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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 28 septembre 2006 - Séance du matin


THUNDER BAY, le jeudi 28 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 11 h 20 afin d'examiner l'engagement des entreprises et des collectivités autochtones en matière de développement économique au Canada et de présenter un rapport à ce sujet.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, je m'appelle Gerry St. Germain. En tant que président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue aux audiences tenues aujourd'hui à Thunder Bay. J'aimerais d'abord remercier les Ojibways, à qui appartiennent les terres ancestrales sur lesquelles nous sommes rassemblés, particulièrement la Première nation de Fort William.

Honorables sénateurs, aînés, invités et membres de l'auditoire, notre comité a reçu le mandat d'étudier l'engagement des entreprises et des collectivités autochtones en matière de développement économique au Canada. Cette étude a débuté lors de la dernière législature sous la direction de notre collègue, le sénateur Sibbeston, alors président du comité.

Nous avons entendu de nombreux témoins à Ottawa et avons ensuite tenu des audiences publiques l'automne dernier en Colombie-Britannique et en Alberta. En mars 2005, le sénateur Sibbeston et moi avons visité certaines localités des Territoires du Nord-Ouest. Lundi de cette semaine, nous étions au Lac La Ronge pour une mission d'information. Mardi, le comité était à Saskatoon pour une journée d'audiences publiques, et hier nous étions à Winnipeg. Aujourd'hui, à Thunder Bay, nous entendrons plusieurs témoins avant de retourner à Ottawa où d'autres témoignages seront recueillis.

Dans le cadre de cette étude, l'objectif du comité est de déterminer les conditions qui favorisent ou qui entravent le développement dans les collectivités autochtones.

Notre premier témoin d'aujourd'hui sera M. Tom Morris. Malheureusement, le grand chef Stan Louttit du Conseil de Mushkegowuk est absent. En conséquence, nous remercions M. Morris d'avoir modifié son horaire parce que, comme vous le savez, nous traversons le pays rapidement. Nous devons retourner à Winnipeg ce soir.

Tom Morris, président-directeur général, Wasaya Airways : Je suis le président-directeur général de la société Wasaya Airways Limited Partnership. Je viens de Kitchenuhmaykoosib, anciennement la Première nation de Big Trout Lake. Je prends part au développement économique et commercial de notre région, le Nord-Ouest de l'Ontario, depuis 25 ans. Mon témoignage offrira une perspective commerciale et non politique.

Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser au comité sénatorial permanent et je vous remercie de l'invitation. Mon témoignage d'aujourd'hui illustrera à quel point les partenariats ont été essentiels au développement et au lancement de la société autochtone Wasaya Airways LP. J'espère partager une partie de notre histoire et donner un aperçu de nos activités commerciales, tant passées que présentes, qui pourraient inspirer ceux qui désirent contribuer à la prospérité économique des Autochtones.

La société Wasaya Group Inc. est un partenariat conclu entre neuf collectivités autochtones éloignées. Ces collectivités sont accessibles d'un bout à l'autre de l'année par transport aérien seulement. Le groupe Wasaya, notre société mère, possède quelques filiales. Il y a environ 17 ans, Wasaya Airways LP était une petite société d'hydravions et, aujourd'hui, grâce à sa flotte de 19 aéronefs et à ses 270 employés, elle offre des services de transport de passagers, de marchandises et de carburant aux collectivités éloignées, ainsi que des services nolisés en Amérique du Nord. Wasaya Petroleum LP est un fournisseur de carburant et de produits pétroliers en vrac, et Wasaya Prop Shop LP s'occupe de révision et de maintenance d'hélices et de freins d'aéronefs; elle compte des clients jusqu'en Afrique, en Grande-Bretagne et en Corée du Sud. Nous sommes également propriétaires de la Wasaya Community Economic Development Corporation, qui fournit des services de consultation et de formation aux collectivités dans les secteurs de l'économie et du transport, y compris les routes saisonnières et toute saison. La société Wasaya possède également une division sans but lucratif du nom de Wee Chee Way Win Inc. qui finance les activités de mieux-être social dans les collectivités. Wasaya Airways est notre source de recettes la plus importante.

L'aventure a débuté en 1987 grâce à la vision de l'un des aînés des Premières nations, M. Albert Mamakwa, qui a recommandé que les collectivités éloignées se regroupent afin d'élaborer un plan économique commun. L'objectif était de conserver les recettes générées par les membres de nos propres collectivités, de fournir nous-mêmes des services essentiels aux Premières nations, de créer des possibilités d'emploi et de formation pour nos jeunes et d'offrir une source de financement pour lancer des projets communautaires relatifs à la santé et au mieux-être, notamment par les loisirs et les activités sociales. Après de longues consultations et recherches, nous avons conclu que les collectivités devraient former une société qui fournirait des services essentiels de transport aérien dans la région.

Inspirées par l'idée de M. Mamakwa, les collectivités ont communiqué avec la société V. Kelner Airways Limited, qui, à l'époque, était une petite société d'hydravions située à Pickle Lake. Après avoir étudié les scénarios commerciaux possibles pendant de longs mois, nous avons conclu un partenariat avec Kelner en 1989, et en échange de 49 $ et de l'exclusivité des droits de fret aérien à destination de nos collectivités, nous avons acquis 49 p. 100 des actions de cette petite société de fret aérien. Tout a donc commencé avec 49 $.

Grâce à un investissement de 49 $ et à la promesse du soutien loyal des Premières nations, les recettes de Wasaya- Kelner sont passées de 3,6 à 15 millions de dollars en quatre années seulement. L'année dernière, les recettes de notre société d'aviation autochtone ont dépassé les 50 millions de dollars. Le nouveau partenariat était également structuré de façon à permettre le rachat progressif des actions des propriétaires de Kelner, et en 1989, la société Wasaya Airways nous appartenait entièrement. Le soutien communautaire de Wasaya a permis à l'investissement de demeurer et de croître au sein de l'entreprise, ce qui a permis aux actionnaires autochtones, ainsi qu'à tous les participants, de profiter de services d'aviation absolument essentiels à la survie des collectivités isolées du Nord. Le document sur les principes et lignes directrices de Wasaya expose en détail notre approche des affaires. Dès le départ, nous avons convenu que jamais la politique n'influencerait ni ne primerait les affaires, et que nous ne nous écarterions pas de ces principes et lignes directrices. Dans le passé, nous avons été témoins de l'échec de plusieurs entreprises en raison de cette influence politique et avons convenu qu'elle ne dicterait pas notre orientation.

