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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 7 - Témoignages du 4 octobre 2006


OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 26 afin d'examiner, pour en faire rapport, le processus fédéral de règlement des revendications particulières.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis originaire de la Colombie-Britannique, et je suis le président du comité.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude spéciale des revendications territoriales particulières. Le comité a l'intention d'examiner le processus fédéral de règlement des revendications particulières en vue de formuler des recommandations pouvant contribuer à un règlement opportun et satisfaisant des doléances des Premières nations à cet égard.

Nous accueillons aujourd'hui quatre avocats chevronnés qui ont une longue expérience des revendications territoriales particulières. Nous espérons qu'ils pourront nous aider à mieux comprendre les difficultés du processus de règlement et à formuler des recommandations pouvant résoudre le problème.

Notre premier groupe de témoins se compose de M. Jerome Slavik, conseiller juridique pour l'établissement du bien- fondé, la négociation et le règlement de 15 revendications particulières et issues de traités dans l'Ouest du Canada. Il dirige le corps enseignant du programme des négociations entre la Couronne et les Premières nations offert dans le cadre du programme de leadership autochtone du Banff Centre.

M. Ron Maurice est un avocat métis-cri dont le cabinet représente plusieurs Premières nations et le Métis Settlements Appeal Tribunal. En 2003, il a réussi à régler une revendication particulière portant sur la prise illicite de terres de réserve. Avant d'ouvrir un cabinet privé, il était avocat à la Commission des revendications territoriales des Indiens.

Mes collègues sénateurs auront l'occasion de vous poser quelques questions qui, nous l'espérons, nous permettront d'aboutir à des recommandations finales qui auront une influence positive sur la vie de nos peuples autochtones.

Jerome Slavik, associé, Ackroyd LLP : Je voudrais d'abord remercier les sénateurs de m'avoir invité à comparaître devant le comité, qui est chargé, à mon avis, d'un travail exceptionnellement important. Ces 20 dernières années, ma carrière m'a amené à me spécialiser dans le domaine des revendications particulières, qui représente pour moi à la fois une passion professionnelle et personnelle et une grande source de frustration.

Je voudrais vous exposer brièvement les grandes lignes du rapport que je vous ai présenté aujourd'hui.

La politique de règlement des revendications particulières a été mise en place il y a 23 ans. Les connaissances et l'expérience acquise me permettent d'affirmer que les problèmes opérationnels, structurels et stratégiques dont le processus de règlement des revendications particulières est affligé existaient depuis le tout début. Il s'agit de problèmes endémiques qui nécessitent des changements radicaux et fondamentaux. Il est impossible de les régler en modifiant des détails du processus. Ces problèmes sont trop importants et trop enracinés et ont d'énormes conséquences auxquelles il faut s'attaquer.

Je ne parlerai pas trop longuement des problèmes du processus. Les chiffres sont assez éloquents. Il suffit de jeter un coup d'œil à l'annexe 2 de mon rapport, qui consiste en lettres de la Direction générale des revendications particulières. Les chiffres ont été mis à jour sur la base de renseignements que j'ai récemment reçus de la Direction générale au sujet des règlements et des revendications acceptées et rejetées.

J'ai procédé à une analyse rapide qui révèle ce qui suit. Huit avocats sont actuellement chargés d'établir le bien- fondé des revendications particulières. Ils consacrent en moyenne quatre mois à chacune. Sur la base des données communiquées par Mme Stewart, directrice générale des Revendications particulières, il leur faudra 13,5 années pour se prononcer sur les 309 revendications actuellement en cours. Cela ne tient pas compte des 622 revendications faisant actuellement l'objet de recherches ni des centaines d'autres qui doivent être déposés.

Sur la base des données de Mme Stewart, le passif éventuel en cours était estimé en 2005 à un minimum de 6 milliards de dollars. Ma propre estimation — que les experts du domaine jugeraient fondée, je crois — atteint au moins le double de ce chiffre.

Compte tenu du budget actuel de règlement accordé à la Direction générale des revendications particulières — 75 millions de dollars par an —, il faudra environ 90 ans pour offrir des règlements, en supposant que 70 p. 100 des revendications seront jugées fondées. Autrement dit, au rythme où vont les choses, le règlement des revendications ira bien au-delà de notre vie et de celle de nos enfants.

Cette situation existe depuis des années. Elle est loin d'être récente. La commission royale l'a examinée, de même que d'innombrables groupes de travail et organismes indépendants. Pourquoi le problème persiste-t-il? C'est sur ce point que je demande aux honorables sénateurs de concentrer leur attention.

À mon avis, la persistance du problème est attribuable à deux grandes raisons. La première porte sur le mandat figurant dans la politique, qui est étroitement défini : il s'agit de respecter les obligations légales en cours du Canada. De ce fait, la politique fait abstraction de l'intérêt, plus vaste et plus pressant, qu'a le gouvernement de régler les revendications sur la base de ses priorités réelles relativement aux peuples autochtones, à savoir réduire la pauvreté, éliminer les problèmes de logement, améliorer l'état de santé et mettre fin à la marginalisation économique.

Permettez-moi de vous raconter une histoire concernant les 18 revendications que nous avons réglées. Nous avons passé sept à dix ans à essayer d'établir le bien-fondé d'une revendication dans le cadre de négociations contradictoires étroites fondées sur des arguments historiques et juridiques. Il a fallu 17 ans pour aboutir à un règlement à Fort McKay. Tout le long du processus, on nous disait constamment : « Quelle est l'obligation légale minimale, quelle est l'indemnité minimale que doit verser la Direction générale des revendications particulières? » Pourtant, le jour où l'entente a été signée, les ministres se sont empressés dans les dix dernières minutes de vanter les effets économiques, socioéconomiques et de gouvernance du règlement conclu sur la collectivité. Il y a une rupture complète entre l'objectif déclaré de gouvernement, qui est d'utiliser le règlement des revendications pour favoriser l'autonomie économique et gouvernementale, et le processus auquel les demandeurs doivent se plier pour aboutir à un règlement.

Bref, le processus de règlement des revendications doit être considéré par le gouvernement actuel et les gouvernements futurs comme un instrument clé destiné à restituer aux Premières nations les terres et les ressources économiques dont elles avaient été privées par suite du non-respect des traités et de la violation des obligations légales. Il faut restituer aux Premières nations leur capacité de participer aux économies régionales.

Je vous demande de regarder, à l'annexe 3, une lettre adressée au sous-ministre Wernick, avec qui je me suis entretenu à ce sujet à Edmonton en juillet. Je lui ai dit que si nous voulons augmenter la participation autochtone à l'économie de l'Alberta, nous devons régler les revendications. Les règlements fournissent aux collectivités autochtones intéressées le capital et les ressources économiques nécessaires pour se sortir des difficultés dans lesquelles elles se trouvent. Pourquoi cela est-il dans l'intérêt du Canada? La quasi-totalité des données recueillies prouve que cela réduirait, à court et à long terme, la dépendance des collectivités autochtones et les dépenses qui leur sont consacrées au niveau de la santé, de la lutte contre la pauvreté, de la sécurité sociale, et cetera.

Les revendications doivent être considérées comme un moyen d'investir dans les Premières nations et de leur fournir du capital, et non simplement comme un moyen de respecter les obligations légales en cours sur la base de critères juridiques et techniques très étroits. Tant que le gouvernement n'aura pas pris ce virage, il ne pourra pas mettre en œuvre les ressources nécessaires pour résoudre ce problème.

Le second problème fondamental est que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et la Direction générale des revendications particulières n'ont pas la crédibilité, l'autorité, l'expertise et les ressources nécessaires pour s'occuper de ce problème. Il n'y a aucune chance que les organismes centraux investissent dans cette organisation — avec sa direction et sa structure actuelles — les ressources et le personnel voulus pour affronter un problème de cette envergure.

Nous avons besoin d'un nouvel organisme gouvernemental conçu en fonction du nombre réel de revendications qui, à notre avis, est bien au-delà de 1 300. Si le passif éventuel se situe entre 6 milliards et 10 milliards de dollars, pourquoi ne pouvons-nous pas avoir un service entièrement consacré au règlement des revendications? Nous avons établi un bureau qui s'est occupé exclusivement du problème des pensionnats, alors que le passif éventuel dans ce cas était très sensiblement inférieur et que le nombre de collectivités touchées était beaucoup moindre. Avec un passif de cette taille, nous n'avons qu'un petit service enterré dans un trou perdu d'Affaires indiennes et du Nord Canada, qui doit se battre contre d'autres services plus importants du ministère pour obtenir des ressources humaines et financières et retenir l'attention du ministre. Tant qu'il fait partie d'Affaires indiennes et du Nord Canada, ce service n'aura pas un prestige suffisant pour se procurer le financement nécessaire.

