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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 12 - Témoignages du 28 novembre 2006


OTTAWA, le mardi 28 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 heures pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour. Notre comité se réunit ce matin pour entendre d'autres témoins dans le cadre de notre étude de la participation des peuples et entreprises autochtones à des projets de nature économique au pays. Nous sommes allés dans toutes les régions du pays et avons entendu de nombreux témoins. Aujourd'hui nous avons devant nous des représentants de Nunavut Tunngavik.

Alastair Campbell, conseiller principal en politiques, Nunavut Tunngavik Inc. : Merci, sénateur Sibbeston. M'accompagnent aujourd'hui Brad Hickes, directeur intérimaire, développement des affaires économiques, et deux personnes qui ne font pas partie de la délégation officielle de Nunavut Tunngavik mais qui sont très intéressées par nos propos, Okalik Eegeesiak de l'organisation inuite nationale Inuit Tapiriit Kanatami, et Glenn Cousins du Nunavut Economic Forum.

Le Nunavut Economic Forum est un groupe de coordination qui comprend plus de vingt membres. Il a été mis sur pied pour étudier le développement économique du Nunavut et il coordonne les diverses politiques. Nunavut Tunngavik, le gouvernement du Nunavut et le gouvernement fédéral en font tous partie, de même que de nombreux autres groupes et organismes, notamment des sociétés de développement. Il a une perspective distincte mais partage les mêmes préoccupations et certainement les mêmes intérêts.

J'aimerais remercier les membres du comité pour l'occasion qui m'est offerte de présenter un exposé ce matin. Le président de NTI, Paul Kaludjak, aurait beaucoup aimé être ici aujourd'hui. Il nous a demandé de vous présenter ses regrets car il n'a pu venir en raison d'engagements qu'il avait déjà pris.

Nunavut Tunngavik Inc., NTI, représente les Inuits du Nunavut et est responsable de la mise en oeuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Quelque 25 000 bénéficiaires inuits sont inscrits en vertu de l'accord, et 90 p. 100 d'entre eux habitent le Nunavut.

L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a été signé en 1993. Il s'agit d'un traité signé en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est le plus important accord sur les revendications territoriales dans l'histoire du Canada. Le Nunavut couvre le cinquième de la superficie terrestre du Canada et englobe notamment des zones marines adjacentes. En vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, environ 18 p. 100 du Nunavut appartient en fief simple à trois associations inuites régionales, et ces trois organismes régionaux sont représentés au sein du conseil d'administration de NTI. Cette dernière détient en outre des droits sur 1,8 p. 100 du sous- sol.

NTI est membre d'organisations inuites et autochtones nationales et internationales. Le président de NTI est membre du conseil d'administration d'Inuit Tapiriit Kanatami et du Conseil circumpolaire inuit, qui représente les Inuits depuis le Groenland jusqu'à la Sibérie. NTI joue également un rôle actif dans la coalition formée en 2003 pour favoriser les accords sur les revendications territoriales autochtones. Son objectif consiste à élaborer une politique progressiste en vue de la mise en oeuvre de traités modernes, c'est-à-dire des accords modernes sur les revendications territoriales. Outre NTI, la coalition comprend des groupes autochtones du Labrador, du Nord québécois, de la Baie James, de la vallée du Mackenzie, du Yukon et du nord de la Colombie-Britannique.

La coalition a tenu deux importantes conférences sur la mise en oeuvre des revendications en 2003 et en 2006. J'aimerais vous dire que la coalition se réunira à Ottawa le 6 décembre, et je crois que le comité devrait recevoir une lettre de la coalition. Les responsables de NTI invitent les membres du comité à rencontrer les membres de la coalition à cette occasion, si possible.

L'objectif de ce comité est de connaître les conditions qui favorisent ou entravent le développement dans les collectivités autochtones. Nous pouvons vous donner à cet égard le point de vue du Nunavut. Notre approche est inspirée de Nunavut Economic Outlook et de Nunavut Economic Development Strategy, deux documents dont nous remettrons des exemplaires au comité.

Essentiellement, nous suivons le Conference Board du Canada en ce qui concerne les quatre formes de capital à développer : naturel, physique, humain et organisationnel. Chacun a son propre rôle et sa propre place. Ce qui importe, c'est leur synergie; on ne peut les isoler les uns des autres. Nous utiliserons ce cadre pour décrire certaines des possibilités et certains des défis et des obstacles au développement au Nunavut.

M. Hickes parlera maintenant du capital naturel, de son importance dans l'économie du Nunavut et de la place des Inuits dans cette économie.

Brad Hickes, directeur intérimaire, Développement des affaires économiques, Nunavut Tunngavik Inc. : Comme vient de le mentionner M. Campbell, je vais parler de capital naturel. Le capital naturel comprend l'eau, la végétation, la terre, les minéraux, le pétrole et le gaz, les poissons, les animaux et le paysage. Il comprend également la connaissance de ces biens naturels.

Le capital naturel permet d'assurer la viabilité d'une économie traditionnelle. L'économie du Nunavut dépend à la fois d'activités rattachées aux ressources naturelles, par exemple la chasse et la pêche, et d'activités commerciales et rémunérées. Bien qu'il soit difficile de quantifier la valeur de l'économie traditionnelle en termes monétaires, elle n'en offre pas moins des avantages tangibles en ce qui concerne la qualité de la vie, ainsi que la qualité des aliments, le patrimoine culturel et certaines retombées économiques.

La Baffin Fisheries Coalition a travaillé en étroite collaboration avec Royal Greenland, une société d'État groenlandaise, et a obtenu une part de 51 p. 100 dans la propriété de deux navires, l'Inuksuk 1 et l'Ujukuak. Au début de cette année, le Nunavut a obtenu une augmentation du quota de pêche au turbot de 2 500 tonnes dans la division hauturière 0A. Au 14 novembre 2006, les navires du Nunavut avaient pris la totalité de leur quota de turbot dans la division 0A, ce qui montre que le Nunavut a la capacité de développer son industrie de la pêche.

Comme on pouvait s'y attendre, la production de l'industrie minière du Nunavut a diminué de 2003 à 2006 et des mines ont fermé — Polaris, Strathcona et Lupin. Aujourd'hui le développement minier a repris sa croissance grâce à l'ouverture de la mine Jericho cet été et l'approbation récente de l'ouverture de deux autres mines. L'exploration demeure importante et il devrait y avoir encore du développement dans les trois régions du Nunavut.

Des ententes sur les répercussions et les avantages sont prévues dans l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et peuvent créer de l'emploi dans les collectivités et des avantages commerciaux découlant de l'exploitation minière. L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut prévoit également le versement de redevances à la Fiducie du Nunavut.

Des investissements considérables sont faits pour accroître notre connaissance de notre capital naturel, notamment par le biais de la cartographie géoscientifique et géologique, l'étude des stocks de poissons et des études sur la faune réalisées à l'aide de méthodes scientifiques conventionnelles et des connaissances traditionnelles.

L'environnement nordique est vulnérable aux contaminants qui peuvent se retrouver dans la chaîne alimentaire à des concentrations élevées et être éventuellement consommés. Dans les régions de Baffin et de Kivalliq, plus du quart de la population absorbe du mercure à des concentrations supérieures à celles qui sont considérées comme sécuritaires en mangeant de la nourriture locale — du caribou, du phoque et tout le gibier chassé de façon traditionnelle. Des études ont aussi révélé la présence de concentrations de PCB chez les femmes inuites, notamment celles vivant au Nunavut.

Pour ce qui concerne le capital naturel, nous aimerions nous concentrer sur le tourisme, un secteur de l'économie auquel sont étroitement liés les actifs du capital naturel. Selon la stratégie de développement économique du Nunavut (Nunavut Economic Development Strategy), le tourisme offre d'excellentes perspectives de croissance à grande échelle. Ce secteur peut offrir une partie de la diversité économique qu'exige l'économie du Nunavut. Il est attrayant car il permet de stimuler l'activité économique dans les régions éloignées où les possibilités de développement économique sont peu nombreuses.

S'il est géré correctement, le tourisme est durable sur le plan de l'environnement. Il y a le programme SMART (Sustainable Model for Arctic Regional Tourism) qui fait davantage dans l'écotourisme et convient bien à la culture inuite.

S'ils disposaient de ressources additionnelles et avaient davantage d'occasions de formation, un plus grand nombre d'Inuits auraient accès à un secteur économique qui leur permet de faire le pont entre les activités rattachées aux ressources naturelles et l'économie commerciale. Le gouvernement du Nunavut verse 2,8 millions de dollars pour le financement direct du tourisme. Des fonds sont également versés dans le secteur du tourisme par Affaires indiennes et du Nord Canada, Entreprise autochtone Canada, la Commission canadienne du tourisme, le Conseil canadien des ressources humaines en tourisme, Patrimoine canadien et Parcs Canada.

Le problème en ce qui concerne ces programmes de financement, c'est leur accessibilité aux Inuits du Nunavut. Il y a des problèmes récurrents de prestation. Les mécanismes des programmes de financement sont conçus et appliqués en fonction de modèles qui viennent du sud canadien. Ils tiennent compte d'autres besoins géographiques et ne conviennent pas nécessairement au Nunavut.

Voilà pour le capital naturel. Je crois que M. Campbell abordera la question du capital physique.

M. Campbell : Le capital physique s'entend généralement de l'infrastructure — le logement, les immeubles gouvernementaux, et cetera. On entend souvent dire que beaucoup d'argent est dépensé au Nunavut mais que les retombées sont peu nombreuses. C'est en partie parce qu'il n'y a que 25 collectivités au Nunavut. Comme elles sont éloignées les unes des autres, chacune d'elles a besoin de certaines infrastructures, par exemple une piste d'atterrissage, une installation de production d'électricité, un détachement de la GRC, des installations municipales et une école. Il n'y a aucun lien routier ou ferroviaire avec le reste du Canada ou entre les collectivités. Le transport se fait par air ou par mer, et la saison du transport s'étend de juillet à novembre dans la partie sud du Nunavut.

