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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 16 - Témoignages


HALIFAX, le mercredi 20 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 5 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures pertinentes à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous continuons notre étude des médias d'informations et le rôle que l'État devrait jouer, pour aider les médias à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des changements qui ont bouleversé ce domaine au cours des dernières années. Je parle notamment de la mondialisation, des changements technologiques, de la convergence et de la concentration de la propriété.

Nous sommes toujours à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et nous visitons toutes les régions. Nous avons déjà visité les autres régions du Canada. Nous sommes depuis hier en Nouvelle-Écosse, avant-hier nous étions à Terre-Neuve et demain nous serons au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Ce matin, nous avons la chance d'accueillir le professeur Michael Cobden, professeur Maclean Hunter de journalisme à l'Université King's College.

Merci beaucoup d'être venu, professeur Cobden. Vous avez la parole.

M. Michael Cobden, professeur Maclean Hunter de journalisme, École de journalisme, Université King's College, témoignage à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant votre important comité. Je commencerai par répondre à la principale question que vous avez posée avant de passer à ce que je veux vraiment vous dire.

Est-ce que j'estime que la politique publique doit être rajustée à la lumière des nombreux changements qui ont touché les médias d'information ces dernières années? Oui. Toutefois, ayant couvert les travaux du comité Davey pour le Toronto Star et ceux de la Commission Kent pour le Whig-Standard, et après avoir vu les idées de la Commission Kent, très bonnes et très inspirées, étouffées par les propriétaires et rédacteurs en chef des quotidiens canadiens, je ne suis pas convaincu que les Canadiens — le public, les propriétaires de médias d'information, les journalistes, les gens d'affaires et les investisseurs — aient la volonté d'appuyer les modifications importantes qui devraient être apportées à la politique gouvernementale sur les médias. Je ne veux pas dire que cela ne peut pas être fait, que cela ne sera jamais fait ou que cela ne devrait pas être fait; simplement, ce n'est pas ce que j'espère à l'heure actuelle. Je m'intéresse davantage à ce que les facultés de journalisme peuvent faire pour améliorer la capacité et la volonté de leurs diplômés de changer le journalisme pour le mieux.

Par conséquent, si vous me le permettez, c'est de ce sujet que je voudrais vous entretenir ce matin. Par la suite, je pourrai faire quelques remarques sur vos autres questions et nous pourrons avoir une petite discussion.

À l'heure actuelle, je travaille à une étude sur l'enseignement du journalisme se fondant sur la prémisse selon laquelle les écoles de journalisme doivent assumer une part de responsabilité pour la qualité du journalisme offert au public. Cela peut sembler évident mais on l'oublie souvent. Chaque année, il me semble — je ne connais aucune étude exhaustive qui a été menée à ce sujet au Canada — que de plus en plus d'employés des salles de nouvelles sont diplômés d'écoles de journalisme. Quand je travaillais au Toronto Star, très peu de journalistes avaient fréquenté une école de journalisme. Je dirais que maintenant, la majorité d'entre eux sont diplômés d'une école de journalisme et qu'il en va de même dans tous les médias grand public ainsi que dans les autres médias qui sont si importants au pays, surtout les hebdomadaires, la presse alternative et les autres.

J'estime que dans certaines conditions, des conditions importantes, je le reconnais, tout journaliste peut faire du bon journalisme, peu importe à qui appartient le journal, le magazine ou l'entreprise de radiodiffusion. La première de ces conditions est le contrôle qu'exerce le propriétaire sur le genre de nouvelles couvertes et la façon dont elles sont couvertes et présentées. Nous pourrons y revenir dans un moment, mais il est évident que si le propriétaire exerce ce contrôle sur la salle de nouvelles, cela aura une incidence sur la qualité du journalisme.

Deuxièmement, le contrôle qu'exerce le propriétaire sur le nombre d'employés, qui a une incidence sur le temps que chaque journaliste peut consacrer à ses reportages et sur le temps que les rédacteurs peuvent consacrer à la planification et, en bout de ligne, sur la qualité du journalisme. Cela comprend le contrôle qu'exerce le propriétaire sur les compétences des employés.

Troisièmement, les pressions qu'exerce le propriétaire sur les gestionnaires pour qu'ils publient le matériel produit par les autres entreprises du propriétaire, que ce soit dans le même médium ou dans un autre.

C'est beaucoup d'éléments à prendre en compte et nous pourrions entrer dans les détails si vous le souhaitez, mais il me semble que dans ces conditions, il est possible de faire du bon journalisme. Je lis en ce moment un livre dont l'auteur est une journaliste chinoise du nom de Xinran. Dans sa traduction en français, ce livre s'intitule : Chinoises. Xinran a travaillé à la radio d'État chinoise à la fin des années 1980. Pendant longtemps, elle a voulu améliorer le sort des Chinoises et a finalement obtenu l'autorisation d'animer une tribune téléphonique à la radio. Cette émission, Les mots que souffle la brise nocturne, était rigoureusement censurée par le gouvernement. Néanmoins, elle a suscité de nombreux témoignages émouvants de femmes chinoises qui tentaient d'améliorer leur sort en dépit du conflit civil et des nombreuses restrictions imposées par la société.

Cette émission disait — et je le répète moi-même souvent — : « Sans démocratie, pas de journalisme. Sans journalisme, pas de démocratie. » Je crois à ce principe; néanmoins, selon la plupart des définitions, le travail de gens comme Xinran est du journalisme, et du journalisme très efficace.

Je suis originaire d'Afrique du Sud et j'ai travaillé au Rand Daily Mail avant mon arrivée au Canada, à la fin des années 1960. Le Rand Daily Mail n'existe plus, mais il a été le premier journal anti-apartheid d'Afrique du Sud. C'était le quotidien de langue anglaise de Johannesburg. À l'époque, l'Afrique du Sud était loin d'être une démocratie. Pourtant, je crois que la plupart de ceux qui ont étudié ce qui se publiait dans les journaux concéderaient que le journalisme qui se pratiquait à l'époque au Rand Daily Mail était de qualité supérieure. Il était certainement utile et a contribué à établir les fondements des changements qui se sont produits plus tard en Afrique du Sud.

Par conséquent, si Xinran peut le faire en Chine, il me semble que les journalistes peuvent faire du bon journalisme au Canada en dépit des restrictions que leur imposent leurs propriétaires. Ils ne peuvent peut-être pas tout faire, mais ils peuvent faire beaucoup. Si les diplômés des écoles de journalisme constituent la majorité des employés des journaux et entreprises de radiodiffusion, les écoles qui ont formé ces journalistes doivent assumer une part de responsabilité pour la qualité du journalisme ainsi produit. Je ne parle pas seulement en particulier de ma propre école de journalisme. Mais si, par exemple, l'École de journalisme de King's College critique la qualité du journalisme des deux journaux de Halifax, elle devrait reconnaître qu'une proportion importante, probablement plus de 70 p. 100 environ, des journalistes de ces deux journaux sont des diplômés de King's College et que, par conséquent, l'école doit assumer sa part de responsabilité pour le travail de ces journalistes. Inversement, si elle juge ce travail de qualité, je crois qu'elle peut prendre une part du crédit.

Les écoles de journalisme ont une part de responsabilité à assumer non seulement dans la façon dont elles forment les journalistes, mais aussi dans le rôle qu'elles jouent à titre de critique du journalisme et des médias. Elles doivent aussi assumer une responsabilité concernant le choix des étudiants et la façon dont elles les guident dans leur cheminement. C'est aussi vrai en ce qui a trait à la formation continue des journalistes et des cadres des entreprises médiatiques.

Voilà où je voulais en venir. Permettez-moi maintenant de vous dire quelques mots de l'étude que je mène en ce moment et de ce qui m'intéresse plus particulièrement dans cette étude. Puis, si vous le souhaitez, je répondrai à vos questions.

Mon étude se fonde sur la prémisse voulant que le journalisme soit un travail intellectuel particulièrement exigeant. C'est un défi considérable puisque le journaliste doit assimiler très rapidement une situation peu familière, la comprendre assez bien pour pouvoir ensuite en parler avec autorité et évaluer ce que ses sources lui disent, et ce, tous les jours dans un contexte différent. Mon étude porte sur ce que les universités et écoles de journalisme peuvent faire pour améliorer la capacité intellectuelle des diplômés en journalisme à relever ces défis.

Cela me mènera à formuler des recommandations inédites dans le monde de l'enseignement du journalisme. J'ignore ce qu'il en adviendra, mais c'est ce qui m'occupe à l'heure actuelle et vous me pardonnerez de me concentrer là-dessus. Comme je l'ai dit à votre greffier : c'est ce qui occupe mon esprit en ce moment et il m'est difficile de ne pas y penser.

Si vous le souhaitez, je peux aborder brièvement certaines des questions que vous avez soulevées et nous pourrions en discuter. Je ne répondrai pas à toutes vos questions, seulement à quelques-unes qui me permettront de faire encore quelques remarques en passant.

En réponse à votre question selon laquelle les Canadiens n'accèdent pas à l'information de la même façon selon qu'ils sont jeunes ou plus âgés, je voudrais vous dire ceci : les médias d'information grand public ont beaucoup à apprendre de ce qu'on appelle généralement la presse alternative, comme The Coast de Halifax, quant à la façon d'intéresser les jeunes aux nouvelles. Il est vrai que des journaux comme The Coast dépendent, pour leur subsistance, de l'intérêt de leurs lecteurs pour la culture populaire ou le divertissement, mais je suis très impressionné par la façon dont ces journaux intéressent leurs lecteurs à la politique, aux nouvelles commerciales, aux questions sociales, etc. Cela montre bien ce que les jeunes sont capables de faire, non seulement en tant que journalistes, mais également en tant que gestionnaires et propriétaires de journaux.

Des journaux comme The Coast contredisent l'hypothèse selon laquelle les jeunes ne lisent pas les journaux. Je n'ai encore rien vu d'aussi impressionnant que cette presse alternative dans les médias électroniques. Je suis sûr que CityTv à Toronto, par exemple, et les chaînes du même genre ont un vaste auditoire de jeunes, mais je suppose que c'est davantage, voire exclusivement, pour la programmation musicale, et non pour leurs nouvelles. À la radio, je n'ai jamais entendu un bulletin de nouvelles susceptible, à mon avis, d'intéresser les jeunes. Je ne dis pas que les jeunes ne s'y intéressent pas, mais ces bulletins ne semblent pas conçus pour intéresser les jeunes.

Je ne suis pas un expert d'Internet ni de la consultation des nouvelles d'Internet par les jeunes, mais d'après ce que j'ai appris des étudiants, des jeunes de l'entourage de mes enfants et des enfants de mes amis, j'ai l'impression que les nouvelles en direct sur Internet ne sont pas d'un grand intérêt pour les jeunes. Ainsi, lorsque vous dites que les Canadiens n'accèdent pas à l'information de la même façon selon qu'ils sont jeunes ou plus âgés, je ne sais pas exactement ce que vous entendez par là, si vous faites référence à la facilité avec laquelle les jeunes naviguent sur Internet, ou si c'est autre chose. Je veux simplement dire que les journaux, les médias anciens, peuvent intéresser les jeunes s'ils sont faits et gérés par des jeunes.

Je ne connais pas grand-chose non plus du rôle des études sur l'alphabétisation par les médias en milieu scolaire, mais je suis convaincu qu'il faudrait montrer aux enfants et aux adolescents comment consulter les médias de façon critique. Il y a des années, lorsque je travaillais au conseil scolaire de Toronto, je me souviens d'avoir entendu son directeur, un homme extraordinaire qui s'appelait Duncan Green, répondre à un organisme d'affaires qui demandait que le conseil scolaire en revienne à l'enseignement des connaissances essentielles. Voici ce qu'il a dit : « Qu'entendez-vous par essentiel? » L'homme d'affaires lui a répondu : « La lecture, l'écriture et le calcul ». « La lecture de quoi? », a dit Green. « Des livres, évidemment. » « Eh bien », a dit Green, qui enseignait l'anglais, et qui était du reste féru de littérature, « je ne suis pas certain que la lecture des livres soit aussi essentielle que le décryptage de la télévision. C'est peut-être l'une des connaissances essentielles qu'il faudrait enseigner aux enfants. Il faut savoir décrypter la télévision. » Voilà une réflexion très pénétrante, me semble-t-il.

J'aimerais également aborder brièvement la troisième question de votre liste : les collectivités, les minorités et les centres éloignés sont-ils bien desservis? Certainement pas par les principaux médias. Peut-être dans des villes comme Toronto — si vous me permettez de parler un instant des collectivités ou des minorités culturelles — peut-être dans une ville comme Toronto, qui dispose de médias d'information bien établis pour les différentes collectivités culturelles; mais celles-ci ne sont pas nécessairement desservies de façon satisfaisante. Je pense que si les gens des différentes collectivités culturelles, que l'on appelle collectivités « ethniques » ou de façon plus arrogante collectivités « d'immigrants », si les gens de ces différentes collectivités se sentent obligés d'avoir un journal dans leur langue ou un journal communautaire conçu spécifiquement pour leur collectivité culturelle lorsqu'ils veulent savoir ce qui se passe dans le monde, cela montre à mon sens que quelque chose ne va pas bien. Particulièrement dans une ville comme Toronto, où la moitié de la population provient de cultures différentes, il serait honteux que les gens ne parviennent pas à satisfaire leur intérêt dans les médias d'information grand public.

Quant aux plus petites villes comme Halifax et Kingston, en Ontario, où j'ai vécu avant de venir ici, elles ne sont certainement pas bien desservies. Lorsque j'étais au Whig-Standard, je me souviens d'avoir décidé un jour d'écrire un article sur la communauté portugaise de Kingston. J'ai consulté ce qui était encore une bibliothèque de coupures au Whig-Standard, et j'en ai trouvé une; un article d'un seul paragraphe figurait au dossier. C'était tout. On y parlait du nouvel évêque ou du nouvel archevêque qui venait d'être nommé, ou quelque chose de ce genre, et il n'y avait rien d'autre. J'ai commencé à m'intéresser à la question et j'ai constaté que la communauté portugaise était certainement la plus grosse communauté de langue autre qu'anglaise à Kingston. À l'époque, Kingston revendiquait 60 000 habitants. Elle en revendique actuellement 120 000, mais c'est toujours une municipalité régionale comme les autres. Or, sur ces 60 000 habitants, six ou huit mille étaient portugais. Le Whig-Standard, lauréat de nombreux prix et tenu en très haute considération, dont je tenais là très fièrement la page éditoriale, n'avait pas encore écrit un seul article sur cette communauté.

J'ai commencé à faire de la recherche sur la question. Je suis allé un soir à un concert de rock auquel assistait un millier de spectateurs. La vedette était un chanteur des Açores et, évidemment, le concert n'avait pas été annoncé dans le Whig-Standard. Pourtant, le même soir, un petit ensemble de musique classique donnait un concert en ville; 15 personnes s'y sont présentées, mais il avait été annoncé la veille par un article dans le Whig-Standard et il eut droit à un commentaire le lendemain. Voilà le genre d'attitude négligente que l'on observe.

C'est aussi ce qu'on peut observer ici à l'égard de la communauté arabe. L'arabe est la deuxième langue en usage à Halifax, d'après ce que je sais. Certainement, la deuxième après le français. Pourtant, quand on lit les journaux locaux, on ne peut même pas savoir qu'il y a une communauté arabe dans cette ville. Ce n'est pas comme si les Arabes se cachaient; ils sont assez visibles, ne serait-ce que par leur habillement. Il y a une grosse communauté arabe ici, mais elle n'apparaît pas dans la presse grand public. La vie de ces gens ne semble pas faire partie des nouvelles quotidiennes. Je ne veux pas jeter particulièrement la pierre aux journaux. Je pense qu'il en va de même pour tous les médias d'information grand public, où qu'ils se trouvent. Pensons à CBC, par exemple. La plupart des médias d'information grand public vivent toujours dans un Canada anglais où la culture anglo-saxonne prédomine et nous avons bien du rattrapage à faire avant de pouvoir dire que nos médias d'information grand public traduisent bien la composition de notre population.

J'ai encore quelques mots à dire, puis je finirai sur ce que le gouvernement devrait faire à ce sujet. Mais avant, je voudrais dire une dernière chose. Il est très difficile de bien desservir une société hétérogène et complexe. C'est un défi pour n'importe quel médium d'information. En effet, un article sur la communauté arabe de Halifax intéressera peut-être la communauté arabe, mais n'intéressera personne d'autre. Tout dépend de l'article et de la façon dont il est rédigé. Mais de façon générale, s'il s'agit d'informations ou de nouvelles concernant des événements propres à la communauté arabe, elles ne présenteront sans doute qu'un intérêt marginal, voire nul, pour tous les autres lecteurs. Voilà ce que l'on constate non seulement dans les communautés culturelles, mais également, peut-être de façon plus spectaculaire encore, dans les régions.

J'ai travaillé un peu pour les journaux du Nouveau-Brunswick, qui ont récemment connu des hauts et des bas, et j'ai constaté que le Telegraph Journal, un journal provincial, avait beaucoup de difficultés à rédiger sur une communauté particulière des articles susceptibles d'intéresser tous ses lecteurs. Voilà le défi. Il est considérable et je ne pense pas que les journaux ou les médias d'information parviennent à le relever correctement.

D'ailleurs, lorsque vous posez des questions sur la concentration, qui est sans doute au coeur de vos préoccupations, je réponds : « Oui, la concentration réduit effectivement la diversité », mais j'ajoute que vous en savez probablement plus que moi sur ce chapitre. On peut également dire que la propriété croisée a des répercussions sur la diversité.

Que peut y faire le gouvernement du Canada? Peut-il mettre au point une politique et un cadre de réglementation qui encouragent une diversité appropriée sans pour autant nuire à la liberté de la presse? En bref, je dirais que la façon de parvenir à cette fin, c'est de récompenser la diversité, en finançant les médias qui peuvent faire la preuve d'avoir apporté une amélioration ou d'avoir adopté un plan pour améliorer la diversité. Je ne sais pas trop comment ces récompenses seraient accordées. Je ne veux pas vraiment essayer de répondre à cela, mais je crois que cela peut se faire ou que l'on peut du moins saluer, si l'on trouve que récompenser, c'est un peu trop inquiétant. On pourrait également récompenser les écoles de journalisme qui accueillent des étudiants de diverses cultures et des minorités. D'ailleurs, pas uniquement les minorités. Nous avons tendance à utiliser le mot « minorité » s'agissant d'une minorité visible, mais les personnes issues de cultures différentes de la nôtre ont autant de difficulté à se débrouiller dans notre société, quelle que soit la minorité qu'elles représentent. Si l'on peut donc trouver des moyens de récompenser les écoles qui accueillent à bras ouverts ces personnes et qui trouvent des moyens de les former, particulièrement les personnes dont l'anglais n'est pas du niveau adéquat, je crois que ce serait une excellente contribution.

On pourrait également récompenser d'une certaine façon les médias qui accordent des bourses et des emplois aux étudiants et aux diplômés de cultures différentes. On pourrait les récompenser lorsqu'ils nomment à des postes de gestion des représentants d'autres cultures. Il faut trouver le moyen de les féliciter de cela et d'en signaler l'importance. Il ne faudrait d'ailleurs pas s'arrêter aux seules nominations à des postes de cadre, mais songer également aux conseils éditoriaux de proximité, aux conseils consultatifs et ainsi de suite. Cela peut se faire en commanditant des ateliers pour enseigner à des personnes de cultures étrangères la façon d'accéder aux médias d'information, tant comme membres du public que comme participants à la production. Le gouvernement pourrait peut-être, d'une façon ou d'une autre, offrir des prix nationaux ou régionaux pour les reportages effectués sur diverses collectivités.

Voilà donc mon exposé, madame la présidente. Si vous jugez cela utile, je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Je pourrais, à moi seule, vous poser des questions pendant quatre heures, mais je vais modérer mes transports et donner d'abord la parole au président suppléant, le sénateur Tkachuk.

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup, monsieur Cobden. Vous avez parlé de beaucoup de choses, mais je vais essayer de m'en tenir à quelques questions précises, afin de bien comprendre ce que vous essayez de nous dire.

Au sujet de la Commission Kent, vous avez dit qu'il y a eu de nombreuses idées et recommandations qui ont été bloquées par les propriétaires de journaux et les éditeurs. Pourriez-vous nous dire plus précisément quelles étaient ces idées?

M. Cobden : Je ne suis pas allé vérifier le texte des recommandations de la Commission, mais les idées dont je parle portaient sur les méthodes que proposait la Commission Kent pour donner aux lecteurs plus de pouvoir d'intervention dans les salles de presse et pour essayer de faire contrepoids aux tendances à la concentration qui se manifestaient à l'époque. Ce que je dis essentiellement, c'est que tout ce que la Commission Kent a proposé et qui semblait, de près ou de loin, donner au gouvernement un certain droit de regard sur les activités des médias, a immédiatement été rejeté. Dès les débuts, on a tenu pour acquis que le gouvernement n'avait absolument aucun rôle à jouer en ce qui concerne la façon dont les médias d'information font leur travail. Avant même d'en discuter, on a postulé que tout ce qui pouvait ressembler à la délivrance d'un permis ou d'une licence ou à l'exercice d'une quelconque forme de surveillance gouvernementale dans ce domaine était intolérable. Franchement, je trouve qu'il s'agit là de la position de puristes et que cela n'est tout simplement pas logique.

Je comprends aussi bien que tout autre journaliste pourquoi on a réagi ainsi. Je sais ce qu'on craint. Je viens d'un pays où ce type d'ingérence gouvernementale s'est produit, et je suis loin de me réjouir d'une telle perspective. Tout ce que je dis, c'est que le gouvernement d'un pays, qui représente la population dudit pays, devrait avoir le moyen d'affirmer son intérêt à l'endroit d'une chose aussi importante pour la population que les médias d'information. Je suis désolé de ne pas pouvoir être plus précis, mais c'est ce que je pense.

Le sénateur Tkachuk : Tous les représentants des journaux qui ont comparu devant nous ont déclaré qu'ils ne veulent pas ni ne souhaitent que le gouvernement fasse de l'ingérence dans les salles de presse. Vous avez parlé de la délivrance de permis. À quoi voulez-vous en venir au juste? À ce qu'un organisme semblable au CRTC soit désigné...

M. Cobden : Non, ce n'est pas à cela que je veux en venir, parce que je ne crois pas que cela se produirait, et en fait je n'en voudrais pas. Je crois que le CRTC détient le rôle qu'on lui a confié en raison de la nature publique des ondes. Lorsqu'il s'agit de l'intérêt du gouvernement ou, si vous préférez, de l'intérêt politique à l'endroit des journaux et des autres médias, je crois qu'il faut envisager un concept différent. Je ne peux pas vraiment répondre à la question parce que, comme je l'ai dit, je ne me suis pas astreint à trouver les moyens précis par lesquels le gouvernement peut exercer son influence, si l'on excepte les quelques idées que j'ai lancées à la fin de mon exposé. Cela dit, les journaux sont présents au sein d'une société et ils doivent se conformer à certaines normes, à des lois, des politiques et des principes publics. Que signifient toutes ces contraintes? Je n'ai pas la réponse à cela. Je dis simplement que les journaux ne peuvent pas se considérer comme étant en quelque sorte à l'abri de tout type d'influence exercée par le gouvernement. Cela n'est simplement pas possible. Il n'y a personne, et certainement pas moi, qui recommande que le gouvernement installe un censeur dans la salle de presse de chaque organisation. Toutefois, l'idée de la Commission Kent, celle d'un conseil consultatif de proximité ou d'un quelconque conseil communautaire représentant les lecteurs des journaux, cette idée-là, ce me semble, devrait être bien accueillie par les journaux. Ils ne devraient pas avoir à se faire dire cela par le gouvernement, ils devraient vouloir faire cela de leur propre chef. Les journaux, cependant, surtout lorsqu'ils sont un seul élément au sein d'un empire médiatique concentré, sont bien peu susceptibles de vouloir faire cela. Je ne sais trop quoi dire.