Nous avons besoin d'un bureau distinct de règlement des revendications particulières et issues de traités. Nous devons retirer ce service d'Affaires indiennes et du Nord Canada, le faire relever directement de l'un des principaux comités du Cabinet et le doter de hauts fonctionnaires crédibles connaissant bien les domaines du règlement des différends, des litiges, de la recherche historique et de la négociation. La Direction générale des revendications particulières ne dispose actuellement d'aucune de ces compétences spécialisées. Elle est incapable d'attirer et de garder des gens du calibre voulu. Le taux de roulement du personnel y atteint un niveau phénoménal. Parmi les membres du personnel actuel, le niveau des connaissances, des études et de la mémoire institutionnelle est vraiment minimal. Par conséquent, le service répète constamment les mêmes erreurs, ne réussit pas à établir un régime de gestion efficace et fonctionne mal d'une façon générale.

Si j'ai une recommandation à présenter aux honorables sénateurs, c'est d'établir un bureau distinct indépendant d'Affaires indiennes et du Nord Canada pour s'occuper des revendications particulières et des litiges correspondants. Le problème est d'une envergure, d'une urgence et d'une importance suffisantes pour les Premières nations et tous les Canadiens qu'il justifie une mesure de ce genre.

Ron Maurice, associé principal, Maurice Law Barristers & Solicitors : Je voudrais d'abord vous remercier de l'honneur que vous m'avez fait en m'invitant à vous présenter cet exposé aujourd'hui. Je m'occupe de ce processus depuis 1991, au départ à titre de facilitateur pour les revendications. Mon expérience n'est pas tout à fait aussi longue que celle de mon frère aîné ici présent. J'ai commencé comme partie neutre, ce qui m'a donné l'avantage de voir comment ces questions sont traitées et de quelle façon les parties s'affrontent à la table de négociation.

J'étais présent à 66 enquêtes publiques de la Commission des revendications territoriales des Indiens. Même si l'on peut considérer que la commission a été un succès puisqu'elle a réussi à mettre en évidence les questions qui se posaient et à en régler un certain nombre, je crois que l'expérience a clairement révélé la nécessité de modifier de multiples aspects du processus.

Comme M. Slavik l'a signalé, la grande majorité des recommandations formulées par la commission, après une étude exhaustive des revendications, n'ont pas fait l'objet d'une réponse de la Couronne fédérale ou ont été carrément rejetées. Le processus n'est clairement pas efficace comme moyen de régler les revendications en cours. Je tiens à ajouter que même les cas qui ont fait l'objet d'une recommandation de la commission ne sont pas vraiment réglés. Ils peuvent revenir plus tard soit parce que les mêmes revendications sont à nouveau présentées dans le cadre du processus, soit parce qu'elles font l'objet d'un procès. Ces cas ne sont donc pas réglés. Il en est de même des revendications inscrites dans les dossiers du ministère comme étant classées ou rejetées. Elles reviennent invariablement sous une forme ou une autre. La création d'un tribunal dont les décisions seraient exécutoires permettrait au moins de séparer le bon grain de l'ivraie et de régler une fois pour toutes certains de ces cas.

De 1998 jusqu'à présent, je me suis occupé de négociations et de procès concernant les revendications territoriales, principalement pour le compte d'une clientèle autochtone. J'ai eu ma part d'expériences amères devant les tribunaux, mais j'ai réussi en même temps à régler quelques revendications et à en faire avancer quelques autres. Pendant tout ce temps, j'ai bien étudié le processus. J'ai considéré le statut quo et envisagé les moyens d'éliminer l'énorme arriéré que nous avons aujourd'hui.

J'ai participé aux travaux du groupe de travail conjoint. L'une de ses recommandations, qui se distingue très nettement des autres, souligne la nécessité de créer un tribunal vraiment indépendant chargé de régler ces revendications. À défaut d'un tel tribunal, toute autre mesure ne servirait qu'à modifier de menus détails sans grande importance.

Cette idée n'est pas neuve. En 1963, le gouvernement Pearson, je crois, a déposé un projet de loi proposant l'établissement d'un tribunal indépendant et d'une commission. Au départ, la commission aurait contribué au règlement des revendications, mais le tribunal aurait été investi du pouvoir de rendre des décisions exécutoires tant sur le bien-fondé des revendications que sur l'indemnisation des Premières nations.

Je note que le projet de loi n'imposait aucun plafond d'indemnisation au tribunal. Malheureusement, le projet de loi est mort au Feuilleton. Il n'a jamais été adopté. Son dépôt constitue cependant un facteur d'une certaine importance. Beaucoup d'autres témoins ont comparu devant le comité pour présenter des recommandations dans le même sens que celles que je vous propose aujourd'hui.

Permettez-moi de préciser que les revendications particulières représentent des obligations juridiques de la Couronne, des obligations découlant de traités relatifs à des terres et à d'autres avantages. Beaucoup des revendications se fondent sur des allégations de prise illicite de terres de réserve, en violation de lois fédérales destinées à protéger ces terres. D'autres sont basées sur l'expropriation de terres de réserve, encore une fois en violation des lois en vigueur. Bien entendu, il y a également des cas de mauvaise gestion de terres et de fonds.

Ces revendications ont leurs racines dans l'histoire même du Canada et dans les tensions qui se sont développées entre des objectifs stratégiques contradictoires. D'une part, il était nécessaire de protéger les Indiens et leurs terres contre l'exploitation des colons et de la Couronne elle-même. De l'autre, la Couronne était soumise aux intenses pressions exercées en faveur de l'ouverture des terres à la colonisation, à l'expansion et au développement commercial. Les revendications s'étendent sur des siècles. Je tiens à le dire car, pour élaborer un nouveau processus, nous aurons besoin d'arbitres et d'experts qui connaissent bien le contexte historique et qui soient capables de situer les faits et les circonstances de chaque cas dans ce contexte. Cela est important. En toute franchise, les tribunaux sont mal équipés pour s'occuper de telles affaires, soit parce que les juges ne connaissent pas suffisamment le contexte historique des revendications soit parce qu'ils y sont tout simplement hostiles. J'ai certainement eu l'occasion de m'en rendre compte dans le cadre de cuisants échecs que j'ai essuyés.

Cela est important parce que, sous de nombreux aspects, ces revendications particulières découlent de droits ancestraux et issus de traités protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle. On s'attend donc à ce que la Couronne affirme la primauté du droit, comme principe fondamental de notre Constitution. L'absence d'un processus ou d'un organisme pouvant trancher dans ces affaires ne fait qu'intensifier la perception que la Couronne n'est pas disposée à honorer ses obligations juridiques.

Il s'agit là en fin de compte d'une question d'accès à la justice. Le cadre actuel ne permet pas de recourir à un processus adéquat de règlement de ces revendications. Nous avons un processus de règlement des revendications particulières qui a abouti à un certain nombre de règlements, mais, comme l'a signalé M. Slavik, nous avons un arriéré qui ne cesse pas de grossir et qu'il faudra des années pour éliminer, au rythme actuel du travail. Bien sûr, au lieu d'attendre, il est toujours possible de s'adresser aux tribunaux. Les responsables de la Couronne soutiennent que les Premières nations ont toute latitude pour recourir aux tribunaux, mais ce ne sont que des paroles creuses. En réalité, la plupart des Premières nations n'ont pas les moyens de s'engager dans une longue procédure judiciaire. Ces affaires sont incroyablement complexes et peuvent facilement engloutir des millions de dollars en frais juridiques. La plupart des Premières nations ne peuvent tout simplement pas se permettre de telles dépenses.

Je répète que les juges sont mal équipés pour s'occuper d'affaires de ce genre, qui n'ont rien à voir avec les cas, beaucoup plus courants, d'accidents de voiture ou de privilèges de construction. L'examen de ces affaires nécessite de nombreux jours d'audiences. Les ressources — et peut-être la patience — des juges sont simplement trop limitées pour leur permettre de comprendre à fond des dossiers aussi complexes.

Il y a aussi des moyens techniques de défense et des périodes de prescription qui ont été appliqués d'une façon générale sans analyse sérieuse des effets sur les Autochtones et les droits issus de traités protégés par la Constitution. On finit par avoir l'impression que l'inscription dans la Loi constitutionnelle des droits ancestraux et issus de traités n'était peut-être qu'un exercice de relations publiques puisque les Premières nations ne bénéficient pas d'un recours adéquat aux tribunaux civils pour faire valoir ces droits. C'est bien sûr l'une de mes préoccupations.

Par suite de tout cela, nous avons affaire à un processus, surtout en ce qui concerne les tribunaux, dans lequel les Premières nations concernées se sentent à la fois lésées et humiliées, un processus qui n'a permis ni de régler les plaintes ni d'en apprécier le bien-fondé.

Il est choquant de constater qu'au cours des 50 dernières années, le gouvernement a établi de nombreux conseils, tribunaux et commissions pour permettre aux Canadiens ordinaires d'accéder à la justice dans différents domaines : appels concernant les pensions, normes du travail, droits de la personne. Tous ces organismes étaient spécialement conçus pour assurer aux Canadiens ordinaires l'accès à la justice. Dans le cas qui nous occupe, nous avons des revendications constitutionnelles fondées sur des droits ancestraux et issus de traités qu'il est presque impossible de faire valoir.

