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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 9 - Témoignages du 1er novembre 2006


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 34, pour étudier en vue d'en faire rapport le processus fédéral de règlement des revendications particuilères.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Bonsoir. J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique, et je suis le président du comité.

Aujourd'hui, notre comité continue son étude spéciale sur les revendications particulières. Le comité entend examiner le processus des revendications particulières du gouvernement du Canada afin de faire des recommandations qui contribueront à résoudre de façon satisfaisante et en temps opportun les griefs des Premières nations à ce sujet.

Comme premier témoin, nous avons le plaisir d'accueillir l'honorable Jim Prentice. Il est accompagné ce soir de M. Michel Roy et de Mme Audrey Stewart. Ils sont, quant à eux, accompagnés de Mme Sylvia Duquette du ministère de la Justice Canada.

Nous vous souhaitons la bienvenue.

Monsieur le ministre, nous savons que vous êtes très occupé. Nous vous remercions de comparaître devant notre comité. Nous avons beaucoup travaillé sur les revendications particulières et attendons vos commentaires avec impatience.

L'honorable Jim Prentice, C.P., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits : D'abord, permettez-moi de vous dire combien je suis heureux d'être ici ce soir. J'aimerais remercier les membres du comité et tous les sénateurs de me donner la possibilité de comparaître devant vous. Je blaguais avec le sénateur Lovelace Nicholas, car j'ai comparu plus tôt cette semaine devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne; nous nous sommes donc rencontrés plus d'une fois cette semaine.

L'analyse que vous avez entreprise, relativement aux revendications particulières, est une démarche extrêmement importante. Je ne sais pas exactement quand vous devez en faire rapport au Sénat et à la Chambre des communes, mais le plus tôt sera le mieux. Je suis très curieux de savoir ce que vous en pensez.

Je vais donc parler du sujet de façon générale pendant quelques minutes, mais je tiens absolument à rester aussi longtemps que possible, afin de répondre aux questions et ainsi avoir l'occasion de discuter un peu de certaines questions importantes qu'il faut aborder.

[Français]

J'aimerais contribuer aujourd'hui au travail du comité. Pour ce faire, je vous ferai part de quelques remarques générales et vous décrirai l'approche du gouvernement à l'égard des revendications particulières. Je m'efforcerai également de répondre à vos questions.

[Traduction]

Comme vous le savez, j'ai siégé à la Commission des revendications des Indiens pendant plus de dix ans, dont environ huit en tant que coprésident de la commission. J'y ai siégé de sa création en juillet 1992 jusqu'en 2002.

Pendant cette période, j'ai eu la chance de présider ou de coprésider des enquêtes menées sur près de 60 revendications territoriales partout au Canada. Dans certains de ces cas, j'ai collaboré avec le sénateur Gill. Cela m'a permis d'acquérir beaucoup de connaissances et d'expérience en la matière et de me passionner pour le processus des revendications particulières et de règlement des revendications.

Depuis que j'occupe mes fonctions actuelles, j'ai renforcé ma conviction que, même si les objectifs fondamentaux du programme des revendications particulières sont louables, le gouvernement du Canada doit faire mieux dans la gestion de ces revendications.

J'ai catégoriquement affirmé, publiquement, mon intention de réformer le processus des revendications particulières afin de veiller à ce qu'il réponde aux besoins des citoyens des Premières nations et des autres Canadiens, et de faire respecter la justice et l'équité dans le règlement des revendications.

En réalité, le fait d'aborder les questions de règlement des revendications particulières est une partie importante de ce qui, pendant l'exercice de mes fonctions de ministre, constituera une nouvelle approche à l'égard des questions autochtones. Je m'engage à adopter des mesures qui régleront l'arriéré actuel de revendications particulières, afin de rendre justice aux revendicateurs et de lever l'incertitude pour les gouvernements, l'industrie et la population non autochtone.

Mes collègues, à la table pourront vous informer de l'arriéré des revendications. Même le terme « arriéré » soulève la discussion. À mon arrivée à la Commission des revendications des Indiens, le nombre de revendications accumulées dans le système du gouvernement du Canada se chiffrait, si je me rappelle bien, probablement à entre 200 et 300, mais à moins de 300. Au cours des quinze dernières années, le nombre de revendications a augmenté à plus de 800 dans le système fédéral. Cette situation est inacceptable et il faut agir; c'est ce que j'ai l'intention de faire.

J'ai longtemps plaidé en faveur de la modernisation du processus actuel de règlement des revendications particulières; quand j'étais dans l'opposition, en tant que membre du Comité sénatorial permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, j'ai proposé la mise sur pied d'une enquête sur cet arriéré de revendications particulières. Le comité parlementaire n'a pas fait progresser l'enquête très rapidement. Ce comité n'a pas été en mesure de faire une analyse aussi détaillée que la vôtre.

J'ai déjà dit, à maintes reprises, qu'il faut modifier le traitement des revendications particulières et je vais encore une fois le réitérer.

[Français]

Les revendications particulières concernent les griefs passés des Premières nations. Elles ont rapport aux obligations légales du Canada envers les Premières nations, en regard des dettes dont il est responsable et qu'il doit régler. Le principal objectif du programme est de permettre au Canada de remplir ses engagements et de payer ses dettes.

[Traduction]

Il s'agit de dettes du gouvernement du Canada. C'est la seule explication possible. S'il y a une obligation légale en suspens à l'égard des Premières nations, le gouvernement du Canada doit s'occuper de ces dettes. Je pense qu'on peut affirmer, sans se tromper, et je crois que vous le savez, que dans de nombreux cas il s'agit de griefs historiques qui remontent à loin dans l'histoire canadienne; je pense, plus particulièrement, à la période plus sombre qui, grosso modo, s'étend de 1910 à 1950, pendant laquelle des gouvernements successifs ont, à maintes reprises, manqué à leurs obligations foncières à l'égard des citoyens des Premières nations et commis des irrégularités à propos des terres et de l'argent.

Dans le cadre du règlement des revendications, le Canada doit se pencher sur les faits, afin d'évaluer s'il fait face à une obligation légale envers les Premières nations. Lorsqu'il est établi qu'une telle obligation existe, le Canada et la Première nation concernée tentent de négocier un règlement qui indemnise cette dernière équitablement et clôt la question une fois pour toutes. La négociation est le modèle de résolution privilégié. On peut toujours avoir recours aux tribunaux. Le processus de règlement des revendications particulières, tel qu'il a été envisagé dans les années 1980, proposait vraiment une solution de rechange aux procédures judiciaires.

Vous vous rendrez compte que, au fil des années, d'autres modèles de règlement des revendications particulières ont été proposés. Je pourrais vous parler d'un projet de loi présenté à la Chambre des communes par le gouvernement de Diefenbaker relativement à la création d'une Commission sur les revendications particulières des Indiens, en 1961, si ma mémoire est bonne. Depuis ce temps, l'Association du Barreau canadien a misé sur d'autres solutions pour résoudre la question. L'Assemblée des Premières nations a proposé, à de nombreuses reprises, différents modèles de règlement des revendications.

Le processus actuel a avant tout été défini dans les années 1980, par le gouvernement du Canada, en vertu de la politique sur les dossiers en souffrance en matière de revendications particulières.

Le programme s'appuie sur un principe fondamental, à savoir que le meilleur moyen de régler ces revendications est la négociation; en fait, le programme a vraiment été créé comme modèle de règlement extrajudiciaire afin d'éviter aux Premières nations d'avoir à passer par les tribunaux.

[Français]

Les règlements négociés, en revanche, sont élaborés grâce au déploiement des efforts concertés des parties. La collaboration peut consolider les liens, et la négociation de règlements est plus susceptible de répondre aux intérêts des deux parties. La négociation donne lieu à des solutions gagnantes pour tous et permet de consacrer des ressources importantes à la collectivité plutôt qu'aux tribunaux.

[Traduction]

Contrairement aux recours judiciaires, les règlements négociés sont élaborés grâce au déploiement d'efforts concertés des parties dans le cadre d'un processus de collaboration qui, selon ce que j'ai pu constater au fil des ans, consolide sans aucun doute les liens. Les règlements négociés sont la meilleure façon de faire pour établir des relations, atteindre des objectifs de développement économique et ainsi de suite. Ces règlements peuvent, à coup sûr, donner lieu à des solutions gagnantes.

Toutefois, lorsque le processus de négociation n'aboutit pas, nous sommes forcés de nous tourner vers des solutions et un système équitables, justes et qui permettent de traiter rapidement ces revendications. Aujourd'hui, probablement très peu de gens diraient que ce processus existe.

