Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 13 - Témoignages du 12 avril 2005
OTTAWA, le mardi 12 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 34 pour examiner le rôle actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, membres du public et, bien sûr, messieurs les témoins, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous reprenons nos audiences sur l'état des industries de médias canadiennes et le rôle que doit jouer la politique de l'État pour faire en sorte que les médias puissent survivre tout en restant indépendants et diversifiés dans le contexte des changements énormes que l'on a connus ces dernières années, notamment la mondialisation, le progrès technologique, la convergence et une concentration accrue des capitaux.
[Français]
Nous avons le grand plaisir aujourd'hui d'accueillir des représentants de Cogeco. Il s'agit de M. Michel J. Carter, président et chef de la direction de TQS et de Cogeco et de M. Yves Mayrand, vice-président des affaires corporatives chez Cogeco.
Nous procéderons de la façon suivante : vous faites une déclaration de dix ou 15 minutes et ensuite, nous passons à la période des questions.
M. Yves Mayrand, vice-président, Affaires corporatives, Cogeco : Madame la présidente, j'aimerais apporter une petite précision. M. Carter est le président de TQS. Le président et chef de la direction de Cogeco est M. Louis Audet qui devait venir ce matin, mais malheureusement, il a été retenu à l'extérieur. Il s'en excuse.
La présidente : Vous lui transmettrai nos meilleurs vœux. Je suis certaine que vous le représenterez très bien.
[Traduction]
Nous vous remercions de votre invitation à comparaître devant votre comité et nous espérons contribuer ainsi utilement à l'examen de l'état actuel des industries de médias canadiennes. Avec le texte de notre exposé vous trouverez le profil de notre compagnie et de ses activités au sein des industries de médias canadiennes ainsi que nos derniers rapports financiers. Nous avons remis au comité il y a quelque temps un profil de notre groupe et des différents médias que nous exploitons.
Vous serez sans doute intéressés de savoir que nous avons eu dans le passé des intérêts de propriété croisée dans des hebdomadaires au Québec, que nous avons vendus en 1996 au groupe Transcontinental G.T.C., groupe actif dans l'imprimerie et la publication de journaux qui a comparu devant vous l'an dernier. Cela montre que les forces du marché peuvent également mener à une diminution de la propriété croisée de médias dans certains cas.
Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt votre rapport préliminaire et il nous semble que certaines des réponses que vous souhaitez obtenir se dégagent déjà des données rassemblées dans ce rapport. Il nous fera évidemment plaisir de vous faire part de notre position sur les questions que vous vous posez. Nous allons cependant utiliser le temps imparti pour nos représentations verbales aujourd'hui pour vous livrer une perspective plus large sur les grands enjeux qui touchent les médias électroniques canadiens, soit le secteur dans lequel nous exerçons nos activités commerciales.
L'observation principale que nous voulons vous faire aujourd'hui, c'est que les Canadiennes et les Canadiens, de même que les citoyens du monde entier, sont désormais en liaison par le truchement d'une gamme remarquablement complexe et diversifiée de sources et de canaux d'information. Nous soutenons devant vous que cet univers va inévitablement connaître une croissance exponentielle sous la pression combinée de la numérisation du contenu (y compris le contenu d'archives), des communications à large bande omniprésentes et à bon marché, et des appareils d'enregistrement et de stockage d'information également omniprésents et à bon marché. Dans cet univers, le citoyen a déjà trouvé et trouvera de plus en plus un niveau de liberté quasiment sans limites dans le choix de l'information, selon ses propres besoins et préférences.
Qu'est-ce que cela signifie d'un point de vue pratique? Premièrement, les médias de communication de masse sont devenus une simple composante d'un écosystème d'information beaucoup plus vaste. Deuxièmement, cet écosystème est tellement complexe et évolue si rapidement qu'il ne peut être géré par réglementation détaillée, encore moins une réglementation détaillée au niveau de l'État-nation. Troisièmement, les citoyens de démocraties aiment profondément leur nouveau degré de liberté et ceux des pays privés de démocratie recherchent ce même degré de liberté.
[Français]
M. Michel J. Carter, président et chef de la direction, TQS et Cogeco Diffusion : Compte tenu de ces tendances, comment et jusqu'à quel point les gouvernements nationaux peuvent-ils et doivent-ils jouer un rôle dans le développement, le fonctionnement et la disponibilité de sources et de canaux d'information pour leurs citoyens? À notre avis, en appuyant à distance un vecteur d'information domestique distinctif et en laissant les forces du marché faire le reste, sous réserve seulement d'assurer une concurrence véritable, juste et durable dans l'ensemble des industries de communication et de médias.
Vous nous demanderez sans doute ce que nous entendons par un appui à distance d'un vecteur d'information domestique distinctif. Dans le secteur de la radiodiffusion, nous avons un système qui comprend, à la fois, des éléments publics et privés et un régime d'attribution de licences avec des objectifs de politique domestique.
Bien que l'on puisse envisager des améliorations des deux côtés de cette équation secteur public/secteur privé, il n'y a rien de fondamentalement incorrect avec cette dualité de structure ni avec le fait que la radiodiffusion du secteur public obtient des parts d'auditoire qui vont en décroissant au fur et à mesure de l'accroissement de la diversité au sein de l'écosystème des communications.
Bien au contraire, ce système de radiodiffusion supporte non seulement la présence de sources et de canaux d'information domestiques diversifiés, il assure structurellement une diversité de sources et un équilibre dans la radiodiffusion.
Avons-nous, par ailleurs, besoin d'un plus grand nombre de canaux ou de vecteurs supportés par les fonds publics? Nous ne le croyons pas. L'infrastructure de radiodiffusion publique actuelle a déjà étendu son rayonnement par le biais de Internet, de la distribution de vidéogrammes et de documents imprimés.
Laissons la radiodiffusion publique continuer à jouer ce rôle, mais en se concentrant sur les contenus domestiques originaux, et de plus en plus, sur des contenus domestiques qui ne peuvent être réalisés par le secteur privé de la radiodiffusion.
Laissons la radiodiffusion publique bénéficier d'un financement public à distance et prévisible pour l'accomplissement de ce mandat de contenu domestique original, et de plus en plus distinctif.
[Traduction]
M. Mayrand : Du côté du secteur privé, laissons les sources et les canaux d'information proliférer le plus possible au Canada. Si nous voulons sérieusement la diversité, l'accessibilité, la pertinence et l'équilibre en matière d'information, nous devrons abandonner des formules de réglementation dont la raison est essentiellement de limiter ou de nuire à ces mêmes objectifs. Par exemple, accueillons à bras ouverts la distribution et l'utilisation de sources d'information provenant de l'étranger, même si elles font concurrence dans une certaine mesure aux nôtres. Apprenons à nous passer de formules de programmation exclusives et réglementées pour les services de télévision spécialisés. Accueillons la distribution et l'offre de services d'information locale par les entreprises de distribution de radiodiffusion canadiennes. Et assurons-nous de distribuer, même sur nos services canadiens de distribution par satellite, toutes nos sources d'information locales diffusée sur les ondes. En somme, dans le domaine de la radiodiffusion, une réglementation moins détaillée et plus intelligente pourrait contribuer énormément à un accroissement de la diversité, de la pertinence et de l'équilibre en matière d'information.
Lorsqu'on jette un coup d'œil sur le dernier rapport de surveillance de la politique de radiodiffusion publié par le CRTC le 16 décembre 2004, on se rend compte que notre système de radiodiffusion constitue un actif important pour les Canadiennes et les Canadiens dans la poursuite de leurs besoins de communication et d'information, et qu'il génère un apport considérable à la diversité, l'accessibilité, la pertinence et l'équilibre de l'information en général. Pourtant, le gouvernement fédéral ne semble pas décidé à faire tout ce qui est nécessaire pour conserver cet actif.
Nous nous nuisons nous-mêmes en amenant nos concitoyens à se passer du système canadien de radiodiffusion pour accéder à des sources diffusées en provenance de l'étranger que la réglementation en vigueur les empêche de recevoir, et en permettant à une véritable culture de vol de signaux de se développer ici faute de sanctions crédibles pour les violations de la loi.
Un ménage canadien raccordé illégalement à un service de distribution par satellite américain ne reçoit pas nos émissions d'information et d'affaires publiques canadiennes au moyen de cette source, y compris nos émissions nationales d'information réseau ou CPAC, notre propre chaîne parlementaire et d'affaires publiques. Plus on laisse la situation perdurer, plus il devient difficile de ramener ces ménages débranchés du système canadien de radiodiffusion aux sources canadiennes d'information sur les ondes.
Pendant que nous étudions les effets de la propriété croisée et de la concentration des industries canadiennes de médias, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser un élément important de ces industries péricliter pour cause d'exigences réglementaires dépassées, de négligence des corps publics, ou des deux à la fois. Nous devrions avoir pour priorité de faire mieux à cet égard. De toute façon, nous estimons que la réception non autorisée des signaux satellite, laissée sans contrôle, ne peut qu'engendrer un accroissement de la concentration dans la radiodiffusion canadienne en raison de pertes de part de marché des entreprises canadiennes au profit des marchés gris et noir.