Je pourrais ajouter que chacune des collectivités propriétaires de Wasaya est représentée par son chef élu. Ce groupe, appelé les chefs de Wasaya, représente le partenariat Wasaya. Tous nos différents conseils comptent également des aînés qui sont nommés par leurs collectivités respectives pour appuyer nos chefs et dirigeants d'entreprises dans leur processus décisionnel. Les aînés ont également servi de médiateurs dans la résolution des différends débouchant sur une solution acceptable dans l'intérêt de tous. Je félicite nos chefs qui, tout en exerçant des fonctions politiques, font preuve de prudence en ne permettant pas à la politique de s'ingérer dans la direction des affaires de Wasaya dans leurs collectivités. Je félicite nos aînés qui ont occupé des postes de conseillers spirituels et pratiques.

En plus du transport de passagers, Wasaya Airways vend et transporte du carburant en vrac afin de faire fonctionner les centrales électriques de Hydro One dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Nous transportons également les marchandises vendues dans les magasins locaux. Des fournitures médicales offertes par les centres de soins de santé aux matériaux utilisés pour la construction et l'entretien, tout doit être envoyé par avion dans les magasins locaux. Pour réussir, il est essentiel de choisir le bon produit ou service à commercialiser et de trouver le bon marché.

Les années qui ont suivi le succès initial de l'initiative commune entre Kelner et Wasaya ont été formatrices pour plusieurs d'entre nous qui ont appris à connaître le domaine de l'aviation de fond en comble. Nous avons collaboré avec de nombreuses personnes de talent qui nous ont fourni des conseils et des lignes directrices et qui nous ont guidé face à la concurrence et à l'adversité, tant dans le domaine des affaires que dans celui de la politique. Nous avons établi de précieuses relations avec les avocats, les cabinets d'experts-comptables, les consultants de l'industrie de l'aviation et les banquiers, dont la plupart n'étaient pas autochtones. Nous avons travaillé de longues heures avec ces personnes à trouver des solutions aux situations auxquelles nous devions faire face dans cette industrie très complexe et hautement concurrentielle.

En progressant en tant que propriétaires et gestionnaires d'entreprises autochtones, nous avons gagné la confiance et le respect de nos pairs dans l'industrie. Nous avons formé un groupe central de gestionnaires autochtones et non autochtones qui font preuve de la force et du leadership nécessaires au nom de nos actionnaires.

À mon avis, le respect est le plus grand facteur de réussite qui soit. En tant que groupe de Premières nations, nous avons un grand respect pour les pilotes et les sociétés d'aviation qui transportent nos citoyens et marchandises en provenance et à destination de nos collectivités. Nous les avons accueillis lors des jours de fête et, par nos traditions culturelles, nous honorons les invités, surtout ceux qui continuent de répondre aux besoins de nos collectivités. Nous avons un grand respect pour tous ceux qui ont mérité des postes d'autorité grâce à leur bon travail, et nous nous sommes efforcés de suivre ces modèles de rôle. Nous avons étudié les initiatives fructueuses et tenté d'utiliser les mêmes stratégies, dans la mesure du possible. Nous avons également examiné les forces et faiblesses des autres sociétés et appris à éviter les erreurs de ceux qui ont connu l'échec.

Au cours de ces années, nous avons vu plusieurs entreprises de l'industrie de l'aviation échouer, surtout après l'augmentation des coûts opérationnels dans la foulée des attentats du 11 septembre. Cependant, au fur et à mesure que nous devenons plus indépendantes et plus à l'aise par rapport à notre propre expérience en tant que Première nation, nous pouvons nommer les nôtres à des postes clés au sein de la société pour assurer le maintien de notre vision originale. La proportion d'employés autochtones est passée de 4 p. 100 en 1996 à près de 30 p. 100 en 2004. Aujourd'hui encore, nos activités sont un partenariat permanent entre les clients, les ordres de gouvernement, les différents organismes et les employés autochtones et non autochtones. La cote d'estime que Wasaya a mérité au fil des ans en maintenant son intégrité et sa fiabilité au sein de l'industrie a été le sujet de nombreux articles dans les médias et a suscité de l'intérêt d'un océan à l'autre, et même jusqu'en Allemagne.

L'été dernier, notre société a offert aux touristes des démonstrations de cuisine autochtone et de danse culturelle. Au cours des dernières années, nous avons établi un partenariat avec la société d'excursions de pêche sportive Moccasin Trails à Chicago, aux États-Unis, afin d'offrir aux camps de pêche à la mouche du Nord-Ouest de l'Ontario un flot continu de clients. Nous avons établi un partenariat avec la société Wawatay Native Communications afin d'offrir un magazine de bord présentant des articles sur les peuples autochtones et les personnes qui travaillent avec eux. L'une des jeunes rédactrices autochtones du magazine a récemment gagné un prix national des médias pour son travail. Voilà un exemple de l'impact important d'une activité autochtone fructueuse.

Jusqu'à maintenant, j'ai parlé de notre réussite, mais j'aimerais tout de même souligner quelques-uns des obstacles rencontrés.

Notre territoire dans le Nord-Ouest de l'Ontario accueille l'un des groupes les plus pauvres de l'ensemble du Canada. Nous n'avons conclu aucun accord générateur de recettes comme les Cris l'ont fait au Québec. Nous n'avons conclu aucun accord générateur de recettes pour les ressources en pétrole comme ceux passés en Alberta et dans le sud de l'Ontario, ni aucune entente foncière comme celles négociées en Colombie-Britannique et au Manitoba, ni aucun accord producteur de recettes comme celui des Dénés ou du Nunavut. Jusqu'à maintenant, les peuples autochtones du Nord-Ouest de l'Ontario n'ont profité d'aucun accord fondé sur les ressources, et le taux de lancement et de réussite des entreprises autochtones est donc peu élevé.