L'objectif et les principes fondamentaux du programme sont solides. Je crois que les critères invoqués dans la politique elle-même, soit les obligations légales non réglées, sont appropriés. Ils devraient être la mesure au moyen de laquelle le Canada régit ses obligations. C'est certainement fort probablement une mesure directe et simple qui nous a aidés par le passé à régler les revendications.

Le système subit d'énormes pressions, cela est indéniable. Le nombre de revendications a doublé depuis 1993 et le système est paralysé par un important arriéré qui ne fait qu'augmenter. Le contexte juridique a considérablement compliqué les choses, et on peut affirmer sans se tromper que, pour toutes les parties qui prennent part à ces revendications, y compris pour le gouvernement du Canada, il est difficile de répondre aux exigences concernant les analyses et les opinions juridiques ainsi que les évaluations des faits.

À mon avis, l'état actuel des choses est imputable à un certain nombre de facteurs. D'abord, le processus en soi, utilisé pour régler ces revendications, n'a pas vraiment changé depuis 1991 ni évolué au rythme des nouvelles tendances en matière de résolution des différends.

Ainsi, nous avons reçu toutes sortes de revendications, des revendications simples et courantes — si on peut utiliser ce terme —, mais aussi d'autres, très compliquées. Peu importe leur nature, les revendications sont toutes assujetties aux mêmes analyses et examens. Autrement dit, une revendication de moins d'un million de dollars est traitée de la même façon que celle qui dépasse 100 millions de dollars.

En outre, en tant qu'ancien membre de la Commission des revendications des Indiens, je peux vous affirmer qu'en 1991, nous nous attendions, à coup sûr, à ce que la Commission des revendications des Indiens — appelée à l'origine Commission des revendications particulières des Indiens — évoluer dans le cadre d'un processus constitutionnel, si vous voulez, pour devenir un véritable organisme de règlement des revendications. Encore une fois, pour des raisons dont on peut discuter, cela ne s'est pas passé de cette façon. Voilà qui mérite d'être discuté.

De plus, les ressources affectées aux revendications particulières dans les années 1990 ont été réduites à la suite de l'examen du programme et d'autres initiatives semblables au milieu des années 1990. En conséquence, on a manqué de personnel pour examiner les revendications et entreprendre des négociations. Honnêtement, une revendication peut littéralement rester en suspens pendant des années, en attendant qu'un avocat soit désigné pour faire une évaluation juridique, et avant qu'une Première nation sache si oui ou non le gouvernement du Canada accepte d'engager des négociations. J'ai connaissance de cas, qui remontent à l'époque où je n'étais pas encore ministre, où des Premières nations ont présenté une revendication et où il a fallu jusqu'à sept ans avant que le gouvernement du Canada réponde qu'un avocat avait été chargé du dossier, qu'il l'avait examiné et qu'il pouvait donner son opinion au nom du gouvernement du Canada.

C'est tout simplement inacceptable.

[Français]

C'est également au cours de cette période que le gouvernement a tenté de mettre sur pied une nouvelle institution chargée de redonner un sens au programme de revendications particulières.

Comme nous le savons tous, la Loi sur le règlement des revendications particulières a été adoptée en 2003, mais n'a pas été mise en œuvre parce qu'elle n'a pas l'appui des Premières nations et qu'elle serait, par conséquent, complètement inefficace comme mécanisme de règlement des différends.

[Traduction]

Plus particulièrement le projet de loi C-6, sur lequel s'était penché le gouvernement précédent, a été adopté par la Chambre des communes, mais n'a jamais été promulgué. Aux yeux de l'Assemblée des Premières nations, il ne fait pas de doute que le projet de loi C-6 est une mesure législative fondamentalement imparfaite.

Peu de temps après mon accession au poste de ministre, j'ai discuté de cette question avec le chef national Phil Fontaine qui ne mâche pas ses mots à ce sujet. Je suppose qu'il comparaîtra devant vous. J'espère vraiment qu'il le fera.

Je lui ai confirmé que, en tant que nouveau ministre, j'avais moi aussi l'impression que le projet de loi C-6 était imparfait et que je ne l'appliquerais pas unilatéralement. Il devrait ou bien être remplacé par une autre mesure législative ou, à tout le moins, être modifié afin qu'il rende possible la mise sur pied d'un système équitable, juste, intègre et crédible aux yeux des citoyens des Premières nations et des Canadiens.

Je ne suis probablement pas la personne la mieux placée pour revoir en détail l'histoire tortueuse du projet de loi C- 6; d'autres peuvent mieux le faire que moi.

À long terme, je crois que nous devrons réexaminer notre approche globale du règlement des griefs des Autochtones, la structure et la finalité d'institutions comme la Commission des revendications des Indiens ainsi que le mandat de la commission afin de savoir s'il est suffisamment étendu pour faire avancer le règlement des revendications de façon utile.

Étant donné que, les revendications particulières visent souvent de multiples groupes, comme des ministères et organismes fédéraux, des provinces et des territoires, nous devons veiller à ce que le processus facilite la participation de ces intervenants.

Précédemment, des témoins ont présenté des propositions intéressantes concernant des changements à long terme. Nous devons examiner ces questions.

Par ailleurs, mon ministère et le ministère de la Justice Canada devant nous attaquer sans délai au problème pratique dont nous sommes responsables, à savoir l'énorme arriéré qui sape la crédibilité de l'engagement pris par le gouvernement concernant le règlement de ces questions. Je peux vous affirmer que cela aggrave énormément la frustration des Premières nations. Simplement recourir aux tribunaux n'est pas vraiment la solution appropriée.

[Français]

Je suis convaincu que le traitement des revendications particulières devrait et peut être un exemple d'excellence pour le gouvernement. Pour réaliser cet objectif, je pense que nous devrons approfondir certaines des méthodes et pratiques en vigueur. L'augmentation des ressources publiques réservées au traitement des revendications particulières fait certes partie de la réponse, mais il est trop tôt pour dire quelle sera la quantité nécessaire de ressources et à quoi celles-ci seront consacrées.

[Traduction]

J'encourage le comité à tenir compte de plusieurs enjeux plus vastes. Bien qu'il soit important de prendre immédiatement des mesures pour gérer l'arriéré de revendications particulières — ce que je suis déterminé à faire —, nous devons aussi, j'ai l'impression, déterminer ce que devrait être la stratégie à long terme pour régler les revendications particulières au Canada. Cela peut comprendre une politique à longue portée et des changements institutionnels afin d'obtenir des résultats concrets qui permettront aux Premières nations de profiter des possibilités qui leur sont offertes en tant que Canadiens.

Je tiens ces propos parce que mon intention d'accélérer le rythme auquel le gouvernement du Canada règle les revendications n'a pas comme seul but le désir de créer un système gouvernemental plus efficace. Ce qui m'anime, c'est que l'idée que des revendications réglées non seulement apportent une solution à des griefs de longue date, mais permettent également d'améliorer de façon tangible et durable la vie des Premières nations.

Il y a de nombreux cas, dont vous avez peut-être entendu parler, où les règlements des revendications particulières aident vraiment les gens à progresser. Ils procurent des possibilités économiques aux Premières nations et ont également un rôle très important à jouer en ce qui touche le règlement de griefs historiques.

Voilà de nombreuses raisons qui justifient l'importance du travail de ce comité et qui expliquent pourquoi je tiens à connaître vos idées et vos conseils. Le système, comme je l'ai dit, doit être modifié et réformé de toute urgence. J'attends vos recommandations avec impatience.

Si vous me permettez, monsieur le président, je crois que, dans le cadre de votre examen, vous ne devez pas hésiter à revoir une grande partie du travail qui a déjà été accompli. Le travail de la commission a auparavant été fait non seulement par la Commission des revendications des Indiens, mais également par l'Association du Barreau canadien et d'autres commentateurs indépendants, lesquels ont examiné cette question et ont posé quelques questions très difficiles.

En fin de compte, l'incapacité du précédent gouvernement du Canada et des Premières nations à conclure une entente à l'égard du projet de loi C-6 demeure intrinsèque à certaines de ces questions difficiles. Voici quelques-unes des questions posées : Est-ce que le gouvernement du Canada se trouve dans un conflit d'intérêts inhérent en statuant sur ces revendications? Quelle doit être l'indépendance de cet organisme par rapport au gouvernement du Canada, pour qu'il ait la crédibilité nécessaire? Comment les personnes qui siègent à cet organisme doivent-elles être sélectionnées? Que devraient être le rôle et la responsabilité du gouvernement du Canada dans le processus? Est-ce que le gouvernement du Canada devrait prendre le rôle du défendeur, si vous voulez, dans la revendication? Devrait-il participer à la prise de décisions? Doit-il fournir les fonds?

Toutes les questions qui précèdent sont fondamentales. Honnêtement, il s'agit de questions qui tournent autour de ce problème depuis plus de 50 ans au Canada. J'attends vos commentaires afin d'aller au fond de ces questions.

