Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 15 - Témoignages du 25 avril 2007
OTTAWA, le mercredi, 25 avril 2007
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones auquel a été renvoyé le projet de loi S-216, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, se réunit ce jour à 18 h 16 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur St. Germain. Je viens de la Colombie-Britannique et je suis le président du comité. Nous poursuivons donc notre étude du projet de loi S-216, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada.
Permettez-moi tout d'abord de vous présenter les membres du comité. Nous avons le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Dyck, de la Saskatchewan, le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Gill, du Québec, et le sénateur Peterson, de la Saskatchewan.
Le projet de loi S-216 propose un processus optionnel de mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale pour les communautés des Premières nations désireuses de se prévaloir d'un mécanisme différent de celui prévu par la Loi sur les indiens. Ce projet de loi reconnaît aux Premières nations une compétence législative dans des domaines précis et réconcilie cette forme de compétence avec les pouvoirs du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux. Les limites de compétence d'une Première nation sont fixées dans sa Constitution, et sa capacité d'adopter des lois est limitée par un certain nombre de facteurs. Il est possible de tenir un référendum sur ce sujet et les éventuelles propositions, notamment en ce qui concerne la Constitution de la Première nation, doivent être soumises aux électeurs. Ce projet de loi ne s'applique qu'aux communautés autochtones reconnues qui sont propriétaires de leurs terres, et il fixe leurs relations avec les provinces où elles se situent. Ce cadre fixe également les paramètres de la gestion des terres et du financement des Premières nations.
Nous accueillons ce soir Me Jerome Slavik, avocat et négociateur, qui est associé au cabinet Ackroyd, Piasta, Roth & Day, LLP. Me Slavik a beaucoup travaillé dans des dossiers concernant les peuples autochtones.
Vous avez la parole, maître Slavik.
Jerome Slavik, avocat et négociateur, associé, Ackroyd, Piasta, Roth & Day LLP, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateurs, de m'avoir réinvité à témoigner devant vous. J'ai beaucoup apprécié mon dernier passage ici au sujet de la politique sur les revendications particulières. À ce sujet, je dois féliciter les sénateurs d'avoir produit une analyse très ciblée, succincte et précise qui énonce les problèmes que pose le processus de revendication ainsi que les mesures qui seront nécessaires pour faire débloquer ce processus qui se trouve actuellement dans une impasse inacceptable. Vous avez rendu un grand service aux peuples autochtones et, dans les lettres qu'ils nous font parvenir, tous nos clients, sans exception, nous disent qu'ils appuient votre rapport. Merci pour cet excellent travail. Il est important pour tous les canadiens que votre comité jette un peu de lumière sur ces questions difficiles, voire graves. Je vous remercie donc, en mon nom et au nom de mes clients pour le très bon travail que vous avez effectué à ce sujet.
Vous m'avez demandé de venir vous parler de la gouvernance autochtone dans le contexte du projet de loi dont vous êtes saisis. J'ai rédigé un mémoire à votre intention que vous trouverez au fond de la salle. J'y ai joint des notes d'intervention dont je me suis servi hier, lors d'une conférence sur le droit autochtone. J'y traite de la question très large de la réconciliation entre les intérêts des Premières nations et ceux de la Couronne ainsi que des nouvelles stratégies et des cadres nécessaires au traitement de cette question.
Mon point de vue n'est ni celui d'un théoricien de l'autonomie gouvernementale, ni celui d'un intellectuel. Il est possible qu'on ait beaucoup trop insisté sur le concept et la théorie de la gouvernance autochtone et trop peu sur les ressources, la législation et l'approche susceptibles de rendre les gouvernements autochtones plus efficaces, non seulement pour les communautés qu'ils représentent, mais pour tout le Canada.
Au cours des 35 dernières années, j'ai travaillé avec des gouvernements autochtones de partout au Canada, dont 25 ans en qualité d'avocat, la plupart du temps dans des dossiers de questions touchant à la gouvernance. C'est donc fort de ce bagage que je vais vous entretenir des questions qui se posent à vous.
Depuis tout le temps que je pratique, je constate que l'on aborde la question de l'autonomie gouvernementale d'un grand nombre de façons. On constate aujourd'hui un besoin pressant et urgent d'adopter une nouvelle loi à ce sujet, tout à fait comme ce que prévoit le projet de loi que vous avez devant vous. Celui-ci a un passé à la fois long et tortueux. Il a été rédigé avec très peu de ressources et je sais qu'il a fait l'objet de certaines critiques par le ministère des Affaires indiennes et par d'autres parties intéressées. Toutefois, sénateurs, je vous incite à poursuivre dans cet effort parce qu'il faut instaurer un nouveau cadre législatif pour les gouvernements des Premières nations, et cela pour les raisons que je vais vous énoncer.
Ne considérez pas que mes remarques au sujet du projet de loi S-216 sont des critiques, mais plutôt des façons, je l'espère, d'améliorer ce texte législatif afin de le rendre plus acceptable aux yeux des critiques éventuels, qu'ils appartiennent au gouvernement ou aux collectivités de Premières nations.
Depuis trois ans et demi, je suis avocat principal dans les négociations entreprises par les Premières nations de Meadow Lake, en Saskatchewan. Celles-ci ont quasiment terminé leurs négociations avec les gouvernements du Canada et de la Saskatchewan, et elles sont sur le point de signer l'entente d'autonomie gouvernementale tripartite la plus complète jamais conclue au Canada. Cette entente unique et très importante a nécessité 15 ans de négociations et je ne vous parlerai même pas de ce qu'elle a coûté. Elle a été négociée en vertu de la politique sur le droit inhérent, elle a permis d'illustrer les problèmes propres à cette politique et la nécessité de disposer d'un cadre législatif plutôt que de s'appuyer sur une politique improprement nommée.
Cette entente, qui est tout à l'honneur du Canada, de la Saskatchewan et des Premières nations, est assortie d'un grand nombre de mécanismes pratiques complexes traitant des dispositions administratives et des compétences que les provinces, le gouvernement fédéral et les Premières nations devront régler entre eux. Nous espérons qu'elle servira de modèle et de précédent pour les autres Premières nations désireuses d'élaborer des mécanismes de répartition des compétences beaucoup plus complets et plus étendus. Toutefois, une lecture attentive du texte de l'accord pourrait aussi vous renseigner sur la façon dont il conviendrait de modifier l'actuel projet de loi afin de régler un grand nombre de questions légales complexes qu'il a fallu résoudre lors de la négociation de l'entente en question.
J'espère pouvoir vous en dire davantage à ce sujet lorsque nous passerons à la période des questions, mais je veux tout de suite vous présenter brièvement le contenu de mon mémoire.
On dénombre actuellement trois cadres différents qui permettent aux Premières nations d'étendre leur gouvernance. Le premier découle de la Loi sur les indiens et le second d'une série de lois fédérales traitant de la gouvernance par les Premières nations, comme la Loi sur la gestion des terres des premières nations, la Loi sur le développement commercial et industriel des premières nations, la Loi sur la gestion du pétrole et du gaz des fonds des premières nations, autrement appelée LGPGFPN, et deux ou trois autres. La troisième option consiste à se prévaloir de la prétendue politique sur les droits inhérents.
Avant de vous parler des moyens législatifs possibles, permettez-moi de vous entretenir très franchement et très honnêtement de la question à laquelle sont confrontées les Premières nations, soit le cadre financier en fonction duquel elles doivent actuellement évoluer. L'obstacle fondamental à l'exercice de pouvoirs étendus par les Premières nations — en fait je ne devrais même pas parler de pouvoirs étendus, vous voudrez bien m'excuser... L'obstacle fondamental à la mise en œuvre efficace et responsable d'un gouvernement autochtone est justement ce cadre financier. Depuis des années, le financement des gouvernements autochtones n'a suivi ni la progression démographique, ni la progression des prix et des volumes. Ce faisant, les gouvernements de Premières nations reçoivent moins d'argent par habitant que n'importe quel autre ordre de gouvernement au Canada, bien qu'ils soient aux prises avec des problèmes légaux, socioéconomiques et financiers qui sont parmi les plus difficiles au pays.
J'ai souvent dit que l'une des tâches les plus difficiles que l'on ait à remplir est celle de chef d'une Première nation sous-financée. N'importe qui appelé à vivre une semaine de stress et de tentions caractéristique de celle d'un chef de Première nation sous-financée se sentira grisonner à vitesse grand V. Je peux vous dire que 90 p. 100 des chefs représentant nos clients souffrent de graves problèmes de santé découlant directement du stress qu'ils ressentent à essayer de s'acquitter de leurs obligations dans les limites de leurs ressources et de leur mandat.
