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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 11 - Témoignages du 21 novembre 2006


OTTAWA, le mardi 21 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner, pour en faire rapport, le processus fédéral de règlement des revendications particulières.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Mon nom est Gerry St. Germain, je suis originaire de Colombie Britannique et j'ai l'honneur de présider ce comité.

Aujourd'hui, le comité poursuit son étude spéciale sur les revendications particulières. Le comité a l'intention d'examiner le processus fédéral des revendications particulières pour faire des recommandations qui contribueront au règlement rapide et satisfaisant des griefs présentés par les Premières nations à cet égard.

Permettez-moi de présenter les membres du comité. Le sénateur Larry Campbell est originaire de la province de la Colombie-Britannique alors que le sénateur Lillian Dyck vient de la Saskatchewan. Aujourd'hui, le sénateur Dyck participe au programme « les femmes à la Chambre ». Joy Ding, étudiante à l'Université McGill, accompagnera le sénateur toute la journée. Nous espérons que vous, sénateur Dyck et la jeune femme qui vous accompagne, passerez une excellente semaine.

Le sénateur Dick : Elle est en sécurité.

Le président : Le membre suivant du comité est le sénateur Élisabeth Hubley, originaire de l'Île-du-Prince-Édouard. À côté d'elle se trouve le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick. Également présent ce matin, le sénateur Charlie Watt, de Inkerman, au Québec. Il est sénateur depuis longtemps et a beaucoup d'expérience.

Notre premier témoin aujourd'hui est le chef du Grand conseil John Beaucage, de la nation Anishinabek, Union of Ontario Indians. L'Union of Ontario Indians défend les intérêts politiques des 42 membres des Premières nations en Ontario.

Bienvenue, chef Beaucage. C'est un honneur de vous avoir ici. Nous sommes heureux que vous ayez pu venir en dépit de votre emploi du temps chargé. Vous avez jusqu'à 10 minutes pour faire votre exposé. Mes collègues, j'en suis sûr, auront des questions à vous poser. J'espère que ce temps suffira. La parole est à vous.

John Beaucage, chef du Grand conseil, nation Anishinabek (Union of Ontario Indians) : Bonjour, mesdames et messieurs, sénateurs, aînés et distingués invités.

En tant que chef du Grand conseil de l'Union of Ontario Indians, je suis heureux de présenter au nom de la nation Anishinabek et dans le cadre de l'étude sur les revendications particulières cet exposé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Premièrement, je vous prie de m'excuser de présenter l'exposé et des documents d'information en anglais seulement, et ni en français ni dans la langue officielle de la nation Anishinabek. Ils sont arrivés plutôt tard. Nous règlerons ce problème la prochaine fois.

La politique des revendications particulières, Dossier en souffrance — Une politique des revendications des Autochtones, du gouvernement du Canada indique clairement qu'elle se fonde sur les principes « d'équité, de reddition de comptes, de transparence, de règlement des griefs historiques par le truchement des négociations et communication publique ». L'UOI affirme respectivement que ces principes ne sont pas garantis dans la structure ou l'administration du processus de la politique sur les revendications particulières; ils se heurtent plutôt à d'importants obstacles qui empêchent et limitent le règlement efficace des revendications particulières.

Les obstacles inhérents au processus des revendications particulières peuvent être décrits comme un manque d'indépendance et d'impartialité et un long et laborieux processus. Je vais maintenant présenter notre point de vue sur la cause et les effets de chaque obstacle et les recommandations proposées.

Le premier est le manque d'indépendance et d'impartialité. Le processus des revendications particulières ne respecte pas les principes fondamentaux d'indépendance et d'impartialité, car le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada est responsable de l'administration du processus des revendications particulières par le biais de la Direction générale des revendications particulières, tout en étant aussi chargé de la responsabilité conflictuelle qui est celle de représenter et de défendre le gouvernement du Canada dans une revendication particulière.

Dans le cadre de l'administration du processus des revendications particulières, la Direction générale des revendications particulières est chargée de la réception des revendications particulières des Premières nations au nom du gouvernement du Canada; de faire et de confirmer des recherches sur les revendications particulières; de demander au ministère de la Justice de préparer de longs avis juridiques sur les revendications particulières; d'évaluer, de concert avec le ministère de la Justice, la validité des revendications particulières; de trouver, par voie de négociation, une solution aux griefs des Premières nations; de participer aux enquêtes de la Commission des revendications particulières des Indiens et donner suite à ses recommandations; de collaborer à la mise en œuvre des ententes sur des revendications particulières et à l'élaboration des politiques relatives aux revendications particulières. Cela ressemble beaucoup à être juge, juré et bourreau dans l'Ouest d'autrefois.

De telles responsabilités administratives placent clairement le gouvernement du Canada dans une position compromettante, car il a le pouvoir de déterminer si une revendication particulière à son encontre entre dans le cadre de la politique des revendications particulières, s'il a une obligation légale ou est au-delà de l'obligation légale envers une Première nation, s'il doit accepter ou rejeter une revendication particulière aux fins de négociation, les termes selon lesquels les revendications particulières seront négociées et réglées et les paramètres et les questions abordés dans les politiques des revendications particulières.

Étant donné que, par leur nature même, les revendications particulières sont des revendications dans lesquelles le gouvernement du Canada a manqué ou ne s'est pas acquitté de ses obligations légales ou est allé au-delà des obligations légales envers des Premières nations, on peut faire valoir que l'impartialité du processus des revendications particulières est très compromise du fait que le gouvernement du Canada peut agir dans une position conflictuelle double : en temps qu'administrateur du processus des revendications particulières et de défendeur dans le processus.

Le deuxième obstacle dans le règlement efficace des revendications particulières au Canada est la longueur et les dures exigences du processus des revendications particulières. Bien qu'il ait été élaboré pour être rentable, plus rapide et moins antagoniste que le recours judiciaire, le processus des revendications particulières est lent et laborieux et il est aux prises avec un arriéré considérable de revendications.

Les démarches à suivre pour présenter une revendication particulière au gouvernement du Canada, la détermination du bien-fondé de la revendication particulière, les négociations et la mise en œuvre de l'arrangement amiable à titre de règlement complet et final des griefs sont longues et laborieuses. Le processus des revendications particulières exige des Premières nations qu'elles présentent au gouvernement du Canada un état de leurs revendications confirmé par des recherches et des documents pertinents. La revendication est ensuite examinée par la Direction générale des revendications particulières, qui fait des recherches additionnelles si nécessaire. Ensuite, le ministère de la Justice prépare un avis juridique relatif à la revendication particulière. Le gouvernement du Canada détermine s'il a manqué ou ne s'est pas acquitté de ses obligations légales envers la Première nation, si la revendication particulière doit être acceptée aux fins de négociation ou rejetée, et communique par écrit sa décision à la Première nation. Puis, le gouvernement du Canada et la Première nation entament des négociations pour élaborer un cadre général de négociation, un accord de principe sur les questions principales et un arrangement amiable qui énonce les modalités de règlement de la revendication particulière. Finalement, il y a la mise en œuvre de l'arrangement amiable et le versement des indemnisations.

L'absence de délai clairement défini qui délimite le temps durant lequel une revendication particulière peut être traitée ou renvoyée à un autre processus constitue une lacune fondamentale dans le processus des revendications particulières. Sans des délais fixes pour régir le processus et sans les conséquences qui s'ensuivraient si ces délais n'étaient pas respectés, les revendications peuvent traîner dans le processus des revendications particulières — souvent pendant plus de 10 ans. Ce qui résulte en un arriéré de revendications dans le processus et aux frustrations des Premières nations suscitées par la lenteur du traitement de leurs revendications.

J'ai moi-même vu que la plupart des revendications n'aboutissent pas pendant 20 ans ou plus et dépassent ce qui avait été prévu en termes de traitement rapide et équitable.

Une autre lacune du processus est l'absence de services de règlement des litiges auxquels aurait recours une partie en cas de litige ou si les parties aboutissent à une impasse qui entrave tout progrès vers le règlement d'une revendication particulière. Bien que les services de médiation et de facilitation de la Commission des revendications particulières des Indiens peuvent être utilisés par les parties, ils ne sont pas obligatoires et ne sont utilisés qu'à la demande d'une ou des deux parties.

Le processus qui exige que la Première nation présente un état clair et concis de sa revendication qui soit confirmé par des recherches et des documents pertinents au gouvernement du Canada qui, à son tour, fait sa propre recherche supplémentaire à des fins de confirmation, est à la fois long et un gaspillage de ressources humaines et financières. Au lieu que la Première nation et le gouvernement du Canada fassent ensemble des recherches sur la revendication particulière, chaque partie doit le faire séparément, ce qui est souvent une répétition du travail.

La bureaucratie des nombreuses directions et les fonctionnaires du MAINC chargés de la réception, de l'évaluation, de l'analyse juridique, de la négociation et de la mise en œuvre du règlement d'une revendication particulière accentuent la longueur et la lourdeur du processus des revendications particulières. Si les Premières nations n'ont souvent que de petites équipes pour traitre une revendication particulière du début jusqu'au règlement, le gouvernement du Canada a souvent de nombreux fonctionnaires individuellement responsables d'un élément de la revendication particulière, ces personnes peuvent comprendre des chercheurs, des analystes des politiques, des avocats du ministère de la Justice, des évaluateurs de revendication, des négociateurs du gouvernement fédéral et du personnel chargé de la mise en œuvre.

L'écart entre les ressources humaines et financières à la disposition du gouvernement du Canada par le biais de ses divers ministères, directions et experts et les ressources humaines et financières souvent limitées des Premières nations pour la recherche et l'analyse juridique, l'évaluation et la négociation des règlements des revendications particulières, alourdit et prolonge encore plus le processus des revendications particulières pour beaucoup de Premières nations. Les Premières nations qui s'engagent dans le processus des revendications particulières n'ont souvent pas les ressources financières nécessaires pour faire des recherches appropriées sur leurs revendications et participer au processus des revendications particulières; elles manquent souvent d'experts formés dans les domaines de recherche, d'analyse juridique et de négociation, et doivent souvent utiliser les services de chercheurs, d'avocats et de négociateurs qui ne font pas partie de leur collectivité pour les aider à faire progresser leur revendication particulière.

Je vais passer en revue neuf recommandations.

L'Union of Ontario Indians recommande que l'on retire au gouvernement du Canada la responsabilité de l'administration du processus des revendications particulières et que l'on la remette à un organisme indépendant et neutre.

