Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 11 - Témoignages du 23 février 2005
OTTAWA, le mercredi 23 février 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 18 h 21 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial des transports et des communications. Nous poursuivons notre étude des médias canadiens d'information et du rôle que l'État devrait jouer pour aider les médias à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Ce soir nous avons le plaisir d'accueillir M. Glen O'Farrell, le président-directeur général de l'Association canadienne des radiodiffuseurs. L'ACR est une association professionnelle qui représente la vaste majorité des services de programmation canadiens — télévision, radio, réseaux et les services de chaînes spécialisées et à péage. L'ACR a été fondée en 1926 et représente plus de 600 membres.
Monsieur O'Farrell, je vous en prie.
M. Glenn O'Farrell, président-directeur général, Association canadienne des radiodiffuseurs : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs de cette invitation à comparaître devant vous pour vous exprimer notre position et peut-être répondre à quelques questions concernant le mémoire que nous vous avons soumis.
Comme vous le savez, la dernière étude portant sur les médias qui a été réalisée par un comité du Sénat date de 1970. À l'époque c'est le sénateur Keith Davey qui en était le président. Sur une période de deux ans, le comité du sénateur Davey a reçu 500 mémoires et a entendu 125 témoins. Dans ses mémoires, le sénateur Davey rappelle l'importance des travaux du comité qui visait, selon lui, « à déterminer si nous avions une presse qui répondait à nos besoins ou la presse que nous méritions ». Cette question en 1970 était cruciale.
[Français]
Cette question est toujours aussi cruciale aujourd'hui, 35 ans plus tard, à une époque où les Canadiens et les Canadiennes disposent d'un accès direct à un plus grand nombre de stations de télévision et de radio, de journaux, de magazines d'actualité, de sources d'information et de divertissement. Cette réalité aurait été inimaginable il y a 10, 20 ou 30 ans.
[Traduction]
Aujourd'hui, l'industrie de la radiotélédiffusion privée au Canada représente 5 milliards de dollars en activités économiques et 21 000 emplois. On y dénombre plus de 600 radiotélédiffuseurs privés, ce qui représente deux fois plus de services par habitant qu'aux États-Unis. Les stations sont réparties aux quatre coins du pays, de St. John's à Vancouver. Elles investissent dans la production d'au-delà de 90 000 heures de contenu canadien chaque année et, en 2003-2004 seulement, elles ont dépensé 482 millions de dollars dans des productions indépendantes. Cela représente une augmentation de 150 p. 100 sur 10 ans. Enfin, elles diffusent dans plus de 40 langues différentes chaque semaine. Pour que vous ayez une idée de ce que font nos membres.
Dans toutes les communautés du pays, nous sommes en quelque sorte à la fois le forum de discussion, la vitrine, la bibliothèque et le kiosque à musique.
Durant les 20 mois pendant lesquels votre comité a tenu des audiences publiques partout au pays, plus de 220 témoins ont comparu. Ils provenaient de tous les secteurs des médias : la télévision, la radio, les magazines, les journaux, les enregistrements sonores, le monde de l'édition, l'industrie cinématographique et l'Internet, moyen de communication qui ne faisait même pas partie de nos rêves en 1970.
Quel rôle doivent jouer les radiotélédiffuseurs privés du Canada dans cet univers médiatique où une multitude d'intervenants se côtoient? Permettez-moi de citer encore une fois vos prédécesseurs qui, dans leur rapport final, faisaient valoir l'importance de la radiotélédiffusion au Canada dans les termes suivants : « ... aucun autre moyen de communication ne s'est jamais vu confier une telle responsabilité en vertu d'une loi du Parlement, c'est-à-dire de : préserver, enrichir et renforcer le tissu culturel, politique, social et économique du Canada ».
C'est une responsabilité que les radiotélédiffuseurs privés du Canada prennent très au sérieux et dont ils s'acquittent en faisant preuve de créativité et en investissant d'importantes sommes au quotidien.
[Français]
Le rapport intérimaire du comité reflète une grande variété d'opinions à savoir si la concentration des médias existe ou non au Canada. J'aimerais citer le rapport intérimaire dans lequel le président du CRTC, M. Charles Dalfen, explique ce que le conseil a effectué.
[Traduction]
[...] une recherche sur la concentration des médias dans les quatre principaux marchés au Canada durant une période de 10 ans, de 1991 à 2001. Dans chaque cas, dans presque chaque médium, vous constaterez qu'il y a un grand nombre de propriétaires et un grand nombre de sources journalistiques et de radiodiffusion sur cette période de 10 ans. C'est peut-être contraire aux idées reçues mais c'est effectivement le cas quand on scrute la question.
À la fin de notre mémoire, nous avons joint une annexe intitulée : «La radiodiffusion au Canada — hier et aujourd'hui » qui dresse un portrait statistique de la radiodiffusion au Canada en 1970 et aujourd'hui. »
Je vais revoir avec vous les conclusions de cette analyse dans un instant, mais je veux d'abord surtout mettre en lumière l'un des principaux résultats qui s'en dégage — le monde de la radiodiffusion est très différent aujourd'hui de celui d'il y a 35 ans.
En 1970, les Canadiens pouvaient choisir entre l'un des deux réseaux canadiens de télévision, soit entre CBC et CTV en anglais et entre la SRC et TVA en français. Seul un ménage canadien sur cinq recevait des services télévisuels par câble. Pour ceux qui habitaient à l'extérieur des grandes agglomérations urbaines, le choix radiophonique se limitait à une ou deux stations disponibles principalement sur le réseau AM.
Trente-cinq ans plus tard, les Canadiens peuvent choisir entre plus de 100 chaînes canadiennes de télévision. La radio FM a pris de l'expansion et offre un plus grand nombre de choix aux auditeurs canadiens. Bientôt, l'abonnement à la radio va accroître encore davantage la quantité de services disponibles.
Durant l'exposé présenté par CHUM Limited en avril 2003 devant le comité, Jay Switzer a résumé le menu radiophonique à Ottawa, d'hier à aujourd'hui. Il serait bon de revenir à ce tour d'horizon qui a montré jusqu'à quel point les Canadiens ont actuellement un très vaste choix de sources d'information et de divertissement.
Il y a 20 ans, un résidant d'Ottawa avait accès à sept stations de radio commerciale, à quatre stations de radio de la SRC/CBC, à une station de télévision de la CBC en anglais et à une en français, à une station de CTV, à une station de télévision affiliée en français, à un quotidien en français et à un quotidien en anglais, et, enfin, à un quotidien national.
Aujourd'hui, il y a dix stations de radio commerciale, trois stations de radio de la SRC/CBC, des stations de télévision locale de la SRC/CBC en anglais et en français, une station locale de CTV, une station de télévision locale de CHUM TV, une station affiliée à TVA et une autre à TQS, deux quotidiens locaux en anglais et un quotidien local en français, deux quotidiens nationaux, plus de 100 services canadiens de télévision spécialisée et payante, au-delà de 30 services de télévision étrangers et de langues tierces, et ce, sans mentionner la multitude de sources d'actualité internationale, d'information et de divertissement disponibles quotidiennement par l'entremise d'Internet.
En termes simples, il existe actuellement plus de groupes de propriétaires de médias actifs au Canada qu'il y a 20 ou 30 ans. Plus particulièrement, le secteur de la radiotélédiffusion est moins concentré aujourd'hui qu'à tout moment de son histoire.
[Français]
L'augmentation du nombre de propriétaires et de services dans le secteur de la radiotélédiffusion s'est produite dans le contexte de l'évolution constante du cadre réglementaire.
L'histoire de la radiotélédiffusion au Canada a été celle d'une industrie réglementée, de l'équilibre entre ses composantes publiques et privées et de notre capacité de refléter la réalité canadienne dans un environnement économique dominé par une industrie mondiale du divertissement.
Et, avec l'avènement des nouvelles technologies, cet équilibre change; il change même rapidement.
[Traduction]
Bien entendu, je pourrais vous énumérer une liste d'enjeux qui requièrent notre attention en matière d'actualisation de la réglementation. Pensons, par exemple, à la réforme du droit d'auteur, au vol des signaux satellite ou encore à la transition continue et onéreuse vers les services de télévision et de radio numériques. Cependant, lorsqu'on analyse cette liste, on constate que la plupart de ces enjeux sont liés à deux tendances fondamentales auxquelles les radiotélédiffuseurs privés du Canada doivent faire face dans leurs activités quotidiennes et dans leur planification stratégique détaillée : l'une est la fragmentation, l'autre est l'érosion des frontières traditionnelles. Prises séparément, chacune de ces deux tendances est complexe et pose des difficultés. Cependant, elles se pointent toutes les deux à l'horizon au même moment et ont un effet combiné. Débutons par la fragmentation.
Un plus grand nombre de chaînes signifie un choix plus vaste et plus d'occasions de mettre en valeur la réalité canadienne et de refléter la diversité canadienne. Cependant, un choix plus vaste est synonyme de fragmentation et a un impact économique sur l'industrie. Au fur et à mesure que la fragmentation divise le marché en des parties de plus en plus petites, la quantité de ressources disponibles pour chaque entité est aussi réduite. L'une des conséquences de l'élargissement considérable du choix en matière de radiotélédiffusion au Canada durant la dernière génération est qu'il est encore plus difficile d'offrir de la programmation locale et des émissions dramatiques coûteuses. Voilà une réalité économique dont le comité doit tenir compte.
L'impact économique de la fragmentation sur le marché canadien de la radiotélédiffusion est important. Cet impact devient encore plus important lorsqu'on le combine à celui des nouvelles technologies qui provoquent l'érosion des frontières traditionnelles, le deuxième point.
Comme en général l'industrie des médias devient de plus en plus une affaire internationale, tant sur le plan de sa portée que de sa finesse, nous assistons à une fragmentation encore plus marquée du marché canadien étant donné le nombre croissant de chaînes de télévision étrangères qui font leur apparition au Canada. Combiné aux marchés noir et gris des services de télévision, à l'augmentation de la distribution par l'entremise d'Internet et au partage des fichiers entre pairs, le niveau de fragmentation dans le marché de la radiotélédiffusion s'accentue presque au quotidien.
