois, contrairement aux radios privées et aux radios d'état, nous offrons la possibilité aux gens de s'exprimer de la sorte. Nous faisons donc du développement communautaire, culturel et linguistique.

En ce qui concerne l'immersion, il y a des émissions qui sont animées par des gens dont le français n'est pas la langue maternelle, mais qui veulent un espace dans lequel s'exprimer et, par la même occasion, développer leurs habiletés en français.

Également, l'émission intitulée En Français s'il vous plaît est animée par des gens qui se rencontrent une fois par mois et qui apprennent le français. D'autres émissions offrent de la formation, via certaines écoles d'immersion, à des immigrants et des personnes âgées. Toute cette diversité de programmation reflète réellement l'image de la communauté.

Nous aimerions collaborer davantage avec les écoles d'immersion, mais nous avons de la difficulté à trouver le financement qui nous permettrait de développer une programmation visant la formation. Nous avons comme projet d'offrir des stages journalistiques et de communication avec La Liberté et le Cercle de Presse.

Pour mener à bien ces projets, nous avons besoin d'une consolidation sur le plan opérationnel. Nous disposons d'un budget de 200 000 $, ce qui représente peu pour opérer une station radiophonique, avec tout ce que cela implique au niveau technologique. Pour assurer notre développement, nous faisons des miracles, je dirais, avec ce qu'on a, mais il faudrait davantage d'aide financière pour répondre aux objectifs du gouvernement.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je suis un bon ami du sénateur assis en face de moi. Il ne sera pas d'accord avec moi sur ce point, mais nous préférons parler du « dossier » des commandites plutôt que du « scandale des commandites ». Je plaisante, bien sûr.

Beaucoup d'entreprises du domaine des médias, entre autres, ont profité des commandites. Pensez-vous que votre journal pourrait survivre sans aide gouvernementale, qu'il s'agisse de tarifs postaux réduits ou d'autres mesures?

[Français]

Mme Lanthier : Au Manitoba, nous sommes relativement chanceux par rapport à d'autres journaux parce qu'il existe un bon nombre de francophones. La province annonce dans le journal par le biais d'un certain marché local. La proportion de publicité fédérale dans La Liberté ne représente pas 70 p. 100 de nos revenus comme cela peut être le cas dans d'autres journaux. Le chiffre tourne autour du 30 p. 100 et doit se situer environ à de 20 p. 100 actuellement.

Nous nous efforçons d'aller chercher des revenus au niveau local. C'est la raison pour laquelle nous produisons plusieurs cahiers spéciaux durant l'année, ce qui nous permet de boucler le budget. Évidemment, cela pourrait nous donner une marge de manœuvre qui permettrait d'offrir de meilleurs salaires, d'avoir une plus grande équipe pour effectuer le travail qu'il y a à faire.

Je crois que le gouvernement fédéral peut contribuer à la presse francophone par la publicité mais aussi par la création de programmes d'appui pour l'ensemble du milieu des médias, en tenant compte de la particularité des enjeux pour nos journaux aussi. Il est souvent difficile pour les médias minoritaires de participer à des programmes destinés à majorité puisque les besoins ne sont pas les mêmes. S'il était possible de tenir compte des besoins des médias francophones dans la détermination des critères des programmes d'appui, cela finirait par aider.

Dans la communauté francophone, depuis quelques années, les francophones ne sont pas en train de grandir nécessairement énormément. Avec 6 000 exemplaires distribués, on a atteint à peu près 100 p. 100 de taux de pénétration. Les commerçants francophones ne sont pas nécessairement intéressés à annoncer dans un journal francophone qui ne s'adresse qu'aux francophones car leur clientèle est généralement très anglophone. Ils préféreront annoncer en anglais dans un journal anglophone parce qu'ils ont l'impression qu'ils rejoindront 100 p. 100 de leur clientèle versus 15 p. 100 en annonçant dans un journal francophone.

Il faut convaincre les gens d'annoncer dans La Liberté. Il faut également faire preuve d'imagination et offrir des produits spéciaux qui les incitent à le faire. Nous sommes constamment en train de le faire, alors que normalement, un journal majoritaire est capable de convaincre un commerçant d'annoncer 20 fois dans l'année.

Nous créons sans cesse des produits spéciaux. Cela nous coûte plus cher parce qu'il faut que nous y mettions plus d'effort. La publicité du fédéral aide évidemment car elle nous procure une marge de manoeuvre.

La présidente : Madame Lanthier, combien avez-vous de journalistes?

Mme Lanthier : J'ai deux journalistes à temps plein et deux autres qui travaillent sur des projet spéciaux à mi-temps. Nous avons une journaliste qui partage son temps entre Le journal des Jeunes et La Liberté.

La présidente : Plus vous-même?

Mme Lanthier : Plus moi-même, oui. Et je suis directrice, rédactrice en chef, correctrice, vendeuse de publicité, maquettiste à mes heures.

La présidente : Nous avons entendu plusieurs témoins qui venaient du secteur communautaire hebdomadaire est c'est un peu partout la même histoire, sauf que c'est encore plus vrai dans votre cas.

Mme Lanthier : Oui, et cela fait partie du plaisir de la chose. Il n'est pas monotone de travailler dans un tel milieu.

La présidente : Vous travaillez au journal depuis combien de temps?

Mme Lanthier : Je suis arrivée en 1990, j'ai quitté en 2001 et je suis revenue au printemps 2004.

La présidente : Est-ce que vous êtes Franco-Manitobaine?

Mme Lanthier : Je suis Québécoise et Franco-Manitobaine d'adoption.

La présidente : Est-ce que vous pensez que la situation de base de votre marché est stable ou croyez-vous que votre bassin tend à rétrécir?

Mme Lanthier : C'est difficile à dire. Au niveau du lectorat, par exemple, nous avons conclu une entente avec la division scolaire nous permettant de distribuer le journal à chaque famille dont les enfants sont inscrits à une école française. Nous avons une entente semblable avec la Fédération provinciale des comités de parents qui nous permet de distribuer le journal à chaque famille ayant un enfant inscrit à une garderie ou une prématernelle. Cette distribution a presque doublé le tirage, mais les revenus d'abonnement demeurent très faibles.

Nous avons conclu des ententes qui génèrent très peu de revenus mais nous le faisons quand même car nous croyons qu'il est important que les gens continuent à lire La Liberté dans 20 ans. Ce journal n'étant pas majoritaire, il doit pénétrer le marché des familles pour rester en vie. Le français n'est pas omniprésent et les gens ne vivent pas totalement en français.

La première difficulté pour ces gens, c'est donc de bien lire et bien communiquer en français. Afin qu'ils puissent poursuivre leurs efforts d'apprentissage du français, il faut investir davantage d'argent et d'effort pour pouvoir rejoindre cette clientèle.

Le sénateur Chaput : Ma première question s'adresse à Sylviane de La Liberté. Vous avez parlé tout à l'heure d'un « appui sur le plan technologique ». Pouvez-vous décrire davantage l'évolution par rapport à l'informatique et à Internet? En fait, qu'entendez-vous par « appui sur le plan technologique »?

Mme Lanthier : La technologie utilisée au journal est de plus en plus numérique. Inévitablement, tout est informatisé, de la prise de photos aux textes des journalistes, jusqu'aux maquettes. Notre imprimeur reçoit le journal de façon électronique. Il faut constamment se tenir à jour en ce qui concerne les logiciels qu'utilisent l'imprimeur et les fournisseurs de publicité.

Cela implique qu'il faut renouveler l'équipement qui devient désuet. Il faut également renouveler les ordinateurs et les appareils photo. Voila ce que j'entends par cet « appui technologique » qui entraîne des coûts annuellement.

Le sénateur Chaput : Ma prochaine question s'adresse à M. Jacob ou à Mme Bédard en ce qui touche votre recommandation pour la question 13 : y a-t-il des leçons à tirer de l'expérience d'autres pays? Vous nous dites qu'il existe en France le Fonds de soutien à l'expression radiophonique. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu plus en quoi consiste ce fonds qui existe en France.

Mme Bédard : Au niveau national, comme vous savez, nous faisons partie de l'Alliance des radios communautaires au Canada. C'est eux qui ont fait cette recherche pour nous. Je ne pourrais pas vous donner de détails au niveau du Fonds du soutien à l'expression radiophonique. Nous savons qu'il y a un pourcentage déversé par les radios privées pour un fonds aux radios qu'on appelle là-bas les « radios libres ».

Nous recommandons donc quelque chose de similaire. Ce fonds est pour les radios qui ne réussissent pas à aller chercher un certain pourcentage en publicité. Donc, le fonds d'expression radiophonique en France est pour les radios qui seraient comparables aux radios fortement minoritaires de l'Ouest canadien qui ne peuvent pas aller chercher plus de 20 ou 30 p. 100 en publicité. Ce fonds est réservé à ces radios pour leur développement. Nous pensons donc à quelque chose de similaire.

La présidente : Merci beaucoup. Et nous pourrons nous renseigner sur les détails précis de ce programme. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant.

Mme Bédard : Et l'Alliance des radio communautaires du Canada, à Ottawa, qui est notre porte-parole politique, pourra vous fournir de plus amples détails.

La présidente : Nous vous remercions tous énormément, membres de la minorité masculine et de la majorité féminine. Votre exposé fut très intéressant et nous vous en remercions infiniment.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, notre premier témoin est M. Murdoch Davis, éditeur d'un des principaux et plus anciens journaux indépendants du pays, le Winnipeg Free Press. Quand notre comité entend des témoins avec lesquels j'ai déjà travaillé, je le signale; bien que nous n'ayons jamais travaillé pour le même journal, nous avons déjà collaboré à quelques projets communs pour la même entreprise. Mais il y a des lustres de cela.

M. Davis est un des journalistes des plus chevronnés au pays. Comme il a travaillé dans beaucoup de régions pour de nombreuses entreprises, il a sans doute des choses fort intéressantes à nous dire.

M. Murdoch Davis, éditeur, Winnipeg Free Press : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de votre invitation. Je ne me suis pas chronométré, mais j'essaierai de m'en tenir à environ 10 minutes.

Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Bien que depuis 18 mois j'ai le privilège d'être l'éditeur du Winnipeg Free Press, je tiens à signaler que je parle en mon nom personnel, en tant que personne qui a eu la chance de faire carrière dans le milieu du journalisme.

J'ai commencé à travailler dans ce domaine en 1972. En terminant mon cours secondaire, j'ai eu la chance de tomber par hasard sur un emploi qui me convenait. C'est le hasard qui m'a fait connaître un enseignant du secondaire, M. Kollins, et cette rencontre a influencé ma vie plus que toute autre chose. Vers la fin de mon cours secondaire, il a demandé à une poignée de jeunes qui flânaient près du hall d'entrée de l'école ce qu'ils prévoyaient faire après le cours secondaire. Je lui ai répondu très sincèrement que je n'en avais aucune idée. J'avais confronté M. K à quelques reprises, si bien qu'il m'a donné le conseil suivant : « Pourquoi ne deviens-tu pas journaliste? Tu as une grande gueule ». Je l'ai fait. Je ne sais pas si j'ai encore une grande gueule, mais je serais heureux de vous faire part de mon expérience au Winnipeg Free Press et à d'autres journaux appartenant à des entreprises ou à des particuliers. Je tiens cependant à réitérer que je ne parle ni au nom de ces entreprise ni au nom de ces propriétaires, mais bien en mon propre nom.

J'aimerais aussi rappeler que, bien qu'on m'ait invité à témoigner ici à titre d'éditeur d'un journal indépendant, j'ai travaillé dans le passé immédiat pour l'entreprise CanWest, ici à Winnipeg et ailleurs. En fait, j'ai travaillé au cœur même de certaines des activités qui sont à l'origine de ces audiences, activités qui ont fait l'objet de certains des témoignages que vous avez entendus. Il s'agit de la centralisation de certaines fonctions, de l'établissement d'une salle de rédaction pour CanWest News Service ici même à Winnipeg, et beaucoup n'en revenaient pas de cet emplacement. Il s'agit d'activités qui sont généralement décrites par le vocable « convergence », et il y a même eu la diffusion de certains éditoriaux tristement célèbres.

Plus tôt dans ma carrière, avant que ma chevelure ne grisonne, j'ai travaillé à une époque que certains témoins ont qualifié d'âge d'or de la société Southam, pour cette entreprise, et avant cela, j'ai collaboré au Toronto Star, qui à l'époque se targuait d'être le plus grand journal indépendant au Canada. Mon point de vue repose donc sur ces expériences. J'ai à tout le moins assez d'expérience pour savoir qu'il n'y a rien de nouveau à ce que les propriétaires d'une entreprise des médias influencent le contenu de ceux-ci, que ce soit directement ou indirectement, par l'effet d'une certaines auto-censure. Pendant tout le temps où j'ai travaillé dans la vaste salle de rédaction du Toronto Star, je crois avoir vu John Honderich deux fois, et il ne m'a jamais donné de directives. Cependant, les rédacteurs et les autres journalistes citaient de façon presque quotidienne les intérêts et les désirs de M. Honderich pour justifier leur choix de traiter ou de ne pas aborder certains sujets.

Chez Southam, en dépit de ce que vous avez entendu dire au sujet de sa politique d'indépendance, j'étais également conscient que durant les élections portant sur le libre-échange au milieu des années 1980, des membres du conseil d'administration de la compagnie avaient exprimé leurs préoccupations aux éditeurs parce qu'ils trouvaient que les employés du journal de la compagnie semblaient avoir un parti-pris contre la politique en question, et des mesures ont été prises pour y remédier.

Je savais aussi que de temps à autre, des éditeurs ou des rédacteurs en chef étaient congédiés; je n'étais pas souvent au courant des motifs de ces congédiements, mais je suis pas mal certain qu'on ne procédait pas par tirage au sort.

Par ailleurs, l'un des changements d'orientation les plus marquants de ma carrière est survenu directement à la suite de ce qu'on ne peut faire autrement que d'appeler de l'ingérence de la part du siège social qui avait empiété sur l'indépendance de l'éditeur et du rédacteur en chef. Quand j'ai quitté le Ottawa Citizen pour devenir éditeur en chef du Edmonton Journal en 1989, mon départ avait été causé par le président de la compagnie et son dauphin, qui ont tous les deux témoigné devant vous et vous ont dit que tout allait tellement mieux à l'époque qu'aujourd'hui. Je ne peux qu'imaginer ce qui se serait passé quand c'était le comble de l'hystérie il y a quelques années, si la famille Asper avait dit à l'un de leurs éditeurs ou de leurs rédacteurs en chef qui devait devenir leur patron à titre d'éditeur en chef. J'ai lu le rapport provisoire et j'ai pris connaissance de bon nombre de témoignages sur le site Web. Je dois dire que je trouve cela pas mal décourageant. On y trouve beaucoup de déclarations imbues de la certitude que tout se rapprochait beaucoup plus de la perfection dans le bon vieux temps.

Quand je suis entré dans cette carrière il y a tellement d'années, je trouvais d'un ennui suprême tous ces vieux bonzes qui nous rabâchaient constamment, à nous les jeunes journalistes, que les journaux étaient tellement meilleurs à leur époque, et que le journalisme était tellement plus vigoureux. On dirait que tout comme notre destin est de finir par parler comme nos parents, de la même manière, nous ne pouvons échapper à notre destin qui est de finir par ressembler à ceux qu'on considérait alors comme des vieux de la vieille complètement déconnectés de la réalité d'aujourd'hui; des gens qui semblaient déterminés à faire en sorte que tout reste comme c'était avant.

On trouve dans les témoignages beaucoup d'opinions selon lesquelles tout était tellement mieux, mais on trouve par contre très peu de faits. Beaucoup de témoins semblent convaincus qu'il y a quelque chose qui ne va pas du tout, mais ils ne savent pas trop quoi, et qu'il faudrait faire quelque chose, mais ils ne sont pas trop sûrs de ce qu'il faudrait faire, et ils concluent en disant que le ciel est en train de nous tomber sur la tête.