L'Union of Ontario Indians recommande qu'une nouvelle politique sur les revendications particulières soit élaborée afin d'établir des délais fixés pour l'administration et le règlement des revendications particulières et souligner les conséquences qui s'ensuivraient en cas de non-respect de ces délais.

Nous recommandons qu'une nouvelle politique sur les revendications particulières soit élaborée afin d'exiger que les Premières nations et le gouvernement du Canada entreprennent en commun les recherches sur une revendication particulière, ainsi les deux parties ne feront pas leurs propres recherches séparément.

Nous recommandons qu'une nouvelle politique sur les revendications particulières soit élaborée pour inclure un système de règlement des litiges au cas où les parties aboutissent à une impasse ou ont un litige qui a un effet négatif sur le règlement d'une revendication particulière.

Nous recommandons qu'une nouvelle politique sur les revendications particulières soit élaborée pour respecter et maintenir les changements de la jurisprudence et de l'interprétation des traités, tel que l'utilisation du témoignage oral.

Nous recommandons que les Premières nations et le gouvernement du Canada travaillent ensemble pour déterminer les limites, le cas échéant, sur le montant et le type d'indemnisation pouvant être versée en vertu d'une nouvelle politique sur les revendications particulières qui sera élaborée.

Nous recommandons que les Premières nations et le gouvernement du Canada travaillent ensemble pour élaborer une nouvelle politique sur les revendications particulières et établir un organisme indépendant et neutre en vue de régler efficacement les revendications particulières au Canada.

Nous recommandons que de plus importantes ressources humaines et financières soient affectées pour former les Premières nations dans les domaines de la recherche, de l'analyse juridique et de la négociation des revendications particulières.

Finalement, nous recommandons que les Premières nations et le gouvernement du Canada travaillent ensemble pour élaborer des programmes et de la documentation pour l'enseignement public sur les revendications particulières et l'histoire des Premières nations.

Voilà qui conclut la partie orale de mon exposé. Je vous remercie beaucoup de votre aimable attention.

Le sénateur Hubley : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez certainement présenté un rapport global.

Votre première recommandation concerne un organisme indépendant et neutre, comment envisagez-vous un tel organisme? Quelle est la composition d'un organisme indépendant et neutre? C'est uns chose qui a été mentionnée dans d'autres exposés et je pense que c'est une recommandation qu'il est important de faire. Envisagez-vous un ministère distinct pour traiter les revendications particulières ou un autre genre d'organisme pour cet organisme indépendant et neutre?

M. Beaucage : C'est difficile avec des mots tels que« indépendant » et « neutre » et comment relier cet organisme à un processus de reddition de comptes au sein du gouvernement du Canada mais il sera aussi redevable devant les Premières nations au niveau de ses résultats.

Le fait qu'il relève directement ou non d'un ministre est un élément à examiner très soigneusement. Je pense que ceserait une sorte de commission ou d'autorité composée de personnes telles que des juges à la retraite ou des Autochtones à la retraite — peut-être même pas à la retraite — des gens qui ont une large expérience dans ce domaine et qui peuvent examiner impartialement les revendications, qui pèseront le pour et le contre afin de déterminer si la revendication devrait être acceptée. Cela serait préférable à un seul organisme qui aborderait tous les aspects de l'examen d'une revendication et puis qui la défendrait au nom du gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada a tous les droits de défendre une revendication, mais il ne devrait vraiment pas en examiner le bien-fondé.

Le sénateur Hubley : La Commission des revendications des Indiens à fait un exposé devant le comité. J'ai trouvé que cet exposé était positif car ils avaient amené des gens qui semblaient être tous les intervenants. Ce n'était pas simplement des organismes qui travaillaient séparément; mais des personnes qui tentaient de régler ensemble les enquêtes, les revendications, et cetera.

À votre avis, est-ce que cela peut être appliqué dans d'autres domaines des revendications particulières?

M. Beaucage : Je pense que cela fonctionnerait certainement. La collaboration pour examiner certaines de ces choses est certainement louable et nous devons l'encourager. Toutefois, aujourd'hui, il y a tant de revendications dans tout le Canada et si peu ont été réglées. J'ai participé à un processus de revendication dans ma propre Première nation quand j'étais chef; j'en ai hérité alors que le processus durait depuis 16 ans. Je m'en suis occupé pendant cinq ans de plus. Le processus a donc duré 21 ans avant d'arriver à un accord final. Il y a eu cinq ou six conseils de bande, il a fallu assurer une nouvelle formation des nouveaux conseils de bande et nous avons utilisé quatre ou cinq négociateurs. Je ne pense pas qu'une personne devrait s'occuper, durant toute sa carrière d'une revendication, quelle qu'elle soit. Elle devrait être réglée après un processus court et concis où tout le monde s'occupe de ces revendications.

Le sénateur Hubley : Serait-ce utile d'inclure le délai dans la loi?

M. Beaucage : Ce serait utile, oui.

Le sénateur Hubley : Avez-vous des suggestions concernant le délai?

M. Beaucage : Un délai de cinq ans serait probablement raisonnable, mais dans des circonstances atténuantes, peut- être 10 ans. Si le délai dépasse cinq ans, la revendication devrait passer par une autre sorte de processus avec un examen fait par un mécanisme indépendant de règlement des litiges. J'ai participé à des négociations et je sais que si deux négociateurs ont la volonté d'obtenir des résultats, cinq ans suffisent amplement. Même les questions les plus complexes peuvent être réglées en moins de cinq ans; après, pendant cinq autres années, il y aurait une autre sorte de processus visant à remplir un mandat pour s'occuper de la revendication particulière.

Le sénateur Hubley : Merci.

Le président : J'ai une question rapide à vous poser, monsieur Beaucage. Savez-vous de combien de personnes aurait besoin l'organisme indépendant pour pouvoir traiter le nombre de revendications irrésolues? Avez-vous un nombre à suggérer? Un organisme indépendant, comme l'a si bien souligné le sénateur Hubley, a été l'une des principales recommandations afin de résoudre le problème des revendications particulières. Combien de personnes faudrait-il, à votre avis, s'il était établi dans le format d'un système judiciaire?

M. Beaucage : Il est difficile de répondre à cette question.

Le président : C'est la raison pour laquelle je vous la pose.

M. Beaucage : Il faudrait probablement que chaque province et chaque région soit représentée dans cet organisme indépendant. À des fins d'impartialité, les revendications de la Saskatchewan, par exemple, pourraient traitées par des personnes originaires d'autres provinces. Une telle impartialité permettrait un examen tout à fait objectif des mérites de chaque revendication. Cinq ou six personnes pour chaque province cherchant un système provincial visant le règlement des revendications particulières pour chaque province ou région.

Le nombre que je choisirai tiendrait compte de ce qui est nécessaire pour résoudre vraiment l'arriéré des revendications en délimitant un certain nombre de revendications à régler dans un nombre d'années précis.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Pensez-vous que des archéologues devraient traiter les revendications particulières? Devraient-ils faire partie de cet organisme indépendant? Pensez-vous que leurs témoignages devant des tribunaux serviraient la cause de ces revendications?

M. Beaucage : Les témoignages d'archéologues seraient utiles, mais cela ouvrirait la porte à beaucoup d'autres témoins ayant fait de la recherche scientifique dans des revendications particulières dans d'autres domaines de revendications des Premières nations. Par exemple, des métallurgistes ont fait de la recherche qui pourrait se rapporter au partage des ressources. Des preuves indiquent que l'on a découvert en Floride et dans d'autres régions des États- Unis du cuivre provenant de régions autour de Thunder Bay. Le cuivre qui a pu être extrait du sol il y a 500 ou 600 ans et utilisé par les Premières nations n'a pas fait l'objet de recherches. Les métallurgistes de l'Université de Toronto ont découvert cette preuve. Cela pourrait servir dans plusieurs aspects de ces résolutions. Je pense que nous ne devrions ménager aucun effort pour que des experts témoignent et fournissent des renseignements sur le processus des revendications particulières.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si des archéologues devaient témoigner, devraient-ils être choisis par les Premières nations?

M. Beaucage : Dans un processus judiciaire, les compétences des témoins experts sont examinées par le juge ou un secrétariat, une commission ou une autorité impartiaux, quels qu'ils soient. Je pense que les témoins experts devraient être approuvés par les deux parties en se basant sur leur degré d'expertise.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie d'avoir fait un exposé et des recommandations clairs.

Je suis intéressé par le processus de recherche. Vous avez présenté de très bonnes recommandations concernant le temps qu'il a fallu à une Première nation pour entreprendre ses recherches et celui qu'il a fallu au MAINC pour entreprendre les siennes. Il semble que le processus soit assez lent et dédoublé.

La recommandation 8 de votre exposé propose d'affecter des ressources additionnelles aux Premières nations pour les former dans les domaines de la recherche et de l'analyse juridique. Pensez-vous qu'un même type de formation offert aux fonctionnaires du MAINC et aux Autochtones sur l'examen des mérites des revendications particulières serait approprié? Ainsi, les deux groupes pourraient utiliser les mêmes normes pour étudier les revendications et établir ce qu'il faudrait présenter pour en faire une revendication valide. Vous a-t-on déjà donné une liste de ce qu'ils recherchent, la norme utilisée auparavant et celle qui sera utilisée à l'avenir?

M. Beaucage : C'est une excellente idée. Il arrive souvent que nous examinions ce qui est requis pour une revendication particulière. C'est comme jouer au hockey dans une arène sans éclairage; on peut marquer de temps en temps mais on ne sait pas comment on y est arrivé. Si nous devions avoir un processus de revendications particulières dans lequel la même formation serait offerte aux deux parties, cela leur permettrait de tenter de régler les revendications en se fondant sur les mêmes renseignements et en visant les mêmes objectifs.

Le sénateur Dyck : Nous pourrions même faire un pas en arrière pour élaborer ensemble les éléments particuliers qui définissent le bien-fondé d'une revendication. Avant même d'entamer le processus de revendications, il devrait y avoir une norme acceptée par tous par l'intermédiaire de cet organisme indépendant afin de bien commencer dès le début. Comme vous l'avez dit, certaines revendications aboutissent et pas d'autres. Quelque connaît-il les raisons pour lesquelles une revendication aboutit? Peut-être faudrait-il le savoir à l'avance?

M. Beaucage : Oui, cela améliorerait le processus et l'accélérerait beaucoup.

Le sénateur Dyck : Pensez-vous que les recherches actuelles contribuent plus au retard qu'au règlement des revendications qui ont été acceptées mais qui attendent un avis juridique? Certains ont dit que pour résorber l'arriéré, il faudrait peut-être recruter un plus grand nombre d'avocats. Est-ce à votre avis un point critique ou est-ce que la recherche alimente les retards?

