Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 17 - Témoignages - Séance du matin
DIEPPE, le jeudi 21 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 8 h 53 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiens; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis heureuse de vous accueillir à cette séance du Comité sénatorial des transports et des communications à Moncton, à Dieppe plus précisément, au Nouveau-Brunswick.
Nous poursuivons notre étude des médias d'information et le rôle que l'État devrait jouer pour aider les médias à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Ce matin, nous sommes heureux d'accueillir, pour commencer, la professeure Erin Steuter, du Département de sociologie de l'Université Mount Allison, à Sackville.
Merci de vous être jointe à nous, madame Steuter. On vous a, je pense, expliqué notre façon de faire habituelle. J'ai d'ailleurs l'impression que vous en savez autant que nous sur le comité ici réuni. Nous vous demandons donc d'ouvrir le bal avec une déclaration liminaire d'environ dix minutes, après quoi nous vous poserons des questions.
Vous avez la parole.
Mme Erin Steuter, professeure agrégée, Département de sociologie, Université Mount Allison, à titre personnel : Vivre au Nouveau-Brunswick où tous les quotidiens de langue anglaise appartiennent à une seule et même société signifie que les lecteurs néo-brunswickois ont accès à une variété très limitée quant aux types de nouvelles qui sont disponibles. Nous nous trouvons ainsi confrontés aux problèmes classiques de la propriété monopolistique des médias, dont l'homogénéité et une étroite fourchette d'opinions sont des caractéristiques courantes.
Par exemple, les trois quotidiens du Nouveau-Brunswick ont récemment publié des éditoriaux louant la nomination de l'ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick, M. Frank McKenna, comme ambassadeur du Canada aux États- Unis. Même si cette position rédactionnelle reflète peut-être bien l'opinion de l'équipe de rédaction de chacun de ces quotidiens, étant donné qu'après ses dix années comme chef du Parti libéral provincial M. McKenna a été solidement rejeté lors du scrutin tenu à la fin de son mandat, il est probable que les Néo-Brunswickois soient nombreux à avoir un avis différent. L'homogénéité de la position rédactionnelle des trois quotidiens a été telle que la population n'a pas pu entendre en la matière une autre perspective.
Vivre au Nouveau-Brunswick, où tous les quotidiens de langue anglaise appartiennent à une seule et même grosse entreprise capitaliste, c'est vivre dans un contexte tel que la voix du monde des affaires retentit haut et fort et où la couverture du monde du travail s'intéresse principalement aux situations de confrontation et de controverse, comme par exemple les grèves, où les travailleurs servent de boucs émissaires.
Par exemple, ce mois-ci, les trois quotidiens ont publié des éditoriaux très critiques des enseignants néo-brunswickois dans le cadre de leurs négociations contractuelles avec le gouvernement. En effet, les éditoriaux étaient truffés de formules du genre « décalés par rapport à la réalité », « augmentations salariales outrageusement élevées », « entraînant les élèves dans le différend » ou « déplaisant jeu d'échecs », fidèles au schéma de couverture Irving des questions patronales-syndicales, montrant du doigt les syndicats comme étant les mauvais joueurs.
Cependant, vivre au Nouveau-Brunswick, où tous les quotidiens de langue anglaise appartiennent à la plus puissante entité économique de la province, signifie quelque chose de tout à fait différent. L'empire Irving, englobant plus de 300 sociétés, a une valeur nette approximative de 4 milliards de dollars et employant 8 p. 100 de la main- d'œuvre néo-brunswickoise dans des activités aussi diverses que la foresterie, les transports et la construction, n'est pas exposé au journalisme d'enquête dans les quotidiens de la province. Au lieu de cela, les observateurs critiques des médias peuvent facilement relever la nature intéressée de la couverture médiatique du groupe Irving de toute question le concernant.
Par exemple, les trois journaux Irving ont publié des gros titres semblables défendant leurs patrons face aux accusations d'abus d'influence lorsqu'il est ressorti qu'ils avaient offert à des ministres des voyages gratuits en avion et des séjours de pêche. Les médias nationaux avaient fait état du cas du ministre fédéral de l'Industrie d'alors, M. Allan Rock, qui avait rendu des décisions très favorables à l'empire Irving après un séjour de pêche offert par la famille Irving. Quelques exemples des gros titres des journaux nationaux : « Rock confronté à de nouvelles questions de conflit d'intérêt », dans le Globe and Mail; « Rock a ignoré la décision du commissaire à l'éthique pour faire avancer la cause des Irving », dans le National Post; et « Nouvelles questions au sujet de Rock et des Irving », dans le Toronto Star. Mais voici un échantillon de gros titres parus dans les quotidiens du Nouveau-Brunswick : « Rock défend le voyage Irving »; « Une vérification chez les Irving ne révèle aucun conflit d'intérêt »; et « Aucun conflit en ce qui concerne le voyage de pêche ». De la même façon, lorsqu'il est devenu apparent que notre député local, Claudette Bradshaw, avait elle aussi bénéficié du voyage des Irving, les journaux Irving ont couvert l'affaire sous le titre que voici, « Scandale exagéré autour du vol gratuit de Bradshaw ».
L'adage qui veut que l'on ne morde pas la main qui nous nourrit signifie que les lecteurs des quotidiens du Nouveau- Brunswick se font servir une interprétation très différente de l'actualité que les lecteurs du reste du pays. Dans le cas qui m'occupe ici, l'histoire a attiré suffisamment d'attention de la part des médias nationaux que les gens du coin ont pu glaner d'autres perspectives dans les quotidiens nationaux. Cependant, étant donné l'orientation axée sur le profit de l'industrie des médias, et qui favorise les informations livrées par les agences de presse plutôt que la couverture médiatique d'enquête locale, il est de plus en plus fréquent que l'actualité néo-brunswickoise soit négligée par les médias d'information nationaux. Lorsque nos propres journaux provinciaux appartiennent à la mégasociété locale, cela ne nous laisse que des options limitées s'agissant de voir une autre perspective.
Par exemple, la société Irving Oil a récemment négocié pour son terminal local de gaz naturel liquéfié une formule d'imposition accordant à la société un plafond de 25 ans sur les taxes applicables à la terre qui, de l'avis de nombreux observateurs, ne correspond qu'à 10 p. 100 de la valeur estimative. Cette affaire a été largement ignorée à l'extérieur de la province bien que certains journaux aient publié des gros titres disant : « La décision d'accorder un allégement fiscal à l'usine de gaz naturel du Nouveau-Brunswick pourrait être fondée sur de faux renseignements »; et « Les gens protestent par centaines les concessions fiscales pour Irving ». Cependant, les journaux de la famille Irving sermonnaient leurs lecteurs dans le cadre d'éditoriaux et de reportages sur les avantages de l'arrangement et mettant en garde contre les graves conséquences qu'amènerait l'annulation de l'entente. Quelques gros titres parus dans les journaux Irving : « Les avantages justifient le plafonnement des taxes; « L'annulation de l'arrangement enverrait un mauvais message, de dire un représentant du groupe Irving »; « Les grands du milieu des affaires qualifient de `merveilleuse occasion' l'arrangement »; « Le propriétaire de l'entreprise craint les conséquences en cas de révocation de la concession fiscale ».
Le déclin du journalisme d'enquête visant la couverture par les quotidiens nationaux des dossiers locaux et régionaux a également amené une situation dans laquelle les médias propriété du groupe Irving peuvent à l'occasion fixer le programme des autres médias. Dans ces situations, la version Irving de certains événements est reproduite telle quelle dans les médias nationaux, sans regard critique et sans qu'il ne soit fait mention des intérêts directs des Irving dans tel ou tel dossier.
Par exemple, lorsque la grève longue de 27 mois chez Irving Oil s'est soldée en 1996 par la défaite humiliante du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, l'entreprise a imposé un processus de rééducation idéologique, qui était essentiellement un moyen pour elle de contrôler le cœur et l'esprit de sa main-d'œuvre dorénavant cassée. Les travailleurs de retour à la raffinerie avaient déclaré que le programme de réorientation était en fait un mélange « pilule amère » et « exercice de changement d'attitude ». Les observateurs syndicaux avaient alors souligné que les Irving inscrivaient les noms des grévistes sur des listes noires, et qualifié le protocole de retour au travail d'exercice de « lavage de cerveaux ». La grève à la raffinerie avait été qualifiée de signe important du climat changeant des relations de travail en Amérique du Nord et à l'échelle mondiale. La grève avait commencé par suite des efforts de la Irving Oil Ltd. De reproduire la flexibilité et la restructuration de la main-d'œuvre constatée dans le Sud des États- Unis et ailleurs dans le contexte du visage changeant du commerce mondial. Son issue a été perçue comme un exemple de retour en arrière, en vertu duquel un régime de progrès social, politique et économique reculait, l'instabilité et la récession économiques ayant permis l'établissement d'un climat dans lequel le pouvoir des sociétés et du gouvernement pouvait être plus directement exercé.
Rien d'étonnant à ce que les mots « lavage de cerveaux » et « établissement de listes noires », n'aient jamais figuré dans la couverture des événements par les journaux du groupe Irving. Bien au contraire, les journaux du Nouveau- Brunswick ont publié les noms des 37 grévistes mis à pied par l'entreprise sous le titre « Plus les bienvenus à la raffinerie ». La réorientation était quant à elle décrite comme étant un « programme de retour au travail » qui était une « difficile transition » pour les hommes qui avaient « échoué » et s'étaient fait dire de « rentrer chez eux ».
Il est intéressant de souligner que la couverture du dossier par Irving avait été reprise par le seul quotidien national en existence à l'époque, The Globe and Mail. Le Globe and Mail avait laissé les médias propriété de la société Irving fixer l'ordre du jour s'agissant du ton et de la couverture de la grève et du protocole de retour au travail quelque peu original, et avait livré une couverture presque identique à l'auditoire national. Il est également intéressant de noter que le Globe and Mail a même évité de couvrir des éléments de l'histoire qui auraient traditionnellement été repris lorsqu'il a suivi l'exemple donné par Irving, refusant même de couvrir la conférence de presse plutôt digne d'intérêt du chef du Parti néo-démocrate du Nouveau-Brunswick, Elizabeth Weir, au cours de laquelle elle a recommandé au gouvernement du Nouveau-Brunswick de demander le remboursement des prêts de la société Irving si elle refusait de régler la grève. Ainsi, lorsque les médias d'information nationaux entérinent la version Irving de ses propres controverses, alors personne n'a le bénéfice de la gamme d'opinions et de perspectives qui au cœur même du journalisme informatif et indépendant en société démocratique.
La recherche sur la couverture médiatique de leurs propres entreprises révèle également que les journaux publient de façon routinière leurs propres communiqués de presse comme étant des nouvelles. Par exemple, le Telegraph-Journal de Saint John publie un article intitulé « La raffinerie embauche 1 000 travailleurs pour projet d'entretien », qui est presque identique au communiqué de presse Irving Oil sur la question, intitulée « 1 000 ouvriers relancent la raffinerie de Saint John ».
Les propriétaires des journaux Irving ont également la réputation de s'immiscer activement dans leur politique rédactionnelle. L'histoire de la propriété d'entreprises médiatiques de la famille Irving est également truffée d'histoires de journalistes interdits de citer les Irving comme étant responsables de déversement de pétrole, de cadres des entreprises Irving interdits de communiquer avec la presse, et il y a même eu le cas du rédacteur en chef du journal de Saint John qui s'est vu refuser la permission de rapporter qu'un bateau remorqueur propriété du groupe Irving s'était échoué, de crainte que cela amène une hausse du coût des assurances de lasociété. Lorsque Neil Reynolds a quitté le Telegraph-Journalen 1995, après un règne houleux au poste de rédacteur en chef, il a dit aux journalistes que le propriétaire du journal, J.K. Irving, l'avait appelé chaque jour lui disant ce qu'il avait aimé et ce qu'il n'avait pas aimé dans le journal.
Un incident survenu lors des élections fédérales de 1997 nous éclaire quant aux conséquences d'initiatives rédactionnelles non sanctionnées dans un journal Irving. Dans les semaines qui ont précédé les élections fédérales de juin 1997, le Parti libéral fédéral au Nouveau-Brunswick était en sérieuse difficulté. La province, comme la région, délaissait les Libéraux de Chrétien. Quelques jours avant le vote, le Telegraph Journal publiait un éditorial en faveur des progressistes-conservateurs de Jean Charest.J.K. Irving, l'aîné des trois frères Irving, y a réagi en écrivant une lettre au rédacteur, publiée sur la première page du journal le jour du scrutin, répudiant l'éditorial et arguant plutôt que le Canada avait besoin d'un autre gouvernement majoritaire, et que les Libéraux avaient fait un bon travail et méritaient un autre mandat. La famille Irving, à commencer par le père, K.C., avait tendance à appuyer les Libéraux, et le gendre de J.K., Paul Zed, député de Fundy-Royal, avait compté parmi les députés libéraux qui allaient plus tard perdre leur siège en dépit des efforts deJ.K. Cette affaire montre que lorsque les rédacteurs en chef des journaux adoptaient une position contraire à celle de leur employeur, alors on leur passait un savon en public.
Enfin, la couverture par les Irving de leur propre empire est marquée par une stratégie de défaitisme en vertu de laquelle ceux qui s'opposent à l'entreprise sont routinièrement dépeints comme étant naïfs, ridicules et irrationnels dans leurs efforts futiles visant à contester les Irving. Par exemple, la couverture de la fermeture du chantier naval Irving à Saint John et la révocation de l'accréditation de cinq syndicats sont très révélatrices de cette réaction classique.
L'éditorial et la couverture de l'affaire publiés dans le Telegraph-Journal de Saint John regorgeaient de formules du genre « fin d'une époque », « impasse », « ils tournent dans le vide » et « ils ne vont nulle part très vite ». Les médias disaient que le régime salarial offert au syndicat « n'allait pas être amélioré » et « que cela plaise ou non aux gens, nous croyons que l'entreprise tient toutes les cartes maîtresses ».
Une conséquence de ce discours de défaitisme est que le public, pour citer Hemant Shah dans Journalism in the Age of Mass Media Globalization :
[...]commencera peut-être à se sentir de plus en plus aliéné et déconnecté par rapport à la vie civique de ses collectivités. Les gens pourraient finir par être habités par le sentiment qu'ils ne disposent pas de renseignements pertinents pouvant donner lieu à des suites et, en conséquence, qu'ils sont impuissants quant au cours de leur propre vie.
En conclusion, le monopole des médias au Nouveau-Brunswick a résulté en une situation dans laquelle nous nous retrouvons avec un contenu d'actualités générique dans le cadre duquel la discussion contextualisée et critique d'importantes questions sociales et économiques touchant la vie et le gagne-pain de voisins et de familles est abordée dans une optique intéressée et partiale.
La famille Irving contrôle tous les quotidiens de langue anglaise de la province, et elle possède également à l'heure actuelle la majorité des hebdomadaires communautaires. Cela procure à cette société géante des outils inégalés pour promouvoir ses propres intérêts et s'isoler des enquêtes et des critiques.
Je ne suis pas analyste de politiques, mais d'après ce que j'ai pu constater les écrits savants sur la réglementation des médias indiquent que le Canada accuse un retard par rapport au gros du monde développé sur le plan de la réglementation de la propriété des médias. Les pays européens confrontés à des défis semblables amenés par les monopoles médiatiques œuvrent à l'établissement de limites concrètes en matière de concentration des médias, ce afin que la loi interdise à une seule et même personne ou entreprise de posséder ou de contrôler tous les médias dans une zone donnée. D'autre part, entreprises et individus sont limités quant au pourcentage du marché médiatique qu'ils peuvent posséder. Dans certains pays, dès qu'une fusion permet à une entreprise de contrôler un marché de la presse donné ou de renforcer sa position déjà majoritaire, un bureau public national chargé des cartels doit intervenir pour empêcher la fusion. La Commission européenne œuvre à l'heure actuelle à l'élaboration de lois visant à contenir la portée des grosses entreprises médiatiques et à contrôler l'expansion de la propriété multimédias. Enfin, d'autres pays ont instauré des régimes de subventions à la presse en vertu desquels divers journaux, qui ne sont pas toujours appuyés par des annonceurs privés, se voient verser des fonds publics.
À moins que le comité ici réuni ne fasse des recommandations décisives en ce sens, il semble que la consolidation et la convergence des monopoles médiatiques seront venues à bout de miner la création par notre société d'une presse libre et indépendante, bouclant ainsi la boucle et nous ramenant à un système à l'intérieur duquel la liberté de la presse est limitée à ceux qui en possèdent une.
Le sénateur Trenholme Counsell : Professeure, vous avez manifestement fait un examen historique approfondi des journaux du Nouveau-Brunswick, et tout particulièrement des quotidiens de langue anglaise.
Cette audience est peut-être la plus difficile pour moi, car il est si facile d'être totalement objectif lorsqu'on se retrouve dans d'autres provinces. Lorsque je suis dans ma propre province, je ne sais pas si j'ai tendance à être moins objective, mais je suis quoi qu'il en soit très intéressée par ce que vous nous dites.
L'une des choses dont nous avons entendu parler partout au pays, et tout particulièrement dans l'Ouest, est l'absence de couverture des assemblées législatives provinciales par les quotidiens de la ville ou de la région. Nous avons surtout entendu dire cela en Alberta. Le même message nous a été livré avec une vigueur étonnante à Vancouver. Pourriez-vous nous dire quelle couverture est donnée par les quotidiens à l'assemblée législative du Nouveau- Brunswick?
Mme Steuter : Il s'agit là d'une question très importante. Je crois que les journaux font dans l'ensemble un très bon travail de couverture de l'assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Un aspect qui devient cependant vite apparent est celui de la façon dont on définit ce qui constitue une nouvelle locale. Les journaux du Nouveau-Brunswick ont tendance à identifier les nouvelles dans la province qui portent sur leurs lecteurs ou sur les intérêts de ceux-ci. Il arrive qu'une histoire qui a vraiment des ramifications pour tout le monde à l'échelle de la province soit identifiée comme étant une histoire propre à Saint John ou propre à Fredericton. Les autres journaux n'en feront alors pas grand cas.
Par exemple, les arrangements fiscaux en ce qui concerne le gaz naturel liquéfié sont intervenus à Saint John. Même si l'on en a parlé un petit peu partout dans la province, l'affaire a été dans l'ensemble identifiée comme étant une histoire d'intérêt local et les renseignements détaillés n'ont été publiés que dans le journal de Saint John. C'est ainsi que le gros des Néo-Brunswickois, qui essayaient de comprendre où intervenait cette subvention et ce qui l'avait motivée, n'avaient pas régulièrement accès à ces renseignements, l'affaire ayant été qualifiée d'histoire d'intérêt local. Ce serait là l'une des préoccupations que j'aurais.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je pense que vous avez donné au comité l'impression qu'il y a du côté des propriétaires des quotidiens du Nouveau-Brunswick un parti pris politique. Je vais d'abord parler des quotidiens, exception faite de l'Acadie Nouvelle. Je crois qu'en repartant d'ici, les gens auront l'impression que les propriétaires sont peut-être des Libéraux.
J'aimerais vous demander si vous pensez que la couverture accordée dans vos journaux à la chef du Nouveau Parti démocratique, Mme Weir, est juste ou non. Cela ne m'ennuie pas de dire que je pense qu'elle est juste, mais j'aimerais connaître votre opinion. Je suis cela de très près, car nous allons peut-être avoir des élections prochainement au Nouveau-Brunswick. Nous avons un gouvernement qui a une mince majorité. C'est très intéressant à suivre; c'est en tout cas un gouvernement majoritaire qui se débrouille bien dans une situation très serrée. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la couverture qui est faite dans cette province du Nouveau Parti démocratique et tout particulièrement de son chef. J'aimerais également vous demander si vous constatez dans le cadre de l'actuel climat provincial — et je vais me limiter à cela dans ma question — un parti pris en faveur des Libéraux? J'ai discuté avec un certain nombre de Libéraux. J'ai entendu quelques Libéraux dire qu'ils ne jouissent pas d'une couverture équitable. Je vais ensuite vous poser une question au sujet du terminal de gaz naturel liquéfié, et peut-être que cela couvrira la scène actuelle.
Mme Steuter : C'est une très bonne question. Certains des exemples que je vous ai livrés correspondent à des cas où les propriétaires Irving sont intervenus pour le compte des Libéraux. La recherche montre qu'au fil du temps il y a eu un appui et pour les Conservateurs et pour les Libéraux et qu'en dehors du fait qu'un membre de la famille était candidat et député libéral, il n'y a pas de parti pris évident. Ce n'est pas comme si la famille n'appuyait qu'un seul parti. La question semble à l'occasion tourner autour de priorités politiques et économiques. Si le gouvernement appuie quelque chose qui est dans l'intérêt de la famille Irving, alors celle-ci accordera plus de soutien au parti au pouvoir si elle estime qu'elle obtient les genres de concessions qu'il lui faut. Je ne dirais pas qu'il existe un préjugé favorable absolu en faveur des Libéraux. Je dirais qu'il y a un préjugé en faveur de ceux qui facilitent la réalisation de leur programme par opposition à ceux qui les entravent dans ce qu'ils veulent faire.
Pour ce qui est du chef NPD, je dirais qu'elle est elle-même une personnalité très charismatique dotée de jugeote médiatique et j'estime qu'elle a très bien réussi pour ce qui est de sa couverture médiatique dans les journaux du Nouveau-Brunswick. Quant au parti et aux préoccupations qu'il soulève à l'échelle de la province, cela préoccupe beaucoup de gens. Les dossiers dont il parle souvent, soit la main-d'œuvre, la pauvreté, les inégalités et la justice sociale, ne figurent pas souvent dans les journaux Irving. C'est là un souci du simple fait que la famille Irving est une grosse boîte et que son programme est différent de celui des personnes qui militent, par exemple, pour la justice sociale.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je trouve que Mme Weir est l'une des personnes qui mâchent le moins ses mots en ce qui concerne les propriétaires. Pensez-vous que l'on réserve une place suffisante aux propos qu'elle tient? Ou bien est-ce le contraire?
Mme Steuter : Je n'en suis pas convaincue. Je n'ai pas vu beaucoup de preuves de cela. Il y a en fait eu une plus importante couverture de critiques conservatrices et libérales récentes, alors je ne suis pas si certaine que cela ait occupé beaucoup de place.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avant de vous poser ma dernière question au sujet des hebdomadaires, j'aimerais vous demander, étant donné que c'est un dossier très chaud à l'heure actuelle, si vous croyez que la couverture de l'arrangement visant le gaz naturel liquéfié — je vais employer le terme « arrangement » — a été juste?