En gardant ce contexte à l'esprit, je vous présente des recommandations qui se situent à deux niveaux différents.

D'abord, le niveau général. Je recommande l'adoption de nouvelles mesures législatives établissant un tribunal indépendant ou une cour spécialisée, dans le genre de la Cour canadienne de l'impôt, qui aurait le pouvoir de rendre des décisions dans ces affaires.

Il importe, lors de la création de ce tribunal, d'envisager un processus conjoint de nomination d'une forme ou d'une autre, pour que l'organisme soit perçu comme équitable et impartial aussi bien par les Premières nations que par la Couronne. Il faut aussi éviter de fixer un plafond d'indemnisation. Je dis cela parce que j'ai appris, par expérience, que le risque favorise la négociation d'un règlement. Une bonne évaluation des risques qu'on court crée des occasions de règlement et de réconciliation. Si l'une des parties détient toutes les cartes ou contrôle le déroulement et les résultats possibles du processus, il est peu probable qu'on aboutisse à un résultat équitable et objectif. Cela arrive de temps en temps, mais il est facile de comprendre alors pourquoi le processus est tellement long.

Dans une affaire civile ordinaire qui va devant les tribunaux, une déclaration est présentée, puis est suivie par une divulgation, mais 95 p. 100 des affaires de ce genre sont réglées hors cour avant qu'un jugement ne soit rendu. Si cette analogie est appliquée aux revendications particulières, il est possible d'envisager le même genre de résultats. Si ce progrès se réalise, si un tel tribunal est établi avec des pouvoirs suffisants pour prendre des décisions exécutoires, les parties seront beaucoup plus susceptibles de parvenir à un règlement négocié. Cette conclusion se fonde sur un intérêt personnel bien pensé et sur le risque lié à toute procédure judiciaire. Une fois les parties devant un tribunal, c'est le gagnant qui emporte tout. La plupart des parties comprennent ce phénomène et trouvent donc un moyen de concilier leurs divergences. Voilà pour la recommandation globale.

Je vais maintenant aborder quelques autres changements souhaitables, qui ne nécessitent pas de mesures législatives et permettent de continuer à fonctionner dans le cadre de la politique actuelle. La mesure la plus évidente consiste à augmenter les ressources financières et humaines mises à la disposition d'Affaires indiennes et du Nord Canada et du ministère de la Justice. Il est possible de réduire considérablement l'arriéré s'il y a suffisamment d'avocats et de personnel pour négocier les revendications.

Les budgets devraient s'inscrire dans le cadre d'enveloppes financières, de services administratifs et de montants affectés aux règlements, mais des augmentations très sensibles seraient nécessaires. Je recommande que les indemnités ordonnées par les tribunaux soient directement prélevées sur le Trésor, comme toute autre réclamation contre l'État.

Il y a un aspect du processus que j'ai toujours trouvé difficile à comprendre : c'est l'étape de l'établissement du bien- fondé d'une revendication. Il faut souvent attendre 8 à 10 ans pour que la revendication soit acceptée ou rejetée. Par rapport à cette période, un procès peut sembler attrayant et être assimilé à une procédure accélérée, ce qui est pour le moins très surprenant. Le problème, c'est que le ministère de la Justice est en situation inhérente de conflit d'intérêts. Encore une fois, je ne cherche pas du tout à critiquer les personnes en cause. Au ministère, des avocats, souvent d'un niveau subalterne, sont chargés de ces dossiers et doivent assumer la tâche herculéenne de porter un jugement sur des affaires extraordinairement complexes en sachant fort bien que l'acceptation d'une importante revendication contre la Couronne peut entraver pour très longtemps toute progression de leur carrière.

Je ne crois pas du tout que cette étape soit nécessaire. Une analyse des risques devrait constituer la base de la décision d'engager ou non des négociations. La revendication est-elle solide ou faible? La politique des revendications particulières comprend un critère appelé le degré de doute, qui constituerait un moyen plus sensé de déterminer l'opportunité d'engager des négociations. Dans une affaire civile, il n'est pas nécessaire qu'un juge établisse le bien- fondé d'une déclaration avant qu'un règlement ne soit négocié car, dans 95 p. 100 des cas, les parties parviennent à une entente de leur côté.

Il y a enfin le critère de l'indemnisation. Je ne sais pas si ce domaine a été étudié, mais il mérite certainement un examen. Il s'agit de la possibilité d'élaborer en commun des formules de règlement des revendications susceptibles de produire des règlements équitables. Les nombreuses revendications territoriales qui ont été réglées, surtout ces dernières années, peuvent constituer une banque de données à partir de laquelle il devrait être possible de déterminer les conditions de règlement d'une revendication type. Cet aspect mériterait une certaine analyse. Des formules de ce genre pourraient éliminer beaucoup de conjectures et réduire sensiblement les coûts liés à la nécessité d'entreprendre chaque fois de nouvelles études. Toute une industrie s'est développée autour du processus de règlement des revendications particulières. De telles formules raccourciraient également le temps nécessaire pour en arriver à un règlement final. Cet aspect mérite certainement un examen plus poussé.

La raison pour laquelle nous n'en sommes pas encore arrivés là aujourd'hui réside dans le manque évident de volonté politique de créer un tribunal de ce genre. Cela tient probablement au coût global du règlement des revendications. M. Slavik a parlé d'un passif éventuel estimatif d'environ 6 milliards de dollars. Ce n'est cependant pas une raison suffisante pour ne pas créer le tribunal. Bien au contraire, cela devrait constituer un véritable appel aux armes. Il est extrêmement important d'établir l'analogie entre ce passif éventuel et la dette nationale, comme M. Schwarz l'a fait hier. Un passif éventuel croît avec le temps : à intérêt composé, les 6 milliards de 1998 seront passés à quelque 8 milliards en 2002. Il faut donc se poser la question suivante : Les Canadiens peuvent-ils se permettre d'attendre plus longtemps? Je crois que c'est une question qui nécessite une attention immédiate et impose de s'engager à rechercher rapidement une solution.

Je voudrais enfin mentionner que, pour moi, les conflits avec les Premières nations et les incidents qui se sont produits ces dernières années ne sont pas un fruit du hasard. Presque invariablement, ils étaient causés par une revendication territoriale. C'était le cas des crises d'Oka, de Gustafson Lake, d'Ipperwash et de Caledonia. L'absence d'un recours approprié pouvant assurer un règlement juste et équitable des revendications engendre des frustrations croissantes.

Le président : Je vous remercie tous deux pour vos exposés.

Je voudrais d'abord poser une question concernant le monde des affaires. Si une personne a un passif éventuel par rapport à une autre, elle doit le déclarer dans ses livres. Le passif éventuel figure souvent dans les états financiers. Vous l'avez mentionné, monsieur Maurice, de même que M. Schwarz hier et d'autres. Le gouvernement devrait prévoir des crédits annuels dans son budget et estimer cette dette en cours. Il s'agit bien d'une dette en cours parce que nous parlons ici de fraude.

Diriez-vous que le plein montant devrait figurer dans le budget ou bien suffirait-il d'en inscrire une partie, qui serait amortie sur un certain nombre d'années? Si le gouvernement ne le fait pas, vous aurez raison de dire que l'absence de volonté politique est due au coût possible du règlement des revendications. Le gouvernement examine son processus budgétaire. Tous les partis politiques font des efforts à droite et à gauche, essayant de se positionner en vue des prochaines élections. Pour eux, c'est une question de survie. Avez-vous une recommandation à formuler à ce sujet?

M. Slavik : J'aimerais répondre à cette question.

Cela relève de la vérificatrice générale. Elle est censée mentionner le passif éventuel du Canada dans son rapport. Les revendications ne figurent pas dans le rapport de la vérificatrice générale à titre de passif éventuel parce qu'elles sont enterrées dans le processus des revendications particulières et qu'elles n'ont pas été présentées à la Cour fédérale. C'est bien le bureau du vérificateur général qui devrait enquêter sérieusement sur cette question. Vous pouvez voir, à l'annexe 8 de mon rapport, que j'ai écrit à la vérificatrice générale l'année dernière à ce sujet. Pourquoi les milliards de dollars de passif éventuel que représentent les revendications ne sont-ils pas inscrits par le ministère? Je n'ai pas reçu de réponse. Les arguments avancés par M. Schwarz, par M. Maurice et par moi-même, dans mon mémoire, se fondent sur le fait que la vérificatrice générale n'est pas vraiment à l'écoute, que le Cabinet ne se soucie pas trop de cette affaire et, par conséquent, qu'il n'y a pas de vraie volonté politique de la régler.

Le président : Monsieur Maurice, avez-vous quelque chose à ajouter rapidement?