M. Beaucage : Je ne suis pas sûr de vouloir recruter plus d'avocats, car je ne crois pas que cela accélérera le processus. Il me semble plus logique de faire autant de recherches que possible en raison de l'incertitude des objectifs. Les chercheurs sont recrutés pour fournir des documents parce qu'ils sont obligés de révéler les objectifs. Cependant, ce degré de recherche prend beaucoup de temps et coûte beaucoup d'argent.

Cela permet aux chercheurs de bien gagner leur vie, mais le problème est que nous devrions être un peu plus précis et cibler la recherche.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup pour votre exposé. Comme l'ont mentionné les autres sénateurs, vous avez été clair et concis.

Pour ce qui est d'un organisme neutre, puis-je rappeler que nous avons déjà des modèles qui pourraient servir? Par exemple, au niveau provincial, il y a la Commission des accidents du travail et la Commission des relations de travail; donc, il y a quatre organismes en bonne et due forme pour examiner cette question, je ne pense pas qu'il leur sera très difficile d'intervenir. La difficulté, bien sûr, est de s'assurer que l'organisme soit neutre et qu'il prenne une décision.

Si nous avions un organisme neutre, est-ce que sa décision sera exécutoire ou proposera-t-il seulement une décision, avant que nous passions à une autre phase qui permettrait à l'une des deux parties de faire appel?

M. Beaucage : Je conviens qu'il y a des organismes comme la Commission des accidents du travail et ainsi de suite. Ces organismes existent; ils sont utiles et très efficaces. On pourrait certainement les prendre pour modèle pour mettre sur pied un organisme neutre.

Je pense aussi que les deux parties devraient avoir la possibilité de faire appel. Cela leur permettra de revoir la décision et de juger son bien-fondé, mais d'avoir une possibilité de faire appel sans faits supplémentaires — comme dans une affaire judiciaire.

Le sénateur Campbell : Par exemple, si vous contestez la décision d'un organisme quasi judiciaire, vous pouvez avoir ce que l'on appelle une révision judiciaire.

M. Beaucage : Oui.

Le sénateur Campbell : J'ai du mal à comprendre les raisons pour lesquelles la recherche sur une revendication prends tant de temps et est si compliquée. En regardant le tableau de toutes les revendications, je n'arrive pas à comprendre pourquoi c'est si compliqué. Et pourtant, il a fallu 21 ans pour une de vos revendications. Cela n'aurait jamais été permis n'importe où ailleurs.

À vrai dire, les deux parties ratent des occasions. Vous avez raté l'occasion de tirer avantage des minéraux; vous perdez une occasion d'exploiter cette terre.

Pourquoi est-ce si compliqué?

M. Beaucage : J'aimerais pouvoir vous répondre, mais c'est le processus qui a été suivi dans toutes les provinces — et nous voyons l'arriéré. J'étais chef pendant huit ans dans ma propre collectivité. Environ deux semaines après ma nomination à ce poste, nous avons eu notre première séance de négociations. J'y suis allé sans savoir ce qui allait se passer, mais la première chose que j'ai dit, c'est que je respecterai toutes les négociations faites avant moi par des chefs et des conseils. Peu importe ce que cela voulait dire, je respecterai ce qu'ils ont fait.

Ce n'est pas toujours le cas. Nous avons eu un processus de deux ans en vertu de la Loi sur les Indiens pour des chefs et des conseils. Tous les deux ans, il peut avoir un nouveau chef et un nouveau conseil. Ça, c'est seulement de notre côté. Il est vraisemblable que ce nouveau chef et ce nouveau conseil déclarent : « Je ne suis pas d'accord avec ce qu'ils ont fait. J'ai fait campagne à ce sujet; par conséquent, je vais me débarrasser de ce qui a été fait. »

Il est aussi possible que les négociateurs du gouvernement changent plusieurs fois si le processus est long. Il peut y avoir des changements dans le gouvernement et des changements de politique sur les revendications. Au fur et à mesure que le processus dure, l'inefficacité et la lourdeur s'installent chez tous les intervenants.

Le sénateur Campbell : Je ne peux qu'espérer que le comité fasse des recommandations, car cela est inacceptable tel quel pour n'importe laquelle des deux parties.

M. Beaucage : Vous avez raison.

Le président : Pensez-vous que le gouvernement adopte une attitude ancrée en ne voulant simplement pas reconnaître cela comme faisant partie de la dette? Il les traite comme un programme; ils les financent — généralement de manière insuffisante — comme un programme et c'est l'un des vrais problèmes dans l'attitude du gouvernement qui espère en voir la fin comme on se guérit d'un mauvais rhume.

M. Beaucage : Je pense que c'est beaucoup dû à cela. Beaucoup de réclamations de revendications réclament des compensations monétaires; elles réclament de redonner à la terre d'une Première nation ce qui a été injustement pris à cette Première nation.

Je ne peux pas imaginer ce qui arriverait si, soudainement, toutes les revendications du Canada étaient réglées au cours du prochain exercice financier. Quel en sera l'effet sur la situation financière au Canada? Combien d'argent devra être versé? Ce pourrait être un mauvais calcul politique de tout régler d'un seul coup. Ce pourrait être un mauvais calcul d'avoir un règlement en une courte période de temps. Faisons-le progressivement sur deux ou trois générations pour s'assurer de ne pas trop en souffrir. C'est peut-être une stratégie qui est difficile pour nous tous.

Le sénateur Campbell : Nous savons que le montant sera d'environ 6 milliards de dollars, s'il était versé. Nous avons un excédent de 13 milliards de dollars et nous allons peut-être avoir un excédent similaire. Ne pensez-vous pas qu'il soit logique de dire : « Écoutez. Ça suffit; il faut en finir; on ne peut plus continuer »?

D'une part, vous ne pouvez pas dire que nous voulons aider les Premières nations à devenir autonomes, viables et dynamiques et d'autre part, faire traîner ce genre de problème. Il n'est pas moralement acceptable de faire traîner ce problème sur deux ou trois générations comme c'est actuellement le cas.

Nous savons qu'il y aura un excédent. Le sénateur St. Germain a raison; ils ne s'en occupent pas. Ce sont des gouvernements qui se succèdent. Je ne dis pas que c'est le gouvernement conservateur — cette situation existe depuis des générations. Ce n'est pas considéré comme une dette dans les comptes du Canada. Vous ne les trouverez nulle part.

M. Beaucage : Oui, c'est exact. On devrait désigner cela sous l'appellation d'élément de passif éventuel. Cela fait partie des dossiers que les gouvernements se lèguent l'un à l'autre. Mon peuple est aux prises avec ce problème année après année et, pendant ce temps-là, nos peuples vivent tous dans une pauvreté immonde. Nous continuons d'éprouver des problèmes de santé, d'eau et de logement; les années passent et, pourtant, cette question attend encore son règlement.

Le sénateur Campbell : Nous devrions peut-être formuler une recommandation à l'intention de la vérificatrice générale, lui demandant de s'assurer que le gouvernement du Canada suit les procédures comptables voulues. De toute évidence, ce n'est pas le cas. Il serait peut-être temps qu'il le fasse. Si cet élément était comptabilisé officiellement, le gouvernement lui accorderait peut-être davantage d'attention.

Le sénateur Sibbeston : Ma question porte sur l'indépendance. Dans un grand nombre de vos recommandations, vous exprimez le souhait de disposer d'un organisme indépendant du gouvernement et doté de mécanismes clairs pour régler les différends. Est-ce que des représentants de votre syndicat ont fait partie du groupe de travail qui a été constitué dans les années 1990 pour se pencher sur les revendications particulières?

M. Beaucage : Je ne le sais pas. Pendant les années 1990, j'étais chef de ma propre communauté. Je n'étais pas très actif dans l'Union of Ontario Indians. Je tentais de faire avancer ma propre revendication au sein de la Première nation de Wasauksing, près de Parry Sound.

Le sénateur Sibbeston : Au bout du compte, les travaux du groupe de travail ont débouché sur le projet de loi C-6 relatif au règlement des revendications particulières. Il avait certaines lacunes. Il n'allait pas aussi loin que ce que le groupe de travail avait recommandé; en conséquence, bon nombre des Premières nations ne l'ont pas approuvé. Pourtant, le mécanisme est toujours là, mais il faudrait lui apporter des changements. C'est une possibilité. Voilà où en est le gouvernement en ce moment.

Lorsque vous parlez d'un organisme complètement neutre et indépendant du gouvernement, croyez-vous, à la lumière de votre expérience, que le gouvernement fédéral a la capacité de créer des organismes de ce genre?

Pensez-vous que les gouvernements sont en mesure de le faire pour résoudre le problème?

M. Beaucage : Je pense que le gouvernement pourrait créer un organisme de ce type de concert avec les Premières nations. J'estime que les deux ont la responsabilité de créer cet organisme, et que les Premières nations doivent veiller à ce qu'il soit un organisme neutre et clairement axé sur la réalisation d'un objectif, c'est-à-dire s'attaquer à l'arriéré des revendications et faire de réels progrès chaque année.

Le sénateur Sibbeston : J'ai lu dans le journal la semaine dernière qu'il y a eu un règlement en Colombie-Britannique pour un montant de 31 millions de dollars relativement au terrain sur lequel l'assemblée législative de cette province est située. Bien évidemment, cette revendication se fondait sur des faits historiques; mais le problème que posent les revendications particulières ne tient-il pas en partie au fait qu'elles sont tellement fondées sur des faits historiques à ce point nébuleux et vagues qu'il est difficile de définir la nature de la revendication? Il ne fait pas de doute que les Premières nations, les Autochtones, vivaient sur les terres qui forment maintenant le Canada. Elles étaient réparties dans pratiquement toutes les régions du pays et dans les Territoires du Nord-Ouest, et d'autres régions de ce type, ce qui est reconnu. On remet de grandes étendues de terre aux Autochtones dans ces régions, en partie parce qu'elles sont très peu peuplées et qu'on peut se permettre de le faire, je suppose; toutefois, imaginons qu'un groupe plus près de nous soutienne qu'à un certain moment, le terrain sur lequel le Parlement du Canada est situé leur appartenait. Y a-t-il des revendications qui sont aussi nébuleuses et vagues que cela? Est-ce que ces revendications sont difficiles à quantifier et à définir?