Mme Steuter : Elle n'a pas été juste car l'on n'a pas fourni suffisamment de renseignements. J'estime que l'arrangement a été fait à la va-vite. Il y a beaucoup de gens à Saint John qui s'en inquiètent, beaucoup de membres du conseil municipal de la ville. L'arrangement a été négocié sur la base de données que l'on n'a pas eu le temps d'examiner à fond. La SRC s'est vraiment surpassée dans cette affaire, demandant à plusieurs localités dotées d'usines de gaz naturel liquéfié : « Quel est votre arrangement fiscal? » C'est ainsi que les renseignements que la SRC a obtenus dans le cadre d'une série d'appels téléphoniques sont très différents de ceux soumis au conseil dans le document. Ces renseignements et ces dossiers n'ont pas été suffisamment fouillés pour que tous les Néo-Brunswickois puissent participer à part entière : comment cela a-t-il très exactement été fait ailleurs et quelles sont les conséquences à long terme d'une entente fiscale sur 25 ans?
Le sénateur Trenholme Counsell : Ma dernière question concerne les hebdomadaires. Vous habitez Sackville, où vous avez la parfaite situation de laboratoire pour comparer un hebdomadaire, le Sackville Tribune-Post, qui n'appartient pas à la famille Irving, à la quasi-totalité des autres hebdomadaires qui, eux, appartiennent à la famille. Avez-vous comparé le Sackville Tribune-Post à l'un quelconque ou à l'ensemble des hebdomadaires de la province? Nous autres, à Sackville, avons peut-être la situation idéale pour ce faire.
Mme Steuter : Je n'ai pas entrepris de telle étude. Cela figurerait certainement sur ma liste si je pouvais tout organiser, obtenir un bon financement et trouver des étudiants désireux d'y participer. Ce serait, je pense, formidable, de passer en revue les hebdomadaires, d'examiner différents dossiers et de voir comment ils y sont couverts pour ensuite comparer cela, comme vous l'avez dit, aux hebdomadaires n'appartenant pas aux Irving. Compte parmi ceux qui ont fait des études là-dessus Kim Kierans de l'École de journalisme de l'Université de King's College, à Halifax. Son examen a fait ressortir que les hebdomadaires avaient tendance à être le seul endroit où étaient traités certains dossiers locaux très importants. Et si le dossier local intéressait également les Irving, par exemple, si c'était là qu'il y avait l'usine de pâte à papier ou le dossier intéressant l'exploitation forestière, alors l'affaire ne recevait pas la même couverture que s'il s'était agi d'un hebdomadaire n'appartenant pas à cette même grosse société.
La question en ce qui concerne les hebdomadaires est qu'il n'y a pas une très grande couverture des toutes petites municipalités dans les journaux provinciaux, sans parler des quotidiens nationaux et de l'Internet. Si vous voulez savoir ce qui se passe en Iraq, il vous suffit d'aller sur Internet. Cependant, si vous voulez savoir ce qui se passe à Sackville, il n'y a pas grand-chose à part le Sackville Tribune-Post. C'est là le problème lorsqu'il se passe des choses très importantes sur le plan local, et je ne pense pas que nous obtenions forcément tous les renseignements dont nous avons besoin pour faire des choix éclairés lorsque nous votons, écrivons à nos députés à la Chambre ou participons à des débats publics.
Le sénateur Munson : Professeure, votre déclaration a éveillé en moi quelques souvenirs de l'époque où je travaillais pour une petite station de radio à Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Je suis originaire du nord du Nouveau-Brunswick. Je me souviens qu'en 1966 j'ai lu un bulletin de nouvelles, et il y avait eu une explosion de gaz propane et la personne était morte ou avait été tuée. Les propriétaires ou d'autres m'avaient à l'époque dit que je ferais bien d'éliminer le mot « propane ». C'était ma toute première expérience d'ingérence de la part de propriétaires. J'ai du mal à croire que c'est il y a 40 ans que l'on me disait qu'à cause de la publicité et peut-être du fait qu'une personne en particulier possédait presque tout à Bathurst il serait préférable de supprimer le mot « propane ». J'ai maintenu ce terme dans mon bulletin de nouvelles. Vous nous avez livré un commentaire plutôt cinglant sur le monopole Irving, et vous avez parlé de restrictions. Dans un monde parfait, quels genres de restrictions aimeriez-vous voir? D'aucuns nous ont dit que l'on ne peut plus retourner en arrière, que les gens ont le droit d'acheter des choses et de faire ce qu'ils veulent dans un milieu démocratique. Aimeriez-vous que nous fassions état dans nos recommandations d'un certain niveau de responsabilité en matière de propriété au Nouveau-Brunswick?
Mme Steuter : Les médias d'information sont différents d'un grand nombre d'autres industries sur le plan réglementation. Si vous réglementez une industrie, il vous faut vous demander où les gens peuvent obtenir ce même service ou si ce même produit existe ailleurs. Si je décide que je ne veux pas nécessairement un journal Irving, je ne peux pas simplement aller m'acheter un journal de Nouvelle-Écosse, aller sur Internet ou compter sur les quotidiens nationaux pour les mêmes renseignements, pour les mêmes produits, car personne d'autre ne va offrir ce contenu local.
J'estime qu'un jeu différent de normes réglementaires doit couvrir les médias d'information afin que je puisse être un Néo-Brunswickois informé et renseigné quant à ma province et aux dossiers locaux. Cela exigera peut-être des mesures plus strictes que celles que l'on verrait autrement, et il serait peut-être possible d'adopter des règles qui disent « Voici le niveau de monopole médiatique qui sera toléré. Si votre société dépasse ce seuil, vous disposez de x années pour vous départir de certains de vos avoirs car les Néo-Brunswickois doivent avoir une autre source d'information afin d'être en mesure d'exercer pleinement leurs droits démocratiques ».
Le sénateur Munson : Vous ne pensez pas qu'ils obtiennent assez auprès de l'ATV Atlantic Television System, de la SRC, de l'Acadie Nouvelle ou d'hebdomadaires autres? Vous jugez qu'il n'y a pas un équilibre suffisant avec ce genre de couverture indépendante...
Mme Steuter : À l'heure actuelle, non. Une autre possibilité serait d'assurer un plus grand soutien à ces groupes afin qu'ils puissent livrer une concurrence plus vigoureuse. Il y a eu beaucoup de compressions à la SRC. À l'heure actuelle, elle est une voix de rechange très importante pour nous au Nouveau-Brunswick. Lorsque vous voulez obtenir des renseignements parallèles afin d'avoir une vision plus équilibrée, c'est vers eux que vous vous tournez. Cependant, l'on y a réduit le nombre de journalistes et le nombre d'heures consacrées aux événements couverts. Il se passe la même chose du côté des très petites boîtes, et si donc celles-ci étaient subventionnées afin de pouvoir prendre de l'ampleur, alors la situation serait plus équilibrée. Ce serait là une possibilité.
Le sénateur Munson : Vous avez parlé de l'ingérence des propriétaires dans la politique rédactionnelle. Cela est-il propre au Nouveau-Brunswick?
Mme Steuter : Non. Je ne pense pas que cela fasse normalement partie de la façon dont fonctionnent les médias. Je pense que c'est rare, mais lorsque cela arrive, cela fait clairement ressortir le cœur du problème. Je pense qu'il y a en fait rupture dans le système lorsque les propriétaires doivent carrément dire « Nous allons publier notre éditorial sur la première page du journal sous forme de lettre étant donné que vous n'avez pas compris le message que nous voulions livrer ». Je pense que la plupart du temps il y a un certain climat au travail et vous comprenez quels thèmes et quels dossiers le rédacteur et le propriétaire souhaitent vous voir fouiller et lesquels ils aiment moins. Dans le cas de ce genre de situation de monopole, nous avons moins de possibilités de regarder ailleurs pour certains de ces autres dossiers.
Le sénateur Munson : Dans un monde de liberté d'expression et de liberté de la presse, l'éditeur de journal, du fait qu'il possède ce dernier, qu'il a consenti l'investissement et qu'il a de fermes convictions quant à son rôle au sein de la collectivité, ne devrait-il pas avoir ce droit? Je ne suis pas ici pour défendre les Irving. Cependant, un éditeur ne devrait- il pas avoir ce droit de faire contrepoids lorsqu'il estime que l'on n'a pas forcément livré toute la marchandise au lecteur?
Mme Steuter : Je conviens tout à fait qu'il devrait avoir le droit d'exprimer son opinion. Mais a-t-il le droit de livrer la seule opinion à laquelle aient accès les Néo-Brunswickois? Je pense que la situation à l'heure actuelle est telle que la famille Irving, du simple fait d'être assez riche pour pouvoir acheter tous les journaux, offre la seule perspective en ville. J'aimerais qu'un autre journal exprime son opinion. Je serais déçue si cet autre journal exprimait exactement la même opinion, mais cela arrive parfois. Il pourrait avoir la même orientation politique. Il pourrait avoir la même orientation côté profit, mais au moins on aurait l'impression d'avoir deux opinions différentes de deux propriétaires différents ayant des programmes quelque peu différents.
Le sénateur Munson : La liberté de la presse est-elle une chose qui appartient à la presse et aux médias, ou bien est-ce une chose qui découle de la liberté d'expression et qui appartient donc aux citoyens?
Mme Steuter : Je pense que cela appartient aux citoyens. Cela appartient à une société démocratique. Il nous faut, pour pouvoir agir en tant que citoyens, prendre notre démocratie au sérieux et nous engager dans la vie politique, avoir accès à des informations complètes et équilibrées. Ce droit est pour le moment contenu du fait que ce seul propriétaire exprime son point de vue.
Le sénateur Munson : Nous pouvons faire toutes les recommandations que nous voulons, mais, comme vous l'avez déjà dit, il est difficile de faire marche arrière. Si les choses se maintiennent comme elles sont, pensez-vous que cela nuise aux Néo-Brunswickois qui ne sont ainsi pas informés par différentes entreprises médiatiques?
Mme Steuter : Je pense que c'est néfaste. L'une des craintes est que nous finissions par devenir apathiques et désengagés, les gens se disant simplement « Cela ne sert à rien. Ils possèdent tout. Ils vont tout gérer. Ils vont faire ce qu'ils veulent ». Les gens seront écartés. Je m'inquiète de ce qui se passerait alors. Je m'inquiète d'un déclin de la démocratie et d'un recul de l'engagement politique. Les Néo-Brunswickois, lorsqu'on les connaît, et c'est certainement votre cas à tous les deux, ont beaucoup de choses à dire au sujet du monde dans lequel ils veulent vivre, du monde qu'ils veulent pour leurs enfants et leur avenir, et il leur faut pouvoir s'engager politiquement. C'est très néfaste.
Le sénateur Munson : Merci. Vous avez établi un ton très intéressant pour les deux prochains jours.
Mme Steuter : Merci.
La présidente : J'aimerais repousser un petit peu certaines de vos hypothèses et voir ce que vous me répondez. Cela exigera un plus long préambule qu'à l'habitude.
Vous êtes critique du fait que les journaux Irving aient appuyé la nomination de M. McKenna comme ambassadeur à Washington. Il me semble qu'il serait très étonnant qu'un quelconque journal néo-brunswickois ne fasse pas de même. Je songe, par exemple, au cas de Bob Rae, qui a été premier ministre de l'Ontario pour un mandat pour ensuite se faire battre à plate couture. Pourtant, chaque fois qu'il est nommé à un autre poste prestigieux, d'après ce que j'ai pu voir, tous les journaux ontariens disent « Oui, c'est bien, c'était un homme de talent. Peut-être que nous ne souhaiterions pas le ravoir comme premier ministre, mais il compte parmi nos meilleurs et plus brillants et nous sommes heureux de voir qu'on lui reconnaisse cela au niveau national ». C'est une réaction presque naturelle, instinctive, et je n'aurais pas forcément perçu cela comme une preuve du contrôle exercé par la famille Irving.
Deuxièmement, votre très intéressante anecdote au sujet des élections de 1997 m'a fait penser aux élections de 1988, lorsque j'étais rédactrice en chef de la page éditoriale à Montréal.Moi-même et la quasi-totalité des membres du comité de rédaction étions fermement opposés à l'accord de libre-échange bilatéral avec les États-Unis. Nous avions livré une longue et difficile campagne, en travaillant aussi fort que nous le pouvions, contre cette entente dans le cadre de nos éditoriaux et nous avions commandé des pages publicitaires. Oui, nous avons fait campagne contre cette entente pendant plus longtemps que le Toronto Star. Une fois arrivée l'élection, et vous vous souviendrez que l'on parlait alors de « l'élection du libre-échange », l'éditeur du journal, qui était le seul membre du comité de rédaction qui n'était pas du même avis que nous, a écrit un éditorial de première page endossant les Conservateurs et l'accord de libre-échange. Il a dit être en désaccord avec ceux d'entre nous qui avions fait compagne contre. Le soir des élections, lorsque son camp a gagné, il m'a dit « Retourne faire ton travail en écrivant ce que tu veux ».
Bien sûr, j'étais à l'époque fâchée qu'il ait ainsi pris position. Je peux dire, rétrospectivement, que j'estime que c'était un bel exercice journalistique. Il avait en fait laissé la page éditoriale tranquille pendant des années. L'on pourrait arguer que c'est ce qu'a fait M. Irving. Il a laissé son journal exprimer les convictions de son comité de rédaction, mais il a choisi une fois d'exprimer ses convictions contraires. S'il ne l'a fait qu'une fois, laissant le reste du temps les journalistes faire ce qu'ils voulaient, alors je n'aurais pas interprété cela comme constituant de l'intimidation. Je repousse vos arguments, et c'est maintenant à vous de repousser les miens.
Mme Steuter : Pour ce qui est de la première question, concernant les éditoriaux favorables à la nomination de M. Frank McKenna comme ambassadeur aux États-Unis, ce qui me préoccupait, c'était l'aspect homogénéité, le fait que tous les journaux aient dit en gros la même chose. Il y avait pourtant eu beaucoup d'inquiétudes et de discussions au sujet du leadership de Frank McKenna et des valeurs qu'il épousait. Il était l'un des vrais chefs de file d'une forme de mondialisation des entreprises qui inquiète beaucoup des centaines de milliers de personnes au pays. Voici que ce même programme serait maintenant livré aux États-Unis où le programme de mondialisation des entreprises a déjà été pleinement élaboré. Cela a suscité beaucoup d'inquiétude chez un grand nombre de personnes.
Mon sentiment est que si nous avions la possibilité d'une plus grande diversité d'opinions parmi les médias néo- brunswickois, alors quelqu'un demanderait « Est-ce vraiment ce gars-là que nous voulons envoyer? Est-ce vraiment dans cette direction que nous voulons aller? » Quelqu'un aurait exprimé un autre point de vue. Il est possible qu'il ait pu y avoir trois journaux appartenant à trois personnes différentes et que l'on se soit retrouvé dans la même situation, mais j'aurais bien aimé avoir eu l'occasion de découvrir s'il n'y avait vraiment personne qui pensait autrement.
En ce qui concerne le fait que les éditeurs expriment leurs opinions dans le journal, je pense qu'une lettre au rédacteur écrite par le propriétaire serait très intéressante dans la rubrique Courrier du lecteur. Tout le monde remarquerait et demanderait « Avez-vous vu qui a vu sa lettre publiée dans le courrier du lecteur aujourd'hui? » Ce qui m'a préoccupée c'est que cela soit paru sur la première page du journal le jour des élections. C'est ce qui m'amène à me demander dans quelle mesure certains des employés et certains des rédacteurs en chef ont vraiment la liberté de dire « Non ». Je ne sais trop quelle est la culture de cette salle de presse. Tout ce qui peut m'éclairer en la matière ce sont les gens qui quittent. Certaines des personnes qui ont quitté les journaux Irving ont dit « Nous avions le sentiment de rendre quotidiennement des comptes aux propriétaires. Nous avions en gros des intérêts couverts ». Cela m'inquiète que la presse soit moins libre que je ne le souhaite. Je suis heureuse pour les propriétaires que le silence ne leur soit pas imposé du fait d'être propriétaires. Cependant, il existe différentes façons de communiquer qui donneraient moins l'impression d'un manque d'impartialité.
Le sénateur Munson : Est-ce le même comité de rédaction pour les trois journaux?
Mme Steuter : Non.
Le sénateur Munson : Alors ils ont tous la même attitude?
Mme Steuter : Ces journaux ont des comités de rédaction, ils élaborent des positions rédactionnelles différentes et dans certains cas ils prennent position différemment. Ce qui me préoccupe c'est qu'ils sont en fait très semblables et qu'ils emploient un langage très semblable.
Le sénateur Munson : C'est donc juste le fait d'une heureuse coïncidence qu'ils aient tous pensé la même chose sans s'en parler entre eux?
Mme Steuter : Dans ce cas-ci, nous avons relevé une grande homogénéité, ce que nous constatons souvent.
La présidente : Votre mémoire soulève deux questions. L'une est l'effet de la concentration de la propriété sur les médias et l'autre est l'effet de la propriété des médias par un conglomérat ayant quantité d'autres intérêts, question qui a été soulevée par plusieurs autres témoins. Vous avez déjà parlé un petit peu de cela, mais il est très difficile de fournir la preuve d'un élément négatif. Mis à part des constats anecdotiques correspondant à un cas bien particulier, quelqu'un a-t-il fait un examen systématique en vue de déterminer la nature de la couverture par les médias Irving d'autres intérêts Irving? Je le répète, il est très difficile de fournir la preuve d'un élément négatif. Si une affaire n'est tout simplement pas couverte, comment pouvez-vous le savoir, autrement que de façon anecdotique? Mais a-t-on fait en la matière du travail professionnel systématique que nous pourrions voir?
Mme Steuter : Je suis plutôt bien renseignée en la matière car c'est là-dessus qu'a porté ma dissertation en vue de l'obtention de mon doctorat à l'Université York. J'y ai travaillé pendant 11 ans. La première chose que j'ai dû déterminer c'est si quelqu'un d'autre avait déjà fait quelque chose là-dessus.
La présidente : Exact.
Mme Steuter : Je suis à peu près certaine d'avoir été aussi exhaustive que la chose est possible, et personne n'avait rien fait, sauf M. Michael Clow à l'Université St. Thomas, qui avait fait une petite étude sur la façon dont les questions liées à l'énergie nucléaire étaient traitées dans les médias canadiens. Il a englobé dans son étude des médias de partout au pays, mais il s'est concentré sur l'ensemble des journaux Irving. Je m'étais dit, « Voici une étude qui doit être faite ». Je ne pouvais m'attaquer qu'à un seul dossier, et c'était le dossier du jour, soit la grève à la raffinerie de pétrole. Elle durait depuis deux ans.
Les observateurs du travail partout dans le monde pour ainsi dire jugeaient que c'était un cas pivot, annonciateur de la corporatisation mondiale qui allait venir. J'ai ainsi réalisé une étude de cas très détaillée portant sur ce seul incident. Je sais cependant qu'il y a des gens qui aimeraient savoir, par exemple, quelle couverture est donnée aux questions environnementales, comme par exemple les pratiques de l'industrie forestière, lorsqu'on sait que les Irving en possèdent une grosse partie. Cependant, que je sache, aucune étude du genre n'a jamais vraiment été entreprise de façon rigoureuse.
La présidente : Je ne suis pas non plus convaincue que le comité ici réuni puisse la faire, mais il faudrait sans doute que quelqu'un s'en occupe.
Le sénateur Eyton : Je m'excuse de mon retard, et je n'ai par conséquent pas entendu votre déclaration, mais j'ai eu l'occasion de parcourir votre texte. J'ai ce matin été retardé pour des raisons indépendantes de ma volonté.
Le comité est en train d'examiner la situation des médias canadiens, mais j'estime qu'ils se portent pour la plupart assez bien. Je voyage beaucoup et je dirais que très rares sont les pays qui possèdent la quantité et la qualité de médias que nous avons ici au Canada. J'irais même jusqu'à dire, m'appuyant sur mon expérience américaine, que je suis sans doute aussi bien voire peut-être mieux ici que je ne le serais à Kansas City, à Miami ou à quantité d'autres endroits. Mais j'irais bien plus loin encore. Je voyage dans des pays moins développés. Le seul pays du monde qui me semble avoir une avance sensible est le Royaume-Uni, et je songe tout particulièrement à la région de Londres, avec tous les choix qui sont proposés. J'estime que nous sommes relativement bien servis, et je pense que cela vaut même ici au Nouveau-Brunswick.
Je voulais vous interroger au sujet des choix. À l'heure actuelle, dans le monde des médias, il y a des changements dans toutes les catégories. À la radio, les formats changent et la radio par satellite s'en vient. Du côté du câble, on nous propose quantité de canaux que ne pouvions pas capter auparavant. Que ce soit la télévision et les différentes émissions qui sont maintenant disponibles ou, bien sûr, l'Internet, avec toutes ces autres initiatives, il y a de plus en plus de choix. Peut-être que ces choix ne sont pas populaires aujourd'hui, mais les choses sont en train de changer.
Je regarde ce que vous nous avez fourni, et je constate que vous entretenez certaines convictions, tout particulièrement à l'égard des Irving, d'après les notes en bas de page, depuis sept ou huit ans ou peut-être plus longtemps encore. J'aimerais savoir si vous avez tenu compte des changements qui surviennent dans les médias et des choix qui sont déjà disponibles aujourd'hui; laissez de côté demain ou le surlendemain, mais déjà aujourd'hui des choix s'offrent aux gens. Cela ne vient-il pas au moins en partie contrecarrer vos critiques et vos doléances quant aux Irving? Comment réagissez-vous à ce que je viens de dire?
Mme Steuter : Je dirais que nous sommes extrêmement bien servis pour certaines choses. Dans le cadre de mon travail en tant que professeure, j'ai des étudiants qui sont en train d'étudier les médias et la façon dont différents dossiers sont couverts aux États-Unis, au Canada et en Europe. Côté affaires internationales, je pense que nous sommes au premier rang dans le monde. Un seul article peut présenter un nombre époustouflant de perspectives. Nos étudiants peuvent recueillir des informations formidables qui ne sont pas couvertes par les journaux américains ou les journaux indiens.
Mais plus vous êtes petit et plus vous intervenez au niveau local, moins il est rentable d'envoyer des journalistes faire des reportages d'enquête loin de leur propre cour. Je trouve d'ailleurs que les choses au Nouveau-Brunswick sont pires qu'autrefois.