Le président : Merci. Les attentes sont élevées quant aux résultats de votre ministère. Mais je ne me fais pas de soucis. Après dix ans à la Commission des revendications des Indiens, vous apportez nécessairement une expérience unique à ce ministère.

D'autres personnes ici, comme le sénateur Gill, avec qui vous avez déjà travaillé, pensent aussi que, si nous pouvons proposer un rapport opportun et explicite, avec un peu de chance, vous pourrez y donner suite. J'ai déjà été membre du Cabinet et je connais les défis auxquels vous devez faire face en tant que ministre. Nous sommes convaincus que vous êtes en mesure d'atteindre ces objectifs.

Il y a une tendance qui se développe, sur laquelle je ne m'attarderai pas, parce que j'aimerais donner aux sénateurs la chance de poser des questions. Cependant, nous fonctionnons d'une façon très neutre. Les membres de ce comité, je peux vous le garantir, veulent vraiment obtenir des résultats et ne cherchent aucunement à gagner des faveurs politiques.

Le sénateur Sibbeston : Merci de comparaître devant notre comité. Je reconnais votre expérience.

Honnêtement, je ne connais personne d'autre qui ait eu au cours des dernières décennies plus d'expérience que vous pour occuper le poste de ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. De toute évidence, votre expérience des dix dernières années à la Commission des revendications des Indiens, dont huit en tant que coprésident, vous place dans une très bonne position. Maintenant, en tant que ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et de président de divers comités, vous êtes haut placé dans l'appareil gouvernemental.

Si on avait la possibilité de faire quelque chose de particulier relativement à un problème auquel nous sommes confrontés, vous en avez la capacité et il y va de notre intérêt.

Je vous félicite de votre allocution de ce soir. Elle était intéressante. Comme vous le dites, vous vous attaquez à la question en connaissance de cause et avec passion.

Une solution simple consiste à mobiliser plus de ressources pour s'attaquer au problème, car le retard est considérable. Le processus se déroule à l'interne, au sein des Affaires indiennes et du Nord Canada, en collaboration avec le ministère de la Justice qui a lui aussi un rôle à jouer. Parmi les 629 revendications particulières qui font l'objet d'un examen, plus de la moitié sont bloquées au ministère de la Justice; elles y resteront jusqu'à ce qu'on les ait analysées et étudiées de façon minutieuse, afin de vérifier si elles sont valides ou non.

S'agit-il tout simplement de fournir plus de ressources, de personnel et d'experts, afin d'accélérer le processus? Nous avons entendu plusieurs experts et personnes expérimentées, travaillant dans le secteur des revendications particulières — des gens du Manitoba et de la Saskatchewan, et une personne du Québec, la semaine dernière — qui affirment qu'il s'agit d'un processus interne. Les membres des Premières nations se présentent devant le gouvernement fédéral, à qui revient ultimement la décision, pour quémander. Les Autochtones sont nettement désavantagés, puisqu'il ne s'agit pas d'un processus indépendant.

Des témoins affirment qu'il nous faut un organisme indépendant. Devrions-nous prendre ce virage? En 2003, nous avons étudié la Loi sur le règlement des revendications particulières. Je suis certain que vous êtes au courant. L'Assemblée des Premières nations et d'autres organisations ont travaillé conjointement avec le gouvernement fédéral afin de mettre sur pied une commission d'étude, dont la Loi sur le règlement des revendications particulières de 2003 est, en partie, le résultat. Nous avons examiné ce projet de loi et nous avons également entendu dire que les membres de la commission d'étude trouvaient que le projet de loi était lacunaire.

Par contre, à titre de comité, nous l'avons finalement adopté. Nous avons cru que l'approche préconisée par la loi améliorerait progressivement le système des revendications particulières. Nous avons amélioré le projet de loi autant que nous pouvions le faire et l'avons adopté; depuis ce temps, il est depuis bloqué au gouvernement. La loi n'a pas été promulguée.

Évidemment, nous recueillerons d'autres témoignages et, en dernier ressort, nous prendrons des décisions, et nous vous ferons des recommandations quant à ce qui peut être fait à ce sujet. Êtes-vous prêt à recevoir des réponses finales, ou seriez-vous satisfait de quelque chose de moindre?

M. Prentice : Vous avez été très gentil dans votre exposé et je croyais que le pot viendrait. C'est une question très juste.

Pendant que je siégeais à la Commission des revendications des Indiens, j'ai appris que la commission en soi, en tant qu'exemple de progrès sur le plan constitutionnel, était un important pas vers l'avant. Il s'agissait d'une des seules améliorations au pays après les évènements d'Oka. Il y avait un plafond invisible auquel elle s'est butée très rapidement.

La Commission des revendications des Indiens a prouvé la valeur d'une responsabilité décisionnelle indépendante. C'était une étape parmi tant d'autres. La commission était en quelque sorte un essai, mais elle a démontré sa valeur, surtout au cours des premières années. Elle a été en mesure de réaliser des examens dans les collectivités autochtones, acquérant ainsi une expertise de très haut calibre, en plus d'asseoir sa crédibilité et son intégrité auprès des membres des Premières nations. C'est très important car il s'agit du problème inhérent au projet de loi C-6 : si les collectivités des Premières nations ne croient pas en l'intégrité du processus, il ne fonctionnera pas. Le processus de règlement des revendications particulières est une solution de rechange aux procédures judiciaires. S'il est mal équilibré ou partial, les Premières nations n'y feront pas confiance et ils ne s'en serviront pas. L'alternative sera le recours aux tribunaux et le mécontentement.

Le problème est que nous ne sommes pas allés au-delà de la version de 1992 de la Commission des revendications des Indiens et que nous n'avons pas déterminé ce à quoi elle devait ressembler. Vous, en tant que sénateurs, êtes bien placés pour poser ces questions très importantes : Quelles doivent être les fonctions d'un organisme indépendant? Quel degré d'indépendance devrait-il avoir? S'il est indépendant, comment décidons-nous quelles personnes doivent l'administrer? Quels paramètres financiers le régiront?

Nous sommes rapidement confrontés à la difficulté que posent les rôles multiples que le gouvernement fédéral joue actuellement dans ce processus : le gouvernement est l'organisme responsable de la revendication, celui qui sollicite les opinions juridiques, qui traite la demande de financement des Premières nations afin qu'elles puissent faire leurs recherches, et qui choisit les commissaires de la Commission des revendications des Indiens.

En bout de ligne, c'est le ministre qui statue sur la revendication. Chacun sait que depuis 50 ans des voix s'élèvent pour remettre en doute l'efficacité d'une telle formule. Vous êtes les mieux placés pour examiner certaines des opinions érudites qui ont été émises sur le sujet et proposer des recommandations.

Un équilibrage des intérêts en jeu, voilà pratiquement ce qui est nécessaire pour faire fonctionner ce système. Il est également nécessaire d'établir des paramètres financiers. Il faut une institution et un système qui protège à la fois les intérêts des membres des Premières nations et des autres Canadiens.

Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question, mais je vois que vous êtes sur la bonne piste.

Le sénateur Sibbeston : Êtes-vous totalement ouvert aux solutions qui vont, une fois pour toutes, régler l'arriéré et les revendications particulières, en favorisant la mise en place d'un organisme autonome, sans lien de dépendance avec le gouvernement et qui peut prendre des décisions finales?

M. Prentice : Il ne s'agit pas de ma décision personnelle. Je suis ouvert à toutes les suggestions.

Le sénateur Hubley : En tant que comité sénatorial, nous n'avons pas l'habitude de lancer des fleurs, cependant je voudrais faire écho aux commentaires du sénateur Sibbeston qui a souligné que, en général, nos témoins ont une grande confiance en vous et en vos compétences comme ministre.

Votre exposé a certainement fait la lumière sur de nombreuses questions soulevées par nos témoins et décrites tout au long de nos audiences. Certains d'entre eux ont également proposé des solutions. Une commission ou un tribunal des revendications indépendant semble être un thème récurrent pour beaucoup de nos témoins. Les gens pourraient, en effet, espérer que ce sera la solution. Bien que nous ne sachions pas exactement à quoi ressemblera cet organisme, comme vous l'avez dit, pour le mentionner dans notre rapport, nous devrons nous pencher sur la question car il s'agit d'un thème récurrent.

On a signalé que le Canada a l'obligation morale et légale de régler ces revendications. Il s'agit de l'argument de base. Il nous a été suggéré qu'un nouveau ministère puisse être créé uniquement pour régler les revendications particulières des Premières nations. Je ne veux pas soulever trop de questions à la fois, mais j'aimerais que vous nous disiez si cette solution permettrait d'accélérer le processus, assurerait une meilleure représentation et des négociations plus efficaces pour les Premières nations ou les personnes concernées.