À la fin de mon exposé, sénateur, j'ai dit que mon instinct me poussait à trouver des moyens de récompenser le bon journalisme et j'ai parlé un peu d'être à l'image de la diversité sociale. Je crois que ce serait le meilleur moyen d'agir, quoique même cela soit délicat, bien sûr. Désolé, je cherche désespérément une réponse, mais je n'en ai pas vraiment. Je n'ai pas suffisamment réfléchi à tout cela.

Le sénateur Tkachuk : Vous parlez également des contraintes imposées par les propriétaires d'entreprise. Vous avez abordé cela peu de temps après avoir parlé du journalisme même et des qualités des journalistes, après avoir dit que les écoles de journalisme ont une certaine responsabilité quant à la qualité des journalistes. De quelles contraintes parliez- vous? Vous n'avez fourni aucun exemple, et je vous ai donc un peu perdu.

M. Gobden : Je parle de l'influence qu'exerce le siège social sur ce qui se passe dans les diverses salles de presse. C'est cela qui me préoccupe dans ce cas-ci. Je n'ai pas fait de recherche sur cette question et je ne prétends pas être un expert dans ce domaine, mais je lis les journaux comme vous et je lis les comptes rendus où l'on parle de sièges sociaux à Winnipeg qui influent sur la façon dont les éditoriaux sont rédigés à Halifax ou ailleurs. Je trouve cela répréhensible. Cela rappelle trop le « système » et je dois dire qu'en général je trouve que tout type de système finit par avoir un effet délétère sur ses diverses composantes.

Cela dit, je rappelle que le Halifax Herald, par exemple, ne fait pas partie d'un ensemble de journaux. C'est un journal indépendant. On peut penser ce que l'on veut du Halifax Herald, je peux porter un jugement sur ce journal en qualité de professeur de journalisme et de personne qui a longtemps oeuvré dans le journalisme de presse, mais je dois toujours rappeler en premier lieu que les lecteurs de cette région aiment bien ce journal. Si le Herald faisait partie d'un système, ce ne serait plus le Herald. Je peux vous dire tout de suite que, si le Herald faisait partie d'une chaîne de journaux canadiens, il changerait de fond en comble. Il finirait par ressembler à tous les autres journaux de cette chaîne. Et ce n'est pas tout, il adopterait exactement le même ton que celui des autres journaux de la chaîne dont il ferait partie.

J'ai vu cela se produire lorsque les journaux de Southam ont été achetés. Nous avons commencé à voir des modifications du caractère distinct de la voix et de la nature particulière de certains journaux. Lorsque cela a commencé à se produire, on a pu voir que le « système » se mettait à l'œuvre. Je connaissais ces journaux lorsqu'ils appartenaient à Southam, au début, à l'époque où Southam n'intervenait pas directement dans leurs affaires et où chaque journal pouvait avoir son caractère propre. Ils étaient vraiment libres. Ils ne le sont plus, maintenant.

Le sénateur Tkachuk : Dites-vous que les lecteurs achètent des journaux qu'ils n'aiment pas ou dont ils ne veulent pas?

M. Cobden : Tout d'abord, ils sont moins nombreux qu'ils ne l'étaient à acheter des journaux.

Le sénateur Tkachuk : Cela est vrai pour tous les journaux.

M. Cobden : Oui, c'est vrai.

Le sénateur Tkachuk : Autant les indépendants que les autres.

M. Cobden : Cela est vrai, mais il faut quand même le souligner. Moins de gens achètent les journaux. Je crois également qu'ils ne les lisent plus de la même façon. Je ne crois pas que les journaux tiennent dans la vie de la famille ou dans la vie des particuliers le rôle qu'ils tenaient. Je ne crois pas qu'ils soient lus avec autant d'appétit. Ce n'est pas entièrement la faute des journaux. Le monde entier a changé, évidemment. Il y a toutes sortes d'autres médias actuellement. J'ai vu cela se produire dans le cas du Whig-Standard, à Kingston. De l'avis de tous, le Whig-Standard était un journal excentrique à l'époque où Michael Davies en était propriétaire et où Neil Reynolds en était le rédacteur en chef. Il était excentrique dans la mesure où il avait décidé de faire les choses différemment de la plupart des journaux. C'était un journal littéraire et il concentrait tous ses efforts sur cet aspect. On y publiait un magazine hebdomadaire qu'aucun autre journal n'aurait publié.

À titre d'exemple, j'ai écrit dans ce magazine un article sur un homme qui était un spécialiste de la poésie de Gerard Manley Hopkins. Cet article publié dans le magazine du Whig-Standard comptait environ 10 000 mots. Aucun autre journal n'aurait toléré ce genre de débordement, mais les lecteurs aimaient que le Whig-Standard ait de telles exigences. On aimait ce journal pour la place qu'il laissait aux lettres des lecteurs. Je n'ai jamais connu d'autre journal qui ait permis aux lecteurs d'écrire ce qu'ils voulaient écrire et qui ait accepté de les publier intégralement, quelle que soit leur longueur. On publiait parfois dans ce journal trois pages de lettres des lecteurs, sans aucune censure. Pourquoi? Parce que le journal estimait qu'il était important de permettre aux lecteurs d'exprimer leur point de vue. Je peux vous dire que tout cela a disparu lorsque la nouvelle administration Southam s'est emparée de ce journal. C'est devenu un journal à la présentation élégante, ennuyeux et illisible, ce qu'il est resté.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit que les propriétaires ou que quelqu'un à Winnipeg pouvait influencer l'éditorial d'un journal. Nous avons également entendu des témoignages en ce sens, mais nous avons également reçu des rédacteurs de cette chaîne de journaux qui nous disent que...

M. Cobden : Cela ne se produit jamais.

Le sénateur Tkachuk : ... cela ne se produit jamais. Je ne sais trop quoi croire. Je ne travaille pas là, mais le Toronto Star n'en a-t-il pas fait autant? Ne fait-il pas la même chose?

M. Cobden : Tout entrepreneur est...

Le sénateur Tkachuk : Le propriétaire.

M. Cobden : Oui, le propriétaire.

Le sénateur Tkachuk : Les propriétaires du Toronto Star influencent-ils les rédacteurs des éditoriaux?

M. Cobden : Oui, bien sûr qu'ils les influencent. Toutefois, si le propriétaire vit dans la municipalité, s'il y paie des taxes, s'il fréquente les gens au sein de la collectivité, ce n'est pas la même chose que s'il exerce son influence à 4 800 kilomètres de distance. Selon moi, la situation est alors tout à fait différente. Je crois qu'un journal est une institution communautaire. Bien sûr, si c'est un journal national, c'est une institution nationale. Toutefois, la plupart des quotidiens ont leurs racines dans leur collectivité et servent cette collectivité. C'est effectivement ce que l'on attend d'eux. Dès que quelqu'un d'autre s'en porte acquéreur et dès que le contrôle éditorial ultime — « ultime » est peut-être un peu excessif — dès que le contrôle éditorial relève de quelqu'un qui vit ailleurs, je crois qu'on perd le contact avec les lecteurs de proximité et qu'on n'a plus le même sens des responsabilités.

J'ai travaillé pour le Star, et il est vrai que le Star avait des politiques qui se répercutaient sur la façon dont les journalistes faisaient leur travail. Évidemment, à l'époque où le nationalisme économique était un principe important du Toronto Star, les journalistes savaient que s'ils écrivaient un article concernant quelqu'un qui confortait le nationalisme économique du Canada, l'article ne passerait pas inaperçu et le journaliste allait devoir couvrir tous les aspects de la question. Cela se savait. La réponse est donc oui, bien sûr, les journalistes sont influencés par les propriétaires.

Toutefois, le journal peut également être autrement influencé par ses propriétaires. Il est important de souligner cela, au sujet des journaux appartenant à une chaîne. Ce n'est pas toujours une action déterminée qui influence le journaliste. C'est l'attente d'une action, la perception anticipée d'une action, la rumeur d'une action, la crainte... ce sont toutes ces choses qui influent sur le produit fini. Au Toronto Star, les employés savaient très bien que M. Honderich était le propriétaire du journal, et qu'il aimait certaines choses et qu'il n'en aimait pas d'autres. Bien sûr, autour de lui, les gens étaient nerveux. Toutefois, au bout du compte, je ne crois pas que cela ait autant influencé la qualité du journalisme dans ce journal que cela l'influence dans beaucoup d'autres journaux appartenant à des chaînes.

Le sénateur Munson : Bonjour, Michael. Encore une fois, j'ai un conflit d'intérêts. J'ai travaillé avec Michael, il y a dix ans, dans la grande école de King's, que mon fils commencera à fréquenter en septembre. Cela amène inévitablement à la question que d'autres pourraient parfois poser et aux critiques que l'on entend parfois au sujet des écoles de journalisme au Canada, à savoir qu'elles sont en train de produire toute une série de—faute d'expression plus juste—« petits gauchistes » qui ont un certain point de vue au sortir des écoles de journalisme et qui gardent ce point de vue et cette perspective tendancieuse lorsqu'ils entrent dans les médias grand public. Ces reproches sont-ils injustes? Y a-t-il un équilibre parmi les journalistes futurs que produisent les écoles de journalisme du Canada, y compris la vôtre?

M. Cobden : Je n'ai jamais entendu cela auparavant.

Le sénateur Munson : Peut-être que non, mais nous l'avons entendu, nous.

M. Cobden : Désolé. Je ne sais pas trop où j'étais, mais je songe simplement à ce qui se produit. Je veux dire que je sais maintenant beaucoup de choses à propos des écoles de journalisme, parce que je prépare une étude à leur sujet. Je n'ai jamais entendu dire du corps enseignant d'une école de journalisme que c'était un corps enseignant de gauche. À ma connaissance, toute la gamme politique est représentée. Cela ne m'a jamais semblé être un problème, sénateur Munson. Je ne vois simplement pas le problème.

Le sénateur Munson : Vous ne le voyez pas?

M. Cobden : Non.

Le sénateur Munson : Cela a été dit au cours de nos audiences.

M. Cobden : Je crois que ce qui est plus susceptible d'être mentionné, c'est le préjugé en faveur de la CBC plutôt que des médias privés. Je crois qu'on a reproché cela aux écoles de journalisme. Il se peut bien que ce soit parce que les enseignants de radiotélédiffusion des écoles de journalisme ont tendance à venir de la CBC, et s'y sentent peut-être plus facilement chez eux qu'auprès des médias de radiotélévision privés. Cela, je l'ai entendu dire. Mais je n'ai jamais entendu dire que les écoles de journalisme sont politiquement orientées.

Le sénateur Munson : Cela m'amène à une question au sujet des écoles de journalisme mêmes. Vous avez dit qu'elles doivent accepter la responsabilité de la qualité des journalistes qu'elles produisent, et je voudrais lier cela à l'une de vos observations. J'ai trouvé fascinant ce que vous avez dit au sujet de la communauté arabe à Halifax et de la question de savoir si la situation est semblable dans le reste du pays. Nous en parlons d'ailleurs à la question trois, lorsque nous demandons : « Les minorités sont-elles bien desservies? » Aux trois questions sur les collectivités et les centres éloignés, vous avez répondu « non », mais je voudrais poser des questions précises au sujet des minorités. Les écoles de journalisme peuvent-elles conscientiser leurs étudiants afin de sensibiliser les médias grand public à la nécessité de porter attention aux minorités?

M. Cobden : Elles pourraient faire beaucoup mieux à cet égard, mais je crois qu'elles ont besoin d'un soutien. Je ne sais cependant pas quelle forme ce soutien pourrait prendre. L'un des grands obstacles à surmonter est celui de la langue. Il est très difficile d'enseigner le journalisme dans une collectivité ou une société d'expression anglaise à des personnes dont l'anglais est très faible. C'est très difficile. C'est particulièrement difficile si ce que l'on enseigne est une technique — et c'est sur ce sujet que porte mon étude —, ce que les écoles de journalisme font beaucoup trop à mon sens. L'enseignement de cette technique comporte la rédaction de nouvelles, par exemple, et la valeur de ces reportages est jugée comme le ferait un rédacteur; l'enseignement dispensé est ensuite fonction de ce jugement. Cela pose de grandes difficultés aux personnes qui ne savent pas écrire en anglais.

Je ne sais pas comment on peut régler ce problème, mais la plupart des écoles de journalisme peuvent vous faire part des expériences qu'elles ont connues, en particulier en ce qui touche des élèves dont l'anglais n'était pas suffisamment fort. Ces écoles ont dû trouver des moyens d'aider ces étudiants ou elles ont connu des difficultés lorsqu'elles ne l'ont pas fait. Il s'agit vraiment d'un énorme problème, et je ne sais pas trop ce qu'on peut en dire. Je ne sais pas comment il faut s'y prendre pour le régler. Je crois qu'il faut cependant essayer de relever ce défi.

Pour répondre à votre question, je crois que les écoles de journalisme devraient attacher plus d'importance aux principes de base du journalisme, ce que j'appelle les fondements, lesquels sont à mon sens les mêmes dans toutes les cultures et dans toutes les langues. Si l'on demande aux étudiants de faire immédiatement des reportages à leur entrée à l'école de journalisme, cela défavorisera grandement les étudiants dont l'anglais est la deuxième, la troisième ou la quatrième langue, et indisposera les membres du corps professoral. Ces étudiants finiront par se décourager. Voilà, je crois, ce qui se passe actuellement dans les écoles de journalisme. C'est un problème.

Le sénateur Munson : Il faut, je suppose, éviter que l'État s'en mêle parce que personne ne le voudrait. Je crois que vous avez raison de dire que les milieux journalistiques doivent comme tous les autres milieux s'occuper davantage de leurs minorités parce qu'elles constituent des composantes de notre société dont il faut absolument tenir compte. Soit dit en passant, je n'ai jamais fréquenté une école de journalisme. Ma première leçon en journalisme m'a été donnée par mon premier chef des nouvelles. Un grand reportage m'a été confié lors de ma première fin de semaine de service. J'ai demandé ceci : « Comment vais-je couvrir cette histoire? » Et mon chef des nouvelles m'a répondu : « Vas-y au pif et sers-toi de ton jugement. » La semaine suivante, lorsque j'ai reçu la même affectation, j'ai posé la question suivante : « Qu'est-ce que je fais maintenant? » Mon rédacteur des nouvelles m'a répondu de la même façon. Il faut donc se fier à son instinct lorsqu'on doit couvrir un événement.

J'ai une seule autre question à poser. Les médias grand public devraient s'inspirer de ce que font les hebdomadaires alternatifs. Pourriez-vous nous donner des précisions quant à la façon dont les médias grand public pourraient s'adapter aux besoins de la clientèle des jeunes?

M. Cobden : Je crois que les jeunes d'aujourd'hui ne souscrivent pas aux conventions du journalisme au quotidien. Ils n'aiment ni le langage, le discours, le style, le jugement porté sur les nouvelles et tout ce qu'ont à leur offrir les médias d'information grand public. Ces médias ne les intéressent pas. Ils les trouvent ennuyeux. Pour essayer de plaire à la clientèle des jeunes, les médias grand public ont demandé à des prétendus adolescents ou jeunes de rédiger des chroniques dans un langage qui est censé être celui des jeunes, mais qui est toujours démodé. Ils ont voulu faire du cloisonnement de ce genre. Ce n'est pas la réponse à ce problème. Les jeunes — et cela crée un gros problème — n'ont pas la même conception que leurs aînés de la société dans laquelle ils vivent. Leurs goûts sont différents. On ne peut pas dire que le monde ne les intéresse pas, mais ils le conçoivent à leur manière.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Au cours des dernières élections municipales, je ne sais pas pourquoi on ne l'a pas fait lors des élections qui ont suivi, The Coast a affecté trois étudiants à la couverture des candidats au poste de maire et on a dit que The Coast était le journal alternatif à Halifax. C'est un journal semblable au Mirror à Montréal ou à Now à Toronto. J'ai demandé à trois jeunes étudiants de faire un reportage de leur choix sur les candidats au poste de maire. Ces trois étudiants ont produit des textes très différents et très personnels sur ces trois politiciens dans un langage, dans un style et avec une attention aux détails qui correspondaient à leur façon de voir les choses. Il s'agissait de reportages tout à fait différents de ce qu'on peut lire dans le Herald ou le Daily News. J'aurais aimé pouvoir vous les montrer, mais ces reportages étaient trois merveilleux exemples sur un sujet que d'aucuns pourraient penser être le sujet le plus ennuyeux au monde, soit les élections municipales. Ces reportages montraient comment on pouvait rendre le sujet intéressant pour les jeunes. Ce n'est pas que les jeunes ne s'intéressent pas à la politique, mais ils ne s'intéressent pas au langage, au ton et aux propos adoptés par les médias grand public pour traiter de la politique.

Le sénateur Eyton : Je vous remercie, Michael. J'ai aimé votre premier message que je reformulerai en disant qu'un bon journaliste peut faire du bon travail, quelles que soient les conditions dans lesquelles il travaille. Vous avez insisté sur l'importance des écoles de journalisme et sur la façon dont elles peuvent former de bons journalistes.

J'ai deux ou trois questions à poser sur les écoles de journalisme telles qu'elles se présentent aujourd'hui et telles qu'elles pourraient évoluer. Ma première question porte sur les inscriptions. Le journalisme est-il une profession qui intéresse les jeunes? Les écoles de journalisme reçoivent-elles de nombreuses demandes d'inscription? Pourriez-vous aussi nous dire si la diversité est l'un des facteurs qui est pris en compte dans le choix des étudiants acceptés dans les écoles de journalisme?

M. Cobden : La concurrence est certainement vive pour les places dans les écoles de journalisme. Cette concurrence n'est sans doute pas aussi vive qu'elle l'a déjà été, mais c'est sans doute attribuable au fait que les écoles de journalisme sont maintenant plus nombreuses. Il se peut aussi que cette situation s'explique du fait que les jeunes ne s'intéressent pas autant aux nouvelles, du moins telles qu'elles leur sont présentées et ils ne se voient pas pratiquer le journalisme comme on l'a pratiqué jusqu'ici. L'idéalisme n'est pas très répandu à notre époque. Lorsque j'ai grandi à Johannesburg, ceux qui s'inscrivaient en journalisme voulaient changer le monde. Ce n'est pas la motivation de la plupart des journalistes ni de la plupart des jeunes qui s'inscrivent aujourd'hui dans les écoles de journalisme. Ils recherchent plutôt une formation universitaire qui leur permettra de trouver un emploi. C'est leur principale motivation. Ils ont peut-être un certain intérêt pour l'écriture ou la politique et ils pensent que le journalisme serait un bon débouché pour eux ou ils estiment que le journalisme leur permettra d'acquérir une expérience de l'écriture. Les jeunes qui s'inscrivent cependant en journalisme pour travailler à l'édification d'un monde meilleur ne sont cependant pas nombreux.

Certaines écoles de journalisme sont peut-être plus recherchées que d'autres. Je ne pense pas que l'école de King's reçoive autant de demandes d'inscription qu'à une certaine époque. Lorsque je suis arrivé à King's il y a 15 ans, un candidat sur huit, neuf ou parfois dix était accepté. Je crois que le rapport est maintenant de un candidat sur cinq. La situation a donc changé. Voilà pour cette partie de votre question. Sur quoi portait l'autre partie de votre question?

Le sénateur Eyton : Sur la répartition des étudiants et la représentation des diversités.

M. Cobden : Cela varie d'une école à l'autre, mais je crois que Ryerson connaît davantage de succès dans ce domaine. Ryerson est située dans une ville qui compte une population tellement diverse qu'il est presque impossible pour cette école de journalisme de ne pas attirer des personnes appartenant à diverses cultures. La ville est une véritable culture en soi. Dans une ville comme Halifax dont le caractère multiculturel est moins prononcé, c'est plus difficile. Il faut vraiment faire des efforts. Il faut offrir des bourses ou d'autres mesures d'encouragement et faire du recrutement actif. Nous avons essayé, mais nos efforts n'ont pas donné d'aussi bons résultats que ce que nous aurions espéré. Nous avons créé des bourses et nous avons fait du recrutement actif, mais il s'agit d'un défi de taille. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Tout ce que j'essaie de dire, c'est que comme la majorité des journalistes proviennent maintenant des écoles de journalisme, c'est ce qui fera en sorte que les médias refléteront davantage la diversité de notre société. La situation s'est améliorée, mais elle est loin d'être parfaite.

Le sénateur Eyton : Pouvez-vous dire quelques mots au sujet du contenu, c'est-à-dire de l'enseignement dispensé dans les écoles de journalisme compte tenu de l'existence des nouvelles technologies et du monde tout à fait nouveau auquel feront face les diplômés?

M. Cobden : Je crois que la pédagogie a suivi de façon remarquable la technologie. Il lui aurait été facile de prendre du retard, parce que de nombreux membres du corps professoral ont grandi à une époque bien différente et bon nombre d'entre eux n'ont jamais très bien maîtrisé les nouvelles technologies. Il est donc remarquable que la pédagogie se soit adaptée. Il fallait évidemment qu'elle le fasse, et je crois qu'on peut dire que les écoles de journalisme sont bien adaptées à leur époque. En fait, je pense qu'elles sont trop bien adaptées. Je crois qu'elles préparent bien les journalistes pour leur premier emploi. Je crois cependant qu'on insiste beaucoup trop sur le fait qu'il faut que les journalistes atteignent le niveau de travail dès le départ. C'est un impératif dans les écoles de journalisme. Il faut que les journalistes aient le niveau de travail dès le départ.

Je crois que les diplômés des écoles de journalisme connaissent très bien la technologie qui est mise à leur disposition dans les salles de presse. Je ne dis pas que les écoles de journalisme sont dotées de la meilleure technologie possible. Elles ont désespérément besoin d'aide financière pour pouvoir se procurer la technologie la plus moderne. C'est un véritable cauchemar pour toutes les écoles de journalisme. Tous ceux qui dirigent une école de journalisme ou qui cherchent à lever des fonds pour un programme de journalisme vous diront la même chose. C'est un véritable cauchemar quand il faut changer ses ordinateurs et tout son équipement de radiodiffusion tous les deux ou trois ans. Je crois cependant que les écoles de journalisme se sont bien tirées d'affaires et qu'elles préparent bien les étudiants.

Le sénateur Eyton : Voici ma dernière question. Existe-t-il une école de journalisme exemplaire? Y a-t-il une norme à laquelle aspirent toutes les écoles de journalisme?

M. Cobden : Il m'est difficile de répondre à cette question. J'aime une école située à Londres, en Angleterre. City University est la grande école de journalisme à Londres et elle offre un programme hybride conjointement avec le Collège St. Mary's de l'Université de Londres. C'est un programme de journalisme et d'histoire contemporaine. J'aime ce genre de programme hybride. Il existe aussi un programme hybride en journalisme et en sciences sociales. À mon avis, les meilleures écoles sont celles qui dispensent une bonne formation générale au lieu des écoles qui donnent surtout une formation technique.