D'autre part, les hebdomadaires appartiennent plus ou moins tous à la famille Irving. Nos hebdomadaires et nos quotidiens ne nous livrent en vérité qu'une seule voix claire.
Je constate également qu'avec les compressions à la SRC, il se fait moins de journalisme d'enquête. Plusieurs fois déjà j'ai entendu des gens dire avoir contacté la CBC en disant « Écoutez, il y a ce très important événement qui va avoir lieu. Allez-vous y envoyer quelqu'un? » Et on leur a répondu « Nous ne pouvons pas vraiment couvrir ce qui se passe le samedi ou le dimanche », ou « Nous n'avons qu'une seule personne et elle a été affectée à tel autre gros événement ». Nous n'avons plus cela, et c'est pourquoi j'ai le sentiment que cela régresse.
Il y a maintenant tout un décalage entre ce qui est disponible à l'échelle nationale et ce qui est disponible sur le plan local. Une grosse partie de notre qualité de vie est dictée par ce qui se trouve dans notre eau et dans notre air. À quoi va ressembler notre paysage futur? Quelles seront les possibilités d'affaires pournous-mêmes et nos enfants? Ce sont largement là des questions qui sont décidées au niveau local, et il nous faut plus de renseignements afin de pouvoir participer à ces discussions.
Le sénateur Eyton : Ne pensez-vous pas que certaines des nouvelles technologies, des nouveaux moyens de radiodiffusion, des nouveaux outils pour parler aux gens sont en train d'aider? J'estime que certains canaux sont aujourd'hui disponibles. J'imagine qu'ils ne sont pas très bien connus par certains segments de la population et qu'ils ne sont pas très utilisés, mais je pense que cela est en train de changer très rapidement. Je pense que d'ici un an ou deux il y aura encore d'autres choix et d'autres options à la portée des gens. N'entrevoyez-vous pas du tout cela?
Mme Steuter : Ce qui me préoccupe c'est que ce n'est pas ce qui est en train de se passer au niveau local. En fait, ce qui se passe c'est qu'il y a toute une évolution électronique dans la façon dont les journaux sont produits, et seules les grosses entreprises ont les moyens d'acheter ce matériel et de l'exploiter de façon rentable. Les plus petits hebdomadaires et journaux n'y ont pas réellement accès et continuent de produire à l'ancienne, ce qui coûte plus cher, et ils ne sont donc pas concurrentiels.
Au niveau international, avec l'Internet, et les médias de rechange et les cybermagazines que produisent les jeunes gens, il se distribue quantité de merveilleuses informations. Mais au niveau local, provincial, ce qui m'inquiète c'est que nous ne suivons pas du tout le courant.
Le sénateur Eyton : Tout particulièrement à Terre-Neuve, mais un petit peu à Halifax également, nous avons, au cours des derniers jours, entendu parler d'initiatives locales et votre préoccupation est clairement l'information et le discours locaux. Nous avons entendu parler d'initiatives locales, et j'entends par là des initiatives communautaires visant la publication d'un journal communautaire ou le lancement d'une station de radio communautaire à portée limitée. En un sens, il s'agit presque de coopératives ou d'efforts communautaires. Il y a eu plusieurs cas de très belles réussites qui se poursuivent encore. Ces initiatives ont servi les besoins locaux. Envisageriez-vous quelque chose du genre? Étant donné les nouvelles technologies et le coût relativement faible d'un site Web, pensez-vous que ce soit là une solution partielle à vos préoccupations?
Mme Steuter : Nous avons un étudiant de Mount Allison qui a terminé ses études il y a quelques années et dont nous sommes très fiers, et qui est parti créer The Dominion, un journal national canadien en ligne qui prend de l'ampleur. C'était au départ un journal étudiant mais il prend de plus en plus d'importance et est plus ou moins disponible gratuitement en ligne. Cet étudiant y travaille très fort en attendant de se trouver un vrai emploi. Il existe donc ce genre de possibilités pour des personnes qui s'expriment bien, qui font leurs recherches, qui ont une voix et qui sont à l'aise avec les médias.
Cela me préoccupe que nous ne voyons pas un très grand nombre d'initiatives du genre au Nouveau-Brunswick. Je me demande s'il n'existe pas une certaine culture de défaitisme, telle que les gens se disent que les Irving sont les gros joueurs en ville et qu'ils possèdent les médias et qu'il n'est vraiment pas possible de créer quelque chose qui s'oppose à eux. Je n'ai pas vu se profiler ces initiatives au Nouveau-Brunswick, comme j'en ai par exemple vues à Halifax.
Le sénateur Eyton : J'aurais pensé que le fait que les Irving soient aussi forts qu'ils le sont dans ce domaine aurait en fait provoqué la création de plus de médias et de solutions de rechange.
Je constate que cela fait six ou sept ans que vous y travaillez. Progressez-vous? Avez-vous des disciples et des convertis, ou bien êtes-vous en train de perdre du terrain?
Mme Steuter : Lorsque je parle publiquement de ces questions et présente les résultats de mes recherches, cela attire beaucoup d'intérêt. Les gens me disent alors, « Je vous ai entendue à la radio ». Ils viennent me retrouver et me disent, « Il est grand temps que quelqu'un dise cela ».
Je crois cependant que les gens sont nombreux à ne même pas être au courant. Même des collègues à mon université, qui devraient s'intéresser au domaine, ne savent en réalité pas que tous les journaux dans la province appartiennent aux Irving. Ils diront, « Oh, non. Ils ne possèdent pas le journal de Fredericton, si? » et je réponds alors, « Ils le possèdent depuis longtemps ». Il y a un manque de connaissances, alors une partie de mon travail vise simplement à sensibiliser les gens au fait qu'ils n'entendent en réalité qu'une seule voix.
Je trouve qu'il y a aujourd'hui beaucoup plus d'intérêt de la part de ceux et celles qui se préoccupent de l'environnement. Les Irving exploitent un si grand nombre d'industries qui ont une incidence sur l'environnement que les gens commencent à s'inquiéter du fait que l'on ne dispose pas réellement de toutes les données avant de décider s'il devrait y avoir une interdiction d'épandage de pesticides, si les coupes à blanc sont vraiment nécessaires ou s'il faudrait autoriser certaines initiatives de coopératives dans le domaine des pâtes et papiers. Je pense que les gens commencent à se dire qu'il n'y a peut-être pas autant de diversité de vues qu'il le faudrait. Mais la première étape est de sensibiliser les gens au fait qu'il n'y ait pas toute la diversité que l'on aurait pu penser, car les gens sont nombreux à ne pas être au courant.
Le sénateur Trenholme Counsell : Madame la présidente, je ne voudrais pas que le comité, bien que nous ayons bien sûr deux jours, mette fin à cette discussion publique au sujet du fait qu'il n'y ait qu'une seule voix au Nouveau- Brunswick. Étant donné que vous vous intéressez tant à la disponibilité d'information et d'opinions diverses dans cette province, je me demande si vous avez fait une comparaison entre l'Acadie Nouvelle et les journaux de la famille Irving. Les Acadiens sont très touchés dans leur quotidien par la famille Irving, avec les nombreuses grosses entreprises, l'industrie forestière et Kent Homes. Partout dans la région de Bouctouche et du comté de Kent, il y a quantité d'activités.
Deuxièmement, avez-vous eu l'occasion d'examiner un journal par rapport à un ou plusieurs autres? Y a-t-il une différence dans la voix des Néo-Brunswickois? Je ne veux pas parler de la langue. Je veux parler des idées et des opinions, surtout par rapport aux questions intéressant peut-être la famille Irving. Je pense qu'il est important que ce message soit clair dans cette province, s'agissant de savoir s'il y a ou non une différence.
Mme Steuter : Je n'ai pas une connaissance suffisante du français pour pouvoir entreprendre moi-même une telle étude. J'en ai parlé avec certains dirigeants actifs dans d'autres mouvements, et leur ai demandé, « De votre point de vue, vos préoccupations sont-elles exprimées? » Dans de nombreux cas, ils me diront considérer que l'Acadie Nouvelle est beaucoup plus ouverte aux questions environnementales, par exemple, et que les personnes bilingues ou francophones ont accès à des informations différentes de celles qui sont livrées aux anglophones unilingues.
Le sénateur Munson : Nous pourrions poursuivre pendant toute la journée. J'aimerais vous poser une courte question : votre voix est-elle entendue dans les journaux Irving? Votre point de vue est-il pleinement exprimé dans les journaux Irving?
Mme Steuter : Je dirais que non. J'ai soumis certains de mes travaux de recherche à un conseil de journalistes il y a de cela quelques années et l'on a couvert ce que j'ai dit dans le cadre de cette conférence dans les journaux Irving, et ces reportages étaient accompagnés de toute une diversité de vues. Il s'agit là d'un cas bien précis dont je me souviens. Mais de façon générale, à moins qu'un politique bien en vue n'en parle, la propriété monopolistique des médias n'est pas une question que l'on aurait tendance à voir débattue dans les journaux Irving.
La présidente : J'enfreins ma propre règle, mais j'aurais pour vous une dernière question.
Si de nouveaux médias ne poussent pas comme des champignons, alors vous avez les médias que vous avez. S'ils n'appartiennent pas à la famille Irving, ils vont appartenir à quelqu'un d'autre. Premièrement, connaissez-vous quelqu'un qui serait intéressé à acheter une de ces entreprises médiatiques? Deuxièmement, serait-ce une bonne ou une mauvaise chose qu'un tel acheteur soit l'une des grosses chaînes du centre ou de l'ouest du pays, auquel cas vous perdriez une voix néo-brunswickoise?
Mme Steuter : Excellente question.
La présidente : Mais il vous faut y répondre rapidement.
Mme Steuter : Je pense que les gens sont désireux d'acheter les journaux. Les journaux sont profitables et l'industrie des médias est une bonne industrie dans laquelle investir. S'il se présentait une grosse chaîne avec sa propre optique rédactionnelle,j'aurais un nouveau sujet de recherche. Cependant, en tant que Néo-Brunswickoise, je serais très heureuse qu'il y ait plus de débat et plus de diversité, alors j'y serais favorable.
La présidente : Merci beaucoup, madame Steuter.
Mme Steuter : Je vous suis reconnaissante de l'occasion qui m'a été ici donnée de comparaître devant vous.
La présidente : Sénateurs, le témoin suivant est M. Gary MacDougall, rédacteur en chef du Guardian, et il nous faut donc le remercier tout particulièrement d'avoir traversé le détroit pour venir à nous. Sachez, monsieur MacDougall, que le comité a longtemps agonisé au sujet de la possibilité de se rendre à l'Île-du-Prince-Édouard. Il nous a été très pénible de décider de ne pas nous rendre chez vous mais plutôt de vous demander de venir à notre rencontre ici. Comme vous l'avez peut-être remarqué, les choses se bousculent de plus en plus à Ottawa ces jours-ci et nous avons tout simplement manqué de temps. Nous vous demandons donc à vous et, par votre intermédiaire, aux gens de l'Île-du- Prince-Édouard, de nous excuser de ne pas nous être rendus chez vous, mais nous sommes vraiment ravis que vous ayez pu venir ici. Vous savez, je pense, que vous disposez d'environ dix minutes pour faire une déclaration, après quoi nous vous poserons des questions. Vous avez la parole.
M. Gary MacDougall, rédacteur en chef, The Guardian : Merci beaucoup.
Assis que j'étais au fond de la salle, j'ai trouvé la discussion fort intéressante. Exception faite du sexe et peut-être du prix de la pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard, qu'y a-t-il de plus fascinant comme sujet de discussion que les médias d'information? Je pense que les gens adorent en parler, et c'est sans doute votre cas à vous.
J'aimerais vous remercier de l'occasion qui m'a été donnée de comparaître devant vous. Je dois vous présenter des excuses. Mon domaine, c'est celui des quotidiens. Je ne suis pas très bien préparé en ce sens que je n'ai pas de texte, mais de toute façon j'ignore si j'ai quelque chose de bien profond à vous dire, mis à part le fait que je me suis bien occupé de veiller à ce que je sois autorisé à prendre la parole devant vous ici.
La présidente : Oui, montrez cela à l'assistance.
M. MacDougall : Je travaille bien mon public, n'est-ce pas?
La présidente : Vous n'avez qu'à remettre cela au greffier.
M. MacDougall : J'ajouterais que ce n'a pas été chose facile pour un membre de l'Église presbytérienne d'obtenir une audience avec le tout nouveau Pape.
Je dirais, en guise de préface, que je travaille dans le monde des journaux depuis environ 35 ans. Sans compter mes débuts comme livreur de journaux. J'espère en fait bientôt mettre le point final à ma carrière, ne serait-ce que pour faire un peu d'exercice et sortir. Après toutes ces années et après avoir entendu un si grand nombre d'opinions exprimées par un si grand nombre de personnes sur un si grand nombre de questions, à peu près la seule chose dont je sois certain est que je n'ai clairement pas toutes les réponses. Après un moment passé dans ce domaine, vous devenez un petit peu comme une éponge à force d'entendre tellement de gens vous dire ce qui est bien et ce qui est mal.
J'ai cependant un certain nombre d'opinions et je vais les partager avec vous. Si vous avez des questions, j'ose espérer que je pourrai y répondre. J'ai parcouru la documentation qui m'a été envoyée et y ai glané quelques questions clés. Permettez-moi d'y mettre mon grain de sel.
L'une des premières questions posées est la suivante : les Canadiens ont-ils accès à une quantité et une qualitésuffisantes d'information? Je dirais que plus que jamais dans leur histoire les Canadiens ont accès à une multitude de sources médiatiques : certaines très traditionnelles, comme des journaux tels The Guardian à Charlottetown, qui existe depuis plus de 100 ans et, bien sûr, de nombreuses autres qui sont nées dans l'Internet et dans le cyberespace.
Le monde d'aujourd'hui est différent. Les temps sont en effet en train de changer. Nous avons récemment réalisé une publication pour marquer le 150e anniversaire de la Ville de Charlottetown. Voilà mon petit baratin pour donner un coup de pouce au tourisme à Charlottetown. La ville fête cette année cet anniversaire. Nous avons produit une édition spéciale et avons donc fait beaucoup de recherche sur le passé, et je pense que nous autres journalistes regrettons tout particulièrement les vieux jours où il y avait ces réunions municipales truffées de discours enflammés et où les politiciens et leurs opposants s'adonnaient presque à des combats de boxe. Malheureusement, cela ne se voit plus de nos jours. Les élections vont et viennent, mais ces assemblées publiques fougueuses ne sont plus.
Cependant, aujourd'hui, si vous faites attention, ces genres de discussions et d'échanges d'informations figurent ou dans les éditoriaux de journaux, ou dans les carnets Web ou sur les lignes de bavardage. Je pense que l'information est aujourd'hui là comme jamais auparavant. Le défi pour le consommateur de nouvelles est de faire le tri parmi toutes les sources et la manipulation qui nous entourent, sans parler de la haine et la désinformation qui nous assaillent. Je ne vais certainement pas être de ceux qui critiquent le fait que les gens aient accès à l'information, mais je pense qu'un « défi » croissant — je ne sais pas si le mot « problème » serait le bon terme — est qu'il y a tellement d'information que les consommateurs — surtout s'ils ne sont pas sophistiqués s'agissant de savoir d'où cela provient, s'il y a un éditeur responsable ou s'il y a simplement un barrage d'information qui vient les noyer — doivent faire des choix sur la base de ce qu'ils voient sur un écran, et sans savoir d'où cela vient. Une chose dont on est certain s'agissant des journaux ou des médias traditionnels est qu'il y a une certaine forme d'examen rédactionnel qui s'opère, tandis que sur l'Internet, qui sait ce que vous obtenez?
Quant à la question des Canadiens plus vieux et plus jeunes qui accèdent à l'information de façon différente, je pense que les jeunes, du fait de leur jeunesse et de leur impatience, recherchent de plus en plus la solution instantanée. Ils ne vont pas attendre la parution du journal dans les cinq ou six heures ou la prochaine radiodiffusion. Ils veulent savoir ce qui se passe et ils veulent le savoir tout de suite, et ils vont l'obtenir. Cela leur est livré par leurs ordinateurs, leurs téléphones cellulaires, leurs téléphones-souliers ou leurs brosses à dents, qui sait, mais cela nous assaille tous.
Je parle ici principalement du point de vue des journaux. Aujourd'hui, presque tous les quotidiens ont un site Internet, et ceux-ci sont en règle générale populaires. Une chose que l'industrie des journaux, en tout cas à Charlottetown, mais c'est sans doute la même dans beaucoup d'autres endroits, n'a pas appris à faire c'est comment réaliser un profit avec l'Internet. Je ne dis pas cela pour être crasse, mais les médias d'information appartiennent à des intérêts privés qui doivent faire un profit pour rester en affaires. Nous nous sommes tous bousculés pour créer nos sites Internet. Vous avez déjà entendu parler de cela, j'en suis certain. Nous sommes tous là. Nos sites sont populaires, mais comment faire pour réaliser un profit?
Réaliser un profit à l'Internet est important car les abonnements aux quotidiens traditionnels sont, bien sûr, en déclin. Cela est clair. Je suis heureux de dire que dans l'Île cela ne décline peut-être pas aussi rapidement qu'ailleurs, mais l'effectif-lecteurs est en déclin. Il n'y a de cela aucun doute. Il y a une certaine tendance à la baisse des chiffres de circulation compte tenu des autres médias électroniques, de l'Internet, du recul de la loyauté des lecteurs, du fait que les gens soient tout simplement trop occupés et du fait que tout le monde travaille. L'Internet est un moyen évident — je ne dis pas que c'est le seul moyen — pour l'industrie des journaux de se faire un peu d'argent et de demeurer un peu rentable. Nous n'avons pas encore trouvé le moyen d'y gagner de l'argent et je pense qu'il est important que l'industrie des journaux et que les nouveaux médias y parviennent. Le défi vient du fait que lorsque tout le monde s'est précipité sur l'Internet, tout était gratuit. Comment pouvons-nous compter que les gens paieront grand-chose pour cela? Je ne sais pas. Peut-être qu'ils ne devraient pas payer grand-chose.
Les actuelles restrictions en matière de propriété étrangère devraient-elles être maintenues? À mon avis, la réponse est un « non » retentissant. Les règles actuelles permettent peut-être aux géants pour ainsi dire de dominer les médias d'information au Canada, mais, à mon sens, cette situation est préférable à la domination des médias d'information canadiens par des intérêts internationaux. Mieux vaut un danger qu'on connaît qu'un danger qu'on ne connaît pas.
En citant ce vieil adage, je ne veux pas dire que les médias d'information sont peuplés de dangers : bien au contraire, en dépit du fait que nous ne soyons peut-être pas mieux considérés que les politiciens, par exemple, exclusion faite des personnes ici présentes. Selon mon expérience, et j'œuvre depuis longtemps dans les médias d'information, ce secteur est peuplé par des gens très sincères. Ceux et celles qui œuvrent dans les médias d'information abordent leur travail avec sérieux. Ils tiennent à aider les gens. Nous ne sommes pas les gros méchants que d'aucuns pensent. Nous ne sommes que des femmes et des hommes qui nous efforçons de faire notre travail, et de rentrer chez nous, et en règle générale, nous rentrons tard à la maison.
En dépit de certains de ces petits défis que j'ai mentionnés relativement à l'Internet et à la concurrence venant d'ailleurs, je demeure convaincu que ce sont les quotidiens qui fixent dans ce pays le programme des nouvelles, avec toutes mes excuses aux anciens de la télévision.
Le sénateur Munson : Il vous faut obtenir vos nouvelles quelque part.
M. MacDougall : En effet.
Le sénateur Munson : Les quotidiens sont un endroit aussi bon qu'un autre.
M. MacDougall : C'est exact. La plupart des journalistes électroniques commencent leur journée en lisant un quotidien.
En ce qui concerne le CRTC ou l'intervention d'un autre organe gouvernemental dans la réglementation et la supervision des médias d'information, vous n'avez sans doute pas été surpris par ce que j'ai dit il y a quelques instants. Je n'y suis pas favorable, et en voici un exemple. Il y a quelques années, The Guardian, à Charlottetown, appartenait à Conrad Black, et il y a eu à l'époque tout un tollé au sujet de sir Black. À l'époque, il était simplement Conrad Black, mais il a ensuite pris ce titre. Tout le monde s'affolait en disant que Conrad Black et son équipe allaient absorber tous les quotidiens du pays, et il s'est pendant un temps bien amusé. Il n'y aucun doute là-dessus, de votre ancien journal à St. John's, Terre-Neuve, jusqu'à Victoria. Il détenait un grand nombre de quotidiens et l'on s'inquiétait à l'époque de la question de savoir si cela allait ne serait-ce qu'être discuté. Il s'est cependant avéré que le ciel ne s'est pas effondré. Aujourd'hui, s'il s'effondre, c'est sur la tête de M. Black, qui fuit les journalistes qui essaient de le détrousser afin de lui poser des questions.
Pendant quelque temps, le régime de libre entreprise a laissé briller l'étoile de M. Black. Mais le système de poids et contrepoids a, depuis, résulté en un secteur médiatique canadien très différent, dont j'arguerais qu'il est d'ailleurs en bonne santé. Ma société mère, la Transcontinental Media, est en effet un joueur important à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse ainsi qu'à Terre-Neuve et au Labrador. Nous sommes un gros poisson dans une petite mare. La famille Irving, comme nous venons de l'entendre dire, est un joueur dominant ici au Nouveau-Brunswick. Le Chronicle-Herald réussit fort bien à Halifax, la plus importante ville de la région de l'Atlantique. Le Québec a ses grosses sociétés. L'Ontario a le Torstar Media Group, l'Osprey Group, Sun Media, et d'autres. CanWest est présent lui aussi, tout comme il l'est dans l'Ouest. Le pays compte bien sûr une multitude d'hebdomadaires. Je n'ai ici parlé que de la presse écrite. Je ne suis pas très calé en médias électroniques. En d'autres termes, aucun groupe de quotidiens ne contrôle à lui seul les médias d'information canadiens. S'il existait quelque organe de contrôle gouvernemental de la propriété des quotidiens, il me semble qu'il y aurait eu intervention, possiblement à la fin de l'ère de Conrad Black il y a de cela quelques années. Or, il n'y a eu aucune intervention, et que ce serait-il passé si quelqu'un était intervenu et avait stoppé certaines de ces ventes? Quel genre de confusion cela aurait-il semé? Nous avons survécu à M. Black et je dirais que l'industrie des journaux se porte bien.
