Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 11 - Témoignages du 22 novembre 2006
OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 18 h 15 afin d'examiner, pour en faire rapport, le processus fédéral de règlement des revendications particulières.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'ai le plaisir de vous accueillir au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude spéciale sur les revendications particulières. Le comité a l'intention d'examiner le processus fédéral de règlement des revendications particulières en vue de formuler des recommandations qui puissent contribuer au règlement satisfaisant, en temps opportun, des griefs des Premières nations à cet égard.
Je vais vous présenter les membres du comité. À ma gauche se trouve le sénateur Nick Sibbeston, vice-président du comité, Territoires du Nord-Ouest. À côté du sénateur Sibbeston, nous avons le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick. À côté du sénateur Lovelace Nicholas, nous avons le sénateur Dyck, de la Saskatchewan et, à côté de lui, le sénateur Hubleyde l'Île-du-Prince-Édouard. À ma droite se trouve le sénateur Watt, du Québec, et à côté de lui le sénateur Leonard Gustafson, de la Saskatchewan.
Collègues, nous sommes heureux d'accueillir comme premier témoin Mme Gillian Allen, chargée de recherche auprès de la Union of Nova Scotia Indians.
Gillian Allen, chargée de recherche, Union of Nova Scotia Indians : Merci, monsieur le président. Au nom de l'Union of Nova Scotia Indians, connue sous le sigle UNSI, je remercie le comité de son invitation à comparaître sur le thème des revendications particulières.
L'Union a été formée en 1969 et constitue un conseiltribal représentant sept des 13 nations micmaques de la Nouvelle-Écosse. De 1973 à 1992, elle a mené ses propres recherches sur les revendications particulières, préparant et présentant les revendications pour le compte des bandes membres. En 1992, l'Union a fondé le Treaty and Aboriginal Rights Research Centre, connu sous le nom de Centre TARR, avec pour mandat de mener les recherches et de produire les présentations des revendications particulières pour les sept bandes de l'UNSI.
Vingt-neuf revendications provenant de la Nouvelle-Écosse ont été déposées auprès du gouvernement fédéral et, sur ce nombre, seules deux ont fait l'objet d'une négociation et d'un règlement, l'une en 1973 et l'autre en 2001. Dix-neuf revendications restent en souffrance quelque part à la Direction générale des revendications particulières ou au ministère de la Justice. Les autres ont été réglées par d'autres moyens ou rejetées pour cause d'absence d'obligation légale.
Dans notre mémoire écrit, les annexes A et B et lesfigures 1 à 4 donnent un aperçu de toutes les terres indiennesen Nouvelle-Écosse, avec quelques dates clés de l'administration des terres indiennes, l'emplacement des réserves et des autres terres indiennes de la province.
Je vais maintenant aborder la première des sept questions posées dans votre mandat, à savoir les différents stades du mécanisme des revendications particulières où interviennent des retards. Les revendications de la Nouvelle-Écosse se voient retardées dès leur dépôt car, comme toutes les autres, elles sont envoyées à un cabinet de recherche privé qui reprend toutes les recherches à zéro. Cela peut retarder le traitement de la réclamation de quelques mois à plusieurs années. Il nous est difficile de comprendre pourquoi chaque revendication doit être soumise à une contre-recherche ou recherche de confirmation.
Le deuxième stade auquel interviennent de retards considérables est celui de l'examen par le ministère de la Justice. Les revendications transmises au ministère ne semblent jamais en revenir.
Le troisième stade où de produisent des retards, c'est celui de la négociation. Une fois qu'une revendication parvient à l'étape de la négociation, des retards interviennent du fait que des mois ou des années séparent les offres, les contre- offres et les séances de négociations. Au niveau des organisations de recherche en Nouvelle-Écosse, les retards interviennent le plus souvent au stade de la recherche et de la réunion de documents et sont occasionnés par l'ampleur des recherches requises pour chaque revendication et le grand nombre des documents à réunir, copier et transcrire à l'appui de chaque demande déposée. La deuxième cause de retard réside dans le critère d'attribution des terres aux bandes de la politique relative aux ayants droits. Vous trouverez davantage de détails sur cette politique et son application en Nouvelle-Écosse aux pages 8 et 9 du mémoire. Les recherches requises pour produire le mémoire des ayants droits et la rédaction de celui-ci prennent du temps et constituent un processus de recherche distinct de la rédaction de l'énoncé des faits ou de l'historique de la revendication.
Ces retards, tant au niveau du traitement que de la préparation d'une revendication par l'organisation de recherche, s'expliquent par la réponse à la question suivante posée dans votre questionnaire. Ni le gouvernement fédéral ni les organisations de recherche ne disposent d'un personnel expert suffisant pour traiter efficacement les revendications. La plupart des retards pourraient être éliminés, tant au niveau de la production que du traitement des revendications, s'il existait davantage de ressources humaines, financières et autres. Il faut davantage de personnel à la Direction générale des revendications particulières et à la Direction des négociations du ministère des Affaires indiennes, et à la Section des revendications particulières du ministère de la Justice.
Il serait plus efficace de diviser et l'équipe de recherche sur les revendications particulières Québec-Atlantique et l'équipe Atlantique-Québec de la Direction des négociations en deux entités distinctes, avec chaque fois une équipe de recherche et une équipe de négociation s'occupant exclusivement des revendications particulières des Premières nations Mi'kmaq, Wolastoqiyik ou Maliseet, quelle que soit la province d'origine.
Le roulement du personnel est un problème au niveau du gouvernement fédéral, tant au ministère des Affaires indiennes qu'au ministère de la Justice. Alors que c'est un moindre problème dans les organisations de recherche, nous n'avons pas les moyens d'engager du personnel de recherche suffisant pour produire rapidement et efficacement les documents de revendication et entreprendre toutes les recherches requises pour une présentation complète des revendications. Un effectif plus nombreux suppose davantage d'argent.
À la Direction générale des revendications particulières, toute nouvelle recrue devrait avoir de solides aptitudes de recherche historique, bien connaître les sources primaires et secondaires et être capable d'analyser et apprécier le caractère exhaustif des recherches historiques soumises par le demandeur à l'appui de sa revendication, alors que le personnel de la Direction des négociations devrait avoir une connaissance intime des Premières nations avec lesquelles il va traiter.
Dans le cas du Centre TARR, non seulement nous faut-il un budget plus important et davantage de personnel de soutien et de recherche, mais nous avons de la difficulté avec la méthode de financement actuelle, d'année en année. Il est très difficile dans ces conditions de planifier efficacement pour le long terme et d'entreprendre toutes les recherches nécessaires. Vous trouverez davantage d'information sur les difficultés financières aux pages 19 à 22.
En Nouvelle-Écosse, il est particulièrement important que les griefs historiques des Premières nations soient réglés car le Canada, la province de Nouvelle-Écosse et la nation Mi'kmaq sont actuellement engagés dans des négociations visant à établir une nouvelle relation reconnaissant les droits issus des traités et le titre et les droits ancestraux de la nation Mi'kmaq. Le règlement de tous les griefs spécifiques de la nation concernant ses réserves et d'autres terres et l'administration de ses avoirs contribuerait à asseoir un bon climat de négociation et démontrerait à la nation Mi'kmaq de Nouvelle-Écosse que le gouvernement fédéral est prêt à négocier de bonne foi pour régler toutes les questions en suspens.
Juste avant de conclure, l'UNSI souhaite soulever la question des revendications spéciales qui ne répondent pas pleinement aux critères de la distinction entre revendication globale et revendication particulière. En vertu de la politique actuelle, par exemple, il est impossible à la nation Mi'kmaq de demander réparation pour les effets de la politique de centralisation des années 40. Le fonctionnement de la Direction des revendications spéciales et la façon dont une organisation de recherche peut obtenir des fonds pour documenter pleinement et présenter une revendication spéciale, et la manière de déclencher le mécanisme de revendications spéciales restent pour nous un mystère.
En conclusion, j'aimerais saisir cette occasion pour formuler huit propositions de recommandations à transmettre au gouvernement fédéral en vue de faciliter le règlement des griefs historiques documentés connus sous l'appellation revendications particulières.
Premièrement, accroître les effectifs du ministère des Affaires indiennes et du ministère de la Justice chargés de traiter les revendications particulières et accroître les ressources financières allouées à tous les stades du processus des revendications particulières. Deuxièmement, améliorer la formation du personnel de la Direction générale des revendications particulières et de la Direction des négociations.Troisièmement, scinder l'équipe de recherche Québec- Atlantique de la Direction générale des revendications particulières et l'équipe Atlantique-Québec de la Direction des négociations de façon à créer des sections s'occupant exclusivement des revendications particulières des nations Mi'kmaq et Wolastoqiyik, quels que soient la date et le lieu d'origine de ces revendications. Quatrièmement, régler le problème du roulement et du manque de formation du personnel tant au ministère des Affaires indiennes qu'au ministère de la Justice.
Cinquièmement, accroître les crédits versés aux organisations de recherche afin qu'elles puissent embaucher du personnel suffisant et défrayer les coûts de la recherche, de la production des documents de revendication et les frais généraux. Sixièmement, modifier les modalités de financement des organisations de recherche afin qu'elles puissent planifier à long terme et entreprendre des projets de plus longue haleine. Septièmement, continuer à collaborer avec l'Assemblée des Premières nations, les organisations de recherche et les dirigeants des Premières nations en vue de mettre sur pied un mécanisme indépendant d'évaluation et de règlement des revendications particulières. Huitièmement, en concertation avec les Premières nations du Canada, élaborer un mécanisme de travail afin de régler les sujets de préoccupation et les griefs historiques qui ne répondent pas aux paramètres de la politique actuelle sur les revendications globales et particulières.
Le président : Merci de cet exposé. Madame Allen,vous avez fait état du programme de centralisation des années 1940. Pourriez-vous nous dire en quoi consistait celui-ci?
Mme Allen : Vous trouverez ma brève explication de la politique de centralisation aux pages 25 et 26 du mémoire. Si vous me permettez de le dire, sénateur, après la réunion vous voudrez peut-être prendre langue avec votre chargée de recherche, Mme Patterson, car sa thèse de maîtrise, que je cite dans le mémoire, traite des effets et de l'application de la politique de centralisation. En bref, au début des années 1940, et plus précisément en 1942, le gouvernement fédéral a décidé de regrouper tous les Micmacs de Nouvelle-Écosse dans deux réserves : la première, Indian Brook ou Shubenacadie sur le continent et l'autre, Eskasoni sur l'île du Cap-Breton. Toutes les autres réserves de la province allaient être vendues.