En lisant ces témoignages, je me suis rappelé que durant ma première année à l'école de journalisme, peu de temps après que j'aie rencontré par hasard M. K, le Toronto Telegram a fermé ses portes. La plupart des étudiants qui ont obtenu leur diplôme cette année-là étaient convaincus qu'il y avait quelque chose qui allait terriblement mal et que le ciel était certainement en train de nous tomber sur la tête. Chose certaine, bien des gens qui auraient témoigné à des audiences comme celle-ci en étaient convaincus à l'époque.

Puis nous avons assisté à la naissance du Toronto Sun, qui a lui-même donné naissance à quelques autres publications et beaucoup de jeunes journalistes ont trouvé leur premier emploi. Ces journalistes ont fait beaucoup de grand journalisme et parfois du journalisme vraiment épouvantable. Le ciel est resté plus ou moins où il était.

Je me suis aussi rappelé de ce jour fatidique, au début des années 1980, où notre bonne mère Southam, comme vos témoins ont décrit cette compagnie, a fermé le Winnipeg Tribune, et la compagnie FP a simultanément fermé le Ottawa Journal. Encore une fois, tout allait horriblement mal et le ciel était en train de tomber. Pourtant, les deux journaux survivants se sont améliorés au cours des années suivantes, à un moment donné de nouveaux concurrents sont apparus et encore une fois, le ciel n'avait pas bougé.

Je me rappelle aussi que lorsque Conrad Black a acheté la compagnie Southam, à un moment donné, comme on vous l'a rappelé, il possédait ou contrôlait plus de la moitié des journaux au Canada, et encore une fois tout allait mal et le ciel nous tombait sur la tête.

Maintenant, je vais arrêter de vous rabâcher les oreilles avec cette tournure de phrase, mais en fin de compte, ce que M. Black a fait, principalement, c'est de fonder un tout nouveau journal national très différent, créant des centaines de nouveaux emplois et procurant beaucoup d'argent neuf aux employés des journaux, en particulier les journalistes, surtout à Toronto.

Ensuite, bien sûr, M. Black a revendu la plupart de ses journaux à CanWest et à la famille Asper, et vous savez le reste. Quoique, bien sûr, peu de temps après, CanWest a également revendu la plupart de ses journaux et, comme on vous l'a dit, de nouvelles compagnies sont devenues propriétaires de journaux au Canada, y compris celle pour laquelle je travaille maintenant, et aujourd'hui la propriété est considérablement plus diversifiée qu'elle ne l'était quand l'hystérie était à son comble.

Plus récemment, la compagnie Metro est arrivé dans le paysage journalistique canadien et a lancé des journaux quotidiens gratuits. On entend dire que la compagnie prévoit en introduire d'autres dans beaucoup d'autres marchés et que CanWest projette également de lancer des journaux gratuits du même genre dans certains marchés canadiens.

Je veux simplement montrer que ce qui s'est passé après tous ces événements était très différent de ce qu'on avait prédit. Très peu des recommandations faites par des commissions d'enquête ou d'études à cette époque ont été suivies. Pourtant, le paysage médiatique qui a pris naissance par la suite était tout à fait vigoureux, très varié et très bon.

Un coup d'œil aux marchés aux États-Unis d'une taille semblable à celui de Winnipeg ou d'autres villes canadiennes semblables, révèlera qu'il y a très peu de villes où coexistent deux journaux. Au Canada, c'est la norme. Je suis certain que l'on vous a parlé de travaux de recherche sur la crédibilité des journalistes, et nous avons tous lu que la crédibilité des journalistes est plus basse que celle des politiciens et des vendeurs dans certaines compagnies. Ce sont toutefois des travaux de recherche de portée générale portant sur l'ensemble des médias. Si vous examinez les recherches faites par des compagnies possédant des journaux ou par certains journaux eux-mêmes, vous constaterez que les journaux canadiens ont une réputation extraordinaire auprès de leurs lecteurs sur le plan du respect, de la confiance et de la satisfaction.

Je pense aussi que c'est la raison pour laquelle, en fin de compte, des gens comme moi et le sénateur Fraser nous nous sommes lancés initialement dans cette carrière, parce qu'on a la chance de faire quelque chose d'important, de compter pour quelque chose et de servir sa collectivité. L'année dernière, le Winnipeg Free Press a remporté un prix journalistique national pour son travail dans le dossier d'une erreur judiciaire, et l'on peut soutenir que le journal a contribué à faire remettre en liberté un monsieur qui avait été reconnu coupable à tort. Voilà du travail important.

Le mois dernier encore, notre journal a obtenu beaucoup de publicité pour une initiative locale dans le centre-ville visant à aider les jeunes, surtout défavorisés et principalement autochtones, et grâce à la publicité que nous avons donnée à ce programme, il a pu obtenir des fonds additionnels. Ce sont des éléments importants qui m'amènent à dire, comme j'avais coutume de le faire sur le circuit des conférences, que de se consacrer à un journal, en dépit de toutes les lacunes, c'est beaucoup plus intéressant que de se consacrer à des études pour savoir si les gens boivent du Coke ou du Pepsi. J'ai déjà dit cela à une conférence, pour m'apercevoir ensuite qu'il y avait une distributrice de boissons gazeuses à cette réunion du club Rotary, et je m'abstiens donc dorénavant de faire cette comparaison.

Il est probable que les témoins ne se sont pas entendus sur bien des choses, mais ils sont d'accord pour dire que nos médias doivent être indépendants. Nous voulons que nos médias soient indépendants, mais par rapport à quoi? Mon souhait le plus cher comme journaliste, ce sur quoi j'insiste le plus, c'est que nos médias soient indépendants du gouvernement. Je n'ai entendu personne faire des suggestions sur ce que le gouvernement lui-même pourrait faire dans le but de garantir ce résultat, sinon de s'assurer de ne pas s'ingérer davantage dans nos médias, ou peut-être même de se retirer de certaines ingérences actuelles.

Comme je l'ai signalé, le Winnipeg Free Press est souvent décrit comme un journal indépendant. Qu'est-ce que cela veut dire? De quoi sommes-nous indépendants? Par rapport à qui? Des autres journaux? La compagnie possède aussi cinq hebdomadaires dans le grand Winnipeg ainsi que le Brandon Sun; 49 p. 100 des liquidités de la compagnie sont versées dans un fonds en fiducie qui est coté en bourse. Vous pouvez investir dans mon travail et celui de mes collègues aujourd'hui à la bourse de Toronto. Par conséquent, ne sommes-nous pas indépendants? Le Toronto Star était-il indépendant quand il possédait seulement les hebdos dans son marché principal, mais n'est-il plus indépendant aujourd'hui parce qu'il possède une poignée de quotidiens également et qu'il a investi dans un autre journal dans l'Ouest? Est-ce que chacun des journaux de CanWest ne sont pas indépendants parce que la compagnie en possède neuf autres? Quel est le chiffre magique? Quelle est la structure de propriété magique?

Je pense que nous devons être francs. En grande partie, la clameur publique des dernières années, des événements qui ont incité votre comité à lancer cette enquête, une bonne partie des problèmes évoqués dans les témoignages que vous avez entendus, tout cela n'a pas été causé par les structures de propriété ou le nombre de journaux que chacun possède; c'est parce que bien des gens n'ont pas aimé certains gestes très précis et très publics posés par certains propriétaires qui se trouvent à habiter dans cette ville. Je suis fermement convaincu que ce n'est pas un bon point de départ pour prendre de bonnes décisions en matière d'affaires publiques.

Je ne suis pas ici pour défendre les faits et gestes de ces propriétaires ou de n'importe quel autre propriétaire. Je défends par contre le droit des propriétaires de diriger leurs journaux comme ils l'entendent et même de les enterrer s'ils le souhaitent. Je crois que nos lecteurs, consommateurs d'information, vont démêler tout cela et s'y retrouver, en tout cas beaucoup mieux que ce que le gouvernement pourrait ou devrait faire.

Tous les jours, dans les médias, je lis, entends et vois des formes de journalisme et des manifestations de politiques de propriété et de gestion que je trouve désagréables ou pires. Cela oriente mes choix quant aux médias que j'utilise et auxquels je fais confiance. Nous avons au Canada un chaîne de journaux qui cherche à attirer les gens en publiant tous les jours des photos de jeunes filles en bikini. Je suis assez certain que c'est une politique décrétée par l'entreprise et non pas une politique locale, étant donné que tous les journaux de format tabloïde de cette compagnie se ressemblent et publient tous ces photos. En fait, ils publient souvent les mêmes photos. Les filles en bikini qu'on peut voir à Edmonton viennent très souvent de Toronto, d'Ottawa, de Calgary ou même de Winnipeg.

Je n'aime pas ce genre de contenu journalistique, je déteste cela tout autant que certains détestent le contenu des journaux de CanWest d'il y a quelques années ou même d'aujourd'hui, mais ce n'est pas au gouvernement qu'il incombe d'essayer d'influer sur ce contenu ou de s'ingérer activement ou même subtilement dans les décisions en matière de contenu.

J'ai été franchement renversé et consterné par le nombre de journalistes qui sont prêts à plaider et quasiment supplier le gouvernement d'empêcher d'une manière ou d'une autre les grandes compagnies médiatiques de publier certains types de contenu. C'est une mentalité dangereuse. En général, je n'ai jamais constaté que le gouvernement est un instrument très subtil et comme un homme plus sage que je ne le suis l'a déjà dit, dès qu'on invite le renard à entrer dans le poulailler, il est difficile d'insister pour qu'il s'empare des œufs là-bas et qu'il laisse tranquilles les œufs qui sont ici. Dès que des journalistes ou d'autres Canadiens invitent le gouvernement à agir pour contrer tel ou tel type de contenu journalistique, il devient plus difficile de résister au gouvernement quand quelqu'un d'autre l'exhorte à agir face à un autre type de contenu.

En lisant le compte rendu de vos discussions, j'ai été frappé par la rareté des suggestions visant à faire quoi que ce soit pour empêcher le ciel de nous tomber sur la tête. Par exemple, un journaliste que je respecte vous a exposé son opinion selon laquelle ce serait beaucoup mieux pour nous tous si les médias du Canada avaient encore un plus grand nombre de bureaux à l'étranger. Bien des gens seraient d'accord. Je pourrais contester cela, mais quoi qu'il en soit, quelle politique publique ou mesure gouvernementale aurait pu influer dans un sens ou dans l'autre sur cette situation? Je n'ai pas vu la trace d'une telle suggestion et je ne peux pas en imaginer une seule, sinon peut-être des mesures par lesquelles le gouvernement s'ingérerait directement dans les décisions des gestionnaires de l'information, ce qui serait probablement, Dieu merci, contraire à la Charte.

Un autre exemple : on a fait allusion à la salle de rédaction nationale du service de nouvelles de CanWest qui a été établie ici à Winnipeg, juste de l'autre côté de la rue en fait. Le témoin qui a évoqué cela a certainement laissé entendre que ce nouveau phénomène n'était pas souhaitable et a insinué qu'il y avait derrière tout cela quelque chose de peu recommandable, mais il n'a pas donné de motif précis, du moins je n'en ai pas décelé. Peut-être qu'une salle de rédaction nationale à Ottawa et à Toronto, c'est acceptable, mais qu'à Winnipeg, ce ne l'est pas.

Vous avez entendu des témoignages sur la grande époque où Southam dirigeait un service de nouvelles de premier ordre pour l'ensemble de ses journaux, quoique je peux vous dire qu'au début des années 1980, j'ai fait une étude sur ce service et j'ai constaté que la plupart des journaux de la compagnie ne publiaient pas en fait les articles émanant de ce service. Il s'est ensuivi des directives adressées par les propriétaires et les gestionnaires indiquant aux éditeurs et aux rédacteurs en chef de ces journaux qu'ils devaient augmenter le taux de publication de ces articles. Une telle directive de nos jours entraînerait tout un tollé.

Je trouve que la manière dont CanWest gère actuellement son service de nouvelles est très efficace et en tant qu'éditeur d'un journal qui souscrit au service, même si nous n'avons aucun lien de propriété, je crois que nos lecteurs en bénéficient. Dans le numéro d'aujourd'hui de notre journal, nous publions en première page un article émanant de ce service de nouvelles. Nous avons aussi un article à la page 6 venant de Moose Jaw. En l'absence d'un accès à ce service de nouvelles, nous n'aurions publié ni l'un ni l'autre de ces articles.

Notre industrie participe très activement, depuis au moins 10 ans, au débat sur l'avenir de l'agence de nouvelles de la Presse canadienne. Je faisais partie à l'origine du comité de rédacteurs en chef de Southam qui a commencé à remettre en question la valeur que nous recevions de la PC. J'ai fait partie du groupe de travail des membres de la PC créé pour donner suite aux préoccupations exprimées par les groupes de propriétaires. Aujourd'hui, je ne comprends toujours pas pourquoi, alors même que l'une des conséquences soi-disant épouvantables de la structure de propriété actuelle est la diminution de la concurrence et de la diversité desopinions exprimées, on voit négativement la mise sur pied d'une deuxième agence de presse nationale.

Je signale aussi en passant que si l'on y regarde de plus près, la Presse canadienne n'est rien d'autre au fond qu'un véhicule permettant à tous les propriétaires de journaux du pays d'embaucher un journaliste pour couvrir un événement d'actualité au nom de tous. Pourtant, si un groupe de journaux ayant le même propriétaire cherche à créer un système semblable à l'intérieur de sa propre chaîne de journaux, il est sévèrement condamné. Je ne comprends pas.

J'ai bien lu dans les témoignages certaines suggestions intéressantes et valables. Kirk LaPointe, en particulier, a fait des observations assez justes sur la valeur pour le Canada de créer une institution semblable au Poynter Institute ou au Pew Centre. Je serais très favorable à cela, pourvu que le gouvernement ne s'en mêle pas.

J'ai également noté avec intérêt que si certains membres de la famille Southam ou d'autres importants propriétaires de cette compagnie ont semblé déplorer la situation actuelle, je n'ai entendu aucun d'eux offrir la moindre miette de la richesse qu'ils ont amassée à titre de propriétaires de journaux pendant très longtemps pour créer un tel centre canadien de l'excellence en journalisme. Je m'empresse d'ajouter que je suis certain que ces honorables personnages sont très actifs dans le domaine de la philanthropie et des œuvres de charité. Je ne conteste pas cela et je ne mets pas en doute leur action non plus. Je dis simplement que si le Canada doit mettre sur pied un centre d'excellence en journalisme indépendant — toujours le même mot —, l'élan doit venir de sources privées comme ces gens-là et non pas du gouvernement.

J'ai également été frappé par le nombre de témoins représentant des syndicats dans le domaine des médias qui, implicitement ou explicitement, demandent que le gouvernement intervienne d'une manière quelconque contre la soi- disant concentration de propriété ou contre certaines décisions ou façons d'agir des propriétaires ou des gestionnaires. Je n'ai entendu personne contester la concentration de la syndicalisation dans nos médias ou se pencher sur l'incidence de ce phénomène sur le contenu ou autres choses. Il y a beaucoup moins de syndicats que de propriétaires qui exercent de l'influence dans les salles de rédaction du pays. Au Canada anglais, il y en a essentiellement deux. À ma connaissance, aucun des syndicats n'offre de discuter pour trouver des manières de réduire les coûts dans des secteurs non journalistiques pour que l'on puisse réinvestir les ressources dans le journalisme. En fait, il arrive parfois que les syndicats dans le milieu du journalisme cherchent activement à exclure de la publication le travail de quiconque n'est pas membre. Voilà un obstacle à la diversité des voix que vous pourriez examiner. Ils empêchent parfois les propriétaires ou les gestionnaires de créer des stages pour les jeunes journalistes ou de publier les articles d'étudiants en journalisme sur leur séjour pour glaner de l'expérience de travail. Personne n'a demandé au gouvernement d'empêcher tout cela et je ne le demande pas. Je suis certain que quiconque le demanderait se ferait tomber dessus à bras raccourcis. Je m'empresse d'ajouter que je ne demande nullement des mesures contre les syndicats. Je signale simplement quelque chose que je trouve curieux et je vous invite à considérer que si ces dirigeants de syndicats de journalistes prétendent devant vous avoir pour seul objectif d'améliorer la pratique du métier, il arrive parfois que leur motivation soit d'un autre ordre.