M. Beaucage : Une des difficultés réside dans le fait que nous, les Premières nations, n'avons jamais appliqué le concept de propriété en fief simple; nous nous déplacions d'un endroit à un autre, et ce n'est qu'après que les tribunaux ont accepté les éléments de preuve oraux, la tradition orale et les récits qui ont été faits, l'information passant des aînés à la génération suivante, que ces éléments de preuve sont devenus crédibles au sein de l'appareil judiciaire. De toute évidence, l'une des difficultés consiste à s'assurer que tous les éléments de preuve venant des aînés sont transmis à la génération suivante. Nous observons actuellement ce problème dans le cas de nos langues; souvent, elles ne sont pas aussi bien transmises qu'elles le devraient.

Voilà une des difficultés : réunir des témoignages probants et de bons éléments de corroboration, car il n'existe pas de dossiers écrits.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur le président, je remercie le témoin de son exposé. À cette étape de notre histoire, au Canada, nous avons une occasion d'agir. Du côté du gouvernement fédéral, il y a M. Prentice qui, pendant de nombreuses années, au moins dix ans, a siégé à la Commission des revendications des Indiens. La situation est favorable, dans la mesure où nous avons un ministre qui comprend bien la situation, qui constate la gravité du problème et qui peut prendre des décisions.

Une seule interrogation persiste : est-ce que le gouvernement a la volonté politique de présenter une solution durable à ce problème? Du côté du Sénat, nous ferons de notre mieux, parce que, selon les témoignages que nous avons entendus, il faut établir un organisme indépendant, capable de prendre des décisions. Nous ferons de notre mieux pour soumettre des recommandations au gouvernement et nous espérons que nous nous trouvons à un moment opportun de notre histoire pour commencer à régler ce problème.

Le président : Merci, monsieur Beaucage. Nous vous sommes reconnaissants des recommandations claires, concises et précises que vous avez présentées. Je suis persuadé que vous allez en retrouver quelques-unes dans notre rapport.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Peter Di Gangi. Il est directeur du Secrétariat de la Nation algonquine.

Peter Di Gangi, directeur, Secrétariat de la nation algonquine : Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens à dire d'emblée que normalement un de nos chefs serait présent pour faire l'exposé, mais il y a eu un problème d'horaire. Notre assemblée annuelle se déroule justement cette semaine et aucun d'eux ne peut comparaître devant vous; j'ai donc préparé avec eux l'exposé à faire et on m'a confié le mandat de comparaître en leur nom.

Bien sûr, au nom des communautés pour lesquelles jetravaille, j'aimerais remercier les sénateurs de nous avoir invités ici aujourd'hui. Nous sommes sensibles au fait que votrecomité a pris l'initiative, encore une fois, d'étudier la question des revendications particulières. Nous nous souvenons qu'en 2003, votre comité a tenu des audiences sur le projetde loi C-6, Loi sur le règlement des revendications particulières; à l'époque, nous avions également fait un exposé.

J'aimerais vous parler un peu de nous. Notre conseil tribal représente trois Premières nations algonquines, qui vivent au Québec et en Ontario : celles du lac Barrière, de Timiskaming et de Wolf Lake. Chacune d'elles vit des réalités très différentes, ce qui peut donner lieu à toute une gamme de revendications potentielles en vertu de la politique relative aux revendications particulières.

La bande de Wolf Lake est l'une des rares bandes reconnues au Canada à laquelle on n'a jamais attribué une réserve. C'est ce qu'on appelle une bande sans terre et, pour cette raison, ses membres se voient refuser bon nombre des droits et des programmes dont bénéficient les autres Premières nations.

D'un autre côté, la Première nation de Timiskaming a obtenu une réserve, qui a fait l'objet d'un arpentage en 1854; toutefois, en raison de diverses modifications des limites, de nouveaux arpentages et d'environ 40 renonciations, la superficie de la réserve a diminué, passant de 100 000 acres à environ 5 000 acres aujourd'hui.

La réserve se compare à un damier dont les lots s'entremêlent avec ceux de la municipalité voisine de Notre-Dame- du-Nord, ce qui crée un certain nombre de conflits de compétences et d'autres différends, d'où une situation assez singulière. Les Algonquins du lac Barrière ont obtenu une réserve en 1963. Elle est située dans la réserve faunique La Vérendrye, au Québec. En raison de la politique du gouvernement québécois, ils n'ont reçu que 59 acres, ce qui ne permet pas de répondre à leurs besoins en logements et autres. Cette situation crée des problèmes, tout comme l'exploitation des réservoirs Cabonga et Dozois, adjacents à la réserve.

Dans ce dossier des revendications particulières, il faut prendre en considération le fait que nos communautés membres, ainsi que d'autres membres de la nation algonquine, sont signataires de traités qui ont été conclus avec la Couronne britanniqueentre 1760 et 1764. La non-exécution par la Couronne des dispositions de ces traités pourrait donner lieu à un certain nombre de revendications. Il faut ajouter à cela le fait que la Nation algonquine n'a pas conclu de traités portant sur ses titres ancestraux. Donc, dans les faits, les communautés pour lesquelles je travaille, de même que les autres membres de la nation algonquine, attendent toujours le règlement de revendications territoriales fondées sur des titres ancestraux visant la vallée de l'Outaouais, qui comprend la Colline du Parlement.

Ce n'est que vers 1996 que nous avons commencé à exécuter pour nos communautés des recherches liées aux revendications. C'était près de 25 ans après que le gouvernement fédéral eut annoncé sa politique en vue du règlement des revendications autochtones. Nous avons tardé à intervenir dans ce domaine et, depuis, nous nous efforçons de rattraper le temps perdu. La Première nation de Wolf Lake a déposé une revendication pourtant sur des terres de réserve. Cette revendication a été déposée il y a une dizaine d'années et elle fait actuellement l'objet d'une enquête par la Commission des revendications particulières des Indiens. Les revendications potentielles de la Première nation de Timiskaming sont très complexes. Elles visent à la fois la période antérieure à la Confédération et la période qui a suivi, et elles concernent des terres qui chevauchent les territoires de l'Ontario et du Québec. Afin de mieux gérer la préparation de ces revendications, nous avons conclu au printemps 2005 un accord de recherche en coopération avec la Direction générale des revendications particulières d'Affaires indiennes et du Nord Canada dans l'espoir d'accélérer l'étude et le traitement des revendications. Conformément à cet accord, neuf revendications ont été soumises l'année dernière à des fins d'examen.

À la lumière de nos expériences et de l'examen des objectifs de votre étude, nous avons quelques observations que nous voudrions vous présenter aujourd'hui. Elles ne sont pas exhaustives, mais nous espérons qu'elles aideront le comité à faire son travail.

La première de ces remarques concerne la nécessité d'un processus véritablement indépendant. Les communautés pour lesquelles je travaille estiment que le plus grand problème que posent la politique et le processus relatifs aux revendications particulières demeure le fait qu'ils ne sont ni équitables ni indépendants. En effet, c'est le défendeur qui contrôle la politique, le processus et le mouvement des fonds. Ce conflit d'intérêts inhérent demeure la plus importante barrière à la mise en place d'une politique et d'un processus concernant les revendications qui soient équitables et efficients. C'est pourquoi nous exhortons le comité à reconnaître la nécessité d'un organisme chargé des revendications qui soit véritablement indépendant, conformément à ce qui a été recommandé dans le rapport du groupe de travail mixte déposé par des hauts fonctionnaires du gouvernement et par des représentants du Comité des chefs sur les revendications en novembre 1998.

Seule la création d'un tel organisme peut nous garantir l'application d'une approche véritablement équitable en d'assurer le respect des obligations de la Couronne, prévues par la loi, envers les Premières nations. C'était la principale recommandation que nous avons présentée au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes, lorsque nous avons comparu en 2003, et c'est ce que nous continuons de faire.

La réforme de la politique n'a toujours pas eu lieu, et je peux dire que des questions cruciales liées au processus se posent à notre avis et d'après notre expérience. Nous savons que lorsque la Loi sur le règlement des revendications particulières a été mise de côté il y a plusieurs années, cela a donné l'impression que le gouvernement fédéral renonçait à ses tentatives de mettre en place un organisme chargé des revendications qui soit vraiment indépendant. Depuis, on nous a dit que la Direction générale des revendications particulières a pour objectif officiel d'accroître l'équité et l'efficience de la politique en vigueur.

Dans la mesure du possible, nous avons œuvré de concert avec le gouvernement fédéral afin d'améliorer le processus, ce qui a donné des résultats inégaux. Nous souhaiterions mettre en relief certaines des questions qui, selon nous, méritent une attention à cet égard. L'une d'elles a trait au roulement de personnel à la Direction générale des revendications particulières, au ministère fédéral de la Justice et à la Commission des revendications particulières des Indiens. D'après ce que nous avons pu constater, cela constitue une énorme entrave au bon fonctionnement du système. Bon nombre de nos revendications s'appuient sur des faits antérieurs à la Confédération et elles sont très complexes. Dans le cas de la revendication touchant la réserve de Wolf Lake, au moins quatre avocats différents du ministère fédéral de la Justice et six analystes différents de la Direction générale des revendications particulières, qui ont été chargés de ce dossier au cours des dix dernières années.

Par contraste, et en dépit de nombreuses difficultés, nous sommes arrivés à maintenir la continuité de notre équipe technique pendant toute cette période, mais cela ne s'est pas fait sans mal, en raison de problèmes de financement et d'autres questions. Nous observons que, du côté fédéral, il existe peu ou pas de mémoire institutionnelle et que les membres du personnel semblent être mutés à un autre poste dès qu'ils commencent à connaître le dossier. Nous sommes d'avis que cette pratique est certainement onéreuse et extrêmement inefficiente.

Depuis que j'ai commencé à faire ce genre de travail, il y a environ 25 ans, on a soulevé cette question à maintes reprises en présence de nos homologues fédéraux. Même si elle n'implique pas une modification importante de la politique, on n'a pratiquement pas agi ni amélioré les choses au cours des 25 dernières années. Il est difficile de concevoir comment rendre le processus plus efficace, dans la mesure où, dans le cadre des négociations, nos interlocuteurs changent constamment.

L'autre question que j'aimerais porter à votre attention est l'accès restreint aux dossiers fédéraux. Comme vous le savez, les revendications particulières découlent d'obligations légales qui incombent à la Couronne, et elles doivent reposer sur des faits. On ne peut les tirer de nulle part. Il faut documenter les revendications et prouver qu'il y a une obligation légale, ce qui nécessite des recherches exigeant souvent la consultation de dossiers fédéraux. L'un des problèmes auxquels nous faisons face lorsque nous travaillons pour les Premières nations, c'est l'accès restreint aux dossiers, qui procure un avantage immédiat à nos homologues fédéraux sur les plans de la documentation et des recherches sur les revendications particulières.