Nous avons dit précédemment que les forces du marché devraient s'occuper du reste, pour peu que l'on ait une concurrence véritable, juste et durable dans les industries de communications. Qu'on le veuille ou non, la collecte, la présentation, le regroupement et la distribution de l'information constituent une activité économique. Pour toute activité économique dans une économie de marché, l'expérience a démontré que la concurrence est un objectif souhaitable de politique publique parce qu'elle engendre l'innovation, l'efficacité et la sensibilité aux besoins des consommateurs. L'expérience a démontré aussi que, dans certaines situations de pouvoir de marché d'un ou de plusieurs joueurs dans un marché pertinent, le gouvernement a un rôle légitime à jouer pour s'assurer que la concurrence peut s'établir à demeure, et de là la nécessité d'une politique de concurrence.
Vous avez déjà reçu des témoignages sur l'application de la politique de concurrence dans les industries de médias canadiennes et sur le fait que le Bureau de la concurrence et le CRTC partagent des responsabilités à ces égards lorsque des activités de radiodiffusion sont en cause. Vous avez également reçu des observations sur la démarcation malaisée entre les objectifs de la politique de concurrence et de la politique de radiodiffusion dans l'état actuel du droit canadien.
À notre avis, les exigences de la politique de concurrence, les marchés pertinents considérés et les autres critères d'évaluation ne sont pas suffisamment clairs et conséquents à l'heure actuelle pour les industries de médias canadiennes, de même que les rôles et responsabilités des diverses agences fédérales en cause.
Bien que l'on puisse facilement constater qu'il y a des administrations concurrentes en matière d'application des politiques de concurrence et de radiodiffusion dans plusieurs pays ayant des économies de marché développées, cela ne veut pas nécessairement dire que les problèmes d'administration concurrente sont résolus de façon aussi claire et efficace dans tous ces pays. Nous pensons que le Canada pourrait faire mieux à cet égard. Vous voudrez peut-être examiner le modèle mis en place au Royaume-Uni. L'Office des communications, Ofcom, a été établi non seulement pour superviser les industries des communications électroniques au Royaume-Uni, avec pour objectif de préférer la gouvernance du marché à la réglementation détaillée, mais aussi avec le mandat clair d'appliquer la politique de concurrence à l'ensemble de ces industries. Ofcom garde la possibilité de référer un dossier à l'Office des pratiques de concurrence, ou OFT, qui est le pendant du Bureau de la concurrence ici mais qui assume la responsabilité de première ligne pour l'application de la politique de concurrence dans les industries des communications.
Ici, le CRTC doit encore être convaincu que la concurrence en radiodiffusion n'est pas fondamentalement dangereuse pour l'atteinte des objectifs de la politique de radiodiffusion, ou que les joueurs les plus dominants et intégrés de l'industrie n'ont pas besoin d'être protégés par l'autorité de réglementation. Le gouvernement fédéral peut prendre des directives de politique appropriées au CRTC à cet égard, nommer au CRTC de nouveaux conseillers qui ont une expérience pertinente en matière de politique de concurrence, inviter le CRTC à mieux s'équiper pour jouer un rôle de première ligne pour la promotion de la concurrence dans l'ensemble des industries de communications et établir les exigences de démarcation des actions relevant du Bureau de la concurrence et du CRTC en attendant que les lois fédérales applicables soient mises à jour.
Bien que nous puissions préciser les exigences de la politique de concurrence applicables aux médias canadiens, les marchés pertinents qui doivent être considérés ainsi que les autres critères d'évaluation applicables aux industries de médias canadiennes, sans oublier la démarcation appropriée entre le CRTC et le Bureau de la concurrence en la matière, il faut aller plus loin et s'assurer qu'il y a un mécanisme de contrôle approprié pour garantir la qualité et la constance des décisions rendues dans les cas d'espèce. Aucun tribunal ou organisme administratif ne devrait avoir une discrétion absolue et le mot final sur des décisions qui ont une incidence profonde et irréversible sur les politiques publiques.
À cet égard, les décisions du CRTC sur les changements de propriété, y compris les très grandes transactions de propriété des médias, se fondent sur un dossier qui ne comporte pas de preuve sous serment et sur des analyses et recommandations internes du personnel qui ne sont pas versées au dossier public. Lorsque la décision est rendue, il n'y a pas de mécanisme de révision et il est pratiquement impossible d'obtenir de la Cour d'appel fédérale la permission d'en appeler. Il n'y a pas de contrôle politique des décisions de propriété rendues par le CRTC et nous croyons que c'est bien ainsi.
Nous ne faisons que laisser entendre que des mécanismes de révision et de contrôle judiciaire pourraient contribuer beaucoup à promouvoir la transparence, la qualité et la constance des décisions du CRTC dans le cas de futures transactions de grande envergure mettant en cause de grandes entreprises de radiodiffusion.
[Français]
M. Carter : Dans le contexte actuel de changement rapide des marchés, il y a des mesures efficaces pour régler les problèmes d'ordre pratique que soulèvent inévitablement les changements de propriété dans les industries de médias canadiennes.
Permettez-nous d'illustrer ce point de vue avec un exemple concret. Lorsque Quebecor a acquis TVA, en 2001, le Bureau de la concurrence a exigé, à juste titre, qu'il se départisse de sa participation dans TQS. Une compagnie contrôlée par Cogeco s'est alors présentée comme nouveau propriétaire de TQS. Notre proposition n'impliquait aucune propriété croisée ou pouvoir de marché dans la télévision conventionnelle; elle amenait un nouveau joueur sur le champ de la télévision réseau de langue française et réglait la préoccupation du Bureau de la concurrence.
Cette issue clairement souhaitable soulevait, par contre, des préoccupations au sujet du maintien de sources locales d'information distinctes à Jonquière, Sherbrooke et Trois-Rivières, en raison des stations de télévision locales affiliées à Radio-Canada que nous y possédons. Nous avons donc conclu de nouvelles ententes d'affiliations fort innovatrices avec Radio-Canada. Ces ententes assurent que les émissions de nouvelles locales sur ces antennes de télévision locales soient entièrement produites par des employés de Radio-Canada, sous la direction de Radio-Canada. Chaque transaction particulière sur des médias a son propre ensemble d'avantages, de coûts et de préoccupations éventuelles, mais des solutions pratiques peuvent habituellement résoudre ces préoccupations.
D'autres parties qui se sont déjà présentées devant vous ont souligné que les exigences de propriété et de contrôle canadiens contribuent au degré de convergence et d'intégration dans les industries de médias canadiennes, puisque le bassin d'acquéreurs potentiels de propriétés médiatiques, qui sont mises en vente, est artificiellement restreint. Nous sommes du même avis. Si nous souhaitons garder comme objectif politique la propriété et le contrôle canadiens des entreprises de médias canadiennes, il nous faut donc accepter un plus grand niveau d'intégration des médias, ce qui ne serait pas le cas si des capitaux étrangers pouvaient librement acquérir le contrôle de propriétés médiatiques ici.
[Traduction]
M. Mayrand : Nous ne prétendons pas comprendre les médias imprimés aussi bien que vous, madame la présidente. Nous n'avons pas d'activités commerciales dans ce secteur. Il nous semble toutefois qu'une tentative de transposer les concepts de réglementation utilisés en radiodiffusion à d'autres genres de médias, incluant les médias imprimés, ou de régir ou défaire la propriété croisée ou la convergence des médias par intervention réglementaire, ne peut être et ne serait pas, le cas échéant, à l'avantage des Canadiennes et des Canadiens.
Voici ce que nous avions à vous dire. Nous vous remercions de nous avoir écoutés et espérons que vous aurez là matière à réflexion.
La présidente : Je vous signalerais que je ne suis pas la seule ancienne journaliste dans la salle. Nous avons également un ancien éminent journaliste en radiotélédiffusion et un autre éminent journaliste dans tous les médias. Même si je viens de la presse écrite, il y a ici beaucoup de gens qui comprennent la radiotélédiffusion. Nous avons par ailleurs parmi nous certains non-journalistes très sceptiques qui pensent que les journalistes ont quelquefois tendance à surestimer leur propre importance.
Le sénateur Carney : Il y a aussi ici certains ex-journalistes sceptiques.
Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui. J'aurais quelques questions à vous poser et je demanderai peut-être un deuxième tour si nous avons le temps.
À la page 3, vous déclarez :
Laissons la radiodiffusion publique continuer à jouer ce rôle, mais en se concentrant sur les contenus domestiques originaux, et de plus en plus sur les contenus domestiques qui ne peuvent être réalisés par le secteur privé de la radiodiffusion.
Que fait la SRC que le secteur privé ne fait pas ou ne peut faire?