En dehors de la propriété locale des journaux, j'estime que la propriété par des sociétés a assez bien fonctionné pour les Canadiens. Je ne suis en tout cas pas contre la propriétéprivée. Dans un monde parfait, je suppose qu'il serait bienque le plus grand quotidien de l'Île-du-Prince-Édouard appartienne à des gens de l'île. Il a été lancé par desPrince- Édouardiens, par un vieux ministre de l'Église presbytérienne dans les années 1880. C'est là, sans doute, le lien avec moi. Cela a évolué dans le temps pour devenir The Guardian. Dans les années 50, le journal a été acheté par Thompson. Lors du branle-bas des années 90 et du début des années 2000, il y a eu une succession de propriétaires. La propriété locale a eu ses avantages et ses inconvénients, je suppose. Je n'ai pour ma part jamais travaillé pour des propriétaires locaux. Il y a la question de l'indépendance rédactionnelle. Il y a la question des ressources.
Chose intéressante, l'un de nos meilleurs propriétaires, et je cite ici Elmer Fudd, est le « wascally wabbit » du nom de Conrad Black. Les gens me regardent comme si j'avais deux têtes lorsque je dis qu'il était un bon propriétaire, sans tenir compte de mon imitation d'Elmer Fudd, mais c'était vrai. À la manière de nos actuels propriétaires, Transcontinental Media, Black ne s'est pas ingéré dans la politique rédactionnelle du Guardian. Il a consenti un investissement d'envergure dans nos installations à Charlottetown qui, comme vous le savez peut-être, maispeut-être pas, se trouvent à une rue seulement du lieu où les Pères de la Confédération se sont rencontrés en 1864 pour planifier notre grande nation.
Je n'entends pas être obnubilé par M. Black. J'ai plusieurs fois ici mentionné son nom. Nous n'aspirons pas forcément à son retour ici à Charlottetown. Ceci est peut-être ma petite réclame pour Transcontinental Media. Je tiens à souligner que nous sommes très heureux de Transcontinental Media. J'ose espérer que cela va figurer au procès- verbal. Ce sera le gros titre. Je ne mentionne M. Black qu'à titre d'exemple de la façon dont la propriété d'entreprise a tendance à fluctuer dans ce pays, et l'industrie survit pourtant.
Nous avons vécu plusieurs changements de propriétaires au Guardian au cours des dernières années. Je ne dis pas qu'il s'agit forcément là d'une chose merveilleuse, car cela crée beaucoup d'angoisse chez les employés lorsque tout d'un coup vous appartenez à « A », puis à « B » puis enfin à « C ». C'est là un souci, mais nous n'avons pas souffert du fait de ce régime de propriété.
Ayant parlé positivement de la propriété privée, il me faudrait souligner que chacun nourrit dans une certaine mesure certaines inquiétudes quant à ce régime de propriété. Seul un idiot dirait qu'une entreprise ou qu'une personne devrait être autorisée à posséder tout au pays. Cela ne devrait tout simplement pas arriver.
Pardonnez-moi, mes notes sont ici vraiment très schématiques.
Lorsque je parle de façon positive de la propriété collective, il ne faut pas oublier qu'aux côtés de la propriété, les sociétés ont de sérieuses responsabilités. Le journal The Guardian existe àl'Île-du-Prince-Édouard depuis plus de 100 ans, et les Prince-Édouardiens considèrent jusqu'à un certain point qu'ils le possèdent. À bien des égards, ils estiment être les propriétaires de The Guardian et que ces autres sociétés, ou propriétaires de sociétés, gèrent simplement l'affaire de temps à autre.
Cependant, le journalisme est à la fois très complexe et très simple. Le bon journalisme exige des journalistes engagés et formés travaillant dans des conditions raisonnables. Les propriétaires doivent veiller à ce que les médias livrent des informations de qualité dans les temps, au lieu de n'être qu'un véhicule source d'argent. La propriété collective est par ailleurs assortie d'une sérieuse responsabilité. La population de l'Île-du-Prince-Édouard mérite ses informations comme c'est le cas de n'importe qui.
J'aimerais profiter du fait que je sois ici pour faire la promotion de l'industrie des journaux. Je m'excuse d'être ainsi obnubilé par l'industrie des journaux, mais c'est peut-être que je la connais mieux que toutes les autres. Une autre formidable institution canadienne est la Presse canadienne, dont je suis certain que vous avez entendu parler dans le cadre de vos délibérations. The Guardian, comme de nombreux quotidiens, a une longue tradition de collaboration avec la Presse canadienne. Ce service est absolument essentiel à notre produit et à notre capacité de dire aux Prince- Édouardiens ce qui se passe à l'extérieur de l'île.
En conclusion, à mon avis, les médias d'information sont vigoureux, indépendants et de plus en plus diversifiés, beaucoup plus, d'ailleurs, qu'ils ne le seraient sous un régime de réglementation gouvernementale stricte. Ma crainte en ce qui concerne l'application de règlements est qu'à l'heure actuelle les médias d'information sont très fluides. Ils sont libres de partir à la course et de faire ce qu'ils veulent et de faire campagne. Nous pourrions au Guardian lancer une campagne pour faire abolir le Sénat, et cela pourrait s'étendre sur une dizaine d'années si nous le voulions. Tant et aussi longtemps que nous sommes justes à l'égard de l'autre camp, plaidant en faveur du Sénat, où est le problème?
La présidente : Vous seriez les premiers au pays.
M. MacDougall : À réussir ou à lancer la campagne?
La présidente : À présenter l'autre côté de l'argumentation.
M. MacDougall : Les décisions journalistiques doivent à mon sens s'appuyer sur des raisons journalistiques et non pas sur la politique ou sur l'issue possible.
Voilà les propos que je tenais très humblement à vous soumettre.
La présidente : Vous avez, très puissamment, couvert beaucoup de terrain.
Le sénateur Eyton : Merci de vos remarques. Nous avons jusqu'ici entendu des Canadiens de partout au pays. Leurs préoccupations semblent pour la plupart tourner autour de la couverture locale et des nouvelles locales. Ma première question pour vous est la suivante : que fait votre journal dans cette catégorie? Vous avez mentionné la PC qui, je suppose, serait la principale source de nouvelles hors province.
M. MacDougall : De nouvelles de loin.
Le sénateur Eyton : J'aimerais savoir quels sont vos efforts, et dans quelle mesure ceux-ci sont efficaces, s'agissant de votre couverture d'événements locaux et de choses qui se passent dans votre province.
M. MacDougall : Je vous soumettrai humblement, et Dieu sait que nous avons nos faiblesses, mais notre slogan sur la grande manchette de notre journal dit « We cover the Island like the dew » — nous recouvrons l'île comme de la rosée. C'est peut-être là une légère exagération. Je suis certain qu'il y a des jours où nos lecteurs pensent qu'il y a sans doute de la rosée qui nous a échappée, mais c'est là notre principe directeur. Nous penchons du côté du local.
Nous sommes un journal quelque peu étrange en ce sens que l'Île-du-Prince-Édouard est une aberration au sein de la Confédération, du fait de sa géographie et de tout le reste. Chez The Guardian, il nous faut dans une certaine mesure être comme The Globe and Mail de l'Île-du-Prince-Édouard. Il nous faut être provincial. En même temps, il nous faut être local, un peu à la manière d'un hebdomadaire. Nous avons ainsi ce drôle de mélange. J'estime que les nouvelles locales sont notre force, et nous péchons par excès de prudence du côté de la couverture locale.
D'aucuns argueront peut-être que nous péchons par excès du côté local à un point tel que nous faisons peut-être un petit peu trop esprit de clocher par rapport aux dossiers à caractère davantage national. Je ne veux pas dire par là que nous ignorons les nouvelles régionales, nationales et internationales. Nous nous efforçons d'y faire un bon travail, mais s'il nous faut pécher par excès, c'est du côté du local, car les gens disposent d'autres véhicules pour obtenir les nouvelles nationales. Il ne se diffuse pas beaucoup d'actualités sur l'Île-du-Prince-Édouard sauf enl'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Eyton : Pourriez-vous quantifier la façon dont vous obtenez vos nouvelles locales ou en tout cas nous éclairer quant aux journalistes ou peut-être aux bureaux provinciaux que vous avez? Par exemple, comment faites-vous à Summerside?
M. MacDougall : Nous avons un bureau à Summerside, et y avons un quotidien frère, un quotidien d'après-midi. Nous partageons. Il n'y a aucune collaboration rédactionnelle, sauf que s'ils veulent quelque chose du Guardian, ils peuvent l'avoir, si cela a été publié. Si nous voulons avoir quelque chose de ce journal-là, après publication, alors c'est possible.
Nous avons un petit bureau à Summerside. Nous avonsdeux bureaux à Kings County et notre siège se trouve,bien sûr, à Charlottetown. L'Île-du-Prince-Édouard est à bien des égards une aberration du fait de sa taille. Nous sommes une capitale provinciale et nous avons donc une assembléelégislative. Elle accapare deux de nos journalistes. Ses travaux sont en cours à l'heure actuelle. Nous couvrons également les cours de tous les paliers. Charlottetown est en un sens une drôle de petite ville — je le dis toujours aux jeunes journalistes — un drôle de petit endroit où travailler, car nous sommes comme un mini Ottawa. Je dis cela avec humilité, mais nous avons des tribunaux de tous les paliers ainsi que notre part de réunions fédérales-provinciales. C'est en fait tout un défi. Il s'y passe beaucoup de choses pour une région de notre importance. L'île ne compte qu'environ 138 000 habitants.
Je ne pense pas avoir répondu pleinement à votre question. Nous diffusons les actualités du jour. Nous nous efforçons de couvrir ce que nous jugeons vital et important. Notre page opinions compte une section courrier du lecteur très dynamique. Nos journaux sont remplis de choses banales comme les annonces d'intérêt public. Nous péchons par excès du côté du local.
Le sénateur Eyton : Vous avez dit avoir deux journalistes qui couvrent l'assemblée législative provinciale. Combien d'autres journalistes figurent parmi votre effectif?
M. MacDougall : Dans ma salle de presse, nous avons au département de la rédaction un personnel de 26. C'est un assez bon nombre. Je suis un spécialiste des éditoriaux, et je pense donc que ce serait bien d'avoir deux journalistes de plus. Cependant, pour être juste envers les propriétaires et mes éditeurs, je pense que j'ai assez de chevaux pour faire le boulot. Il s'agit de veiller à ce qu'en tant que service rédactionnel nous fassions bien notre travail.
Le sénateur Eyton : Pour changer un peu de sujet, nous parlions de la couverture provinciale. Pourriez-vous nous entretenir de la façon dont vous cherchez à joindre les jeunes ou, mettons, différents éléments de la population de l'Île- du-Prince-Édouard même? J'ai l'impression, et vous me corrigerez si j'ai tort, que la population de l'Île-du-Prince- Édouard est moins diversifiée que celle d'autres provinces dans ce merveilleux pays. Pourriez-vous m'expliquer un peu comment votre journal s'y prend pour rejoindre les jeunes et les groupes minoritaires de la province?
M. MacDougall : Pour commencer à l'autre bout du spectre des âges, je pense que nous publions le meilleur supplément pour personnes âgées de tout le pays. Nous avons un comité de rédaction composé de personnes du troisième âge et ce sont eux qui contrôlent, corrigent, écrivent et tout le reste. C'est ensuite à nous qu'il revient d'en assurer la publication et la distribution.
À l'autre bout du spectre, où l'on retrouve les jeunes, nous nous efforçons de publier beaucoup d'articles sur les événements intéressant les jeunes. Je sais que ce que je vous dis là n'est pas très précis. Nous avons un chroniqueur jeunesse. Nous couvrons beaucoup d'événements en milieu scolaire. Nous nous efforçons d'avoir l'œil ouvert sur tous les dossiers, tant positifs que négatifs, qui intéressent les jeunes.
Quant aux minorités, nous nous sommes récemment intéressés à un incident mettant en cause une minorité, bien que personne n'ait voulu prononcer ce mot. Les exploitants d'un petit restaurant appelé Noodle House, qui...
Le sénateur Eyton : Nous en avons entendu parler à Toronto.
M. MacDougall : Oui. Vous aurez remarqué que dans l'entrevue diffusée dans le cadre de As it Happens le mot race n'a jamais été mentionné. C'était une simple discussion au sujet — je ne sais même pas s'il y avait une question raciale. Il y a eu un incident mettant en cause ce restaurant, devant lequel défilent, semble-t-il, pendant leur déjeuner, deux ou trois élèves de deux ou trois écoles. Ils embêtaient les propriétaires. Il y a de toute façon eu toute une avalanche de réactions lorsque les médias ont parlé de ce qui s'y passait. Tout le monde a été choqué, car cela nous préoccupe beaucoup ce que les gens d'ailleurs au pays pensent de nous. Le maire, le chef de police et les commissions scolaires sont allés visiter cet endroit.
Je m'écarte quelque peu de votre question, qui portait précisément sur ce que nous faisons pour les minorités. Nous faisons régulièrement des reportages ciblés sur les minorités. Nous avons une PEI Association for Newcomers to Canada. Nous comptons quelques communautés autochtones. Nous faisons toute la couverture traditionnelle; vous verrez le nouvel an chinois couvert dans de nombreux quotidiens et ainsi de suite. Ce qui est certain, c'est que notre oreille est toujours tendue dès qu'un membre d'une minorité vient frapper à notre porte. Cela étant dit, pour être franc avec vous, notre salle des nouvelles est principalement blanche.
Le sénateur Eyton : Merci de votre candeur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Madame la présidente, j'aurais un petit préambule à vous livrer.
Je suis ravie de constater que cette foule est sans doute la plus importante que nous ayons attirée au pays dans le cadre des audiences que nous avons tenues. Peut-être qu'il faudrait voir ce qu'en pensent d'autres. Je pense que c'est la plus grosse foule, mais je n'ai pas été présente à chacune des audiences du comité. Peut-être qu'il y a eu autant de monde à Vancouver.
À Vancouver, monsieur MacDougall, on nous a dit qu'il n'y avait aucun journaliste régulier affecté à l'assemblée législative. Le fait que vous en ayez deux est tout à fait remarquable, et c'est justement là l'une des plus grosses critiques qui nous aient été soumises.
Étiez-vous au journal au milieu des années 90?
M. MacDougall : J'étais là lorsque la bombe a explosé. Je suis là depuis toujours. Ils ont érigé l'immeuble autour de moi.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous êtes là depuis toujours, alors je sais maintenant que je peux vous poser cette question. Ceci est historique, mais j'aimerais beaucoup que vous meparliez de la couverture par votre journal du grand débat des années 90, soit le pont. Je m'y suis intéressée, de ce côté-ci du pont, mon coin de pays étant Tantramar. Cela a dû être l'une des plus belles occasions pour un quotidien et pour un journaliste de s'intéresser à un dossier aussi excitant et controversé.
M. MacDougall : En effet. C'est un dossier chaud depuis plus de 100 ans. Je suis un jour tombé sur une coupure de presse du début des années 1900 où il était question de construire unpont-jetée. L'on a bien sûr de nombreuses fois été sur le point de construire un pont-jetée.
Comment avons-nous couvert cela? C'était un gros dossier. Sa beauté fut que cela a soulevé les passions. Dès qu'une question soulève des passions, les gens s'enflamment, et il y a eu quantité de réunions publiques. Des lettres très éloquentes ont été écrites par les deux camps. Le comité rédactionnel était en faveur de la construction du pont, principalement pour des raisons économiques. C'était une position qui me posait un problème mais au bout du compte, s'il m'avait fallu dire oui ou non, j'aurais dit oui, construisez le pont. J'avais toujours soupçonné Joe Ghiz, notre premier ministre de l'époque, dont beaucoup de gens croyaient qu'il avait été le champion du pont, d'avoir voté « non », et il avait bel et bien voté « non ». Le grand champion canadien, Brian Mulroney, vous ne pouvez pas prononcer son nom sans essayer de vous cacher, car quelqu'un veut toujours vous jeter quelque chose à la figure, n'est-ce pas?
Le sénateur Eyton : Il a l'air bien ces jours-ci.
M. MacDougall : C'est exact. Ce n'est pas forcément un commentaire rédactionnel, mais lorsque vous prononcez les noms « Conrad Black » ou « Brian Mulroney », vous avez tendance à baisser la tête parce que vous savez qu'on va vous lancer quelque chose.
Nous avons couvert l'affaire. Je m'épanche un petit peut ici. Cette question avait soulevé beaucoup de passions. Cela a fait la une de nombreux journaux. Le camp anti-pont nous avait un petit peu accusés de ne pas avoir été justes envers lui. Il me semble que nous avons publié quantité d'articles pour les deux camps. En bout de ligne, nos éditoriaux étaient en faveur, mais nous n'avons jamais dit que les gens qui ne votaient pas pour étaient des idiots. Ce fut un dossier formidable.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais vous interroger au sujet d'une autre source de concurrence dans l'île. Il est clair qu'ici à Moncton, au Nouveau-Brunswick, le nom Irving survient souvent, parfois avec respect, et parfois pas. Vous avez eu un exemple très intéressant de concurrence dans l'économie de l'Atlantique; l'on pourrait presque parler de la guerre de la pomme de terre. Hier, au volant de ma voiture, j'ai entendu un débat, une histoire, selon laquelle des gens étaient fâchés du fait que l'on n'allait pas construire dans l'île une deuxième usine de transformation de la pomme de terre. Je sais que beaucoup d'autres aspects de votre industrie sont contrôlés par les deux grandes familles néo- brunswickoises que l'on sait, les McCains et les Irving, mais le fait qu'une part croissante de l'économie de l'Île-du- Prince-Édouard soit influencée par la famille Irving a-t-il une influence sur votre journal?
M. MacDougall : La réponse courte est que non. Je pense que la famille Irving a quelques fois demandé des comptes au Guardian. En fait, je sais que c'est le cas. La réponse est que non, cela n'a pas d'influence.
En fait, il nous faut pourchasser les Irving pour obtenir qu'ils se prononcent sur ce qui se passe. Bien des fois, nous aimerions avoir davantage de dialogue avec les Irving. Ils ont maintenant une bonne spécialiste des relations publiques qui a tendance à se prononcer sur nombre des dossiers qui surviennent.
Comme vous l'avez mentionné, la famille possède une grosse usine de transformation. Les McCains aussi. Nous sommes heureux d'avoir ici les deux grandes familles néo-brunswickoises.
C'était néanmoins là un dossier chaud. Dans l'île, les gens se sont demandés si la famille a construit la deuxième usine de transformation parce que l'impôt sur les sociétés a augmenté ou bien si la décision avait déjà été prise. Nous autres cyniques semblons penser qu'ils ont peut-être eu vent du fait que l'impôt sur les sociétés était sur le point d'augmenter et c'est alors qu'ils ont décidé de construire une deuxième usine, mais qui sait? La réponse courte est que non. Les Irving ne sont pas à l'Île-du-Prince-Édouard un aussi gros joueur qu'ils le sont ici, mais ils y sont définitivement un gros joueur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vont-ils prendre le contrôle du journal?
M. MacDougall : Ils sont venus faire un tour, mais non. Nous avons pendant de si nombreuses années œuvré à l'intérieur de l'empire Thomson. Ils ont repris The Guardian au début des années 50 et nous avons été leur propriété jusqu'au début des années 90, il me semble. Puis, tout d'un coup, l'on a ouvert les vannes et sont arrivés Hollinger, Southam, CanWest Global, et maintenant Transcontinental Media, qui est en vérité sorti de nulle part et qui est devenu un gros joueur dans la région de l'Atlantique. Ils disent qu'ils sont heureux avec nous et avec leurs journaux de la côte Est, et je n'ai pas l'impression que nous sommes sur le point d'être vendus, mais on ne me demande en général pas mon avis.
Le sénateur Munson : Monsieur MacDougall, je suis vraiment très heureux que vous vous soyez présenté ici aujourd'hui, car nous étions hier à Halifax et nous avons visité The Daily News de Halifax. Ce journal appartient à Transcontinental, et son grand patron, M. André Préfontaine, nous a entretenu en octobre dernier du point de vue de la société, mais nous nous intéressions davantage à l'angle concurrentiel, si vous voulez, entre le quotidien familial et le quotidien d'entreprise. Transcontinental a choisi de ne pas s'entretenir avec nous.
M. MacDougall : Oh là là, suis-je censé être ici?
Le sénateur Munson : J'avais pensé qu'ils manquaient de courage, et vous vous en avez, mais nous sommes un groupe plutôt gentil. J'ai travaillé pendant 35 ans dans les médias mais je suis toujours un Néo-Brunswickois plutôt gentil. Vous avez dit que les Irving étaient venus faire un tour. Quelle est votre vision d'ensemble des monopoles? Nous avons entendu des propos plutôt durs à l'égard des Irving à qui l'on reproche de posséder presque tout au Nouveau- Brunswick. Qu'en pensez-vous?
M. MacDougall : Comme je l'ai mentionné dans mon long discours, seul un idiot serait favorable à l'idée qu'une seule personne possède tout.
Il me faut reconnaître que lorsque M. Black avançait vraiment, en achetant des journaux un peu partout au pays, cela a fait sourciller certains. Je ne pense pas qu'il soit sain qu'une seule personne ou qu'un seul organisme possède tout.
Selon mon expérience, la compétitivité entre entreprises a tendance à aller et venir. Mon exemple de M. Black avait pour objet d'illustrer le fait qu'il y a des hauts et des bas. S'il y avait eu un chien de garde gouvernemental ou autre chose du genre, il y aurait eu des audiences. Quelqu'un aurait bien fini par lever la main pour dire, « Vous ne pouvez pas laisser cet homme posséder cela ». Mais il n'y a rien eu de tel. Je pense que la marée est quelque peu descendue. La marée a dans une certaine mesure laissé M. Black sur la grève. Aujourd'hui, la propriété collective se porte fort bien.