L'infrastructure physique du Nunavut comporte d'importantes déséconomies d'échelle, tout comme d'autres aspects de l'économie du Nunavut. Nous avons à cet égard ce que nous pourrions appeler un déficit d'infrastructure. Une bonne partie de l'infrastructure du Nunavut vieillit; elle est surutilisée. Même si nous comptons sur le transport maritime pour la livraison des matériaux de construction, du carburant, de la nourriture et de divers autres articles, il n'y a aucune installation portuaire en eau profonde. L'absence d'installations portuaires en eau profonde crée des problèmes dans la construction, par exemple en raison du temps qu'il faut pour décharger les matériaux. Elle empêche également le Nunavut d'exploiter pleinement sa pêche commerciale et réduit les possibilités en matière de tourisme car les touristes doivent descendre du navire pour monter à bord d'autres bateaux pour se rendre à terre.

Il n'y a aucune centrale hydroélectrique ni de branchement de réseau. L'électricité est produite à partir de carburant diesel. Le prix de l'électricité varie d'environ 40 ¢ à 1,12 $ le kilowattheure, alors qu'à Ottawa, par exemple, il est d'environ 7,5 ¢ le kilowattheure.

Il importe de noter que le changement climatique a des conséquences graves sur le capital physique du Nunavut. Les conditions météorologiques peuvent restreindre l'accès aux ressources minérales en raison des routes qui deviennent moins fiables. Nous l'avons vu l'an dernier dans les Territoires du Nord-Ouest dans le cas de l'accès aux mines, ainsi qu'au Nunavut dans le cas de la mise en exploitation de la mine Jericho. En outre, une bonne partie de l'infrastructure repose sur le pergélisol. Le changement climatique modifie le pergélisol, ce qui peut avoir d'importantes conséquences sur le plan des coûts.

Le logement constitue un bon exemple du déficit d'infrastructure du Nunavut. Le Nunavut a en ce moment le taux le plus élevé de surpeuplement des logements au Canada. Il a été démontré dans une étude de Frank Tester, sociologue à l'Université de la Colombie-Britannique — et le fait est généralement connu en dehors des cadres de cette étude — que de nombreux problèmes sociaux, par exemple l'abus d'alcool ou d'autres substances, la violence familiale, et même le suicide, ont un lien avec le surpeuplement des logements. Le mauvais état de santé est également attribuable au surpeuplement des logements.

En 2005, un rapport sur le logement préparé par NTI et le gouvernement a conclu qu'il faudrait de 500 à 600 unités par année pour combler le retard dans le logement et pour maintenir le rythme par rapport à la croissance de la population.

Le gouvernement fédéral a récemment versé 200 millions de dollars à la Société d'habitation du Nunavut, ce qui devrait permettre la mise en place de 725 à 750 unités sur une période de cinq ans. Nous reconnaissons certainement l'importance de cette contribution fort valable, même si elle ne permettra pas d'obtenir les 500 à 600 unités requises chaque année. Nous le soulignons non seulement pour reconnaître la mesure qui a été prise mais aussi pour illustrer la véritable ampleur de la mesure qui doit être prise.

Je pourrai faire de brefs commentaires sur deux autres sections, et M. Hickes pourra parler de capital humain.

M. Hickes : Le capital humain, ce sont les gens qui habitent le Nunavut, leurs connaissances, leurs compétences et leurs capacités. Selon une estimation de 2004, la population du Nunavut est d'environ 30 000 personnes. Environ 85 p. 100 de la population est inuite. Iqaluit en est la capitale et la plus importante collectivité, et sa population est d'environ 6 500 personnes. Elle est également la seule municipalité du Nunavut qui perçoit des taxes. Le Nunavut a la population la plus jeune du Canada, l'âge médian y étant de 22 ans. Il est de 37,6 ans dans l'ensemble du Canada. C'est une population très jeune.

Le juge Thomas Berger a constaté une lacune dans le système d'éducation du Nunavut pour ce qui concerne la réussite des élèves. Le taux d'obtention de diplôme n'y est que de 25 p. 100. À son avis, l'absence d'enseignement adéquat en inuktitut après le primaire est largement responsable de cet échec. Bien que la situation puisse sembler sombre dans l'ensemble, il y a des signes encourageants. Par exemple, le nombre d'élèves qui demandent du financement par l'entremise de l'aide financière aux élèves du Nunavut est passé de 815 en 2002-2003 à 1 292 en 2005- 2006.

Lorsqu'on évalue le déficit en capital du Nunavut, il faut tenir compte du déficit dans la santé. Le gouvernement du Nunavut consacre environ 22 p. 100 de son PIB à la santé. C'est plus du double de la moyenne canadienne. Les transports représentent une partie importante des dépenses mais il y a aussi de graves préoccupations en ce qui concerne la santé.

Le taux de mortalité infantile est trois fois plus élevé au Nunavut que la moyenne canadienne. L'espérance de vie des hommes est de 67 ans au Nunavut, comparé à 75 ans dans l'ensemble du Canada. Elle est de 70 pour les femmes, comparé à 81 ans dans l'ensemble du Canada. En outre, le Nunavut a le nombre de cas de tuberculose le plus élevé au Canada. Le nombre d'infections des voies respiratoires inférieures au Nunavut est parmi les plus élevés au monde.

M. Campbell : J'aborderai brièvement le dernier aspect du développement du capital. Le capital organisationnel est souvent négligé mais en fait, il est très important. Le capital organisationnel comprend la structure et les opérations du gouvernement; le secteur privé; dans le cas du Nunavut, les organisations inuites; les organismes sans but lucratif; et l'organisation sociale dans son ensemble. Il est important que le Nunavut ait un gouvernement territorial comme les autres gouvernements territoriaux. Il y a un accord sur les revendications territoriales qui permet d'avoir un régime unique pour le règlement des revendications territoriales de l'ensemble du Nunavut, ce qui nous procure une certaine assurance. Il y a une différence entre le Nunavut et d'autres administrations à cet égard. Par exemple, les industries savent à quoi s'en tenir en ce qui concerne les titres de propriété, contrairement aux régions du Canada où les revendications n'ont pas été réglées.

Il y a de nombreuses institutions de gouvernement populaire. Ce sont des conseils de gestion mixtes composés de représentants inuits et du gouvernement mis sur pied en vertu de l'accord sur les revendications territoriales. Cependant, il y a certains problèmes, par exemple le fait que les institutions de gouvernement populaire n'ont pas les ressources nécessaires. Récemment, le juge Berger a tenté de rapprocher NTI et le gouvernement pour ce qui concerne le niveau de ressourcement de ces institutions. Il a recommandé des besoins en ressourcement, que les parties ont acceptés, mais aucun progrès n'a été fait pour ce qui concerne l'obtention de fonds, ce qui fait que nous ne savons pas où en est le financement. Malheureusement, la mise en oeuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut est un modèle de lenteur des progrès, voire d'absence de progrès, même lorsqu'il semble y avoir eu entente.

La question des contrats gouvernementaux est intéressante. Le gouvernement est le moteur de l'économie du Nunavut. Il dépense environ 60 p. 100 du produit intérieur brut du territoire en comparaison de 22 p. 100 seulement dans le reste du Canada. Les contrats gouvernementaux sont régis par l'article 24 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, qui oblige les deux gouvernements à se doter de politiques d'approvisionnement en faveur des firmes inuites pour tous les contrats gouvernementaux. Conformément à l'article 24, le gouvernement du Nunavut, en collaboration avec NTI, a mis en place une politique qui accorde la préférence aux firmes et aux entreprises inuites dans les soumissions, aux firmes du Nunavut et aux entreprises locales. La préférence accordée aux firmes inuites du Nunavut peut atteindre 21 p. 100 pour certains contrats.

Il y a eu des désaccords entre NTI et le gouvernement du Nunavut concernant l'élaboration de cette politique, mais au moins nous avons quelque chose en commun, alors qu'on ne peut pas en dire autant du gouvernement du Canada. Le Conseil du Trésor a demandé à tous les ministères d'appliquer l'article 24 mais il n'y a pas de politique fédérale d'ensemble. L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a été signé en 1993, mais l'article 24 n'a toujours pas été mis en oeuvre. J'aimerais attirer votre attention sur une volumineuse étude récemment réalisée par PricewaterhouseCoopers concernant la mise en oeuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut au cours des cinq dernières années. L'étude comprend un long chapitre sur l'article 24, et je vous invite à le lire.

Il faut cependant dire que le tableau fédéral n'est pas entièrement sombre. Par exemple, le ministère de la Défense nationale est responsable du nettoyage de quelque 15 installations de l'ancien réseau DEW dans le Nord. Le MDN a négocié une série d'ententes avec NTI entre 1998 et 2001. Les principales ententes portent sur les normes environnementales, les procédures contractuelles et le suivi. Grâce à ces ententes, nous avons pu atteindre un taux d'emploi de plus de 70 p. 100 dans les opérations de nettoyage et une participation de plus de 70 p. 100 des firmes inuites pour ce qui concerne la valeur de la composante des contrats d'entreprises.

Affaires indiennes et du Nord Canada possède de nombreux lieux contaminés prioritaires, la plupart étant également des installations de l'ancien réseau DEW. Nous tentons de conclure avec le MAINC une entente semblable à celle que nous avons conclue avec le MDN. Le MAINC a accepté de négocier avec nous sur cette question et nous respecterons cela. Nous espérons pouvoir conclure une entente similaire.

C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.

Le vice-président : Merci.