Pour résumer brièvement, je précise que les employés fédéraux et les consultants externes employés par le gouvernement du Canada bénéficient d'un accès total aux dossiers fédéraux. Lorsqu'il s'agit de trouver et d'examiner les documents, ils tiennent le haut du pavé. En revanche, les responsables des recherches au sein des Premières nations sont aux prises avec de nombreuses restrictions, en partie à cause de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans d'autres cas, nous faisons face à des délais d'attente de six à dix-huit mois pour pouvoir obtenir des documents à accès restreint ou non répertoriés qui se trouvent à Bibliothèque et Archives Canada. Ces obstacles ne manquent pas d'handicaper nos gens qui mènent les recherches, car ils ne peuvent avoir accès aux mêmes documents que leurs homologues du gouvernement et doivent parfois attendre plus longtemps pour les obtenir. Par conséquent, le gouvernement fédéral, le défendeur, est automatiquement avantagé, et dans bien des cas, les Premières nations doivent se rabattre sur des contre-recherches — sortes de recherches à des fins de clarification — effectuées par le fédéral pour combler les lacunes dans l'information qui est nécessaire pour documenter entièrement une revendication.

Cela va droit au cœur de la question du conflit d'intérêts et entraîne également des inefficacités considérables dans le système. Bien que l'on s'attende à ce que les Premières nations présentent des allégations documentées, on se demandera toujours si le tableau est complet, parce que certaines données n'auront pas été rendues disponibles. Parmi les documents d'information que nous vous avons remis figure un mémoire détaillé qui porte sur la question. En somme, cette situation nuit aux recherches menées par les Premières nations, tandis qu'elle favorise les recherches contrôlées ou grandement influencées par le gouvernement fédéral. On a soulevé cette question auprès des hauts fonctionnaires fédéraux au cours des dix dernières années, au moins. Ils ont reconnu l'existence du problème, sans toutefois manifester beaucoup de volonté de le régler.

L'autre élément à considérer, selon nous, est lacontre-recherche, ou la recherche aux fins de clarification, dont j'ai parlé tout à l'heure. Au cours de nos discussions avec la Direction générale des revendications particulières, ces dernières années, nous avons tenté de trouver des moyens de rendre le processus actuel plus efficace. Il semble que nous nous soyons entendus sur le fait qu'on pourrait économiser énormément de temps si les parties étaient en mesure de s'entendre sur les faits avant que l'exposé d'une revendication soit transmis au conseiller juridique de la Première nation à des fins de rédaction des arguments juridiques, et avant que le ministre de la Justice ne reçoive les documents pour un examen juridique. Cela permettrait d'épargner du temps et de l'argent au chapitre de la recherche, de même que des frais juridiques, car les conseillers juridiques auraient à examiner un seul exposé des faits, un seul ensemble de documents, et cetera, plutôt que des rapports concurrents et plusieurs groupes de documents. Dans le cadre des revendications territoriales de la réserve de Wolf Lake, étudiées par la Commission des revendications particulières des Indiens, nous avons adopté cette approche ainsi qu'un processus selon lequel la Direction générale des revendications particulières a passé en revue la recherche effectuée, relevé les lacunes qu'elle pouvait contenir et confirmé les données factuelles avant qu'elles soient transmises au conseiller juridique. Cela a permis d'économiser du temps et des ressources. Nous mettons la même méthode à l'essai en ce qui a trait aux revendications particulières de la bande de Timiskaming. Bien que nous ayons connu un certain succès, dans certains cas, les choses n'ont pas fonctionné comme nous le souhaitions. Nous essayons quand même cette solution.

Autre problème : le manque de ressources financières et humaines, non seulement du côté des Premières nations, mais également du gouvernement fédéral. Le financement disponible pour la recherche menée par les Premières nations n'a connu aucune augmentation en plus de dix ans, ce qui signifie que l'inflation a grugé une bonne partie des allocations existantes. Cela nuit à l'élaboration et à la préparation des revendications.

L'idée de répartir le financement sur plus d'un exercice financier est un autre problème. Pour l'essentiel, les unités de recherche sur les revendications, même si certaines existent depuis 25 ans ou plus, n'ont jamais de garantie de financement pour assurer la poursuite de leurs activités. Chaque année, il faut recommencer le même processus de demande de financement, de justification et de réception des fonds, ce qui nuit à la capacité de planification et entraîne beaucoup de difficultés pour ce qui est de conserver le même personnel.

Du côté du fédéral, le manque de ressources humaines et financières est aussi un boulet pour le système. Alors que je me préparais pour cette séance, j'ai passé en revue certains des témoignages que vous avez entendus ces derniers mois. J'ai noté que la directrice générale de la Direction des revendications particulières, Audrey Stewart, est venue témoigner ici en juin. À cette occasion, elle a indiqué que son budget d'exploitation interne avait été réduit d'à peu près un tiers au cours des cinq dernières années, passant de 6 millions à 4 millions, environ. Sa collègue Sylvia Duquette, du ministère de la Justice, a également fait savoir que son financement avait été réduit de façon significative pendant cette période. Il semble par ailleurs que beaucoup de postes prévus au budget de la Direction des revendications particulières et du ministère de la Justice demeurent vacants.

Je souligne tout simplement que cette situation est très semblable à celle des années ayant précédé la crise d'Oka en 1990. Les gouvernements successifs n'ont tout simplement pas fait une priorité de la résolution de ces litiges, et ont continuellement sabré dans le financement alloué aux recherches et aux négociations. De l'avis de certains, c'est ce qui a contribué en partie aux événements de l'été 1990.

Après cela, le gouvernement alors au pouvoir a commencé à injecter davantage de fonds dans le système. C'est à cette époque qu'on s'est affairé à mettre sur pied la Commission des revendications particulières des Indiens ainsi qu'à créer le groupe de travail mixte. Cependant, toute cette énergie, cette motivation et cette volonté politique se sont dissipées au fil des ans, et nous sommes revenus à la case départ : le financement est réduit, malgré le discours selon lequel le gouvernement actuel souhaite la résolution des litiges. Nous estimons que c'est un problème qu'il faut souligner. Comme nous l'avons déjà dit, bien que des ressources additionnelles ne règlent pas tout, elles sont une partie importante de la solution.

Nous avons noté que vous vous interrogez au sujet des obligations légales. La politique sur les revendications particulières permet-elle de régler les questions en suspens visant les obligations légales? Pas tout à fait selon nous. L'une des principales raisons à cela est le conflit d'intérêts inhérent : le défendeur contrôle tous les aspects du processus et de la politique.

À titre d'exemple, on se plaint notamment du fait que le projet de loi sur le règlement des revendications particulières aurait restreint les définitions actuelles de ce qui constitue une revendication particulière. Pour nous, c'était un exemple de remaniement de la politique par le gouvernement fédéral pour servir ses propres intérêts.

L'autre problème concernant les cadres stratégiques actuels, c'est que, de façon générale, ils n'ont pas suivi l'évolution de la jurisprudence. C'est en quelque sorte un cercle vicieux. Les gens sont aux prises avec des lacunes dans les politiques ou le processus, alors ils vont devant les tribunaux pour tenter de résoudre leurs litiges. Lorsqu'ils ont gain de cause, la politique n'est pas modifiée afin d'en tenir compte, et en conséquence, davantage de personnes se tournent vers les tribunaux.

Par exemple, à l'automne 2004, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans les affaires Haida et Taku River. Il s'agissait de certaines bandes, en Colombie-Britannique, qui revendiquaient des titres ancestraux. Elles n'étaient pas en processus de négociation; leurs revendications n'avaient pas été accueillies, mais elles défendaient leurs droits, preuves à l'appui. La cour a déterminé que dans des cas comme ceux-là, la Couronne avait l'obligation légale de consulter et d'accéder aux revendications lorsque les faits montraient que cela s'imposait.

Ces dernières années, depuis que ce jugement a été prononcé, le gouvernement fédéral n'a fait aucun effort pour élaborer une politique en conséquence. Pour tenter de résoudre les litiges, on s'y prend de façon improvisée et ponctuelle, et on constate que les gens continuent d'aller devant les tribunaux.

Le cas Mikisew est un autre exemple qui se rapporte à un traité, en fonction des principes établis dans l'affaire Haida, et cela était dû à l'absence de cadre stratégique pour régler le problème. Tout récemment, il y a eu un autre cas semblable. Le manque de politiques qui tiennent compte de la jurisprudence fait également en sorte que les gens s'en remettent aux tribunaux.

J'aimerais faire valoir certaines de nos recommandations. Certes, elles ne sont pas exhaustives. Elles sont seulement basées sur l'expérience que nous avons acquise en tentant de régler ces questions.

Ce n'est pas un dossier partisan, bien que j'aie entendu certains commentaires en ce sens tout à l'heure, lors de la précédente période des questions. Les gouvernements successifs de toutes allégeances ont parlé de l'objectif de respecter les obligations légales, en faisant toutefois très peu pour résoudre les problèmes en suspens concernant les politiques et le processus et, au cours de leur mandat, ils ont vu l'arriéré dans le traitement des revendications s'accroître malgré tous ces discours en faveur de sa réduction.

Je me souviens qu'après 1990, on a apporté quelques améliorations et changements au processus. Le ministre Siddon, qui était alors en poste, a indiqué qu'on évaluait à seulement dix ans le temps nécessaire pour résoudre toutes les revendications particulières. C'était il y a 16 ans, et nous sommes aux prises avec un arriéré encore plus important qu'à l'époque. Vous pouvez voir que c'est en quelque sorte un scénario qui se répète, sans que l'on progresse.

À la dernière page de notre mémoire, nous tentons d'exposer toutes ces considérations en cinq points. Voici ce que nous recommandons :

Premièrement, consacrer davantage de ressources à tous les niveaux.

Deuxièmement, régler le problème persistant du roulement de personnel à la Direction des revendications particulières, au ministère de la Justice et à la Commission des revendications particulières des Indiens.

Troisièmement, régler le problème de l'accès limité auxdossiers fédéraux, de même que celui des inefficacités liées à la contre-recherche.

Quatrièmement, créer un organisme indépendant chargé du règlement des revendications, conformément aux recommandations contenues dans le rapport du groupe de travail mixte de 1998.

Cinquièmement, s'assurer que les cadres stratégiques soient en phase avec l'évolution de la jurisprudence.

