Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 16 - Témoignages du 15 mai 2007
OTTAWA, le mardi 15 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, afin d'étudier, pour en faire rapport, les travaux récents concernant l'eau potable dans les collectivités des Premières nations.
Le sénateur St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur St. Germain. Je viens de la Colombie-Britannique et j'ai le privilège de présider le comité.
Avant de commencer, permettez-moi de présenter les membres du comité. À ma gauche, vous avez le vice-président, le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, ensuite le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan. À ma droite, se trouvent les sénateurs Charlie Watt et Aurélien Gill, du Nord du Québec, et ensuite le sénateur Milne, qui vient de l'Ontario.
Nous accueillons aujourd'hui le Groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations. Je vous souhaite la bienvenue au comité.
Quel plaisir de vous revoir, monsieur Swain. Il y a quelques années, lorsque j'étais ministre à l'autre endroit, vous étiez très actif et faisiez un travail remarquable. C'est agréable de voir que vous vous relancez dans la mêlée et que vous continuez à faire ce que vous avez toujours fait pour les Canadiens, assurer un service exceptionnel.
Harry Swain, président, Groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations : Merci, monsieur le président. Je vais d'abord présenter les personnes qui sont ici, et d'autres qui n'y sont pas. À ma droite, vous avez Steve Hrudey, ingénieur d'un établissement de santé publique et le nouveau président de la Commission d'appels de l'environnement de l'Alberta. À ma gauche, Juli Abouchar, notre conseillère juridique, du cabinet Willms et Shier, à Toronto.
Le grand chef Stan Louttit, notre troisième membre, a dû s'absenter aujourd'hui et présente ses excuses. J'aimerais aussi mentionner que Catharine Lyons-King est la secrétaire du groupe et qu'elle a rédigé la plus grande partie du rapport que vous avez reçu.
Honorables sénateurs, mes collègues et moi sommes très heureux de l'intérêt que suscite chez vous l'étude que nous avons faite l'année dernière des formules permettant de réglementer la qualité de l'eau potable dans les réserves indiennes. Le résumé écrit qui vous a été distribué fait ressortir plusieurs points qui méritent d'être soulignés.
Il va falloir adopter une nouvelle loi. Ni l'article 88 de la Loi sur les Indiens, qui fait référence aux lois d'application générale, ni une loi fédérale existante ne nous habilitent à prendre les règlements nécessaires. Si nous adoptions une nouvelle loi fédérale, nous n'aurions qu'à y incorporer par référence les lois provinciales de manière à en faire le régime législatif de base applicable aux réserves se trouvant dans leur territoire respectif. Hélas, la législation diffère d'un endroit à un autre, ce qui pourrait susciter des difficultés. De plus, aucun mécanisme existant ne donne aux Premières nations le droit de participer directement à l'élaboration des règlements qui s'appliqueront à eux, car ils sont élaborés par un comité de fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, et les gouvernements provinciaux les prennent, ou les rejettent, sans demander leur avis aux Premières nations.
Mais ce qui est plus important encore, c'est qu'une législation ne régissant que la qualité de l'eau potable ne permettrait pas d'encadrer plusieurs fonctions qui ont une incidence directe sur elle. Une telle législation n'assurerait pas la protection de l'eau, un point important pour beaucoup de Premières nations qui estiment que sans cette protection, elles ne peuvent s'acquitter de leurs responsabilités à l'égard de la terre et de l'eau qui nourrissent leurs sociétés. Cette législation ne préciserait pas à qui il incomberait de gérer l'eau dans les réserves, surtout les prélèvements d'eau et les eaux souterraines, un point qui risque de susciter des affrontements avec les gouvernements provinciaux. Elle n'établirait pas les mécanismes nécessaires à la coopération entre les Premières nations et les gouvernements et administrations qui sont leurs interlocuteurs. Elle ne préciserait pas quelles bandes — réserves indiennes, régions en cogestion établies dans les règlements de revendications territoriales, régions sur lesquelles les Autochtones prétendent avoir un titre sans qu'aucun titre ne leur ait été reconnu, terres recouvrées en vertu de droits fonciers issus des traités dans les Prairies — seront régies par la nouvelle loi ou assujetties aux lois provinciales. Elle ne préciserait bien sûr pas qui devrait appliquer les nouvelles règles qui seront établies.
À ce dernier propos, je discutais récemment avec un groupe de spécialistes de la question de savoir s'il y aurait lieu de considérer l'accès à l'eau comme un droit de la personne. Les dix provinces et les trois territoires y étaient représentés. Je leur ai demandé combien d'entre eux seraient prêts à se charger de l'application des normes provinciales dans les réserves, même si le gouvernement fédéral assumait la totalité des coûts. Aucun ne s'est porté volontaire.
Comme n'importe lequel des problèmes précisés aurait pour effet que le régime législatif serait gravement insuffisant, je crois que tout ministre serait sage de les régler. La façon exacte dont ils seront réglés sera d'un grand intérêt pour les Premières nations, les provinces et les territoires et pour le ministère des Finances.
Pour compliquer encore les choses, vous savez tous que le système d'approvisionnement en eau potable fait intervenir les conseils de bande, Santé Canada, Affaires indiennes et Environnement Canada, et que les fonds émanent d'Affaires indiennes. Pour être efficace, le régime réglementaire devrait s'appliquer aux maillons fédéraux de cette chaîne, notamment et surtout aux bailleurs de fonds. De plus, les règlements ne devraient pas être appliqués par les pourvoyeurs afin, bien évidemment, d'éviter toute possibilité de conflit d'intérêts. Nous avons donc pensé à la possibilité de créer une commission sur l'eau dans les collectivités des Premières nations et un tribunal d'appel associé, qui seraient chargés de faire les inspections et d'obtenir des comptes de certaines parties, y compris des agences fédérales.
Nous avons expliqué assez clairement que prendre des règlements imposant des normes sans donner les moyens de respecter ces normes reviendrait à faire porter le blâme aux victimes, un exercice stérile. Pour réussir à réglementer l'eau, il faudra veiller, peut-être même avant de commencer, à prévoir des budgets suffisants pour couvrir les dépenses d'équipement et de fonctionnement. Les Premières nations auraient parfaitement raison de résister si on les obligeait à assumer toutes les responsabilités et à appliquer seules la diligence requise, comme l'Ontario l'a fait avec ses municipalités au lendemain de la crise de Walkerton, sans leur fournir les ressources et la formation voulues pour respecter des normes nouvelles et plus rigoureuses.
À certains égards importants, la réglementation doit intervenir en second lieu. En fait, il s'agit moins de trouver et de punir le coupable que d'empêcher la contamination. Après tout, les agents, tous microbiens, qui menacent la qualité de l'eau potable ne sont décelés et mesurés qu'une fois que l'eau a été bue. Ce sont les mesures classiques — une eau de source de qualité, un traitement excellent, une distribution sécuritaire, un traitement adéquat des eaux usées, le tout dans un cadre de gestion de la qualité — qui assurent la salubrité de notre eau, et non des règles sur les niveaux maximaux de contamination acceptables.
Les moyens que le gouvernement emploie actuellement pour arriver à ce résultat ressemblent assez à ceux qu'employaient toutes les provinces avant que l'incident de Walkerton sonne le réveil général, soit adopter des lignes directrices ou des objectifs en matière de qualité de l'eau potable, faire superviser la conception des systèmes de traitement par des spécialistes, insister sur la formation et lier dans les contrats le paiement des fournisseurs à l'atteinte des objectifs établis. Ces mesures sont dans la pratique appliquées avec relâchement et sans qu'il existe de structures redditionnelles dignes de ce nom, mais il vaut la peine de signaler en quoi elles ressemblent aux pratiques qui prévalaient dans les provinces jusqu'à il y a sept ans.
Heureusement, le gouvernement fédéral a fortement augmenté les sommes consacrées au génie et à la formation, surtout après 1996. À l'heure actuelle, nous nous rapprochons des objectifs de la politique de 1977 — l'application dans les réserves de normes similaires à celles qui prévalent dans des collectivités non autochtones comparables par la taille et l'isolement — même si nous ne pouvons mesurer à quel point.
En Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario, par exemple, il semble que la proportion de petites collectivités rurales desservies par des fournisseurs dûment agréés soit presqu'aussi élevée que celles des collectivités non autochtones. Partout, on s'arrache une main-d'œuvre qualifiée trop peu nombreuse et qu'on ne peut augmenter rapidement étant donné le temps qu'il faut pour former et agréer les techniciens. Ces petites localités, autochtones comme non autochtones, ne sont pas encore à la hauteur des normes provinciales, mais la situation est loin d'être désespérée. Nous avons été agréablement surpris par ce que les chefs de Premières nations et les spécialistes nous ont dit sur les progrès qu'elles ont réalisés et sur leur détermination à respecter parfaitement les normes.
Honorables sénateurs, voilà des questions à donner des rides aux plus sages et aux mieux intentionnés d'entre nous. Nous en avons parlé dans notre rapport, sans toutefois avoir la présomption de faire des recommandations définitives. Il nous semble qu'il faudrait tenir des discussions tripartites avant de légiférer et que le comité pourrait donner des idées judicieuses à toutes les parties concernées et surtout au gouvernement fédéral. L'essentiel, c'est qu'il faudra résoudre un certain nombre de questions techniques et économiques importantes avant d'établir la législation. De toute évidence, il faudrait le faire dans le cadre d'un dialogue respectueux avec les Premières nations. Nous avons le temps, car dans la mesure où il s'agit de l'eau, à tout le moins, il n'est pas sérieux de comparer nos réserves indiennes au Tiers monde, comme l'ont fait certaines personnes qui n'ont jamais mis les pieds dans une réserve et ne sont jamais allées dans un pays du Tiers monde, ou qui ont des comptes à régler.
Nous sommes déjà bien avancés dans les questions urgentes que sont la formation des opérateurs et l'investissement de capitaux, travail que nous devrons évidemment terminer, mais les prochaines étapes requièrent la création d'organismes de réglementation qui respectent le cadre constitutionnel en pleine évolution du pays et surtout l'importance grandissante que nous accordons, en tant que société, à l'autonomie et aux responsabilités des Premières nations. Nous devons nous pencher ensemble sur ces questions.
Le président : Merci, monsieur Swain. Avez-vous terminé votre exposé?
M. Swain : Oui.
Le président : Vous pouvez maintenant poser des questions. Monsieur Swain, dans votre déclaration, vous avez dit qu'il est injustifié de comparer la situation des collectivités autochtones à celle du tiers monde. Il n'en demeure pas moins qu'au Canada, 90 collectivités doivent encore faire bouillir l'eau. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet pour que les auditeurs puissent mieux comprendre pourquoi ces affirmations ont été faites et pourquoi vous les réfuter?
M. Swain : La question a trait à la politique de 1977 qui établissait des comparaisons avec d'autres collectivités canadiennes de taille et d'éloignement géographique comparables. Dans notre province, environ 8 p. 100 des collectivités reçoivent constamment des avis d'ébullition d'eau; 300 ont été émis dans la seule province de la Colombie- Britannique. Généralement, en Colombie-Britannique et dans les réserves des Premières nations, ces avis sont émis pour des raisons techniques qui constituent un risque et non pas une menace immédiate pour la santé humaine, à cause d'un problème de turbidité plutôt que d'une contamination microbiologique excessive, par exemple. Les avis peuvent être attribuables à la non-disponibilité d'un opérateur formé, même si la personne en place occupe le poste depuis un certain temps et a de l'expérience.
Je crois que la définition que donne le MAINC des collectivités à risque mérite d'être examinée un peu. Dans notre rapport, nous avons fait observer que Pikangikum, une collectivité du Nord de l'Ontario aux prises avec un problème sérieux d'approvisionnement en eau potable, ne figure pas sur la liste des collectivités à risque élevé du ministère. C'est un problème en raison de la manière dont le ministère élabore les définitions.
Le sénateur Hubley : Je vais revenir sur un sujet que vous avez abordé au début de votre exposé à savoir si l'eau devrait être déclarée un droit de la personne. J'aimerais savoir si vous croyez que le comité devrait commencer à étudier la question. Est-ce vrai que, à moins de pouvoir régler le problème de l'eau potable pour tous, nous ne pourrons pas fournir de l'eau potable sur une base permanente — sauf s'il est question de systèmes de traitement de l'eau par voie chimique? Cette question a sûrement été soulevée dans quelques-unes de vos discussions. Que pensent les autres provinces de cette suggestion?
M. Swain : Je tiens à préciser que la question de considérer l'eau comme un droit de la personne n'a jamais été soulevée devant ce groupe d'experts, mais l'a été plus tard. Il y a quelques mois, le ministère des Affaires étrangères a tenu une conférence pour déterminer si le Canada devrait signer une convention internationale à cet effet.
Le cynique répondrait qu'un droit de la personne et 1,50 $ vous obtiendront une bouteille de Perrier.
Déclarer l'eau comme un droit de la personne n'aide en rien à l'approvisionnement. Ce qui est crucial, c'est d'investir dans des installations, la formation d'opérateurs et le bon fonctionnement des systèmes. Si tous ces facteurs sont réunis, le fait que l'eau soit un droit de la personne importe peu, quoi que ce pourrait être une bonne chose. Cela pourrait être très important pour les pays du tiers monde et permettrait aux habitants de présenter des arguments moraux à leur gouvernement pour le convaincre de prévoir ces dépenses nécessaires. Cependant, rien ne peut remplacer les dépenses.
Ce que j'en conclus, personnellement, c'est que si nous voulons mener à terme ce qui a été un effort national assez important en vue d'approvisionner les réserves autochtones en eau potable, nous devrions nous préoccuper d'abord de l'essentiel et des ressources et ensuite, d'un système de réglementation. Le reste a peu d'importance.
Le sénateur Sibbeston : Dans votre étude, j'ai remarqué que vous avez visité bon nombre des grands centres du pays. Avez-vous eu l'occasion de visiter les réserves où la qualité de l'eau est la plus mauvaise?
M. Swain : Nous n'en avons pas eu l'occasion. Les audiences tenues partout au pays ont été organisées par le ministère et la ville la plus petite où il y en a eu était Whitehorse. Nous avons visité quelques réserves durant ce voyage, mais pas celles où la situation est la plus désastreuse. Nous trois, qui sommes membres du groupe d'experts, avons personnellement constaté la situation à d'autres occasions. Le grand chef Louttit en a certes été témoin.
Steve Hurdey, membre du groupe d'experts, Groupe d'experts sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations : Les gens qui ont témoigné devant nous ont bien réussi à nous faire part de leur expérience et à nous fournir le compte rendu détaillé des conditions terribles dans lesquelles vivent les habitants de Pikangikum, par exemple. Comme l'a souligné M. Swain, nous avons tous eu l'occasion de voir certaines de ces conditions par le passé, alors nous étions au courant des pires cas.
Le sénateur Sibbeston : De façon générale, vous dites que certaines situations sont mauvaises, mais que des progrès énormes ont été réalisés et que vous ne compareriez pas la situation à celle d'un pays du tiers monde. Pourriez-vous décrire ce qui se passe en réalité? Y a-t-il une crise? Les Canadiens devraient-ils s'inquiéter? Quelle est la situation sur le terrain en ce qui concerne la plupart des réserves?
M. Hrudey : Pour comprendre notre observation sur le tiers monde, l'OMS estime que 1,8 million de personnes environ, dont la majorité sont des enfants, meurent chaque année à cause de l'insalubrité de l'eau. Rien ne laisse croire que des enfants sont morts en raison de l'insalubrité de l'eau dans nos réserves des Premières nations, mais cela ne veut pas dire que les conditions sont acceptables pour autant. Nous avons vu beaucoup d'indications que les conditions sont inacceptables. Cela nous ramène à ce que nous entendons par « sécuritaire ». Quand le Groupe d'experts sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations a étudié les lois canadiennes, tant provinciales que fédérales, nous avons remarqué que le terme « sécuritaire » dans le contexte de l'eau potable n'est défini nulle part et qu'il ne l'est pas non plus dans la loi américaine. C'est parce que la notion de « sécurité » n'est pas assez une ligne précise.