Cette histoire est celle des dirigeants autochtones depuis plus de 20 ans. Même dans des conditions idéales, ces gens- là accomplissent un travail excessivement exigeant.
Sénateurs, avant même d'espérer confier aux Premières nations les compétences qu'elles souhaitent assumer en vertu de la loi actuelle, sans parler de la mise en œuvre de la nouvelle loi, il va falloir mettre en place un cadre de financement des gouvernements autochtones. Il faudra entreprendre une étude indépendante, honnête, afin de déterminer ce qui constitue les coûts réels de la gouvernance ou, pour reprendre le jargon des gens du ministère des Finances, la base des dépenses brutes ou BDB. Il faudra réaliser un examen des coûts réels associés à l'administration gouvernementale des Premières nations et effectuer une évaluation des prémisses et des hypothèses en fonction desquelles Ottawa finance actuellement les gouvernements autochtones.
Vous pouvez lire ce que j'en dis dans mon document, mais Ottawa part d'une prémisse très simple voulant que les gouvernements autochtones soient comparables à des municipalités. Alors, sénateurs, permettez-moi de vous poser une simple question : pensez-vous que votre projet de loi traite de compétences comparables à celle d'une municipalité de votre province ou de votre région? Personnellement, je ne connais pas une seule municipalité dont, non seulement les compétences, mais aussi les responsabilités administratives et politiques s'approchent un temps soit peu de celles d'une Première nation classique. Pourtant, le ministère des Finances et celui des Affaires indiennes se servent des municipalités comme modèle d'établissement des coûts pour l'administration des gouvernements autochtones. C'est un peu comme si l'on comparait des pommes et des éléphants. Ce n'est pas ce que font les Premières nations. Ce modèle financier n'est pas approprié pour financer les gouvernements autochtones.
S'agissant des allégations de gabegie financière, de conflits d'intérêts, de corruption financière et de manque de responsabilités, les Canadiens doivent comprendre que la plupart de ces gouvernements doivent s'occuper de populations durement touchées par la pauvreté, à partir de budgets très serrés et qu'elles doivent régler des problèmes excessivement complexes. Elle est là la réalité dont les organismes centraux ne se sont pas encore pénétrés. Je le sais, parce que je négocie en permanence avec eux.
Il est grand temps qu'on applique des facteurs d'ajustement des prix, que l'on effectue une évaluation réaliste des coûts de l'autonomie gouvernementale ainsi que des modèles comparatifs à appliquer à partir de données financières actualisées.
Assez parlé d'argent! Parlons un peu de capacité. Mon cabinet représente plus de 40 Premières nations dirigées par des conseils dont la taille moyenne est de huit membres, ce qui veut dire que nous travaillons avec quelque 320 chefs et conseillers. Moins de 5 p. 100 d'entre eux ont terminé leur secondaire et moins de 2 p. 100 ont un niveau universitaire. Nous demandons donc à des gens qui n'ont pas tous le même niveau scolaire ni les mêmes compétences professionnelles de gérer des mécanismes administratifs, juridictionnels et financiers de plus en plus complexes.
Cependant, pour autant que je sache, le ministère des Affaires indiennes n'administre pas de programmes destinés à financer le renforcement des capacités des gouvernements de Premières nations. Il n'existe pas de fonds pour l'éducation qui soit consacré à la formation au leadership ou à l'acquisition d'autres compétences. Il n'existe pas de programme universitaire axé sur le développement des connaissances et des compétences en leadership dont auraient besoin les dirigeants de Premières nations qui travaillent au sein de leur communauté respective. Il existe toutes sortes de programmes universitaires portant sur la théorie de l'autonomie gouvernementale ainsi qu'un grand nombre d'ouvrages sur ce que devrait être l'autonomie gouvernementale autochtone, mais il n'existe pas de ressource destinée à conférer les compétences et les connaissances dont les gens ont besoin pour faire en sorte que cette autonomie fonctionne en l'état. Il existe un formidable fossé entre les aspirations et les capacités des Premières nations, et rien entre les deux.
Permettez-moi de vous dire, sénateurs, que c'est là un problème auquel vous allez vous heurter avec votre projet de loi. Le Canada peut bien adopter les meilleures lois au monde, mais s'il s'agit d'une disposition législative d'application facultative, comme ce qui est proposé ici avec raison, et qu'il n'existe aucune mesure d'accompagnement misant sur la capacité, les ressources ou la possibilité d'adhérer aux mécanismes proposés, cette loi ne servira à rien, pas plus que la politique sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Moins de dix Premières nations dans toutes les Prairies ont opté pour une négociation en vertu de cette politique sur les droits inhérents. Le régime de la négociation en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations a, quant à lui, été choisi par moins de 20 Premières nations dont deux seulement l'ont mis en pratique. La Loi sur le développement commercial et industriel des premières nations a été invoquée par une seule Première nation parce que celle-ci a un demi-milliard de dollars à la clé et qu'elle est donc prête à dépenser deux ou trois millions pour obtenir ce montant au bout du compte.
Il aura fallu six ans pour élaborer la LPGFPN qu'aucune Première nation n'a envisagé un seul instant de mettre en oeuvre. Même les quatre Première nations qui ont dirigé le processus de consultation et contribué à l'élaboration de cette loi n'envisagent pas de l'appliquer. Pourquoi? À cause d'un défaut de capacité.
Tout le cadre financier qu'administre actuellement le ministère pour mieux outiller les gouvernements des Premières nations en vertu de la Loi sur les indiens — et l'on ne parle même pas de leur permettre d'étendre leurs compétences — pose problème.
Mon cabinet représente une Premières nation aisée et progressiste. Elle a, bien sûr, jeté un coup d'œil sur la Loi sur la gestion des terres des premières nations, mais elle vous dira : « Nous voulons la maîtrise de notre territoire. Nous ne voulons pas que l'État vienne nous dire comment l'administrer. Nous voulons pouvoir émettre des permis. » Et bien, la Première nation que nous représentons a jeté un coup d'œil sur cette loi et s'est déclarée dans l'impossibilité de l'appliquer.
L'État se délesterait de ses responsabilités, notamment juridiques, et des risques qu'il devrait assumer sans nous fournir d'assurance, ni nous dire ce qu'il en coûterait pour en avoir une et sans se montrer disposé à conclure des accords administratifs efficaces destinés à favoriser la mise en œuvre progressive de la loi par la Première nation.
Notre client a beaucoup d'argent et beaucoup de ressources. Il est au sommet de la chaîne alimentaire. Il ne veut pas s'engager dans cette voie. Si une Première nation disposant de tels moyens résiste à cette forme de délestage administratif par l'État, que peut-on espérer dans le cas de Premières nations qui n'ont rien? La loi ne prévoit aucune disposition financière susceptible d'inciter une Première nation à accepter que le gouvernement fédéral se déleste sur elle une partie de ses compétences en vertu des mécanismes financiers actuels et de la politique de mise en œuvre. Le ministère persiste à dire, d'après les mythes créés par le ministère des Finances, que les gouvernements autochtones ont largement les moyens financiers nécessaires pour, non seulement s'acquitter de leurs obligations et de leurs responsabilités actuelles, mais aussi pour assumer de nouvelles compétences et responsabilités administratives, et il se demande pourquoi elles ne l'ont pas encore fait.
Il faut tuer ces mythes, car il est grandement nécessaire d'adopter d'autres concepts d'autonomie gouvernementale. Nous avons grand besoin de trouver des façons beaucoup plus efficaces pour les Premières nations de se prévaloir des compétences et des mécanismes administratifs qu'on leur propose, mais nous devons, pour cela, travailler les capacités et les cadres qui permettront d'y parvenir.
La politique sur les droits inhérents n'est pas fondée en droit, parce qu'elle n'est pas affaire de droits du tout. Elle est en fait un mécanisme administratif en fonction duquel le ministère des Affaires indiennes déleste les responsabilités fédérales sur les Premières nations. Il s'agit d'un mécanisme de transfert législatif. La politique sur les droits inhérents ne crée de droits que lorsqu'elle est rattachée à une revendication territoriale globale, comme ce fut le cas avec les Tlicho ou les Nisga'a ou encore avec les Premières nations des Territoires-du-Nord-Ouest. On se retrouve dès lors en présence d'une entente d'autonomie gouvernementale qui accompagne une revendication foncière et des ententes de financement; cette entente est transformée en loi fédérale et certains éléments en sont constitutionnalisés.