De plus, nous avons dû répondre à toutes les exigences de l'industrie bancaire sans l'aide financière du gouvernement. En fait, en tant que société autochtone exploitée dans la région la plus pauvre du Nord-Ouest de l'Ontario, nous avons dû nous soumettre à l'examen des plus rigoureux des investisseurs.

Tous les jours, nous faisons face aux stéréotypes des Canadiens à l'égard des Premières nations. On aurait dit que les nombreuses institutions financières avec lesquelles nous avons négocié s'attendaient à notre échec, peu importe notre proposition. Grâce à notre détermination, nous avons prouvé que ces stéréotypes sont faux et nous avons établi un modèle à suivre.

En 1999, nous avons dû cesser notre service régulier de transport de passagers, sinon nous risquions de perdre le partenariat Wasaya. Nos concurrents bénéficiaient d'une part disproportionnée des contrats gouvernementaux. Alors que notre équipement était supérieur et nos tarifs moins élevés, nous ne recevions que les miettes des contrats annuels de plusieurs millions de dollars obtenus par nos concurrents. Heureusement, pendant cette dure épreuve, nos collectivités nous ont aidés à prendre cette décision et nous avons rejeté une solution imposée sur le plan politique qui aurait causé la perte de notre société. Au cours des années suivantes, nous avons pu de nouveau offrir un service régulier de transport de passagers et avons par la suite révélée au grand jour cette part disproportionnée des contrats gouvernementaux, qui a continué d'avoir un impact sur notre part de marché jusqu'en 2005. Je crois que cette divulgation a amené des changements positifs chez les fonctionnaires, de sorte que tous sont sur le même pied dans notre région.

Le marché restreint, avec sa croissance limitée et l'expansion de la concurrence, a été un obstacle important. Même les concurrents qui ne font que passer ont un impact sur notre industrie. Encore une fois, je fais référence au terme « respect » et j'aimerais souligner que nous avons toujours traité nos concurrents avec respect. Nous apprécions les fois où nous avons partagé de l'équipement, transporté les clients de l'un et de l'autre et reçu de la formation ensemble en divers endroits. C'est une bonne qualité que devraient acquérir les gens qui aspirent à faire des affaires. Nos relations respectueuses nous ont permis d'engager des négociations avec notre principal concurrent afin d'acheter des liaisons dans le Nord, pour lesquelles nous nous livrions concurrence depuis des années.

Par cette acquisition de 16 millions de dollars en 2003, nous avons pu augmenter nos activités d'environ 30 p. 100 et sommes devenus le premier fournisseur de services d'aviation dans la région. Par l'intermédiaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, nous avons obtenu une subvention fédérale de 2,5 millions de dollars, que nous avons utilisée pour acheter d'autres aéronefs.

En conclusion, j'aimerais dire qu'une société doit être exploitée comme une société. Nous en sommes rendus là aujourd'hui parce que nous avons pris de bonnes décisions, formé une solide équipe de gestion et en établi des partenariats avec des groupes autres que les Premières nations pour la formation des nôtres à des postes de gestion au sein de la société. Tout ça grâce à 49 $. Par la patience et l'apprentissage, nous avons peu à peu développé une gestion autochtone clé pour nous assurer le respect de la vision originale de Wasaya à l'avenir. Meegwetch.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur Morris, vous nous avez raconté une histoire très inspirante. C'est réconfortant de constater que les peuples autochtones se lancent en affaires. L'objectif de notre étude est d'examiner les entreprises autochtones, de dégager la façon dont elles sont lancées et de déterminer les éléments du succès. Pourquoi avez-vous réussi alors que d'autres Autochtones échouent? J'aimerais que vous me parliez de la réflexion et de l'attitude qui ont présidé au lancement de l'entreprise. Dans les Territoires du Nord-Ouest, d'où je suis originaire, certaines collectivités autochtones estiment que les affaires sont une voie d'avenir. Je crois également que tout groupe ou toute société doit pouvoir s'engager dans cette voie. Les enfants sont formés à l'aide d'ordinateurs et nous aimons tous conduire les derniers modèles de camions Ford, alors l'argent doit venir de quelque part. Je me pose des questions sur votre situation. Quelle a été l'inspiration ou la motivation pour qu'on se lance en affaires? A-t-il été très difficile de le faire?

M. Morris : Au début, les collectivités devaient se regrouper. Elles devaient aussi appuyer cette initiative, et je crois qu'en tant que collectivités des Premières nations, elles avaient beaucoup de respect pour ce que l'entreprise allait faire dans notre région. La plupart de ces collectivités étant éloignées, elles doivent donc tout transporter par avion, de la nourriture au matériel, en passant par les personnes.

Cependant, je crois que le plus important a été l'orientation que nous avons prise en tant que groupe dans le cadre des partenariats conclus avec des non-Autochtones; nous avons pu ainsi acquérir des compétences en gestion. Je constate aujourd'hui que les nôtres en ont encore beaucoup à apprendre en matière de gestion supérieure. C'est un besoin au sein des Premières nations. Je crois que c'est grâce à cette stratégie, les partenariats conclus avec des non- Autochtones, que nous en sommes rendus là aujourd'hui; je crois que le partenariat a joué un grand rôle dans tout ça, car nous avons pu ainsi apprendre à diriger peu à peu une entreprise de plusieurs millions de dollars.

Nous avons également dû nous entourer de bonnes personnes-ressources. Nous avions besoin d'un bon avocat en aviation, d'un bon avocat en ressources humaines et d'un bon avocat de société. Nous avons également dû nous entourer de bons consultants qui connaissent la gestion financière et les systèmes de gestion financière. Aussi, nous avons dû nous entourer de bons techniciens dans tous les secteurs. Si j'ai besoin de conseils, le bon groupe de personnes m'entoure. J'ai également demandé l'aide d'un bon cabinet d'experts-comptables. De bonnes personnes-ressources professionnelles et une bonne équipe de gestion sont nécessaires. Une orientation appropriée et le soutien des collectivités et des différents conseils sont également nécessaires. Nous avons tenté de ne pas y mêler la politique. Le seul rôle des chefs, même s'ils font partie du partenariat, est de nous aider à prendre des décisions judicieuses ou à faire des acquisitions pertinentes.