Votre comité a aussi posé des questions et entendu des suggestions concernant la valeur des cours d'initiation aux médias ou autres initiatives reliées à l'étude des médias. Je suis favorable à ce genre de choses. Je souhaiterais que ce genre d'initiation aux médias se fasse dans le cadre d'un enseignement plus général de ce que l'on appelait autrefois l'éducation civique, c'est-à-dire l'apprentissage de toutes les données de base que de bons citoyens devraient comprendre au sujet de leur pays et de leur société. Cela ne sert pas à grand-chose d'enseigner l'initiation aux médias si l'on n'enseigne pas aux élèves le contenu de la Charte, le fonctionnement des tribunaux, les règles et les structures des divers paliers de gouvernement, le fonctionnement ou le dysfonctionnement du système fiscal, la valeur du vote, l'importance de la démocratie, la signification des droits de la personne, la notion de droits civils, et la façon dont ces éléments entrent parfois en conflit. Je trouve que la façon dont on traite de tout cela dans l'éducation de nos enfants, ou même des étudiants au niveau collégial ou universitaire, est pathétique.

Je crois que c'est parce qu'on ne comprend pas bien ces aspects fondamentaux de notre société qu'on apprécie mal les médias d'information ou même qu'on consomme moins de ces informations.

Disons de façon un peu brutale que beaucoup trop de Canadiens ne comprennent pas ce que signifie la liberté d'expression et la liberté des médias, pas plus qu'ils n'en comprennent l'importance. Comme le disait Joni Mitchell dans sa chanson, « On ne se rend compte de ce qu'on avait que lorsqu'on ne l'a plus ».

Les Canadiens, y compris de nombreux témoins que vous avez entendus, ne sont pas conscients de la diversité de nos médias et ne comprennent pas que, malgré toutes leurs imperfections, malgré leur dépendance à l'égard des recettes publicitaires qui servent à subventionner l'information qui est donnée aux consommateurs, malgré certaines tendances à la concentration de la propriété, etc., si je peux paraphraser Churchill, la façon dont les médias fonctionnent au Canada est la pire, mise à part toutes les autres.

La présidente : J'ai oublié de signaler que M. Davis était un écrivain qui a été primé, et vous comprenez pourquoi.

Le sénateur Tkachuk : Il y a une question qui revient souvent, évidemment, c'est celle de la propriété croisée, c'est-à- dire qu'il y a des gens qui sont propriétaires à la fois de stations de télévision et de journaux dans la même ville. C'est quelque chose qui a été critiqué. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Davis : C'est comme pour bien d'autres choses. Il peut y avoir du bon comme du mauvais. Tout dépend de la façon dont les propriétaires exploitent ces médias et dont leurs concurrents réagissent.

Pour ce qui est de cette propriété croisée au Canada, notamment dans le secteur de la radiodiffusion et des journaux, on en est encore au stade initial. Je ne suis pas sûr que nous puissions en déterminer toutes les conséquences futures. J'ai entendu certaines personnes dire qu'il faudrait par exemple obliger ces entreprises à se départir de l'une ou l'autre de ces propriétés.

Je m'adresse à vous en tant que journaliste. Je ne m'y connais pas beaucoup en structures de propriété des entreprises ou en investissements. Je pense qu'il est légitime que les pouvoirs publics se penchent sur la concurrence, les monopoles, etc. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en arriver à interdire toute participation croisée, mais je n'en suis pas certain.

Il y a une chose que j'ai remarquée, et je ne suis pas le seul, en examinant de près cette question de la propriété croisée et de ce qu'on appelle la convergence, c'est que la Presse canadienne, qui est une coopérative d'entreprises propriétaires de journaux, a une filiale de radiodiffusion depuis des décennies.

Le sénateur Tkachuk : Broadcast News.

M. Davis : Oui, je pense qu'on pourrait dire qu'au Canada, la Presse canadienne, par l'intermédiaire de Broadcast News, a inventé la convergence avant que nous en soupçonnions même l'existence. Si je peux reprendre cette analogie, on a présenté cela de façon très négative en disant que le ciel allait nous tomber sur la tête, mais je n'en ai pas encore vu de manifestation.

Le sénateur Tkachuk : Et si l'on assouplissait — c'est juste une idée que je lance et c'est pour ça que je demande votre aide — les règlements du CRTC pour autoriser la présence d'un plus grand nombre de participants sur le marché? Si vous voulez lancer un journal à Winnipeg, vous levez des fonds, vous engagez des journalistes et vous voyez ce qui se passe; c'est le marché qui en décide. Mais si vous voulez lancer une chaîne d'information, vous devez présenter toute votre argumentation, cela prend une éternité et vous n'aurez pas nécessairement l'autorisation. Le CRTC peut très bien juger que vos arguments sont insuffisants. Pensez-vous qu'il devrait être aussi facile de lancer une chaîne d'information qu'un journal?

M. Davis : Idéalement, oui, et avec tout le respect que je dois aux membres du CRTC et à tous les gens qui se débattent avec ce problème, je crois qu'en fin de compte c'est la technologie qui tranchera. Ce matin, avant d'arriver ici, j'ai parcouru une dizaine ou une douzaine de quotidiens de trois continents sur l'Internet. Grâce à cette même source, l'Internet, je peux écouter des stations de radio, y compris des stations d'information, à peu près partout dans le monde. Ce n'est donc qu'une question de temps avant que je sois en mesure de recevoir aussi des informations télévisées d'à peu près partout dans le monde grâce à l'Internet. Alors bonne chance au CRTC ou à tout autre roi Canut qui voudrait essayer d'enrayer ce mouvement.

Je vis en dehors de la ville et je reçois la télévision par satellite, et je peux regarder en toute légalité des émissions d'information d'à peu près partout au Canada. Je peux regarder les informations de Terre-Neuve à l'île de Vancouver. C'est seulement à cause des limites de la réglementation que je ne peux pas légalement capter des signaux en provenance des États-Unis ou de l'Europe, mais techniquement je pourrais le faire, et je crois savoir qu'il y a des gens qui le font au Canada. Je pense donc que tôt ou tard il faudra renoncer à l'idée que l'ajout d'un signal radio ou télévision n'importe où au Canada dépend entièrement d'un organisme gouvernemental. Je comprends bien le principe qui veut que les ondes soient propriété publique, et par conséquent fassent l'objet d'une réglementation publique, mais les médias électroniques vont de plus en plus utiliser d'autres véhicules que les ondes.

Le sénateur Munson : Que diriez-vous de l'idée que le Winnipeg Free Press s'associe à une entreprise de télévision locale ou à n'importe quelle chaîne de télévision pour créer cette espèce de salle de nouvelles virtuelle?

M. Davis : Encore une fois, je me contente de travailler là. Je ne suis pas l'un des investisseurs ou l'un des propriétaires de cet établissement. S'il y avait une proposition en ce sens, on en discuterait avec le président et le reste du conseil d'administration et je donnerais mon avis.

Le sénateur Munson : Vous sentiriez-vous à l'aise dans un tel cadre?

M. Davis : Je serais certainement à l'aise pour en discuter. De mon point de vue, la question consisterait principalement à savoir quels avantages le Winnipeg Free Press pourrait en retirer et quels avantages cela apporterait à nos lecteurs, nos annonceurs publicitaires et nos clients en général.

Nous avons des partenariats avec d'autres organisations. Je vous ai parlé du service d'information auquel nous sommes abonnés. Nous fournissons des informations à la compagnie de câblodistribution Shaw ici à Winnipeg. Nous envisageons d'en fournir à d'autres fournisseurs de services. Je n'exclurais donc pas a priori la possibilité d'étendre notre capacité d'acquisition d'information au niveau régional et local en établissant un partenariat avec une station de télévision.

Le sénateur Munson : Vous dites que le gouvernement n'a pas à mettre les pieds dans les salles de nouvelles de la nation. Dans ce cas, que pensez-vous des règles actuelles en matière de propriété étrangère? Il y a des gens qui disent que le bilan en matière de propriété canadienne n'est pas très brillant et qu'il faudrait donc ouvrir cette propriété à l'étranger pour avoir une meilleure concurrence.

M. Davis : Je persiste à dire que le gouvernement n'a pas sa place dans les salles de nouvelles. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'a pas à se prononcer sur la structure de la propriété, notamment de la propriété étrangère.

En tant que Canadien, je ne serais guère enthousiasmé à l'idée que tous nos journaux ou même la plupart de nos journaux se retrouvent sous contrôle américain ou étranger. Je ne suis pas certain que le contenu de ces journaux se dégraderait à cause de cela, mais j'ai eu l'occasion de discuter avec des journalistes américains ou des responsables de journaux américains, et je constate qu'ils ont tendance à considérer que nous sommes comme les gens du Dakota du Nord, ce qui n'est absolument pas le cas.

D'un autre côté, vous avez entendu toutes sortes de témoignages sur l'explosion des divers médias, la fragmentation des marchés et la concurrence sauvage pour attirer les publicitaires, qui finit par guider nos actions. La presse écrite, en tout cas, est une entreprise à fort apport de capital, avec des frais fixes élevés. Je pense que certaines entreprises journalistiques pourraient légitimement soutenir qu'il y aurait du bon à pouvoir avoir accès à des investissements étrangers, au moins peut-être des investissements minoritaires. Je ne suis pas expert en la matière, mais je ne considère pas, par exemple, que ce serait en soi quelque chose de fondamentalement mauvais que d'avoir une participation minoritaire du New York Times ou de la compagnie Knight Ridder dans un journal canadien.

Le sénateur Munson : Je voudrais vous poser encore une question, mais tout d'abord je tiens à féliciter le Winnipeg Free Press d'avoir un journaliste à Ottawa. C'est une excellente chose.

M. Davis : Je suis bien d'accord.

Le sénateur Munson : Je sais bien que vous dites que le ciel ne nous tombe pas sur la tête, mais il y a eu une époque où de nombreux journaux du Canada, et des stations de radio, etc., avaient des gens à Ottawa pour couvrir la politique ici. J'ai l'impression qu'il y en a de moins en moins. Il y a encore des gens qui se font bien entendre. Je sais que CanWest fait du bon travail avec ses reporters, mais comment voyez-vous l'avenir de la Presse canadienne? Il y a eu une époque où ils avaient des journalistes partout, qui couvraient énormément de choses, tout le monde le sait. Mais il semble néanmoins qu'il y ait moins de reporters maintenant pour couvrir des aspects encore plus complexes de la société, et je ne sais pas si c'est bon pour la démocratie.

M. Davis : Je ne suis pas sûr qu'il y ait moins de reporters en tout qu'à l'époque. Il y en a moins à la Presse canadienne, mais cela ne signifie pas qu'il y en ait moins globalement. Je ne suis même pas sûr qu'il y en ait moins à la tribune de la presse du Parlement. C'est simplement qu'ils travaillent peut-être pour des employeurs différents ou de manière indépendante. Quand on parle de l'avenir de la Presse canadienne, j'ai souvent tendance à paraphraser ce que disait un jour un reporter sportif à propos de la Ligue canadienne de football, à savoir que la Ligue canadienne de football était mourante depuis 50 ans et qu'elle allait continuer à mourir pendant encore 50 ans.

La Presse canadienne est menacée depuis assez longtemps et elle va continuer encore assez longtemps. Je crois que la plupart des changements qu'elle a dû effectuer sous la pression des événements de la dernière décennie ont été positifs.

La diversité des voix est quelque chose de difficile à mesurer. Qu'il y ait cinq reporters ou sept qui brandissent leur micro devant un premier ministre au Canada, je ne suis pas sûr que cela fasse une grande différence. Je crois que ce qui importe en fin de compte, ce n'est pas le nombre de personnes qui couvrent le même événement, mais le nombre d'événements qui sont couverts.

Certains me répondront que dans un monde idéal on aurait les deux, mais le monde n'est pas parfait. En tant qu'éditeur, rédacteur ou journaliste, si je dois choisir entre investir pour m'assurer que, par le biais de la Presse canadienne ou d'autres choses, il y a un autre reporter qui va couvrir le même incident pour que nous puissions comparer nos versions, ou couvrir deux événements au lieu d'un seul, je vais opter pour la deuxième solution.

Le sénateur Chaput : Que pensez-vous des conseils de presse ou guildes de la presse? Nous avons entendu des témoins d'autres provinces qui y étaient très favorables au niveau provincial; il y en a même un qui a parlé d'une guilde nationale de la presse. Je crois qu'il n'y en a pas au Manitoba?

M. Davis : Si.

Le sénateur Chaput : Excusez-moi, que pensez-vous de cette notion de guilde ou conseil de la presse?

M. Davis : Nous en avons un au Manitoba, et le Winnipeg Free Press, qui est le plus grand journal de la province, est le principal bailleur de fonds de ce conseil de presse auquel siège un membre de notre personnel. Je crois que je dois comparaître à une séance publique de ce conseil de presse le mois prochain à propos de questions d'actualité en journalisme. Je suis favorable à cette notion. Je pense qu'ils devraient avoir un caractère local ou régional, mais je ne serais pas favorable à la création d'un conseil de presse national.

J'ai vu des conseils de presse se pencher sur des questions importantes et délicates et les régler de façon très positive. Malheureusement, comme de nombreux autres organismes de délibération, ils ont tendance à s'éterniser, ce qui peut amoindrir leur efficacité.

Si l'on examine les plaintes qui sont soumises aux conseils de presse des provinces, on constate que bien souvent elles sont très marginales. Nous avons reçu hier une plainte retransmise par le conseil de presse au Winnipeg Free Press. L'un de nos journalistes avait fait des commentaires peu élogieux sur la nouvelle épouse de Donald Trump, et un membre du grand public a jugé bon de contester ses propos auprès du conseil de presse. J'imagine que nous allons répondre à cette objection et voir ce que cela donnera. Je ne pense pas que ce soit un problème d'une importance majeure dans le monde contemporain. Mais enfin, il est préférable que cette possibilité de faire appel au conseil de presse ou à un autre organisme quelconque existe.

La présidente : J'aimerais revenir sur cette notion de diversité des voix et de diversité de la couverture. Je crois que vous avez raison de vous demander s'il est vraiment utile d'avoir 15 personnes plutôt que 12 qui brandissent un micro pour capter la même remarque lors d'un point de presse, mais plus les organes de diffusion prolifèrent, plus cela risque de s'aggraver.

On nous a parlé de coupures dans ce qui constitue encore la source fondamentale d'information au Canada, c'est-à- dire les salles de rédaction. C'est là qu'on retrouve la plupart des journalistes. Hier par exemple, nous avons entendu quelqu'un nous dire que le nombre de journalistes dans les salles de rédaction avait diminué, de même que le degré de compétence. Je crois que ce que je vais dire a été dit publiquement, mais j'ai entendu dire par exemple qu'en Colombie- Britannique, il n'y avait pas un seul journaliste spécialisé dans la couverture de l'industrie de la pêche alors que c'est une industrie d'une importance énorme pour cette province. S'il y a pénurie de journalistes pour recueillir les informations fondamentales, alors il y a des quantités de choses dont on n'entend pas parler. Est-ce qu'on constate une tendance — je ne dis pas que le ciel est en train de nous tomber sur la tête, mais j'essaie de dégager des tendances — dans cette direction? Si oui, que peut-on faire, et je ne parle pas nécessairement du gouvernement? J'essaie de comprendre ce qui se passe. Je ne suis plus dans ce domaine depuis longtemps.