Le sénateur Hubley : Bonjour et bienvenue au comité. Vous avez accompli beaucoup de travail dans la mise sur pied d'organisations pour favoriser le développement économique. J'apprécie certainement votre façon d'évaluer vos forces.

J'ai une question mixte concernant deux de vos commentaires. Elle porte sur votre population de jeunes et les systèmes d'éducation que vous pouvez offrir. Je crois que vous avez abordé la question lorsque vous avez parlé de tourisme et des possibilités de formation des jeunes dans ce domaine. Pourriez-vous nous donner un aperçu du système d'éducation et des possibilités qu'ont les jeunes d'accéder à divers domaines?

M. Hickes : Vous voulez dire en rapport avec le tourisme?

Le sénateur Hubley : Oui.

M. Hickes : Actuellement, pour ce qui concerne le tourisme, beaucoup de choses sont réalisées sous forme de commercialisation. L'essentiel de l'investissement actuel de 2,8 millions de dollars et du financement additionnel versé par le gouvernement fédéral est consacré à la commercialisation. L'équivalent n'est pas consacré au développement de produits. Par conséquent, il y a de nombreuses campagnes de commercialisation disant que le Nunavut existe mais trop peu d'efforts sont consacrés au développement de produits pour permettre aux entreprises de prendre leur envol.

Cela dit, vous avez parfaitement raison : les entreprises qui existent, si elles sont menées correctement, pourraient être associées au système d'éducation. J'ignore s'il pourrait s'agir de formation professionnelle, par exemple, mais il y a des semaines de développement économique communautaire dans le cadre desquelles des groupes font la tournée des collectivités. Nunavut Tourism participe à ces efforts. L'organisme s'efforce de promouvoir les carrières dans le secteur du tourisme. Il y a certainement des possibilités. Ce serait une transition naturelle, comme l'indique la stratégie de développement économique; c'est-à-dire que lorsque ces possibilités d'activités touristiques existent, elles proviennent directement des activités rattachées aux ressources naturelles.

Je crois que davantage de choses pourraient être accomplies à cet égard en diversifiant la base de l'éducation et peut- être en modifiant le programme en fonction de ces cheminements. Si tout le monde est mis dans le même moule et qu'aucune commercialisation n'est faite, il n'y aura aucune possibilité. Par contre, si les efforts sont insuffisants dans le développement de produits et qu'aucun investissement n'est fait pour aider ces entreprises à obtenir du capital, il n'y aura alors aucun emploi à occuper. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Hubley : Oui, en effet. Je songeais aux programmes d'entrepreneuriat pour les jeunes, pas nécessairement dans le secteur du tourisme. Je crois que cela leur donne une idée des possibilités et leur permet d'acquérir des compétences, si leurs intérêts sont dans ce domaine. Ils auront la confiance nécessaire pour aller de l'avant.

M. Hickes : Oui. Parallèlement aux semaines du développement économique communautaire, Compétences Canada présente un exposé sur un programme qu'il offre sur les occasions d'entrepreneuriat. Les gens peuvent participer à des concours. Actuellement, d'autres organisations s'occupent de cela, d'exploiter ce filon et de créer un esprit d'entrepreneuriat chez les jeunes.

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé de redevances à la Couronne qui sont versées à un fonds de développement. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? S'agit-il d'un partage des revenus tirés des ressources? Si c'est le cas, de combien d'argent s'agit-il?

M. Campbell : Oui. En ce qui concerne le financement en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, toutes les redevances à la Couronne au Nunavut vont au gouvernement fédéral. Les terres de la Couronne sont toujours détenues par la Couronne du chef du Canada.

Comme il n'y a pas de mine en exploitation, il n'y a eu à peu près aucune redevance à la Couronne au cours des quelques dernières années. Cela dit, l'accord sur les revendications territoriales stipule que la moitié des deux premiers millions de dollars en redevance à la Couronne doivent être versés à Fiducie du Nunavut. Au-delà de ce montant, 5 p. 100 seront versés.

Fiducie du Nunavut est l'organisme mis sur pied en vertu de l'accord sur les revendications territoriales pour administrer le capital versé dans le cadre de l'accord sur les revendications territoriales sur une période de 14 ans, soit un montant d'environ 1,148 milliard de dollars, auquel s'ajoutent ces redevances. Pour faire une analogie, le fonds fonctionne un peu comme une caisse de retraite. Il investit de l'argent et se sert de cela pour fournir, par exemple, le capital d'exploitation de NTI.

Le sénateur Peterson : Lors de votre exposé vous avez parlé de propriété en fief simple d'une partie importante de votre territoire, mais aussi de la propriété de 1,8 p. 100 du sous-sol. S'agit-il de droits miniers?

M. Campbell : C'est exact.

Le sénateur Peterson : Pourquoi une part aussi modeste? Pourquoi seulement 1,8 p. 100?

M. Campbell : J'ignore comment on en est arrivé à ce chiffre. Il a été négocié dans le cadre de l'accord sur les revendications territoriales. Lorsqu'un accord est négocié, le Canada est disposé à acquérir certaines terres et à céder certaines terres. C'est l'entente qui a été conclue.

Le sénateur Peterson : Vous avez également de l'exploration minière et des mines qui ouvriront. Êtes-vous en mesure de tirer profit de ces mines?

M. Campbell : Oui, amplement. Dans la plupart des cas, l'accord stipule que des ententes sur les répercussions et les avantages doivent être négociées. Par l'entremise de ces ententes, des dispositions peuvent être prises concernant la formation, l'embauche et l'achat d'avantages commerciaux.

Deuxièmement, dans le cas des terres inuites, il est souvent question d'accès à la propriété en surface. Dans certains cas, il peut y avoir la propriété du sous-sol. Aucune mine n'est en exploitation depuis un an environ. L'exploitation vient à peine de recommencer.

Le sénateur Peterson : C'est pourquoi je vous demandais si vous étiez prêts. Les plus petites portions concernent l'accès à la terre, et vous n'en tirerez pas beaucoup. Je me demande si vous aurez votre part des ressources. Les ressources vous appartiennent. En tirerez-vous un profit équitable?

M. Campbell : Je crois qu'il y a deux aspects à cette question. L'un a trait au système existant. Deuxièmement, si le gouvernement du Nunavut peut conclure un accord de transmission avec le gouvernement du Canada et assumer la responsabilité de ces ressources comme le ferait un gouvernement provincial, tous les avantages reviendraient alors à l'ensemble du Nunavut.

Il est important de s'assurer que les redevances provenant de l'exploitation minière ou autre versées au gouvernement du Nunavut ne sont pas déduites des subventions fédérales versées chaque année au Nunavut. C'est là une des difficultés dans les négociations d'ententes de transmission avec le gouvernement des Territoires du Nord- Ouest, par exemple.

Quelle proportion des redevances doit être conservée? Il est prévu que ce sera 100 p. 100, mais quelle partie de ce montant sera déduite de la subvention fédérale annuelle de fonctionnement versée au gouvernement territorial? Si l'économie est toujours en développement, je crois qu'un solide dossier peut être monté, tout comme l'a fait Terre- Neuve lorsqu'elle a réussi à obtenir 100 p. 100 sans déduction.

Le sénateur Peterson : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que c'est le défi que vous devez relever.

Quels sont les deux principaux défis que nous pouvons vous aider à relever aujourd'hui pour connaître le succès économique?

M. Campbell : Il est difficile de répondre à cette question car il y a quatre aspects différents qui doivent être développés en même temps. Le gouvernement du Canada doit rendre suffisamment de capital disponible pour développer le Nunavut, tout comme, disons, le chemin de fer Canadien Pacifique a été développé. Les Prairies n'ont pas fourni l'argent pour bâtir le chemin de fer Canadien Pacifique qui traverse les Prairies; il a été construit selon des paramètres différents. La même chose doit se produire dans le cas du développement du Nunavut.

L'important, c'est l'infrastructure. C'est vraiment important, tout comme l'est le développement de la capacité humaine. Sans les connaissances et les compétences des gens pour en tirer profit, la construction de l'infrastructure à elle seule ne peut produire aucun avantage économique.

Le sénateur Peterson : Je suis d'accord, mais je crois que vous devez être disposé à vous battre pour vos droits. Vous serez piétiné si vous ne vous battez pas. C'est votre chance de vous accaparer les ressources. C'est là que se trouve l'argent. Avec le gouvernement pour vous aider, je crois que c'est ici qu'il faut tracer la ligne de bataille, pour ainsi dire. Je vous souhaite bonne chance.

Le sénateur Dyck : Vous disiez que l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut était le plus important règlement sur les revendications territoriales conclu au Canada. Vous avez également indiqué que le processus de règlement des revendications territoriales était lent. Vous n'avez peut-être pas utilisé les mots « sans fin » mais des mots qui voulaient dire la même chose.

En ce qui concerne votre accord alors, croyez-vous que le résultat obtenu est celui qui avait été prévu? Y a-t-il encore des choses à régler? Le citoyen moyen en a-t-il tiré profit jusqu'à maintenant?

M. Campbell : C'est là une autre question difficile.

Une bonne partie de ce qui a été fait dans le cadre de l'accord sur les revendications territoriales a été bien fait. Certains de ces aspects sont un peu étonnants. Que le gouvernement accepte de diviser les territoires et de mettre en place un autre gouvernement territorial constitue une importante réalisation. Un transfert de capital a été effectué à titre de compensation.

Ces choses ont été bien faites mais un fait sous-jacent demeure : le Nunavut est une économie sous-développée. À bien des égards, des comparaisons peuvent être faites avec l'économie canadienne des années 50. Partir de là pour atteindre l'harmonisation avec le reste du Canada représente un énorme défi.