M. Carter : Par exemple, il est impossible pour des radiotélédiffuseurs privés de couvrir les actualités internationales. TQS ne peut se permettre d'assurer cette couverture, mais la SRC, le réseau français de Radio-Canada, peut le faire et le fait. Les réseaux anglais et français de Radio-Canada ont les fonds voulus pour couvrir les arts et le théâtre qui, habituellement, attirent moins de téléspectateurs. Les radiotélédiffuseurs privés ne peuvent se permettre de couvrir cela.
Le sénateur Tkachuk : Si le secteur privé recevait des subventions comme la SRC, pourrait-il offrir des émissions d'actualité internationale ou couvrir les arts?
S'il y avait des subventions directes au milieu artistique, pourrait-il se permettre de fournir ses propres émissions?
M. Carter : Il existe déjà un système qui permet aux radiotélédiffuseurs privés de produire une certaine forme d'art.
Le sénateur Tkachuk : Je l'ai noté.
M. Carter : Nous avons examiné cette possibilité. Bien qu'il y ait certains canaux spécialisés dans cette forme de radiotélédiffusion, en tant que radiotélédiffuseurs conventionnels, nous ne pourrions certainement pas nous permettre de le faire, même si nous avions les fonds voulus.
Le sénateur Tkachuk : Dans l'exposé que vous nous avez fait, vous posez le problème que nous avons avec nos voisins américains. Vous semblez dire que moins il y a de réglementation, mieux c'est, afin que les foyers canadiens n'aient pas à se raccorder illégalement à des réseaux qui leur permettent d'obtenir les émissions qu'ils souhaitent. Je suis d'accord là-dessus.
Combien de temps faudra-t-il pour qu'Internet assure une programmation de bonne qualité? Quand ce sera le cas, il n'y aura absolument rien que l'on pourra faire pour empêcher que l'on obtienne n'importe quelle information.
Autrement dit, vais-je bientôt pouvoir me raccorder à un câble aux États-Unis ou à ESPN et suivre ces émissions à la télévision par le biais de mon Internet?
Combien de temps va-t-il falloir pour que la qualité soit suffisante pour que les gens contournent totalement la télévision?
M. Mayrand : Je vais répondre un peu différemment à votre question. La technologie existe. Elle a été éprouvée et marche. Les nouvelles normes vidéo offrent ce type de qualité. Vous avez tout un éventail de types de qualité technique dans les émissions vidéo. Bref, ce sera un environnement contrôlé par le marché avec beaucoup de contenu audiovisuel circulant sur Internet, essentiellement à la demande.
C'est ce que nous avons essayé d'expliquer dans la première partie de notre exposé. Nous nous trouvons dans un monde entièrement différent où énormément de communications par large bande permettent ce genre de transmission de façon plus que satisfaisante, même pour des gens de contenu audiovisuel exigeants. C'est déjà le cas depuis un certain temps pour le contenu audio. Nous connaissons tous la mesure dans laquelle la musique circule librement, est emmagasinée et transmise par des particuliers dans le monde entier. Il ne fait aucun doute que nous allons dans ce sens également pour le contenu audiovisuel.
Le sénateur Tkachuk : La réglementation canadienne et le besoin du CRTC de contrôler les nouvelles me laissent perplexe. On a connu une situation il y a quelques mois dans laquelle la SRC a dû aller demander à genoux de diffuser un documentaire et de ne pas simplement présenter une manchette.
Cela semble insensé.
Y a-t-il une raison quelconque pour laquelle le CRTC devrait s'occuper de réglementer quiconque veut ouvrir une chaîne de nouvelles spécialisée?
Pourquoi cela devrait-il appartenir à l'État?
Si quelqu'un veut avoir une revue, il suffit d'emprunter l'argent pour mettre une revue sur pied. Si quelqu'un veut présenter les nouvelles par une entreprise de câblodistribution, il doit en faire la demande au CRTC.
Y a-t-il une raison pour laquelle le CRTC devrait intervenir?
M. Mayrand : Il nous faut reconnaître que nous faisons partie de cette industrie et que le Canada réglemente les médias de radiotélédiffusion. La Loi sur la radiotélédiffusion comporte toute une série d'objectifs culturels et l'application de ces objectifs peut être matière à discussion. Il en va différemment pour les revues et journaux.
Je suppose que votre question porte sur la question de l'exclusivité du format.
Pourquoi imposer à un fournisseur de services particulier des formats réglementaires stricts?
Pourquoi ce fournisseur doit-il présenter des demandes lorsqu'il décide de modifier un format à cause de l'évolution du marché?
Nous disons en effet que ces exclusivités ne se justifient pas. Vous n'êtes pas forcément d'accord là-dessus. Je pense que lorsque nous avons essayé, il y a quelque 20 ans, de développer des sources nationales de programmation spécialisée à la télévision, le Conseil avait à très juste titre voulu encourager l'émergence d'autant de solutions viables et différentes que possible avant que des sources étrangères ne s'emparent de la chose.
Les choses ont considérablement changé depuis et les joueurs et services sont maintenant bien établis. Une disposition de la loi exige qu'un service de radiotélédiffusion détienne une licence. Cela ne veut pas nécessairement dire que nous ne pouvons pas nous permettre maintenant un peu plus de souplesse et de concurrence entre les services si ceux-ci détiennent effectivement une licence.
Le sénateur Tkachuk : Cela devrait-il être entièrement libre?
M. Mayrand : Il faut voir ce que le cadre juridique ou la Loi sur la radiotélédiffusion permet. Doit-on avoir encore une Loi sur la radiotélédiffusion et certains objectifs pertinents si pratiquement tout est exempté? On peut en débattre. Même dans les limites de la Loi telle qu'elle se présente actuellement, il serait possible de faire preuve de plus de souplesse et de permettre une pollinisation croisée de contenu bien supérieure et beaucoup plus de joueurs.
Le sénateur Carney : J'ai beaucoup apprécié votre exposé. Vous avez été clair. Vous nous avez parlé des questions qui nous intéressent ainsi que de questions de radiodiffusion sur lesquelles nous ne nous sommes pas énormément penchés.
Je vais revenir à la question d'Internet, mais d'abord je m'interroge sur les observations que vous avez faites au sujet de la politique de concurrence, car c'est un domaine qui nous préoccupe. Vous avez dit :
À notre avis, les exigences de la politique de concurrence, les marchés pertinents considérés et les autres critères d'évaluation ne sont pas suffisamment clairs et conséquents à l'heure actuelle pour l'industrie des médias canadienne, de même que les rôles et responsabilités des diverses agences fédérales en cause.
Je me souviens de l'époque où la société Southam était en affaires, il y a un certain nombre d'années de cela. Southam était propriétaire des journaux The Vancouver Sun et The Province. Or, lorsque cette entreprise a fait l'acquisition de tous les journaux communautaires locaux, cela n'a pas suffi au Bureau de la concurrence pour conclure que Southam dominait le marché.
Selon vous, quels changements faudrait-il apporter à la politique de concurrence pour la rendre plus claire?
Quels critères d'évaluation souhaitez-vous voir adoptés?
M. Mayrand : Je peux tenter de répondre à cette question complexe.
Le sénateur Carney : En effet, c'est un échange.
M. Mayrand : L'un des éléments de solution consiste à rendre plus clairs les rôles et responsabilités de chacun des intervenants dans le domaine de la concurrence au sein du secteur de la radiodiffusion et dans le domaine des fusions et acquisitions d'entreprises de radiodiffusion.
Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, dans presque tous les pays du monde, ou du moins dans les pays que nous avons étudiés, les autorités responsables de la concurrence et les agences réglementaires qui s'occupent de communication ou de radiodiffusion ont toutes deux des compétences parallèles.
En revanche, la coordination de l'élaboration des politiques et de l'application des politiques publiques entre ces organismes se fait de différentes façons. Au Canada, il existe un document qui décrit le mécanisme auquel le CRTC et le Bureau de la concurrence sont prêts à se conformer lorsqu'ils doivent examiner les fusions et acquisitions d'entreprises de radiodiffusion et lorsqu'ils doivent se pencher sur des questions de concurrence qui ont trait au comportement de certaines entreprises de radiodiffusion. Il ne s'agit pas de règlements. Ce n'est pas un document exécutoire.
Le sénateur Carney : S'agit-il de lignes directrices?
M. Mayrand : Ce sont des lignes directrices très souples. Je crois que les deux organismes peuvent se consulter, mais ni la loi ni les règlements ne prévoient de mécanismes formels de consultation. Cela donne lieu à des situations difficiles. D'aucuns affirment que le CRTC et le Bureau de la concurrence adoptent rarement des positions contradictoires, mais cela s'est déjà produit.
Le sénateur Carney : Pour les entités exploitantes qui envisagent une fusion ou une acquisition, le problème tient-il au fait que les lignes directrices sont trop vagues, ou au fait que l'entreprise ne sait pas s'il y a un conflit entre le CRTC et le Bureau de la concurrence?
M. Mayrand : Ces deux facteurs posent problème. Il est difficile de comprendre quelle analyse sera faite des marchés pertinents à cette fin.
