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LES DÉFIS À VENIR POUR LE FONDS CANADIEN DE TÉLÉVISION 

 
Comité sénatorial permanent des transports et des communications 

 

Présidente, L’honorable Lise Bacon

Vice-président, L’honorable David Tkachuk 

 

Mai 2007


MEMBRES 

L’honorable sénateur Lise Bacon, présidente
L’honorable sénateur David Tkachuk, vice-président 

et 

Les honorables sénateurs,

 

Willie Adams

*Marjorie Lebreton, C.P. (ou Gerald Comeau)

Pat Carney, C.P.

Terry M. Mercer

Dennis Dawson

Pana Merchant

John Trevor Eyton

Jim Munson

*Céline Hervieux-Payette, C.P. (ou Claudette Tardif)

Gerard A. Phalen

Janis G. Johnson

Rod A.A. Zimmer

* Membres d’office

Les honorables sénateurs Andrée Champagne, C.P., Francis Fox, C.P., Yoine Goldstein, Leonard J. Gustafson et Michael A. Meighen ont aussi participé aux travaux du Comité relativement à cette étude.

           

Personnel de recherche :

Terrence Thomas, Bibliothèque du Parlement

 

 

Adam Thompson

Greffier du Comité


ORDRE DE RENVOI

Extrait des Journaux du Sénat du jeudi 8 février 2007 :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bacon, appuyée par l'honorable sénateur Milne,

Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à examiner, pour en faire rapport, les objectifs, le fonctionnement et le mode de gouvernance du Fonds canadien de télévision;

Que le Comité soumette son rapport final au plus tard le 30 juin 2007.

La motion, mise aux voix, est adoptée. 

 Le greffier du Sénat

Paul C. Bélisle


TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION 

 

HISTORIQUE DU FONDS CANADIEN DE TÉLÉVISION 

 

LA « CRISE FINANCIÈRE » DU FCT

 

PRÉOCCUPATIONS DE SHAW ET DE VIDÉOTRON

 

   A.  Problèmes liés au conseil d’administration du FCT

 

   B.  L’auditoire des émissions financées par le FCT

      1.  La taille et la nature du marché télévisuel canadien

      2.  Le marché de la télévision francophone au Canada

 

   C.  La place de CBC/Radio-Canada

 

   D.  Les nouveaux médias 

 

CONCLUSIONS 

 

RECOMMANDATIONS


 

LES DÉFIS À VENIR POUR LE FONDS CANADIEN DE TÉLÉVISION

INTRODUCTION 

Au cours des cinq dernières années, certains intervenants ont exprimé des préoccupations au sujet de la gestion et du fonctionnement du Fonds canadien de télévision (FCT).  Selon certains cotisants du secteur privé, le conseil d’administration du FCT n’y prête toutefois guère d’attention.

Le 20 décembre 2006, Jim Shaw, PDG de Shaw Communications, a écrit au président du conseil d’administration du Fonds canadien de télévision (FCT) pour lui annoncer qu’il cesserait les versements de Shaw au FCT.  Le 23 janvier 2007, Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Quebecor inc., écrivait au FCT pour annoncer que Vidéotron, filiale à part entière de Quebecor Média inc., suspendait ses contributions mensuelles.

Les deux câblodistributeurs évoquaient des problèmes liés à la gestion du FCT.  En termes généraux, la société Shaw se disait préoccupée par le manque d’obligation de rendre compte du FCT; Vidéotron était surtout préoccupée par la possible incapacité du FCT de reconnaître et de gérer la demande de nouveaux médias.  Les deux entreprises étaient fortement opposées à la proportion de 37 p. 100 des dépenses du FCT expressément réservée à CBC/Radio-Canada.

Après les crédits d’impôt, le FCT, qui verse des paiements aux producteurs indépendants, représente la principale mesure d’aide à la production télévisuelle canadienne. 
Le FCT évalue les contributions mensuelles de Shaw et Vidéotron à environ six millions de dollars, leur apport annuel représentant environ 30 p. 100 du budget du Fonds.  En raison du moment choisi pour cesser les versements et du calendrier de financement de la production télévisuelle, la décision de Shaw et de Vidéotron a déstabilisé l’industrie.

Avant d’examiner les préoccupations soulevées par les mesures récentes, il est utile de rappeler dans quel contexte le FCT a été créé.

 

HISTORIQUE DU FONDS CANADIEN DE TÉLÉVISION

 

En 1983, le gouvernement fédéral a publié l’énoncé intitulé « Vers une nouvelle politique nationale de la radiotélédiffusion ».  Cet énoncé de politique visait à accroître la compétitivité du système canadien de radiodiffusion dans le contexte de l’émergence de nouvelles technologies et incluait la création du Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes.