Nous avons dû dire aux chefs que nous achetions les principales liaisons de Bearskins Airlines au nord de Red Lake. Les chefs ne participent qu'aux décisions opérationnelles importantes. Nous ne les faisons pas participer aux activités courantes ou aux décisions de gestion du transporteur aérien. C'est donc en gros ce qui fait notre succès, sans compter l'engagement de nos aînés et un bon conseil d'administration. Les conseils d'administration de nos transporteurs aériens doivent également suivre une formation. Notre groupe doit être formé sur les plans des affaires, de l'exploitation d'une entreprise, de la gestion opérationnelle, de la gestion financière, et cetera. Voilà comment nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd'hui.

Le président : Merci, monsieur Morris. Vous êtes vraiment un modèle pour tous ceux qui vous écoutent. Nous sommes réellement inspirés par ce que vous faites.

Le sénateur Peterson : Monsieur Morris, vous mentionnez dans votre exposé que vous devez constamment faire face à des stéréotypes. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet afin que nous puissions mieux comprendre les défis que vous avez dû relever et l'obstacle que ces stéréotypes représentent pour les affaires dans une collectivité autochtone?

M. Morris : Vous avez entendu parler des nombreux échecs essuyés par les entreprises autochtones. Il existe beaucoup de stéréotypes à l'égard des peuples autochtones. En 1998, nous avons racheté notre dernier partenaire non autochtone, et nous avons ensuite nommé des aînés aux postes de président, de directeur général, de directeur administratif et de vice-président administratif. Certains ont dit que le transporteur aérien ne serait plus là dans un an. Voilà comment on perçoit les entreprises des Premières nations. Lorsque nous tentons de traiter avec les institutions financières telles que les banques, celles-ci pensent qu'elles doivent surveiller l'entreprise de très près parce que ses gestionnaires supérieurs sont autochtones. Même les institutions financières pensent comme ça. C'est également parfois le cas avec les ministères fédéraux, ceux qui administrent des programmes de développement économique et commercial.

Le sénateur Peterson : Vous semblez avoir surmonté ces épreuves et prouvé à tous qu'ils avaient tort. Alors, nous pourrions peut-être vous utiliser comme modèle pour les futurs projets et souligner votre réussite.

Le sénateur Dyck : Merci, monsieur Morris, pour cette histoire inspirante. Les neuf collectivités qui se sont regroupées pour former cette société détiennent-elles la majeure partie du marché du transport aérien?

M. Morris : Non, nous desservons 21 collectivités éloignées des Premières nations dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Neuf collectivités des Premières nations font partie de cette initiative. Un autre concurrent, un transporteur aérien appartenant à une Première nation, dessert six collectivités autochtones.

Le sénateur Dyck : J'imagine que beaucoup de vos employés sont autochtones et que ce nombre augmente au fil des ans. Est-ce que certains de vos travailleurs autochtones ont l'occasion de changer d'emploi, une fois qu'ils ont reçu de la formation, s'ils possèdent des connaissances qui peuvent être utilisées ailleurs?

M. Morris : Nous avons constaté que certains de nos employés ont changé d'emploi et nous ont quittés. Une femme qui travaille à l'aéroport comme guichetière ira travailler à l'Hôpital régional de Thunder Bay. Les travailleurs changent également d'emploi de cette façon. Cependant, j'ai de la difficulté à recruter des pilotes des Premières nations et des techniciens d'entretien d'aéronefs des Premières nations. Sur 72 pilotes, seulement un est autochtone. Sur 65 membres du personnel d'entretien, seulement trois sont membres des Premières nations. Nous nous sommes donc efforcés d'engager des Autochtones dans des secteurs professionnels tels que l'entretien d'aéronefs et le pilotage. Nous tentons de nous orienter dans cette direction.

Le sénateur Dyck : Puisque votre société est en exploitation depuis maintenant environ 17 ans, croyez-vous que cette situation a eu un impact sur les collectivités, surtout les jeunes, en leur offrant des possibilités de carrière ou des occasions de mettre à profit et de réussir? Croyez-vous que cette situation a eu une incidence sociale sur leur sentiment de bien-être?

M. Morris : Lorsque je suis arrivé ici, il y a dix ans, on comptait trois employés des Premières nations sur 165 dans notre société. Aujourd'hui, 30 p. 100 des 270 employés sont autochtones, alors nous avons progressé. Je crois que c'est une priorité pour notre société que de tenter de mettre à contribution toucher plus de membres des Premières nations. Je dirais donc que nous nous dirigeons en effet vers ce dont vous avez parlé.

Le sénateur Hubley : Merci beaucoup de votre exposé.

En ce qui concerne les fonds de roulement, il est assez remarquable de se lancer en affaires avec 49 $, la somme qui se trouve dans mon portefeuille. Cependant, vous avez pu concéder des droits de fret aérien exclusifs à destination de votre collectivité, alors c'est comme avoir de l'argent en banque. Quels problèmes avez-vous rencontrés en tentant d'obtenir des fonds de roulement ou des subventions?

M. Morris : Nous n'avons pas rencontré beaucoup de problèmes au fil des ans. Je crois que nous avons obtenu des fonds fédéraux seulement deux fois, soit 500 000 $ en 1992 et 2,5 millions de dollars en 2003. Cependant, je crois qu'il y a un problème lorsque qu'un gouvernement avec une nouvelle orientation entre en fonction. Il n'y a aucune continuité avec ce que l'ancien gouvernement faisait en matière de programmes et de développement économique et commercial pour les peuples des Premières nations. Au début, lorsque je me suis lancé dans le développement économique, il y avait un programme national appelé programme de développement économique des Autochtones. Son orientation a complètement changé depuis l'ancien programme qui était en place. L'orientation des programmes fédéraux de développement économique est maintenant axée sur les jeunes, la technologie et les importations alors que l'ancien programme était axé sur la collectivité, à l'échelle régionale et nationale, en tant que peuple des Premières nations.