Il n'y a pas que l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut qui a eu des difficultés. Je crois que tous les membres de la coalition autochtone pour les revendications territoriales seront d'accord pour dire qu'il y a eu d'importants problèmes dans la mise en oeuvre des accords sur les revendications territoriales. Pour cette raison, la coalition demandait qu'il y ait une politique fédérale relative à la mise en oeuvre des accords sur les revendications territoriales. Lorsqu'un accord est signé, il comporte de nombreux chapitres et met en cause divers ministères et il n'y a pas de politique.

La vérificatrice générale en a également parlé quelque peu. Nous avons tendance à trouver des objectifs aux sections de l'accord sur les revendications territoriales. Les fonctionnaires qui manquent d'orientation politique centralisée ont abordé les sections et les ont interprétées comme des règles de droit immuables, si l'on peu dire, et ils ont donné une interprétation minimale des obligations du gouvernement. Cela a souvent eu pour conséquence de minimiser les efforts visant à atteindre les objectifs de l'accord sur les revendications territoriales.

Par exemple, nous avons lu dans des notes d'information provenant d'Affaires indiennes et du Nord Canada que NTI n'a jamais vraiment prouvé que le gouvernement a violé l'article 24 en ce qui concerne les contrats du gouvernement fédéral. Nous ne suivons pas chaque contrat gouvernemental pour pouvoir surveiller cela. Nous ne sommes pas organisés pour fonctionner ainsi. Cela dit, les objectifs de l'article 24 consistent à accroître la participation des firmes inuites à l'économie du Nunavut et la participation des Inuits au marché du travail du Nunavut à un niveau représentatif. Ces objectifs sont-ils atteints? Ils sont atteints très lentement, et à certains égards, de façon très éphémère. Exception faite de l'entente sur le nettoyage d'installations du réseau DEW par le ministère de la Défense nationale, ils ne sont pas bien atteints du tout.

Le sénateur Dyck : Je crois que M. Hickes a parlé d'utiliser un modèle du sud pour le développement, ce qui ne convient pas nécessairement parce que vous avez une petite population en comparaison de la superficie que vous occupez — une petite population isolée et éparpillée sans moyen de transport adéquat entre les collectivités.

Compte tenu de la situation du territoire, quelle serait la façon la plus efficace d'atteindre la viabilité économique? Quelles sont les meilleures possibilités?

M. Campbell : J'imagine que vous demandez quels secteurs sont disponibles pour cela.

Le sénateur Dyck : Je veux parler du tourisme par rapport aux activités rattachées aux ressources naturelles, le maintien du mode de vie traditionnel, et ainsi de suite.

M. Campbell : Il y a de nombreux domaines et ils ont tous du potentiel. Il est espéré que l'industrie minière se développera et apportera des avantages. Dans le passé, dans l'histoire de l'exploitation minière dans le nord, une entreprise de l'extérieur s'amenait, extrayait le minerai et partait avec les avantages, et la population locale en profitait peu. Grâce aux ententes sur les répercussions et les avantages et, nous l'espérons, au transfert des ressources naturelles au gouvernement du Nunavut, cette situation peut changer, de véritables progrès peuvent être réalisés et des avantages locaux et régionaux peuvent être tirés de l'exploitation minière. Voilà un aspect.

Il y a un bon potentiel pour la pêche commerciale. Il faudrait cependant déterminer quelle partie de l'allocation de la pêche hauturière devrait être attribuée à des intérêts du Nunavut par rapport à d'autres intérêts canadiens. Il s'agit là d'une question très délicate sur le plan politique dans les autres parties du Canada. La position du Nunavut et de NIT, c'est que le Nunavut devrait recevoir la même part des stocks de poissons que les autres administrations reçoivent.

Les arts et l'artisanat sont souvent la partie la plus cachée de l'économie mais ils sont très importants et offrent beaucoup de potentiel. Une étude récente montre que Cape Dorset abrite un plus grand nombre d'artistes producteurs que toute autre collectivité au Canada, même celles des îles Gulf en Colombie-Britannique, qui sont très artistiques. Beaucoup de choses y sont réalisées en matière d'arts et d'artisanat. Il y a là d'importantes compétences qui doivent être exploitées.

L'industrie du film est un secteur très prometteur. Des films de l'extérieur sont tournés au Nunavut mais il y a aussi Isuma Productions, qui est exploité à Igloolik, et Atanarjuat, un film qui a gagné un prix au Festival du film de Cannes. Il y a eu plus récemment The Journals of Knud Rasmussen. Ces films sont d'une grande qualité artistique, et ce, tout en intégrant la culture et l'histoire inuites. Ce sont là d'importants employeurs lorsqu'ils tournent. Lorsque les ventes marchent bien, ils sont très bons pour l'économie du Nunavut.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais ce sont quelques exemples.

M. Hickes : En ce qui concerne le tourisme, j'ai parlé d'adapter la prestation des programmes à la spécificité du Nunavut. La Commission canadienne du tourisme offre une certaine aide au tourisme mais il y a certains problèmes lorsqu'on tente d'accéder à ces programmes. Les responsables de la Commission ont déclaré à quelques reprises que les régions émergentes ou en développement ne les intéressaient pas vraiment. Ils se concentrent davantage sur les régions développées où ils peuvent avoir du financement de contrepartie, 25 ou 50 p. 100 pour un projet. C'est difficile au Nunavut quand on tente de bâtir une entreprise dans un endroit éloigné où il n'y a pas d'institution financière. Si la prestation des programmes n'obéit pas à des critères propres au Nunavut, il peut être difficile d'avoir accès à ce capital.

Le vice-président : Vous avez indiqué que le gouvernement joue un rôle très important dans l'économie, qu'il est responsable d'environ 60 p. 100 des dépenses en contrats et en investissement. Quel est selon vous la principale difficulté lorsqu'il s'agit d'attirer des investissements privés au Nunavut?

M. Campbell : Le secteur privé investit là où il peut faire des profits. C'est difficile dans une économie comme celle du Nunavut, qui est située loin des marchés et où il est très dispendieux de se lancer dans une exploitation. De façon générale, on y voit plutôt des activités qui exigent beaucoup de capitaux, par exemple l'exploitation minière, ainsi qu'un certain développement d'infrastructures et des activités hautement spécialisées. Beaucoup de choses doivent être faites par le gouvernement simplement à cause de ces difficultés.

Il y a maintenant quelque 300 firmes inuites inscrites comme telles par NTI en vertu de l'accord sur les revendications territoriales. Cela signifie que la firme est au moins à 51 p. 100 à propriété inuite. Il y en avait environ 70 en 1994. Il y a du développement dans le secteur privé.

Je vous citerai aussi l'exemple de Nunasi Corporation, qui appartient à des bénéficiaires au Nunavut et qui a conclu des ententes de coentreprise avec les Inuvialuits. La société exploite des entreprises de transport aérien, par exemple Canadian North et la Société des transports du Nord Limitée, ainsi que d'autres coentreprises.

Je ne sais pas si cela répond vraiment à votre question. D'un certain point de vue, ce qui manque au Nunavut, ce sont des institutions financières. Il n'y a des succursales bancaires que dans les trois principales collectivités : Iqaluit, Rankin Inlet et Cambridge Bay. Ce n'est tout simplement pas rentable pour les banques d'ouvrir des succursales dans les autres collectivités. C'est là un facteur dissuasif en ce qui concerne les épargnes personnelles et les exploitations commerciales.

La Fiducie du Nunavut a fourni par l'entremise de NTI environ 50 millions de dollars à une société de prêt inuite, Atuqtuarvik Corporation, qui prête aux firmes inuites. Je crois qu'Atuqtuarvik négocie avec le secteur privé afin de voir si elle pourrait d'une façon quelconque s'associer avec l'une des institutions financières du sud du Canada, une caisse populaire ou une banque, pour peut-être exploiter une forme de filiale d'institution financière au Nunavut de façon plus importante que ce qui se fait actuellement.

Je ne crois pas qu'il y ait de réponse simple à votre question. Dans chaque cas, des facteurs différents sont en cause, et ils entraîneront des décisions différentes.

Le sénateur Hubley : Vous avez parlé de la Baffin Fisheries Coalition. Elle a reçu un quota de turbot dans le district 0A. Vous avez dit que deux navires y pêchaient. Savez-vous si ces navires appartiennent à des Inuits?

M. Campbell : Ils sont de propriété commune. Ils appartiennent à 51 p. 100 à des Inuits du Nunavut et le reste appartient au Groenland.

Le sénateur Hubley : Où ce turbot est-il transformé?

M. Campbell : Je ne suis pas un spécialiste de la pêche mais l'absence d'installations portuaires signifie que le chargement et le déchargement sont difficiles. Il y a une usine de transformation du poisson à Pangnirtung, mais une grande partie de la transformation est faite en dehors du Nunavut.

Le sénateur Hubley : Lorsque vous recevez un quota, cela vous donne-t-il une meilleure chance de tenter d'obtenir l'infrastructure nécessaire pour transformer cette ressource dans la région?

M. Campbell : Oui, parce que le capital provenant du quota peut être accumulé et investi. C'est ainsi qu'a été acquise la copropriété des navires. La construction de l'infrastructure est une question de nature politique, mais il faut démontrer qu'on peut l'utiliser.

Le sénateur Peterson : Quelle est l'autorité approbatrice du développement des ressources au Nunavut? Je pose la question parce que je me demande s'il y a pour vous des possibilités de coentreprise avec les sociétés minières. Vous savez sans doute que la plupart des pays d'Europe de l'Est ayant des gisements minéraux insistent maintenant pour être en partenariat avec les sociétés exploitantes.

M. Campbell : Oui. S'il s'agit de terres publiques, le MAINC délivre les permis. Je peux me tromper mais je ne crois pas qu'il y ait de coentreprise au Nunavut. Essentiellement nous avons les ententes sur les répercussions et les avantages.