En 1994, le Fonds de production des câblodistributeurs a vu le jour; il s’agissait d’une entité privée sans but lucratif financée entièrement grâce aux contributions des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR).  Les contributions étaient versées dans le Fonds en échange de concessions réglementaires d’une valeur de centaines de millions de dollars([1])([2])
En 1996, la ministre du Patrimoine canadien a ajouté 100 millions de dollars par année à titre de financement supplémentaire et a créé un partenariat public-privé pour soutenir le FCT et Téléfilm Canada.  À cette époque, la responsabilité du Fonds a été transférée du CRTC au ministère du Patrimoine canadien.  Depuis 1996, le Fonds a fait l’objet d’une série d’ententes de contribution conclues avec le gouvernement, par l’entremise du ministère du Patrimoine canadien.

L’entente de contribution établit les orientations stratégiques primordiales devant régir les activités du FCT :

 

·         appuyer la création d’émissions de télévision canadiennes de grande qualité, que ce soit des dramatiques, des documentaires, des émissions jeunesse, des émissions de variétés ou des arts de la scène;

 

·         accorder un tiers de ses ressources aux émissions francophones et deux tiers aux émissions anglophones;

 

·         appuyer la production d’émissions de langues autochtones;

 

·         appuyer la production d’émissions produites par des producteurs francophones à l’extérieur du Québec;

 

·         accorder 37 p. 100 de ses ressources annuelles à l’enveloppe CBC/SRC;

 

·         allouer un pourcentage minimum de ses revenus au développement d’émissions de télévision;

 

·         s’assurer que les émissions qu’il finance sont produites dans les régions de manière équitable;

 

·         appuyer le doublage et le sous-titrage;

 

·         créer un mécanisme qui améliore l’accès au FCT des émissions à caractère pédagogique.

 

On reproche principalement deux choses à l’entente.  D’abord, elle comporte trop d’orientations stratégiques, de sorte que l’objectif du FCT devient obscur et ambigu.  Ensuite, elle a été conclue entre le FCT et le ministère du Patrimoine canadien et fait abstraction de la participation au Fonds des cotisants du secteur privé, ce qui représente au total plus de la moitié du budget du FCT.

En 2005, la vérificatrice générale s’est penchée sur le soutien financier accordé par le gouvernement aux industries culturelles.  Son rapport indique que la gestion du FCT demeure « complexe » et que l’administration de ses programmes est « lourde ».  Des dirigeants du FCT qui ont comparu devant le Comité sénatorial ont soutenu que la gestion du Fonds était en plein processus de modification au moment de l’examen et que les conclusions tirées se fondent donc sur une réalité qui a changé depuis.  Le conseil d’administration du FCT demeure important, soit 20 directeurs.

Lors de leur comparution devant le Comité sénatorial, voici en quels termes les dirigeants du FCT ont décrit le travail du Fonds :

 

Le Fonds canadien de télévision est le plus important outil de financement de la production télévisuelle au Canada, après les crédits d’impôt.  En 2005-2006, le FCT a investi plus de 249 millions de dollars dans la production canadienne, créant 2 276 heures de nouvelles émissions de qualité.  Au cours des 10 dernières années,
le FCT a appuyé plus de 4 000 projets et versé 2,2 milliards de dollars pour financer la production d’émissions de télévision canadiennes,
ce qui donné lieu à 7,4 milliards de dollars en budgets de production.

 

La décision de Shaw et de Vidéotron a mis en lumière deux préoccupations. 
La première concerne ce que d’aucuns appellent la « crise financière » du FCT.  La deuxième a trait à la nécessité de garantir l’efficacité du FCT.

 

 

LA « CRISE FINANCIÈRE » DU FCT

 

Le FCT distribue environ 250 millions de dollars.  Aussi, la perte prévue de 30 p. 100 de son budget aurait un impact considérable sur la production d’émissions de télévision canadiennes.  Certains ont mis en doute la légalité de la décision de cesser d’effectuer les versements.  En vertu de l’article 29 du Règlement régissant le CRTC (Règlement sur la distribution de radiodiffusion), les entreprises de câblodistribution doivent verser 5 p. 100 de leurs recettes brutes (moins le montant de la contribution à la télévision communautaire pouvant atteindre 2 p. 100 des recettes brutes).  L’article 44 du Règlement prévoit que les entreprises de distribution par satellite doivent verser une contribution aux fonds de production admissibles, à chaque année de radiodiffusion, soit un montant au moins égal à 5 p. 100 des recettes brutes provenant des activités de radiodiffusion de l’année.  Quatre-vingts pour cent de ces contributions doivent être versées au FCT.

