Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 17 - Témoignages - Séance de l'après-midi
DIEPPE, le jeudi 21 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 13 h 18 pour étudier l'état actuel des industries des médias canadiennes, les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries, le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivons nos travaux à Dieppe, au Nouveau- Brunswick. Nous sommes heureux d'accueillir M. David Henley, mais je n'ai pas sa biographie sous les yeux, ce qui me met dans l'embarras. Pardonnez-moi, je ne peux pas tricher en lisant mes notes. Veuillez avoir l'obligeance de nous dire qui vous êtes.
M. David Henley, à titre personnel : Il y a des jours où je ne sais pas moi-même qui je suis. Heureusement, aujourd'hui, je le sais.
La présidente : C'est très bien. Nous sommes ravis de vous accueillir, surtout que vous avez presque traversé la province pour venir nous rencontrer.
M. Henley : Je suis de Woodstock, au Nouveau-Brunswick, et je suis l'ancien propriétaire, avec ma femme, de Henley Publishing Ltd., à qui appartenaient quatre journaux communautaires de l'ouest du Nouveau-Brunswick. En novembre 2002, nous avons vendu ces journaux à Brunswick News, propriété des Irving. Nous étions aussi propriétaires d'une imprimerie et de deux petits journaux dans l'est du Maine.
Quand il a été annoncé que votre comité entreprenait une étude des médias au Canada et, plus particulièrement, de la concentration de la propriété, j'ai dit à ma femme que j'aimerais bien témoigner devant votre comité. Elle m'a répondu : « À quoi cela servirait-il? La porte de la grange est ouverte et les chevaux se sont enfuis. » Ma fille a ajouté : « Oui, et ils ont pris tout le foin ». Ils ont pris tout le foin : aux yeux de beaucoup de gens, cela décrit bien la situation. Nombreux sont ceux qui m'ont demandé si les travaux de votre comité ne constituaient pas un gaspillage de temps et de l'argent du contribuable puisque, après tout, l'affaire est conclue, la situation est irréversible. La commission Davey et la commission Kent ont formulé des recommandations il y a longtemps, bien avant que les médias ne soient avalés par les géants. Très peu a été fait et on a fait fi de la plupart des recommandations de la commission Kent, au détriment, à mon avis, de la qualité du journalisme, de nombreux emplois et, certainement, de la politique éditoriale juste que mérite et attend le public ou, du moins, de l'apparence d'une telle politique.
J'estime que la concurrence améliore la qualité et crée un milieu encourageant l'excellence. Si l'on s'inquiète de la concentration des médias au Canada en général, l'état des médias au Nouveau-Brunswick est beaucoup plus inquiétant puisqu'une seule entreprise est propriétaire de tous les quotidiens de langue anglaise, de la plupart des journaux communautaires, des journaux d'annonces classées, de la plupart des circulaires et, je crois, de certaines stations de radio aussi. Quand une seule entreprise contrôle toutes ces sources d'information et domine bon nombre d'autres secteurs, tels que ceux du gaz et du pétrole, du transport, des forêts, des pâtes et papiers, de l'expédition, de l'immobilier, de l'alimentation et de la vente au détail, et que ces secteurs sont intégrés verticalement, la situation n'est pas saine. Cela soulève la question de savoir si la presse peut offrir une couverture neutre de l'information dans tous ces secteurs. Manifestement, cela n'est pas aussi possible que ce le serait pour une presse indépendante. Peu importe que l'intention soit d'être neutre et d'avoir une politique éditoriale ouverte, on garde inconsciemment une certaine loyauté à l'égard de la société mère. Il est inconcevable qu'un journaliste qui rédige un reportage sur un enjeu délicat mettant en cause l'une de ces entreprises ne soit pas intimidé par le fait qu'il s'agit là d'une autre partie de l'empire Irving. Ce journaliste risque d'être puni de façon très subtile, de perdre de l'avancement ou même son emploi. J'insiste toutefois sur la conditionnalité, car je ne dis pas que cela se produirait nécessairement. Il y a maintenant très peu d'autres endroits offrant des emplois de journaliste. Il n'aurait donc pas d'autre choix que de quitter la province.
On s'inquiète de la concentration des médias dans le reste du Canada, mais cela ne touche que les entreprises du secteur des médias, et même, il y a d'autres propriétaires et une certaine concurrence dans les autres provinces. Au Nouveau-Brunswick, une société domine presque tous les autres secteurs aussi. C'est encore plus grave que la propriété publique. Quand c'est le gouvernement qui est propriétaire, au moins, le public a la possibilité d'imposer des changements tous les quatre ans.
Réformer la presse indépendante au Nouveau-Brunswick est virtuellement impossible parce que les Irving contrôlent presque toutes les imprimeries à journaux de la province. Quand les Irving ont acheté deux chaînes familiales de journaux communautaires, dont la nôtre, ils ont démonté et vendu les presses. Par conséquent, si quelqu'un avait l'audace de lancer un journal, il serait presque obligé de le faire imprimer par son plus grand concurrent.
Le gouvernement du Canada appuie la création d'un marché d'exportation, mais avec la fermeture de notre imprimerie de Woodstock, dont les activités ont été transférées, je crois, au Pérou, on a aussi mis fin à l'exportation vers l'est du Maine de nos services d'impression.
Cela a aussi nui financièrement aux localités où il n'y a plus de journal indépendant. Dans le petit village de Perth- Andover, où nous avions un journal et, bien sûr, un bureau, le bureau a été fermé, ce qui a entraîné la perte de plus de quatre emplois. La fermeture du journal et du bureau de Hartland a aussi entraîné la disparition de plusieurs emplois. Ce journal a été fusionné avec le journal The Bugle de Woodstock. Et Woodstock même a perdu un demi-million de dollars en salaires quand les actifs de notre entreprise ont été vendus.
Dans le passé, les journaux communautaires étaient des entreprises familiales, des journaux d'abord et, de façon secondaire, des entreprises. Quand de grandes sociétés en prennent le contrôle, les priorités sont inversées et c'est le bilan financier qui prime. Cela peut sembler logique comme pratique commerciale, mais cela se fait au détriment de la qualité de l'information, puisqu'il y a centralisation des emplois et de la production.
Comme je l'ai dit au début, les chevaux se sont enfuis, mais une question reste sans réponse : A-t-on la volonté de renverser la situation? Peut-on renverser la situation et, si oui, comment? Manifestement, ce n'est pas l'industrie qui prendra cette initiative, car elle est contrôlée par ces grandes entreprises qui ne souhaitent pas que la situation change puisque ce sont elles qui l'ont créée. J'ai toujours été heureux qu'il n'y ait pas de CRTC ou de contrôle gouvernemental de la presse écrite, mais c'est peut-être maintenant la seule façon de répondre aux préoccupations de ceux qui trouvent dangereuse une telle concentration aux mains de si peu de personnes si puissantes.
Aux États-Unis, il y a très peu de lois qui régissent la propriété des médias. Les médias américains n'ont pas été pris en charge par des pays étrangers. Le temps est peut-être venu pour nous de libéraliser nos propres lois sur la propriété et d'encourager des investissements étrangers qui pourraient diversifier un peu le contrôle de la presse canadienne.
Le Bureau de la concurrence n'a pas su sévir dans les cas d'infractions et a rendu très peu de condamnations dans les quelques cas qui lui ont été soumis. Il semble donc que les petites entreprises ont très peu de chances si une grande société s'installe dans leur secteur, réduit les prix et offre de la publicité gratuite. Ces petites entreprises sont vite forcées de vendre ou acculées à la faillite. Toutefois, une fois que le monopole est établi, les prix remontent et sont souvent plus élevés qu'avant.
Dans ce contexte de monopole, heureusement qu'il y a Radio-Canada. Bien qu'on critique beaucoup Radio- Canada, elle continue d'offrir un autre point de vue sur les informations et une liberté d'information qui est à la fois crédible et fiable. Pour cette raison, le radiodiffuseur public est très important et on doit continuer de lui offrir les ressources dont il a besoin pour donner au public canadien des informations équilibrées.
Ce problème grave dans les médias découle de l'indécision et de l'inactivité des gouvernements fédéraux des 40 dernières années. Si on veut renverser la vapeur, il faudra que les gouvernements fédéral et provinciaux comprennent les dangers inhérents à la situation qui prévaut et adoptent des lois exigeant la vente de certains actifs pour assurer une concurrence juste et prévenir la domination dans un secteur particulier du marché.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Henley, je vous connaissais déjà de nom, et je suis heureuse de vous rencontrer aujourd'hui. Merci d'être venu.
En vous écoutant, je me suis demandé pourquoi vous aviez vendu vos journaux, et je ne m'attends pas à ce que vous me répondiez en me donnant tous les détails. Je me suis dit que c'était probablement une bonne affaire que vous ou votre famille ne pouviez refuser, surtout à la lumière de la réaction de votre fille. Je ne m'attends pas nécessairement à une réponse, mais vous avez néanmoins vendu à Brunswick News ou à la famille Irving, selon le point de vue.
Vous avez décrit les pertes d'emplois et de salaires dans les petites villes et à Woodstock. Je me demande comment réagissent les lecteurs, car je sais que les journaux communautaires mettent l'accent sur la publicité; je me demande si cela a eu une incidence sur les gens d'affaires dans ces villes. J'ignore si vous pouvez répondre à ces questions, mais ce qui nous intéresse avant tout, c'est ce qu'en pense le public, car nous tentons de déterminer si le public, chaque collectivité du pays, est bien desservi par les médias.
M. Henley : Certainement. Quand j'ai vendu mes journaux, je me suis promis que, à titre d'ancien propriétaire, je ne critiquerais pas la qualité de ce que produisent maintenant ces journaux, mais je peux faire des observations sur ce qu'on m'a dit. Il est évident que quand je me promène en ville, quand je vais au restaurant, les gens me parlent des journaux, et je crois pouvoir dire que, en général, ils sont très impressionnés par les couleurs qu'on obtient à l'imprimerie de Moncton, où sont imprimés les journaux qui sont ensuite transportés par camion un peu partout dans la province. Les Irving ont une énorme imprimerie à Moncton, et le nombre de pages en couleurs de ces journaux a augmenté, même si la qualité des couleurs n'est pas nécessairement mieux. Toutefois, on s'entend en général pour dire que le contenu est moins bon, et je tente d'être le plus neutre possible en vous disant cela.
Le sénateur Trenholme Counsell : Bien sûr.
M. Henley : Je me suis aussi entretenu avec des annonceurs qui ont connu des problèmes que je préfère ne pas vous décrire en détail, mais qui ne sont pas satisfaits de certaines politiques.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je sais que les journaux communautaires font souvent appel à des journalistes qui transmettent les nouvelles des villages. Est-ce que cette pratique se poursuit, est-ce qu'on continue à couvrir les nouvelles locales que les gens des petites localités aiment tant? Ça ne se voit pas dans les plus grandes villes. Il faut que ce soit une nouvelle très importante ou le 100e anniversaire de naissance de quelqu'un, n'est-ce pas?
M. Henley : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Même le 100e anniversaire de naissance de quelqu'un fait rarement l'objet d'un reportage dans les grands journaux.
M. Henley : En effet.
Le sénateur Trenholme Counsell : Cette tradition se poursuit-elle dans les trois journaux que vous avez mentionnés, et qui ne sont plus que deux, je crois? Vous en aviez trois?
M. Henley : Nous étions propriétaires de quatre journaux quand nous les avons vendus.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous en aviez quatre et il n'y en a plus que deux?
M. Henley : Oui, dont l'un était à Fredericton-Nord...
Le sénateur Trenholme Counsell : Oh, vous aviez le Northside News.
M. Henley : Oui, le Northside News. Il y en avait un aussi à Woodstock, notre journal vedette.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui, et vous avez dit que les journaux de Woodstock et de Hartland avaient été fusionnés.
M. Henley : Oui, mais le journal de Hartland ne nous appartenait pas. Nous étions propriétaires d'un journal à Woodstock, d'un autre à Perth-Andover et d'un autre bilingue à Grand-Sault.
Le sénateur Trenholme Counsell : À qui appartenait le journal de Hartland?
M. Henley : À la famille Fairgrieve, qui l'a vendu à une tierce partie, laquelle l'a vendu aux Irving très peu de temps après.
Pour répondre à votre question, quand ma femme et moi étions propriétaires, nous mettions l'accent, entre autres choses, sur les informations locales. Dans les congrès de journaux communautaires, on répète constamment que les informations doivent rester locales, locales et locales. Les gens obtiennent des informations sur ce qui se passe en Iraq, à Ottawa et ailleurs dans leur quotidien, à la télévision et dans d'autres sources. Nous insistions donc pour que notre journal de Woodstock offre des nouvelles de la région de Woodstock et que les journaux des autres villes présentent des nouvelles locales aussi. Je constate, et c'est probablement pour des raisons économiques, qu'il y a de plus en plus de reportages dans notre ancien journal de Woodstock qui ont été produits à Grand-Sault. Manifestement, quand on a un espace à combler, on choisit un article provenant d'un bassin de nouvelles quelconque. Ces articles sont peut-être d'un grand intérêt pour les lecteurs de Woodstock mais pas pour moi, parce que je ne m'intéresse plus à ce qui se passe à Grand-Sault. Je n'y vais jamais, je n'ai de contact avec personne qui y habite et toutes les nouvelles de Grand-Sault qui figurent dans le journal de Woodstock sont, à mes yeux, sans intérêt.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois que l'enjeu d'actualité, autant que je sache, dans cette région est celui de l'hôpital. On en parle depuis environ deux ans. Est-ce un dossier qui a reçu une bonne couverture, à votre avis? La couverturea-t-elle été juste? Qu'en pensez-vous?
M. Henley : Je crois que la couverture a été assez juste. Les reportages tiennent manifestement compte du fait qu'une partie des lecteurs du Bugle sont à Woodstock, là où on veut installer l'hôpital et l'autre partie, plus au sud, là où on trouve les opposants au déménagement de l'hôpital. En général, je crois qu'on a su trouver le juste équilibre entre les deux positions. Moi, comme je suis de Woodstock, je milite activement en faveur du maintien de l'hôpital à cet endroit.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez dit qu'à votre avis, la couverture n'est pas aussi bonne qu'avant. Est-ce parce qu'on inclut, avec les nouvelles d'intérêt strictement local, des informations des localités avoisinantes, ou est-ce attribuable aux journalistes?
M. Henley : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que ce sont des gens d'ailleurs ou de la localité? Qui dirige le journal pour le groupe?
M. Henley : Je n'ai pas dit que, moi, je trouvais les reportages moins bons. J'ai pris soin de ne pas me prononcer.
Le sénateur Trenholme Counsell : Non, non, vous avez simplement dit que c'est ce que d'autres vous avaient dit.
M. Henley : Oui. Je crois que la plupart des journalistes sont des gens de l'endroit, je ne voudrais pas vous induire en erreur à ce sujet. Ces journaux publient surtout des nouvelles de la localité, mais on y trouve plus de nouvelles d'autres endroits que quand j'en étais propriétaire.
Le sénateur Munson : Quels sont les quatre journaux qui ont été vendus?
M. Henley : Le Northside News de Fredericton, le Bugle de Woodstock, le Victoria County Record de Perth-Andover et le journal bilingue La Cataracte, de Grand-Sault.
Le sénateur Munson : Est-ce que le Hartland Observer existe encore?
M. Henley : Non.
Le sénateur Munson : Non?
M. Henley : Quand les Irving l'ont acheté, l'an dernier je crois, ils l'ont fusionné avec le Bugle pour créer un seul journal qui s'appelle dorénavant le Bugle Observer.
Le sénateur Munson : Un des meilleurs amis de mon père a dirigé le Hartland Observer pendant longtemps, mais son nom m'échappe. Permettez-moi de vous poser la même question que le sénateur Trenholme Counsell : Pourquoi avez- vous vendu?
M. Henley : Eh bien, vous voyez mes rides. J'ai 68 ans. J'ai trois filles et ni l'une ni l'autre ne voulait diriger les journaux. Deux d'entre elles ont quitté la province et le temps était venu pour nous de vendre. Des pressions se sont exercées qui ont fait que, au bout du compte, nous avons décidé de vendre.
Le sénateur Munson : La nature de ces pressions est-elle confidentielle ou est-ce que, encore une fois, une grande société a tout simplement avalé les petits journaux?
M. Henley : Vous savez, une entreprise puissante peut vous obliger à ne pas parler des conditions de vente, et j'ai signé un accord de ce genre. Je peux vous dire bien des choses, mais je ne peux vous décrire les détails de la transaction.
Le sénateur Munson : Je suis désolé.
M. Henley : Toutefois, je présume que je peux décrire la situation qui a mené à la vente.
La présidente : Oui.
Le sénateur Munson : Allez-y.
M. Henley : Je préfère le faire en répondant à vos questions plutôt qu'en faisant des observations, mais, essentiellement, un ancien employé a lancé un journal de petites annonces pour nous concurrencer à Woodstock. Cela n'a pas marché et il l'a cédé à une autre personne, qui n'a pas réussi non plus. Je soupçonne, mais je n'en suis pas certain, que cette personne devait de l'argent aux Irving pour des services d'impression ou autres choses, parce qu'il faisait imprimer son journal par l'imprimerie des Irving. Quoi qu'il en soit, les Irving en sont devenus propriétaires et c'est alors que les choses ont commencé à changer, car nous avons constaté que nous faisions face à une concurrence accrue à bien des égards.
La présidente : Qu'entendez-vous par « à bien des égards »?
M. Henley : Eh bien, par exemple, avant la vente, le journal d'annonces commerciales offrait des petites annonces gratuites et publiait une liste de prix. Il n'y a aucun mal à cela, j'imagine, mais le journal vendait ses annonces à des prix de loin inférieurs à ceux de la liste des prix.
La présidente : Votre liste de prix ou la leur?
M. Henley : Leur liste de prix. Évidemment, en offrant les petites annonces gratuitement, ils diminuaient les recettes que nous pouvions tirer de cette source. Habituellement, les journaux sont vendus en fonction de leurs recettes et il est évident qu'au moment de vendre, le prix est ajusté en fonction de la perte de recettes.
Au fait, je précise qu'il faut payer maintenant pour faire publier une petite annonce dans ce journal. Étant donné que le Bugle est désormais la seule publication de la région, les tarifs des petites annonces sont maintenant le double de ce qu'ils étaient lorsque nous en étions propriétaires.
La présidente : Lorsque vous étiez propriétaires, on obtenait le Bugle au moyen d'un abonnement payant?
M. Henley : Oui.
La présidente : J'essaie de pousser un peu plus loin.
M. Henley : Oui.
La présidente : Vous avez dit vouloir que l'on vous pose des questions. J'essaie d'en poser. Je ne suis pas certaine de ce que j'avance, mais je crois comprendre que les journaux distribués gratuitement, tels que les journaux d'annonces publicitaires, ne peuvent pas facturer autant pour les annonces, parce qu'ils sont gratuits, alors qu'il y a des abonnements payants, cela signifie que les gens versent de l'argent pour lire le journal. Il y a une plus grande probabilité que l'annonce sera lue, et vous pouvez donc la vendre à prix plus élevé.
M. Henley : Effectivement.
La présidente : Prétendez-vous que l'écart entre les tarifs était supérieur à ce qu'il aurait normalement dû être entre ces deux situations?
M. Henley : Eh bien, il s'agit certainement d'un point de vue subjectif, mais oui, c'est bien ce que je prétends.
La présidente : Iriez-vous jusqu'à dire que vos concurrents avaient recours à des prix abusifs?
M. Henley : Eh bien...
La présidente : Dans une salle comme celle-ci, vous êtes protégé.
M. Henley : Oui, et c'est pourquoi j'ai parlé du Bureau de la concurrence. Nous avions songé les traîner devant ce bureau, mais lorsque nos avocats nous ont parlé des problèmes auxquels nous serions confrontés, nous avons décidé qu'il ne valait pas la peine de pousser en ce sens vu les taux de réussite, les coûts et le risque d'être pris dans les filets de procès multiples avec une entreprise qui pouvait se permettre des dépenses judiciaires que nous ne pouvions pas égaler.
La présidente : Vous vous êtes donc contentés de ne pas déposer de plainte?
M. Henley : Nous n'avons effectivement rien fait. Nous ne pouvions pas agir.
Le sénateur Munson : Donc, pour bien suivre le raisonnement, vous ne vous êtes pas adressés au Bureau de la concurrence. Qu'est-ce qui devrait changer pour que le Bureau de la concurrence soit efficace, qu'il puisse protéger des gens comme vous? Vous avez simplement été évincés du marché.
M. Henley : Oui, essentiellement.
Le sénateur Munson : On ne peut pas dire que les chances sont égales pour tous au Nouveau-Brunswick.
M. Henley : Nous avons bien vu qu'elles ne l'étaient pas.
Pour répondre à votre question, je suppose que nous voudrions que les responsables, au Bureau de la concurrence, fassent preuve d'une plus grande empathie à notre endroit et qu'ils aient un peu plus de poigne dans ce genre de situation.
Le sénateur Munson : Je reviendrai probablement là-dessus, mais à Halifax, en Nouvelle-Écosse, il semble y avoir assez de place pour deux journaux; dont l'un des deux est un tabloïde, mais il semble que cela soit également le cas à Saint John et à Moncton.
M. Henley : Oui.
Le sénateur Munson : Je n'arrive simplement pas à comprendre pourquoi il n'y a pas assez de place pour un autre journal dans cette province, appartenant à quelqu'un qui aurait du courage et beaucoup d'argent, pour livrer concurrence au monopole qui existe ici actuellement.
M. Henley : Je peux répondre à cela. Je songe à toutes les entreprises dans divers secteurs appartenant à la famille Irving. Lorsque nous avons lancé le Northside News, à Fredericton, nous avons constaté — vérité ou imagination, qui sait? — que nous étions parfois exclus de certaines ventes par des entreprises appartenant à Irving, parce que lorsque nous essayions de pénétrer ces marchés, la famille Irving semblait trouver que nous empiétions sur son territoire. En ce qui concernait les Irving, c'était des terres sacrées et ils ne voulaient surtout pas que nous les foulions du pied.
Le sénateur Munson : Par conséquent, si vous êtes propriétaire d'absolument tout dans la province, il vous est loisible de refuser d'acheter de la publicité à quiconque veut vous faire concurrence?
M. Henley : C'est exact.
Le sénateur Munson : Allez-y. Cela ne devrait ni me choquer ni m'étonner.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai longtemps vécu à Fredericton et j'avais l'impression que le Northside News était très populaire auprès des lecteurs, que c'était leur journal. Il était distribué gratuitement, n'est-ce pas?
M. Henley : Oui. Il était gratuit.
Le sénateur Trenholme Counsell : Encore une fois, c'est votre bilan qui a dû compter le plus, et nous comprenons tous cela.
M. Henley : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Y a-t-il eu d'autres pressions? Vous l'avez vendu et les nouveaux propriétaires l'ont ensuite supprimé?
M. Henley : C'est exact. Il a été supprimé, au grand chagrin de beaucoup d'habitants de la région septentrionale, parce que c'était un journal très populaire. Nous l'avions lancé parce qu'on annonçait la construction d'une nouvelle école secondaire dans cette région et nous trouvions qu'il y aurait une concurrence entre la zone nord et la zone sud. Comme vous le savez, la zone nord connaît une croissance très rapide et nous avons pensé qu'il y avait là un marché pour un journal qui, je le répète, s'intéresserait aux dossiers locaux. Presque tout dans ce journal portait sur ce qui se passait du côté de la rive nord et non du côté de la rive sud, exception faite de rares articles sur les activités parlementaires. Nous ne nous intéressions vraiment qu'à la rive nord. Lorsque nous avons vendu, on a supprimé le journal.
Le sénateur Trenholme Counsell : L'avez-vous vendu avec le Bugle, en une transaction unique?
M. Henley : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Compte tenu de la réaction de votre fille et de celle des gens de la région, j'imagine que, financièrement, il ne vous aurait pas été possible de garder uniquement ce journal?
M. Henley : Ç'aurait été impossible.
Le sénateur Trenholme Counsell : Où le feriez-vous imprimer? Où le faisiez-vous imprimer auparavant?
M. Henley : Nous l'imprimions nous-mêmes. Nous avions une imprimerie à Woodstock.
Le sénateur Trenholme Counsell : Qui, bien sûr, n'existe plus?
M. Henley : Elle a disparu. Je crois que notre presse se trouve actuellement au Pérou.
Le sénateur Trenholme Counsell : Y a-t-il un groupe de personnes ou un particulier de la région nord qui a tenté de créer une nouvelle publication, quand ce ne serait que quelque chose de semblable à ce qui existait ici auparavant, dans les petites villes?
M. Henley : Pas que je sache. Je crois que ce serait une entreprise impossible. Les choses étaient déjà très difficiles pour nous, et pourtant nous avions notre propre presse à imprimer. Quiconque essaierait de publier un journal sans avoir sa propre presse à imprimer trouverait la situation très dure.
La présidente : Du point de vue commercial, que s'est-il produit lorsque vous publiiez le Northside News? Que s'est-il produit concernant, par exemple, les ventes de publicité et la dynamique concurrentielle?
M. Henley : Eh bien, je peux vous parler d'un cas d'espèce dont j'ai pris connaissance lors d'une conversation avec l'une de nos vendeuses de publicité. Elle était rentrée au bureau un jour et m'avait dit : « J'ai presque failli vendre une pleine page de publicité à Canadian Tire ». Je ne me souviens plus des tarifs que nous pratiquions à l'époque.
La présidente : Une pleine page, c'est intéressant.
M. Henley : Effectivement. Elle a ajouté : « C'est le Daily Gleaner qui a fini par l'emporter ». En effet, même si ses tarifs officiels étaient d'environ 15 000 $, 16 000 $ ou 18 000 $, voyant qu'un marché allait être conclu avec le Northside News,le Daily Gleaner avait offert à Canadian Tire de publier son annonce pour 400 $, impression couleur comprise, ce qui était déjà incroyable. Ensuite, la semaine suivante, la vendeuse revient me voir et me dit : « Vous ne savez pas la meilleure! Si Canadian Tire republie son annonce, le Daily Gleaner est prêt à la publier pour 200 $ ». Cela est bien loin des tarifs officiels annoncés et je doute que ces aubaines auraient existé si nous n'avions pas été là.
La présidente : Est-ce que l'annonce a été publiée chez vous également?
M. Henley : Non.
La présidente : Avez-vous des raisons de croire que les annonceurs en puissance se sont plus ou moins fait dire que s'ils plaçaient de la publicité dans votre journal, ils ne pourraient pas annoncer dans le Gleaner?
M. Henley : Non, pas à ma connaissance.
La présidente : Quand avez-vous lancé le journal?
M. Henley : Nous avons publié ce journal pendant trois ans.
La présidente : L'avez-vous lancé vous-même?
M. Henley : Oui, c'est nous qui l'avons lancé.
La présidente : Avez-vous tiré des bénéfices de sa publication?
M. Henley : Jamais pour une année entière. Il y a eu certains mois où cela a été rentable, mais jamais toute une année.
La présidente : La tendance s'améliorait-elle?
M. Henley : Oui. Je crois que si nous avions pu durer un peu plus longtemps, elle se serait améliorée, parce que les gens commençaient à s'y habituer. D'après mon expérience, lorsqu'on lance un journal, les gens ont malheureusement tendance à dire : « Bon, très bien, nous verrons bien ce que vous ferez ». Très souvent, pendant qu'ils attendent de voir comment vous vous débrouillez, vous faites faillite. Toutefois, nous avions une presse et nous avions l'avantage d'avoir d'autres journaux communautaires pour soutenir celui-ci. Nous nous sommes accrochés et cela s'améliorait tous les ans.
La présidente : Votre presse était à Woodstock?
M. Henley : Oui.
La présidente : C'était une vieille presse?
M. Henley : Nous avons eu un incident qui a tout détruit en octobre 1984 et nous avons commandé une nouvelle presse à ce moment-là.
La présidente : Une presse toute neuve ou d'occasion?
M. Henley : C'était une presse toute neuve à l'époque. La presse à imprimer, l'immeuble dans lequel nous étions et pratiquement tout le reste dataient d'après 1984.
La présidente : Pour une presse, ce n'est pas très vieux.
M. Henley : Non.
La présidente : C'était une presse offset?
M. Henley : C'était une presse offset à bobines, oui.
La présidente : Vous croyez qu'elle est au Pérou, maintenant?
M. Henley : C'est ce que j'ai entendu dire.
La présidente : En tout cas, elle est ailleurs.
M. Henley : Elle est ailleurs.
La présidente : Elle n'est plus à Woodstock.
M. Henley : Elle est bien loin du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Vous aviez quatre journaux. Les deux journaux que vous aviez dans le Maine ont-ils fait partie du même marché?
M. Henley : Non. J'aurais bien aimé qu'ils en fassent partie, parce qu'évidemment, après avoir vendu, nous n'avions plus de presse pour les imprimer et nous avons dû nous adresser ailleurs. Ultérieurement, nous avons dû mettre fin au tout petit journal que nous publiions à Fort Fairfield, à deux pas de la frontière. Nous avons toujours un journal à Millinocket, dans le Maine, ville connue pour ses papeteries.
La présidente : Vous avez toujours ce journal?
M. Henley : Oui, nous l'avons toujours.
La présidente : Vous avez vendu quatre journaux au Nouveau-Brunswick et une imprimerie?
M. Henley : C'est exact.
La présidente : Deux des journaux ont été supprimés?
M. Henley : En fait, l'un d'eux a été supprimé, l'autre a été fusionné à un troisième journal.
La présidente : L'un a été supprimé, l'autre a fusionné, et les deux autres sont encore là? Pardon, je ne comprends pas.
M. Henley : Oui, l'un des deux autres a été renommé, et je ne l'ai pas vu, mais je crois comprendre que l'autre, celui de Grand-Sault, a ensuite été transformé en journal entièrement français parce que le premier, celui qui avait changé de nom, ciblait plus particulièrement la population anglophone de Grand-Sault.
La présidente : Je crois que vous avez dit qu'une masse salariale d'un demi-million de dollars a été retirée à Woodstock?
M. Henley : Oui, plus ou moins.
La présidente : Il s'agissait des travailleurs de l'imprimerie?
M. Henley : C'était tout le monde : le personnel chargé de la production, des ventes, de l'administration, de toutes nos opérations.
La présidente : Tout cela se fait centralement, maintenant?
M. Henley : Oui.
La présidente : Qu'y a-t-il à Woodstock actuellement? Deux ou trois journalistes?