Nous avons souvent entendu que le gouvernement du Canada était en conflit d'intérêts. On nous a également parlé du financement. Comme vous le savez, les revendications sont passées de 200 à 300, puis à 800 actuellement. Le financement a-t-il augmenté proportionnellement et permet-il de traiter toutes ces revendications?

M. Prentice : Vous me posez en effet plusieurs questions. Je vous remercie pour les fleurs, je n'en avais pas encore beaucoup reçues aujourd'hui.

Pour revenir à la question du sénateur Sibbeston, nous devons garder l'esprit ouvert sur ce point. Les Canadiens sont reconnus pour leur sens du compromis, leur créativité et leur bon sens. Dans la mesure où les revendications sont légitimes, le peuple canadien a véritablement des obligations morales et légales envers les Premières nations.

Je ne prétends pas que toutes les revendications présentées sont fondées. Le système doit pouvoir déterminer plus rapidement quelles revendications ne sont pas justifiées et les éliminer du processus, car elles absorbent des ressources qui devraient être affectés aux revendications fondées. Si vous examinez l'historique de la Commission des revendications des Indiens, vous constaterez que le nombre de requêtes refusées est assez élevé. Le système doit posséder cette capacité.

En ce qui a trait à vos observations sur les ressources et sur la façon dont elles doivent être gérées, je crois que nous ne devrions pas trop nous concentrer sur le ministère qui devrait s'en occuper au sein du gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada a la responsabilité, entre autres, d'exprimer la position de la population canadienne à propos de ces revendications, d'agir en tant que défendeur — je n'aime pas ce terme, mais essentiellement, de défendre les mesures prises par le gouvernement du Canada.

Dans tous les scénarios, le gouvernement du Canada doit être un centre d'excellence. Il doit pouvoir s'appuyer sur des avocats et des intervenants efficaces. Il a besoin d'une présence institutionnelle influente pour agir comme défendeur, laquelle doit bénéficier de ressources et d'une administration adéquates. Vous voudrez peut-être suggérer un ministère précis, mais je ne crois pas que ce soit, fondamentalement, le point le plus important.

La question la plus préoccupante, tel que vous l'avez mentionné, est celle qui entoure le règlement des conflits et le statut d'indépendance de l'organisme. Le point critique est que le système requiert un organisme indépendant du gouvernement, à un certain degré, afin de mesurer et de suivre les progrès, de faire avancer le processus et de réconcilier les parties.

Le sénateur Hubley : À quand remonte la dernière fois où l'on vous a posé une question concernant une revendication territoriale à la Chambre des communes?

M. Prentice : Cet après-midi, mais je ne comprends pas exactement le but de votre question.

Le sénateur Hubley : Justement. Je me demande à quel point cela est important pour les Canadiens. À quel point le fait que nous étudions des revendications territoriales est-il important pour le peuple canadien?

M. Prentice : Je crois que c'est très important. Des situations très controversés ont lieu dans notre pays, comme par exemple à Caledonia, et ceci touche l'opinion publique, autant dans un sens que dans l'autre. Je crois qu'en général, il règne au Canada le sentiment profond que les griefs historiques fondés doivent être réglés.

Le processus fonctionne sans être soumis à l'examen public, si vous voulez, sans l'intervention de nombreuses personnes, à l'exception des parties qui sont directement concernées par le conflit. Très peu de questions sont posées à la Chambre des communes, car je crois que même les parlementaires sont nombreux à ne pas savoir grand-chose sur les revendications particulières.

Le sénateur Dyck : Vous avez clairement indiqué dans votre exposé que les besoins sont critiques à court terme et qu'il faut des solutions à plus long terme à l'égard des revendications territoriales particulières. Vous avez également mentionné que des coupures de personnel ont eu lieu au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien au cours des années 1990. Ma question est la suivante : croyez-vous qu'en augmentant les ressources, vous arriverez réellement à rattraper le retard dans le traitement des revendications? L'importance des coupures pendant les années 1990 est-elle responsable du ralentissement, en supposant que le ralentissement ait été plus prononcé après les compressions budgétaires?

M. Prentice : Je suis heureux de vous remettre ceci. C'est un diagramme illustrant l'augmentation des arriérés. Il montre que la courbe monte de façon presque exponentielle, depuis environ 1991-1993.

Je vais certainement m'assurer que mon ministère dispose des ressources humaines nécessaires pour s'acquitter de la tâche. Vous devez maintenant réfléchir au but de votre étude qui est d'évaluer si le système fonctionne adéquatement.

Je suis prêt à résoudre les problèmes de ressources mais la question demeure : comment le système fonctionnera-t-il? Les attentes sont élevées, comme l'a dit le président. Les gens savent que je me suis occupé de la question dans le passé et que je comprends la situation.

Il m'est difficile d'aller rencontrer une collectivité ou un chef autochtone qui n'a pas à présenter une revendication particulière qu'il voudrait voir aboutir. La gestion des arriérés est un défi considérable.

Le sénateur Dyck : Croyez-vous que nous pouvons nous servir du projet de loi C-6 pour élaborer une entente avec les diverses Premières nations ou l'Assemblée des Premières nations, afin de créer cet organisme indépendant nécessaire à la mise en œuvre de la stratégie à long terme? Peut-on le modifier de façon acceptable?

Est-ce une démarche souhaitable ou serait-il mieux de repartir à neuf, soit initier une nouvelle série de consultations et concevoir un autre mécanisme pour créer cet organisme indépendant?

M. Prentice : Votre question est pertinente. Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour y répondre. Je vous suggère d'en discuter avec les avocats du ministère de la Justice qui ont rédigé le projet de loi C-6.

Je suis d'accord avec les deux propositions. Si le projet de loi C-6 peut être amendé dans un délai raisonnable, je serai satisfait de cette option. Si l'alternative est un tout nouveau cadre législatif, je serai prêt à suivre cette voie également.

Je suis inquiet, toutefois, du temps que le processus prendra. L'élaboration du projet de loi C-6, qui s'est révélé un échec, s'est échelonnée sur cinq à six ans. À la vitesse où ces revendications s'accumulent, nous ne disposons pas de cinq à six ans pour reprendre les mêmes discussions. Nous avons besoin de mesures concrètes rapidement pour commencer à travailler de façon efficace.

Le sénateur Dyck : Par souci de clarté, lorsque vous avez dit que vous étiez inquiet du temps que le processus prendra, faisiez-vous référence au temps que prendra la rédaction d'un nouveau projet de loi?

M. Prentice : Oui.

[Français]

Le sénateur Gill : J'aimerais saluer quelques commissaires de la commission qui sont présents ici ce soir — certains sont nouveaux — et plus particulièrement Anne Chamas qui travaillé pour la Commission et que Monsieur le ministre connaît.

On a beaucoup discuté des commissions et des résultats de la Commission et de nos frustrations au moment où vous étiez commissaire. C'est difficile de poser des questions sur des choses qui n'ont pas déjà été touchées ou discutées ou qui n'ont pas fait l'objet de frustration pendant les quelques années où vous avez été commissaire.

Je toucherai deux choses. On sait que le processus dans lequel les réclamations doivent être acheminées est souvent très long et sans issus, sans résultat.

Je me souviens qu'on disait que la formule utilisée à l'époque n'était pas adaptée à nos besoins. On critiquait — peut-être ne l'avez-vous pas fait mais moi je l'ai fait — le ministère de la Justice du Canada, qui prenait énormément de temps, et celui des Affaires indiennes qui n'aboutissait pas. Les budgets étaient très limités également.

Il faut insister sur un point, à savoir que peu importe la formule qu'on trouvera, il faudra que ce soit fait par les Autochtones et par les Premières nations eux-mêmes. Ils doivent être impliqués directement dans le processus des revendications.

À quel niveau? Je ne le sais pas. Mais cela prend certainement une formule qui permette une organisation indépendante pour traiter les réclamations, et qui serait composée de gens des Premières nations et d'autres personnes également.

Deuxièmement, je me souviens qu'un des handicaps que nous avions était que nous étions freinés par les budgets existants à l'époque. J'avais l'impression que le ministère et les gens responsables ne souhaitaient pas que le processus avance trop vite concernant les revendications, parce que les budgets étaient limités.

Il faudrait évaluer, en gros, les sommes d'argent impliquées dans les revendications territoriales présentement sur la table et celles qui le seront éventuellement, et faire en sorte qu'il y ait des règlements le plus vite possible.

Financièrement, cela ne veut pas dire régler sur-le-champ toutes ces revendications, mais il est important que les groupes ayant fait des réclamations ou devant faire des réclamations sachent qu'elles sont reçues ou recevables, qu'elles sont quantifiées, qu'il y a eu des ententes et que l'argent, éventuellement, sera versé.