Les conditions de licence obligent les distributeurs à se conformer au Règlement, mais celui-ci exige que les contributions soient versées au cours de l’exercice se terminant le 31 août.  La circulaire 426 du CRTC demande le versement de contributions mensuelles, et ce sont ces contributions que les deux distributeurs ont cessé de verser.  Comme la circulaire n’a pas de caractère obligatoire, les deux distributeurs (et n’importe quel autre en fait) pourraient en principe continuer de suspendre le versement de leurs contributions jusqu’à la fin d’août avant d’être considérés comme ayant enfreint les conditions de leur licence.

Lors de leur comparution devant le Comité sénatorial, les représentants de Shaw ont insisté sur la légalité de la décision de la société de suspendre le versement de ses contributions mensuelles au FCT.  Cette mesure fait toutefois fi de l’esprit de la loi.  Les avocats et les juges doivent respecter la lettre – et non l’esprit – de la loi, mais les dirigeants d’entreprises ont adopté certaines pratiques pour rendre leur travail plus efficace.  L’efficacité des entreprises ne serait assurément pas améliorée si l’on mettait fin aux pratiques habituelles en les remplaçant uniquement par des pratiques assujetties à des contrats exécutoires.

Lorsque les parties intéressées ont compris que la décision de Shaw et de Vidéotron respectait la lettre de la loi, le FCT et plusieurs producteurs indépendants ont demandé au CRTC de prendre des dispositions réglementaires pour rendre légalement obligatoires les paiements mensuels faits « par convention » ou « tradition ».  Il faut du temps pour modifier la réglementation([3]) et jusqu’ici rien n’a encore été fait.  Le président du CRTC a cependant annoncé qu’il était prêt à amorcer le processus.

Le 20 février 2007, le jour même où le Comité entamait ses audiences sur la question, le CRTC a annoncé qu’il avait créé un Groupe de travail relatif au Fonds canadien de télévision, dont le mandat est le suivant :

 

Examiner les questions relatives au financement de la programmation canadienne et à l’administration du FCT.  Les enjeux incluent :

 

·         l’utilisation la plus efficace possible des contributions requises des EDR

·         la taille et la structure du conseil d’administration du FCT les plus appropriées

·         les mécanismes les plus appropriés afin de résoudre les conflits d’intérêts réels ou apparents au sein du FCT (CRTC, communiqué, Le CRTC crée un Groupe de travail relatif au Fonds canadien de télévision, 20 février 2007)

 

Entre-temps, Vidéotron et Shaw avaient repris le versement de leurs paiements mensuels au FCT.

 

 

PRÉOCCUPATIONS DE SHAW ET DE VIDÉOTRON

 

Voici la liste des préoccupations énoncées par Shaw et Quebecor dans leurs lettres au FCT, leurs communiqués et durant les audiences du Comité :

 

1.      trop grand nombre d’administrateurs au sein du conseil (20);

 

2.      sous-représentation des distributeurs au conseil;

 

3.      les cotisants du secteur privé ne participent pas à l’élaboration de l’entente de contribution;

 

4.      manque de souplesse possible (et lourdeurs administratives);

 

5.      conflits d’intérêts possibles;

 

6.      financement appuyant des émissions dont l’auditoire est relativement faible;

 

7.      financement versé à CBC/Radio-Canada;

 

8.      manque de soutien possible pour les nouveaux médias et les nouvelles technologies.

 

Bien que ni Shaw ni Vidéotron n’aient avisé le FCT à l’avance de leur intention d’interrompre le versement de leurs contributions mensuelles, leurs préoccupations ne datent pas d’hier et ont été soulevées à maintes reprises par le passé.  Comme M. Ken Stein, vice-président principal aux Affaires commerciales et réglementaires de Shaw Communications inc., l’a dit :

 

Nous essayons d’attirer l’attention depuis cinq ans.  Nous avons examiné les règles et la loi; nous avons consulté tous nos avocats afin de leur demander ce que nous pouvions faire pour attirer l’attention sur cette question.  Ils nous ont répondu que l’on n’est pas tenu de faire des versements mensuels.  Par conséquent, nous avons retenu un paiement et nous avons attiré l’attention sur nos préoccupations. (28 mars 2007)

 

   A.  Problèmes liés au conseil d’administration du FCT

 

Les cinq premières préoccupations susmentionnées concernent la gestion et le fonctionnement du conseil d’administration du FCT et soulèvent des questions d’efficacité, d’équité et de transparence.  Ce sont certes là des questions importantes, mais pour bien les évaluer il faudrait procéder à une analyse approfondie et de longue haleine que le Comité ne peut se permettre d’entreprendre.  Le CRTC dispose par contre des ressources et des connaissances nécessaires, et le groupe de travail qu’il a mis sur pied devrait être en mesure de se pencher sur ces préoccupations.