M. Henley : Notre immeuble a été vendu et il était assez grand pour loger tous ceux dont on avait besoin. Je crois comprendre que l'on ne se sert plus du tout du sous-sol. C'est un immeuble de 60 pieds sur 60. Bien sûr, comme vous le savez, les méthodes techniques de production des journaux ont évolué. Maintenant, tout se fait par ordinateur et, lorsque vous entrez dans les bureaux d'un journal, vous pouvez avoir l'impression d'être dans le bureau d'une compagnie d'assurances.
La présidente : Toutefois, d'après ce que vous en savez, ils doivent avoir quelques journalistes à Woodstock.
M. Henley : Oui, ils en ont. Ils ont des journalistes et ils ont quelques personnes chargées de la production. C'est là que l'on prépare les annonces publicitaires. C'est là également que se fait la composition des pages, avant de les envoyer à leur destination.
La présidente : Ensuite, tout cela est expédié à l'imprimerie centrale, qui réexpédie les journaux ultérieurement?
M. Henley : Oui, c'est exact.
La présidente : À votre connaissance, à Woodstock, ils n'ont pas mis à pied le personnel chargé de la collecte de nouvelles?
M. Henley : Non, ils ont toujours le même effectif.
La présidente : Pourquoi avez-vous vendu à Irving?
M. Henley : C'est une question intéressante, mais il est également facile d'y répondre. Lorsque les Irving ont établi le premier contact, j'ai naturellement pensé : « Oui, qui d'autre qu'eux pourrait faire cela? » Je suis entré en communication avec quelques entreprises du Canada, et elles n'ont manifesté absolument aucun intérêt. Je crois, et cela est strictement le fruit de mes propres réflexions, que ces entreprises se sont dit : « Si nous allons au Nouveau- Brunswick pour essayer d'y publier des journaux et si nous essayons de vendre de la publicité aux nombreuses entreprises relevant des Irving, nous allons finir par tout perdre ».
La présidente : Puis-je vous demander si l'une des sociétés avec lesquelles vous avez communiqué était Transcontinental?
M. Henley : Oui, c'était l'une d'elles.
La présidente : Et ils n'ont pas mordu?
M. Henley : Non, ils n'étaient pas du tout intéressés.
La présidente : Parce qu'ils ont beaucoup investi ces dernières années dans les provinces de l'Atlantique.
M. Henley : C'est ce qui m'a surpris, mais à l'époque, ils n'étaient pas intéressés.
La présidente : La vente a été conclue en novembre 2002?
M. Henley : Oui.
La présidente : Irving était votre seul client?
M. Henley : Oui.
La présidente : Vous estimiez qu'ils s'étaient conduits de façon à réduire le prix qu'ils auraient à payer pour acquérir vos entreprises?
M. Henley : C'est exact.
La présidente : Avez-vous des documents?
M. Henley : À quel sujet?
La présidente : Je ne veux pas dire des documents sur une quelconque conspiration, mais des choses telles que les barèmes des tarifs de publicité, des contrats publicitaires ou quoi que ce soit de ce genre.
M. Henley : De l'époque?
La présidente : Oui.
M. Henley : Peut-être que oui. Ma femme me dit constamment de jeter ces vieilles choses. J'essaie de les amasser, mais elle a plus de succès que moi.
La présidente : Je crois que, dans toutes les familles, il y a une personne qui amasse et une autre qui jette.
M. Henley : Je crois avoir quelques cartes indiquant les tarifs de publicité.
La présidente : Nous vous saurions gré de nous faire parvenir tout ce que vous avez et qui pourrait concerner les choses dont nous avons discuté.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Henley, en faisant abstraction de votre propre expérience, et sachant qu'il existe maintenant des presses modernes extrêmement coûteuses, croyez-vous qu'il est possible pour le monde du journalisme ou le monde des journaux communautaires de songer à fonctionner comme on fonctionnait dans le passé? Nous parlons dans ce cas-ci d'une très petite province. Cela ne se compare pas à l'Alberta, l'Ontario ou la Colombie- Britannique. Dans une province comme la nôtre, où l'on ne peut imprimer que si peu d'exemplaires, est-il possible de continuer?
M. Henley : Il est évident que cela devient de plus en plus difficile. Tous les ans, la situation devient de plus en plus difficile pour l'ensemble du secteur de l'imprimé, parce qu'Internet est désormais si puissant et, comme vous le savez probablement, le tirage de tous les quotidiens va généralement en diminuant. Il est très dur maintenant d'œuvrer dans ce secteur et plus particulièrement d'essayer de lancer une nouvelle publication.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne suis certainement pas ici pour défendre les intérêts commerciaux de qui que ce soit, mais pourra-t-on jamais dire qu'au Nouveau-Brunswick nous avons de la veine d'avoir une famille qui soit prête à soutenir tous ces journaux? Je sais bien que vous dites que nous sommes passés de quatre journaux communautaires à deux dans votre région. Je me suis cependant demandé si nous n'avions pas de la chance d'être dans une situation commerciale où nous pouvons continuer à avoir tous ces petits journaux, compte tenu de notre faiblesse démographique.
M. Henley : De façon générale, les Irving ont été un bienfait pour le Nouveau-Brunswick. Ils ont créé beaucoup d'emplois ici. Dieu merci, ils ont considérablement fait prospérer l'économie.
La présidente : Il s'agit des journaux.
M. Henley : J'allais justement dire qu'ils n'ont pas lancé un nouveau journal, de A à Z, pour autant que je sache et rien de nouveau n'a donc été ajouté. Par conséquent, que ces journaux appartiennent aux Irvings ou à d'autres entrepreneurs privés, ça ne change pas le nombre de journaux qui existent dans la province.
Le sénateur Trenholme Counsell : Peut-être que oui ou peut-être que non car n'oubliez pas qu'il n'y a que 500 000 anglophones. Ils sont très peu nombreux.
M. Henley : C'est vrai.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pour cette population, il y a trois ou quatre quotidiens et, bien sûr, pour un tiers de la population il y a un autre quotidien. Si vous comparez la population du Nouveau-Brunswick à celle du reste du pays, elle a quand même beaucoup de journaux.
M. Henley : Dieu merci. Il n'empêche qu'à certains endroits aux États-Unis, il y a des journaux qui réussissent très bien avec un tirage d'à peine 1 200. Je ne sais pas comment ils font, mais je sais qu'il en existe plusieurs.
La présidente : Quel était le tirage de vos journaux et la tendance au moment où vous les avez vendus?
M. Henley : Le tirage de tous nos journaux était plus ou moins stable. Le tirage du Bugle était d'environ 5 800, je crois.
La présidente : C'était votre plus grand journal?
M. Henley : Oui. Le tirage du journal de Perth-Andoverétait d'environ de 2 400 et celui du Cataracte, à Grand- Sault,de 3 300, je crois.
La présidente : Et vous aviez de nouvelles presses.
M. Henley : Oui.
La présidente : Je présume que c'était des presses d'imprimerie modernes?
M. Henley : Très modernes. Nous avions probablement l'imprimerie la plus moderne de tous les hebdomadaires communautaires du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Oui, et je présume qu'elles avaient été payées en partie par l'assurance? Après avoir tout perdu, vous avez reçu de l'argent de la compagnie d'assurance.
M. Henley : Oui.
La présidente : Est-ce que cela a été suffisant ou avez-vous dû vous endetter lourdement?
M. Henley : Oh non, nous avons connu des difficultés avec la banque après l'incendie.
La présidente : Mais dès 2002, vous aviez remboursé votre dette, n'est-ce pas?
M. Henley : Oui. En fait, nous avions encore une dette car il faut toujours acheter de l'équipement.
La présidente : Oui, mais il ne s'agissait pas du cas classique de celui qui doit vendre à rabais après un incendie.
M. Henley : Oh non, pas du tout.
Le sénateur Munson : Nous entendrons un représentant de Brunswick News demain. Nous avons beaucoup entendu parler de Brunswick News ce matin et cet après-midi, et je suis certain que son représentant nous donnera sa version des faits.
M. Henley : Certainement.
Le sénateur Munson : Ayant moi-même été journaliste pendant plus de 30 ans, j'estime que ce que vous nous avez raconté témoigne de l'état lamentable de la liberté de parole au Nouveau-Brunswick. Il semble que ce ne soit pas la loi du plus fort qui s'applique, mais bien la loi du plus riche.
M. Henley : Ce qui m'inquiète, c'est qu'une seule société soit propriétaire et contrôle tant de secteurs commerciaux en plus de la presse.
La présidente : Y a-t-il des questions auxquelles vous vous attendiez à répondre ou que nous aurions dû vous poser et que nous n'avons pas posées?
M. Henley : Non. Étant donné l'entente que j'ai signée au moment de la vente, j'appréhendais mon témoignage car je craignais de vous donner des réponses que cette entente ne me permettait pas de faire, mais, non, je ne m'attendais pas à quelque question particulière que ce soit. Mais quand j'y pense, je me dis que ma situation empirera.
La présidente : Non, non. Nous vous sommes très reconnaissants. Bien sûr, quand le représentant de Brunswick News sera présent, nous lui demanderons de commenter vos remarques et celles d'autres témoins. Toutefois, il est très important et dans l'intérêt public que ceux qui ont quelque chose à dire puissent le faire.
M. Henley : Puis-je ajouter une chose?
La présidente : Oui.
M. Henley : Pendant toute cette affaire, j'ai parlé à des éditeurs de journaux, surtout au Nouveau-Brunswick, qui craignaient de se prononcer sur la concentration des médias de crainte de compromettre leur position de négociation dans d'éventuels pourparlers avec l'un de ces géants. De même, je me suis entretenu avec des politiciens dont j'espérais qu'ils m'appuient publiquement, mais certains ont dit craindre pour leur carrière et cela m'a déçu.
La présidente : Je comprends. Merci beaucoup monsieur Henley.
M. Henley : Il n'y a pas de quoi, merci à vous.
La présidente : Le moins que l'on puisse dire, c'est que votre témoignage a été intéressant.
Chers collègues, nous accueillons maintenant M. Jack McAndrew, de l'Île-du-Prince-Édouard. Il a été journaliste pendant longtemps.
M. Jack McAndrew, à titre personnel : Puis-je vous raconter une anecdote sur M. Henley?
La présidente : Certainement.
M. McAndrew : À une certaine époque, M. Henley et moi travaillions tous les deux à la CBC, à Halifax. Il était alors gestionnaire de service, ce qui signifie qu'il gérait les budgets des divers programmes. À l'occasion d'un de mes départs de la CBC, devant un verre de jus de tomate, un vendredi après-midi, je me suis tourné vers M. Henley pour lui dire : « Pourriez-vous me donner mon dernier chèque de paie, je ne l'ai pas encore eu? ». M. Henley est disparu et revenu environ une demi-heure plus tard pour me dire qu'on refusait de me donner mon chèque de paie. Je lui ai demandé pourquoi. Après tout, c'était mon argent, je l'avais gagné. Il m'a répondu : « Cela a à voir avec une demande de remboursement de frais de déplacement. » Je lui ai répondu que je ne devais pas d'argent pour des dépenses de voyage. Il m'a alors dit qu'il s'agissait d'une paire de souliers de course. « Des souliers de course? », lui ai-je dit. Je me suis alors rappelé que deux ans plus tôt, j'avais tourné un reportage sur un voilier de 35 pieds qui avait navigué jusqu'à Gloucester, au Massachusetts, et que j'avais pour l'occasion acheté une paire de chaussures de yachting. Deux ans plus tard, la CBC exigeait le retour de ces chaussures avant de me donner mon dernier chèque de paie. J'ai alors retenu des propos inappropriés et M. Henley est reparti pour revenir, une demi-heure plus tard, avec mon chèque de paie. Depuis lors, il a toute mon estime.
La présidente : Avez-vous encore ces chaussures de yachting?
M. McAndrew : Non, je n'ai plus ces chaussures-là. Je me demande encore ce que la CBC comptait faire avec ces chaussures usagées, mais, ça, c'est une autre paire de manches.
J'habite à l'Île-du-Prince-Édouard et j'ai commencé ma carrière de journaliste à 15 ans; j'étais journaliste sportif au Guardian. J'ai maintenant 73 ans et je pratique encore le journalisme. Le journalisme, pour ceux qui s'y adonnent, est un peu comme une drogue et, pour ma part, je n'ai pas encore réussi le sevrage. Je me fais aussi le critique du journalisme contemporain et des tendances troublantes qui contribuent à éroder la qualité du journalisme que nous lisons, entendons et voyons. J'ai décidé de traiter de la qualité du journalisme dans mes remarques.
À une certaine époque, les journalistes étaient perçus un peu comme les prêtres séculiers des saints ordres de la nouvelle, les chercheurs et les découvreurs de la vérité; à cette époque, bon nombre d'entre eux ont mérité le respect de notre société, ont été élevés au rang de monument. C'était une époque où le journalisme était davantage une vocation qu'un choix de carrière. Cette ère est révolue. Les journalistes sont maintenant considérés par certains membres du public comme ce qu'il y a de plus bas, avec les avocats et les politiciens. Je crains que, en journalisme, on ne se préoccupe trop de ce qui est négligeable et sans importance, qu'on se préoccupe plus de la quantité que de la qualité à un point tel que il est souvent difficile de faire la distinction entre le journalisme et le divertissement. J'en veux pour preuve l'émission humoristique This Hour has 22 Minutes, qui présente les nouvelles de la semaine à partir d'une approche journalistique plus rigoureuse que bien des émissions censées suivre les principes fondamentaux du journalisme.
Ce n'est pas nécessairement la faute des journalistes. C'est plutôt attribuable aux valeurs des propriétaires et exploitants des stations de radio, des stations de télévision, des journaux et des magazines et qui n'ont rien à voir avec la doctrine du bon journalisme mais tout à voir avec la libre entreprise. Ce sont eux qui, au fil des ans, ont réduit au plus petit dénominateur commun le contenu des bulletins de nouvelles et des pages d'information pour attirer des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs et, du coup, des profits, et qui ont réduit le personnel des salles de nouvelles, nécessaire à la production d'un journalisme de qualité, encore une fois dans leur recherche constante des profits.
Lorsque je parle de journalisme de qualité, je pense à des articles bien documentés et qui ont une idée claire de ce dont ils parlent, des articles qui demandent le pourquoi des choses, la plus importante des cinq grandes questions qu'il faut poser, au lieu de faire ce que j'appelle du « journalisme sténographique » qui se contente de répéter ce que tout le monde dit et de le diffuser abondamment sur les ondes ou dans un journal.
Pourquoi ce journalisme sténographique? Pourquoi ces articles, ces reportages, sont-ils si mal documentés? Pourquoi les textes sont-ils peu clairs, ambigus et souvent contraires à la grammaire? Parce qu'il est facile et rapide aussi de penser en termes vagues. Or, un journaliste qui est vague frise souvent l'ambiguïté, l'antithèse d'un bon journalisme. Le bon journalisme est marqué au point de la clarté et de la logique.
Cette école de journalisme qui se caractérise par la pensée vague a commencé lorsque les comptables ont remplacé les journalistes dans les bureaux de direction et ont commencé à prêcher l'évangile de la convergence. Soucieux d'augmenter sans cesse les bénéfices, les grands conglomérats ont licencié les pigistes et réduit leur personnel. À Radio- Canada, la compression des budgets a forcément produit les mêmes résultats. Avec moins de journalistes et plus de travail, la qualité du journalisme auCanada a diminué. C'est normal. Au Guardian, les rédacteurs rentrent chez eux à 17 heures. De sorte qu'au moment de la composition, il n'y a plus personne pour vérifier et corriger le contenu de ce que le lecteur lira le lendemain matin. À la radio de Radio-Canada, là où jadis les normes du journalismede qualité étaient un modèle dont tout le monde pouvait s'inspirer, les salles des nouvelles ont été remplacées par un seul directeur de rédaction qui est à la fois le rédacteur et le présentateur des nouvelles en ondes, et qui crache toute la journée à chaque demi-heure ces petits bulletins de cinq minutes. Dans les stations de radio privées de Charlottetown, à l'Île-du- Prince-Édouard, tout le monde est sous le même toit, toutes les stations appartiennent à la même compagnie dont le siège est dans une autre province, il n'y a qu'une salle des nouvelles où trois personnes essaient de parler de tout ce qui intéresse la collectivité dans des bulletins de nouvelles de 90 secondes qui passent toutes les heures. Le terme « vidéojournaliste » a été inventé pour décrire ces pauvres bougres qui filment, écrivent le texte du reportage, font le montage de la bande vidéo puis enregistrent leur texte, quatre fonctions très différentes qui n'en font plus qu'une : une sensibilité, un seul esprit, une seule perception, mais personne pour dire : « Un instant, vérifions un peu cela. »
Les progrès de la technologie électronique ont été à la fois une malédiction et une bénédiction pour le métier, une bénédiction parce que le Web est le meilleur outil de recherche qui soit, mais une malédiction parce que le plus récent phénomène, les blogues, ont créé un nouvel univers de recherches boiteuses et de textes encore plus mauvais.
La fragmentation des lecteurs, des téléspectateurs et des auditeurs a son propre effet. La concurrence est acharnée, ce qui pousse encore plus les médias conventionnels à aller chercher des téléspectateurs et des auditeurs et des lecteurs en baissant encore plus la barre dans la fange et le miroir aux alouettes des bas instincts, se complaisant dans un monde où le journalisme s'intéresse à ce qui est célèbre et défie toute logique. Nous vivons dans un monde postmoderne où la pensée logique et rationnelle n'a plus la cote dans certains segments de la société, en particulier ceux dont les membres sont arrivés à l'âge adulte en même temps que l'ordinateur. Nous sommes interpellés par une culture planétaire qui repose de plus en plus sur des croyances, un monde dans lequel l'analyse et le discours lucide sont noyés par la ferveur de la rhétorique religieuse et politique. La vérité insaisissable et les valeurs sociales que les journalistes recherchent parce que ce sont les raisons d'être du métier sont balayées du revers de la main sous prétexte qu'elles n'ont pas d'importance, qu'elles sont des mythes d'une époque révolue.
Pour les gens de ma génération, le remplacement de la substance et de l'analyse rationnelle par les jugements subjectifs et les croyances nées des émotions est la porte ouverte au chaos. Dans ce monde postmoderne, il n'y a plus de normes immuables. La grammaire est ce qu'on veut bien en faire, le sens également. La qualité n'est plus que ce qu'on veut qu'elle soit. Il n'y a plus de normes de bon jugement. Beethoven et les rappeurs sont sur le même pied. Le feuilleton Beautés désespérées est l'équivalent moderne de Hamlet.
Sénateurs, j'ignore comment les parlements, comment les assemblées législatives pourraient réussir à réglementer la qualité. Les grandes tendances sont trop profondément ancrées. Lorsqu'on ne considère plus l'actualité et l'information que comme un « produit », un produit à fabriquer au meilleur prix possible, lorsque la quantité l'emporte sur la qualité, lorsqu'on préfère ce qui est vague à ce qui est clair, les valeurs sous-jacentes de la qualité ont été bradées sur le marché et reléguées au rang de simples valeurs industrielles. Tout comme la passion qui est l'âme de tout bon journaliste, et il n'y a que la passion qui puisse être génératrice de qualité et, à l'occasion aussi, de vérité.
Voilà qui conclut, madame la présidente; je voulais me vider le cœur aujourd'hui.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous vous avons tous écouté avec beaucoup d'intérêt. On se demandera peut-être pourquoi j'ai changé de camp aujourd'hui et j'espère qu'on ne pensera pas que cela a une quelconque signification.
La présidente : Il faudrait que je vous explique cela.
Le sénateur Trenholme Counsell : Assurément.
La présidente : Le sénateur Eyton, qui était des nôtres ce matin, a dû nous quitter, de sorte que pour éparpiller un peu les gens de manière à ne pas laisser un côté de la table vide, nous avons légèrement réarrangé l'agencement de la table.
Le sénateur Munson : Un à gauche et un à droite.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je trouve cela plutôt amusant. J'ignore où sont les autres, mais ils semblent accorder moins d'attention que nous à ce que nous faisons ici aujourd'hui. Il fallait que je le dise, n'est-ce pas?
Monsieur, vos propos m'ont attristée. Vous êtes de l'Île-du-Prince-Édouard?
M. McAndrew : Je suis né à Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, ma mère était de Campbellton et mon père de Saint John.
Le sénateur Trenholme Counsell : Peut-être, mais je voulais savoir si vous avez fait l'essentiel de votre carrière de journaliste ici à l'Île-du-Prince-Édouard?
M. McAndrew : Et aussi à Toronto.
Le sénateur Trenholme Counsell : Mais maintenant, vous vivez dans l'île, n'est-ce pas?
M. McAndrew : En effet.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ce que vous nous avez dit aujourd'hui vaut-il également pour le Guardian et la qualité des articles qu'on peut lire dans ce journal?
M. McAndrew : Tout à fait. C'est la même chose partout. Je sais que ce que je vous ai dit n'entrait guère dans les détails, mais j'ai préféré ne pas aller jusque là.
Nous vivons je crois dans une société postmoderne. Parmi les journalistes, il y en a plusieurs qui, comme moi, ont vécu à un moment où l'apprentissage était linéaire. Nous lisions des livres. Nous n'avions pas la télévision. Il y avait la radio, oui, mais elle en était à ses premiers balbutiements. Cet état de choses pousse à apprendre d'une certaine façon. Cela pousse à apprendre les techniques de l'analyse rationnelle, cela vous apprend que les choses se produisent pour une certaine raison et que la cause de toute chose, c'est précisément là où le « pourquoi » entre en jeu en journalisme. Ce qui me préoccupe, c'est que souvent ce que j'appelle le journalisme sténographique est associé à la notion de célébrité. En présence de quelqu'un qu'on considère comme un personnage célèbre, le journaliste sort son micro et se contente de relater ce qui a été dit, même si cela ne comporte peut-être pas la moindre trace de vérité. Voilà à quoi se bornent les reportages étant donné les échéances et le fait qu'il faut sortir le produit; au quotidien, on attend trop du journaliste. Il n'a pas le temps de réfléchir à tête reposée, de faire entendre l'histoire à quelqu'un d'autre, s'il s'agit d'un reportage à la radio, ou de faire vérifier son article par son directeur de rédaction pour voir s'il a bien du sens. Toutes ces forces, c'est mon impression, sont conjuguées avec pour résultat d'abaisser la qualité de ce que nous voyons et de ce que nous entendons, ce qui fait aussi que nous n'allons pratiquement plus jamais jusqu'au « pourquoi » des choses. Et si nous n'allons pas jusqu'au « pourquoi » des choses, pourquoi au bout du compte ne pas remplacer les journalistes par des ordinateurs?
Le sénateur Trenholme Counsell : Si vous parlez des clips d'actualité de 90 secondes, que je n'écoute pratiquement jamais parce que je syntonise plutôt une autre station de radio, cela pourrait effectivement être le cas. Or, lorsque j'écoute la radio, j'essaie de faire l'adéquation avec ce que j'ai lu dans les journaux, je lis deux journaux nationaux et souvent trois journaux provinciaux à peu près chaque jour, je lis une partie de leurs articles. Il me semble que même si vous nous avez dit que le journalisme faisait fi de la logique et ne s'intéressait plus aux gens célèbres, il est certain qu'à l'heure actuelle à Moncton, on peut lire beaucoup de choses sur l'art de lire, beaucoup de choses au sujet de Northrop Frye, beaucoup de choses sur les auteurs du monde entier.
M. McAndrew : En effet.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est certain que nous avons lu énormément au sujet de l'Église catholique romaine, du choix d'un nouveau pape et on trouve également dans les journaux beaucoup plus que notre part d'actualité politique nationale et provinciale. C'est votre avis que vous nous donnez.
M. McAndrew : Précisément.
Le sénateur Trenholme Counsell : ... mais que répondez-vous à ce dont je viens juste de parler ainsi qu'aux reportages quand même relativement nourris qu'on peut lire dans les journaux à ce sujet
M. McAndrew : Pensez simplement à la raison pour laquelle ces reportages sont aussi abondants. C'est simplement parce qu'un journal ou une station de radio pense pouvoir vendre davantage de journaux ou avoir davantage d'auditeurs en faisant ainsi de la surenchère. C'est très subjectif, sur le plan journalistique, de déterminer l'importance qu'il faut accorder à telle ou telle histoire. Ce que je veux vous dire, c'est que ces jugements sont teintés par ce que veut le lecteur. Le lecteur veut-il vraiment qu'on lui serine chaque jour les moindres détails du procès de Michael Jackson? Mon jugement suggestif me ferait dire non, mais si on leur donne tous ces détails, ils vont les accepter parce que c'est un processus qui a commencé il y a très longtemps. Si vous regardez la télévision en début de soirée, vous savez qu'il y a une myriade d'émissions qui se veulent à caractère journalistique. Chacune de ces émissions fait intervenir un personnage connu à qui on demande simplement d'être connu et de débiter quelques mots. Ces propos sont alors repris à la radio ou à la télévision ou encore dans les journaux sans que qui que ce soit ait pris la peine de fouiller un peu pour déterminer leur véracité ou encore s'il y aurait vraiment lieu de les publier ou de les diffuser si la personne en question n'était pas célèbre. C'est cela le critère. Il y a un point d'équilibre, et à mon avis, nous penchons trop de l'autre côté.
Je suis professeur auxiliaire au King's College, une école de journalisme, ce qui me permet quelques fois par an d'être en contact avec de jeunes étudiants. Je pense qu'on a déjà dû le dire, mais la grammaire anglaise avec laquelle j'ai grandi est quotidiennement écorchée par les nouvelles étant donné que dans quasiment tous les bulletins, il y a quelque chose qui vous fait hurler. J'imagine que cela est dû au système d'enseignement.
La présidente : C'est vrai. On n'enseigne pas la grammaire et on n'enseigne pas non plus les tables de multiplication. Il y a beaucoup de choses qu'on ne semble plus enseigner de nous jours.
Le sénateur Munson : Bonjour Jack. Vous semblez vouloir nous dire que nous avons atteint le point de non-retour, mais ya-t-il quoi que ce soit que nous puissions faire malgré tout?
M. McAndrew : Écoutez Jim, lorsque je dis que nous avons atteint le point de non-retour, j'ai un peu de mal à visualiser le genre de pression qu'on pourrait exercer pour relever le niveau du journalisme. C'est un jugement subjectif que je porte en disant cela. Mais c'est également le jugement de beaucoup d'autres gens que je respecte. Lorsque tout ce qui retient l'attention, c'est un conseil d'administration et l'évolution de l'action d'une compagnie, et le fait qu'elle a produit un meilleur dividende que la dernière fois, j'ignore comment on pourrait contrer ce genre de choses. L'actualité, tout comme la politique, c'est quelque chose de local. C'est là que tout commence. Vous le savez aussi bien que moi. Il y a toujours un intérêt local pour quelqu'un. Comment contraindre les gens à avoir suffisamment de personnel? Savez-vous ce que font les stations de radio? Toutes les émissions arrivent par satellite. Si on téléphone à une station de radio après l'heure du midi, il n'y a plus personne pour répondre parce que tout ce qu'elle diffuse a été préenregistré, et cela vaut surtout pour les émissions de soirée. De nos jours, il coûte moins cher d'importer. Depuis que Transcontinental a acheté le Guardian et The Journal-Pioneer, c'est un hebdomadaire, The Eastern Graphic, dans lequel je publie une chronique, qui est devenu la seule publication indépendante à l'Île-du-Prince-Édouard. Les deux villes sont distantes de 75 kilomètres, mais pourtant le Guardian reproduit ce qu'a publié The Journal-Pioneer et The Journal-Pioneer reproduit ce qu'a publié le Guardian. Cela veut dire pour moi qu'ils ont pu éliminer au moins un ou deux postes de journaliste. S'il y a moins de reporters dans la collectivité, cela veut dire que les reportages sont également moins complets. J'ignore comment remédier à cela.
Le sénateur Munson : Et les stations de radio privées? Vous en avez parlé. Il fut un temps où, même ici au Parlement, il y avait six réseaux privés qui se faisaient concurrence, mais tout cela n'existe plus. J'en étais, et à l'époque, lorsqu'il y avait ce genre de concurrence, c'était excellent parce qu'on voulait toujours faire mieux que l'autre et si l'autre faisait mieux que vous, vous vous sentiez un peu déprimé. Cela dit, les gens des stations de radio dans les petites villes s'intéressaient jadis aux réunions du conseil municipal et aux personnalités politiques locales, mais il me semble bien que cela non plus n'existe plus.
M. McAndrew : Effectivement, parce que c'est impossible de faire ce genre de choses si vous n'avez que trois personnes qui travaillent à la salle des nouvelles sept jours sur sept.
Le sénateur Munson : Le problème est que jadis, il y avait des règlements. Mais le CRTC les a assouplis parce que les propriétaires perdaient leur chemise; il y a également eu le passage à la modulation de fréquences. Nous en sommes maintenant revenu au point où, me semble-t-il, les stations de radio du Nouveau-Brunswick sont à nouveau rentables, parce que si elles ne l'étaient pas elles n'existeraient plus. Ne faudrait-il pas à nouveau réglementer pour obliger les stations de radio privées à couvrir l'actualité?
M. McAndrew : Il y avait jadis trois stations de radio à l'Île-du-Prince-Édouard. Chacune avait sa propre salle de nouvelles, de sorte qu'il y avait somme toute trois perspectives différentes. Mais maintenant, c'est le même propriétaire qui contrôle toutes les stations de radio de l'île. Non seulement les deux quotidiens appartiennent-ils à Transcontinental, les stations de radio appartiennent elles aussi à une seule et même personne, et c'est la même salle de nouvelles qui dessert à peu près intégralement les quatre stations. J'ignore ce qu'on pourrait faire mais oui, j'imagine qu'en théorie, il devrait être possible de les obliger à offrir un certain niveau de service local.
Il faut que je vous dise aussi que, à un moment donné, je faisais une tribune libre à la radio, et cela avait été d'ailleurs une première à l'Île-du-Prince-Édouard, c'était à la station CFI, et mes cotes d'écoute étaient incroyables parce que les lignes de téléphone partagées venaient d'être supprimées et mon émission était un peu comme une ligne téléphonique commune. Mais une année donnée, les cotes d'écoute ont décroché un peu, et des experts sont venus de Halifax, ils ont supprimé les nécrologies et m'ont mis à la porte. Cela avait provoqué une telle levée de boucliers qu'ils ont fini par rétablir les bulletins nécrologiques, sans pour autant me réengager, ce qui avait été toute une leçon d'humilité pour moi. On m'avait remplacé par une heure de musique préenregistrée en remplacement d'une heure consacrée chaque matin à l'actualité locale, et cette tendance n'a pas arrêté depuis.