M. Hickes : Il y a peut-être des coentreprises d'exploration mais je n'en connais aucune autre.

Le sénateur Peterson : Je vous suggère d'examiner la question. Vous avez les minéraux. Vous devez en avoir une part. Si vous n'en profitez pas maintenant, vous risquez de tout perdre. Aujourd'hui vous avez quelque chose de tangible.

M. Campbell : Je suis d'accord avec le principe. Cela dit, il faudrait sans doute beaucoup de capitaux, et l'on peut se demander si ce serait la meilleure façon de les investir.

Le sénateur Peterson : Vous n'avez pas nécessairement à fournir l'argent. Vous négociez ces ententes. Vous apportez quelque chose à la table et l'autre partie fournit l'argent si elle veut les minéraux. C'est quelque chose que vous devriez examiner.

Le vice-président : Merci de votre exposé. L'information que vous nous avez donnée nous aidera à préparer notre rapport. Vous avez fourni de l'information sur une région très isolée de notre pays qui a des problèmes particuliers.

Nos prochains témoins sont Jack Blacksmith et Matthew Coon Come, représentants du Grand Conseil des Cris du Nord québécois.

Jack Blacksmith, président, Cree Regional Economic Enterprises Co. (CREECO) et président, Conseil du bureau d'indemnité cri, Grand Conseil des Cris : Bonjour. C'est un honneur pour moi d'être ici à nouveau. J'ai présenté un exposé à un comité du Sénat sur la foresterie il y a environ trois ans.

Je suis ici pour vous présenter un exposé sur les expériences cries en ce qui concerne le développement économique. Le grand chef du Grand Conseil des Cris vous transmet ses salutations, en son nom personnel et au nom de la nation crie.

Je voudrais vous féliciter pour ce travail sur le développement économique. Il peut être très utile aux peuples autochtones du Canada. Le gouvernement de notre territoire est également aux prises avec le développement économique.

Je vais vous faire part des expériences des Cris du Nord québécois en ce qui concerne nos défis et nos réussites. La nation crie a participé à de nombreuses initiatives régionales de développement économique et de développement des entreprises au cours des 31 dernières années, soit depuis la signature du premier accord moderne du Canada avec les Autochtones. Cela ne veut pas dire que l'ensemble de la nation crie ne fait des affaires que depuis 31 ans. Au contraire, les entreprises locales au niveau communautaire font des affaires depuis plus longtemps. Le sénateur Gill connaît sans doute quelques-unes des entreprises que je nommerai. Il y a notamment le restaurant Charlie Brien, dont l'unique propriétaire est une personne de cette localité; Allan Cooper Construction de Waswanipi; Sandy Corner Store à Whapmagoostui; et Blackned Construction à Waskaganish, pour n'en nommer que quelques-unes. Certaines expériences ont connu beaucoup de succès à bien des égards, et toutes les activités que nous avons réalisées nous ont permis d'avoir une meilleure idée des possibilités et du genre d'économie que nous voulons bâtir pour l'avenir de la nation crie.

Je suis actuellement président du conseil régional du Bureau d'indemnité cri et président de la société Cree Regional Economic Enterprises, mieux connue sous le nom de CREECO. Il s'agit de la société de portefeuille des entreprises de la nation crie, notamment Air Creebec, la Compagnie de Construction et de Développement Crie Ltée, Gestion ADC (Alimentation Domco Cree) et Valpiro.

La mise sur pied de notre propre entreprise de transport aérien est l'une de nos réussites à l'échelle régionale. Air Creebec Inc., qui a 24 ans, était au départ un partenariat qui ne disposait que d'un avion, rien de moins qu'un Twin Otter. L'entreprise est maintenant devenue indépendante et dispose de 14 appareils qui offrent des services en Ontario et au Québec.

Comment en sommes-nous arrivés là? Nous avons continué de nous développer en accroissant nos activités, notamment en nous concentrant sur les industries au sein de notre région. Par exemple, pour accéder au secteur minier, les coûts et les risques étaient élevés car il fallait changer notre capacité et nos appareils. Le risque était plus élevé qu'il l'était pour d'autres entreprises non autochtones. Des programmes d'aide gouvernementale sont accessibles aux entreprises canadiennes qui cherchent à étendre leurs activités au-delà des frontières, par exemple Bombardier, qui vise les marchés internationaux, mais il est difficile de trouver du financement pour un transporteur aérien autochtone dans le Nord qui doit faire face à la concurrence dans toute la région pour obtenir des contrats.

En outre, Air Creebec a dû surmonter d'autres obstacles, par exemple d'importantes dépenses afin de s'assurer que son matériel était le plus moderne possible. Pour demeurer concurrentiel dans l'industrie du voyage, il est important de pouvoir offrir des services de réservation. Chaque année nous investissons dans la technologie et l'innovation afin d'offrir un service de qualité à notre clientèle.

Bien qu'Air Creebec appartienne en totalité à des Autochtones, il est difficile d'attirer des travailleurs cris. Comme nous sommes situés dans un aéroport important, dans ce cas Val-d'Or, pour travailler pour Air Creebec, les employés cris doivent déménager dans cette localité. Pour des raisons fiscales, le travail est à l'extérieur des collectivités et les cris doivent payer des taxes s'ils quittent les réserves. Les Cris veulent demeurer dans leurs collectivités, et déménager l'entreprise dans une collectivité crie entraînerait d'importants coûts. Ainsi, un seul des 41 employés du service d'entretien d'Air Creebec est cri.

Comme je l'ai dit, l'entreprise a connu du succès, et l'une des principales raisons de notre succès dans ce secteur économique, c'est l'appui de notre leadership. En créant des occasions d'affaires par l'entremise du nouvel accord de relations, nous avons pu accroître nos activités. Autre facteur important de notre succès, la capacité du personnel de notre entreprise de fournir de l'information précise aux membres du conseil cris en temps voulu pour leur permettre de prendre les meilleures décisions possibles.

Notre expérience nous a appris que la création d'une entreprise autochtone pour remplacer une entreprise non autochtone ne permet pas nécessairement de créer des capacités. Dans le cas de notre expérience du secteur des services d'alimentation, dès que nous sommes entrés sur le marché, nous avons constaté que des obstacles y existaient déjà. Nous ne pouvions tout simplement pas offrir le même niveau de services que les entreprises non cries de la région car certains contrats de distribution de produits populaires étaient déjà en place dans la région. Nous avons fini par payer les mêmes produits plus cher que nos concurrents qui avaient déjà conclu des accords avec les fournisseurs de la région. Nous avons appris une leçon très importante, à savoir que les affaires sont les affaires, et les collectivités locales n'encourageront les entreprises cries que si elles offrent des prix concurrentiels et le choix de biens et de services auquel les gens sont habitués.

La Compagnie de Construction et de Développement Crie (CCDC) est une autre des entreprises chapeautées par CREECO. Cette entreprise, qui aura 30 ans cette année, est un bon exemple de création de capacités au sein de nos propres organisations. Lorsqu'elle recherche des occasions d'affaires dans notre région, la CCDC est généralement en concurrence avec d'autres entrepreneurs pour l'obtention de contrats dans l'industrie de la construction. Ces entreprises sont de petite taille et n'ont pas autant de frais généraux que la CCDC. S'il s'agit d'une activité de développement pour laquelle nous aimerions bâtir notre capacité interne, nous recherchons une entreprise spécialisée dans le domaine et concluons un partenariat. Dans bien des cas les partenariats durent plus longtemps que le projet, et ces partenariats ont permis à des entreprises cries de rechercher des contrats au-delà du territoire de la Baie James — au-delà de notre propre territoire.

J'aimerais également mentionner le fait que les entreprises de la nation crie connaissent du succès et des situations relativement bonnes depuis probablement cinq à dix ans. Il ne fait aucun doute que nos entreprises s'efforcent toujours de créer des capacités afin d'offrir des possibilités à notre nation. Nous avons lancé une série de programmes de formation et de sensibilisation pour nous concentrer sur les activités et les possibilités au sein de notre région. Pour participer davantage aux activités de développement économique, nous devons nous doter d'une main-d'oeuvre crie qualifiée. Les cours et les programmes de formation sont souvent conçus par la Commission scolaire crie, le service de développement des ressources humaines cries et nos entreprises afin qu'ils puissent être adaptés aux besoins réels de l'industrie.

Nous apprécions vraiment le centre de formation professionnelle régional récemment construit à Waswanipi, qui aidera la nation crie à acquérir les compétences nécessaires pour prendre part aux activités commerciales, et nous lui portons une attention particulière. Il semble que le centre de formation professionnelle donnera des cours sur les besoins réels des entreprises au sein du territoire, ce qui nous aidera à offrir de l'emploi notre population crie.

D'après nos expériences, nos partenariats et nos coentreprises, nous pouvons dire que la création de capacités doit être reconnue comme la pierre angulaire du développement économique autochtone. La création de capacités est un énorme monstre pour ce qui concerne l'infrastructure, le financement, les programmes de formation et ainsi de suite.

En ce qui concerne les avis ou les recommandations que nous pouvons formuler à l'intention de ce comité ou des autres nations autochtones, nos expériences nous disent qu'il faut rechercher les industries qui créeront des capacités au sein de la nation. Il faut rechercher les occasions qui permettront aux entreprises de se développer. Il faut bien connaître l'industrie dans laquelle on veut évoluer afin d'éviter les obstacles qui peuvent constituer un désavantage concurrentiel, par exemple les arrangements existants dans la région. On peut avoir des défis à relever en cours de route mais le succès arrive avec la capacité de trouver des solutions. Dans certains cas, il faudra trouver des partenaires qui vous aideront à créer les capacités dont vous avez besoin. Les partenaires autochtones qui ont réussi dans les domaines où vous voulez créer des capacités ont beaucoup à offrir pour vous aider à comprendre les défis à relever et les possibilités à exploiter.