Il ne s'agit pas d'une politique fondée sur des droits pour les centaines de Premières nations des Prairies, de l'Ontario ou des régions visées par un traité. C'est une politique de délestage. C'est une politique qui consiste à transférer des compétences et des responsabilités administratives. Aucun des droits prévus à l'article 35 n'est créé. En fait, ces accords reviennent à nier la notion d'établissement de droits.
Par ailleurs, à l'exception du Conseil tribal de Meadow Lake Tribal, rares sont les Premières nations à se prévaloir de la politique sur les droits inhérents. Celle de Meadow Lake a opté pour cette formule qu'elle applique avec diligence depuis 15 ans et moyennant des coûts élevés. Nos clients ne la considèrent même pas comme une politique d'autonomie gouvernementale. Ils la qualifient plutôt d'entente de gouvernance.
La politique sur les droits inhérents, qui est en place depuis 15 ans, était, au départ, une formalité, mais elle est dénuée de sens et de pertinence pour la plupart des Premières nations. Il faut la réexaminer de fond en comble — de l'étape des hypothèses de travail à celle de la mise en œuvre. Elle n'est tout simplement pas un mécanisme de gouvernance autochtone et surtout pas de gouvernance par des Premières nations. C'est pour cela qu'une nouvelle loi s'impose. La politique sur les droits inhérents ne peut se substituer à une nouvelle loi et elle ne peut, non plus, pas l'excuser.
Je m'étendrai davantage sur ces questions au fur et à mesure, mais je veux d'abord vous dire quelques mots au sujet du projet de loi S-216. La plupart des aspects que vous voulez appliquer aux Premières nations en vertu du projet de loi S-216 sont des domaines de compétences provinciales. J'ai déjeuné avec un professeur de droit constitutionnel autochtone. Nous nous sommes demandé s'il était constitutionnel pour le gouvernement fédéral de confier aux Premières nations des compétences qui relèvent normalement de la compétence des provinces en vertu de la Constitution canadienne. Nous avons convenu de l'absence de jurisprudence en la matière. Nous pensions que cela pourrait se faire mais que, si les choses devaient mal tourner, il faudrait alors s'attendre à une contestation constitutionnelle du projet de loi.
Nous avons estimé que la façon de s'en sortir consistait à appliquer la même démarche que dans le cas des Premières nations de Meadow Lake. Dans les domaines de compétences clairement provinciales, comme l'éducation, les services à l'enfance et à la famille, la justice et la police, et ainsi de suite, nous avons négocié des ententes avec le gouvernement de la Saskatchewan. Celui-ci a non seulement accepté, reconnu et avalisé la loi fédérale permettant aux Premières nations d'exercer leurs compétences dans ces domaines, mais il a aussi réglé l'ensemble des modalités administratives et de coopération qui sont particulièrement nécessaires dans ces domaines afin d'éviter des manquements dans la prestation des services, dans l'exercice des compétences et dans l'administration des programmes.
Il convient de féliciter tout particulièrement le gouvernement de la Saskatchewan pour le travail qu'il a réalisé sur ce plan, celui-ci étant très nettement supérieur à ce que les autres gouvernements provinciaux ont à peine imaginé. La Saskatchewan a donc déployé un effort énorme dont il faut prendre acte.
Sénateurs, si vous désirez entendre quelqu'un qui est en mesure d'apporter beaucoup à la conversation, vous pourriez inviter un représentant du gouvernement de la Saskatchewan qui pourrait vous parler du rôle des provinces dans le cadre de la mise en œuvre des lois fédérales concernant les Premières nations. Le gouvernement de la Première nation, plus que n'importe quel autre avec lequel nous avons eu l'occasion de travailler, connaît cette question.
Je m'arrêterai ici.
Le président : Maître Slavik, votre exposé était très instructif. Il ne fait aucun doute que le projet de loi S-216 n'est pas la réponse absolue à toutes ces questions. Ceux d'entre nous qui travaillent depuis de nombreuses années sur ce projet de loi n'y voient que le premier pas de ce qui s'annonce comme une longue odyssée.
Vous avez soulevé certaines questions intéressantes. Nous avons eu des discussions très sérieuses sur la notion de compétences provinciales et sur les répercussions éventuelles que ce projet de loi pourrait avoir sur les provinces et sur les Premières nations. Encore une fois, merci pour votre exposé.
Le sénateur Peterson : Maître Slavik, il est vrai que c'est un dossier monumental auquel nous nous attaquons et je me demande par où nous devons commencer. La capacité en matière de gouvernance et éminemment importante. Dans le modèle de Meadow Lake, vous avez certainement dû régler ce genre de problème. Vous avez réussi, mais il vous a fallu longtemps. Pourrait-on mesurer les progrès réalisés dans l'avenir à l'aune de ce modèle?
M. Slavik : L'entente conclue par les Premières nations de Meadow Lake est très valable parce qu'elle a permis de régler un ensemble de problèmes de compétences entre le gouvernement fédéral, les provinces et les Premières nations — pas uniquement pour permettre aux Premières nations d'appliquer ces compétences, mais aussi pour leur permettre de faire la transition. C'était un élément essentiel. À moins que vous ne disposiez d'un mécanisme de transition, aucune loi ne peut être mise en œuvre. C'est la leçon que nous avons retenue de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. C'est également celle que nous avons retenue de la Loi sur le développement commercial et industriel des premières nations. J'ai parlé de cette loi en Colombie-Britannique, il y a un mois environ devant les représentants d'une trentaine de Premières nations à qui j'ai demandé : « Combien d'entre vous ont entrepris un projet valant plus d'un million de dollars? Combien d'entre vous ont deux millions de dollars dans un compte en banque pour élaborer un cadre législatif en vertu de cette loi afin de parvenir à des résultats? Combien d'entre vous peuvent compter sur un gouvernement provincial disposé à collaborer entièrement avec vous, comme en Alberta, et combien ont des partenaires dans l'industrie qui sont prêts à les soutenir? » J'ai demandé aux gens présents dans la salle de lever la main si la réponse était oui. Je n'en ai vu qu'une. Pour transférer cette loi aux Premières nations, celles-ci devront disposer des capacités, de la compétence et de l'expérience nécessaires pour la mettre en œuvre. Or, c'est rarement le cas.
Pour en revenir à Meadow Lake — et c'est là où les choses deviennent intéressantes — les Premières nations ont conclu des accords de compétences que les communautés devront encore ratifier et qui devront être approuvés par ce ministre ou ce gouvernement ou par un parlement. Au stade où nous en sommes, il s'agit simplement d'une entente négociée qui doit encore être ratifiée et qui doit faire l'objet d'une loi d'application. Il aura fallu 15 ans de travail à ces Premières nations pour régler certaines de ces questions. Une fois que cette entente prendra effet, les Premières nations pourront y adhérer par choix. Nous devons voir dans quelle mesure les Premières nations de Meadow Lake estiment avoir la capacité, la confiance et les ressources nécessaires pour adhérer à cette entente qui leur conférera de nouveaux domaines de compétences ainsi que des responsabilités administratives non négligeables. On ne connaît pas la réponse et c'est pour ça que je veux revenir sur la question du renforcement de la capacité et de l'actuel cadre financier.
Le sénateur Peterson : Est-ce que la FSIN s'est prononcée?
M. Slavik : Le Conseil tribal de Meadow Lake, le CTML, s'est réuni de façon officieuse avec la FSIN en cours de route, et d'autres réunions du genre sont prévues. Nous sommes en train de faire progresser cette entente. J'ai reçu l'autorisation des parties de m'exprimer sur le sujet au point où j'ai pu le faire ce soir. Je ne parle pas au nom des Premières nations de Meadow Lake, mais j'ai tout de même fait circuler mon document auprès des trois parties à la négociation. L'entente est maintenant soumise aux parties tierces concernées, notamment à la FSIN. Le CTML ne voulait pas que nous parlions d'une entente qui n'avait pas encore été négociée. Toutefois, nous sommes maintenant convaincus qu'elle l'est à 90 ou 95 p. 100. Une fois que le document se retrouve dans les mains des avocats, c'est que l'affaire est quasiment conclue.
Le sénateur Dyck : Maître Slavik, votre exposé a été très instructif et vous avez fait quelques remarques bien senties. Ma question concerne la transition. D'après ce que le comité a appris, il semble que la reconnaissance et la mise en place de l'autonomie gouvernementale des Premières nations a été signée en 2005 par l'Assemblée des Premières nations et par le gouvernement du Canada. Je crois savoir que le document porte également sur la transition. Savez- vous si la dimension transition que vous avez décrite pour la Saskatchewan est semblable aux autres éléments?
M. Slavik : Je ne peux me prononcer. Pour vous expliquer ce que j'entends par transition adaptée, je vais vous donner le cas de la Loi sur la gestion des terres des premières nations.