De plus, lorsque des compressions sont effectuées dans le cadre des programmes, et il y en a eu hier, les premiers à être touchés sont habituellement les programmes fédéraux destinés aux Autochtones, tels qu'Entreprise autochtone Canada. J'ai entendu dire que l'organisme avait fait l'objet de compressions hier. C'est donc en effet un défi.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Morris. Comme je l'ai dit plus tôt, vous êtes un modèle. Un groupe du Confederation College qui étudie le droit et la défense des droits est ici aujourd'hui. Je suis certain qu'il a été inspiré par votre réalisation, et nous vous souhaitons tout le succès possible dans ce que vous faites. Rappelez-vous : ne vous préoccupez pas de la politique. Occupez-vous de l'aspect commercial et je suis certain que vous réussirez. Merci beaucoup.

M. Morris : Meegwetch.

Le grand chef adjoint Terry Waboose, Nation nishnawbe-aski : Meegwetch. En tant que grand chef adjoint, je vous transmets les salutations du peuple de la Nation nishnawbe-aski. J'aimerais remercier le comité sénatorial permanent de me permettre de vous présenter la position de la Nation nishnawbe-aski.

La Nation nishnawbe-aski, ou NNA, comprend 49 collectivités dont le territoire compte près des deux tiers de la province de l'Ontario. Son territoire est plus grand que quatre des provinces du Canada et est en fait plus grand que les quatre plus petites provinces rassemblées. Nous assurons notre gouvernance en nous fondant sur les valeurs et les principes partagés que nous transmettent nos aînés depuis des temps immémoriaux. Dans nos rapports avec les gouvernements extérieurs, nous communiquons par nos chefs et conseils ainsi que par la Nation nishnawbe-aski. Notre but aujourd'hui est de vous parler de notre lutte pour survivre et prospérer sur nos propres terres, en utilisant nos propres ressources, sous la direction de notre propre gouvernement.

En 1972, lorsque nos aînés et nos chefs ont commencé à organiser les Premières nations de la NNA qui ont signé les Traités no 9 et no 5 en Ontario, et d'autres collectivités dans l'Ouest ont également signé le traité no 5, il y avait très peu d'infrastructures et de possibilités économiques. La plupart n'avaient aucune bande d'atterrissage, pas d'électricité et seulement des radios de piste comme moyen limité de communications. Nous avons survécu grâce à la chasse, au trappage et à la pêche. Nos collectivités du Sud ressentaient déjà les effets du développement dans leurs territoires traditionnels. Cependant, la richesse provenant de l'exploitation des ressources sur leurs territoires n'a pas semblé toucher leurs collectivités et leurs vies. De l'extérieur, les collectivités de la Nation nishnawbe-aski semblaient exister dans un isolement extrême.

Nos nations ont fait beaucoup de chemin depuis ce temps. La plupart de nos collectivités ont des bandes d'atterrissage toute saison, des routes praticables l'hiver, l'électricité, des stations de traitement de l'eau et des eaux usées, des écoles, des postes infirmiers et le téléphone. De nombreuses collectivités sont maintenant branchées sur le monde grâce à Internet. Nous travaillons fort, et avec succès, à développer le pouvoir d'Internet pour rassembler nos collectivités et les mettre en contact avec le monde.

Quelle que soit l'ampleur des changements apportés dans les collectivités Nishnawbe-Aski au cours des 30 dernières années, les défis des trois prochaines décennies dépasseront largement ceux du passé. Le développement de l'industrie et des ressources empiète rapidement sur nos terres traditionnelles au nord du 50e parallèle.

La richesse de nos terres traditionnelles est incontestable. Selon les rapports de l'industrie et du gouvernement, l'exploitation minière en Ontario génère quelque 5,5 milliards de dollars, la foresterie, 15 milliards de dollars, et le tourisme, environ 3 milliards de dollars par année. Quatre-vingt-cinq pour cent de ces sommes sont amassées grâce aux activités réalisées dans le Nord de l'Ontario, sur le territoire de la Nation nishnawbe-aski. La valeur de l'eau douce, de l'hydroélectricité non exploitée et des ressources d'énergie éolienne n'est pas encore connue. Ces chiffres reflètent la situation avant l'ouverture de la première mine de diamants. On a déterminé que la richesse produite sur notre territoire au cours des 30 prochaines années sera d'au moins 600 milliards de dollars.

Au-delà des ressources naturelles de notre territoire, nous possédons deux principaux atouts : un bassin de personnes qui veulent des emplois et des possibilités économiques et un grand désir de la part de nos dirigeants politiques d'améliorer la qualité de vie de nos citoyens.

Notre plus grand atout est peut-être notre connaissance de la terre et de la façon d'en prendre soin et de l'utiliser. Cette connaissance et notre rapport avec la terre font partie de notre identité.

Pour survivre et prospérer, la Nation nishnawbe-aski doit commencer immédiatement à développer une véritable économie dynamique qui assurera l'autonomie de nos collectivités et offrira des emplois et des possibilités économiques à nos citoyens. Nous devons créer une source de prospérité tout en nous assurant que notre culture et notre langue sont respectées et demeurent intactes, que nos terres, nos rivières et nos lacs sont protégés, et que nos droits et notre présence sur les terres sont reconnus, respectés et protégés. Selon un principe fondamental de notre stratégie économique, le développement sur nos terres doit être approprié et durable, et il doit profiter surtout à la Nation nishnawbe-aski.

Nous réalisons que nous ne pouvons pas y arriver seuls. Nous reconnaissons que nous devons travailler en partenariat avec les gouvernements, le secteur privé et le grand public. Par l'établissement de partenariats stratégiques, nous comptons établir des relations qui profiteront à toutes les parties.

Nous avons été activement engagés et continuons de l'être dans de nombreuses négociations pour faire reconnaître notre autonomie gouvernementale, accroître notre contrôle des institutions qui ont un impact sur nos vies et faire valoir notre maîtrise des ressources foncières sur nos territoires traditionnels.

Si certaines négociations ont été bilatérales, en l'occurrence avec le gouvernement fédéral, il y a un urgent besoin d'engager également des discussions tripartites afin de maximiser l'efficacité des négociations. Nous collaborons avec l'Ontario à l'examen de la formation d'un groupe nordique qui traiterait des enjeux et des besoins des Premières nations de la NNA. Si cela réussit, un processus tripartite spécifique pourrait être établi avec la NNA.