M. Maurice : Vous permettez?

Le président : Allez-y. Cette question est essentielle compte tenu de l'orientation que nous espérons prendre.

M. Maurice : De toute évidence, le gouvernement doit établir une enveloppe ou un budget à des fins administratives pour que les fonctionnaires fédéraux chargés de négocier ces revendications sur la base de leur délégation de pouvoirs puissent savoir plus ou moins à quoi s'en tenir. Cela se fait en principe. Si on crée un tribunal ou une cour spécialisée à cette fin, la règle générale est que les indemnités accordées sont prélevées sur le Trésor. Il existe différentes façons de gérer cette situation. Vous avez mentionné la possibilité d'amortir la dette sur une certaine période. Le gouvernement peut émettre des obligations qui lui permettraient d'obtenir le capital nécessaire pour rembourser sa dette. Ce serait un moyen. Il y a aussi la notion des règlements structurés, qui représenterait un autre moyen de faire cela ou de réduire de temps en temps le fardeau imposé sur les budgets administratifs.

Pour ce qui est de l'approche globale des revendications, je veux dire tout d'abord que je suis d'accord avec M. Slavik. Il est nécessaire de procéder à une meilleure évaluation du passif éventuel. Il faut ensuite changer la culture organisationnelle de façon à mesurer le rendement en fonction du rythme auquel on arrive à réduire la dette plutôt que sur la base du nombre de revendications réglées. L'un des problèmes dans cette affaire est que le ministère n'a jamais considéré que le règlement des revendications constitue nécessairement sa première priorité.

Le sénateur Peterson : Le système actuel semble être organisé pour ne pas fonctionner. Sur ce plan, il est manifeste qu'il a bien réussi. Le passif éventuel dont vous parlez n'est ordinairement pas inscrit avant qu'un jugement soit prononcé. C'est une autre raison pour laquelle on n'en parle pas, car il y aurait autrement un chiffre précis sur lequel les gens concentreraient leur attention.

Pour imprimer un premier élan, il faudrait commencer par un chiffre initial. Vous avez parlé de 6 milliards de dollars. C'est peut-être une estimation modérée. Pourrions-nous envisager d'affecter 2 milliards de dollars chaque année pour lancer le processus? Ainsi le gouvernement saurait que ce chiffre représente le maximum de la première tranche et pourrait s'en servir comme base pour établir un cadre financier d'une forme ou d'une autre.

Ensuite, serait-il possible de catégoriser les revendications, qui ne sont pas toutes du même ordre? Nous pourrions ainsi avoir différentes catégories : de zéro à 10 millions de dollars, de 10 millions à 100 millions de dollars et ainsi de suite. Il serait alors possible de concentrer les efforts sur les petites revendications pour montrer comment le processus fonctionne.

M. Slavik : À l'annexe 1, je propose, dans ma cinquième recommandation, de réaliser deux grandes études. Il faudrait tout d'abord déterminer le coût éventuel des réclamations. Cela n'a jamais été fait et pour cause. Si le nombre des revendications et le passif éventuel correspondant étaient connus, ils constitueraient la preuve de l'insuffisance flagrante des ressources affectées à ce processus par le gouvernement et surtout par Affaires indiennes et du Nord Canada. Ce serait extrêmement embarrassant.

En second lieu, même si le gouvernement a dépensé 3 milliards de dollars pour régler des revendications globales et particulières depuis 1990, aucune étude n'a été menée pour en déterminer les incidences socioéconomiques et financières pour les Premières nations et pour le Canada. De quelle façon ces dépenses ont-elles permis non seulement de s'acquitter d'une obligation légale, mais aussi de réduire les dépenses socioéconomiques et la dépendance au Canada?

Pendant qu'elle était ministre de la Justice, Anne McLellan a essayé de lancer une étude de ce genre. La Direction générale des revendications particulières et Affaires indiennes et du Nord Canada ont fait avorter le projet parce qu'ils ne considèrent pas que leur mandat s'étend à l'étude des incidences socioéconomiques du règlement des revendications. Voilà donc les deux études qu'il faudrait entreprendre.

Pour ce qui est de vos autres suggestions, sénateur, concernant la catégorisation des revendications et l'organisation du système, elles sont à l'examen depuis des années. La Direction générale des revendications particulières n'a pas les capacités organisationnelles et fonctionnelles nécessaires à cette fin. Il faudrait qu'un organisme différent s'en charge.

Le sénateur Peterson : Une fois qu'une revendication est acceptée — vous avez dit que cela peut prendre 13 ans —, qu'arrive-t-il ensuite? Après tout ce processus, l'affaire reste là en suspens?

M. Slavik : Cela dépend de l'importance de la revendication. D'après mon expérience, il faut 4 à 7 ans de négociations. En moyenne, l'établissement du bien-fondé prend cinq ans et demi et les négociations, encore cinq ans et demi, ce qui donne un total de 10 à 12 ans. Nous venons d'en finir avec Fort McKay : il a fallu attendre 17 ans.

Le sénateur Campbell : Je croyais, à mon arrivée, que j'avais une mauvaise journée, mais c'est bien pire depuis que j'ai entendu vos exposés.

Je trouve incroyable que tout cela se produise sans que personne s'en rende compte. Tout semble se passer dans un domaine extérieur à ce que nous aurions pu imaginer, en dehors du cadre financier et juridique. Litiges et négociations, de quoi parlons-nous? Qui est responsable de cela? Allons-nous convoquer les dirigeants de la Direction générale des revendications particulières ou d'Affaires indiennes et du Nord Canada?

Je n'ai pas l'impression que cela soit attribuable au ministre. Je ne crois pas qu'il soit utile de lui en parler. Nous devons convoquer les responsables de la Direction générale des revendications particulières. S'ils ont pu agir contre la volonté d'Anne McLellan, ils peuvent recommencer avec le ministre actuel. Ils ont l'air de résister depuis des années. C'est scandaleux.

Le président : Nous avons déjà eu des témoins de la Direction générale des revendications particulières d'Affaires indiennes et du Nord Canada.

Le sénateur Campbell : Que s'est-il passé?

Le président : Ils nous ont dit que c'était un cauchemar et qu'ils n'avaient pas suffisamment de ressources. Je n'exploite pas ma ferme de cette façon. Je ne crois pas que quiconque exploiterait une entreprise de cette façon.

Le sénateur Campbell : C'est là que réside la difficulté. Il s'agit de 6 milliards de dollars. Il suffirait de prendre la moitié de notre excédent de cette année, de la placer dans un compte en banque et de toucher les intérêts. C'est de ces 6 milliards que nous devons nous soucier.

Cela ne peut pas durer. Ce n'est pas la faute du ministre, ni l'actuel ni le précédent. Nous avons affaire à un groupe de bureaucrates qui n'en font qu'à leur tête et qui n'ont de comptes à rendre à personne. Il est vraiment temps de leur faire assumer leurs responsabilités. Autrement, ils n'ont qu'à chercher un autre emploi. C'était une bonne question, n'est-ce pas?

Le sénateur Hubley : Que se passerait-il si nous arrivions à établir un bureau de règlement des revendications et des droits — je crois que d'autres témoins nous en ont aussi parlé — qui serait doté des ressources humaines et financières voulues, ou du moins si nous avions plus ou moins l'assurance que nos propositions seraient acceptées dans ces deux domaines, compte tenu du fait, comme M. Maurice l'a dit, qu'il faut cinq an et demi pour établir le bien-fondé d'une revendication et cinq autres années et demie pour parvenir à un règlement?

Un membre du comité, que je n'avais pas pris au sérieux à ce moment-là, avait catégoriquement affirmé que l'établissement du bien-fondé ne devrait pas prendre plus d'un an et le règlement, pas plus de cinq ans. Maintenant que j'ai réfléchi à la chose, je vous demande de nous donner une idée des délais que nous devrions inscrire dans nos recommandations.

Étant donné votre expérience, quels délais vous paraîtraient raisonnables? Combien de temps faudra-t-il attendre si le nombre des revendications continue à croître et que celui des règlements continue à diminuer? Arriverons-nous jamais au point où nous pourrons nous attendre à ce qu'un certain nombre de revendications soient réglées chaque année, où nous pourrons dire : « L'année dernière, nous avons eu X revendications et avons réservé tel montant en vue de leur règlement »? J'aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet.

M. Slavik : Je vous remercie. Je vais essayer de répondre aux questions des deux sénateurs.

Sénateur Campbell, vous dites essentiellement que personne au gouvernement n'assume la responsabilité de cette affaire, qui est enterrée depuis 20 ans dans un trou perdu d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Je vous demande de jeter un coup d'œil à la page 8 de mon mémoire. La principale raison pour laquelle nous souhaitons la création d'un bureau de règlement des revendications et des droits, c'est qu'il est essentiel de confier la responsabilité de cette affaire à un seul organisme transparent relevant directement du Parlement, du Cabinet ou des deux. Tant que le dossier reste enterré à un endroit où des gens qui n'ont de comptes à rendre à personne peuvent le masquer derrière d'autres priorités bureaucratiques, nous n'avancerons jamais. La clé de la solution consiste à désigner un organisme responsable.