C'est comme n'importe quel autre règlement auquel on peut arriver ou comme pour n'importe quel conflit. Lorsqu'on parle de réclamations pour des revendications territoriales, les gens voient cela très gros et on fait peur à tout le monde.

Mais ce serait bien si on réussissait à quantifier les réclamations et les montants impliqués et qu'on en arrivait à des ententes, afin de procéder avec le règlement de ces ententes.

Croyez-vous cela possible?

M. Prentice : J'apprécie votre question. Avec votre permission, je m'exprimerai en anglais.

[Traduction]

Vous avez soulevé de nombreux points, sénateur Gill. Vous et moi avons travaillé ensemble à la Commission des revendications des Indiens en tant que collègues et amis et je crois que nous avons appris beaucoup l'un de l'autre pendant ces années. Nous avons vécu à peu près les mêmes expériences.

Il est possible de quantifier les revendications accumulées et je crois qu'il pourrait être important que vous fassiez une recommandation à ce sujet. Peut-être qu'il faudrait quantifier ces revendications afin que leur nombre total soit connu et rappelé aux Canadiens sur une base régulière, pour qu'ils aient une idée de l'ampleur des obligations légales non acquittées liées aux revendications particulières. Vous avez raison de dire que nous devons travailler de façon efficace et ordonnée.

Vous avez parlé des frustrations liées aux étapes du processus de règlement des revendications. Je crois pourtant que nous sommes tous les deux d'accord que, dans bien des cas, le processus fonctionnait bien et que la commission a bien représenté le gouvernement du Canada tout en aidant les Premières nations à obtenir gain de cause. De nombreuses revendications ont été réglées grâce à ce processus, donc nous savons qu'il peut fonctionner.

Le défi était de gérer le volume de revendications. Je n'affirme pas catégoriquement que les coupures de ressources effectuées dans les années 1990 sont la cause de l'accumulation, mais il est certain qu'au moment où le nombre de revendications n'arrêtait de grossir, les ressources disponibles diminuaient. Nous en voyons maintenant les conséquences.

Nous avons tous les deux compris que la difficulté associée au système actuel de règlement des revendications était que la commission était structurée tel un groupe de travail de médiation et qu'un jour, cette approche de médiation ne fonctionnerait plus et que les parties ne pourraient conclure un accord. Même avec l'aide de la commission, il n'y aurait aucune décision exécutoire, car la commission ne disposait pas d'un pouvoir de décision exécutoire et les parties n'accepteraient pas une solution d'arbitrage.

Quel que soit l'organisme indépendant chargé de ce travail, s'il jouit d'une bonne crédibilité et fonctionne adéquatement pour les deux parties, il doit avoir la capacité de prendre des décisions acceptables par les deux parties. Il peut être nécessaire, avant le début du processus, que le gouvernement du Canada et les Premières nations s'engagent à accepter la décision de l'organisme indépendant. Présentement, l'organisme indépendant n'a pas l'autorité de prendre des décisions et, par conséquent, une revendication pourrait passer par toutes les étapes du processus pendant des dizaines d'années, ne pas être résolue puis devoir être soumise aux tribunaux.

Retournons aux questions fondamentales sur la structure de l'organisme et ses responsabilités : devrait-il être uniquement un organisme de médiation, ou un organisme d'arbitrage exécutoire ou encore une entité autorisée à prendre des décisions que les parties doivent accepter?

Le sénateur Peterson : Nous avons tenté de connaître la dette à laquelle le pays pourrait être confronté. Il serait bon d'avoir les chiffres à ce sujet pour avoir un point de repère.

Sachant que ce nombre est élevé, tenter de traiter toutes les revendications simultanément est presque impossible. Certaines revendications particulières ont été identifiées, ont fait l'objet d'un accord, ont été quantifiées mais non réglées. Votre ministère pourrait-il, au début du processus, régler quelques-unes des revendications particulières qui ont fait l'objet d'un accord en obtenant 1 milliard de dollars du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada? Ne serait-ce pas une bonne façon de faire des progrès? Les Premières nations constateraient que les choses bougent, que nous avons entrepris d'en arriver à une conclusion.

M. Prentice : La façon dont le processus fonctionne est que la revendication doit d'abord faire l'objet d'une évaluation déterminant si elle constitue une obligation légale non réglée, pour la valider en quelque sorte. C'est l'étape du processus qui exige le plus de temps. Des opinions juridiques et des examens approfondis du ministère de la Justice sont sollicités sur toutes les revendications dès leur réception.

Le programme est organisé comme suit : une revendication est soumise au gouvernement du Canada, celui-ci sollicite un avis juridique pour déterminer s'il s'agit d'une obligation légale non réglée. La réponse positive ou négative est donnée parfois à l'intérieur d'un an, parfois au bout de dix ans. Le processus de quantification de la revendication s'effectue beaucoup plus tard.

Je ne crois pas qu'il soit réaliste pour le gouvernement du Canada d'accepter les revendications en disant : « Votre revendication a été évaluée à 10 millions de dollars et nous allons honorer votre demande. » En réalité, la valeur de la revendication n'est déterminée que beaucoup plus tard.

Cela ne veut pas dire que le gouvernement du Canada, dans la mesure du possible, ne peut déclarer que la responsabilité totale représentant les revendications particulières s'élève à X milliards de dollars. C'est ce que je recommanderais; mais nous sommes toujours confrontés au problème de la validation, qui est suivi par une série de négociations, avant d'arriver à un montant.

Le sénateur Peterson : Avez-vous des revendications pour lesquelles un montant a été fixé mais qui n'a pas été payé?

M. Prentice : Pas à ma connaissance.

Le sénateur Peterson : Alors prenez le milliard de dollars et allouez-le à des ressources supplémentaires pour accélérer le traitement des revendications. Sinon, nous n'y arriverons jamais.

M. Prentice : Vous voulez dire qu'autrement, nous n'arriverons pas à rattraper le retard. Pour ma part, lorsque je parle de l'accumulation des revendications, je n'en ai aucune à l'esprit pour laquelle le gouvernement du Canada a négocié une entente, sans trouver l'argent nécessaire pour la résoudre. Nous sommes dans une impasse. Le système en place, qui est censé être une alternative aux procédures judiciaires, compte au-delà de 800 revendications non réglées.

Le sénateur Gustafson : Monsieur le ministre, compte tenu de votre expérience, la question de responsabilités fédérales-provinciales au nom du gouvernement constitue-t-elle un problème majeur? J'ai exercé mes fonctions sur un territoire regroupant cinq réserves et bien que certaines ententes aient été conclues, les municipalités ont été confrontées au problème de ne pas savoir quel gouvernement était responsable de telle ou telle question. Est-ce un problème majeur à votre avis?

M. Prentice : Je ne crois pas que ce fait contribue au retard de traitement des revendications, mais nous devrions continuer à nous en préoccuper.

Le gouvernement est, en réalité, aux prises avec deux défis. La majorité des revendications représentent une obligation légale non réglée qui est la responsabilité du gouvernement du Canada envers une Première nation. Le gouvernement provincial peut y participer ou non. Par exemple, une revendication relative aux droits fonciers issus des traités en Alberta, où la bande affirme que l'obligation légale non réglée est liée au fait qu'elle n'a pas reçu la superficie de terres promise conformément au traité signé, exigera l'intervention du gouvernement de l'Alberta parce que celui-ci est propriétaire des terres publiques et que le gouvernement fédéral fera appel à lui pour régler les revendications territoriales. Par définition, le gouvernement provincial est appelé à la table de négociation.

D'autres griefs, qui n'impliquent aucune province, opposent strictement une Première nation au gouvernement du Canada. De plus en plus, les revendications les plus ardues — particulièrement dans les régions visées par les traités numérotés dans les Prairies — nécessitent l'intervention d'une province; ce qui fait qu'en fin de compte, le gouvernement provincial est à la table de négociation.

Le deuxième niveau de complexité engageant le gouvernement est que, dans bien des cas, des terres sont cédées à une Première nation dans le cadre d'un règlement, puis ces terres sont retirées à la municipalité et déduites de l'assiette fiscale, particulièrement dans les Prairies. Les municipalités s'attendent ensuite à une indemnisation du gouvernement fédéral, car celui-ci a retiré X acres de terres de l'assiette fiscale des municipalités. La discussion qui s'ensuit inévitablement est qu'elles ne peuvent satisfaire aux exigences en matière de services parce que leur assiette fiscale a diminué.

Un autre facteur à examiner, auquel vous ne voudrez peut-être pas accorder toute votre attention, est le problème de mise en application des revendications; le Gouvernement du Canada a été franchement réprouvé par le vérificateur général à ce sujet.

Au Manitoba et en Saskatchewan, des centaines de milliers d'acres de terres ont été identifiés comme faisant partie des revendications particulières ayant été réglées et, même dans ce cas, la cession des terres conformément aux conditions des règlements accuse un retard considérable.