Cette politique a causé d'énormes perturbations au sein de notre nation. Certaines familles ont déménagé, d'autres ont refusé. Certaines réserves ont été entièrement dépeuplées. Dans un cas, le grand chef de la nation Mi'kmaq à l'époque, le grand chef Gabriel Sylliboy, a été déménagé de la réserve Waycobah à Eskasoni, puis ramené là-bas parce que les logements, les écoles et les emplois que l'on avait promis aux siens ne se sont pas matérialisés.
Les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, de retour chez eux en 1946-1947, ont été confrontés à ce grand dérangement et beaucoup ont simplement pris leur famille et sont partis. Cela a été le début d'un important exode de gens qui auraient pu être des leaders potentiels de la nation Mi'kmaq. Ils sont simplement partis aux États- Unis et les familles y demeurent encore. Elles ne rentrent que pour ce que l'on appelle la « semaine de la mission » à Sainte-Anne, la patronne sainte de la nation Mi'kmaq et pour les vacances, et c'est tout. Les effets se font encore sentir aujourd'hui, 60 ans plus tard. Si vous allez à Eskasoni, vous y constaterez toujours un clivage entre le côté Castle Bay de la réserve et le côté ancien de la réserve. Des tensions familiales subsistent encore.
Le président : C'est là un aspect qui relève des revendications spéciales car il ne répond pas aux critères ni des revendications particulières ni des revendications territoriales globales. Pourquoi ne relève-t-il pas des revendications particulières? Il semble que ce devrait être le cas.
Mme Allen : Sauf tout mon respect, si un représentant du service qui finance les recherches et les négociations comparaît devant le comité, vous pourriez lui poser la question. Cela fait 13 ans que nous avons inscrit dans le projet de plan du travail du Treaty and Aboriginal Rights Research Centre de fusionner, coordonner et documenter deux importantes études. Il s'agit d'une étude du ministère des Affaires indiennes et de celle de Mme Patterson.
Chaque fois l'on nous rétorque que les effets de la politique de centralisation ne correspondent à aucun des six chefs de revendication d'une revendication particulière et nous leur demandons donc dans quelle rubrique cela s'insère. C'est très important pour nos membres. Chaque année les sept chefs des bandes membres de l'union nous demandent ce qui se passe du point de vue de la centralisation et chaque année nous devons leur répondre que l'on nous refuse le financement et que nous ne savons pas où trouver des fonds pour rédiger une revendication spéciale. Nous ne savons pas ce qu'est une revendication spéciale, nul ne veut nous le dire.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup de votre exposé, madame Allen.
Vous nous avez beaucoup renseignés sur le fonctionnement du système des revendications particulières en Nouvelle- Écosse. Si vous aviez les moyens financiers, est-ce que le mécanisme fonctionnerait? Je vais élargir la question. D'autres témoins nous ont déjà dit que le mécanisme fonctionne difficilement à cause de la longueur des délais. Vous en avez longuement fait état aussi dans votre exposé.
Pouvez-vous évaluer le processus et nous donner une idée des améliorations à apporter afin qu'il puisse donner des résultats dans un délai qui soit acceptable à la fois pour les Premières nations et pour le gouvernement?
Mme Allen : Plus de 800 revendications en provenance de tout le Canada sont en souffrance. Dans leurs témoignages devant le comité, Mme Audrey Stewart et Mme Dupuis ont indiqué que 309 sont entre les mains du ministère de la Justice. Dans le cas des revendications de la Nouvelle-Écosse, celles que je connais le mieux, certaines sont parties au ministère de la Justice il y a sept ou huit ans et n'en sont jamais revenues.
Pour que le système fonctionne, il faudrait allouer davantage de ressources aux deux extrémités. L'histoire des Premières nations de la région Atlantique et de leurs terres est très complexe. Les ancêtres du sénateur Lovelace Nicholas et mon employeur, les Micmacs, étaient deux des Premières nations qui ont rencontré les premiers Européens. Il y a eu beaucoup de contacts au fil de 500 ans et plus, et nous avons de ce fait des revendications très complexes.
La préparation de ces revendications exige beaucoupde temps. Une fois qu'elles entrent dans le système, les retards semblent se produire à trois étapes. Il semble y avoir un manque de capacité au stade du dépôt initial au sein de la Direction générale des revendications particulières, au sein de l'équipe Québec-Atlantique, lorsqu'il s'agit de prendre connaissance de notre énoncé des faits de 300 pages et des 17 ou 18 volumes de documents qui l'accompagnent. Il n'y a pas suffisamment de personnel pour déterminer si toute cette documentation doit être confiée à un cabinet privé que les contribuables payent, je le signale, pour refaire tout ce travail.
La Direction générale des revendications particulières a besoin de plus de personnel familiarisé avec la recherche historique. Ce personnel doit avoir une connaissance des éléments juridiques et factuels mis en jeu par une revendication particulière. Ce personnel doit être préparé à lire, doit être en mesure d'apprécier une revendication qui comporte dix pages de sources primaires et secondaires et le fait que les chercheurs initiaux sont allés puiser dans la Bibliothèque du Canada, les Archives du Canada, les Archives provinciales de la Saskatchewan, la bibliothèque juridique et Notre mémoire en ligne, une base de données comportant plus de deux millions de pages de documents canadiens anciens. Le personnel devrait être en mesure de décider, si la documentation semble complète, d'envoyer la revendication au ministère de la Justice pour évaluation préliminaire.
C'est là où intervient le deuxième retard. Les dossiers partent au ministère de la Justice et n'en reviennent pas. J'ai visité l'annuaire électronique du gouvernement et compté 24 avocats dans la section des revendications particulières du ministère de la Justice. Comme vous l'avez entendu, le ministère de la Justice a actuellement en main 309 revendications. J'ai pratiqué le droit pendant quelque temps avant de retourner aux études pour ma maîtrise. Je peux vous dire, ayant travaillé pour un gros cabinet, que de nombreux avocats plaidants et avocats d'affaires s'occupent de plus de 13 clients à la fois, soit le chiffre de 309 revendications divisé par 24 avocats, et sans qu'il leur faille pour autant six, sept ou huit ans pour arriver à une conclusion. Il y a manifestement un goulot d'étranglement au ministère de la Justice.
À notre avis, la faute en est au roulement. Lorsqu'une personne reçoit le dossier, elle l'évalue. Si la personne quitte le ministère, il faut tout reprendre à zéro avec le nouvel avocat, qui ne connaît pas la région, la géographie, la Première nation et l'industrie. Lorsque cette personne quitte le ministère, tout le processus repart de zéro.
Nous passons ensuite à l'étape suivante, en supposant qu'une revendication soit acceptée pour négociation. Quatre personnes sont affectées à l'équipe Québec-Atlantique. Si l'on regarde les rapports de situation disponibles au ministère des Affaires indiennes et que l'on en retire toutes les revendications subtiles, toutes celles où il n'y avait pas d'obligation légale, tous les dossiers fermés, il reste quelque 110 revendications ouvertes dans le circuit, entre la Direction générale des revendications particulières, le ministère de la Justice et l'équipe de négociation Québec-Atlantique. Cette dernière comporte quatre personnes pour négocier 110 revendications, dont beaucoup sont extraordinairement complexes et difficiles à appréhender sur le plan des faits et pour beaucoup d'autres raisons. C'est un effectif insuffisant.
Je suis fervente partisane des projections et de la planification à long terme, sur trois et cinq ans. Pour que le mécanisme fonctionne, il faut évaluer les besoins en personnel et déterminer pourquoi il y a un si grand roulement au ministère des Affaires indiennes et au ministère de la Justice et y remédier. Qu'est-ce qui cloche dans les conditions de travail pour pousser ces employés à partir à la première occasion? Les ministères doivent engager suffisamment de personnel pour que ces revendications soient traitées plus rapidement.
Je considère que chaque revendication est valide, mais celles à l'égard desquelles aucune obligation légale ne peut être trouvée devraient être transmises plus rapidement à la Commission des revendications afin qu'elles soient évaluées par un organe externe.
Il faut davantage d'argent pour faire le travail plus rapidement. Il faut mettre le doigt sur les problèmes. Il faut engager plus de personnel connaissant la recherche historique, connaissant l'histoire des Premières nations concernées et la situation actuelle des Premières nations.
Le sénateur Hubley : Certains témoins ont également estiméque la recherche et le rassemblement des données historiques pourraient être effectués conjointement. Au lieu que vous fassiez les recherches sur une revendication que vous allez présenter et que cette recherche soit ensuite répétée à la Direction généraledes revendications particulières, peut-être les deux parties pourraient-elles réunir leurs experts autour de la table et créer une équipe de travail, de façon à éviter la répétition du travail et avancer plus vite dans le système.
Mme Allen : Je ne suis pas opposée aux initiatives de recherche conjointe. À l'occasion d'une revendication antérieure, nous avons utilisé une équipe de recherche conjointe pour un travail de recherche particulier. Le chercheur contractuel indépendant qui a fait le travail était excellent. Nous avions une très bonne relation de travail avec les gens de la Direction générale des revendications particulières et cela a très bien marché. Mais la question du contrôle de la recherche est un souci pour mes employeurs et d'autres Premières nations. Par exemple, les contrats d'offre permanente passés par le ministère des Affaires indiennes pour obtenir des services de recherche — et même si cela ne vise pas spécifiquement une initiative de recherche conjointe — contiennent une clause expresse de confidentialité. Ainsi, il est interdit à tout chercheur travaillant à contrat pour les Affaires indiennes de parler à la Première nation ou à quelconque membre de la Première nation sans le consentement préalable du fonctionnaire ministériel désigné.
Je suppose que cela n'est pas censé s'appliquer à une initiative de recherche conjointe car autrement, par exemple, un chef de Première nation ne pourrait pas prendre son téléphone et appeler le chercheur pour voir comment avance le travail sans se faire dire, désolé, mais je ne peux pas vous parler avant d'avoir appelé Ottawa et obtenu la permission.
Je suis sûre que là n'était pas l'intention, je crois que c'est simplement une clause standard, mais cela pourrait être appliqué de cette manière. Il y a là un souci, vu l'histoire des relations entre le ministère et certaines des Premières nations.
Sur le plan de l'efficacité, ce serait avantageux de pouvoir travailler avec des membres de la Direction générale des revendications particulières qui aient la connaissance voulue de la Première nation, de la revendication, de la géographie et des terres et de l'organisation de recherche. On pourrait ainsi discuter des points spécifiques à couvrir et si le sujet de la recherche et son résultat étaient convenus, il ne serait pas nécessaire de faire une contre-recherche. Théoriquement, ce serait la meilleure façon de procéder car on aurait déjà ainsi éliminé l'une des causes de retard dans le système.