M. Davis : Je suis sûr que vous continuez de le suivre de près.

Je ne sais pas si on peut dire qu'il y a une tendance. On peut, et je crois qu'il en a déjà été question lors de vos précédentes audiences, mesurer le nombre d'employés dans une salle de nouvelles de la Gazette de Montréal ou du Vancouver Sun et comparer le nombre actuel à ce qu'il était il y a cinq ou dix ans. Comme vous le savez, pour avoir dirigé un journal, il faut même creuser un peu plus ces chiffres, car si les gens qui ont disparu s'occupaient de regrouper des programmes de télévision et qu'on a centralisé cette activité, ou de faire la mise en page des dessins et des bandes dessinées et que cette activité a été centralisée, même si en soi ce n'est pas très drôle de savoir qu'on a supprimé le poste de quelqu'un, on ne peut pas dire que ce soit là des exemples d'atteinte aux fondements mêmes de la démocratie. Or, je crois que c'est ce qui se passe quand les gens dénoncent la réduction globale des effectifs. Il y a en fait des moyens techniques qui ont accéléré la centralisation d'un certain nombre de fonctions périphériques et de soutien.

Je ne sais pas si tous les organes d'information de Colombie-Britannique ont un expert en industrie de la pêche. J'imagine que si le marché le réclamait, cela deviendrait une exigence manifeste. Ce que nous constatons partout au Canada, dans tout le marché, c'est une explosion des médias spécialisés. Donc, peut-être que les gens qui s'intéressent aux informations sur l'industrie de la pêche en Colombie-Britannique trouvent cette information dans une publication spécialisée qui offre une qualité et une quantité d'information avec laquelle les journaux de la province ne peuvent pas espérer rivaliser. Je ne sais pas.

J'aimerais beaucoup que chaque salle de nouvelles au Canada ait 20 p. 100 ou 40 p. 100 de plus de journalistes — je vous laisse le choix du chiffre. Je suis d'abord journaliste et ensuite homme d'affaires. Nous constatons toutefois qu'il y a plus de salles de nouvelles, plus de nouveaux médias de toutes sortes, qu'il s'agisse de journaux traditionnels ou des journaux distribués gratuitement dont j'ai parlé ainsi que les stations de radio, de télévision et l'Internet. Je suis persuadé que le nombre de personnes qui travaillent à produire de l'information est supérieur à ce qu'il était par le passé. Ces gens ne travaillent peut-être pas dans les salles de nouvelles des journaux, mais ils existent néanmoins.

La présidente : J'essaie de comprendre la situation. Le modèle de convergence dont on parle souvent — je suppose que cela se produit parfois, mais qui sait — consiste à faire traiter une nouvelle par un journaliste pour plus d'un média. Le journaliste part le matin, il recueille une nouvelle, il revient, il prépare un communiqué vidéo, un communiqué radio et rédige un article. Un témoin au moins nous a fait remarquer que si cela se produit, le journaliste qui travaille à cette nouvelle n'a pas le temps de faire des recherches approfondies ou des vérifications auprès des autres parties en cause. Cela revient à un service de diffusion des grands titres. Qu'en pensez-vous?

M. Davis : Je ne crois pas qu'on ait réussi à mettre en place dans bien des endroits le modèle que vous avez décrit — et nous étions tous les deux présents aux réunions où on en a parlé. Mais dans la mesure où cela se fait, pour reprendre un des exemples qui est souvent cité, un journaliste qui écoute huit heures de témoignages dans un tribunal ou qui assiste à des réunions comme celle-ci, doit présenter par téléphone un communiqué radio de 40 secondes pendant l'une des pauses, et je ne suis pas certain que cela l'empêcherait de soumettre également un article à un journal s'il doit le faire. Évidemment, si ce modèle est appliqué à outrance, la situation que vous avez décrite peut se produire — la capacité du journaliste de faire du bon travail pour chacun des médias s'en trouve diminuée.

Ce que nous constatons surtout, jusqu'à présent du moins — j'étais content que vous le mentionniez car je suis d'accord avec vous —, c'est que les salles des nouvelles des journaux sont le moteur de la production de la plupart des nouvelles et de l'information. La majorité des nouvelles que les gens entendent à la radio et ailleurs ont d'abord été publiées dans des journaux. Le meilleur effet de cette soi-disant convergence, c'est que les compétences et le talent que l'on trouve dans les salles de nouvelles des journaux migrent vers la télévision et y sont représentées de cette façon. On peut entendre Kevin Newman dire : « Nous nous rendons maintenant à Ottawa pour entendre Bob Fife ». C'est une épée à deux tranchants. Si le nombre total de journalistes qui fournissent l'information venait à diminuer, ce ne serait pas une bonne chose, j'en conviens tout à fait. Mais si le nombre total de personnes qui reçoivent l'information produite par un journaliste augmente, c'est alors un avantage.

Nous avons travaillé tous les deux, sénateur, aux premiers travaux pour créer ce qu'on appelait d'abord le réseau Southam, qui permettait à tous les journaux d'échanger des articles entre eux. Si un article primé produit dans la salle de nouvelles de la Gazette de Montréal peut être offert aux lecteurs de Vancouver et de Calgary, c'est une bonne chose. L'un des effets qui peut en découler, par contre, c'est que moins de journaux produisent moins d'articles, et cela, c'est moins bien. En fin de compte, c'est le marché qui devra en décider. Je ne vois pas d'autres solutions.

La présidente : Quelqu'un a dit hier qu'un des problèmes, c'est que la population ne sait pas les nouvelles qu'elle rate.

M. Davis : Elle le sait de plus en plus, cependant. On peut maintenant se rendre sur Internet et consulter tout le service des dépêches de l'agence Reuters. Je n'ai pas fait d'analyse, quelqu'un d'autre en a peut-être fait une, mais ce serait fascinant d'examiner les marchés où paraissent deux journaux au Canada depuis 25 ans pour déterminer si le contenu total de ces journaux était bien différent du contenu total des marchés à deux journaux d'aujourd'hui. J'ai tendance à croire que, sans égard aux autres médias, aux sites Web, etc., le nombre total d'articles dans les marchés à deux journaux d'aujourd'hui varie davantage qu'à l'époque où la Gazette de Montréal et le Montreal Star essayaient l'un l'autre de se damer le pion en étant identiques. De nos jours, les journaux essaient de se distinguer les uns des autres. Le Winnipeg Sun publie bon nombre d'articles qui ne figurent pas le même jour dans notre journal, mais nous ne nous arrachons pas les cheveux pour autant. Il arrive toutefois que nous le fassions. Le Winnipeg Free Press publie cependant bien plus d'articles qui n'apparaissent pas dans le Winnipeg Sun, et le lecteur éventuel décide lequel des deux journaux lui offre le meilleur service.

Je ne suis pas assez naïf pour croire que le marché est parfait. De nos jours, les consommateurs d'information sont enterrés sous une avalanche de choix et d'articles. Essayez de voir ce que l'on rate dans un ou deux journaux serait un travail à plein temps. Le simple fait de lire un journal de façon approfondie prend déjà beaucoup de temps.

Comme vous le savez, les consommateurs de journaux se plaignent principalement de ne pas avoir le temps de les lire. À cela, je réponds toujours qu'on ne s'attend pas à ce qu'ils les lisent de la première page à la dernière. Je compare les journaux à un buffet. Quand on va dans un buffet, tous les plats ne sont pas nécessairement alignés sur la table. Certains jours, il y a des œufs marinés, d'autres jours il n'y en a pas. Certains jours, le lecteur d'un journal lira la section des sports alors qu'il ne la lira pas d'autres jours.

Je ne suis pas convaincu que les gens réclament plus de choix et d'information. Je crois cependant qu'en raison de l'évolution du marché, les gens qui occupent des postes comme le mien passent plus de temps que par le passé à se demander s'ils publient le genre d'articles qui leur permettra de conserver ou d'augmenter leur part du marché, leur créneau, et qui leur permettra de se distinguer des autres. Quand je suis arrivé dans ce métier, les journaux étaient beaucoup plus semblables les uns aux autres qu'ils le sont aujourd'hui.

La présidente : Combien avez-vous de journalistes?

M. Davis : Je craignais que quelqu'un me pose cette question. Je ne saurais vous en dire le nombre. Au total, la salle de nouvelles du Winnipeg Free Press compte 100 employés. Comme vous le savez, cela comprend les correcteurs d'épreuves, les pupitreurs, les commis et tous les autres.

La présidente : Et quelle est votre tirage?

M. Davis : Environ 120 000 copies du dimanche au vendredi et 175 000 copies le samedi.

Le sénateur Munson : À Vancouver, on nous a parlé des marges bénéficiaires. Je ne sais pas si c'est exact ou non, mais ce renseignement venait de journalistes qui sont maintenant indépendants, qui ne travaillent plus pour des journaux. Ils ont dit qu'à une certaine époque, il était acceptable que le propriétaire d'un journal réalise des bénéfices de 8 à 15 p. 100. Mais de nos jours, ils doivent réaliser des bénéfices de 30 p. 100. Je ne sais pas si ces chiffres sont exacts ou non, mais les bénéfices sont-ils réalisés aux dépens de la qualité du journalisme?

M. Davis : Eh bien, sénateur, je suppose qu'idéalement nous devrions trouver des investisseurs et des propriétaires qui seraient satisfaits de ne réaliser aucun profit afin que plus d'argent puisse être investi dans le journalisme; nous pourrions peut-être aussi trouver des investisseurs ou des propriétaires qui se contenteraient de la moitié des bénéfices qu'ils réalisent maintenant afin que plus d'argent soit investi dans le journalisme.

J'ai lu en partie le témoignage dans lequel on disait que dans le bon vieux temps de Southam, un rendement de 15 p. 100 était un objectif acceptable. D'autres journaux au Canada avaient un rendement bien supérieur. Comme je l'ai dit, notre entreprise est cotée en bourse. Nous faisons rapport de nos résultats chaque trimestre. Ce n'est pas seulement le cas du Winnipeg Free Press, puisque le Brandon Sun et, depuis quelques mois, les hebdomadaires le font également, mais 90 p. 100 de ces résultats appartiennent au Winnipeg Free Press. Les gens peuvent voir ce qu'il en est. Notre rendement n'est pas de 30 p. 100; il n'est pas non plus de 15 p. 100.

Je ne suis pas expert en finance, mais ce qui s'est produit, à mon avis, alors que les journaux ont changé de main assez fréquemment depuis 5 à 10 ans, c'est que les prix sont calculés en fonction d'un certain multiple du rendement, et on peut supposer que les acheteurs feront tout ce qu'ils estiment raisonnable pour augmenter ce rendement. Certains seront toujours tentés d'arrondir les coins, comme on dit, pour augmenter leurs bénéfices. Mais en affaires, il vaut mieux trouver le moyen de réduire les dépenses sans compromettre sa position sur le marché.

Dans mon cas, j'ai indiqué très clairement depuis 18 moia que j'occupe ce poste que le département dans lequel je n'ai absolument pas l'intention de réduire nos dépenses est la salle de nouvelles. Ce n'est pas la mieux nantie du pays. Comparativement aux salles de nouvelles que le sénateur et moi-même connaissons, elle est relativement plus petite.

Si je pouvais trouver des moyens de réduire les dépenses ou d'accroître considérablement les recettes dans d'autres secteurs, j'irais implorer le conseil d'administration de profiter de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui d'investir davantage dans le contenu.

Pour être juste, l'une des premières chose que les nouveaux propriétaires qui ont fait l'acquisition du journal juste avant que j'y arrive, a été d'investir de façon importante dans le contenu, c'est-à-dire un investissement d'une valeur d'environ un million de dollars dans le créneau réservé aux nouvelles, et comme le sénateur le sait, il faut que ce créneau existe avant que les journalistes puissent faire leur travail, de même que certaines ressources supplémentaires pour la salle de nouvelles. Par conséquent, ce ne sont pas toutes les salles de nouvelles qui subissent des réductions. Je crois qu'au moins dans certains des journaux du groupe Osprey, on a procédé à des réinvestissements; je crois que cela a été aussi le cas dans certains des journaux du groupe Transcontinental.

Les propriétaires de journaux sont des gens d'affaires qui, dans la plupart des cas, veulent que leur investissement rapporte, mais ils sont aussi tout à fait conscients du fait que l'une des raisons pour lesquelles les journaux se vendent très cher, c'est que de façon générale, le journal qui domine sur un marché y occupe une position formidable. Je ne crois pas qu'un grand nombre de propriétaires veuillent compromettre cette position. C'est précieux.

Le sénateur Munson : Une simple observation; personne n'est suffisamment payé, je suppose, mais je suis toujours étonné par le salaire versé aux journalistes de la presse écrite depuis 30 ou 40 ans comparativement aux gens de la télévision. Il semble que la situation soit maintenant en train de changer.

M. Davis : Dans l'ensemble, c'est le cas. Dans les grandes ligues du journalisme, c'est un assez bon secteur où travailler; c'est un travail qui est bien rémunéré. On s'y amuse beaucoup et on mène une vie assez agréable.

Vous avez entendu les témoignages — j'en ai lu certains — à propos d'une situation soi-disant déplorable, de découragement et de rédacteurs en chef de niveau intermédiaire plongés dans l'ignorance et dont on surveille le travail. Fait intéressant, notre rédacteur en chef a donné sa démission en décembre après huit ans de bons et loyaux services et nous sommes en train de recruter un nouveau rédacteur en chef. Cela n'a pas donné lieu à une ruée de journalistes aux abois provenant d'ailleurs et voulant venir travailler à Winnipeg comme rédacteur en chef. Comme je l'ai dit ce matin, ils préfèrent peut-être le froid de la salle de nouvelles au froid de l'hiver. J'ignore quelles en sont les raisons. Cependant, si la situation était aussi mauvaise que certains témoins vous l'ont décrite, je m'attendrais à ce qu'un plus grand nombre de personnes qualifiées saisissent l'occasion de devenir rédacteur en chef d'un grand journal canadien. S'ils ne le font pas, je dois en conclure qu'ils sont raisonnablement heureux là où ils sont.

La présidente : J'ai dit que j'avais une question dont la réponse est sans doute évidente, mais c'est une question sérieuse. Elle concerne les lois sur la concurrence. Telle que la situation existe à l'heure actuelle, les instances de la concurrence qui examinent les fusions et les acquisitions de groupes de journaux examinent essentiellement les répercussions que cela aura sur le marché de la publicité.

M. Davis : Oui.

La présidente : Il existe de toute évidence de bonnes raisons de considérer qu'aucune instance de ce genre ne devrait se pencher sur le contenu, sur les nouvelles. Par contre, certains prétendent qu'il est presque artificiel de ne pas tenir compte d'une façon quelconque des répercussions possibles de certaines acquisitions sur le secteur de l'information. Laissez-moi vous donner un exemple non canadien, la situation de M. Berlusconi en Italie. En théorie, selon nos lois sur la concurrence, on ne réagirait même pas à l'idée que...

M. Davis : Je devine ce que vous allez dire.

La présidente : ... que le premier ministre du pays puisse effectivement exercer ce degré de contrôle sur les nouvelles et l'information fournie à la population. Avez-vous réfléchi à cette question?

M. Davis : Oui.

La présidente : Quelles sont vos conclusions?

M. Davis : J'ai beaucoup réfléchi à la question et mes conclusions reprennent ce à quoi vous avez fait allusion, à savoir que les autorités de réglementation ne doivent pas essayer de se faire des opinions sur la qualité, la quantité et le mérite relatif de la teneur des journaux. Et surtout, elles ne devraient pas tâcher de prévoir ce qui se produira à l'avenir, parce que inévitablement, l'autorité de réglementation se trouve à déterminer quel type de contenu est bon, quel type ne l'est pas, et ce n'est pas la voie à suivre.

Se pencher uniquement sur les répercussions que cela entraînera sur le marché de la publicité, ce n'est pas la solution idéale mais ce n'est pas non plus une solution carrément imparfaite parce que, comme je vous l'ai dit et comme d'autres vous l'ont dit, que cela nous plaise ou non, la publicité se trouve en fait à subventionner le contenu. Notre entreprise tire 75 p. 100 de ses recettes de la publicité. Comme vous le savez, le prix que paie le lecteur couvre à peine le coût du papier journal et les frais de distribution. Par conséquent, on peut en conclure qu'une diminution de la publicité est susceptible d'entraîner une diminution des ressources dont dispose le journalisme.