Dans notre rapport, nous avons fait une analogie avec la conduite automobile : passer au feu rouge, c'est dangereux, passer au feu vert devrait être sans danger, mais comporte quand même des risques, et passer au feu jaune accroît les risques du conducteur. Il y a une gradation. Nous pouvons clairement définir ce qui n'est pas sécuritaire. Walkerton ne l'était pas; sept personnes sont décédées. Définir « sécuritaire », c'est de déterminer jusqu'à quel point vous décidez de vous éloigner de ce qui est clairement dangereux. Dans l'industrie de l'eau, on s'entend généralement jusqu'à quel point on peut s'éloigner de la sécurité et c'est là que l'approche à barrières multiples entre en jeu.
Quand le ministère des Affaires indiennes qualifie un endroit comme étant « à risque élevé », il dit que certaines de ces barrières sont inefficaces et non pas qu'il s'attend à ce qu'une personne tombe malade ou décède dans les prochains jours. Est-il acceptable que l'approvisionnement en eau de quelque 90 endroits soit considéré comme présentant un risque élevé? Absolument pas, parce que ce qui est acceptable, c'est que toutes les barrières soient efficaces. Toutefois, nous sommes tout de même très loin des conditions du tiers monde.
Le sénateur Sibbeston : Depuis que vous avez rédigé votre rapport, avez-vous des indications que le gouvernement fédéral tient sincèrement et est déterminé à régler le problème de l'eau potable dans toutes les collectivités des Premières nations du pays?
M. Swain : En toute honnêteté, on doit répondre que oui. Au cours des dix dernières années, les gouvernements qui se sont succédé ont débloqué beaucoup d'argent frais pour régler le problème. Le ministre actuel, à la lumière des observations faites par la vérificatrice générale au sujet de l'absence de réglementation, et reconnaissant que la question de la réglementation n'était pas simple dans ce cas-ci, a convoqué le Groupe d'experts sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations. Dans le budget, le gouvernement a promis de présenter des projets de loi; alors, il bouge. Un critère raisonnable pour en juger sera de vérifier ce qu'il fera à l'égard du renouvellement de la stratégie des dépenses en capital, qui sera annoncée plus tard cette année, et la teneur du projet de loi qu'il déposera ultérieurement.
Mais notre objectif ici aujourd'hui, c'est de porter à l'attention des sénateurs certains points qu'ils voudront peut- être surveiller dans le projet de loi lorsqu'il sera présenté.
Le sénateur Sibbeston : Enfin, en ce qui a trait à ce que notre gouvernement peut faire pour approvisionner en eau potable les collectivités des Premières nations de notre pays, pourquoi recommandez-vous que chaque région du pays adopte la norme provinciale sur les réserves? Pourquoi le gouvernement fédéral, en collaboration avec les Premières nations, ne pourrait-il pas adopter des normes très élevées en matière d'eau potable qui s'appliqueraient aux Premières nations? Le gouvernement fédéral ne pourrait-il pas tout simplement régler le problème de cette manière? Cela paraît être une réponse si simple. C'est de compétence fédérale. Les Premières nations doivent participer. Pourquoi ne pourrions-nous pas établir une loi prévoyant une norme élevée sur la qualité de l'eau qui s'appliquerait à toutes les Premières nations?
M. Swain : C'est effectivement la conclusion à laquelle nous sommes arrivés. Nous avons envisagé un certain nombre d'options. Il faudra une loi fédérale pour juste invoquer les normes provinciales. Cela pourrait être une option facile pour le gouvernement fédéral.
Toutefois, de cette manière, les normes différeraient d'une région à l'autre au pays. Certains éléments de ces différences sont importants; d'autres, non. À la fin de notre rapport, Mme Abouchar et sa collègue ont préparé une longue annexe portant sur la réglementation provinciale sur l'eau qui établit, sujet par sujet, ce que les provinces font et comment elles le font. En l'examinant, vous verrez que certaines provinces ont une bonne longueur d'avance sur d'autres à certains égards.
Par exemple, vous pourriez avoir une loi fédérale qui comporte les meilleures pratiques de chaque province pour créer une norme fédérale qui serait vraiment le « nec plus ultra ». Il serait probablement coûteux de respecter cette norme, qui obtiendrait assurément une certaine approbation, quoique pas unanime, des Premières nations. Cela ferait vivement ressortir la question de savoir qui aurait la responsabilité de faire respecter les règles, car dans ces circonstances, vous ne seriez pas en mesure de demander la collaboration des provinces parce qu'on leur demanderait d'appliquer des règles qui n'étaient pas les leurs, et cetera, et vous perdriez certainement les avantages au chapitre de l'efficacité.
Juli Abouchar, conseillère juridique, Groupe d'experts sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations : Nous avons examiné la possibilité de recourir à des lois provinciales dans chaque administration et avons conclu que c'était impossible. D'un point de vue juridique, il est trop difficile de demander à chaque province de faire respecter ses lois d'application générale. C'était une option que nous jugions indéfendable dès le départ.
Comme l'a souligné M. Swain, nous avons rapidement opté pour la proposition précise que vous avez présentée, sénateur, à savoir une loi fédérale qui réglemente l'eau potable dans les réserves. L'un des avantages de cette approche, c'est la possibilité de peut-être pouvoir créer une commission nationale de l'eau des Premières nations. Cette commission présenterait de nombreux avantages, mais l'un des plus grands et l'un des motifs principaux pour envisager cette possibilité, c'est qu'elle tiendrait toutes les parties responsables de leurs actes. M. Swain a parlé de la nécessité d'exiger des bailleurs de fonds et des fournisseurs d'eau au sein des Premières nations qu'ils rendent compte pour chaque rôle qu'ils jouent. La commission de l'eau, en tant qu'entité indépendante, serait en mesure de le faire et aiderait également à renforcer les capacités et à accroître et à améliorer la formation actuellement offerte chez les Premières nations parce qu'elle serait en grande partie composée de représentants des Premières nations.
L'idée pourrait s'appliquer même si le gouvernement adoptait une loi qui incorporait par renvoi les lois provinciales. Même si cette approche était adoptée, la commission de l'eau pourrait jouer un rôle pour aider à l'application de la loi. Elle pourrait être l'organisme d'exécution indépendante qui s'occuperait de la question de l'acceptation de la mise en application des lois provinciales dans les réserves.
M. Hrudey : Votre question porte aussi sur un malentendu courant. Les Recommandations pour la qualité des eaux au Canada sont les mêmes partout au pays. Elles sont établies par un comité fédéral-provincial-territorial qui chiffre ce que devrait être la qualité de l'eau potable. Cependant, au chapitre de la salubrité de l'eau potable, il est utile de se reporter à ces chiffres, mais ce n'est pas ce qui assure la salubrité de l'eau potable. La salubrité de l'eau potable est assurée par des pratiques en matière de formation et d'accréditation des opérateurs et des pratiques liées à des exigences relatives au traitement, à la construction d'installations et d'approbations d'exploitation — et tous les autres facteurs qui diffèrent d'une province à l'autre. Alors qu'il y a un certain degré d'uniformité sur les chiffres simples qui représentent ce que devrait être la qualité de l'eau du robinet partout au Canada, la façon dont cette qualité est assurée, ce qui garantit vraiment la salubrité, diffère beaucoup d'une région à l'autre du pays.
Le sénateur Milne : Puisque je viens de l'Ontario, je sais un peu ce qui est arrivé à nos collectivités rurales au lendemain de l'incident de Walkerton. Je suis consciente des grandes difficultés que le régime provincial a occasionnées à ces collectivités rurales et sans doute aussi aux Premières nations de l'Ontario.