Le sénateur Munson : Si on se met à raconter des histoires,je vais vous dire moi pourquoi je suis passé à la télévision :en 1971, je travaillais pour la station de radio CFOX à Montréal. J'y suis resté six mois. Avant cela, j'avais passé cinq ans dans les Maritimes et j'arrivais enfin à la notoriété. Puis Gordon Sinclair fils m'a convoqué. C'était le propriétaire de la station qui occupait la cinquième place sur le marché de Montréal, un marché de quatre stations. Il m'a remplacé par de la musique en conserve. Je me suis senti assez humilié, merci. Cela coûtait 11 000 $ — l'équivalent de mon salaire — et cela m'a donc contraint de repartir à zéro ailleurs. Peut-être aurais-je dû moi aussi voir les choses venir.
M. McAndrew : Je le constate tous les jours en voyant à quel point ce que je lis dans les journaux locaux est superficiel. Lorsque Neil Reynolds dirigeait le Telegraph-Journal, c'est un peu comme si le soleil s'était tout d'un coup levé. Lorsque j'étais à l'Île-du-Prince-Édouard, j'avais coutume d'acheter le Telegraph-Journal chaque jour parce Reynolds avait insufflé à ses journalistes et à ses chroniqueurs un esprit entièrement nouveau. Jackie Webster était là à l'époque, ainsi que M. Pichette, Dalton Camp et bien d'autres aussi, mais il y a plus encore : les articles étaient longs, ils étaient bien documentés et ils allaient au fond des choses. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Quelqu'un est arrivé, a mis tout le monde à la porte et le Telegraph-Journal est devenu un de ces quotidiens dont on pourrait bien se passer.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup, Jack.
La présidente : Vous êtes une inspiration pour l'anticonformiste que je suis.
M. McAndrew : Je sais, c'est une habitude que j'ai.
La présidente : Je ne conteste pas ce que vous dites lorsque vous craignez l'impact des salles de presse fermées, de la diminution du nombre de journalistes et que sais-je encore, mais j'ai quand même sursauté lorsque je vous ai entendu dire :
À une certaine époque, les journalistes étaient perçus un peu comme les prêtres séculiers des saints ordres de la nouvelle, les chercheurs et les découvreurs de la vérité.
Cela m'a fait penser à ce ver de mirliton dont vous vous souvenez probablement aussi : « En Grande-Bretagne Dieu merci, les journalistes sont incorruptibles, mais quand on voit ce qu'ils font, pourquoi voudrait-on les corrompre? »
M. McAndrew : Hou là là.
La présidente : Cela ne date pas d'hier.
M. McAndrew : J'ai peut-être légèrement exagéré l'argument, mais légèrement seulement. Pour moi, Edward R. Murrow est l'exemple classique à cause de l'inspiration qu'il a été et de la façon dont la salle des nouvelles de CBS était dirigée à l'époque. Il ne se contentait pas seulement de produire de l'actualité. Au contraire, ce service de la CBS coûtait alors beaucoup d'argent. Mais le déclin a commencé lorsque l'actualité est devenue un produit qu'il fallait vendre au public comme tout le reste.
La présidente : Pour faire des bénéfices.
M. McAndrew : Vous savez que pendant des années à Radio-Canada, l'idée de passer des publicités pendant les actualités était considérée comme un anathème. C'était impensable. Eh bien, tout d'un coup, on a commencé à le faire, et petit à petit les choses se sont dégradées. J'étais ici même aujourd'hui lorsqu'une fausse nouvelle a surgi. Les types sont venus prendre des photos, mais en fait il ne s'était rien passé, mais tout le monde a fait comme si c'était le contraire.
La présidente : Mme Webster nous a dit toutes sortes de choses très intéressantes et elle a poursuivi son témoignage alors que les caméras filmaient.
M. McAndrew : Ce que je veux vous dire, c'est que cela se dégrade progressivement.
La présidente : Mais ce n'est pas leur faute.
M. McAndrew : Je sais.
La présidente : C'est notre faute à nous, parce que nous avions coutume d'interdire les caméras pendant les audiences, partant du principe fondamental que nous voulions que l'atmosphère soit sereine.
M. McAndrew : Ne me prêtez pas attention. Je règle simplement mes comptes.
La présidente : Peut-être, mais il fallait que je réponde à cela. Il n'empêche que je voudrais quand même revenir en arrière.
M. McAndrew : C'est certain.
La présidente : Pendant mon enfance, j'ai passé beaucoup de temps à New Glasgow, en Nouvelle-Écosse. J'écoutais la station de radio pour laquelle vous travaillez parce que ma grand-mère ouvrait toujours sa radio sur cette fréquence- là. Je dois avouer que je n'accordais alors guère d'attention à l'actualité de Charlottetown, et peut-être était-ce très bien ainsi, mais je me souviens que tous les jours, j'écoutais cette abondance de musique, entrecoupée de passages de la Bible commentés par Ernest Manning.
M. McAndrew : En effet.
La présidente : Ernest Manning était à l'époque le premier ministre de l'Alberta, si ma mémoire ne me trompe pas. Et même après être devenu premier ministre, il a continué à passer en ondes.
M. McAndrew : C'est vrai? Peut-être. Je ne me souviens pas.
La présidente : Mais aujourd'hui, n'importe quelle station de radio que je connaisse dirait plutôt : « Un instant, c'est impensable, il n'est pas question de donner tous les jours du temps d'antenne à un politicien en exercice. »
M. McAndrew : Ce n'était pas donné, il payait pour passer en ondes.
La présidente : Il payait dites-vous? Mais quoi qu'il en soit, ce ne serait plus possible aujourd'hui.
M. McAndrew : En fait, je n'en sais rien.
La présidente : Je ne le pense pas.
M. McAndrew : Je l'ignore.
La présidente : Ce que je veux dire, c'est que les normes peuvent changer, parfois elles s'améliorent, parfois elles se dégradent, et ce que nous pouvons voir aujourd'hui, avec tous les défauts que nous connaissons bien, est souvent assez formidable. Il me semble que The Globe and Mail, un exemple que tout le monde se plaît à citer, est infiniment meilleur qu'il ne l'était il y a 40 ans lorsque j'ai commencé ma carrière de journaliste. Infiniment meilleur. Il me semble que l'arrivée de Newsworld a transformé de bien des façons le paysage journalistique canadien, mais dans le bon sens, pas toujours, mais pour l'essentiel. Newsworld offre davantage d'information, avec une plus grande fréquence et beaucoup plus de profondeur, que les diffuseurs ne pouvaient le faire il y a 30 ou 40 ans.
M. McAndrew : Je pense que les problèmes dont je vous parle sont plus aigus dans les petites collectivités, aux confins du pays.
La présidente : Je soupçonne que ce soit davantage le cas dans les petites collectivités qu'aux extrémités du pays.
M. McAndrew : Oui, vous avez raison.
La présidente : Ce que j'essaie de faire, c'est de vous faire admettre que tout n'est pas nécessairement tout noir et qu'il y a peut-être quelques zones de gris aussi.
M. McAndrew : J'en conviens avec vous, les lys poussent mieux dans le fumier.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur McAndrew.
[Français]
Sénateurs, nos prochains témoins sont des représentants de L'Acadie Nouvelle, le quotidien de langue française acadienne. Nous accueillons donc de L'Acadie Nouvelle, M. Clarence LeBreton, président du conseil d'administration, M. JeanSaint-Cyr, rédacteur en chef et M.Gilles Haché, directeur des ventes et marketing.
Bienvenue à vous, vous allez nous parler brièvement de L'Acadie Nouvelle. On vous invite à faire une présentation d'une dizaine de minutes, et ensuite on passera à la période de questions.
M. Clarence LeBreton, président du Conseil d'administration, L'Acadie Nouvelle : Madame la présidente, permettez- moi dans un premier temps de vous confier que nous sommes réconfortés par l'objet de vos travaux lors de cette tournée pancanadienne sur l'état des communications au pays. Votre travail témoigne de l'importance accordée aux médias dans une société, et particulièrement dans la société canadienne où l'accessibilité et la diversité de l'information et la liberté de presse sont des valeurs fondamentales. Par la même occasion, nous profiterons de cette opportunité pour vous rappeler notre courte histoire qui est en quelque sorte l'histoire d'un coup de coeur pour la mission importante d'un quotidien francophone en milieu minoritaire.
Je me présente, Clarence LeBreton, et cet après-midi, je suis ici à titre de président du conseil d'administration des Éditions de L'Acadie Nouvelle, propriétaire du journal L'Acadie Nouvelle et de la Presse Acadie-Presse. Je suis accompagné de M. JeanSaint-Cyr, le rédacteur en chef et directeur de la salle des nouvelles, ainsi que de M. Gilles Haché, directeur des ventes et du marketing.
Nous souhaitons vous faire découvrir L'Acadie Nouvelle et surtout vous sensibiliser au contexte dans lequel nous opérons. On vous a remis, je pense, un exemplaire du journal etM. Rainville, éditorialiste de notre journal, a souligné votre passage, et expliqué le contexte.
Ce contexte rejoint un peu l'enjeu du secteur des médias. Nous comprenons que l'objectif du comité est de favoriser la discussion plutôt que de proposer des conclusions. Nous avons choisi de maintenir cette ligne de conduite. Or, je vous présente L'Acadie Nouvelle, notre journal et ses ambitions. L'Acadie Nouvelle est née, comme vous le savez, des cendres d'un quotidien centenaire, l'Évangéline, et d'un autre quotidien francophone, le Matin, qui n'a survécu que trois ans, malgré la mise en place d'un fonds de fiducie qui visait à compenser les coûts exorbitants de distribution d'un quotidien francophone au Nouveau-Brunswick. Je tiens à vous préciser, madame la présidente, que nous bénéficions de ce fonds de fiducie, car il faut préciser que 80 p. 100 de nos lecteurs vivent en milieu rural, ce qui entraîne forcément des coûts importants de distribution.
L'Acadie Nouvelle est né d'un effort collectif pour répondre à un besoin de communiquer en français entre nous sur une base quotidienne. Notre motivation profonde est d'offrir au lectorat une source quotidienne d'information d'expression française distribuée, et j'insiste, à la grandeur de cette province.
Grâce à une vaste campagne de sensibilisation auprès de gens d'affaires, neuf compagnies regroupant des centaines d'investisseurs, ont permis d'amasser le capital d'opération de départ de la société incorporée des Éditions de L'Acadie Nouvelle en 1984. Notre marché, des régions francophones au Nouveau-Brunswick où l'on ne dénombre que 230 000 personnes, n'est finalement que l'équivalent d'un grand quartier d'une métropolitaine urbaine comme Toronto.
Regardons maintenant la situation du marché de la presse écrite dans ce grand quartier rural d'expression française. Nous desservons 180 villes et villages au Nouveau-Brunswick.Nous exploitons 750 points de vente qui génèrent en moyenne 3300 copies vendues par jour. Alors, on fait le calcul. Si ce n'est pas une mission sociale que de maintenir un point de vente pour trois mille copies vendues, on peut vous affirmer que c'est une proposition d'affaire peu viable parfois. Or, le fonds de fiducie, comme vous le savez, couvre cela.
L'Acadie Nouvelle est une entreprise privée, et ses fondateurs n'ont jamais dévié de la mission initiale qui consiste à fournir une source d'information de premier choix pour la majorité des francophones de cette province. Fondée en 1984 L'Acadie Nouvelle passe d'un quotidien régional à un quotidien provincial en 1989. En 2003, après une longue planification financière et opérationnelle, L'Acadie Nouvelle lance son édition du week-end. Nous distribuons maintenant 20 400 copies du lundi au samedi dont 84 p. 100 sont des abonnés à qui le journal est livré à leur porte quotidiennement, et nous avons, comme vous le savez,au-delà de 125 employés.
La situation des médias de la presse écrite au Nouveau-Brunswick subit les mêmes réalités que la presse écrite canadienne. L'Acadie Nouvelle est un des deux quotidiens d'expression française indépendant au Canada, l'autre étant le Devoir à Montréal. Cette indépendance, qui nous vaut l'admiration dans certains milieux, est maintenu au prix d'une vulnérabilité financière qui ferait frissonner d'angoisse plus d'un magna de la presse. L'approvisionnement en papier, les coûts de distribution surtout, l'absence d'une force de vente combiné d'un éventail de produits, quotidiens hebdomadaires, Publi-sac, et j'en passe, sont tous des éléments qui nous empêchent de profiter de l'économie d'échelle dont les entreprises de presse intégrées jouissent. Tout comme le CRTC, nous sommes préoccupés par la diminution de l'indépendance éditoriale par rapport à la propriété croisée ou concentrée. Nous sommes d'avis que chaque propriétaire de tout genre de média représente une seule voix. Pour ce qui est de la presse écrite au Nouveau- Brunswick, la concentration de la propriété des médias fait en sorte que seulement deux voix s'offrent à la population du Nouveau-Brunswick, soit Brunswick News dont on vous a beaucoup parlé, et L'Acadie Nouvelle.
En raison de l'assiette publicitaire restreinte au Nouveau-Brunswick, le nombre accru de publications souvent détenu par un seul propriétaire ne fait que segmenter le marché de la publicité au lieu de l'accroître.
Malgré la baisse généralisée du tirage des journaux sur la scène nationale et internationale, à L'Acadie Nouvelle nous jouissons depuis quelques années d'une stabilité, et je dirais même d'une légère augmentation de notre tirage, grâce surtout à notre édition du samedi. Étant donné le fait que nos activités se déroulent dans un marché francophone minoritaire, les changements actuels dans la presse écrite nous forcent à demeurer très vigilants par rapport à notre avenir.
On sait déjà que tous les quotidiens anglophones appartiennent à Brunswick News. Ce qui est moins connu, madame la présidente, c'est le fait que cette société est propriétaire de deux journaux sur trois au Nouveau-Brunswick, quotidiens et hebdomadaires des deux langues officielles confondues, c'est-à-dire qu'ils appartiennent à des hebdomadaires francophones. L'offensive du Nouveau-Brunswick, sur notre territoire francophone, passe par les hebdomadaires. Depuis deux ou trois ans, ils ont acquis de façon systématique la majeure partie des hebdomadaires francophones en plus d'en avoir fondé quelques autres. La concentration et la récente acquisition du groupe Brunswick News fragmente le marché publicitaire et représente pour nous une source d'inquiétude, parce que cela exerce encore plus de pression sur l'assette publicitaire déjà précaire dans un marché minoritaire comme le nôtre. Il devient plus difficile pour tout le monde de maintenir un niveau de profitabilité.
En conclusion, si nous voulons vraiment qu'un marché libre d'idée fonctionne, c'est-à-dire qu'il devienne un lieu où de nombreuses opinions différentes se disputent l'attention du public, nous devons insister pour que tout nouvel organe de presse appartienne au plus grand nombre de gens possible, et représente le plus grand nombre de gens possible. Cette citation est tirée d'un article écrit par le professeur et directeur du journalisme de l'Université Concordia, M. Raudsepp. C'est précisément dans cet esprit qu'a été fondée L'Acadie Nouvelle, un journal qui reste le phare de l'indépendance de l'expression d'opinion de la presse écrite francophone au Nouveau-Brunswick, et nous sommes encouragés à le faire pour plusieurs groupes, tant francophones qu'anglophones. Contrairement aux médias électroniques réglementés par le CRTC, la presse écrite n'est pas réglementée par une autorité quelconque, fédérale ou provinciale. Je donne l'exemple suivant. Dans le cas de l'acquisition de TVA par Quebecor, le CRTC a demandé à cette société de choisir : acquérir TVA ou se départir du réseau TQS, ou renoncer à l'acquisition de TVA. Nous en déduisons que le CRTC a exigé à Quebecor de faire un choix afin de protéger l'intérêt public et la diversité d'opinion.
Référons-nous au rapport Déry qui recommandait, par exemple, la création d'un conseil de surveillance de la propriété de la presse pour régler les problèmes liés à la concentration des médias. Nous croyons à cette recommandation.
En conclusion, nous souhaitons qu'à la lumière des présentations reçues, le comité puisse démontrer la vitalité de la presse écrite dans un milieu minoritaire et que sa précarité passe par une gestion sensible des réalités que comporte un marché minoritaire. Tel qu'il a été mentionné dans le rapport, où il y a peut-être eu quelques enjeux dans le secteur des médias, nous sommes également d'avis qu'un nombre de journaux détenus par une même entreprise limite la diversité des voix et que cette même diversité est moins grande que si les journaux étaient contrôlés par des propriétaires distincts.
Voilà, madame la présidente, notre présentation générale. Je suis assisté des gens qui gèrent ce journal au quotidien. Je représente évidemment les actionnaires et la mission.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur, je vais essayer de vous poser mes questions en français. C'est difficile, mais c'est un bon défi pour moi. J'apprécie énormément votre présence et votre présentation aujourd'hui. Je lis L'Acadie Nouvelle la plupart du temps, mais, faute de temps c'est moins souvent en ce moment. Je reste très impressionnée par le journal L'Acadie Nouvelle. Vous offrez aux citoyens et citoyennes du Nouveau-Brunswick une très bonne couverture des événements, de la culture, des sports, des actualités et des différents sujets tant au niveau provincial qu'au niveau international.
Êtes-vous satisfait de l'intérêt des jeunes, particulièrement les jeunes Acadiens et Acadiennes ? Pensez-vous que les jeunes dans les écoles secondaires ou à l'Université de Moncton, soient intéressés à lire L'Acadie Nouvelle ?
M. Jean Saint-Cyr, rédacteur en chef, L'Acadie Nouvelle : Monsieur LeBreton me prie de répondre à cette question. Il est sûr, madame le sénateur Counsell, que cela nous inquiète un peu si on se fie aux études sur les habitudes de lecture et surtout sur les habitudes de la génération montante en termes de ses sources d'information. On nous dit que de plus en plus, Internet a beaucoup d'importance, et le Nouveau-Brunswick ne fait pas exception. On est quand même une province où il y a eu un effort concentré et structuré de la part des gouvernements afin de permettre aux foyers dans toutes les régions de la province d'accéder à Internet et les jeunes du Nouveau-Brunswick ne sont pas différents des autres jeunes canadiens. Ils s'y intéressent énormément, et de plus en plus, on voit cette tendance.
C'est une préoccupation. Actuellement notre journal peut être consulté sur Internet par les gens de l'extérieur du Nouveau-Brunswick qui peuvent l'avoir en ligne le jour même. Pour les résidents du Nouveau-Brunswick, ils ne peuvent qu'avoir accès à nos archives, c'est-à-dire plus vieux ou plus vieilles que sept jours. C'est en effet une préoccupation. Actuellement, nous préférons nous concentrer sur la copie imprimée. On met beaucoup d'efforts à présenter un journal qui soit le plus attrayant possible pour nos lecteurs. Nous avons initié dans le passé certaines initiatives avec plus ou moins de succès, justement pour faire circuler le journal et créer l'intérêt, tenter d'intéresser les jeunes à la lecture et notamment à la lecture du journal. Au moment où l'on se parle, nous ne sommes pas certains de la tendance que la jeunesse prendra. Est-ce que cet engouement pour la cueillette d'information sur Internet sera permanent ou est-ce qu'on reviendra au journal ? Lorsque l'informatique s'est répandue dans notre société, on prétendait que cela allait faire disparaître le journal sur papier. On n'a jamais produit autant de papier que depuis l'avènement de l'informatique, alors je crois qu'avec Internet, cela reste à voir. Il y a différentes thèses, mais il semble que l'humain ait encore besoin de ce contact avec le papier, ce contact physique avec le support, et nous espérons évidemment, étant un journal, que cela va rester ainsi. Actuellement, même si cela nous inquiète et qu'on se tient continuellement informés et qu'on essaie de s'ajuster, les dés ne sont pas encore complètement jetés.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai posé cette même question partout au pays. Avez-vous distribué régulièrement des copies de L'Acadie Nouvelle dans les écoles françaises de la province?
M. Saint-Cyr : Oui, mais suite à une expérience en milieu scolaire, le succès demeure quand même mitigé. On a investi une bonne somme d'argent dans la production d'un guide pédagogique, avec l'aide de spécialistes en éducation, donc, ce n'était pas un document maison. C'était vraiment un projet dans lequel L'Acadie Nouvelle avait investi et cela n'a pas produit les résultats escomptés. L'intérêt qu'on voulait susciter par la tournée des écoles, des conférences auprès des étudiants, ainsi de suite, n'a pas rapporté les résultats escomptés. Je crois que ce document est toujours valable comme instrument de sensibilisation à la lecture et également dans un contexte d'alphabétisation. Est-ce qu'on réinvestira pour relancer ce document et continuer notre mission d'éducation par rapport à la lecture?
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est fondamental d'avoir quotidiennement une copie ou des copies des journaux à l'école et ensuite, pour les enseignants et enseignantes d'offrir des projets d'étude pour lesquels les journaux sont essentiels pour compléter les projets dans la classe. Avez-vous des volets pour les jeunes dans l'édition du samedi ? Est- ce que vous avez quelque chose d'approprié pour les jeunes ?
M. Saint-Cyr : Actuellement, peut-être pas suffisamment approprié pour eux. Avec les moyens limités dont on dispose, il faut procéder par priorité. On n'a que 20 ans et cela fait maintenant 16 ans qu'on est un journal provincial, et c'est un journal qui a beaucoup de projets, mais encore faut-il avoir le moyen financier des ambitions, et cela fait partie des projets futurs du journal de développer davantage cette section. Cela implique dans un premier temps, de développer tout un réseau, et ensuite, surtout l'entretenir, parce que développer un réseau, faire les contacts, avoir des premières réunions, est relativement facile. Mais d'entretenir le réseau par la suite, le réseau de jeunesse, si vous voulez, et d'avoir une section qui serait opérée et maintenue par des jeunes, c'est une autre histoire. Actuellement, on essaie de peaufiner notre journal, de le rendre plus attrayant. Pour un journal, ce qui est difficile, c'est que les autres médias, telle la télévision, offre tous ces canaux spécialisés pour la jeunesse, de la musique, de sciences et tout cela, c'est un milieu très attrayant, parce qu'il s'adresse à plusieurs sens alors que nous, on ne s'adresse qu'à deux sens. La concurrence est certainement forte lorsqu'on est un médium écrit, mais c'est évident que nous y croyons et l'on espère pouvoir séduire les jeunes à l'attrait de la lecture d'un journal quotidien. C'est aussi une question d'habitude.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous une bonne relation avec l'Université de Moncton et le département de journalisme ?
M. Saint-Cyr : Je crois que nous avons une bonne relation.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que vous vous partagez des projets avec des étudiants de temps en temps ?
M. Saint-Cyr : Tous les étés, nous embauchons des étudiants qui viennent de terminer leurs études ou qui sont en troisième ou entre la troisième et la quatrième année. Pour cet été par exemple, deux étudiants commenceront à travailler pour le journal la semaine prochaine. Ils seront intégrés à notre équipe, et cela, n'est pas limité à un projet d'étudiant. L'Acadie Nouvelle investit dans ces jeunes pour leur donner la chance de travailler dans le contexte d'un quotidien et nous assumons la très grande majorité des frais. Également, tous les automnes, le département de l'information/communication de l'Université de Moncton invite des gens du journal à s'adresser aux étudiants et au cours de l'année, dépendant de ce qui se passe, nous échangeons sur divers sujets et essayons d'élaborer des projets ensemble. Je crois que la réponse courte à votre question, c'est oui. Il y a une bonne relation qui mériterait d'être bonifiée et d'être resserrée, mais cette relation existe, et il y a de la bonne volonté des deux côtés.
M. LeBreton : Il y a aussi des employés permanents de L'Acadie Nouvelle qui sont diplômés de cette école.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ah oui ?
M. LeBreton : Certainement. De plus, L'Acadie Nouvelle, malgré ses moyens limités, offre des bourses à ces étudiants, qu'on pense à améliorer dans le futur. Je dirais que oui, c'est une bonne relation.
M. Saint-Cyr : Le directeur de l'information, le chef de pupitre, la pupitreuse, celle qui est au pupitre de la nouvelle régionale, sont tous, et quelques-uns de nos journalistes, des diplômés du département d'information/communication de l'Université de Moncton.
Le sénateur Trenholme Counsell : En réalité, ce serait une bonne chose pour les étudiants en immersion de la province d'avoir la chance de lire votre journal, mais probablement, que cela ne marcherait pas.
Le sénateur Munson : C'est la même chose pour moi, je devrai m'adresser à vous en anglais car c'est très difficile pour moi de parler français.
[Traduction]
La chose la plus importante que j'ai faite de toute ma vie, cela a été d'épouser une Acadienne, de sorte que je dois vraiment poser cette question à moitié en anglais et à moitié en français.
[Français]
Selon votre discours sur la page cinq, l'offensive de Brunswick News sur le territoire francophone passe par l'hebdomadaire. Depuis deux ou trois ans, ils ont acquis de façon systématique la majeure partie des francophones.
[Traduction]
Alors je m'interroge, est-ce que Brunswick News tente délibérément de fragmenter le marché?
[Français]
M. Gilles F. Haché, directeur ventes et marketing, L'Acadie Nouvelle : Oui, on pense que c'est systématique. Depuis trois ans, il y a l'Étoile de Madawaska, dans le Nord-Ouest, et dans la même zone, la région Chaleur, il y a un hebdo que le Groupe Irving a acheté, le Northern Light. Il y a aussi le Publi-Sac qui fournit un hebdo gratuit en anglais qui s'appelle le Market Place, puis en troisième lieu, récemment, il y a un hebdo francophone dans le même marché. Ils font des offres combinées pour la publicité. On ne peut pas embarquer dans une guerre de prix, on n'a pas les moyens ou les ressources et cela devient de plus en plus difficile pour nous de les en empêcher. Cela se produit aussi dans diverses régions, soit dans le Madawaska, dans le sud-est et dans le nord de la province.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Qu'en pensez-vous?
[Français]
M. Haché : Actuellement, c'est déjà difficile. J'essaie d'imaginer dans cinq ou six ans, sans faire le prophète de malheur, je me questionne à savoir si L'Acadie Nouvelle pourra poursuivre ce rythme ou faire des offres comme celles- là. On n'a pas la capacité de faire des offres combinées parce qu'on n'a pas cette économie d'échelle.
[Traduction]
Le sénateur Munson : La famille Irving a-t-elle jamais contacté L'Acadie Nouvelle?
M. LeBreton : Non, mais de la façon dont nous sommes structurés, il est impossible d'être sur le marché. Nous avons trop d'actionnaires. Nous ne sommes pas à vendre, et je pense que les Irving le savent.
[Français]
J'aimerais ajouter, sénateur Munson, que dans le cas de nos compétiteurs dans les hebdos, ce n'est pas nécessairement juste une question d'acquisition.
Lorsqu'ils ont acheté le Northern Light, qui était un journal anglophone du nord de la province, ils ont fondé parallèlement un hebdomadaire francophone, et comme je le disais d'entrée de jeu dans ma présentation, notre clientèle est à 80 p. 100 rurale avec ce que cela suppose comme problème de couverture et l'hebdomadaire évidemment est très attrayant. On ne peut pas couvrir tous les conseils municipaux de tous ces villages. Or, ils attaquent un marché où il y a une demande, mais en même temps, on va être très honnête, comme M. Haché le dit, à la longue, ils vont nous faire mal, et la question qui pourrait se poser serait pourquoi L'Acadie Nouvelle ne se lance pas dans les hebdos. On essaie d'avoir une couverture quotidienne à la grandeur de la province, rurale surtout, et je crains qu'on va nous encercler et littéralement nous étouffer.
C'est un combat de tous les jours, et comme vous le savez, dans un milieu rural et minoritaire nous avons à relever des défis particulièrement dans le Moncton urbain et dans la région du nord-ouest, Madawaska. Ce sont nos priorités immédiates. Il faut absolument avoir une pénétration beaucoup plus importante dans ces deux régions en tant que quotidien. On n'est définitivement pas dans l'hebdo, mais on se sert de cet outil qu'est l'hebdo tant anglophone dans le nord que francophone au niveau marketing par exemple, pour nous serrer la vis.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Sans oublier cela, vous nous avez dit dans votre exposé que la presse en langue minoritaire était dans une situation précaire. Et manifestement, cela ne vous aide pas. Auriez-vous quelque chose à l'esprit que nous pourrions recommander pour que votre journal et les autres journaux comme le vôtre gardent leur vigueur et leur importance non seulement pour la communauté francophone mais également pour la communauté anglophone du Nouveau-Brunswick?
[Français]
M. Saint-Cyr : Sénateur Munson, dans la conclusion de notre présentation on parle de la différence qui existe actuellement entre les médias électroniques et la presse écrite. Les médias électroniques sont quand même réglementés parce qu'ils doivent avoir une licence. Pour partir un journal, vous n'avez pas besoin de licence, mais il reste que sur le plan de l'intérêt public, sur le plan de la diversité de l'opinion, si on veut maintenir au Canada une diversité d'opinion, des sources d'information diversifiées et distinctes surtout, il nous semble qu'il faille un mécanisme favorisant le maintien d'une propriété diversifiée des journaux. Comme le fait jusqu'à un certain point le CRTC avec TQS et l'acquisition de TVA par Quebecor qui était déjà propriétaire de TQS. Dans la presse écrite, cela n'existe pas, alors qui va se pencher sur notre situation comme entreprise de communication et où l'on vit une offensive très systématiquement organisée pour nous affaiblir. On veut nous forcer à dévaluer le prix de la publicité, et cela veut dire affaiblir nos revenus. Cela veut dire qu'au lieu de grandir comme organisme de presse, nous devrons rationaliser en sortant quotidiennement un journal avec moins de personnes.
Actuellement, ce n'est pas du tout l'orientation et le président du conseil d'administration peut en témoigner. J'ai énormément de demandes parce que je veux avoir un département de recherche un peu plus étoffé. Je veux avoir plus de journalistes en région, je veux plus de chroniques et cetera. Qu'est-ce que je peux me permettre comme rédacteur en chef ?