Comme vous le savez tous, dans la nation crie nous aidons aussi la petite entreprise. Les petites entreprises ont toujours de la difficulté à acquérir les compétences et le financement nécessaires pour démarrer au niveau local. Les banques n'iront pas dans les réserves pour offrir des prêts aux petites entreprises. Nous avons beaucoup de difficulté à mettre sur pied nos petites entreprises. Les entreprises régionales s'en tirent plutôt bien mais les entreprises locales ne font pas aussi bien. C'est à l'échelle locale que nous devons consacrer nos efforts pour favoriser le développement économique.

Actuellement, notre économie repose sur des organisations axées sur le service, la Commission scolaire crie, le gouvernement local, le conseil de santé, et ainsi de suite. Elles représentent peut-être 70 p. 100 de l'économie. Elles fournissent 70 p. 100 des emplois dans les collectivités cries, alors que les petites entreprises en fournissent de 25 à 30 p. 100 environ. Au Québec comme dans l'ensemble du pays, c'est la réserve. C'est là un des principaux défis que notre nation doit relever pour bâtir une économie locale crie et la faire croître afin de permettre aux gens de la collectivité de créer des entreprises locales.

Là-dessus, je remercie le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour ses importants travaux en matière de développement économique et je vous remercie d'avoir invité le Grand Conseil des Cris à témoigner aujourd'hui. Nous avons hâte de lire le rapport et les recommandations qui découleront de votre étude et nous vous félicitons pour votre engagement à l'égard des questions autochtones.

Le sénateur Peterson : Je m'intéresse à l'entente que vous aviez, la nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et la nation crie. Il y a là un certain nombre de points. A-t-elle évoluée comme prévu? Êtes-vous satisfaits?

M. Blacksmith : Je ne peux me prononcer sur l'ensemble de l'entente mais je peux parler du secteur dont j'étais responsable dans cette entente. C'est le chapitre 3 concernant le secteur minier. J'ai été nommé président du Conseil cri sur l'exploration minière environ un an et demi après la signature de l'entente. La création du conseil découle de cette entente. Il comprend quatre représentants cris et un représentant du Québec. Nous sommes financés par notre propre gouvernement et recevons un financement partiel du gouvernement du Québec.

Nous avons fait des pas de géant pour entrer dans le secteur minier, bien que ce soit moins le cas actuellement en matière de développement; nous en sommes plutôt à la base dans notre participation aux activités d'exploration. Nous fournissons du financement à nos gens, à des entreprises conjointes entre nos gens et des entreprises non autochtones pour les travaux d'exploration préliminaire.

Nous finançons également diverses collectivités cries qui négocient actuellement avec d'autres entreprises qui lancent des projets miniers dans leur territoire. Par exemple, une collectivité appelée Wemindji aux confins du Nord québécois est à négocier l'ouverture d'une mine. On y construira une route et une piste d'atterrissage. Notre entreprise, CCDC, a conclu une entente de coentreprise avec Wemindji pour offrir ces services à la société minière. Nous participons également à la construction de la mine elle-même. Ce secteur à lui seul a beaucoup fait pour ce qui concerne l'entente signée en février 2002. Elle nous a permis de faire un bon bout de chemin dans le secteur minier.

Le sénateur Peterson : Cette entente exclue-t-elle la présence du MAINC?

M. Blacksmith : Pas nécessairement. La Paix des Braves a été signée de gouvernement à gouvernement et elle n'enlève aucune responsabilité à qui que ce soit, ce qui comprend le gouvernement fédéral. Cette entente est strictement entre le gouvernement du Québec et la nation crie.

Le sénateur Peterson : Je crois savoir qu'il y a un nouveau projet de centrale hydroélectrique en planification. Où en est-il rendu?

M. Blacksmith : Ces questions deviennent trop politiques pour moi. Je suis en fait un homme d'affaires, alors vous me mettez un peu dans l'embarras ici. Je vous répondrai comme quelqu'un qui a lu les journaux.

La semaine dernière, j'étais à une conférence à Montréal pour préparer la prochaine étape du projet. La conférence était organisée par la SEBJ, la Société d'énergie de la Baie James, et Hydro-Québec. À ce moment-là, il a été annoncé que le projet, EM1A, et le détournement de la rivière Rupert avaient reçu l'aval du gouvernement provincial. Il y a toujours la question du gouvernement fédéral; il n'y a toujours pas de réponse là-dessus. Les responsables croient qu'ils pourraient recevoir cette réponse dans quelques mois. Ce n'est pas encore un projet avalisé, un projet officiel.

Matthew Coon Come, membre du conseil, Grand Conseil des Cris : Après la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, il fallait veiller à ce que les Cris participent aux activités — minière, forestières ou autre — qui se dérouleraient en territoire cri. Dans la convention signée, du moins pour les signataires de la convention, le principe était qu'elle nous aiderait à participer au développement économique, social et culturel, à la protection de l'environnement et à l'autonomie gouvernementale. Nous nous attendions à ce que le gouvernement, qu'il soit fédéral ou provincial, respecte ses obligations.

La Paix des Braves est le résultat d'une poursuite contre le gouvernement du Québec pour non-respect de ses obligations découlant de la convention. L'objet de cette convention était de veiller à ce qu'il y ait une infrastructure économique au sein du territoire. À l'époque, nous avions peu de routes, de pistes d'atterrissage, de systèmes de télécommunication, et cetera, choses essentielles à la création, à la promotion et à l'exploitation de possibilités économiques. Nous voulions certainement avoir les mêmes chances que les promoteurs de la région et avoir de bons rapports avec eux. Nous voulions trouver des façons de vivre ensemble, d'avoir une participation significative et d'avoir de bonnes relations. J'étais alors grand chef, jusqu'en 1999 — je crois que j'ai été grand chef pendant 12 ans. C'était à l'étape où nous négociions la Paix des Braves, et le grand chef Ted Moses a pris la relève.

Nous cherchions des partenariats parce que c'est ce que disait la convention.

J'aimerais vous donner un exemple de réussite. Il y avait un programme fédéral appelé programme territorial qui aidait les Cris à créer des partenariats avec l'industrie minière, forestière, et cetera. Nous avions 600 Cris inscrits à ce programme. Or, ce programme sera supprimé. Il est dommage de mettre fin à un programme qui a fait ses preuves, qui a permis aux Cris d'obtenir de la formation et donc d'avoir l'occasion de participer à l'économie et d'avoir un salaire.

Par conséquent, ces 600 personnes seront au chômage. Nous reviendrons donc à la case départ, où il n'y a pas de formation. Toutes les entreprises du territoire veulent que les Cris participent mais elles n'ont pas les fonds pour former les gens. C'était un bon programme. Si ce comité pouvait protester auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord contre l'élimination de ce programme territorial, cela nous aiderait beaucoup.

L'autre question, c'est l'équilibre. Le défi des Cris consistait à créer l'équilibre entre le social et l'économique. La Paix des Braves devait s'occuper de l'infrastructure économique des collectivités.

M. Blacksmith parlait de développement à l'échelle régionale; mais à l'échelle locale, le développement demeure un défi pour les entrepreneurs, hommes ou femmes. Si vous tentez de lancer une entreprise et que vous n'avez pas de conduite d'eau et d'égout — à plus forte raison si votre étang d'épuration est plein — vous ne pouvez pas exploiter ces possibilités. Nous savons tous au Canada que les plus importants employeurs sont les petites entreprises familiales. Elles sont les plus importants employeurs et c'est un fait. C'est à cet égard, je crois, que nous avons besoin de beaucoup d'assistance.

Le nouvel accord de relations évolue. Cela prend du temps. Malheureusement, 30 ans après — et j'y étais quand l'encre était sèche — une fois que les gouvernements et les promoteurs ont eu ce qu'ils voulaient, nous sommes restés là à nous demander ce qui avait bien pu se passer. Malheureusement, nous avons dû prendre des mesures. Le gouvernement fédéral a aussi des obligations juridiques, que nous espérons régler pour aller de l'avant afin que les responsabilités soient maintenant confiées à nos gens qui pourront prendre des décisions et avancer.

Le sénateur Dyck : Vous avez souligné le besoin de sources de financement pour le développement de petites entreprises locales. Que recommanderiez-vous? Un organisme devrait-il être créé? Comment la population locale demanderait-elle ce genre de financement?

M. Blacksmith : Il est difficile pour les entreprises locales d'avoir accès à l'expertise et au financement nécessaires pour lancer leur entreprise. Au cours des dernières années, comme l'a dit M. Coon Come, un programme fédéral qui nous permettait de participer à été supprimé. La même chose se produit en ce qui concerne les possibilités pour les petites entreprises. Il y avait des programmes fédéraux d'aide et de financement mais ces programmes sont presque inexistants maintenant ou ils sont difficilement accessibles. Même dans nos collectivités importantes — nous avons des collectivités de près de 4 000 personnes — il est difficile de lancer une entreprise. Bien des entreprises se battent pour obtenir le financement nécessaire auprès des banques. Les banques ne sont pas très ouvertes à notre égard parce qu'elles ne feront rien avant que l'argent qu'elles nous prêtent soit pleinement garanti. Il est difficile pour l'homme d'affaires de trouver toutes les garanties qu'exige la banque pour verser l'argent. C'est très difficile pour les entreprises locales. Le gouvernement fédéral doit intervenir par l'entremise du MAINC ou d'autres programmes afin d'offrir de l'assistance aux hommes d'affaires locaux.

M. Coon Come : L'une des difficultés des entrepreneurs locaux qui aident les petites entreprises, c'est qu'il faut avoir de la formation et du capital. Nous avons présenté plusieurs exposés à la Commission crie-naskapie recommandant certaines modifications concernant les terres ainsi que les décisions requises pour attribuer les terres afin d'obtenir la location pour les entrepreneurs locaux. Ces questions doivent être examinées.