Le sénateur Carney : Il est clair que vous n'êtes pas en faveur de la réglementation.
Craignez-vous que les règlements ne soient trop détaillés?
Vous dites que la politique en matière de concurrence n'est pas assez claire, et qu'il doit y avoir moins de réglementation. Quelle solution vous paraît acceptable?
M. Mayrand : Lorsque nous parlons de réglementation moins détaillée, nous parlons de la réglementation de la radiodiffusion.
Pour ce qui est de la politique de concurrence et du régime applicable aux transactions dans le marché des entreprises médiatiques, il faut que les règles soient plus claires, pas nécessairement beaucoup plus détaillées. Nous avons besoin de règles claires pour déterminer qui fait quoi dans quelles circonstances, et s'il existe des seuils ou des points de repère qui suscitent des préoccupations.
Le sénateur Carney : C'est ce que je voulais vous entendre dire.
Vous ne faites pas beaucoup d'observations au sujet de la propriété étrangère. Vous y avez fait allusion mais vous n'avez pas indiqué si, selon vous, les règles concernant la propriété étrangère d'entreprises de radiodiffusion devraient être assouplies.
Quel est votre point de vue officiel sur cette question?
M. Mayrand : Officiellement, nous estimons qu'il conviendrait d'envisager la possibilité d'assouplir les règles relatives à la propriété étrangère de ces entreprises. Nous entendons également par là la possibilité pour des capitaux étrangers d'avoir le contrôle sur des entreprises de télécommunications et des entreprises de câblodistribution qui offrent des services de communications électroniques et de télécommunications.
Le sénateur Carney : Pour la majorité ou la minorité?
M. Mayrand : Des capitaux étrangers devraient avoir la possibilité d'acquérir également le contrôle d'entreprises canadiennes.
Le sénateur Carney : C'est une observation intéressante, si l'on considère le fait que votre entreprise a si peu d'actionnaires.
M. Mayrand : J'exprime cette opinion parce que nous avons un groupe distinct qui s'occupe de contenu et de radiodiffusion. Notre politique d'entreprise au sujet du contenu a toujours été la même : les choses doivent demeurer comme elles sont. En d'autres termes, les règles qui s'appliquent à l'infrastructure de distribution pourraient être assouplies. En revanche, nous sommes en faveur du maintien du régime actuel qui s'applique au contenu.
Le sénateur Carney : J'ai une autre question sur le service Internet à haute vitesse. Votre exposé suscite un grand nombre de questions. Je vais laisser à mes collègues le soin de vous poser des questions sur les services de vidéo à la demande et les autres innovations qui auront des incidences, lors du deuxième tour de table.
Il semble que nous nous trouvions dans une impasse. Le CRTC réglemente la radiodiffusion, mais pas Internet. Certains témoins ont exprimé leurs craintes de voir les gros conglomérats d'entreprises médiatiques dominer Internet ainsi que l'accès aux services Internet.
Dans sa décision rendue dans l'affaire Al-Jazeera, le CRTC a indiqué aux distributeurs, donc aux conglomérats, qu'il leur appartient de supprimer le contenu injurieux que l'on retrouve dans Internet. Les distributeurs doivent ainsi assumer le rôle de contrôleurs d'accès. Le CRTC leur demande de vérifier le contenu et de le rendre accessible par l'entremise de ces entités issues de la convergence. Parallèlement, il y a la Charte canadienne des droits et libertés.
Comment sortir de cette impasse?
C'est une question plutôt vaste, mais je crois que vous comprenez l'essentiel de mes propos.
Comment une entreprise peut-elle à la fois empêcher la diffusion de contenu injurieux, raciste, des déclarations anti- Ontario ou qui suscitent la désaffection de l'Ouest, à titre d'exemple, tout en respectant la liberté d'information? Comment une entreprise peut-elle relever le défi lancé par le CRTC?
M. Mayrand : Selon nous, les entreprises ne devraient exercer aucun contrôle sur le contenu qu'elles distribuent, lorsqu'elles agissent comme câblodistributeurs. En effet, de notre point de vue, il s'agit là d'un des principes fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion. Nous ne voulons pas contrôler le contenu. Nous n'avons absolument pas l'intention de le faire à l'avenir.
Nous nous prononçons sur le contenu seulement dans le cas de notre canal communautaire, car nous produisons des émissions communautaires grâce aux contributions de la collectivité et nous avons un certain contrôle sur ce contenu.
Toutefois, pour ce qui est de la distribution d'à peu près toutes nos émissions de radio ou de télévision par l'entremise de nos systèmes, nous ne sommes que des distributeurs. Notre rôle ne devrait pas consister à vérifier le contenu de nos services, à couper ou supprimer les informations, à apporter des changements ou à exercer des pressions.
Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un problème posé par un service en particulier, comme Al-Jazzera. C'est là notre opinion sans équivoque, et, par ailleurs, le fait de jouer un tel rôle se heurterait à d'énormes difficultés d'ordre pratique.
Le sénateur Carney : Par conséquent, essentiellement, cette règle ne peut être appliquée?
M. Mayrand : Je crois que les faits sont éloquents. Bien entendu, nous n'avons pas lancé Al-Jazzera dans de telles conditions, et je crois qu'aucun câblodistributeur ne l'a fait jusqu'à maintenant.
Le sénateur Munson : Je me dois de paraître tout à fait choqué ce matin.
Ne possédez-vous pas de journal?
Tous les témoins que nous entendons et que nous avons entendus aux quatre coins du pays nous disent que plus l'entreprise est grande, mieux elle se porte, que la propriété médiatique croisée est une bonne chose, qui est bénéfique pour l'économie, qu'il faut que le meilleur gagne, et autres opinions de même nature. Toutefois, je constate d'après votre exposé que vous ne possédez pas de journaux. C'était le cas auparavant.
Cela ne vous rend-il pas la vie difficile dans le monde très concurrentiel des grandes entreprises médiatiques?
M. Mayrand : Je vais commencer par vous répondre, et je crois que M. Carter prendra le relais. Le fait de ne pas posséder de journaux a des répercussions sur la dynamique de nos marchés, en particulier au chapitre des promotions croisées. Il est évident que nous ne disposons pas de la même souplesse que certains groupes pour qui la propriété croisée est aussi importante.
Nous supportons la concurrence dans les domaines de la radiodiffusion et de la distribution de radiodiffusion. J'ai cru comprendre que, selon vous, nous devions remédier à une lacune. Or, notre entreprise telle qu'elle est actuellement réussit à soutenir la concurrence bien que nous ne possédions pas de journaux.
M. Carter : Nous constatons qu'il est possible de créer des partenariats avec des propriétaires indépendants de journaux. D'ailleurs, nous le faisons dans toute la province de Québec avec des propriétaires de magazines ou de journaux qui n'offrent pas de service de télévision ou de service de presse électronique.
Nous pouvons forger des partenariats qui sont bénéfiques pour nous. On peut dire que, dans une certaine mesure, nous sommes en position désavantageuse. Toutefois, en tissant des partenariats novateurs avec d'autres entreprises, nous réussissons à tirer notre épingle du jeu.
Le sénateur Munson : De façon générale, quel est votre point de vue sur la propriété croisée, comme elle existe à Vancouver, par exemple?
M. Mayrand : Il est difficile pour nous de vous parler de la situation à Vancouver, car nous n'avons aucune activité commerciale dans cette ville.
Le sénateur Munson : Je voulais plutôt parler la dynamique du marché, du point de vue du téléspectateur, du lecteur, du consommateur qui veut obtenir toutes sortes d'information dans un seul marché.
M. Mayrand : Si vous le permettez, nous pourrions vous parler de la situation à Montréal, car nous la connaissons mieux.
Le sénateur Munson : Très bien.
M. Mayrand : Vous savez certainement qu'il existe de nombreux cas de propriété croisée à Montréal. Néanmoins, nous constatons qu'il y a encore de nombreuses sources de concurrence, et que le milieu des médias de masse à Montréal, qui comprend la télévision, la radio et les médias imprimés, demeure très concurrentiel et dynamique.
Malgré tout, ce marché comporte d'importants défis et nous sommes confrontés à une concurrence difficile. Nous venons d'ailleurs d'accuser des pertes au chapitre de nos activités de télévision, mais le milieu est et demeure très concurrentiel, qu'il s'agisse du marché francophone ou anglophone.
Toutefois, si la concentration devait s'intensifier à Montréal, on pourrait bien entendu en débattre, mais à l'heure actuelle, il y a beaucoup de concurrence et de nombreuses possibilités.
Le sénateur Munson : C'est un marché qui comporte beaucoup de risques pour les entreprises.
M. Mayrand : Oui, il y a beaucoup de risques.
Le sénateur Munson : Je m'intéresse aux observations contenues à la page 4 de votre exposé. Nous voulons comprendre les témoignages que nous entendons au sujet des services non autorisés de distribution par satellite. Vous dites que nous nous nuisons nous-mêmes.