L'entreprise, représentée par le conseil d'administration, dit oui, mais on fait à peine nos frais actuellement. On veut bien améliorer la qualité du journal, on veut bien diversifier notre contenu, mais où allons-nous prendre l'argent? Que nous réserve l'avenir? Actuellement, le journal fait ses frais, et je crois que l'achat de la presse fait en sorte que cela a stabilisé cette entreprise. Elle est un peu moins fragile, mais on est loin de devenir une compagnie publique inscrite à la bourse. Si on s'inscrivait à la bourse demain matin, je ne pense pas que ce serait l'engouement sur Bay Street. On est une entreprise presque artisanale, nous ne pouvons pas subir un conglomérat comme celui-là et nous faire frapper dans les côtés quotidiennement.
Heureusement, il existe une fierté et une solidarité de la part du peuple Acadien et je crois qu'on bénéficie d'une certaine fidélité à cet égard. La majeure partie de nos lecteurs sont très conscients de cette guerre de la presse écrite au Nouveau-Brunswick. Nous bénéficions heureusement d'un certain appui et certainement d'une sympathie et d'une empathie des lecteurs Acadiens au Nouveau-Brunswick. C'est ce qui nous permet de continuer à vivre. J'espère que cette fidélité restera avec la génération montante. Si effectivement on continue à intéresser les jeunes à la lecture du journal, plutôt que d'aller sur Internet et de se perdre sur toutes sortes de sources, au moins, avec le journal, ils sauront qui écrit les articles, où l'événement s'est produit et de quoi on parle. J'espère que la fidélité de nos lecteurs restera, mais il n'y a rien de garantie, seul l'avenir nous le dira. Nous déployons beaucoup d'efforts afin de maintenir cette fidélité et cet intérêt de nos lecteurs pour la communauté Acadienne du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Munson : J'ai une dernière question. Est-ce que la Presse canadienne est importante pour L'Acadie Nouvelle ?
M. Saint-Cyr : Définitivement, puisque pour le moment, cela fait encore partie de mes projets. Je suis en pourparlers préliminaires avec un journaliste qui est maintenant professeur dans la région d'Ottawa et qui pourrait nous servir de correspondant au moins une fois par semaine pour nous donner une analyse de ce qui s'est passé d'intéressant durant la semaine pour le Nouveau-Brunswick et pour les Acadiens en particulier. Ce sont des demandes que je dois faire au conseil d'administration afin d'avoir les ressources financières. À défaut d'avoir quelqu'un sur place, il est évident que si on n'avait pas les textes de la Presse Canadienne et de Associated Press, on pourrait difficilement avoir une section sur la politique nationale et encore moins sur la politique internationale. Sans eux, c'est hors d'atteinte en terme strictement monétaire.
La situation actuelle n'est pas celle que je souhaite comme rédacteur en chef, et je préférerais avoir une personne de L'Acadie Nouvelle qui serait sur place et qu'on pourrait appeler tous les jours. C'est sûr que c'est ce qu'on souhaiterait, mais étant un journal indépendant, on ne peut se le permettre pour le moment. Nous espérons continuer à développer notre marché et avoir une plus grande pénétration dans certaines régions du Nouveau-Brunswick, ce qui nous apporterait davantage de revenus qu'on pourrait réinvestir par exemple, dans notre propre correspondant à Ottawa. On a déjà un correspondant à Fredericton, on a des journalistes un peu partout autour de la province et on a des correspondants à Montréal pour le secteur culturel, mais pour l'instant, c'est tout ce qu'on peut se permettre. Cela fait partie des projets de notre offensive de pénétration dans les marchés au Nouveau-Brunswick où on considère qu'il y a de la place pour de l'expansion. On espère résister à la tactique de Brunswick News qui tend à vouloir faire baisser les prix de notre publicité, donc baisser nos revenus et nous inciter à reculer. Actuellement notre orientation est plutôt axée vers l'expansion et vers l'amélioration de nos services plutôt que de couper et de rationaliser. On est un peu à contre- courant parce qu'on est un des seuls journaux indépendants qui reste. On est une jeune organisation de presse encore sur un élan d'expansion plutôt qu'un élan de compression. Combien de temps pourrons-nous nager contre le courant? Peut-être qu'on a des œillères, qu'on se ferme les yeux et que le mur est plus proche de nous qu'on ne le croit, mais nous sommes d'incorrigibles optimistes.
La présidente : Ce qui est toujours bon à entendre. Vous avez combien de journalistes ?
M. Saint-Cyr : Sur ma feuille de paie on compte à peu près60 personnes à la salle de rédaction, mais des journalistes à temps plein, j'en ai grosso modo une douzaine, soit quatre journalistes sportifs plus un ou deux journalistes de nouvelles générales qui font également les articles sur les sports et les arts et la culture. J'ai des journalistes polyvalents. Certains de mes journalistes doivent, une journée ou deux par semaine, faire du pupitre. J'ai douze journalistes, et cette douzaine n'est pas nécessairement spécialisée.
La présidente : Les journalistes à la salle de rédaction ou quand vous dites sur votre liste de paie, ce chiffre comprend-il aussi les pigistes?
M. Saint-Cyr : Oui, dans les 60 personnes, les pigistes sont inclus.
La présidente : Des employés à plein temps, il y en a combien ?
M. Saint-Cyr : À la rédaction, j'ai une douzaine de journalistes en plus des pupitreurs, deux secrétaires et trois maquettistes.
La présidente : C'est pas mal.
M. Saint-Cyr : Deux correctrices à temps plein, et deux surnuméraires. On parle de 20 ou 21 personnes à temps plein ou à temps partiel sur une base régulière.
La présidente : Pour un tirage de 20 000 et des poussières ?
M. Saint-Cyr : Oui. Pour la rédaction mon budget frôle les 2 millions de dollars par année.
La présidente : C'est pas mal. Et quel est le prix d'un abonnement ?
M. Saint-Cyr : C'est 215 $ par année.
La présidente : Est-ce que vous recevez des subventions? Il y a la fondation, évidemment, qui contribue ou paie entièrement la distribution.
M. LeBreton : Non. Vous savez, nous avons un fonds de fiducie qui a été établi au départ à 6 millions de dollars.
M. Saint-Cyr : Il n'a pas été établi pour nous.
M. LeBreton : Pas pour nous, pour Le Matin, mais il a été transféré à L'Acadie Nouvelle. On ne l'a pas dit dans l'histoire, mais ces 6 millions de dollars, dans des bonnes années, a déjà rapporté 700 000 $. L'an dernier, pour vous donner un exemple, il a rapporté 269 000 $ et notre distribution nous coûte bon an mal an 550 000 $ à 650 000 $ par année. Alors, vous constaterez, que les dernières années ont été pénibles à cet égard.
La présidente : Est-ce que vous recevez des subventions ?
M. LeBreton : Non.
La présidente : De quelque gouvernement que ce soit ?
M. LeBreton : Non. Le fonds de fiducie est pour des fins de distribution seulement.
La présidente : Seulement. N'y a-t-il pas de contributions de la communauté, par exemple, au Devoir, à un moment donné, on faisait des dîners-bénéfices.
M. LeBreton : Non, pas du tout. Monsieur Saint-Cyr l'a mentionné, lorsqu'on a vu cette dégringolade des revenus de la fiducie pour la distribution, nous avons pris une décision d'affaire en achetant notre imprimeur. Étant le principal client et le locataire de cette imprimerie, on en a fait l'acquisition, et parallèlement, nous avons lancé notre édition de fin de semaine, augmentant ainsi le volume d'activité de cette imprimerie. C'est un peu cette gymnastique qui nous a permis de passer des moments assez difficiles. Par la suite, il faut dire que l'édition de fin de semaine avait pour but de stabiliser notre pénétration dans Moncton.
L'édition de fin de semaine est avant tout un produit qui est davantage urbain, et cela manquait dans la région de Moncton. Ce fut alors profitable, parce que notre pénétration avec l'édition de fin de semaine a augmenté. Vous savez, c'est le seul centre urbain que nous avons en Acadie. On le partage évidemment, mais on pense que c'est chez nous maintenant.
La présidente : Vous aviez un problème, et vous avez réagi en allant à l'offensive, en occupant le terrain, si vous voulez. Ne pourriez-vous pas faire la même chose, soit acheter ou créer des hebdos vous-mêmes ou créer des sections qui seraient l'équivalent d'hebdos?
M. LeBreton : Encore une fois, madame la présidente, si vous me permettez, au cours des quatre dernières années, nous avons lancé une édition de fin de semaine, nous avons acheté L'Acadie Presse, nous avons donné un fonds de pension à nos employés, nous avons bâti un entrepôt parce qu'avec la presse, cela prenait évidemment un endroit pour entreposer le papier.
La présidente : Je ne vous accusais pas.
M. LeBreton : La prochaine fois que j'arrive au conseil et que je leur dis qu'on achète un hebdo, moi je perds ma « job ». Si nous pouvions augmenter et renforcer une pénétration des médias dans le nord-ouest, dans le Grand Madawaska et dans la région du Grand Dieppe/Moncton, cela nous permettrait de faire d'autres gestes que vous qualifiez d'offensifs, que je trouve très bien d'ailleurs, mais pour le moment, mes membres du conseil m'ont dit « mets la pédale douce sur l'offensive, essaie de stabiliser ce que vous avez fait jusqu'à maintenant. »
La présidente : Je comprends. Il y a combien d'hebdos de langue française au Nouveau-Brunswick?
M. Saint-Cyr : Je pourrais peut-être vous les nommer en commençant par le nord-ouest. Voulez-vous les chiffres exacts ?
M. Haché : Je n'ai pas les chiffres exacts, mais on peut les nommer.
M. Saint-Cyr : Si on commence avec le nord-ouest, il y a le Cataracte à Grand-Sault, qui a été acheté par Brunswick News. Il y en a deux dans la région d'Edmundston, qui sont la République et le Madawaska.
M. Haché : Il y a aussi l'Info Week-end aussi dans le Madawaska.
M. Saint-Cyr : L'Info Week-end est un produit du Québec, mais qui tente de desservir le Madawaska. Au Restigouche il y a l'Aviron, qui appartient à Quebecor, et dans le comté d'Acadie-Bathurst, le Brunswick News vient d'ouvrir ce printemps l'Hebdo Chaleur. Dans le sud-est, il y a le Moniteur. C'est un des seuls hebdos indépendants. Il y a l'Étoile dont le siège social est ici à Dieppe mais qui est distribué dans le comté de Kent et surtout dans le Grand Moncton et qui est la propriété de Brunswick News. Est-ce que j'ai oublié une région ?
M. Haché : Le Journal de Dieppe.
M. Saint-Cyr : Le Journal de Dieppe, que je connais moins est un journal qui appartient à un indépendant.
C'est le portrait actuel, mais il y a 239 000 personnes sur ce territoire, et évidemment, pour desservir ces 239 000 personnes, il n'y a pas de commerces qui veulent acheter de la publicité et qui se disputent l'espace publicitaire, ou encore l'attention de ces 239 000 consommateurs. C'est très limité comme espace, alors forcément, l'assiette publicitaire est très modeste. Il est certain qu'il y a beaucoup de petits commerçants qui sont répartis sur ce territoire. Il y en a plusieurs dont la clientèle-cible est régionale, et ce, dans un rayon de 100 kilomètres. Au-delà de cela, ça ne les intéresse pas. Ils savent que les gens ne viendront pas chez eux.
C'est différent pour la région de Moncton/Dieppe. C'est un centre d'attraction provincial à l'échelle des Maritimes. Quand on parle du commerçant de Bathurst ou du commerçant de Campbellton, ce qui l'intéresse, c'est l'attraction du comté, et c'est à cette clientèle que le Brunswick News s'adresse, et à qui ils offrent plusieurs supports publicitaires pour un prix moindre. C'est à ce niveau que cela nous pose des problèmes. Monsieur Haché pourrait vous donner plus de détails.
M. Haché : Pour compléter, il y a 32 publications hebdomadaires gratuites; sur 32 publications, 21 appartiennent au groupe Brunswick News au Nouveau-Brunswick, et il y a une tendance selon nos sources, que cela va continuer. C'est une situation qui est majeure.
La présidente : Au niveau du tirage, est-ce que la proportion est constante, soit les deux tiers ?
M. Haché : Les deux tiers, oui.
M. LeBreton : Il y a beaucoup de ces supports qui sont distribués gratuitement, alors le tirage est très difficile à évaluer.
La présidente : Oui, c'est vrai.
M. Haché : Ils sont distribués avec le Publi-sac qui appartient aussi au Groupe Irving.
La présidente : C'est normal. De leur point de vue, c'est sans doute normal?
M. Saint-Cyr : C'est normal, oui.
La présidente : On fournit des appuis aux clients.
M. Saint-Cyr : Oui.
La présidente : Cette situation créée des problèmes importants pour vous. Justement, en parlant de la compagnie Irving, je lisais avec intérêt votre éditorial de ce matin. Monsieur Rainville est ici?
M. LeBreton : Oui, il est ici, et il parlera tout à l'heure.
La présidente : Monsieur Saint-Cyr, est-ce que vous aviez déjà publié des reportages sur le sujet ou est-ce la première fois que vous en parlez?
M. Saint-Cyr : Qu'on parle de?
La présidente : Du cas de M. Mike Parker.
M. Saint-Cyr : Je ne suis arrivé au journal qu'il y a un peu plus de six mois, je ne pourrais pas vous affirmer si c'est la première fois qu'on en parle. Ce qui est intéressant, cependant, c'est lorsqu'on parle de diversité d'opinions. Monsieur Rainville se présentera lui-même, il fait partie de l'équipe éditoriale et il n'est pas un employé du journal. Monsieur Rainville est un professeur de philosophie à la retraite et il s'est occupé du conseil de la presse acadienne un bout de temps. Je suis très fier qu'il ait accepté de faire partie de notre équipe éditoriale de façon régulière en contribuant à deux éditoriaux par mois.
La présidente : Il est justement sur la liste des témoins. Ce sera donc à lui que je poserai des questions à ce sujet.
M. Saint-Cyr : C'est intéressant de voir des gens qui s'intéressent au journal et qui ont à coeur de maintenir cette diversité en collaborant avec nous pour pas grand chose sur le plan monétaire.
La présidente : J'imagine.
M. Saint-Cyr : Je suis très honoré d'avoir M. Rainville au sein de notre équipe, et je crois qu'il aura beaucoup de commentaires à vous faire sur l'état de la presse au Nouveau-Brunswick.
La présidente : Messieurs, ce fut extrêmement intéressant. Nous vous remercions. Nous avons couvert beaucoup de matières, et s'il y a d'autres exemplaires de votre journal, j'aimerais bien les voir. Je vais peut-être même m'abonnée.
[Traduction]
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre M. John Steeves. Nous avons également ajouté un petit quelque chose à notre programme parce que nous avions omis d'y mentionner M. David Cadogan, qui va également venir témoigner, après quoi nous allons passer à notre liste, fort heureusement longue, de citoyens qui ont exprimé le souhait de comparaître. Monsieur Steeves, nous avons également mal épelé votre nom dans notre avis de convocation et je vous prie de bien vouloir nous en excuser. Il n'y a pas que les journalistes qui font parfois des fautes de frappe, les comités du Sénat et leurs collaborateurs en font parfois aussi. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite la bienvenue et nous sommes impatients à la fois d'entendre votre exposé et de vous poser des questions.
M. John Steeves, à titre personnel : Sénateurs, c'est pour moi un privilège de pouvoir ainsi comparaître devant vous aujourd'hui. J'ai l'intention de vous parler sans cérémonie, du moins selon ma conception de la chose. Je sais que vous avez reçu une correspondance, et notamment une lettre qui, à l'origine, était adressée personnellement au sénateur Day. J'en ai une version abrégée ici. Comme certaines des choses que je disais étaient de nature personnelle, je préférerais que vous en respectiez le caractère confidentiel. Il y a également une demande de comparution...
La présidente : Permettez-moi de préciser. Effectivement, le sénateur Day nous a transmis cette lettre, mais comme c'était manifestement une lettre personnelle, nous l'avons considérée plutôt comme une source d'information que comme une correspondance officielle adressée au comité. Vous n'avez donc rien à craindre.
M. Steeves : Depuis lors, j'ai transmis une version abrégée de cette lettre à quelques journalistes. Peu importe, je vais essayer de ne pas répéter ce que j'ai entendu dire par les témoins qui m'ont précédé aujourd'hui, même si je dois vous avouer que je suis d'accord avec 90 à 95 p. 100 de ce que j'ai entendu. En passant, je voudrais surtout vous parler de la responsabilité de ceux qui, individuellement ou en petits groupes, occupent une position dominante sur le marché de l'information dans une province, un territoire et ainsi de suite.
Comme je vous le disais, à l'âge de 31 ans j'ai été nommé rédacteur en chef principal au Yukon, mais pour constater que trois quarts des gens du territoire écoutaient la radio de Radio-Canada qui était leur principale source d'information. Pour être honnête avec vous, cette perspective m'a terrifié, parce que j'essayais de voir comment il serait possible de faire en sorte que les opinions très différentes de la majorité blanche, de la minorité autochtone, des mineurs, des environnementalistes et autres pourraient être diffusées dans ce contexte, étant donné qu'il n'y avait aucune diversité de médias. Comme je vous le disais, je me plais à penser que j'ai relativement bien réussi, mais je sais que c'est le genre de responsabilité qu'il ne faut pas imposer à une personne seule. J'ai également mentionné une expérience semblable à la télévision de Radio-Canada à Terre-Neuve, où un petit groupe de gens à la distribution ou à la production étaient à mon avis beaucoup trop proches de ce fameux scandale des religieux qui avait fait rage à l'époque.
Tout cela m'amène à vous parler de la situation actuelle au Nouveau-Brunswick. Je connais personnellement James C. Irving et je pense que c'est un jeune homme ayant d'excellentes intentions et qui adorerait avoir la supervision de journaux du calibre du New York Times, un journal qu'il affectionne beaucoup, je le sais. La difficulté pour lui, ou pour quiconque, c'est que le pouvoir corrompt, et il y a toujours le risque d'un pouvoir absolu qui corrompt absolument. Les meilleures intentions du monde ne conduisent pas toujours aux meilleurs résultats. Je voudrais vous mentionner ici un tout petit exemple. Lorsque je travaillais au Kings County Record pendant l'automne 2002, Jamie Irving étant à l'époque mon patron, j'avais recueilli des informations sur quelque chose de relativement peu important. Une compagnie appartenant à Irving, la Bayshore Lumber, allait fermer ses portes à Sussex. Je pense qu'une vingtaine ou une trentaine d'emplois allaient disparaître. Les employés avaient été avertis. Nous le savions. Quasiment tout le monde en ville était au courant, mais pour une raison ou une autre, les responsables de la publicité chez Irving ne voulaient pas en parler. Or il se fait que Jamie Irving, je le savais, allait passer la fin de semaine avec son père, donc je lui ai demandé de confirmer la chose. Nous avions déjà deux sources d'information pour ce reportage, mais il est toujours bon d'entendre l'autre son de cloche. La confirmation est arrivée, mais accompagnée de l'ordre de ne rien publier avant une semaine. Bon, c'était une petite chose, attendre une semaine, mais cela montre bien comment l'influence exercée par les Irving hors de leur empire des médias peut influer sur la diffusion d'une nouvelle. Nous avons donc publié l'article une semaine plus tard. J'aurais peut-être dû la publier immédiatement, mais il n'est jamais facile de passer outre aux ordres de son patron.
Il y a encore une ou deux autres choses dont je voulais vous parler avant de passer aux questions. J'ai ici un exemplaire du Kings County Record de cette semaine. Pour la province toute entière, mais certainement aussi dans la région de Sussex, et sans parler des priorités, les quatre industries les plus importantes sont le transport routier, le bois, l'agriculture et l'exploitation minière. Il y a environ un an, le Kings County Record a commencé à publier un nouveau cahier affaires et pourtant, neuf fois sur dix, il ne parle jamais d'agriculture, d'exploitation forestière, de transport routier ou d'exploitation minière. Je ne pense pas que le cahier affaires en ait jamais parlé. Pour moi, c'est comme si le Ottawa Citizen ne parlait pas de ce qui se passe sur la colline du Parlement.
Il est parfois facile de parler de diversité et, à bien des égards, l'empire médiatique du Nouveau-Brunswick est tel qu'il y a effectivement diversité. Il y a ici aujourd'hui un journaliste du Telegraph-Journal et un autre du Times & Transcript de Moncton. Ces deux journalistes, chacun de son côté, vont écrire un article sur cette réunion, et on pourrait facilement dire que c'est cela de la diversité. Par contre, même s'il y a diversité, s'il s'agit de reportages qui ne sont pas nécessairement les plus importants, cela ne sert à rien. Et c'est toujours possible. Je vais vous donner pour exemple quelque chose qui intéresse la province et que j'aimerais beaucoup voir adéquatement suivi par les médias, Radio-Canada ou les journaux, mais je pense que les journaux sont effectivement mieux placés pour développer l'histoire. La principale ressource naturelle de la province, ce sont les boisés, les boisés qui appartiennent en quasi totalité aux compagnies forestières, les Irving, les compagnies Fraser ainsi qu'une palette d'autres, mais surtout les Irving. Dernièrement, on a entendu parler d'une éventuelle disparition des agents des ressources naturelles, ce qu'on appelle les gardes forestiers, voire d'une diminution de leur rôle, qui verrait les compagnies privées assumer l'essentiel des activités de contrôle de l'application des règlements. Peut-être en fait est-ce la meilleure solution pour le Nouveau- Brunswick, mais au lieu de parler des environnementalistes qui disent « c'est terrible » et des compagnies forestières qui disent « c'est extraordinaire » et d'avoir des articles et des reportages qui se limitent à rapporter ce qu'untel ou untel a dit, je pense qu'il serait possible de faire une étude approfondie de la chose. Mais, avec la structure actuelle des médias, je ne pense pas que cela se fasse.
Voilà peu près tout ce que j'avais à vous dire. Je serai ravi de répondre à vos questions.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Steeves, vous avez dit que le pouvoir corrompt. Croyez-vous fermement que cette phrase s'applique au milieu de la presse écrite au Nouveau-Brunswick en 2005?
M. Steeves : Il est possible que le choix de mon expression n'ait pas été heureux. Je crois que je ne voulais pas aller jusqu'à parler de corruption. En fait, il s'agit plutôt d'influence. À titre d'exemple, pour ce qui est de l'article sur la société Bayshore Lumber, certaines personnes ont usé de leur influence. Dans ce cas, les faits étaient tout à fait anodins et revêtaient donc une importance secondaire, néanmoins, j'estime que M. Irving et moi avons eu l'air ridicule parce que cet article n'est pas paru dans notre journal, un journal communautaire, alors que tout le monde était au courant dans la région. Les avis de renvoi avaient déjà été envoyés. Il serait plus convenable de parler d'influence.
Le sénateur Trenholme Counsell : Alors vous retirez vos paroles?
M. Steeves : Je retire mes paroles.
Le sénateur Trenholme Counsell : Non, je n'ai pas le droit de vous poser cette question.
M. Steeves : Je pense que c'est Lord Acton qui a fait cette observation.
La présidente : Oui, je crois que nous comprenons que c'était une citation.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je sais.
La présidente : Quoi qu'il en soit, il est utile de le préciser dans ce contexte-ci.
M. Steeves : Oui, je ne voulais absolument pas suggérer qu'il y avait de la corruption.
Le sénateur Trenholme Counsell : Travaillez-vous toujours pour le Kings County Record?
M. Steeves : Non.
Le sénateur Trenholme Counsell : Mis à part M. Henley, vous êtes l'un des premiers témoins que nous entendons aujourd'hui qui nous présente le point de vue des publications hebdomadaires. Même si vous ne travaillez plus pour ce journal, je suis certaine que vous le lisez régulièrement. Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de la qualité de cet hebdomadaire, car c'est l'une des questions sur lesquelles nous nous penchons? Pouvez-vous comparer la qualité actuelle de ce journal à ce qu'elle était il y a cinq ou dix ans? Quand j'emploie le mot qualité, je veux savoir dans quelle mesure l'hebdomadaire répond aux attentes et aux besoins des gens de Kings County et de sa région.
M. Steeves : Il me semble que je pourrais tout au plus vous fournir une réponse anecdotique et, comme M. Henley l'a dit pendant son témoignage, je ne veux pas faire preuve d'un dénigrement d'envieux, ou s'agit-il d'une expression également inappropriée?
Le sénateur Trenholme Counsell : Non.
M. Steeves : J'ai quitté le journal pour toute une série de raisons, y compris à cause de divergences d'opinion avec M. Irving. Ai-je eu raison ou tort de le faire? Qui sait? Je ne vais pas entrer dans les détails à moins que vous ne me le demandiez.
Le sénateur Trenholme Counsell : Non, non.
M. Steeves : Je suis prêt à le faire. Ce serait facile pour moi de dire : « Oh, le nouveau rédacteur en chef choisit des articles qui, selon moi, ne devraient pas paraître dans le journal. » J'avais tendance à écrire des articles de nature plus politique. Le nouveau rédacteur en chef privilégie davantage les chroniques judiciaires ou religieuses, fréquemment, car il ne fait aucun doute que la religion occupe une place très importante dans ma région. Dans un tel contexte, je ne me sens pas capable d'affirmer que j'ai raison et que l'autre personne a tort, ou vice versa.
Je n'ai jamais occupé le poste de rédacteur en chef du Kings County Record, mais seulement celui de rédacteur principal. Toutefois, qu'il s'agisse de l'époque où j'étais rédacteur principal, ou de l'époque actuelle, il est juste d'affirmer que les quatre industries prédominantes, qui fournissent probablement de 60 à 70 p. 100 de tous les emplois de la région, doivent être mentionnées d'une façon ou d'une autre, dans presque toutes les éditions du journal, car les fluctuations des prix de la potasse ou du bois d'oeuvre revêtent une importance capitale.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui.
M. Steeves : Je ne crois pas qu'un seul article paru dans l'hebdomadaire ait porté sur les difficultés auxquelles les producteurs laitiers de ma région sont confrontés à cause de la maladie de la vache folle et des problèmes que posent les vaches de réforme. Je sais que le député provincial qui représente cette circonscription a émis des communiqués de presse qui, me semble-t-il, ont été reproduits dans le journal. Mais je crois que les questions agricoles n'ont fait l'objet d'aucune autre mention dans le journal. Peu importe qui dirige la publication concernée. Certains faits doivent être rapportés, surtout lorsqu'il y a un cahier consacré aux affaires. Ces faits doivent en faire partie.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci beaucoup. Il ne fait aucun doute que vous soulevez un point intéressant, celui de la couverture, ou de l'absence de couverture des faits relatifs aux industries locales.
Le sénateur Munson : Monsieur Steeves, nous avons connu une journée tout à fait particulière. Je crois que le nom « Irving » a été mentionné 150 ou 200 fois. De plus, toute la matinée, nous avons entendu des observations similaires, comme par exemple : « Personne n'ose embêter les Irving », « Les propriétaires s'ingèrent dans la politique de rédaction », on parle ici de leur autocensure, « Nos journaux hebdomadaires sont engloutis », et vous nous avez dit que vous avez éprouvé vos propres difficultés. Je me demande s'il est possible à l'heure actuelle de se trouver un emploi dans cette province.
M. Steeves : Depuis que je suis parti, j'ai publié un livre et, désormais, je me considère comme un auteur.
Le sénateur Munson : Je me demande simplement quelle devrait être notre recommandation étant donné la situation actuelle. Que croyez-vous que nous devrions recommander? Proposez-vous que nous allions jusqu'à recommander qu'on mette fin à un monopole dans cette province, que nous affirmions que ce monopole est mauvais pour la province, contraire aux intérêts des gens du Nouveau-Brunswick? D'après ce que nous avons constaté, il me semble que cette province est différente des autres. Je suis très fier de cette province; j'y suis né et j'y ai grandi. Toutefois, mis à part les voix qui s'élèvent contre ce monopole, je n'entends presque rien.
M. Steeves : D'abord, si le gouvernement, le Sénat ou la Chambre des communes ordonnait qu'on mette un terme à ce monopole, je ne crois pas que la situation s'améliorerait automatiquement. De façon générale, je ne suis pas en faveur de l'ingérence du gouvernement. J'ai souligné le fait que le New York Times a récemment nommé un rédacteur chargé des normes et responsable devant le public. Dimanche matin, j'ai écouté une entrevue au sujet de la nomination de Daniel Okrent au poste de rédacteur responsable devant le public pour le New York Times. Ce poste est à peu près l'équivalent de celui d'un ombudsman qui agirait comme un représentant des lecteurs afin d'assurer l'intégrité du journal. J'ai mis cette nomination en relief. Je crois que c'est une bonne idée en principe. J'ai décidé de consulter le site Internet du New York Times, et il me semble que ce journal a assaini ses pratiques depuis le départ de Jayson Blair, qui inventait des faits et qui plagiait des articles. En effet, la plupart des éditoriaux de M. Okrent s'intitulent « Correction », et signale des erreurs d'épellation, soulignant par exemple qu'on a écrit M-O-N-S-E-N au lieu de M-U-N-S-O-N. Néanmoins, je suis en faveur de l'idée voulant que les journaux appartenant à la famille Irving nomment un rédacteur responsable devant le public qui pourrait indiquer quels articles sont biaisés, formuler des opinions et voir ses textes publiés dans crainte de représailles. Si ce concept est bon pour le New York Times, il est probablement valable dans le cas dont nous discutons. Je crois que les entreprises qui veulent faire de la publicité seront probablement prêtes à payer un supplément pour que leurs annonces paraissent sur la même page, si c'est fait convenablement.
La question qui se pose est celle de savoir si cette personne éveillera des soupçons. En effet, il est facile de nommer une personne très vulnérable malgré les apparences, qui posera des gestes très timides tout en affirmant qu'il s'agit de critiques virulentes. Je crois que les personnes qui dirigent réellement les journaux du groupe Irving pourraient éviter une telle situation en demandant à un groupe indépendant, constitué de trois ou quatre professeurs de journalisme, par exemple, de recommander des candidats au poste de rédacteur responsable devant le public. Ce groupe pourrait proposer des candidats qui seraient plus susceptibles d'occuper ce poste sans éprouver de crainte. D'après ce que je comprends, le rédacteur responsable devant le public du New York Times peut être congédié, mais j'imagine qu'il y aurait un tollé de protestations si on le congédiait pour des raisons inacceptables.