Je me suis de nouveau rendu récemment à l'Université Carleton et j'admets admirer cette école. Je sais que les médias racontent toujours des blagues qui m'irritent au sujet de Carleton. Il y en a une qui va comme ceci : Il y a un incendie et vous avez deux étudiants, l'un qui vient de Ryerson et l'autre de Carleton. L'étudiant de Ryerson attrape un calepin et court sur les lieux d'un incendie, et l'étudiant de Carleton va à la bibliothèque pour faire des recherches sur les incendies. Je préfère dans un certain sens que l'étudiant fasse des recherches sur les incendies. Vous savez, c'est la blague qu'on entend. Elle est très injuste.

Si je recrutais un journaliste, tout dépendrait de ce que je rechercherais, mais je pense que tant Ryerson que Carleton sont des écoles de journalisme dont le Canada peut être fier. Je crois que ce sont les plus grandes écoles de journalisme et elles constituent la norme. La plupart des écoles de journalisme de ce pays se fondaient sur l'ancienne école de journalisme de Columbia. C'est évidemment maintenant une école de deuxième cycle, mais elle mettait jusqu'à très récemment l'accent sur la formation technique des journalistes. C'est ce modèle qui a été repris au Canada. Je crois que c'est toujours le modèle qui est le plus répandu.

Je ne pense pas proposer des changements radicaux dans mon étude, et je ne veux certainement pas laisser entendre que nous n'avons pas de bonnes écoles de journalisme. Ma propre école est une excellente école qui dispense une bonne formation technique. Je crois que tous les étudiants qui s'inscrivent à notre programme de premier cycle de quatre ans ou à notre programme intensif d'un an seront bien préparés pour le monde du travail. À cet égard, je pense qu'on peut dire que King's est une bonne école et que le Canada compte beaucoup de bonnes écoles.

Le sénateur Trenholme Counsell : Professeur, cette dissertation est très intéressante. Vous avez davantage parlé des jeunes que tous les autres témoins que nous avons entendus. C'est ce que je retiens de votre témoignage et je soulève très fréquemment cette question. Avant que je ne pose mes questions principales, j'aimerais vous poser une question sur les jeunes. Un groupe de témoins nous a dit que les meilleurs journalistes sont ceux qui possèdent un diplôme en sciences politiques, en sciences, en droit et qui font ensuite des études de deuxième cycle. Je ne sais pas combien d'étudiants font un premier diplôme avant de s'inscrire en journalisme, mais compte tenu du fait que notre monde est de plus en plus complexe et que les connaissances dont ont besoin les journalistes le sont également, quelle serait, à votre avis, la formation idéale?

M. Cobden : Mon étude porte sur les programmes de premier cycle puisque ce sont les programmes qui suscitent le plus de préoccupations. Ce sont les programmes en journalisme et en arts et les programmes en sciences. La moitié du programme est en journalisme et l'autre moitié en arts, habituellement en arts et en sciences sociales. C'est ce qui m'intéresse pour le moment. Si mon propre enfant voulait s'inscrire en journalisme, je lui dirais sans doute de poursuivre ses études aussi longtemps qu'il le souhaite dans n'importe quel sujet qui l'intéresse et je lui recommanderais d'apprendre à réfléchir et à écrire et de s'inscrire ensuite à une école où on lui enseignerait les techniques journalistiques rapidement. Les techniques sont assez faciles à apprendre. Si une personne sait réfléchir et sait écrire, apprendre à faire du journalisme n'est pas très difficile. Je dirais qu'il ne faut pas plus d'une semaine pour savoir comment le faire.

Les écoles de journalisme consacrent beaucoup de temps à enseigner la technique du journalisme aux étudiants tout en essayant de leur enseigner les fondements du journalisme. Tous ceux qui ont noté des devoirs en journalisme vous diront que la piètre qualité de la langue et que l'ignorance des règles de l'écriture sont décourageantes.

Si vous me demandez si les journalistes devraient avoir la formation générale la plus poussée possible, je vous répondrai que oui. Je ne vous dirai certainement pas le contraire. Je ne dirai pas que dans notre cas, par exemple, les étudiants inscrits au programme d'un an ont de meilleurs résultats que ceux qui sont inscrits au programme de quatre ans. Tout dépend de leur formation antérieure. Je ferai certainement ressortir dans mon étude qu'un journaliste doit aujourd'hui posséder une formation aussi poussée que possible. Je partage votre avis à cet égard.

Le sénateur Trenholme Counsell : Dans la même veine, est-ce qu'on discute actuellement au Canada, en Amérique du Nord ou ailleurs aussi, si vous voulez, de cette approche qui pourrait être préférable? Pensez-vous qu'on va finir par voir ce changement ou que le statu quo demeurera? Votre programme d'un an, vous le qualifiez de « camp de type militaire ». Je ne pense pas que vous vouliez vraiment dire cela, mais...

M. Cobden : En effet.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est vrai?

M. Cobden : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Mais dans votre système actuel, ne produisez-vous pas davantage de techniciens que de penseurs?

M. Cobden : C'est exactement ce qui me préoccupe. Un technicien peut faire le travail. Il peut faire le travail, mais il ne doit pas penser avoir les bases nécessaires pour aller plus loin ou pour diriger. C'est cela qui m'inquiète. Vous savez, le monde évolue dans toutes sortes de directions différentes. Aux États-Unis, là où on forme le plus de journalistes du monde entier, il y a deux types d'écoles de journalisme : les écoles accréditées et celles qui ne le sont pas. Celles qui sont accréditées doivent réunir toutes sortes de conditions, en particulier ne pas trop offrir de cours de journalisme. La majorité de leurs cours, jadis c'était 75 p. 100, mais je constate que l'organisme accréditeur a un peu baissé la barre, mais il n'empêche qu'entre 65 et 75 p. 100 des cours doivent être des cours d'art, de sciences sociales, mais pas de journalisme.

En Angleterre, il y a des dizaines de nouvelles écoles de journalisme. Je ne sais pas au juste pourquoi, mais la moindre université, la moindre école qui était jadis polytechnique et qui est devenue université a maintenant une école de journalisme. Par contre, ces écoles n'offrent aucun programme en arts ou en sciences sociales. Ces étudiants sont directement du niveau GCE A au camp militaire. C'est un camp militaire où ils restent trois ans, et c'est cela qu'ils font. Ils n'étudient ni l'histoire, ni la politique, ni l'anglais, contrairement à ce que vous pourriez penser. Peut-être les Britanniques pensent-ils que le système d'enseignement secondaire est tellement bon que ceux qui en sortent ont appris tout ce qu'ils devaient apprendre au moment où ils arrivent à ce niveau. Je trouve cela incompréhensible, et j'ai bien l'intention d'essayer de leur demander de m'expliquer cela, mais c'est ainsi que les choses se présentent là-bas. Mais la situation varie d'un pays à l'autre.

Il faut également que je vous dise ceci au sujet des études de journalisme : il y a des écoles de journalisme depuis 50 ans au Canada, depuis un peu plus de 50 ans, et depuis une centaine d'années aux États-Unis, et ces écoles n'ont toujours pas, au sein de l'université ou dans le milieu professionnel proprement dit, le même genre de statut que les autres écoles professionnelles. Cela est à la fois difficile à comprendre et un peu inquiétant. Pourquoi se fait-il que les écoles de journalisme qui, après tout, devraient faire des choses qui sont au cœur même de la mission d'une université, apprendre à penser, apprendre à poser des questions, apprendre à écrire, pourquoi ne le font-elles pas? Je veux dire par là que dans un cadre universitaire, ce sont des choses quand même importantes. Pourquoi se fait-il que les universités ne les considèrent pas encore comme des membres à part entière du milieu universitaire, un peu comme cela se fait pour les écoles de commerce par exemple?

Les écoles de commerce. Vous savez que les écoles de commerce ont un certain prestige dans les universités. Mais pour bien des universités, les écoles de journalisme sont un peu comme une gêne, de sorte qu'il y a un genre de problème.

Il en va de même pour l'industrie proprement dite. Même si celle-ci est devenue plus ouverte — et d'ailleurs elle va même recruter dans les écoles de journalisme — elle continue à déplorer beaucoup le fait que les écoles de journalisme ne font pas du bon travail, de sorte qu'il y a un genre d'hypocrisie, et je ne sais pas quelle conclusion vous allez tirer de cela. Il n'y a pas ici autant — même si cela arrive — d'attaques de ce genre contre les écoles de journalisme, ces attaques gratuites de la part de gens qui écrivent une fois dans leur vie sur le sujet. Ces gens disent : « D'accord, John Fraser va se déchaîner contre les écoles de journalisme », et c'est bien ce qu'il fait, il s'en prend à elles. Voilà le genre de choses que vous pourrez voir : Des rédacteurs en chef des journaux, des chroniqueurs, qui ne sont pas aussi favorablement disposés à l'endroit des écoles de journalisme que ne le sont les autres professionnels à l'égard de leurs grandes écoles.

Le sénateur Munson : Peut-être ont-ils oublié, les uns comme les autres, comment on travaille en réalité dans ce domaine?

M. Cobden : À mon avis, ils pensent que cela ne leur était pas vraiment nécessaire. Ils vivent encore dans un monde où on pouvait dire que n'importe qui peut faire ce genre de métier au débotté.

Le sénateur Munson : Si moi j'ai pu le faire, tout le monde peut le faire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Professeur, j'ai la chance de pouvoir encore vous poser une question. Hier, nous avons appris que même les étudiants en journalisme ne lisaient pas les journaux, en version papier comme en version électronique. Cela m'interpelle vraiment beaucoup, ces jeunes gens qui lisent tout et n'importe quoi, mais qui lisent également ce qui se passe chez eux et dans le reste du monde. La jeunesse semble vous enthousiasmer. J'ai pris note de beaucoup de choses que vous nous avez dites au sujet de la jeunesse. Pensez-vous que le Canada et ses provinces pourraient faire beaucoup plus pour promouvoir et récompenser ce genre d'ouverture à la lecture dans le système scolaire et si oui, comment?

M. Cobden : Je vais faire de mon mieux, mais laissez-moi d'abord vous dire ceci : Je ne pense pas que les chiffres que vous mentionnez dans votre rapport provisoire, pas plus que ceux qu'on peut voir dans d'autres études, et qui donnent le pourcentage des jeunes gens qui ont lu un journal aujourd'hui ou cette semaine, je ne crois pas que ces chiffres soient vrais. Cela, je le dis en me fondant sur mon expérience, qui est fort longue d'ailleurs puisque cela fait 15 ans que j'enseigne le journalisme. J'ai élevé trois enfants; j'ai rencontré leurs amis. Je connais beaucoup de jeunes gens et je ne peux pas croire que 40 p. 100 des jeunes gens ont lu un journal cette semaine, peu importe ce que disent vos chiffres. Je n'y crois pas un seul instant. J'ignore ce que cela veut dire. Peut-être ont-ils jeté un coup d'œil sur la page des loisirs, pour une raison ou une autre, même si là aussi, j'en doute. Ou encore la page des sports. Cela dit, je pense qu'il est fabuleusement inexact d'avancer qu'un tel pourcentage de jeunes gens lisent un quotidien une fois par semaine ou chaque jour, peu importe le chiffre que vous citez.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque vous parlez de jeunes gens, parlez-vous des élèves du secondaire ou des moins de 21 ans?

M. Cobden : Je parle des gens de moins de 34 ans.

Le sénateur Trenholme Counsell : La dernière question que j'ai posée de façon spécifique concernait la façon dont nous pourrions relever ce niveau de littératie dans nos écoles. Je suis d'accord avec vous, il faut penser aux jeunes gens depuis l'âge de l'adolescence jusqu'à l'âge de la vingtaine.

M. Cobden : Je vais y arriver dans un instant, mais permettez-moi d'abord d'ajouter qu'à mon avis, cela ne vaut pas seulement pour les journaux. Cela vaut aussi à mon sens pour la télévision et pour la radio, de même que pour le journalisme en ligne. Je ne crois pas un seul instant, et lorsque je me promène à King's et lorsque je vois ce genre de choses, je ne crois pas du tout que les jeunes gens qui passent des heures et des heures devant leur écran d'ordinateur lisent les bulletins d'actualité en ligne. Je ne le pense pas. Je ne pense pas que cela fasse partie du régime quotidien des jeunes. Pas du tout.

Je pense qu'il en va de même pour la télévision. L'actualité télévisée, les quotidiens, n'arrêtent pas de faire du lavage de linge sale en public. Mais pas les autres médias. Je me demande quel est le pourcentage des gens de 15 à 34 ans, peu importe la façon dont on les catégorise, qui regardent tous les jours The National ou National News de CTV ou de Global, ou même qui regardent ce genre de bulletin d'actualité à l'occasion. Je vous parie que ce pourcentage est très faible.

Pour répondre à votre question, oui, je pense qu'il y a un problème grave. Pourquoi cela? Je dirais que dans un sens, le problème nous échappe totalement parce que les forces qui conspirent pour détourner l'attention des gens de l'actualité et les intéresser à autre chose sont tellement puissantes qu'il est difficile de voir comment on pourrait les contrer. Mais en même temps, je pense qu'il y a en particulier un rôle pour l'école secondaire, et même peut-être plus tôt encore, qui pourrait tenter de trouver le moyen d'intéresser les jeunes gens à ce qui se passe dans leur pays et ailleurs dans le monde. Je pense que c'est ainsi qu'il faut présenter les choses. Ce n'est pas nécessairement qu'il faille s'intéresser à l'actualité plutôt qu'à ce qui se passe. Il y a une façon d'y arriver. Bien sûr, cela dépend énormément de l'enthousiasme de l'enseignant, mais aussi des sollicitations dont il fait l'objet pour qu'il fasse passer le contenu.

Dans mon temps, j'ai rencontré beaucoup de professeurs d'anglais qui tous m'ont dit qu'ils adoreraient pouvoir parler plus souvent d'idées dans leurs salles de classe, pour apprendre aux jeunes à s'intéresser aux idées, et donc à l'actualité, à ce qui se passe dans le monde et dans leur propre pays. Ils adoreraient pouvoir faire ça mais ils ont tellement de contenu à faire passer qu'ils se sentent un peu obligés de se plier à cela. Il est donc difficile de blâmer les enseignants. Si cette initiative doit se concrétiser, il faut qu'elle vienne des gens qui déterminent les programmes et qui fixent les objectifs.

Mais je suis d'accord avec vous : si on veut que cela arrive, c'est à l'école que cela doit commencer. Jadis, les gens disaient immanquablement : « Ne vous inquiétez pas si les jeunes gens ne lisent pas les journaux, ils finiront par le faire, il suffit d'attendre qu'ils se marient et qu'ils prennent une hypothèque, vous savez bien, qu'ils deviennent des consommateurs, et de gros consommateurs, et à ce moment-là ils commenceront à lire les journaux. » Je n'en suis pas persuadé maintenant. C'était probablement vrai jadis, mais je ne suis pas sûr — je suis moins optimiste et je ne pense pas que cela se produise à moins qu'on leur en donne davantage l'envie et que les médias fassent plus qu'ils ne font jusqu'à présent pour susciter cette envie, en proposant un type de journalisme qui corresponde à ce genre d'aspirations. Cela dit, j'en conviens avec vous, c'est à l'école que tout doit commencer.

Le sénateur Trenholme Counsell : Nous avons une occasion en or pour le faire dès le plus jeune âge, parce que je pense que c'est au niveau intermédiaire, vers la cinquième année, qu'on commence à enseigner les sciences sociales et c'est à ce moment-là qu'on pourrait faire ce genre de chose. Toutefois, il me semble aussi qu'en se reposant un peu symboliquement sur la notion d'apprentissage permanent, vous savez, l'idée qu'on ne fait pas de progrès si chaque jour, lorsqu'on se lève et lorsqu'on se couche, on ne se demande pas ce qu'on a appris de nouveau, ce qu'on a absorbé, en quoi on s'est amélioré. Mais il n'est pas de meilleure façon de le faire qu'en utilisant les médias. Nous avons au Canada d'excellents quotidiens qui ont des cahiers scientifiques, des cahiers consacrés aux affaires et à la politique et j'en passe. Tout cela est là à votre portée, il suffit de vouloir lire pour apprendre. C'est cela que nos écoles doivent faire parce que lorsque vous parlez de contenu, le contenu finalement n'est qu'une fraction infime de ce qu'il faut savoir dans la vie. Par contre, il faut aussi savoir comment apprendre et comment...

M. Cobden : Je suis désolé de vous interrompre, mais si j'enseignais, j'utiliserais la presse parallèle en guise d'introduction. En fait, ce sont des publications qui ne sont pas vraiment destinées aux adolescents, et je pense ici par exemple à The Coast. Ce sont des publications qui s'adressent aux gens dans la vingtaine et dans la trentaine. D'ailleurs, il n'y a pas beaucoup d'adolescents qui lisent The Coast, mais ce que je ferais moi entre autres, c'est faire en sorte que les jeunes gens commencent à s'intéresser à ces publications parallèles. Je n'apporterais pas le Globe and Mail en classe de sixième dans l'espoir que mes élèves y réagissent, mais par contre avec The Coast, cela pourrait marcher.

Je pense également, et peut-être aurais-je dû le dire, qu'on a désespérément besoin de revues destinées expressément aux enfants et aux adolescents. La seule chose que les adolescents canadiens lisent, ce sont ces horribles revues américaines qui se ressemblent toutes. Toutes ces revues vous apprennent les 25 façons d'embrasser son copain ou sa copine et ce genre de chose. Tous les numéros se ressemblent, et chaque numéro de chaque revue est exactement le même que le précédent, et essentiellement, tout est américain. Je pense qu'il y a ici un rôle pour l'entreprise, trouver une façon canadienne de pousser les jeunes gens à lire des périodiques.

Laissez-moi juste vous relater ce que nous avions fait jadis à l'école. Nous avions publié notre propre revue. Elle avait pour titre Urge, et on y trouvait toutes sortes d'articles habituels, mais également des choses un peu plus provocantes, et notamment une critique absolument dévastatrice d'une certaine école secondaire de la ville. D'ailleurs, les gens en parlent encore. C'était il y a de très nombreuses années, mais je rencontre encore des gens qui me disent : « Vous savez, j'étais à telle ou telle école et lorsque cet article a été publié, je me souviens encore de ce qu'il disait. » C'est cela qu'ils vous disent. Je pense donc qu'on peut faire ce genre de chose mais que ce n'est pas au gouvernement à le faire. C'est manifestement le rôle de l'entreprise, mais à l'heure actuelle, je pense qu'il n'y a rien de très satisfaisant qui se fait dans ce sens.

La présidente : Je voudrais vous poser une question, mais avant de le faire, je voudrais revenir à tout le moins sur quelque chose que vous avez dit dans votre exposé, en l'occurrence que l'une des raisons pour lesquelles les médias classiques ne parlent pas comme ils le devraient des minorités quelles qu'elles soient, c'est que leurs articles ou leurs reportages doivent intéresser beaucoup de gens, il faut attirer l'attention du plus grand nombre possible de lecteurs ou d'auditeurs. Je ne suis pas du tout d'accord avec ce constat. Certes, c'est une question qui est très loin du mandat du comité, mais je ne peux pas résister à la tentation.

Ce qui me semble, c'est que tous les médias proposent des ensembles de choses dont chaque élément est destiné à intéresser un segment de l'auditoire, et que le véritable défaut de cela, comme vous le disiez en parlant de la communauté portugaise de Kingston, c'est que la rédaction, les journalistes aussi, mais essentiellement la rédaction, ne le voit pas. S'ils voient une communauté, ils la voient un peu comme la verraient des touristes. La rédaction du Whig voit la communauté portugaise de Kingston un peu de la même façon que nous trouverions les gens de Bali intéressants en y allant comme touristes. Et même moins que cela encore. S'ils avaient vu cela, une fois par an, ils auraient pu publier un article au sujet d'un festival ethnique un peu attendrissant, c'est un exemple que je vous donne, organisé par la minorité, au lieu de dire simplement : « Quoi que la communauté fasse, ce qu'elle fait est aussi légitime que toute autre composante de notre collectivité. »

Il me semble que c'est là quelque chose qu'un très grand nombre de journalistes et de rédacteurs en chef ne font pas encore et devraient faire : arrêtez de penser que tel ou tel peuple est pittoresque et regardez-les plutôt comme le ferait un touriste en disant : « Nous sommes tous ici. Nous sommes tous Canadiens et tout le monde mérite qu'on parle de lui. »

Professeur, je ne vous demande même pas de répondre à cela mais, et vous m'en excuserez, il fallait absolument que je me vide le cœur.

Je pense que c'est vrai, et c'est vrai depuis un certain temps déjà dans les écoles de journalisme, qu'une grande partie, et dans certains cas la majorité, des étudiants sont des femmes. Ce n'est pas nouveau. C'est le cas depuis un certain temps déjà. Mais que se passe-t-il une fois que ces femmes ont obtenu leur diplôme? Regardez les gens que nous avons entendus ici au comité et qui représentaient les grandes institutions, les grandes chaînes de médias, qui sont issus de la haute direction : rares étaient les femmes. Qu'est-ce qui se passe donc?

M. Cobden : Je dois me contenter de formuler des conjectures, mais je vous dirais qu'il peut y avoir certaines choses. Pour commencer, vous avez parfaitement raison lorsque vous parlez chiffres. Il se peut qu'un certain nombre de ces étudiants en journalisme finissent par travailler dans d'autres domaines que le journalisme, les relations publiques, par exemple, et que la majorité de ceux-ci sont des femmes. Je n'en sais rien. Peut-être aussi, en d'autres termes, que si 70 p. 100 des étudiants sont des femmes, peut-être un pourcentage de ces 70 p. 100 finissent par travailler dans d'autres domaines, un pourcentage plus élevé que dans le cas des 30 p. 100 restant. Par contre, si on va dans une salle de presse, on y voit autant de femmes que d'hommes de nos jours. Elles n'ont pas comparu devant votre comité, mais si vous visitez les salles de presse de différents médias, je pense que vous y verrez autant de femmes que d'hommes...

La présidente : Mais à quel niveau?

M. Cobden : Surtout parmi les journalistes.

La présidente : C'était vrai il y a vingt ans.

M. Cobden : Je sais. Pourquoi les femmes ne deviennent-elles pas cadres? À mon avis, l'une des raisons pour lesquelles elles ne deviennent pas cadres, et c'est un peu la même chose que dans tous les autres secteurs de la vie, c'est que les gens ont tendance à faire ce qu'ils ont toujours eu coutume de faire, là où ils se sentent à l'aise.

C'est tout à fait la même chose dans le système scolaire. Même si la très grande majorité des enseignants des écoles primaires étaient des femmes, la très grande majorité des directeurs d'écoles primaires étaient des hommes. J'imagine qu'on avait un peu dans l'idée de faire avancer des gens qui sont semblables à nous, et si votre imagination vous limite à penser : « Les gens comme moi, ce sont les hommes », et si je suis un homme, alors assurément c'est un facteur qui joue dans tout cela. Cela, c'est l'aspect le plus négatif.

Il faut plus de temps pour faire changer cette attitude qu'on ne le souhaiterait, simplement parce que ceux qui occupent aujourd'hui les postes d'éditeur et de rédacteur en chef sont en général des hommes qui ont tendance à promouvoir des hommes plutôt que des femmes au poste de rédacteur adjoint simplement parce qu'ils sentent que ce sont des personnes comme eux-mêmes. Ça pourrait être la couleur, ça pourrait être la culture; il se trouve que c'est le sexe. Je ne dis pas que j'approuve. Je dis simplement que nous avons tendance à nous entourer de personnes qui nous ressemblent. C'est ce qui arrive dans la vie et il faut du temps pour que cela change. Je pense que les choses sont en train de changer. Je sais qu'il y a de plus en plus de journaux au Canada où ce sont des femmes qui sont éditeurs ou rédacteurs en chef ...