Et l'érosion des frontières vient ajouter une autre dimension. Elle ébranle le système du droit d'auteur sur lequel l'industrie de la radiotélédiffusion repose. L'accroissement de la distribution non autorisée brime les droits des titulaires de droit d'auteur qui sont autorisés dans chaque marché. De plus, le partage des fichiers entre pairs a le potentiel d'éliminer le besoin d'acquérir de façon légitime les droits de programmation. Le comité se doit de reconnaître que les radiotélédiffuseurs évoluent au quotidien dans un univers où le consommateur ne fait pas que recevoir le contenu média; il en produit, il le copie, il le distribue avec ou sans la permission du détenteur du droit d'auteur.
Pour saisir à quel point la fragmentation et l'érosion des frontières traditionnelles transforment le secteur canadien de la radiotélédiffusion, il faut comprendre les chaînes de valeurs économiques au sein desquelles la télévision et la radio canadienne fonctionnent. Comme l'indiquent les données qui se trouvent dans notre mémoire, il y a eu une fragmentation des sources de recettes et des parts de marché au fil du temps. Pour la radio et la télévision, l'ampleur des choix disponibles, les différents types de nouveaux choix offerts et la capacité des consommateurs de copier, de produire et de distribuer les émissions ont rendu les chaînes de valeurs beaucoup plus complexes qu'elles ne l'étaient la dernière fois qu'un comité du Sénat s'est penché sur l'état des médias canadiens.
Dans notre mémoire, nous avons illustré en détail les chaînes de valeurs qui se transforment. Au-dessus de mon bureau, j'ai une copie agrandie d'une de ces illustrations. Chaque jour, elle me rappelle que ce matin, l'industrie de la radiotélédiffusion est différente de l'industrie de la radiotélédiffusion que j'ai connue quand j'ai joint cette organisation, et qu'elle sera tout aussi différente demain. C'est une chaîne de valeurs qui me permet de garder les choses en perspective.
Si l'on compare l'évolution des chaînes de valeurs de 1970 à aujourd'hui, que constate-t-on? Qu'est-ce qui a changé? Où se trouvent les sources de tension et quelles incidences ont-elles sur la capacité des radiotélédiffuseurs de produire du contenu canadien? La capacité toujours plus grande des consommateurs à échanger du contenu numérique dans un mode de partage de fichiers entre pairs, sans faire appel aux réseaux de distribution traditionnels, figure parmi les préoccupations des producteurs et des radiotélédiffuseurs de contenu en ce qui concerne la protection du droit d'auteur.
Les annonceurs et les consommateurs peuvent plus facilement communiquer entre eux et ainsi contourner le modèle de radiotélédiffusion traditionnel.
En 1970, les producteurs de contenus faisaient d'abord affaire avec les radiotélédiffuseurs. Dans le marché fragmenté d'aujourd'hui, les producteurs de contenus sont à la recherche de solutions de rechange — diffusion directe du contenu aux consommateurs, fusion avec des radiotélédiffuseurs ou lancement de leurs propres services de programmation.
En 1970, les annonceurs faisaient d'abord affaire avec les radiotélédiffuseurs. En 2005, les entreprises de câblodistribution et d'autres intervenants ont demandé au CRTC l'autorisation de vendre de la publicité canadienne en concurrence avec les radiotélédiffuseurs.
En 1970, les radiotélédiffuseurs étaient les propriétaires uniques des liens intermédiaires dans la chaîne de valeurs : entre les producteurs et les téléspectateurs, entre les annonceurs et les consommateurs. Ce n'est clairement plus le cas maintenant.
[Français]
Si l'on en juge par la brève description, dans cet exposé, et par les données détaillées qui se trouvent dans le mémoire de l'ACR, il est évident que le modèle d'affaires de la radiotélédiffusion canadienne a changé et qu'il continuera de se transformer.
[Traduction]
Les modèles d'affaires sur lesquels était fondée la radiotélédiffusion canadienne des années 20 aux années 70 ont peu à voir avec ceux d'aujourd'hui. Et ils ressembleront très peu aux modèles de demain. Aujourd'hui, les radiotélédiffuseurs oeuvrent dans un environnement médiatique très décentralisé qui se caractérise par plus de choix et plus de sources d'information et de divertissement qu'on ne pensait possible en 1970. Pourtant, certains commentateurs et observateurs croient dur comme fer que la radiotélédiffusion canadienne a connu une plus grande concentration au cours de la dernière génération. Il est rare, cependant, qu'on examine cette supposition de près. Le seul fait de compter le nombre de médias exploités par un seul propriétaire dans un seul secteur du grand marché des médias ne nous dit rien sur la vaste diversité du marché des médias au Canada. Nous devons considérer l'ampleur véritable de la fragmentation qui existe au sein du marché de la radiotélédiffusion aujourd'hui. Il n'y a pas seulement eu une augmentation du nombre de services de radiotélévision. Il y a aussi eu une hausse du nombre de propriétaires- exploitants de ces services, et chacun d'entre eux rejoint des auditoires plus petits qu'à n'importe quelle époque de l'histoire de notre système de radiotélédiffusion.
Si le Canada avait un marché de radiotélédiffusion « concentré », les Canadiens, en tant que consommateurs de radiotélédiffusion, recevraient de l'information uniforme provenant d'un groupe uniforme de sources. Ce n'est pas le cas de toute évidence.
[Français]
Je fais référence une fois de plus à la déclaration du président du CRTC, citée dans le rapport intérimaire de ce comité et selon laquelle il y a un plus grand nombre de propriétaires et un plus grand nombre de services aujourd'hui qu'en 1970.
[Traduction]
J'aimerais ajouter à cela que chacun de ces services atteint habituellement des parts d'auditoire plus petites aujourd'hui que jamais auparavant. La fragmentation est la nouvelle réalité de la radiotélédiffusion canadienne. Plus de choix, plus de voix, de plus petits auditoires. Comme l'a déclaré M. Dalfen, cela peut sembler contraire aux idées reçues, mais les chiffres sont là pour le prouver. Pourtant, dans beaucoup de milieux, on continue d'entendre des affirmations que personne ne remet en question en ce qui concerne la concentration accrue dans le marché canadien de la radiotélédiffusion. Ces affirmations ne résistent pas à l'analyse quantitative et ne reflètent tout simplement pas la réalité économique de la fragmentation qui existe au sein de l'industrie canadienne de la radiotélédiffusion aujourd'hui. Il importe que ce comité comprenne que, lorsque les radiotélédiffuseurs ont consolidé leurs avoirs, ils l'ont fait en réponse aux tendances que nous observons dans l'industrie de la radiotélédiffusion, soit la fragmentation et l'érosion des frontières traditionnelles. Il s'agit d'une réaction à la fragmentation, les radiotélédiffuseurs tentant de maintenir les économies d'échelle en présence de ressources fragmentées. Il s'agit d'une réaction à l'érosion des frontières, alors que les diffuseurs s'efforcent de regrouper l'auditoire, divisé par le nombre croissant de chaînes américaines et étrangères offertes dans notre système de radiodiffusion. Il s'agit d'une réaction à l'évolution qu'a connue notre pays et qui a mené la radiotélédiffusion canadienne à devenir le fer de lance d'une initiative inédite en vue de présenter à la télévision un portrait juste et fidèle de la diversité culturelle du Canada.
En collaboration avec le CRTC, l'ACR a présenté un plan d'action sur la diversité culturelle et a créé un groupe de travail sur la diversité culturelle à la télévision composé de représentants de l'industrie de la télévision et de groupes communautaires de diverses cultures. Ce groupe a pour but de favoriser la recherche, de repérer des pratiques exemplaires, d'aider à définir les problèmes et de proposer des solutions pratiques pour l'industrie de la télédiffusion. Le Canada a changé, tout comme l'industrie de la radiodiffusion.
Aujourd'hui, les Canadiens ont accès à un plus vaste choix d'émissions que jamais, et ce, d'une multitude de façons. Le choix d'émissions canadiennes augmente, tout comme le choix des émissions étrangères, et l'auditoire rétréci.
Aujourd'hui, les entreprises canadiennes de télédiffusion doivent entrer en compétition pour conquérir chaque téléspectateur chaque instant de la journée. Alors qu'en 1970, seules quelques stations américaines frontalières pouvaient atteindre les personnes dotées d'une antenne suffisamment puissante, aujourd'hui, les plus importants groupes médiatiques du monde prennent part à la compétition.
[Français]
Comme le mentionnait le rapport Lincoln en 2003, les groupes de radio et de télédiffuseurs canadiens, selon les normes internationales, ne sont pas d'aussi large taille que les grandes entreprises du monde qui œuvrent dans le domaine de l'audiovisuel.
Selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel, aucune entreprise médiatique canadienne ne fait partie des 50 plus importantes entreprises de ce domaine à l'échelle mondiale. De plus, le budget de l'une ou l'autre des trois entreprises internationales en tête de cette liste est de loin supérieur au budget combiné de l'ensemble des diffuseurs privés au Canada.
[Traduction]
Pour demeurer compétitifs dans ce marché ultrafragmenté, les diffuseurs privés canadiens doivent être extrêmement efficaces et doivent mettre à profit chaque possibilité de maximiser les retombées positives liées au contenu qu'ils produisent. Je souhaite que, lorsque ce comité se penchera sur la question de la consolidation des médias, il garde en mémoire les données présentées dans notre mémoire, ainsi que l'idée que la fragmentation est la cause, alors que la fusion est l'effet.
Le sénateur Tkachuk : Merci. J'ai une question à vous poser sur les médias d'information, surtout dans le secteur de la radiotélédiffusion. Y a-t-il plus ou moins de journalistes qui travaillent à la radio et à la télévision aujourd'hui qu'il y avait 20 ou 30 ans?
M. O'Farrell : Je n'ai pas les données sur l'emploi sous les yeux, mais si je me fonde sur le nombre de stations et le nombre d'exploitants qui ont des stations dans plus de localités et qui offrent davantage de choix, je crois pouvoir dire catégoriquement qu'ils sont plus nombreux maintenant.
Le sénateur Tkachuk : Le secteur emploie-t-il davantage de gens maintenant?
M. O'Farrell : Selon nos chiffres, le secteur de la radiotélédiffusion du Canada emploie actuellement environ 21 000 personnes. Cela ne signifie pas qu'elles sont toutes journalistes ou qu'elles remplissent toutes des fonctions liées aux informations. Je n'ai pas de ventilation.