La question que je pose pour le compte de mes employeurs et de nombreuses autres Premières nations, c'est la légitimité, du point de vue du contrôle du travail.
Le sénateur Hubley : Il faudrait que ce soit mutuellement avantageux pour les deux parties.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Quelle est la raison du retard, pensez-vous? Croyez-vous que ce soit intentionnel?
Mme Allen : Ce n'est pas intentionnel au sens d'une malveillance, au sens où l'on ferait traîner les choses intentionnellement. Simplement, il semble y avoir insuffisamment de personnel. Par exemple, l'équipe de recherche Québec-Atlantique de la Direction générale des revendications particulières, soit le groupe qui reçoit initialement une revendication particulière provenant du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse ou de l'Île-du-Prince-Édouard, compte cinq membres au total : trois personnes à temps plein et deux étudiants. À l'heure actuelle, il y a 110 revendications ouvertes provenant du Québec et de l'Atlantique. Comment cinq personnes, dont deux sont des stagiaires, sont-elles censées prendre en charge toutes ces revendications et les piloter à travers le système? Comment cinq personnes sont-elles censées les transmettre et coordonner avec la Direction des négociations de façon à ce que les choses avancent diligemment? C'est tout simplement impossible. Les deux stagiaires ont clairement une courbe d'apprentissage à suivre et sur les trois employés, un seul est là depuis plus de deux ans. M. Wayne Daugherty, qui connaissait bien la région atlantique, a pris sa retraite. Chaque fois qu'un nouveau arrive, il lui faut apprendre. Cet apprentissage ralentit de nouveau tout le processus.
Nous en avons eu un exemple l'été dernier. Comme je l'ai dit, l'Union of Nova Scotia Indians représente sept des 13 bandes et la Confederacy of Mainland Mi'kmaq représente les six autres. Cette dernière aussi a une organisation de recherche, la Section des revendications territoriales et de la recherche, qui s'occupe des revendications particulières des six bandes membres de la Confederacy.
En Nouvelle-Écosse, trois réserves ont été cédées en 1919. C'est ce que l'on appelle la cession du comté de Halifax. Il existe une autre réserve, complètement séparée de la réserve Shubenacadie Grand Lake, qui revendique des droits de coupe, entre autres. Les trois cessions du comté de Halifax de 1919 font l'objet de revendications conjointes de la bande de Shubenacadie, qui est membre de l'Union, et de la bande de Millbrook, qui est membre de la Confederacy. En l'occurrence, la Confederacy a pris sur elle d'effectuer toute la recherche sur ces cessions de 1919. La revendication territoriale de la réserve Shubenacadie Grand Lake est présentée exclusivement par Shubenacadie ou l'Union.
Cet été, mon collègue de la Confederacy a reçu instruction d'achever la recherche sur les droits de coupe et de les intégrer à la revendication relative à la cession de 1919 car elles devaient toutes « être mises ensemble ». Nous avions déjà déposé larevendication d'occupation de la réserve Shubenacadie Grand Lake. Celle-ci était donc déjà dans le système. Ils n'avaient manifestement même pas lu la documentation ou la présentation de la revendication. En outre, j'ai suggéré que quelqu'un des Affaires indiennes aille dire au chef McDonald de la bande Shubenacadie qu'il devait partager sa revendication exclusive avec le chef Lawrence Paul et les membres de la bande de Millbrook. Je n'allais certainement pas, moi, lui dire que les Affaires indiennes ne savent pas faire la différence entre les deux organisations et ne connaissent rien à la structure de la nation Mi'kmaq contemporaine de Nouvelle-Écosse.
Les retards sont dus non seulement au manque d'effectifs mais aussi au manque de connaissances de ces fonctionnaires concernant les nations, tant leur histoire que leur situation contemporaine. Certes, ce n'est pas leur faute. On les mute là, ils occupent un poste et on attend qu'ils travaillent sans les ressources voulues ou sans une bonne période de formation pour qu'ils acquièrent les connaissances leur permettant d'être efficaces dans les meilleurs délais.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma prochaine question sera brève.
Pensez-vous que le recours à des archéologues soit avantageux aux fins de ces revendications particulières ou bien pensez-vous que cela est plutôt néfaste?
Mme Allen : Je dois avouer, sénateur, dans l'intérêt de la transparence, que j'ai enseigné pendant trois ans au Département d'anthropologie de l'Université Saint Mary's à Halifax et que j'ai de très bons amis archéologues. Je pense que dans de nombreux cas, oui, plus on possède d'information, et mieux cela vaut; c'est aussi simple que cela. Plus on a de renseignements et mieux on est préparé, et mieux on se porte. Dans certains cas, par exemple, en certains endroits le long de la rivière Saint-Jean, il est indispensable de recourir à l'archéologie. Ce peut être la seule façon de trouver l'information nécessaire pour appuyer la revendication d'une nation, car l'origine de ces revendications particulières peut remonter à 300 ans.
Le sénateur Dyck : Soyez la bienvenue. Vous nous avez remis là un document très exhaustif. Mes questions portent sur la recherche. Vous avez parlé de l'ampleur et de la complexité des recherches à effectuer. En le faisant, c'était presque comme si vous donniez une esquisse des éléments essentiels de la recherche.
Pensez-vous qu'il soit possible d'établir un cadre ou un schéma de recherches qui pourraient être entreprises conjointement, ou même séparément? Pensez-vous que l'équipe conjointe ou les deux équipes, celle de la Première nation et celle d'AINC, pourraient avoir les mêmes paramètres de recherche et avancer vers le même objectif?
L'un de nos témoins précédents a dit que lorsqu'une Première nation voit sa revendication particulière aboutir, elle ne sait pas nécessairement pourquoi.
Pensez-vous qu'il soit possible de dresser un schéma pour aider les bandes à préparer des revendications qui soient acceptées?
Mme Allen : Je pense que cela dépend. Ne dirait-on par-là une réponse d'avocat? Veuillez m'excuser.
Dans certains cas, ce serait relativement facile. Par exemple, nous avons six chefs de revendication, par manque de meilleur mot, soit les quatre originaux plus le chef de fraude et celui de prise de possession pour fins publiques. Vous devez réunir certains éléments pour asseoir vos arguments. S'il s'agit de l'administration d'un bien indien, vous devez prouver en quoi il a été mal administré.
S'il existait une liste d'éléments devant figurer dans chaque revendication, spécifiant le type d'information historique, cela simplifierait certainement beaucoup les choses, non seulement pour la partie effectuant la recherche mais aussi pour la partie qui l'évalue et qui saurait ainsi que tel et tel élément a été demandé parce que les avocats et le ministère de la Justice ont dit qu'il était nécessaire. Nous-mêmes aurions alors, au moment de faire notre recherche, au moment de rassembler tous les renseignements sur l'historique d'un terrain particulier ou d'un fonds fiduciaire particulier, que ce sont là les éléments à rechercher. C'est donc important pour deux raisons. La première est d'améliorer les chances de réussite de votre revendication, mais aussi, parfois, nous devons porter la mauvaise nouvelle.
Dans notre cas, dans notre centre de recherche, une bande va nous soumettre un problème ou une revendication particulière. Nous sommes chargés de documenter la revendication et nous effectuons une évaluation préliminaire que nous communiquons à la bande. Nous lui disons ce que nous avons mis à jour dans notre recherche. Parfois, nous devons lui transmettre une mauvaise nouvelle, de son point de vue, et lui dire que nous ne pouvons conclure qu'il s'agit d'un cas d'administration fautive de terres indiennes ou d'un avoir indien, que c'est une situation autre et qu'elle ne répond à aucun critère précis. Si nous avions un schéma général des éléments requis, cela nous faciliterait les choses lorsque nous allons voir les bandes dans le cadre de nos sessions d'éducation continue de la collectivité et des dirigeants.
Le sénateur Dyck : Et pourrait-on utiliser cette même liste pour former les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes ou du ministère de la Justice?
Mme Allen : Oui, j'en parle dans mon mémoire.
Le sénateur Dyck : Pensez-vous que l'on pourrait établir un cadre auquel pourraient souscrire et les chercheurs comme vous qui travaillent pour une Première nation et ceux du ministère des Affaires indiennes, de façon à accélérer les choses et rendre le système plus efficient?
Mme Allen : Absolument. Outre le travail de recherche historique que j'assure, je conçois et donne des cours de formation pour les documentalistes des diverses bandes. Je passe en revue le processus et leur explique ce qu'ils doivent faire, le genre de documents qu'ils doivent réunir, et cetera. Si la même information était dispensée à chaque nouvel employé des Affaires indiennes, et peut-être même du ministère de la Justice, lorsque les avocats reçoivent un dossier pour évaluation, ils connaîtraient alors l'histoire de la Première nation concernée ainsi que les ressources disponibles.
Dans certains cas, par exemple au sujet des Premières nations des Prairies, on trouve beaucoup d'informations à laBibliothèque nationale et aux Archives nationales. Elle est dispersée entre beaucoup de microfilms, mais tout est réuni en un même lieu. Dans le cas des Premières nations de la région Atlantique, les documents sont dispersés entre les bibliothèques législatives, les bibliothèques communautaires, les Archives de la Nouvelle-Écosse et la Bibliothèque et les Archives nationales à Ottawa. Rien que pour déterminer où se trouve un document, il faut parfois plusieurs mois.
Si les fonctionnaires des Affaires indiennes et de la Justice connaissaient le travail de recherche — et les éléments que les avocats du ministère de la Justice vont rechercher, ainsi que tout le côté historique — je crois que cela accélérerait les choses. La mise au point d'un cadre commun pour ces séances de formation serait une excellente chose.
Le président : Merci, madame Allen, de l'exposé que vous avez présenté et de votre mémoire très étoffé. Je sais que nous allons passer en revue les recommandations et les détails de votre présentation et nous vous remercions donc encore une fois du professionnalisme dont vous nous avez fait bénéficier ce soir. Si vous avez d'autres idées à nous soumettre, n'hésitez pas à contacter Mme Patterson, que vous connaissez très bien. Mme Patterson apporte une contribution inestimable aux travaux de ce comité et participera à la rédaction de notre rapport.
Notre prochain témoin est un représentant du Council of Yukon First Nations. Rick O'Brien est le chef régional de l'APN Yukon. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions d'être venu. Peut-être n'avez-vous pas dû faire le voyage exprès, puisque vous êtes membre de l'APN, mais je sais que le Yukon est bien loin d'Ottawa.