La présidente : Vous en connaissez vraiment?

M. Cobden : ... plus qu'il y en avait autrefois, lorsque je travaillais pour des journaux. Je n'ai pas étudié cette question et je n'ai donc pas de chiffres à vous fournir. Vous en avez peut-être. J'ajouterai une dernière chose. C'est peut-être ironique, mais je pense que les femmes font de meilleures journalistes que les hommes et ont donc tendance à rester dans ces postes. Qu'en pensez-vous, est-ce ridicule de dire cela? De nombreuses recherches semblent indiquer que les filles ont de plus grandes aptitudes littéraires, ou qu'elles lisent davantage, ou qu'elles utilisent mieux la langue que les garçons. Il y a eu beaucoup de recherche sur cette question. Je ne sais pas, mais peut-être que le fait qu'elles soient si bonnes journalistes nuit en quelque sorte à leurs chances d'obtenir des promotions. Je ne sais pas. Est-ce que c'est une idée ridicule?

La présidente : Je pourrais en débattre avec vous pendant longtemps.

M. Cobden : Je ne dis pas que c'est le cas.

La présidente : Pour en revenir à ce que vous disiez au sujet des difficultés que posent les compétences linguistiques au recrutement des minorités, y a-t-il des écoles de journalisme qui offrent un cours préliminaire obligatoire de six semaines en anglais pour les journalistes? Si ça existait, est-ce que ça aiderait?

M. Cobden : Je ne le pense pas.

La présidente : Non?

M. Cobden : Je pense qu'un cours de six semaines n'aiderait pas, et je ne pense pas qu'il y ait d'école de journalisme qui offre un tel cours. Je pense qu'il faudrait plutôt un cours de journalisme au sein d'un programme d'anglais langue seconde ou d'anglais langue étrangère. Je pense que c'est ça qu'il faudrait.

La présidente : Donc, le contraire?

M. Cobden : Oui.

La présidente : Sénateur Tkachuk, à vous le dernier mot.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais revenir à la question des jeunes qui lisent les journaux. Y a-t-il des recherches comparatives sur le nombre de jeunes qui lisaient les journaux dans le passé? Si on remonte dans le temps, décennie par décennie, constaterait-on vraiment une différence?

M. Cobden : Je pense qu'il y aurait une assez grande différence à la fin des années 1920 et au début des années 1930. À mon avis, le nombre de jeunes qui lisent les journaux a beaucoup diminué. Je ne prétends pas que tous les jeunes lisaient le journal lorsque j'étais adolescent, mais moi je le lisais. Je pense qu'il y avait peut-être tout simplement moins de choses à faire qu'il n'y en a aujourd'hui. Il est plus difficile de les rejoindre aujourd'hui que ce l'était auparavant et je pense que c'est probablement vrai. Lorsque j'avais 14 ans, j'ai commencé à lire le journal tous les jours et je n'étais pas le seul. J'étais au pensionnat et on voyait tout le temps les jeunes en train de lire les journaux dans la salle commune. Cela faisait partie des activités quotidiennes d'un grand nombre de jeunes. Ce n'est plus le cas. Je pense qu'on ne verrait pas cela maintenant. Je ne le pense vraiment pas.

Le sénateur Tkachuk : Nous avons probablement le même âge. Je dis simplement qu'à l'école publique que je fréquentais, je ne connaissais personne qui lisait jamais un journal. En fait, nous n'avions même pas de journaux lorsque j'étais jeune. On ne nous apportait pas de journaux. Tout le monde lisait des livres, comme Huckleberry Finn et Tom Sayer. Tout le monde lisait des livres, mais personne ne lisait les journaux.

La présidente : Merci beaucoup, professeur Cobden. On peut dire que vous avez su nous intéresser.

M. Cobden : Je vous en prie.

La présidente : Nous vous sommes tous très reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Quand allez-vous publier votre étude?

M. Cobden : Je ne sais pas ce qui arrivera de mon étude. Je ne connais pas la réponse. Je vais essayer de la terminer d'ici la fin juin, et si je réussis je pourrais vous en envoyer un exemplaire, si cela vous intéresse.

La présidente : Oui, s'il vous plaît.

M. Cobden : Très bien, madame la présidente.

La présidente : Cela sera sans doute très intéressant.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, nous devions accueillir des représentants du Halifax Daily News. Le Daily News avait confirmé que son éditeur et son rédacteur en chef seraient présents, mais ils se sont désistés à la fin de la semaine dernière, indiquant qu'ils n'avaient rien à ajouter à la présentation de M. André Préfontaine qui a comparu devant le comité le 30 octobre 2003. Par conséquent, nous avons réussi à ajouter très rapidement...

Le sénateur Munson : Madame la présidente, excusez-moi. Je tiens simplement à dire, aux fins du compte rendu, que je suis très déçu que le Halifax Daily News n'ait pas le courage de comparaître devant nous pour nous donner une meilleure idée de la situation à Halifax où il y a deux journaux qui se font concurrence.

La présidente : Merci, sénateur Munson. Nous allons entendre notre autre principal témoin dans quelques instants. Cependant, il y a quelqu'un qui n'a pu comparaître lorsque nous avons invité les membres du public, en raison d'un manque de communication hier. Je vais donc demander à M. Brian Warshick de bien vouloir prendre place. Nous lui accorderons quatre minutes pour faire un exposé et ensuite nous aurons quatre minutes pour lui poser des questions, puis nous entendrons M. Tim Currie, également de l'École de journalisme à l'Université King's College.

Monsieur Warshick, la parole est à vous.

M. Brian Warshick, témoignage à titre personnel : Merci beaucoup, j'apprécie que vous trouviez le temps de m'entendre aujourd'hui, car je suis revenu hier après-midi. Malheureusement, la séance de témoignages du public s'est terminée un peu tôt et je n'ai pas eu l'occasion de comparaître.

Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, après avoir regardé quelques-unes de vos séances antérieures sur CPAC, et après avoir lu dans le Halifax Chronicle Herald que vous alliez tenir des séances dans toutes les régions du Canada, j'ai pensé venir m'adresser à vous. Je n'ai jamais comparu devant un comité gouvernemental de quelque type que ce soit, alors pardonnez-moi si je suis un peu nerveux. Cependant, après avoir lu votre mandat, je voulais faire des observations sur deux questions dans les quatre minutes que vous m'accordez. Toutefois, j'espère que vous me poserez quelques questions par après.

La première question est celle des stations de radio privées. Au début des années 1990, il y a eu un ralentissement de l'économie, pas seulement ici, mais dans le monde entier. Nombreux sont ceux qui prétendent que c'était même pire que le crash de 1929. La radio, comme tous les autres médias qui dépendent de l'argent de la publicité, a été durement touchée, surtout les petites stations indépendantes. Nombre d'entre elles ont été vendues pendant cette période. Le CRTC est alors intervenu et a commencé à permettre la cogestion et les activités de diverses entreprises sous un même toit. Ces entreprises ont réussi et ce sont elles qui nous servent ici et dans tous les grands centres des Maritimes. Cependant, il convient de signaler que certains pensent que les choses vont mieux maintenant. Prenez par exemple le nombre de demandes et le nombre de nouveaux permis accordés l'an dernier, y compris quatre uniquement dans notre région. Il est évident que la radio a des auditeurs et peut faire de l'argent.

Il faudrait de nouveau séparer les activités. En fait, le CRTC a décrété récemment que les services de vente ne pouvaient plus être partagés. J'espère que vous proposerez la même chose pour les salles de presse, question sur laquelle j'ai entendu le sénateur Munson faire une observation lors de votre audience du 23 février qui a été diffusée sur CPAC.

Il y a 20 ans toutes les stations envoyaient quelqu'un à tous les événements médiatiques, y compris ces audiences de comités du Sénat — je ne sais pas s'il y a des radios présentes ici aujourd'hui, à part peut-être Radio-Canada — mais aujourd'hui il est rare qu'elles participent à une conférence de presse ou autre activité médiatique. Certaines stations d'Halifax avaient non pas un, mais deux journalistes sportifs il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, il n'y a pas une seule station de radio privée qui ait même un journaliste sportif. De nombreuses stations n'ont plus ni reporters ni journalistes; seulement des lecteurs de nouvelles. En fait, bon nombre de ces lecteurs ne font qu'un appel par jour, dès le début de la journée, au poste de police local pour demander au sergent de service ce qui s'est passé pendant la nuit. Pour le reste, ils se contentent essentiellement de régurgiter ce qui se trouve dans les journaux du matin ou peut-être de diffuser les nouvelles provenant des agences de presse. Comme les représentants du Herald vous le disaient hier, la plupart n'ont plus d'émissions horaires ni même d'émissions quotidiennes. Essayez de téléphoner à la salle de nouvelles d'une station de radio dans cette ville et dans bien d'autres au Canada d'ailleurs, après 18 heures ou n'importe quand la fin de semaine. Vous n'obtiendrez rien d'autre qu'un enregistrement.

Il fut un temps, pas si lointain que ça, où c'était important d'obtenir les faits et d'être les premiers à diffuser une nouvelle. Plus maintenant. Les commerces de détail et de nombreux bureaux restent encore connectés sur le monde extérieur grâce à la radio, et non pas à la télévision. Dans cette région, les ouragans et les pannes de pouvoir qui durent toute la journée ne sont plus des événements rares. Les gens se fient à la radio pour obtenir rapidement des renseignements à jour. Ce n'est pas possible si le seul employé de service est le disc-jockey, et on ne peut pas s'attendre à ce qu'il fasse deux choses en même temps. Même Sarah Dennis, du Herald, qui comparaissait ici hier a dit, et je la cite : « La concurrence assure de meilleures nouvelles. À l'heure actuelle, il n'y en pas dans la radio privée. »

La deuxième question que je voulais aborder concerne la Société Radio-Canada, particulièrement la télévision. Sénateur Tkachuk, vous avez posé une question que j'ai trouvée assez intéressante à la représentante du Herald hier lorsque vous l'avez interrogée au sujet des dépenses pour les médias électroniques dans le cas de la presse écrite. Vous obtiendrez toujours une réponse particulière, mais j'ai trouvé que la sienne était très bonne.

Je voudrais parler du financement public de la Société Radio-Canada. J'y crois. Je veux qu'on utilise l'argent de mes taxes pour financer CBC/Radio-Canada. En fait, j'aimerais ajouter quelque chose. Je ne sais pas si d'autres vous ont dit ceci lors d'autres audiences, mais pour ma part, j'estime qu'il est temps que la Société Radio-Canada et le gouvernement investissent de l'argent pour créer un réseau des sports au sein de CBC/Radio-Canada. Ainsi, il n'y aurait pas de fiasco. Une telle chaîne pourrait soumissionner et téléviser les émissions sportives aux heures où les Canadiens peuvent les regarder.

Pour vous donner un exemple, comme vous le savez probablement, les Néo-Écossais sont devenus champions du monde de curling. Ce n'était pas ainsi il y a 20 ans. Les équipes gagnantes étaient presque toujours des équipes de l'Ouest. En 2003, nous avons eu le champion de curling des hommes, Mark Dacey, et bien sûr, Colleen Jones est bien connue dans ce sport. Elle aussi est de la région et elle a été championne tout récemment, en 2004. Cette année, en l'absence du hockey de la Ligue nationale, le Championnat de curling masculin a certainement été l'un des événements sportifs les plus regardés, et deux stations différentes — une station classique et une station spécialisée — ont essayé de diffuser les parties. Les parties n'ont pas toutes été diffusées. Certaines ont été enregistrées, puis diffusées avec un décalage, et c'est à peu près impossible d'obtenir l'horaire soit dans les journaux ou même auprès de CBC/Radio- Canada. Je serais certainement d'accord pour que CBC/Radio-Canada envisage d'utiliser l'argent de mes impôts pour créer un réseau des sports public.

Je crois que mes quatre minutes sont probablement écoulées. Il y a deux autres histoires que j'aimerais vous raconter, même si je sais que la présidente ne m'a accordé que quelques minutes, mais si vous voulez entendre d'autres histoires intéressantes sur l'impact de la radio sur nos vies, j'en ai deux autres que j'aimerais vous raconter.

Le sénateur Tkachuk : Il me semble que CBC/Radio-Canada a déjà un réseau des sports sur le câble, n'est-ce pas?

M. Warshick : Non.

Le sénateur Tkachuk : Et pourtant, cette chaîne existe. Il s'agit d'une chaîne de formule manchettes, et c'est sur cette chaîne que le curling a été présenté. Elle s'appelle The Score. C'est une chaîne de CBC/Radio-Canada sur le câble.

M. Warshick : Non, je pense que cette chaîne appartient à Rogers, monsieur le sénateur.

Le sénateur Tkachuk : Non, The Score appartient à CBC/Radio-Canada. Rogers est propriétaire de Sports Net, je pense. The Score est une chaîne de CBC/Radio-Canada et elle a présenté le curling. Lorsque la chaîne principale de CBC/Radio-Canada ne présentait pas le curling, on pouvait le voir sur The Score. On a pu le voir sur CBC/Radio-Canada et sur Country Canada, qui est une station câblodiffusée payante.

Vous parliez de la radio, combien de stations de radio — je ne sais pas si vous êtes expert en la matière, mais vous donnez l'impression de l'être — hier, nous avons entendu un témoin qui connaissait mieux la radio que de nombreux témoins experts et j'ai été très surpris d'apprendre qu'il n'y avait pas de journalistes à l'emploi des stations de radio. J'ai entendu dire qu'il y aura une nouvelle station d'information continue dans cette ville.

M. Warshick : C'est exact. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de journalistes dans les stations de radio. Il y a des lecteurs de nouvelles, mais il n'y a pratiquement personne qui fasse de reportages. Les stations de radio privées de la région n'ont aucun reporter. Je ne pense pas qu'il y ait non plus de journalistes qui puissent approfondir des dossiers. Il n'y a que des lecteurs de nouvelles à la radio.

Le sénateur Munson : Monsieur Warshick, pourquoi ne pas vous raconter ces histoires? Pouvez-vous également nous dire si vous pensez que nous devrions recommander qu'il y ait un certain minimum de reporters à l'emploi des radios privées ou que celles-ci soient obligées, à tout le moins, de couvrir l'actualité de leur ville d'une manière réglementaire, soit de rapporter ce qui se passe à l'hôtel de ville? Si ce que vous dites est vrai, il est un peu difficile de revenir en arrière.

J'ai travaillé pour une radio privée. J'ai fait de la radio privée pendant 15 ans et nous rapportions l'actualité comme vous l'avez dit, mais chaque été, lorsque je retournais dans le nord du Nouveau-Brunswick, j'étais très irrité de ne recevoir que des émissions nouvelles. Il n'y a pas beaucoup de nouvelles à la radio locale.

M. Warshick : Est-ce que je pourrais répondre à la deuxième question comme si elle faisait partie de la première, monsieur le sénateur?

Le sénateur Munson : Oui.

M. Warshick : Je ne suis pas sûr si ce comité devrait essayer de déterminer le nombre d'employés qu'une station serait obligée d'avoir. Par exemple, il y a cinq stations, toutes sous un même toit, qui partagent la même salle de nouvelles. Comment pourrais-je obtenir quelque chose de différent en allant d'une station à l'autre? En outre, si les stations n'ont que des lecteurs de nouvelles, comment puis-je obtenir d'autres nouvelles que celles que je trouve dans le journal?

Je pense qu'il est temps de séparer les activités, tout comme le CRTC a imposé la séparation des équipes de vente. Je crois qu'il est temps de recommencer à informer les Canadiens. Il est clair que ceux-ci le souhaitent. Par exemple, l'émission CBC News : Morning est plus populaire ici, je crois, que dans tout autre marché canadien. CBC News : Morning est toujours en première ou en deuxième place. Ce n'est pas nécessairement le cas dans tous les marchés. Cependant, ici dans l'Atlantique, les gens aiment être informés. Ils aiment obtenir les nouvelles.

Permettez-moi de vous compter deux anecdotes; je vais essayer d'être bref, madame la présidente. La plupart d'entre nous savent que les médias façonnent nos vies. Nous savons tous où nous étions le 23 novembre 1963. Nous savons ce qui s'est produit le 20 juillet 1969 et plus encore le 11 septembre 2001. Nous étions aux côtés de John F. Kennedy, du premier homme à marcher sur la lune et témoins de la catastrophe du World Trade Center. Laissez-moi vous parler du 8 décembre 1980, un autre jour qui a façonné nos vies. Je venais de terminer successivement la lecture du bulletin d'information de 16 heures, de 17 heures et de 18 heures à une station radio de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, une station AM privée indépendante. Ce soir-là, je suis allé faire des enregistrements à l'hôtel de ville. J'ai dû laisser des copies de mon enregistrement. Comme vous le savez, madame le sénateur, cela se faisait beaucoup dans les radios privées. J'ai dû laisser là plusieurs morceaux de bande. Je suis resté jusqu'après minuit. Tout à coup, les téléscripteurs de la Presse canadienne ou de l'AP — chaque salle de presse en a quatre ou cinq — se sont mis à sonner sans cesse : Ding, ding, ding... neuf fois au moins. Il y a un code, si vous vous en souvenez bien. Deux ou trois sonneries ne voulaient pas dire grand-chose; un changement à un article, par exemple. Il y a eu neuf sonneries. Je suis monté à l'étage voir le téléscripteur et j'ai attrapé une dépêche d'une ligne. Je me suis précipité à l'étage supérieur vers celui qui tenait l'antenne — qui n'est peut-être pas là aujourd'hui — peu après minuit ce lundi soir là et lui ai demandé de passer une carte qui disait : « Blablabla, voici un bulletin spécial de CFBC. » La dépêche se lisait comme suit : « John Lennon a été abattu à l'extérieur de son immeuble. »

La nouvelle n'allait peut-être pas parvenir à bien des gens avant le matin, mais je suis resté et je l'ai diffusée. Le disc- jockey était furieux : « Je vais perdre mon job; on a interrompu une chanson. » Mais ce n'est ce qui est arrivé. De fait, je suis resté et j'ai fait un bulletin spécial, à une heure du matin, pour permettre aux auditeurs, aux travailleurs de nuit, d'entendre les dernières nouvelles. Moi, je n'oublierai jamais cette date et c'est le cas de beaucoup d'autres aussi.

J'aimerais maintenant vous raconter quelque chose d'un peu plus joyeux. La même année, un peu plus tard, à la même station de radio. En mai 1981, un dénommé Terry Fox de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, a entrepris un marathon incroyable pour lutter contre le cancer. Sauf pour sa journée inaugurale qui a été reprise par le bulletin national à la télévision il y a eu très peu de couverture médiatique en provenance des Maritimes; il n'y en avait qu'ici, à l'époque. Il allait d'un endroit à l'autre. Ce n'est pas que je veuille me glorifier, mais j'ai encouragé son marathon. J'ai commencé à m'intéresser à lui quand il est arrivé au Cap-Breton et j'ai commencé à consulter les dépêches de la Presse canadienne, les journaux locaux, et à appeler les stations de radio pour me faire une idée. À l'époque, sénateur, vous vous en souviendrez, vous pouviez envoyer des topos de 30 secondes à Broadcast News; ils étaient envoyés sur le réseau national toutes les heures et vous pouviez choisir ce que vous vouliez, les enregistrer et les diffuser sur votre bulletin.

J'ai dû en transmettre des centaines de cette façon et j'ai eu l'occasion de rencontrer moi-même Terry Fox. Aucun autre journaliste ne s'est rendu au Admiral Beatty Hotel de Saint-Jean quand il y était avec son frère et son chauffeur. Il n'y avait pas de journalise mais moi j'ai continué à alimenter l'agence dans l'espoir que d'autres reprendraient mes reportages. Comme vous le savez, une fois qu'il est arrivé à la frontière de l'Ontario, l'affaire avait le vent dans les voiles. C'est un autre cas de nouvelles intéressantes qui venaient de la radio. Aujourd'hui, ce serait impossible.

La présidente : Quelle charmante histoire. La radio est un média magnifique et merveilleux. Merci beaucoup de vous être joint à nous, monsieur Warshick. Je regrette que nous soyons à court de temps.

Le sénateur Tkachuk : Madame la présidente, j'aimerais faire une correction. Je pensais que The Score appartenait à CBC; je l'ai toujours cru mais ce n'est pas le cas. Il y a des liens particuliers entre CBC et The Score, mais cela appartient à quelqu'un d'autre et M. Black, notre attaché de recherche, essaie de savoir qui exactement, s'il s'agit de TSN ou de quelqu'un d'autre. Enfin, moi, j'ai toujours cru que cela appartenait à CBC.

La présidente : Merci de cette précision. Nous allons vérifier parce que c'est très utile.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais maintenant demander à M. Tim Currie de se joindre à nous. Nous vous remercions de votre patience, monsieur Currie. Vous savez comment nous aimons procéder : nous aimerions vous entendre une dizaine de minutes après quoi nous allons vous poser des questions.

Il est possible qu'avant que vous ayez fini je doive quitter le fauteuil mais le vice-président, le sénateur Tkachuk, me remplacera et assurera la permanence.

La parole est à vous, monsieur Currie.

M. Tim Currie, École de journalisme, Université King's College, témoignage à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup de l'occasion qui m'est donné de comparaître devant le comité.

J'enseigne à l'École de journalisme de l'Université King's College ici à Halifax; je me spécialise dans le journalisme en ligne depuis 1999. Vous avez déjà entendu des collègues à moi de l'École vous parler de la propriété, de la concentration et de l'enseignement du journalisme. C'est pourquoi j'aimerais aujourd'hui m'en tenir à la situation des médias en direct dans la région de l'Atlantique. Je serai aussi bref que possible.

Des données rassemblées par mes collègues du Canadian Media Research Consortium donnent à penser que c'est la minorité des Canadiens qui se servent d'Internet comme principale source d'information. Toutefois, je pense que la situation est toute différente chez les moins de 35 ans. Un certain nombre de témoins ont insisté devant le comité sur le fait que de moins en moins de jeunes lisent les quotidiens. Je le constate chez mes propres étudiants. La plupart d'entre eux ont grandi à l'époque de l'information gratuite sur le web et passent une grande partie de leur journée sur Internet. Leur source première d'information générale et d'informations, c'est le web. Ils consultent des chroniques en ligne ainsi que des sites d'actualités et s'attendent à ce que le contenu soit convivial pour l'internaute.

Dans la région de l'Atlantique, CBC/Radio-Canada est le seul grand organe de presse à offrir du contenu conçu pour le web. C'est la CBC qui est la plus présente dans les quatre provinces et est le chef de file dans le recours à ce média. C'est le seul grand organe de presse de la région à afficher des articles tout au long de la journée.

La plus grande partie du contenu sur les sites régionaux de CBC/SRC provient des reportages radio et télé. Toutefois, le personnel les remet en forme pour les adapter aux lecteurs en direct en offrant de l'information de fond ainsi que des liens à des articles antérieurs qui donnent le contexte. Le lecteur est également invité à consulter des documents de référence sur d'autres sites web.

À l'occasion, ils ont présenté des reportages en direct sur des informations de dernière heure. Par exemple, l'équipe web de CBC/Nova Scotia a couvert la visite du président George W. Bush à Halifax en décembre. Elle a publié des reportages textes des protestations toutes les 10 minutes à l'aide d'une connexion sans fil et accompagné le reportage d'images prises par téléphone-appareil photo. Les lecteurs ont ainsi obtenu un compte rendu régulier des protestations étayé par des articles d'archives de CBC sur les relations canado-américaines ainsi que d'articles rédigés expressément pour expliquer l'événement. En outre, le site donnait la liste des protestations prévues ce jour-là ainsi que les participants. On y trouvait également des liens vers les pages web des groupes en question.