Quelles sont les recommandations fermes que vous aimeriez nous voir transmettre aux organismes de réglementation afin qu'ils punissent les entreprises qui portent atteinte à un excellent contenu canadien en volant des signaux satellites.
M. Mayrand : Nous souhaitons que les autorités prennent deux mesures. Nous sommes en faveur d'une modification des règles actuelles afin que davantage de choix et d'options soient offerts aux Canadiens qui se tournent vers des services non autorisés, car c'est le seul moyen de recevoir certaines émissions.
Voilà pour le volet réglementaire. Évidemment, il est une question qui a suscité bien des débats : est-il légitime de sanctionner davantage le vol de services et d'imposer des peines plus sévères aux contrevenants tant que persiste une situation qui restreint les choix des Canadiens?
Il faut aborder la question du choix et être à la fois clair et conséquent. En effet, nous devons reconnaître que les choix existent et qu'il faut tenir compte de la propriété intellectuelle et de la valeur du service. Celui-ci doit être financé, et si le client doit payer pour l'obtenir, c'est pour une bonne raison qui est tout à fait légitime. Le vol de ces services, c'est du vol, peu importe l'interprétation qu'on donne à la situation. Par conséquent, il faut que des sanctions crédibles soient prises contre ceux qui volent des signaux satellites, en particulier contre ceux qui font de ce vol leur entreprise.
Je ne crois pas que nous préconisons des sanctions trop sévères à l'encontre des particuliers qui décident de combler eux-mêmes les lacunes en matière d'accès aux services d'une façon qui leur semble adéquate, même si c'est inacceptable. Nous devons surtout viser les entreprises qui se consacrent au vol de signaux. La Chambre des communes a proposé des modifications qui ont pour objet d'améliorer la situation en infligeant des peines plus sévères, en particulier aux personnes qui tirent des profits de cette activité.
Le sénateur Munson : Quelles sont les peines actuelles?
Je devrais le savoir, mais je n'ai pas vu de manchette où l'on indiquait que des personnes se sont vues infliger des amendes de centaines de milliers de dollars à cause du vol de signaux, bien que je continue à voir des petites soucoupes dans toute la ville.
M. Mayrand : Les pénalités sont très minimes et habituellement infligées à ceux qui profitent du vol. Cela ne dépasse pas en général quelques milliers de dollars si bien que cela ne dissuade personne de poursuivre cette activité. C'est là un problème.
Le sénateur Tkachuk : N'est-ce pas la façon dont les câblodistributeurs originaux gagnaient leur vie? Ne volaient-ils pas les signaux aux Américains?
N'est-ce pas ainsi que tout a commencé? C'est la façon dont nos câblodistributeurs ont débuté. Ils volaient les signaux de NBC, CBS et ABC et vendaient aux consommateurs canadiens un produit qu'ils obtenaient gratuitement.
M. Mayrand : Les câblodistributeurs ont débuté à la fin des années 1940 et au début des années 1950. À l'époque, et en particulier dans les régions frontalières du Québec et de la Colombie-Britannique, ils ont commencé à élargir la diffusion d'un certain nombre de signaux, non seulement des signaux américains mais également des signaux locaux.
La structure a évolué de façon à ce que les câblodistributeurs aient maintenant des frais de retransmission à payer pour les signaux éloignés si bien qu'il y a effectivement une forme de paiement. Il s'agissait d'une technologie tout à fait nouvelle et je ne pense pas que nous puissions tirer des leçons des débuts de quelques câblodistributeurs frontaliers en 1949 et 1950.
Le sénateur Tkachuk : Je me permettrais d'avoir un autre avis là-dessus. Dans les années 1960, en Saskatchewan, les câblodistributeurs nous vendaient NBC, CBS, ABC et PBS. Ils faisaient payer les consommateurs ce service et les Américains s'en sont plaints. Lorsque la ville de Nipawin a voulu se doter d'une coopérative de câblodistribution, elle n'y a pas été autorisée. Je ne vois pas la différence entre cette façon initiale d'obtenir des signaux pour mettre sur pied une entreprise de câblodistribution et le fait que les gens captent des informations par satellite.
Quelle est la différence?
M. Mayrand : Il y a une grosse différence parce que les signaux par satellite aujourd'hui sont encodés. L'idée est évidemment de s'assurer que ces signaux sont disponibles dans les régions où les droits ont été achetés et payés. Ce sont les signaux encodés. Au début de la câblodiffusion, les signaux étaient disponibles gratuitement. C'est la grosse différence.
Le sénateur Tkachuk : Merci, désolé de cette interruption.
Le sénateur Munson : Cette relation confortable que vous avez avec la SRC semble bien marcher et vous mettre dans une situation unique. Vous êtes un radiotélédiffuseur privé mais vous avez dit qu'il y avait une place pour la SRC et que vous cohabitiez.
Pourriez-vous nous décrire comment cela fonctionne?
M. Carter : Comme nous l'avons dit, lorsque nous avons acheté le réseau TQS, nous étions déjà des filiales à la fois de TQS et de la SRC dans les régions de Sherbrooke, de Trois-Rivières et du Saguenay.
Au moment de cette acquisition, la SRC et un certain nombre d'organes publics s'inquiétaient que nous ayons une seule salle de nouvelles pour servir deux réseaux différents. Nous nous sommes donc entendus avec la SRC pour qu'elle ait ses propres employés sous notre toit. Elle réalise ses émissions d'actualités avec ses propres employés. Nous partageons les locaux de la production et la radiotélédiffusion de ces actualités. Cela marche bien depuis quatre ans et les salles de nouvelles sont totalement indépendantes. Nous avons la salle de nouvelles de TQS et il y a la salle de nouvelles de la SRC. Elles ne partagent absolument pas les informations ni rien d'autre. Elles sont très rigoureuses et fières de leurs émissions respectives et ne veulent rien partager l'une avec l'autre. Cela fonctionne bien.
Le sénateur Munson : Est-ce le même syndicat pour les employés?
M. Carter : Non, ce sont des syndicats différents, sauf pour les employés que nous partageons pour la réalisation et la diffusion. Pour la salle des nouvelles, les journalistes et les caméramans de reportage, il s'agit de syndicats différents.
M. Mayrand : Les choses sont organisées ainsi pour veiller à ce qu'après notre acquisition du réseau TQS, dans les trois régions où il y a « exploitation de réseau jumelée », la programmation de nouvelles et les sources de nouvelles puissent demeurer différentes. Cette formule a permis de maintenir la diversité des sources dans ces régions.
La présidente : Voulez-vous parler des actualités locales ou de toutes les actualités?
M. Carter : Il s'agit surtout des actualités locales, mais une partie des reportages aboutissent aussi sur l'alimentation réseau.
M. Mayrand : Il s'agit de la SRC pour eux et de TQS pour nous.
Le sénateur Munson : Très bien.
[Français]
La présidente : Pourquoi avez-vous choisi de vendre les journaux? Mon collègue disait que cela va à l'encontre de la tendance générale qu'est la convergence.
M. Mayrand : Nous n'avons pas réussi à dégager de fortes synergies entre les journaux hebdomadaires et, par exemple, nos propriétés de radio. C'était au début des années 90, au tout début de la vague de convergence et nous croyions pouvoir dégager des synergies. Nous ne les avons pas trouvées de façon substantielle. Nous nous sommes retrouvés dans une situation où d'autres joueurs étaient en mesure d'avoir de meilleures synergies. Par exemple pour un imprimeur, la synergie est assez évidente. C'est pourquoi nous avons vendu nos hebdomadaires à G.T.C. Groupe Transcontinental.
La présidente : Vous ne l'avez pas regretté?
M. Mayrand : Nous n'avons pas eu le temps de regretter quoi que ce soit. Nous continuons toujours à nous tourner vers l'avenir.
La présidente : J'ai trouvé très intéressantes vos remarques sur le système de réglementation et sur la Loi sur la compétition. Vous dites que les exigences de la politique pour la concurrence doivent être clarifiées, entre autres pour les marchés. J'imagine que vous parliez de la définition des marchés. Voilà une des questions les plus difficiles dans ce domaine. Avez-vous des précisions à nous donner sur votre opinion de la définition des marchés?
M. Mayrand : Il nous serait difficile de vous donner un exposé détaillé de ce que nous comprenons comme étant des marchés pertinents. Nous pouvons cependant vous dire que de plus en plus — vous l'avez sans doute constaté lors de vos analyses antérieures —, le marché des communications au Canada offre des services groupés, c'est-à-dire qu'il offre des services de distribution de radiodiffusion, des services d'accès Internet, des services téléphoniques filaires et dans certains cas, des services téléphoniques mobiles. Plus nous avançons dans la dynamique de ce marché concurrentiel, plus nous avons des offres groupées de services. La façon dont les autorités ou le CRTC ont examiné les problèmes de concurrence a toujours été jusqu'à maintenant, service par service, entreprise par entreprise, et parfois dans des régions données. Il y a clairement un changement important. Il serait important pour nous de comprendre comment devraient s'établir les critères de concurrence, de dominance et de poids excessif de marché dans un environnement où il y a ces offres groupées de services. Selon nous, il doit y avoir un changement de philosophie à cet égard. Comment cela s'articulera-t-il de façon précise? Je ne suis pas en mesure de vous donner un exposé détaillé à ce sujet.