Lorsque je préparais mes remarques, j'envisageais de proposer que la meilleure solution pour laquelle le gouvernement du Canada pourra opter afin de permettre aux journaux de produire un contenu meilleur serait de confier sa promotion aux journaux et de la retirer à ceux qui s'en occupent maintenant, mais je me suis dit que cela semblerait sans scrupules, et je me suis donc abstenu.

La présidente : Intéressé.

M. Davis : Le croyez-vous?

Il est intéressant de constater que le gouvernement et les partis politiques concentrent leurs dépenses ailleurs que dans les journaux. Je conviens que cela est implicite dans votre question, que le mandat actuel du Bureau de la concurrence n'est peut-être pas aussi complet qu'il devrait l'être, mais je suis beaucoup trop convaincu, pour même envisager la notion selon laquelle les autorités de réglementation de la concurrence devraient évaluer si le contenu est approprié, que c'est une entreprise risquée. Je ne veux pas donner l'impression d'être réactionnaire ou libertaire, mais je me méfie beaucoup de l'influence de la réglementation sur le journalisme et le contenu des journaux. Les risques d'abus sont énormes. Je suppose que l'on commence peut-être à se lasser de ce genre d'analogie; je me rendais au travail en voiture ce matin et l'une des histoires que j'ai entendues aux nouvelles à la radio concernait la police d'Edmonton qui était en train de faire l'objet d'une enquête parce qu'elle aurait soi-disant délibérément pris pour cible un chroniqueur dont elle n'aimait pas les articles dans un coup monté d'ivresse au volant pour l'intimider. Nous avons une presse très libre et une société très libre, mais ceux qui croient que certains pouvoirs ne seront pas utilisés de façon abusive contre des journalistes, font preuve de naïveté. Ce genre de choses se produit actuellement, que ce soit par ce type d'agissement ou par des menaces de poursuites. Des ministères et des bureaucrates m'ont menacé de retirer leur publicité. Par conséquent, je ne vois pas l'utilité de leur donner plus de pouvoir sur nous.

La présidente : Je ne suis pas sûr que c'est ce dont je parlais, mais votre réponse était éloquente.

M. Davis : Je n'en suis pas sûr non plus.

La présidente : Je ne parlais pas en fait de la réglementation du contenu. Je me demandais plutôt s'il existait un moyen de se pencher sur la question de la source, différent du contenu proprement dit. J'ai posé la question parce que j'ignore la réponse.

M. Davis : Je n'ai peut-être pas répondu à votre question en raison de l'incertitude qui existe à cet égard. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'en raison de toute cette incertitude, je craindrais que des tentatives en vue de trouver la bonne solution équivalent au moins à une forme subtile de réglementation ou d'influence, et je ne veux absolument pas m'aventurer sur ce terrain.

La présidente : Je tiens à vous remercier, monsieur Davis, pour une séance très intéressante et instructive. Nous vous sommes très reconnaissants.

M. Davis : Merci.

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons maintenant le plaisir d'accueillir des représentants du Aboriginal Peoples Television Network, un réseau de télévision qui offre des émissions réalisées par et destinées aux peuples autochtones, et qui présente aussi souvent du bon cinéma, je peux vous l'assurer. Vous êtes nombreux et je vais demander à M. Jean LaRose, le chef de la direction, de nous présenter les personnes qui l'accompagnent car je risque de faire une erreur vu la pâleur des lettres sur vos macarons.

M. Jean LaRose, directeur général, Aboriginal Peoples Television Network : À mon extrême droite se trouve Kent Brown, directeur des ressources humaines de l'APTN, à côté de lui se trouve Wayne McKenzie, directeur des opérations; à ma gauche immédiate se trouve Wilfred Blondé, directeur financier du réseau; Rita Deverell, directrice de l'information et de l'actualité; et à mon extrême gauche, Tim Kist, directeur de la mise en marché.

Je m'appelle Jean LaRose et je suis le chef de direction du Aboriginal Peoples Television Network. Je suis citoyen de la Première nation abénakie d'Odanak, située dans ce qui s'appelle aujourd'hui le Québec. Je suis accompagné aujourd'hui de membres de notre personnel que je ne présenterai donc pas à nouveau puisque je viens de le faire.

Nous sommes ravis que le comité ait choisi de venir nous rendre visite à Winnipeg où se trouve le siège de notre réseau national autochtone. C'est l'un des huit centres du réseau au pays. Nous espérons apporter une contribution utile à votre importante étude des médias canadiens.

Permettez-moi de vous décrire rapidement l'APTN et ce qu'il fait.

L'APTN a obtenu une licence nationale du CRTC en 1989. Le réseau est distribué par satellite aux entreprises de distribution par câble et autres au pays et à notre réseau d'émetteurs hertziens qui desservent les localités du Nord. Nous sommes actuellement captés par 10 millions de ménages et établissements commerciaux canadiens, soit directement dans le Nord soit dans le bouquet de service de base.

L'APTN représente l'évolution de la radiodiffusion autochtone depuis plus de 25 ans. Je ne vais pas en faire l'historique mais je tiens à signaler qu'APTN a pris le relais du service de télévision dans le Nord connu sous le nom de Television Northern Canada, ou TVNC. Comme son nom le dit, la vocation première de TVNC était de produire des émissions par et pour les populations autochtones du Nord.

L'idée de créer l'APTN, un réseau de télévision autochtone national, est née de la nécessité et de la possibilité de créer un réseau national en vue d'élargir l'auditoire d'une programmation déjà produite par des radiodiffuseurs autochtones du Nord pour TVNC, et de permettre aux populations autochtones du sud de participer au réseau de radiodiffusion.

Comme l'indiquait notre demande de licence au CRTC en 1998, APTN voulait être le premier niveau de service des différents peuples autochtones du Canada, à l'instar du rôle joué par CBC et Radio-Canada lorsque la radio et la télévision ont vu le jour. Nous avons défini notre mandat comme étant un mandat de service public : desservir les populations autochtones de tout le pays et servir de passerelle culturelle pour favoriser la compréhension entre Autochtones et non-Autochtones.

Nous avons fait beaucoup de progrès dans la réalisation de cet objectif.

Au cours des cinq dernières années, nous avons mis en place l'infrastructure nécessaire pour exploiter et faire vivre un réseau de télévision autochtone national. Cette infrastructure comprend des éléments tangibles comme l'immobilier, les caméras, les équipes de tournage, le personnel d'antenne et autres, ainsi que des éléments intangibles comme les objectifs et les politiques de l'entreprise, son savoir-faire, la volonté et la confiance de réussir ainsi que le sens de sa mission.

Nous offrons un vaste éventail d'émissions en tous genres destinées à plaire à tous les âges, goûts et cultures dans des langues autochtones, en français et en anglais. Le premier graphique que vous trouverez dans le document qui vous a été remis donne une idée de la diversité de la programme sur APTN. Les membres du comité verront que les longs métrage documentaires, les dramatiques, les comédies et les émissions éducatives représentent le gros de notre horaire.

Nous obtenons une bonne partie de notre programmation des producteurs externes, notamment des sociétés de radiodiffusion autochtone dans le nord et des producteurs autochtones indépendants. Nous sommes fiers de l'élan qu'a fourni l'APTN à l'industrie de production télévisuelle indépendante autochtone. Il ne serait pas exagéré de dire que sans l'APTN, cette industrie n'existerait sans doute pas, ou si elle existait, elle serait loin d'avoir la taille et la dynamique qu'on lui connaît aujourd'hui.

Le domaine de la programmation des affaires courantes et des nouvelles, l'équipe des nouvelles entièrement autochtones de l'APTN produit APTN National News, un journal télévisé d'une demi-heure qui est présenté tous les soirs de la semaine aux heures de grande écoute, toute l'année, Contact, une émission de ligne ouverte en direct d'une heure sur les questions du jour est présenté en lecture sonore en transit à l'Internet dans le monde entier; Death at Ipperwash, 90 minutes par semaine des témoignages de l'enquête Ipperwash en Ontario; des émissions spéciales sur des questions d'actualité courante comme les écoles résidentielles et les élections; et un site Web d'information avec des titres quotidiens et des articles vedettes approfondis.

Parlons maintenant des sujets qui intéressent particulièrement votre comité. Nos observations porteront sur deux questions qui figurent sur la liste du comité, plus particulièrement en ce qui a trait aux peuples autochtones. Nous pourrions paraphraser ces questions comme suit : les médias canadiens offrent-ils aux Canadiens une quantité et une qualité d'information appropriée au sujet des peuples autochtones au Canada; et est-ce que les peuples autochtones au Canada sont bien servis par les médias canadiens?

Madame la présidente, je pense qu'en toute objectivité, la réponse à ces questions est non, tout au moins pour ce qui est des médias non autochtones qui desservent le grand public canadien. Les médias grand public n'offrent pas aux Canadiens une quantité et une qualité d'information appropriée au sujet des peuples autochtones au Canada et, par conséquent, les peuples autochtones ne sont pas bien desservis.

À l'APTN, nous connaissons mieux l'expérience des peuples autochtones par rapport à la télévision canadienne plutôt que d'autres formes de médias, de sorte que nous allons examiner surtout comment les peuples autochtones sont représentés à la télévision.

En juillet 2004, le groupe de travail sur la diversité culturelle, un organisme indépendant créé par l'Association canadienne des radiodiffuseurs a publié un rapport global sur la réflexion et la représentation de la diversité culturelle à la télévision privée canadienne. Le comité a peut-être déjà pris connaissance de cette étude globale et novatrice.

Permettez-moi de citer brièvement le rapport :

[...] le plus grand écart pour ce qui est de la présence à l'écran dans les émissions de la télévision canadienne privée se trouve chez les Autochtones. Dans dix des onze genres étudiés dans les deux langues, la présence des Autochtones est inférieure à 1,0 p. 100 du total, ou, moins d'un tiers de la proportion de leur population au Canada.

Sans l'APTN, les peuples autochtones du Canada n'auraient qu'un niveau de présence négligeable à la télévision privée canadienne.

En fait, les émissions d'information, le rapport révèle que les Autochtones occupent moins d'un demi de un pour cent des rôles parlant dans des émissions d'information de langue anglaise et aucun des rôles parlant dans des émissions d'information de langue française.

Pour ce qui est des autres émissions d'information, les conclusions ne sont pas plus réjouissantes. Les Autochtones occupent 0.5 p. 100 des rôles parlant dans les autres émissions d'information de langue anglaise. Encore une fois, les Autochtones n'occupent aucun des rôles parlant dans les autres émissions d'information de langue française.

Ces échantillons n'incluent pas les Autochtones qui apparaissent à l'APTN, puisque le groupe de travail voulait obtenir une idée de la situation sans tenir compte de l'APTN. Lorsque l'APTN est inclus dans l'échantillon, la présence des Autochtones augmente naturellement dans toutes les catégories d'émissions. Quoi qu'il en soit, même en incluant les émissions de l'APTN dans l'échantillon, la présence totale des Autochtones dans des rôles à l'écran pour des émissions d'information en anglais et en français est loin d'atteindre la représentation totale proportionnelle des peuples autochtones dans la population canadienne.

Qu'est-ce que ces conclusions signifient pour les peuples autochtones au Canada? Il est assez clair que les peuples autochtones ne s'attendent pas à se voir représentés souvent à la télévision canadienne, sauf à l'APTN. Lorsque l'on s'y voit, on s'attend à ce que ce soit dans le contexte des reportages criminels, des conflits au sujet de l'évolution des droits autochtones au Canada ou dans de vieilles dramatiques présentant des stéréotypes dépassés.

Les groupes de consultation qui ont été mis sur pied pour le groupe de travail ont confirmé que les Autochtones étaient le plus souvent désignés comme fortement sous-représentés à la télévision canadienne. Un participant a dit : « Je suis sûr que les étrangers sont mieux représentés à la télévision que les Autochtones ».

Il est clair que l'APTN a un rôle essentiel à jouer. Nous nous assurons que les Autochtones sont présents et participent à la télévision canadienne. Nous contribuons directement au maintien de la diversité dans le réseau de radiodiffusion canadien au moment où il y a une concentration accrue des médias. Par le mot « diversité », nous voulons dire la diversité sous ses nombreuses formes : la diversité des points de vue, la diversité au niveau de la propriété, au niveau de la représentation régionale, la diversité des peuples autochtones et ce qui est encore plus important, la diversité de notre mission.

Permettez-moi de vous donner un exemple concret de la façon dont l'APTN contribue à la diversité du réseau de radiodiffusion canadien. Le comité sait sans doute qu'à l'heure actuelle il y a une enquête en cours à Forest, en Ontario, sur l'incident qui s'est produit en 1995 au parc provincial Ipperwash lorsqu'un agent de la police provinciale de l'Ontario a tiré sur Dudley George. Le mandat de l'enquête est vaste. Il inclut un examen complet des événements entourant la protestation à Ipperwash et la formulation de recommandations en vue d'éviter une confrontation violente à l'avenir. Ce sont là, je crois, des questions importantes pour tous les Canadiens.

Pourtant, la procédure d'enquête ne reçoit pratiquement aucune couverture dans la plupart des médias canadiens, à l'exception du Toronto Star. C'est pour cette raison que certains participants ont demandé à ce que l'enquête se déroule à Toronto, dans l'espoir qu'au moins certains membres des médias canadiens plus importants puissent s'y intéresser plus activement.

À titre de comparaison, l'APTN couvre l'enquête Ipperwash dans le cadre de ses émissions d'information régulières et présentes chaque semaine des extraits du témoignage de 90 minutes, répétées une fois — présenté par le chef d'antenne de l'APTN et le journaliste du Star, qui suivent tous les deux ces événements depuis le début.

Ce contraste dans la couverture médiatique a très bien été résumé par un participant à l'un de nos groupes de discussions en direct. Lorsqu'on a demandé pourquoi il était important que APTN National News couvre des sujets comme l'enquête Ipperwash en profondeur, le participant a dit : « Pourquoi? Personne d'autre ne considère cela comme un sujet de manchettes; personne d'autre ne considère cela comme un reportage de longue durée; et personne ne considère cela comme une affaire à régler. »

Nous sommes d'avis que notre approche en matière d'émissions de nouvelles et d'information atteint un auditoire réceptif. En fait, notre émission téléphonique hebdomadaire sur des questions qui intéressent directement les Autochtones est l'une de nos émissions les plus populaires.

Permettez-moi de passer rapidement à l'une des autres questions que le comité a proposé que nous abordions. Quel devrait être le rôle du CRTC dans la réglementation et la supervision des médias d'information canadiens?

Nous sommes fermement convaincus que le CRTC a un rôle important et proactif à jouer pour protéger et faire progresser la présence des Autochtones au sein du réseau canadien de radiodiffusion. L'APTN compte fondamentalement sur le cadre de réglementation pour la radiodiffusion autochtone, et pour l'APTN en particulier, cadre qui est établi par le CRTC.

Le CRTC exige actuellement que chaque grande entreprise de distribution canadienne, notamment tous les principaux câblodistributeurs et les deux exploitants nationaux de système de radiodiffusion directe du satellite au foyer distribuent l'APTN comme service de base. Cela garantit que notre service est généralement disponible au Canada. Cela permet également d'avoir un revenu fiable grâce aux paiements d'affiliation que versent les distributeurs à l'APTN. Le niveau de ces paiements est réglementé par le CRTC et est actuellement établi à 15 cents par mois par abonné au service de base.

Sans ces exigences réglementaires, il est peu probable que beaucoup de distributeurs accorderaient de l'espace au service autochtone national sur leur service de base, ou que s'il y avait de l'espace disponible, l'APTN puisse générer suffisamment de recettes pour soutenir notre mandat. On peut donc constater que l'APTN doit son existence même au CRTC et, il faut le dire, à la sagesse du Parlement qui a promulgué la Loi sur la radiodiffusion.

Nous croyons que le CRTC continuera d'avoir un rôle à jouer pour promouvoir la radiodiffusion autochtone dans un avenir prévisible. Récemment, nous avons déposé une demande de renouvellement de licence auprès du CRTC pour notre réseau. Notre licence actuelle arrivera à échéance à la fin du mois d'août prochain.