J'en ai brièvement discuté avec James C. Irving car je lui ai envoyé un exemplaire de la lettre que j'ai écrite au sénateur Day. M. Irving m'a dit qu'il avait envisagé l'idée d'engager un ombudsman. Comme je l'ai dit, j'estime que M. Irving a de bonnes intentions, mais il est dans une situation très difficile car il gère une série d'entreprises oeuvrant dans le domaine de l'information dans une région où sa famille, c'est-à-dire ses oncles, son grand-père, son père et ses cousins, gère toutes les autres entreprises. Quoi qu'il en soit, cette idée vaut la peine d'être examinée. Le Sénat ne pourrait pas imposer une telle mesure, mais pourrait au moins en faire la recommandation.
Le sénateur Munson : J'ai une autre question. Les journalistes à la pige ont-ils la possibilité de travailler pour les journaux de la famille Irving?
M. Steeves : Oui. Il y a quelques années, je rédigeais une chronique hebdomadaire pour le Gleaner de Fredericton et le Times & Transcript de Moncton. C'était une situation plutôt avantageuse car les deux journaux me payaient et je leur envoyais à tous deux le même texte. Toutefois, le Gleaner de Fredericton a décidé de mettre fin à mon contrat, alors j'ai perdu la moitié de mon revenu. Au même moment, le Times & Transcript de Moncton a décidé de réduire la rémunération pour chaque chronique de 50 $ à 25 $. Par conséquent, il m'a semblé que ça ne valait plus la peine de continuer, alors j'ai cessé de travailler pour ce journal. Il y a des possibilités de travail à la pige, mais la rémunération est négligeable.
La présidente : L'incident de Bayshore est-il le seul de cette nature à s'être produit? S'agit-il plutôt d'événements qui sont fréquents?
M. Steeves : Non, c'est le seul incident de ce genre auquel je puisse songer. Je n'aime pas relater les observations qui sont confidentielles parce que, dans les années où nous avons travaillé ensemble, M. Irving et moi avons eu des liens très serrés.
La présidente : Je ne vous demande pas de trahir la confiance de qui que ce soit. Je vous demande simplement si un tel incident s'est produit une seule fois ou à plusieurs reprises.
M. Steeves : Oui, mais, c'est l'incident que me vient àl'esprit. Je me souviens d'autres événements qui ont eu lieuen 1972. J'aurais aimé avoir les documents pertinents sous la main. Je les ai à la maison et je pourrais vous les apporter dès demain. En 1972, lorsque j'ai été embauché par le Telegraph-Journal à l'époque de Ralph Costello, un éditeur très connu, le directeur des nouvelles locales m'a demandé de mener une enquête dans le quartier Red Head de Saint John parce que les gens se plaignaient du fait que leurs maisons blanches étaient devenues brunes du jour au lendemain. Je m'étonne encore aujourd'hui de voir combien je manquais d'expérience. Je crois qu'on s'attendait à ce que je rapporte les propos des gens du quartier qui disaient : « N'est-ce pas terrible? Je me demande ce qui a causé tout cela. » Je suis plutôt revenu à mon bureau au journal avec une lettre que le ministre provincial de l'Environnement de l'époque, Bill Cockburn, avait envoyée au député provincial local et dans laquelle elle affirmait qu'il ne faisait aucun doute que ce changement de couleur avait été causé par un accident à l'usine d'acide sulfurique de la raffinerie Irving. Je l'ai écrit dans mon article, peut-être que c'était mal formulé, mais c'en était l'essentiel. Fred Hazel, qui était le rédacteur en chef, je pense, a pris mon article et l'a confié à un journaliste chevronné, qui ne travaille plus pour le journal. On a retardé de 24 ou 48 heures la parution de l'article. Je ne me souviens pas exactement du délai. Lorsque l'article a été publié, on avait pris bien soin d'atténuer les propos du ministre de l'Environnement. En outre, le paragraphe 17 ou 18 de l'article précisait que le ministre s'était exprimé plus clairement dans une lettre envoyée au député provincial, dans laquelle il avait tenu certains propos, mais la proportion de lecteurs susceptibles de lire l'article jusqu'au paragraphe 17 ou 18 était très faible. J'ai gardé mes notes dactylographiées ainsi que l'article tel qu'il a paru dans le journal. Ainsi, il arrive que de tels incidents se produisent.
La présidente : Pourquoi croyez-vous que le Kings County Record ne couvre pas les grandes industries? Est-ce dû au nombre insuffisant de journalistes? Je ne vois pas comment l'empire Irving pourrait éviter de consacrer des articles à la crise de l'ESB.
M. Steeves : Pour ce qui est de l'industrie du camionnage, il y a de nombreux camionneurs indépendants, mais Midland Transport et Sunbury Transport, qui appartiennent toutes deux au groupe Irving, sont parmi les plus importantes entreprises du Nouveau-Brunswick. Dans le secteur du bois d'œuvre, la situation est encore plus évidente. La plus grande usine de bois d'œuvre dans la région de Sussex est l'entreprise Irving...
La présidente : Oui, je le comprends. De nombreuses personnes nous ont expliqué l'importance que revêt l'empire Irving pour l'économie du Nouveau-Brunswick.
M. Steeves : Oui.
La présidente : Je me demande simplement si le journal manque de personnel et, par conséquent, a pris une décision arbitraire.
M. Steeves : Je ne crois pas que cela tienne nécessairement au nombre de journalistes.
La présidente : Non? Cependant, vous n'en êtes pas sûr,n'est-ce pas?
M. Steeves : Je pense que la question est intéressante. Les journalistes, les rédacteurs, suivent ce qui les intéresse plutôt que d'essayer de réfléchir à ce que la collectivité a besoin de savoir.
La présidente : Je crains que cela ne soit pas nouveau. Merci beaucoup. Votre témoignage a été très intéressant.
M. Steeves : Si vous le voulez, je peux laisser un exemplaire du document à M. Heyde.
La présidente : Oui, ce serait très bien.
Sénateurs, nous invitons maintenant M. David Cadogan à témoigner. M. Cadogan est un journaliste à la retraite etex-président de la Canadian Community Newspapers Association. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a eu une bourde dans notre liste de témoins mais il est ici, ce qui est sans doute plus important que d'avoir son nom écrit sur un bout de papier. Bienvenue au comité, monsieur Cadogan.
M. David Cadogan, ex-président, Canadian Community Newspapers Association, à titre personnel : Merci, madame la présidente, honorables sénateurs. Je dois vous dire qui je suis. Je suis un ex-président et un membre honoraire à vie ainsi qu'un membre fondateur de la Atlantic Community Newspapers Association. Je suis un ex-président et membre honoraire à vie de la Canadian Community Newspapers Association. J'ai un doctorat honorifique de droit civil de l'Université King's College et pendant plus de 30 ans, j'ai été propriétaire, éditeur et rédacteur d'un journal communautaire au Nouveau-Brunswick. Je pense que tout cela me donne le droit de parler de la situation des journaux au Canada et au Nouveau-Brunswick.
Pendant plus de 50 ans, j'ai observé le secteur et j'y ai contribué. J'ai commencé comme apprenti dans le petit journal de mon père dans le sud-ouest de l'Ontario et j'avais alors huit ans. Pour vous donner une idée, quand j'ai débuté, la machine linotype, qui permet de composer en lignes-blocs, n'avait que 65 ans. Il y avait encore des gens vivants qui se souvenaient du temps où ils lisaient un journal dans lequel chaque mot était composé une lettre à la fois. Les titres étaient encore composés une lettre à la fois quand j'ai débuté. Depuis, les explosions technologiques dans les domaines de l'information, du calcul et de la communication se sont succédé. Nous avons vécu des années emballantes.
Pour simplifier votre démarche, il serait peut-être bon d'étudier la situation des médias, les tendances, etc., dans le contexte de la situation de la société et des tendances dans les collectivités. Cela pourrait peut-être vous permettre de déterminer ce qui se produit dans le secteur des journaux. Dans ma vie, la technologie a transformé les journaux, plus particulièrement les journaux communautaires, en entreprises très rentables. Quand j'ai commencé, un petit journal vendait également des fournitures de bureau et faisait essentiellement de l'imprimerie commerciale. La publication du journal exigeait quelques heures par semaine, et bon gré mal gré, le journal s'en tirait. En 1974, quand j'ai acheté le Dalhousie News, c'était un hebdomadaire de huit pages et si une semaine donnée on ne pouvait pas remplir huit pages, on en remplissait cinq et on reprenait trois pages du numéro précédent. Parfois, les mêmes pages étaient reproduites plusieurs semaines d'affilée. Les choses ont changé de façon spectaculaire avec l'arrivée de la photocomposition et par la suite, celle de la composition numérique, etc.
Quand je suis arrivé dans le métier, les journaux communautaires n'embauchaient pas de journalistes ou de responsables de la publicité. Toutefois, la productivité et la qualité amenées par la technologie ont permis de modifier cela. C'était une merveilleuse époque pour être jeune parce que les anciens ne voulaient pas apprendre les nouvelles méthodes et c'est ce qui m'a permis d'acheter mon journal. Soit dit en passant, j'ai été propriétaire du Kings County Record. C'était un des journaux que je possédais.
En même temps, il y a eu des bouleversements dans la collectivité. Par exemple, les chaînes, les franchises et les coopératives de détail comme les pharmacies Pharmasave se sont multipliées et ont remplacé les marchands locaux. Les gouvernements ont pris de l'ampleur et ont centralisé des catégories de services comme les soins de santé, l'éducation, les services d'ordre. Cette évolution a modifié le marché et le public traditionnels dans la collectivité, et il faut toujours apparier le public à un marché dans le domaine de la publication. Les gros détaillants régionaux doivent ratisser de plus en plus large pour aller chercher leurs clients; ils peuvent le faire et le font. Les conseils scolaires locaux qui autrefois s'occupaient des dossiers et des écoles de la localité font désormais partie de vastes réseaux régionaux ou provinciaux, et l'interaction locale est minime. Il en résulte que les journaux doivent relever de nouveaux défis pour apparier les publics et les marchés. Autrefois, les gens se connaissaient les uns les autres, connaissaient les membres du conseil d'administration de leur hôpital ou de leur conseil scolaire, car c'était eux-mêmes, et ils faisaient leurs achats dans les mêmes commerces. Aujourd'hui, il y a des banlieusards qui savent à peine dans quelle collectivité ils habitent et ne savent peut-être pas où se trouve l'hôtel de ville.
Au fur et à mesure que cette tendance se poursuit, apparier un public et un marché devient plus difficile. Les journaux communautaires ont de plus en plus de mal à définir les intérêts communs de grands marchés et à maintenir circulation, pénétration et pourcentage. Pendant ma vie, les journaux communautaires ont obtenu de bien meilleurs résultats que n'importe quel autre support. Nous avions le monopole des informations locales. Au moment où les quotidiens perdaient leur emprise dans le domaine des informations nationales et internationales, au profit de la télévision, il restait un monopole et c'était les informations locales. Toutefois, avec la disparition de la collectivité, le monopole disparaît.
Les quotidiens doivent apprendre à devenir des journaux communautaires, car bien d'autres sources d'informations nationales et internationales leur font concurrence. On constate ça sur Internet. La version Internet des plus gros quotidiens est constituée d'informations locales.
Les jeunes gens se marient et attendent avant d'avoir des enfants. Cela retarde le moment où ils commencent à s'intéresser aux affaires de la collectivité et aux enjeux locaux. Les jeunes gens sont de moins en moins prêts à payer pour l'information qu'ils obtiennent, à attendre que le journal arrive ou à se soucier de se débarrasser des vieux journaux. Ils ne veulent pas de journaux chez eux. Cela signifierait qu'ils en sont responsables, et peut-être se soucient- ils des arbres que représentent les journaux.
Il est aussi difficile pour un journal indépendant, ou même un petit groupe, de trouver des clients chez les publicitaires nationaux ou régionaux. Je vais vous donner un exemple. Je vis dans la vallée de la Miramichi et aller à Montréal et en revenir est affaire d'une nuit de train. Via pourrait faire une publicité intéressante à cet égard car on peut monter dans le train à l'heure du souper, manger à bord, prendre quelques verres, aller se coucher, et se réveiller à Montréal. Même chose pour le retour. Toutefois, Via ne va pas faire une publicité uniquement pour mon journal étendard, le Miramichi Leader. Via ne va pas s'embarrasser d'un seul journal. Par conséquent, les chaînes veulent travailler avec d'autres chaînes et il en résulte une tendance au divertissement et à l'information génériques. Nous savons tous comment la télévision et la radio se sont organisées en réseaux qui offrent les mêmes spectacles, la même musique, et pour l'essentiel, les mêmes informations.
J'étais propriétaire indépendant et j'ai vendu mon entreprise aux Irving. Bien des facteurs sont intervenus pour déterminer quand et à qui j'ai vendu. Tout d'abord mon âge, même si j'aurais été ravi de continuer encore plusieurs années. Ensuite, les journaux ont une valeur marchande élevée par rapport à leurs actifs. Ils sont plus précieux pour des acheteurs qui ont de grosses immobilisations et un potentiel synergétique. Un rédacteur ou un responsable de la publicité aurait bien du mal à faire une offre concurrentielle. En effet, il n'y a pas beaucoup de garanties possibles dans l'entreprise. Acheter un journal ce n'est pas comme acheter un immeuble pour lequel vous pouvez obtenir un prêt hypothécaire correspondant à 75 p. 100 du prix. Dans un journal, il y a un peu d'équipement de composition et un peu de logiciels qui se déprécient au galop de sorte que les banques refusent de prêter beaucoup d'argent. Mes enfants n'étaient pas intéressés dans le côté commercial, et même s'ils l'avaient été, je n'aurais pas voulu leur imposer de faire face aux nouvelles réalités du marché. Il est également capital de vendre quand plus d'un acheteur est intéressé. Au moment où j'ai vendu, le nombre de groupes diminuait rapidement. On m'avait pressenti à plusieurs reprises. Dans d'autres secteurs, les conglomérats ont l'habitude de frapper trois fois. Après le troisième refus, ils reviennent à la charge de toute façon. Une de ces grandes organisations qui lancerait un journal dans une collectivité n'écrase pas nécessairement un petit journal. Il lui suffit de recueillir la crème. Cela fait diminuer la valeur du petit journal et dissuade les autres conglomérats d'entrer dans la lutte. En affaires, personne ne souhaite une lutte équitable. Tout le monde veut le haut du pavé et les meilleures armes.
Je me suis senti un peu obligé de négocier. Je ne pense pas que ma situation était tellement spécifique au secteur car je crois que c'est le cas pour toute entreprise. Je m'estime très heureux d'avoir été propriétaire d'une entreprise qui coûtait moins cher, financièrement et politiquement, à acheter qu'à évincer. Je le répète, de façon générale dans la société et dans les collectivités, nous avons tous été témoins du remplacement des grands magasins locaux, des boutiques de vêtements, des pharmacies et des restaurants par des chaînes nationales et internationales. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas des journaux?
Les chaînes, les franchises et les coopératives dans d'autres secteurs, les grands magasins, etc., ont commencé à produire leurs propres encarts plutôt que de faire passer des publicités dans les journaux. Au départ, les encarts accompagnaient le journal, mais je dois ajouter que ces chaînes nationales réalisent des bénéfices grâce à ces encarts. Elles facturent les fabricants pour la publicité donnée à leurs produits dans ces encarts et dans le magasin, et l'encart lui-même devient un objet rentable. Plus tard, la Société canadienne des postes s'est lancée intensément dans la distribution d'encarts et elle a supplanté les journaux sur le marché. Cette société d'État s'adonnait nettement à des pratiques d'éviction.
Plus récemment, quand on a forcé la Société canadienne des postes à abandonner la distribution d'encarts à des prix très escomptés, ce qui avait été jusqu'alors un monopole lucratif pour la société d'État a été remplacé par des monopoles régionaux du secteur privé. La plupart de ces distributeurs régionaux d'encarts sont des monopoles propriétés de grands imprimeurs/éditeurs qui les exploitent.
La technologie a également offert la possibilité d'imprimer et de développer des publicités et des images en couleur, ce qui correspond aux attentes du public. Toutefois, l'impression en couleur exige quatre fois plus de presses que l'impression en noir et blanc. La presse ne sait pas qu'il faut ajouter un peu de rouge ou un peu de jaune ça et là. La presse sait où mettre de l'encre noire et où mettre les couleurs primaires, jaune, rouge, bleu. Quand on les mélange, on obtient une image en couleur. Ce phénomène, auquel s'ajoute la transmission de renseignements électronique — en d'autre termes, je peux envoyer par courriel toutes les pages de mon journal pour que vous puissiez les imprimer — a abouti à de plus grosses imprimeries régionales qui impriment nombre de publications et d'encarts publicitaires. Les grandes imprimeries se sont jointes aux journaux et aux distributeurs d'encarts publicitaires pour accentuer la concentration, de sorte que nous assistons désormais à une chaîne verticale de contrôle de l'offre.
Malheureusement, cela a beaucoup nui aux petites publications. Les petits tirages, les publications peu étoffées ne sont pas efficaces sur les grosses presses. C'est un peu comme si on essayait de se servir d'une grue pour creuser une plate-bande.
La concentration des médias est inquiétante surtout dans des régions comme le Nouveau-Brunswick et les Maritimes, où une famille, les Irving, contrôle une telle quantité de secteurs industriels et commerciaux. Il faut dire cependant qu'avant la concentration des médias, il y avait de très bons journaux et de très mauvais journaux. Personnellement, je regrette infiniment de ne plus pouvoir utiliser le fait que je suis propriétaire d'un journal local pour défendre les intérêts de la collectivité. J'ajoute que d'aucuns diront d'emblée que j'étais un éditeur qui fourrait son nez partout. Comme A. J. Liebling l'a dit : « La liberté de la presse appartient à celui qui en possède une. » C'était mon cas.
Au Nouveau-Brunswick actuellement, à moins de travailler pour les Irving, il y a peu de débouchés dans la presse écrite. Dans la vallée de la Miramichi, quand j'étais propriétaire de journaux, si vous ne travailliez pas pour moi, vous aviez peu de débouchés dans la presse écrite. Au Nouveau-Brunswick, les médias Irving ont manifestement plus de chance d'obtenir des contrats publicitaires de la part des autres entreprises familiales que moi j'en avais. Quand j'étais propriétaire de journaux, je réservais une utilisation privilégiée des ressources et de l'accès à mes journaux à mon site Internet communautaire. Les médias Irving ont été et seront des concurrents féroces pour quiconque cherche à obtenir les mêmes contrats publicitaires qu'eux. Quand j'étais propriétaire de journaux locaux, je livrais une concurrence féroce pour préserver ma domination du marché local. J'avais pour politique de faire payer à mes journaux les mêmes tarifs d'impression qu'aux autres clients, et j'ai imprimé pour des concurrents. Je faisais de mon mieux pour garantir qu'il n'y avait pas de sous-utilisation ou de débouchés de publicité qui restaient sans preneur. Nous ne voulions pas perdre des contrats de publicité qui auraient été donnés à d'autres.
Le marché où Irving est dominant au Nouveau-Brunswick ne représente que 750 000 personnes. Si une famille dominait les médias et l'industrie dans un ville de cette taille, est-ce qu'on s'y arrêterait?
La concentration des médias n'est pas nécessairement mauvaise en soi. Les chaînes peuvent rechercher l'excellence pour leurs éditoriaux. Les journaux de Caribou Press de David Black en Colombie-Britannique reçoivent sans cesse des prix nationaux et internationaux pour leurs efforts, et c'est le cas également d'autres chaînes. Toutefois, il me semble que la recherche de la productivité, de la croissance et des bénéfices pourrait aboutir à tuer la poule aux œufs d'or. Je ne sais pas s'il n'y a que moi qui pense ainsi mais il semble que plus il y a de diplômés en administration des affaires, plus les sociétés poussent la rentabilité au seuil de ses possibilités et aux limites de la légalité — et au-delà. Suis-je le seul à constater ou à penser cela?
Faut-il absolument que la pression pour l'augmentation des revenus et des bénéfices ne s'arrête qu'une fois qu'ils ont été dépassés? Voici un exemple : les informations locales coûtent plus cher à produire. Une chronique locale coûte plus cher qu'une chronique souscrite. Les informations ponctuelles coûtent plus cher que les informations génériques et on constate que plus les journaux sont contrôlés par des diplômés en administration des affaires, plus on y lit des informations préenregistrées, ce que l'on appelait autrefois des informations passe-partout.
On constate que les publics sont de plus en plus attirés, polarisés par les médias populaires qui offrent un divertissement à bon marché et de moins en moins de débats soutenus et éclairés. Nous n'en sommes pas encore au même point que les Américains à cet égard, mais il est facile de voir que c'est déjà bien engagé. Quand on y réfléchi, la présence de Don Cherry lors de la retransmission des matchs de hockey de la Ligue nationale vise plus le divertissement que la véritable information. Rappelez-vous quand c'était Howie Meeker qui parlait de hockey, nous recevions une information raisonnée, pas seulement un divertissement.
C'est très déplorable car cela a abouti à un déclin de la culture civique et de la participation des citoyens à la démocratie, comme le professeur Henry Milner l'a démontré. Les sondages quotidiens ont souvent eu un effet néfaste sur la sincérité des messages entendus pendant les campagnes politiques. Quand on se demande pourquoi les électeurs d'aujourd'hui sont moins intéressés à la politique qu'autrefois, je pense qu'il faut comprendre que le public sait très bien que les politiciens ne disent pas ce qu'ils pensent. Ils disent, en se fondant sur les sondages de la veille, ce que nous voulons entendre. Par conséquent, les médias au nom de la popularité se contentent du dénominateur commun le plus bas. Quand les gens s'adonnent à des concours de popularité, ils choisissent la forme de divertissement la moins élevée parce qu'une bagarre attire toujours l'attention. Les mesures pour la presse écrite sont de plus en plus fiables si bien que l'on peut s'attendre à ce que les rédacteurs subissent le même genre de pression que les producteurs de télévision subissent dans le domaine du divertissement depuis des années. Fox News, gare!
Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'avenir pour les éditeurs de journaux indépendants. Cela aurait peut-être pu être si les indépendants avaient choisis une gestion coopérative il y a des années, comme l'ont fait les propriétaires de Pharmasave. Les éditeurs communautaires toutefois avaient tendance à être farouchement indépendants. Ils préfèrent faire cavalier seul. Il semble que les mêmes conglomérats qui contrôlent les médias électroniques et imprimés vont sans doute contrôler Internet et la Toile. Il semble que ce soit le destin. Ils n'ont pas besoin d'avoir une idée lumineuse. Il leur suffit de voir où sont les joueurs, copier ou acheter ensuite.
Assurément, il semble injuste d'essayer de stopper ou de contrer le réseautage des journaux quand on sait que la télévision et la radio le font depuis des années. Combien reste-t-il de stations de radio communautaires au pays qui offrent divertissement et informations locales avec des artistes locaux? Pourquoi et comment veut-on que les journaux soient les seuls médias publicitaires à ne pas se constituer en réseau?
En conclusion, depuis 50 ans, les médias, sauf quand des inquiétudes ou une réglementation gouvernementale les en empêchaient temporairement, ont été le reflet des changements dans la collectivité et dans la façon de faire des affaires à l'échelle nationale et internationale. Obliger les médias à se soumettre à des règles spéciales en ce qui concerne la concentration sans obliger les autres entreprises à se conformer aux mêmes règles serait destructeur et contre-productif. Même si je ne suis pas ravi de la tendance actuelle qui veut que l'information soit désormais une forme de divertissement, je suis fermement convaincu que l'intervention du gouvernement n'est pas une solution. Je pourrais écrire un livre sur la façon dont l'intervention gouvernementale pourrait être utilisée, et a été utilisée à mauvais escient et de façon contre-productive. Je vais vous donner un exemple. Les gouvernements fédéral et provincial ont donné six millions de dollars à un quotidien de langue française, Le Matin, parce que les politiciens et les bureaucrates pensaient que ce serait la solution à la suite de la disparition de l'Evangéline. L'Acadie Nouvelle, non subventionnée, a apparié son marché et son public et a démoli son concurrent très subventionné, comme c'est la mission d'un véritable journal. La décision du gouvernement provincial de verser une subvention au journal Le Matin avait été prise à l'unanimité par l'Assemblée législative, de sorte qu'elle avait décidé à l'unanimité de prendre une mesure néfaste.
Je ne peux parler en connaissance de cause que des médias. Toutefois, je pense que les mêmes principes de fair-play peuvent et doivent s'appliquer à tout le commerce. L'un d'entre eux est l'accès. Dans bien des secteurs, il y a des éléments qui sont interdépendants. La concentration d'un secteur ne devrait pas stopper la concurrence en bloquant l'accès à des éléments nécessaires. Si les conglomérats médiatiques par exemple bénéficient de quasi-monopoles sur l'impression et la distribution, il est essentiel que les concurrents aient un accès égal à ces services à des coûts égaux. Je pense que cela est compris dans le secteur des télécommunications et je pense que cela devrait également être compris dans la distribution et l'impression d'encarts publicitaires. Si une entreprise possède le seul réseau local de distribution d'encarts, un éditeur concurrent devrait avoir un accès égal à ce réseau, à des prix égaux pour le produit qu'il offre.
De plus en plus, les portails Internet sont sous la domination des conglomérats, et les concurrents devraient peut- être avoir la garantie du droit de leur acheter des liens. Les prix d'éviction, auxquels on a recours temporairement pour se débarrasser d'un petit concurrent, devraient être illégaux et interdits dans tous les secteurs, non seulement dans l'édition. Je pense qu'ils le sont aux États-Unis. On entend parler de la décision Wonder Bread. Cette société s'adonnait couramment à ce genre de pratique et elle a été déclarée coupable. Il nous faudrait des protections semblables ici au Canada.
Au nom de l'intérêt national, pour garantir qu'il y ait au moins un média dont le mandat est de s'occuper avant tout des intérêts des citoyens, il est de plus en plus important que le gouvernement du Canada finance adéquatement la Société Radio-Canada. Cette société doit être en mesure de combler les vides laissés par les médias privés qui s'orientent de plus en plus vers l'information divertissante, affriolante, à bon marché ou qui protègent les intérêts de la culture organisationnelle dont ils font partie. Soit dit en passant, j'espère que la Société Radio-Canada va attendre le temps qu'il faut pour que son public atteigne la maturité nécessaire, même s'il faudra un peu plus de temps que par le passé. Tenter d'attirer le même public que les médias privés est contre-productif. La Société Radio-Canada doit viser un niveau d'intérêt et le maintenir, et non pas viser un groupe d'âge.
Je pense qu'il est également de plus en plus important que le financement des campagnes politiques soit fait de plus en plus à même des deniers publics pour que les députés deviennent comptables aux électeurs plutôt qu'aux entreprises ou aux syndicats. Cela peut vous sembler une remarque non pertinente et cocasse, mais au fur et à mesure que les médias et autres sociétés continuent de prendre de l'expansion, l'accès aux médias et la participation des citoyens à la démocratie se fondent en une cause commune.
En terminant, je pense qu'il faut permettre aux conglomérats médiatiques de poursuivre leur chemin. S'ils cafouillent, quelqu'un va trouver une façon de récupérer les publics qu'ils perdent. Les médias n'ont pas toujours été extrêmement rentables. Il est arrivé qu'ils soient les instruments des églises, des syndicats et des partis politiques. Il est arrivé qu'ils doivent compter essentiellement sur les revenus de leur tirage, de leur publicité et des petites annonces ou même des droits d'appartenance à une organisation. Franchement, il est difficile d'imaginer que le gouvernement du Canada aurait le pouvoir et la volonté qu'il faut pour s'attaquer aux grosses fortunes qui contrôlent les médias canadiens. Pour la plupart, elles sont intimement liées aux partis politiques et sans doute tout à fait capables de contrer toute tentative de les priver des instruments de pouvoir dont elles se servent pour dominer leurs marchés. Bonne chance et merci.
La présidente : Votre exposé était si intéressant que je vous ai donné un peu plus de temps que prévu.
M. Cadogan : Je sais. Je me suis rattrapé car on avait omis de mettre mon nom sur la liste.
La présidente : En effet.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Cadogan, je suis allée dans la vallée de la Miramichi à plusieurs reprises et vous continuez d'être une légende là-bas. Vous n'êtes peut-être pas aussi en vue actuellement, mais vous restez dans le coeur du public.
M. Cadogan : Sénateur, vous êtes vous-même toute une légende.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci beaucoup. Je pense que vous nous avez exposé les meilleurs arguments commerciaux que nous avons entendus jusqu'à présent, surtout dans le cas d'espèce que représente une petite province dont la population, comme vous l'avez dit, pourrait être celle d'une petite ville. Étant donné que vous avez exposé vos arguments si clairement et si méticuleusement, et puisqu'il s'agit ici de concentration des médias dans une province de 750 000 habitants, dont un tiers sont francophones, je vous demande quelle note vous accordez à la diversité des journaux au Nouveau-Brunswick? Quand je parle de diversité, je ne parle pas de la propriété, mais je parle de la quantité de petits journaux qui y sont publiés en plus des trois quotidiens de langue anglaise. Sommes-nous bien servis sur le plan de l'information écrite ou non?
M. Cadogan : Tout d'abord, il faut dire que chacun a sa petite idée sur la façon dont l'information devrait être gérée. Croyez-le ou non, il fut un temps où je signais les chèques de paie de Jamie Irving car j'étais propriétaire du Kings County Record où il travaillait. Je sais que lui et moi avons chacun un point de vue un peu différent. Il prétend que chaque journal doit avoir quatre sections, une pour les affaires, une pour les sports, une pour les informations générales, etc. J'ai un point de vue un peu différent là-dessus et d'autres ont le leur. Vous ne trouverez pas deux personnes qui aient le même. Je pense que nous avons au Nouveau-Brunswick toute une gamme de publications mais franchement, je dois dire que non seulement dans notre province mais d'un bout à l'autre du Canada — et je dis ceci en tant qu'ex-président de la Canadian Community Newspapers Association, dont je suis encore membre honoraire à vie, si bien que je me tiens au courant — le secteur fait passer les contrats publicitaires potentiels avant les intérêts du public lecteur. À quoi pensez-vous que servent ces journaux distribués gratuitement dans la rue? S'intéressent-ils aux intérêts supérieurs de la collectivité locale et aux grands dossiers qui la préoccupent? Ils servent à capter des revenus publicitaires. Je ne vois rien de mal à cela. Ces revenus m'ont permis de me nourrir moi et mes enfants pendant toute une vie. Toutefois, je constate que les cadres de ces journaux, diplômés en administration des affaires, ont un objectif totalement différent de celui que les véritables journalistes avaient. Il fut un temps où les journalistes qui étaient propriétaires de journaux, et de stations radio, voire de stations de télévision, s'intéressaient au bien de leurs collectivités. Ils les défendaient. Ils considéraient leurs collectivités, même si c'était Toronto ou l'Ontario, comme une exploitation agricole qu'il fallait entretenir. Par conséquent, ils se portaient à la défense de l'éducation, du bon gouvernement, du progrès, etc. Cela a changé. Je ne parle pas de la famille Irving ici. Je parle des chaînes, et je dis que ce sont des diplômés en administration des affaires de façon générale car j'utilise ce vocable quand je constate que c'est le bilan qui compte avant tout. L'attitude est la suivante : « Remplissons les pages, diffusons et empochons l'argent », et si quelqu'un lit le journal, à la bonne heure. Peu importe ce qui attire le lecteur, les mots croisés ou les bandes dessinées. Tout va. Il y a beaucoup de publications de nos jours mais je ne pense pas qu'elles existent pour la même raison qu'autrefois.