Je connais les répercussions que le régime a eues sur les entreprises agricoles de toutes sortes en Ontario, en leur imposant des fardeaux presque insupportables lorsqu'elles font affaire avec le public d'une manière quelconque. Même si elles forent leurs propres puits et pompent leur propre eau, elles doivent quand même se conformer aux exigences coûteuses.
Monsieur Swain, vous avez dit dans votre exposé que des normes semblables à celles qui sont en vigueur dans les collectivités non autochtones de taille et d'éloignement géographiques comparables semblent émerger, bien qu'il manque de mesures. Qu'entendez-vous par là? Quels genres de mesures font défaut?
M. Swain : À ma connaissance, personne n'a fait de comparaison — établit de parallèle — entre des collectivités comparables pour voir quelle est la situation dans les collectivités autochtones et non autochtones. On pourrait croire que si c'est la norme à laquelle se plie le gouvernement fédéral, il ferait des comparaisons régulièrement; cependant, cela n'a pas été fait.
Le sénateur Milne : Monsieur Hrudey, vous avez parlé dans votre exposé d'une approche à barrières multiples. Pourriez-vous nous dire ce que c'est?
M. Hrudey : L'eau est un élément tellement important et omniprésent dans notre vie. Dans le tiers monde, l'eau est insalubre et ce sont surtout des enfants qui en meurent. L'approche à barrières multiples dit qu'il est insuffisant de mettre tous ses œufs dans le même panier. Vous ne pouvez pas compter sur une seule étape pour assurer la salubrité de l'eau potable. Il faut de multiples étapes, qui peuvent chacune contribuer à rendre acceptable l'eau insalubre.
L'idée derrière les barrières multiples est de mettre en place divers niveaux de protection de sorte que si un problème se présente à l'une de ces barrières, cela ne cause pas de maladie.
Par exemple, Walkerton avait, en fait, une seule barrière et elle était inadéquate. Elle a fait défaut et des gens en sont morts.
Le sénateur Milner : Vous faites référence à la filtration, au traitement et à l'irradiation de l'eau?
M. Hrudey : Les barrières multiples comportent diverses étapes. La protection des sources d'eau est la première étape pour veiller à ne pas polluer nos cours d'eau naturels.
Le sénateur Milne : Vous ne creusez pas votre puits au pied d'une colline où se trouve un enclos de ferme.
M. Hrudey : L'enclos de ferme doit gérer l'écoulement de ses eaux; protéger la source d'eau. En tout premier lieu, il faut empêcher l'eau de drainage de s'écouler dans l'eau. Quand vous utilisez un puits, vous devez traiter l'eau si le puits est peu profond. Vous devez vous assurer qu'il est surveillé, pour savoir si vous respectez les exigences en matière de traitement. Le système doit être exploité par une personne qui connaît les risques pour le système et reconnaît les problèmes. Vous devez distribuer l'eau en toute sécurité. On a enregistré aux États-Unis des poussées de maladie mortelle au cours desquelles de l'eau de puits de grande qualité a été contaminée dans le réseau de canalisation avant de parvenir dans les foyers.
L'approche à barrières multiples prévoit des mesures de sécurité à chaque étape et ces mesures doivent être efficaces pour assurer un niveau d'assurance élevé que les gens ne tomberont pas malades.
Le sénateur Milne : D'après votre tableau, il est évident que vous privilégiez la nouvelle loi à régime unique, mais d'après vous, elle est moins acceptable pour les Premières nations. Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous entendez par droit coutumier, mais y a-t-il moyen de mettre d'abord en place le droit coutumier — que les deux colonnes soient combinées, le droit coutumier, la nouvelle loi et ensuite, le régime unique?
M. Swain : Le ministre a demandé des options plutôt que des recommandations, alors nous essayons de ne pas manifester de préférences, mais de tout simplement décrire ce qui se passait, d'après nous.
Le droit coutumier autochtone est un sujet vaste qui est mal compris par les avocats blancs — par le reste des Canadiens, à mon avis. Il renferme des éléments liés au respect de la nature, au fait que nous faisons partie de la nature et au besoin d'intendance et de soins. Ces concepts semblent être assez universels chez les nombreuses cultures autochtones du Canada — et c'est merveilleux. Une partie du problème, c'est d'élaborer, à partir de ces affirmations plutôt générales, une exigence en matière de chlore libre par exemple; essayer de tracer une ligne de démarcation claire que les lois semblent exiger est un peu difficile à faire.
Toutefois, nous avons proposé que le gouvernement fédéral, reconnaissant qu'une loi fédérale serait nécessaire, parle du problème aux Premières nations et dise : « Pourriez-vous, s'il vous plaît, débattre de la question et nous décrire ce que vous pensez que la base du droit coutumier devrait être dans la législation moderne? ».
Le Canada n'a pas encore essayé cette voie, bien que quelques éminents juristes comme Brian Slattery se soient prononcés en faveur de ce type d'approche. Cela exigerait beaucoup de temps et pourrait prendre quelques années à exécuter. Par ailleurs, nous faisons valoir qu'au premier rang des priorités figurent les ressources, et non pas la réglementation. Il est tout à fait possible que le droit issu de cette approche aurait, du point de vue de la durabilité et de l'acceptabilité, une qualité qui fait défaut aux approches plus normales.
Le sénateur Watt : D'après ce que je comprends, le Groupe d'experts sur l'eau potable dans les collectivités des Premières nations a été mis sur pied en juin 2006 par le ministère des Affaires indiennes. Avez-vous joué un rôle direct quelconque dans la création du fondement législatif présenté par le ministère des Affaires indiennes la semaine dernière? Des fonctionnaires du Bureau du vérificateur général et du ministère sont venus nous parler de ce qui manquait et de ce que le ministre des Affaires indiennes est disposé à faire dans ce domaine.
Entretenez-vous un dialogue direct quelconque avec les responsables de l'élaboration du projet de loi? Si ce n'est pas le cas, pourquoi?
M. Swain : Non, sénateur. Nous avons été créés en tant que groupe d'experts indépendant et nous ne faisons pas partie du processus ministériel. Nous pouvons dire à juste titre que nous avons fait connaître publiquement notre point de vue sur les éléments que devrait renfermer une telle loi. Si on nous le demandait, je suis sûr que nous aurions des opinions à faire valoir, mais le ministère et le ministre agissent de façon autonome.
Le sénateur Watt : D'après ce que je comprends, il est urgent que nous intervenions en vue d'offrir l'accès à l'eau potable. Jusqu'à présent, nous avons fourni de l'eau potable à un nombre limité de gens seulement.
Ce comité — et moi-même — n'aimerions pas qu'il y ait des divergences entre les besoins en matière de réglementation et les installations qui devraient être aménagées sur le terrain. Les deux côtés ont leur conception, ce que je peux comprendre.
Je peux aussi vous signaler que certains aspects de la réglementation doivent être pris en considération lors de l'élaboration d'un texte législatif. Vous avez parlé du droit coutumier et je comprends un peu ce que cela signifie. C'est d'intégrer au droit moderne la mentalité des gens, une compréhension des problèmes auxquels ils sont confrontés. Je crois qu'ils comprennent parfaitement. C'est un défi, je vous l'assure.
Cependant, c'est une question que nous devrons examiner maintenant ou plus tard. Si vous l'abordez plus tard, vous vous enfoncerez probablement dans un gouffre, ne sachant trop si vous parviendrez à atteindre l'objectif visé. Pour éviter que cela n'arrive — et je crois que je vous ai bien compris —, vous aimeriez obtenir ces avis maintenant pour épargner du temps. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point.
Que voulez-vous que notre comité fasse? Devrions-nous présenter des recommandations au ministre des Affaires indiennes pour lui faire savoir que vous avez soulevé des questions cruciales et des problèmes importants qui ne devraient pas être laissés de côté, mais plutôt être abordés maintenant?