La Nation nishnawbe-aski et les différentes Premières nations membres ont déjà établi des relations avec les régions, les villes et les municipalités, notamment dans les secteurs de la santé, le transport, de l'éducation et des services sociaux. Les chambres de commerce régionales travaillent avec nous depuis de nombreuses années, dans le cadre d'une collaboration avantageuse pour les deux parties.

Nos terres sont riches en forêts, en minéraux, en eau, en faune et en beauté sauvage non exploitée. Notre approche du développement sera fondée sur nos valeurs préconisant une utilisation appropriée, respectueuse et durable de la terre et de ses ressources.

En partageant adéquatement les richesses de notre territoire, nous sommes en mesure d'appuyer les structures gouvernementales nécessaires au maintien des services et des mécanismes de soutien. Même si chaque Première nation possède un territoire traditionnel clairement délimité, les terres patrimoniales de la Nation nishnawbe-aski sont vastes et sans frontières.

Dans cette région, nous détenons des droits reconnus par le gouvernement du Canada, dans sa Constitution et selon les nombreuses décisions rendues par ses tribunaux. Il est temps que notre compétence dans propre région soit reconnue et exercée en fonction de nos valeurs, de nos besoins et de nos intentions. Nous avons entamé ce processus dans certains domaines, tels que la police et les services à l'enfance. Il reste cependant beaucoup à faire, et nous devons intervenir immédiatement dans l'intérêt des prochaines générations.

Tout comme les députés cherchent à représenter leurs électeurs de façon juste, les chefs de la Nation nishnawbe-aski cherchent à représenter leurs citoyens, leurs collectivités et les intérêts de la nation dans son ensemble. Même si nos valeurs culturelles diffèrent parfois, nous avons la même nécessité de représenter nos citoyens et leurs intérêts : nous devons faire en sorte que les particuliers, les familles et les collectivités survivent et deviennent prospères. Nous espérons pouvoir partager nos préoccupations, nos défis et nos réussites dans l'intérêt commun.

Avant d'entrer en contact avec la culture européenne, nous étions autonomes. Nous puisions tout ce dont nous avions besoin de la terre. Le commerce de la fourrure a tôt fait de nous rendre dépendants du seul et unique produit d'une industrie qui a fini par disparaître. Les effets de cette industrie sur nos peuples et notre terre sont bien connus.

Lorsque le Canada s'est étendu à l'ouest, les gouvernements de l'époque voulaient obtenir un accès pacifique et sécuritaire à notre territoire, alors il a proposé un traité. Nous avons accepté de partager la terre et ses ressources dans l'intérêt de tous, et cela est encore notre vision. Nous n'avons jamais remis en cause l'esprit ni le sens de nos traités. Cependant, les négociations entre les gouvernements qui ont mené à notre traité et au respect ou plutôt au non-respect des promesses faites nous ont causé de graves préjudices. Notre culture, notre langue, nos convictions spirituelles, notre structure familiale et l'intégrité de notre collectivité ont mises à mal au cours de nos relations centenaires dans le cadre du traité. Notre seule survie est un témoignage éloquent de l'esprit et de la détermination de notre peuple.

Le traité ne mentionnait pas que la Loi sur les Indiens visait à contrôler tous les aspects de notre vie. Il ne disait pas que l'accès à nos territoires et à nos ressources traditionnelles serait réduit et limité à un point tel que les produits que nous en tirions, voire notre survie seraient menacés.

Nous aimerions croire que cette attitude coloniale est un aspect regrettable de l'histoire ancienne. Ce n'est toutefois pas le cas. L'accès à nos ressources et le contrôle que nous exerçons sur elles demeurent limités. Les gouvernements continuent d'ignorer nos droits constitutionnels ainsi que l'opinion de la Cour suprême du Canada, selon laquelle ces droits devraient être reconnus et respectés lorsqu'il est question de nos terres et de nos vies.

Il ne s'agit pas d'arguments politiques. C'est le lot de notre quotidien, la base de notre planification et de notre réflexion en vue de développer une économie viable qui nous permettra de soutenir notre peuple et nos collectivités.

Les traités modernes et les revendications territoriales reconnaissent que les Autochtones ont besoin d'accéder aux terres et aux ressources pour favoriser le développement économique.

Pour relever les défis qui se présentent à nous, nous avons reconnu que les Premières nations qui forment la Nation nishnawbe-aski doivent travailler ensemble à l'obtention des ressources qui nous permettront de financer notre développement et notre croissance. Trois éléments doivent être en place afin que nous puissions aller de l'avant. Premièrement, notre compétence doit être reconnue et garantie, de préférence grâce à un pouvoir et à une responsabilité similaires à ceux des provinces et des territoires.

Deuxièmement, les droits que nous avons sur nos terres, reconnus par la Constitution et par les tribunaux, doivent être exprimés de manière à assurer l'accès à nos terres et à nos ressources afin que nous puissions bâtir une économie, créer de la richesse et devenir autonomes. Les gouvernements doivent respecter le droit et les décisions des tribunaux.

Troisièmement, on doit nous permettre de créer notre propre modèle d'autonomie gouvernementale, selon les pouvoirs et les compétences des Premières nations.

Chacun de ces éléments fait maintenant partie des accords relatifs aux nouveaux territoires dans le Nord. Ils font également partie des traités et des accords modernes passés par les groupes autochtones, depuis le Labrador jusqu'à la Colombie-Britannique. Nous ne suggérons pas l'impossible, mais plutôt que notre relation avec le reste du Canada devrait nous permettre d'assurer notre survie et notre bien-être.

Ce dont nous avons le plus besoin, c'est que les gouvernements de l'Ontario et du Canada acceptent l'esprit et le sens de nos traités, soit partager les terres dans l'intérêt de tous. Les traités modernes sont très clairs à ce sujet lorsqu'ils précisent que les collectivités autochtones devraient être prospères. Si cette vision devenait l'approche sous-jacente du Canada et de l'Ontario à l'égard de la Nation nishnawbe-aski, nous pourrions réaliser des progrès.

Il est peu probable que les programmes gouvernementaux nous permettent d'améliorer notre qualité de vie et de développer une véritable économie. Les gouvernements fournissent le capital de départ, mais le véritable moteur de développement provient des partenariats que les Premières nations établissent avec le secteur privé. Ces partenariats reposent sur la reconnaissance précise de nos droits et sur la durabilité politique découlant de l'autonomie gouvernementale que nous exercerons sur notre propre territoire.