La présidente : Vos résultats financiers ne sont pas ce que vous auriez souhaité dernièrement. Si j'ai bien compris, c'est à cause de TQS. Vous dites que TQS subit une mauvaise concurrence dans deux sens presque opposés. D'une part, les services spécialisés attirent des revenus publicitaires et d'autre part, les réseaux de télévision conventionnels ont amélioré leur contenu. J'ai trouvé cette remarque assez intéressante. Vous vous trouvez coincés. Y a-t-il une solution pour la chaîne numéro trois d'un marché?
M. Carter : Nous croyons qu'il y a des solutions. La télé spécialisée dans le marché québécois retient 30 p. 100 de l'écoute télévisuelle des Canadiens français ou des Québécois francophones. Nous sommes partis presque à zéro, en 1986 lors des premières licences et nous sommes maintenant rendus à 30 p. 100. Pendant tout ce temps, l'écoute de la télévision généraliste a diminué, elle est passée de 90 p. 100 à 60 p. 100.
L'écoute de la télé spécialisée, quant à elle, est stable depuis quelques années. Elle a deux sources de revenus, contrairement à la télé généraliste qui n'en a qu'une. La télé spécialisée reçoit des distributeurs des paiements forfaitaires mensuels et vend de la publicité de la même façon que la télé généraliste alors que cette dernière n'a que la publicité. Compte tenu de la dualité des sources de revenus de la télé spécialisée, elle est en mesure, encore aujourd'hui, de vendre sa publicité beaucoup moins chère que la télévision généraliste.
Du côté de la télévision généraliste, il y a eu des pressions à la baisse sur la tarification, mais évidemment, nos heures d'écoute ont diminué. Nous sommes donc dans une situation où nos inventaires sont vendus complètement ou presque. La seule façon d'augmenter nos revenus est d'augmenter nos auditoires.
Récemment, la Société Radio-Canada a été particulièrement agressive en mettant en ondes une programmation plus populaire comme Les Bougons et Tout le monde en parle. Nous pouvons en nommer d'autres qui ont attiré des auditoires importants. À la Société Radio-Canada, nous ne voyons plus Les beaux dimanches. La SRC s'est tournée vers une programmation beaucoup plus populaire et elle a ainsi attiré des inventaires substantiels en ajoutant des coûts de programme importants à sa grille. TVA, qui est le leader du marché, tente de garder ses auditoires en injectant beaucoup d'argent dans sa grille-horaire.
Nous, le mouton noir, nous devons nous faufiler entre les deux gros. Il faut se le dire que les moyens sont complètement différents. Toutefois, il y a une place pour une télé comme la nôtre, une télé audacieuse qui fait les choses de façon différente et nous allons y arriver.
En ce qui concerne les résultats financiers, les résultats opérationnels comme tels vont avec les budgets. Cependant, les règles comptables sont tellement strictes que dès qu'il y a apparence de baisse de revenus à l'horizon, la valeur des actifs intangibles doit être révisée à la baisse. C'est ce qui est arrivé au dernier trimestre.
La présidente : Je voulais simplement comprendre la situation, je ne voulais pas faire d'accusation.
Vous prônez une augmentation de la concurrence, de la liberté de fonctionnement dans le secteur privé, partout sauf dans le cas de ce que vous appelez le « vol des signaux de distribution satellite ». N'y a-t-il pas une contradiction?
M. Mayrand : Je ne crois pas. Avec respect, si l'État nous dit que c'est la liberté absolue dans la radiodiffusion, il y aura des changements fort dramatiques, même chaotiques, mais une chose est certaine, ce sera la liberté totale pour tous et égale pour tous.
Dans l'état actuel des choses, nous avons des obligations financières envers le système de radiodiffusion canadien. Nous payons des droits de licence, des droits de télécommunication. Nous sommes tenus de contribuer au système canadien alors que les services de satellite étrangers ne le sont pas. Je ne pense pas qu'il y ait de dichotomie.
Nous disons qu'au sein du système canadien, la concurrence peut jouer un rôle accru; au sein des industries de communication en général, la concurrence peut et devrait jouer un rôle accru au Canada. Maintenant, assurons-nous que les règles qui régissent la réglementation du secteur de la radiodiffusion soient appliquées conformément à l'intention du législateur.
Si l'intention est de faire autre chose avec notre système de radiodiffusion, qu'on se le dise et que les règles soient modifiées en conséquence. Toutefois, ce qui est injuste, et ce n'est pas de la concurrence juste et durable, c'est de permettre à certains joueurs de se passer de règles, d'être complètement exempts de règles, et d'astreindre d'autres à toute une série d'obligations, y compris celle de faire renouveler leur licence, d'augmenter leurs engagements envers la programmation, de desservir les collectivités locales, de contribuer aux fonds de production de programmation, et cetera. Il y a un problème.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Je voudrais reprendre dans la même veine que le sénateur Carney et le sénateur Fraser à propos du Bureau de la concurrence et du CRTC. Vous expliquez dans votre rapport que le CRTC devrait participer à l'élaboration de la politique sur la concurrence, mais il y a aussi le Bureau de la concurrence qui s'occupe des journaux et il y a des stations de télévision qui sont propriétaires de journaux et vice versa.
Selon vous, le CRTC devrait-il régir toute la concurrence entre la télévision, la radio et les journaux?
Y aurait-il un problème si le Bureau de la concurrence s'occupait de toutes les questions de concurrence des entreprises canadiennes au Canada?
M. Mayrand : Selon nous, il est plus logique que le CRTC s'occupe de faire respecter la politique en matière de concurrence par tous les médias de radiodiffusion tant qu'il existe un régime statutaire particulier pour la radiodiffusion.
Selon nous, il est plus logique que le CRTC s'occupe des questions de concurrence quand elles touchent la radiodiffusion ou les communications électroniques.
La situation est différente pour les médias écrits. Dans le passé, c'est le Bureau de la concurrence qui s'est occupé des problèmes touchant les médias autres que les médias de radiodiffusion et il me semble qu'il continuerait de le faire.
Le sénateur Tkachuk : Le CRTC et le Bureau de la concurrence sont parfois tous deux en cause. Si une station de télévision occupe une position dominante dans une ville, elle peut être propriétaire de tous les journaux de la ville ou peut-être même de la province, ce qui veut dire que le Bureau de la concurrence et le CRTC s'en mêleront.
M. Mayrand : En effet, si les médias de radiodiffusion sont en cause.
Dans certains pays, les rapports entre l'organisme qui régit la concurrence et celui qui régit les communications font l'objet d'un mécanisme de consultation permanent officiel. C'est ce qui se fait au Royaume-Uni. Ofcom et les organismes qui régissent la concurrence peuvent très bien se rencontrer pour discuter des questions reliées à la concurrence. Ce n'est pas le cas maintenant au Canada.
Le sénateur Carney : Je voudrais examiner certaines des questions dont vous parlez à la page 3 de votre mémoire. Vous dites :
Du côté du secteur privé, laissons les sources et les canaux d'information proliférer le plus possible au Canada.
Ensuite, vous décrivez un monde idéal où il y aurait très peu de régimes de réglementation parce que ceux-ci limitent les choix selon vous, et vous avez raison sur ce point. Ensuite, vous nous dites qu'il faudrait accueillir la distribution de l'information étrangère. Je ne sais pas ce que vous voulez dire au juste.
Vous dites plus loin que nous devons nous passer des formules réglementées pour les services de télévision spécialisée, ce qui nous mènerait à la vidéo sur demande où les gens pourraient visionner l'information qu'ils souhaitent par n'importe quel moyen.
Pourtant, les radiodiffuseurs utilisent une ressource publique, n'est-ce pas? Ils utilisent des fréquences et des canaux qui appartiennent au public.
Vu que le CRTC octroie l'autorisation d'utiliser la ressource publique, pensez-vous que ce sera encore nécessaire à l'avenir?
On ne peut pas simplement octroyer l'utilisation illimitée de la ressource publique parce que cette ressource est restreinte.
M. Mayrand : Pour répondre à votre question, sénateur Carney, il faut d'abord déterminer ce qui constitue une ressource publique.
Je suis bien d'accord qu'on doit attribuer des bandes de fréquence quand des émissions sont transmises sur les ondes. On ne peut pas autoriser n'importe qui à se servir d'une fréquence donnée parce que cela causerait le chaos. La Cour d'appel fédérale est en train d'examiner toutes ces questions dans l'affaire Genex Communications, qui met en cause une station de radio qui a perdu sa licence il y a quelque temps. La Cour d'appel fédérale déterminera dans quelle mesure il existe un facteur d'attribution des bandes de fréquence qui permet au CRTC de régir le contenu des émissions.