Il y a aussi la question des subventions. Il faut tenir compte des conditions dans le Nord. Il faut prendre en compte les coûts liés à la nordicité. Les subventions pour le personnel des entrepreneurs locaux feraient un bon bout de chemin. Parallèlement, il faut examiner l'approche sectorielle. Actuellement des fonds peuvent être attribués mais il faut pouvoir cibler des groupes, par exemple les jeunes et les femmes. Je ne dis pas que les projets ciblent uniquement les femmes mais il faut élaborer un programme pour cibler les femmes entrepreneures. Il faut élaborer un programme centré là-dessus.

Tout administrateur à l'échelle locale qui tente d'obtenir des fonds doit faire face à la bureaucratie administrative du gouvernement. Il faut aller à Industrie Canada, Environnement Canada, Ressources humaines et Développement social Canada, et lorsqu'on quitte la Colline on a le vertige et la tête nous tourne. Il serait plus simple d'avoir une organisation du type Wal-Mart. On y entre et il y a tout ce qu'il faut. Un point d'accès plus centralisé permettrait aux gens d'accéder plus facilement aux programmes et aux services.

Le sénateur Dyck : Il est intéressant que vous parliez de cibler les femmes, par exemple, parce que dans l'ensemble du Canada, la plupart des petites entreprises sont lancées par des femmes — du moins un fort pourcentage d'entre elles le sont. Leur taux de réussite est d'ailleurs élevé. À l'échelle internationale, il est devenu clair que le microcrédit est ce dont parle les gens pour les pays du tiers monde; c'est-à-dire que l'exploitation de sa propre entreprise est le facteur clé qui ouvre la voie à l'indépendance économique. De même, la personne à l'échelle locale ne pourrait pas avoir un prêt dans une banque conventionnelle. Il faut fournir le capital d'une façon complètement différente.

M. Blacksmith : Dans ma collectivité en particulier, les femmes et les jeunes sont engagés dans les diverses situations commerciales qu'on y trouve. Par exemple, la cafétéria est la propriété d'une femme de 35 ans. Elle est en affaires depuis environ cinq ans et les choses vont très bien. Il y a une autre femme qui doit avoir probablement 30 ans et qui envisage de construire un motel dans notre collectivité. Elle cherche a obtenir une forme quelconque de financement pour pouvoir construire ce motel. Des jeunes sont actifs dans divers secteurs, par exemple Internet. Toutes sortes de programmes sont offerts à l'école locale. Le type a probablement 35 ans aussi. De nombreux jeunes exploitent une petite entreprise locale mais ils ne reçoivent pas assez d'assistance pour franchir le seuil qui leur permettrait d'avoir une entreprise vraiment exceptionnelle et d'avoir accès à toutes ces possibilités.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question porte sur la chasse, la pêche et le piégeage. Ces pratiques sont-elles toujours des sources viables de revenus pour vos collectivités?

M. Blacksmith : Notre industrie de la fourrure a été détruite. C'est difficile pour nous, quoique dans une certaine mesure de nombreuses personnes âgées et quelques jeunes vivent encore de façon traditionnelle, mais ils ne comptent pas entièrement sur ce mode de vie comme ils le faisaient auparavant. Il s'agit davantage de pratiquer la pêche et la chasse pour assurer sa subsistance.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Un jeune avec une petite famille pourrait-il survivre en pratiquant ce mode de vie?

M. Blacksmith : Je ne crois pas qu'il puisse compter uniquement là-dessus pour subvenir aux besoins de sa famille. Je crois qu'il pourrait lui offrir une bonne vie mais il ne pourrait pas compter uniquement là-dessus parce que la chasse et la pêche ne procurent pas véritablement de bons revenus. Cela dit, il y a des programmes d'assistance qui lui permettraient d'assurer une partie de sa subsistance.

M. Coon Come : La Convention de la Baie James et du Nord québécois avait comme objectif d'aider les piégeurs à garder leur mode de vie de piégeage et de chasse. L'Office de la sécurité du revenu des chasseurs et des piégeurs cris offre une aide supplémentaire aux piégeurs. Dans son rapport annuel, l'Office indique qu'une proportion de 37 p. 100 de la population est inscrite à ce programme.

La difficulté à laquelle nous devons faire face survient lorsqu'il y a des coupes à blanc effectuées à l'aide de systèmes fortement mécanisés. Les activités minières commencent à se multiplier et les terres sont inondées. Le petit et le gros gibier fuit le territoire. Quand il n'y a pas de petit et de gros gibier, les gens quittent le territoire.

Il faut pouvoir travailler avec l'industrie. M. Blacksmith connaît bien les exploitants forestiers. On peut protéger certains secteurs pour préserver les ravages d'orignaux ou les frayères par exemple. Il s'agit de travailler en collaboration avec l'industrie de façon à assurer le maintien de ce mode de vie. Le problème a toujours été l'imposition de ces règlements à l'industrie. C'est bien d'avoir un règlement forestier qui dit qu'on ne peut rien couper dans un rayon de 100 mètres autour d'un lac quelconque parce qu'un habitat de castor s'y trouve, mais croyez-vous que l'entreprise forestière ou le gouvernement fédéral embauchera quelqu'un pour prendre des mesures et veiller à ce que les abatteuses n'entrent pas dans cette zone de 100 mètres et qu'une amende leur sera ensuite imposée si elles y entrent? C'est là une des difficultés si l'on veut protéger ce mode de vie. Nous voulons certainement permettre cela et c'était l'objet de la convention. Grâce à cette convention, la terre était toujours le plus important employeur et nous voulions permettre aux gens de garder ce mode de vie s'ils le désiraient. Il s'agissait d'avoir une relation avec l'industrie qui serait compatible avec ce mode de vie. Nous constatons maintenant que le développement empiète sur ce mode de vie.

Le sénateur Peterson : Avez-vous pu obtenir un partage quelconque des revenus tirés des ressources, dont les fonds pourraient être versés dans un fonds de développement des petites entreprises dont vous parliez?

M. Blacksmith : Comme je l'ai déjà évoqué, dans le secteur minier et le secteur forestier il y a eu des négociations entre certaines collectivités cries et certaines sociétés minières concernant la préférence à accorder dans l'attribution des éventuels contrats découlant des projets. En ce qui concerne l'argent pour les petites entreprises, je ne crois pas que cela ait été négocié. Par exemple, une mine est en exploitation sur le territoire de Témiscaming depuis environ dix ans. Une entente a été conclue dès le départ selon laquelle les habitants de la collectivité auraient la préférence pour tous les emplois disponibles dans le cadre de ce projet. L'entente prévoit le nombre de Cris qui seront embauchés. Si un certain nombre de Cris ne sont pas embauchés, un mécanisme s'enclenchera, mais je ne connais pas les détails parce que je n'ai pas lu l'entente. Des dispositions semblables s'appliquent dans le cas de la collectivité de Wemindji dont j'ai déjà parlé. Il est question d'une entreprise partenaire qui participerait à la construction de la mine et de ses infrastructures. Il s'agit moins d'un échange d'argent que d'occasions d'emploi.

Le sénateur Peterson : Qu'en est-il d'Hydro-Québec?

M. Blacksmith : C'est une autre histoire. Je demanderais à M. Coon Come de répondre parce que je suis un homme d'affaires, pas un politicien.

M. Coon Come : Pour le compte rendu, je ne crois pas que les Cris aient jamais été contre le développement et je crois qu'aucune Première nation n'est contre le développement, qu'il s'agisse de développement hydroélectrique, de foresterie, d'exploitation minière, de sables bitumineux ou de pipelines. Les Autochtones veulent avoir leur part de la richesse de ce pays. Je parle de partage de revenus et d'avoir son mot à dire dans la façon dont se fait le développement afin que tous aient des chances égales d'exploiter ces possibilités et que la préférence leur soit accordée lorsque les contrats sont exécutés sur leur propre territoire. Nous voulons avoir notre mot à dire sur la façon dont se fait le développement et nous voulons nous assurer que ces contrats nous seront attribués.

Hydro-Québec est une société d'État provinciale et le promoteur est le gouvernement provincial qui veut réaliser certains projets dans cette région. Nous devons trouver une façon de nous assurer de vraiment avoir un mot à dire dans la façon dont se fait le développement et d'avoir les contrats préférentiels pour négociation. M. Blacksmith y a fait allusion lorsqu'il a parlé de la dernière conférence dans le cadre de laquelle Hydro-Québec fait une présentation.

Nous tentons de créer des relations et d'avoir l'esprit ouvert à la coexistence au sein de la population. Nous ne sommes pas différents des autres groupes autochtones. Environ 60 p. 100 de nos jeunes ont moins de 25 ans et nous aimerions créer des emplois pour eux. Si nous pouvions nous asseoir avec les promoteurs dans notre région, nous aimerions en arriver à une entente qui soit bonne pour notre peuple, pour le gouvernement et pour le promoteur.

Le sénateur Peterson : Aujourd'hui, vous ne recevez aucune part des revenus provenant de la production d'hydroélectricité, est-ce exact?

M. Coon Come : Lorsque la convention a été signée, nous voulions avoir un partage de revenus. Ne me demandez pas d'expliquer les calculs mathématiques mais ils étaient fondés sur les prélèvements miniers et forestiers ainsi que sur la vente d'électricité. C'est ainsi qu'on en est arrivé à certains chiffres concernant les allocations aux Cris aux fins du partage des revenus. Il avait été convenu que s'il y avait de nouveaux projets, qu'il s'agisse d'exploitation forestière ou minière ou de développement hydroélectrique, une nouvelle entente pourrait être négociée pour faire des ajouts aux ententes existantes. Celles-ci seraient fondées sur des décisions judiciaires qui favorisent les Autochtones et des façons de penser créatives et innovatrices, et elles ne seraient pas soumises, faut-il espérer, à des politiques d'une autre époque. Nous voulons participer à l'activité économique, du moins à l'intérieur de notre territoire cri de la Baie James.