Le sénateur Munson : Combien payiez-vous Jamie Irving? Il devait penser que c'était un bon salaire puisqu'il a poursuivi dans le domaine.
M. Cadogan : Il a assez bien réussi, n'est-ce pas?
Le sénateur Munson : Oui, en effet.
M. Cadogan : À vrai dire, je ne lui versais pas de salaire. On m'avait donné ses services.
Le sénateur Munson : Je vois. Ce n'était pas ma question. J'ai rencontré Jamie Irving. C'est un jeune homme épatant.
M. Cagodan : Je pense qu'il veut vraiment publier de bons journaux.
Le sénateur Munson : En effet. Enfin, espérons-le.
Je voudrais vous poser une question à propos de l'indépendance du contenu éditorial car ce matin au début de la journée, ce qui me semble être il y a trois jours, on a dit qu'au moment où Frank McKenna a été nommé ambassadeur, trois éditoriaux ont applaudi à ce choix. Je veux bien. Cela peut être une coïncidence mais je m'inquiète davantage des petits hebdomadaires que les Irving possèdent. Au sein de ce monopole, l'indépendance du contenu éditorial des journaux de petites municipalités au Nouveau-Brunswick est-elle protégée? J'ajoute que la famille Irving possède beaucoup de propriétés ici. Le rédacteur d'un journal de petite municipalité oserait-il adresser des critiques, constructives ou non, à l'empire Irving?
M. Cadogan : Une fois les journaux vendus, les nouveaux propriétaires m'ont gardé comme expert-conseil pendant six mois mais c'était tout simplement pour pouvoir s'adresser à moi quand ils ne trouvaient pas quelque chose. Toutefois, pendant ce temps, on m'a confié une chronique qui paraissait dans tous leurs hebdomadaires. J'ai notamment attaqué farouchement le rapport Jaakko Poyry, qui à mon avis défendait une thèse très erronée. Ce que j'ai écrit alors a été publié mais depuis je n'ai rien lu qui critique Jaakko Poyry.
La présidente : Je viens de loin.
M. Cadogan : Oh, je suis désolé. Le rapport Jaakko Poyry a été exécuté à la demande du gouvernement du Nouveau-Brunswick et de la Forest Industries Association et suggérait que la production de bois provenant des terres publiques devrait être doublée au cours des 50 prochaines années. Pour résumer, même le comité du gouvernement provincial qui a été mis sur pied pour évaluer cette recommandation a fait une recommandation contre. Je suis tout à fait convaincu, cependant, que cela va aller de l'avant quand même. Nous le saurons assez tôt. De toute façon, après que j'ai écrit à ce sujet, je ne me rappelle pas avoir vu ou avoir entendu une critique quelconque de ce fait dans un quelconque des journaux communautaires. Je ne sais pas pourquoi, je n'y étais pas, mais je crois que les gens font de l'autocensure. Je pense que les employés font de l'autocensure. Comme je l'ai dit, que se passerait-il si vous avez tort et que vous finissez par vous retrouver sans travail. Pour qui allez-vous travailler? Je ne dis pas que les Irving doivent dire : « Ne le faites pas ». Je pense que peut-être que les gens ont simplement peur de les offenser d'une manière ou d'une autre. Je le répète, selon moi, ce n'est pas seulement une question qui touche les Irving. Est-ce que vous voyez beaucoup de critiques sur les Aspers dans les publications de CanWest, ou de Power Corporation dans leurs publications? Je ne veux pas en faire une question juste sur les Irving, bien que certainement, comme je l'ai dit, je voudrais m'assurer qu'il existe d'autres voix, et c'est pourquoi je crois que la Société Radio-Canada est si importante.
La présidente : Je vais effectuer la tâche que je me suis donnée, à savoir de faire l'avocat du diable. Vous avez suggéré que les nouveaux journaux gratuits distribués dans les métros ou les journaux de ce genre sont conçus uniquement pour écumer l'argent de la publicité. Manifestement, ils sont distribués et publiés pour attirer de l'argent publicitaire, mais on nous a suggéré, que du point de vue de ceux qui publient ces journaux, ce qui est important c'est le besoin d'attirer de jeunes lecteurs, que les jeunes consomment de moins en moins de nouvelles ou d'actualités en général, et certainement lisent de moins en moins les journaux, et ce serait un moyen pour les éditeurs de journaux de s'efforcer de leur donner la possibilité d'acquérir l'habitude de les lire, de sorte qu'à mesure qu'ils vieillissent, ils se mettent à lire de plus en plus les médias traditionnels.
M. Cadogan : Cela pourrait être certainement un facteur. Je sais que les éditeurs se préoccupent au sujet des jeunes et j'ai déjà indiqué un certain nombre de raisons qui me font croire que ces préoccupations ne trouveront pas leur satisfaction dans les médias imprimés. Je pense que ce sera plus par l'intermédiaire des médias électroniques, de l'Internet. C'est mon opinion. Cependant, si vous regardez ce qu'on trouve dans les journaux gratuits, ce ne sont pas des articles d'enquête ni des articles choc sur ce qui se passe localement. On y trouve les actualités en général. Pour ce qui est des quotidiens gratuits, dans The Okanagan et cetera, ils ont indiqué qu'il s'agirait de dépêches d'agences. C'est très générique, ainsi personnellement, je préfèrerais presque lire leDr Seuss.
La présidente : Merci beaucoup.
M. Cadogan : Avec plaisir.
La présidente : C'était très intéressant. Vous avez couvert beaucoup de sujets et nous vous en sommes très reconnaissants.
M. Cadogan : Merci.
La présidente : Encore une fois, nous nous excusons pour la confusion en ce qui concerne la liste.
M. Cadogan : Et je vous remercie pour le temps que vous m'avez accordé.
La présidente : Nous allons commencer la partie de la séance durant laquelle les membres du public peuvent donner leur opinion aux membres du comité.
Je vais appeler chaque participant à venir s'asseoir à la table, puis je leur demanderais leurs remarques préliminaires. Je voudrais faire remarquer à tous que nous étudions les médias d'information, ainsi vos exposés devraient se concentrer sur ce sujet. Les remarques des participants seront limitées à quatre minutes.
Nous avons certainement un grand nombre de participants aujourd'hui. Nous avions énormément de gens à Vancouver également. Nous avons entendu 17 personnes du public à Vancouver. Ce que cela signifie, je dois vous le dire à tous, c'est qu'il faut que nous soyons très disciplinés vis-à-vis du temps. Il n'y aura que quatre minutes par personnes pour leur exposé et quatre minutes pour les questions et réponses, donc nous devons être tous aussi brefs que possible. Je vais vous demander de vous rappeler que notre personnel travaille depuis 8 h 45 ce matin, ainsi il est important de tout faire correctement. Cependant, nous avons hâte d'entendre l'exposé de tous.
Le premier nom que j'ai sur la liste est celui de M. Jonathan Franklin.
M. Jonathan Franklin, témoignage à titre personnel : Merci beaucoup, je me sens un petit peu à part dans tout cela, parce que j'ai écouté bien des opinions exprimées et je pense que ce serait utile pour le comité d'entendre quelqu'un qui avait deux ou trois de ces journaux dans cette province au cours des huit dernières années. J'étais l'éditeur du Times & Transcript de 1996 à 2001, puis du Telegraph-Journal après cela. J'ai une expérience de 40 ans dans les journaux. J'ai travaillé avec Southam à Vancouver, pour Thomson à Victoria et à Kelowna, donc j'ai un certain niveau de compréhension de la façon dont ces sociétés fonctionnent et de la façon dont elles fonctionnent avec les journalistes.
Quand je suis arrivé au Nouveau-Brunswick en 1996 pour reconstruire le Times & Transcript, qui était en difficulté, les seules instructions de la part des propriétaires étaient les suivantes : « Nous voulons que vous produisiez un bon journal. Quand vous couvrez des articles touchant à la société Irving, tout ce que nous demandons c'est que vous soyez exact et équitable. »
Ces instructions sont restées le mêmes pour tous les éditeurs au cours des huit dernières années. Elles sont un petit peu plus précises maintenant. Les propriétaires disent aux éditeurs qu'ils s'attendent à les voir produire des journaux qui sont exacts et respectés, qui reflètent les valeurs générales du grand public, qui traitent les gens avec dignité et avec respect, qui couvrent l'actualité de manière impartiale, qui exposent les actes répréhensibles, qu'ils soient publics ou privés. Et s'ils font des erreurs, ils devraient les admettre et les corriger. En tant que journaliste professionnel, c'est exactement le type de journal pour lequel j'aimerais travailler et c'est l'expérience que j'ai eue.
Je voudrais dire au comité de façon catégorique — car il y a eu aujourd'hui beaucoup de discussion sur le contrôle de la société Irving des journaux et du personnel — que, au cours des huit années durant lesquelles j'ai été l'éditeur de Transcript et de Telegraph-Journal, les propriétaires ne m'ont jamais dit que mettre ou que ne pas mettre dans mon journal, parce que je le considérais comme mon journal. On ne m'a jamais dit quel parti ou quel candidat soutenir pendant une élection et, au cours des huit dernières années, j'ai soutenu tant les conservateurs que les libéraux, tant au niveau provincial qu'au niveau fédéral. On ne m'a jamais dit quelle position éditoriale prendre dans un dossier quelconque. Je n'ai jamais reçu de coup de téléphone d'un membre quelconque de la famille Irving au sujet d'un article. Je n'ai même jamais discuté du contenu précis de mon journal avec les propriétaires et on ne m'a jamais dit qui embaucher et qui ne pas embaucher. Pour moi, l'intégrité est une partie importante de ma carrière professionnelle et je ne raconte pas d'histoire. Ça été réellement mon expérience. Par conséquent, j'ai été interloqué aujourd'hui d'entendre certaines des observations qui ont été émises par des gens qui ne travaillent pas dans ce secteur.
J'ai encore deux commentaires avant que mon temps soit écoulé. En ce qui concerne la présentation du Dr Steuter, j'ai lu ses études — j'ai fait partie du même groupe de spécialistes des médias qu'elle — parce que je pensais que ces études étaient importantes. Fondamentalement, elles utilisent la technique de déconstruction qui a été présentée par un intellectuel français du nom de Jacques Derrida, qui vient de mourir. Franchement, sans être méchant, cette technique est considérée de nos jours comme un processus intellectuel plutôt obscure. Je pourrais rentrer dans les détails, parce que j'ai lu son étude et je peux vous parler du processus qu'elle a utilisé, si nous avons le temps pour cela.
La seule chose que je voudrais dire, c'est que, dans son étude, elle a mis les trois quotidiens du groupe Irving dans le même sac que The Globe and Mail, pour ce qui est de la couverture qu'ils ont fait de cette grève, et je trouve qu'ils sont en bonne compagnie.
Pour conclure, je suis très fier des journaux que j'ai produits ici. Sous ma direction, le personnel de Transcript est passé de 18 à 34 personnes. J'ai développé l'espace réservé aux nouvelles. Nous avons réservé aux nouvelles un espace plus généreux que celui de la plupart des journaux et nous sommes l'exemple qu'ils suivent. Nous avons des espaces réservés aux nouvelles qui représentent de 34 à 36 p. 100, et le modèle est d'à peu près 40 p. 100.
C'est moi qui ai introduit les contrats de pigiste, dont vous avez entendu parler ce matin par Jackie Webster. C'était au fond des contrats standard qui ont été signés à ce moment-là. Les termes du contrat ont peut-être été considérés comme rebutants, mais l'Internet commençait à arriver et d'autres organisations, pas seulement nous, ont eu à signer le même type de contrat. La couverture par les pigistes était mentionnée.
Je ne sais pas si le comité a lu l'article du Globe, que je vous distribue, et qui touche à la couverture sur le gaz naturel liquéfié à Saint John, avec le conseil municipal félicitant le Telegraph-Journal pour la couverture qu'ils en ont donnée. Merci.
La présidente : Je vous ai donné en fait plus de temps que je ne l'avais dit, précisément parce que vous présentiez l'autre côté de la médaille, par rapport à ce que nous avons entendu jusqu'ici. Je suis désolée de devoir vous interrompre. Nous aimerions vous écouter davantage, si vous avez d'autres détails que vous accepteriez de nous donner par écrit.
M. Franklin : Cela fait six mois que je suis à la retraite, justement.
La présidente : Vous pouvez encore écrire.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci d'être venu aujourd'hui, monsieur Franklin. Si vous deviez écrire une colonne ou un éditorial sur ce qui s'est passé aujourd'hui, que diriez-vous?
M. Franklin : Dans cette province, il y a des gens qui aiment la famille Irving et il y a des gens qui détestent la famille Irving. Je pense que les Irving se sont engagés vis-à-vis de cette province. Ils ont dit clairement aux éditeurs et aux rédacteurs qu'ils sont dans cette province pour y rester. Ils ne veulent pas tirer les « derniers cinq sous » — ce sont les termes mêmes de Jim Irving — des journaux. Il est prêt à accepter une rentabilité moindre. Il est le producteur du Telegraph-Journal, qui est un morceau très cher à produire. Il pourrait l'avoir réduit à la taille d'un journal de Saint John.
Mon expérience avec ces propriétaires a été entièrement positive.
Le sénateur Munson : Vous êtes un homme très patient. Vous êtes resté ici toute la journée. Manifestement, vous vouliez présenter votre opinion et nous sommes heureux de l'avoir. Vous savez, en tant que journaliste, il vous faut un certain équilibre pour chaque rapport.
Pouvez-vous commenter rapidement sur l'autocensure?
M. Franklin : Je ne me suis jamais senti limité pour couvrir un sujet ou écrire un article et je n'ai jamais limité aucun de mes rédacteurs. Nous avons couvert l'histoire du bateau Irving Whale, nous avons couvert l'histoire du GNL, une histoire récente pendant que je n'étais plus là. Je ne me suis jamais senti limité. La seule chose qui d'après moi est le point essentiel, c'est qu'on peut s'attendre à ce que les Irving soient traités exactement comme les McCains ou toute autre société.
La présidente : Je serais très heureuse d'obtenir une copie de cet admirable énoncé de principes, de ces instructions, dont vous avez cité quelque chose, mais même de façon plus pertinente, est-ce que quelqu'un d'autre que l'éditeur ou le rédacteur en chef les connaît. Est-ce que le personnel les connaît? Est-ce que le public les connaît?
M. Franklin : C'était plutôt les propriétaires qui énonçaient leurs attentes aux éditeurs.
La présidente : Pensez-vous qu'il serait utile que ce genre d'énoncé fasse l'objet d'une circulation plus importante?
M. Franklin : Peut-être.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur.
[Français]
Maintenant, nous recevons M. Bernard Robichaud.
M. Bernard Robichaud, Agence de presse Atlantique inc., à titre personnel : Madame la présidente, je dois vous dire que c'est contraire à la cour où j'ai passé une demi-journée ce matin à plaider. J'aimerais vous dire ceci.
Mon père a 90 ans et il écrit. Mon frère est journaliste à l'Acadie Nouvelle et chargé du pupitre de la culture. J'ai une agence de presse fondée en 1979. Je vends de l'information ou j'échange de l'information aux médias, c'est-à-dire journaux, radios et télévision. J'aide et je forme des journalistes, et je travaille beaucoup avec des gens indépendants. Je suis moi-même indépendant. Je vis donc une grande ambivalence dans le débat d'aujourd'hui. Je lis tous les jours les journaux suivants : le Globe and Mail, le Telegraph-Journal, le Times & Transcript, l'Acadie Nouvelle, le Chronicle- Herald puis le Journal de Québec. Les hebdos Miramichi Leader Weekend, Northern Light, l'Étoile du Sud-Est, Kings County Record, Hebdo Chaleur. Je me lève à trois heures le matin et je lis jusqu'à sept heures le matin. Je suis un « news junkie ». Je vis donc par les journaux. Mon journal préféré, en priorité, c'est le Chronicle-Herald de Halifax, et le deuxième c'est le Globe and Mail.
Je ne conteste pas le fait que les Irving nous donnent de bons journaux au Nouveau-Brunswick, mais je me demande, ce que l'on fait de l'opinion du « freelancer », c'est-à-dire la personne avec une opinion ? Voici un exemple d'une tentative de vendre de l'information qui n'est pas pour une raison financière. Madame Bethany Dykstra, qui témoignera plus tard, est une journaliste que je forme depuis un an. J'ai tenté à trois reprises de faire publier sa chronique au Moncton Times, sans résultat. Maintenant, ce cas est devant l' « Editorial Board », mais je n'ai pas de nouvelles.
Je pense que si j'ai un message à passer, ce serait d'avoir un ombudsman ou un éditeur. Le Brunswick News nous assure de la survie de tous ces journaux. On pourrait parler de cela pendant des heures. Je n'ai rien contre le groupe Brunswick News. Tout ce que je voudrais, c'est qu'ils donnent plus d'espace à l'opinion du lecteur, parce que le forum qu'ils ont dans le journal est très bon. Il y a des gens merveilleux qui écrivent et il faudrait pouvoir les lire davantage. C'est vraiment à ce niveau que j'aimerais faire passer un message. J'espère que les gens de Brunswick News qui nous écoutent aujourd'hui, dont certains journalistes que je connais bien du Times & Transcript, et du Telegraph, comprennent que nous sommes contents de voir tous les jours ce qu'on nous donne à lire, mais on voudrait avoir plus d'indépendants avec des opinions différentes. Je connais Jamie Irving, Jim Irving, et d'autres personnes dans cette entreprise, et je suis content que, pour une si petite province, il existe un journal à Moncton, à Fredericton, à Saint- Jean, comparativement à d'autres provinces qui ont juste un journal. C'est une des raisons pour laquelle je ne suis pas contre le groupe Brunswick News. Ils sont efficients, ils pensent à leur affaire. Je pense que dans l'ensemble, tout ce que je voudrais, c'est un peu plus d'ouverture.
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous ètes satisfait de la situation sauf peut-être sur le manque de journalisme libre?
M. Robichaud : Je voudrais faire passer le message parce que je ne crois pas dans l'interférence gouvernementale dans le milieu de la presse, donc, l'idée apportée, par David Cadogan, c'est qu'il faudrait que le groupe comprenne qu'il est possible de faire de la bonne presse, mais il faut quelqu'un de l'intérieur, soit une personne élue par un panel de professeurs en journalisme, qui agisse comme le protecteur des opinions, le protecteur des indépendants. Il importe de donner plus de place à l'opinion du public dans leurs journaux, parce que cela à une valeur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui. Nous avons aussi entendu dans les autres provinces qu'il devrait y avoir un ombudsman ou un conseil de presse, afin d'avoir la possibilité d'évaluer.
M. Robichaud : Exact, et cela protégerait leurs propres journalistes. Je parle souvent avec des journalistes et certains d'entre eux me disent que c'est difficile. Il devrait donc y avoir un protecteur du journaliste et un protecteur de l'indépendance, ce serait une bonne recommandation.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Comment gagnez-vous votre vie?
[Français]
M. Robichaud : J'ai bien d'autres cordes à mon arc. Le journalisme est ma passion, j'ouvre un bureau sur la rue Main ici à Moncton, donc je ne suis pas à ma dernière promotion. J'aimerais offrir plus de place à des auteurs comme Bethany Dykstra et à bien d'autres que j'ai formés, parce qu'ils ont quelque chose à dire, des perspectives à présenter. Bethany Dykstra est un « freelance rural reporter ». Elle sait observer les choses et peut rapporter les événements de la vie rurale selon une perspective personnelle. Je veux qu'elle ait sa chronique qui s'appelle Bethany's World. C'est déjà publié dans des publications communautaires. Cela fait trois fois qu'on essaie de la faire publier au Moncton Times mais la réponse ne vient pas. Je veux donc que le Groupe Irving réalise qu'il ferait encore plus d'argent et susciterait plus d'intérêt s'il impliquait des gens indépendants avec des opinions. C'est cela qu'on veut lire dans les journaux.
La présidente : Il faut dire que peu de jeunes journalistes ont des supporters aussi éloquents que vous. Merci beaucoup, monsieur Robichaud.
Je demande au prochain témoin de se présenter, Mme Bethany Thorne-Dykstra.
[Traduction]
Bienvenue au comité.
Mme Bethany Thorne-Dykstra, à titre personnel : Malheureusement, je ne connais pas grand-chose et je n'ai pas beaucoup d'expérience dans le domaine des médias, mais j'avais l'impression qu'il était important pour moi de venir parler des expériences que j'ai vécues. Dans ma tête, la grande question, puisque j'apprécie l'oral et que toute personne devrait pouvoir avoir une bonne perspective sur toutes les questions et tous les points de vue, c'est quels sont les critères utilisés pour permettre à un écrivain pigiste de travailler pour un journal? À cette époque de ma vie, je me pose beaucoup de questions. Il y a tellement de gens qui sont venus me voir après que j'ai écrit un certain nombre d'éditoriaux dans les journaux, tant dans le Times et le Telegraph, que dans notre petit journal local, appelé le Community Digest, et qui m'ont dit : « Quand pensez-vous publier un autre article? J'ai hâte de lire votre prochain article. J'ai hâte d'entendre le point de vue que vous allez prendre par rapport à ce problème. » C'est pourquoi, un jour, j'ai décidé que peut-être que je devais écrire un article régulièrement, et donner le point de vue rural. J'apprécie énormément les commentaires de M. Steeve sur le Sussex, parce que je suis aussi une exploitante laitière et que je connais les problèmes agricoles très bien. J'ai l'impression que le public en général a besoin d'entendre parler de ce point de vue. Pour le Times & Transcript ou pour le Telegraph-Journal, ou pour tous les journaux importants de la province, sachant que 50 p. 100 de la population du Nouveau-Brunswick est une population rurale, on pourrait penser que la perspective rurale serait la bienvenue.
Un certain nombre de journalistes ont critiqué mes articles, parce que je ne sais pas vraiment ce que les gens recherchent et ils m'ont dit : « Eh bien, vous avez tout un point de vue, l'agriculture ne m'a jamais été expliquée de cette façon. Je comprends en fait. » Je considère cela comme un compliment, émanant de journalistes qui écrivent régulièrement dans les journaux actuels.
Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'ai vraiment apprécié la citation qui a été faite aujourd'hui : « Une bonne rédaction, de bonnes histoires et de bons personnages de la collectivité qu'ils servent, donnent des journaux de qualité. » Je pense que le point de vue rural est nécessaire pour bien des questions : l'éducation, la scène politique et les transports. Il y a tant de questions différentes et je crois que c'est une perspective qui serait bienvenue si on nous en donnait l'occasion.
Ma grande question est la suivante — et peut-être que vous pouvez y répondre pour moi — quels sont les critères pour devenir journaliste pigiste dans cette province?
La présidente : Je peux vous dire, avant que je donne à mes collègues la possibilité de poser des questions, que nous n'avons aucun contrôle sur la décision que prennent les rédacteurs en chef sur les sujets à imprimer dans leurs journaux, et que nous ne rechercherons pas non plus à avoir ce contrôle. Nous pouvons poser des questions sur tout ce qui nous chante, mais un comité du Sénat n'est pas l'endroit où vous pouvez dire à un rédacteur en chef, mettez cela ou ne le mettez pas dans votre journal.
Mme Thorne-Dykstra : Je voudrais éclaircir la question, ce n'est pas ce que je voulais dire, mais ce que je demande...
La présidente : Rien de cela, bien sûr, ne diminue vos préoccupations sur la couverture de l'agriculture et de la vie rurale, je comprends très bien cela.
Mme Thorne-Dykstra : Ce que je demande : Y a-t-il des critères utilisés par les journaux? Y a-t-il des critères standard ou bienest-ce que c'est à chaque rédacteur de décider pour chaque journal?
Le sénateur Munson : Eh bien, vous étiez rédactrice en chef. Expliquez-le. Vous travailliez pour The Gazette.
La présidente : Je dirais qu'il y a un certain nombre de règles élémentaires que les gens suivent. Par exemple, est-ce que cela semble exact, est-ce intelligible, est-ce correct grammaticalement, est-ce équitable, est-ce qu'on va nous faire un procès et est-ce que ça peut intéresser une grande partie de nos lecteurs, parce qu'il n'est pas nécessaire que ça les intéresse tous. Cependant, toute publication appliquera ces critères de façon différente et peut même les appliquer dans la même publication différemment selon l'époque, en fonction du rédacteur en chef en question. Par conséquent, il n'y a pas de réponse facile à la question que vous posez. Cependant, aujourd'hui beaucoup de gens vous écoutent.
Le sénateur Munson : Nous sommes un forum public. Le sénateur Fraser disait que nous pouvions poser des questions, mais il s'agit d'un forum public. Les médias ont été présents ici. Peut-être que quelqu'un pourrait reconnaître le talent que vous avez, y compris tous les journaux que possède la famille Irving, et peut examiner le travail que vous faites et qui vous représentez — comme vous le dites, les 50 p. 100 de gens qui vivent dans le Nouveau- Brunswick rural. Il me semble que vous offrez un service unique et je suis d'ailleurs surpris que, comme vous le dites, il n'y ait pas beaucoup d'articles sur l'agriculture dans cette province. Je vais juste ajouter mon soutien à votre cause.
J'ai reçu 20 $ pour un article que j'ai écrit pour le Edmonton Journal la semaine dernière. Je ne l'ai pas encore encaissé.
Mme Thorne-Dykstra : Ce qui est intéressant, c'est que quand j'ai approché quelques journaux et quand quelques journalistes les ont approchés pour moi, je dois dire que je n'ai jamais demandé d'argent, parce que j'avais l'impression qu'il était important que les gens comprennent ceux qui habitaient dans les zones rurales, comprennent notre point de vue et la façon dont nous pensons et ce qui m'intéresse c'est de m'assurer que ce son de cloche est entendu. Pour moi, ce n'est pas une question d'argent. J'ai l'impression que c'est un point de vue qu'on n'entend pas beaucoup et qui est nécessaire.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne sais pas s'il y a une confusion entre le fait d'être un journaliste pigiste et le fait d'écrire des lettres à l'éditeur. Parfois, une lettre à l'éditeur peut être un long article sur une question, même dans nos grands journaux nationaux. Si vous avez l'impression qu'un sujet doit être couvert, que ce soit les garderies en milieu rural, quelque chose qui a à voir avec les mines ou l'ESB et vos agriculteurs du Nouveau-Brunswick, je pense que vous avez la possibilité de voir publier une lettre qui ne fait pas deux paragraphes mais huit paragraphes. Cependant c'est à l'éditeur du journal de décider s'il veut vous engager comme journaliste pigiste ou s'il veut engager quelqu'un d'autre. C'est une décision d'embauche. Cependant, vous avez le droit d'exprimer vos opinions sur papier et j'ai déjà vu cela. On les imprime.
Mme Thorne-Dykstra : Oui, j'ai écrit de nombreux éditoriaux et je ne suis pas sûre...
Le sénateur Trenholme Counsell : Pas des éditoriaux, mais des lettres au rédacteur.
Mme Thorne-Dykstra : Ou des lettres au rédacteur, oui, et je ne suis pas certaine de savoir pourquoi certaines sont publiées et certaines ne le sont pas. Cependant, c'est quelque chose que je fais maintenant, autant que possible.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je connais des gens qui écrivent énormément de lettres au rédacteur en chef. Les rédacteurs disent : « Eh bien, nous en avons eu deux le mois dernier, donc nous allons laisser cette personne attendre pendant un mois peut-être », parce que bien sûr toutes ne sont pas publiées. Je ne pense pas que ce soit nécessairement le sujet, c'est la fréquence des lettres, et il donne une possibilité à beaucoup de gens d'être publiés.
La présidente : Je peux confirmer ce fait. Peu de journaux publient toutes les lettres qu'ils reçoivent.
Mme Thorne-Dykstra : Oh, absolument pas.
La présidente : Ils essaient d'être équitables avec le plus de gens possible, ce qui peut être difficile pour ceux qui écrivent fréquemment.
Merci beaucoup.
Mme Thorne-Dykstra : Pourrais-je dire juste une dernière chose? Quand vous n'avez pas cette possibilité d'être publié dans les journaux et que vous entendez beaucoup parler du contrôle des journaux au Nouveau-Brunswick, je me demandais, si vous n'arrivez pas à être publié dans un des journaux de la province, comment vous faites pour être publié dans un autre?
La présidente : Merci beaucoup, madame Thorne-Dykstra.
Je vais maintenant demander à M. Eric Tobin de s'avancer.
M. Eric Tobin, à titre personnel : Je voulais formuler une observation avant de commencer. J'ai quatre enfants l'un d'entre eux n'est pas un professionnel, mais mes trois autres enfants,dans ce monde où l'emploi est relativement précaire, sont consultant, comptable et un autre est employé dans l'industrie du transport chez les Irving. Ils sont tous les trois, de par la nature de ce qui se passe en Amérique du Nord à l'heure actuelle,dans les communications. Cela a rapport avec le terme inventé par les économistes, « emploi précaire », pour quelqu'un qui travaille 40 heures par semaine. Si vous n'êtes pas prêt à faire 60 heures par semaine pour le même montant d'argent, il y a quelqu'un qui attend pour avoir votre emploi. Je ne vois aucune loyauté de part et d'autre et peut-être est-ce la façon dont les choses devraient être.
De toute façon, je voulais juste faire mes commentaires, parce que je viens d'utiliser une minute déjà.
Ce qui m'a tout d'abord alerté, c'est cet article de Lawrence Martin, daté du 3 mars, intitulé « In press v. the People, the Liberals take a bruising », qui expliquait que tous les médias importants se sont prononcés en faveur du bouclier antimissile, alors que 75 p. 100 des Canadiens sont contre, et cela pose problème.