La cinquième préoccupation, qui porte sur les conflits d’intérêts possibles, rejoint elle aussi la question du fonctionnement efficace d’un fonds de production et sera elle aussi examinée par le groupe de travail du CRTC.  En 2005, la vérificatrice générale du Canada faisait remarquer, dans un rapport, que « la composition du conseil d’administration du FCT constitue une source potentielle de conflit d’intérêts ».  Les membres du conseil d’administration du FCT qui ont comparu devant le Comité ont déclaré que des mesures avaient été prises pour remédier aux conflits possibles.

Un représentant de Shaw qui a comparu devant le Comité, a exprimé son désaccord en ces termes :

 

[…] les bénéficiaires d’un fonds ne devraient pas siéger au conseil d’administration de celui-ci.  Le conseil d’administration d’un fonds chargé d’établir une industrie devrait mettre l’accent sur l’investissement.  Il devrait concentrer toute son énergie sur la manière de bâtir cette industrie.  Les administrateurs devraient être les représentants des consommateurs et des distributeurs qui contribuent au fonds, plutôt que ses bénéficiaires […] (28 mars 2007)

CBC/Radio-Canada semble souscrire à cette position, même si, de façon générale, la société d’État est favorable au FCT.  M. Sylvain Lafrance a insisté sur la nécessité de conférer au conseil d’administration du FCT l’indépendance voulue :

 

Un autre aspect clé du Fonds canadien de télévision est son caractère indépendant.  Depuis sa création, le FCT est tenu d’agir sans égard aux intérêts financiers d’une partie intéressée, d’un groupe ou d’une entreprise en particulier.  Nous sommes convaincus de l’importance primordiale de cette indépendance pour assurer le succès du Fonds.  En fait, nous croyons que le Fonds pourrait même accroître son efficacité si son conseil d’administration reflétait mieux le principe d’indépendance. (27 mars 2007, c’est nous qui soulignons)

 

C’est là un exemple de problème attribuable au manque de transparence dans le fonctionnement du FCT.  M. Lafrance a précisé que le groupe de travail du CRTC allait se pencher sur cette question.

La présente étude a permis au Comité de faire une constatation importante, à savoir que la transparence pose un énorme problème dans la gestion du FCT.  À l’heure actuelle le FCT dépense un quart de milliard de dollars par année, dont au-delà de 100 millions de dollars proviennent du Trésor public et, aux termes de l’entente sur les contributions, la société CBC∕Radio-Canada reçoit 37 p. 100 des fonds alloués par le FCT.  Les Canadiens, à titre de contribuables et d’abonnés aux services de câblodistribution et de satellite, devraient avoir une meilleure idée de la façon dont leur argent est dépensé.

Pour commencer, le gouvernement et le FCT devraient chercher à mieux concilier l’objectif visant à appuyer la production d’émissions de qualité – en procédant vraisemblablement par voie concurrentielle pour choisir les meilleures émissions possible parmi toutes celles proposées – et le système d’enveloppes fixes pour certains radiodiffuseurs qui permet, par exemple, à CBC∕Radio-Canada de recevoir 37 p. 100 des fonds alloués par le FCT.

 

   B.  L’auditoire des émissions financées par le FCT

 

M. Ken Stein de Shaw Communications a comparu devant le Comité et a qualifié les dizaines de millions de dollars que Shaw verse au FCT de gaspillage éhonté d’un élément d’actif canadien.  Sa collègue, Mme Cynthia Rathwell, vice-présidente aux Affaires réglementaires, a elle aussi remis en question les dépenses du FCT.

 

[…] On nous a dit à plusieurs reprises que le financement est à l’origine de 23 000 heures d’émissions canadiennes.  À part répéter les statistiques et citer quatre ou cinq émissions qu’il appuie, le Fonds n’explique pas comment ni même s’il mesure sa capacité à appuyer une programmation canadienne de haute qualité.  Il est évident que les Canadiens méritent de savoir s’ils ont obtenu une valeur quelconque en contrepartie des dépenses de 2,5 milliards de dollars en provenance de leurs contributions. (28 mars 2007)

 

Les arguments selon lesquels les émissions financées par le FCT sont des échecs devraient être examinés en fonction de la taille et de la nature du marché télévisuel au Canada et de l’auditoire du marché de langue française.