Nous avons à l'Île-du-Prince-Édouard de bons propriétaires. Je ne peux pas parler personnellement des journaux Irving, mais d'après ce que je vois, ce sont d'assez bons journaux. Pour l'essentiel, et j'ai un léger parti pris du fait que je n'aie jamais eu que des sociétés comme propriétaires, pendant toutes mes années dans ce secteur il n'y a jamais eu d'ingérence directe des entreprises propriétaires dans les positions rédactionnelles des quotidiens. Il y a peut-être eu un petit frisson lors des événements en Israël lorsque nous appartenions à CanWest, mais cela étant dit, il existe, bien sûr, différentes façons d'exercer son influence rédactionnelle. Vous pouvez l'exercer en n'assurant pas au journal les ressources dont il a besoin pour faire son travail. Ce n'est pas le cas avec nos propriétaires, la Transcontinental.
J'ignore quelle serait l'autre réponse. Suis-je en faveur de la propriété collective? Je n'y vois aucun problème. Une personne ou une organisation devrait-elle posséder tout au Canada? Non, mais l'industrie fait un assez bon travail sur le plan achat et vente et répartit plutôt bien la richesse.
Le sénateur Munson : Nous allons manquer de temps, mais j'ai une question. Je n'ai jamais travaillé pour M. Black, mais il y a des journalistes du haut Canada qui vous diraient que lorsqu'il était propriétaire d'un journal, que vous l'aimiez ou non, c'était un homme de journal et que The National Post était un bien meilleur journal lorsqu'il en a été le propriétaire au départ. Il a investi beaucoup d'argent dans le journalisme.
Ce que vous avez dit au sujet de la presse canadienne, de la PC, m'a fait très plaisir. Cela fait partie de notre étude. Comme vous le savez, il y avait des forces à l'œuvre qui tentaient de miner la PC, ou d'instaurer un réseau national de rechange. Vous avez dit que c'est quelque chose de vital. Pensez-vous que la PC soit importante pour les journaux de petites villes de tout le pays?
M. MacDougall : C'est très important pour nous. Nous péchons par excès du côté du local, et c'est là notre gagne- pain. Si j'envoie un journaliste à Moncton, c'est un gros voyage.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pas pour aller magasiner au centre commercial Champlain Mall?
M. MacDougall : Les Prince-Édouardiens sont attirés par le Champlain Mall mais la Presse canadienne est alors notre fenêtre. La Presse canadienne et son allégeance avec l'Associated Press sont donc notre fenêtre sur le reste du Canada et le monde. Nous avons avec CanWest un arrangement en vertu duquel nous utilisons une partie de son contenu. La Presse canadienne est très importante.
Il existe à mon sens deux types de propriétaires ou d'éditeurs de journaux. Il y a les vieux barons de la presse qui possèdent leur propre journal, qui ont quelque chose à dire et qui vont le dire. Cela va être vivant et va refléter leurs opinions. Puis il y a la presse plus traditionnelle, les propriétaires s'éclipsant s'agissant du contenu rédactionnel et traitant des journaux du point de vue des affaires.
La PC est très importante pour ce pays.
La présidente : Vous avez dit avoir à la salle de presse un personnel de 26. Cela inclut-il l'équipe de la page des éditoriaux? Cela englobe-t-il tout le monde?
M. MacDougall : Oui, cela englobe tout le monde.
La présidente : Vous avez vu défiler tous ces propriétaires. Vous en avez vu passer quatre en six ans.
M. MacDougall : Je crois que c'était quatre. Il faudrait que je fasse le calcul.
La présidente : Oui, ou cinq, selon si vous avez été racheté par Southam avant ou après que Lord Black prenne le contrôle.
M. MacDougall : Un ou deux des changements de propriétaire étaient imperceptibles.
La présidente : Quoi qu'il en soit, vous en avez vu beaucoup.
M. MacDougall : Beaucoup.
La présidente : Je me demande dans quelle mesure cela a eu des effets sur le personnel de la rédaction. Vous avez dit que Lord Black a investi. Était-ce dans une nouvelle presse?
M. MacDougall : Il a rénové notre bâtiment, principalement.
La présidente : D'accord.
M. MacDougall : Une rénovation poussée de notre bâtiment.
La présidente : Et qu'en a-t-il été des effectifs?
M. MacDougall : Permettez que je réfléchisse avant de répondre. Je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de changements. Nous avons peut-être une personne de moins depuis que tout cela a démarré.
La présidente : Vous n'avez pas eu à effectuer des compressions d'effectifs?
M. MacDougall : Personne ne m'a dit : « Nous sommes les nouveaux propriétaires, vous ne devriez pas avoir plus de « x » personnes ». Il y a eu un peu de va-et-vient, ce qui est naturel.
La présidente : Certainement.
M. MacDougall : Il n'y a rien eu de spectaculaire au niveau des objectifs. Ils sont à peu près inchangés. Nous avons peut-être un ou deux employés de moins.
La présidente : Est-ce que votre rédaction est syndiquée?
M. MacDougall : Non.
La présidente : Quel est votre tirage?
M. MacDougall : Environ 23 000.
La présidente : Publiez-vous sept jours par semaine?
M. MacDougall : Nous publions du lundi au samedi.
La présidente : Et c'est votre moyenne sur six jours?
M. MacDougall : Oui.
La présidente : Avez-vous dit 23 000?
M. MacDougall : Environ 23 000. C'est plus les samedis, qui est un journal plus gros.
La présidente : Est-ce inférieur les lundis?
M. MacDougall : Oui.
La présidente : Je crois que mes collègues ont couvert toutes les autres choses qui m'intéressaient réellement, et je vais donc vous remercier d'avoir fait le voyage. Vous ne pouvez envoyer de journalistes, mais vous venez vous-même, ce qui est mieux.
M. MacDougall : Merci. Nous allons devoir demander au Sénat de supprimer le péage sur le pont.
La présidente : Combien est-ce?
M. MacDougall : Apparemment, on me permet de rentrer gratuitement.
La présidente : Excellent.
Le sénateur Munson : Si vous voulez plus de golfeurs, il faut que ce soit gratuit.
M. MacDougall : C'est juste. Je crois que le péage est de 39 $.
La présidente : C'est beaucoup d'argent.
M. MacDougall : C'est vrai. Mais c'est aller-retour.
La présidente : Certes, mais c'est toujours beaucoup d'argent.
Le sénateur Trenholme Counsell : Combien coûtait le traversier?
M. MacDougall : Il faut diviser par deux, mais le traversier serait au moins aussi cher s'il existait toujours.
Le sénateur Eyton : Est-ce que les prix de l'immobilier ont augmenté de l'autre côté?
M. MacDougall : Oui, cela a changé. Le pont a changé beaucoup de choses, telles que le tourisme et la démographie.
La présidente : Sénateurs, notre prochain témoin est M. Philip Lee, directeur du journalisme à l'Université St. Thomas.
Soyez le bienvenu. Vous avez la parole.
M. Philip Lee, directeur du journalisme, Université St. Thomas, à titre personnel : Je suis heureux de cette invitation à comparaître aujourd'hui, madame la présidente. Je suis là en tant que journaliste néo-brunswickois et formateur de journalistes aspirants à l'Université St. Thomas. Mes propos seront centrés sur la problématique des médias au Nouveau-Brunswick et dans la région atlantique.
Premièrement, je vais vous faire le récit abrégé de mon périple à travers la presse canadienne, afin que vous puissiez inscrire mes propos dans leur contexte.
Je suis tombé dans le journalisme par accident après être sorti de l'Université Dalhousie avec une maîtrise en lettres classiques, lorsque je me suis rendu compte que j'avais peu de compétences vendables autres que la capacité d'écrire. Il n'y a pas grande demande sur le marché pour des traductions à partir du grec ancien.
J'ai décroché un emploi dans un journal local de Grand Falls, à Terre-Neuve, du nom de The Grand Falls Advertiser, et j'ai appris là à raconter des histoires et j'y ai trouvé une patrie professionnelle. Je suis passé de Grand Falls à un hebdomadaire de St. John's appelé Sunday Express, qui était publié par un journaliste d'investigation nommé Michael Harris.
C'est là que j'ai appris comment la presse libre peut changer le cours des événements dans une collectivité et, au-delà de la collectivité, là où vous travaillez. C'était lorsque nous avons commencé à écrire des articles sur les sévices sexuels infligés aux enfants dans un établissement appelé Mount Cashel. Notre travail, dans ce journal, sur cette affaire a contribué au déclenchement d'une enquête publique sur la réponse donnée par les gouvernements de Terre-Neuve aux plaintes de maltraitance d'enfants. Cette enquête, à son tour, a contribué à des modifications du système judiciaire terre-neuvien. Mount Cashel a été fermé, le bâtiment démoli. Les Christian Brothers sont allés en prison et les ex- pensionnaires de l'orphelinat ont été indemnisés. À plus grande échelle, notre petit journal a contribué à une plus grande prise de conscience nationale du problème de la maltraitance et des soins institutionnels.
Les gouvernements successifs et l'église catholique avaient camouflé l'histoire de Mount Cashel, toujours avec les meilleures intentions du monde, disaient-ils, et dans l'intérêt public. La presse libre a réussi à jeter la lumière sur ce scandale de façon à ce que l'on puisse enfin commencer à panser et guérir les plaies anciennes.
J'ai quitté Terre-Neuve et suis rentré dans ma province natale du Nouveau-Brunswick où j'ai commencé à travailler pour les journaux de la famille Irving, le Saint John Times Globe et le New Brunswick Telegraph Journal. Au cours des dix années suivantes, j'ai occupé à peu près tous les emplois dans ces journaux, sauf celui d'opérateur de la presse et de chauffeur des camionnettes de livraison. J'étais le journaliste affecté à l'hôtel de ville pendant le règne d'Elsie Wayne. Je peux vous le dire, on ne s'ennuyait pas une seconde. Je rédigeais mes papiers la nuit, à coups de café. J'étais le gestionnaire du personnel journalistique du quotidien de la ville. J'ai été pendant un temps le rédacteur en chef du Weekend Magazine. J'ai été chef éditorialiste, rédacteur principal et rédacteur en chef pendant un temps au New Brunswick Telegraph Journal. Pendant tout le temps que j'ai passé là, je peux dire simplement que ces journaux servaient mal la population du Nouveau-Brunswick ou, par alternance, la servaient bien, selon les moments.
Pendant mon époque au Telegraph Journal, le journal a été proclamé Meilleure organisation médiatique du Canada par la Fondation pour le journalisme canadien. Nous avons pris l'avion pour Ottawa où le prix nous a été décerné à Rideau Hall par le gouverneur général Roméo LeBlanc. Notre rédacteur en chef à l'époque, Neil Reynolds, a déclaré qu'il se sentait comme le chef d'une troupe de chevaliers que l'on a fait venir de la campagne pour recevoir la bénédiction du roi. C'était certainement un moment de gloire pour nous, je peux le dire.
Ces dernières années je dirige le nouveau programme de journalisme à l'Université St. Thomas de Fredericton. St. Thomas est une petite université d'arts libéraux comptant environ 2 800 étudiants. Nous offrons un programme qui décerne aux étudiants un baccalauréat ès arts avec spécialisation en journalisme. Nous cherchons à faire en sorte que les étudiants étudient le journalisme dans le contexte d'études de lettres générales.
J'aimerais dire quelques mots sur notre programme. Nous avons un fonds de dotation au nom de Dalton Camp, le grand journaliste et commentateur politique originaire du Nouveau-Brunswick. Cette dotation nous permet d'étoffer notre programme de diverses façons, notamment par une conférence automnale annuelle, la Conférence de journalisme Dalton K. Camp, qui est diffusée dans l'émission Ideas de la radio de CBC et contribue à un débat national sur le journalisme au Canada. Nos trois premiers conférenciers ont été June Callwood, Joe Schlesinger et Naomi Klein. L'automne dernier, environ 800 étudiants et citoyens de Fredericton se sont entassés dans la chapelle St. Thomas pour écouter Naomi Klein parler de ses reportages récents en Iraq et de son rôle de militante et de journaliste. Je pense que cela témoigne du niveau d'intérêt pour le journalisme.
Nous avons également un partenariat avec CBC. Nous louons un local au Centre de radiotélédiffusion de la SRC à Fredericton et nous y tenons des cours pour permettre aux étudiants d'étudier dans l'atmosphère d'une rédaction professionnelle. Les étudiants ont aussi la possibilité de travailler dans les salles de presse de la télévision et de la radio de CBC.
Plus récemment, nous avons collaboré avec le groupe de presse Irving pour créer des possibilités de stage pour les étudiants cet été. Une dizaine de nos étudiants ont des emplois d'été dans des journaux du Nouveau-Brunswick.
La famille Irving a également fait don d'un million de dollars à St. Thomas afin de créer une chaire de journalisme qui nous permettra de faire venir chaque année un journaliste pour enseigner. L'Université de Moncton a reçu un don similaire et nous prévoyons de collaborer avec Moncton pour faire le meilleur usage de ces possibilités.
Nos étudiants sont les leaders futurs de l'industrie des médias du Canada atlantique et je pense que notre travail à St. Thomas contribue à assurer un meilleur avenir aux médias du Nouveau-Brunswick.
Voilà le contexte. Je vais passer en revue rapidement quelques recommandations et j'essaierai de ne pas dépasser le temps qui m'est imparti.
Premièrement, pour ce qui est de la réglementation gouvernementale de la presse, je crois en une presse libre. Je suis fermement dans le camp libertaire sur ce plan, considérant que la presse doit être exempte d'ingérence et réglementation gouvernementales. Je ne vais pas vous faire la leçon sur les fondements historiques et philosophiques de la presse libre, car j'ai vu dans les témoignages antérieurs que vous avez déjà entendu quantité de ces leçons.
La seule chose que je dirais, c'est que pour moi ce n'est pas une opinion abstraite et théorique, mais concrète et fondée sur l'expérience. À mon avis, il n'y a pas de moyen terme possible à cet égard. La presse est soit libre, sous réserve des limites raisonnables et responsables imposées par la loi et la Charte, ou alors nous adoptons le système où les pouvoirs publics définissent et réglementent une presse socialement responsable ce qui, mené jusqu'à la conclusion logique, donne un système médiatique comme celui que nous voyons, par exemple, en Chine, qui a une industrie des médias florissante, quantité de journaux, quantité de lecteurs, mais une liberté de la presse réduite.
Lorsque j'entends les gens s'inquiéter des monopoles médiatiques au Canada et au Nouveau-Brunswick et parler de la nécessité d'une intervention gouvernementale, j'essaie de ne pas m'affoler et d'adopter une perspective à long terme. Premièrement, je pense que le marché tend à se corriger lui-même. Je sais que l'on parle beaucoup de Conrad Black, mais lorsqu'on voit la chute de Conrad Black, c'est peut-être cela l'explication, en partie.
L'avenir de toutes les entreprises médiatiques, surtout dans le monde du multimédia, réside dans leur capacité à fabriquer de bons produits. Catherine Graham, la grande rédactrice en chef aujourd'hui décédée du Washington Post, a exprimé cela tout simplement en disant que la façon de garantir une entreprise profitable était de produire un bon journal et de pratiquer du bon journalisme. Ici, au Nouveau-Brunswick, le groupe de presse Irving va devoir s'atteler à fabriquer des produits solides,c'est-à-dire un bon journalisme, sinon à long terme il n'aura pas grand-chose de valeur à vendre. Un monopole ne signifie pas grand-chose si vous avez peu de lecteurs, et les clients des journaux de la prochaine génération sont capricieux et savent manier la technologie et n'achèteront pas un produit qui ne vaut pas la peine d'être lu.
Les pouvoirs publics peuvent faire certaines choses pour assurer que les Canadiens disposent de l'information requise pour être des citoyens actifs dans notre démocratie, ce qui est bien sûr la raison pour laquelle les gouvernements sont intéressés à promouvoir et encourager une presse libre dynamique. La première tâche du gouvernement fédéral ici, au Nouveau-Brunswick, est d'appuyer et financer correctement le radiodiffuseur public.
La SRC joue un rôle crucial s'agissant d'assurer un journalisme de qualité dans les régions du Canada, indépendamment de la situation du marché local. Lorsque les administrateurs de la SRC réfléchissent à l'avenir de la radiodiffusion régionale depuis leur bureau de Toronto, ils ont du mal à saisir ce qui se passe ici sur le terrain. Les journaux télévisés de 18 h de la SRC, les émissions d'actualité et d'information de la radio de la SRC et le service en ligne de la SRC sont les seuls disponibles ici. Contrairement aux gros marchés qui offrent aux téléspectateurs et lecteurs de nombreux choix, la SRC diffuse les seuls journaux télévisés produits au Nouveau-Brunswick. La radio de la SRC est la seule à produire des informations radiodiffusées sérieuses. Le site Internet, www.nb.cbc.ca est le seul site d'information local gratuit sur l'Internet. Si cela était le cas aussi des marchés de Toronto ou d'Ottawa, des coupures dans les émissions régionales n'auraient jamais été décidées. J'ajoute aussi que les journaux nationaux n'ont pas de correspondant basé au Nouveau-Brunswick. Il n'y a pas de journaliste de chaîne de télévision ou de radio nationale basée au Nouveau-Brunswick. En ce sens, la vie au Nouveau-Brunswick reste ignorée du reste du pays, ce qui est aussi un problème, bien que légèrement différent. Les journaux télévisés de CTV et Global sont produits à Halifax, et il y a une grosse différence entre produire un journal présentant quelques sujets sur le Nouveau-Brunswick et produire une émission d'information de qualité sur le Nouveau-Brunswick.
Ces dernières années, la qualité de l'information régionale offerte par la SRC a terriblement souffert du manque de moyens. Mes chiffres ne sont peut-être pas totalement exacts mais, par exemple, près de 50 p. 100 de l'effectif de la télévision de langue anglaise a été supprimé au cours des 10 dernières années. L'équipe produit le même temps d'antenne avec 50 p. 100 de personnel en moins. C'est le supplice de la mort à petit feu, n'est-ce pas? L'un des messages que j'adresse à Ottawa est tout simple : financez correctement le radiodiffuseur public dans les régions. Ce n'est nulle part plus important qu'au Nouveau-Brunswick.
Une autre contribution que peuvent faire les pouvoirs publics c'est de donner l'accès aux services à large bande aux habitants de toutes les régions du Canada. L'Internet transforme le visage du journalisme dans une presse libre. C'est réellement une révolution. On n'a plus besoin d'une presse pour publier un journal. Tout comme la presse de Gutenberg a modifié le cours de l'histoire, nous avons aujourd'hui un monde où tous les citoyens disposent potentiellement d'une presse dans leur foyer. Les citoyens ayant l'accès Internet à haute vitesse peuvent lire des nouvelles provenant d'un mélange éclectique de sources dans le monde entier.
Pour vous donner un exemple — tout le monde peut être un acteur dans ce nouveau monde — j'ai vérifié mon courriel ce matin avant de partir et j'en avais un qui m'envoyait un lien vers quelqu'un qui publie un carnet en ligne intéressant depuis Shanghai, un Américain, et je m'intéresse en ce moment à ce qui se passe en Chine. J'ai cliqué sur le lien pour aller voir et suis tombé sur un journal en ligne extrêmement bien fait, à plusieurs couches, intitulé Shanghai Diaries, le travail d'un Américain vivant à Shanghai. Il écrit merveilleusement bien, et publie cela non pas comme une entreprise commerciale mais uniquement comme moyen de diffuser ses écrits. C'est là le plus gros changement depuis mon époque dans la presse.
Mes étudiants utilisent l'Internet comme source première d'extraction de nouvelles, et ils publient un magazine d'information en ligne à partir de notre salle de classe dans les locaux de la SRC et le mettent à jour depuis leurs dortoirs et appartements. Le magazine d'information comprend des sujets sur support télévisuel, radiophonique et écrit. C'est pourquoi un monopole de presse au Nouveau-Brunswick ou un gros conglomérat multimédia au Canada ne revêt plus aujourd'hui la même importance sur le marché des idées. Je me félicite de cette révolution et je pense qu'il faut tout faire pour que les Canadiens restent à la pointe de cette technologie.
La difficulté dans les régions, et certainement les parties rurales du Canada, c'est qu'en cette ère nouvelle, si vous n'avez pas l'accès Internet à large bande, c'est comme être relié au monde extérieur uniquement par un chemin de terre saisonnier. On en arrive au point où ce n'est plus réellement un service optionnel dans une démocratie en bon état de marche. Il ne s'agit pas d'exclure les pauvres ou les ruraux, du débat public au Canada. C'est là une problématique à laquelle l'État doit s'attaquer.
Enfin, les pouvoirs publics peuvent appuyer l'éducation des journalistes. Chaque année, je rencontre à St. Thomas des jeunes gens qui ont du talent, de la passion et la volonté de faire une différence dans le monde. Des journalistes instruits et compétents sont encore plus importants dans cette ère numérique où nous sommes inondés d'informations.
Quel rôle vont jouer les journalistes? Lewis Lapham, le rédacteur en chef du Harper's Magazine, indique qu'ils raconteront des histoires qui nous parlent de nous-mêmes. Il écrit :
Certaines histoires sont vraies. Beaucoup sont fausses. Certaines histoires sont plus compliquées ou plus belles que d'autres. Homère a raconté une histoire. Shakespeare a fait de même. CNN et Donald Duck aussi. Mais de concéder la superficialité et l'ignorance des médias d'information ne réduit pas pour autant leur utilité. Les données sont toujours fugitives et insuffisantes, mais elles représentent le mieux que l'on puisse dire sur peu d'espace en peu de temps. Les gens aiment écouter les histoires pour baliser les horizons sauvages de leur expérience avec les marqueurs que sont un début, un milieu et une fin. Comment, au travers des images brouillées et imparfaites du journal du matin et du bulletin télévisé de l'après-midi, le syndicaliste, la ballerine ou le policier pourraient-ils former même une image distordue les uns des autres? Les médias d'information ne possèdent aucune valeur thérapeutique, n'offrent pas de meilleurs outils pour diagnostiquer, guérir ou recommander. Ils proposent à l'auditoire une mesure grossière de la distance entre ce qu'ils savent et ce qu'ils souhaitent croire sur eux-mêmes.
Les journalistes sont des conteurs et ces histoires nous aident à comprendre qui nous sommes, en tant que peuple. Ce qu'il nous faut, c'est la liberté et la possibilité de les raconter.