Il y a également cette tendance, dans tous les médias, de rechercher l'histoire. Il y a une sorte de boulimie à l'heure actuelle sur le problème des élections et je dois dire que l'un des journaux qui en parlent le plus à l'heure actuelle est le Times & Transcript de Moncton. C'est devenu une colonne à la une et on est le 13 avril. L'éditorial insiste lourdement sur la question. « Il est temps de changer » et puis, il y a un autre article, « Les libéraux manquent de moralité ». « C'est l'heure des élections ». Et le numéro du 14 avril se termine avec l'article intitulé « Il est temps de laisser les gens se prononcer ». « Nous disons que le Parti libéral et le gouvernement actuel n'ont plus d'autorité morale pour continuer de gouverner. Il est temps, de nouveau, de poser la question aux gens ».
Le projet de loi C-24 a changé le financement des élections en 1999. Entre les articles comme ceci et M. Harper, ils sont en train de dire « Eh bien, peu importe, de toute façon nous ne payons plus pour cela. Ayons une autre élection ». Je crois que c'était M. Schopenhauer, le philosophe, qui a inspiré Freud, et Freud l'a transformé en bourbier :
Dans la résistance de la volonté à permettre ce qui lui est contraire d'être examiné par l'intellect, se trouve l'endroit auquel la folie peut déferler sur l'esprit.
C'est ce qui se passe actuellement dans les médias, qui réclament des élections. Je suis heureux que nous ayons ici des médias avec lesquels on peut communiquer, et j'ai d'ailleurs eu récemment l'occasion de remettre en cause un éditorial du Globe and Mail qui parlait du juge Iacobucci. J'ai dit que cet éditorial ne rendait pas justice à M. Iacobucci — je ne dis pas cela à la blague — parce qu'il décrivait mal sa situation individuelle, et le rédacteur en chef adjoint a effectivement admis que cet éditorial avait provoqué une vive controverse. Le problème, c'est que le Globe and Mail dirigé par M. Thorsell est un peu à droite. Le nouveau personnel de rédaction en a fait un peu plus un quotidien de droite. Quoi qu'il en soit, je vais vous écrire.
La présidente : Merci. Il va falloir que vous le fassiez parce que je vais devoir vous interrompre.
M. Tobin : En effet, je voulais simplement...
La présidente : Non, excusez-moi, mais nous devons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Munson : Si c'est comme cela, monsieur, je vais vous donner l'occasion de poursuivre. Vous vouliez encore dire une chose, et je ne vais donc pas vous poser de questions afin que, si vous voulez vous soulager le cœur, vous puissiez le faire. Les gens des médias sont quand même incroyables, n'est-ce pas? Ils me rendent enragé.
M. Tobin : Eh bien en fait, cela ne me dérange pas. Il y a quelques semaines, j'ai téléphoné au National Post après avoir lu dans deux ou trois articles ce que Dale Orr ou Global Insight avait à dire.
Le sénateur Munson : Vous vouliez ajouter quelque chose, allez-y.
M. Tobin : Terrence Corcoran m'a téléphoné pour savoir pourquoi j'avais appelé et nous avons eu une petite discussion.
Je voudrais vous dire que le National Post semble résolu à balayer la Société Radio-Canada, le seul média selon moi qui donne la vérité objective. Je vais vous citer deux commentaires, le premier de Shelagh Rogers, une musicienne qui, lorsqu'elle parle aux provinces, fait comme si elle s'adressait à dix pays différents, et cela a évolué depuis la création d'un Conseil de la Fédération. Il se fait que c'est moi, qui en 1992, à l'occasion de la conférence constitutionnelle sur la réforme des institutions, m'était opposé à l'idée d'un Conseil de la Fédération, ce qui n'était pas du tout l'idée de Jean Charest. C'était l'idée de Mel Smith, ce qui remonte à l'époque de Van Dusen et de Bill Bennett, c'est là que l'idée était née. Le Conseil de la Fédération tel qu'il avait été proposé aurait privé le Sénat de son rôle de médiateur entre les provinces et le gouvernement fédéral; le Sénat était déjà inutile alors et il l'est toujours aujourd'hui.
Je pense que cela suffira pour l'instant.
J'ai mis mes autres commentaires par écrit parce qu'hier soir, je me suis assis pendant trois heures à mon bureau et je n'ai pas levé la plume pour coucher sur le papier tout ce qui pouvait être dit au sujet des médias.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Tobin, ce serait superbe si vous pouviez nous écrire demain, ou alors lundi ou mardi, pour nous dire ce que vous avez pensé de la diffusion de ces deux discours historiques ce soir — discours qui représentent deux points de vue bien distincts — prononcés par M. Martin et M. Harper. Vous pourriez nous dire si, à votre avis, les journalistes en ont parlé ou non avec objectivité.
M. Tobin : Certainement.
La présidente : Envoyez-nous simplement une lettre. Vous ne devez pas en faire une interminable dissertation, mais nous aimerions bien savoir ce que vous en pensez.
M. Tobin : Très bien, parce qu'à mon avis la liberté d'expression prescrite par la Charte concerne non seulement ce que je dis moi, elle concerne également ce qu'on me dit.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous aimerions savoir ce que vous pensez.
La présidente : En attendant, permettez-moi de vous dire que c'est toujours agréable d'entendre quelqu'un qui défend le Sénat. Merci beaucoup, monsieur Tobin.
M. Tobin : Il faut que je vous dise que c'est à cause de moi que Pierre De Bané et Ghislaine Dufour se sont fait l'accolade. Je suis un citoyen comme les autres, comme je l'ai écrit sur mon formulaire, et c'est à ce titre que j'ai été choisi pour participer à ces ateliers sur la réforme du Sénat. J'avais mis les gens de l'Ouest au défi d'admettre que s'ils ne faisaient pas confiance aux politiciens québécois, il faudrait à tout le moins qu'ils fassent confiance au peuple du Québec.
La présidente : Bravo! Quelle belle conclusion! Merci, monsieur Tobin.
Notre prochain invité, sénateurs, est M. Charles LeBlanc.
M. Charles LeBlanc, à titre personnel : Je vous prie d'abord de m'excuser. Je suis ce qu'on appelle un blogueur et j'étais plus moins concentré sur cet ordinateur. Il y a une centaine de personnes à l'extérieur qui veulent savoir ce qui se passe ici.
Avant de commencer, je voudrais évoquer une question qui me préoccupe. Il y a un ou deux mois, j'ai dit que je voulais intervenir ici. J'ai déjà fait des exposés devant des comités permanents au Nouveau-Brunswick. Hier, on m'a dit que je n'aurais que quatre minutes. On ne me permet pas de faire un exposé comme les autres. Pouvez-vous me dire pourquoi?
La présidente : Le problème essentiel, monsieur, c'est que nous pouvons tout juste passer un jour et demi ici. Nous aimerions avoir plus de temps, une semaine, par exemple, mais ce n'est pas le cas.
M. LeBlanc : Qui choisit les personnes autorisées à faire un exposé?
La présidente : Le comité directeur du Comité des transports et des communications a longuement étudié la liste complète des témoins éventuels et je suis sincèrement désolé si vous avez le sentiment de ne pas avoir été traité équitablement, mais nous faisons de notre mieux.
M. LeBlanc : Je voulais dénoncer publiquement cette situation, car j'ai appris ce matin que la population en Colombie-Britannique avait eu quatre minutes, et que c'était la même chose au Nouveau-Brunswick. On ne peut pas comparer la population du Nouveau-Brunswick à celle de la Colombie-Britannique. Il y a davantage de médias et de journaux en Colombie-Britannique qu'ici. Ici, nous avons un problème majeur.
Mais par ailleurs, je souffre d'un trouble déficitaire de l'attention. J'aimerais prendre mon temps pour m'exprimer, ce matin, vous m'excuserez pour la façon dont je me présente. Je suis venu sur le pouce de Fredericton. Excusez-moi, je devrais ôter ma casquette, mais je suis venu sur le pouce de Fredericton. Je voudrais dire publiquement que comme le sait le sénateur de Sackville, j'ai mon franc parlé. Je suis le citoyen de la province qui s'exprime le plus sur cette question. Je vais essayer de me détendre et de me concentrer sur la question, mais je n'ai que quatre minutes.
La présidente : Si je vous donne cinq minutes, est-ce que cela vous va?
M. LeBlanc : Oui, merci beaucoup.
La présidente : Parce que vous êtes venu sur le pouce.
M. LeBlanc : Oui, je suis venu sur le pouce, et croyez-moi, j'ai dû écouter deux auteurs qui se plaignaient du sujet dont je vais parler. Ils étaient totalement d'accord avec moi.
Alors voilà. Je vais essayer d'en dire le plus possible. Je n'aime pas bousculer les choses, mais quand on m'a dit hier que je n'aurais que quatre minutes, j'ai dit : « Oh mon Dieu, mais c'est presque impossible. »
Je suis né à Memramcook. J'ai vécu à Saint John pendant 18 ans. J'ai travaillé au chantier Irving et j'habite maintenant à Fredericton. J'ai commencé à écrire au rédacteur en chef de l'Évangéline, un journal francophone et j'aime beaucoup écrire. J'aime beaucoup faire part de mon point de vue aux autres. J'ai une colonne dans le River Valley News. Il n'a pas encore été acheté par les Irving. Peut-être ne connaissent-ils pas le contenu de ce journal. C'est pour cela qu'ils ne l'achètent pas. Je peux y écrire tout ce que je veux. Je vous en laisse un exemplaire. C'est un bihebdomadaire qui appartient désormais à Irving.
À l'époque de la polémique sur le programme des frégates, je me suis rendu célèbre à Saint John par mes lettres au rédacteur en chef. J'en ai envoyées 500, qui ont été publiées. Peu d'habitants de cette province peuvent en dire autant. Si je me prononçais en faveur des Irving, ils me traitaient de lèche bottes. Si je me prononçais contre eux, ils me disaient : « Vous ne savez pas qui est le patron ici? » Je pouvais me prononcer dans un sens ou dans l'autre, car j'avais le droit de critiquer les Irving et j'avais aussi le droit de les louanger.
Ensuite, il s'est produit un incident. Je travaillais pour une société et je protestais devant la taverne Golden Ball; peu de temps après, il y a eu un article dans le Evening Times-Globe où on disait que Charles LeBlanc avait été licencié trois fois. Ce n'était pas vrai, et on m'a permis d'envoyer une courte lettre au rédacteur en chef, mais le mal était fait, les habitants de Saint John ne connaissaient pas la vérité. Voilà comment les Irving s'y prennent.
On a beaucoup entendu parler de Jamie Irving. C'est un gentil garçon. Je l'ai rencontré, c'est un très gentil garçon. Lorsque j'ai appris qu'il était rédacteur en chef et éditeur du Kings County Record — je parle vite parce que je n'ai que quatre minutes et j'ai bien des choses à dire — j'ai dit : « Bien, c'est un gentil garçon. » Ensuite, en passant par McAllister Place, j'ai vu une photo dans le Kings County Record, avec la légende suivante : « Production record à la scierie de J. D. Irving ». Mais c'était en première page du Kings County Record, alors que cela ne concernait que le milieu de travail. Pourquoi disait-on en première page du Kings County Record que la scierie J.D. Irving avait atteint une production record?
Ensuite, il y a eu l'énorme déversement dans Saint John Ouest le jour de Noël. J'ai écris à ce sujet au rédacteur en chef. Ma lettre a été refusée. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Des changements ont été apportés. J'ai porté plainte auprès du Conseil de presse de l'Atlantique, et Ken Sims, d'Halifax, a été surpris lorsque je lui ai dit que j'avais envoyé 500 lettres au rédacteur en chef. Il a dit : « 500? Mon Dieu, mais il se passe quelque chose. On a cessé de publier ces lettres. Nous allons faire enquête ». Peter Haggert, de l'Ontario, qui est l'éditeur du Telegraph-Journal, m'a appelé un jour pour me dire : « Nous ne publions pas les lettes d'anciens employés qui critiquent les Irving ». J'ai répondu : « Très bien; cela veut dire que 6 000 employés des chantiers navals n'ont pas le droit d'écrire au journal. » J'ai ensuite écrit au Evening Times-Globe et on m'a dit : « Nous devons faire enquête sur ce que vous avez écrit. » J'ai dit : « Faire enquête? J'ai écrit 500 lettres au rédacteur au chef. Pourquoi faudrait-il maintenant que vous fassiez enquête? »
À l'été 2003, Peter Haggert, du Telegraph-Journal, a écrit un article pour dire aux lecteurs : « Nous ne publierons qu'une lettre par auteur par mois sur un sujet quelconque. » J'ai été offusqué. Maintenant, on empêche les gens d'envoyer des lettres au journal. Trois semaines plus tard, on a annoncé la fermeture du chantier naval de Saint John. Les trois auteurs qui écrivaient des articles sur le chantier naval pouvaient s'exprimer et du jour au lendemain, ils ont dû attendre tout un mois avant d'écrire un nouvel article. Ce n'est pas juste. Les droits des Néo-Brunswickois sont bafoués, et c'est précisément ce qui me préoccupe.
À l'été 2003, j'ai décidé de monter une tente devant l'assemblée législative en signe de protestation contre l'utilisation du Ritalin pour traiter le trouble déficitaire d'attention chez les enfants de cinq ans, que l'on oblige à prendre ce médicament; il a fallu attendre 50 jours avant que la presse, en l'occurrence le Daily Gleaner, consacre un article à ce problème. La presse Irving n'en a jamais parlé.
Ce n'était pas une tente montée dans un pâturage. Elle était devant l'assemblée législative. Les citoyens de Fredericton — vous m'excuserez de parler si vite — se demandaient pourquoi le Gleaner n'en avait jamais parlé. Il a fallu attendre 50 jours. Ensuite, je me suis fait voler ma tente. Bref, j'ai fini par avoir un bon article, mais au bout de 50 jours.
Puis je suis venu à Champlain Place pour faire signer ma pétition. J'ai recueilli 10 000 signatures. Les Acadiens me connaissaient, parce que l'Acadie Nouvelle avait parlé du problème. Du côté anglophone, le Moncton Transcript n'en a jamais parlé. Voilà ce que je voulais dire.
La présidente : Je n'aime pas couper la parole à qui que ce soit.
M. Leblanc : C'est une honte.
La présidente : Je n'aime pas cela, nous n'aimons pas cela. Malheureusement, vous n'êtes pas le seul que nous devons entendre.
M. Leblanc : Non, j'ai un exposé.
Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur Leblanc, il est certain qu'en définitive, vous vous êtes très bien exprimé sur le Ritalin et le trouble déficitaire de l'attention. Je connais votre prise de position très solide sur le trouble déficitaire de l'attention. Êtes-vous satisfait en définitive? C'est comme dans le cas de Terry Fox : on ne peut pas obtenir immédiatement la reconnaissance. Pensez-vous avoir atteint votre objectif?
M. Leblanc : Non, je comprends votre question, mais comme je l'ai dit, je parle trop vite. Il ne s'agit pas de savoir si j'ai atteint mon but à propos du Ritalin. Mon but est la liberté d'expression; voilà le problème. Frank McKenna est venu me voir lorsque je protestais, je l'ai rencontré à Fredericton. Je le connais depuis longtemps. Il est venu me voir et il m'a dit : « Charles, comment se fait-il qu'on ne voit plus vos lettres depuis quelques temps? » C'est un problème de liberté d'expression. Je ne veux pas comparer les Irving dans cette province aux nazies en Allemagne. Ici, il n'y a pas d'exécution capitale. Mais n'oublions pas que lorsque Hitler a pris le pouvoir, il s'est emparé des médias.
Les médias ici, qu'on appelle Brunswick News, se sont en fait les « Irving News ». Est-ce que j'ai pu m'exprimer sur le Ritalin? Je ne sais pas, mais là n'est pas la question. Le problème, c'est la liberté d'expression pour le gens du Nouveau-Brunswick; on la leur refuse.
Encore une fois, j'aurais aimé présenter mon exposé au complet. On parlait tout à l'heure de publicité. J'ai entendu quelqu'un du Telegraph-Journal qui disait : « Si vous ne payez pas vos factures, nous possédons tous les journaux. » J'ai simplement essayé de répondre à une question et d'obtenir un peu plus de temps.
Les Irving ont donné un million de dollars à l'UniversitéSt. Thomas pour les études en journalisme, pour former des journalistes. Pourquoi les Irving ont-ils donné un million de dollars à l'Université St. Thomas et à l'Université de Moncton? Lorsque les étudiants seront diplômés, ils éviteront de critiquer les Irving. C'est une question de liberté d'expression.
La présidente : Monsieur LeBlanc, je vais permettre au sénateur Munson de vous poser une question s'il souhaite le faire, mais comme nous manquons de temps — et vous avez un blogue, vous savez donc comment envoyer un courriel — je voudrais vous demander de nous envoyer une lettre dans laquelle vous exposerez vos difficultés. Dans l'intervalle, lorsque nous allons accueillir demain des gens du Nouveau-Brunswick, je leur demanderais s'ils ont une politique bien définie sur les lettres au rédacteur en chef.
Le sénateur Munson : Si vous avez un autre message à nous soumettre, je vous invite à le formuler.
M. LeBlanc : Je vous en remercie. Il y a une chose qui me préoccupe; pendant les élections fédérales de 1997, J.K. Irving a envoyé une lettre à la rédaction, qui a été publiée en première page. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais le résultat a peut-être été positif, parce que Paul Zed a été battu. Peut-être est-ce que parce qu J. K. Irving a invité la population à voter pour son gendre, on ne le saura jamais. La question reste posée.
Une semaine plus tard, on m'a permis de condamner J. K. et ses lettres à la rédaction, et je me suis trouvé face à face avec lui. Croyez-moi, il m'a regardé et il m'a dit : « le journal m'appartient et je publierais la lettre comme je veux. » Voilà son opinion. Pourtant, en définitive, je respecte les Irving. J. D. Irving, le fils de J. K. Irving, est totalement incontrôlable. C'est comme M. Burns dans Les Simpsons : « Je vais t'écraser de mes propres mains ».
La présidente : Merci, monsieur LeBlanc. Vous vous êtes bien fait comprendre.
M. LeBlanc : Mon blogue est Charles LeBlanc, ADHD.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
J'invite maintenant M. Gilles Haché.
M. Gilles Haché, Le Moniteur Acadien, à titre personnel : Madame la président, je suis le propriétaire du Moniteur Acadien. Je pense que nous sommes une espèce rare au Nouveau-Brunswick, un journal indépendant dans le sud-est.
La présidente : Est-ce un hebdomadaire?
M. Haché : Oui, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Lorsque j'ai acheté Le Moniteur, il y a huit ans, j'avais un compétiteur dans le comté de Kent. Je diffuse dans le comté de Westmorland. Mon compétiteur a reçu une subvention de 145 000 $ du ministère des Ressources humaines et du développement pour agrandir sa couverture et ainsi s'infiltrer dans ma région. Lorsque j'ai acheté, j'avais 5 000 copies, alors que lui me faisait concurrence avec 30 000 copies. Mon compétiteur, après neuf mois, a fait faillite, alors le Groupe Irving a pris le contrôle du journal, pas ce journal puisqu'il a fermé, mais il en a lancé d'autres à 30 000 copies aussi.
À l'époque, ils couvraient tout le territoire. Ils sont maintenant divisés en deux. Il s'agit de l'Étoile du Sud-Est et de l'Étoile de Kent. Je suis en quelque sorte coincé entre les deux. J'ai une circulation de 5 000 copies. Je fais mes frais. Ce que je trouve difficile, c'est de travailler avec un journal qui n'est pas vraiment un journal. Moi, je dis que ce n'est pas un journal parce qu'il sert à mettre les prospectus dans les sacs. Quand tu le reçois, c'est lui qui sert de couverture pour le mettre dans des sacs.
La présidente : Ce qu'on appelle un « shopper », en bon français.
M. Haché : Oui, un « shopper ». Ils ne couvrent pas les assemblées municipales, c'est juste des chroniques sur certaines personnes. Par contre, je pense que c'est leur intérêt principal d'aller chercher de la publicité, car lorsqu'ils font des coupures au niveau du journal, ils coupent les journalistes d'abord. On se questionne alors sur leurs intentions, est-ce de couvrir la nouvelle ou avoir de la publicité? Je pense que c'est juste la publicité.
Un autre point concerne les prix. Ce n'est pas normal qu'ils aient les mêmes prix que moi lorsqu'ils ont trois fois plus de tirage. Ils devraient avoir un prix beaucoup plus élevé. Souvent, ils me font concurrence avec des prix moindres.
J'avais fait un cahier pour un conseil économique au Nouveau-Brunswick, mais je voulais le livrer dans Kent. Le Groupe Irving contrôle aussi les sacs publicitaires, Publi-sac, et j'avais demandé d'insérer ce cahier dans le sac, ils m'ont répondu dans l'affirmatif et m'ont demandé de l'envoyer chez le Times & Transcript,'' qui était aussi du Groupe Irving. Lorsqu'ils ont ouvert le sac, ils ont dit « on ne peut pas le passer, il y a de la publicité dedans ». Je leur ai répondu que « oui, je sais, c'est pour ça que je le passe dans le sac et que je ne le passe pas dans l'Étoile », qui était le journal de Kent. Ils m'ont répondu que les deux journaux leur appartenaient. J'ai dû reprendre mes copies, tout plier, et mettre tout cela à la poste et cela m'a coûté trois fois le prix.
Le Groupe Irving contrôle tout. Leur avantage c'est qu'en plus des profits avec le journal, ils vendent le papier et ils le distribuent dans le sac. Ils font tous les profits sur toute la ligne. Ils ont une presse de 20 millions de dollars et plus ils la font rouler, plus c'est rentable pour eux. Ce sont les moyens qu'ils ont pour arriver à faire des profits avec des coûts moindres que les nôtres. Depuis que j'ai acheté, je n'ai pu vraiment agrandir mon territoire ou l'améliorer. Je suis obligé de naviguer le long de la côte parce que je ne pouvais pas aller trop dans les grosses vagues, parce qu'ils prennent une partie des revenus à ce niveau.
J'ai un autre exemple. J'ai travaillé pour L'Acadie Nouvelle, à l'imprimerie puis pour Auto Sellers, qui est un magazine d'autos imprimé chez nous, et pour pouvoir les distribuer dans les dépanneurs Irving, il fallait utiliser le papier Irving, ce qui fait que si on achetait de Bowater par exemple, il fallait acheter du papier Irving pour l'imprimer. C'est ce contrôle, qui nous agace et qui nous met dans une situation difficile.
J'aimerais faire un dernier point. Dans la région de Madawaska, il existait le Madawaska et Info Week-End qui étaient deux compétiteurs. Le Groupe Irving a acheté le Madawaska, puis il a lancé le République, un hebdomadaire de fin de semaine, pour fermer l'Info Week-End, qui avait une distribution de sac. Ils ont lancé un journal du même type. Disons qu'ils font une compétition, puis ils veulent faire mourir les autres à petit feu. C'est tout cela qui est difficile et je pense qu'ils ne nous laissent pas respirer dans notre domaine.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Haché.
[Traduction]
M. Munson : Avez-vous quelque chose à ajouter, car je sais que cette limite de quatre minutes est difficile pour tout le monde?
La présidente : C'est très difficile.
M. Haché : Non, j'ai terminé.
Le sénateur Munson : Cependant, la concurrence est féroce, n'est-ce pas?
M. Haché : Oui.
Le sénateur Munson : Dans le climat que vous connaissez actuellement?
[Français]
M. Haché : L'arrivée d'un un autre journal n'incite pas les gens à mettre plus de publicité. Le problème que j'ai, c'est que je demeure à Shédiac, et l'été les gens n'annoncent pas parce que tout est plein, parce qu'il y a beaucoup de touristes, puis l'hiver, ils n'annoncent pas parce que tout est fermé. Il faut trouver d'autres sources de financement ou d'autres idées pour pouvoir aller chercher de l'argent dans ce domaine.
La présidente : J'ai deux questions à vous poser. Vous dites que pour mettre votre journal dans les dépanneurs Irving, c'est-à-dire dans les postes à essence, il faut acheter du papier journal Irving?
M. Haché : Je ne parlais pas de mon journal, À l'époque je travaillais pour un imprimeur et c'était le cas d'un magazine qu'on imprimait, c'est pour cela que je suis au courant de cette situation. Il leur fallait utiliser du papier Irving s'ils voulaient vendre leur magazine.
La présidente : Et quand vous dites qu'ils veulent tuer ou éliminer les compétiteurs, est-ce une déduction de votre part ou est-ce d'après leurs actions? Y a-t-il eu des déclarations quelque part ?
M. Haché : Par exemple, dans ce journal, il y avait une personne qui était en congé de maternité, et pendant ce temps, ils en ont profité pour aller chercher un autre employé pour l'affaiblir encore plus. C'est une autre chose que je trouve agaçante.
La présidente : Oui, mais vous, vous survivez?
M. Haché : Oui. Depuis sept ans, je ne suis pas riche, mais pas pauvre.
La présidente : Merci beaucoup. Notre prochain témoin est M. Claude Bourque. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Bourque.
M. Claude Bourque, à titre personnel : Madame la présidente, j'ai été rédacteur en chef et directeur du quotidien l'Évangéline dans les années 1970 puis j'ai été chef des nouvelles et directeur régional des services français de Radio- Canada dans les provinces de l'Atlantique.
J'ai une observation générale à faire. Je crois qu'il faut considérer que dans le domaine du journalisme, il y a eu une certaine explosion. Au cours des 30 dernières années, les journalistes étaient les seuls messagers alors que le monde des communications, des agents de communication tant gouvernementaux que pour toutes les industries, ont contribué à compliquer la vie des journalistes et il faudrait en tenir compte. C'est complexe et je ne veux pas m'attarder là-dessus.
Je crois qu'on vit au Nouveau-Brunswick une situation vraiment particulière. Pendant 20 ans, à peu près 20, 25 ans après la Commission Davy, il y a eu une période de tranquillité dans l'empire de presse des Irving, mais au cours des cinq à dix dernières années, on voit vraiment un développement du marché et il y a un phénomène inquiétant pour nous les Acadiens. Jusqu'à maintenant, ils n'étaient pas dans le marché francophone de la presse, et aujourd'hui ils sont en train de tranquillement encercler le quotidien L'Acadie Nouvelle.
Je crois que votre comité, c'est noble, mais je ne pense pas que sur la question de la concentration de la presse et sur le Groupe Irving, que vous ayez beaucoup de marge de manoeuvre. On l'a vu au cours des 30 dernières années. Je veux souligner qu'il est très important que vous n'acceptiez pas le laisser-faire. C'est beau de dire que les gouvernements ne doivent jamais s'impliquer, mais ce n'est pas vrai. C'est important que vous considériez le cas du Nouveau-Brunswick comme unique. L'empire Irving, fait de bons journaux, mais il faut regarder l'ensemble. Ils sont dans un petit jardin et ils occupent presque toute la place.
J'ai deux recommandations à faire. D'abord, concernant les services de Radio-Canada anglais et français. Il faut que le gouvernement et la Société Radio-Canada considèrent le Nouveau-Brunswick comme un cas d'exception et qu'ils renforcent les effectifs journalistiques tant au niveau de la nouvelle, qu'au niveau des actualités et des affaires publiques afin d'assurer une diversité d'opinion, mais aussi un effet d'entraînement, qu'il y ait pour les autres médias un effet multiplicateur et qu'on ne puisse pas cacher des informations.
La deuxième recommandation concerne la question de la fiducie qui inquiète L'Acadie Nouvelle pour la distribution. Quant à moi, cela a été un exemple de comment un gouvernement peut agir pour le bien d'une communauté en finançant la distribution, en s'impliquant et en créant une fiducie indépendante et des fonds. C'est peut-être problématique à cause des taux d'intérêt, mais je crois que c'est un exemple de la façon dont des gouvernements peuvent agir pour corriger les forces du marché. C'est très important.
J'espère que demain matin vous poserez beaucoup de questions à Mme Marie-Linda Lord sur la gestion de la Chaire d'Étude Irving et du programme Irving vis-à-vis les journaux. Cela m'a laissé perplexe à ce stage-ci, parce que lorsqu'on est en train d'acheter et de créer des journaux francophones et d'encercler le quotidien francophone et que l'on persiste à vouloir s'implanter dans le département de journalisme à l'université, je comprends alors le dilemme de l'université. Le mécénat d'un groupe riche tel les Irving peut servir aussi les intérêts de la famille et du commerce. Ce sont des gens qui excellent en affaires, mais il faut regarder la concentration de la presse. CanWest ce serait beaucoup moins problématique au Nouveau-Brunswick, parce que c'est la famille. L'emprise économique du Groupe Irving au Nouveau-Brunswick, devrait préoccuper non seulement le Sénat, mais davantage le gouvernement et l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais m'exprimer en anglais, car je ne veux pas faire d'erreur. D'après ce que vous dites et que deux ou trois autres ont dit, on s'inquiète actuellement pour l'avenir de la presse écrite de langue française au Nouveau-Brunswick, n'est-ce pas?
[Français]
Est-ce que c'est une crainte en ce moment ?
M. Bourque : Ce n'est pas une crainte, c'est une appréhension qu'ont les Acadiens de perdre le contrôle de leurs hebdomadaires et qu'éventuellement, le Groupe Irving pourrait contrôler le quotidien ou en fonder un autre pour faire concurrence. L'histoire des Acadiens nous enseigne qu'à partir du moment où Renaissance Acadienne est devenu un journal, la presse a toujours joué un grand rôle dans le développement du peuple Acadien et dans la défense de ses intérêts, et c'est pour cela que l'on doit tenir compte de ce fait unique, que nous avons besoin de contrôler nos instruments de communication. Pas nécessairement tous, mais un quotidien est d'une grande importance, de même que les hebdomadaires et c'est pour cela que c'est préoccupant de voir le contrôle du Groupe Irving. Ce que je comprends c'est que dans les plans stratégiques, il y a une analyse des menaces, alors comment se fait-il qu'on n'analyse pas la question de la menace dans une aussi petite province? À un moment donné, il n'y aura plus rien d'autre que le Groupe Irving au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Trenholme Counsell : N'est-il pas possible d'avoir la force financière des Irving avec la voix des Acadiennes et Acadiens. Il n'est pas possible que les deux travaillent ensemble, est-ce exact ?
M. Bourque : Je ne comprends pas exactement si vous voulez dire, est-ce que les Irving pourraient contrôler le quotidien et qu'on soit heureux ? Je ne pense pas que cela aille ensemble.