M. Swain : Je ne serais pas présomptueux au point de tenter de dicter au comité ce qu'il devrait faire.
Le sénateur Watt : Nous aimerions connaître votre opinion sur ce que nous devrions faire à partir de maintenant.
M. Swain : Un projet de loi sera déposé bientôt dans l'autre endroit et des comités de là-bas et d'ici auront l'occasion de l'examiner en détail. Cela sera utile. Vous voudrez entendre l'avis d'un certain nombre de témoins. Vous voudrez sans doute connaître le point de vue de l'APN à cet égard, de même que celui d'autres organismes autochtones. Vous voudrez sûrement entendre l'opinion de certaines des Premières nations mêmes auxquelles nous avons parlé l'été dernier, les gens qui sont souvent confrontés à des ressources insuffisantes, à des difficultés, et cetera.
Nous avons essayé de présenter dans ce rapport certains des éléments que devrait renfermer un bon cadre de réglementation. Un chapitre entier en traite. Une annexe énumère tous les éléments qu'il devrait comprendre, d'une façon ou d'une autre. Cela pourrait être utile au comité, quand le projet de loi sera présenté, de faire une comparaison entre ce que le texte législatif dit et ce que le groupe d'experts croyait, pour ce que cela vaut, qui devait être dans la loi. Cela serait utile. Si cela peut aider le comité, je suis sûr que nous serions tous prêts à revenir témoigner.
Le sénateur Watt : Pour ma part, je n'ai pas seulement entendu parler du fait que les Premières nations étaient disposées à autoriser l'application du régime provincial dans leurs territoires ou leurs activités, mais j'ai également joué un rôle à cet égard. C'est un autre problème que nous devrons surmonter en temps opportun. Cela pourrait être une occasion parfaite d'essayer de combiner le droit coutumier dont vous parlez et les autorités provinciales, en mettant en place le régime du gouvernement provincial dans une certaine mesure, car quelqu'un aura à en payer la facture en bout de ligne.
M. Swain : Les occasions de coopération et de collaboration abondent entre les gouvernements, y compris les gouvernements des Premières nations. La porte est grande ouverte pour des occasions de ce genre, monsieur le sénateur.
Le sénateur Watt : Merci beaucoup.
M. Hrudey : Ce qui garantit le plus la salubrité de l'eau potable, et un certain nombre de personnes qui ont témoigné devant notre groupe d'experts l'été dernier nous l'ont dit, c'est l'engagement et la capacité des gens qui gèrent les régimes. Tout régime de réglementation qui sera efficace à l'avenir doit, au départ, favoriser l'établissement et le maintien de cette capacité et, à long terme, la conserver. Cela veut dire que les gens sur le terrain qui relèvent ces défis doivent pouvoir donner leur avis sur le fonctionnement du régime et être en mesure d'influer sur le régime dans l'avenir. Un régime de réglementation vise à s'assurer que les meilleurs opérateurs du régime deviennent universels. Vous ne voulez pas mettre en place un régime qui taxe les meilleurs en augmentant la paperasserie et qui ne fait rien pour amener les autres au niveau d'excellence nécessaire.
M. Swain : Vous avez demandé plus tôt, sénateur, si des progrès ont été réalisés. Nous avons observé non seulement que le nombre d'opérateurs très compétents, formés et agréés dans les réserves a augmenté, mais également que ces gens recevaient un certain degré de respect de la collectivité comme s'ils étaient, par exemple, des travailleurs de la santé publique importants, ce qui ne caractérise franchement pas toujours les régions non autochtones du Canada, et c'est très constructif.
[Français]
Le sénateur Gill : J'aimerais soulever deux ou trois points. M. Hrudey a mentionné plus tôt — en tout cas c'est indiqué dans le rapport — que la situation dans les communautés autochtones n'était pas comparable à celle du tiers- monde. Vous avez énoncé des statistiques concernant le tiers-monde : les causes et le taux de mortalité, notamment en raison de l'eau.
Pourtant, à ma connaissance, nous n'avons pas tellement d'informations concernant les communautés autochtones. Nous savons que le taux de mortalité est beaucoup plus élevé qu'ailleurs, mais nous ne savons pas vraiment pourquoi. Je n'ai jamais vu de rapport détaillant les causes de ce taux de mortalité dans les communautés autochtones. Je ne sais pas sur quelles données reposent vos affirmations pour dire que c'est comparable ou non, mais je pense qu'il faut tenir compte des deux volets. Vous les connaissez peut-être; si c'est le cas, j'aimerais que vous nous en fassiez part.
M. Swain a également mentionné que dans la majorité des communautés autochtones le risque est très peu élevé. Mais dans certaines communautés des risques très élevés sont présents, et même une absence d'eau potable.
Vous comprenez qu'une commission peut être très efficace en émettant des recommandations correctes et pertinentes, mais qu'elle peut aussi retarder les choses si l'échéancier est plus long et que les budgets sont limités, parce qu'il faut implanter ces recommandations.
Il y a deux catégories de recommandations : il y a d'abord des urgences parce que certaines communautés n'ont pas accès à de l'eau potable. Je ne pense pas que ces urgences soient très nombreuses, mais n'y aurait-il pas lieu pour ces communautés de conclure des arrangements temporaires avec les gens concernés, c'est-à-dire les villes avoisinantes, la communauté et la province, afin de résoudre le problème?
Vous savez que parfois cela prend du temps pour régler un problème et que si on attend que ce soit parfait partout, cela n'arrivera jamais.
Enfin, il faudrait émettre des recommandations à long terme et, dans la mesure du possible, que ce soit sous la responsabilité des Autochtones. Si jamais une commission indépendante était formée, elle pourrait être composée de spécialistes autochtones — il y a des ingénieurs autochtones — et ces gens pourraient s'assurer des critères à respecter.
[Traduction]
M. Hrudey : Pour aborder la question de la comparaison avec le tiers monde, je tiens à répéter que nous n'estimons pas que les systèmes classés comme étant à risque élevé sont acceptables —, car ils ne le sont pas. Toutefois, comment pouvons-nous savoir que l'eau insalubre ne cause aucun décès chez les enfants au Canada? Nous ne pouvons pas en être absolument sûrs, mais nous savons que l'insalubrité de l'eau ne fait pas des millions de victimes. Nous savons que les Premières nations sont en moins bonne santé que les populations non autochtones. Toutefois, en ce qui concerne les causes de maladies dans ces collectivités — les agents présents dans l'eau potable qui entraînent des maladies ou la mort sont en quelque sorte caractéristiques et ne se retrouvent pas en quantités excessives dans l'eau potable des collectivités autochtones.
Nous sommes confrontés à des problèmes de tuberculose, de diabète et d'hygiène générale. On trouve un certain nombre de problèmes de santé dans les réserves. Toutefois, nous ne croyons pas qu'il soit utile de comparer l'ensemble du problème à la situation qui prévaut dans le tiers monde, car nous n'avons aucune indication qui appuie l'hypothèse que des milliers d'enfants ou plus meurent à cause de l'insalubrité de l'eau potable.
Pour respecter la politique du gouvernement fédéral visant à offrir le même niveau de service aux collectivités autochtones qu'aux autres collectivités du Canada, nous avons dit que vous devez mettre en œuvre cette approche à barrières multiples, qui réduit le risque à un niveau si faible que personne n'a à s'inquiéter de la salubrité de l'eau qu'elle consomme.
Cela dit, nous avons décelé, au cours de nos audiences, quelques collectivités qui présentaient clairement un risque plus élevé et qui ne figuraient pas sur la liste d'évaluation des collectivités à risque élevé du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Elles étaient exposées à un risque plus élevé, car elles ne disposaient d'aucun système. Les gens se rendaient à un lac avec un seau pour le remplir d'eau qui leur servait d'eau de boisson. Ce lac pourrait bien être contaminé par les déchets de la collectivité. Est-ce comme au tiers monde? C'est certainement inacceptable, mais comparativement au tiers monde, comme ce que j'ai vu à Calcutta où des eaux d'égout brutes s'écoulent dans les rues et où aucune tentative n'est faite pour traiter ces eaux, je ne pense pas que nous en soyons là, heureusement.