Les modalités de notre renouvellement n'ont pas encore été rendues publiques, mais nous pouvons vous faire part de certains de nos plans en ce qui a trait à la nouvelle licence, particulièrement pour ce qui est des émissions d'information et de nouvelles. Nous prévoyons jusqu'à quatre présentations des manchettes au cours d'une journée, en mettant l'accent sur les nouvelles régionales; une émission hebdomadaire d'analyse de questions d'actualité, d'une durée d'une heure; la couverture d'événements sportifs autochtones et d'activités de la jeunesse autochtone; un plus grand nombre d'émissions spéciales de style forum de discussion où nous allons rencontrer l'auditoire. Par ailleurs, nous prévoyons améliorer les émissions régionales dans le Nord et dans le Sud afin de mieux refléter les réalités régionales des Autochtones dans ces régions du pays. Nous prévoyons par ailleurs instaurer un signal distinct venant de l'est et de l'ouest qui fractionnerait en deux le signal du Sud. Cela nous donnerait le temps de changer de programmation pour répondre aux besoins des téléspectateurs selon les fuseaux horaires et selon leurs habitudes d'écoute, et d'avoir également une programmation régionale distinctive, encore une fois pour refléter les réalités régionales dans les parties est et ouest du Canada. L'APTN a l'intention de passer à la télévision haute définition d'ici la fin de son prochain mandat de sept ans, et aussi d'accroître les émissions dans des domaines prioritaires comme les dramatiques, les comédies, la danse et la variété, entre autres. Ces genres sont essentiellement non existants dans les médias grand public et sont beaucoup en demande dans les collectivités autochtones. On mettra par ailleurs davantage l'accent sur l'utilisation des langues autochtones dans nos émissions, tant pour ce qui est des émissions produites à l'origine en langue autochtone que pour les versions des émissions en langue autochtone. Jusqu'à présent, nous avons diffusé en 23 langues autochtones et nous espérons être en mesure d'élargir ce niveau de programmation. L'existence même de nos langues est en jeu, et l'APTN estime qu'il faut faire tout ce que nous pouvons pour améliorer, promouvoir et appuyer les langues autochtones au Canada.

La mise en œuvre de ces plans nécessitera l'appui du CRTC. Le cadre de réglementation actuelle doit être maintenu et, à certains égards, amélioré. Le CRTC fait cependant face à des pressions considérables, venant surtout des intérêts commerciaux, pour diminuer la réglementation et ne pas s'ingérer dans les forces du marché qui s'exercent dans l'environnement de la télédiffusion. Il est impératif pour l'avenir de la télédiffusion autochtone que le CRTC réserve une place importante aux Autochtones au sein du réseau de télédiffusion, malgré ces pressions.

Nous croyons, naturellement, que l'approbation de la demande de renouvellement de la licence de l'APTN est un point de départ, mais nous devrons faire valoir cet argument directement au CRTC.

Pour ce qui est des modalités de la Loi sur la radiodiffusion qui guide le CRTC, nous exhortons votre comité à appuyer les recommandations du Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes concernant la radiodiffusion autochtone et dans le Nord dans son rapport de juin 2003 intitulé « Notre souveraineté culturelle ».

Entre autres, le comité a recommandé de modifier l'alinéa 3.(1)o) de la Loi sur la radiodiffusion afin de préciser sans équivoque que le système canadien de radiodiffusion devrait offrir une programmation qui reflète les cultures autochtones du Canada et qu'il faudrait supprimer la précision « au fur et à mesure de la disponibilité des moyens. »

L'APTN est fermement convaincu que les cultures autochtones doivent avoir une présence dominante dans le système canadien de radiodiffusion. Nous sommes d'avis que si la Loi sur la radiodiffusion est modifiée comme on l'a proposé, l'organisme de réglementation fédéral devra s'assurer que les peuples autochtones canadiens participent pleinement.

Permettez-moi de conclure en vous parlant brièvement de la mission de l'APTN. L'APTN est guidé par un énoncé de mission qui a été adopté par notre conseil d'administration, et je cite :

Abroriginal Peoples Television Network partage le parcours de nos peuples, célèbre nos cultures, inspire nos enfants et honore la sagesse de nos aînés.

Fondamentalement, l'APTN se perçoit comme ayant à remplir un mandat public dans l'intérêt des peuples autochtones, certainement, mais aussi pour le bien commun de tous les Canadiens. Nous estimons que nos activités sont directement liées aux questions que votre comité examine en ce qui a trait aux besoins de préserver et d'améliorer la diversité des médias canadiens.

Merci. Cela conclut notre exposé. Nous vous avons remis un exemplaire de cet exposé et d'autres documents.

La présidente : Merci beaucoup, M. LaRose.

Le sénateur Tkachuk : Comment vous financez-vous? Vendez-vous de la publicité?

M. LaRose : Oui. La plupart de nos recettes proviennent des droits d'abonnement, 15 cents par ménage, qui totalisent à l'heure actuelle à environ 16 millions de dollars en recettes. Le reste provient du temps d'antenne pour la publicité et nous tentons à l'heure actuelle d'accroître les ventes de publicité. Nous avons mis sur pied un bureau de vente à Toronto et nous sommes en train d'embaucher des chefs de publicité qui feront ce travail pour nous.

Le sénateur Tkachuk : Faites-vous partie du service de télévision de base dans la plupart des marchés, ou faut-il passer au second volet?

M. LaRose : Nous faisons partie du service de base, mais les services de catégorie 1 et 2 et les services de radiodiffusion directe du satellite au foyer doivent offrir l'APTN dans la gamme des services de base. C'est une option pour les services de catégorie 3 qui sont des marchés plus petits. Nous avons cependant avec le réseau CCSA une entente selon laquelle bon nombre de services de catégorie 3 ont accepté sur une base volontaire de distribuer notre signal.

Le grand problème que nous avons dans le cas des principales entreprises de distribution de radiodiffusion, les principaux câblodistributeurs, est le positionnement de notre signal. Malheureusement, bon nombre d'entre eux ont choisi de nous placer tout à fait au bout du cadran, et bon nombre de Canadiens ne savent même pas que nous existons. Voilà le problème que nous devons surmonter. Si nos émissions sont diffusées au canal 75 ou 79, bien souvent lorsque les gens montent dans la série de canaux, l'image devient enneigée et ils redescendent vers les numéros moins élevés sans se rendre compte qu'il y a de bonnes émissions un peu plus loin.

Le sénateur Tkachuk : Comment la plupart des réserves au Canada reçoivent-elles le service de télévision par câble? Est-ce par satellite ou au moyen des coopératives, ou comment le service est-il organisé dans les réserves?

M. LaRose : Il y a plusieurs façons. Bon nombre de réserves l'obtiennent par satellite, par radiodiffusion directe, et certaines ont de petits câblodistributeurs. D'autres, si elles sont assez proches des centres urbains, le reçoivent d'un distributeur dans cette région. M. McKenzie a peut-être davantage d'information à ce sujet.

M. Wayne McKenzie, directeur des opérations, Aboriginal Peoples Television Network : C'est à peu près cela.

Le sénateur Tkachuk : Avez-vous des problèmes avec le CRTC à cet égard? Est-ce qu'une réserve peut tout simplement s'alimenter par satellite et distribuer le service comme une coopérative sans avoir de licence ou quoi que ce soit, comme certaines autres collectivités le faisaient auparavant au Canada avant que le gouvernement leur impose des monopoles? Comment est-ce qu'une réserve, disons à LaRonge, fait cela?

M. LaRose : C'est la première fois que l'on me pose la question, et je dois admettre que je ne suis pas certain de pouvoir vous donner une réponse complète. J'ai l'impression que la plupart font cela. Certaines de nos réserves sont très petites et n'ont pas la capacité d'établir leur propre réseau de câblodistribution.

Le sénateur Tkachuk : C'est pourquoi elles ne peuvent le faire tout simplement elles-mêmes. Est-ce que le CRTC les laisserait faire, c'est là une autre question.

M. Tim Kist, directeur du marketing, Aboriginal Peoples Television Network : Pourrais-je intervenir une seconde?

Le coût de redistribution pour elles serait sans doute prohibitif. Il leur faudrait installer une tête de station, recevoir les signaux et les redistribuer à tous les membres de la communauté, et à ce moment-là elles devraient demander une licence à titre d'entreprise de distribution. Jusqu'à présent, à ma connaissance, personne n'a soulevé le problème ou la préoccupation en disant que l'accès au service n'était pas disponible. M. LaRose a fait allusion au service par satellite, avec la couverture qu'ExpressVu et Star Choice offrent aux Canadiens, et notre service est déjà disponible grâce aux émetteurs de télévision en direct dans le nord du Canada. Toutes les collectivités ont accès au service de base également.

Les distributeurs d'accès fixe sans fil transmettent également notre signal sur le service de base, c'est-à-dire Look en Ontario, Sky Cable ici au Manitoba et Image en Saskatchewan, comme le font tous les nouveaux services de télécommunications qui ont récemment reçu une licence du CRTC — Telus, SaskTel et MTS à l'heure actuelle — et Bell a récemment reçu sa licence par le biais de son service de télévision DSL. Nous faisons donc partie du service de base de ces fournisseurs également. Il y a une grande distribution. Comme nous l'avons mentionné dans le rapport, nous sommes diffusés dans plus de 10 millions de foyers et d'établissements commerciaux.

Le sénateur Tkachuk : Faites-vous des sondages, ou comment déterminez-vous le nombre de téléspectateurs de descendance autochtone, tant dans les réserves que hors réserve?

M. Kist : Quelques observations à ce sujet, sénateur.

Nous sommes actuellement abonnés à BBM, un bureau de mesure de l'écoute, car dans le secteur de la publicité, les planificateurs et les annonceurs eux-mêmes tiennent compte du nombre de téléspectateurs pour déterminer les tarifs et dans quels médias ils veulent faire de la publicité. C'est normal.

Nous avons constaté en travaillant avec le BBM — et ils nous ont transmis une lettre à ce sujet — que d'après leurs méthodes d'échantillonnage, étant donné qu'ils ne vont pas du tout dans les réserves, ni dans les régions rurales du Canada, ni dans le Nord, 50 p. 100 de notre auditoire principal éventuel ne sera pas visé par ces services de cotes d'écoute.

Deuxièmement, étant donné qu'ils ne font pas d'échantillonnage en se basant sur l'ethnicité dans les centres urbains et qu'ils ne cherchent pas ce genre de représentation de la diversité dans leurs groupes de média, ni dans le carnet de vision, étant donné que les Autochtones n'ont pas tendance à participer aux sondages, c'est tout simplement ce qui s'est produit. BBM a déterminé qu'essentiellement nous n'avions aucune représentation autochtone dans les médias.

Toutes nos données de mesure reflètent un auditoire secondaire non autochtone. La bonne nouvelle, c'est que cet auditoire augmente considérablement, et même la mesure nous place en bonne compagnie de services partout au Canada pour ce qui est de notre moyenne et de notre rayonnement.

Le défi, c'est que jusqu'à présent nous n'avons fait que des recherches qualitatives sur les réserves et au nord du 60e parallèle, et typiquement nous demandons, est-ce que vous regardez APTN, à quelle fréquence, etc. Entre 92 et 94 p. 100 de tous les participants aux sondages que nous avons faits au cours des dernières années ont répondu qu'ils regardaient APTN et plus de 24 p. 100 ont dit qu'ils le regardaient le plus souvent possible.

Or, je ne peux pas extrapoler et dire que 24 p. 100 de la population de 1,4 million d'Autochtones au Canada représente 300 000 téléspectateurs de plus. J'aimerais bien pouvoir le faire, et en réalité, d'après certaines des réponses à d'autres questions qualitatives, je suis fermement convaincu que le nombre sera très élevé.

Nous travaillons avec deux différentes entreprises d'étude des médias afin d'obtenir une mesure de l'écoute équivalente à celle de BBM pour pouvoir dire : « Voici la taille de notre auditoire autochtone. » Nous savons que l'auditoire est important étant donné les données qualitatives dont nous disposons. Chaque fois que nous visitons des réserves ou que nous parlons à des téléspectateurs, nous avons un très grand nombre de personnes. Nous avons un échantillon de plus de 7 000 personnes au Canada qui ont dit qu'elles voulaient participer à des études pour nous, et ce sont des Autochtones qui s'intéressent beaucoup au réseau lui-même et qui l'appuient.

Le sénateur Tkachuk : Combien de journalistes travaillent dans votre salle de nouvelles?

M. LaRose : Vingt journalistes.

Mme Rita S. Deverell, directrice des nouvelles et des actualités, Aboriginal Peoples Television Network : Nous sommes un réseau qui a un total de huit bureaux au pays. Nous fonctionnons donc comme CBC/Radio-Canada ou CTV, mais nous faisons tout cela avec un total de 17 personnes qui travaillent au service de rédaction et qui sont réparties entre Yellowknife dans le Nord, Vancouver dans l'Ouest et Halifax dans l'Est. Le siège social du réseau se trouve à Winnipeg et nous avons une équipe technique qui y travaille. Cela représente à peu près 20 autres employés, de sorte que nous exploitons un réseau complet de nouvelles avec une quarantaine de personnes.

Le sénateur Tkachuk : Diffusez-vous aussi des émissions de sport?

Mme Deverell : Un peu. Par exemple, nous avons diffusé les faits saillants des Jeux d'hiver de l'Arctique. Nous avons aussi présenté les Jeux autochtones de l'Amérique du Nord qui ont eu lieu à Winnipeg et nous aurons probablement une participation importante aux Jeux du Canada qui se tiendront à Whitehorse en 2007. On a annoncé récemment que nous diffuserons aussi une partie des Olympiques de 2010. Les sports ne constituent pas la principale partie de notre mandat, mais nous ne les négligeons pas, surtout quand ils mettent en vedette des régions du Nord ou des Autochtones.

Le sénateur Munson : Votre graphique indique ici que les informations représentent 2,79 p. 100 de votre programmation, et qu'il y a aussi les reportages et les actualités. Est-ce parce que vous avez peu d'argent pour les nouvelles et que vous devez compter sur les émissions dramatiques et de comédie pour survivre?

Mme Deverell : Non. Il nous faut certainement plus d'argent, mais APTN est un réseau de télévision comme les autres. Il présente des émissions dramatiques, des émissions d'information, des émissions de tous les genres. Je suis pas mal certaine que pendant la prochaine période de renouvellement de notre licence, comme l'a dit Jean LaRose, nos émissions d'information et nos actualités, qui sont très populaires, augmenteront si nos ressources s'accroissent. Pour l'instant, APTN présente tous les soirs un bulletin de nouvelles national à 18 h 30 heure du Centre et 19 h 30 heure de l'Est.

Le sénateur Munson : Avez-vous un présentateur populaire comme Peter Mansbridge ou Lloyd Robertson?

Mme Deverell : Nous en avons plus d'un — Rick Harp et Nola Wuttunee. Nous avons d'ailleurs la seule équipe se consacrant à la collecte de nouvelles qui soit entièrement autochtone, et c'est un véritable atout.

Le sénateur Munson : À la page 4 de votre mémoire, au paragraphe 2, vous dites :

Les médias grand public du Canada n'offrent pas aux Canadiens suffisamment d'information de qualité sur les peuples autochtones du Canada et, par conséquent, les peuples autochtones sont mal desservis.

Comment comblez-vous cette lacune? Comment attirez-vous l'attention des médias grand public? Je pense à des reportages positifs sur la communauté autochtone. J'ignore comment on peut amener les médias grand public à s'intéresser à ces nouvelles. On ne peut forcer les journaux à publier tel ou tel article. C'est à eux de choisir. Avez-vous pris des mesures efficaces pour combler cette lacune?

M. Kist : APTN participe activement à plusieurs initiatives en vue de combler cette lacune. Nous avons établi d'excellentes relations de travail avec CTV nous permettant de partager nos reportages avec ce réseau. De temps à autre, ils diffusent certains de nos reportages sur Newsnet. Nous tentons maintenant de faire en sorte que certains de nos journalistes participent aux bulletin de nouvelles réguliers. Nous collaborons aussi avec d'autres télédiffuseurs tels qu'OMNI, avec lequel nous avons de bonnes relations, afin de faire des échanges entre les équipes de journalistes, ce qui nous permettrait d'apporter notre point de vue à leurs bulletins de nouvelles et d'inclure les perspectives des Néo- Canadiens aux reportages s'adressant aux peuples autochtones.