Ce bloc d'information représente un effort admirable d'interpellation du lecteur à la recherche d'interactivité informationnelle. Chose plus importante encore, il s'agissait d'une façon novatrice de recours au web pour mieux illustrer la diversité des points de vue des protestataires et mettre en exergue les enjeux qui les mobilisaient. Il s'agit peut-être là seulement d'un petit exemple, mais je crois qu'il montre bien les efforts de CBC/Radio-Canada à l'échelle nationale de démultiplier la capacité du web pour offrir aux lecteurs un contenu multidimensionnel, de faire l'essai de nouvelles formes de narration et d'engager le lecteur dans la discussion. J'estime que CBC/Radio-Canada a besoin des moyens nécessaires pour continuer ce travail et faire davantage.

Les médias du secteur privé dans la région de l'Atlantique, eux, sont plus frileux. Les grands journaux de la région ont un site web qui offre quelques articles gratuitement et d'autres qui sont interdits aux non-abonnés. Ils n'actualisent leur site qu'une fois par jour, habituellement, et ne font que reproduire le contenu de la version papier. Le comité sait très bien pourquoi : l'absence de modèle de production de recettes. On constate pourtant des cas de nouveaux médias dans la région qui se servent du web pour tailler des créneaux que ne desservent pas les médias traditionnels.

Il y a dans notre province allnovascotia.com, une publication d'information commerciale qui publie chaque jour exclusivement sur le web. Elle compte trois journalistes à plein temps fort expérimentés. Il leur arrive souvent de damer le pion aux médias traditionnels, par exemple en suivant l'actualité judiciaire au contraire des autres médias. Depuis sa création il y a quatre ans, allnovascotia.com est devenu une source fiable d'envergure d'actualités commerciales dans la province. Seules les manchettes du site sont gratuites. Les articles proprement dits sont consultables par abonnement, ce qui constitue la source première de recettes du site. C'est une petite entreprise devenue viable grâce aux investissements qu'elle a faits dans la technologie et qui protège son contenu à l'aide de logiciels qui font qu'il est difficile pour le lecteur de copier les articles et de les faire suivre.

Non contents de payer pour obtenir un contenu spécialisé comme des nouvelles commerciales, beaucoup de Canadiens consultent le web à la recherche d'articles et d'opinions qu'ils ne trouvent pas dans les médias traditionnels. Ils veulent de l'interactivité, une diversité de points de vue et un sentiment d'appartenance. Même si beaucoup de ces textes ne sont pas du journalisme à proprement parler, il ne faut pas minimiser ces voix.

Les Canadiens se tournent vers des publications comme The Dominion, un site web gauchisant basé à Halifax qui se décrit comme le journal national du peuple. Même si le contenu est constitué en grande mesure de points de vue, ce qui en fait une sorte de grande chronique en ligne, la rédaction s'inspire de principes de journalisme et publie régulièrement des articles inédits dont certains proviennent d'étudiants inscrits à notre programme de journalisme. Le site donne un point de vue sur l'actualité nationale et internationale qu'il aurait été difficile de publier il y a dix ans. Il permet également aux lecteurs de choisir le mode de livraison, c'est-à-dire de lire l'article sur le web, de recevoir un condensé par courrier électronique ou de s'abonner à un service appelé RSS qui envoie le titre de l'information à son ordinateur. Si les gens sont attirés par The Dominion, c'est peut-être en partie parce que le site évolue sur le plan technologique et que la rédaction invite ses lecteurs à lui envoyer des contributions et observations. Si les citoyens de la région de l'Atlantique délaissent les médias traditionnels, c'est peut-être parce qu'ils ne trouvent pas ces particularités.

Le Daily News d'Halifax a été le premier quotidien canadien à se doter d'un site web en 1995. Après deux changements de propriétaire, le site offre désormais moins d'articles chaque jour et a conservé le même mécanisme de livraison.

Beaucoup de gens aujourd'hui veulent un sentiment d'attachement à leur organe d'information. Ils ne veulent plus être des auditeurs passifs; ils veulent débattre de l'information. Ils veulent contester les faits. Ils veulent mettre les journalistes sur la bonne piste.

Dan Gilmor, chroniqueur au Mercury News de San Jose, a rédigé un ouvrage l'an dernier que devraient lire tous ceux qui s'intéressent à l'évolution du cyberjournalisme. Il s'intitule We the Media : Grassroots Journalism by the People, for the People. Gilmor avance ce qui suit :

Demain, la production de l'information sera plus une conversation ou un séminaire. La distinction s'estompera entre producteurs et consommateurs, modifiant le rôle de chacun d'une manière que nous commençons à peine à deviner. Le réseau de communication lui-même sera un véhicule de la voix de chacun, et non uniquement de ceux qui auront les moyens de s'offrir des imprimeries de plusieurs millions de dollars, de lancer des satellites ou d'obtenir de l'État l'autorisation de squatter les ondes publiques.

Son point de vue n'est pas conventionnel mais mérite qu'on l'écoute.

Peut-être avez-vous eu vent ces derniers temps du phénomène croissant que l'on appelle le « podcasting », c'est-à- dire la publication de fichiers sonores sur Internet à destination d'un ordinateur ou d'un lecteur portable comme iPod. On entendra de plus en plus parler dans les années à venir d'innovations technologiques comme celle-là, surtout que le consommateur s'attendra à recevoir de l'information conçue pour et transmise par le téléphone cellulaire ou des appareils comme le Palm Pilot. Ces innovations diffuseront des publications et des émissions que l'on peut considérer comme du journalisme. Une grande partie du contenu ne sera pas du journalisme, mais la diversité des points de vue qu'ils diffuseront et le sentiment d'appartenance qu'ils créeront continueront sans doute de gruger l'auditoire des organes de presse traditionnels s'ils ne s'adaptent pas.

Je ne prétends pas savoir exactement comment les organes de presse pourront s'adapter et je doute que quiconque le sache. Le journalisme de qualité, il va sans dire, coûte de l'argent et tant que les organes traditionnels n'auront pas trouver le moyen d'être lucratifs sur le web, il y a peu de chance que leur contenu évolue radicalement dans la région de l'Atlantique. J'estime toutefois que l'État devra reconnaître l'existence de nouvelles formes de média en direct et la croissance de leur auditoire.

Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez offerte de vous faire ces observations; j'espère qu'elles vous seront utiles.

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup, monsieur Currie. La couverture en direct par CBC de la visite du président Bush comprenait-elle des articles sur l'ESB ou le dossier du bois d'oeuvre?

M. Currie : En général?

Le sénateur Tkachuk : Il y avait une large couverture des protestations mais y avait-il des articles sur les dossiers canado-américains qui nous inquiètent, comme l'ESB, le bois d'oeuvre et le bouclier antimissiles?

M. Currie : Il y avait une série d'articles sur les dossiers relatifs à la visite du président américain, les dossiers que le premier ministre était censé soulever ainsi que leur contexte; il y avait donc des articles de fond sur les enjeux.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez proposé d'accorder plus de fonds à CBC/Radio-Canada pour son contenu en ligne. N'y verrait-on pas là une concurrence déloyale? Je veux dire que si nous, les contribuables, donnons plus d'argent à CBC/Radio-Canada, et si le gouvernement lui dit : « Vous devez consacrer cet argent supplémentaire à la radio ou au contenu en ligne » ou Dieu sait quoi, est-ce que ce ne serait pas perçu comme de la concurrence déloyale pour les éléments du secteur privé qui essaient de mettre en ligne leur propre produit?

M. Currie : Pas pour l'instant. CBC/Radio-Canada est actuellement loin devant tout autre organe de presse dans la façon dont elle produit du contenu et par rapport au volume de contenu qu'elle offre. Néanmoins, la plupart des sites que les gens consultent — torontostar.com, globeandmail.com — se contentent de reproduire le contenu de leurs publications papier. Oui, ils présentent des nouvelles de dernière heure pendant la journée mais ce n'est rien par rapport à ce que fait CBC/Radio-Canada sur ses divers sites.

Le sénateur Tkachuk : Mais CBC/Radio-Canada n'a pas à être lucrative. Elle peut dépenser autant qu'elle voudra et bien ficeler le tout et être productive, mais elle n'a pas à produire des bénéfices. Estimez-vous que cela devrait continuer ainsi? À quoi cela sert-il?

M. Currie : Continuer me semble important à court terme. Je doute de la rentabilité des investissements effectués dans la plupart des grands sites web d'actualités. Ce sont les versions papier qui fournissent la quasi-totalité de leurs fonds. Les recettes tirées de la publicité couvrent seulement une partie minime des coûts. Tant qu'on n'aura pas trouvé un modèle d'affaires satisfaisant pour les actualités sur le web, je vois mal ces sites effectuer les investissements majeurs que nécessiterait le type de contenu souhaité par les jeunes.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi investiraient-ils alors que leur concurrent bénéficie des deniers publics? En d'autres termes, la présence en ligne d'un concurrent majeur subventionné directement par le contribuable ne constitue-t-elle pas une matraque pour empêcher tout investissement non gouvernemental?

M. Currie : Je pense que les sites traitent de choses différentes. Le Toronto Star, par exemple, a une présence régionale majeure. CBC/Radio-Canada a sa propre niche, son propre public. À mon sens, le problème existe à court terme, pas nécessairement à long terme.

La présidente : J'ai une question complémentaire. Je dirais qu'au Canada le site de CBC/Radio-Canada est celui qui a le plus de profondeur, mais qu'il s'inspire, peut-être, du site de la BBC. Vous en sauriez sans doute plus long que moi à cet égard. Par contre, si on se penche sur les grosses entreprises médiatiques des États-Unis, je ne crois pas que le New York Times ait adopté le même type d'approche, n'est-ce pas?

M. Currie : Pas au même niveau que CBC/Radio-Canada, qui, vous avez raison, s'inspire effectivement du modèle de la BBC.

La présidente : Cela découle alors d'une notion complètement différente du rapport que les entreprises médiatiques doivent avoir avec le web, du moins pour la décennie actuelle.

Notons toutefois que les responsables du Toronto Star nous ont indiqué qu'ils commençaient juste à rentrer dans leurs frais, peut-être même à faire des bénéfices — je ne me souviens plus exactement de ce qu'ils ont dit. Leur modèle est tout à fait différent.

Le sénateur Munson : J'ai une remarque d'ordre personnel. Je ne sais pas jusqu'à quel point elle a sa place ici. Personnellement, il y a une chose qui m'étonne vraiment, en ligne; j'ai deux fils, âgés de 17 et de 20 ans; et nous avons à la maison deux ordinateurs qu'ils monopolisent complètement, même celui qui est propriété du Sénat. La dernière fois que je suis entré dans la pièce où ils se trouvent, mon aîné, celui de 20 ans, était sur MSN; il faisait ses devoirs, il lisait les grands titres de l'actualité et il regardait le tsunami sur une vidéo en direct — les quatre à la fois. Est-ce le propre de la nouvelle génération? Quand j'ai dit que je ne voyais pas comment il pouvait se concentrer sur les quatre à la fois, il m'a répondu que ça ne posait aucun problème. Et il a d'assez bonnes notes et comprend ce qui se passe dans le monde. Vous qui vous spécialisez sur ce qui se fait en ligne, pensez-vous que ce soit l'évolution, que la génération actuelle soit en mesure de tout absorber et de tout synthétiser?

M. Currie : En tout cas, vos fils sont en bonne compagnie. Mes étudiants gardent la messagerie MSN ouverte en arrière-plan. Ils vérifient leurs courriels pendant que j'essaye d'enseigner, ce qui est parfois très difficile.

Je voudrais signaler que le guide de rédaction de la BBC, par exemple, recommande des articles de 600 mots ou moins. Pensez-y un peu : avec 600 mots, comment pouvez-vous raconter ce qui se passe?

À mon avis, le journalisme en ligne tire sa force de la capacité d'avoir des strates d'information. La plupart des études montrent que les gens font plusieurs choses à la fois en ligne pendant qu'ils sont à leur ordinateur. Si on part du principe ou de la constatation que la plupart des gens qui lisent les actualités en ligne ont un laps d'attention extrêmement bref, on doit s'adapter en présentant des strates d'information, où chaque page présente une histoire très brève, mais comporte systématiquement des liens à d'autres pages qui fournissent des données de fond, elles aussi relativement brèves. Les personnes qui lisent en ligne n'aiment pas faire dérouler le texte; elles préfèrent cliquer; elles ont le sentiment de progresser quand elles passent d'une page à une autre; elles souhaitent être interactives; elles aiment remplir des formulaires et faire part de leurs commentaires.

L'une des caractéristiques du web est sa capacité à fournir une quantité illimitée de renseignements de fond, mais simplement par le biais de liens, ce qui permet à ceux qui souhaitent juste avoir un survol de disposer de résumés.

Le sénateur Munson : Je vous remercie. J'ai juste une autre remarque. Selon quelqu'un que nous avons entendu en comité hier ou avant-hier, les journaux canadiens n'ont pas encore compris et n'exploitent pas les services en ligne comme le fait CBC/Radio-Canada, pourrait-on dire, et les Américains vont bien plus loin, alors que les journaux canadiens se servent du contenu en ligne seulement comme d'un appât, pour vous amener à acheter le journal pour connaître le fin fond de l'histoire. Quels sont les investissements ou les efforts requis pour que les journaux canadiens en arrivent au niveau requis? Qui plus est, vu le panorama que vous brossez, est-ce bien la chose à faire?

M. Currie : Pour l'instant, la plupart des gens cherchent à suivre l'actualité grâce à leur ordinateur personnel, c'est-à- dire généralement dans leur bureau, chez eux. Dans un an ou deux ans, je pense que la situation sera radicalement différente, avec la multiplication des téléphones cellulaires ayant la capacité de recevoir les grands titres de l'actualité. On constate l'évolution des assistants numériques. Quand les gens ont quelques minutes de battement, c'est généralement dans le bus, dans le métro ou dans un café. Dans ces cas-là, pour l'instant, ils n'ont généralement pas accès à un ordinateur. D'ici un ou deux ans, la situation aura changé, grâce à la technologie nous permettant d'avoir accès à Internet sans fil dès que nous aurons du temps libre. Il faut pour cela, bien sûr, la capacité technique d'acheminer le contenu aux appareils mais il faut aussi rédiger différemment. Pas question, par exemple, de copier et de coller un article de 1 000 ou 1 200 mots tiré d'une publication sur papier, dans l'espoir que ça se lise aisément sur un téléphone cellulaire. C'est irréalisable. Il faut que les organes de presse investissent dans un personnel de rédaction capable de reformuler ce contenu afin de le rendre accessible aux consommateurs de ce type.

Le sénateur Munson : Avez-vous des idées quant à la façon dont on peut traiter sa dépendance au BlackBerry une fois qu'on l'a tenu en mains? Il fut un temps où je trouvais l'idée risible. Mais je me souviens qu'un collègue reporter, Eric Sorenson, qui avait un de ces assistants numériques pendant la campagne électorale — celle de 2000, j'imagine. Nous étions en compétition pour soumettre nos articles et il me coiffait au poteau trois fois sur quatre parce qu'il se servait de son appareil dans le bus. Quand je demandais qu'est-ce que c'était que ce truc, il répondait vaguement, avec sa belle voix grave façon Radio-Canada. Nous nous entendions très bien. N'empêche que, quand venait 10 heures du soir, lui avait son article et moi j'avais devant moi encore une heure de galère pour le rattraper. C'est là que j'ai compris l'importance de ce truc.

Maintenant, j'en ai un et je ne peux plus m'en passer; je le mets sous les couvertures avec moi; je suis accroc. Je ne sais pas comment je ferais si j'étais en manque, c'est une technologie qui fait partie de notre vie 24 heures sur 24.

M. Currie : Je n'ai pas d'assistant numérique, mais ma femme m'a suggéré de vérifier mon courrier électronique deux fois par jour seulement, au lieu de faire la vérification automatique toutes les dix minutes; cela a beaucoup réduit mon niveau de stress. Pensez-y.

Le sénateur Munson : Merci. Je regrette d'étaler ainsi mes petits problèmes.

Le sénateur Eyton : Merci de vos remarques. Personnellement, je suis un néophyte dans tout cela. Vu mon âge, j'ai même échappé à la maladie du BlackBerry.

Si je vous ai bien compris, l'initiative de cyberdiffusion de la CBC se situe surtout ici? C'est une initiative locale?

M. Currie : Non, c'est une initiative nationale. Mais tous les sites régionaux de la CBC sont gérés à partir de Toronto; il y en a dans chacune des provinces. Les quatre sites des provinces de l'Atlantique sont les seules sources d'actualités qui mettent leur contenu à jour tout au long de la journée et qui ajoutent au contenu régional fourni par les reporters régionaux du matériel fourni par le siège, à Toronto.

Le sénateur Eyton : Le contenu provient donc essentiellement de Toronto?

M. Currie : Non, l'essentiel du contenu est local, fourni par les reporters de radio et de télévision de la région. Hier, par exemple, le site CBC en Nouvelle-Écosse présentait les toutes dernières nouvelles sur l'élection du pape, avec une citation d'un Haligonien sur place au Vatican.

Le sénateur Eyton : Auriez-vous accès au service ici, localement? À Vancouver, c'est effectivement le cas.

M. Currie : Avec le web, oui, bien sûr. Il suffit de taper l'URL.

Le sénateur Eyton : Décidément, on n'arrête pas le progrès. Pouvez-vous me donner une idée des chiffres? Cela semble coûteux, cela semble incontournable, mais y a-t-il vraiment une demande? Je me demande combien de personnes adoptent le service. Avez-vous des statistiques?

M. Currie : D'après les statistiques les plus récentes que je connaisse, 50 p. 100 des Canadiens ont un accès haute vitesse à Internet de chez eux. Si on y ajoute l'accès par modem au réseau commuté, de moindre vitesse, la proportion est un peu plus élevée.

Le sénateur Eyton : Je parlais du service en question. Avez-vous une idée des chiffres? Les gens visitent-ils le site pour obtenir des actualités?

M. Currie : Non, je n'ai pas ces chiffres.

Le sénateur Eyton : À King's College, les étudiants fréquentent-ils souvent ce service?

M. Currie : Indubitablement. C'est la source où ils obtiennent l'essentiel de leurs informations. Il faut toutefois signaler que les étudiants ne font pas vraiment la distinction entre le journalisme et l'information en général. C'est une des choses que je reproche à mes étudiants : d'avoir une espèce d'échelle mobile des actualités à l'information. Ils ont tendance à considérer comme des actualités tous les sites dont ils tirent de l'information, même s'il ne s'agit pas de journalisme dans sa définition traditionnelle. Il y avait encore voici dix ans une démarcation claire entre les journalistes et les autres. C'est seulement au cours des deux dernières années qu'on a vu des cyberchroniqueurs être agréés pour couvrir, par exemple, les congrès des partis républicain et démocratique aux États-Unis — les responsables les estimant manifestement qualifiés.

Le sénateur Munson : Le cours que vous enseignez à King's est-il obligatoire?

M. Currie : Non, du moins pas l'ensemble des cours que j'enseigne. J'enseigne des cours sur les techniques de reportage, des cours pour les étudiants de deuxième année et pour ceux dans notre programme d'un an. J'anime aussi un atelier sur le journalisme en ligne, qui est offert en option, comme tous nos ateliers. Les étudiants ont le choix entra la radio, la télévision, la presse, le contenu en ligne ou la narration non romanesque. J'enseigne aussi une introduction au journalisme en ligne, en option pour les étudiants de troisième année. C'est un cours magistral, un séminaire, contrairement à l'atelier de reportage, qui est un atelier journalistique, où nous consacrons le plus clair de notre temps à des questions de reportage.

Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Currie, vous qui avez une approche tellement moderne et à jour du journalisme et de l'enseignement, avez-vous le sentiment que les enseignants du secondaire enseignent à nos étudiants comment s'y prendre correctement, qu'il s'agisse de recherche sur Internet ou de rédaction en ligne? Y sont-ils disposés? Y sont-ils préparés? Ou les jeunes apprennent-ils sur le tas, sans qu'existe dans l'enseignement secondaire une formation officielle dans ce domaine, ni même semi-officielle?

M. Currie : Je crois que le système scolaire présente aux étudiants la technologie et les techniques voulues pour trouver des renseignements sur le web quand ils en ont besoin pour leurs devoirs. Toutefois, je constate très peu de progrès dans la capacité des jeunes à analyser véritablement les sources qu'ils consultent, notamment sur le web. Qu'est-ce que ce site web? Qui est derrière le site? Qui paye les factures de cet organisme? N'oublions pas qu'il faut de l'argent pour afficher un site web. Je dirais que, dans bien des cas, les étudiants qui entament des études de journalisme se ressemblent : il faut vraiment les pousser aux fesses pour qu'ils vérifient les renseignements qu'ils trouvent.

Vous demandiez si les écoles secondaires préparaient les étudiants à cela. D'après mon expérience, je dirais qu'il n'y a pas de formation spécifique pour le web, hormis les techniques pour trouver des renseignements et repérer des sites de qualité pour leurs devoirs. Je crois que la plupart des enseignants du secondaire dirigent probablement leurs étudiants vers certains sites web qui leur seraient utiles pour leurs devoirs.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai une question complémentaire. Vu le rôle croissant que joue Internet dans notre vie, et notamment dans celle des jeunes, pensez-vous qu'il devrait exister un programme officiel quelconque? Il s'agirait non seulement de se servir d'Internet mais aussi de l'évaluer. Est-ce quelque chose qui se fait, à votre avis?

M. Currie : Non, pas systématiquement, en tout cas. Et je serais en faveur d'une approche de ce type dans les écoles secondaires. Comme l'ont signalé bien d'autres témoins devant le comité, nous sommes inondés d'informations. L'une des capacités les plus utiles aujourd'hui est celle d'analyser et de vérifier l'information, afin d'établir une distinction entre l'information légitime, susceptible d'être utilisée pour des articles de presse, et l'information moins indépendante. Dans bien des cas, dans nos deux programmes, il me semble que nous partons de zéro. À mon avis, il existe un besoin criant pour une formation sur l'évaluation de l'information, au niveau du secondaire.

La présidente : Je vous écoute et je reviens à une question qui montre peut-être que je suis d'une autre génération. Si l'on se dirige vers un monde où de plus en plus de gens obtiennent leur information dans l'espace restreint de l'écran d'un BlackBerry ou d'un cellulaire — et 600 mots, qui va lire 600 mots sur l'écran d'un BlackBerry? Cinquante mots, ce serait un maximum, à moins d'être absolument passionné par le sujet. Dans le même temps, nous vivons dans un monde dont la complexité va croissante, un monde de plus en plus difficile à comprendre, un monde où, à cause de la mondialisation, il existe des complexités qui ont un impact plus direct sur chacun d'entre nous qu'elles n'en auraient eu il y a 100 ans, mettons, quand peu importait à la plupart des gens qu'il y ait une guerre en Afghanistan ou pas.

Ceci étant, où va la collectivité? À vous entendre, j'ai une vision de cauchemar : le retour à une division quasi médiévale de la société, où il y a une élite instruite et une majorité de gens qui ne savent rien. Est-ce vers cela qu'on se dirige?