De toute façon, il s'agit de fréquences hertziennes. La question se présente un peu différemment dans le cas des ressources sur large bande qui sont linéaires. Ces ressources sont déployées par de grandes entreprises du secteur privé aux frais de leurs actionnaires. Ces installations représentent un investissement massif. Elles ont une très grande capacité et servent notamment à Internet. Je ne pense pas qu'il existe le même type de restrictions dans ce cas-là.
Les offices de réglementation au Canada ont décidé de ne pas réglementer dans le cas des nouveaux médias et d'Internet, et ce, parce qu'il ne semble pas exister les mêmes problèmes d'attribution de ressources restreintes dans leurs cas.
Le sénateur Carney : Voulez-vous dire que le fait d'avoir un accès illimité à Internet nous a fait perdre la propriété d'une ressource publique ou notre capacité de contrôler cette ressource?
Cela veut-il dire que cette ressource n'est plus publique?
M. Mayrand : Je préfère une autre façon d'envisager la question. Je dirais que la ressource publique qui était auparavant le principal facteur dans le domaine des communications électroniques joue un rôle de moins en moins important dans le domaine des communications.
Le sénateur Carney : Pouvez-vous nous dire quelle sera la conséquence de la vidéo sur demande sur la structure actuelle de la programmation?
M. Mayrand : À titre de câblodistributeur, nous fournissons des services de vidéo sur demande. Le contenu de ces services est encore relativement incomplet. Je ne pense pas que nous ayons bien exploré les possibilités de la vidéo sur demande. Pour l'instant, on y passe surtout des films. Certaines émissions de télévision sont maintenant disponibles sur demande, mais il y a surtout des films.
Le sénateur Carney : Je devrais vous dire ce que j'entends par vidéo sur demande. Je veux parler de la possibilité de visionner le championnat de curling des hommes la semaine dernière à Victoria quand je veux le faire et non pas nécessairement à l'heure où cela passe en ondes.
Vous dites que ce service est encore à ses débuts, mais pensez-vous que cela influera sur la programmation à l'avenir?
M. Mayrand : Tout à fait. Nous envisageons le moment où les consommateurs commanderont, visionneront, et entreposeront des documents vidéo à partir de bases de données. Ils auront accès aux bases de données de divers endroits dans le monde et pourront enregistrer ces vidéos dans la mesure où on leur accordera les droits d'entreposage. Ils pourront transporter ces vidéos dans des appareils portatifs.
Le sénateur Munson : J'ai quelques brèves questions à vous poser. Je vois que vous êtes propriétaire de stations de radio.
M. Mayrand : En effet.
Le sénateur Munson : Sont-elles rentables?
M. Carter : Nous en avons trois qui viennent d'être lancées et qui ont tout juste obtenu leurs licences. Nous avons une station très populaire à Montréal et une autre à Québec qui a connu des hauts et des bas au cours des années.
Le sénateur Munson : Quel genre de ressources consacrez-vous à l'obtention de nouvelles?
Je pose la question parce que, depuis 10 ou 15 ans, certains témoins sont venus nous parler de la radio à prépondérance verbale et des émissions de ligne ouverte. Ce type d'émission joue un rôle important en démocratie parce qu'il permet au public de donner son avis, mais je ne vois pas ce que cela a à avoir avec les actualités. Il y avait jadis bon nombre de journalistes sur la colline et bien des journalistes qui assistaient aux réunions publiques, aux réunions des conseils de ville, et cetera.
À votre avis, vos auditeurs obtiennent-ils d'aussi bonnes nouvelles locales radiophoniques qu'auparavant?
Dépensez-vous assez d'argent pour vous assurer que les membres du public savent ce qui se passe dans leurs propres localités?
M. Carter : Parmi nos stations radiophoniques, il y a un réseau de musique pour adultes qui offre aussi de brèves actualités que nous achetons de Broadcast News. Nous avons aussi des reporters locaux qui s'occupent surtout des événements artistiques et d'émissions de variétés.
Il y a une station à Québec qui s'occupe davantage d'affaires publiques, où nous avons plus de journalistes locaux, de débats et de lignes ouvertes, mais la radio a changé depuis l'époque des émissions d'actualités de la radio à modulation d'amplitude. Nous offrons surtout de la musique et des divertissements plutôt que des actualités, sauf pour une de nos stations qui met l'accent sur les personnalités.
Le sénateur Munson : La radio a évolué, mais est-ce une bonne chose?
M. Carter : Vous pouvez obtenir les actualités de diverses façons. Vous pouvez le faire directement sur Internet. Vous pouvez les obtenir de CPAC. Il y a aussi les journaux locaux, qui n'existaient pas à l'époque. Si vous voulez des informations, vous pouvez en obtenir, pas nécessairement seulement à la radio, mais ailleurs aussi.
M. Mayrand : J'ajoute qu'il y a aussi des stations de radio qui diffusent uniquement des actualités. La radio d'information existe dans certains de nos marchés. Il y a donc un service qui est concentré sur l'actualité. C'est un autre choix qui permet aussi d'attirer ceux qui veulent plus d'actualités.
Le sénateur Munson : Il faut commencer quelque part. Vous avez parlé de Broadcast News, mais ce sont des informations d'ailleurs. La radio de l'information est une chose locale. Où les jeunes reporters peuvent-ils faire leurs preuves si ce n'est pas dans un petit marché local, qui est maintenant devenu le marché de stations de diffusion MF, qui sont maintenant très différentes de ce qu'elles étaient?
Pour ma part, il me semble que le public ne reçoit pas suffisamment de nouvelles locales et qu'il n'y a pas suffisamment de reportages sur les questions d'intérêt local.
M. Carter : Nos stations de télévision font des reportages plus approfondis tous les jours dans les marchés plus petits et même dans les marchés plus importants.
Certains types d'émissions de radio sont concentrés sur les informations. Ce ne sont pas toutes les stations de radio qui donnent des informations, mais la télévision offre de très bonnes émissions d'actualités.
Le sénateur Carney : Je voudrais poser une question qui découle de celle du sénateur Munson et qui porte sur la radio numérique. Est-ce l'expression appropriée? Si je me rappelle bien, le CRTC a attribué des droits depuis environ un an pour la radio numérique, mais personne ne semble avoir réalisé de bénéfices dans ce domaine.
M. Carter : C'est exact. Nous avons une licence pour diffuser en DAB, mais nous n'avons pas installé le matériel de diffusion encore parce qu'il n'existe pas suffisamment de syntoniseurs pour capter le signal dans les automobiles ou les maisons. Il y a quelques radiodiffuseurs numériques, mais presque aucun syntoniseur. J'ignore ce qui va se passer.
D'autres groupes ont présenté des propositions pour la distribution de signaux radio par satellite ou par DAB. CHUM et Astral ont proposé un nouveau genre de radio par abonnement, mais nous ne savons pas encore ce que le CRTC décidera à ce sujet.
Le sénateur Carney : Pouvez-vous nous définir ce qu'est DAB?
M. Carter : Il s'agit de radiodiffusion numérique selon le système mondial Eureka 147, qui est utilisé dans d'autres pays du monde, mais qui n'est pas accepté par les États-Unis. Le Canada et les États-Unis ont des idées divergentes au sujet de la radio numérique, ce qui cause un problème parce que les fabricants d'automobiles américaines sont prêts à installer des décodeurs de type américain, mais pas de décodeurs de type canadien.
Le sénateur Carney : Cela vise-t-il simplement à donner plus de choix aux auditeurs?
Que représente la radio numérique?
M. Carter : La radio numérique améliore la qualité de son et permet d'ajouter des services accessoires pour ceux qui ont les décodeurs appropriés.
Le sénateur Carney : Quels services accessoires?
M. Carter : En plus des émissions de musique, on pourrait capter de l'information sur la circulation routière, par exemple, ou sur la météo.
La présidente : Les cours boursiers, les résultats sportifs, n'importe quoi.
Le sénateur Carney : J'ai bien hâte de voir cela.
Le sénateur Eyton : Mon avion avait du retard ce matin et je m'en excuse. Je n'ai pas entendu votre exposé. J'y ai jeté un coup d'œil, mais je vais me contenter de poser quelques questions que personne d'autre n'a posées jusqu'ici, j'imagine.
D'après votre documentation, votre société mère est cotée à la Bourse de Toronto ainsi que la compagnie de câblodistribution. Je voudrais savoir quel a été le cours de vos actions en bourse et ce que le fait d'être cotées à la Bourse de Toronto a voulu dire pour vos deux entreprises.
M. Mayrand : C'est une question très vaste.
Le sénateur Eyton : Quand ont-elles été cotées en bourse et à quel prix? Quel est le prix des actions maintenant?