Le sénateur Tkachuk : Dans vos remarques, vous avez fait mention de la copie de produits, notamment dans le secteur de la musique, ainsi que d'autres violations du droit d'auteur. Qu'entendiez-vous exactement par cela?
M. O'Farrell : Je vous remercie de votre question, car c'est l'un de nos plus importants problèmes à l'heure actuelle. Pour être honnête avec vous, les solutions au problème ne sont pas claires. Le problème, lui, est clair : essentiellement, dès qu'un contenu protégé par un droit d'auteur — qu'il s'agisse de matériel musical, audio ou audiovisuel — est numérisé, les gens ont accès à des copies numériques qu'ils peuvent ensuite copier et distribuer d'une façon qu'on n'aurait jamais cru possible il n'y a pas si longtemps. Les consommateurs de médias contemporains ne sont pas passifs, ils sont très interactifs. En fait, ils produisent une bonne part du contenu eux-mêmes. Ils reçoivent des fichiers vidéo, ils reçoivent des fichiers JPEG, ils reçoivent toutes sortes de fichiers par le biais d'Internet contenant du matériel protégé par un droit d'auteur qu'ils reproduisent, qu'ils utilisent à d'autres fins et qu'ils distribuent.
Le sénateur Tkachuk : Vous parlez de programmation, d'information ou de vidéo?
M. O'Farrell : De tout cela.
Le sénateur Tkachuk : Vous estimez que cela fait concurrence aux stations de télévision qui produisent ce matériel. Cela a une incidence sur le fonctionnement des stations de télévision?
M. O'Farrell : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Donnez-moi des précisions.
M. O'Farrell : Je ne sais si je peux le faire, mais je ferai de mon mieux.
Avant l'avènement du contenu numérique, ce qu'une station de télévision d'Ottawa, de Calgary, de Montréal ou de Vancouver produisait pour son bulletin de nouvelles de 18 heures restait sa propriété exclusive. La station distribuait ce contenu en le transmettant sur les ondes. Ces ondes étaient captées par câble ou satellite et distribuées aux consommateurs. Dans une grande mesure, c'était une transmission exclusive et inattaquable, car il était pratiquement impossible pour des tiers d'en faire l'acquisition et de s'en servir à d'autres fins. Oui, on pouvait copier des émissions à l'aide d'un magnétoscope quand la technologie a été assez évoluée, mais pas au point où nous en sommes aujourd'hui où il suffit de télécharger une version numérisée pour pouvoir l'utiliser à toutes sortes d'autres fins sans l'autorisation du détenteur du droit d'auteur original. Il y a des dépenses d'équipement et de fonctionnement pour produire du contenu, que ce soit des bulletins d'information ou tout autre contenu télévisuel ou même audio, et ce contenu peut ensuite être transformé et réorienté grâce à la capacité de numérisation à laquelle les consommateurs ont accès. Ils peuvent mettre la main sur ce contenu et en faire ce qu'ils veulent, le distribuer à leurs amis ou de façon plus large, sans jamais obtenir l'autorisation du détenteur du droit d'auteur. Pour répondre à votre question sur l'incidence de cette pratique sur notre secteur, je dirais que l'on perd tout simplement son droit de propriété sur ce contenu. Le contenu est utilisé, distribué, reproduit et copié par un nombre illimité de gens sans qu'on puisse contrôler l'usage qui sera fait de ce contenu.
Le sénateur Tkachuk : Limitons-nous à la radio; un des autres sénateurs, j'espère, parlera de la télévision. La musique diffusée par les stations de radio appartient déjà à quelqu'un d'autre. Elles paient des droits à l'éditeur et quelqu'un capte cette musique. Voyez-vous les gens qui captent cette musique et qui la réécoutent comme des concurrents de la station de radio ou est-ce que cela réduit l'auditoire de la station de radio? Avant, ils pouvaient acheter le CD ou faire une copie de la bande; alors quel effet cela a-t-il sur la station de radio?
M. O'Farrell : Je vais vous donner un exemple. De plus en plus d'émissions du matin à la radio offrent un contenu diversifié : musique, actualités, informations, météo et aussi désormais beaucoup d'humour. Les équipes qui produisent ces émissions du matin sont composées de scénaristes, de producteurs et d'humoristes à l'antenne. Ils rédigent des scénarios, des sketchs comiques : ils rédigent le contenu. En fin de compte, ils produisent eux-mêmes le contenu. J'ai un bon exemple. Radio Énergie de Montréal et en province a un million d'auditeurs par semaine qui suivent l'émission de l'après-midi appelée les Grandes gueules. C'est du contenu original que beaucoup de gens écoutent et qui coûte très cher à produire. C'est disponible, les gens peuvent télécharger l'émission, qui est un numéro de monologuistes comiques en quelque sorte, et en faire ce qu'ils veulent. S'ils n'ont pas payé les droits d'utilisation, ils n'y ont pas droit. Ceux qui l'écoutent à nouveau ne sont pas des concurrents mais ceux qui s'approprient le contenu diminuent sa valeur du fait que le propriétaire perd l'exclusivité des autres usages qu'il peut posséder. C'est-là où commence le problème. C'est le meilleur exemple radio que je puisse vous donner parce que nous savons tous que la rédaction, qu'il s'agisse de dramatiques, de bulletins d'actualité ou d'humour, exige beaucoup de talent. Le talent et les paiements nécessaires pour acquérir ce talent et acquérir le produit — en somme, que la station radio a investis pour obtenir un auditoire —, lorsqu'elle diffuse cette émission, tout ça c'est bien beau, sauf qu'une fois que c'est émis et diffusé, la capacité du propriétaire de maintenir le contrôle dessus est perdue à cause de la numérisation du contenu que les gens utilisent ensuite comme ils le veulent.
Le sénateur Munson : Bonsoir. Vous avez parlé de fragmentation. Comment quiconque arrive-t-il à survivre? Les bénéfices sont-ils réduits pour toutes ces compagnies? Certaines d'entre elles risquent-elles la faillite?
M. O'Farrell : Si vous regardez les compagnies cotées en bourse pour lesquelles l'information est disponible, aucune d'entre elles n'est au bord de la faillite. Comment sont-elles parvenues à cette situation financière — comme j'ai essayé de le dire, en grande partie grâce à la consolidation. Au fur et à mesure que les parts de marché se réduisent et que leur capacité de maintenir leur profitabilité, ou de maintenir leurs opérations est devenue de plus en plus difficile, les gens ont consolidé leurs activités pour rassembler davantage de segments d'auditoire pour avoir la masse critique qu'ils avaient avant du fait qu'il y avait moins de médias qu'avant. La réponse à votre question est : elles sont pour la plupart en bonne santé même s'il y a des exceptions aux deux extrémités du spectre. En très grande majorité, elles ont maintenu leur situation financière globale grâce à la consolidation; depuis les 10 ou 12 dernières années c'est le phénomène qui a en grande partie défini le paysage de la radiodiffusion.
Le sénateur Munson : Il y a eu une époque sur la Colline où il y avait une saine concurrence entre les radiodiffuseurs privés qui avaient ici trois bureaux journalistiques. Il y en avait au moins six en anglais et beaucoup en français, mais ils semblent avoir disparu. Celui qui reste, c'est SRC/CBC, le radiodiffuseur public. Pourriez-vous nous expliquer ce qui est arrivé au cours des 15 dernières années et pourquoi les radiodiffuseurs privés ne cherchent-ils pas davantage à couvrir la politique sur la Colline?
M. O'Farrell : Me demandez-vous une suggestion?
Le sénateur Munson : Je vous demande votre avis. Il y a une époque où il semblait être extrêmement important pour les radiodiffuseurs de dépenser de l'argent pour des journalistes sur la colline du Parlement qui couvraient l'actualité politique. Ça ne semble plus être le cas aujourd'hui.
M. O'Farrell : Êtes-vous en train de dire qu'il y a moins de journalistes sur la colline aujourd'hui qu'il y a 10 ans?
Le sénateur Munson : Je dis qu'il y a moins de journalistes de la radio. Avant, il y avait Contemporay News, Broadcast News, Standard Broadcast News, News Radio et un ensemble de bureaux de langue française. Ils n'existent plus aujourd'hui. En matière de politique, les radiodiffuseurs privés s'épargnent-ils cette dépense en n'affectant personne sur la colline?
M. O'Farrell : Remontez à 1985 ou même 1975. C'était l'époque de la transition du AM au FM, qui dominait le marché. Les plus gros joueurs dans la plupart des marchés du pays dans les années 70 et 80 étaient les stations AM qui, avec le temps, sont devenues des stations FM, que privilégiait l'auditeur. C'est une des explications du phénomène que vous avez décrit : le format des actualités a perdu une partie de sa prévalence. Aujourd'hui, on trouve de la radio parlée dans la plupart des marchés du pays mais on ne discute pas forcément de la colline du Parlement. On débat surtout d'événements locaux ou régionaux. À notre époque de fragmentation, la radio se définie d'abord et avant tout comme locale. Son lien avec l'auditeur repose surtout sur le fait qu'elle est un média local.
C'est peut-être le passage du AM au FM et le fait que la formule de l'information a régressé et que celle de la radio locale a progressé qui explique pourquoi il y a moins de journalistes radios sur la colline. Les radios locales au pays reçoivent dans la plupart des marchés l'actualité toutes les heures ou toutes les demi-heures ou selon une autre variante. L'attention est locale et de proximité, au lieu d'être régionale, provinciale, nationale ou internationale. Certains événements seront couverts au niveau international et national mais par affiliation et non provenant de journalistes attitrés à l'étranger, de bureaux sur la colline ou d'autres endroits au pays.
Le sénateur Munson : Ce pourrait être un long débat. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi la radio FM ne peut pas couvrir la colline.
M. O'Farrell : Je ne dis pas qu'elle ne peut pas couvrir la colline; je dis qu'elle a changé. Essentiellement, sénateur, la radio est devenue plus locale. Je dirais qu'au cours des 20 dernières années, la radio comme médium est devenue extrêmement locale en personnalité et en caractère, par opposition à ce qu'elle était avant, plus un amalgame de beaucoup d'autres choses. Si vous définissez la radio aujourd'hui, vous la définissez comme média local.