Il s'agit d'un problème bien différent, un problème de ressourcement. Je le répète, ceci n'est pas lié à l'accumulation des 800 revendications.

Le sénateur Watt : Je ne veux pas m'attarder trop longuement sur le projet de loi C-6, car le sujet a été abordé dans le passé. Je reconnais des personnes qui étaient ici en tant que témoins à l'époque.

Le projet de loi C-6 est le fruit d'un groupe de travail rassemblant des membres des Premières nations et du gouvernement du Canada. L'une des questions soulevée à cette époque est qu'une entente sur la structure de l'organisme indépendant était survenue; par après, les représentants des ministères ont changé d'avis et ont mené les choses à leur guise. La méfiance s'est installée à ce moment-là.

J'aimerais entendre votre point de vue, savoir si vous êtes prêt à créer un groupe de travail et à commencer à rédiger un texte de loi. Je crois que nous avons entendu assez d'observations de la part des témoins. Êtes-vous enclin à nous donner le mandat, en tant que comité, de commencer la rédaction du texte de loi avec la collaboration des Premières nations ou prévoyez-vous de le faire dans votre ministère? Comment comptez-vous procéder si un organisme indépendant est créé? J'aurais également une autre question.

M. Prentice : Voulez-vous que je réponde à cette question en premier?

Le sénateur Watt : Oui.

M. Prentice : Premièrement, je n'ai pas participé à l'élaboration du projet de loi C-6, bien évidemment, et je ne suis pas lié non plus à la perte de confiance à laquelle vous faites référence. J'ignore si cela s'est produit ou non; je sais toutefois que le projet de loi C-6 comporte des lacunes sur le plan de sa structure et de sa philosophie, et qu'il ne sera pas accepté tel quel par les Premières nations. Il faudra y incorporer des changements vraiment extraordinaires sinon un nouveau projet de loi sera nécessaire.

Je ne vous dirai pas comment vous acquitter de vos responsabilités. Je peux vous dire, cependant, que ce qui serait le plus utile pour nous est une recommandation claire et ciblée de votre part sur les procédures à prendre. Je m'assurerai qu'elle sera suivie et appliquée.

Je ne dis pas que nous serons d'accord sur tout, mais je sais que le système en place doit changer. Il doit être réformé et je m'y suis engagé personnellement. Si vous voulez bien me fournir, ainsi qu'aux Canadiens, les lignes directrices nécessaires, je me chargerai du reste.

Je préfère cette formule au groupe de travail formé de membres du Sénat, de la Chambre des communes et d'un ministre. Cette solution m'apparaît vouée à l'impasse. J'ai besoin de votre aide pour passer en revue un grand volume de rapports et d'analyses, ainsi que de votre vision de ce qui doit être accompli car je respecte les personnes réunies à cette table.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question concerne les terres de la Couronne. Il s'agit de terres réservées aux Premières nations. Selon vous, si elles avaient accès à ces terres, le nombre de revendications serait-il moins élevé? Nous n'avons pas accès aux terres de la Couronne qui nous sont réservées.

M. Prentice : Il s'agit d'un autre sujet de discussion, mais les revendications concernent des sujets très spécifiques, notamment des irrégularités ou des omissions, que ce soit du vol, ou de l'incompétence du gouvernement fédéral à l'égard d'une Première nation. Il s'agit, en général, de griefs qui concernant un acte du passé, lorsqu'une Première nation a subi un préjudice concernant un lopin de terre ou la signature d'un traité. À mon avis, l'enjeu diffère considérablement s'il s'agit de revendications globales et de revendications concernant des terres de la Couronne.

Le problème auquel nous sommes actuellement confrontés relativement aux arriérés concerne les revendications particulières. Selon moi, ce sont ces revendications qui méritent notre attention. Je ne sais pas si le chef national Fontaine a déjà comparu devant vous.

Le président : Oui, il a comparu.

M. Prentice : Il s'y connaît bien en la matière. Je le respecte profondément. Il faut écouter ce qu'il a à dire à ce sujet. Lui et moi en parlons souvent.

Le président : Merci. Comme je l'ai mentionné, et je pense que vous l'avez cité dans la présentation que vous avez faite, lorsque vous avez démissionné de la Commission des revendications des Indiens, vous avez dit que le règlement des revendications territoriales particulières est essentiellement une question de droits de la personne. Nous avons l'obligation morale et juridique, en tant que gouvernement et pays, de régler ces questions au nom de nos Premières nations. J'espère que nous pourrons produire le rapport.

Comme vous le voyez, nous fonctionnons de façon non partisane. Les membres qui constituent notre comité sénatorial possèdent une vaste expérience dans le domaine. J'espère que, grâce à leur sagesse, nous pourrons vous fournir les outils dont vous avez besoin pour accomplir ce que je sais que vous souhaitez accomplir.

Nous poursuivons notre réunion avec le prochain témoin. Devant nous, comparaît la commissaire en chef de la Commission des revendications des Indiens, Mme Renée Dupuis.

[Français]

La Commission des revendications des Indiens, la CRI, a été créée en 1991, en raison de la lenteur du règlement des revendications particulières par le ministère des Affaires indiennes. Depuis ce temps, les Premières nations dont les revendications particulières sont rejetées officiellement ou de facto, peuvent choisir de présenter leurs revendications à la CRI.

Mme Dupuis a été nommée commissaire de la Commission des revendications des Indiens en mars 2001, puis commissaire en chef en 2003. Madame Dupuis, soyez la bienvenue. Vous avez la parole.

[Traduction]

Renée Dupuis, présidente, Commission des revendications des Indiens : Bonsoir. Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant vous.

Dans la présente étude, le comité se penche sur un certain nombre de questions très importantes concernant des revendications particulières. Toutes les parties œuvrant dans ce domaine seront intéressées par vos conclusions et recommandations à l'égard des questions soulevées.

Dans le but de vous donner un cadre de référence pour votre étude concernant le statut de la Commission des revendications des Indiens, la CRI, je suis honorée de vous présenter un aperçu préliminaire du mandat et du travail de la CRI.

J'ai déposé devant le comité un document dans lequel sont résumés les principaux renseignements concernant les activités de la CRI.

[Français]

Si vous me le permettez, j'éviterai l'aspect historique, car le ministre qui m'a précédé a déjà énoncé un certain nombre d'éléments. J'aimerais toutefois vous rappeler que la Commission des revendications des Indiens découle directement d'un problème de revendications territoriales qui a éclaté en tant que problème et en tant que crise à Oka, Kanesatake au Québec en 1990. C'est à la suite de ces problèmes que le gouvernement fédéral a annoncé son programme autochtone dans lequel il s'engageait notamment à accélérer le règlement de revendications particulières.

[Traduction]

En 1991, la Commission sur les revendications particulières des Indiens, maintenant appelée Commission des revendications des Indiens, a été créée par un décret. Son mandat est d'être une commission d'enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. Son mandat a été modifié en 1992 et des commissaires supplémentaires nommés.

Il est intéressant de noter que le préambule du décret précise qu'il s'agit d'un processus provisoire d'examen de l'application pour le gouvernement de la politique sur les revendications particulières. En fait, le travail réalisé par la commission s'appuie sur cette politique.

Entre 1991 et 2004, le premier ministre était le ministre compétent, responsable d'encadrer la CRI, aux fins de la Loi sur la gestion des finances publiques. En novembre 2003, comme vous le savez, le Parlement a adopté une loi pour créer un organisme permanent de médiation et d'arbitrage à l'égard des revendications.

Depuis juillet 2004, sur décision du gouvernement, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est le ministre compétent aux fins de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Puisque nous sommes une commission indépendante, nous avons pris des dispositions avec la Commission des droits de la personne pour la prestation de services généraux.

[Français]

À l'heure actuelle, la Commission compte cinq commissaires à temps partiel dont moi-même, présidente de la Commission. Les commissaires proviennent de toutes les régions du Canada.

[Traduction]

Le commissaire Daniel Bellegarde est un Assiniboine-Cri de la Première nation de Little Black Bear dans le sud de la Saskatchewan et a occupé la fonction de coprésident de la CRI entre avril 1994 et août 2001.

La commissaire, Jane Dickson-Gilmore ici présente, est professeure associée de la faculté de droit à l'Université Carleton à Ottawa.

Le commissaire Alan Holman est écrivain et communicateur. Il habite à l'Île-du-Prince-Édouard.

La commissaire Sheila Purdy, ici présente, est une avocate qui habite à Ottawa. Comme vous le savez peut-être déjà, je suis avocate et j'habite à Québec.

Un effectif de 51 personnes professionnelles et dévouées appuie le travail de la CRI.