M. Currie : Que beaucoup de gens se contentent des grands titres, sans plus, est un des grands dangers de l'âge du web. Les études montrent déjà qu'on ne peut forcer les gens à lire 600 ou 800 mots. Ils refusent de le faire. Ils lisent simplement les 25 ou 50 mots d'un article, puis s'arrêtent. Quant à faire dérouler le texte écran après écran, il n'en est pas question. Mais la beauté du web, à mon avis, je le répète, est qu'avec 50 mots sur un BlackBerry, on a la possibilité de cliquer et d'en apprendre plus, d'aller plus loin et encore plus loin dans l'article. On ne peut pas gaver les gens d'informations, mais on peut les encourager, grâce au web, à approfondir toujours plus un article. Pour cela, il faut des rédacteurs qui sachent rédiger un contenu en ligne, qui sachent segmenter les articles et les lier entre eux afin d'encourager les lecteurs à aller vers un profil, à lire une mise en contexte ou à prendre connaissance d'un historique, à écouter un document sonore, peut-être, ou à visionner une vidéo. De par leur nature, les hyperliens permettent d'approfondir toujours plus une recherche, et c'est ainsi que je vois l'avenir.

La présidente : Cela signifie essentiellement que cette société va se transformer en ce que j'appellerais, par souci de simplicité, une élite qui veut s'informer de cette façon-là et le reste, la majorité des gens, ne sauront tout simplement pas comment s'y prendre. C'est une perspective que je trouve inquiétante. J'ai 60 ans. Je suis désolée, mes antécédents sont tout à fait différents, mais je suis préoccupée par les incidences d'un tel phénomène sur la société. De toute façon un comité sénatorial ne peut pas arranger la société.

Le sénateur Tkachuk : C'est une histoire intéressante, mais j'adopterai le point de vue contraire et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Il s'agit peut-être davantage d'une démocratisation de l'information de sorte que l'élite n'aura pas autant d'influence qu'elle en a à l'heure actuelle pour ce qui est de contrôler les journaux et les médias. Peut-être s'agira-t-il plutôt d'une diminution de l'influence des médias d'information et il y aura peut-être plus de réactions, une plus grande démocratisation, un plus grand nombre de gens qui réagiront aux informations et aux autres personnes qui lisent cette information, comme les carnets web l'ont montré. Je crois que c'est une bonne chose, mais je n'en suis pas sûr. Je pense que c'est un phénomène qui sera très positif et qui créera un sentiment plus fort d'appartenance à la communauté parce que nous y participerons tous sur le même pied d'égalité.

Même à Saskatoon, nous serons en mesure de dialoguer sur Internet à propos des grands enjeux politiques alors qu'auparavant nous n'avions accès qu'à l'opinion du rédacteur en chef du Star Phoenix de Saskatoon. Aujourd'hui, les gens seront informés différemment. Je ne suis pas sûr que c'est ce qui est en train de se produire, mais ce que je suis en train de dire, c'est qu'il s'agit d'une réelle possibilité, et donnez-nous au moins l'occasion de communiquer de cette façon-là.

M. Currie : Je crois que c'est certainement une option. Si les gens ne lisent pas les médias grand public, c'est peut-être qu'ils considèrent que les points de vue qui y sont exprimés ne les intéressent pas et il ne fait aucun doute que l'expression d'un plus grand nombre de points de vue renforcera, je crois, les médias traditionnels. Parallèlement, comme je l'ai mentionné dans mes commentaires, je crois que notre définition du journaliste et de l'information changera. Il y aura beaucoup plus de gens qui assumeront le rôle de journalistes et nous aurons accès à un plus grand nombre de points de vue.

Le sénateur Munson : J'ai deux observations à faire. Dans un cas, je suis peut-être naïf. Le journalisme en direct fait- il appel à une forme d'écriture différente de celle que vous enseigneriez habituellement?

M. Currie : Oui, et essentiellement la devise est « soyez bref ». Le sénateur Fraser a indiqué que tout le monde veut un résumé, et le journalisme en ligne consiste en partie à présenter d'abord un plus grand nombre de résumés, en reconnaissant que les cyberlecteurs sont des gens pressés. Cela signifie un plus grand nombre de sous-titres, plus d'informations morcelées, un plus grande nombre d'encadrés, un plus grand nombre de notes télégraphiques. Le contenu en ligne s'apparente à une présentation PowerPoint. Cela correspond au temps dont disposent les gens et à ce qu'ils veulent. L'autre aspect bien sûr c'est l'établissement des liens : il faut établir des liens avec des renseignements de base et vers d'autres articles qui assurent un contexte et agencer ces liens sous une forme narrative simple qui permet une lecture suivie. Autrement dit, vous ne verrez pas la mention « cliquer ici » sur le web, mais vous tomberez simplement sur un article sur des mouvements de protestation et n'aurez qu'à cliquer sur cette histoire qui vous mènera naturellement vers un document de base.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé des chroniqueurs en ligne, des carnets web, de la couverture des congrès et de l'accréditation à obtenir pour couvrir les congrès. Si ce phénomène démarre, il y aura davantage de personnes qui couvrent les congrès que de participants à ces congrès parce que les gens sont en train de devenir des chroniqueurs en ligne. Je ne citerai pas de noms, mais c'est un phénomène qui est en train de devenir assez populaire et les gens consultent les carnets web dans notre société d'information pour y trouver des faits ou des opinions. Il s'agit d'opinions, mais ils les considèrent comme des faits. Je crois qu'il serait extrêmement difficile pour ceux qui dirigent des organisations de dire « Je suis un chroniqueur en ligne qualifié » de la même façon qu'ils disent maintenant « Je suis un journaliste qualifié et par conséquent j'ai le droit d'être accrédité et de bénéficier de tous les droits dont bénéficient les journalistes des médias grand public et autres ».

M. Currie : Il y a certainement un grand nombre de chroniqueurs en ligne qui se disent journalistes et qui n'agissent pas comme des journalistes et qui ne respectent pas les caractéristiques que l'on attribue habituellement à un comportement journalistique.

La présidente : Je vous remercie beaucoup pour votre présentation, monsieur Currie. Elle a été très intéressante et comporte de nombreux éléments de réflexion.

M. Currie : Je vous remercie.

[Français]

La présidente : Nous avons le très grand plaisir, cet après-midi d'accueillir Mme Denise Comeau Desautels, directrice générale du Courrier de la Nouvelle-Écosse, le journal de langue française de la Nouvelle-Écosse. Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui, madame Desautels.

Je pense que vous connaissez un peu notre système. On vous demande de faire une déclaration d'une dizaine de minutes, et ensuite nous poursuivrons avec à la période de question. Si cela vous convient, la parole est à vous.

Mme Denise Comeau Desautels, directrice générale, Le Courrier de la Nouvelle-Écosse : Madame la présidente, au nom de la Société de presse acadienne, je désire vous remercier pour la chance que vous m'accordez aujourd'hui de vous présenter la situation du Courrier de la Nouvelle-Écosse, le seul journal provincial de langue française qui publie à toutes les semaines, et cela depuis 1937.

Cet hebdomadaire appartient à la communauté acadienne et francophone de la province. Ce journal, tout comme la population qu'il dessert, a évolué au fil des ans. Étant la voix de la population acadienne locale du sud-ouest de la province, il entreprend dès 1972 la lourde tâche de rejoindre une population acadienne dispersée aux quatre coins de la province. Suite au retour du Grand Dérangement, les Acadiens se sont retrouvés isolés les uns des autres dans différentes régions. Ils avaient développé leur propre identité, mais le journal a contribué à les rassembler afin qu'ils puissent prendre conscience des avantages du point commun qui les unissait et de la force que leur donnait le pouvoir de revendiquer des droits.

Je me pose souvent la question suivante : si la Nouvelle-Écosse n'avait pas eu ce journal, quel aurait été le cheminement de la communauté acadienne et francophone de la province? Ce journal est essentiel car il est un des principaux joueurs dans le développement économique et culturel de notre communauté qui fait elle-même partie de la grande toile francophone du pays.

En accord avec la philosophie de la Société de presse acadienne, nous soutenons les principes suivants : informer, renseigner, prendre position, divertir, motiver et, comme c'est le cas du Courrier de la Nouvelle-Écosse, documenter. Ce journal a archivé et continue d'archiver la vie acadienne et francophone de la province.

Notre plus grand défi est de véhiculer une information de qualité tout en opérant dans une fragilité financière quotidienne. Comme journal reflétant une minorité linguistique, nous sommes enterrés dans un monde de médias de langue majoritaire. Nous faisons face à un dilemme quotidien. Le journal est vu et utilisé comme outil de grande importance pour la couverture des événements qui touchent les Acadiens et les francophones, mais non pour le placement de publicité. Les annonceurs utilisent plus souvent les médias de langue majoritaire et nous sommes souvent confrontés au raisonnement que notre clientèle fonctionne aussi bien en anglais qu'en français. Cette pratique nous porte à être très créatif lorsque vient le temps de nous procurer des revenus publicitaires qui assurent notre rentabilité. Si le gouvernement fédéral utilise les journaux anglophones pour passer ses messages aux Acadiens et aux francophones de la province, cela nuit énormément à la rentabilité de l'entreprise. Plus nous avons de revenus publicitaires, plus nous aurons de pages pour couvrir les événements et plus nous aurons d'employés afin de servir notre clientèle.

Près de 70 p. 100 de nos revenus proviennent de la vente de publicité. Chaque semaine, nous devons faire des plaintes au Commissariat aux langues officielles, car un grand nombre de publicités destinées aux francophones aboutissent dans les journaux de langue majoritaire. Cette façon d'agir force les francophones de la province à lire les publicités en anglais ou en format bilingue dans les journaux anglophones, ce qui mène tout droit à l'assimilation. Une des raisons pour laquelle ces publicités ne sont pas publiées dans nos journaux est le manque de planification de la part des agences du gouvernement fédéral. Souvent, lorsque notre plainte est faite, si l'annonce contient une date buttoir, il est trop tard pour publier cette annonce.

Nous prenons notre travail très au sérieux et avec beaucoup de professionnalisme. Nous livrons une nouvelle qui est rarement couverte par les médias anglophones de la province. Si nous ne la couvrons pas, qui va le faire?

Je vais vous parler, si vous me le permettez, de mes dix années d'expérience comme employée au journal. Comme directrice du seul journal de langue française de la Nouvelle-Écosse, je suis un membre actif de plusieurs comités qui travaillent à l'avancement de la communauté acadienne et francophone de la province, tel le comité de la Loi sur les services en français, en Nouvelle-Écosse. Comme membre de l'Association de presse francophone, nous pouvons compter sur un service de nouvelles nationales en plus de participer à des formations avec des personnes qui font le même métier que nous et qui vivent la même réalité.

Le gouvernement fédéral a mis en place des programmes qui nous sont très avantageux. Prenons par exemple le Programme d'aide aux publications. Celui-ci nous permet d'économiser sur les frais de poste. Des demandes de projets de Patrimoine canadien et de Ressources humaines et du développement des compétences Canada sont aussi très avantageuses, mais nos demandes de programmation sont refusées par Patrimoine canadien.

Plusieurs obstacles empêchent un journal comme le nôtre de grandir et de se développer. Notre premier et plus grand défi vient de Postes Canada. Nous avons un produit et nous désirons le livrer aux clients le plus vite possible. Le territoire couvert par le Courrier de la Nouvelle-Écosse est très grand et nous éprouvons des problèmes de distribution. À notre bureau, qui est situé dans la région acadienne de la Baie-Sainte-Marie, nous recevons le journal soit le jeudi, le vendredi ou le lundi suivant. À plusieurs reprises, nous avons dû téléphoner aux différents bureaux de poste pour nous faire dire que notre journal a soit été perdu, oublié lors du tri de la poste ou même oublié sur des dépliants de magasins de grande surface. Ces pratiques lèsent nos abonnés et nos annonceurs et nous causent beaucoup de problèmes. La solution idéale serait que nos journaux soient approuvés pour recevoir l'étiquette « dans un délai convenu ».

Un deuxième obstacle est que nous sommes pris entre deux réalités : faire des plaintes et perdre ce que nous avons acquis ou bien prendre un risque et soit gagner ou perdre. La Société Radio-Canada exige une réduction de 35 p. 100 sur les coûts de publicité en échange de deux minutes de diffusion par semaine des grands titres du journal sur les ondes de la radio. Ce manque à gagner nuit à notre rentabilité.

Une troisième difficulté est que le message que l'on reçoit des ministères n'est parfois pas très clair. Dans leur présentation, l'APECA cite les médias comme outil de développement économique, mais lorsque l'on fait une demande de projet, on nous dit tout de suite qu'ils ne toucheront pas à notre entreprise parce que nous faisons partie de la presse. On nous place dans la même catégorie que les grands quotidiens de langue majoritaire de la province. Dernièrement, un organisme a placé une publicité dans notre journal qui annonçait qu'ils recherchaient des clients pour louer des locaux. Nous avons fait la demande en vue d'y installer nos bureaux et l'on nous a dit que c'était impossible car cette bâtisse appartient à l'APECA et, encore une fois, parce que nous publions un journal.

J'aimerais conclure avec cette réflexion qui résume bien l'importance du travail que nous faisons : un groupe sans journal passe sous silence, un groupe avec un journal forme une communauté.

La présidente : Merci beaucoup, madame Desautels. L'APECA est l'acronyme pour l'Agence de promotion économique du Canada atlantique ou Atlantic Canada Opportunities Agency.

Mme Comeau Desautels : L'agence de promotion, oui.

La présidente : Je ne connaissais pas le nom en français.

Mme Comeau Desautels : ACOA en anglais.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Pourriez-vous nous indiquer le nombre de francophones en Nouvelle-Écosse que votre journal essaie de servir?

[Français]

Mme Comeau Desautels : Il y a à peu près 30 000 francophones en Nouvelle-Écosse cela représente à peu près 4 p. 100 de la population.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Quel est votre tirage?

Mme Comeau Desautels : Nous avons environ 5 000 lecteurs.

Le sénateur Tkachuk : Cinq mille ménages?

Mme Comeau Desautels : Oui, l'ensemble des lecteurs. C'est un hebdomadaire et beaucoup de gens le font circuler.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé brièvement de la publicité, et c'est peut-être un problème d'interprétation ou autre, mais d'autres journaux, des hebdomadaires, qu'il s'agisse de journaux de langue française ou d'autres journaux ethniques ou hebdomadaires, se sont plaints auprès de nous — et je sais que c'est un sujet assez délicat — du fait qu'ils ne reçoivent pas une part suffisante de la publicité fédérale. Êtes-vous du même avis, à savoir que vous ne recevez pas votre juste part? Je ne parle pas de subventions, je vous demande plutôt si vous croyez que votre auditoire les inciterait à payer pour des annonces?

Mme Comeau Desautels : Comme je l'ai dit, nous logeons des plaintes auprès des responsables des langues officielles chaque semaine. Pratiquement chaque jour, nous devons nous plaindre auprès des responsables des langues officielles à propos d'annonces qui ne sont pas placées dans notre journal. Elles sont placées en français ou en version bilingue dans des journaux anglais, donc nous ne recevons pas ces annonces.

Le sénateur Tkachuk : Entretenez-vous des liens formels avec d'autres journaux de langue française au pays? Entretenez-vous des liens avec des journaux francophones en Saskatchewan par exemple?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Je crois que nous en avons un en Saskatchewan.

Mme Comeau Desautels : Oui, nous sommes membres de l'Association de la presse francophone, qui représente près de 24 journaux de langue française au Canada en dehors du Québec.

Le sénateur Tkachuk : Savez-vous si les membres de l'association connaissent les mêmes problèmes?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Que disent les bureaucrates lorsque vous déposez ce genre de plaintes? Est-ce qu'ils rejettent votre plainte ou est-ce qu'ils prennent même la peine d'y répondre?

Mme Comeau Desautels : De qui parlez-vous?

Le sénateur Tkachuk : Je parle de Patrimoine canadien lorsque vous leur écrivez ou lorsque vous déposez une plainte à un autre ministère.

Mme Comeau Desautels : Les Langues officielles?

Le sénateur Tkachuk : Les Langues officielles, par exemple.

Mme Comeau Desautels : Les Langues officielles viennent d'établir une nouvelle formule qui nous permet désormais d'obtenir les annonces un peu plus rapidement. Auparavant, lorsque nous déposions une plainte, il fallait deux, trois, quatre semaines, peut-être même un mois avant qu'elles interviennent, et il y avait parfois une date à laquelle l'annonce aurait dû paraître dans le journal. Aujourd'hui, il y a un nouveau mécanisme instauré qui nous permet d'en obtenir quelques-unes, mais pas beaucoup plus.

Le sénateur Tkachuk : Peut-être que si des élections sont déclenchées bientôt, vous pourriez me laisser savoir si on se trouve à placer ces annonces très rapidement maintenant.

Mme Comeau Desautels : S'il y a des élections, ce n'est pas une bonne période pour nous parce qu'il n'y a pas d'annonces au cours d'une campagne.

Le sénateur Tkachuk : Oui, je sais.

Mme Comeau Desautels : Ce n'est pas une très bonne période pour nous.

Le sénateur Munson : Chaque fois que je parle à quelqu'un des Maritimes, j'ai toujours l'impression d'être en conflit d'intérêts parce que mon épouse a travaillé avec Vaughn Madden, de la Fédération Nouvelle-Écosse, et a contribué à élaborer un grand nombre de programmes communautaires et de diffusion en tourisme et en projets d'entreprise, etc. Par conséquent, je connais assez bien la situation des Acadiens, au point où mes deux fils m'accusent maintenant personnellement d'avoir été responsable de leur expulsion, et je ne cesse d'essayer de leur dire que dans notre famille, c'est moitié-moitié de toute façon. Ils ont fréquenté le Carrefour du Grand-Havre, une institution créée par le gouvernement fédéral que je considère comme une remarquable initiative pour les francophones de la Nouvelle-Écosse, parce qu'ils étaient un peu partout, du moins dans la région d'Halifax. Je dirais que l'intervention du gouvernement fédéral à ce niveau a bien fonctionné.

Il y a trente milles francophones dans une province de cette taille, et ils sont partout, au Cap-Breton et le long de la côte Sud de la Nouvelle-Écosse. Existe-t-il un mécanisme qui permet à la communauté francophone de rester en contact, par exemple, grâce à la radio communautaire, de façon à ce que ceux qui vivent à Cheticamp ou plus haut de l'autre côté du Cap-Breton et en bas de la côte, comme ils diraient, puissent communiquer les uns avec les autres afin qu'ils sachent qu'ils ont de l'influence lorsqu'ils parlent d'une même voix dans une province très anglophone?

Mme Comeau Desautels : Oui, nous sommes en train de constituer un comité à l'heure actuelle, le journal et les radios communautaires francophones de la Nouvelle-Écosse. C'est ce à quoi nous travaillons à l'heure actuelle, nous tâchons de constituer un comité en Nouvelle-Écosse. Je crois que cela sera très utile. À l'heure actuelle, nous établissons un partenariat avec un grand nombre de stations radiophoniques. C'est la seule façon dont nous pouvons survivre.

Le sénateur Munson : Seriez-vous favorable à une forme quelconque d'intervention gouvernementale ou devrait-il s'agir tout simplement d'une initiative qui commence par la base?

Mme Comeau Desautels : Nous serions effectivement très reconnaissants de toute aide que nous pourrions obtenir.

Le sénateur Munson : Que pensez-vous de façon générale de la couverture anglophone des Acadiens en Nouvelle- Écosse? J'ai constaté, par exemple, certaines initiatives assez positives l'année dernière de la part du Chronicle Herald lorsque j'étais là pour le Congrès mondial. En fait, j'ai été très surpris par les éditoriaux et par le ton positif de l'ensemble des reportages. C'est le moment où les Anglais de la Nouvelle-Écosse se sont réveillés et ont dit : « Vous êtes ici depuis longtemps. Vous serez ici pour toujours, et vous êtes un partenaire à part entière ».

Néanmoins, est-ce que la presse de langue anglaise comprend vraiment vos besoins et vos aspirations?

Mme Comeau Desautels : À mon avis, nous l'avons constaté l'année dernière. Je suppose que les Acadiens ont fait l'objet de très importants reportages au cours des semaines de la commémoration. Cependant, nous célébrons cette commémoration depuis 1937. La couverture a été très bonne ces quelques semaines de l'année dernière, mais je ne crois pas que la population acadienne ou la population francophone fasse l'objet de nombreux articles, non. C'est pourquoi il est très important d'avoir un journal francophone parce que nous traitons de choses qui ne seront jamais traitées par les médias anglophones.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne l'assimilation, est-ce que cela demeure un très grave problème pour les francophones en Nouvelle-Écosse, ont-ils beaucoup de difficulté à survivre?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Munson : Comment les médias peuvent-ils contribuer à changer cette situation?

Mme Comeau Desautels : Les médias? Je suppose que nous devons nous tourner vers de nouveaux groupes également. Il y l'immersion, un grand nombre d'étudiants qui suivent des programmes d'immersion en Nouvelle- Écosse et qui s'intéressent beaucoup au journal. Ce sont les nouveaux groupes que nous pouvons cibler. Également, depuis 1995, nous avons un conseil scolaire provincial francophone en Nouvelle-Écosse. C'est un autre groupe que nous pouvons cibler. Je crois qu'il nous reste encore beaucoup de travail à faire, mais il y a de l'espoir.

[Français]

Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais essayer de parler en français, mais c'est difficile. Ce journal est publié une fois par semaine?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est un hebdomadaire. Selon moi, c'est très difficile pour un hebdomadaire couvrant toute la province, parce que la plupart du temps, les hebdomadaires desservent une région, une ville ou un village. Votre journal offre-t-il un bon contenu des nouvelles ou est-ce que votre but est davantage culturel?

Mme Comeau Desautels : Au bureau central, nous employons présentement quatre personnes et si nos finances nous le permettaient nous aimerions en avoir huit. Nous faisons donc appel à des journalistes pigistes dans toutes les régions de la Nouvelle-Écosse. Ce sont des gens qui ont déjà des emplois à temps plein mais qui écrivent pour le journal. Nous avons ainsi des nouvelles de toutes les communautés, et, étant membre de l'Association de presse francophone à Ottawa, nous diffusons des nouvelles nationales ainsi que les nouvelles provinciales de la Nouvelle-Écosse. Une grande difficulté, pour un journal comme le nôtre, c'est que la plupart de nos communiqués arrivent en anglais, alors on fait beaucoup de traduction. Notre journal touche les domaines national, provincial et local aussi, soit les communautés de chaque région de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Trenholme Counsell : Publiez-vous les événements de chaque région, villes et villages ?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : En avance?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Chaque semaine ?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Les jeunes s'intéressent-t-ils au Courrier?

Mme Comeau Desautels : Je pense que oui. Nous voulons rejoindre davantage les jeunes mais avec quatre employés seulement, c'est difficile. On peut seulement faire ce dont on est capable avec les employés que l'on a. En plus de la page des jeunes, nous couvrons les activités des jeunes en Nouvelle-Écosse, que ce soit aux niveaux local ou provincial. Le Conseil de la jeunesse provincial en Nouvelle-Écosse, nous permet de couvrir tous ces événements.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que vous avez des écoles entièrement francophones ou n'avez-vous seulement que des cours d'immersion en Nouvelle-Écosse ?

Mme Comeau Desautels : On a des écoles francophones, une au secondaire et quelques unes au primaire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ici, à Halifax?

Mme Comeau Desautels : À Halifax, en effet, il y a l'école secondaire et les écoles primaires partout en Nouvelle- Écosse, parce qu'il y a un conseil scolaire provincial.