Celle-ci suppose que, quand elles assument la maîtrise de leurs territoires, les Premières nations assument aussi l'administration des intérêts et des baux de tierces parties, de même que les responsabilités environnementales de la Couronne. Les responsabilités environnementales de l'État découlent de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ainsi que d'une série de lois sur l'environnement que les Premières nations doivent administrer. Autrement dit, elles doivent effectuer des évaluations d'impact environnemental et assumer une myriade de responsabilités en environnement. Dans bien des cas, le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial auraient de la difficulté à s'occuper de ces aspects, pourtant, ils se délestent de ces responsabilités législatives et administratives sur des collectivités de 500 personnes disposant d'un budget insuffisant pour offrir les services de garde d'enfants et de logement.
Le gouvernement dit : « Vous devriez parvenir à faire cela dans les limites du budget actuel ». Tiens donc? Les Premières nations ne savent encore pas si elles peuvent obtenir les assurances nécessaires pour couvrir certains aspects de leurs responsabilités environnementales. L'État s'assure lui-même, mais il n'en va pas de même pour les Premières nations. Aucun de ces mécanismes n'a fonctionné. La loi ne prévoit que du délestage. Cependant, pour ce qui est de l' « opérationnalisation » de ces différents aspects, que ce soit pour la rédaction des lois environnementales, la mise en œuvre de ces lois ou l'assurance du risque, aucun de ces aspects n'a été réglé, ce qui entrave la mise en place d'un système équilibré de gouvernance par les Premières nations.
Le président : Je crois que 14 Premières nations ont décidé de se prévaloir des dispositions de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Je n'ai pas entendu de réactions négatives de leur part. Je pense à ce sujet aux Premières nations de ma province, la Colombie-Britannique, pouvez-vous nous expliquer cela? Je ne demande qu'à apprendre à ce sujet.
M. Slavik : Elles ont décidé de se prévaloir de ces dispositions et sont prêtes à accepter les risques qui s'y rattachent. J'estime, personnellement, que le risque est grand parce qu'aucune des Premières nations n'a conclu ce qu'elles appellent un accord opérationnel environnemental d'acquisition des ressources supposant qu'elles assument les risques et les coûts éventuels associés aux responsabilités environnementales de ce genre d'opération. Je crois savoir que, même celles qui ont décidé de se prévaloir de ces régimes, continuent de s'en remettre au gouvernement fédéral, bien que par le biais d'autres mécanismes, pour l'exécution de leurs responsabilités en matière d'environnement.
Que signifie l'adhésion à un régime dans ce cas? Les Premières nations adhèrent donc à ces régimes à divers degrés. Certaines Premières nations les étudient. D'autres peuvent les avoir ratifiés, mais on s'aperçoit très souvent qu`elles ne s'intéressent qu'à un projet ou à un ensemble limité de projets.
La plupart des Premières nations qui évaluent soigneusement la situation, surtout en ce qui concerne les risques environnementaux, font machine arrière.
Le président : Mais, sans prise de risque, il ne peut y avoir de récompense à la clé.
M. Slavik : Sans prise de risque déraisonnable. Sénateur, je suis tout à fait au courant des risques que cela comporte et j'en prends même un en comparant devant vous.
Le sénateur Hubley : Vous avez mentionné plusieurs accords dans votre exposé auxquels les communautés autochtones n'ont pas adhéré ou — je ne suis pas certaine des mots que vous avez employés — qu'elles ont rejetés pour une raison ou une autre. Je vais revenir sur la question posée, celle de la transition. Est-ce quelque chose que l'on constate en cours de route? Autrement dit, nous avons mis en place ce que nous pensons avoir été négocié. À l'heure d'aujourd'hui, nous négocions, puis nous nous rendons compte qu'il y a un problème. Est-ce cela que vous appelez la transition?
Savez-vous vraiment d'avance quels seront les problèmes, à part ceux que vous nous avez mentionnés : l'enseignement, le renforcement des capacités et le cadre financier? S'agit-il là des seuls problèmes que vous envisagez et qui gêneraient la transition?
M. Slavik : Pour ce qui est de la transition, à la façon dont j'en parle dans mon mémoire, il faut d'abord considérer le cadre financier actuel et, ensuite, le cadre financier nécessaire à la prise en compte d'autres responsabilités administratives. Tout cela est en rapport avec la capacité. Troisièmement, il faut permettre aux Premières nations d'adhérer ou pas. Quand vous dites que ces Premières nations ont rejeté la gouvernance, ce n'est pas tout à fait vrai. La plupart d'entre elles essayent de se débrouiller avec ce qu'elles ont. Elles n'envisagent tout simplement pas d'assumer d'autres responsabilités que leur transférerait l'État, que ce soit en matière d'administration des terres, d'autres actifs ou d'autres questions. Nos clients nous demandent régulièrement : « Voulez-vous négocier un accord de gouvernance de Première nation? » Ils sont tellement occupés à régler des problèmes de logement et une myriade d'autres problèmes pressants auxquels nous, nous ne sommes pas confrontés, qu'il ne leur est pas possible d'assumer un rôle élargi.
Je vais vous donner un bon exemple. Pour la moitié des Premières nations du Canada, les élections sont encore régies par le règlement découlant de la Loi sur les indiens, même les Premières nations très bien organisées. Pourquoi? Parce que la rédaction de leur propre règlement destiné à régir les élections coutumières exige beaucoup de temps, d'efforts et d'argent, notamment sur le plan juridique, outre que la tâche est gigantesque et qu'elle est politiquement complexe. Nous avons estimé qu'un règlement destiné à encadrer les élections coutumières dans une Première nation coûte entre 25 000 et 50 000 $ et exige 12 à 18 mois de travail. Le ministère des Affaires indiennes fait un versement unique de 5 000 $ aux Premières nations pour ce genre d'entreprise. On se demande ensuite pourquoi la moitié seulement d'entre elles se prévalent des règlements découlant de la Loi sur les Indiens. Le règlement dont je parle explique l'absence de progrès sur le plan politique, l'absence de prise de responsabilités et les problèmes d'intégrité constatés dans les élections indiennes. Le règlement découlant de la Loi sur les Indiens donne lieu — il faut que je sois prudent dans la façon dont je vais dire cela, et je dois veiller à mettre ma casquette d'avocat.
Le président : Continuez.
M, Slavik : Le règlement découlant de la Loi sur les Indiens est incroyablement problématique, mais la moitié des Premières nations ont décidé de demeurer sous ce régime parce qu'elles n'ont pas les ressources suffisantes pour s'en dégager. Quand nous commençons à travailler avec une Première nation, nous discutons tout de suite de la notion de gouvernement démocratique et responsable. Dans la mesure où une Première nation demeure sous le régime de la Loi sur les Indiens et d'un règlement d'application de deux ans, elle ne peut pas progresser.
Permettez-moi de vous donner un rapide exemple. Prenons une revendication dont la négociation s'étale sur huit ans. Pendant tout ce temps-là, nous travaillons avec différents conseils d'une même nation, jusqu'à quatre. Chaque fois qu'un nouveau conseil est nommé, nous perdons six mois à un an de négociation, le temps de l'amener au régime de croisière. Nous rajustons notre mandat pendant que le nouveau conseil critique le précédent.
Ce cycle d'élection est conçu pour maintenir tous ces gens-là en situation de sous-développement. Il n'est pas de plus grande entrave au développement d'une Première nation que le règlement régissant les élections en vertu de la Loi sur les Indiens. C'est la plus grosse entrave. Si vous voulez obtenir un effet immédiat, insistez donc pour que ce règlement soit modifié et que le gouvernement débloque davantage de ressources pour les Premières nations afin qu'elles puissent adopter des règlements qui leur permettront de tenir des élections coutumières.
À la faveur de l'élaboration et de la mise en œuvre de l'entente de Meadow Lake, les Premières nations sont en train de passer de l'ancien règlement électoral découlant de la Loi sur les Indiens à leur propre régime électoral coutumier. Celui-ci prévoit des mandats plus longs, une meilleure participation au processus électoral, des mécanismes d'appel plus expéditifs et moins coûteux, des motifs de révocation et de suspension, des mécanismes de reddition de compte et de règlement des conflits d'intérêts, autant de dispositions que l'on ne retrouve pas dans le règlement régissant les élections en vertu de la Loi sur les Indiens. Tout ce qui détermine la responsabilisation et la responsabilité en matière de gouvernance par les Premières nations ne se retrouve pas dans le cadre réglementaire qui régit les élections.