[Français]

Avant la création de la Commission des revendications des indiens, les Premières nations ne pouvaient pas contester les décisions du gouvernement à moins d'aller devant les tribunaux. La Commission offre donc aux Premières nations la possibilité d'obtenir un examen indépendant des décisions gouvernementales et donc une solution rechange à la voie judiciaire.

[Traduction]

En raison du rôle unique que nous jouons, nous devons répondre à des demandes d'enquête présentées après que le ministre eut pris la décision d'accepter ou de rejeter une revendication.

Plus précisément, notre mandat est d'examiner la décision prise par le ministre lorsqu'une Première nation demande la tenue d'une enquête publique. Soit le ministre rejette la revendication, soit il l'accepte, mais il existe un désaccord sur la façon de calculer l'indemnisation. C'est la première partie de notre mandat.

La deuxième partie de notre mandat est d'offrir un service de médiation, peu importe l'étape du processus de règlement, afin d'aider les parties à parvenir à une entente, après acceptation mutuelle de la Première nation et du gouvernement, par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

D'ordinaire, le travail d'enquête ou de médiation de la CRI dure entre deux et cinq ans. Depuis sa création en 1991 jusqu'à ce jour, la CRI a mené à terme 69 enquêtes et 11 médiations.

La Commission des revendications des Indiens travaille dans toutes les régions du Canada. En 2006-2007, la CRI mène des enquêtes et offre des services de médiation pour le règlement de revendications présentées par des collectivités de Premières nations en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et au Yukon.

Actuellement, nous avons 38 enquêtes en cours et 26 dossiers de médiation actifs.

[Français]

Nous avons lancé un projet d'indexage des sommaires et des mots clés afin de faciliter l'accès aux résultats de nos travaux, au cours des 15 années d'activité. Je ferai parvenir le plus tôt possible au comité une copie de cette publication qui comprendra un sommaire de chacune des enquêtes et des médiations que nous avons terminées et un index de mots clefs pour faciliter la recherche dans le texte de ces sommaires.

Le but de ce projet très important sur lequel plusieurs de nos employés et commissaires ont travaillé, en plus du travail régulier de notre commission, est de fournir aux parties, aux Premières nations et au Canada, mais également aux recherchistes, décideurs, juristes et aux personnes intéressées un outil qui leur donne accès à une foule de renseignements historiques et juridiques que renferment les rapports de la Commission des revendications des indiens. Nous espérons que cette information aidera les sénateurs à mieux comprendre le travail et la contribution unique de la Commission.

[Traduction]

Nos enquêtes suivent un processus bien établi et accepté. Une Première nation dont la revendication a été soit rejetée, soit acceptée mais sans qu'on s'entende sur les critères d'indemnisation, écrit à la CRI pour demander la tenue d'une enquête.

La CRI évalue la revendication et décide d'accepter ou de refuser la demande. Si elle accepte une demande, elle réunit les représentants de la Première nation et du gouvernement, face à face, afin de préparer l'enquête et de discuter de la revendication refusée, de planifier les recherches et de clarifier les questions juridiques.

L'une des étapes importantes de notre processus est l'audience tenue par les commissaires dans la communauté de la Première nation. L'objectif est d'entendre le témoignage oral des aînés et d'autres membres de la collectivité. À la suite de cette audience, les avocats de la Première nation et du gouvernement font des présentations écrites et orales sur les questions de fait et de droit. Compte tenu des preuves et des arguments présentés pendant l'enquête, les commissaires présentent leurs conclusions et recommandations aux parties concernées par l'enquête.

En ce qui concerne le processus de médiation, la CRI fournit des services de facilitation et de médiation à toutes les étapes du processus de revendication, à la fois adaptés à la réalité culturelle, informels, non contraignants et souples.

Si les deux parties sont d'accord, la CRI peut offrir des services de résolution de conflits afin de les aider à parvenir à un règlement des revendications. Les services de médiation de la CRI comprennent la facilitation du processus de négociation, la médiation en cas d'impasse, la coordination d'études conjointes et la surveillance des décisions et des engagements prises par les parties.

Permettez-moi de résumer rapidement les quatre principes qui guident notre activité. Premièrement, et par-dessus tout, nous respectons les principes d'indépendance et d'impartialité.

En tant que commission d'enquête indépendante, ces principes essentiels guident notre processus d'enquête du début de l'enquête jusqu'à la publication de nos recommandations, quant à l'existence ou non d'une obligation du gouvernement du Canada à l'endroit d'une Première nation.

En ce qui concerne la médiation, aucune qualité n'est plus importante que l'impartialité et l'indépendance, puisque nous essayons de rapprocher les parties dans le but de parvenir à une entente satisfaisante.

[Français]

Le deuxième principe : l'équité et la justice naturelle. Dans bien des cas, notre processus d'enquête offre aux parties une importante occasion de se rencontrer. En effet, l'examen de la revendication effectué préalablement par le gouvernement ne porte que sur l'analyse de document. L'équité de notre processus d'enquête exige d'accorder aux parties des délais appropriés pour présenter à tour de rôle leur mémoire.

Notre processus est axé sur la communauté. Nous veillons à ce que les parties prennent part à la planification de l'enquête. Après quoi le personnel se rend dans la communauté pour expliquer le processus et interroger les aînés. Le comité chargé de l'enquête tient ensuite une audience dans la communauté. Par la suite, les conseillers juridiques rédigent leur mémoire en se basant sur les témoignages des aînés et la preuve documentaire, puis font valoir devant le comité leurs arguments. Après délibération, le comité produit son rapport et formule ses recommandations.

[Traduction]

Le troisième principe important est celui de l'ouverture d'esprit et de la transparence. Nous nous engageons à respecter le principe de la transparence. Nous publions des rapports après chaque enquête et médiation, en plus de notre rapport annuel. Nous sommes également autorisés à publier un rapport sur les questions concernant des revendications particulières.

Nous communiquons par divers moyens, y compris notre site Web, les bulletins, les rapports et la participation à des conférences. De plus, probablement plus souvent que la plupart des organismes publics, nous nous rendons dans les collectivités avec lesquelles nous interagissons, afin de nous assurer que leur éloignement ne les empêche pas de se faire entendre.

[Français]

Le quatrième et dernier principe : l'importance de l'histoire orale. Nous recueillons méticuleusement l'histoire pertinente à l'enquête en nous rendant dans la communauté visée et en écoutant les témoignages des membres de la bande, en particulier des aînés.

Permettez-moi de dire que nous sommes très fiers de cette pratique, à la Commission des revendications des indiens. La collecte et l'admission en preuve des témoignages oraux constitue une contribution unique de la Commission, qui a été bénéfique tant aux Premières nations qu'au public canadien en général. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs reconnu l'importance d'accorder aux témoignages oraux le même poids qu'à toute autre forme de preuve présenté devant un tribunal.

[Traduction]

Sur un plan plus philosophique, nous pensons que notre rôle est de bâtir des ponts entre les parties ayant des points de vue différents. La CRI joue un rôle unique au Canada, puisqu'elle travaille, dans le cadre d'enquêtes, avec des parties qui ont des points de vue opposés, et, dans le cadre de médiations, avec des parties qui ont des opinions divergentes.

Malgré tous les efforts que nous faisons, le processus de règlement des revendications particulières continuera à être caractérisé par les opinions divergentes pendant encore quelque temps. L'idée de bâtir des ponts restera essentielle si nous voulons, ensemble, faire des progrès dans le domaine des revendications particulières.

[Français]

En conclusion, je voudrais vous suggérer, puisque le comité a entendu d'un certain nombre de témoins des propositions et que vous avez demandé de formuler des recommandations ou suggestions pour améliorer le processus...

[Traduction]

...selon nous, trois améliorations permettraient de progresser : Premièrement, une meilleure application des antécédents et des principes dégagés au cours des 30 années de règlement de revendications.

Plus de 270 revendications ont été réglées. Je pense qu'il devrait être possible d'étudier la possibilité de regrouper ces revendications par catégories, comme les droits issus de traités, les revendications concernant les inondations, celles concernant les emprises, les revendications relatives aux cessions ou les droits fonciers issus des traités.

La deuxième amélioration qui aiderait est le recours plus fréquent à la médiation, non seulement à l'égard des revendications acceptées en cours de négociation, mais également à l'égard de toutes les autres revendications, peu importe l'étape du processus.

Pour finir, il serait utile de mettre davantage de ressources à la disposition des Premières nations dans le système, afin qu'elles puissent faire des recherches, préparer leurs revendications et négocier les revendications acceptées, afin que les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministère de la Justice puissent traiter plus rapidement les revendications qui leur sont présentées et afin que la commission puisse exécuter son mandat à l'égard des enquêtes et des médiations.