Le sénateur Trenholme Counsell : Il est nécessaire d'avoir un certain pourcentage de la population pour avoir des écoles francophones où est-ce l'évolution des gens ?

Mme Comeau Desautels : Toutes les régions acadiennes en Nouvelle-Écosse, que ce soit à Pubnico ou à la Baie- Sainte-Marie, la Vallée, Greenwood, Halifax ou Cap-Breton, ont des écoles francophones. Depuis 1995, il y a un conseil scolaire provincial, et plusieurs des écoles sont abonnées au journal.

Le sénateur Trenholme Counsell : Actuellement, est-ce que la circulation du journal augmente ou non?

Mme Comeau Desautels : Elle augmente un peu, mais le problème est, comme je l'expliquais tantôt, que le journal est distribué aux familles pendant une semaine, puis les gens se passent le journal entre eux et sont mêmes fiers de nous le dire. Sur 30 000 personnes, combien lisent vraiment le français? Cela est une autre question, alors c'est plus difficile à évaluer.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quel est le prix d'un abonnement annuel ?

Mme Comeau Desautels : Vingt-huit dollars par année.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vingt-huit dollars, ce n'est pas cher.

Mme Comeau Desautels : Ce n'est pas cela qui paie le journal.

Le sénateur Trenholme Counsell : Non, en effet.

La présidente : Quel est le tirage de votre journal?

Mme Comeau Desautels : C'est un peu moins de 2 000 copies.

La présidente : Deux milles. Oui, avec la multiplication classique.

Mme Comeau Desautels : Une très grosse multiplication.

La présidente : Est-il publié en format tabloïde?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Et combien de pages en moyenne contient le journal?

Mme Comeau Desautels : À peu près 24 pages, et on a toujours quatre pages en couleur, alors il est très beau. J'aurais dû apporter des copies.

La présidente : Oui, si vous pouviez nous envoyer quelques exemplaires, ce serait très apprécié.

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Et vous publiez 52 semaines par année ?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Extraordinaire.

Mme Comeau Desautels : Et l'on fait beaucoup plus que cela aussi. On vient de finir un guide touristique, en plus de d'autres tâches pour assurer la rentabilité du journal.

La présidente : En ce qui concerne la question de la publicité du gouvernement fédérale, je ne comprends pas le système. Un ministère quelconque publie quelque chose dans, disons le Chronicle Herald, qui devrait selon la loi être publié aussi dans votre journal, mais vous vous plaignez au commissariat des langues officielles et pas directement au ministère en question.

Mme Comeau Desautels : Les plaintes sont toujours dirigées au commissariat des langues officielles et ce sont eux qui font l'enquête pour voir si l'annonce aurait dû passer dans le journal ou pas.

La présidente : Est-ce que c'est parce que quelqu'un vous a dit que c'est comme cela qu'il fallait agir?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Au sujet des délais dont vous nous avez parlé, s'agit-il d'une question de bureaucratie?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Quelle est la loi? Quelles sont les exigences légales? Est-ce que seulement certaines formes de publicité doivent être publiées dans les deux langues officielles?

Mme Comeau Desautels : Cela dépend comment on interprète la loi. Disons qu'en Nouvelle-Écosse ce n'est pas un ministère, mais un organisme fédéral qui devrait placer toutes ses publicités en français dans le Courrier la Nouvelle- Écosse parce que c'est le seul journal provincial, et en anglais dans un journal anglophone, mais il joue beaucoup avec la loi. Cela nous fait perdre beaucoup de publicité.

La présidente : J'imagine. Mais est-ce qu'il s'agit de toute la publicité fédérale ?

Mme Comeau Desautels : Non.

La présidente : Sinon, vous auriez 150 pages par semaines, n'est-ce pas ?

Mme Comeau Desautels : Oui, avec la publicité qui est dirigée vers les francophones de la province.

La présidente : Ainsi que les offres d'emploi.

Mme Comeau Desautels : Les offres d'emploi, exact.

La présidente : Les avis quelconques sur la santé?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Ou les impôts ou quand il s'agit d'information de base, si j'ai bien compris?

Mme Comeau Desautels : Oui, des généralités.

La présidente : Est-ce qu'il y a des ministères plus coupables que d'autres ou des agences plus coupables que d'autres?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Lesquels?

Mme Comeau Desautels : Présentement, je peux citer Halifax Airport Authority. On a beaucoup de problèmes avec eux. J'essaie de penser à d'autres. Vous savez, c'est la Nouvelle-Écosse qui dépose le plus de plaintes au Commissariat des langues officielles que toutes les autres provinces. Je possède une liste.

La présidente : Oui, mais vous n'êtes pas le premier journal francophone hors Québec qui comparaît devant nous.

Mme Comeau Desautels : Oui, je le sais.

La présidente : Vous êtes le premier à nous dire que chaque semaine, vous envoyez des plaintes?

Mme Comeau Desautels : Chaque semaine

La présidente : Est-ce parce que vous êtes mieux organisés?

Mme Comeau Desautels : Peut-être oui. Nous avons un système. J'ai quelqu'un qui lit le journal anglais tous les matins qui me transmet ses commentaires et ensuite je fais la plainte.

La présidente : Est-ce que vous pourriez nous envoyer, en même temps que les exemplaires du journal, des copies de certaines plaintes afin que l'on puisse voir de quoi il s'agit?

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : On a beaucoup entendu parler de problèmes, mais pas tellement de ceux-là. Je pensais que quand la loi exigeait quelque chose, la loi était respectée.

Mme Comeau Desautels : J'ai peut-être une vingtaine de plaintes depuis le début de l'année. J'ai un bon dossier.

La présidente : J'aimerais bien voir ce dossier.

Mme Comeau Desautels : Oui.

La présidente : Dans votre cas, serait-ce plus souhaitable de porter plainte directement auprès des agences ou est-ce mieux de passer par le commissariat aux langues officielles?

Mme Comeau Desautels : On n'a pas les contacts aux agences ni aux ministères.

La présidente : Vous vous retrouvez dans le réseau.

Mme Comeau Desautels : Le Réseau Sélect est notre agence de placement au fédéral. Nous envoyons donc la copie de la plainte à Réseau Sélect, et parfois ils peuvent récupérer l'annonce. Ils ne vivent pas la même situation que nous. Je me suis rendu compte dernièrement qu'ils ne comprennent peut-être pas exactement la Loi sur les Langues officielles.

La présidente : À Terre-Neuve, les représentants du journal francophone nous parlaient d'une agence récemment créée spécifiquement pour les journaux francophones qui ne sont pas Québécois.

Mme Comeau Desautels : L'APF avait déjà son agence OPSCOM pendant des années, mais depuis deux ans, deux ans et demi, il y a eu la création de deux agences soit le Réseau Sélect et Repco.

La présidente : Ils doivent parler de Repco.

Mme Comeau Desautels : C'est cela. Nous, on fait partie de Réseau Sélect.

La présidente : Il y en a deux? Pour 24 journaux, vous avez deux agences ?

Mme Comeau Desautels : Oui, cela fonctionne très bien avec Réseau Sélect, mais comme je le disais plus tôt, je ne pense pas qu'ils comprennent exactement la Loi sur les langues officielles. Nous avons une très bonne entente avec le commissariat aux langues officielles, ils nous appellent donc.

La présidente : Quand vous avez parlé de Postes Canada, pourquoi n'avez-vous pas la fameuse étiquette qui dit « dans un délai convenu »?

Mme Comeau Desautels : Il y a des journaux de l'APF qui l'ont. J'étais en réunion la semaine passée à Ottawa avec d'autres représentants des journaux de l'APF et c'est un des sujets qu'on a abordé. J'ai commencé les démarches, il y a peut-être un an et demi, mais c'est un très long processus et il faut se justifier afin d'avoir cette étiquette. Pour nous, ce serait la solution idéale.

La présidente : Est-ce qu'il faut payer?

Mme Comeau Desautels : Non.

La présidente : Est-ce qu'il faut avoir X nombre d'abonnés?

Mme Comeau Desautels : Non, c'est Postes Canada qui décide.

La présidente : On décide au pif, quoi?

Mme Comeau Desautels : Je n'ai pas pu me rendre jusqu'à la fin du processus car c'est très long. C'est ce qui arrive parfois quand on n'est pas beaucoup à travailler dans une maison de publication d'un journal.

La présidente : Oui, mais ce n'est pas parce que vous êtes un journal abonné-payé ?

Mme Comeau Desautels : Non.

La présidente : Vous avez des abonnés en bonne et due forme?

Mme Comeau Desautels : Oui, nous fonctionnons seulement par abonnement.

[Traduction]

Le sénateur Munson : La situation est en train de devenir bizarre. En ce qui concerne la nouvelle technologie dont parlions ce matin avec d'autres témoins, ma femme maintenant me pose des questions à l'aide du BlackBerry. Elle ne sait même pas que je suis en train de vous parler, mais vous savez, cela fait partie du complot acadien qui se trame ici. Mais je plaisante. Ma femme vient du Nouveau-Brunswick.

Vous parliez de liens, de problèmes que vous avez. Entretenez-vous des liens, par exemple, avec Le Madawaska à Edmundston?

Mme Comeau Desautels : Le Moniteur Acadien?

Le sénateur Munson : Oui. Est-ce que vous entretenez des liens avec eux pour qu'ils puissent comprendre la situation? Les Acadiens au Nouveau-Brunswick ont de toute évidence trouvé des moyens de communiquer entre eux en raison de leur nombre et de leur détermination et de bien d'autres facteurs, mais ici en Nouvelle-Écosse, cela doit être très difficile. Existe-t-il un lien avec les gens du Nouveau-Brunswick pour qu'ils comprennent ce que vous avez et vice- versa?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Munson : Est-ce que cela apparaît dans votre journal?

Mme Comeau Desautels : La semaine dernière ou il y a deux semaines, j'avais une question à propos de Postes Canada. Je voulais demander aux autres journaux comment ils se débrouillaient pour que le journal obtienne des abonnés à temps et en quelques minutes, j'ai probablement reçu 18 réponses de l'ensemble des journaux au Canada, les journaux francophones. C'est ainsi que nous restons en contact.

Nous sommes en contact avec Le Moniteur Acadien. Gilles Haché est président de l'Association de presse francophone. Le Madawaska fait partie de notre association, donc nous avons de très bons liens avec tous les journaux francophones en dehors du Québec. Nous faisons partie de la même association, donc nous vivons la même vie. Malheureusement, personne n'a jamais offert de nous racheter.

Le sénateur Eyton : Ma première question est une question dont je devrais probablement connaître la réponse, mais je la poserais de toute façon parce que j'ignore en fait la réponse.

Dans vos commentaires, si je me souviens bien, vous avez parlé des Acadiens et de la population francophone. Selon vous, existe-t-il une différence entre la population francophone et la population acadienne?

Mme Comeau Desautels : Je ne pourrais pas le dire.

[Français]

Les Acadiens sont de descendance acadienne et les francophones viennent de l'extérieur mais parlent français. Pour rejoindre la population avec notre journal, nous sommes devant deux réalités différentes. D'un côté, il y a les Acadiens, qui vont vouloir beaucoup plus d'articles sur la culture acadienne, et de l'autre il y a les francophones, qui vont rechercher une autre sorte de nouvelles. Est-ce que cela répond à votre question?

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Oui. C'est une réponse intéressante. Comment cela entre-t-il en ligne de compte dans les chiffres que vous nous avez donnés? Le premier chiffre dont vous avez parlé était par exemple 30 000, est-ce que ce chiffre englobe la population des deux groupes?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Eyton : Quelle en est la répartition générale? Est-ce que ce serait 50/50? Il y a probablement un plus grand nombre d'Acadiens que de francophones, je suppose?

Mme Comeau Desautels : Oui, il y aurait davantage d'Acadiens.

Le sénateur Eyton : En ce qui concerne votre liste d'abonnés, ou les gens qui achètent votre publication, est-ce qu'il y aurait plus de francophones que d'Acadiens?

Mme Comeau Desautels : Il y a aurait probablement plus d'Acadiens, à l'heure actuelle.

Le sénateur Eyton : Vous auriez donc tendance à mettre en valeur... En avez-vous un exemplaire?

Mme Comeau Desautels : Non. Je suis désolée.

Le sénateur Eyton : J'ai entendu dire que nous allions en obtenir un exemplaire, mais vous n'en avez pas avec vous?

Mme Comeau Desautels : C'est un très bon journal.

Le sénateur Eyton : Vous avez parlé de la source de vos recettes lorsque vous avez indiqué que 70 p. 100 de vos recettes proviennent de la publicité. S'agirait-il essentiellement de la publicité du gouvernement fédéral ou des gouvernements provincial et fédéral?

Mme Comeau Desautels : La publicité fédérale représenterait environ 40 p. 100 peut-être, je ne le sais pas. Je n'en suis pas sûre.

Le sénateur Eyton : Quarante pour cent de ...

Mme Comeau Desautels : De 70.

Le sénateur Eyton : Oui.

Mme Comeau Desautels : Je crois. Je n'en suis même pas sûre. Le journal comporte un grand nombre de suppléments parce qu'il arrive que les gens de la localité ne fassent pas de publicité parce que nous sommes une publication provinciale. Nous devons publier un grand nombre de suppléments, comme celui qui a été préparé pour les festivals acadiens, au cours d'une semaine donnée. C'est la façon dont nous procédons.

Le sénateur Eyton : Pour que ce soit plus pertinent, effectivement. Maintenant j'ai 30 p. 100. Je suppose qu'il y a des annonceurs privés? Il y a également de la publicité privée?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Eyton : Il y a aussi de la publicité provenant du gouvernement provincial?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Eyton : Et c'est ce qui représente le 70 p. 100?

Mme Comeau Desautels : Nous faisons aussi de la traduction, évidemment.

Le sénateur Eyton : Donc, il reste 30 p. 100, et ce 30 p. 100 proviendrait d'une source de revenu régulière. S'agirait-il d'abonnements payés? D'où provient le 30 p. 100?

Mme Comeau Desautels : Oh, le 30 p. 100, non. Cela fait partie du revenu provenant de notre fonds de fiducie. Nous avons un fonds de fiducie qui a été mis sur pied je crois il y a une vingtaine d'années, ou peut-être il y a 10 ou 15 ans. Le journal recevrait environ 50 000,00 $ par année de ce fonds de fiducie. Cette année, nous recevrons 26 000,00 $, donc le montant diminue, et nous avons d'autres revenus lorsque nous faisons des projets avec Patrimoine canadien. Il arrive que nous faisions certains projets de ce genre.

Le sénateur Eyton : Vous obtenez quelque chose. Mais il y a des abonnements payés, n'est-ce pas? Je vois ici le montant de 20 $ par année.

Mme Comeau Desautels : Vingt-huit.

Le sénateur Eyton : Vingt-huit dollars par année.

Mme Comeau Desautels : Je pense que c'est environ 20 000 $ par année.

Le sénateur Eyton : C'est ce que vous obtenez de ces abonnements, et il s'agit là de gens qui y croient vraiment, de véritables partisans?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Eyton : En ce qui concerne Patrimoine canadien, vous avez fait état d'une certaine déception, du moins à l'égard de certaines de ses réponses. J'en déduis deux choses. D'abord, c'est que les réponses sont un peu inégales et irrégulières, et ensuite, que vous êtes déçue du niveau de soutien que vous attendiez de Patrimoine canadien. Pouvez- vous nous en parler? Peut-être pourriez-vous établir un lien avec votre demande. J'aimerais savoir, quand vous dites que vous vous adressez à Patrimoine canadien et dites avoir besoin de tel montant d'argent, je suppose que vous dites que c'est pour tel ou tel projet ou pour tel type de travail spécial?

Mme Comeau Desautels : Oui, j'ai les réponses qu'on m'a données hier. Nous avons essuyé un refus hier. C'est simplement que j'ai pris mes notes. Quand nous réalisons des projets avec Patrimoine canadien, si le projet est bon, il n'y a pas de problème. Mais nous sommes une organisation comme toutes les organisations francophones de la Nouvelle-Écosse. La seule chose qui diffère avec nous, c'est que nous produisons des recettes. On nous a répondu qu'ils craignaient que nous nous en servirions pour « combler une dette ou boucher un trou ».

La présidente : Payez vos dettes avec leur argent?

Mme Comeau Desautels : Oui, c'est la réponse qu'on nous a donnée hier. Mais la programmation, c'est simplement les activités courantes que l'on peut payer avec une partie de cet argent, et c'est pourquoi nous ne comprenons pas ce refus. Ce n'est pas parce que nous ne sommes que quatre au bureau que nous ne faisons pas le travail de six ou huit personnes. Vous seriez renversés de voir le travail que nous effectuons là-bas, à nous quatre seulement. Nous ne sommes que quatre parce que c'est tout ce que nous pouvons nous offrir pour l'instant, et nous sommes très déçus de cette réponse parce que plus nous obtiendrions d'argent, plus nous pourrions...

Le sénateur Eyton : Vous pourriez faire du meilleur travail. Comment les choses évoluent-elles pour vous? Vous dites avoir un tirage d'environ 2 000. Quelle est la tendance? Constatez-vous une augmentation d'année en année, ou est-ce plutôt stable?

Mme Comeau Desautels : Nous constatons bel et bien une augmentation.

Le sénateur Eyton : Une augmentation?

Mme Comeau Desautels : Oui.

Le sénateur Eyton : Cela veut-il dire que la population à laquelle vous vous adressez augmente aussi?

Mme Comeau Desautels : Avec les classes d'immersion dans les écoles, les élèves apprennent maintenant le français. C'est pourquoi il y a augmentation.

Le sénateur Eyton : Vous êtes venue comparaître et avez fait un exposé intéressant, mais je cherche toujours à savoir ce que les témoins demandent. Qu'est-ce que vous demandez? Que cherchez-vous à obtenir? Ce que je veux dire, c'est que vous devez bien avoir des attentes? Vous ne seriez pas ici à moins d'avoir quelque chose à demander?

Mme Comeau Desautels : Ce n'est pas uniquement une question d'argent. C'est que nous souhaiterions vraiment que Poste Canada fasse quelque chose au sujet de... Nous avons été assimilés au circulaire de Zellers. Écoutez, ça n'a aucun sens. Nous aimerions jouir d'un peu plus de reconnaissance eu égard à la livraison de notre produit. Aussi, en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, mais pas simplement les langues officielles. Nous voulons que les ministres comprennent que certaines annonces devraient paraître dans le journal francophone parce qu'elles s'adressent à la collectivité francophone, mais nous avons appris à ne pas trop en demander. Nous sommes de vaillants travailleurs.

Le sénateur Tkachuk : Puis-je vous poser une question? Vous préparez votre courrier. Cela m'intrigue parce que vous payeriez l'affranchissement, au taux postal subventionné. Vous préparez votre courrier, n'est-ce pas? Ne le faites- vous pas à l'aide du code postal, si bien que vous leur épargnez du travail de manutention de votre courrier? Puis, quand le courrier arrive au bureau de poste, il est assimilé aux circulaires parce que c'est un envoi adressé, n'est-ce pas?

Mme Comeau Desautels : Oui, c'est tout adressé. C'est tout adressé.

Le sénateur Tkachuk : Comment peuvent-ils faire cela? Cela se produit-il souvent? Cela ne devrait d'ailleurs jamais se produire, franchement.

Mme Comeau Desautels : Non, ça ne devrait pas se produire. Il n'y a aucune raison pour que nous recevions un journal le jeudi, puis la semaine d'après le lundi.

Le sénateur Tkachuk : Oui, parce qu'ils sont payés plein tarif malgré la subvention. Néanmoins, ils sont payés pour le courrier, que ce soit vous qui payez ou que ce soit le gouvernement qui paie; quelqu'un paie le bureau de poste pour cela. Cet envoi devrait être traité comme du courrier de première classe, en fait, parce que le port est payé par l'expéditeur.

Mme Comeau Desautels : Notre journal est imprimé à Church Point. Il n'est pas imprimé ici. Il est imprimé à Church Point, à l'autre bout de la province. Nous le faisons parvenir électroniquement à Caraquet, au Nouveau-Brunswick, pour qu'il soit imprimé puis il est envoyé à Halifax. Nous allons probablement bientôt changer cette façon de faire, et essayer de trouver un imprimeur en Nouvelle-Écosse de manière à ce que nous puissions le rapprocher du bureau de poste. Nous cherchions à obtenir un meilleur prix, et maintenant nous devons chercher à nous rapprocher du bureau de poste principal.

Le sénateur Tkachuk : Êtes-vous allés au bureau de poste pour dire : « Écoutez, nous allons en fait le mettre dans le casier postal? » Je blague.

Mme Comeau Desautels : Non, à Halifax, même si nous le recevons le jeudi à Church Point, Halifax peut le livrer ici le lundi ou le mardi.

Le sénateur Tkachuk : Oui, c'est juste. Ils devraient pouvoir le faire.

Mme Comeau Desautels : Et c'est distribué à Halifax.

Le sénateur Tkachuk : Oui, vous pouvez donc effectivement le mettre à la poste le mardi ou le mercredi. Quand le postez-vous?

Mme Comeau Desautels : À Halifax, il nous arrive le mercredi, et parfois les gens de Halifax le reçoivent le mardi suivant.

La présidente : Vous parlez des abonnés à Halifax?

Mme Comeau Desautels : De nos abonnés.

Le sénateur Tkachuk : C'est terrible.

Mme Comeau Desautels : Je vous en prie, aidez-nous à traiter avec Postes Canada.

Le sénateur Tkachuk : Non, j'en sais quelque chose. Ce n'est pas très bien.

Mme Comeau Desautels : Nous ne sommes pas le seul journal à éprouver des difficultés avec Postes Canada.

Le sénateur Tkachuk : Madame la présidente, nous pourrions peut-être écrire une lettre, pour poser des questions. Elle pourrait mettre un certain temps à leur parvenir, mais nous allons leur écrire. Peut-être que nous devrions utiliser Fedex au lieu du bureau de poste.

Mme Comeau Desautels : La formule magique c'est « à délai convenu ». C'est la formule magique.

La présidente : À délai convenu?

Mme Comeau Desautels : Oui.

[Français]

La présidente : À délai convenu.

Mme Comeau Desautels : Convenu, exact.

La présidente : Madame Desautels, merci beaucoup. Je me plaignais ce matin de l'absence de femmes hauts placées, dans les médias, mais en fait, on vous a reçu cet après-midi. Hier, c'était madame Dennis du Chronicle Herald, alors j'ose croire qu'en Nouvelle-Écosse, les choses vont bien pour les femmes.

Mme Comeau Desautels : J'avais oublié de mentionner qu'au journal, sur quatre employés nous sommes quatre femmes.

La présidente : Vous allez nous faire parvenir j'espère le dossier et peut-être une explication du système postal et quelques exemplaires du journal.

Mme Comeau Desautels : Parfait.

[Traduction]

La présidente : Sénateur, pour terminer les choses en beauté à Halifax, nous allons maintenant entendre deux personnes qui n'ont pas pu se joindre à nous hier, et nous allons procéder comme à l'habitude. Nous allons maintenant entendre deux citoyens, et je pense que nous allons les entendre l'un après l'autre, à moins qu'ils comparaissent conjointement. Je ne sais plus lequel est lequel. J'ai ici les noms de M. Jason Lawrence et de M. Raymond Plourde.

Vous avez la parole, monsieur Plourde.

[Français]

Si vous pouviez faire une déclaration de quatre minutes à peu près et ensuite, on posera des questions avant de passer à M. Laurence.