Rick O'Brien, chef régional, APN Yukon, Council of Yukon First Nations : C'est véritablement un honneur que de vous faire part des vues du Council of Yukon First Nations sur le mécanisme des revendications particulières.
Premièrement, je veux m'assurer que vous ayez une connaissance élémentaire de la dimension constitutionnelle dans laquelle s'inscrit la politique des revendications globales et particulières au Canada. J'ai le privilège de parler ici au nom de notre grand chef élu, Andy Carvill, qui travaille pour le Council of Yukon First Nations. Ce dernier représente 11 des 14 Premières nations du Yukon et mon grand chef est un homme occupé. Il vous transmet ses regrets de n'avoir pu venir en personne.
Le 8 août 1973, les Premières nations du Yukon ont demandé par voie de pétition au gouvernement du Canada d'entamer des négociations en vue de conclure des traités contemporains. Et le ministre des Affaires indiennes d'alors, l'honorable Jean Chrétien, a annoncé la première politique des revendications globales immédiatement après notre pétition et l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Calder.
Les Premières nations du Yukon ont eu le grand honneur d'œuvrer avec Frank Calder, récemment décédé. C'est grâce à sa clairvoyance et à la détermination de nos dirigeants de parvenir à un règlement juste de la question territoriale au Yukon et en Colombie-Britannique que nous avons pu conclure au Yukon l'entente définitive et les accords d'autonomie gouvernementale.
À l'heure actuelle, 11 des Premières nations du Yukon ont pu conclure des ententes définitives et des accords d'autonomie gouvernementale relativement aux droits fonciers dans le Territoire du Yukon. La Première nation de White River, le Ross River Dene Council et la Première nation de Liard n'ont pas encore de règlement de leurs revendications. Les 11 autres Premières nations ont toutes signé une entente définitive et des accords d'autonomie gouvernementale. Dans cet exposé je vais indiquer la structure d'ensemble de nos ententes définitives et de nos accords d'autonomie gouvernementale et leurs relations avec la politique des revendications particulières du Canada.
Les Premières nation du Yukon ont décidé de rechercher collectivement un règlement de leur titre et droits ancestraux. Cet effort a commencé avec la présentation de notre pétition au Canada en 1973, qui était intitulée Ensemble aujourd'hui pour nos enfants demain.
Par l'intermédiaire d'un groupe de négociation commun et uni, nous sommes parvenus à un entente-cadre finale et un accord d'autonomie gouvernementale modèle. L'entente-cadre établit de façon générale la nature constitutionnelle de l'entente finale, ces dispositions devant être obligatoirement incorporées à chaque entente définitive ultérieure signée avec les Premières nations du Yukon participantes. Chaque Première nation du Yukon ayant décidé de participer au processus de conclusion d'un traité doit négocier les conditions spécifiques de sa propre entente finale et entente relative à l'autonomie gouvernementale.
Comme je l'ai mentionné, 11 Premières nations ont décidé de conclure leurs traités respectifs sur cette base. Dans cet exposé, je vais employer les termes « revendications territoriales » et « traités » dans le contexte du paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui assimile les accords de revendications territoriales à des traités aux fins de la définition des droits constitutionnels du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle. Tous les droits, titres et intérêts des Premières nations du Yukon conférés par les ententes finales ont une valeur constitutionnelle consacrée et protégée par l'article 35 de la Constitution du Canada.
Les ententes définitives contiennent des clauses de clarification aux conséquences profondes puisqu'elles exigent la renonciation à toute autre revendication à l'encontre de la Couronne, sauf dérogation expresse. Par exemple, l'entente définitive des Premières nations de Champagne et de Aishihik dispose à l'article 2.5.1.4 :
... NI CETTE PREMIÈ NATION DU YUKON NI AUCUNE PERSONNE ADMISSABLE EN TANT QU'INDIEN DU YUKON REPRÉSENTE PAR CETTE PREMIÈRE NATION, OU LEURS HÉRITIERS, DESCENDANTS ET SUCCESSEURS, NE FERONT VALOIR OU PRÉSENTERONT, SELON LE CAS, APRÈS LA DATE D'ENTRÉE EN VIGUEUR DE CETTE ENTENTE DÉFINITIVE, QUELQUE CAUSE D'ACTION DÉCLARATOIRE, RÉCLAMATION OU DEMANDE DE QUELQUE NATURE QUE CE SOIT — PASSÉE, ACTUELLE OU FUTURE — À L'ENCONTRE SOIT DE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, SOIT DU GOUVERNEMENT D'UN TERRITOIRE OU D'UNE PROVINCE, OU DE QUELQUE AUTRE PERSONNE, ET QUI SERAIT FONDÉE, SELON LE CAS :
a) sur quelque revendication, droit, titre ou intérêt ancestral visé par la renonciation prévue aux articles 2.5.1.1 et 2.5.1.2,
b) sur quelque revendication, droit, titre ou intérêt ancestral relatif à des terres visées par le règlement qui a été ou sera perdu...
Cependant, l'accord-cadre final autorise les Premières nations ayant des réserves à les conserver et les dispositions de renonciation des ententes définitives ne s'appliquent pas à ces terres de réserve conservées ou ces réserves potentielles identifiées par les Premières nations respectives.
Cela signifie que des dispositions expresses doivent spécifier le maintien de revendications particulières à l'encontre de la Couronne dans le cas des Premières nations ayant signé une entente définitive. Ces revendications particulières subsistantes sont décrites au chapitre 4 de l'entente signée par chaque Première nation du Yukon participante. Ces revendications particulières subsistantes sont généralement limitées dans le temps et les Premières nations et la Couronne doivent convenir de toute prolongation du délai pour faire en sorte que ces revendications particulières soient examinées et réglées de manière juste et en temps opportun.
En outre, les revendications particulières ne peuvent porter que sur des manquements à des obligations légales ou fiduciaires de la Couronne sur les terres de réserve et ne semblent pas couvrir des manquements à des obligations fiduciaires de la Couronne qui ne sont pas reliées à des « terres de réserve ».
Bien que le Yukon, en tant que partie des Territoires du Nord-Ouest, ait été admis comme partie du Canada en 1870, la Couronne, dans le cadre de ses obligations constitutionnelles, a convenu de régler les revendications des Premières nations avant les revendications des non-Autochtones, conformément aux principes qui ont guidé les Britanniques dans leur traitement des peuples autochtones du Canada. Nous pensons que ces obligations constitutionnelles forment toujours le fondement de l'obligation du Canada envers les Premières nations du Yukon.
Un certain nombre de réserves ont été créées au Yukon dans le cadre de la politique d'attribution de réserves du Canada. La Couronne reconnaît six réserves et le mécanisme des revendications particulières porte sur six à 10 autres réserves potentielles au Yukon. Naturellement, la politique des revendications particulières s'applique à l'obligation fiduciaire de la Couronne telle qu'actuellement décrite dans la politique des revendications particulières du Canada.
Cependant, la politique des revendications particulières ne limite pas simplement l'obligation de la Couronne à la cession fautive de terres de réserve du fait que la politique actuelle autorise des revendications fondées sur des manquements à l'obligation fiduciaire du Canada.
Dans le contexte du Yukon, par exemple, la Première nation de Kluane a obtenu une décision en sa faveur de la Commission des revendications des Indiens, qui a reconnu que la perte des droits de chasse dans la réserve faunique de Kluane pendant 30 ans peut faire l'objet d'une revendication particulière valide vu que c'était un manquement à l'obligation fiduciaire de la Couronne envers les Premières nations. Bien que le Canada n'ait pas accepté cette décision de la Commission des revendications des Indiens, il a fourni une indemnisation financière et autre dans l'entente définitive avec la Première nation Kluane.
Récemment, la Cour suprême du Canada a énoncé des critères relativement à la création de réserves dans le Yukon et ce sont des critères limitatifs. Depuis 1870, la Couronne, pour diverses raisons, a créé des réserves en mettant de côté des terres à l'intention des Premières nations du Yukon.
La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Ross River Dene Council Band c. Canada a opiné que ces terres mises de côté ne sont pas des terres de réserve aux fins de l'application de la Loi sur les Indiens. Cela ne doit pas être interprété comme légitimant les manquements à l'obligation fiduciaire de la Couronne à l'égard de ces terres mises de côté. L'accord-cadre final permet à chacune des Premières nations participantes de conserver sa part des 16 060 milles carrés de terres conservées comme propriété autochtone détenue en fief simple; des terres de réserve en vertu du paragraphe 91(24) auxquelles s'applique la Loi sur les Indiens; des terres au titre du paragraphe 91(24) auxquelles s'appliquent les pouvoirs gouvernementaux des Premières nations du Yukon et (ou) des terres en fief simple limité avec ou sans application des pouvoirs d'autonomie gouvernementale. Jusqu'à présent, toutes les Premières nations du Yukon ayant conclu une entente définitive ont choisi de ne pas conserver de terres au titre du paragraphe 91(24) auxquelles s'applique la Loi sur les Indiens. Sur la superficie totale de 16 060 milles carrés, environ 16 000 milles carrés ont été conservés sous le régime de la propriété autochtone équivalente au fief simple, et environ 60 milles carrés ont été conservés sous le régime du paragraphe 91(24). Cela signifie que la Couronne du chef du Canada continue de conserver la propriété de ces terres visées par le paragraphe 91(24) pour l'usage et le bénéfice de la Première nation du Yukon participante. On peut débattre de la question de savoir si les terres faisant l'objet du titre ancestral sont également des terres visées par le paragraphe 91(24).
L'accord-cadre final du Yukon a été négocié sans le bénéfice des arrêts de la Cour suprême dans les causes Delgamuukw et Haida Nation portant sur la nature du titre ancestral et l'honneur de la Couronne, car ces arrêts sont intervenus après les dates de ratification législative de l'accord final avec les Premières nations du Yukon.
Bien que cet accord final prévoie divers régimes de propriété foncière, notamment celui de terre visée par le paragraphe 91(24), nous estimons que la forme de la conservation du titre ancestral est conforme aux principes énoncés dans l'arrêt Delgamuukw.
Une autre de nos opinions arrêtées est que, bien que les ententes définitives des Premières nations yukonnaises aient fourni une définition quant à l'obligation de la Couronne de consulter, nous devrions avoir accès aux principes évolutifs de la common law en matière de consultation et d'accommodement, et que l'obligation fiduciaire de la Couronne demeure, y compris les principes juridiques relatifs à l'honneur de la Couronne. La récente décision de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire de la bande Dene 'Tha appuie notre opinion en la matière.