[Français]

En conclusion, nous sommes d'avis que la Commission des revendications des Indiens a largement fait ses preuves depuis 1991. Pourtant, il est clair que des défis de taille subsistent. Soyez assurés que nous ne ménageons aucun effort pour faire en sorte que le processus que nous appliquons bénéficie de la confiance de toutes les parties.

Le président : Merci beaucoup, madame Dupuis, pour votre excellente présentation.

Le sénateur Gill : Merci de votre présentation, madame Dupuis. En débutant, j'aimerais souligner le bon travail que vous faites à la Commission, autant les commissaires que tout le personnel. J'en ai été témoin.

Je pense que tout le monde est d'accord, le questionnement principal se rapporte sur le processus et l'arriéré que ça occasionne. Je pense que c'est pour cela qu'il faut faire cet exercice. Votre témoignage est important.

La Commission a pour mandat de faire de la médiation sur des réclamations conflictuelles. L'arbitrage pourrait-il s'adresser à des cas comme Caledonia, par exemple, ou Ipperwash? Je pense que la Commission n'a aucun mandat et j'ai l'impression que personne n'a de mandat. Le ministre des Affaires indiennes en a peut-être un, on ne le sait pas. Le gouvernement provincial, on n'en sait rien non plus. J'ai l'impression que les problèmes persistent à n'en plus finir. Les conflits peuvent dégénérer en situations graves et compliquées. Je doute que la Commission ait ce mandat, mais il serait utile qu'elle en ait un pour intervenir dans ces conflits.

Mme Dupuis : Merci, sénateur Gill, pour vos bonnes paroles au sujet du travail que la Commission fait. Je pense qu'en effet, le travail de la Commission des revendications des Indiens, qui n'a pas d'équivalent comme institution au Canada, est extrêmement important et valable. Les 15 années d'existence, puisque nous célébrons nos 15 ans d'existence cette année, ont fait en sorte qu'on a développé à la fois une expérience et une expertise qui sont très utiles pour le règlement des revendications particulières.

Pour répondre plus directement à votre question, je vous inviterais tous à regarder précisément le mandat de notre Commission. Dans le décret qui constitue la Commission des revendications des Indiens, il y a une possibilité pour la Commission de faire de la médiation. Ce que nous observons, après 15 ans d'expérience, c'est que le mandat de médiation n'est pas limité à une revendication qui est soit rejetée, soit acceptée. Autrement dit, quand nous disons que nous avons un mandat de médiation à toute étape du processus, on a à l'heure actuelle des médiations à la Commission qui sont sous forme de projet pilote, mais pour des revendications qui ont été identifiées mais qui ne sont pas encore déposées dans certains cas. Autrement dit, je vous inviterais à analyser de très près tout ce qui est possible en vertu du mandat actuel de la Commission et vous constaterez qu'il n'y a pas beaucoup de limites dans la mesure où, évidemment, on a affaire à une revendication particulière, puisque la Commission des revendications particulières, comme son nom complet l'indique bien, est limitée à l'analyse et à l'examen de revendications particulières. Il est clair que la Commission pourrait être extrêmement occupée à faire plus de médiations. C'est la raison pour laquelle nous l'avons identifié.

Le sénateur Gill : J'ai l'impression que la médiation se fait lorsqu'il y a une réclamation en cours, dans une situation qui éclate. Pensez-vous que vous avez un mandat? Si vous pensez que vous n'avez pas de mandat, il serait bon qu'une organisation ait le mandat d'intervenir dans de telles situations. Tout le monde se pose des questions dans des situations semblables. Tout le monde se décharge de ses responsabilités, personne n'en prend en réalité et cela perdure. Quand il n'y a pas de réclamation ou de processus engagé, pensez-vous que vous avez le mandat d'intervenir?

Mme Dupuis : Selon les termes de notre mandat, toute question relative à une revendication particulière peut, si les deux parties y consentent, être référée à la Commission de revendications des Indiens, même si ce n'est pas une revendication particulière qui est en analyse, par exemple, au ministère de la Justice Canada.

Donc, dans le cadre de notre mandat actuel, c'est évident que le mandat de la Commission est limité aux questions relatives à une revendication particulière, mais cela ne veut pas dire que la Commission ne peut pas intervenir à la demande d'une Première nation et du Canada.

Le président : Votre décision est-elle finale lorsque vous décidez sur des négociations?

Mme Dupuis : Pour commencer, je pense que j'aimerais faire une distinction entre les deux parties de notre mandat. Dans une enquête, on entend les parties, on va dans la communauté et on émet une recommandation. Et la recommandation de la Commission vise à évaluer si le Ministère devrait revoir sa décision quand il a rejeté une revendication. C'est donc un pouvoir de recommandation. C'est important de le comprendre. Ce qui n'empêche pas, ultimement, une Première nation d'aller devant les tribunaux si elle n'est pas satisfaite ou n'obtient pas du ministère la révision de la décision. Parce que nous, on peut recommander au gouvernement de changer sa décision, de l'accepter parce qu'on pense qu'il y a une revendication valide ou de ne pas la changer parce qu'elle n'est pas valide selon nous.

[Traduction]

Le sénateur Hubley : L'élément du modèle de la Commission des revendications des Indiens qui ressort, plus qu'un autre, à mon avis, est que toutes les parties font confiance au processus. Nous cherchons à instaurer un modèle qui permettra d'améliorer le règlement des revendications. Est-ce que nous pourrions recommander la mise en œuvre du modèle de la CRI à d'autres domaines de revendication?

Mme Dupuis : Votre question me donne l'occasion de vous parler de l'utilité du processus instauré par la commission. Lorsque j'ai mentionné les principes directeurs, le fait que cette commission n'entretient aucun lien de dépendance avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et les Premières nations, et qu'elle est et doit être impartiale dans l'évaluation de la revendication, est, selon nous, l'une des raisons pour lesquelles certaines de nos recommandations ont été acceptés par le gouvernement du Canada et ont permis de régler des revendications.

En ce qui concerne l'équité et la justice naturelle, j'ai mentionné le fait qu'il est très impressionnant, lorsque nous nous rendons dans une collectivité, de voir la Première nation, ses avocats, le ministère de la Justice et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien se rencontrer. Il y a beaucoup de méfiance, de colère, de frustration — une frustration légitime. Parfois, c'est la première fois que les parties se retrouvent dans la même salle, autour de la même table, avec une partie indépendante et neutre qui essaie de les aider à clarifier les faits, à définir ensemble les enjeux, qui écoute leurs arguments et leurs points de vue divergents.

Dans certains cas, le choc est intense, en ce sens que les membres de la Première nation entendent parler ceux qui prétendent qu'ils n'ont aucun droit. De l'autre côté de la table, les avocats du gouvernement du Canada entendent pour la première fois les aînés d'une collectivité présenter des preuves devant la commission, sous forme de témoignages, relativement au point de vue de la Première nation à l'égard de sa demande.

Il va de soi que cette démarche est très importante. C'est pour cela que nous insistons sur cette étape du processus de la commission. Nous encourageons les parties, au moyen d'enquêtes et de séances de médiation, à essayer de faire des recherches conjointes, au lieu de faire des recherches initiales, des recherches concurrentes et que cela entraîne des retards, entre autres. Nous insistons là-dessus, mais nous invitons les parties à réaliser des études et des recherches conjointes.

Bon nombre d'éléments de notre processus devraient être maintenus et développés, afin d'obtenir des résultats dans la résolution de ces revendications.

Le sénateur Peterson : Serait-il possible que vous ou votre commission, nous présente un tableau de toutes les revendications que vous avez reçues, en y inscrivant le type de revendication, son statut actuel et les échéanciers?

Mme Dupuis : Oui, nous sommes en mesure de vous fournir les données pour les revendications à l'égard desquelles nous avons mené une enquête et les médiations auxquelles nous avons participé, ainsi que les échéanciers respectifs.

Le sénateur Peterson : Pouvez-vous également inscrire l'auteur de la revendication?

Mme Dupuis : Oui.

Le président : Madame Dupuis, je vous remercie de votre présentation et d'avoir répondu à nos questions.

Je remercie tous les sénateurs. Je pense que la soirée a été constructive. Nous avons pu parler avec deux témoins très intéressants, à savoir le ministre Prentice et Mme Dupuis. Nous sommes impatients de recevoir les renseignements que le sénateur Peterson vous a demandé de nous fournir, madame Dupuis.

Je crois que je vous avais parlé à bord d'un vol d'Air Canada à destination de Vancouver. Je suis impressionné par vos connaissances et votre engagement dans le travail que vous faites. J'espère que vous serez en mesure de nous aider à aider le ministre, le gouvernement et le pays à régler cet enjeu très important qui a engendré de vives frustrations d'un océan à l'autre, tel que l'a souligné le sénateur Gill.

Encore merci.

La séance est levée.


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