[Traduction]
Le sénateur Trenholme Counsell : Vous n'auriez pas la voix de l'Acadie si l'argent ne venait pas de ce groupe, n'est-ce pas?
[Français]
M. Bourque : Pour nous Acadiens, il importe de contrôler nos propres moyens de communication. Il n'y a pas de société qui voudrait laisser cela à d'autres. Je sais comment les journaux Irving traitent les questions d'importance francophone, même à Moncton, souvent ils ne comprennent pas les intérêts supérieurs du peuple Acadien que ce soit dans leurs couvertures ou dans leurs positions éditoriales.
La présidente : Cela ne vous intéresserait pas non plus d'aller chercher des alliés francophones au Québec ?
M. Bourque : Nous voulons garder une certaine autonomie et être capable de prendre les responsabilités en tant que regroupement Acadien, d'avoir des instruments à notre disposition et ne pas être dépendants des autres. On a lutté pendant 150 ans pour se doter d'instruments pour notre développement et pour notre liberté.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce vrai que la famille Irving a offert un support important aux choses culturelles Acadiennes au Nouveau-Brunswick ?
M. Bourque : Je ne nie pas l'importance du mécénat de la famille Irving, même si pendant un certain temps, on se questionnait à savoir s'ils allaient en faire. Le problème, c'est que la province est trop petite. Si les Irving ne contrôlaient pas autant l'industrie et l'économie du Nouveau-Brunswick ce serait moins problématique sur le plan de la liberté de la presse, mais aussi de la démocratie du Nouveau-Brunswick. Il faut tenir compte de toutes les autres industries qui collaborent et qui financent avec le Groupe Irving. Je crois que ce n'est pas une préoccupation immédiate, mais elle reste importante. Je crois que c'est important que le Groupe Irving comprenne qu'il ne peut pas occuper toute la place, qu'il devrait se discipliner et faire comme le Groupe McCain, soit allé s'installer dans une autre province plutôt que d'essayer de vouloir uniquement grandir au Nouveau-Brunswick.
La présidente : Merci, monsieur Bourque. Je suis désolée de vous couper la parole.
M. Bourque : C'est correct. Merci.
La présidente : J'essaie d'être juste avec tout le monde.
[Traduction]
J'invite maintenant M. Kevin Matthews à s'avancer.
M. Kevin Matthews, Max Media Ltd., à titre personnel : Merci.
Je suis un documentariste indépendant et je travaille pour différents médias du Nouveau-Brunswick, essentiellement à la télévision, depuis 25 ans. Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de ce que je considère comme une solution efficace, immédiate et indispensable au problème du monopole Irving dans la presse écrite du Nouveau-Brunswick.
Comme de nombreux Canadiens et Néo-Brunswickois qui en sont conscients, je trouve qu'il est inacceptable, contraire à la liberté et à l'indépendance des médias ainsi qu'à la liberté d'expression, qu'une famille et une société soient propriétaires de la totalité des 15 hebdomadaires et quotidiens du Nouveau-Brunswick, à trois exceptions près.
Comme vous le savez peut-être, l'empire Irving commençait à acheter les hebdomadaires français de la province. Grâce à la vaste gamme d'intérêts industriels et commerciaux qu'elle possède au Nouveau-Brunswick, la famille Irving contrôle l'essentiel des ressources locales de la province et tient d'une poigne de fer le bien-être économique de toute la population du Nouveau-Brunswick. Le succès des Irving tient à l'intégration verticale, au contrôle des ressources et des moyens de production; du fait de ces dimensions mêmes, l'empire contrôle un vaste bassin de main-d'œuvre. Grâce à ce vaste pouvoir économique, la famille, semblable à un très gros poisson dans une petite mare, contrôle également l'essentiel de la vie politique dans la province, de l'Assemblée législative provinciale aux autorités municipales à la ville comme à la campagne. Avec un pouvoir économique et politique aussi énorme et avec un contrôle quasi-total de la presse écrite, il serait carrément absurde de prétendre à l'indépendance, à l'ouverture, voire même à l'objectivité de la presse écrite. C'est le poulailler confié au renard, car quand la presse est contrôlée à ce point, c'est comme si le renard avait la clé de la porte et choisissait le moment où cette porte doit être ouverte pour faire la lumière sur les conditions dans lesquelles les poulets vont vivre.
J'ai fait directement l'expérience de la presse Irving lors du lancement d'un documentaire intitulé Forbidden Forest sur des gens du Nouveau-Brunswick dont la subsistance dépend de la forêt. J'ai fait ce documentaire avec l'Office national du film et avec l'émission Nature of Things de CBC; il a été présenté en avant-première en novembre 2004 dans le cadre du Festival du film Tidal Wave. Le lancement de Forbidden Forest a donné lieu à un gala organisé par CBC en présence de M. David Suzuki, mais l'événement soulignait également le 25e anniversaire de l'émission The Nature of Things.
Il s'est tenu à guichets fermés au Théâtre de Fredericton. Plusieurs personnes ont été bien déçues de ne pouvoir obtenir de billets. Il y a eu de bons reportages sur l'événement à la radio et à la télévision de CBC ainsi que dans les médias francophones du Nouveau-Brunswick, mais les quotidiens néo-brunswickois de langue anglaise du groupe Irving n'en ont pas parlé. Après toutes les annonces publiées par CBC et les invitations officielles envoyées aux médias, et malgré la présence au Nouveau-Brunswick de M. David Suzuki, l'un des dix Canadiens les plus appréciés au Canada, les médias du groupe se sont cantonnés dans un silence absolu, étant donné que le film portait sur l'exploitation forestière, un élément très important du complexe industriel de l'empire Irving. Au cours des semaines suivantes, alors que Forbidden Forest était projeté dans des centres communautaires de la province, les journaux du groupe Irving n'en ont jamais parlé.
L'industrie forestière est importante au Nouveau-Brunswick et constitue l'un des fondements de l'empire Irving. La famille possède de grosses usines de pâtes et papiers, deux usines de papier mouchoir et huit scieries dans la province; elle possède des intérêts importants dans de nombreuses entreprises liées à l'exploitation forestière. De surcroît, l'empire Irving contrôle au moins un tiers des forêts domaniales publiques de la province.
Compte tenu du pouvoir et de l'emprise énormes qu'exerce cette dynastie familiale sur l'industrie forestière, qui pourrait concevoir que sur une question aussi importante pour l'empire Irving et pour la population de la province, le lancement du film Forbidden Forest n'ait pas justifié le moindre article dans les quotidiens du groupe Irving? La venue au Nouveau-Brunswick de David Suzuki, que les Canadiens apprécient tant, ne justifiait-elle pas d'être signalée dans les grands journaux du groupe Irving? La solution au problème...
La présidente : Vous avez dépassé le temps qui vous était alloué; veuillez nous faire part de vos solutions, s'il vous plaît.
M. Matthews : La solution au problème de ce monopole médiatique est simple. Il faudrait que le gouvernement fédéral crée, par l'intermédiaire de Patrimoine Canada ou d'un autre organisme, un fonds de fiducie qui permettra la création d'un quotidien de langue anglaise indépendant et à l'abri de toute manipulation politique.
On en a déjà un exemple dans la presse francophone de la province, c'est le quotidien L'Acadie Nouvelle, qui fonctionne grâce à un fonds de fiducie de 8 millions de dollars créé par les gouvernements fédéral et provincial. Ce fonds garantit la survie d'une voix objective et indépendante dans la presse francophone. La création d'au moins un journal indépendant de langue anglaise au Nouveau-Brunswick permettra aux anglophones — et aux francophones — d'espérer obtenir un point de vue complet et objectif sur les questions qui préoccupent tous les habitants du Nouveau- Brunswick. À défaut d'un journal anglophone indépendant, il faut se résoudre à continuer à vivre dans l'obscurité sans connaître toute la vérité sur les questions importantes.
La présidente : Je suppose qu'il s'agit de ce film.
M. Matthews : Oui, voilà le film, et vous avez ici la brochure.
Le sénateur Munson : Vous vous êtes bien exprimé.
M. Matthews : Trop rapidement.
Le sénateur Munson : Je sais.
La présidente : Quoi qu'il en soit, nous avons votre document.
Le sénateur Munson : En ce qui concerne le fonds de fiducie, comment un journal peut-il être indépendant s'il reçoit de l'argent des gouvernements fédéral et provincial?
M. Matthews : À ma connaissance, le fonds de fiducie créé pour L'Acadie Nouvelle est investi dans des actions dont l'intérêt permet de couvrir les dépenses de fonctionnement du journal.
Le sénateur Trenholme Counsell : On nous a dit que cet argent ne servait qu'à la distribution du journal. Nous nous sommes renseignés.
M. Matthews : Oui, il s'agit des frais de distribution.
La présidente : Ce qu'il faut dire, c'est que L'Acadie Nouvelle ne pourrait pas survivre uniquement grâce à ce fonds de fiducie. Le journal a également besoin de lecteurs, d'annonceurs et d'abonnés. Le modèle qui nous a été présenté faisait bien la différence entre l'élément du subventionnement et l'élément du journalisme.
M. Matthews : Je comprends, mais je pense qu'un journal anglophone finirait par faire ses frais et n'aurait plus besoin du fonds de fiducie. Il y a suffisamment d'intérêts dans cette province pour un journal indépendant. Les gens sont exaspérés d'être mal informés.
Avez-vous d'autres questions?
La présidente : Il vous reste 30 secondes pour exprimer votre opinion.
M. Matthews : J'ai du venir en voiture de Fredericton. J'ai fait deux heures de route.
La présidente : Excusez-moi.
M. Matthews : Il a fallu que je vienne du Nord de la province. Je suis arrivé chez-moi à trois heures du matin et je suis venu ici pour vous dire qu'à en juger de la façon dont les choses se passent actuellement, nous vivons dans un état futile. Un ancien rédacteur en chef vous a dit que les Irving n'écumaient pas toutes les ressources financières de son journal, mais en réalité, l'empire Irving écume tout l'argent des habitants de cette province. Le problème, c'est que personne n'en n'entend parler, personne n'obtient toute la vérité. Je ne sais pas ce que vous savez des deux dernières nouvelles, le gaz naturel liquéfié et les allègements fiscaux qu'Irving a obtenus dans ce domaine.
La présidente : Nous sommes en train de nous renseigner.
M. Matthews : Sur Lepreau, par exemple, il n'y a eu aucun article d'enquête sur les dessous de l'affaire. En ce qui concerne la Loi provinciale sur l'évaluation, Louis Robichaud s'est battu pendant dix ans contre K. C. Irving pour obtenir l'équité fiscale dans cette province, et les gains qu'il a obtenus ont été anéantis d'un coup. Il n'y a aucune information générale sur la Loi sur l'évaluation. En fait, si un journaliste se donnait la peine d'étudier cette loi, il verrait que les Irving ont obtenu des exemptions énormes sur tout ce qui concerne leurs activités pétrolières. Personne n'en est informé, un point, c'est tout. On en régurgite quelques bribes, mais il n'y a pas de journalisme d'enquête sur le sujet.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Matthews. Je comprends votre frustration.
M. Matthews : Je ne suis pas frustré. J'essaie simplement de m'exprimer compte tenu du peu de temps dont je dispose.
La présidente : Vous êtes frustré par les règles du comité qui limitent votre temps de parole. Voilà ce que je comprends. Les questions que vous soulevez sont sérieuses et importantes, et vous vous êtes bien exprimé. Merci de l'avoir fait. Vos propos figureront au compte rendu.
M. Matthews : Merci.
[Français]
La présidente : Monsieur Maurice Rainville celui dont nous parlions tout à l'heure. Bienvenue chez nous
M. Maurice Rainville, à titre personnel : Merci madame la présidente, j'ai été professeur de philosophie à l'Université de Moncton à partir 1963. De 1983 jusqu'à ma retraite en 1996, j'ai été professeur d'éthique de l'information. J'ai été ombudsman de la Presse Acadienne durant les deux années qui ont suivi sa création par l'Association acadienne des journalistes. Deux fois par mois, il m'arrive d'écrire des éditoriaux dans L'Acadie Nouvelle dont un ce matin, auquel je ferai beaucoup allusion parce qu'il y a quelques petites choses que le nombre réduit de mots ne permet pas de dire dans un éditorial et qu'il faut quand même savoir.
Je suis très inquiet. À mon avis, la situation de la presse au Nouveau-Brunswick exige une intervention du gouvernement fédéral, et je pense au Nouveau-Brunswick, et pas seulement à la population Acadienne, bien que, étant francophone, celle-là me touche de façon particulière. Ici, la démocratie et les droits qu'elle reconnaît à toutes les personnes, en particulier le droit de parole, ont un urgent besoin de protection. Le cas Parker illustre avec une évidence particulière cette inquiétude.
Jusqu'à tout récemment, Mike Parker était employé par l'hebdomadaire Here de Saint-Jean. Il y a publié un texte où il dénonçait les privilèges exorbitants accordés à la famille Irving par le conseil municipal de cette ville. Qu'est-ce que dit Parker ? En substance, il souligne que les Irving ont obtenu que les taxes payables pour son terminal de gaz naturel liquéfié soient gelées à 500 000 $ par année pour les 25 prochaines années. Si le conseil municipal n'avait pas statué sur le cas, c'est entre 3 millions de dollars et cinq millions de dollars, estime Parker, qu'Irving devrait verser à la ville. La décision a été prise par le conseil municipal peu de temps après l'imposition aux citoyens d'une nouvelle taxe destinée au financement des services municipaux. L'auteur estime que Saint-Jean a un taux de pauvreté de 25 p. 100. Ce sont donc les citoyens, conclut-il, qui devront compenser les exonérations de taxes dont profitera Irving durant un quart de siècle.
Du point de vue des critères de l'éthique de l'information, je ne trouve là absolument rien de scandaleux. Cela m'apparaît être d'une honnêteté telle que je ne trouve pas de faille vraiment particulière. Or, l'hebdomadaire que Parker a contribué à mettre sur pied, l'hebdomadaire Here et où il travaillait, est devenu, il y a quelques mois, la propriété du Groupe Brunswick News, et après la publication de son article des derniers jours, le journaliste a été congédié.
Je tiens l'information de la presse francophone locale. J'ai essayé de confirmer cette information auprès de M. Parker lui-même. À son bureau, il n'y a que le répondeur, à sa maison, le téléphone a été débranché.
La mesure, sous réserve de confirmation, ait bien été prise engendre de graves inquiétudes. On se demande par exemple s'il est encore possible à des individus d'utiliser sans crainte leur liberté d'expression pour dénoncer les injustices et le faire sans être victimes de représailles. On pourrait toujours rétorquer « que Parker et ses semblables aillent dire ailleurs ce qu'ils pensent », mais ce que vous avez entendu au cours de l'après-midi vous suggère déjà une réponse, je suppose. Vous le savez, tous les quotidiens et presque tous les hebdos anglophones du Nouveau-Brunswick sont la propriété de Brunswick News.
Du côté francophone, de nombreux hebdos le sont aussi, dont le Madawaska, l'Hebdo Chaleur, d'autres luttent à armes inégales contre un concurrent d'Irving. C'est le cas du Moniteur de Shédiac dont M. Haché vous a parlé tout à l'heure qui doit composer avec la distribution gratuite de l'Étoile du Sud-Est.
Madame la présidente, je vous serais gré de vous intéresser au problème, permettez-moi de le dire avec autant de simplicité que de franchise, c'est le message que je veux porter ici, le comité doit comprendre que les gens du Nouveau- Brunswick n'ont pas besoin seulement d'une autre étude après celle de Kent, de Davy, de Caplan-Sauvageau, de Godfrey, de Juneau qui révélerait du point de vue du problème que j'aborde ce que tout le monde sait très bien. Ils ont besoin que l'État prenne les mesures nécessaires à la protection de leurs droits et de la démocratie.
La présidente : Merci beaucoup. Vous êtes très éloquent, mais je dois noter que vous n'avez pas pu confirmer pourquoi M. Parker n'est plus à l'emploi de Brunswick News ?
M. Rainville : En effet.
La présidente : Il pourrait y avoir plusieurs explications ?
M. Rainville : C'est juste.
La présidente : On peut noter avec beaucoup d'intérêt ce que vous nous racontez, parce que c'est effectivement, extrêmement intéressant, mais pour l'instant, personne ne sait exactement pourquoi il n'est plus à l'emploi du journal.
M. Rainville : C'est juste, madame la présidente.
La présidente : Cela nous pose un problème, mais on va recevoir des représentants de Brunswick News demain et peut-être qu'on aura des nouvelles à ce moment-là.
M. Rainville : Je voudrais faire une nuance. Il est tout à fait juste de dire que je n'ai pas la confirmation de ce que la presse locale a rapporté au sujet de ce que j'appelle le congédiement. Dans les textes on dit « monsieur a été viré de son poste », toutefois on n'a pas de confirmation de ce fait. Cet « événement » — parce que je présume que c'en est un et ce n'est pas confirmé — est l'occasion de dire une autre chose que nous pouvons tout à fait confirmer, par ailleurs, et qui reste vraie et qui fonde aussi l'inquiétude que j'ai, c'est que la quasi-totalité des quotidiens anglophones et francophones appartiennent au groupe Brunswick News.
Monsieur Claude Bourque a expliqué tout à l'heure le lien qu'il y a entre l'entreprise de presse comme entreprise et l'entreprise de presse comme presse. Cette situation et le monopole de la concentration demeurent, et ce sont elles surtout qui sont à l'origine de mon inquiétude. L'occasion m'a été donnée de m'exprimer à ce sujet par le cas de M. Parker.
La présidente : Non, mais comme on l'a déjà dit, les sujets sont d'une très grande importance, mais les faits d'un cas particulier, les détails, il faut être sûr de ce dont on parle.
[Traduction]
Le sénateur Mun Son : À la fin de votre article, vous dites que le gouvernement devrait prendre des mesures pour protéger les droits et libertés, mais vous ne précisez pas lesquelles.
[Français]
M. Rainville : Oui, j'essaie. Une chose à laquelle on peut penser de façon très immédiate, c'est qu'il existe des lois qui concernent la concentration de la presse au Canada. On pourrait utiliser ces lois et les appliquer. La Commission Kent, d'ancienne mémoire vraiment, avait fait allusion à cette loi, mais la situation a seulement empiré depuis.
On pourrait donc intervenir sous cet angle, mais je ne voulais pas dicter au gouvernement canadien selon quel angle intervenir. Il y a peut-être d'autres moyens. On peut intervenir sur la base de la liberté de parole, donc de la Charte aussi, parce qu'on parle aussi de la liberté de la presse dans la Charte. Je ne veux pas supprimer la liberté de parole ni la liberté de la presse au Groupe Irving, parce que c'est un citoyen. Seulement, il faut pouvoir la partager.
La présidente : Merci infiniment. Je suis désolée. Le temps pour votre présentation est écoulé.
M. Rainville : Merci d'avoir écouté.
La présidente : Il paraît que nous avons deux membres du public qui demandent à comparaître ensemble. Il s'agit de M. Jean-Marie Nadeau et de M. John Murphy.
M. Jean-Marie Nadeau, Fédération des travailleuses et travailleurs du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Madame la présidente, je connais le sénateur Munson depuis 40 ans. On sera bref, parce qu'on est dans une période un peu intense. On est en train d'organiser notre congrès biennal du 1er au 4 de mai de la Fédération des travailleuses et travailleurs du Nouveau-Brunswick qui représente 35 000 membres, 260 sections locales dans les secteurs privés et publics. Je suis adjoint exécutif pour cette fédération, et je suis aussi coordonnateur provincial du Front commun pour la justice sociale qui est un groupe qui encourage les gens vivant en difficulté et en pauvreté à se prendre en main afin qu'ils atteignent un petit peu plus de dignité. Même si on n'avait pas le temps de préparer un mémoire, on voulait venir témoigner. En fait, ce qu'on demande aux journaux Irving, ce n'est pas de nous aimer, mais qu'ils reconnaissent qui nous sommes et ce qu'on essaie de faire. Je ne parle pas seulement en mon nom ou comme individu au service des gens syndiqués et des gens qui vivent dans la pauvreté. Nous demandons au Groupe Irving qu'ils reconnaissent les gens que je représente afin qu'ils aient le sentiment de participer au débat public et au débat démocratique.
Il s'agit, et c'est un beau mot anglais, d'un sentiment d'« empowerment ». Quand les gens prennent la peine d'oser, d'aller devant les médias, ils s'attendent au moins à se reconnaître le lendemain dans leur journal, surtout ici à Moncton. Je sais que le directeur est là et je lui dirais la même chose en face, même si c'est lui qui est dans mon dos actuellement, c'est un manque de décence élémentaire quant à moi. C'est une question de respect. On ne demande pas, comme je l'ai dit au début, aux gens d'aimer les syndicats, parce qu'on sait qu'ils ne les aiment pas en partant, et on ne demande pas d'aimer les groupes sociaux. Tout ce qu'on demande, c'est d'au moins rapporter ce qui se passe pour que la société soit en mesure de pouvoir se faire une opinion.
Notre plaidoyer vise donc la question de démocratie au Nouveau-Brunswick. En tant qu'Acadien, j'appuie les propos de M. Bourque et de M. Rainville concernant leur grande inquiétude face à ce qui pourrait arriver et la main mise du Groupe Irving sur les journaux francophones. Je vais laisser mon collègue donner des exemples concrets sur ce qui s'est passé.
[Traduction]
M. John Murphy, Fédération des travailleurs du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, lorsque vous parliez tout à l'heure des médias et de vos audiences, le mot clé était d'une « qualité », et vous vouliez savoir si les médias, en particulier la presse écrite, desservaient bien la population de la province. Une bonne partie des gens qui sont ici cet après-midi diraient que les journaux du groupe Irving ne desservent pas bien la population de la province. Notre journal local a disparu. D'éminents journalistes, dont certains retraités, qui ont passé toute leur vie dans la presse écrite, ont eu la possibilité de s'exprimer en fin de journaux. Évidemment, leur propos ont été entendus et enregistrés et vous allez y réfléchir, mais il n'en sera pas question demain dans le Times & Transcript. C'est terminé.
J'ai cherché dans le Times & Transcript de cette semaine des articles portant sur votre arrivée ici pour retenir des audiences. Je n'ai trouvé aucun reportage à ce sujet, mais j'ai vu bien sûr qu'on en traitait dans une annonce payée reléguée à la dernière page.
Oui, des changements s'imposent, et je formulerai certaines recommandations en particulier. J'ai entendu certaines personnes faire des recommandations assez semblable aux miennes, et il ne fait aucun doute qu'au nom du mouvement syndical, nous avons adopté des résolutions au cours de mes 33 années au sein de la Fédération du travail du Nouveau- Brunswick, à l'époque de la commission Davey, à l'époque de la commission Royal Kent, qui réclame une diminution de la concentration de la presse dans cette province, plus que jamais. Il faut obliger les Irvings à diversifier leurs avoirs — il le faut — et j'espère que vous en tiendrez compte. Pourquoi ne pas créer une version papier de la SRC financée par les contribuables du pays? Je n'ai absolument aucune objection à ce genre d'initiatives, et je sais qu'un grand nombre de nos membres seraient du même avis. C'est ce que nous faisons en ce qui concerne la version électronique de la couverture des affaires publiques. C'est un aspect essentiel d'une société qui fonctionne correctement, d'une société qui est informée correctement. C'est une mesure qui se fait attendre depuis longtemps. Je propose que vous l'envisagiez sérieusement. En plus de la couverture nationale, il y aurait naturellement des retombées communautaires qui permettraient à des organisations comme le journal local de Moncton, le Mascaret, qui lutte pour sa survie tout comme le Acadian Monitor, de continuer d'exister. S'il est impossible d'avoir un journal public qui soit l'équivalent imprimé de la SRC, alors à tout le moins il faudrait obliger les médias Irving de se départir de certains de leurs avoirs, parce qu'ils contrôlent effectivement la distribution — des témoins précédents vous en ont d'ailleurs parlé — de ces genres de publications qui offrent un autre point de vue sur les questions de grandes importances pour la société.
Je vais conclure parce que je sais que mon temps est écoulé. Il y aura 33 ans cet été que je fais partie du mouvement syndical et j'ai entretenu des relations de travail avec le Times & Transcript et d'autres médias Irving. Naturellement, je n'ai pas le temps de parler des bonnes années par rapport aux années actuelles, depuis l'arrivée des nouveaux éditeurs. Le dernier numéro de la fête du travail du Times & Transcript traitait en page couverture d'une étude faite par l'Institut Fraser qui établissait un lien entre des taux élevés de syndicalisation, des codes rigoureux du travail et l'affaiblissement de la productivité. Non seulement cette étude faisait-elle l'objet d'un article en page couverture de l'édition de la fin de semaine du travail, mais on y citait uniquement l'auteur. L'article ne présentait l'opinion d'aucune autre personne au sujet de cette étude en particulier. Puis, trois jours plus tard, pour une raison quelconque, ils ont finalement décidé d'obtenir un autre point de vue. Ils se sont adressés à ce que nous considérons comme un groupe de réflexion de droite, l'Atlantic Institute for Management Studies, ou AIMS, si je me souviens bien du nom, et ont obtenu des observations détaillées du responsable de l'institut, et d'autres observations de la part du ministre des Entreprises Nouveau- Brunswick, qui a contesté l'article. Cependant, il n'y a eu aucun commentaire de la part du mouvement syndical qui était le sujet même de l'article. S'agit-il de journalisme équilibré? Je ne le crois pas. J'étais tellement mécontent que j'ai envoyé plus d'une lettre à ce journal et aucune n'a été publiée. J'en ai envoyé une autre le 15 septembre 2004, et je vous la laisserai.
La présidente : Avec plaisir.
M. Murphy : Le dernier paragraphe se lit comme suit :
Je crois que les lecteurs méritent une explication. Pourquoi le Times & Transcript refuse-t-il d'assurer une couverture équitable aux syndicats et aux autres organisations d'action sociale — ce que vous nommez les groupes d'intérêts — mais n'hésite pas à toujours présenter l'opinion des milieux d'affaires et des groupes de réflexion de droite? Ne s'agit-il pas de groupes d'intérêt? Ou serait-ce que vous préférez orienter l'information?
Voilà quelle est la situation au Nouveau-Brunswick. Je vous remercie, madame la présidente.
La présidente : Merci beaucoup, et je vous demanderais de bien vouloir nous laisser une copie de votre lettre.
Le sénateur Munson : J'aimerais aborder très brièvement la notion d'une version imprimée francophone du réseau de la SRC. Qui s'en occuperait? Qui aurait le courage d'assumer cette responsabilité?
M. Murphy : Nous avons trouvé les moyens dans ce pays, par l'intermédiaire de notre gouvernement, de structurer la SRC. Je crois que nous pourrions trouver des moyens de structurer et d'administrer, de façon aussi indépendante que possible du gouvernement, un journal qui serait l'équivalent imprimé de la SRC. Nous n'avons pas l'intention d'aborder les détails d'une telle entreprise, mais c'est possible.
Le sénateur Munson : Ce n'est pas en train de faire à l'heure actuelle. Selon vous, que se passera-il d'ici 10, 15 ou 20 ans? Est-ce qu'en matière de communication la situation au Nouveau-Brunswick restera la même?
M. Murphy : Non, non. Il est évident que la situation s'aggrave graduellement et ne s'améliore pas. Ceux qui travaillent dans l'industrie vous l'ont dit, et pas seulement moi. Ils achètent tout. Je crains beaucoup, comme le craignent un grand nombre d'Acadiens, que le prochain journal dont s'emparera le groupe de la presse écrite Irving sera l'Acadie Nouvelle. C'est une question de temps, ou ce journal finira par se trouver totalement évincé du marché.
[Français]
M. Nadeau : J'ai deux commentaires à faire. On pourrait aussi ajouter à la version Internet de Radio-Canada et celle de CTV aussi parce que plus il y aurait d'information, mieux ce serait, même dans la version écrite, je n'aurais pas de problème avec Global. Je dois aussi avouer que je suis depuis le mois de février le nouveau chroniqueur à l'Acadie Nouvelle. Heureusement que je suis francophone, parce que je ne crois pas que j'aurais ce plaisir au journal d'Irving avec le genre de d'opinions que je peux avoir actuellement.
La présidente : Les représentants de L'Acadie Nouvelle, qui étaient ici tout à l'heure, nous ont dit que ce serait à peu près impossible avec leur structure actuelle que quelqu'un les achète, si cela peut vous rassurer.
M. Nadeau : Impossible n'est pas français et impossible n'est pas Irving non plus. C'est cela.
[Traduction]
La présidente : Eh bien, on pourrait parler longtemps de ce qui est impossible, et je n'ai pas l'intention de passer du temps là-dessus.
L'argument pour justifier la création de la SRC, c'est qu'au départ, et la situation est toujours la même essentiellement, c'est que le nombre de fréquences disponibles de radiodiffusion est limité et qu'il est dans l'intérêt public que certaines d'entre elles soient consacrées à la radiodiffusion publique. En fait, c'est la justification pour l'ensemble de la réglementation de la radiodiffusion. Il n'existe pas de limite inhérente équivalente en ce qui concerne le nombre de journaux et c'est la raison pour laquelle la plupart des journalistes et les personnes qui travaillent en fait dans le milieu de la presse qui ont comparu devant nous on dit, « N'envisagez même pas de créer une version imprimée de la SRC parce que le prix à payer, c'est-à-dire le risque de contrôle de la part du gouvernement, sera trop élevé ». Que répondez-vous à un tel argument?
M. Murphy : C'est en fait le contraire, madame la présidente : Quelles sont les possibilités pour ceux qui ont le désir, les compétences et l'intérêt d'établir un journal dans cette province? J'ai écouté ce qu'ils ont à dire, Vous avez dit, « Qu'est-ce qui est impossible? » Il est pratiquement impossible aujourd'hui de parvenir à établir un journal communautaire ou provincial qui fasse concurrence aux Irvings. Je crois que c'est la raison pour laquelle un grand nombre des autres importantes entreprises de la presse écrite n'en ont pas fait la tentative dans cette province. C'est la raison pour laquelle cela s'impose.
La présidente : Messieurs, je tiens à vous remercier tous les deux.
Chers collègues, membres du public, ceux qui ont fait des présentations et ceux qui les ont écoutées avec beaucoup de patience, cette journée a été très longue et animée et les nombreux points qui ont été soulevés méritent une réflexion et un examen sérieux, et nous recommencerons demain. Merci beaucoup à tous. Nous reprendrons nos délibérations dans cette salle demain matin à 9 heures.
La séance est levée.