Le sénateur Munson : Pensez-vous que les auditeurs des petites municipalités du pays reçoivent autant qu'il y a 25 ans de nouvelles locales, municipales, et cetera? Je ne pense pas.
M. O'Farrell : Prenez nos membres du secteur de la radio et demandez leur, quel que soit le marché au pays, et vous obtiendrez une défense vigoureuse de leur couverture locale. Pourquoi? Ils trouvent que c'est leur pain quotidien. Ce sont des considérations commerciales qui le leur dictent. Golden West Broadcasting est un de nos membres dont le siège est à Altona au Manitoba. Vous entendrez tout ce que vous avez jamais voulu savoir sur Altona en écoutant Golden West Radio dans ce marché. C'est extrêmement local. Dans la plupart des petites municipalités des Prairies, il y a énormément de contenu local que vous ne trouverez pas dans des marchés de radio plus grands. Plus la localité est petite, plus sa mission est locale.
Le sénateur Munson : J'ai encore une question. Le CRTC devrait-il songer à réglementer l'Internet puisqu'il peut concurrencer les radiodiffuseurs?
M. O'Farrell : La question avait été abordée lors d'une audience publique du conseil il y a quatre ou cinq ans. Sa décision avait été négative, pas question de réglementer l'Internet. Certains semblent vouloir rouvrir ce dossier. Que le conseil décide ou non de réglementer l'Internet, quoi que nous en pensions, la question demeure : Est-il possible de réglementer l'Internet? Je n'ai pas la réponse à cette question.
La présidente : J'ai une question supplémentaire à vous poser sur les radios locales. Il n'y a pas longtemps je me suis trouvée un bon matin coincée dans un embouteillage et mon chauffeur de taxi, pendant près d'une heure, m'a infligée l'écoute d'une station qui s'autodécrivait comme l'antenne locale pour l'information continue de la ville où je me trouvais. Les seules nouvelles locales à cette heure de grande écoute concernaient la circulation. Il n'y avait rien d'autre de local — ni la météo, ni les sports pas plus que les nouvelles financières qui venaient de New York. Il n'y avait rien. Je suis certaine que cette station se décrit comme l'antenne de radio locale de la ville. Tout cela pour vous dire que votre réponse au sénateur Munson me laisse un peu sceptique. L'autre événement récent que vous ne devez pas ignorer concerne la polémique provoquée par la station CKAC de Montréal. Un bureau de rédaction historique et important vient de disparaître.
M. O'Farrell : Je ne conteste pas votre exemple et je vous remercie de ne pas avoir cité le nom de la station concernée.
La présidente : J'ai fait exprès de ne citer ni la ville ni la station.
M. O'Farrell : Loin de moi de vouloir suggérer que toutes les stations locales de tous les marchés répondent aux attentes de tous les auditeurs, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, tout le temps. Ce serait stupide. Par contre, ce que je suggère c'est que si elles restent à l'antenne, c'est parce qu'elles satisfont à un auditoire puisqu'autrement elles ne pourraient pas subsister. Si elles se disent locales, et que ce n'est pas le sentiment de certains de ses auditeurs, il est évident que cela doit être le sentiment d'autres auditeurs. Autrement elles finissent par être obligées d'opter pour un format différent face à une contraction de leur auditoire et de leurs recettes de publicité. Je ne suggère absolument pas que le caractère local de chaque station de radio locale dans chaque marché est défini exactement dans les mêmes ternes, ou d'une manière qui satisferait un groupe particulier ou un échantillon de Canadiens.
Elles sondent leurs auditoires et elles survivent dans un marché très compétitif, tout du moins jusqu'à maintenant, en se disant locales, en offrant un contenu local qui semble satisfaire une certaine masse critique d'auditeurs; autrement, elles ne survivraient pas.
Le sénateur Phalen : Sur votre site internet, vous avez un code régissant la publicité destinée aux enfants qui interdit toute publicité susceptible de choquer physiquement, émotivement ou moralement les enfants. Quelle tranche d'âge vise ce code?
M. O'Farrell : Vous me prenez au dépourvu. Je ne m'en souviens pas. Je ne suis pas sûr. Je crois qu'il vise les enfants d'âge scolaire. Pas les préscolaires. Soyons précis. Ce code est celui du CRTC et toutes les chaînes de télévision doivent l'appliquer si elles veulent avoir leur licence.
Le sénateur Phalen : Quelles sont les conséquences si elles violent ce code?
M. O'Farrell : Elles sont convoquées par le conseil en cas de plainte. Il leur présente un dossier prouvant une violation du code et sanctionne le coupable en conséquence.
Le sénateur Phalen : J'ai posé cette même question à un autre témoin et il a préféré s'abstenir de répondre.
Dernièrement, il a beaucoup été question dans les médias de la publicité destinée aux enfants. La publicité destinée aux enfants au Québec est interdite par la Loi québécoise sur la protection des consommateurs. Pouvez-vous nous informer sur les conséquences de cette interdiction pour les recettes publicitaires de vos membres québécois?
M. O'Farrell : Les conséquences ont été négatives dans la mesure où les annonceurs de produits pour enfants n'ont pas acheté d'écrans aux radiodiffuseurs québécois puisque ces derniers ne peuvent pas leur en vendre. Les annonceurs ont cherché d'autres moyens d'atteindre les spectateurs québécois et ils le font en achetant des écrans à l'extérieur du Québec mais qui sont distribués au Québec.
Le sénateur Phalen : Les radiodiffuseurs québécois sont-ils désavantagés?
M. O'Farrell : Absolument.
Le sénateur Phalen : Quelles seraient les conséquences d'une interdiction analogue à l'échelle nationale, ou existe-t-il une entente de ce genre? Est-ce que tout le monde serait d'accord?
M. O'Farrell : Je ne peux pas vous citer d'études récentes ou suffisamment récentes qui pourraient vous permettre de quantifier ces pertes de revenu. Il y a un élément du système composé de publicités destinées aux enfants qui respecte le code et qui rapporte des recettes aux radiodiffuseurs dans tous les marchés sauf au Québec où c'est interdit.
Ce qui est intéressant c'est que cette interdiction au Québec remonte aux années 70.
Le sénateur Phalen : Même la publicité qui respecte les règles fixées par le code? Vous dites que la publicité destinée aux enfants est autorisée mais selon les règles du code.
M. O'Farrell : Exactement, oui, à l'extérieur du Québec où toute publicité destinée aux enfants est interdite, à moins qu'elle ne provienne de l'extérieur du Québec. Les annonceurs qui veulent toucher les auditoires québécois y arrivent en diffusant leurs messages sur des chaînes extérieures au Québec mais distribuées au Québec.
Le sénateur Phalen : Avez-vous une opinion personnelle sur une éventuelle interdiction nationale?
M. O'Farrell : À un niveau, les preuves sont là. Aucune étude empirique ou autre n'a démontré les avantages de cette interdiction, depuis 30 ans, pour les jeunes Québécois par rapport aux autres jeunes du Canada. Un exemple évident est celui du problème d'obésité croissante chez les enfants. La publicité destinée aux enfants est interdite sur les chaînes québécoises depuis 30 ans ou à peu près — je crois que la loi a été adoptée dans les années 70. Y a-t-il une différence démontrable entre les niveaux d'obésité chez les enfants au Québec et hors Québec? Entre la présence et l'absence de publicités? Il ne semble pas.
Nous sommes peut-être parvenus à nous convaincre jusqu'à un certain point qu'une interdiction totale était une bonne chose alors que le système régenté par ce code ailleurs au Canada a prouvé ses avantages, avantages inconnus au Québec. Un élément qui en a particulièrement pâti au Québec est la programmation destinée aux enfants. Pourquoi y a-t-il si peu d'émissions pour enfants produites au Québec pour les auditoires québécois : parce qu'il n'y a pas de publicité pour les financer. Les producteurs d'émissions de télévision pour enfants au Canada anglais produisent des émissions parce qu'ils ont des recettes publicitaires pour les financer. Du côté francophone cette source de recettes est inexistante. Résultat, depuis 25 ou 30 ans, à part les émissions produites par Radio-Canada ou Radio-Québec, aucune émission pour les enfants n'est produite au Québec et c'est scandaleux.
Le sénateur Eyton : Je suis de nature curieuse et j'aimerais en savoir un peu plus sur vous et l'ACR.
Pourriez-vous nous résumer en une centaine de mots vos antécédents?
M. O'Farrell : Je sais ce que je ne vous dirai pas, alors je vais commencer par le reste. J'ai commencé dans la radiodiffusion en 1987. J'étais avocat à Québec et j'ai eu comme client une compagnie, entre autres, qui était affiliée au réseau privé TVA. Elle s'est lancée dans une opération d'achat qui lui a donné la propriété de toutes les chaînes affiliées de TVA à l'extérieur de Montréal. J'ai travaillé pour cette compagnie jusqu'en 1990. En 1990, j'ai rejoint les rangs de CanWest à Toronto et occupé plusieurs postes, tour à tour avocat-conseil, vice-président, Affaires juridiques et réglementaires, président de Global Quebec, premier vice-président. J'ai quitté CanWest en 2002 et je suis devenu président de l'ACR.
Le sénateur Eyton : C'est une belle carrière et quelques belles compagnies. Vous avez une excellente brochure qui contient beaucoup d'information très concise sur les membres de votre association. Un simple coup d'œil montre que votre association regroupe trois catégories différentes : la télévision, la radio et, la troisième catégorie, les chaînes spécialisées et à péage. C'est bien ça?
M. O'Farrell : Oui.
Le sénateur Eyton : Y a-t-il une autre catégorie?
M. O'Farrell : Il y a les membres associés qui correspondent à des compagnies qui ne sont pas des radiodiffuseurs mais qui ont des relations indirectes d'un genre ou d'un autre avec l'industrie de la radiodiffusion, y compris les cabinets juridiques qui représentent les radiodiffuseurs. On peut dire que ce sont des membres associés. Mis à part eux, en gros, c'est tout.
Le sénateur Eyton : Cela semble faire beaucoup d'entités différentes et pourtant vous êtes une association. Pouvez- vous nous décrire le processus de décision? La brochure parle de services de promotion et de lobbying. Il me semble qu'avec des entités aussi différentes, il doit y avoir pas mal de travail à faire avant de prendre des décisions. Comment arrivez-vous à des décisions dans de telles circonstances?