La vérificatrice générale a dit ceci à propos des revendications territoriales modernes, tel qu'indiqué à la page 7 de mon mémoire :

Les ententes sur les revendications territoriales visent à clarifier les droits des groupes autochtones sur les terres et les ressources en vue de faciliter la croissance économique et l'autosuffisance de ces groupes. Il s'agit là d'un enjeu dont le comité souhaite tenir compte. L'utilisation des terres est l'un des grands enjeux que les ententes sur les revendications territoriales permettent aux bénéficiaires et au gouvernement de régler. Sans entente sur l'utilisation des terres, l'incertitude peut s'installer et ralentir le développement.

Nous continuerons de défendre nos droits relativement à la terre et à toutes nos ressources. Cependant, les affrontements et les contestations juridiques qui n'en finissent plus sont une méthode coûteuse, épuisante et instable de développer une économie durable.

D'ailleurs, la vérificatrice générale fait remarquer que l'accès restreint aux ressources naturelles, la difficulté d'obtenir des capitaux ainsi que la complexité des programmes fédéraux et des processus de gestion des ressources font obstacle au développement. Ces obstacles font augmenter le coût des affaires et nuisent au développement économique. Nous sommes entièrement d'accord.

Nous avons emprunté certaines solutions suggérées par la vérificatrice générale en vue de contourner ces restrictions. Nous avons créé des sociétés par action, des co-entreprises, un service de développement économique ainsi que des politiques sur le développement économique et des ressources.

Nous avons réalisé une étude préliminaire sur la viabilité économique de notre territoire et comme nous nous y attentions, nous avons constaté que notre territoire contient toutes les ressources nécessaires à notre développement ainsi qu'à la création d'emplois et de la richesse.

Nous sommes très clairs quant l'avenir et à nos intentions. Nous avons survécu à un siècle d'abus et de restrictions. C'en est assez. Nous avons l'intention de vivre les 100 prochaines années comme rois et maîtres de notre propre territoire et de notre propre avenir.

Nous vous suggérons de recommander au gouvernement de mettre de côté ses vieux programmes sousfinancés, compliqués et de courte durée à l'intention des Autochtones et d'opter plutôt pour de véritables investissements dans le développement des institutions que réclame notre peuple.

Nous recommandons que le Canada partage adéquatement les revenus provenant des ressources pour favoriser notre gouvernance.

Nous recommandons que le fardeau financier et humain créé par les systèmes de reddition des comptes inutilement compliqués soit reconnu et que ces systèmes passent après la création d'initiatives de développement fructueuses.

Nous suggérons que les organismes fédéraux coordonnent, par notre intermédiaire, tous les efforts qu'ils déploient chez nous, et cela dans le cadre d'un processus de planification et de mise en œuvre conjoint.

Nous recommandons qu'un financement adéquat soit fourni pour assurer le soutien à long terme des initiatives et des projets.

Nous suggérons que le gouvernement fédéral reconnaisse sa dette envers les Premières nations et qu'il prenne des mesures correctives qui ne nuisent pas davantage à ces dernières et qui misent sur les montants versés pour le logement et les programmes, afin de payer les dettes contractées à cause du manque de financement.

Cent ans après la signature du Traité no 9, nous vivons dans la pauvreté. Presque tous nos besoins de base, comme l'eau potable et un logement décent, ne sont même pas comblés. Notre infrastructure est en train de s'effondrer.

La gestion de nos affaires par le gouvernement fédéral est une véritable catastrophe.

Lorsque nous avons réussi, c'est grâce à des partenariats stratégiques et au renforcement de nos capacités. Si nous voulons survivre et nous épanouir, nous devons exercer notre propre compétence, regagner l'accès à nos ressources et redevenir autonomes. Nous devons boucler la boucle.

Meegwetch. Merci de m'avoir permis de donner mon exposé.

Le président : Merci de votre exposé.

Vous remettez en question le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et la façon dont il sert sa clientèle. Prenons la peine d'examiner certains aspects. En matière d'éducation, si nous mettions un programme sur pied, il faudrait 28 ans avant que les Autochtones atteignent un niveau de scolarité comparable à celui des non-Autochtones. Dans le domaine de la santé, il y a des éclosions de tuberculose en Saskatchewan. Du côté du logement et de l'eau potable, les Autochtones vivent dans des conditions dignes du tiers-monde, comme vous l'avez décrit. Je crois que nous sommes en train de nous attaquer à la question de l'eau potable. Nous n'avons pas encore partagé les revenus, reconnu les traités ni créé un gouvernement autonome.

À titre de grand chef adjoint de cette belle région, recommanderiez-vous, de la part du gouvernement actuel ou d'un futur gouvernement, une réévaluation complète, voire la dissolution de ce ministère, comme on le connaît aujourd'hui? Loin de moi l'idée de vous mettre dans l'embarras, mais je serais prêt à présenter une telle recommandation. En siégeant à ce comité, j'ai entendu maintes fois l'histoire du triste sort des Autochtones , les problèmes qui persistent, le même ministère qui tente de tout faire pour tout le monde mais qui échoue, du moins à mon avis. J'aimerais connaître votre opinion.

M. Waboose : Je suis d'avis que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'a pas agi dans notre intérêt. J'estime que nous devons développer une nouvelle relation; il est temps qu'on mette fin au paternalisme et qu'on cesse d'essayer de nous contrôler. Nous devons tisser une nouvelle relation axée sur la reconnaissance de nos droits par le gouvernement fédéral, une relation de nation à nation avec la Couronne fédérale. La bureaucratie pourrait être réduite. Une grande part des ressources accordées à ce ministère n'est jamais versée aux collectivités.

Les politiciens et les décideurs affirment souvent que 9 milliards de dollars sont versés aux Premières nations, mais nous n'en recevons jamais la totalité. Une très petite portion, je dirais la moitié, revient à nos collectivités. Ainsi, le public lit et entend que les Premières nations reçoivent 9 milliards de dollars, mais la grande partie de ces fonds se perd dans une bureaucratie inefficace. Si pouvions nous en passer, il faudrait alors conclure des ententes qui serviraient à bâtir cette relation.