J'ai une dernière anecdote à vous relater avant de répondre à vos questions. Au début de ce mois, la présidente nouvellement élue de l'Union étudiante de St. Thomas faisait face à une campagne visant à l'évincer montée par un groupe d'adversaires politiques. Mes étudiants en journalisme se sont présentés en masse à une réunion où l'on devait démettre la jeune femme. La motion a été retirée, face à un contingent aussi nombreux d'étudiants en journalisme. Ensuite, mes étudiants se sont retrouvés face à un grave dilemme. Le journal hebdomadaire étudiant, The Aquinian, avait épuisé ses fonds et fini de publier son dernier numéro de l'année. Une autre réunion du Conseil étudiant était prévue et la destitution était de nouveau à l'ordre du jour. Quelle a été leur réaction? Ils ont continué à suivre l'histoire et à publier des mises à jour sur leur magazine en ligne. À l'heure où je parle, ils continuent à mettre à jour l'information bien après la fin des classes, bien après la fin de toute obligation du point de vue de leurs notes ou de la présentation de portefeuille. Pour emprunter les mots de Harold Ross, le légendaire rédacteur en chef du New Yorker : « Je suis encouragé à continuer ».
Je m'en tiendrai là, pour répondre à vos questions.
Le sénateur Eyton : Monsieur Lee, vous l'avez probablement déjà dit, mais je ne suis pas assez organisé. Pourriez- vous nous répéter l'histoire de l'Université St. Thomas, en particulier de l'école de journalisme? Dites-nous tout d'abord votre expérience, puis reliez cela à l'école elle-même : quand elle a démarré, le nombre d'étudiants, ce genre de choses.
M. Lee : Je suis le directeur du programme de journalisme àSt. Thomas. Ce programme que j'ai décrit, un baccalauréat ès arts avec spécialisation en journalisme, est nouveau. Il existe depuis trois ans. Je suis à St. Thomas depuis quatre ans environ. Avant mon arrivée, il y avait un programme d'études de journalisme dispensé en collaboration avec le système du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Nous faisons toujours cela, mais c'est devenu très secondaire. L'accent est maintenant mis sur le nouveau programme de baccalauréat. Nous limitons le nombre des étudiants à 20 chaque année. Les admissions se font sur concours et nous avons une cinquantaine de candidats pour 20 places chaque année.
Le sénateur Eyton : Viennent-ils principalement de la province, ou bien de plus loin?
M. Lee : De bien plus loin. La plupart des étudiants qui viennent à St. Thomas sont du Canada atlantique, mais nous en avons dans notre programme de journalisme de tout le Canada. Nous avons également quelques étudiants étrangers. Nous avons des Japonais et un Letton. Cela devient plus divers.
Le sénateur Eyton : Vous dites que ce programme existe depuis environ trois ans?
M. Lee : Le baccalauréat ès arts avec spécialisation en journalisme existe depuis trois ans.
Le sénateur Eyton : On s'est beaucoup plaint de la concentration de la presse Irving ici dans la province et j'ai été intrigué d'entendre qu'Irving verse une subvention assez importante. J'ai entendu 1 million de dollars. Est-ce que la somme va à l'université dans son ensemble, ou bien est-elle réservée au journalisme?
M. Lee : C'est pour le journalisme. C'est pour une chaire de journalisme. Nous prévoyons d'utiliser cette somme pour faire venir un professeur de journalisme invité chaque année. L'une des difficultés d'un programme de journalisme dans la région atlantique, comparé à Ottawa ou Toronto, c'est que l'on ne peut appeler la rédaction du Globe and Mail et faire venir des gens dans vos salles chaque semaine, et un volet important d'études de journalisme est d'exposer les jeunes gens à des journalistes en exercice. Dans le meilleur des modes, sur des études de quatre ans, nos étudiants seront exposés à quatre journalistes différents, venant d'horizons différents, et auront ce genre de...
Le sénateur Eyton : Qui occupe la chaire actuellement?
M. Lee : Elle n'est pas encore occupée. C'est un don tout récent. Nous y travaillerons ce printemps.
Le sénateur Eyton : Je suppose que vous faisiez partie des discussions avec la famille Irving concernant les conditions de financement de cette chaire?
M. Lee : J'ai participé à beaucoup de discussions préparatoires mais pas réellement sur les détails.
Le sénateur Eyton : À votre connaissance, existe-t-il des restrictions concernant la chaire?
M. Lee : Pour ce qui est des occupants? Non, absolument pas.
Le sénateur Eyton : Je suppose que la fondation Dalton Camp est quelque chose de différent?
M. Lee : Oui, c'est différent. Nous avons lancé cette dotation après le décès de Dalton Camp. Nous voulions faire quelque chose en son nom, et nous avons donc lancé une campagne de levée de fonds pour cette dotation Dalton Camp. C'est une source de financement distincte pour nous. Nous utilisons ces sommes pour financer la conférence Dalton Camp et nous contribuons également à des programmes de bourse et à quelques autres.
Le sénateur Eyton : Vous n'êtes pas obligé de répondre, mais je serais curieux de savoir s'il y avait des membres de la famille Irving dans l'auditoire lorsque Naomi Kline a donné sa conférence cette année? Vous n'êtes pas obligé de répondre, je suis juste curieux.
J'accepte votre argument à l'effet que le marché ou les forces du marché, l'appétit du public, la demande du public, évoluent et que ce de fait les choses changent. Le temps est un grand guérisseur. Vous avez mentionné M. Black, qui était alors considéré comme exerçant presque un monopole sur tout le Canada, et bien entendu cela, c'est fini.
C'est vrai de toute entreprise, et je voulais simplement souligner que les choses changent avec le temps. Tout évolue, particulièrement lorsqu'on est libre de réglementation ou d'intervention étatique.
Je vais citer quelques noms du monde des affaires qui souligneront cette optique. On peut penser que certaines forces sont omnipotentes ou irrésistibles, mais Conrad Black a hérité de l'Argus Corporation, qui était considérée un monopole à un moment donné. D'autres exemples sont la famille Reichman dans l'immobilier, la famille Eaton dans le commerce de détail ou même la famille Thomson et même elle, bien sûr, a quitté ce que j'appelle le secteur de l'édition traditionnelle pour se lancer dans ce qui s'avère être un créneau électronique très profitable. La famille a fait ce choix librement, optant pour une activité où elle pouvait gagner plus d'argent.
Je dis tout cela pour souligner votre argument que le temps et la technologie s'accompagnent de changements massifs et que certaines des préoccupations que nous avons aujourd'hui disparaîtront tout naturellement, sans soutien artificiel, sans réglementation ou intervention gouvernementale. Voilà mon petit commentaire. Je réalise que je ne suis pas un témoin, mais je voulais simplement me faire l'écho de ce que vous disiez sur l'évolution des choses.
Une dernière question : Une préoccupation a été exprimée de façon répétée ici, et vous l'avez peut-être entendue si vous avez suivi les séances de la matinée, concernant le manque de services dans les petites localités et j'aimerais avoir votre avis là-dessus. J'ai donné quelques exemples tout à l'heure. Peut-être avez-vous entendu parler des initiatives locales en train à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse. Existe-t-il un mouvement ou des initiatives similaires, ici, au Nouveau-Brunswick?
M. Lee : Pourriez-vous me dire de quoi il s'agit?
Le sénateur Eyton : Vous n'avez pas écouté.
M. Lee : Je n'étais pas là.
Le sénateur Eyton : Nous parlions de stations de radio locales à faible puissance. Souvent, les gens disent que les grosses entreprises négligent les petites localités, n'en assurent pas une couverture suffisante et ignorent l'actualité locale. On nous a parlé de quelques initiatives à Terre-Neuve, et aussi en Nouvelle-Écosse, avec des stations de radio de faible puissance et des bulletins ou journaux communautaires. Certains de ces projets ont réussi et se poursuivent. Avez-vous connaissance de quelque chose de similaire au Nouveau-Brunswick?
M. Lee : Je connais quelques initiatives de cette sorte et je trouve que c'est un domaine très prometteur, des choses comme les stations de radio universitaires et communautaires. Tout ce monde de la création de publications en ligne à faible budget peut certainement ajouter à la diversité des voix dans une collectivité. Je trouve que la concurrence dans les médias et la concurrence entre journalistes est une bonne chose. On est certainement mieux servi par une diversité de voix.
Je sais que la station de radio universitaire et communautaire sur le campus de l'UNB, à laquelle mes étudiants commencent à s'intéresser davantage, accroît son rayonnement maintenant, et c'est une excellente occasion de réellement commencer à exercer une influence sur les affaires publiques.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'avais noté quantité de questions mais je me dis que je pourrais les rassembler en une. Vous avez dit — et je paraphrase — que les Irving doivent prouver qu'ils savent fabriquer des produits solides pour mériter la place qu'ils occupent dans la presse et les médias du Nouveau-Brunswick. Je me suis dit que s'ils sont réputés pour une chose, c'est bien la solidité de leurs produits, de toutes sortes, depuis les couches-culottes jusqu'aux quotidiens. Quels sont les deux ou trois critères que vous choisiriez pour déterminer si leurs produits sont solides?
Je voulais aussi vous demander plus précisément si vous avez eu le temps de vous pencher sur les hebdomadaires? Il y a eu un énorme brassage et une grosse concentration au niveau des hebdomadaires ces deux ou trois dernières années.
En outre, pour poser une question plus spécifique, comment jugez-vous ce produit solide s'agissant de la couverture du terminal GNL à Saint John? C'est l'un des plus gros enjeux que j'ai vu depuis longtemps. Bien sûr, tout ce débat a fait resurgir le nom de Wardell et tout le passé. S'agissant d'un produit solide sur la scène du Nouveau-Brunswick, que rechercheriez-vous?
M. Lee : Parlons tout de suite de la question des hebdomadaires, avant qu'elle ne me sorte de la tête. Il y a eu une concentration de la propriété des journaux hebdomadaires au Nouveau-Brunswick et je les lis parfois. Je ne les vois pas tous tout le temps, aussi je ne suis pas sûr. J'ai une réaction mitigée à ce sujet car je trouve, généralement parlant, que nombre des journaux communautaires, indépendamment de leurs propriétaires, tendent à ne pas servir particulièrement bien leurs localités. Ils tendent à être exploités avec des budgets éditoriaux de bout de ficelle.
J'ai travaillé dans ces journaux et je sais donc de quoi il retourne. J'ai commencé ma carrière au Grand Falls Advertiser, où nous avions un personnel rédactionnel de deux, je crois. J'écrivais pratiquement tous les articles du journal, ainsi que les éditoriaux, et j'avais coutume de découper les photos ou le texte avec mon couteau pour les coller sur la page.
Les localités ne sont pas nécessairement bien servies lorsque vous avez du personnel rédactionnel aussi réduit. Dans certains cas, je crois que la qualité des journaux s'est un peu améliorée. En tout cas, on s'est intéressé un peu plus au contenu journalistique.
Lorsque je parle d'un produit de qualité, ce n'est pas un grand mystère qu'il vous faut sortir un bon journal, avec de bons articles bien rédigés et bien documentés. Un bon journal n'est pas le grand mystère que tout le monde semble en faire. Je pense qu'il faut de bonnes plumes et de bonnes histoires. Vous cherchez à bien couvrir votre collectivité. Vous cherchez à refléter le caractère de votre collectivité dans votre journal. La façon de le faire, c'est de recruter de bons journalistes et de construire votre rédaction autour d'un personnel de journalistes solide et en prêtant attention aux affaires éditoriales. Voilà le produit. C'est le côté rédactionnel du journal, à mon avis.
La couverture du terminal GNL à Saint John est un débat intéressant et il en a été beaucoup question, en tout cas dans les milieux médiatiques. Le journal a couvert cette affaire de façon assez bonne et courageuse. La position éditoriale, si je me souviens bien, était qu'il fallait revoir l'exemption fiscale. Le journal était contre et voulait une révision. J'ai trouvé que la couverture était assez bonne.
Le nouvel éditeur du Telegraph-Journal, Jamie Irving, qui est une connaissance à moi, un ami de longue date, a fait son apprentissage de journaliste lorsque je travaillais comme rédacteur au Telegraph-Journal. Il s'intéresse aux affaires éditoriales. Les journaux le passionnent. Il connaît bien le monde des médias. Il a fait l'École de journalisme de Columbia. Il est allé à Carleton et a étudié au niveau du deuxième cycle. Il s'y connaît. Il a le journalisme à cœur et je lui fais confiance pour faire un bon travail. Je sais qu'il a engagé un très bon rédacteur en chef, Mark Tunney, qui est le nouveau rédacteur en chef du Telegraph-Journal. C'est un excellent journaliste qui a travaillé pour moi et a travaillé pendant des années à la SRC. C'est un homme d'une grande intégrité et un très bon journaliste.
Je trouve qu'ils s'en sont bien sortis. J'ai vécu dans des salles de presse où il fallait couvrir des sujets mettant en jeu les intérêts commerciaux des propriétaires. Cela arrive assez souvent, forcément, lorsqu'on travaille pour les Irving au Nouveau-Brunswick. Dans le monde journalistique, il vous tombe des sujets qui mettent en jeu les intérêts commerciaux des propriétaires, et je trouve qu'ils ont bien couvert celui-ci. Ils se sont lancés et ont couvert le sujet en essayant de ne pas regarder par-dessus leur épaule.
Lorsque je suis arrivé au Telegraph-Journal et au Times Globe, la rédaction ne recevait jamais de directives du siège disant : « Ne parlez pas de cela ou adoptez telle perspective sur tel sujet ». Cependant, il y avait beaucoup d'autocensure; les journalistes s'inquiétaient de ce que les propriétaires penseraient d'un article, par opposition à une intervention directe. Je voyais mes rédacteurs en chef se mettre martel en tête parce qu'ils se demandaient comment les propriétaires allaient réagir. Je pense que le mieux c'est d'avoir des rédacteurs en chef qui ont la confiance des propriétaires et assez confiance en eux pour couvrir le sujet et le faire objectivement. Je ne sais pas si cela vous renseigne.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis sûre que vous devez adopter une perspective historique de cette affaire. Peut-être pas autant que l'a fait cette professeure de l'Université Mount Allison, encore que j'ai été surprise qu'elle ne remonte pas plus loin dans le passé. Voudriez-vous faire la comparaison entre l'époque de Michael Wardell et celle de Jamie Irving? L'écart est énorme, mais son nom a été cité de manière répétée au sujet de la crise GNL. Je ne sais pas si mes collègues du Sénat savent de quoi ils retournent. Oui, ils savent. N'était-ce pas là le point le plus bas? J'aimerais avoir votre réaction.
M. Lee : Je n'ai pas entendu la comparaison dont vous parlez, nécessairement. Ce serait une façon de considérer cela, adopter une perspective à long terme et demander si nous sommes mieux servis aujourd'hui que nous l'étions jadis, lorsque les journaux du Nouveau-Brunswick, à divers moments, étaient détestables, politiquement partisans et racistes. D'une certaine façon, si on adopte la perspective à long terme, on est forcé de conclure que les choses se sont pas mal améliorées. Je ne considère pas la couverture du terminal GNL comme un épisode particulièrement regrettable.
Le sénateur Trenholme Counsell : Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, je parlais de la période Wardell- Robichaud.
M. Lee : Oui, j'ai lu certains des articles de cette époque et c'était certainement la pire période.
La comparaison est favorable. Il y a au moins eu une tentative d'équilibre et d'objectivité.
Le sénateur Munson : Vous parliez du fonds de dotation. Le sénateur Atkins me tape tous les deux jours pour que j'y contribue.
La présidente : Vous avez un partisan très fidèle au Sénat du Canada.
Le sénateur Munson : Oui.
M. Lee : Oui, je sais. Il a été merveilleux.
Le sénateur Munson : Je n'arrête pas de lui dire que je ne suis qu'un pauvre gars du nord du Nouveau-Brunswick. Je n'ai pas cette sorte de moyens.
Je vais peut-être vous obliger à marcher sur une corde raide. Vous avez travaillé à l'époque dorée de Neil Reynolds. À ce moment-là, vous parliez d'un prix de journalisme national et je me souviens avoir couvert moi aussi cette partie du pays. Il y avait beaucoup de passion alors avec la mise à jour de divers scandales et ce journalisme d'investigation, et vous voici à l'UniversitéSt. Thomas et vous avez travaillé pour les Irving. Il y a une fondation Irving. Je sais que vous êtes un journaliste individualiste au fond du cœur. Vous n'étiez pas là tôt ce matin, mais il y a eu des propos assez durs tenus par un professeur de l'Université Mount Allison sur le monopole ici. Y a-t-il un appétit au Nouveau-Brunswick pour quelqu'un ayant de l'argent, ou désireux d'investir, pour avoir des médias d'information autres, et pas seulement les journaux que l'on voit dans les boîtes distributrices, afin de concurrencer ce monopole?
M. Lee : Parlez-vous d'un appétit chez les lecteurs?
Le sénateur Munson : Oui. Si l'on pose la question à tout le monde, il doit bien y en avoir qui commencent à être un peu fatigués...
M. Lee : Il y a probablement un appétit chez les lecteurs pour une bonne guerre entre journaux, disons. Il n'y a rien de mieux que cela. Lorsque j'étais à St. John's, lorsque nous avons monté notre hebdomadaire, le Sunday Express, nous étions certainement en guerre contre l'Evening Telegram qui était un vieux journal fatigué de Thompson. Le public adorait ce que nous faisions. Cela a engendré beaucoup d'excitation, oui, absolument. Si vous lanciez un nouveau quotidien à Fredericton, il rencontrerait un grand appétit. Il vous faudrait un financier n'ayant pas froid aux yeux, car ce serait une rude bagarre. Il y a là en place un journal plutôt bien implanté.
Le sénateur Munson : Est-ce que les Néo-Brunswickois seraient mieux servis si ce genre de concurrence existait?
M. Lee : Chaque fois qu'il y a concurrence, chaque fois qu'il y a concurrence entre deux journaux, je trouve que les lecteurs sont mieux servis. À l'échelle nationale, le Canada a été bien mieux servi lorsque le National Post a fait irruption, car cela a réveillé le Globe and Mail. Le Globe and Mail est un bien meilleur journal aujourd'hui, à mon avis, qu'avant l'arrivée du National Post.Ma réaction immédiate serait de dire, oui, nous verrions du meilleur journalisme.
Rappelez-moi la deuxième partie de votre question.
Le sénateur Munson : Je suis journaliste. Je l'ai déjà oubliée. Simplement les critiques d'ensemble adressées à l'empire Irving.
M. Lee : Oui, j'allais y venir. Je n'ai pas entendu l'exposé de ce matin et je ne vais donc pas y répondre directement. Je travaille dans une université et j'y entends beaucoup de critiques adressées aux journalistes en général, toutes sortes de lamentations au sujet de la presse Irving en général. Le fait que les journaux appartiennent à la famille Irving, et le fait qu'il y ait un monopole dans les médias, ne signifie pas nécessairement que les journaux soient mauvais et ne fassent pas du bon journalisme, du véritable journalisme. Partout où j'ai travaillé, nous passions par des périodes où nous avions un bon journal et d'autres où le journal était moins bon. Nous avons eu un bon journal pendant quelque temps, avec le Telegraph-Journal, lorsque j'y étais. Je ne dis pas que c'est le seul moment où le Telegraph-Journal était bon, mais lorsque j'y étais, nous avions un bon journal et les propriétaires étaient de bons propriétaires. En outre, lorsque nous sommes allés à Rideau Hall avec Neil Reynolds, l'une des choses qu'il y a dites était que J.K. Irving avait été un excellent propriétaire à tous égards, qu'il l'avait appuyé, et qu'il nous avait appuyés dans notre travail. Nous ne les frottions pas toujours dans le sens du poil, mais je pense qu'à l'époque il se passait quelque chose de bien, et que nous avons fait du bon journalisme.
Le sénateur Munson : Le temps nous manque, mais je voulais me dire d'accord avec vous au sujet du manque de couverture du Nouveau-Brunswick dans les nouvelles nationales. Je sais que c'est agréable de rester assis à Halifax et j'ai moi aussi été coupable de cela. Je crois que CTV, Global et la SRC devraient avoir des correspondants nationaux basés au Nouveau-Brunswick. Je crois aussi que l'on ne peut pas retourner à l'époque de Lionel Television et de the Home of the Lobster que mes grands-parents avaient coutume de regarder à Baie Verte. ATV est une bonne organisation d'information, mais j'aimerais qu'il y ait une entité distincte au Nouveau-Brunswick. Je conviens aussi avec vous que les coupures aux programmes régionaux de la SRC sont horribles, car j'étais au jury des prix de journalisme de l'Atlantique il y a dix ans et les autres juges étaient la station CBC Fredericton, la station CBC Halifax et la station CBC St. John's. Il se faisait alors un excellent journalisme documentaire et d'enquête. Voilà ce que je tenais à dire publiquement.
La présidente : J'ai été intéressée d'apprendre que votre programme de journalisme consiste, comme vous l'avez dit, en une spécialisation à l'intérieur d'une autre faculté. Cela m'a paru signifier que vos diplômés n'acquièrent pas seulement une formation professionnelle, mais que l'on insiste également sur une culture plus générale. Est-ce que vous souhaitez garder les choses ainsi ou bien visez-vous toute une faculté de journalisme distincte sur le modèle d'une école plus traditionnelle?
M. Lee : Non. Nous aimerions rester dans ce cadre. C'est une décision délibérée d'offrir une spécialisation, comme n'importe quelle autre spécialisation de lettres. En gros, on peut avoir comme spécialisation le journalisme, l'anglais ou l'histoire. Nous avons pensé que cela permet aux étudiants d'acquérir une culture générale plus large. L'Université St. Thomas publie ses objectifs pour une éducation en lettres, et ils sont d'encourager la pensée indépendante, la clarté de l'écriture, la clarté de la réflexion, la mise en question, toute cette sorte de choses. Cet énoncé décrit bien ce qu'est et devrait être un journaliste, et donc nous leur offrons une formation technique sur l'emploi de la technologie pour raconter des histoires, mais nous mettons l'accent principalement sur la qualité de la narration dans une éducation de lettres.
La présidente : Vous déployez manifestement beaucoup d'efforts pour rendre les étudiants lettrés, pas seulement au sens littéral mais au sens plus large. Est-ce que votre enseignement vise également à leur donner le sens des chiffres? Selon mon expérience, les journalistes ne sont vraiment pas formés à manier les chiffres, que ce soit dans le domaine des statistiques ou de l'économie.
M. Lee : Il nous reste du pain sur la planche à cet égard.
La présidente : Oui.
M. Lee : Je conviens que les journalistes, en général, se lancent dans ce métier parce qu'ils sont mauvais en mathématiques. À St. Thomas, nous avons changé notre programme de lettres il y a quelques années pour y englober un cours de sciences obligatoire.
La présidente : Ils ne peuvent y échapper entièrement.