 

      1.  La taille et la nature du marché télévisuel canadien

 

Le Canada, doté d’une population de plus de 32 millions de personnes, représente un marché télévisuel relativement petit.  Le revenu tiré de la publicité ou des frais d’abonnement n’est peut-être pas suffisant dans ce marché pour couvrir le coût de la production de dramatiques de qualité.  Cette conclusion pessimiste repose sur deux facteurs.  Premièrement, le Canada compte deux systèmes de télévision, le système francophone et le système anglophone,
qui répondent aux besoins des locuteurs des deux langues officielles.  D’après le recensement de 2001, l’anglais est la langue maternelle d’environ 60 p. 100 des Canadiens; le français celle d’environ 23 p. 100 des gens.  Le reste de la population, soit 17 p. 100, a pour langue maternelle d’autres langues, notamment des langues autochtones.

Deuxièmement, le Canada est voisin du premier producteur télévisuel au monde, les États-Unis.  Dans ce pays, étant donné l’ampleur du marché, les recettes tirées de la publicité et des frais d’abonnement suffisent amplement à absorber le coût des émissions plus chères à produire.  Ces émissions peuvent ensuite être diffusées sous licence dans d’autres pays, comme le Canada, à moindre coût.  Voici un aperçu de la situation avec laquelle les producteurs de télévision canadiens doivent composer : le Canada compte 12,3 millions de foyers; HBO, chaîne payante reconnue pour ses dramatiques de grande qualité, compte 30 millions d’abonnés.  Le budget d’une heure de dramatique à HBO est au moins trois fois celui d’une heure typique consacrée à une dramatique canadienne.

Les émissions de télévision à succès ne sont pas monnaie courante.  Les producteurs de télévision américains ont un taux d’échec très élevé et il n’est pas rare que des émissions meurent au stade expérimental ou soient retirées après la diffusion de quelques épisodes seulement.  Par contre, les quelques rares émissions qui obtiennent du succès rapportent des sommes faramineuses et sont diffusées partout dans le monde.  Il n’est peut-être pas juste de comparer les émissions financées par le FCT aux succès américains.

Les coûteuses émissions de télévision américaines qui, grâce à l’excellente mise en marché dont elles bénéficient, sont diffusées aux heures de grande écoute par des diffuseurs canadiens, attirent effectivement des auditoires importants ici.  Des considérations d’ordre économique font que les diffuseurs canadiens privilégient les émissions américaines.  Cela n’exclut pas que certaines émissions produites ici puissent obtenir du succès et réussir à attirer des auditoires au Canada et à l’étranger.

Par exemple, une représentante du FCT a pu citer quelques exemples d’émissions canadiennes à succès :

 

[…] Degrassi:  The Next Generation est une série culte au Canada, tout particulièrement parmi les adolescents, et est sur le point d’être offerte à un réseau d’abonnés aux États-Unis.  DaVinci’s Inquest, actuellement diffusée aussi aux États-Unis, attire de trois à
quatre millions de téléspectateurs par semaine, et arrive souvent en tête dans sa case horaire.  L’émission est maintenant diffusée dans plus de 100 pays. (21 février 2007)

 

Bien que les porte-parole de Shaw aient minimisé l’importance des succès remportés par les dramatiques canadiennes, ils se sont montrés fiers du Fonds Shaw-Rocket, qui commandite la programmation jeunesse.  Mme Kathy Corcoran, directrice de la recherche pour le FCT, a abondé dans le même sens.  Elle a fait remarquer ceci : « Dans la catégorie des émissions pour enfants et jeunes, neuf des 50 émissions les plus appréciées des enfants de deux à 11 ans sont financées par le FCT. » (21 février 2007)  D’autres témoins ont fait valoir que certaines émissions populaires appuyées par le Fonds Rocket jouissaient aussi du financement du FCT.

En plus d’attirer de vastes auditoires, les émissions financées par le FCT sont aussi saluées par la critique.  En 2005, 38 des 75 prix Gémeaux décernés à des émissions de langue anglaise sont allés à des productions financées par le FCT.

 

     

 2.  Le marché de la télévision francophone au Canada

 

Les succès de la télévision de langue française sont plus manifestes.  Bien sûr, la langue y est sans doute pour quelque chose.  Mais, comme nous l’avons souligné, le marché francophone au Canada est beaucoup plus petit que le marché anglophone.  À l’heure actuelle, la vaste majorité des émissions les plus regardées au Québec sont des productions régionales.  Au Québec, dix des 25 émissions inscrites à l’horaire régulier ont été financées par le FCT.