Je voudrais d'abord exprimer mon plein appui aux recommandations de M. Schwarz et de M. Maurice concernant un tribunal indépendant. Aux États-Unis, il y a eu un tribunal indépendant chargé des revendications dans les années 1950 et 1960. Il avait de grands défauts et faisait l'objet d'une disposition législative limitant sa durée à 25 ans. Je crois cependant que ce tribunal a réussi à régler la quasi-totalité des revendications de la même nature qui existaient aux États-Unis. Le processus avait des défauts, mais un organisme indépendant s'en est occupé. Un bureau distinct du gouvernement des États-Unis a été chargé des règlements et a pu se débarrasser de l'essentiel de l'arriéré pendant cette période de 25 ans. Par conséquent, quelle que soit la solution retenue, il faut compter 20 à 25 ans pour éliminer l'arriéré et régler ces revendications.

[Français]

Le sénateur Gill : J'aimerais saluer deux personnes que j'ai connues il y a quelques années à la commission des revendications territoriales, Ron et Kim; et aussi féliciter M. Slavik.

[Traduction]

Nous avons besoin ici d'aller au-delà du rationnel. Nous avons besoin de cœur, et vous avez montré que vous en avez.

[Français]

Il ne faut pas oublier, c'est ce qu'on m'a déjà dit, que la route la plus difficile à parcourir c'est celle entre le rationnel et le cœur. Il y en a qui ont trouvé la route et je les félicite. Il faut les deux pour être capable de régler les choses, du côté autochtone.

Ce soir, je pense que si notre ami Jim Prentice était ici, il aimerait avoir la même discussion que nous maintenant car je me souviens très bien que, il y a quelques années, nous avions ces discussions. Des centaines de recommandations avaient été faites dans les rapports de la commission. Il y en a eu de toutes les sortes. Évidemment, on n'est pas beaucoup plus avancé.

Je ne sais pas ce qui peut bloquer ; il y a un monstre qui nous empêche d'avancer. Le monstre, je ne peux pas le qualifier, je ne le connais pas, mais quelque chose nous arrête. Tellement de gens veulent que ces questions se règlent et on n'arrive jamais à des règlements. Alors, qu'est-ce qui bloque? Les recommandations qui sont ici sont excellentes, mais quelque chose ne fonctionne pas.

Je pense que c'est un ensemble, un engrenage et une situation qui existent pour faire en sorte que, comme le sénateur Campbell le disait, quelqu'un est en contrôle quelque part et qui veut que la machine avance quand il le veut et quand il ne le veut pas, la machine n'avance pas. Quelque chose se passe.

Peut-être que c'est le fait qu'on a placé les Premières nations dans une situation de demandeur. On réclame. On réclame quoi? Une partie de nos terres. C'est fou, c'est absurde. Les Premières nations ont été placées en situation de demander leurs terres. Imaginez : une partie de la terre, une partie des ressources naturelles. Et on joue avec cela depuis des années.

Je me souviens, c'est depuis 1973 que l'on joue avec les réclamations — sans parler des réclamations globales. On fait peur à tout le monde avec des chiffres astronomiques et, effectivement, ce sont des gros chiffres.

Je ne sais pas comment faire, mais il faut changer le cap, nos objectifs et la façon de discuter avec le gouvernement. Je ne pense pas qu'on puisse continuer à discuter avec le gouvernement pour lui réclamer des choses. Je pense qu'il faut établir le montant de la dette. Je vais encourager mes collègues à le faire, car cela fait trop longtemps. J'ai vieillit depuis le temps de la commission. Je n'ai plus beaucoup d'années devant moi, mais je voudrais que quelque chose se passe.

Ce soir, vous nous avez proposé quantité de belles recommandations. Mais il y en a eu des centaines et rien n'a changé. Que faut-il faire? Je ne sais pas. Je pense que la philosophie et la façon de faire doivent changer. Au lieu de parler d'une réclamation, on parlerait d'une dette. Et je pense qu'il y a avantage pour tout le monde à régler une dette parce qu'on est tous citoyens d'un même pays. Il faut, un jour ou l'autre, être capable de vivre en harmonie. On est toujours à couteau tiré, il y a eu des meurtres et toutes sortes d'incidents. Qu'est-ce qu'on attend?

Je pense qu'il faut trouver un moyen de régler la dette et ensuite établir un moyen pour pouvoir se parler et être des citoyens d'un même pays. J'aimerais donc avoir votre opinion là-dessus.

[Traduction]

Le président : Messieurs, avez-vous des recommandations de choc à nous proposer pour améliorer le système?

[Français]

Mon ami Aurélien Gill a encore de l'enthousiasme. Et cela ne fait pas longtemps, combien, 100 ans seulement?

[Traduction]

M. Slavik : Vous trouverez ma liste de recommandations à l'annexe A.

Pourquoi en est-il ainsi? Je me pose cette question depuis des années. Je crois connaître la réponse.

Tout d'abord, la Direction générale des revendications particulières et surtout Affaires indiennes et du Nord Canada n'ont aucune crédibilité auprès des Premières nations, des organismes centraux et du Cabinet, qui ne croient plus en leur capacité de régler ces affaires rapidement, raisonnablement et avec équité. La direction et le ministère n'obtiendront donc pas les ressources humaines et financières qu'il est essentiel d'affecter au règlement de ces revendications. Tant que le contexte restera le même, leur crédibilité à titre d'agents de changement sera nulle.

Ensuite, le Canada ne se rend pas compte de la mesure dans laquelle le règlement des revendications peut changer la situation socioéconomique et la gouvernance future des Premières nations. Le gouvernement n'a pas fait le lien entre le règlement des revendications et les problèmes réels que connaissent les peuples autochtones chez nous. Les revendications ne sont pas placées dans le contexte approprié. Cela étant, il est extrêmement important que leur règlement soit intégré au programme économique des peuples autochtones, plutôt que d'être rangé dans le dossier des griefs et des obligations légales. Les revendications doivent faire partie intégrante du programme économique. Tant que l'attitude à cet égard n'aura pas changé, personne ne se souciera vraiment de leur règlement.

Le président : Monsieur Maurice, avez-vous de brefs commentaires à faire à ce sujet? Nous commençons à manquer de temps. Parmi mes collègues, le niveau de l'enthousiasme monte. Cette affaire transcende tout esprit partisan. Nous l'examinons depuis un certain temps déjà. En réalité, le ministère ne fait que dispenser de l'aide sociale. Des aînés autochtones de la Colombie-Britannique nous l'ont dit, dans le cadre de l'étude du développement économique que nous menons parallèlement à ce travail. L'un de ces aînés nous a dit : « Vous nous avez mis dans une réserve dans les tourbières. Vous nous avez donné des numéros, comme si nous étions des prisonniers de guerre. Vous avez envoyé nos enfants dans des pensionnats pour détruire notre culture et nous assimiler. Ensuite, vous avez fait de nous des assistés sociaux. »

Il a ajouté : « J'ai dans ma réserve quelques jeunes que je voulais soustraire à l'aide sociale. J'obtiens plus de 2 millions de dollars d'aide sociale, mais seulement 20 000 $ pour le développement économique. Comment arriverai-je jamais à me sortir de ce guêpier? C'est vraiment un cercle vicieux. »

Monsieur Maurice, je vous laisse conclure.

M. Maurice : C'est une tâche difficile. Pour répondre aux observations du sénateur Gill, je dirai que c'est avec le plus grand plaisir que j'enverrais une facture pour la dette due, au nom d'une Première nation cliente, si j'avais le moindre espoir de recevoir un paiement. Nous pourrions peut-être en arriver à une solution rapide de cette façon, mais ce ne serait pas très pratique. En fin de compte, la Couronne devra faire preuve d'une certaine rigueur pour faire la distinction entre les bonnes et les mauvaises revendications et pour trouver un moyen d'avancer. Je ne saurais pas trop insister sur la nécessité de créer ce tribunal. Si le gouvernement du Canada avait une mesure à prendre, ce serait d'établir un tribunal pour favoriser des négociations dans lesquelles les parties seraient sur un pied d'égalité. Une telle mesure aurait des effets considérables.

J'ai une anecdote à vous raconter qui remonte au moment où le groupe de travail conjoint a déposé ses recommandations concernant la création d'un tribunal indépendant. Le moment était vraiment mal choisi. Lorsque les recommandations ont été présentées au Cabinet, si j'ai bien compris, le Tribunal des droits de la personne venait d'imposer au gouvernement de payer aux femmes de la fonction publique fédérale un énorme montant pour assurer la parité salariale, par suite de la violation des droits que leur garantit la Charte.

Nous ne devrions pas essayer de mettre un prix sur des droits constitutionnels. Il s'agit là d'obligations légales que le gouvernement doit honorer. On ne peut pas autrement parler de primauté du droit et de respect de la loi.