Je suis au courant de toutes les critiques formulées au sujet de la responsabilisation des gouvernements de Premières nations ainsi que de leur intégrité. Eh bien, les dérapages s'expliquent par le cadre réglementaire et financier qu'elles doivent respecter. Tous ceux qui évoluent dans ce milieu vous diront la même chose.
[Français]
Le sénateur Gill : Premièrement, j'aimerais vous féliciter pour votre exposé. Je pense que les gens qui ont une expérience de longue date avec les Autochtones ont des convictions qui ressemblent énormément aux vôtres. Les gens doivent comprendre, étudier et réfléchir à la situation pour arriver aux conclusions auxquelles vous êtes arrivé. Je vous félicite pour le temps que vous y avez consacré et je pense bien que plusieurs se reconnaîtront dans vos propos, concernant la gestion, entre autres, des conseils de bande.
Dans les années 1970, j'ai été chef d'une communauté au nord du Québec. À ce moment-là, deux possibilités s'offraient à nous pour prendre en charge : essayer de convaincre les Affaires indiennes d'accepter nos règles ou accepter les programmes tels qu'ils étaient gérés par les Affaires indiennes. Cette dernière option était privilégiée car nous voulions progresser.
Je veux corroborer ce que vous avez dit tantôt : Le problème, c'est que le premier programme qui a été décentralisé, si vous voulez, qui a été pris en charge fut l'assistance sociale. Les Affaires indiennes étaient incapables de gérer ce dossier. Ils étaient embarrassés par ce programme, c'était épouvantable. Donc, le premier programme qui a été transféré au conseil de bande a été l'assistance sociale.
Ce qui m'amène à dire que les Indiens, en général, prennent les responsabilités des Premières nations, mais sans le cadre fiscal pour le faire correctement. S'ils attendaient d'avoir le cadre fiscal adéquat, les communautés ne gèreraient pas encore leurs propres affaires. Il faut le dire.
J'aimerais savoir pourquoi, d'après vous, les chefs des Premières nations ont si peu de crédibilité? Pourquoi est-ce qu'on n'apprécie pas à leur juste valeur les capacités, les talents de gestion et les difficultés auxquels les représentants autochtones doivent faire face? Pourquoi est-ce comme cela? J'imagine que c'est à cause de l'histoire, mais que doit-on faire pour corriger la situation?
[Traduction]
M. Slavik : Sénateur, je n'ai pas de réponse rapide ni facile à cette question. La réalité des gouvernements et des dirigeants de Premières nations au Canada fait l'objet d'un grand nombre de mythes et de malentendus qui sont perpétués dans certains médias et par certains politiciens pour des gains à brève échéance.
Tout ce discours — c'est-à-dire celui de la confrontation, du cynisme et de la suspicion — ne fait qu'endommager les relations entre les peuples autochtones et les Canadiens. Nous devons nous mobiliser davantage, faire preuve de plus de compassion et tenir des discussions fondées sur des faits au sujet de la gouvernance des Premières nations. Il faut écarter les idéologues des deux côtés.
Une partie des Autochtones sont souverainistes et estiment qu'il leur faudrait obtenir une sorte de souveraineté nationale assortie de tout ce que cela peut représenter. D'un autre côté, il y a les non-Autochtones qui croient que les gouvernements de Premières nations ne sont pas démocratiques, qu'ils sont irresponsables, corrompus et non représentatifs de leurs électeurs. Or, aucun de ces deux pôles n'est représentatif du milieu dans lequel ils se situent. Nous devons tenir un dialogue beaucoup plus éclairé sur les réalités financières, politiques et juridictionnelles des Premières nations, et le travail que vous effectuez va justement nous aider à éclairer tout le débat.
Je prends régulièrement la parole devant des groupes de gens qui veulent connaître les communautés autochtones et qui, pour la plupart, n'ont jamais eu à traiter avec des chefs autochtones. Quand ces gens-là rencontrent des chefs et des peuples autochtones avec qui je travaille, ils en ressortent presque toujours favorablement impressionnés. Leur opinion change et ils appréhendent la situation de façon différente.
Nous devons tenir ce genre de dialogue et nous devons le faire ici, à Ottawa, parce que c'est à Ottawa où persistent un certain nombre de mythes et de malentendus, au sein des organismes centraux, au sujet de ce qu'est un gouvernement de Première nation, de ce qu'il est destiné à réaliser et de ce qu'il faut pour que ce gouvernement réalise non seulement ses objectifs, mais aussi ceux que les Canadiens espèrent pour l'ensemble des Premières nations.
Voilà quelles étaient mes réflexions sur cette question. Quitte à me répéter, je pense qu'il faut tenir ce genre de dialogue. Nous devons arrêter de tourner en rond.
[Français]
Le sénateur Gill : Et l'on devient de plus en plus subtil, en plus : Avant, on décentralisait les programmes par service, par compartiments — éducation, habitation, services sociaux, et cetera, aujourd'hui, plusieurs communautés ont accepté une décentralisation de budget global. Cela veut dire — pour l'information de mes collègues — qu'au moment où on décentralisait par service, par activité, en même temps, il y avait des règles qui voulaient que les conseils de bande et les autres suivent les mêmes règles que leurs voisins; il y avait des standards. Cela coûtait un certain montant pour envoyer un enfant à l'école, à l'université, donc on suivait ces règles. Aujourd'hui, ils ont un financement global. Si un conseil de bande manque d'argent dans l'éducation, c'est tant pis. Tu dois maintenant être responsable. On va chercher de l'argent dans d'autres services et on prive ou on réduit les services de l'éducation et on dit que les gens administrent mal. Mais l'argent n'est pas là. Les gens ne sont pas au courant de ces subtilités.
[Traduction]
M. Slavik : Permettez-moi de vous donner un exemple. L'un de nos clients, un chef de tribu, est un ancien directeur d'école. Son administration était en train de négocier des fonds pour financer le fonctionnement de l'école de la réserve après que la Première nation eut assumé l'administration de ce genre de programme. Cette Première nation se trouve dans un coin de l'Ouest du Canada où les salaires des enseignants ont considérablement augmenté à cause de l'inflation, où les prix sont très élevés et où il a fallu négocier de nouveaux arrangements en matière d'enseignement.
Le salaire moyen des enseignants en dehors de la réserve a considérablement augmenté, mais le budget consacré à l'éducation dans la réserve, lui, n'a pas bougé. Résultat : l'école a perdu tous ses bons enseignants qui ont trouvé des emplois mieux rémunérés ailleurs. Elle a donc dû embaucher des enseignants ayant un ou deux ans d'expérience pour venir travailler dans certaines des écoles les plus dures du pays. On se demande ensuite pourquoi les résultats scolaires ne sont pas bons.
Les mécanismes de financement des Premières nations sont fondés sur le taux d'inflation national et sur le taux de croissance de l'économie nationale. Ainsi, dans une région à forte croissance où le taux d'inflation et les salaires sont élevés, les Premières nations sont encore plus pénalisées par le simple effet de leur économie régionale.
Trois de nos clients viennent juste de perdre des administrateurs de services financiers de haut calibre qui sont allés dans le secteur privé où ils gagnent 50 p. 100 de plus. Je parle ici d'une situation qui s'est produite en Alberta. Comment peut-on espérer que les Premières nations maintiennent la qualité de leurs services administratifs dans de telles conditions quand leurs budgets n'ont pas bougé en cinq ans et n'ont suivi ni la progression de l'inflation, ni l'augmentation démographique? Je sais que c'est là une question différente de celle qui est abordée dans votre projet de loi, mais vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les Premières nations acceptent d'autres champs de compétence quand elles ne sont même pas en mesure de correctement administrer ceux dont elles ont la charge.
Je veux dire une dernière chose. Il y a un mythe qui est perpétré par le ministère des Finances. Si je le pouvais, je vous donnerais des noms, mais je n'en ai pas. Tout ce que je sais, c'est que cela vient de ce ministère. Ce mythe veut que les Premières nations ne paient pas leur dû pour les services gouvernementaux dont elles bénéficient. D'où le raisonnement voulant qu'il faudrait déduire du financement qu'il leur est accordé toutes leurs recettes en propre — c'est-à-dire celles provenant des taxes imposées sur des tierces parties, sur les bingos et les activités commerciales — et cela de façon progressive.
Alors, voyons si j'ai bien compris. Les Premières nations sont déjà incroyablement sous-financées. On leur demande de trouver elles-mêmes les fonds nécessaires pour leurs écoles, pour financer l'enseignement postsecondaire et pour financer leurs coûts administratifs. Que veut le Canada? Commencer à tout pousser d'un côté de la table.