Je crois que le temps est venu d'aller au-delà de la discussion sur la diversité et de passer à l'action. À APTN, il arrive souvent que d'autres télédiffuseurs veulent établir des partenariats avec nous ou nous offrent, dans le cadre d'un renouvellement, d'une acquisition ou de l'achat d'un autre réseau, de former et de conseiller des jeunes autochtones. Cela est très louable en soi. Le défi que nous devons relever, c'est de les amener à aller au-delà de la formation et du mentorat et à recruter certains de ces jeunes. Certains jeunes autochtones ont reçu de la formation et des conseils qui, dans d'autres cas, auraient mené à un emploi, je crois, mais qui, pour eux, n'ont conduit qu'à plus de formation et de mentorat. Il faut que les efforts viennent en partie de l'industrie même et nous exerçons des pressions sur l'Association canadienne des radiodiffuseurs pour qu'elle incite les radiodiffuseurs à accroître les perspectives d'emploi pour les Autochtones. Toutefois, il faudra probablement exercer des pressions plus directes sur les radiodiffuseurs pour qu'ils délaissent les mesures symboliques et prennent des initiatives qui donnent des résultats tangibles, ce qui n'est pas encore le cas.

Parmi tous ceux qui travaillent à CBC/Radio-Canada, que ce soit comme présentateur de nouvelles ou comme journaliste à Newsworld ou pour d'autres activités, il y a Carla Robinson et il y avait auparavant Carol Adams qu'on ne voit plus beaucoup, et c'est tout. Pour autant que je sache, il n'y en a pas d'autres. Ce sont les deux journalistes d'antenne à CBC, et ce ne sont pas des présentatrices. Il y a donc deux Autochtones dans un réseau de je ne sais combien de personnes qui travaillent pour CBC/Radio-Canada. C'est plutôt triste de la part du radiodiffuseur qui prétend représenter tous les Canadiens, y compris les peuples autochtones. J'estime qu'on devrait rappeler CBC/ Radio-Canada à l'ordre, car manifestement, le réseau d'État ne remplit pas son mandat comme il prétend le faire.

Le sénateur Munson : On pourrait en dire autant des deux radiodiffuseurs privés, CTV et Global.

M. LaRose : Oui, vous avez sans doute raison. Cela s'applique à toute l'industrie. Les statistiques montrent que, alors que dans certaines provinces, la présence des Autochtones ne représente qu'un demi de un pour cent, au Québec, à la télévision francophone, il n'y a aucune présence autochtone, et cela ne se limite pas qu'au Québec. Il n'y a pas de personnel d'antenne autochtone sur quelque service de langue française que ce soit, en Ontario ou ailleurs. C'est inquiétant de la part d'une industrie qui prétend travailler à corriger la situation. On prétend ne pouvoir trouver personne après des années de formation et de mentorat; comment cela est-il possible?

Le sénateur Tkachuk : Quand vous faites des échanges avec CTV, est-ce que c'est votre journaliste qui est à l'écran?

Mme Deverell : M. LaRose a parlé de notre partenariat important avec CTV en matière de nouvelles. Cela s'est réalisé grâce à l'aide de BCE. Il s'agit d'un partenariat de travail très créateur qui nous a aidés à mettre sur pied nos bureaux à l'échelle du pays. Maintenant, bon nombre de nos bureaux se trouvent dans les locaux de CTV, ce qui nous donne accès à leur capacité de rédaction et à toutes leurs images et stocks filmés au pays. En contrepartie, CTV a accès à nos reportages.

Je vous donne un exemple concret : CKY à Winnipeg diffuse tous les week-ends un reportage d'APTN. Nous collaborons actuellement à la couverture d'événements tragiques qui se sont produits cette semaine, des coups de feu qui ont été tirés sur un jeune homme autochtone. Nos salles de nouvelles sont en communication constante sur la façon dont l'une et l'autre assurent le compte rendu de cet incident.

Nous distribuons du matériel à notre bureau par le biais du réseau de CTV et nous participons aux réunions hebdomadaires du comité de rédaction du réseau. À bien des égards, ce partenariat est important non pas parce qu'il permet à beaucoup d'Autochtones d'être à l'écran de CTV, mais plutôt parce qu'il nous permet d'apporter un point de vue nouveau aux discussions de la rédaction. Ce partenariat est très positif.

Le sénateur Tkachuk : La station locale CFQC, à Saskatoon, est une station affilée. Diffuse-t-elle directement vos reportages dans le cadre de son bulletin de nouvelles locales, pas nécessairement aux nouvelles nationales?

Mme Deverell : Oui, nos journalistes font des apparitions aux nouvelles locales, mais pas au niveau national, bien qu'il y ait échange d'images et de points de vue éditoriaux. À Saskatoon, le bureau de notre vidéo journaliste se trouve à CFQC et cette station diffuse fréquemment nos reportages. Nous participons souvent aussi à des tournages en commun. Mais le plus important, je le répète, ce sont les discussions du comité de rédaction. Il y a des points de vue diversifiés dans la salle de nouvelles, ce qui est crucial. Cette station diffuse aussi bon nombre de nos reportages dans une émission qu'elle produit et qui s'appelle Indigenous Circle. Ils l'ont justement d'ailleurs fait hier.

Le sénateur Munson : Le fait que vous ayez cette relation contractuelle avec CTV au niveau national pourrait-il inciter CBC/Radio-Canada à réduire sa collaboration avec vous? Je n'ai rien contre CTV.

Mme Deverell : Je ne crois pas. D'une certaine façon, je pourrais même dire que CTV a payé pour cet avantage. Il a soutenu financièrement ce partenariat avec APTN.

En revanche, nous sommes tout à fait disposés à faire des échanges semblables avec CBC/Radio-Canada et à accueillir toute suggestion concrète. L'initiative la plus concrète jusqu'à présent a été la production tripartite d'une émission sur les pensionnats — il y a déjà quelques années — qui a regroupé Newsworld, APTN et Vison TV. Nous avons tous participé à ce projet. Mais c'est le seul exemple que je peux vous donner.

Le sénateur Tkachuk : Êtes-vous syndiqué?

Mme Deverell : Oui, le personnel opérationnel et des nouvelles fait partie du même syndicat que les employés de CBC/Radio-Canada.

Le sénateur Chaput : J'essaie de comprendre pourquoi, comme vous le dites à la page 5 de votre mémoire, la présence des Autochtones est si négligeable à la télévision privée canadienne. D'après ce que j'ai entendu, vous êtes très compétents, vous avez fait des études de journalisme. Avant hier, les représentants des écoles de journalisme nous ont dit vouloir recevoir plus de candidatures d'Autochtones, mais si je me souviens bien, il n'y avait qu'un étudiant autochtone à l'une de ces écoles. J'essaie de comprendre ce qui explique cet état de chose. C'est ma première question. Ma deuxième question porte sur vos écoles. Faites-vous la promotion du journalisme auprès des élèves de 9 à 12 ans, leur offrez-vous des cours de rédaction ou d'autres cours semblables afin de les préparer à une carrière en journalisme, si ça les intéresse? Je tente de voir où se situe le problème.

M. LaRose : Il n'y a pas de réponse simple à cette question. Les peuples autochtones sont dans une dynamique particulière en ce qui a trait aux écoles, en ce sens que les élèves qui habitent dans des réserves relèvent du gouvernement fédéral. Ils sont censés faire des études conformes aux normes provinciales, mais d'après des études récentes, et comme l'a même souligné la vérificatrice générale, il semble que ce ne soit pas le cas. Il est donc évident que bon nombre d'entre eux ne reçoivent pas de l'enseignement de qualité.

Ceux qui vivent dans les centres urbains reçoivent un enseignement conforme aux normes provinciales et il y a bien des écoles techniques et postsecondaires qui offrent des cours de journalisme, de radiodiffusion, etc. Il y a le First Nation Technical Institute qui se trouve sur le territoire mohawk de Tyendinaga en Ontario. Il y a aussi le Collège Capilano à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui offre de belles perspectives. Notre directeur des ressources humaines visite régulièrement les écoles secondaires et même élémentaires pour décrire aux élèves les perspectives d'emploi en radiodiffusion et pour servir de modèle aux élèves. Nous accueillons aussi des stagiaires à qui nous offrons une sorte de formation en cours d'emploi et qui peuvent ainsi se faire une idée de ce qu'est la radiodiffusion.

D'autres initiatives sont en cours d'élaboration dans le cadre d'un partenariat de radiodiffuseurs, au sein d'une alliance de radiodiffuseurs du Canada, en vue d'offrir aux jeunes plus de possibilités dans les autres réseaux. The Weather Network et Alliance Atlantis en sont les deux principaux participants. D'autres radiodiffuseurs y sont aussi actifs et pourraient vous en dire plus long à ce sujet. Cependant, il faut aussi aider les jeunes à ne pas s'arrêter après l'école secondaire, ce qui n'est pas toujours facile. Le taux de décrochage chez les Autochtones vivant en réserve est très élevé. Je crois qu'il est de 70 p. 100. Bon nombre d'entre eux n'envisagent aucun avenir à part celui qu'ils voient dans la réserve. Nous n'avons pas de studios dans les réserves et les jeunes ne voient pas les possibilités qu'offre la radiodiffusion et c'est pourquoi nous devons aller sur place les leur présenter.

Nous avons participé à des événements tels que Feu vert pour l'avenir organisé par la Fondation nationale des réalisations autochtones à l'échelle du pays pour amener les jeunes des localités les plus isolées à s'informer sur toute une gamme de perspectives d'emploi, non seulement en radiodiffusion, mais dans tous les domaines. Hier, lors d'une rencontre avec notre directeur de banque, celui-ci a mentionné que, depuis deux ou trois ans, il est très encouragé de voir que de plus en plus de jeunes Autochtones se lancent dans le commerce et les affaires bancaires, des domaines qu'ils ne choisissaient pas auparavant.

N'oubliez pas que dans les réserves, on a le choix entre le travail social et le développement économique ou les fonctions de chef ou de conseiller. Ceux qui servent de modèle à la plupart des jeunes Autochtones vivant dans une réserve sont les enseignants, les travailleurs sociaux, représentant l'aide sociale ou d'autres agences, et le chef et les conseillers. Ce sont là les professions auxquelles ils sont exposés dans les réserves et il faut donc qu'ils subissent des influences provenant de l'extérieur pour envisager autre chose. Nous tentons donc de développer le réseau mais aussi, comme nous l'avons indiqué, d'agir comme service public. Nous voulons leur tendre la main et ouvrir leurs horizons.

Je dirais que, ces dernières années, nous avons réalisé de grands progrès à cet égard que nous espérons intensifier grâce aux partenariats que nous tentons d'établir avec d'autres radiodiffuseurs, car nous nous limitons bien sûr à la radiodiffusion. Nous voulons que des représentants de ces autres radiodiffuseurs nous accompagnent et en viennent à faire plus que de la formation et du mentorat pour enfin offrir des perspectives d'emploi tangibles aux jeunes Autochtones.

La présidente : Comme d'habitude, le temps passe très vite, mais j'aimerais vous poser trois questions. Je tenterai d'être brève et je vous prierais de faire de même.

Premièrement, qui est propriétaire d'APTN?

M. LaRose : Les peuples autochtones sont propriétaires d'APTN.

La présidente : De quelle façon?

M. LaRose : APTN est un organisme de charité à but non lucratif. Notre conseil d'administration se compose de 21 personnes provenant de toutes les régions du pays dont 19 sont des Autochtones qui représentent les Premières nations, les Inuits et les Métis et qui guident le réseau.

La présidente : Deuxièmement, en ce qui a trait au soutien financier de BCE, pourriez-vous nous décrire brièvement quelle forme a pris cette aide?

Mme Deverell : Comme vous le savez, lorsque le CRTC approuve une acquisition ou une fusion, l'entité qui en profite doit consacrer une partie de ses profits à une cause sociale ou politique. Ainsi, la fusion d'Alliance Atlantis a donné lieu à la création du Alliance Atlantis Banff Television Executive Program. Dans notre cas, une partie des profits qu'a réalisés BCE a servi à l'établissement d'un service national de collecte de nouvelles autochtones.

La présidente : Nous avons eu une séance très intéressante hier à Regina avec Connie Dieter, que vous connaissez probablement et qui a une très haute opinion d'APTN. Mais elle nous a aussi fait remarquer qu'APTN ne peut pas tout faire. Elle nous a dit qu'il faudrait un service de radio qui pourrait, par sa nature, être plus local et traiter des dossiers locaux. Avez-vous songé à vous lancer dans la radio?

M. LaRose : Comme réseau, non, pour deux raisons. Il y a déjà 14 stations de radio autochtones grâce au Programme d'accès des Autochtones du Nord à la radiotélédiffusion. Elles se trouvent un peu partout au pays. Certaines des plus importantes, soit dit en passant, sont NCI, Native Communications Inc., au Manitoba; MBC en Saskatchewan; AMMSA en Alberta; NNB à Terrace, en Colombie-Britannique et NNBY au Yukon. Ce sont des stations de radio autochtones qui diffusent sur un assez vaste territoire. NCI peut être syntonisée dans presque tout le Manitoba et là où on n'y a pas encore accès, on aura un émetteur d'ici quelques années. MBC est maintenant à Saskatoon et sera à Regina d'ici un an ou deux; elle diffusera alors dans toute la province de la Saskatchewan. On peut syntoniser AMMSA dans presque toute l'Alberta.

On parle de créer un réseau national de radio autochtone. Il reste encore à déterminer comment cela pourrait se faire. On envisage deux approches. Selon la première, on créerait une nouvelle entité à partir de Voix radiophoniques autochtones, une petite station diffusant de Toronto et qui a obtenu des licences pour tout le pays. On pourrait aussi, avec les 14 stations existantes, créer un groupe national qui utiliserait la programmation régionale pour offrir une programmation complémentaire. Chaque station pourrait se servir de la programmation des autres pour compléter sa programmation et remplir les temps morts. Cela pourrait aussi servir de base pour un réseau de radio national en langue autochtone une partie de la journée, en anglais ou en français le reste de la journée, qui offrirait une programmation représentant les diverses voix du pays.

Il faut savoir qu'il n'y a pas de peuples autochtones comme tels; au Canada, il y a les Premières nations. Il y a des Inuits, il y a des Métis. Le terme « peuples autochtones » a été employé par le Parlement dans les années 1970 et 1980 à l'époque où l'on tentait de définir notre place dans le contexte constitutionnel et dans d'autres contextes, et d'enchâsser nos droits dans la Constitution. Toutefois, chaque entité est très différente. Les Premières nations de la côte Est diffèrent autant de celles de la côte Ouest que les Québécois des habitants de Calgary. Chaque groupe a son appartenance à sa région, sa propre identité.

N'oublions pas dans nos efforts en vue de créer ce réseau qu'APTN tente de répondre à tous les besoins, et vous y avez fait allusion. Il est très difficile de remplir un tel mandat. Je crois que nous nous débrouillons assez bien. Bien sûr, quand nous sollicitons les vues des gens, on nous dit que ce que nous faisons est bien, mais que nous devrions présenter davantage de ceci ou de cela ou qu'on ne présente pas suffisamment d'émissions dans une langue ou dans une autre. Nous tentons de trouver le juste milieu. La création d'un service national de radio serait un pas dans cette direction, car il ajouterait une voix, comme vous le dites, plus locale, plus régionale, qui contribuerait à cet équilibre, qui appuierait APTN et contribuerait à la collecte de nouvelles grâce à de nouvelles voies de communication. Nous pourrions offrir nos reportages à cette radio nationale qui, elle, pourrait nous aider dans nos reportages locaux et régionaux et ainsi susciter une synergie. Nous poursuivrons nos efforts en ce sens à mesure qu'évoluera le dossier.