En fin de compte, le gouvernement a décidé qu'il n'était pas disposé à donner un chèque en blanc au tribunal indépendant de règlement des revendications. Pourtant, d'un point de vue systémique, c'est exactement ce que le gouvernement aurait dû faire pour assurer une approche raisonnable des négociations. C'est l'analyse du risque — le risque étant de perdre les quelque 6 milliards de dollars de passif éventuel — qui encouragera vraiment les parties à parvenir à des règlements négociés.

Le président : Je tiens à remercier M. Slavik et M. Maurice pour leurs excellents exposés et pour les renseignements dont ils ont fait part au comité.

Nous avons ce soir un second groupe de témoins. Alan Pratt donne des conseils de tous genres à des chefs, des conseils et d'autres organisations des Premières nations. Il a participé au règlement de dix revendications particulières. Il a plaidé devant des tribunaux canadiens de tous les niveaux et a défendu à quatre reprises des causes devant la Cour suprême du Canada.

Le cabinet de Kim Alexander Fullerton représente exclusivement des Premières nations dans des revendications territoriales au Canada et en Ontario, dans des négociations avec de grandes sociétés, des négociations touchant la pêche et d'autres affaires générales. Il a été nommé fiduciaire de trois fiducies de règlement de revendications territoriales des Premières nations.

Messieurs, comme vous pouvez le constater, mes collègues sénateurs cherchent avec un grand enthousiasme à obtenir des renseignements pouvant permettre au comité de formuler des recommandations fermes, auxquelles, nous l'espérons, le gouvernement voudra bien donner suite.

Alan Pratt, avocat-procureur, Alan Pratt Law Office : Il n'existe probablement pas de sujet plus proche de mon cœur, de mes intérêts économiques et de ceux de ma famille, parce que ma femme est membre d'une Première nation, de même que mon fils et mes petits-enfants, qui sont représentés par M. Slavik dans les négociations en cours sur les revendications particulières. Ce sujet est important pour toute ma famille.

Je me trouve dans une situation un peu embarrassante : les témoins qui m'ont précédé ont dit presque tout ce que je comptais dire. Je vais quand même utiliser mes neuf minutes, mais je modifierai quelque peu l'optique de mon exposé.

Je vous ai présenté par écrit le plan de ce que j'avais à dire. La semaine dernière, les journaux annonçaient en manchette que le Canada avait un excédent budgétaire de 13 milliards de dollars et que le gouvernement actuel a l'intention d'en utiliser la plus grande partie pour rembourser la dette nationale. Je voudrais faire une observation que d'autres ont déjà faite : la dette nationale peut revêtir différentes formes. Les revendications territoriales particulières font partie de notre dette nationale. Je suis d'accord avec les autres témoins qu'il faut les envisager non seulement comme un passif éventuel, mais aussi comme une partie de notre dette nationale. Par conséquent, s'il faut diriger le pays comme si c'était une entreprise, nous devons évaluer cette partie de la dette et commencer à la rembourser. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. M. Slavik a parlé de 20 à 25 ans. Je trouve ce délai raisonnable.

Je me souviens d'observations formulées par le ministre des Affaires indiennes en 1991. Il venait d'annoncer des changements mineurs du processus de règlement des revendications particulières. Il a dit qu'il était persuadé que toutes les revendications particulières seraient réglées au Canada en 2000. Cela témoigne — comme tous ceux qui s'occupent de revendications le savaient alors, mais sans doute pas le ministre — de l'ignorance incroyable du gouvernement du Canada quant à l'étendue et à la nature du problème des revendications particulières.

Ces revendications ne constituent pas seulement une dette. Comme M. Slavik et d'autres l'ont dit, ce sont de grossières violations des obligations d'honneur de la Couronne envers les Premières nations. Elles résultent d'actes de vol, de fraude et de négligence commis par le gouvernement du Canada, à titre de fiduciaire. Dans ce rôle, les fonctionnaires fédéraux ont, par négligence, fraude ou simple insouciance, privé les Premières nations d'une bonne partie de leurs meilleures terres agricoles, de l'argent dû, de terres promises mais jamais données et de perspectives économiques.

Dans beaucoup des collectivités des Premières nations, on ne voit aujourd'hui que pauvreté, chômage et toxicomanie, comme de nombreux témoins le disent régulièrement au comité. Nous nous demandons : pourquoi en est- il ainsi? Il y a une seule et unique raison. La Couronne n'a pas respecté les promesses faites dans ses traités, elle n'a pas respecté la promesse faite dans la Constitution d'honorer les droits ancestraux et issus de traités.

À mon avis, il faudrait dès aujourd'hui prendre très au sérieux les droits issus de traités pour s'assurer que les Premières nations en profitent sur les plans social, culturel et économique. Nous devons également considérer le passé et remédier aux conséquences de la violation des obligations de fiduciaire.

Je ne sais pas combien de milliards de dollars il faudra pour régler toutes les revendications. Les calculs de M. Slavik constituent un bon point de départ. Le chiffre définitif pourrait être beaucoup plus élevé, mais il ne sera sûrement pas inférieur. Combien de ces problèmes pouvons-nous espérer résoudre? Je ne le sais pas, mais il faut bien commencer.

La politique des revendications particulières remonte à 1982. Nous en avons appris beaucoup sur la loi qui s'applique aux peuples autochtones depuis 1982. Pendant toute la période qui s'est écoulée depuis, le gouvernement fédéral n'a apporté qu'une seule modification à cette politique. C'était en 1991, après la crise d'Oka. Cette modification permettait de traiter les revendications d'avant la Confédération dans le cadre de la même politique. Pas un seul autre changement n'a été fait dans les 24 ans qui ont suivi l'adoption de cette politique.

Que se passe-t-il lorsqu'une revendication particulière est réglée? Une collectivité obtient des terres, de l'argent, des occasions et une chance de remédier à de sombres perspectives économiques. Les ministres se délectent de l'occasion de célébrer le règlement d'une revendication parce que cela donne lieu à une magnifique séance de photos. Comme l'a dit M. Slavik, où étaient ces ministres dans les 20 années qui ont précédé le règlement? L'affaire ne devient importante que lorsqu'elle permet d'organiser une séance de photos.

Je suis bien d'accord avec les témoins précédents quant aux raisons pour lesquelles le système actuel ne marche pas. Le processus est beaucoup trop long, les ressources sont insuffisantes et ainsi de suite. Bref, le gouvernement ne prend pas l'affaire au sérieux. Il ne s'est même pas engagé à mesurer l'étendue du problème et à mettre en place l'appareil nécessaire pour le régler. En toute franchise, je pense que personne n'envisage vraiment la possibilité d'un chèque en blanc. Nous avons besoin non d'un chèque en blanc, mais d'un gros chèque. Sans vouloir sous-estimer la difficulté de la tâche, je crois qu'elle est possible.

Nous souhaitons également que la Couronne change d'attitude en matière de litiges. Contrairement à certains de mes collègues, il m'arrive à l'occasion de plaider dans des affaires de revendications. Il n'y a rien de plus satisfaisant que d'avoir l'occasion de s'adresser à un juge indépendant qui, en appliquant des règles équitables, déclare que telle partie a raison et telle autre a tort. On n'a pas souvent l'occasion de se présenter devant un organisme indépendant ayant le pouvoir d'imposer une décision dans le cadre du processus de règlement des revendications particulières. Comme M. Maurice l'a dit, un organisme pouvant rendre des décisions exécutoires est un monstre redoutable. Des gens rationnels voudront l'éviter à tout prix s'ils courent le risque de perdre, ce qui les encourage à rechercher un règlement négocié.

Nous pouvons changer la façon dont les procès relatifs aux revendications se déroulent. Le gouvernement du Canada ordonne à ses avocats de recourir à tous les artifices de procédure possibles pour retarder le procès, chercher des faux-fuyants, compliquer les choses et faire monter les frais juridiques. Ce n'est pas une façon honorable d'agir à l'égard d'une dette juste. Nous devons créer un nouveau système. Je suis en faveur d'une loi sur le règlement des revendications particulières. Je ne suis cependant pas en faveur de la Loi sur le règlement des revendications particulières parce que je pense, comme je l'ai dit dans mon mémoire, quelle devrait être abrogée. Nous pouvons la modifier ou la remplacer, mais nous avons besoin de toute façon de nouvelles mesures législatives. Celles-ci pourraient peut-être créer une commission qui établirait des règles du jeu équitables et qui aurait le pouvoir de faire pression sur le gouvernement pour qu'il règle plus rapidement ces revendications.

En vertu de l'article 28 de l'actuelle Loi sur le règlement des revendications particulières, lorsqu'une Première national présente une revendication à la commission devant être établie, la première mesure prise par celle-ci consiste à convoquer une réunion des parties. Ensuite, elle suspend l'affaire indéfiniment. La Loi garantit au gouvernement fédéral un temps illimité pour répondre à la revendication. Autrement dit, la revendication demeure en suspens aussi longtemps que le gouvernement le souhaite.