On ne retrouve ce genre de récupération fiscale dans aucune autre relation entre un ordre de gouvernement supérieur et un gouvernement inférieur. Si, grâce à EPCOR, la ville d'Edmonton parvenait à dégager des dizaines de millions de dollars pour financer des services municipaux supplémentaires, la province ne chercherait pas à les récupérer par ailleurs. En revanche, si une Première nation faisant rentrer huit millions de dollars dans ses caisses concluait une entente d'autonomie gouvernementale comportant une disposition de financement par les revenus autonomes, elle verrait ses propres recettes diminuer. Qu'est-ce qui peut inciter un gouvernement de Première nation à conclure une entente d'autonomie gouvernementale si Ottawa récupère de l'argent sur des ressources déjà limitées? Personne ne se prévaudra de la politique sur les droits inhérents si l'on s'en tient à ce genre de mécanisme de financement.
L'autre mythe veut que les Premières nations ne financent pas leurs propres gouvernements. En réalité, les Premières nations, du moins celles de l'Ouest canadien, injectent des millions de dollars de leur propre argent dans le logement, la création d'emplois, les services sociaux et les services de loisirs qui ne sont jamais pris en compte dans les formules comptables. Les gens estiment que les gouvernements des Premières nations sont entièrement financés par le gouvernement fédéral et que cela doit changer parce que cette situation les rend irresponsables. C'est un mythe, sénateurs, mais ce mythe conditionne le cadre financier défendu par le ministère des Finances et appliqué par le ministère des Affaires indiennes. Il va falloir soigneusement explorer les réalités financières des gouvernements des Premières nations ainsi que les mythes qui sous-tendent la pérennisation de l'actuel cadre de financement qui est inacceptable.
Le président : Merci, maître Slavik. Vous venez de soulever quelques questions très litigieuses et prêtant à controverse. Je sais que vous vous appuyez sur une vaste expérience
M. Slavik : Je ne voulais pas vous faire de peine.
Le président : Vous ne vous en faites pas. Vous avez parlé de choses bien réelles.
Cette semaine, j'ai rencontré six dirigeants autochtones dans mon bureau. Ils représentaient une communauté éloignée de 10 000 âmes où il n'y a ni aéroport, ni chemin de fer, ni route. La seule chose qui soit vraiment digne de mention dans ce coin, c'est un rein artificiel justifié par la prévalence du diabète qui fait des ravages là-bas. Je vais vous dire une chose : plus je préside à ce comité et plus je me sens porté par ceux et celles qui en sont membres et par la force de gens comme vous qui travaillent dans des dossiers comme celui-ci.
Maître Slavik, comme vous le savez, je suis favorable à l'adoption d'une loi destinée à régir l'autonomie gouvernementale. Nous cherchons des façons de permettre aux peuples autochtones de prendre leur destinée en main de sorte qu'ils puissent recevoir leur part de la richesse et des réalisations de notre grand pays.
Je tiens à vous remercier de vous être déplacé et de nous avoir fait partager votre point de vue. Je m'attends à vous revoir au comité, parce que je sais que vous ne manquez pas de dossiers.
M. Slavik : Merci, sénateur.
Le président : Avant que nous ne passions au professeur Morse, je vais faire lecture d'une lettre à mes collègues parce que je pense qu'il y a lieu de la consigner dans la retranscription. Elle est adressée au président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vous la lis :
Sénateur,
La présente a pour objet de vous remercier, vous-même et les membres de votre comité, pour l'étude spéciale que vous avez réalisée au sujet du processus fédéral de règlement des revendications particulières, intitulée Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire.
Il s'agit d'un excellent rapport pour la façon dont vous qualifiez le choix auquel le Canada est confronté, à la fois dans le titre et dans vos recommandations. L'avant-propos énonce en termes simples le dilemme auquel se heurtent les Premières nations dans le contexte de la politique et des structures actuelles. J'espère qu'il aidera les Canadiennes et les Canadiens qui s'intéressent au dossier à comprendre la difficulté de cette problématique.
Je tiens également à vous remercier personnellement des efforts que vous avez déployés pour promouvoir ce rapport, surtout dans votre article d'opinion publié dans le Citizen du 16 février 2007. Si vous avez d'autres idées sur la façon de mieux faire connaître ce rapport et ses conclusions, je serais très heureux d'en parler avec vous.
Pour terminer, je vous invite, vous-même et le Comité, à exhorter le gouvernement à donner rapidement suite à ce rapport.
Et c'est signé par Phil Fontaine, Chef national
Je tiens à remercier tous les membres du comité qui ont collaboré à ce rapport, parce que si nous n'avions pas travaillé comme une équipe, nous n'aurions pas pu réaliser ce que nous avons réalisé, ni gagner la reconnaissance qu'a acquise le comité.
Bienvenue, professeur Morse. J'ai eu le privilège de vous entendre témoigner dans le passé et j'ai hâte de recommencer l'expérience ce soir, tout comme mes collègues d'ailleurs.
Bradford W. Morse, professeur, Faculté de droit, Section de common law, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur St. Germain. J'apprécie votre invitation et l'honneur que vous me faites de pouvoir vous faire part de certaines idées et de mon expérience dans les dossiers juridiques concernant les Autochtones. Dans mes 30 années, au bas mot, j'ai représenté un peu toutes les parties, puisque j'ai travaillé pour des organisations de Premières nations et des organismes métis, pour le gouvernement fédéral, pour des gouvernements provinciaux et pour différents gouvernements étrangers et organismes de peuples autochtones d'autres pays. Je suis ravi de me retrouver dans cette salle absolument splendide que tous les Canadiens devraient pouvoir apprécier. Son choix est approprié puisqu'elle se trouve en territoire algonquin.
Je vous félicite et je me fais l'écho du Chef national Phil Fontaine à propos de ce rapport de même que de votre étude sur le développement économique et, disons-le, à propos du travail d'ensemble de votre comité. Pour ce qui est du projet de loi prévoyant la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières nations dont il est généralement question, mais surtout ce soir, votre comité a donné une occasion unique aux Autochtones et aux non- Autochtones de se réunir pour discuter de problèmes d'intérêt commun. L'un de nos défis au Canada aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas beaucoup l'occasion de tenir ce genre de dialogue et d'échanges et de travailler dans le sens de nos objectifs de réconciliation.
Je vais vous citer le juge Binnie qui s'est exprimé au nom de la Cour suprême du Canada dans un arrêt de décembre 2005 concernant une cause qui opposait la Première nation crie Mikisew, du Nord de l'Alberta, à Patrimoine canadien. Voici ce qu'a écrit le juge Binnie :
L'objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s'exerce dans l'ombre d'une longue histoire parsemée de griefs et d'incompréhension. La multitude de griefs de moindre importance engendrés par l'indifférence de certains représentants du gouvernement à l'égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives. Et c'est le cas en l'espèce.
Le juge Binnie parle ici non seulement des habituelles relations boiteuses entre les différents ministères concernés, comme c'est le cas au fédéral — mais il pourrait aussi s'agir de ministères provinciaux, d'administrations municipales ou d'entreprises du secteur privé — qui peuvent être en désaccord avec des peuples autochtones. Le juge s'exprime au nom de tous les Canadiens quand il cherche à formuler l'avis unanime de la cour au sujet de l'objectif fondamental de l'interprétation moderne des droits ancestraux et issus de traités de même, selon moi, que du droit canadien en général. Je veux parler de la réconciliation entre les Autochtones et les non-Autochtones. Il insiste également sur un aspect qui est trop mal compris. Il parle des « revendications, intérêts et ambitions respectifs » plutôt que des revendications, des intérêts et des ambitions des Premières nations, des Métis et des Inuits seulement; il fait donc bien allusion aux revendications, intérêts et ambitions des non-Autochtones. Il laisse entendre que la réconciliation exige que les deux parties à ce mariage, si l'on peut s'exprimer ainsi, soient conscientes des intérêts de l'autre, ce qui nous amène à cette tribune. Il n'est pas simplement question des revendications des Premières nations, des Inuits ou des Métis contre les gouvernements non autochtones ou les Canadiens non autochtones. Il est question des revendications de tout le monde en ce qui concerne le territoire ainsi que des revendications, des intérêts et des ambitions que nous entretenons tous pour faire prospérer notre territoire commun.