Enfin, j'aimerais vous remercier de nous avoir permis de comparaître devant vous ce matin. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions, dans la mesure du possible.

Le président : Avant de céder la parole aux intervenants, j'aimerais réitérer ce que vous avez dit. Il ne s'agit pas d'une question partisane. C'est un dossier qui a nui à notre nation pendant plusieurs années. Aucun gouvernement n'a réussi à remédier au problème.

C'est l'une des raisons qui expliquent notre décision de mener cette étude à ce stade-ci. Comme le sénateur Sibbeston l'a fait remarquer, nous croyons avoir une chance d'accomplir quelque chose maintenant parce que, peut-être pour la première fois dans notre histoire, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, M. Prentice, apporte une expérience considérable au ministère. Nous espérons qu'il sera en mesure de motiver le gouvernement actuel et les gouvernements futurs, afin qu'ils s'occupent de la question comme il se doit.

Le sénateur Peterson : Ma première question concerne le projet de loi C-6. D'autres témoins nous ont indiqué que les Premières nations le jugeaient inacceptable, et qu'il présentait des lacunes. Néanmoins, il semble qu'on les contourne.

Pour obtenir un processus et un cadre stratégique, l'adoption du projet de loi C-6 contribuerait-elle à faire avancer les choses? Ne pourrait-il pas créer cet organisme indépendant auquel vous avez fait allusion, ou cela prendrait-il trop de temps?

M. Di Gangi : Voulez-vous dire que le fait d'apporter des amendements au projet de loi pourrait pallier certaines des lacunes et permettrait d'aller de l'avant?

Le sénateur Peterson : Oui. Selon moi, à lui seul, le titre du projet de loi — Loi sur le règlement des revendications particulières — tend à indiquer qu'il s'agit d'un cadre stratégique pour la résolution des litiges. Ne devrait-on pas modifier ce projet de loi, ou le rendre applicable?

M. Di Gangi : C'est un argument très pertinent. À cemoment-là, les Premières nations ont beaucoup discuté de ce qu'il fallait faire, parce que le projet de loi était très différent de ce qu'on proposait dans le rapport du groupe de travail mixte. On se demandait s'il était judicieux de suggérer qu'on le modifie ou préférable de s'en tenir au rapport du groupe de travail mixte étant donné que la différence par rapport à la LRRP était énorme.

Honnêtement, aujourd'hui je ne suis pas sûr. D'un côté, on pourrait améliorer la loi en la modifiant, mais de l'autre, nous sommes tellement mal partis qu'il vaudrait peut-être mieux commencer à travailler à partir des recommandations du groupe de travail mixte.

Pendant la dernière série d'audiences tenues en 2003, plusieurs intervenants ont recommandé des amendements très précis qui pouvaient être envisagés à l'époque. Lorsque la LRRP a été débattue au Parlement, les partis d'opposition du jour ont aussi proposé un certain nombre d'amendements. En toute honnêteté, je dois dire que si l'on veut revenir sur ce dossier, il faudrait probablement examiner la loi et ces amendements ainsi que le rapport du groupe de travail mixte pour déterminer la meilleure façon de travailler en collaboration.

Le sénateur Peterson : Ma prochaine question porte sur le manque de ressources, une préoccupation qui a été soulevée par tous les témoins jusqu'à présent.

Maintenant que les fonds ont été débloqués pour les revendications, je suppose que vous tentez d'en régler un certain nombre qui en sont à diverses étapes. Serait-il juste ou acceptable de consacrer la majorité des ressources à cinq ou dix revendications, par exemple, jusqu'à ce qu'on parvienne à une entente? On pourrait s'employer à régler un nombre réaliste de revendications pour essayer de faire avancer les choses. Serait-ce faisable?

M. Di Gangi : Oui. Nous avons toujours essayé de travailler en collaboration avec la Direction générale des revendications particulières.

Par exemple, en ce qui concerne la communauté de Timiskaming, 40 revendications sur les cessions de terres pourraient être formulées. Notre examen nous a révélé que chacune des transactions pouvait être douteuse et devait faire l'objet d'une vérification. Il y a aussi des questions relatives aux arpentages et aux limites. Nous avons consulté la communauté pour essayer d'établir un ordre de priorité; nous avons ensuite expliqué à la Direction générale des revendications particulières ce qui était, à notre avis, la façon la plus efficace de procéder : nous voulions qu'elle accorde la priorité à certaines revendications avant de s'occuper des autres.

Dans l'ensemble, je sais que, depuis quelques années, la Direction générale des revendications particulières tente de classer les revendications par ordre de priorité et de déterminer comment elle doit traiter toutes les revendications présentées. Elle a formé une équipe chargée des revendications sur les cessions de terres. Au sein de cette équipe, des conseillers juridiques et des analystes ont commencé à traiter un certain nombre de ces revendications pour vérifier si elles sont conformes aux dispositions de la Loi sur les Indiens. Cela permettra de simplifier la gestion. Il s'agit là d'une autre initiative qui va dans le sens de ce que vous avez proposé.

Le sénateur Dyck : Merci, monsieur Di Gangi. C'était un brillant exposé. Les commentaires que vous avez faits sur le processus de recherche m'ont particulièrement intéressé. Comme je mène moi aussi des recherches, je sais à quel point ce processus est essentiel dans le cadre des revendications. Vous avez dit que les responsables des recherches au gouvernement fédéral et ceux des Premières nations n'ont pas le même accès à l'information et qu'il s'agit d'un obstacle majeur.

Que recommanderiez-vous? Que devrions-nous faire pour que les Autochtones chargés des recherches aient le même accès aux dossiers fédéraux?

M. Di Gangi : Il y a plusieurs façons de remédier à la situation. J'aimerais d'abord faire une mise au point; lorsque nous critiquons les différences d'accès, nous ne demandons pas d'avoir accès à tous les documents fédéraux parce que nous sommes conscients du fait qu'il faut respecter la protection des renseignements personnels et le secret professionnel. Nous ne nous attendons pas à obtenir les tout derniers avis juridiques émis par le ministère de la Justice relativement aux revendications. Nous devons être réalistes quant à l'information que nous pouvons obtenir. Cela étant dit, nous pourrions prendre certaines mesures pour faciliter l'accès à l'information sans modifier la législation actuelle.

Par exemple, nous savons que le cas des sous-traitants embauchés par le ministère pour assurer la contre- vérification, il suffit qu'un directeur fasse parvenir au service des archives, ou à quiconque est responsable de la tenue des dossiers, une lettre indiquant que ces personnes doivent être considérées comme des employés fédéraux pour qu'elles aient accès à l'information. Ce qui veut dire qu'ils n'ont pas à présenter les demandes d'accès à l'information habituelles ni, par conséquent, à attendre de six à dix-huit mois pour avoir accès aux renseignements et ainsi déterminer clairement quelles informations sont disponibles. Tout ce qu'il faut, c'est une lettre rédigée de façon à ne pas autoriser un accès sans restriction. C'est une solution facile.

Une autre façon serait de procéder au cas par cas. C'est toutefois plus difficile pour le ministère étant donné que le contrôle de l'information fait partie intégrante de son travail.

Le sénateur Dyck : Franchement, je n'en crois pas mes oreilles. Le fait que les Premières nations n'ont pas accès à l'information mine sérieusement leur capacité de mener des recherches. Dans notre société, nous considérons que la vérité se trouve dans les documents écrits, car nous tenons pour acquis qu'ils sont exacts.

Mais qu'en est-il de l'histoire orale racontée par les aînés? D'après votre expérience, quelle valeur accorde-t-on aux témoignages oraux par rapport aux documents écrits? Est-ce qu'on consacre le gros des efforts à comparer les documents écrits avec le savoir et l'interprétation traditionnels ainsi que l'histoire orale?

M. Di Gangi : C'est une bonne question. On m'a toujours enseigné à recueillir l'histoire orale et de la respecter. Or, un problème se pose : bon nombre de nos aînés sont déjà décédés, et pour les autres, le temps est compté. Lorsque nous avons entrepris notre projet de recherche en 1996, nous avons en premier lieu interrogé les personnes âgées parce que nous savions que le temps pressait et que le projet était long. C'était une priorité.

Plus vous remontez dans le temps, plus c'est difficile parce que les aînés ont disparus. À ce moment-là, nous tentons de nous fier à des documents qui ont été recueillis entre autres par des anthropologues dans le passé. Frank Speck, un anthropologue reconnu dans les années 1910, a mené plusieurs entrevues dans les régions de Temagami, Timiskaming et Maniwaki entre 1912 et 1915. Nous avons pu lire ses notes et certaines des transcriptions des entrevues qu'il a réalisées. Ce sont tous des aspects importants de notre travail.

Il arrive que des documents datant des XVIIIe et XIXe siècles relatent des histoires orales. Par ailleurs, compte tenu du fonctionnement de nos tribunaux et de notre système judiciaire, il n'est probablement pas prudent de se fier exclusivement à des témoignages oraux. Nous devons être en mesure de les corroborer, comme le chef du Grand conseil l'a indiqué au cours de la séance précédente, et de démontrer que d'autres preuves nous amènent à la même conclusion.

Tout d'abord, il faut recueillir et consigner les témoignages des personnes âgées de façon méthodique avant la disparition de ces aînés afin d'en conserver une trace fiable. Ensuite, il faut corroborer ces témoignages par des documents.

Le sénateur Dyck : Vous avez dit que les cadres stratégiques devaient évoluer au même rythme que la jurisprudence. Ce cadre stratégique établit-il les critères selon lesquels une revendication particulière est jugée recevable ou non? Comment le gouvernement fédéral prend-il sa décision? Existe-t-il un processus lui permettant de déterminer si une revendication est suffisamment fondée pour être examinée? A-t-on jamais défini ces critères? Est-ce que cette information devrait être diffusée?

M. Di Gangi : Votre remarque est intéressante. D'un côté, vous avez ce que dit la politique, en ce sens qu'elle énonce les critères s'appliquant aux revendications particulières, comme l'inobservation des dispositions des traités et les infractions à la Loi sur les Indiens ou à d'autres obligations légales. Ces critères sont clairement définis dans la politique.

À ma connaissance, lorsque le dossier renfermant les données factuelles est soumis au ministère de la Justice, on procède à une évaluation des risques. « Si nous nous adressons aux tribunaux, allons-nous perdre? » Si l'évaluation révèle que le ministère a 90 p. 100 de possibilités de perdre, à ce moment-là, il négociera. Moins il a de risques de perdre, plus il se demandera si cela vaut la peine de négocier. Si l'avocat du ministère de la Justice est d'avis que la Couronne a 40 p. 100 de chances d'avoir gain de cause, le gouvernement sera moins porté à négocier.