Nous avons besoin d'une loi qui presse le gouvernement de doter convenablement ses services, de prendre les choses au sérieux et de se présenter à la table pour négocier de bonne foi, en courant des risques sérieux s'il ne remplit pas ses obligations.

Si le comité veut vraiment produire un rapport qui permettra d'élaborer une meilleure Loi sur le règlement des revendications particulières — et je crois que c'est bien le cas —, je serai très heureux de vous présenter quelques autres recommandations. Je pense que ce serait très important de le faire.

Mon dernier point concerne la Loi sur le règlement des revendications particulières. Cette mesure législative m'a énormément déçu, comme elle a déçu quiconque s'intéresse à cette question. Un groupe de travail conjoint avait défini une série convenue de principes et produit un avant-projet de loi. Toutefois, lorsque les directives de rédaction conjointement produites par les Premières nations et le gouvernement ont été traitées par les services de rédaction législative, elles ont été déformées et modifiées. Le gouvernement a été déchargé de la quasi-totalité de ses responsabilités. Ensuite, le projet de loi a été adopté à la hâte par la Chambre des communes et le Sénat sous un gouvernement précédent. Le gouvernement qui a suivi a décidé que, même si le projet de loi avait reçu la sanction royale, il ne serait pas proclamé. Nous ne savons pas ce que le présent gouvernement compte faire. La Loi est donc classée et ne sert à rien. Je demande au comité de considérer ceci : où est la primauté du droit quand le gouvernement peut faire adopter une mesure législative que tout le monde déteste, mais au sujet de laquelle personne ne veut rien faire? On prétend qu'elle n'existe pas. Elle a reçu la sanction royale, mais elle n'est pas en vigueur. Elle porte un numéro et se trouve au chapitre 23 des Lois de 2003. Nous ne savons absolument pas si elle sera un jour déterrée. Elle a été adoptée, mais elle reste là à se décomposer.

Cette loi comporte néanmoins de bons éléments. À mon avis, elle est encore récupérable. Je ne sais pas ce que M. Schwarz vous a dit hier, mais il a quelques bonnes idées au sujet des déficiences de cette loi. Il serait possible de les analyser et de se servir des résultats pour formuler des recommandations positives pouvant améliorer la loi.

Je ne désespère pas. J'espère bien qu'un jour, on aura remédié à tout cela. Le Canada doit reconnaître ses dettes. Nous devons commencer à les examiner sérieusement et à en tenir compte dans nos budgets. Nous devons utiliser une partie de notre excédent budgétaire pour les rembourser. Il serait avantageux pour nous de le faire, je n'en doute pas. Quiconque s'est occupé des revendications particulières connaît les avantages humains et les facteurs positifs et pratiques qui découlent du règlement de ces revendications.

Le président : Vous serez sans doute intéressés d'apprendre que la vérificatrice générale figure sur notre liste de témoins possibles devant comparaître dans deux semaines.

Kim Alexander Fullerton, avocat-procureur : Je voudrais remercier les honorables sénateurs de m'avoir invité à m'adresser au comité ce soir. Je voudrais en outre remercier la nation algonquine de nous avoir permis de tenir cette réunion sur son territoire.

Vous trouverez probablement mon exposé plus positif que ceux de mes collègues. Le système actuel a pu fonctionner une fois, à ma connaissance, dans le cadre d'un projet auquel j'ai participé. Il s'agit du projet pilote des Michipicotens sur les revendications particulières. Dans une période de 10 ans, qui a commencé en 1997 et qui se terminera, je l'espère, en mars de l'année prochaine, nous avons examiné 13 revendications particulières et les avons toutes réglées, dans un sens ou dans l'autre. C'est là un record qui, à ma connaissance, n'a jamais été égalé ailleurs. Je voudrais vous parler ce soir des facteurs qui ont permis au système de fonctionner. Je vous laisserai ensuite chercher la réponse à la question de savoir pourquoi le ministère ne veut pas recommencer, car il a refusé de le faire.

Nous avons commencé par un concept fondamental simple. En 1996, nous avons présenté une proposition à M. Irwin, alors ministre des Affaires indiennes. Nous lui avons dit : « Pourquoi ne pas nous asseoir ensemble pour examiner simultanément toutes les revendications d'une seule Première nation? Nous le ferons selon une approche d'équipe en vue de régler les revendications. Nous ferons les recherches conjointement. Les avocats des deux parties seront présents dès le départ pour définir les questions qui se posent, préciser les enjeux et diriger la recherche. » Cela a marché comme sur des roulettes.

Le principal défaut du système actuel, c'est qu'il comprend deux étapes. La première est celle de l'établissement du bien-fondé des revendications. La Première nation en cause fait des recherches de son côté et présente les résultats à la Direction générale des revendications particulières. Elle fait faire à contrat ce qu'on appelle « la recherche de confirmation », qui consiste à examiner les recherches déjà faites par la Première nation. Celle-ci reçoit le travail, l'examine et envoie le tout au ministère de la Justice, où les documents attendent pendant quelques années. Finalement, un avocat de la Justice les examine, rédige un avis, après quoi une lettre signée par le ministre ou le sous-ministre — ou quiconque s'occupe des lettres à ce moment — est envoyée à la Première nation pour lui dire que la revendication est acceptée ou rejetée.

Ce processus dure entre 5 et 10 ans, période pendant laquelle les parties ne se rencontrent jamais, ne s'assoient jamais dans la même pièce pour discuter de leurs revendications. Il n'y a que des documents qui vont et viennent dans le bureau de gens qui n'ont jamais essayé de comprendre les éléments plus problème, la façon de le résoudre, les solutions novatrices à apporter, les aspirations des Premières nations en cause ou les objectifs du Canada.

C'est un processus qu'on ne peut recommander à personne pour régler un différend. Pouvez-vous imaginer deux personnes qui tenteraient de régler un conflit sans jamais se parler? Le défaut fondamental du système actuel réside dans le fait qu'on travaille pendant des années sans jamais parler de la nature des revendications et sans essayer de trouver des moyens de les régler.

Je crois très fort aux règlements négociés par opposition aux règlements imposés. La Cour suprême du Canada est d'ailleurs du même avis. Elle a constamment dit que la meilleure façon de régler des problèmes est de négocier, et non de faire un procès ou de s'adresser nécessairement à un tribunal ayant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires. Les problèmes doivent être négociés d'une façon intelligente. Malheureusement, le système actuel ne constitue pas un moyen intelligent de négocier.

Il faut, dans la mesure du possible, recourir aux recherches conjointes, plutôt que de laisser les Premières nations retenir les services d'un chercheur, tandis que le Canada en engage un autre pour faire le même travail. Ce chevauchement ajoute des années au processus et augmente habituellement de 30 000 $ à 50 000 $ le coût d'une revendication. S'il est possible de s'asseoir ensemble dès le départ et de faire des recherches communes, on peut économiser des centaines de milliers de dollars. De plus, il est extrêmement avantageux de négocier simultanément l'ensemble des revendications d'une Première nation. Je note dans mon mémoire que nous avons présenté six réclamations au Canada et qu'elles ont toutes été acceptées. Nous en avons réglé cinq et sommes en train de négocier la sixième actuellement. Les délais serrés nous ont permis d'économiser au moins un million de dollars en frais d'étude sur notre dernière revendication. Nous avons pu utiliser les conclusions d'études menées au sujet de revendications précédentes, que nous avons appliquées au prorata aux revendications en négociation. Les économies réalisées grâce à la négociation simultanée des revendications compensent le coût total du financement du projet.

Quoi que vous recommandiez, obligez les parties à s'asseoir ensemble pour discuter, examiner les problèmes et chercher à trouver des solutions.

La participation, dès le départ, de la Commission sur les revendications particulières des Indiens a joué un rôle clé dans le succès du projet pilote des Michipicotens. La commission nous a offert des services d'arbitrage et a présidé nos réunions, nous maintenant constamment sur la bonne voie. Elle nous a fourni des services inappréciables en assurant la coordination des études sur la perte de jouissance. Elle a essentiellement joué un rôle de médiation. Le processus de règlement des revendications particulières est une forme de mécanisme de règlement des différends, mais son mode actuel de fonctionnement ressemble à une médiation sans médiateur. Il y a deux parties, les Premières nations et le Canada, sans personne pour les aider à avancer. Il est possible de régler des revendications sans médiation, mais j'ai personnellement trouvé que celle-ci facilite énormément les choses.

Par ailleurs, vous aurez à affronter une grande difficulté parce que ces questions ne relèvent pas exclusivement de la compétence du Canada. Presque toutes les revendications d'avant la Confédération nécessitent une participation provinciale pour en arriver à un règlement. Vous ne devez pas le perdre de vue lorsque vous formulerez vos recommandations. Le Canada ne peut pas agir unilatéralement dans un processus de règlement des revendications. Les dix provinces et les trois territoires doivent y participer. Autrement, il ne fonctionnera pas dans le cas des revendications qui remontent à une période antérieure à la Confédération.