Je me propose d'aborder six grands thèmes et de vous faire quelques suggestions relatives au projet de loi. Parlons d'abord du coût de l'inaction. En réalité, les coûts directs que représentent les interactions nécessaires entre les Premières nations et les gouvernements fédéral et provinciaux sont énormes. Il ne s'agit pas simplement des coûts financiers directs que sont les budgets et le financement des discussions, mais aussi des pertes d'opportunités économiques. Il faut songer à tous les espoirs déçus, au cumul des frustrations des Premières nations, jour après jour, qui doivent évoluer dans des situations particulièrement inacceptables. Je ne pense pas que les Canadiens apprécient la réalité actuelle au point de vouloir l'entretenir une semaine, une année, une décennie ou un siècle de plus.
À cause du statu quo, nous avons malheureusement tendance à entretenir l'impression, chez les non-Autochtones que le présent est le seul avenir envisageable et que c'est à cause de l'incapacité des Premières nations à gérer leurs propres affaires que celles-ci continuent à souffrir des conditions déplorables qui sont les leurs.
Ce n'est pas la position officielle des gouvernements fédéral ou provinciaux. En général, ceux-ci cherchent plutôt à négocier de nouvelles ententes d'autonomie gouvernementale, cela m'amène à la deuxième question dont je voulais vous parler. Comme votre comité le sait trop bien, le rythme de ces négociations est ridiculement lent. Comment parvenir à créer un régime qui nous permette de passer de la situation actuelle à celle que nous visons si, au rythme actuel, il nous faudra quelque chose comme 200 ans pour réaliser notre objectif? Ça ne fonctionne tout simplement pas.
En 1995, quand la politique fédérale sur les droits inhérents a été mise en œuvre, nous ne voulions certainement pas, en 2007, constater que nous aurions aussi mal réussi, mais il se trouve que la façon dont est actuellement gérée cette politique n'a pas grand-chose à voir avec ce qui était envisageable à l'époque où elle a été élaborée.
Ce qu'il y a de bien avec le projet de loi S-216, c'est qu'il insiste sur la notion d'optionalité, autrement dit que rien n'est imposé à aucune communauté, que tout est facultatif. Selon moi, cette formule est essentielle pour gagner l'appui politique des Premières nations et des autres Canadiens. Par ailleurs, cette formule représente ce que je pense être l'esprit du projet de loi, soit la liberté consentie aux Premières nations de décider de leur propre avenir. Comment une mesure législative pourrait-elle respecter cette liberté si elle était contraignante?
Je veux ensuite vous parler du fondement même du projet de loi. Comme son titre le donne à penser, il porte sur la reconnaissance. La reconnaissance doit être le principe fondamental de la relation entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants, peu importe depuis combien de générations nos ancêtres occupent ce territoire. C'est un principe fondamental qui sous-tend l'expérience de nos voisins du sud en la matière. Cela est tout particulièrement ressorti dans les lois adoptées par le Congrès au cours des 30 dernières années, de même que dans les politiques fédérales.
Je sais que le sénateur St. Germain et d'autres sénateurs se sont rendus aux États-Unis pour voir, de visu, comment fonctionnent les gouvernements tribaux. Si des Canadiens ont peur de ce que pourrait signifier le projet de loi s'il était adopté, l'expérience américaine devrait les rassurer quelque peu. La « souveraineté » est un mot avec lequel nous éprouvons quelques difficultés au Canada, pour différentes raisons, mais la souveraineté tribale est reconnue depuis les tout premiers établissements américains, avant même qu'on ne parle des États-Unis, et elle demeure un principe admis dans ce pays au point d'être un fondement dans les arrêts rendus par la Cour suprême américaine et les décisions prises par le gouvernement des États-Unis. Les arrêts de la Cour suprême des États-Unis de 1823, de 1831 et de 1832 ont été allègrement repris par les tribunaux canadiens, notamment par notre propre Cour suprême. La semaine dernière, des membres de notre haute cour et de la Cour suprême des États-Unis ont d'ailleurs parlé de ces arrêts lors d'une réunion qui s'est déroulée dans l'enceinte même de la Cour suprême à Washington.
Les tribus américaines ont des budgets annuels qui dépassent 25 milliards de dollars américains. Les tribunaux tribaux entendent plus de 500 000 causes par an. Les tribus sont parties à des ententes de commerce intérieur et international et à toutes sortes d'activités industrielles et de loisirs. Tout ne fonctionne pas toujours impeccablement, loin s'en faut, et la fiche de route n'est pas parfaite pour toutes les tribus, mais on peut aisément conclure d'après ce qui se passe aux États-Unis, comme nous l'avons vu dans certains cas au Canada, que la capacité des peuples indigènes de Turtle Island ou de l'Amérique du Nord n'est pas remise en question dès lors qu'ils ont la possibilité de se prévaloir des opportunités qui s'offrent à eux, et qu'on leur reconnaît cette possibilité. À partir de là, les peuples autochtones peuvent réussir au point que leurs communautés et les sociétés dans lesquelles ils évoluent en ressortent gagnantes.
En dernier lieu, je tiens à féliciter le comité pour ce projet de loi, surtout pour un certain nombre de ses aspects. Je vous félicite d'avoir eu le courage et la volonté de vous attaquer à l'un des aspects qui a embarrassé un grand nombre de gouvernements autochtones et qui a causé beaucoup d'inquiétude. Je veux vous parler de la question de l'administration de la justice visée à l'article 11 du projet de loi. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont beaucoup de difficultés à faire face à cette question. Au fil des ans, la profession légale a occasionnellement exprimé des réserves à ce sujet. Comme je l'indiquais, aux États-Unis où l'on compte plus de 150 tribus disposant de tribunaux en propre qui entendent un demi-million de causes chaque année, il n'y a pas de problème. Le système légal américain ne s'est pas effondré pour autant et la question a été facilement réglée.
S'agissant des questions de compétences visées au paragraphe 9(3), vous proposez une sorte de restauration de la compétence autochtone, comme dans le cas des tribus aux États-Unis avant que la Cour suprême de ce pays ne commence à récupérer cette compétence en 1978. Si ce projet de loi est adopté, vous aurez réussi à combler ce qui est un vide pour l'écrasante majorité de réserves de Premières nations au Canada qui ont des problèmes de biens immobiliers matrimoniaux. Le rapport concernant cette question a été publié la semaine dernière et le gouvernement pourrait agir sans tarder à cet égard. Il est ici question d'une réalité qui concerne des hommes, des femmes et des enfants unis dans des relations matrimoniales et qui vivent dans les réserves au Canada. Les seules exceptions concernent les réserves ayant conclu des ententes d'autonomie gouvernementale et une poignée d'autres Premières nations qui se sont prévalues des dispositions de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. En réalité, les régimes de biens immobiliers matrimoniaux établis en vertu de régimes provinciaux régissant la propriété matrimoniale ne s'appliquent pas sur les terres de réserve.
Vous avez comblé un autre grand vide, celui du droit environnemental. Pour la même raison que celle que je viens de donner, notre régime au Canada consiste essentiellement à s'en remettre aux lois provinciales en matière de gestion environnementale des terres et de contamination des sols. Or, ces lois provinciales ne s'appliquent pas aux réserves parce que les terres de réserve échappent à leur portée. Aucune loi fédérale ne vient combler ce vide. Ce faisant, nous nous retrouvons avec un régime étriqué et incroyablement inefficace en vertu de la Loi sur les Indiens et des règlements qui en découlent, régime qui est assorti de sanctions ridiculement faibles et qui a une portée extrêmement étroite au point que la plupart des questions environnementales concernant les terres de réserve ne sont visées par aucune disposition législative. Jusqu'ici, nous avons eu la chance de ne pas connaître d'importants problèmes sur les terres de réserve au Canada. Cela en dit long sur l'efficacité avec laquelle les Premières nations gèrent leurs terres. Il n'existe tout simplement pas de régime juridique en matière d'environnement qui soit applicable à la plupart des réserves au Canada.
Quant aux suggestions que je pourrais vous faire au sujet du projet de loi, je vous recommanderais d'y adjoindre un article habilitant expressément les Premières nations à conclure des accords intergouvernementaux. Ce projet de loi traite de la capacité de légiférer à l'annexe 2, mais le texte lui-même ne renferme aucune disposition autorisant la conclusion d'accords de façon plus générale. J'ai l'impression qu'au Canada, la plupart des ententes intergouvernementales ne sont pas fondées en droit et qu'elles reposent uniquement sur les mécanismes conclus entre les gouvernements concernés. Il convient de reconnaître sans détour, afin qu'il ne demeure aucun doute à cet égard, la pleine capacité des Premières nations reconnues en vertu de ce projet de loi de négocier de telles ententes, plutôt que d'adopter des lois au coup par coup.