M. O'Farrell : Il est évident que notre association représente tout un éventail d'intérêts. Ils sont regroupés dans trois secteurs d'activités : la radio, la télévision par onde ou par câble et la télévision spécialisée et à péage. La plupart du temps les intérêts respectifs de ces secteurs ne sont pas conflictuels mais il arrive qu'ils le soient.
Le sénateur Eyton : Je dirais plutôt qu'ils doivent l'être souvent.
M. O'Farrell : Oui mais pas tout le temps. Le gouvernement fait payer à l'industrie de la radiodiffusion des redevances de la partie II, taxe illégale que tout le monde paie et que tout le monde ne veut plus payer. C'est un sujet qui fait pratiquement l'unanimité. Il y a des questions qui correspondent à un point de vue commun.
Lorsqu'il est difficile de trouver une position commune, nous essayons, et nous l'avons fait, de parvenir à un consensus et lorsqu'il n'y a pas de consensus, nous ne présentons pas de position commune.
Le sénateur Eyton : Les décisions sont votées? Le processus est démocratique?
M. O'Farrell : Absolument. Nous avons un conseil d'administration qui étudie ces questions, exprime ses opinions, et les décisions sont mises aux voix.
Le sénateur Eyton : C'est une voix par membre ou est-ce que c'est un peu plus sophistiqué que ça?
M. O'Farrell : C'est une voix par membre du conseil.
Le sénateur Eyton : Et les membres de ce conseil appartiennent aux trois catégories?
M. O'Farrell : À l'une ou à l'autre, ou parfois à plus d'une.
Le sénateur Eyton : Quels sont vos rapports avec la presse? J'ai toujours été émerveillé par la presse qui est à l'origine de toutes nos nouvelles et qui est la première à faire les recherches et à créer les actualités du jour. Ces nouvelles sont alors reprises par la télévision et par la radio. Je vois ce que je lis tous les matins dans le Globe and Mail et je sais ce qui sera repris plus tard par la télévision.
C'est la presse qui fabrique le contenu de vos produits. Vous avez parlé tout à l'heure de piratage de votre contenu par d'autres. Quels sont vos rapports, d'une manière générale, avec la presse?
M. O'Farrell : Notre association, si vous voulez parler de l'ACR, n'a pas de rapports avec la presse. Quant aux rapports de nos membres avec la presse, ils varient. Certains ont des participations dans les médias imprimés; d'autres non. Les rapports varient de compagnie à compagnie.
Le sénateur Eyton : Votre association n'a pas de rapports avec les associations qui représentent, par exemple, les journaux, tant locaux que nationaux?
M. O'Farrell : Nous travaillons à l'occasion avec d'autres associations y compris l'Association canadienne des journaux sur des questions qui nous concernent collectivement, mais au niveau de l'industrie et non pas au niveau de réalités opérationnelles concernant leurs activités ou les activités respectives des compagnies membres de notre association.
Le sénateur Eyton : Dernière question : vous parlez dans votre brochure de vos nouveaux concurrents. Il semble qu'ils auront une incidence très grande sur la radiodiffusion en général : la radio de faible puissance qui semble à bien des égards avantageuse, la radio numérique qui semble être presque là avec déjà un, deux ou peut-être trois nouveaux radiodiffuseurs sur le marché; et ce dont il n'est pas question dans votre brochure, les mini iPods et les auditeurs qui emmagasinent de la musique pour toute la journée et n'ont besoin ni d'écouter la radio ni de regarder la télévision. Que fait votre industrie pour relever ces défis?
M. O'Farrell : Permettez-moi de commencer par le dernier de vos défis à relever. Il est clair que la jeune génération est en grande partie consommatrice de musique et de contenus qui n'incluent pas beaucoup de radio. La conversion de ces auditeurs en auditeurs fidèles est un aussi gros défi pour l'industrie de la radio que la conversion des générations précédentes à la radio. Toute une série de stratégies sont adoptées y compris la modernisation de la forme et du contenu de la radio pour séduire ses auditoires.
Les autres défis qui se posent à nous sont extraordinairement divers quand on y réfléchit puisqu'ils vont de défis compétitifs reposant sur la technologie à des défis compétitifs reposant sur la réglementation ou les politiques. Permettez-moi de vous citer une dimension en particulier. Il y a 15 ans votre comité aurait pu étudier le secteur de la radiodiffusion et décréter que le modèle de réglementation canadien ressemblait beaucoup à une réglementation insulaire.
L'industrie de la radiodiffusion pouvait être considérée comme une entité insulaire et par conséquent il était relativement facile d'appliquer à cette île des règlements et des politiques. Aujourd'hui, la réalité est différente et ce secteur ne peut être isolé et protégé contre des événements externes. Par exemple, il y a les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux que notre pays a conclus dans le contexte de la mondialisation. Plus cela va et plus le Canada devient une des parties de ces accords commerciaux multilatéraux ou bilatéraux qui impliquent des partenaires commerciaux et des relations commerciales avec leurs incidences, leurs effets ou leurs conséquences sur tous les secteurs de notre économie, et plus il deviendra difficile de réglementer un système comme la radiodiffusion en continuant à le traiter comme une île.
L'exemple typique est celui de Spike TV. Nous avons des règles et un système de réglementation considérés par tout le monde comme étant relativement équilibrés, peut-être pas parfaitement équilibrés, mais relativement équilibrés dans le contexte desquels les services canadiens doivent respecter certaines règles tout comme les services non canadiens. Un service qui avait été autorisé comme service non canadien de distribution au Canada a changé de vocation, de concept, sa programmation a complètement changé, et je parle de Spike TV. Si un service canadien avait fait la même chose, il aurait fallu qu'il obtienne l'approbation du CRTC : c'est-à-dire une audience publique — en toute vraisemblance un débat public auquel auraient participé tous les intéressé, suivi d'une décision. Dans le cas de cette chaîne américaine qui en définitive appartient à Viacom, vaste conglomérat médiatique, elle a changé de vocation, de concept et de programmation mais pas par référence au marché canadien. Elle a changé de concept, elle a restructuré son réseau pour son auditoire américain, avant tout, et comme elle est distribuée au Canada, ce changement a eu un impact chez nous. Elle a effectué ce changement sans approbation de notre organisme de réglementation. Nous avons demandé au conseil d'intervenir et le conseil a fini par l'approuver pour des motifs de rationalisation dans lesquels je n'entrerai pas ce soir mais qui nous posent des problèmes sur le plan de la politique et des principes. Disons que dans une certaine mesure, l'organisme de réglementation s'est retrouvé impuissant pour la raison que s'il avait traité avec sévérité ce service, il risquait que le bureau du représentant américain au commerce se pose des questions sur la manière du Canada de traiter une compagnie non canadienne dans le contexte global de la radiodiffusion.
Je vous cite cet exemple parmi beaucoup d'autres qui montrent que l'environnement actuel de la radiodiffusion, avec tous les défis d'une superconcurrence de qualité, doit également reconnaître une nouvelle réalité : la réglementation n'est plus le recours ultime qui pendant tant d'années nous a permis de régler les problèmes. C'est un gros défi qui s'annonce aussi.
[Français]
Le sénateur Chaput : Je veux m'assurer de bien comprendre. J'ai beaucoup aimé votre présentation. Vous avez parlé des deux tendances fondamentales auxquelles la radio et la télévision font face, la fragmentation et l'érosion des frontières traditionnelles. Quand on parle de fragmentation, au fur et à mesure que le marché se divise en parties de plus en plus petites, je présume que ceux qui sont dans le marché tiendront bon tant qu'ils trouveront des revenus de publicité. S'il advenait que, à un moment donné, ce n'était plus le cas, c'est là qu'il pourrait y avoir une consolidation. Ce serait une possibilité, n'est-ce pas?
M. O'Farrell : Tout à fait. Il y a plusieurs exemples de services de programmation, par exemple en radio, qui ont vu le marché changer et ont vu la taille de leur part de marché se réduire, passant d'une masse critique à une fraction de cette masse critique. Souvent, dans certains cas, on a vu ces stations faire face à des décisions difficiles, à savoir fermer l'entreprise ou vendre à quelqu'un qui, en raison d'économies d'échelles, pourrait consolider ce service avec d'autres qu'ils détiennent et maintenir le service.
Il y a plusieurs exemples à travers le pays pour lesquels on pourrait dire que la fragmentation a eu l'effet dont vous parlez, ce qui a rendu pour certains services certaines réalités inévitables. En réponse à la fragmentation, comme je le soulignais dans ma présentation, on a forcé la main à la consolidation.
Le sénateur Chaput : Lorsqu'on parle de l'érosion des frontières traditionnelles avec l'apparition prochaine de radios par satellite au Canada, est-ce que les nouvelles radiodiffusées risquent de devenir moins canadiennes?
M. O'Farrell : C'est un dossier qui est présentement devant le CRTC, et je ne voudrais pas commenter l'issue ou la substance d'un scénario qui m'est encore inconnu. Les parties qui ont déposé leurs demandes et qui ont débattu le bien- fondé de celles-ci ont fait valoir des réponses pour et contre à la proposition que vous avez avancée. On va laisser l'agence réglementaire faire son travail; quant aux conclusions de ce qu'elle livrera comme décision, on aura sûrement des choses à dire à ce moment.
[Traduction]
Le sénateur Johnson : Quelle est votre efficacité à servir vos 600 membres, aussi bien sûr représentant la radio que les réseaux de télévision, les chaînes spécialisées et les chaînes à péage? Qu'attendent-ils de l'ACR? Voudriez-vous nous donner les points principaux de votre plan d'action pour la diversité culturelle déposé auprès du CRTC, et de votre groupe de travail sur la diversité culturelle, initiatives de l'exemplarité de votre travail?
M. O'Farrell : Je vous remercie d'avoir mentionné notre initiative de diversité culturelle car c'est un des meilleurs exemples de notre travail. Vous auriez pu faire bien pire dans votre choix d'exemple.
Nous avons pour mandat d'être le porte-parole de l'industrie lors d'audiences telles que les vôtres, entre autres, dans lesquelles des changements ou des modifications de politique, de législation et de réglementation proposés par le gouvernement sont examinés. Notre objectif est d'unifier au maximum les opinions de nos membres et de les présenter à des comités comme le vôtre.