L'une des mesures que nous prenons consiste à participer aux négociations sur l'autonomie gouvernementale. Un des objectifs, c'est d'oublier la Loi sur les Indiens et de parvenir à une entente qui permettra à notre peuple d'établir sa propre structure de gouvernance, dans son propre intérêt. Ainsi, dans une certaine mesure, je pense que nous pourrions nous passer du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur Waboose, vous dites dans votre exposé que trois exigences vous permettront de progresser. La première est de faire reconnaître votre compétence, la deuxième est de faire reconnaître votre constitutionnalité et vos droits confirmés par les tribunaux sur le territoire, et la troisième est de faire reconnaître votre propre forme d'autonomie gouvernementale. Des mesures ont-elles été mises en œuvre pour satisfaire à ces exigences?

M. Waboose : Sénateur, j'ai indiqué précédemment que nous étions présentement en négociations avec le gouvernement fédéral en matière d'autonomie gouvernementale. Il y a deux tables de négociation : une sur la gouvernance dans les réserves et l'autre sur l'éducation.

J'ai également indiqué que nous étions en train d'engager des discussions avec l'Ontario; ce sera la table du Nord. Nous pourrions y discuter notamment de questions de compétence avec la province quant à l'accès aux terres et aux ressources. Malheureusement, hormis le recours aux tribunaux, la confrontation est parfois la seule façon de faire reconnaître nos droits territoriaux. Cependant, pour répondre à votre question, ces deux mesures sont en place.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé approfondi et détaillé. Vous avez certainement présenté tous les enjeux et obstacles auxquels se heurtent les peuples des Premières nations qui tentent de progresser.

Vous avez beaucoup parlé du développement des ressources sur les terres traditionnelles dans votre région. Je crois que votre rapport avec la terre par l'intendance de l'environnement devrait vous permettre de vous asseoir à la table de planification comme partenaire. Nous étions au Manitoba hier, et le conseil tribal de Nisichawayasihk a établi un partenariat avec Manitoba Hydro sur la production d'électricité, surtout en raison de l'impact que cela aura sur l'environnement de son territoire. Pouvez-vous nous donner un exemple semblable sur votre territoire, et considérez- vous ce scénario est possible?

M. Waboose : Je crois que les partenariats, qu'il s'agisse d'hydroélectricité, d'exploitation minière, de sylviculture ou de tourisme, sont essentiels à notre prospérité économique. En ce qui concerne l'hydroélectricité, des 49 Premières nations de la Nation nishnawbe-aski, la plupart fonctionnent avec des systèmes à carburant diesel. Présentement, contrairement au Manitoba, nous n'avons pas de grands projets de développement hydroélectrique. La seule question présentement à l'étude est l'installation possible d'une importante ligne de transmission qui passerait par la Nation nishnawbe-aski depuis le Nord du Manitoba. C'est le projet Conawapa. Donc, c'est le seul projet hydroélectrique que nous prévoyons. Cependant, il n'en est encore qu'à ses balbutiements.

Le secteur minier est le plus prometteur en ce qui concerne les partenariats potentiels. Nous avons d'importantes ressources en or sur notre territoire et les diamants suscitent également beaucoup d'intérêt à l'heure actuelle. En fait, l'une de nos collectivités, la Première nation d'Attawapiskat sur la côte de la baie James, s'est engagée dans le projet Victor de la société De Beers. La mine est en construction et ouvrira très bientôt.

Le potentiel hydroélectrique est donc très limité en ce moment. Cependant, le potentiel de prospérité et d'établissement de partenariats repose sur le secteur forestier. De vastes étendues de forêts n'ont pas encore été allouées aux importantes entreprises forestières. Alors, la participation des Premières nations est susceptible de s'accroître dans ce secteur.

En ce moment, notre plus grand potentiel de prospérité et de croissance économiques se situe dans les secteurs minier, forestier et touristique.

Le président : Les récentes décisions de la Cour suprême dans les affaires Haïra et Takum ont-elles favorisé le partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources, ces décisions indiquant que les peuples autochtones doivent être consultés avant la mise en valeur de ressources sur leurs territoires traditionnels? Pouvez-vous formuler des commentaires à ce sujet? Je n'essaie pas de vous mettre dans l'embarras. J'essaie seulement de répondre à certaines questions concernant le partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources.

M. Waboose : Merci de votre question. C'est regrettable, mais il semble que cela soit la seule façon d'amener le gouvernement provincial et même le gouvernement fédéral à négocier. Vous mentionnez ces affaires, mais il y a également l'affaire Makiese, qui nous concerne davantage puisque c'est une question de traité, tandis que l'affaire Taku se rapporte davantage aux droits autochtones. Je crois que ces décisions du tribunal nous aident malheureusement à amener le gouvernement à négocier, et c'est malheureux car nous aimerions que ce soient les négociations et la volonté politique qui l'encouragent à venir discuter des possibilités avec nous. Je dois cependant répondre par l'affirmative. C'est malheureux, mais les affaires judiciaires obligent les gouvernements à nous écouter. La Kivalliq Inuit Association est maintenant en pourparlers pour tenter de régler le tout dans cette affaire particulière.

Le président : Sénateurs, comme nous pouvons le voir par la qualité des personnes qui ont témoigné devant le comité, notamment le témoin présentement devant nous, rien ne justifie que ces peuples ne puissent se gouverner eux- mêmes et être maître de leur destinée. Espérons que cela se concrétise.

Je peux vous assurer, monsieur le grand chef adjoint, de la rigueur des recommandations qui seront formulées dans le rapport présenté au gouvernement et aux décideurs, et qui peuvent avoir une influence sur vos vies.

Merci beaucoup. Nous sommes honorés de votre présence. Si vous avez d'autres recommandations à faire avant la rédaction du rapport, présentez-les à la greffière de notre comité sénatorial et nous serons heureux de les étudier de près.

M. Waboose : Plus tôt, j'ai indiqué à la greffière que nous fournirons plus de détails sur les situations présentées dans mon bref exposé. Nous enverrons également un rapport.

Le président : Merci.

La séance est levée.


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