La présidente : Merci beaucoup. Notre discussion avec vous a été intéressante et fort instructive, et nous vous en remercions. Je vous prie encore de nous excuser pour vous avoir fait attendre, mais cela se produit malheureusement quand la liste des témoins intéressants est longue. Nous vous savons gré d'avoir bien voulu patienter.

Mesdames et messieurs les sénateurs, des membres du public ont demandé à être entendus.

Monsieur Anderson, soyez le bienvenu. Je crois qu'on vous a expliqué que vous disposez de quatre minutes pour nous faire part de vos remarques puis, nous prendrons quelques minutes pour vous poser des questions.

M. Kristjan Anderson, à titre personnel : Je suis ici aujourd'hui à titre de Canadien, à titre d'observateur de la presse écrite et de la télévision. Je n'ai pas eu le temps de rédiger un document à votre intention. J'aurais bien aimé pouvoir le faire. J'ai déjà témoigné devant un comité sénatorial, avec Fix It for Kids, je crois, mais je ne suis pas certain. Quoi qu'il en soit, j'ai remarqué le sujet de votre réunion d'aujourd'hui dans le Winnipeg Sun et j'ai cru bon de venir faire ma petite contribution.

L'envergure de la couverture médiatique, de la radio, de la presse écrite et de la vidéo, est tout simplement phénoménale dans le monde d'aujourd'hui. Ce qui me préoccupe et que j'ai choisi d'aborder aujourd'hui, c'est une certaine sensibilité des médias et l'absence totale de couverture médiatique de certains dossiers.

Je suis le père célibataire d'une adolescente de 14 ans et, à ce titre, je suis un phénomène plutôt rare. Je crois savoir qu'il n'y a pas beaucoup d'hommes qui élèvent leurs propres enfants. C'est plus courant aujourd'hui, mais c'est encore une tâche que la plupart des pères négligent, contrairement à moi. Moi, je tente d'enseigner à ma fille comment distinguer le bien du mal, une tâche qui n'est pas toujours facile. Qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui est mal, qu'est-ce qui relève des faits ou de la fiction dans ce qu'on lit dans les journaux ou ce qu'on voit à la télévision? Il ne faut pas se leurrer : les médias sont très puissants. La poignée de personnes très puissantes qui sont les propriétaires et les dirigeants des conglomérats des médias ont des principes et des croyances et les médias transmettent des messages qui sont parfois déformés. Je signale, par exemple, qu'une liste des dix personnes les plus recherchées figure dans Winnipeg Free Press depuis déjà un certain temps. Je ne crois pas que les gens comprennent quelles conséquences peut avoir la publication d'une photo dans le journal sous une telle rubrique. On n'a jamais publié ma photo dans les journaux, mais c'est très préjudiciable pour ceux à qui c'est arrivé, même pour les délinquants sexuels ou qui que ce soit d'autre. Le processus de réinsertion sociale est très important; je ne veux pas dire par là que les coupables devraient s'en tirer sans être punis, mais les médias ne cessent de suivre leurs traces.

La présidente : Votre temps de parole tire vers sa fin.

M. Anderson : Je serai bref. Il existe des exemples de journalisme bâclé. Mais je terminerai par ceci : il y a quelques jours, un jeune Autochtone a été abattu dans le nord de Winnipeg. Moi-même, tout comme n'importe qui d'autre, j'avais cru comprendre que ce jeune homme s'était précipité un couteau à la main vers un agent de police. Or, deux jours plus tard, j'ai appris que c'était un tournevis qu'il tenait, et ce n'est pas du tout la même chose. Même si un tournevis peut servir d'arme, je...

La présidente : Je dois vous préciser que pour notre comité, il n'est pas important de connaître tous les détails de certaines affaires qui sont devant les tribunaux. Il est important de vous en tenir au sujet désigné. Mais si je vous comprends, vous êtes en train de nous expliquer que, parfois, les articles des journalistes ne sont pas toujours aussi exacts qu'ils devraient l'être. Vous ai-je bien compris?

M. Anderson : C'est cela. La presse et les médias en général doivent faire tout ce qu'il faut pour obtenir les faits exacts, plutôt que d'essayer d'imprimer quelque chose de façon bâclée.

Le sénateur Chaput : Quand ce genre d'information est transmise, déposez-vous une plainte auprès du conseil de presse?

M. Anderson : Non, c'est simplement quelque chose qui me chiffonne. C'est ce que j'ai observé, et c'est pourquoi je vous en ai donné l'exemple. Je pense que l'on a eu tort d'informer le public de cette façon. Les journalistes doivent être très concis et surtout précis avec l'information qu'ils diffusent. Je suppose que c'est une question qui relève en partie du CRTC, mais c'est vous qui avez organisé cette audience aujourd'hui, et j'ai pensé qu'il me fallait porter cela à votre attention, entre autres choses. Merci.

La présidente : Devant une nouvelle qui vous semble présenter des failles, c'est-à-dire qui pourrait être inexacte, incomplète ou biaisée, avez-vous l'impression que vous pouvez vous présenter au bureau de presse qui a publié la nouvelle et faire entendre vos doléances?

M. Anderson : Pas nécessairement. Cela peut prendre parfois très longtemps. Il m'est déjà arrivé d'entendre des nouvelles que je considérais comme étant inexactes, et lorsque je demandais de l'information, ou que j'écrivais une lettre à l'éditeur, on ne me répondait pas. Ce n'est pas que j'écrive régulièrement, c'est d'ailleurs assez rare que je le fasse. Toutefois, les médias sont très puissants et ils choisissent de répondre ou pas. Quant à nous, Canadiens, nous devons nous assurer que les médias nous transmettent le message correctement.

J'essaie de bien élever mon enfant et de lui montrer la différence entre le bien et le mal. Mon enfant est soumis à des points de vue contradictoires entendus à la télévision, à la radio, ou lus dans les journaux. Et comme parent responsable, je dois guider mon enfant jusqu'à l'âge adulte et espérer qu'elle saura faire la différence.

La présidente : Vous avez fait des observations assez profondes, et nous vous remercions beaucoup d'avoir comparu, monsieur Anderson.

Je demanderais maintenant à Mme Lesley Hughes de s'avancer.

Madame Hugues, bienvenue au comité. Vous avez sans doute entendu ce que j'ai expliqué à M. Anderson, à savoir que vous avez quatre minutes pour vous exprimer, après quoi nous pourrons vous poser une ou deux questions.

Mme Lesley Hughes, à titre personnel : Je vais essayer de m'en tenir à quatre minutes.

La président : Bien, sinon je vous interromprai.

Mme Hughes : Cela fait depuis 2001 que j'attends de pouvoir vous parler.

La présidente : Mais nous en sommes à notre première journée de séance à Winnipeg.

Mme Hughes : Je sais, mais je vous attends quand même depuis 2001, date à laquelle on a annoncé la création de votre comité; cela m'avait d'ailleurs fait extrêmement plaisir.

Je suis une écrivaine radiodiffuseur établie à Winnipeg; j'enseigne les médias à l'Université de Winnipeg. J'appartiens aussi à l'Association canadienne des journalistes, et je suis critique pour les médias à la revue Canadian Dimension. Voilà, j'ai voulu me présenter, puisque je sais fort bien qui vous êtes.

Si je comparais aujourd'hui, c'est que je m'inquiète grandement de la consolidation et de la convergence surtout si ces deux phénomènes s'expriment de concert dans les médias, ainsi que de la monoculture qui en résultera, monoculture que l'on sent émerger depuis déjà dix ans. Comme l'expliquait Bill Moyers, plus les médias sont gros, plus petit est le journalisme : C'est malheureusement là la tendance.

Je voudrais vous donner un tout petit exemple, qui pourra sembler insignifiant à bien des gens. Vous le trouverez dans le communiqué de presse que je vous ai distribué. Il s'agit d'un article daté de juin 2002 et tiré d'un des journaux de Sun Media. Je ne vous en lirai que quelques paragraphes :

Sun Media règle à l'amiable avec un ancien chroniqueur. La société Sun Media a versé 1 000 $ en dommages et intérêts à un chroniqueur renvoyé en septembre 1999 par le Winnipeg Sun. Ce versement de dommages et intérêts règle une plainte de discrimination politique déposée devant la Commission des droits de la personne du Manitoba.

Il s'agit de moi.

Ce règlement semble être le premier de ce genre à avoir été conclu entre un journal et un écrivain au Canada. D'après la Commission manitobaine des droits de la personne, cette affaire crée un précédent, puisque c'est la première fois qu'un éditeur doit répondre de ses préjugés politiques.

À mon avis, c'est une affaire très importante pour les journalistes. Il faut savoir qu'à l'époque, la débâcle de Russell Mills faisait toujours la manchette dans les médias canadiens. Et c'est pourquoi, lorsqu'un agent de publicité a envoyé le communiqué de presse que je vous ai distribué à 88 médias canadiens, c'est-à-dire aux meilleurs et aux pires de notre pays, le communiqué de presse n'a suscité aucune réaction, ce qui m'a sidérée. J'étais tellement sûre que l'agent de publicité avait fait une erreur, que je lui ai demandé d'envoyer à nouveau le communiqué de presse. Mais la deuxième fois, l'envoi n'a suscité qu'une seule réponse, celle du Winnipeg Free Press. Ce journal s'est excusé de ne pas pouvoir publier la nouvelle, car il ne voulait pas être perçu comme critiquant le Winnipeg Sun. À mon avis, c'était un cas historique!

Même si je vous ai donné ici mon cas personnel, ce que je vais vous expliquer, c'est qu'il est très facile de compiler une liste d'articles ou d'opinions qui sont inacceptables aux éditeurs du Canada. Vos audiences vous l'ont sans doute confirmé. Ce genre-là d'article, comme on vous l'a certainement déjà expliqué, est inacceptable pour eux.

Si j'ai voulu comparaître, c'est que mon expérience personnelle comme journaliste de profession m'a poussé à soutenir l'idée de la création d'un journal canadien national, qui pourrait, je l'espère, faire contrepoids au pouvoir des grandes sociétés qui ne cessent de croître et particulièrement au pouvoir que les grands journaux ont d'empêcher la publication de nouvelles canadiennes.

Je répondrai maintenant à vos questions avec plaisir, car je sais que vous avez hâte d'aller déjeuner.

La présidente : Vous avez visé juste.

Le sénateur Tkachuk : Mais qu'avez-vous écrit exactement? Tout ce que nous avons, c'est le communiqué de presse, mais nous ne savons pas ce que vous avez dit. Qu'est-ce qui se passait exactement? D'après ce que j'ai cru comprendre, le journal Sun avait lancé une espèce de campagne contre Cuba. Qu'avez-vous fait qui ait causé...

Mme Hughes : J'étais chroniqueur au journal à l'époque, et dans ma chronique, j'ai critiqué l'attitude de mon journal car, à mon avis, mon journal démontrait là un abus de pouvoir dans les médias. D'ailleurs, les jeux ont failli ne pas avoir lieu, d'après ce que j'ai entendu dire de la part des organisateurs et des bénévoles, parce que les athlètes étaient à ce point divisés sur la question. Les Cubains ont failli retourner chez eux, ce qui aurait été désastreux pour les citoyens du Manitoba, qui avaient organisé un modèle de compétition sportive internationale.

Le Sun a donc publié ma chronique, puis m'a mise à la porte trois semaines plus tard. Dans une conversation impromptue avec l'un des éditeurs, j'ai appris que c'était sans doute à cause de ma chronique qu'on m'avait renvoyée. Mais ce n'est pas là mon propos d'aujourd'hui. Aujourd'hui, je veux venir témoigner du pouvoir d'autocensure des médias et dire que, même si toute cette histoire était un coup bas à l'égard des journalistes, cela ne le leur a pas été signalé. Vous êtes parmi la poignée de Canadiens qui connaissent cette affaire aujourd'hui, même si le contribuable a été obligé d'assumer les frais de mon recours en justice pour faire respecter mes droits, ce qui a pris deux ans et fut pour moi une bataille très difficile à mener. On nous avait dit que ma cause ne pouvait certainement pas être gagnée, et c'est justement ce qui en illustrait l'importance.

J'aimerais terminer par ceci : à mon avis, si les éditeurs savaient qu'ils seront tenus responsables et qu'ils devront payer une amende pour avoir renvoyé quelqu'un parce que son point de vue différait du leur, ils y réfléchiraient sans doute à deux fois avant de le faire. Visiblement, personne n'a accordé beaucoup d'attention à cette affaire depuis qu'elle s'est produite. En effet, on a l'impression que rien du tout ne s'est produit.

La présidente : J'ai l'impression que les éditeurs seraient nombreux à se battre jusqu'en Cour suprême pour que les gens aient le droit d'exprimer leurs opinions, quelles qu'elles soient. Maintenant, le feraient-ils réellement? Je n'en sais rien, et vous non plus.

Mais sans entrer dans le processus judiciaire, qui n'est une partie de plaisir pour personne, avez-vous l'impression que les médias couvrent suffisamment ce qui se passe dans leur milieu ? Je ne parle pas ici des grands enjeux commerciaux comme les fusions et les acquisitions, les roulements de personnel, les profits et les pertes, etc., que l'on retrouve dans les pages des cahiers d'affaires. Mais pensez-vous qu'il serait bon que les médias fassent des reportages sur eux-mêmes et expliquent les tendances dans les milieux journalistiques, et tout ce qui s'y passe, à l'intention du grand public?

Mme Hughes : Cela semble être démodé. Je sais qu'à une époque, Barry Zwicker était critique des médias à la radio de CBC, et qu'il faisait de l'excellent travail. Antonia Zerbisias, qui travaille depuis Toronto, se considère comme étant la seule critique canadienne des médias, ce avec quoi je ne suis pas d'accord, puisque je travaille moi-même en ce sens depuis Winnipeg. Toutefois, il serait bon qu'il y en ait beaucoup plus comme nous.

À titre d'exemple, le Manitoba est à la veille d'être frappé par les problèmes de consolidation, ce qui semble échapper pour l'instant à la plupart de ses citoyens : en effet, les propriétaires du Winnipeg Free Press viennent d'acheter le Brandon Sun ainsi que les journaux communautaires de Winnipeg qui étaient publiés indépendamment depuis quelque 75 ans. Or, nous avons entendu ce matin qu'ils envoient du contenu au câblodistributeur Shaw. Je pense qu'ils ont également conclu un accord de partage du contenu avec le National Post. Bien sûr, je ne puis vous en parler en détail car je n'ai pas vu les documents, mais je vous assure que mes soupçons me permettent d'être un peu plus aux aguets que la moyenne des Manitobains.

La présidente : Madame Hughes, merci infiniment de votre témoignage. Vous avez respecté parfaitement les consignes, et nous vous en remercions. Et merci aussi d'avoir été si patiente. Je le répète, lorsqu'on a la chance d'entendre de nombreux témoins intéressants, on prend souvent plus de temps que prévu.

Mme Hughes : Vous parler a été un privilège pour moi.

La présidente : Mesdames et messieurs du Sénat, cela met un terme à notre séjour à Winnipeg ainsi qu'à notre voyage dans les provinces de l'Ouest. Avant de clore la séance officiellement, je vous demande de vous joindre à moi pour remercier tous ceux qui ont tout fait pour que notre semaine, si chargée soit-elle, soit une réussite. Nous ne saurions être aussi efficaces si nous n'avions pas autant d'aide professionnelle, et je m'adresse ici autant aux greffiers qu'aux interprètes et à notre personnel de soutien. J'ai beaucoup appris dans la façon dont ils ont tous réussi à maintenir la trajectoire de notre comité itinérant.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais ajouter ma voix à la vôtre. Nous voudrions, pour notre part, remercier nous aussi tout le personnel, le bureau du greffier et les interprètes qui ont tous fait un excellent travail. J'ai eu le privilège de prendre part à bon nombre de comités itinérants, mais j'avoue que nous venons sans doute de vivre ici la semaine la mieux organisée qui soit. Je les en remercie tous.

Le sénateur Munson : Nous sommes tous unanimes là-dessus.

La séance est levée.


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