M. Lee : Non. Ils sont obligés de suivre un certain nombre d'heures de cours de sciences, et ils ne peuvent donc pas être diplômés avec uniquement les sciences humaines. Ils sont obligés de suivre un cours de sciences et de technologie, et aussi debeaux-arts afin qu'ils aient également une certaine éducation artistique; je suis donc d'accord avec vous. Ce qui cloche dans les articles, c'est souvent les chiffres.
La présidente : Moi-même j'ai étudié les langues modernes et ce genre de choses, et j'ai dû apprendre sur le tas, péniblement.
M. Lee : Oui, je suis d'accord.
La présidente : Sur un autre sujet, vous avez dit avoir remarqué, lorsque vous travailliez dans les journaux d'Irving — je crois que c'était dans le Telegraph-Journal — une tendance à l'autocensure dans la rédaction et cela sonne certainement vrai. C'est une tendance qui se voit. Est-ce qu'il y avait un énoncé formel de la part des Irving, une déclaration de principes, du genre de celle du Washington Post, disant, par exemple, que le journal couvrira les autres intérêts du groupe exactement de la même façon qu'il couvre le restant du monde, qu'aucune faveur spéciale ne sera accordée.
M. Lee : Pas à ma connaissance. C'était peut-être l'une des difficultés. Lorsque je parle d'autocensure, je l'ai réellement rencontrée à mon arrivée dans les journaux Irving. Les rédacteurs principaux se censuraient eux-mêmes.
Lorsque Neil Reynolds est arrivé et a transformé les choses pour nous tous, cela a été un grand soulagement qu'il nous dise : « Nous sommes là pour faire du journalisme. Notre loyauté va à l'information que nous devons transmettre avec exactitude et nous sommes ici pour cela ». Je crois que l'une des difficultés était que les propriétaires hésitaient à intervenir le moindrement dans les journaux. Il n'y avait jamais eu d'instructions claires disant : Voilà le genre de journal que nous voulons. Si vous êtes propriétaire d'un journal, vous pouvez créer le genre de journal que vous voulez. Théoriquement, ils pourraient publier un journal qui ne dirait que des choses gentilles sur les sociétés Irving. Personne ne l'achèterait, mais ils pourraient le faire. Ils sont les propriétaires. Je pense que ce qui a aidé, par exemple, pourquoi le Washington Post était un si bon journal, était que vous aviez un éditeur/propriétaire qui avait un rédacteur en chef et lui disait : « Voilà le genre de journal que je veux. Réalise-le ». Pendant que j'étais là, il y avait souvent beaucoup de tumulte au niveau de l'éditeur, avec un défilé de responsables successifs et toutes sortes de messages différents quant au type de journal que nous étions censés produire. L'un des avantages d'avoir aujourd'hui Jamie Irving à la tête du Telegraph-Journal sera peut-être qu'il imprimera une direction claire en disant : « Voilà le genre de journal que je vous demande de fabriquer, voilà le journal que nous voulons ».
La présidente : Souvent, lorsqu'il y a un défilé dans le bureau de l'éditeur, c'est le signe que le côté financier des choses ne marche pas aussi bien que les propriétaires le souhaiteraient. Vous étiez là à l'époque de Neil Reynolds. Il était le rédacteur en chef, pas l'éditeur. Neil Reynolds est l'un des rédacteurs en chef les plus célèbres de ce siècle au Canada. Les journalistes ont suivi sa carrière avec respect et admiration, mais savez-vous ce qu'il est advenu du tirage pendant ces années?
M. Lee : Je peux vous dire ce que je sais. Quelqu'un d'autre pourra dire que mes chiffres sont erronés.
La présidente : Oui.
M. Lee : Je ne connais pas les chiffres précis. Je sais que la diffusion a augmenté pendant qu'il était aux commandes, lorsque j'étais là. Nous faisions une promotion agressive et nous cherchions à augmenter la diffusion dans les collectivités rurales, en ouvrant des circuits de diffusion ruraux. Je sais que le tirage a augmenté et, du point de vue du nombre de journaux vendus et du nombre de lecteurs, le chiffre était sensiblement plus élevé qu'aujourd'hui.
La présidente : Avez-vous jamais su si la rentabilité des journaux a augmenté, stagné ou baissé?
M. Lee : Il vaudrait mieux poser la question à quelqu'un d'autre. C'est en dehors de mon domaine. Je sais, pour avoir vu les chiffres, que les tirages ont augmenté pendant cette période. Je peux dire également que la population de la province a très bien réagi à ce que nous faisions. Les lecteurs étaient impatients de recevoir le journal. Ils lui portaient beaucoup d'intérêt.
La présidente : C'est évidemment le but recherché.
M. Lee : C'est toute la raison d'être.
La présidente : Oui, pour n'importe quel journaliste en activité.
M. Lee : On veut être lu. On veut que les gens attendent ces articles. Nous faisions des choses intéressantes en ce temps-là. C'était une bonne époque.
Le sénateur Munson : J'aimerais parler de la propriété croisée des médias et de la diversité de l'information que les Canadiens obtiennent. Avez-vous des idées sur la propriété croisée des médias? Par exemple, à Vancouver, CanWest a la mainmise sur pratiquement tout. La concentration peut prendre différentes formes.
M. Lee : Oui, à l'échelle mondiale, on le voit avec CNN, Time Warner et Disney.
C'est difficile en ce sens que si vous avez une diversité de médias qui prêchent tous le même message, cela peut influencer ce que les gens vont juger important. Je songeais davantage à Time Warner. Si Harry Potter fait la couverture du Time Magazine, et ensuite est le grand sujet sur CNN et que l'on dit que c'est cela l'événement d'actualité le plus intéressant du moment, cela peut certainement influencer le débat public, à mon avis.
La diversité des voix est importante et d'autant plus lorsque vous avez la propriété croisée qui fait que le même message vous arrive de directions différentes.
La présidente : Merci beaucoup. Si nous avions plus de temps, je vous demanderais qui va fournir les nouvelles dont toutes les sources électroniques sont censées nous abreuver, mais ce sera le sujet pour un autre jour.
Cela a été extrêmement intéressant. Merci infiniment.
Collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jackie Webster, qui est journaliste de longue date et a travaillé dans les médias tant nationaux que ceux du Nouveau-Brunswick.
Vous avez la parole.
Mme Jackie Webster, témoignage à titre personnel : Je pense que vous aurez déjà entendu tout ce que j'ai à dire.
La présidente : Peut-être pourriez-vous nous faire une brève description des principaux points sur lesquels vous aimeriez vous concentrer, et nous pourrons ensuite vous poser que quelques questions.
Mme Webster : C'est un plaisir de vous accueillir ici au Nouveau-Brunswick. Avant de commencer, je vous ai apporté un souvenir de Fredericton. Puisque vous n'allez pas à Fredericton, j'ai pensé vous apporter un petit quelque chose.
La présidente : Ce n'est pas une enveloppe brune remplie de billets de banque?
Mme Webster : Non, non.
Le sénateur Munson : Vous n'auriez pas dû.
Mme Webster : Venez à mon chalet de Youghall Beach cet été et je vous raconterai des choses que je ne suis pas autorisée à dire.
La présidente : C'est une photo.
Mme Webster : C'est un souvenir de Fredericton. C'est un site historique national au centre-ville de Fredericton. Malheureusement, vous n'êtes pas susceptibles de le voir dans les quotidiens locaux. Il appartient au Irving. Je pensais simplement le mentionner. Je vous l'offre.
La présidente : Merci .
Mme Webster : Nous nous sommes pas mal amusés avec cela.
Je vous souhaite la bienvenue au Nouveau-Brunswick. J'aurais souhaité que vous veniez à Fredericton, mais puisque vous ne le pouvez pas, c'est un plaisir que de vous rencontrer ici.
J'ai dû prendre quelques notes, car j'ai tendance à me laisser emporter. J'ai écrit ceci : je vous félicite d'avoir entrepris cette tâche et vous souhaite bonne chance. Je suis là pour vous offrir mes opinions sur un aspect de votre large mandat que je connais très bien, la concentration de la presse écrite de langue anglaise au Nouveau-Brunswick aux mains d'une seule famille. On vous en aura rebattu les oreilles des centaines de fois, j'en suis sûre, ou bien ce sera le cas avant votre départ, mais c'est une affaire sérieuse.
La première chose qui m'a accroché le regard dans votre rapport provisoire était celle-ci :
Nulle démocratie véritable ne peut fonctionner sans des médias d'information vigoureux, divers et indépendants qui puissent informer le public sur le fonctionnement de la société, sur ce qui va bien et, peut-être surtout, ce qui ne va pas bien ou doit être amélioré.
Cela résume très bien tout le message que je veux vous transmettre aujourd'hui : malheureusement, au Nouveau- Brunswick, nous n'avons pas de médias indépendants exceptée la SRC. Lorsque tous les quotidiens de langue anglaise sont aux mains d'une seule famille, et tous les hebdomadaires exceptés trois tout petits aux mains d'une même famille, et que les deux derniers encore indépendants ne tiennent plus qu'à peine debout, alors, vous n'avez pas de presse indépendante. J'aimerais m'attarder un peu là-dessus. Je ne sais pas si vous pouvez apporter le moindre remède, mais j'ai quelques suggestions.
Pour commencer, lorsque je me dis préoccupée au sujet de la concentration aux mains d'une même famille, sachez que je ne poursuis nulle vendetta contre cette dernière. Il existe une société commerciale et elle est composée de personnes. Certains des membres de cette famille sont de bons amis à moi, en particulier Jamie Irving, le nouvel éditeur. C'est un jeune homme remarquable et je lui souhaite beaucoup de succès. Il est très dynamique. Il pense qu'il va réussir très bien, mais ceux d'entre nous qui sont là depuis beaucoup plus longtemps que Jamie Irving savent très bien qu'il n'ira pas très loin au-delà de ce que les Irving jugent être une couverture convenable.
Ils se serrent les coudes. Autant dire que le Nouveau-Brunswick est le fief des Irving, cela ne fait aucun doute. Lorsque vous avez une famille à la tête d'un groupe de 300 sociétés, comprenant tous les médias de langue anglaise, un patrimoine de 4 milliards de dollars et que vous arrivez à la 116e place du classement des gens les plus riches du monde, cette famille, forcément, va constituer une entité à part. Ils ne vont pas tolérer les questions, les critiques ou ce que vous voudrez de la part de ces petites journaleux qui veulent mettre le nez dans leurs affaires. C'est tout simplement exclu.
Il vaut mieux que je revienne à mes notes sinon je vais me laisser emporter.
Lorsque je parle des Irving, je n'entends pas les membres de la famille, mais plutôt l'empire commercial et toutes ses facettes, toutes les sociétés de ce groupe. Je crois que les journaux ne sont pas parmi leurs entreprises les plus profitables. De fait, certains membres de la famille ont même déclaré : « Je ne sais pas pourquoi nous possédons ces journaux. Nous gagnons notre argent dans les forêts et les arbres, etc. ».
Cependant, ils les gardent et les agrandissent et d'une manière ou d'une autre s'est avérée la phrase d'A.J. Liebling prononcée il y a bien longtemps : « La seule façon d'avoir la liberté de la presse, c'est de la posséder. ». C'est ce que nous avons au Nouveau-Brunswick.
Au milieu de tous ces biens, peu importe comment ils ont acquis les journaux, ils les possèdent et la question que pose votre comité est celle-ci : le Nouveau-Brunswick est-il bien servi par ce monopole? Je réponds que non.
Certes, la concentration des médias est un phénomène international. Cependant, partout où il y a une telle concentration, sauf au Nouveau-Brunswick, les propriétaires sont des sociétés cotées en bourse obligées de publier des rapports annuels. Ce n'est pas le cas des Irving. Dans leur cas, il s'agit de sociétés fermées et seuls eux-mêmes et Dieu savent ce qui s'y passe.
Le journalisme d'enquête est une profession honorable et tous les journaux dignes de ce nom en emploient un ou plusieurs. Ces journalistes savent quoi chercher et où. Ils entendent des rumeurs et les vérifient. Avec plus de 300 sociétés Irving et une foule de rumeurs concernant leur style de gestion, un journaliste d'investigation pourrait faire une riche récolte au Nouveau-Brunswick, mais pour quoi faire? Le fruit de ses efforts ne verra jamais le jour dans les médias de langue anglaise.
Qui peut blâmer les propriétaires? Peut-on vraiment escompter qu'ils vont embaucher des gens pour démolir leur structure? Cela n'aurait pas de sens et donc la réponse inéluctable c'est qu'il faut avoir une presse alternative. C'est la seule solution car eux ne vont pas changer et le Nouveau-Brunswick n'est certainement pas bien servi.
Parlant de journalisme d'investigation, j'ai tenu des propos élogieux sur Jamie Irving. J'ai une excellente opinion de lui et de Bob Jones. Parlant de journalistes enquêteurs au Nouveau-Brunswick, Bob Jones en est un qui travaille avec la SRC et fait de l'excellent travail d'enquête. Vu les contraintes financières qui entravent la SRC, il fait un excellent travail.
Il a récemment exploré la question du prix du mazout au Nouveau-Brunswick, qui est considérablement plus élevé qu'à Terre-Neuve, dans l'Île-du-Prince-Édouard et dans le Maine. Les Irving, qui possèdent une grande partie de ce mazout concurrent, étaient furieux, me dit-on. Des plaintes ont été déposées, des doléances exprimées. Le message pour les curieux : « Ne vous frottez pas aux Irving ». Ils en ont fait toute une affaire. Bob Jones maintient ses affirmations. La SRC va devoir vérifier et faire tout le long travail nécessaire pour prouver ce qu'il avance et les avocats d'Irving ont beaucoup plus d'argent que la SRC.
Il y a toute une pléthore de renseignements anecdotiques sur les journaux et leurs insuffisances. Il nous faudrait toute la journée pour en dresser une liste, mais je citerais juste un exemple. Les médias en dehors du Nouveau- Brunswick se sont interrogés sur la déontologie de la visite du ministre fédéral Allan Rock au fameux camp de pêche de la famille Irving. Les Irving ont répondu qu'il n'y avait pas là de manquement à la déontologie. Allan Rock était juste un ami de la famille et la visite était purement mondaine.
Plus tard, le 21 novembre 2002, lors d'une réunion conjointe avec d'autres ministres qu'il présidait, M. Rock a présenté un plan de subventions pour aider les chantiers navals en difficulté, dont les plus importants du Canada appartiennent aux Irving. En juin 2003, le ministère de l'Industrie a accordé aux Irving une subvention de 55 millions de dollars pour la conversion à d'autres usages d'un chantier naval à l'arrêt à Saint John. Le 16 octobre, Robert Fife a publié dans l'Ottawa Citizen un article portant ce titre : « Rock est passé outre à un jugement sur la déontologie pour favoriser la cause des Irving ».
Il peut y avoir là ou non un sujet d'information, mais on n'en entendra pas parler au Nouveau-Brunswick, même si c'est le cas. Voilà le genre de choses qui fait certainement défaut chez nous.
Il est vrai que beaucoup d'autres villes canadiennes sont desservies par un seul journal, mais qu'il s'agisse de CanWest ou de quelque autre conglomérat qui publie ces journaux, les propriétaires n'ont sans doute pas la même mainmise sur la province concernée que les Irving sur le Nouveau-Brunswick. CanWest n'exploite pas 300 sociétés ou plus en Saskatchewan échappant à toute enquête journalistique.
Même s'il existe d'autres modes de communication à la portée de nos doigts, le Nouveau-Brunswick est privé de nouvelles locales approfondies, dont il existe une pénurie. Nous ne savons jamais réellement ce qui se passe à l'intérieur des conflits de travail, des grèves, des fermetures d'usines, des mises à pied, des congédiements, des pratiques de gestion et ce genre de choses. Ceux qui sont lésés n'ont jamais de tribune publique et c'est déplorable.
Cela ne changera pas, dans le climat actuel. Nul baron de presse ne peut contester le monopole d'Irving, pour maintes raisons. Premièrement, nous n'avons pas une population assez importante pour justifier l'investissement et qui, à moins d'avoir perdu la raison, viendrait se frotter aux Irving?
Il y a très longtemps, il y a eu un espoir que le monopole soit brisé par l'action gouvernementale, avec la Commission Kent en 1980, qui préconisait quelque chose de cet ordre. Mais rien n'a été fait. Cet espoir s'est depuis évaporé et l'influence médiatique Irving n'a cessé de grandir.
J'ai une suggestion. Si le gouvernement fédéral n'a pas les moyens de rompre le monopole, il pourrait faire pour le Nouveau-Brunswick ce que M. Rock a fait pour les Irving. Il pourrait fournir une subvention, une subvention suffisante pour financer un journal indépendant dans les régions mal desservies comme l'est le Nouveau-Brunswick, un peu de la manière dont la SRC est actuellement financée. Il y a déjà un précédent au Nouveau-Brunswick. Étant donné que le quotidien de langue française a été jugé essentiel, un fonds fiduciaire a été créé pour le soutenir. Je dirais qu'un quotidien de langue anglaise est tout autant nécessaire au Nouveau-Brunswick et je préconise de prendre toute mesure nécessaire pour le faire apparaître. Une telle publication indépendante mériterait beaucoup plus un financement fédéral que la prébende de 55 millions de dollars versée à une société classée au 116e rang des plus riches du monde.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est merveilleux d'être ici, madame Webster. J'étais l'une de celles qui ont insisté pour que nous vous exhortions à comparaître. Je me souviens de l'époque où sur la page opposée aux éditoriaux, votre chronique était au centre et celle de Dalton Camp à droite. C'était une grande époque pour le journalisme au Nouveau- Brunswick. Je revois encore cette page. Nous voyons votre nom occasionnellement, mais pas assez, et nous avons bien sûr de merveilleux souvenir de M. Camp.
J'aimerais que vous parliez un peu des femmes dans le journalisme car nous en avons parlé entre nous. Nous avons eu le bel exemple de Mme Dennis, à Halifax, éditrice d'un journal, mais il s'agit du journal de sa famille et les choses sont plus faciles pour elle qu'elles ne l'ont jamais été pour vous.
J'aimerais ensuite que vous parliez de la situation au Nouveau-Brunswick de façon plus générale.
Cependant, j'aimerais aussi vous poser une question très précise car je sais combien vous êtes vive. Quelle a été votre réaction lorsque Brunswick News, ou quiconque en est propriétaire, a acheté ce petit journal distribué dans les rues de Saint John. Comment s'appelait-il, Here?
Mme Webster : Here.
Le sénateur Trenholme Counsell : Et celui de Moncton?
Mme Webster : Here.
Le sénateur Trenholme Counsell : Les deux ont été rachetés?
Mme Webster : Ils ont aussi acheté celui de Fredericton.
Le sénateur Trenholme Counsell : Comment réagissez-vous à cela?
Mme Webster : Très mal, pour plusieurs raisons. Premièrement, ils avaient de bonnes plumes. Tous avaient de très bonnes plumes.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ces trois distributions, ou journaux alternatifs...
Mme Webster : Oui, c'était de petits journaux alternatifs qui faisaient un excellent travail. Ils avaient de bonnes plumes. Ce qui s'est passé, tout d'abord, c'est que les Irving ont le pouvoir économique de mener la vie dure à des petites publications comme celles-ci, tout comme ils l'ont fait avec l'un des hebdomadaires à Woodstock. Ils voulaient ce journal et ils ont fini par l'avoir. Le propriétaire d'alors a dit qu'il ne pouvait tout simplement plus faire face à la concurrence qu'ils lui opposaient, et il a fini par leur vendre.
Avec le petit Here, ces trois journaux n'ont pas pu résister et Irving a fini par les racheter tous. Puis, à la minute où ils en ont été propriétaires, ils ont proposé à leurs journalistes le même genre de contrat qui a poussé Dalton Camp et moi à la porte des journaux Irving.
Pour écrire pour les Irving il faut signer un contrat absolument draconien. Par exemple, toute la propriété intellectuelle appartient aux Irving. Il y avait une petite clause intéressante dans le contrat. Elle disait que « les propriétaires peuvent vendre dans les médias actuellement existants ou ceux pouvant être ultérieurement inventés ».
La présidente : Précisaient-ils dans tout l'univers?
Mme Webster : Non, mais je présume que c'est ce qu'ils entendaient.
Bien entendu, je n'allais pas signer cela, pas plus que Dalton Camp. Sept d'entre nous avons refusé de signer et l'une de ces personnes, M. Pichette, est ici aujourd'hui. Sept de leurs meilleurs journalistes, j'aime le penser, n'ont pas pu signer, n'ont pas voulu signer.
Ils ont fait la même chose avec Here et donc ceux qui avaient assez d'autonomie financière pour refuser n'ont pas signé non plus et ils ont donc perdu ces gens-là. Ces petits journaux continuent de publier mais n'ont plus la même qualité de couverture.
Ils finiront par les fermer car ils ont fait la même chose à Fredericton. Il y avait là un petit journal très vivant de l'autre côté de la rivière, appelé Northside News, et c'était un bon petit journal avec de bons journalistes. Ils l'ont racheté et l'ont fermé.
J'ai été terriblement fâchée lorsqu'ils ont racheté Here car le jeune qui était alors le rédacteur en chef est depuis parti à la SRC. Il a atterri sur ses pieds, en quelque sorte, mais on ne peut lutter. Il n'y a rien d'autre à dire et c'est une tragédie.
Cela ne va pas changer, et peut-être subvention n'est-il pas le mot juste, mais il faudrait créer un fonds journalistique. Je sais qu'il y a toutes sortes d'objections à cela mais il faudrait un mécanisme de financement non interventionniste de façon à ce qu'un journal alternatif puisse survivre et donner leur chance à des journalistes.
Par exemple, Philip Lee fait un excellent travail. Il est un bon rédacteur en chef et il forme tous ces journalistes. Où vont-il trouver du travail? Ils vont travailler pour les journaux Irving ou bien ils vont quitter la province, ce qui est très triste.
Tout dépend de ce qu'ils pensent du contrat. Moi-même, je ne signerais pas leur contrat. Je refuserais par principe mais il y a aussi de très bonnes raisons économiques. Ils ne paient pas assez bien. Je faisais pour eux une chronique toutes les semaines. On me payait très peu, mais je vendais cette chronique à deux ou trois autres journaux qui me payaient cinq fois plus. Cela ne valait plus la peine d'écrire une chronique comme celle-ci pour juste une publication, au tarif qu'ils offraient.
Des journalistes vont être formés, mais où vont-ils travailler?