M. Mayrand : Si je ne m'abuse, le prix des actions de Cogeco Cable est maintenant de 26,17 $ et celui de Cogeco Incorporated, la société mère, de 24 $. Oui, je détiens moi-même des actions. Sénateur Eyton, la première compagnie à être cotée en bourse a été Cogeco Inc. en 1985. La filiale de câblodistribution a été cotée en bourse en 1993. Le prix des actions des deux compagnies a varié beaucoup depuis. Le prix des actions de Cogeco Inc. était de 7,50 $ en 1985, quand M. Carter était vice-président des Finances.
Le sénateur Eyton : Il s'agit selon moi de deux compagnies distinctes parce que la compagnie de câblodistribution offre un service particulier et l'entreprise de communication en un sens aussi.
Quelles sont les entreprises auxquelles vous pouvez vous comparer au Canada? À quelles compagnies vous comparez-vous pour évaluer la performance de vos actions d'un jour à l'autre.
M. Mayrand : Pour notre câblodistributeur, nous nous comparons d'habitude aux autres principaux câblodistributeurs du Canada, c'est-à-dire Rogers, Shaw et Vidéotron. Pour la radiodiffusion, ce sont les autres principaux télédiffuseurs comme TVA et, dans certains domaines, la SRC.
Le sénateur Eyton : Les deux compagnies ont-elles une perspective commune relativement à la politique? Leur politique est-elle coordonnée? Y a-t-il des rencontres pour déterminer la politique publique et s'entendre sur une approche commune?
M. Mayrand : Les deux compagnies ont le même PDG. Cependant, elles ont chacune leur propre conseil d'administration. Il n'existe pas vraiment de mécanisme particulier pour discuter de questions de politique. Il peut arriver que la compagnie de câble ait des opinions quelque peu différentes de la société de portefeuille et de certaines filiales de radiodiffusion. Dans l'ensemble, la société de portefeuille, Cogeco Inc., a le même groupe de gestion et le même PDG que Cogeco Cable. Les deux compagnies connaissent leur rôle et savent comment évoluer compte tenu de la loi et de la réglementation.
M. Carter : J'ajoute que la compagnie de câblodistribution est membre de l'ACTC et que la compagnie de radiodiffusion est membre de l'ACR. Nous discutons de nos décisions générales de politiques et des mémoires ou propositions que nous faisons au gouvernement ou au CRTC avec les autres membres de l'industrie.
Le sénateur Eyton : De façon générale, vos opinions et votre attitude à l'égard de la politique publique devraient donc être relativement uniformes. Avez-vous la même perspective des deux côtés?
M. Carter : Nous avons de bonnes discussions avec nos homologues lors de réunions du conseil et de comités. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais c'est ainsi que fonctionne la démocratie.
Le sénateur Eyton : Nous avons entendu des témoins des deux industries, mais l'ACR reflète le point de vue de ses membres.
M. Carter : Oui, l'ACR consulte ses membres.
Le sénateur Tkachuk : Je peux comprendre pourquoi les câblodistributeurs ou les fournisseurs de signaux satellites regroupent certains produits comme les films. Cela fait-il partie de votre mandat ou faites-vous vos propres choix pour les 55 premiers canaux, comme CBC, NBC, Newsworld, et cetera? Comment faites-vous les regroupements?
M. Mayrand : Plusieurs facteurs sont en cause, sénateur. D'abord, comme compagnie de câble, nous devons respecter certaines règles de distribution prioritaire.
Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous en donner un exemple au comité?
M. Mayrand : Nous devons fournir la plupart des signaux conventionnels et les services de télévision disponibles dans notre secteur de service. À cela s'ajoutent d'autres services, y compris CPAC. Nous devons distribuer certains signaux en priorité. Ordinairement, c'est ce qui a déterminé notre service de base.
Il y a ensuite la technologie dont disposaient les compagnies de câble quand les premiers services spécialisés sont apparus. Cette technologie comprenait des dispositifs analogiques pour bloquer certains signaux et permettre à d'autres de passer pour ceux qui décidaient d'acheter des services supplémentaires.
C'est une technologie relativement difficile à manipuler parce que le nombre de canaux devait rester le même une fois qu'il était fixé et déployé. Il est donc difficile de changer ces canaux.
Le sénateur Tkachuk : Que payez-vous à CBC Newsworld? Que payez-vous au Québec? Que payez-vous au Canada anglais?
M. Mayrand : Nous ne pouvons malheureusement pas divulguer les montants que nous versons. Il existe des clauses de confidentialité dans nos contrats.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce vrai?
M. Mayrand : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Leur donnez-vous plus d'argent qu'à CTV?
M. Mayrand : Je ne peux vraiment pas vous le dire.
Le sénateur Tkachuk : Si je veux acheter le service, je vais m'adresser à la compagnie de câble Shaw, qui me fera payer 9 $ pour le service. Pour avoir tous les services que je veux, je devrai en acheter dont je ne veux pas, mais j'achète néanmoins le service complet.
Ne pouvez-vous pas me dire ce que vous payez à ces fournisseurs?
M. Mayrand : Je ne peux pas divulguer les montants précis, mais je peux vous dire que, au niveau du détail, le montant que vous payez pour une catégorie donnée de services discrétionnaires reflète les montants des droits qui doivent être versés pour les divers services que comprend cette catégorie. Les droits peuvent varier selon que les services offerts sont disponibles dans la première, deuxième ou troisième catégorie de services et des coûts que représente la fourniture du service.
Le sénateur Tkachuk : Je ne me plains pas que vous regroupiez les services parce que je crois en la libre entreprise. Vous pouvez vendre vos produits comme vous le voulez parce qu'il y a de la concurrence et que des compagnies de télévision par câble offrent les mêmes produits. En Saskatchewan, il y a aussi SaskTel. Il y a donc beaucoup de concurrence.
Votre mandat vous oblige-t-il à fournir CBC Newsworld? Devez-vous l'ajouter à un groupe de services? Doit-il être inclus dans une certaine catégorie?
M. Mayrand : Nous devons fournir accès à CBC Newsworld. Cela ne représente pas un problème.
Le sénateur Tkachuk : D'accord, mais est-ce prévu dans votre mandat?
M. Mayrand : Ce n'est pas un service obligatoire comme tel. Il s'agit d'un service discrétionnaire, mais nous devons donner accès à ce service.
Le sénateur Tkachuk : Je dois donc payer pour le service.
M. Mayrand : Cela dépend de la façon dont l'offre votre fournisseur de services.
Le sénateur Tkachuk : Donc, si je veux CBC, ABC, NBC, CBS, j'obtiens aussi Newsworld. Je n'ai pas le choix. Newsworld vient avec les autres services. Il n'est pas offert séparément.
La présidente : Certains trouvent que c'est un bon groupe de services.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas ce que je disais. Je voulais savoir comment d'autres peuvent entrer sur le marché. Peuvent-ils réaliser des bénéfices? Pouvons-nous avoir cinq types de canaux au Canada? Comment seraient-ils regroupés? Le service est-il obligatoire? Je ne voulais pas m'attaquer à Newsworld. Nous n'avons que deux canaux de ce genre et un seul Newsworld. C'est pourquoi je soulève la question. Le canal de CTV ne donne que les grands titres. Il ne peut même pas le faire ou a-t-il obtenu l'autorisation voulue?
Le sénateur Munson : Pas encore.
Le sénateur Tkachuk : CTV n'a pas encore l'autorisation. Nous n'avons qu'un seul canal de nouvelles. C'est pour cela que je demande comment un nouveau canal peut arriver sur le marché et devenir concurrentiel.
Vu que CBC est le seul canal à cause du monopole qui existe au Canada, je voudrais savoir comment nous pouvons obtenir davantage de services sur le marché pour ne pas être obligés d'aller acheter FOX, NBC et CNN aux États-Unis.
Il me semble que ce serait utile de le savoir vu ce que nous essayons de faire. Pouvez-vous m'aider?
M. Mayrand : Je comprends votre point de vue. Vous voulez dire que les réseaux de radiodiffusion au Canada ne devraient pas prescrire les services distribués et la mesure dans laquelle ils sont offerts aux Canadiens.
Je croyais qu'un des aspects que ce comité étudiait était l'accessibilité des services. D'après moi, cela inclut nos services canadiens.
Je vous soumettrais qu'il devrait y avoir un équilibre raisonnable entre l'accessibilité facile de nos services à tous les Canadiens, ainsi que l'accessibilité plus facile aux services étrangers.
Le sénateur Tkachuk : Ce serait le meilleur des deux mondes, n'est-ce pas?
[Français]
La présidente : Monsieur Carter, monsieur Mayrand, merci beaucoup, ce fut extrêmement intéressant et vraiment très utile pour nous. Nous regrettons l'absence de M. Audet, mais vous l'avez très bien représenté.
[Traduction]
Sénateurs, après la levée de la séance, je demanderais aux sénateurs et aux membres du personnel de rester encore cinq minutes pendant que les membres du public quittent la salle. Ensuite, je vais tenir une réunion de cinq minutes avec le comité de direction. Ceci met fin à la réunion officielle du comité.
La séance est levée.