C'est le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, loi fédérale, qui donne effet aux ententes d'autonomie gouvernementale du Yukon. Ces ententes, contrairement aux ententes définitives, ne sont pas fixées constitutionnellement par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Les Premières nations du Yukon étant les successeurs des bandes indiennes, elles viennent remplacer tous les droits, titres, intérêts, avoirs, obligations et responsabilités, y compris celles de leur conseil de bande, aujourd'hui dévolus aux Premières nations yukonnaises nouvellement créées. Cela signifie que tous les droits juridiques, y compris les revendications particulières, sont aujourd'hui dévolus aux Premières nations du Yukon.
La compétence législative des Premières nations du Yukon peut être décrite comme étant la compétence concurrentielle suprême, en ce que l'occupation d'un domaine législatif par les Premières nations du Yukon viendrait supplanter toute loi contradictoire du Yukon portant sur les mêmes questions. Des règles comparables en matière de conflit n'ont pas encore été négociées avec le Canada.
Le modèle législatif permet que les lois d'application générale valent jusqu'à ce que la Première nation décide d'occuper elle-même le terrain, et ces lois territoriales et fédérales d'application générale s'appliqueront aux terres visées par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle tant et aussi longtemps qu'elles n'ont pas été délogées par des lois contraires des Premières nations.
En ce qui concerne les revendications particulières, par le passé, le Conseil des Premières nations du Yukon avait appuyé l'élargissement des pouvoirs judiciaires de la Commission des revendications des Indiens. Nous croyons que la Commission des revendications des Indiens est un tigre sans dents et qu'il ne peut ni imposer ses décisions à l'une quelconque des parties, ni lier ces dernières par ses décisions, dans le cas surtout de la Couronne. La revendication particulière concernant le parc national de la Première nation Kluane est un exemple de ce manque de capacité d'application de la Commission des revendications des Indiens.
Les circonstances constitutionnelles du Yukon et du Nord sont uniques, comme je l'ai déjà expliqué.
Nous pensons que nous devrions être représentés au sein de tout organisme juridictionnel pouvant avoir une incidence sur nos terres visées par nos revendications, sur nos terres de réserve ou sur nos terres mises de côté. Les règles en matière d'impartialité et de conflits d'intérêts devraient réduire les conflits potentiels relativement à un organe tel la Commission des revendications des Indiens.
Il y a par ailleurs environ 1 000 revendications particulières en souffrance. Tout organisme juridictionnel doit avoir la marge de manœuvre nécessaire pour imposer des règlements et, si un plafond est nécessaire, alors nous serions en faveur d'un plafond monétaire supérieur, de 10 millions de dollars, par exemple.
En ce qui concerne la situation au Yukon, il importerait de revoir les délais pour le dépôt de revendications de façon à veiller à ce que les Premières nations du Yukon ne soient pas pénalisées, étant donné qu'il n'existe dans le sud du pays aucun délai du genre en matière de revendications particulières qui soit imposé aux Autochtones visés par des traités.
Nous croyons par ailleurs que l'obligation fiduciaire et l'honneur de la Couronne devraient exiger des politiques en matière de revendications particulières plus éclairées, de façon à veiller à ce que des principes constitutionnels évolutifs et contemporains soient inscrits dans toute nouvelle politique ou loi en matière de revendications particulières. Nous estimons que le Canada, dans le contexte de l'honneur de la Couronne, a pour obligation de consulter en matière de politiques relatives à des revendications particulières susceptibles d'avoir d'aussi vastes ramifications. Dans le contexte de cette analyse, les réserves existantes, les réserves de facto et les terres mises de côté au Yukon et les dispositions de cession pouvant avoir une incidence sur les circonstances particulières au Yukon devraient être examinées par les parties à l'entente finale, afin d'assurer que l'honneur de la Couronne soit raisonnablement appliqué au Canada.
Nous estimons d'autre part que tout règlement monétaire reçu ou tout intérêt perçu sur un tel règlement de revendication particulière ne devrait pas être réduit du fait de son inclusion par le gouvernement à titre de « revenu propre ». Étant donné qu'il s'agit en règle général de règlements « patrimoniaux » ou de type « legs », ces fonds et tout intérêt gagné ne devraient pas être imposés par le gouvernement.
Les Premières nations du Yukon n'ayant pas de règlement final ou d'entente d'autonomie gouvernementale ne devraient pas être pénalisées en se voyant refuser l'accès à des modes de tenure semblables, dont jouissent les Premières nations du Yukon ayant négocié des ententes finales, et cela doit englober la considération de terre des réserves si la demande en est faite par ces Premières nations. L'honneur de la Couronne informerait au moins de telles considérations politiques sur la base de l'équité et du caractère raisonnable.
En conclusion, j'ai essayé d'expliquer le statut constitutionnel unique des Premières nations du Yukon dans le contexte des revendications particulières. J'ai également exposé un certain nombre de préoccupations générales et proposé des solutions possibles.
Je tiens à remercier de nouveau le comité sénatorial de m'avoir permis de vous faire cet exposé au nom du grand chef et des chefs des Premières nations du Yukon.
Le président : Merci, monsieur O'Brien. En ce qui concerne cette revendication de Kluane, un parc a-t-il été établi là?
M. O'Brien : Oui, le parc national de Kluane.
Le président : Des droits de chasse ont-ils été éteints lorsqu'a été créé ce parc national?
M. O'Brien : Oui, ils ont été exclus. La chasse n'a pas été autorisée dans le parc pendant plusieurs années, en attendant l'issue de l'affaire qui avait été portée devant les tribunaux, après quoi les membres de la Première nation ont été autorisés à retourner dans le parc pour chasser. On leur avait refusé pendant de nombreuses années le droit d'y chasser. C'était un terrain de chasse traditionnel pour un grand nombre de personnes.
Le président : Pourriez-vous expliquer au comité pourquoi les revendications particulières existent toujours? Dans le contexte des règlements de revendications territoriales globales, n'avez-vous pas pu tout régler à ce moment-là?
M. O'Brien : Non, nous n'avons pas pu tout régler à ce moment-là. Nous voulions de la certitude, tout comme c'était le cas de l'industrie et du gouvernement. Nous cherchions à l'époque à améliorer nos possibilités économiques, l'entente étant que nous mettrions de côté les revendications particulières, pour en traiter à une autre table.
Le sénateur Dyck : Merci de votre exposé exhaustif. Je constate qu'un assez grand nombre de revendications ont été rejetées dans le cadre du processus des revendications particulières. De façon générale, êtes-vous satisfait de la façon dont est organisé le processus des revendications particulières? Pensez-vous qu'il existe d'importantes failles dans la façon dont les revendications sont traitées?
M. O'Brien : Quoi que l'on fasse, il y a toujours des aspérités à aplanir, et vous trouverez toujours des failles. Cependant, nous devrions avoir la possibilité de revoir le mécanisme sur la base des failles qui ont été décelées, afin de déterminer ce qui pourrait être fait pour corriger la situation. Voilà ce que nous recherchons. Nous croyons qu'il y a une solution à tout.
Le sénateur Dyck : En ce qui concerne vos recherches, seriez-vous en mesure de trouver des preuves à l'appui de ce que vous avancez? Cela a-t-il été un facteur dans votre impossibilité de convaincre les gens qui s'occupent des revendications particulières?
M. O'Brien : Je ne pense pas que ce soit un problème de preuves à l'appui. Le problème réside dans les politiques.
Le sénateur Dyck : Pourriez-vous expliquer un peu cela?
M. O'Brien : Je veux parler des critères, des lignes directrices et des échéanciers.
Le sénateur Dyck : Pourriez-vous nous entretenir de ces échéanciers?
M. O'Brien : Comme je l'explique dans la note d'information que je vous ai fournie, il y a des limites temporelles. En ma qualité de représentant d'une Première nation du Yukon, j'ai de la difficulté à comprendre les ententes à moins d'avoir mon avocat assis à mes côtés. Nous manquons de ressources. C'est ainsi que je suis ici tout seul. Je serai dans l'impossibilité de répondre à certaines questions en l'absence ce notre avocat. La plupart des Premières nations ont besoin de tels avis juridiques, étant donné la complexité des revendications. Il vous faut également votre avocat lorsqu'il s'agit d'expliquer la situation à des représentants élus.
Le président : Y a-t-il un recoupement dans le Nord avec les Gwich'in?
M. O'Brien : Oui. Ils s'étendent également jusque dans l'Alaska, les terres 1002, jusque dans les Territoires du Nord- Ouest.
Le président : Est-ce que ce sont les bassins hydrographiques qui déterminent en gros les limites des Premières nations du Yukon?
M. O'Brien : Non, pas du tout.
Le sénateur Watt : Vous avez mentionné dans votre exposé qu'il y a une nation ou un groupe qui n'a pas encore réglé sa revendication globale. Est-ce bien cela que vous avez dit?
M. O'Brien : Oui, il y a trois Premières nations au Yukon qui sont dans cette situation. Le Yukon compte 14 Premières nations. Sur ces 14, 11 ont des ententes finales.
Le sénateur Watt : Êtes-vous en train de dire que les gens qui n'ont pas de revendications globales ne peuvent pas voir régler leurs préoccupations dans le cadre de revendications particulières?
M. O'Brien : Je pense que certaines préoccupations peuvent être réglées dans le cadre de revendications particulières.
Le sénateur Watt : Les intéressés vont-ils prendre la parole à un moment donné pour faire ressortir cet état de choses?
M. O'Brien : Tôt ou tard; c'est ce que nous espérons. Nous espérons qu'ils prendront la parole. Je suis élu pour représenter la totalité des 14 Premières nations du Yukon. On m'a demandé de venir ici au nom du grand chef, étant donné son emploi du temps très chargé.
Le sénateur Watt : Vos revendications globales comportaient-elles un quelconque mécanisme de règlement de différends?
M. O'Brien : Je n'en suis pas certain, mais j'imagine qu'il doit exister un processus d'appel d'un genre ou d'un autre.
Le sénateur Watt : S'il y a certaines questions sujettes à interprétation pour lesquelles des éclaircissements supplémentaires sont nécessaires, j'imagine que celles-ci pourraient être facilement réglées dans le cadre d'un mécanisme de règlement de différends, s'il en existe.
M. O'Brien : C'est ce que je m'imaginerais, aussi. Les revendications que nous avons au Yukon sont signées par toutes les parties, c'est-à-dire le gouvernement territorial du Yukon, le gouvernement fédéral et les Premières nations elles-mêmes. La mise en oeuvre ne devrait poser aucun problème. Ce devrait être automatique. Il me semble que ce devrait être comme un trou d'un coup. Or, au bout de dix ans, nous nous trouvons à la table et nous parlons toujours de l'accord de transfert final. Nous continuons d'avoir des problèmes sur le plan de l'exécution de l'entente.