L'un des problèmes, qui pourrait être vu comme un conflit d'intérêts, c'est que l'avocat du ministère de la Justice défend l'intimé et présente des recommandations au ministre. Je crois savoir que ce ne sont pas véritablement les avocats qui rendent la décision finale, parce qu'au bout du compte, c'est au ministre ou au sous-ministre qu'il appartient d'accepter ou de rejeter une demande concernant une revendication. Il y a un comité au sein d'AINC qui examine la validité des revendications et formule des recommandations sur ce qu'il convient de faire. L'avis des avocats de la Couronne quant aux risques que court le ministère public compte tout de même pour beaucoup.

Le sénateur Dyck : Autrement dit, la revendication n'est pas jugée nécessairement sur son bien-fondé, mais surtout sur le fait que cela placerait le gouvernement fédéral dans une situation où il risquerait de perdre devant les tribunaux. C'est ce que vous dites, n'est-ce pas?

M. Di Gangi : Oui, mais ce qui est ironique, c'est que c'est justement quand le gouvernement risque de perdre que la revendication est justifiée.

Le sénateur Dyck : On ne se préoccupe pas de savoir si c'est une bonne revendication, mais plutôt de ne pas perdre devant les tribunaux. On voit cela d'une façon plus négative que positive.

M. Di Gangi : Oui, mais pour être de bonne foi, on doit établir certains critères pour déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, et s'en tenir à ce qui a été décidé.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur Di Gangi, merci pour la clarté de votre exposé et de vos recommandations. Il n'y a rien que je puisse ajouter. Cela me confirme que vous êtes une personne très rationnelle. Si c'est la façon dont les Premières nations règlent leurs revendications, c'est très légitime et fondé sur des faits historiques. C'est un processus cohérent. Les Premières nations présentent au gouvernement fédéral des revendications historiques et légitimes de manière logique. C'est décourageant de constater que le traitement des revendications est retardé et prend tellement de temps et de savoir que notre gouvernement fédéral a autant de difficulté à les régler, même si celles-ci sont légitimes et que les Premières nations font preuve de patience et de constance. C'est ce qui transparaît de votre exposé de ce matin.

Cela m'amène à croire que le groupe de travail mixte a constitué la mesure la plus efficace prise en ce sens. Seriez- vous prêts à convenir que, jusqu'à maintenant, le groupe de travail mixte qui comprend des représentants des Premières nations et du gouvernement fédéral est l'approche à privilégier au titre du processus des revendications particulières? Le seul autre moyen consisterait à effacer complètement l'ardoise et mettre en place un organe indépendant doté de toutes les ressources nécessaires pour traiter les revendications. Qu'en pensez-vous? Je constate que vous recommandez notamment la mise en place d'un tel organisme conformément aux recommandations également formulées par le groupe de travail mixte. C'est par là que doit passer la solution.

M. Di Gangi : Je suis d'accord. Voilà déjà un bon moment que je contribue aux efforts déployés à cette fin. En fait, j'ai commencé à travailler comme recherchiste étudiant pour le compte de l'Union des Indiens de l'Ontario lorsque le grand chef était président dans les années 1970. En considérant les différentes tentatives de réforme stratégique menées au cours des années qui ont suivi, je constate que le groupe de travail mixte est l'avenue qui semble offrir les chances les plus concrètes de réussite dans les efforts pour en arriver à une approche équitable et juste permettant de cerner les problèmes et de proposer des solutions. C'est d'ailleurs peut-être la raison pour laquelle le gouvernement a choisi de renoncer à cette approche en fin de compte.

À la lumière de ma participation à ce processus, je sais qu'il pouvait compter sur la participation d'esprits très éclairés du côté fédéral. Il y a eu de nombreux échanges fort animés. Il est important de noter que le rapport du groupe de travail mixte est le fruit de concessions et de compromis importants, tant de la part des Premières nations que du gouvernement fédéral. Ce n'est pas comme si on cédait sur toute la ligne au bénéfice des Autochtones. La rédaction de ce rapport a exigé des négociations très serrées et des compromis fort difficiles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les représentants des Premières nations ont été découragés et déçus à ce point lorsque le gouvernement en place a décidé de ne pas y donner suite et de revenir plutôt à la charge avec la Loi sur le règlement des revendications particulières, un mécanisme complètement différent et allant à l'encontre de ce qui avait été convenu par le groupe de travail mixte.

Compte tenu de tout ce qui a été accompli au cours des 30 dernières années, je dirais certes que le rapport du groupe de travail mixte est ce qui s'est apparenté le plus à une approche équilibrée. Ces efforts ont été consentis parallèlement aux travaux de la commission royale qui se penchait sur des questions d'ordre plus général concernant les peuples autochtones. Les conclusions de la commission ont donc également été prises en compte.

Pour terminer, j'aimerais également faire valoir qu'il est important de ne pas réinventer la roue lorsque cela n'est pas nécessaire. Compte tenu du dur labeur et des compromis importants qu'a exigé la rédaction de ce rapport à l'époque, ce serait une véritable honte de le mettre sur une tablette et de poursuivre sans en tenir compte, d'autant plus qu'il constitue un outil pratique et axé sur les résultats, plutôt que le fruit d'un travail teinté d'arrogance et d'irréalisme.

Le sénateur Sibbeston : Je note qu'au moment où notre comité a examiné la Loi sur le règlement des revendications particulières, nous avons reconnu les limites de cette loi et le fait qu'elle ne donnait certes pas suite à toutes les recommandations formulées par le groupe de travail mixte. Bien qu'il s'agissait d'une amélioration par rapport à ce qui existait déjà, nous espérions sincèrement que des ajouts pourraient y être apportés de telle sorte que la totalité des recommandations du groupe de travail puissent se concrétiser. C'était notre point de vue à ce moment-là.

Quelle que soit la situation, vous essayez toujours de faire pour le mieux. C'est la raison pour laquelle j'ai appuyé la Loi sur le règlement des revendications particulières. Notre comité y a apporté de légères modifications. Par exemple, le plafond a été haussé à 10 millions de dollars. En outre, il y avait notamment des garanties fédérales relativement aux nominations. Quoi qu'il en soit, cette loi n'a jamais été promulguée et n'est donc pas entrée en vigueur. Nous en sommes donc revenus à la case départ et aucune amélioration n'a été apportée; c'est l'impasse. Nous sommes bien conscients qu'il y a un problème grave et que si rien n'est fait pour le régler, il pourrait y avoir davantage d'incidents comme ceux d'Oka et de Caledonia.

Les manifestations de ce genre pourraient se multiplier si on ne règle pas la question des revendications particulières. Existe-t-il dans la région où vous travaillez des situations qui pourraient donner lieu à de tels débordements? Pourrait-il se produire d'autres incidents qui mettraient davantage en lumière la situation que vivent les Autochtones et qui obligeraient, en bout de ligne, le gouvernement du Canada à traiter plus sérieusement ces revendications?

M. Di Gangi : Nous sommes notamment confrontés à des situations où des frictions se créent en raison de griefs non résolus. Il est bien certain que je ne me ferai jamais l'apôtre de la violence ou de toute autre manifestation de ce genre. Par ailleurs, il faut reconnaître qu'il existe des situations semblables qui, en l'absence des correctifs nécessaires, risquent de mener à de tels débordements.

Quant à ce que nous avons nous-mêmes vécu, en remontant un peu en arrière, je pense au Fort Témiscamingue, un site historique national datant de la période française sur les rives du lac du même nom. On peut y trouver des traces d'une occupation autochtone continue sur une période de quelque 6 000 ans. C'était un lieu de commerce important pour le peuple algonquin. On y a trouvé des marchandises en provenance de la Baie James et de la côte Est notamment.

Au XVIIIe siècle, les Français y ont établi un poste de traite. La Compagnie de la Baie d'Hudson a poursuivi les activités commerciales à cet endroit jusqu'aux environs de 1900. Tout ça pour vous dire qu'il s'agit d'un site très ancien qui abrite également des lieux de sépulture dont certains sont identifiés.

En 1998, Parcs Canada effectuait des rénovations et cherchait les fondations d'une grange de la Compagnie de la Baie d'Hudson lorsqu'on a excavé un lieu de sépulture non identifié. Contrairement à ce que prévoient ses propres règles, la société a simplement déplacé la rétrocaveuse d'une dizaine de pieds pour poursuivre ses fouilles. On a alors déterré une deuxième sépulture, puis déplacé à nouveau la pelle mécanique pour aboutir sur une troisième tombe. Lorsqu'on s'est enfin rendu compte qu'il s'agissait de dépouilles autochtones, on s'est adressé au chef local et aux anciens de la communauté qui ont exigé que toutes les opérations soient arrêtées jusqu'à qu'ils déterminent l'emplacement exact du cimetière et son étendue de manière à ce que les mesures protectrices puissent être prises.

Mais à ce moment-là, les responsables de Parcs Canada avaient d'autres priorités. Comme ils étaient liés par contrat à des entrepreneurs et avaient des échéanciers à respecter, ils ont indiqué qu'ils devaient terminer le projet. Ils ont donc décrété la reprise des travaux. À l'issue d'une série de réunions locales, la communauté a décidé de faire le nécessaire pour protéger les sépultures. Les Autochtones ont alors provoqué la fermeture du site. Ils devaient prendre de telles mesures draconiennes parce qu'ils sentaient que quelque chose d'important était en jeu et qu'il leur fallait agir pour protéger ces restes humains.

Heureusement, cet incident a amené Parcs Canada à revoir sa position et à commencer à travailler de concert avec la collectivité pour régler les différends, déterminer l'étendue du cimetière et prendre les mesures de protection requises. On a fini par conclure une entente de coopération pour la gestion de ce site.

Cela se passait il y a environ huit ans. Ce qui était un différend au départ est devenu au fil de ces huit années un arrangement davantage fondé sur la coopération et sur des principes d'affaires en vertu duquel la communauté a son mot à dire quant à la gestion et à l'exploitation du site. Voilà un exemple d'une situation conflictuelle où l'on essaie d'éviter les affrontements en prenant des mesures concrètes.