M. Swain : Vous avez également laissé entendre que même si la situation est acceptable dans la majorité des collectivités, certaines collectivités présentent un niveau de risque inacceptable; c'est une conclusion que nous acceptons. Le budget actuel de la stratégie sur l'eau et le budget d'immobilisations du ministère des Affaires indiennes doivent être renouvelés cette année. D'après ce que je comprends, des engagements n'ont pas été officiellement pris pour le prochain plan quinquennal.
Nous estimions que les budgets de base sous-jacents, en plus des ajouts qui ont été faits depuis 1996, nous ont permis dans une grande mesure d'enrayer le problème en faisant en sorte que tous les systèmes atteignent un niveau acceptable. Hypothétiquement, si le gouvernement fédéral continuait de fournir le même effort pendant cinq autres années, le nombre d'avis d'ébullition d'eau serait très faible et nous n'aurions pas à nous préoccuper de grand-chose.
Autrement dit, ce n'est pas un problème touchant les collectivités autochtones du Canada qui durera éternellement. C'est un problème qui peut être réglé en investissant une forte somme d'argent pendant une durée limitée. Si les travaux d'immobilisations restants sont menés à terme, si nous corrigeons la situation dans les quelques collectivités laissées de côté dont nous avons parlé et si les efforts en vue de former et d'agréer des opérateurs se poursuivent, nous pouvons régler le problème.
[Français]
Le sénateur Gill : Concernant les budgets, en fait, il me semble — je ne suis pas ingénieur, — que certains projets, certaines usines de filtration d'eau ou de pompage d'eaux usées sont plus gigantesques que dans les communautés d'à côté. Je parle des réserves indiennes. Je vous parle par expérience, parce que j'ai déjà géré une communauté, une réserve. La bâtisse est-elle grosse et les machines petites? Je ne le sais pas, je ne suis pas ingénieur, mais les projets sont- ils adaptés aux besoins réels des communautés indiennes comparativement aux besoins des non Autochtones? C'est une question de gestion, sans doute, au niveau des régions ou des ingénieurs, mais il me semble que parfois l'édifice est trop grandes pour les besoins. Il me semble qu'il est évident que si l'on bâtissait des éléments plus raisonnables, plus adaptés aux besoins, on pourrait bâtir davantage.
[Traduction]
M. Hrudey : Comme l'a dit M. Swain, il convient de reconnaître le mérite des gouvernements successifs pour avoir investi beaucoup d'argent depuis 1996 afin de régler ce problème. Cela dit, nous avons souvent constaté dans les mémoires que nous avons reçus l'été dernier que les fonds servent principalement à l'investissement dans les immobilisations et à la construction d'usines, alors que bon nombre de problèmes viennent des opérations. La politique que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a tenté de mettre en œuvre posait problème, car elle prévoyait que le ministère assume 80 p. 100 des coûts de fonctionnement calculés selon une formule et que la collectivité assume les 20 p. 100 restants; pour plusieurs raisons, la formule risquait de ne pas refléter les coûts réels de l'exploitation de ces installations. Même lorsque le calcul était exact, les collectivités avaient du mal à trouver ces 20 p. 100. Elles devaient prendre des décisions difficiles pour trouver l'argent — en pigeant dans le budget pour l'éducation, le budget pour la vaccination ou tout autre budget.
Je suis ingénieur; dans cette profession, nous excellons à concevoir et à construire des choses. Il est plus difficile de se concentrer sur des programmes pour les gérer, les mettre en œuvre et les diriger, et c'est ce qu'il faut faire. Il est évident que si vous n'avez pas l'usine de traitement, vous ne pouvez pas faire le travail; cependant, vous devez concentrer davantage vos efforts sur le problème de l'exploitation et de l'entretien. Dans certains cas, des installations adéquates ont été construites, mais n'ont pas été très bien entretenues en raison des coûts. Comme nous l'avons indiqué dans le rapport, il y a là un problème que nous devons clairement régler dans le cadre de la solution globale.
M. Swain : Il convient de signaler que les collectivités dont nous parlons sont les collectivités où il est le plus difficile de régler le problème. Mon observation ne concerne absolument pas leur caractère autochtone, mais leur taille. Les très petites municipalités en Ontario ont beaucoup de mal à respecter les normes. Les petites collectivités éprouvent toutes sortes de difficultés pour deux raisons principales : d'une part, les économies d'échelle sont importantes dans le traitement de l'eau et des eaux usées, ce qui fait que le coût par habitant chutera radicalement avec l'augmentation de l'échelle du système; d'autre part, les faits donnent également à penser qu'une contamination microbiologique excessive, soit des problèmes sérieux de bactéries dans l'eau, est inversement proportionnelle à la taille du système, tout simplement en raison de la difficulté de trouver des gens formés et de l'équipement de pointe qui fonctionne de manière optimale dans une petite collectivité. C'est universel. L'Environmental Protection Agency des États-Unis dispose de toute une industrie qui travaille sur de petits réseaux d'alimentation en eau. Le Réseau canadien de l'eau travaille sur cette question.
L'aspect positif, c'est qu'un certain nombre de nouvelles technologies de traitement ont vu le jour au cours des 15 ou 20 dernières années et qu'elles commencent à être acceptées de plus en plus dans la pratique. Elles ne sont pas très sensibles aux économies d'échelle et, dans certains cas, ne sont pas très sensibles à la précision de l'opération. Par exemple, vous devez faire très attention à la quantité de chlore que vous ajoutez à l'eau, mais si vous avez utilisé trop d'ultraviolet, cela n'aura pas d'importance. Comme l'a dit un ingénieur, « vous ne pouvez pas trop irradier un germe ». Il y a des problèmes inéluctables qui sont liés à la taille des collectivités et au coût.
Cela nous ramène à l'argument du sénateur Gill concernant les possibilités de travailler avec nos voisins à trouver des solutions temporaires ou peut-être permanentes quelconque. Si les collectivités autochtones peuvent collaborer avec leurs voisins non autochtones et que, dans le processus, obtiennent des économies d'échelle plus importantes dans leurs opérations, alors la santé publique et l'économie des deux collectivités en tireront des avantages considérables. Parfois l'emplacement géographique nous empêche de le faire, surtout dans notre monde. Cependant, il existe de nombreuses possibilités qui n'ont pas été saisies. Cela rejoint ce que j'ai dit concernant les possibilités de collaboration intergouvernementale abondantes dans ce domaine.
Mme Abouchar : Je veux répondre aux observations du sénateur Gill au sujet du processus de réglementation et de la commission de l'eau. Je conviens que le processus de réglementation peut être long, mais l'une des options que nous avons examinées était d'élaborer une loi-cadre qui ne requiert pas que tous les détails soient précisés au départ. Elle établirait quelques éléments clés, tels que la possibilité que la commission de l'eau accomplisse plus de travail. Ensuite, une fois les textes législatifs élaborés, ces éléments peuvent devenir des règlements. Un tel processus n'a pas besoin d'être long ni d'être parfait dès le départ. L'expression « le mieux est l'ennemi du bien » le reflète bien. Vous pouvez commencer par quelque chose qui vous fait progresser tout en vous attaquant à tous les problèmes urgents sur le terrain et, rédiger le texte législatif au fur et à mesure de votre progression.
Au cours de ce processus, l'un des rôles de la commission de l'eau pourrait être d'aider à cerner le droit coutumier et de décrire comment il pourrait être intégré à la loi-cadre et aux règlements. Quand nous parlons de l'option d'avoir une loi fédérale, cette dernière n'a pas besoin d'être aussi importante que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, par exemple, qui s'est créée au fil des ans. Elle n'a pas besoin d'être aussi complexe dès le départ. Il existe des moyens efficaces de protéger l'environnement sans que le processus soit trop long.
Le président : Cette expression remarquable, « le mieux est l'ennemi du bien », devrait être étudiée attentivement par les gens à Ottawa.