Nous estimons que l'esprit et l'objet véritables de cette entente auraient déjà dû commencer à porter fruit pour nous. Nous n'en sommes encore qu'au stade embryonnaire.
Le sénateur Watt : Si une compréhension claire pouvait être établie en faisant un examen approfondi du texte que vous nous avez fourni et s'il pouvait être déterminé qu'il serait facile d'en traiter, non pas dans le cadre du processus de revendications particulières mais dans le cadre d'un autre processus, comme par exemple le règlement des conflits entre les vôtres et, disons, le gouvernement fédéral, seriez-vous prêts à regarder cela?
M. O'Brien : Nous sommes prêts à regarder toute avenue pouvant déboucher sur un règlement de quelque conflit que ce soit. Cependant, nous avions compris que c'était cette avenue qu'il nous fallait suivre, et c'est pourquoi nos conflits sont à cette table.
Le sénateur Watt : J'ai encore une question. La carte qui nous a été distribuée montre vos revendications à l'étude, de Turtle 8 à Turtle 16.
M. O'Brien : Je n'ai pas cette carte.
Le sénateur Watt : D'où nous est venue cette carte?
Le président : Elle nous a été fournie par le service de recherche de la Bibliothèque du Parlement.
Le sénateur Watt : J'imagine que le MAINC est tout à fait au courant de vos préoccupations.
M. O'Brien : J'ose espérer qu'il l'est, oui.
Le sénateur Watt : Autrement, je ne vois pas comment il pourrait fournir ces renseignements à moins de reconnaître le fait qu'il y a des questions en suspens qui doivent être réglées.
Le président : Le service de recherche a cherché à obtenir les renseignements afin que le comité soit au courant et ait sous la main les documents de référence pertinents.
Le sénateur Watt : J'imagine que le MAINC a lui aussi des copies de cela.
Le président : Oui, ces renseignements proviennent bel et bien du MAINC.
Le sénateur Watt : Voilà qui tire les choses au clair.
M. O'Brien : Je ne suis pas certain du processus de communication qui existe au sein des ministères. Je ne saurais vous dire si le ministère des Affaires indiennes a copie de ceci.
Le sénateur Sibbeston : Merci, monsieur O'Brien. J'aimerais vous demander comment vont les choses, de façon générale, pour les peuples des Premières nations dans le Yukon? L'entente-cadre sur les revendications territoriales, qui a, je pense, été conclue en 1992 et s'est appliquée un petit peu plus tard à plusieurs des 11 revendications particulières, a-t-elle réellement amélioré de beaucoup la vie pour les Premières nations du Yukon?
M. O'Brien : C'est comme ce que je disais tout à l'heure. Je vais vous donner un exemple. En vertu de l'article 17, l'éducation relève de notre ressort et nous avons le droit de la prendre en charge. Cependant, c'est là que nous sommes en panne à la table de l'Entente sur le transfert de programmes et de services, ou ETPS, où l'on discute des ramifications financières si nous appliquons certaines dispositions des revendications territoriales. Les ententes de transfert financier prévoient un transfert du gouvernement fédéral au gouvernement territorial. Il y a là un fonds global pour l'éducation. Que celui-ci couvre-t-il? À quoi s'étend-il? Vise-t-il les dépenses en immobilisations et les protocoles d'entente? Il est destiné à l'éducation, mais que cela englobe-t-il?
Je vais vous exposer une situation hypothétique. Disons que dans une collectivité en région éloignée, qui est dotée d'une école, la Première nation a le droit de prendre en charge l'éducation dans le cadre de son entente finale, inscrite dans la Constitution en vertu de l'article 17, Compétences en matière d'éducation. Pourrait-on, hypothétiquement, fonctionner en régime de cogouvernance ou avoir deux systèmes éducatifs distincts dans cette communauté éloignée? D'autre part, quelle ventilation faire du transfert financier au gouvernement fédéral aux fins de l'éducation? Accédons- nous à l'argent qui lui est versé pour notre compte, car c'est essentiellement ce que prévoit notre entente? Nous sommes à la recherche de moyens de travailler en harmonie pour aider l'ensemble des citoyens dans chaque localité.
Le sénateur Sibbeston : Quelle a été votre relation avec le gouvernement du Yukon au cours des dernières années? Cette relation s'est-elle améliorée par rapport à ce qu'elle était autrefois?
M. O'Brien : C'est toujours un défi, quel que soit le gouvernement en place. Ce sont essentiellement les politiques et les procédures qui guident les représentants élus. S'il s'agit d'améliorer les choses et de simplifier le système, peu importe quel parti politique est au pouvoir. Ce sont les ententes sur la table et les critères établis en vue de leur exécution qui comptent. Comme je le disais, cela fait dix ans, et je vous ai donné mon opinion personnelle.
Le sénateur Sibbeston : Enfin, en ce qui concerne le Parc national de Kluane, quelle a été la relation entre les responsables du parc et la Première nation de Kluane? A-t-elle été bonne ou mauvaise?
M. O'Brien : Je n'en suis pas trop sûr. Je suis membre de la Première nation des Kwanlin Dun, qui est distincte de la Première nation de Kluane. La région où je vis et où je chasse est différente. J'ai cependant discuté avec des gens qui étaient là autrefois, avant les règlements des revendications territoriales et les affaires devant les tribunaux. Il y en a contre qui des accusations ont été portées du fait qu'ils avaient tiré sur un canard qui se trouvait dans une mare, mais du mauvais côté de la route. Un aîné a tiré sur un orignal de ce côté-ci de la route, mais l'orignal est parti de l'autre côté, et des accusations ont été portées contre lui. Les petits problèmes ont au bout d'un certain temps été réglés et on a fini par nous autoriser à retourner dans ce parc y exercer nos droits ancestraux de chasser et de pêcher. Puis, après tout cela, nous en sommes arrivés à une entente.
Le sénateur Sibbeston : Merci.
Le sénateur Watt : Mes questions concernant l'éducation, dont vous avez fait état. Avez-vous une formule de financement liée à votre revendication globale?
M. O'Brien : C'est là ma question, car cela figure dans l'entente. Je me concentre sur l'éducation, car je me plais à utiliser cette situation hypothétique : devons-nous avoir deux écoles dans chaque collectivité? Aurons-nous 14 écoles distinctes? Non, nous avions compris que le financement pour l'éducation serait versé au gouvernement du Yukon, mais celui-ci ne donne pas une ventilation des dépenses au titre de l'éducation. Lorsque nous avons négocié notre compétence en matière d'éducation, nous avions pensé que le même principe s'appliquerait. Pour répondre directement à votre question, donc, non, il n'y a pas de formule de financement.
Le sénateur Watt : Où obtenez-vous votre financement pour l'autonomie gouvernementale?
M. O'Brien : Nous avons des accords en place. Nous utilisons les paiements découlant de ces ententes.
Le sénateur Watt : Vivez-vous également des problèmes sur le plan de l'autonomie gouvernementale?
M. O'Brien : L'on pourrait dire que nous avons quelques pépins dans le système. Il nous faut bouger avec ces accords de façon à être en mesure de bâtir nos ressources matérielles et humaines, afin de commencer à nous occuper de créer des possibilités économiques pour tout le monde au Yukon. Nous serons un important joueur en la matière mais, pour le moment, les choses tournent au ralenti. Tout le Yukon est sur des charbons ardents en attendant le jour où nous pourrons tous bénéficier de l'activité. Le premier ministre Fentie pourrait vous renseigner davantage là-dessus.
Le président : Merci, chef O'Brien. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir ici et de nous avoir fait un si bon exposé. Je regrette de devoir vous bousculer, mais le temps est notre pire ennemi. Nous tâcherons de rédiger aussi rapidement que possible un rapport et les sénateurs tiendront certainement compte de vos recommandations. Merci encore, au nom de tous les sénateurs.
Le dernier témoin que nous allons entendre ce soir est le chef Terrance Nelson, de la Première nation Anishnabe de Roseau River, au Manitoba. Chef Nelson, bienvenue au comité. Merci de nous accorder ainsi de votre précieux temps. Nous vous invitons à nous faire votre exposé. Nous aimons de façon générale qu'il reste suffisamment de temps pour des questions, chef, alors allez-y, je vous prie. Vous avez la parole.
Terrance Nelson, chef, Roseau River Anishnabe First Nation : Je vais commencer dans ma propre langue.
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Je tiens à remercier le comité de l'occasion qui m'est icidonnée d'expliquer le concept de « traité » dans le contexte de l'absence de progrès enregistrés dans le dossier du règlement des revendications particulières. D'après les renseignements qui m'ont été envoyés, le rapport final devra sortir le 14 juin 2007, ce qui est significatif dans le cadre de notre propre échéancier de travail du côté des Premières nations.
Des traités ont été signés en vue d'assurer une coexistence pacifique. Comme l'ont dit et le répéteront de nombreux représentants de Premières nations, la patience des Premières nations est aujourd'hui épuisée. Permettez-moi d'être absolument clair : les événements survenus à Caledonia ne sont pas un incident isolé. Pour moi, cela représente l'avenir des relations entre indigènes et immigrants sur ces terres si nous ne parvenons pas à régler ces questions dans un délai raisonnable. Nous avons beaucoup entendu parler de l'arriéré en matière de revendications particulières et des années d'attente. Cependant, il y aura des années encore de négociation une fois que le ministre aura reconnu la revendication comme correspondant à une obligation légale non exécutée, et de nombreuses années encore, une fois les négociations ayant débouché sur une entente, pour que l'entente en question soit mise en œuvre.
Le chef national, Phil Fontaine, a dit qu'il faut compter en moyenne 27 ans pour régler une revendication au Canada. Je sais également que la majorité des revendications sont rejetées par le Canada même après que la Commission des revendications des Indiens en ait recommandé l'acceptation.
Notre affaire Roseau River Trust, portant sur la cession de 1903, est justement un exemple de cas qui a été rejeté même après que nous soyons passés par le processus de la CRI. La bande de la rivière Roseau a signé un traité avec la Couronne en 1971, et c'est ainsi que 16 700 milles carrés de terres ont été ouvertes à l'immigration et à l'établissement. Nous découvrons aujourd'hui que les promesses faites par les représentants de Sa Majesté n'étaient que des mensonges qui nous ont été servis dans le but d'avoir accès à nos terres. Les promesses faites de façon si solennelle par les représentants de la Reine étaient précisément cela : des promesses. Mais une fois ces promesses faites et une fois obtenu l'accès à nos terres, alors l'honneur de la Couronne a été jeté par-dessus bord. Le gouvernement n'a à ce jour pas réussi à rétablir l'honneur de la Couronne. Les représentants de la Reine nous avaient promis que nos terres de réserve découlant de traités seraient à nous à jamais et qu'elles seraient réservées à notre possession et à notre jouissance exclusives.