Aux États-Unis, l'essentiel des activités des dernières décennies a consisté, pour les tribus et les États, à conclure des pactes pourtant sur un ensemble de sujets : immatriculation des véhicules, perception fiscale, services essentiels de tribunaux, administration de l'industrie des paris d'une valeur de 20 milliards de dollars, double délégation des policiers, transfert de prisonniers de tribunaux situés dans les réserves à des établissements pénitenciers hors réserve, accueil de délinquants envoyés par des tribunaux d'État ou de comté dans des prisons de réserves. L'éventail des pactes entre les États et les tribus est énorme. Je m'attends à ce que la même chose se produise dans l'avenir au Canada. De plus en plus de conventions de ce genre seront conclues entre les Premières nations, les administrations municipales et les gouvernements provinciaux. Il est important que la légitimité ou le caractère exécutoire de ces ententes ne soient pas remis en question.
Il conviendrait d'ajouter à l'article 16 du projet de loi, comme dans les projets de loi précédents, que les terres autochtones demeurent régies par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans les projets de loi antérieurs, le statut des terres pouvait encore soulever des questions quand celui-ci n'était pas clairement tranché par ailleurs.
Je ne suis pas certain des répercussions que pourrait avoir la refonte de l'actuel article 88 de la Loi sur les Indiens. Comme vous le savez, cet article applique aux Indiens résidant dans les réserves des lois d'application générales, occasionnellement mises en vigueur par les provinces, mais moyennant un certain nombre de limitations. Vous mentionnez ces limitations dans l'article de votre projet de loi, mais vous étendez l'application de ces lois provinciales à caractère général non seulement aux membres des Premières nations, mais aussi aux terres de Premières nations. Je ne vois pas exactement quelles conséquences pourrait avoir l'application générale de toutes les lois provinciales concernant les terres aux territoires des Premières nations. Je recommande de réfléchir très prudemment à la chose. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur la jurisprudence, puisqu'il n'en existe pas à cet égard. L'article 88 n'est apparu que dans la loi de 1951. Celui-ci a fait l'objet d'un grand nombre d'instances, mais uniquement pour savoir si des lois provinciales s'appliquaient à des terres de réserve. On sait aujourd'hui que tel n'est pas le cas. Ces lois s'appliquent-elles aux Autochtones eux-mêmes? La réponse est oui, sous réserve des dispositions de Loi sur les Indiens, d'autres lois fédérales, des dispositions de traités ou des lois de Premières nations.
Je suggérerais également que l'on définisse ce qu'on entend par « aliénation ». L'article 17 fixe des règles très strictes relativement à la capacité des Premières nations d'aliéner leurs terres, mais sans pour autant définir le mot « aliénation ». On en trouve, certes, une définition implicite et indirecte à l'article 28 de l'annexe 1 de la constitution type, qui donne une idée de ce qui doit être exclu de la définition d'« aliénation » dans le cas des Premières nations optant pour cette constitution type. Quant à celles qui n'adopteront pas ce modèle, la question sera de savoir ce que signifie exactement l'article 17. Pour les rédacteurs du projet de loi, l'aliénation doit être envisagée dans le contexte du transfert complet des intérêts d'une Première nation dans le cas des terres concernées. C'est souvent la définition que l'on accorde au mot « aliénation » en common law. Toutefois, quand on emploie ce terme dans la loi, si on ne le définit pas, ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi à la façon dont je l'interprète, on laisse alors le soin aux tribunaux de déterminer plus tard si une Première nation désireuse de louer une partie de ses terres devra obtenir d'abord l'assentiment de 80 p. 100 de l'ensemble des électeurs. Cela pourrait représenter une tâche dantesque pour n'importe quelle nation, surtout étant donné l'augmentation du nombre de membres non résidents. Je conseille au comité de réfléchir à cette question.
L'autre petite remarque que je voulais faire concerne l'alinéa 21(2)a), parce que je me demande si vous voulez limiter les terres additionnelles aux seules terres « contiguës ». Je comprends que l'objectif poursuivi par cette disposition consiste à inclure les terres hors réserve au nombre des terres additionnelles, ce qui est intéressant. Cependant, je ne suis pas certain que vous vouliez limiter ces nouvelles terres aux seules terres contiguës. Par exemple, les terres situées de l'autre côté de la route ne sont pas contiguës, mais elles pourraient être considérées comme une addition naturelle possible à la réserve. Je ne suis pas certain que vous vouliez autant limiter la portée de cette disposition.
Autre petite remarque qui concerne cette fois l'article 22. Vous laissez entendre que, dès qu'une Première nation est reconnue, l'ensemble de ses actuels comptes en fiducie détenus par Sa Majesté doivent être transférés après un exercice comptable approprié. J'ai l'impression qu'une Première nation devrait avoir la possibilité de considérer que ce transfert est facultatif, autrement dit qu'elle peut demander le transfert et que le Canada doit s'exécuter en conséquence, mais cela ne va pas sans créer un fardeau supplémentaire. Il sera très délicat pour une communauté de Première nation de décider de se faire reconnaître en vertu de ce projet de loi et, soudainement, de devoir transférer tous ses comptes en fiducie. Si les sommes en jeu sont peu importantes, cela peut ne pas faire problème, mais pour certaines communautés, les sommes sont très élevées. La Première nation pourra préférer laisser ces sommes aux soins de l'État pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa vitesse de croisière. Je recommanderais qu'on donne aux Premières nations la possibilité de se prévaloir ou pas de cette disposition, plutôt que de l'appliquer automatiquement.
Merci beaucoup de votre invitation et de m'avoir donné la possibilité de vous faire part de ces remarques.
Le président : De toute évidence, vous avez étudié le projet de loi dans le menu détail et nous vous en remercions. Je vous remercie aussi pour l'appui constant que vous nous apportez.
Je pense que vous avez mis le doigt sur le bobo, soit le coût de l'inaction qui est beaucoup plus élevé que celui de l'action.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé des tribus aux États-Unis et de ce qu'elles font pour leur développement économique. Je crois savoir qu'elles possèdent une grande partie de leurs terres et qu'elles peuvent conclure des ententes financières beaucoup plus facilement que les Premières nations au Canada. Est-ce le cas? Ici, c'est un véritable parcours d'obstacles.
M. Morse : En fait, la plupart des tribus aux États-Unis ne possèdent pas leurs terres, en ce sens qu'elles n'ont pas de titre en fief simple ou de titre franc à la façon dont la plupart des Canadiens possèdent le lot sur lequel se trouve leur maison, comme à Ottawa. La majorité des terres de réserve sont encore retenues en fiducies par le gouvernement des États-Unis. La différence — et celle que vous soulevez est importante — réside donc dans la capacité de gérer la terre. Au Canada, surtout en vertu de la Loi sur les Indiens, le régime restreint la capacité des Premières nations de gérer leurs terres. Elles sont essentiellement tenues de s'en remettre au ministère des Affaires indiennes. À moins que la terre n'ait été désignée terre de Première nation — en vertu de l'article 53, la Première nation dispose déjà d'un pouvoir délégué dans le cas des terres désignées — tout doit passer par le ministère des Affaires indiennes. Le preneur à bail est officiellement l'État plutôt que la Première nation. Il s'agit d'un régime de gestion qui est imposé par la Loi sur les Indiens et qui restreint la capacité des Premières nations. Ce n'est donc pas une question de propriété, mais davantage une question d'habilitation à gérer la terre ou de limites que le gouvernement impose à cette habilitation. Dans notre cas, c'est ce que nous avons fait. Les Américains, eux, ont essentiellement opté pour l'autre formule. Il est clair que les tribus gèrent les terres, bien que le titre demeure en général dans les mains du gouvernement des États-Unis qui le détient en fiducie.
Le président : Vous avez fait un excellent travail, professeur, vous avez répondu à toutes nos questions. Nous allons examiner de près vos recommandations en six points ainsi que vos suggestions. Mon assistant, très compétent, s'en chargera. Je tiens encore une fois à vous remercier de vous être déplacé pour nous faire cet exposé.
Sénateurs, nous avons à présent une question de régie interne à régler, soit l'ébauche du budget du comité pour l'étude des lois. Vous en avez tous reçu une copie. C'est un petit budget de 8 000 $, qui ne représente donc pas beaucoup d'argent.
Avez-vous des questions à poser à ce sujet? Celui-ci vise à nous permettre d'étudier les projets de loi dont nous serons saisis et celui que nous avons devant nous.
S'il n'y a pas de question, quelqu'un pourrait-il en proposer l'adoption?
Le sénateur Peterson : J'en fais la proposition.
Le président : Que ceux qui sont pour l'indiquent en levant la main.
Des voix : D'accord.
Le président : C'est adopté à l'unanimité.
La séance est levée.