M. Raymond Plourde, témoignage à titre personnel : Madame la présidente, je voulais vous dire que je suis à la fois un français et un anglais de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

La présidente : Vous êtes autorisé à parler anglais ici aussi.

[Français]

M. Plourde : Oui, je vais parler en anglais, mais je voudrais illustrer le point que je ne suis pas un Acadien, mais bien un français né en Nouvelle-Écosse et cela, comporte une différence. Je n'ai pas de racines acadiennes, mais je suis un Canadien français.

La présidente : Plourde, c'est un nom Québécois, n'est-ce pas?

M. Plourde : Oui, c'est cela. Du Bas Saint-Laurent, de Rivière-du-Loup.

[Traduction]

Je vais maintenant parler anglais et exposer les aspects que je voulais présenter à titre personnel.

D'abord, merci de me donner l'occasion de comparaître, mesdames et messieurs les sénateurs. Je crois savoir que c'était plutôt prévu pour hier, mais l'annonce dans le journal n'était pas claire ou je n'ai pas compris. Je vous remercie de m'accorder du temps dans votre horaire très chargé.

Je fais partie d'une organisation qui s'appelle l'Ecology Action Centre, une organisation qui s'occupe d'éducation et de préservation de l'environnement. Cependant, je ne m'exprime pas ici en son nom. Je comparais à titre privé en tant que consommateur de nouvelles — un consommateur très intéressé de surcroît — et je ne présente ici que mes opinions, quoi qu'elles puissent être teintées par mes expériences.

J'aimerais dire que je pense que nous avons beaucoup de chance en Nouvelle-Écosse d'avoir quelques organes d'information indépendants. Notamment, vous avez apparemment entendu la famille Dennis hier. Nous avons la très grande fortune d'avoir, je pense, l'un des plus anciens quotidiens provinciaux indépendants. C'est le journal par excellence de cette province depuis sa création par Joseph Howe, et je pense que nous sommes très fortunés de l'avoir. Il est très encourageant d'entendre dire qu'ils veulent maintenir leur indépendance et qu'ils ont refusé des offres qui à mon sens auraient contribué à leur assimilation dans le vaste organisme des médias concentrés.

La politique d'intérêt public, à mon sens, devrait encourager et soutenir les organes d'information indépendants, qu'il s'agisse de petits organes communautaires qui, comme dans le cas dont vous venez tout juste d'entendre parler, essaient de joindre un auditoire diversifié et géographiquement étalé ou qu'il s'agisse encore d'organes ayant un vaste auditoire mais qui présentent des perspectives indépendantes. Le Chronicle Herald en est un excellent exemple. Voilà un journal qui présente de nombreuses opinions différentes et les perspectives de très bons chroniqueurs. Nous comptons aussi d'autres excellents journaux.

Cependant, je veux parler précisément de la concentration des médias, qui semble avoir multiplié les sources d'information et, bien sûr, il y a l'accès aux nouveaux médias que permet Internet, par exemple. Ainsi nous avons davantage de sources d'information ou de bannières, si vous voulez, qui nous sont offertes en tant que citoyens, mais nous avons moins de véritables nouvelles. Tous couvrent essentiellement la même chose, et souvent ces nouvelles proviennent des mêmes journalistes ou des mêmes organisations de collecte de nouvelles, si bien que la diversité et la profondeur des nouvelles sont perdues en raison de la concentration de la propriété des médias.

Parce que la plupart de ces organisations sont des entreprises privées, les économies que permet la suppression — comme nous le savons tous, la plus lourde charge de la plupart des entreprises, c'est la rémunération, et si l'on peut concentrer la propriété et réaliser, ce qu'on appelle dans le jargon des affaires, des économies par réduction de personnel, les nouvelles y perdent en profondeur et il y a moins de véritables nouvelles. L'écologiste que je suis vous dis qu'on coupe davantage d'arbres pour vendre davantage de publicités, mais on nous présente les mêmes nouvelles. Il serait bon que la politique d'intérêt public puisse entraver la concentration des médias, c'est-à-dire la propriété de ceux- ci par quelques grosses sociétés. Naturellement, la propriété d'une certaine taille a sa place, mais quand à toutes fins utiles une bannière peut avoir la mainmise sur plusieurs groupes de médias — Bell Globe Media, par exemple — ce n'est pas que cela soit répréhensible du point de vue commercial. C'est sensé. C'est dans la logique de la rentabilité pour une grande entreprise, mais cela ne sert pas bien le public canadien, c'est du moins ce que je pense personnellement.

De la même manière, la réglementation du CRTC depuis de nombreuses années modifie et assouplit l'engagement pris en matière de radiodiffusion de nouvelles ainsi que d'autres engagements qui concernent pourrait-on dire les émissions qui portent à la réflexion tout comme celles qui ont trait au divertissement, sans oublier les ententes de gestion qui ont pu être conclues. Je pense que ce n'est pas tant le résultat d'une intention ou d'une autorisation du CRTC que d'une initiative de radiodiffuseurs privés qu'on a acceptée après coup. Ce n'est pas bon pour le public, pour ce qui est des nouvelles et de l'information. C'est bon pour le seuil de rentabilité des radiodiffuseurs privés compte tenu de ces économies dont nous avons parlées, de ces ententes de gestion et de la concentration de la propriété, mais cela a pour conséquence la disparition dans les salles de dépêches de la couverture locale et de la diversité. Par exemple, ici même dans cette ville, la concentration a fait en sorte que d'anciens concurrents cohabitent maintenant joyeusement sous le même toit. Ce que nous avons, ce sont des lecteurs de nouvelles et non pas des reporters.

Je devrai vous retirer la parole dans un instant, monsieur Plourde.

M. Plourde : Très bien. Je ne dirai alors qu'une dernière chose. Les compressions imposées aux émissions locales de nouvelles de la télévision et de la radio de CBC, à l'émission de nouvelles du matin, au magazine de nouvelles du matin à la radio et à l'émission d'actualités à l'heure du souper à 18 heures ont fait disparaître ce qui était peut-être le meilleur aspect de la couverture des nouvelles régionales que nous avons en Nouvelle-Écosse. Les radiodiffuseurs publics, de façon peut-être plus importantes que jamais, étant donné la concentration de médias comme la BBC ou l'Australian Broadcasting Corporation, sont une source de fierté et un élément de continuité et d'unité dans ce très vaste pays où nous pouvons nous entretenir les uns avec les autres et partager en quelque sorte quelque chose que nous avons en commun de Vancouver à St. John's. Je souhaiterais que la politique d'intérêt public soit renouvelée et que le financement soit accru pour que la CBC puisse continuer d'assurer la diffusion de cet important volet des nouvelles et de ce cachet culturel.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé de grands organes d'information. Ne voyez-vous pas la société CBC comme une très grosse entreprise? Avec un budget d'un milliard de dollars, c'est probablement une entreprise plus imposante que la plupart des entreprises de médias de tout le pays, et pourtant vous affirmez qu'elle présente d'excellentes émissions de nouvelles?

M. Plourde : Parfaitement, et je pense que cela tient au fait que son mandat est assez différent. Elle vise à assurer la diversité, et présente les aspects culturels nationaux et régionaux du Canada sans avoir à se préoccuper de son seuil de rentabilité, bien qu'elle ait à réaliser des économies en raison des responsabilités qu'elle a à l'endroit des contribuables canadiens. Je pense que son optique lui permet d'aller plus en profondeur. Je crois personnellement que l'organe de collecte de nouvelles de la CBC en Nouvelle-Écosse, et c'était certainement le cas avant toutes les compressions qui lui ont été imposées depuis des décennies, était encore meilleur, mais c'est le meilleur organe de collecte de nouvelles qui existe. Cependant, il y a de moins en moins de reporters pour assurer cette couverture et moins de reportages approfondis, ou de journalisme d'enquête. Avec les radiodiffuseurs privés en particulier, c'est de moins en moins évident à l'échelle régionale. Encore là, nous voyons nos journaux et nous remercions notre bonne étoile d'avoir permis à un journal indépendant comme le Chronicle Herald de survivre.

Le sénateur Tkachuk : J'ai toujours pensé, à l'exception peut-être de Hockey Night in Canada, que la seule chose que la CBC faisait raisonnablement bien, c'était des nouvelles. Il est très difficile pour le gouvernement de dire à la CBC comment dépenser son argent, mais peut-être que vous pourriez, en tant que témoins, nous recommander des façons dont elle devrait dépenser son argent. Diriez-vous que la CBC devrait se concentrer davantage sur les affaires publiques et moins sur ce qu'elle considère être aussi son mandat, les dramatiques et toutes ces autres choses? Je ne regarde vraiment pas beaucoup les émissions de CBC; personne d'autre ne semble le faire non plus. Pensez-vous qu'elle devrait dépenser davantage d'argent sur ce qu'elle sait bien faire, soit les nouvelles et les émissions d'affaires publiques, surtout à l'échelle locale? Je sais que dans ma province, il y a de bonnes émissions de nouvelles locales aussi. Quoi qu'il en soit, je vous demande simplement cela et ensuite je passerai à la prochaine question.

M. Plourde : Je ne suis probablement pas très bien placé pour parler d'émissions culturelles. Elles jouent probablement un rôle important, mais je sais qu'elles ne recueillent pas de fortes cotes d'écoute, et franchement, je ne les regarde pas. En fait, j'ai regardé des émissions de CBC le samedi soir plus souvent cette année que l'année dernière.

Le sénateur Tkachuk : Des films américains.

M. Plourde : Disons tout simplement que j'en ai assez de regarder des millionnaires patiner. Je préférerais regarder de jeunes joueurs de hockey qui jouent pour l'amour du sport. Quoi qu'il en soit, c'est un point de vue personnel, sans rapport avec le sujet à l'étude.

Je pense que la concentration des efforts de la société CBC en matière d'émissions de nouvelles et d'affaires courantes, dans le journalisme approfondi ou des émissions comme celles où a travaillé M. Munson, quoique je crois que c'était l'émission d'un radiodiffuseur privé plutôt que de la CBC, n'est-ce pas?

Le sénateur Munson : C'était il y a 24 ans.

M. Plourde : Oui, du genre, W5 et First Edition ou Fifth Edition.

Le sénateur Tkachuk : Fifth Estate.

M. Plourde : Je pensais à notre nouvelle émission d'actualité qui a été massacrée, First Edition. Les émissions de ce genre sont vraiment fabuleuses, je n'en manque aucune et elles m'apprennent beaucoup, ce qui me comble de plaisir. J'imagine que je vous répondrais probablement oui, avec toutefois la réserve que je ne suis pas expert en matière d'émissions dramatiques culturelles.

Le sénateur Munson : Lorsque vous parliez de façon sarcastique de cette joyeuse salle des nouvelles qui couvrait les cinq, nous en avons entendu parler je crois ce matin par un autre témoin à Halifax. Comment cela fonctionne-t-il? Y a- t-il cinq stations différentes qui se partagent la même salle?

M. Plourde : Cinq stations de radio différentes, d'après ce que je sais, qui sont dans le même bâtiment avec chacune sa salle de régie et un, voire deux, mais je crois qu'il n'y en a qu'un, annonceur qui passe de l'une à l'autre puis à la suivante, parfois en utilisant un nom différent, mais je pense que la plupart du temps cette personne travaille sous le même nom. Selon le genre de la station, ils leur arrivent de prendre un nom de théâtre, mais cela n'a rien à voir. Ce qui est intéressant par contre, c'est que peu importe ce qui leur vient du service des informations, ce qui sort des studios est essentiellement pareil, ils lisent les mêmes choses en ajoutant parfois un peu d'actualité locale. Ces stations n'ont pas de journalistes de terrain, cela n'existe plus, elles n'ont plus que des lecteurs de nouvelles. Les choses en sont rendues au point où cela n'a plus aucune importance, et je dirais qu'il s'agit de stations de radio qui ne sont là que pour diffuser, j'imagine, de la musique. J'ignore quelle pourrait être la solution, si ce n'est que je sais que la qualité des nouvelles locales, régionales et nationales diffusées par les stations de radio privées est pratiquement nulle, ou à tout le moins extrêmement faible.

Le sénateur Munson : Moins de scandales.

La présidente : Monsieur Lawrence.

M. Jason Lawrence, témoignage à tire personnel : Honorables sénateurs, je suis simplement venu ici pour vous parler. Le préavis a été relativement court, mais j'ai pensé que je devais me présenter de toute façon et donner mon avis au sujet de certaines questions et aussi vous livrer l'impression que j'ai en ma qualité de simple citoyen, un citoyen qui, depuis quelques années, a pu réunir beaucoup d'information de toute une série de sources. Grâce à Internet, j'aurai bientôt accès à des sources d'information étrangères qui me permettront d'absorber ce que je peux trouver notamment dans les journaux canadiens.

Je voudrais vous signaler une ou deux choses, et en particulier un sujet que nous pourrons aborder dans quelques instants. Il va y avoir regroupement des compagnies de médias sur le modèle de Bell Canada ou de Bell Global Media, une compagnie populaire. Ce sera l'une de celles auxquelles je pensais plus particulièrement. Je vais également vous parler du problème de la langue dans les reportages au Canada et aussi d'autres choses que je prendrai à la volée et qui concernent la possibilité de travailler comme journaliste indépendant.

Je ne suis pas moi-même journaliste, comme je l'ai dit je ne suis qu'un simple citoyen. Ce qui me préoccupe le plus, comme je l'ai dit, c'est le regroupement des médias, parce que même si je conçois parfaitement qu'une compagnie qui possède différents médias comme la télévision et la radio a une obligation et des attentes dans ce sens, et nous utiliserons à cette fin comme exemple la gouvernance de Bell Canada, j'en suis venu à m'inquiéter aussi à l'idée qu'il pourrait y avoir d'autre chose qui risque d'en souffrir en contrepartie de cette attente ou de cette obligation de verser un dividende à l'actionnaire, à la compagnie mère et ainsi de suite. Ainsi, il y aurait à certains égards l'indépendance, et je crains ici qu'il puisse y avoir au Canada un petit nombre de compagnies seulement qui offrent des possibilités d'emploi dans toute une palette d'autres organisations. Admettons par exemple qu'une compagnie soit la propriétaire de stations de télévision et de radio situées dans la même région et qu'un de ses journalistes écrive un article prêtant à controverse, un article qui n'est peut-être pas conforme à l'opinion de la haute direction de la compagnie en question, à ce moment-là je pense qu'il y a lieu de s'inquiéter pour ce journaliste et, au cas où celui-ci venait à être remercié, il serait tout à fait vraisemblable qu'il ne puisse pas trouver de travail ailleurs dans son domaine, c'est-à-dire le journalisme. C'est donc là une de mes préoccupations, une préoccupation issue de ce que je puis voir moi de l'extérieur.

Une autre chose qui me préoccupe, c'est le problème que je vois poindre à l'horizon, en l'occurrence que si une compagnie est suffisamment grosse et regroupe suffisamment de divisions différentes sous son empire, inévitablement il arrivera qu'elle doive parler d'elle-même et de ses propres activités. Un bon exemple serait ce que j'ai appris de certaines de mes sources américaines comme le Washington Post en ligne ou le San Francisco Chronicle, que sais-je encore. Dans ce cas d'espèce, les États-Unis ont adopté un règlement qui prolonge la durée du droit d'auteur pendant plusieurs années après la date d'échéance normale. Des compagnies directement affiliées à un groupe ayant intérêt à ce que le droit d'auteur soit ainsi prolongé ont présenté les choses de façon un peu différente de ceux qui n'avaient pas d'intérêt personnel dans ce dossier. Je vais vous donner un exemple précis. Il s'agit en l'occurrence d'une prolongation des droits concernant les productions Walt Disney. Il y a des agences de presse qui sont affiliés à Disney, ABC par exemple, et qui à l'époque, participaient à un mouvement de défense de Mickey Mouse. Cela figurait littéralement mot pour mot sur leur site web à tel point que cela en devenait une question personnelle, alors que d'autres sites impartiaux n'ayant aucun intérêt personnel dans le dossier, aucun intérêt commercial, disaient que cela allait en réalité avoir pour effet de freiner l'innovation aux États-Unis pendant un nombre d'années indéterminées.

J'ai jugé qu'il fallait que je vous parle de cela aujourd'hui parce que je n'aimerais vraiment pas que la même chose se produise au Canada. Je n'aimerais pas du tout que nous suivions la même direction, que nous empruntions la même voie que les Américains, avec ce regroupement d'intérêts commerciaux et de compagnies de média. Voilà l'une des choses qui me préoccupent le plus.

Un autre problème que je peux entrevoir — et cela rigoureusement d'un point de vue canadien, ici encore — c'est le problème de la langue, et je tiens bien compte du fait qu'il ne serait peut-être pas possible, sur le plan économique, de publier un rapport dans les deux langues officielles en même temps. Il n'empêche que je suis un peu préoccupé par ce que j'entends de la province du Québec. Pour être plus précis, la troisième ville en importance au Canada est Montréal.

La présidente : La seconde.

M. Laurence : Excusez-moi, la seconde. Elle a un peu pris du gallon depuis que j'ai consulté mes statistiques pour la dernière fois. Dans les quotidiens nationaux, je ne vois pas grand chose d'autre que ce que je vois dans les agences de presse nationales. Vous m'excuserez si je parle surtout anglais, mais je ne vois pas grand-chose qui concerne cette province. Je comprends bien que, comme vous le dites dans votre rapport, la concentration de journalistes n'est pas aussi importante là-bas, mais j'ai l'impression de ne pas pouvoir bénéficier d'une large palette de reportages en provenance du Québec. Je sais qu'il y a en Colombie-Britannique toutes sortes de problèmes dont Global News, c'est un exemple, parle fréquemment. Mais en ce qui concerne quelque chose qui est quand même pas mal plus proche de nous sur le plan géographique et économique, quelque chose qui concerne les échanges commerciaux qui intéressent cette région, j'ai le sentiment que les médias couvrent insuffisamment ce marché.

Enfin, le dernier élément dont je voudrais vous parler concerne la concentration des médias. J'ai constaté qu'il semble y avoir de plus en plus de reportages sur le centre du Canada qui proviennent des centres d'information. On voit beaucoup plus de choses sur ce qui se passe à Toronto qu'à l'étranger. Plus encore, j'ai l'impression qu'il y a un problème dès lors que toutes les ressources journalistiques sont concentrées, comme d'autres témoins vous l'ont déjà dit, et qu'il y aura aussi un problème pour recueillir l'information quand quelque chose se produit. Pour vous donner un bon exemple qui concerne directement cette région, pendant l'avant-dernière catastrophe naturelle qui nous a frappés ici, le gros ouragan qui a frappé la région, la station locale, qui est une station de la CBC, avait elle-même des journalistes indépendants localisés ici qui ont pu produire des reportages sur place, parler des différentes organisations de secours, et le faire beaucoup plus rapidement que les stations appartenant par exemple au groupe CHUM dont le siège était à l'époque à Toronto. Alors que cette station diffusait des reportages sur la catastrophe, les agences privées et centralisées qui travaillaient depuis le centre du pays se contentaient au même moment de diffuser les dix chansons en tête du hit parade. Je voulais simplement vous dire que cela aussi me préoccupe.

Je crois que c'est tout ce que j'avais à dire au comité.

La présidente : Vous avez évoqué une kyrielle de préoccupations fort sérieuses.

Le sénateur Munson : Craignez-vous par exemple qu'une compagnie comme BC, Bell Globe Media et qui est propriétaire de CTV News, que CTV décide de ne pas parler de quelque chose, c'est une hypothèse, qui concerne un intérêt commercial de la compagnie de téléphone, et qu'il y aurait donc conflit en ce sens que vous ne pourriez pas bénéficier du même genre de reportage objectif que pourrait vous livrer une organisation indépendante? Est-ce cela votre crainte, avec ce genre de structure de propriété?

M. Lawrence : C'est une préoccupation en effet qui me vient de mon opinion personnelle. Par contre, je n'ai constaté personnellement aucun exemple précis qui me permettrait de dire que CTV a fait des pieds et des mains pour passer quelque chose de ce genre sous silence. Toutefois, même si nous n'avons rien vu de ce genre au Canada, j'ai pensé qu'il fallait que je mentionne la chose en disant pourquoi je n'aimerais pas que cela se produise ici. Comme dans l'état actuel des choses, le regroupement est encore embryonnaire, je suis heureux de pouvoir vous dire que je n'ai encore rien constaté qui puisse donner à m'inquiéter. Rien encore. Mais, comme je l'ai dit, j'aimerais pouvoir empêcher que cela se produise, si tant est que j'ai une opinion à ce sujet.

La présidente : J'ai été journaliste et je peux vous dire que ce problème que vous évoquez ne date pas d'hier parce que comme votre cyberjournal, à l'origine les quotidiens et maintenant les diffuseurs aussi, appartiennent à de très nombreux actionnaires, dont beaucoup ont d'autres intérêts, et je ne suis pas certaine qu'on puisse espérer arriver, même au paradis, à ce que plus personne n'ait des conflits d'intérêts. Je me souviens bien par exemple avoir écrit des éditoriaux enflammés pour que la ville de Montréal autorise — ce qu'elle ne faisait pas alors — les boîtes à journaux sur les trottoirs. J'avais parlé de « liberté d'expression », j'avais dit que les gens avaient le droit d'être informés, mais mon employeur avait-il lui-même intérêt, sur le plan commercial, à ce qu'il y ait des distributeurs de journaux dans les rues? La réponse est oui. Voilà donc un tout petit exemple, mais néanmoins évident.

Par contre, à mesure que le monde devient de plus en plus complexe, il m'a semblé que l'une des solutions aux nombreux problèmes qui se posent, c'est la transparence, la déclaration, que les gens disent clairement à qui ils appartiennent et quels sont leurs autres intérêts. Par exemple, si vous travaillez pour le Globe and Mail — et c'est ce que ce quotidien fait effectivement — et si vous écrivez un article sur Bell, vous devez ajouter un paragraphe disant que Bell Canada est la propriétaire entre autres du Globe and Mail, afin que les lecteurs puissent former un jugement indépendant et déterminer si, à leur avis, votre article est ou non objectif. Pourriez-vous résumer de façon plus succincte encore l'objet de mon intervention?

M. Lawrence : Non, je ne pense pas. J'ai trouvé que c'était un excellent exemple de ce que vous vouliez montrer. Comme vous l'avez dit, et je suis d'accord avec l'idée, on ne peut être impartial que jusqu'à un certain point lorsqu'on travaille pour différentes compagnies, etc.

Mais en ce qui concerne les différences agences de presse au Canada, l'une des choses qui me préoccupent, c'est que dès lors qu'on se présente comme un organisme qui appuie telle ou telle position politique dans tel ou tel dossier, à partir de ce moment-là, cela se répercute sur les gens qui travaillent pour vous dans ce sens qu'on aura toujours plus ou moins à l'esprit l'idée qu'il ne faudrait peut-être pas insister trop sur ce point au cas où il y aurait des réactions négatives, ce qui risquerait par exemple de compromettre votre emploi. Voilà ce qui en soit me chicoterait le plus à cet égard.

La présidente : Ce sont effectivement des préoccupations fort sérieuses et qui méritent d'être prises au sérieux. Je vous remercie de nous en avoir fait part.

Avant de lever la séance, je voudrais remercier tous ceux qui ont contribué à la réussite de notre séjour à Halifax, c'est-à-dire le personnel, les interprètes, le public et les témoins. Notre comité a pu profiter d'une série de réunions aussi instructives qu'intéressantes, et je tiens à remercier tous ceux qui y sont pour quelque chose.

La séance est levée.


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