Voici comment l'on dit « possession exclusive » dans notre langue Ojibwa.
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Littéralement, cela veut dire que l'on ne permettra jamais à l'homme blanc de pénétrer dans les terres de réserve. À l'époque de cette promesse, le représentant de la Couronne avait, enfaisant cette déclaration, indiqué du doigt la Police à cheval du Nord-Ouest. Selon les nôtres, c'était là la reconnaissance par la Couronne de notre souveraineté, de notre droit de nous gouverner nous-mêmes, exprimé explicitement au moment du traité, promettant que la Couronne protégerait notre souveraineté avec force, au besoin. Or, le 19 janvier 1993, la GRC a placé des tireurs d'élite dans nos champs lorsqu'elle est venue nous prendre des appareils de jeux de hasard exploités en vertu de nos propres lois Anishinabe. L'armée canadienne était en alerte à Winnipeg.
Aujourd'hui, la collectivité affiche toujours un taux de chômage de 77 p. 100. Mes ancêtres avaient signé un traité en 1871. Le Canada avait dit : Signez ce traité et nous reconnaîtrons vos terres de réserve comme étant vôtres à jamais ». Mais le « à jamais » n'a pas duré très longtemps. Environ 32 ans plus tard, on nous a arraché 70 p. 100 de nos terres des réserves dans la cession forcée et frauduleuse de 1903.
La Commission des revendications des Indiens est aujourd'hui en train d'examiner l'affaire de 1903, le plus long dossier actif que l'on ait jamais vu, et qui est à l'étude depuis 13 ans maintenant. Nous avons réglé notre revendication relative aux droits fonciers issus des traités en 1996, après près de 30 ans de lobbying intense, mais, encore une fois, nous nous retrouvons devant les tribunaux pour une affaire de demande de déclaration, demandant à la Cour de déterminer ce qui constitue un « délai raisonnable » pour la conversion de terres en terres de réserve. Dans les dix années écoulées depuis le règlement de notre revendication de DFIT, pas une seule acre de terrain n'a encore été convertie en terre de réserve.
En 1903, il n'a fallu au Canada que 26 jours pour enlever par décret en conseil 12 sections de terres de réserve de la catégorie terres de réserve. En 1905, il a fallu au Canada cinq jours pour donner par décret en conseil au CN des terres des Birdtail Sioux. Il s'agissait d'une cession forcée. À Caledonia, il a fallu au gouvernement de l'Ontario moins de 100 jours pour en arriver à un règlement de l'ordre de 12 millions de dollars pour les pertes des promoteurs blancs.
Pourquoi le processus de revendications territoriales fonctionne-t-il si rapidement pour les Blancs alors qu'on nous demande à nous, les Autochtones, d'être patients? Dans le cas de la cession de 1903, cela fait 103 ans que nous attendons. Pourquoi? La raison est très simple.
Le Canada exploite 60 métaux et minerais différents. Il est le troisième plus grand producteur de diamants au monde. Il y a 1,4 billion de barils de pétrole dans les sables bitumineux et des centaines d'autres champs pétrolifères, et des dizaines de milliers d'installations de forage pétrolier qui pompent chaque jour du sol près de 3 millions de barils de pétrole. Cinquante pour cent de l'économie de la Colombie-Britannique repose sur le bois; or, aucun droit de coupe ne revient aux propriétaires originaux des terres.
Il n'existe pas de royalties légalement reconnues aux Autochtones correspondant à toutes nos richesses en pétrole et en d'autres ressources naturelles, pas même un loyer pour nos terres; il n'y a qu'un financement à la discrétion du gouvernement immigrant. Pendant que les wagons de train débordent de ressources valant des milliards de dollars, les nôtres vivent dans la pauvreté, avec des écoles inférieures, des logements inférieurs, une santé inférieure et des vies inférieures.
Plus de 3 milliards de dollars sont chaque jour tirés de la base de ressources du Manitoba. Le prix du pétrole était de 10 $ le baril en 1999; il atteint aujourd'hui les 75 $ le baril. La société Exxon a enregistré des profits de 10,4 milliards de dollars lors du dernier trimestre, selon le Globe and Mail. Le gouvernement fédéral a pour cette seule année affiché un surplus de 13 milliards de dollars. Or, il enlève 1 milliard de dollars aux programmes, dont une part importante dans le financement destiné aux Premières nations.
Les 9 milliards de dollars qui sont désignés pour les Premières nations sont en fait dépensés sur des Blancs, et non pas sur nous. Par exemple, un Indien tombe malade dans le nord du Manitoba et est traité pour le cancer, la tuberculose ou le diabète pendant un an. Les médecins, infirmières, concierges, compagnies pharmaceutiques et fournisseurs de repas, tous les intervenants dans l'industrie du système de prestations de soins de santé, facturent le gouvernement pour le coût du traitement de l'Indien. Au bout du compte, qu'a véritablement obtenu l'Indien? Il a obtenu les services et il a encaissé les reproches. Le contribuable moyen regarde la facture et dit : « Ce maudit Indien a touché 100 000 $ de mon argent. » Mais regardez le compte en banque de l'Indien. A-t-il vraiment touché l'argent? Bien sûr que non.
Les gens qui livrent les services se font payer, comme c'est également le cas des compagnies pharmaceutiques. Tout le monde se fait payer à partir de ce fonds. Ces 9 milliards de dollars, à les regarder de plus près, sont donc versés à l'industrie des services, mais non pas aux Premières nations.
À mon sens, les solutions sont claires : des royalties légalement reconnues versées directement aux propriétaires terriens originaux à même les revenus en provenance de ressources, égales à 10 p. 100 de la valeur de toutes les ressources retirées chaque année des terres canadiennes; des terres de patrie, reconnues à l'échelle internationale, pour les habitants originaux de ces terres, les terres que nous nous sommes réservés dans les traités; un territoire véritablement souverain gouverné par notre peuple pour notre peuple. Si nous pouvions exercer notre droit de nous gouverner nous-mêmes, un casino de classe mondiale à Roseau River rapporterait chaque année à ma collectivité 100 millions de dollars.
En 1993, il y a 13 ans, nous avons subi une descente de police. Ma seule collectivité aurait jusqu'ici eu des revenus de 1,3 milliard de dollars. Le 29 juin 2006, j'allais lancer un barrage national de toutes les voies ferrées au Canada, pour forcer le gouvernement du Canada à honorer les clauses et conditions des traités, mais nous avons, encore une fois, écouté lorsque le ministre des Affaires indiennes a demandé d'avoir un peu plus de temps. Je vous laisse les renseignements sur le CN dans lesquels on peut lire, entre autres choses, que le seul barrage des chemins de fer au Manitoba aurait coûté au CN 27 millions de dollars par jour.
Je suis le chef de la bande de Roseau River et président du Dakota Ojibway Tribal Council. Je suis également membredes chefs exécutifs de l'Assemblée des chefs du Manitoba,porte-parole de l'Okiijida Warrior Society et le seul représentant canadien au sein de l'American Indian Movement Board of Directors.
Je tiens à vous dire que le travail du comité est très important. Si vous ne parvenez pas à convaincre les vôtres d'honorer les traités, alors il nous faudra les imposer et stopper le flux d'argent issu de la vente de nos ressources qui arrive dans vos poches, en attendant de pouvoir nous asseoir et parler de façon sincère des clauses et conditions des traités, des ententes qui vous ont offert le droit à une coexistence pacifique sur ces terres qui sont les plus belles au monde.
J'espère de tout cœur que votre rapport ne connaîtra pas le même sort que celui de la Commission royale sur les peuples autochtones. Nous l'avons célébré hier, à l'occasion de son 10e anniversaire, mais il n'a fait qu'accumuler de la poussière.
Il faut comprendre pourquoi la Commission royale sur les peuples autochtones a vu le jour au départ. Ce n'était qu'une année après la crise d'Oka. Il y avait à Oka 1 500 journalistes et 4 000 soldats de l'armée canadienne contre 27 Mohawks enfermés dans le centre de traitement. Les Canadiens ont, à cause de cette crise, failli vivre de très sérieuses conséquences économiques. Nous ne voulons pas emprunter cette voie, mais il nous faut trouver un moyen de traiter de la question des revendications territoriales.
La société Enbridge me demande d'autoriser un droit de passage à l'intérieur de notre territoire traditionnel afin que les Américains puissent recevoir dans la partie supérieure de l'État du Wisconsin 450 000 barils de pétrole par jour. On est en train de demander aux Premières nations de la Colombie-Britannique d'autoriser un pipeline qui pomperait 400 000 barils de pétrole par jour pour les Chinois.
Je vous le demande : pourquoi devrions-nous, nous autres qui accusons un taux de chômage de 77 p. 100 bien que notre économie soit la plus riche en ressources au monde, tout simplement laisser faire et regarder notre richesse en ressources nous passer sous le nez pendant que nous vivons dans la pauvreté? Accepteriez-vous de faire cela?
Vous entendrez de nombreux autres dirigeants de Premières nations comme moi, qui vous diront sans ambages que nous sommes à bout de patience. J'espère que cette fois, les immigrants qui sont venus sur nos terres dans la pauvreté auront plus à offrir que des promesses vides.
Je reconnais que ce sont là des déclarations plutôt dures, mais je peux également vous dire qu'en décembre, lors du Congrès de l'APN, il y aura, le premier jour, une manifestation sur la colline du Parlement de gens de partout au pays, et qu'il sera présenté le premier jour devant l'assemblée une résolution demandant un barrage national ferroviaire le mardi 29 juin. Je vais soumettre cette résolution à l'APN. Elle viendra 15 jours après le dépôt de votre rapport final.
Le président : Merci, chef Nelson.
Collègues, j'ai, à la demande du ministre, eu beaucoup de contacts avec le chef Nelson. Il a une nouvelle fois fait preuve de compréhension et de patience. Aujourd'hui, à la Chambre des communes, le leader a parlé du fait que ce pays est le plus merveilleux pays du monde.
Je pense moi aussi, chef, que la seule façon pour ce pays d'être le plus merveilleux pays du monde sera d'autoriser nos peuples des Premières nations à emprunter le même chemin que tous les autres.