Pour ce qui est du rapport sur la diversité culturelle, le CRTC avait demandé à l'ACR de faire une étude, pour la première fois, dirais-je, car c'est ce que je crois, faire une recherche approfondie pour déterminer dans quelle mesure la composition démographique des collectivités regardant les émissions à la télévision dans les divers marchés du pays se trouvait correctement reflétée dans ces émissions. Nos conclusions ont recouvert un terrain très large parce que la recherche elle-même était très large.
Globalement, elle a démontré que l'image projetée des collectivités ethnoculturelles était, selon moi, satisfaisante. Dans certains secteurs elle était véritablement bonne mais dans beaucoup d'autres il y avait beaucoup de travail à faire.
Pour être aussi positif que possible, nous n'avons pas simplement déposé un rapport et dressé un bilan. Nous avons étudié les données de ce rapport et nous avons collaboré étroitement avec les spécialistes pour élaborer les meilleures pratiques permettant de définir les moyens que pourraient prendre les compagnies de radiodiffusion pour que les collectivités ethnoculturelles soient mieux reflétées dans ces émissions — des nouvelles jusqu'aux séries dramatiques en passant par les sports — tant à la télévision anglophone que francophone.
Le conseil a reçu ce rapport. Il ne nous a pas encore dit ce qu'il en pensait ou ce qu'il a décidé. Cependant, ce qui est extraordinaire, c'est que 100 p. 100 de nos membres ont appuyé ce rapport et appuyé ces recommandations. Ils ont pris sur eux-mêmes, individuellement, de commencer à appliquer ces recommandations pour commencer le travail permettant de mieux refléter la diversité ethnoculturelle de tous nos auditoires.
Le sénateur Johnson : Excellente réponse.
Avec tous les choix aujourd'hui, et nous savons tous qu'ils sont innombrables, la concurrence féroce et la superfragmentation du marché des médias, comment vos radiodiffuseurs optimisent-ils le contenu de ce qu'ils produisent?
M. O'Farrell : Ils font du mieux qu'ils peuvent, ils sont aussi créatifs qu'ils le peuvent pour optimiser le rendement de chaque morceau de contenu qu'ils produisent ou qu'ils achètent. Disons que cette ressource ne se prête absolument pas au gaspillage.
Avec le temps, vous pourrez vous rendre compte — on commence déjà à s'en rendre compte — de toute cette réorientation de l'idée du contenu. Il s'agit en fait de trouver autant d'applications que possible sans dilution de la valeur.
Dans certains cas, la tâche est difficile car l'effet de dilution n'est pas toujours forcément perceptible. Il peut commencer à un point pour vos yeux ou à un autre pour les miens. Pour nourrir le sens de la nouveauté, de l'originalité et de l'utilité chez le spectateur, il est essentiel de trouver le dosage optimal.
De plus en plus les radiodiffuseurs finiront par comprendre les réalités fondamentales de leur mission qui ont toujours existé sauf qu'aujourd'hui la mesure est beaucoup plus sophistiquée. Les auditeurs sont beaucoup plus malins et intelligents qu'on ne veut le croire. Dans la majorité des cas, ils savent très vite ce qu'ils aiment ou ce qu'ils n'aiment pas; et ils passent à une autre chaîne parce qu'ils ont plus de choix qu'ils n'en ont jamais eu.
Je me souviens de ma jeunesse dans les environs de Québec. Il n'y avait pas grand-chose à regarder à la télévision le samedi soir. Que cela vous plaise ou non, c'était quand même mieux que de faire des corvées. Plutôt regarder la télévision que nettoyer la grange.
Aujourd'hui, ce n'est pas le choix qui manque. L'esprit critique de la majorité des téléspectateurs ou des auditeurs est tel qu'ils savent ce qu'ils aiment. Si la réorientation du contenu va trop loin, nous risquons d'aliéner ces auditoires à nos propres risques. C'est la dernière chose que veulent les radiodiffuseurs car ils y perdraient tout.
Le sénateur Johnson : Malgré votre éminente carrière dans le secteur privé, seriez-vous prêt à faire des commentaires sur CBC/Radio-Canada? Étant donné que c'est un radiodiffuseur financé par l'État mais aussi un concurrent pour les dollars de la publicité, que pourrait-on faire pour rectifier la situation? Quel est selon vous le rôle approprié d'un radiodiffuseur public dans le système de radiodiffusion canadien? La radiodiffusion publique, selon vous, est-elle nécessaire?
M. O'Farrell : Je crois important de toujours situer la radiodiffusion privée dans le contexte plus large du système canadien qui inclut une composante publique. Nous représentons aussi CBC/Radio-Canada. Pourquoi? Newsworld et RDI sont membres de l'ACR à cause de leur association historique avec l'organisme prédécesseur qui a fusionné avec l'ACR avant mon arrivée. Ce n'est donc pas un reproche que vous pouvez me faire. Nous représentons ces deux chaînes mais nous ne représentons pas leurs réseaux principaux.
Pour répondre à votre question, tout ce qui peut renforcer le système de radiodiffusion canadien possède des tentacules aussi fortes et tenaces tant pour le secteur privé que pour le secteur public car les deux sont logiques pour le téléspectateur et l'auditeur canadiens. C'est une question de première place donnée au Canada en termes d'options offertes aux téléspectateurs et aux auditeurs. La force du système canadien dépend tout autant de la force du système privé que du système public.
Du point de vue historique, on n'aurait pas pu s'attendre à ce que la composante publique du système croisse et se laisse dépasser par tous les changements survenus au cours des 20 et 25 dernières années. Aujourd'hui, il y a tellement d'acteurs privés alors qu'il n'y en a qu'un seul public. C'est parce que les marchés et les entrepreneurs étaient prêts à investir leurs ressources, financières et autres, dans la radiodiffusion comme option pour les Canadiens. Entre-temps, CBC/Radio-Canada n'a pas connu beaucoup d'expansion, ce qui présente à la fois des avantages et des inconvénients.
Je crois que la Société Radio-Canada que vous voyez aujourd'hui a toutes les chances de conserver sa pertinence pour les Canadiens en devenant plus stratégique. Nous ne cessons de le dire pour de nombreux cas. Au Canada français, par exemple, nous croyons que Radio-Canada ne devrait pas se comporter comme un radiodiffuseur privé. Elle a largement ce que j'appellerais une vocation de radiodiffuseur commercial par opposition à une vocation de radiodiffuseur public.
C'était tout à fait dans la norme autrefois lorsque les options de langue française étaient rares au Québec. Aujourd'hui il y en a beaucoup plus. Est-il toujours normal que le trésor public finance un radiodiffuseur public à vocation commerciale? Nous pensons que c'est une question qui mérite d'être sérieusement révisée.
Du côté anglais — la télévision et la radio de CBC — nous savons tous que la radio de CBC est un succès sur presque tous les marchés du pays. Personnellement, je trouve merveilleux que quelle que soit la ville ou le marché où je me trouve — et c'est la même chose tant pour la radio de CBC que la radio de Radio-Canada —, on n'a pas besoin de me dire que c'est CBC. Je l'entends; je sais que c'est CBC ou je sais que c'est Radio-Canada. Elles ont une image de marque extraordinaire.
C'est un vrai succès. Pour la télévision sur le marché anglophone, les circonstances sont plus difficiles car CBC doit faire face aux mêmes défis que le secteur privé, à savoir comment lutter contre la production et la promotion de ces contenus non canadiens à très forte valeur budgétaire. Quand on compare la promotion des produits des radiodiffuseurs américains à la nôtre, nous ne faisons pas le poids. Certains aujourd'hui arrivent à très bien s'en sortir mais à une échelle totalement différente quand on considère l'énormité des budgets de promotion des producteurs américains, qui finissent par inonder notre marché que cela nous plaise ou non, et que les consommateurs canadiens absorbent. CBC/Radio-Canada a les mêmes défis.
À long terme, il va falloir trouver un mode de financement stable pour CBC/Radio-Canada. Nous affirmons qu'il est essentiel que l'industrie canadienne de la programmation ait un plan de match. Nous l'affirmons depuis longtemps devant les différents comités. Dans le rapport Lincoln, nous avons annoncé deux impératifs, à savoir la politique culturelle et la politique financière. Les décisions du CRTC indiquent ce qu'il faut produire sous forme de programmation canadienne, alors que le budget annonce les mécanismes de politique financière de soutien à cette mission. Malheureusement, il y a un fossé entre les deux.
Il nous faut un plan pour cela, comme il faut un plan à CBC/Radio-Canada, dans lequel on va lui dire : « On vous accorde ce financement pour tel ou tel nombre d'années de façon que vous puissiez faire ce qu'il faut pour vous acquitter de votre mandat et vous serez jugés en conséquence. » C'est l'objectif que nous espérons atteindre.
La présidente : Pensez-vous, par exemple, que Radio-Canada devrait supprimer Les Bougon et rétablir Zone Libre? Est-ce de cela que vous parlez?
M. O'Farrell : Je ne veux pas faire de choix de programmation, mais à la limite, oui, j'accepte votre proposition.
La présidente : Je voulais m'assurer d'avoir bien compris.
M. O'Farrell : Je remarque qu'on a décidé de ne pas soumissionner sur Les Bougon.
La présidente : Cela m'avait échappé.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci de ce merveilleux exposé et, évidemment, de votre connaissance approfondie du sujet. J'ai deux questions qui sont sans rapport entre elles ou, pour reprendre votre formule, qui sont fragmentées.
En ce qui concerne les stations de radio locales, je reconnais que nous avons un choix étendu. Les possibilités sont très nombreuses, et c'est merveilleux. Y a-t-il des lignes directrices concernant le maximum de publicité que l'on peut présenter en une heure ou en un jour? Parfois, lorsque j'écoute une station de radio locale, j'ai l'impression d'entendre une série d'annonces publicitaires après chaque chanson et parfois, on coupe la fin de la chanson. Y a-t-il des règlements à ce sujet?
À la lecture de votre rapport annuel de l'année dernière, je m'interroge sur vos efforts pour mieux informer les Canadiens, notamment en matière de santé, puisqu'il y a de la publicité pour les médicaments prescrits et les médicaments sans ordonnance. J'aimerais bien qu'on en discute.