Un représentant du FCT a pu citer des exemples d’émissions de langue française financées par le FCT qui ont été couronnées de succès à l’étranger.

 

[…] plusieurs productions en langue française ayant obtenu un financement auprès du FCT ont été reconnues à l’échelle internationale, comme Insectia ou l’Odyssée de l’espèce.  Le format d’autres productions a été vendu à l’échelle nationale ou internationale et exporté dans plus de 30 marchés, comme Le cœur a ses raisons, Rumeurs et Un gars, une fille, qui est devenue la première émission télévisée québécoise à être adaptée aux États-Unis. (21 février 2007)

 

M. Jacques Blain, membre du conseil de l’Association des producteurs de films et de télévision du Québec, a mis en lumière la réussite de la politique télévisuelle en comparant la situation du marché québécois aujourd’hui et celle du début des années 1980, au moment où on créait le Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes :

 

Au début des années 1980, TVA, Radio-Canada et Télé-Québec produisaient eux-mêmes la quasi-totalité de leur contenu canadien, et les émissions qui dominaient les cotes d’écoute n’étaient pas faites ici : elles s’appelaient Dallas ou Dynastie.  Les Québécois francophones désertaient en grand nombre la télévision de langue française au profit de la télévision de langue anglaise.

 

Aujourd’hui, 27 des 30 émissions les plus regardées par les Québécois, chaque saison, sont québécoises et la télévision de langue
française accapare près de 95 p. 100 de l’écoute des francophones.
(27 février 2007)

 

En 2005, 48 des 74 prix Gémeaux décernés à des émissions de langue française sont allés à des productions financées par le FCT.  C’est un taux de succès plus élevé que pour les productions de langue anglaise financées par le FCT.

En finançant les émissions de télévision canadiennes, le FCT et ses prédécesseurs dans les années 1980 ont contribué à bâtir un secteur de production indépendante très solide. Ce secteur est en mesure d’accomplir du travail de grande qualité en ce qui concerne les productions nationales et, ce qui a une valeur économique importante, en ce qui concerne les productions étrangères, principalement américaines.

 

   C.  La place de CBC/Radio-Canada

 

Shaw et Quebecor s’opposent à ce que le FCT puise dans ses ressources pour offrir une enveloppe budgétaire à CBC/Radio-Canada.  Selon l’entente de contribution qui façonne la politique du FCT, 37 p. 100 des dépenses du Fonds sont consacrées au radiodiffuseur public national.  Lorsque le Fonds a vu le jour en 1983 sous le nom de Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes, CBC/Radio-Canada touchait 50 p. 100 du budget. 
Ce qui préoccupe Shaw et Quebecor, c’est sans doute moins le pourcentage de financement offert que le fait que CBC/Radio-Canada reçoive de l’argent venant d’un fonds de production au lieu de crédits parlementaires.

En vertu de l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique, et le diffuseur public national, avec la participation d’éléments publics, privés et communautaires, est censé contribuer à la création et à la diffusion d’émissions canadiennes.  On pourrait dire, en citant la loi, qu’un fonds établi pour appuyer les émissions canadiennes devrait être accessible à chacun des éléments du système de radiodiffusion unique.

Il existe des raisons pratiques qui expliquent pourquoi CBC/Radio-Canada doit avoir droit au financement du FCT.  CBC/Radio-Canada fait un usage plus efficace de son financement provenant du FCT, en particulier en ce qui a trait aux dramatiques.  Comme l’a souligné le vice-président principal de la télévision anglaise de CBC/Radio-Canada :

 

Nos dramatiques de langue anglaise sont financées à 50 p. 100 par le FCT, mais nous recueillons deux tiers de l’auditoire des émissions dramatiques canadiennes anglaises.  De ce point de vue, il s’agit d’une utilisation plus efficace de l’argent. (27 mars 2007)

 

Ce qui explique peut-être le grand nombre de téléspectateurs est que « [l]a CBC est le seul radiodiffuseur anglophone principal dont l’horaire aux heures de grande écoute, de 20 à 23 heures, offre des émissions canadiennes ». (Richard Stursberg, 27 février 2007)  Le réseau peut inscrire des émissions canadiennes à son horaire aux heures auxquelles les Canadiens regardent la télévision.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, Shaw et Quebecor ont fait valoir que l’enveloppe budgétaire de CBC/Radio-Canada devrait provenir directement de crédits parlementaires et non du FCT.  CBC/Radio-Canada a soutenu ne pas recevoir d’argent du FCT; l’argent est versé à des producteurs indépendants dont CBC/Radio-Canada diffuse les émissions.  Un représentant de Shaw a contesté cette affirmation en faisant valoir que CBC/Radio-Canada exerçait un contrôle réel sur 37 p. 100 des fonds du FCT.  C’est là un autre exemple de situation où l’utilisation des fonds du FCT devrait être plus transparente.