Pour ce qui est des journalistes femmes, il y en a quelques bonnes, ici, au Nouveau-Brunswick. Peut-être les bonnes ont-elles survécu. Le Telegraph-Journal a Lisa Hubley, et Kathy Kaufield, et il y a aussi Heather McLaughlin au Daily Gleaner. Il y en a pas mal de bonnes.
Je ne sais pas si les femmes sont défavorisées. Je ne l'ai jamais pensé. J'ai été la première femme dans la salle de presse à Saint John et j'ai demandé qu'on m'attribue mon propre secteur. Le rédacteur en chef d'alors a fini par se fatiguer de mon insistance et m'a dit « Bon, alors que veux-tu? » Et j'ai répondu « Qu'est-ce que tu me propose? » Il m'a dit « Le port, les docks », et j'ai dit « Je prends ».
J'ai donc couvert le port à Saint John pendant deux ans. J'avais trois filles adolescentes et à cette époque, lorsque les gens leur demandaient ce que faisait leur mère, elles répondaient qu'elle « travaillait les bateaux ».
Le sénateur Trenholme Counsell : On nous a beaucoup parlé des autres journaux, mais pour en revenir à Here, pourquoi le propriétaire le vendrait-il? Était-ce parce que le prix était tellement bon qu'il ne pouvait pas refuser? J'aurais pensé que quelqu'un de tellement idéaliste — je ne connais pas du tout cette personne, je ne sais pas qui éditait ce journal — aurait placé en devanture un écriteau « Pas à vendre ».
Mme Webster : Des contraintes économiques : Ils s'en prennent à leurs annonceurs. L'un des arguments qu'ils utilisent, et je sais que c'est vrai car je connais un gestionnaire de la publicité qui doit passer par là, consiste à aller voir les annonceurs. Tout d'abord, ils leur disent qu'ils peuvent faire de la publicité chez eux pour beaucoup moins cher. Ensuite, ils font remarquer que si ce petit journal s'écroule, comme il finira par le faire, ils refuseront de passer ces annonces.
Cette menace, m'a-t-on dit, est creuse car ce publicitaire qui m'a parlé disait qu'ils n'allaient pas refuser cet argent. Néanmoins, cela fait peur aux gens, si bien que lorsque le journal voit ses recettes publicitaires tarir, s'il n'a pas de moyens autres, il n'a d'autre choix que de vendre. Il n'a vraiment plus de choix.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pendant toutes ces années où vous travailliez avec Dalton, je sais que vous connaissiez très bien la situation. Vous préconisez la création d'un journal indépendant. Est-ce quelqu'un a activement tenté de le faire au cours des 10 ou 20 dernières années, ou bien est-ce juste votre idée et votre croyance que c'est cela qu'il faudrait?
Mme Webster : C'est ce que je crois nécessaire et cela n'a jamais été tenté. J'ai plusieurs amis qui sont riches. Moi je ne le suis pas, mais eux le sont. Je leur ai dit, pourquoi ne pas faire quelque chose de bien et investir ici au Nouveau- Brunswick, car ce sont des gens qui ont des racines au Nouveau-Brunswick. Ils y ont un peu réfléchi, mais ont conclu que ce serait jeter l'argent par les fenêtres car ces gens-là finiraient par avoir leur peau.
Il leur suffit de baisser leurs tarifs publicitaires et ils peuvent se le permettre. Je crois qu'ils pourraient rendre la vie tellement difficile à un journal, à moins que celui-ci soit financé par le gouvernement ou d'une manière solide et régulière assez longtemps pour qu'il puisse prendre pied et se battre contre ces gens.
Je déteste dire « ces gens », car, comme vous le savez, j'ai des amis dans la famille Irving que j'aime beaucoup. Cependant, les amis sont une chose et l'empire Irving en est une autre.
La présidente : Une société, comme vous dites, est peut-être peuplée par des individus mais elle a son existence propre. Les tactiques publicitaires que vous décrivez me paraissent ressembler beaucoup à des pratiques prédatoires. Est-ce là ce dont vous parlez?
Mme Webster : Oui.
La présidente : Si vous avez des preuves ou des noms que vous puissiez fournir au comité, soit aujourd'hui soit ultérieurement en communiquant avec le greffier, cela nous serait utile. Ce que vous dites devant un comité sénatorial est protégé, mais il nous est très difficile d'aller plus loin si nous n'avons pas des preuves concrètes. Si vous pouviez nous en fournir, ce serait très utile.
Mme Webster : J'ai un ami qui regrette beaucoup d'avoir été retenu ailleurs et n'a pu m'accompagner ce matin. Il est l'un de ceux qui ont travaillé pour la société Irving et vendaient des espaces publicitaires pour eux et c'est lui qui m'a donné ces renseignements. Je suis sûr qu'il serait prêt à fournir des preuves. À mon retour à Fredericton, j'entrerai en contact avec lui immédiatement et lui relaterai ce qui a été dit et ensuite je vous contacterai et vous ferai savoir s'il est prêt à le faire. J'espère que oui. Je ne vois pas pourquoi il refuserait, car il connaît la force de mes sentiments à ce sujet.
Le sénateur Munson : Est-ce que ces contrats que vous qualifiez de draconiens sont encore pratiqués aujourd'hui, en 2005?
Mme Webster : Oui.
Le sénateur Munson : Que contiennent-ils? Que disent-ils?
Mme Webster : Je ne me souviens plus exactement, mais l'essentiel c'est qu'ils sont propriétaires de pratiquement tout et peuvent vendre le produit, aujourd'hui et à jamais, et en faire tout usage qu'ils veulent. J'aurais dû apporter le contrat avec moi, car j'en ai gardé copie.
Le sénateur Munson : Vous n'êtes donc pas autorisé...
M. Robert Pichette, témoignage à titre personnel : Puis-je rafraîchir votre mémoire, Jackie?
Mme Webster : Oh, oui. Robert Pichette a eu le même contrat.
Le sénateur Munson : C'est le Nouveau-Brunswick.
[Français]
La présidente : Vous êtes?
M. Pichette : Je suis un fonctionnaire à la retraite.
Senator Trenholme Counsell : Un homme de Lord Callaway.
Mr. Pichette : Nous étions collègues au Telegraph Journal et au Globe and Mail, également.
[Traduction]
Jackie parle du fameux article 9 de ce contrat, qui est à jamais gravé dans ma mémoire. Elle a raison, sept sur 11 des chroniqueurs ont refusé de signer cela. La phrase cruciale de ce contrat, qui ne faisait qu'une page, était que New Brunswick News, la société, se réserve le droit de publier à sa guise tout ce que nous écrivions. Manifestement, il y avait là une question de principe en jeu.
Le sénateur Munson : Est-ce tout le droit d'auteur? À jamais?
M. Pichette : Non, nous avions le droit d'auteur, mais nous ne pouvions publier nulle part ailleurs.
Mme Webster : À la toute fin, lorsqu'il ne nous restait plus rien qui puisse nous servir, il y avait une petite ligne disant que le droit d'auteur continuait d'appartenir à l'auteur.
M. Pichette : Mais que pouvions-nous en faire? C'est une denrée périssable. La dernière chronique que nous écrivons est toujours la meilleure, mais les gens l'oublient une heure après l'avoir lue. Ce n'est pas vraiment un bien commercialisable, mais c'est cette clause particulière qui nous a beaucoup fâché, nous et Dalton Camp.
Mme Webster : Nous étions sept.
Le sénateur Munson : Est-ce que d'autres journaux dans le pays ont ce type de clause contractuelle? En connaissez- vous?
Mme Webster : Non. J'ai demandé les contrats des autres journaux pour lesquels j'ai écrit. Tous ces journalistes ont un contrat d'une sorte ou d'une autre, et je travaille beaucoup pour CBC, et ils sont beaucoup plus simples. Il n'y en a aucun de cette sorte.
Mme Webster : Merci d'être venu à mon secours, mon cher.
La présidente : Vous pouvez rester à la table, monsieur Pichette.
Mme Webster : Restez, car ses positions sont presque identiques aux miennes. Nous sommes d'accord sur presque tout.
M. Pichette : Excepté la politique.
Le sénateur Trenholme Counsell : Madame la présidente, j'allais exprimer des regrets lorsque M. Pichette a dit qu'il ne participerait pas. Il disait qu'il n'avait rien à dire. J'ai l'impression que c'est plutôt le contraire : « Vous avez trop à dire ».
Mme Webster : J'ai deux anecdotes à vous raconter.
Il y a quelques années, nous avions un excellent personnel au Daily Gleaner, à cette époque la crème de la crème. Ils voulaient former un syndicat. Lorsque cela s'est su, ils ont été mis à la porte sans préavis, tout l'effectif, un vendredi. Bien sûr, ils ont tous trouvé de bons emplois ailleurs, mais ils ont décidé de poursuivre leur employeur. C'était des journalistes qui se prenaient très au sérieux et qui ont été effarés lorsque leur procès a commencé et qu'ils se sont aperçu que leur employeur était une société de remorquage. Ils travaillaient pour une société de remorquage. Cela leur a beaucoup déplu.
L'autre commentaire est que les Irving vont lâcher si on leur met suffisamment de pression. Vous vous souviendrez peut-être de cet incident. Au large de Baloney Point, à Bathurst, l'un de leurs pétroliers a dérivé et s'est échoué sur les rochers avec 19 000 tonnes ou quelque de mazout brut dans ses citernes. Il était immobilisé là. Les Irving ont pris pour position que ce n'était pas de leur responsabilité, que l'assurance les avait payés et que, comme dans le cas d'une voiture, elle était maintenant propriétaire. Les compagnies disaient : « Non, non, non, ça ne marche pas comme cela, c'est eux les propriétaires ». Le navire restait toujours là. Les pêcheurs étaient fâchés, ont fait des interventions et il y avait toutes sortes de démarches. Rien ne s'est passé jusqu'à ce qu'un groupe d'entre nous, qui avions travaillé pour les Irving, lancions un petit journal. Je travaillais pour lui, ce n'est pas moi qui l'ai lancé. Nous étions d'anciens employés d'Irving, et nous avons décidé que nous allions faire enlever cette épave.
J'avais instruction de téléphoner tous les lundis matins au ministère des Pêches, au ministère de ceci et au ministère de cela et chaque fois on me servait la même histoire : « Nous étudions la question ». J'ai insisté, et savez-vous quoi? Finalement, les Irving ont dit que pour un dollar, ils pomperaient le chargement. Il s'est avéré qu'ils ne pouvaient pas l'enlever en pompant car tout le mazout s'était solidifié, mais ils ont mis le feu. Un bel après-midi, avec quelques bons amis de l'un des sénateurs en remorque, nous sommes allés voir et avons assisté à la scène.
Le sénateur Munson : Cela commence à devenir très intime. Voulez-vous allez boire une bière tout à l'heure, une Alpine?
Mme Webster : Ensuite, nous sommes partis. Ils ont brûlé la cargaison, mais la coque est toujours là. Don Connolly et nous autres sommes partis dans des directions différentes mais l'épave est toujours là. Un jour, lorsque je serai assez âgée pour prendre ma retraite, je retournerai là-bas et je lancerai une campagne pour faire enlever cette épave. Je pense que c'est possible.
La présidente : J'ai l'impression que si quelqu'un peut y arriver, ce sera vous, madame Webster.
Le sénateur Munson : Quelques questions : Nous avons écouté des témoignages toute la matinée et nous allons probablement devoir former un jugement ou formuler des recommandations à la fin de nos audiences dans les prochaines semaines. Mais vous avez dit, qui voudrait se frotter aux Irving à moins d'avoir perdu la raison? Qui, à moins d'avoir perdu la raison, voudrait lancer un nouveau journal hebdomadaire? Tout le monde dit que les choses changent sans cesse, mais on dirait que rien ne va changer au Nouveau-Brunswick dans le courant du prochain siècle.
Mme Webster : Non.
Le sénateur Munson : Peu importe tout ce que l'on peut dire ici, peu importe les louanges ou les reproches adressés aux Irving, nous pourrons parler tant que nous voudrons, et j'ai...
Mme Webster : Rien ne va changer, et pourquoi cela changerait-il? La seule option, à mon avis, c'est d'avoir un journal subventionné par une sorte de fonds, de fonds à distance. Je n'aime pas plus la réglementation gouvernementale que n'importe qui d'autre, mais il faudrait une sorte de fonds — et il n'a pas besoin d'être doté de 55 millions de dollars comme eux ont eu pour le chantier naval — mais un fonds qui puisse faire vivre un journal, mettons pendant cinq ans.
Le sénateur Munson : Les journalistes nous disent toujours que la dernière chose qu'ils veulent c'est de l'argent du gouvernement. Certains diront que vous serez le porte-parole du gouvernement qui vous donne l'argent. Je ne vois pas comment une société pourrait fonctionner indépendamment du fonds fiduciaire, que celui-ci provienne du gouvernement ou d'un philanthrope.
Mme Webster : Je n'imagine pas très bien la mécanique. Je ne sais pas comment ce serait structuré pour assurer l'indépendance, mais je pense que c'est nécessaire. Est-ce que l'Acadie Nouvelle ne bénéficie pas d'un fonds? Il n'est pas très gros, mais le journal en touche l'intérêt.
M. Pichette : Dans le cas de l'Acadie Nouvelle, c'est très différent. Des représentants de l'Acadie Nouvelle comparaîtront cet après-midi, ils pourront vous expliquer cela. C'est assez compliqué et le fonds fiduciaire ne finance pas directement le journal, uniquement sa distribution, mais il vaut mieux leur poser la question directement.
Mme Webster : Oui, c'est une bonne idée. Lorsque vous dites que les journalistes eux-mêmes objecteraient, je crois que beaucoup d'entre eux sont au désespoir de devoir quitter le Nouveau-Brunswick s'ils veulent faire une carrière de journaliste aujourd'hui.
Le sénateur Munson : J'ai quitté le Nouveau-Brunswick. J'ai travaillé pour le Saint John Telegraph comme livreur de 1955 à 1960, à Campbellton, mais je ne suis pas parti pour une autre raison. Le salaire n'était pas mauvais alors.
Est-ce que le Nouveau-Brunswick a un conseil de presse?
Mme Webster : À ma connaissance, ils sont membres du Nova Scotia Press Council. Le Nouveau-Brunswick n'a pas de conseil de presse propre.
Le sénateur Munson : Il n'existe pas de groupe qui se réunit et passe en revue tous ces arguments et cherche à dégager une position commune?
Mme Webster : Non. Lorsque vous avez une plainte, elle est adressée à la Nouvelle-Écosse. Je le sais, car j'ai déposé plusieurs plaintes contre le Daily Gleaner et la manière dont il était géré.
La présidente : On nous a dit hier que l'Atlantic Press Council, qui est je crois celui dont vous parlez, est devenu pratiquement inactif. Savez-vous si c'est vrai?
Mme Webster : Je dirais qu'il est plutôt inactif. Il ne fait pas grand-chose.
La présidente : Il n'a pas répondu à notre invitation à comparaître devant le comité, ce qui est peut-être révélateur, mais pas forcément.
La présidente : Pour ce qui est de ce fameux contrat de pigiste, quand s'est produit cet épisode manifestement spectaculaire où sept journalistes...
Mme Webster : Quand était-ce, Robert?
M. Pichette : Je crois que c'était plus proche des temps modernes que cela. Quand était-ce? Il y a cinq ans.
La présidente : Dalton Camp était toujours en vie.
M. Pichette : C'était il y a environ cinq ans.
La présidente : Au cours de l'année écoulée, des groupes tels que la Periodical Writers Association of Canada nous ont indiqué que CanWest, et peut-être une autre société encore, ont introduit un contrat qui a l'air très similaire. Ce n'était pas une plaisanterie. C'est pourquoi j'ai demandé si on y trouvait l'expression « dans tout l'univers », car dans sa version la plus renommée, le nouveau contrat contient cette clause. D'ailleurs, CanWest nous a dit que ce contrat ne représente que l'une de centaines de versions de contrats de pigistes. Je me demandais si vous étiez au courant de celui- ci et comment il se compare avec celui dont vous parliez.
Mme Webster : Non, je ne suis pas au courant de celui-là. J'ai écrit pour CanWest, mais pas au cours des deux ou trois dernières années. Ils publient un de mes articles de temps en temps mais ne m'ont jamais demandé de signer de contrat, jusqu'à présent.Peut-être n'écris-je pas assez souvent pour eux, mais je n'ai pas vu leur contrat. À l'époque où l'on nous a présenté le contrat Irving, je me suis procuré des contrats de CBC et de divers autres rédactions afin de pouvoir les comparer. Aucun n'était aussi draconien que celui des Irving.
La présidente : Dans quelle mesure y a-t-il fécondation croisée ou influence entre les médias de langue française et de langue anglaise au Nouveau-Brunswick?
M. Pichette : C'est insuffisant. Jusqu'à récemment, j'étais éditorialiste pour l'Acadie Nouvelle. Comme vous le savez, dans la presse francophone, nous signons nos éditoriaux et plaçons notre photo en tête de l'article, ce qui signifie que lorsque nous allons chez Sobeys, nous sommes des proies faciles. À mon avis, et je pourrais m'enflammer à ce sujet, il n'y a pas assez de fécondation croisée entre la presse anglophone et la presse francophone.
Soit dit en passant, les Irving rachètent maintenant de plus en plus d'hebdomadaires francophones, dont certains sont très anciens. Le Madawaska d'Edmundston, ma ville natale, est presque centenaire. C'est maintenant un journal Irving. Ils en ont lancé un à Miramichi et je crois qu'ils ont racheté celui de Campbellton. Il y en a aussi un francophone, l'Avion. C'est l'un après l'autre, ils ne sont pas si nombreux.
Pour ce qui est de la fécondation croisée, par manque d'un meilleur terme, il en faudrait beaucoup plus. C'était bien pendant les années dorées avec Jackie et un certain nombre d'entre nous, l'époque Neil Reynolds, bien entendu. Mais il en faudrait plus.
J'aimerais parler à Philip Lee, par exemple. Invitez-nous. Nous ne sommes pas prêts à jeter l'éponge. Nous pouvons être utiles. J'ai eu la chance d'enseigner le journalisme l'an dernier à l'Université de Moncton pendant un semestre. Personne ne m'avait prévenu qu'il fallait trois heures de préparation avant un cours.
C'est un point très important. Il en faudrait beaucoup plus. On pourrait trouver des mécanismes. Il existe une bonne école à l'Université St. Thomas. Il y en a une autre à l'Université de Moncton. Si seulement ils pouvaient se grouper et organiser des réunions, il en sortirait beaucoup de bien.
La présidente : M. Lee nous a dit qu'en rapport avec ces subventions de 2 millions de dollars des Irving, un million à chacune, que les deux universités espéraient collaborer sur l'emploi de ces montants. C'est un début.
M. Pichette : Peut-être y a-t-il là un avenir, car il en faut un. Le Nouveau-Brunswick est une petite province. Nous n'avons qu'une faible population et nous devrions nous parler les uns les autres.
J'étais jadis adjoint exécutif de Louis Robichaud. C'était il y a très longtemps, mais nous avons beaucoup évolué depuis. Nous avons beaucoup évolué depuis que Michael Wardell régnait sur le Daily Gleaner.
Le sénateur Munson : Juste une clarification sur le Miramichi : Ont-ils racheté le Miramichi Leader, ou bien acheté autre chose pour le concurrencer?
M. Pichette : Ils l'ont racheté et ils ont créé un journal francophone.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux.
Que nul ne bouge car nous avons promis à des photographes de télévision qu'à la fin de nos travaux ils pourraient venir prendre quelques photos et que nous aurons l'air spontané comme si nous étions encore en réunion.
Je saisis l'occasion pour signaler que nous avons entendu pas mal de critiques au sujet des entreprises Irving ce matin. Autant que je sache, nous en entendrons d'autres au fur et à mesure que la journée avance, mais demain nous recevrons Brunswick News. Nous ne pouvions venir au Nouveau-Brunswick sans entendre ses représentants, et nous allons le faire. Il est important de le signaler.
Je rappelle également aux membres du public qu'à la fin de nos travaux de la journée, à 16 h, des membres de l'assistance pourront se présenter, faire de courtes déclarations et répondre à quelques questions. C'est toujours une partie intéressante de nos travaux, où que nous allions.
Je précise également que ce voyage au Nouveau-Brunswick s'inscrit dans l'effort de ce comité de siéger à travers le pays. De fait, les provinces Atlantiques sont la dernière région que nous visitons. Nous avons été dans l'Ouest, nous avons été dans le Centre, et nous avons tardé à venir ici, non pas parce que nous craignons les conditions météorologiques au Nouveau-Brunswick, mais plutôt celles de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse, où le brouillard, comme vous le savez, peut semer la pagaille dans les horaires.
Le sénateur Munson : Vous saviez que vous auriez le dernier mot ici.
La présidente : Nous savions que l'on nous ferait un merveilleux accueil et que nous entendrions des choses très intéressantes dans les provinces Atlantiques en général, et au Nouveau-Brunswick en particulier.
Mme Webster : Ce qui est triste ici au Nouveau-Brunswick, vu que nos journaux de langue anglaise sont si mornes, ils couvrent les événements mais ne sont pas passionnants. De ce fait, on parle peu de nous à l'extérieur.
Lorsque je fréquentais le sénateur à votre gauche, il écrivait pour le Globe and Mail. Je couvrais le Nouveau- Brunswick pour le Globe and Mail et je travaillais très fort. J'étais sur la route chaque jour. Je travaillais 15 heures par jour. Le Globe and Mail passait un grand nombre d'articles sur le Nouveau-Brunswick. Ensuite, bien entendu, lui aussi a connu des contraintes économiques. L'intérêt s'est amenuisé. Aujourd'hui, dans l'édition Atlantique, vous ne voyez pas grandes nouvelles du Nouveau-Brunswick.
Pourtant, les sujets ne manquent pas. Il y a ce merveilleux sujet en ce moment, si quelqu'un voulait bien prendre la peine de l'écrire, sur les navires qui pêchent sur la côte Nord, à Belledune, et sortent des chargements entiers de homards. Ensuite, on les détruit, parce qu'on ne peut pas les manger. Les homards sont contaminés au plomb, au zinc, au mercure, à tout ce que vous voudrez, à cause du sol contaminé autour de Belledune. Il y a là un sujet passionnant.
La présidente : On dirait bien.
Mme Webster : Oui, et il faut le raconter.
La présidente : Merci beaucoup.
La séance est levée.