Je vous remercie sincèrement de votre exposé. Je suis inquiet, en tant que Canadien, et je pense pouvoir dire la même chose du comité. Nous avons, au sein de ce comité, établi une solide relation de travail. Il s'agit d'une relation non partisane. C'est une relation qui s'efforce de résoudre certaines des injustices qui ont brimé nos peuples des Premières nations. Vous nous les avez décrites ici, dans une perspective personnelle, mais nous savons que vous ne vivez pas en isolement. Les problèmes en matière de pauvreté, de santé, d'éducation et de partage des ressources se retrouvent d'un bout à l'autre du pays.
Tout ce que je peux vous dire, collègues, est que j'ai demandé au chef Nelson de venir et d'être l'un des derniers témoins. Il est en fait le dernier témoin que nous allons entendre. Il nous faut réellement connaître et comprendre les frustrations. Nous nous efforcerons de les expliciter dans notre rapport. J'espère moi aussi que celui-ci ne servira pas tout simplement de ramasse-poussière. Il sera concis, précis et ira droit au but en ce qui concerne un volet particulier des revendications particulières. Les droits fonciers issus des traités y seront inclus. J'espère seulement que nous ne vous décevrons pas, chef, car vous avez été déçus trop de fois par le passé.
Le sénateur Dyck : J'aimerais remercier le chef Nelson pour sa très puissante déclaration. Je trouve que vous avez vraiment donné vie aux sujets dont il est question ici. Et vos déclarations ici sont certainement une façon très dramatique pour les gens de comprendre l'issue de ce processus. Merci beaucoup pour cela.
M. Nelson : Je mentionnerai également que l'un des problèmes que nous avons eus, et que j'ai inclus dans la documentation, est que notre revendication de 1996 relative aux droits fonciers découlant des traités nous a demandé beaucoup de temps à essayer de régler mais que, dix ans plus tard, pas un seul acre de terre n'a été converti au statut de terre de réserve. Nous essayons d'obtenir la réserve urbaine à Winnipeg. Nous avions 20,4 acres de terrain. Le ministère des Affaires indiennes a assujetti nos terres à une évaluation environnementale très sévère et impossible à satisfaire. Il y avait de la poussière de charbon quatre pieds sous terre datant de l'époque des trains à vapeur, et il se trouvait là, sur deux acres de terrain, un petit embranchement de chemin de fer. Au bout du compte, l'on nous a dit qu'il y avait de la poussière de charbon à quatre pieds de profondeur et que cela n'était pas acceptable. On nous a dit qu'ils nous en coûterait 2 millions de dollars pour enlever cette poussière de charbon. En temps normal, dans la ville de Winnipeg, on se contente d'asphalter par-dessus. La poussière en provenance de Mount St. Helen vous tuerait bien avant que ne puisse le faire de la poussière enfouie quatre pieds sous terre. C'était la seule chose qu'ils pouvaient faire pour nous arrêter.
Une lettre a été envoyée — et j'ai inclus cela dans la documentation — par M. Toews, le procureur général, au ministre de la Justice, demandant à Jim Prentice de ne pas approuver la conversion en terre de réserve. Nous nous sommes jusqu'ici trouvés dans l'impossibilité d'obtenir copie de cette lettre, bien que le ministre Toews ait envoyé une lettre au Winnipeg Sun. Je ne peux pas l'obtenir. Pourquoi ne puis-je pas l'obtenir? Lorsque le ministre Toews, qui est la Couronne, peut envoyer une lettre au sujet de Roseau River et de notre entente relative à nos DFIT, pourquoi ne pouvons-nous pas en obtenir copie? L'on ne respecte même pas les simples règles de politesse en nous envoyant copie d'une lettre qui concerne nos DFIT. Voilà le genre de choses qui nous frustrent. Malheureusement, il nous faudra déposer une requête pour contravention essentielle au traité, car c'est la Couronne qui est aujourd'hui en train de dire qu'elle ne va pas convertir nos terres. Bien sûr, dans le règlement de notre revendication relative à nos droits fonciers issus de traités, le ministre de la Justice doit donner son aval avant que toute portion de ces terres ne puisse être convertie.
Nous nous trouvons dans une impasse, et nous ne savons pas comment faire pour nous en sortir. La seule solution pour nous est de déclarer qu'il y a eu contravention essentielle d'un traité et de refuser ainsi à Enbridge, au CN, l'accès à nos terres, et de donner de nouveau l'impression que nous sommes des Indiens militants. Je ne sais vraiment pas quoi faire d'autre. Nous avons engagé autant de poursuites que possible. Nous avons défilé devant les tribunaux. Cela est malheureux, mais nous en sommes arrivés à un point où les gens vont tout simplement nous regarder et dire : « Les voici qui reviennent encore. Voici qu'arrivent encore ces personnes qui ne respectent pas les lois. »
Une chose que nous demandons, et que nous aimerions voir arriver, est que quelqu'un fasse la recherche. Examinez neserait-ce que les surplus du gouvernement fédéral des 10 dernières années environ. Examinez la vente de toutes les ressources dans ce pays. Savez-vous qu'en 2003 le gouvernement fédéral a reçu 141,8 milliards de dollars au titre de ses redevances sur la vente de ressources naturelles? Et cela ne correspond qu'à la part du gouvernement fédéral et n'inclut pas les provinces. Je ne parle pas ici des marges de profit des entreprises qui exploitent les ressources. Ces redevances fédérales l'ont même emporté sur les impôts perçus auprès du contribuable, mais le contribuable nous dit : « Vous vivez de notre générosité. » Nous essayons de leur dire que ce sont nos terres et nos ressources et que nous aimerions avoir une part de notre propre richesse. Qu'y a-t-il de si extraordinaire ou radical là-dedans?
Le sénateur Sibbeston : J'aimerais demander au chef de nous parler un petit peu de la réserve dont il est le chef. Vous avez parlé d'un taux de chômage de 75 p. 100. Où votre réserve est-elle située et à quoi attribuez-vous ce taux de chômage élevé?
M. Nelson : Nous vivons en fait dans la région qui est sans doute la plus riche au Canada. De fait, le sud du Manitoba compte sans doute, par tête d'habitant, la plus forte proportion de millionnaires au pays. Le bassin de la rivière Rouge est sans doute l'une des plus riches régions agricoles au monde. Cependant, il est une chose qui est essentielle au développement économique, et c'est l'accès à des capitaux de démarrage.
Dans les années 1930, la région de Roseau River était sans doute l'une des plus dynamiques régions agricoles au pays. Elle avait un dynamisme tel qu'après le retrait par le gouvernement d'environ 70 p. 100 de notre réserve, il a été instauré un système de permis en vertu duquel nous ne pouvions pas obtenir de permis de vente. Nos agriculteurs ne pouvaient pas vendre leur grain, alors celui-ci pourrissait dans les champs. Les gens cultivaient la terre. Ils réussissaient merveilleusement bien. Mon grand-père réussissait bien comme agriculteur. Lorsqu'il a rencontré son petit-fils, mon oncle Tony Nelson, qui revenait de la guerre en 1944, qui descendait du train à Winnipeg, il venait tout juste de vendre son grain. Mon oncle raconte à quel point cet homme était riche. Il avait 1 000 $ dans chacune de ses poches, et il avait cinq poches. Il avait 5 000 $ sur lui en argent comptant. Cela équivaudrait à se promener aujourd'hui avec environ 70 000 $ dans ses poches. Voilà à quel point il était riche. Il réussissait fort bien. Mais lorsqu'ils ont détruit les communautés agricoles, ces gens-là ont dû recourir à l'assistance sociale.
Aujourd'hui, notre communauté est sur le point de devenir entièrement autosuffisante d'ici cinq ans. Nous ne pourrons pas faire baisser le taux de chômage de 77 p. 100 si nous n'obtenons pas la conversion des terres. Nous aurons la réserve urbaine.
J'ai une liste de projets. J'ai un projet d'énergie de remplacement de 1,5 milliard de dollars avec les Chinois et les Saoudiens. Nous avons un projet de récupération de ferraille de 20 millions de dollars. Cette cession de 1903 représente un règlement d'entre 60 et 120 millions de dollars. La CRI doit rédiger sa décision en mars.
Nous nous penchons également sur un projet de logements de 400 millions de dollars. Nous avons le Programme des candidats des provinces que nous sommes en train d'étudier en vue d'investissements chinois. Nous avons la réserve indienne, le remboursement de la taxe sur les produits du tabac et le jeu, avec 60 appareils de jeux de hasard et terminaux de loterie vidéo. Tout cela est conditionnel à l'obtention de la conversion de nos terres. Si nous parvenons à obtenir cette conversion, nous pourrons nous lancer. Nous venons tout juste de ramener un déficit cumulatif de 6 millions de dollars à moins de 1 million de dollars, ce en l'espace de quatre ans.
Le président : Sénateur Sibbeston, il se fait du développement économique actif autour de Roseau River. J'espère, chef, que je pourrai d'ici peu me rendre en visite chez vous.
M. Nelson : Le sénateur St. Germain va ouvrir unestation-service.
Le président : Une station-service à Headingly. Nous nous y rendrons et ouvrirons la vôtre aussi. Avez-vous chez vous en ce moment des stations-service?
M. Nelson : Nous avons 2 300 acres de terre à 30 minutes de Winnipeg que nous voulons convertir. Nous avons 75 acres plus au nord, le long de l'autoroute 6, sur lesquels nous voulons aménager des centres de ravitaillement polyvalents. Nous avons 20,4 acres de terrain pour lesquels nous négocions avec la ville de Winnipeg et nous œuvrons également aux côtés des Seminoles en Floride, là encore pour obtenir de l'argent pour notre développement économique.
Le président : Nous avons beaucoup apprécié votre exposé et votre présence ici, ainsi que la sincérité que vous avez apportée au comité. J'espère du fond du cœur, et je suis certain que c'est également le cas de chacun des sénateurs qui ont, pour la plupart, consacré beaucoup de temps au travail de ce comité, que nous serons en mesure de déposer des recommandations que le gouvernement ne pourra pas ignorer. Au fur et à mesure de la succession des gouvernements, quel qu'ait été le parti au pouvoir, il semble que nos peuples des Premières nations aient toujours été traités de la même façon, et je fais beaucoup confiance à l'actuel ministre des Affaires indiennes. Je vous remercie encore de votre patience, car je sais ce que vous aviez prévu faire et qu'à la demande du ministre vous avez fait appel à votre raison et à votre patience, et j'espère que cela finira par livrer des dividendes aux vôtres.
S'il n'y a rien d'autre, collègues, nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes, puis siéger brièvement à huis clos enfin d'entamer la rédaction de notre rapport.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.