Je me souviens d'un autre cas. Comme je l'ai déjà indiqué, en raison de différentes rétrocessions, la réserve de Timiskaming et la municipalité avoisinante ont maintenant l'aspect d'un véritable damier. Des membres de la bande indienne vivent sur des terrains qui sont censés appartenir à la municipalité. D'autres terres font l'objet d'un différend. Il y a de toute évidence des risques de friction. La situation est très complexe parce qu'elle met en cause le gouvernement provincial, la municipalité, le gouvernement autochtone et le gouvernement fédéral. Dans de tels cas, nous essayons d'accélérer les recherches concernant ces revendications, de réunir la documentation requise et de régler ces dossiers de manière à éviter les frictions.

Lorsqu'il existe des risques de conflit, nous nous efforçons de traiter les dossiers en priorité de manière à pouvoir établir les faits et nous donner un fondement rationnel pour régler le différend.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Avez-vous des terres publiques réservées pour les Autochtones?

M. Di Gangi : C'est le cas pour deux de nos communautés, mais pas pour une autre.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Croyez-vous que cela devrait être intégré au processus des revendications particulières? Comme vos communautés sont en pleine croissance et ne profitent pas d'une superficie suffisante, devrait-on réserver des terres pour les Autochtones? Selon moi, cela devrait faire partie du processus des revendications particulières.

M. Di Gangi : Nous avons essayé de régler cette question, notamment pour la communauté de Wolf Lake, au moyen du processus des revendications particulières. Il y a des terres publiques disponibles dans la région. Il y a également des terres privées. Un des problèmes pour cette communauté vient du fait que le gouvernement fédéral ne veut pas consentir les investissements requis pour établir une nouvelle communauté avec l'infrastructure nécessaire et les programmes et services permanents que ce la exige. C'est le véritable obstacle auquel est confrontée la communauté en question.

Le sénateur Hubley : Une occasion unique se présente à notre comité. Il y a d'abord le ministre Prentice qui comprend bien la situation et qui fait montre d'ouverture à cet égard. Il attend par contre les recommandations de notre comité pour l'aider à mettre fin au statu quo. Nous avons également un président très solide et des gens fort compétents autour de cette table. Je ne voudrais pas que toutes ces ressources soient gaspillées en pure perte. Je vais faire un survol de vos recommandations pour voir si nous pouvons en dégager des pistes de solution.

L'accroissement des ressources disponibles à tous les paliers est une excellente idée. Comme le sénateur Campbell l'a signalé, nous savons exactement ce dont nous avons besoin pour régler l'arriéré. Cependant, si notre comité dit simplement au gouvernement qu'il veut plus d'argent ici et plus d'argent là, sans lui présenter un plan raisonnablement susceptible de régler tout au moins une partie des problèmes, on nous accusera simplement de vouloir injecter davantage de fonds dans le dossier, et ce n'est pas la solution.

Vous avez parlé du problème que vous causent le taux roulement du personnel étant donné qu'il faut 20 ans pour régler une revendication territoriale. Dans un tel contexte,ne va-t-il pas de soi qu'il y aura des problèmes de continuité et de suivi des dossiers?

Pour ce qui est de l'accès aux enregistrements, tant pour l'histoire écrite que pour la tradition orale, les deux parties doivent conjuguer leurs efforts. On ne peut pas travailler chacun de son côté en espérant que cela fonctionne. Si le gouvernement a accès à des renseignements historiques, il doit les partager. Si les Premières nations ne peuvent pas consulter ces renseignements, il y a un problème avec le système.

Je pourrais poursuivre dans la même veine, mais je préfère noter un point positif que j'ai entendu relativement aux possibilités qu'ouvre le groupe de travail mixte. En l'espèce, le mot important est « mixte ». Si notre comité n'en arrive pas à des conclusions permettant la mise en œuvre de mesures capables de produire certains résultats, c'est que nous n'aurons pas été à la hauteur.

On nous a dit que les Premières nations devraient avoir un rôle à jouer. On nous a dit la même chose pour le gouvernement du Canada. On a fait valoir qu'il devrait y avoir des archéologues, un processus d'appel et des équipes de recherche mixtes. Il y a des modèles qui fonctionnent. Il existe de tels modèles au sein du gouvernement du Canada. Je pense notamment au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) que je connais très bien. Des groupes de personnes écoutent les témoignages et rendent une décision en s'appuyant sur la preuve qui leur est présentée. Si les parties ne sont pas d'accord avec la décision rendue, elles peuvent intenter des poursuites, ce qui n'est pas sans faire réfléchir n'importe quel tribunal administratif. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de dire que telle ou telle chose ne fonctionne pas bien. Nous devons conjuguer nos efforts pour trouver une solution.

Cet organe indépendant est la piste qui semble se dessiner, mais je ne vois pas encore quelle forme il pourrait prendre, de quel pouvoir il disposerait et de quelles ressources il aurait besoin.

Avez-vous des commentaires maintenant que j'ai exposé tout cela?

M. Di Gangi : Je vais essayer d'être bref. Pour ce qui est de savoir la forme que cet organe prendrait et les coûts qui y seraient associés, je vous renvoie au rapport du groupe de travail mixte parce qu'il s'agit de considérations qui ont été prises en compte au moment de sa production. De nombreux esprits éclairés des deux parties ont réfléchi à la question pour en arriver à ce qui est présenté dans le rapport. Je dirais qu'il s'agit d'un bon point de départ.

J'aurais une simple précision concernant le problème du roulement de personnel. Vous avez raison de souligner qu'il s'agit d'un phénomène normal sur une période de 20 ans. Cependant, je vous parle ici de périodes de six mois, de 12 mois, de 18 mois. Toutes les fois que vous investissez dans des ressources humaines, vous souhaitez les conserver à votre service.

Les revendications que nous devons traiter au Québec sont très complexes et remontent à très loin en arrière. Le gouvernement fédéral lui-même exige toutes sortes de preuves — des tonnes de preuves. Lorsqu'un employé s'attaque à un dossier et consacre une année ou deux à l'examen de l'ensemble de la preuve afin de connaître les faits en cause, son transfert à un autre service constitue une véritable perte. Il y a un impact direct sur la capacité de traitement.

Je suis d'accord avec vous. Le roulement de personnel est un phénomène normal à long terme, mais nous parlons ici de périodes beaucoup plus courtes.

Le sénateur Hubley : C'est donc un problème beaucoup plus grave.

Le sénateur Watt : Je vous ai entendu dire qu'il ne servait à rien de réinventer la roue étant donné que les Premières nations ont déjà fait le travail nécessaire pour trouver des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.

Peut-être que notre comité devrait se concentrer sur cet aspect d'abord et avant tout en examinant bien le travail déjà accompli et en l'utilisant comme base pour étayer ses recommandations au besoin.

Comme c'est presque toujours le cas dans la vie lorsque les règles ou les politiques en place sont trop nombreuses, il arrive qu'on s'en serve pour entraver le processus et le ralentir. C'est un peu ce qui s'est produit au fil des ans.

Je vais vous donner un exemple tiré de mon expérience personnelle. Nous avons intenté une poursuite juridique à la fin de 1972, obtenu une décision et soumis notre cause à la Cour d'appel en 1973. C'est là que la négociation est entrée en jeu. L'entente définitive a été conclue en 1975.

À l'époque, il n'y avait aucune politique. Tout ce qui importait, c'était de répondre aux besoins des Autochtones. Je vous parle d'Hydro-Québec et de dossiers semblables.

Si vous continuez de traiter avec un seul ordre de gouvernement, le gouvernement du Canada, nous savons qu'il se retrouvera dans une situation de conflit d'intérêts. Sans l'intervention d'un gouvernement provincial, sans la participation d'une tierce partie, je crois que nous n'irons nulle part; tout dépend des parties en cause dans les négociations, de la forme des négociations menées, de l'intervention d'un tiers, du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial, parce qu'il s'agit de questions qui intéressent effectivement des tiers, et parce que les Autochtones veulent vraiment protéger leurs intérêts. Les Autochtones auraient donc une bonne raison de se présenter à la table pour négocier.

Si le groupe de négociateurs n'est pas bien équilibré, s'il penche davantage vers une solution politique au détriment d'une avenue économique, vous aurez droit à des négociations à sens unique. C'est comme cela que les choses se sont passées dans ce dossier.

Vous avez indiqué que le groupe de travail avait déjà abattu un boulot considérable dans la recherche d'une solution et que nous devrions nous en servir comme point de départ. Est-ce la recommandation que vous formulez à l'intention du comité?

M. Di Gangi : Je suppose que cela dépend des objectifs que l'on se fixe; je me suis d'ailleurs penché sur cet aspect avant de me présenter ici. En définitive, cela revient à se poser la question suivante : voulez-vous changer la politique et formuler une recommandation en conséquence? Si tel est le cas, le rapport du groupe de travail mixte serait effectivement un bon point de départ. Si vous estimez toutefois qu'il n'est pas possible de changer les politiques et qu'il vous faut mettre davantage l'accent sur le processus et les moyens à prendre pour que les mécanismes et les politiques en vigueur soient plus équitables et plus efficients, alors je suppose que vous devez déterminer les mesures supplémentaires qui s'imposent.

Nous espérons certes que le gouvernement va renouveler son engagement à revoir la politique afin de la rendre plus juste et plus équitable. C'est ce que nous souhaiterions et c'est ainsi que je vais conclure.

Le président : C'est un signal d'alarme. Il ne fait aucun doute qu'en ma qualité de président de ce comité, on m'a demandé pour quelle raison nous nous penchions sur ces questions qui ont déjà été examinées par le groupe de travail mixte, la CRPA et différents groupes d'étude. Nous essayons de faire valoir que le moment est venu d'agir. Comme les sénateurs Sibbeston et Campbell l'ont souligné, ce n'est pas une question partisane. Le ministre a indiqué que c'était une affaire de droits de la personne; je pense au cas Delgamuukw, qui a mis en lumière la question de la tradition orale, ainsi qu'au cas Powley pour les Métis. Il semble qu'une poursuite en justice soit nécessaire pour faire bouger les choses dans les dossiers autochtones, mais nous vous sommes vraiment reconnaissants pour votre exposé d'aujourd'hui. Je crois que tous les éléments de solution qui pourraient émaner de nos discussions ont déjà été suggérés.

Certains cas viennent d'être réglés au Manitoba. C'est le ministre Prentice qui s'en est chargé et la province a eu un rôle à jouer. En Colombie-Britannique, le premier ministre Campbell a pris les choses en main et a pratiquement fait volte-face dans les dossiers autochtones. Je pense que le sénateur Campbell sera d'accord sur ce point; on peut noter une amélioration marquée. La participation des provinces est toutefois requise étant donné qu'elles détiennent des terres publiques qui ont souvent un rôle à jouer dans le règlement de ces conflits.

La séance est levée.


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