 

   D.  Les nouveaux médias

 

C’est Quebecor qui a fait valoir de manière très catégorique la huitième préoccupation, le manque de soutien possible pour les nouveaux médias. 
L’une des principaux éléments que Quebecor reproche au FCT, c’est de ne pas soutenir la production de vidéos sur demande.  Toutefois, les réserves soulevées dépassent largement le système actuel de vidéo sur demande par câble.

L’approche de Quebecor relativement à la politique de radiodiffusion est résolument tournée vers l’avenir.  Quebecor s’est lancée dans l’environnement multiplateforme, de manière peut-être plus énergique que d’autres joueurs au Canada, et elle exige que le FCT corresponde à cette vision tournée vers l’avenir.

En réponse aux questions posées sur le financement des nouveaux médias, Douglas Barrett, président du Fonds canadien de télévision, a soutenu que, comme il n’existe pas encore de modèle opérationnel concluant pour les nouveaux médias, ce genre d’investissement est risqué et pourrait priver les bénéficiaires établis du FCT de leur financement habituel.

Le 12 février 2007, Quebecor a annoncé sa proposition concernant un Fonds Quebecor élargi et revampé, dans lequel l’entreprise allait investir 109 millions de dollars sur trois ans.  Quebecor Media choisirait trois des cinq membres du conseil d’administration.

 

Quebecor Média propose également de redéfinir les catégories de contenus canadiens admissibles au financement par le Fonds Quebecor afin qu’elles prennent en compte la nouvelle réalité multiplateforme du paysage audiovisuel.  Les productions destinées à la télévision conventionnelle – allant de la vidéo sur demande à la chaîne généraliste en passant par les chaînes spécialisées – les productions destinées à la diffusion sur Internet et celles destinées à la diffusion sur appareils mobiles seraient admissibles au financement.  La totalité des fonds serait réservée à des productions destinées aux diverses composantes du groupe Quebecor Média. (Quebecor Média, communiqué, 12 février 2007)

 

Les producteurs indépendants du Québec ont réagi rapidement et déclaré que le projet de Quebecor ne servirait que ses propres intérêts et non ceux de l’industrie.  Mais Quebecor voit sa proposition comme une solution de rechange au FCT.

Au moment où Quebecor a annoncé sa proposition concernant un Fonds Quebecor élargi et revampé, M. Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction, a rappelé dans le cadre d’une allocution que le fonds de production initial s’est mué en FCT à l’époque où le numérique en était à ses premiers balbutiements.  Il a ajouté que, de nos jours, « c’est à une vitesse fulgurante qu’on voit s’effacer la frontière entre le téléviseur et l’Internet ». (Quebecor, communiqué, 12 février 2007)  À ses yeux, le FCT s’est laissé devancer par l’évolution du paysage médiatique.

M. Richard Stursberg, vice-président principal de la télévision anglaise de CBC/Radio-Canada, a donné un exemple de liens possible entre les nouveaux médias et la télévision traditionnelle.  Il a expliqué que les producteurs de Degrassi avaient créé deux trames narratives intégrées, mais distinctes.  L’une était présentée dans le cadre de l’émission de télévision tandis que l’autre se déroulait sur Internet et permettait aux gens de s’inscrire à l’école, d’obtenir un matricule étudiant et un casier de même qu’assister aux cours.  Les élèves virtuels pouvaient prendre part aux secrets et aux commérages qu’ils voyaient à la télévision.

M. Stursberg a précisé que les deux projets recevaient du financement du Fonds canadien de télévision.  Cependant, même s’il défend le FCT, il a reconnu que davantage de progrès étaient nécessaires.

 

[…] il serait important de repenser notre modèle de financement afin de s’assurer que ces plates-formes médiatiques plus évoluées sont prises en compte.  Comme je le disais tout à l’heure, ne pas agir nous fera reculer.  Sur le plan culturel, ce serait de très mauvais augure. 
Sur le plan industriel, je crois que ces choses seront de plus en plus importantes.  Il y a des occasions en or qui s’offrent à nous.
(27 mars 2007)

 

Le Comité reconnaît que le paysage médiatique évolue rapidement et que cela signifie que les responsables du financement doivent se tourner davantage vers l’avenir.