Certaines provinces travaillent raisonnablement bien au règlement des revendications, d'autres le font moins. Vous devriez donc, dans la mesure du possible, essayer de faire accepter vos recommandations par les provinces. En ce moment, par exemple, le gouvernement de l'Ontario refuse de siéger avec des représentants de la Commission sur les revendications particulières des Indiens parce qu'il ne veut pas avoir affaire à elle. La médiation peut être difficile dans ces conditions parce que le règlement de la plupart sinon de toutes les revendications d'avant la Confédération nécessite la présence de la province à la table de négociation.

Le sénateur Campbell : Dites-vous qu'on a commencé à utiliser la jurisprudence, si je peux exprimer ainsi? Est-ce qu'on se fonde sur des précédents pour examiner des affaires en cours, ou bien chaque cas est-il examiné séparément sans tenir compte de la jurisprudence établie dans des cas semblables antérieurs?

M. Fullerton : Non, les précédents sont pris en considération.

Le sénateur Campbell : Je viens de la Colombie-Britannique, où se déroulent des négociations fondées sur les traités. C'est assez différent de ce que vous nous avez décrit. Je regarde cette carte qui figure dans votre mémoire. Tout ce carré était constitué de terres de réserve.

M. Fullerton : C'est bien le cas. La zone blanche représente les terres de réserve.

Le sénateur Campbell : Il ne reste plus rien?

M. Fullerton : Il en reste une partie, les zones rocheuses et les marécages.

Le sénateur Campbell : Il se fait tard.

M. Pratt : Je voudrais parler de la question du sénateur Campbell au sujet de la jurisprudence.

M. Fullerton a raison. L'évaluation des revendications par le ministère de la Justice et le processus d'établissement du bien-fondé, qui est problématique pour les raisons que d'autres témoins ont mentionnées, se fondent sur la jurisprudence. Toute une série d'affaires doit être passée devant les tribunaux, avec les frais que cela implique, pour qu'il soit possible d'établir une jurisprudence définissant les principes juridiques reconnus.

C'est la source de l'un de mes griefs contre le processus de règlement des revendications particulières : aucune jurisprudence, aucun ensemble de précédents n'ont été établis dans le cadre du processus. Je dirais que les leçons tirées des succès et des échecs antérieurs ne sont pas apprises d'une façon uniforme. Les représentants du gouvernement fédéral peuvent parler librement entre eux. S'ils ont obtenu un certain avantage au cours d'une négociation, leurs négociateurs et leurs avocats peuvent se réunir, sans se soucier de confidentialité ou de secret professionnel, pour définir des stratégies et arrêter des approches et des positions.

Les Premières nations ne peuvent pas faire la même chose. Elles ne peuvent que négocier. Elles n'ont pas la possibilité de profiter des avantages obtenus à d'autres tables de négociation. Tout est secret. Nous sommes tenus de signer des ententes de confidentialité qui interdisent de révéler le contenu des négociations.

Le sénateur Campbell : Vous n'avez qu'à ne pas signer.

M. Pratt : Les représentants du gouvernement refuseraient alors de discuter.

Le sénateur Campbell : Étant avocat, signeriez-vous n'importe quelle autre entente en sachant d'avance quelles en seront les conséquences? Il y a une raison pour laquelle les Premières nations s'appellent ainsi. Elles constituent un groupe de nations qui ont toutes une chose en commun : elles se composent des premiers habitants du Canada. Pourquoi n'ont-elles pas la possibilité d'échanger des renseignements avec d'autres organisations ayant la même raison d'être? Les gens d'Affaires indiennes et du Nord Canada peuvent parler à ceux de la Défense nationale, parce que l'administration fédérale forme une grande famille. Tous ces groupes font partie d'une énorme organisation qu'on appelle les Premières nations.

M. Pratt : Nous pouvons discuter de questions générales, mais pas des détails. Par exemple, si M. Fullerton, M. Slavik ou M. Maurice ont réalisé des études pour l'une de leurs revendications, ces revendications sont normalement examinées conjointement par les Premières nations et le gouvernement fédéral.

Je m'écarte un peu de notre sujet, mais je dirais que la partie fédérale ne reçoit pas suffisamment d'argent pour ses propres négociations. Mme Stewart a mentionné, je crois, que son budget annuel est passé de 6 millions à 4 millions de dollars. D'autres fonds, totalisant environ 9 millions de dollars par an, sont attribués aux Premières nations sous forme de prêts pour le financement des négociations.

Le gouvernement fédéral dit qu'il veut procéder à des évaluations et à des études sur la perte de jouissance sur une base conjointe. C'est une bonne chose, mais nous n'avons absolument pas les moyens de contribuer au coût de ces études. Le gouvernement a donc persuadé les Premières nations d'emprunter l'argent nécessaire et de signer des reconnaissances de dette. Les Premières nations sont donc obligées d'emprunter de l'argent au gouvernement fédéral pour payer ses propres obligations puisque la partie fédérale n'a pas assez d'argent pour financer ses évaluations et ses études sur la perte de jouissance.

Cela a pour conséquence — et cela nous ramène à la question du sénateur — que les études commandées conjointement sont confidentielles, les renseignements étant réservés aux parties qui les ont payés. Ainsi, je n'aurais pas le droit de transmettre l'un de mes rapports à M. Fullerton.

Le sénateur Campbell : Qu'arriverait-il si vous le lui transmettiez quand même?

M. Pratt : Je n'ose pas penser aux conséquences.

Le sénateur Campbell : Je comprends bien que vous ne puissiez pas le faire parce que vous vous seriez radié du Barreau. Si vous n'étiez qu'un particulier participant aux négociations, que vous arriverait-il si vous communiquiez l'information?

M. Pratt : Je ne suis pas sûr.

Le sénateur Gill : Dans le même ordre d'idée, je suppose que ceux d'entre vous qui s'occupent des revendications des Premières nations ne peuvent pas former une association. Est-ce exact? Je veux parler des avocats. Il devrait vous être possible de former une association et de vous entraider. Ai-je raison? Existe-t-il actuellement des groupes de ce genre?

M. Pratt : C'est une idée à laquelle je suis sûr que nous avons tous pensé un jour ou l'autre. Si nous n'étions pas tellement occupés, nous aurions pu essayer. Je dois vous dire qu'il est rare que j'aie l'occasion de m'entretenir avec trois collègues. Si nous avions plus de temps, nous pourrions discuter de nos expériences respectives partout dans le pays.

Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas autorisés à communiquer à des collègues une grande partie de ce qui se passe à la table de négociation. De son côté, le gouvernement fédéral n'a pas cette contrainte. C'est encore un autre avantage injuste, à part tout le reste.

Le sénateur Gill : Monsieur Fullerton, vous avez dit que le gouvernement provincial doit participer à la plupart des négociations parce qu'il a souvent quelque chose à voir dans les revendications. N'est-ce pas la responsabilité du gouvernement fédéral de s'occuper des Autochtones et de leurs intérêts? En principe, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est responsable. D'après la Loi sur les Indiens, nous constituons encore une minorité dont quelqu'un doit s'occuper.

M. Fullerton : De nombreuses revendications portent sur des terres. Or le gouvernement fédéral n'en possède pas beaucoup. Les terres du pays appartiennent en majorité aux provinces.

Par exemple, pour la revendication de Michipicoten, nous avons négocié avec le gouvernement de l'Ontario la restitution d'environ 3 000 acres de terres publiques appartenant à la province. Il n'aurait pas été possible d'en discuter avec le gouvernement fédéral.

La Première nation de Michipicoten a vraiment besoin de terres. Après toutes les prises illégales, il ne lui restait presque rien d'autre que des étendues rocheuses et des marécages. Elle a besoin de bonnes terres, qu'elle ne peut obtenir que du gouvernement provincial. Le gouvernement fédéral peut faire beaucoup de son côté, mais, dès qu'il est question de terres, la participation des provinces et des territoires est nécessaire.

Le président : Merci beaucoup. Il est très encourageant d'entendre des témoins qui viennent nous présenter de nouveaux arguments en faveur des mêmes recommandations. Monsieur Pratt, avez-vous dit que vous avez d'autres recommandations à nous transmettre?

M. Pratt : Je suis également très encouragé par la discussion et les interventions des membres du comité. Il n'y a pas de doute que vous avez entendu des témoins ayant de fortes convictions.

J'aimerais beaucoup réunir le produit d'autres réflexions que je pourrais peut-être transmettre par courrier électronique à la greffière du comité. Je m'engage à le faire dans les prochains jours.

Le président : Merci, monsieur Pratt. Je vous remercie également, monsieur Fullerton, monsieur Slavik et monsieur Maurice.

La séance est levée.


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