Le sénateur Hubley : Monsieur Blacksmith, j'aimerais revenir un moment sur les petites entreprises. Vous avez parfaitement raison de dire que les affaires sont les affaires. Aucune entreprise ne peut réussir si elle n'est pas à son mieux. Quelle est l'importance du centre de formation professionnelle dans la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée? Pourriez-vous décrire ce centre de formation professionnelle? Avez-vous déjà eu l'occasion d'avoir la participation des industries à la formation au centre?

M. Blacksmith : Lorsqu'il a été question de mettre ce centre sur pied il y a longtemps, l'institution ne devait pas se concentrer sur les cours établis. Elle devait plutôt dispenser de la formation directe afin de permettre à la nation crie de satisfaire les besoins de certaines des entreprises établies.

Je crois que la Commission scolaire crie doit être félicitée. Ses responsables ont réalisé que pour que les gens obtiennent de bons emplois, ils doivent acquérir les compétences voulues. Les programmes de formation sont offerts en fonction de cela.

Par exemple, notre transporteur aérien harcèle la Commission scolaire crie depuis probablement dix ans pour qu'elle offre un programme de formation des pilotes. C'est une entreprise très dispendieuse mais nous avons presque réussi. Ne me citez pas là-dessus mais il est fort probable qu'en mai prochain nous aurons un premier cours à l'intention des pilotes cris. C'est là un développement très positif.

L'année dernière, CREECO avait environ 1 500 emplois à offrir à nos gens. Plus de la moitié de ces postes n'ont pu être occupés par nos gens parce qu'ils n'avaient pas les compétences voulues pour faire le travail. C'est un recul. Cela donne aussi une mauvaise impression au niveau local parce que nous sommes une entreprise crie qui ne peut embaucher des Cris. Ce n'est pas que nous ne voulons pas le faire. C'est parce que les règlements mis en place pour nous dans les chantiers de construction ne nous permettent pas d'autoriser nos employés à conduire tel ou tel véhicule en raison de tout le processus de délivrance de permis, peu importe le cas, pour travailler sur ce chantier.

Nous nous efforçons d'atteindre ces objectifs. Le promoteur, la SEBJ, aide nos gens en travaillant avec nous au chantier de construction afin de pouvoir s'ouvrir à eux.

Nous examinons aussi la question de la langue. La formation linguistique est très importante, surtout dans la situation délicate d'une zone de construction. La communication est de la plus haute importance pour éviter les accidents qui peuvent se produire sur n'importe quel chantier de construction.

La plupart de nos aînés ne parlent que l'anglais et le cri. La plupart des jeunes sont trilingues; ils parlent le français, l'anglais et le cri. La langue est un domaine où nous devons aussi nous développer.

Le vice-président : Monsieur Blacksmith, j'ai noté que vous avez dit être un homme d'affaires et pourtant, à quelques reprises, vous avez laissé les dossiers chauds de politique à M. Coon Come. Quand avez-vous découvert que les affaires et la politique doivent être distinctes? Quelle est votre expérience à cet égard?

M. Blacksmith : J'étais un très jeune homme. Je travaillais dans la collectivité de Waswanapi. J'étais le gérant de bande, si vous voulez. À l'époque, nous tentions de développer l'économie. Il y a 30 ou 35 ans de cela. Nous nous demandions comment nous allions développer l'économie.

La situation était toujours la même : le gouvernement n'intervenait pas mais les politiques qu'il mettait en place créaient un obstacle pour les gens d'affaires locaux qui tentaient de s'établir. Ce n'était pas intentionnel. C'est que le gouvernement local n'avait pas les fonds ni les terres nécessaires pour fournir l'infrastructure requise par les hommes d'affaires locaux.

Lorsqu'une entreprise démarrait, l'homme d'affaires se faisait dire que l'infrastructure coûterait 50 000 $. Et c'est sans compter l'immeuble. C'est uniquement pour défricher le terrain afin de pouvoir y offrir les services d'eau et d'égout aux entreprises et ainsi de suite. Dans presque tous les cas, les hommes d'affaires laissaient tout simplement tomber. Quand on voit une telle situation, on se dit que les affaires et la politique doivent être séparées.

Nous avons toujours dit que le gouvernement doit mettre en place l'infrastructure pour que les hommes d'affaires s'impliquent dans la collectivité, mais c'est la portée de leur engagement. Nous avons toujours parlé d'intervention, si vous voulez, pour ce qui concerne le gouvernement local et les possibilités de démarrage d'entreprise dans la collectivité. Encore une fois, ce n'est pas la faute du gouvernement. C'est la faute des diverses garanties, si vous voulez, qui sont exigées de la personne qui désire se lancer en affaires.

Si vous allez à la banque, on ne vous regardera pas tant que vous n'aurez pas une résolution du conseil de bande et que le gouvernement local aura cosigné votre prêt. Si vous tentez de faire comprendre à la banque que le gouvernement et le commerce y sont, c'est le même résultat; la banque tient compte de l'ensemble de la collectivité. Il est très difficile pour l'homme d'affaire d'échapper à cela.

Par ailleurs, quand on dit que les affaires sont distinctes du gouvernement, à l'échelle locale, les collectivités sont petites. Ce ne sont pas d'importantes collectivités. Une population de 4 500 demeure une petite collectivité. Presque tout le monde se connaît. Les entreprises qui démarrent dans ce type de collectivité sont toujours en lien avec le gouvernement.

Nous faisons de gros efforts à notre niveau pour couper ces liens ou du moins pour dire que les affaires sont une chose et le gouvernement en est une autre. Or, compte tenu des situations imposées à ces entreprises locales, il est très difficile d'accomplir cela. Nous tentons quand même de tracer cette ligne.

Le vice-président : Et qu'en est-il des Autochtones qui deviennent des gens d'affaires? C'est tout un changement de mentalité. Historiquement, nos ancêtres étaient des chasseurs et des piégeurs qui travaillaient pour d'autres personnes. À un certain moment, il y a eu un changement et il y a eu des gens d'affaires. Je crois que c'est là un phénomène significatif parce que c'est tout un revirement que de vivre de la nature pour ensuite devenir tout à coup des gens qui évoluent dans des salles de conseil. Passer de l'état de chasseur et piégeur à celui d'homme d'affaires est tout un changement. Avez-vous des commentaires là-dessus?

M. Blacksmith : C'est tout un changement. Si je me rappelle bien, un discours a été prononcé par un certain Charlie Brien — qui nous a quittés, Dieu le bénisse — qui venait de Mistissini. Lorsqu'il s'est lancé en affaires, il était littéralement dans une petite cabane où il vendait du café, des hot-dogs, des hamburgers et des boissons gazeuses. Il a grandi à partir de là. Bien des années après, nous avions une conférence sur le développement économique à Val-d'Or et il a été invité à prononcer un discours. Dans son discours il a dit « J'ai été homme d'affaires toute ma vie ». Nous pensions qu'il avait 25 ou 30 ans lorsqu'il a ouvert son restaurant. Il a dit « Non, je suis homme d'affaires depuis l'époque où j'allais en forêt avec mon grand-père et mon père. Nous avions la chasse, la pêche, le piégeage et les fourrures. Il nous fallait faire la tournée et négocier le prix des fourrures et ainsi de suite. » Le sens des affaires existe chez certains peuples. Je crois qu'il a toujours existé chez le peuple cri sous une forme ou sous une autre.

C'est la même chose pour M. Cooper de Waswanapi qui s'est lancé en affaires lorsque la foresterie est arrivée en territoire cri au milieu des années 60. Il est encore aujourd'hui très actif dans cette industrie.

Il y a certainement eu un changement important pour notre peuple. J'ai aussi grandi dans une cabane et j'y ai vécu jusqu'à l'âge de 17 ou 18 ans probablement. C'est à cette époque que nous avons eu des toilettes dans la maison pour la première fois. J'ai grandi dans une cabane en papier goudronné. Mon père était aussi très engagé en affaires. Il pratiquait la chasse, la pêche et le piégeage, et c'est comme ça que nous vivions. Il cherchait du travail et embauchait des gens pour participer à des travaux d'exploration qui étaient effectués à l'époque. C'est ainsi que nous avons survécu. Les Cris ont toujours eu ce sens des affaires.

Le vice-président : Je crois savoir que des représentants du Grand Conseil des Cris se sont rendus dans d'autres régions du pays pour y prodiguer des conseils et peut-être inspirer d'autres peuples autochtones. Pourriez-vous faire quelques commentaires là-dessus?

M. Blacksmith : Au nom des entreprises membres de CREECO, nous avons fourni de l'information et des conseils. Nous songeons même à de possibles coentreprises et partenariats avec d'autres nations au pays. Nous avons notamment discuté avec une Première nation en particulier à propos de services aériens. Ils veulent de l'aide et des conseils et nous travaillons actuellement avec eux. Nous discutons avec les Premières nations de coentreprises dans le domaine des pipelines, de l'hydroélectricité et de l'exploitation minière dans tous les coins du pays.

Nous avons déjà créé certains partenariats, notamment en Ontario. Vous connaissez la Victor Diamond Mine, la seule mine de diamants en Ontario. Nous avons de très bonnes relations de travail avec le peuple Attawapiskat depuis près d'un an dans ce dossier. Nous examinons de nombreuses autres possibilités d'étendre ce partenariat. Il marche très bien pour nous.

Le vice-président : Je vous remercie beaucoup pour votre temps et votre présence ici. L'information que vous avez fournie nous aidera beaucoup à rédiger notre rapport.

Nous concluons notre étude sur le développement économique des peuples autochtones. Nous espérons que notre rapport intéressera et aidera tous les peuples autochtones du pays ainsi que le gouvernement.

La séance est levée.


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