Le sénateur Dyck : Dans votre exposé, vous avez dit que nous sommes déjà bien avancés dans les questions urgentes que sont la formation des opérateurs et l'investissement de capitaux, travail que nous devrons évidemment terminer. Je vous demanderais de nous en dire un peu plus long à ce sujet, surtout en ce qui a trait à la formation. Il est certainement plus difficile de former ou de garder en poste les opérateurs dans des collectivités plus petites et plus éloignées. Cela se rattache à un point présenté plus tôt au sujet des partenariats. Est-ce possible, compte tenu des installations en place, d'avoir une personne formée qui pourrait se déplacer d'une installation à une autre dans une région donnée pour desservir deux ou trois collectivités? Est-ce que ce serait une option viable? Y a-t-il des programmes qui sont à l'étude pour former expressément des Autochtones, bien que peut-être pas complètement? Y a-t-il un programme de transition qui permettrait de répondre aux besoins urgents et qui serait accompagné d'une formation en cours d'emploi pour terminer le programme?
M. Swain : Vos questions sont excellentes. Toutes les provinces offrent des programmes de formation sous différentes formes. Je crois que le MAINC paiera la majorité des frais pour que les opérateurs dans les réserves suivent ces cours. Évidemment, des difficultés se posent quand une petite collectivité n'a qu'un seul opérateur, car celui-ci ne peut pas prendre de congés ou de congé parental ou ne peut pas partir suivre un cours, car personne ne peut le remplacer durant ce temps. Que peut faire la collectivité? C'est l'un des problèmes inévitables des petites collectivités.
Vous avez parlé du problème de garder le personnel en poste une fois qu'il est formé. Il y a une pénurie de ces travailleurs qualifiés partout au pays et un opérateur bien formé titulaire d'un certificat de niveau deux peut être embauché rapidement et facilement dans bien des collectivités partout au pays. Comme vous l'avez dit, certaines des approches visant à corriger cette situation proposent qu'un seul opérateur gère de multiples usines au moyen de données de télémesure d'un système d'acquisition et de contrôle des données (SCADA). En effet, quelques entreprises sont prêtes à exploiter le système pour vous et embaucheront un nombre considérable d'Autochtones. Par exemple, l'une de ces entreprises a son siège social à Red Lake en Ontario et s'occupent d'un grand nombre de mines et de réserves dans le Nord-Ouest de l'Ontario.
Par ailleurs, il y a des organismes de services techniques des Premières nations connus sous le nom de Programme de formation itinérante. Par exemple, l'Ontario First Nations Technical Services Corporation située à Toronto envoie des travailleurs hautement qualifiés et bien formés dans les réserves pour offrir de la formation en cours d'emploi aux particuliers dans les collectivités et les aider à se préparer aux examens d'agrément. Ils corrigent les défaillances dans les systèmes durant leur visite de toute la région. C'est un moyen très utile de s'adapter au problème de la pénurie de main- d'œuvre.
Le sénateur Dyck : Y a-t-il une initiative dans le domaine de l'éducation menée sur le terrain, peut-être pour faire revivre le droit coutumier? Y a-t-il des indications que la collectivité s'est écartée de cela? Vous avez donné l'exemple de pouvoir se rendre au lac ou à la rivière avec un seau pour se procurer de l'eau potable. Si le droit coutumier était appliqué, j'ai l'impression que des interdictions seraient en place afin d'empêcher la contamination de cette eau pour qu'il soit sécuritaire d'en voire.
Des efforts sont-ils déployés en vue d'élaborer un programme pour que les membres de chaque collectivité puissent alors se retrouver dans ces lois mais en ayant des initiatives modernes en place? Les gens auraient alors un meilleur sens de la propriété et s'engageraient plus activement. Ils pourraient mettre en place un système qui intègre à la fois les méthodes nouvelles et anciennes utilisées pour protéger l'eau?
M. Swain : Tout à fait, cela pourrait se faire et je crois que c'est déjà en place dans certaines régions. Cependant, des difficultés se posent quand les sources de pollution ne sont pas apparentes. Par exemple, si une personne a une fosse septique ici et un lac là-bas et qu'elle ne peut pas voir les germes et le mouvement de l'eau souterraine, elle pourrait croire que l'eau du lac est sécuritaire. C'est pourquoi nous croyons que la réglementation dans le cas des réserves autochtones ne devrait pas s'arrêter aux réseaux d'alimentation en eau qui desservent cinq foyers ou ignorer les fosses septiques. Nous devrions examiner la question d'une manière plus complète que ne le font généralement les provinces.
Combiner cela avec les enseignements traditionnels de respect de la nature serait la meilleure solution parmi toutes celles qui ont été proposées et, à mon avis, il appartient à chacune des Premières nations de le faire. Ce n'est pas quelque chose qui viendrait d'ici.
M. Hrudey : Quelques-uns des témoins les plus passionnés que nous avons entendus l'été dernier — opérateurs d'usine de traitement de l'eau, et cetera. — nous ont dit qu'ils doivent prendre part à un processus d'éducation pour sensibiliser leur chef et leur conseil à l'importance de l'eau. Ce problème est en partie attribuable aux fonds d'exploitation, dont la collectivité doit payer 20 p. 100. Cette part n'est pas fournie partout et certaines collectivités ont plus de mal que d'autres de faire valoir l'idée que l'eau est importante.
Nous avons entendu dire qu'on a l'intention d'élaborer des processus d'éducation destinés aux chefs et aux conseils sur le procédé de traitement de l'eau mais, comme bien d'autres sujets dont nous avons discuté, c'est un microcosme de l'industrie de l'eau au Canada en général. Les opérateurs en traitement de l'eau occupent un poste de niveau très inférieur dans les gouvernements municipaux. Dans les petites collectivités, l'opérateur en traitement de l'eau sert également de préposé au ramassage des animaux, d'éboueur et d'homme à tout faire. Il a très peu d'influence auprès du conseil municipal. L'été dernier, on nous a dit que nous devons considérer les opérateurs en traitement de l'eau comme des professionnels de la santé publique. S'ils ne font pas bien leur travail, toute la collectivité pourrait être malade. Nous devons leur donner un rang et une valeur plus élevés au sein de leur collectivité.
Le sénateur Milne : Mon beau-frère et mes neveux ont une exploitation agricole le long du cours supérieur de la rivière Saugeen, sur laquelle est située la municipalité de Walkerton. Monsieur Swain, vous avez parlé d'une liste de contrôle se trouvant dans les annexes du rapport que notre comité pourrait utiliser comme référence pour juger tout projet de loi dont il est saisi. Je ne la vois pas. Je vois des notices biographiques; je vois votre mandat; et je vois une comparaison entre les provinces.
M. Swain : C'est dans le volume 2 du rapport — que vous n'avez pas, je crois.
Le président : Veuillez m'excuser, sénateurs. Nous allons mettre le volume 2 à la disposition des membres du comité.
Le président : J'ai grandi dans une collectivité métisse où un enfant est décédé de la typhoïde après avoir consommé l'eau de la rivière. La source d'eau avait été contaminée par une collectivité européenne située en amont qui déversait des eaux usées dans la rivière.
Y a-t-il un grand nombre de nos collectivités autochtones qui subissent les conséquences négatives de la contamination de leur source d'eau parce que des non-Autochtones, comme une industrie ou le grand public, déversent leurs eaux usées dans l'eau? Cela se produit encore à Victoria. C'est incroyable que nous déversions encore des eaux d'égout brutes dans l'eau libre.
De nombreuses campagnes ont été menées contre cette pratique. Tout le monde s'est présenté aux tribunes populaires en promettant des changements, mais plus cela change, plus c'est pareil.
Beaucoup d'Autochtones vivent très en aval des endroits où il y a des problèmes. D'après votre étude, qu'est-ce qui contribue à cette situation?