 

CONCLUSIONS

 

C’est un privilège de faire partie du système canadien de radiodiffusion.  C’est là une position de longue date qui a façonné notre politique de radiodiffusion et qui, par l’entremise du CRTC, a influencé l’octroi des licences de radiodiffusion.  La politique de subvention de la production télévisuelle canadienne est un fait acquis, et ce, depuis près d’un quart de siècle.  La politique ne s’oppose pas aux intérêts commerciaux, mais elle va au-delà afin de répondre aux besoins sociaux et culturels.  On peut débattre de la politique, mais il reste qu’à l’heure actuelle, elle est un fait établi.

Comme le stipule la Loi sur la radiodiffusion : « […] tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière qui convient, à la création et la présentation d’une programmation canadienne. »  Le FCT joue un rôle important à cet égard.  Il soutient avec succès les émissions de télévision canadiennes créées par des producteurs indépendants et diffusées sur des chaînes canadiennes.

Récemment, cette politique télévisuelle a été mise en péril.  À la fin de l’année 2006 et au début de 2007, le FCT a dû faire face à une crise financière qui menaçait de plonger l’industrie dans la confusion.  Le présent rapport visait à examiner des moyens de prévenir un tel bouleversement à l’avenir.

La prochaine étape, plus fondamentale, consistera à répondre à la question suivante : est-ce qu’un autre fonds, doté d’une structure et de modes de fonctionnement différents, peut accroître le nombre d’émissions de télévision canadiennes et améliorer leur qualité?  C’est une autre façon de se demander si les dépenses du FCT sont aussi efficaces qu’elles pourraient l’être.  Peu importe la réponse, ni le FCT ni un ou plusieurs autres fonds de remplacement ne peuvent ni ne doivent évoluer dans le contexte d’incertitude financière à l’origine des récents désaccords.

 

 

RECOMMANDATIONS

 

Recommandation un

 

Le CRTC devrait immédiatement modifier le Règlement sur la distribution de radiodiffusion afin de rendre obligatoires les contributions mensuelles au Fonds canadien de télévision et devrait, parallèlement, établir un mécanisme de règlement des différends sans lien de dépendance pour régler rapidement les questions et préoccupations soulevées par l’un ou l’autre des cotisants au Fonds canadien de télévision.

 

Recommandation deux

 

Le gouvernement devrait revoir les enveloppes de dépenses du Fonds canadien de télévision, en particulier en ce qui concerne la proportion de fonds réservés à CBC/Radio-Canada.

 

Recommandation trois

 

Les enveloppes de dépenses du Fonds canadien de télévision devraient englober des fonds destinés à soutenir les projets liés aux nouveaux médias.

 

Recommandation quatre

 

Il faudrait évaluer annuellement l’efficacité du Fonds canadien de télévision à remplir son mandat à l’aide de critères objectifs comme la part d’auditoire et les recettes provenant des émissions financées grâce au Fonds.

 

Recommandation cinq

 

Le rapport annuel de CBC/Radio-Canada devrait être transparent au sujet des sources de financement et notamment faire état du montant du financement accordé à la société d’État par le FCT et de la façon dont cet argent a été dépensé.


([1])     CRTC, Avis public 1993-74, 3 juin 1993.

([2])     En 1986, le CRTC a approuvé une majoration tarifaire devant servir à financer les dépenses d’immobilisation des câblodistributeurs.  En 1991, il a toutefois décidé de supprimer progressivement la majoration tarifaire consentie au titre des dépenses d’immobilisation sur une période de cinq ans. 
Les tarifs du câble allaient donc être revus à la baisse et les abonnés allaient voir leur facture mensuelle diminuer.  Par la suite, dans le cadre d’un examen de la structure de l’industrie mené par le CRTC en 1993, les câblodistributeurs ont proposé (et le CRTC a accepté) de ne pas abolir la majoration tarifaire au titre des dépenses d’immobilisation.  La moitié des revenus tirés de la majoration allait plutôt servir à financer le nouveau Fonds de production des câblodistributeurs créé en 1994, et les câblodistributeurs allaient être autorisés à conserver l’autre moitié des revenus.

([3])     Marlisa Tiedemann, Questions relatives à l’obligation des titulaires de contribuer à « l’expression locale, à la programmation canadienne et à la télévision communautaire » conformément au Règlement sur la distribution de radiodiffusion, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, 15 février 2007.


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