M. O'Farrell : Volontiers.
Sur la première question, oui, il existe une réglementation. Ce dont les auditeurs ne se rendent pas toujours comptes — j'ai parfois la même réaction que vous — c'est la façon dont les publicités sont regroupées. Des sociétés ont fait des études de marché qui indiquent que certains regroupements fonctionnent mieux à certaines heures du jour, alors qu'à d'autres moments, il est préférable de ne pas regrouper les annonces; les regroupements doivent être réservés à certaines parties de la journée. La tolérance de l'auditeur à la publicité ou au contenu non publicitaire est une cible mouvante, mais les stations s'en tiennent toutes au même règlement sur le maximum autorisé à l'heure. Il en va de même pour la télévision : c'est 12 minutes de contenu publicitaire par heure.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je n'ai pas bien entendu. Quel est le maximum pour la radio?
M. O'Farrell : Douze minutes.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est tout, 12 minutes par heure? Y a-t-il des vérifications et le règlement est-il rigoureusement observé?
M. O'Farrell : La réglementation du CRTC exige la tenue de registres.
Le sénateur Trenholme Counsell : Parfois, on est enthousiasmé par la musique. On aimerait l'écouter, mais il y a ces annonces publicitaires, qu'on trouve insupportables.
M. O'Farrell : C'est le format et la présentation des annonces qui constituent l'irritant que vous semblez vouloir dénoncer, plutôt que leurs quantités.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que la formule change d'une heure à l'autre, ou est-ce qu'elle s'applique sur une période de 24 heures?
M. O'Farrell : C'est une formule d'une heure.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aurais bien envie de faire un chronométrage.
M. O'Farrell : C'est bon pour les annonceurs. Cela montre que vous écoutez.
Le sénateur Trenholme Counsell : Votre rapport annuel est très bien présenté. En définitive, il va se traduire par des revenus publicitaires. C'est l'élément essentiel, évidemment, pour les radiodiffuseurs. Nous parlons ici de la publicité sur les médicaments.
Dieu sait qu'il y a trop de publicité actuellement pour les produits naturels de santé, les produits alimentaires et les cosmétiques. Et pour les appareils médicaux, parlons simplement des lits. On peut à peine regarder la télévision pendant quelque temps sans voir l'un de ces lits qui monte et qui descend. C'est un appareil médical, mais on peut faire de la publicité pour bien d'autres appareils médicaux. Ces lits volent la vedette.
La recherche de solutions faites au Canada qui vont se traduire par des recettes publicitaires est importante, mais il en va de même de l'information susceptible d'améliorer la santé des Canadiens. Où en est-on actuellement? Je suis déjà assez bien renseignée, mais j'aimerais connaître votre point de vue de la question.
M. O'Farrell : Notre point de vue, c'est tout d'abord qu'au Canada, certaines formes de publicité sont toujours interdites, que ce soit pour les produits naturels, certains produits alimentaires, les médicaments prescrits ou certains appareils médicaux. Pourtant, comme vous l'avez si bien dit, on en voit constamment à la télévision, essentiellement sur les réseaux américains. Les annonces qu'on voit pour différents appareils médicaux ou médicaments d'ordonnance parviennent à l'auditoire canadien par les chaînes américaines distribuées au Canada, car cette interdiction ne s'applique pas aux États-Unis, pas plus qu'aux magazines qui nous parviennent des États-Unis.
Quand vous irez une prochaine fois chez votre médecin pour un bilan de santé, regardez la pile de magazines dans la salle d'attente, et vous y trouverez sans doute bien des publicités pour des médicaments d'ordonnance, et d'autres formes de publicité qui sont interdites au Canada. Mais on les trouve dans des publications américaines distribuées au Canada.
Nous considérons qu'il ne faut pas faire l'autruche. La publicité pour les médicaments d'ordonnance et les autres formes de publicité interdites au Canada sont disponibles au Canada grâce à la télévision et aux magazines qui viennent de l'extérieur. Nous considérons que les Canadiens souhaitent autant que les autres avoir de l'information sur les traitements disponibles et tout ce qui permet d'améliorer la santé et les conditions de vie. Nous devrions nous efforcer de leur fournir une meilleure information à ce sujet. On peut peut-être y parvenir par une formule spécifiquement canadienne, plutôt que de se contenter d'absorber une information venue de l'extérieur qui, dans bien des cas, concerne des produits non disponibles ici, ou dont la distribution n'a pas été approuvée.
Le sénateur Trenholme Counsell : Au nom de tous les intérêts commerciaux qu'il représente, votre organisme s'active à faire la promotion, par exemple, de la publicité pour les médicaments d'ordonnance.
M. O'Farrell : Nous affirmons, dans nos activités promotionnelles, qu'il faut revoir dans une perspective de modernisation la réglementation de la publicité sur certains produits et services qui est actuellement interdite au Canada, alors que les Canadiens sont déjà exposés à cette publicité par des sources médiatiques non canadiennes.
C'est un problème de revenu pour nos membres. Il y a un problème de revenu, et c'est donc un intérêt commercial. Cela ne fait aucun doute, et je ne prétends pas qu'il s'agisse, de notre part, d'un souci d'améliorer la santé, ou que notre démarche ne comporte aucun avantage financier pour le secteur de la radiodiffusion. Mais j'insiste sur le fait que de nombreux Canadiens reçoivent déjà cette information sous forme de publicité transmise par des sources médiatiques non canadiennes, et il faut se demander s'il est bon que les choses se passent ainsi.
Le sénateur Trenholme Counsell : Puis-je poser une question sur cette publicité qu'on voit entre le vendredi soir et le lundi matin? Elle ne comporte pas de nom de médicament, n'est-ce pas? Ne nous dites pas que vous ne l'avez pas vue.
M. O'Farrell : Je vois exactement ce dont vous voulez parler, et c'est effectivement un parfait exemple du problème.
Le sénateur Trenholme Counsell : Le médicament n'est pas nommé.
M. O'Farrell : C'est une façon de contourner le système.
Le sénateur Trenholme Counsell : En effet. Est-ce que c'est souhaitable sur le plan de l'éthique?
M. O'Farrell : C'est un parfait exemple de la façon dont on peut déjouer le système en jouant avec l'esprit et l'intention de l'interdiction tout en faisant passer son message aussi efficacement que si l'on enfreignait carrément et directement l'interdiction.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il doit y avoir plus qu'une société pharmaceutique qui s'occupe de présenter ces annonces. Dans le cas d'une annonce comme celle-ci, est-ce que les entreprises s'associent pour la produire?
M. O'Farrell : Je ne sais pas de quelle annonce vous parlez au juste.
Le sénateur Trenholme Counsell : Elle est diffusée entre le vendredi et le lundi, vous devez savoir.
Le sénateur Trenholme Counsell : L'annonce ne parle pas ouvertement du viagra. Je crois, en tout cas, que celle que j'ai vue ne le mentionne pas, mais je me pose des questions sur les principes déontologiques.
M. O'Farrell : Pour ce qui est de savoir s'il y a plusieurs entreprises qui participent à la production de l'annonce, je vous dirai franchement que je l'ignore. Je n'ai pas de renseignement sûr. Y a-t-il dérogation à des principes déontologiques? Eh bien, il y a beaucoup de comportements qui sont considérés déontologiques parce qu'ils respectent la lettre de la loi alors qu'ils semblent en violer l'esprit. Les gens font cela quotidiennement pour beaucoup de choses, et je ne crois donc pas que nous puissions jeter la première pierre à des gens qui semblent avoir trouvé des façons astucieuses de contourner une interdiction à leur avantage. Toutefois, c'est se moquer de la réalité que de refuser de nous sortir la tête du sable et de se rendre compte que la publicité existe et qu'elle produit les effets souhaités sur les auditoires visés. Pourquoi ne pas envisager les choses de façon un peu plus progressiste et pourquoi ne pas dire que, soit, au Canada, nous allons permettre ce type de publicité parce que cela respecte les objectifs de la politique gouvernementale concernant l'ensemble du système de santé. Aux États-Unis, par exemple, on n'exige pas ou, du moins, on n'exigeait pas qu'une publicité portant sur un produit pharmaceutique ait été approuvée au préalable. Pourquoi cela serait-il un objectif souhaitable? Peut-être que si nous avions ce régime au Canada, nous aurions un mécanisme d'autorisation préalable pour empêcher que les conséquences jugées indésirables se produisent.
Le sénateur Trenholme Counsell : Puis-je poser une question complémentaire?
La présidente : Nous accusons un petit retard, et il y a une chose que je voudrais examiner, mais je vous donne encore un peu de temps.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je connais la situation aux États-Unis. Qu'en est-il d'autres pays tels que la Grande-Bretagne et le Japon, en ce qui concerne la publicité des produits pharmaceutiques?
M. O'Farrell : Je serais ravi de vous fournir un tableau, si cela vous intéresse, pour vous dire ce que nous savons des diverses interdictions actuelles relativement à la publicité des produits pharmaceutiques.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois qu'il s'agit d'un sujet très important.
La présidente : Cela serait très utile, parce qu'un bon nombre de témoins ont soulevé cette question et nous ne disposons pas de cette information.
M. O'Farrell : Je serais ravi de vous transmettre les renseignements les plus récents que nous avons sur les interdictions touchant la publicité au Canada comparativement à ce qui se fait dans d'autres pays.
La présidente : Nous vous en saurions gré.
Monsieur O'Farrell, à la page 10 de votre mémoire, vous parlez de ce qui semble être une situation intéressante et compliquée. Vous parlez de deux demandes distinctes présentées au CRTC, l'une par une entreprise qui s'appelle 49th Media, l'autre par l'Association canadienne de télévision par câble (ACTC), pour obtenir la permission de vendre de la publicité — publicité canadienne, j'imagine — sur les principales chaînes américaines transmises par câble au Canada. Or, depuis 30 ans, nous ne pouvons pas le faire. Comme le souligne votre mémoire, on a tracé cette ligne de démarcation et, dans notre système, le marché canadien de la publicité est essentiellement réservé aux radiodiffuseurs canadiens.
Comment fonctionneraient au juste ces propositions de l'ACTC et de 49th Media? Je croyais que cela relevait de la Loi de l'impôt sur le revenu. Proposent-elles plutôt des annonces publicitaires qui ne seraient pas déductibles pour les fins de l'impôt sur le revenu?