M. Swain : C'est une bonne question. Je ne suis pas sûr qu'une étude générale ait été réalisée sur le sujet. Il y a de nombreuses histoires de collectivités qui ont éprouvé des difficultés à cet égard. Akwesasne, par exemple, reçoit tout ce qui provient des Grands Lacs dans sa source d'approvisionnement en eau et, jusqu'à récemment, il y avait des problèmes avec les usines situées en amont. Évidemment, l'Ontario a connu la terrible tragédie de méthémoglobinémie à Grassy Narrows il y a de cela plusieurs années. Nous avons eu quelques cas épouvantables au Canada de pollution des sources d'eau dans les réserves.
De nos jours, le ministère des Affaires indiennes, en collaboration avec les Premières nations, évalue la sécurité générale de la source d'approvisionnement en eau, les minéraux qu'elle contient et les autres propriétés qu'elle possède avant de concevoir un système. Si la source d'approvisionnement en eau est de mauvaise qualité, il tentera de trouver une autre ressource. Il arrive parfois que nous ne puissions pas le faire. Pensons notamment à Yellow Quill en Saskatchewan, qui pompe son eau à 800 pieds sous terre dans une région très aride, car il n'y a pas suffisamment d'eau de surface; cette eau souterraine contient plus de minéraux que le fleuve Fraser. L'eau est de très mauvaise qualité. Comme solution, le ministère des Affaires indiennes et Yellow Quill ont conçu une usine de traitement de très haute technologie — en fait, c'est presque une usine d'osmose inverse — qui rend potable cette eau de mauvaise qualité.
Au cours des dernières années, les usines qui ont été construites ont tenu compte des problèmes liés à la source d'approvisionnement en eau et les ont réglés du mieux qu'elles le pouvaient dans le cadre du processus de traitement. Le processus de traitement sera conçu pour respecter les Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada. Dans notre pays, nous ne devrions plus avoir de cas comme celui du garçon qui est mort de la typhoïde. Je ne peux pas dire que de tels cas n'existent pas, mais ils doivent être assez rares maintenant.
M. Hrudey : C'est certainement vrai dans le cas de la typhoïde, et probablement du choléra aussi, maladies qui entraînent beaucoup de décès dans le tiers monde, selon les données de l'Organisation mondiale de la Santé. Cela dit, étant donné le très grand nombre d'habitants au pays et le grand nombre de gens œuvrant dans l'industrie et l'élevage du bétail, et cetera, rien ne garantit qu'il est sécuritaire de boire l'eau de surface directement d'une rivière ou d'un lac et ce, n'importe où au pays. La plupart des maladies transmises dans l'eau potable proviennent de déchets d'origine humaine et animale. C'est pourquoi nous devons avoir des systèmes de traitement pour assurer la sécurité.
Quelqu'un a fait observer que dans le bon vieux temps, nous pouvions boire l'eau de sources naturelles. Plus tôt, j'ai fait une analogie sur la sécurité. Vous pouvez probablement passer un feu rouge une dizaine de fois sans avoir d'accident, mais ce n'est pas très intelligent de le faire. C'est la même chose pour la consommation d'eau de surface non traitée.
Le sénateur Watt : Je vais poser des questions concernant le Nord. Nous avons un problème semblable à celui des collectivités des Premières nations, mais différent à plusieurs égards. Notre eau potable provient de lacs et est pompée dans des bassins de rétention dépourvus d'équipement de purification. À partir de ces bassins, l'eau est livrée par camion dans les foyers. Ces bassins de rétention doivent être nettoyés périodiquement. Vous avez parlé du chlore. Nous utilisons le chlore pour purifier l'eau. Nous nous demandons parfois si l'eau est potable.
À mon avis, bien des habitants de ma collectivité et du Nord sont morts à cause de l'eau potable. Je ne peux pas vous donner le nombre de personnes qui sont décédées. J'ai fait une étude financée par le Sénat sur le sujet. Cette étude remonte à plusieurs années maintenant parce que je suis ici depuis 23 ans. Des spécialistes de la santé ont fait une analyse et bon nombre d'entre eux ont refusé que leur nom figure sur le document. Quand j'ai soulevé la question de la santé, qui avait été étudiée, on m'a dit que les gens penseraient que je suis fou, malade. J'en suis venu à me demander si je devais divulguer l'information au public ou la garder pour moi. J'ai toujours cette information, mais je n'ai rien fait.
En plus des facteurs qui existent déjà, les changements climatiques ont d'importantes répercussions. Il y avait beaucoup d'équipement militaire dans l'Arctique en raison des deux lignes qui ont été établies durant la Seconde Guerre mondiale. Je sais exactement où ce matériel a été enfoui. Malheureusement, quand j'étais plus jeune, j'ai participé à leur enfouissement pour le compte de l'armée.
Aujourd'hui, le pergélisol fond rapidement. Des substances toxiques s'infiltrent dans l'eau souterraine que les gens utilisent comme eau potable.
Il faudra peut-être aborder ce problème séparément; je sais que le temps presse. À un moment donné, nous voudrons peut-être convoquer de nouveau les témoins pour qu'ils nous en disent plus long sur ce problème particulier. Comme toujours, nous avons des idées de solutions et les technologies existent.
Lorsqu'elle est en pays étranger et qu'elle est confrontée à des problèmes d'accès à l'eau potable, l'armée semble trouver moyen de purifier l'eau, aussi insalubre soit-elle. La technologie existe. Nous devons discuter de l'équipement existant qui pourrait être mis en place pour permettre aux gens d'avoir accès à de l'eau potable. On ne pourra jamais prendre l'eau directement d'un lac ou d'autres sources.
Le chlore n'est pas la solution. On en met dans l'eau partout au Canada et tout le monde utilise la même technologie. Il est temps de songer à de nouvelles technologies pour purifier l'eau et ce, même si c'est l'oxydation.
M. Swain : Il existe un certain nombre de technologies intéressantes qui pourraient être utiles à cet égard. Je suis conscient du problème.
Le sénateur Gill : La plupart des réserves sont desservies par un réseau d'aqueduc et d'égout central. Cependant, d'autres réserves ont un réseau d'aqueduc et un réseau d'égout placés côte à côte. À moins d'un miracle, nous n'aurons pas plus d'argent. On doit aussi informer ces gens de ce qu'ils doivent faire.
Le sénateur Hubley : Vous avez une affirmation intéressante dans votre conclusion :
Pour en venir à une solution définitive, il faudra que les Premières nations du Canada développent la capacité de conduire leur propre destinée économique.
Au cours de vos audiences, avez-vous entendu parler d'exemples de collectivités qui, après avoir atteint une certaine indépendance économique, ont pu concentrer leurs efforts sur des problèmes plus vastes auxquels elles sont confrontées?
M. Swain : Oui. Il y a de nombreux exemples, dont certains qui nous ont été donnés au cours de ces audiences et d'autres dont j'ai entendu parler autrement. Il ne fait aucun doute qu'une bonne croissance économique peut permettre à une collectivité d'élargir ses horizons et d'accomplir des choses remarquables. Les plus grandes difficultés se posent dans les collectivités éloignées de petite taille là où l'activité économique est inexistante et seul un mode de vie traditionnel existe peut-être. Ce mode de vie ne génère pas le genre de revenu que nous considérons normal au Canada.
Le président : Honorables sénateurs, notre dernière réunion sur l'eau potable aura lieu demain soir avec l'APN. Après cette réunion, nous voulons que vous étudiiez le rapport.
Monsieur Swain, monsieur Hrudey et madame Abouchar, merci. C'est injuste; nous aurions dû avoir plus de temps. Comme vous le savez, monsieur Swain, le temps est notre pire ennemi ici. Votre exposé était excellent et vos réponses étaient professionnelles. Vous nous avez été d'une aide précieuse.
Nous avons entamé cette étude pour la simple raison que nous voulions nous assurer que rien n'était laissé de côté et que tout allait bien. Je suis plus positif que jamais. Je ne parlerai pas au nom de mes collègues, mais je suis sûr qu'ils sont encouragés par le professionnalisme avec lequel vous avez abordé ce sujet particulier. Merci encore et nous espérons vous revoir prochainement.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.