M. O'Farrell : Cette demande représente une proposition très particulière que je peux peut-être essayer de vous décrire. Tout d'abord, en ce qui concerne 49th Media, cela n'est plus pertinent, parce que cette demande a été retirée et le Conseil n'en est plus saisi. Je vais donc me concentrer sur la demande de l'ACTC. Comme vous le savez, l'ACTC distribue un certain nombre de services canadiens, mais aussi un bon nombre de services américains : CNN, TNN, Spike TV maintenant, ainsi que TBS et d'autres super chaînes américaines. Si l'on examine la programmation de ces chaînes, plutôt que leur contenu publicitaire, on constate qu'une fois la programmation et la publicité américaine effectuées, il reste des messages publicitaires qui ne contiennent pas de publicité américaine. Souvent, ce sont des messages faisant la promotion de médias canadiens : radio canadienne, programmation canadienne et des services de programmation canadienne. En moyenne, sur chacune de ces chaînes américaines diffusées au Canada, cela représente environ deux minutes par heure.
La présidente : Cela se fait déjà, maintenant même.
M. O'Farrell : Exactement, et pourquoi donc y a-t-il deux minutes de publicité canadienne sur ces chaînes américaines? C'est parce qu'aux États-Unis ces services sont distribués aux télédistributeurs, qui disposent de ces créneaux de deux minutes. Les télédistributeurs américains vendent localement ces créneaux à des annonceurs.
Lorsqu'on a permis la distribution de ces chaînes au Canada, la réglementation adoptée a permis de parvenir au compromis suivant : en échange du privilège de diffusion accordé à ces chaînes, qui ne cotisent pas au Fonds canadien de télévision et ne participent à aucune initiative canadienne ni à aucune utilisation des artisans ou artistes canadiens, les télédistributeurs américains ne peuvent pas vendre ces deux minutes de temps d'antenne, mais doivent les consacrer à la promotion de la programmation canadienne, des stations de radio canadiennes et ainsi de suite. Ce sont là les termes du contrat. Dans sa demande au CRTC, l'ACTC cherche à modifier le contrat et à remplacer l'exigence de consacrer ces deux minutes à la promotion des radiodiffuseurs canadiens par deux minutes de publicité canadienne vendue à des annonceurs. Par conséquent, au lieu de voir des annonces faisant la promotion de la programmation et des services canadiens, on verrait d'autres annonces publicitaires.
Nous nous opposons à cela pour toute une série de raisons. Nous nous y opposons parce que cela modifie le contrat. Les services qui jouissent d'un droit de diffusion au Canada gagnent des revenus au Canada. Chaque abonné paye des frais d'abonnement forfaitaires qui, en partie, sont versés au fournisseur de services non canadiens dans son lieu d'origine. Il s'agit donc d'une contribution minimale au système, et il ne faudrait ni la compromettre ni la modifier. En fait, selon nous, il faudrait plutôt l'améliorer en faveur des services canadiens.
La présidente : Je veux comprendre comment cela fonctionne dans les faits. Le câblodistributeur vend une annonce à Bidules canadiens. En vertu de la proposition de l'ACTC, l'entreprise Bidules canadiens est-elle ensuite autorisée à déduire cette publicité de son revenu en tant que dépense d'entreprise?
M. O'Farrell : Absolument.
La présidente : Il s'agit donc non seulement d'obtenir la permission du CRTC, mais aussi de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu, n'est-ce pas?
M. O'Farrell : C'est une excellente question parce que, comme vous le savez, si vous faites de la publicité dans un média non canadien, vous n'avez pas le droit de déduire cette dépense comme si c'était une dépense faite au Canada. Je crois que ce que propose l'Association canadienne de télévision par câble, c'est que l'entreprise canadienne qui annonce ses produits en achetant du temps d'antenne soit autorisée à déduire ses dépenses au titre de l'impôt.
La présidente : Cela se fonde-t-il sur le fait qu'il s'agit d'une entreprise canadienne de câblodistribution? Je vois. Je conclus de votre mémoire que vous voudriez que nous recommandions que cette innovation soit refusée.
M. O'Farrell : Oui, effectivement, parce que nous croyons que si l'on tient à ce que les voix canadiennes soient entendues et qu'il existe des choix canadiens pour faire contrepoids au nombre toujours croissant de médias étrangers, le petit avantage que le système actuel nous permet d'obtenir en échange de la distribution de services non canadiens ne devrait pas nous être retiré. En fait, il devrait être maintenu, voire amélioré.
La présidente : Très bien. Vous aurez constaté que, dans ce comité-ci, nous n'arrêtons jamais de nous instruire.
Il y avait une autre question que je voulais vous poser concernant la propriété croisée dans les médias. Certains de nos plus grands radiodiffuseurs sont également propriétaires de journaux et de revues. Or, je pense aux journaux en particulier. Les journaux ont toujours et partout résisté à toute réglementation gouvernementale. On a suggéré que le fait que le CRTC règlemente les radiodiffuseurs et qu'il établit parfois des conditions concernant leurs relations avec leurs journaux à l'intérieur de leur structure d'entreprise, que cela représente d'une certaine façon la réglementation des journaux. Pensez-vous que c'est vrai? Croyez-vous que ce soit indiqué? Croyez-vous que le CRTC ait trouvé le bon équilibre en s'attaquant à ces situations extrêmement complexes?
M. O'Farrell : Comme vous savez, la réalité aujourd'hui est telle que trois entreprises — Bell, Globemedia, CanWest et Québécor — ont toutes déposé des codes volontaires auprès du CRTC à cause du processus d'homologation de licence portant sur leur entreprise de radiodiffusion respective. Je ne voudrais pas laisser entendre qu'on a fait quelque chose de malheureux ou sans fondement dans ces cas, mais sur le plan des principes, on pourrait se demander si a) c'était la chose à faire; b) si cela a donné des résultats significatifs; ou c) si ce devrait devenir une pratique consacrée et préservée pour l'avenir. L'histoire nous apprendra si l'issue a été positive, mais en ce qui concerne la signification ou à savoir si c'est la chose à faire, à mon sens c'est loin d'être établi.
La présidente : C'est vraiment ma dernière question. En termes plus généraux, croyez-vous que le CRTC fait bien son travail? Croyez-vous qu'il établit les bonnes priorités et analyse convenablement les données, ou pensez-vous qu'il y a matière à amélioration?
M. O'Farrell : C'est évident qu'il pourrait mieux faire. Le CRTC serait prêt à le reconnaître si un de leurs commissaires comparaissait ici. Néanmoins, pour être juste, il faut envisager le CRTC dans un contexte plus large. La responsabilité d'encadrer et de réglementer le système de radiodiffusion aujourd'hui est une tâche complexe et exigeante. Les divers intervenants n'ont jamais été plus farouches et plus exigeants, les défis sont de plus en plus insurmontables, et honnêtement, les intérêts en jeu n'ont jamais été plus lourds. Je parle de la radiodiffusion et non pas des télécommunications. Si vous voulez parler de l'aspect télécommunications de l'équation, c'est une tout autre question.
En tant que Canadiens, nous nous attendons à ce que cet organisme réglementaire qu'on appelle le CRTC, s'acquitte d'une tâche redoutable en ce qui concerne le contrôle et la réglementation de la radiodiffusion. Parfois, nous avons des attentes excessives en ce qui concerne leur capacité en tant que groupe d'individus, bien qu'ils aient leur personnel de soutien, de prendre des décisions qui seront unanimement, ou même pas unanimement, acceptées ou qui remporteront l'adhésion de la majorité des Canadiens.
Pourquoi je dis cela? Le monde est devenu très complexe pour leur permettre de prendre de telles décisions, même en fonction de chaque cas. Ce n'est pas une excuse pour le travail qui devrait être accompli, pour les améliorations qui s'imposent, ni franchement pour la nécessité d'envisager l'avenir et comprendre qu'il faut agir de façon très proactive — et le gouvernement a un rôle à jouer en l'occurrence de même que la commission — la capacité de réglementer sera soumise à des pressions croissantes et sa cohérence fera l'objet de stress accru.
Je crois qu'on a demandé si le CRTC devrait réglementer l'Internet. J'ai dit que c'était une très bonne question, mais est-ce possible de le réglementer? Comment est-ce qu'on s'attendrait à ce qu'une organisme d'État applique des règlements à l'Internet? Ce sont des questions très difficiles à poser, mais ce sont celles qui, dans l'esprit de beaucoup de Canadiens, ont dépeint la commission comme un organisme qui ne répond pas toujours aux besoins. J'ignore si beaucoup de Canadiens ont les réponses à toutes ces questions. Il va falloir nous concerter en tant qu'intervenants afin d' agir dans un but intéressé, bien sûr, tout en essayant de maintenir un équilibre généra;ans l'ensemble. Nous avons réussi jusqu'ici.
Si on remonte à l'origine du système de radiodiffusion au Canada, il a toujours été question d'équilibre. D'une certaine manière, les défis qu'ont relevé nos prédécesseurs n'étaient sans doute pas moins redoutables à l'époque que les défis que nous affrontons de nos jours. Nous devons repenser la façon de continuer à assurer cet équilibre à l'avenir.
En terminant, je n'ai pas de recommandation précise à vous faire quant à la façon d'assurer cet équilibre, mais je crois que la force de notre système, c'est que nous avons encouragé la discussion publique et le débat public. Nous avons fait preuve d'une certaine transparence grâce aux délibérations publiques et ouvertes, ce qui a encouragé les gens à venir exprimer divers points de vue. Au fond, nous avons su créer un système qui, comme j'ai dit dans mes remarques d'ouverture, et ce n'est là qu'un seul exemple, compte deux fois plus de services de télévision autochtones canadiens par résident qu'aux États-Unis. À mon avis, c'est une réussite. Soutenir cette réussite, c'est le défi qui nous attend.
La présidente : Vos observations finales ont été admirablement éloquentes, monsieur O'Farrell. Merci beaucoup. La séance a été extrêmement intéressante. Lequel de ces tableaux avez-vous encadré et pendu au mur?
M. O'Farrell : Celui de la chaîne de valeur vidéo. Je vais vous le montrer.
La présidente : Sénateurs, pendant que M. O'Farrell parcourt ses documents, j'aimerais que nous restions ici pendant quelques minutes pour une séance à huis clos à propos de nos travaux de la semaine prochaine.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.