Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 17 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 30 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-6, Loi modifiant la Loi sur la gestion des terres des premières nations, se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour en étudier la teneur.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur Gerry St. Germain de la Colombie-Britannique et j'ai le privilège de présider le comité.
Aujourd'hui, notre comité étudie le projet de loi S-6, Loi modifiant la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Permettez-moi d'abord de vous présenter certains des membres fort compétents qui siègent à notre comité. Je vais commencer par ma droite : le sénateur Larry Campbell de la Colombie-Britannique; le sénateur Robert Peterson de la Saskatchewan; le sénateur Charlie Watt du Nord du Québec; le sénateur Leonard Gustafson de la Saskatchewan. À ma gauche se trouvent le sénateur Sandra Lovelace Nicholas du Nouveau-Brunswick et, le dernier mais non le moindre, le très compétent sénateur Elizabeth Hubley de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le projet de loi S-6 modifiera la Loi sur la gestion des terres des premières nations de 1999 de manière à ce qu'elle tienne compte des notions propres au droit civil du Québec afin que les collectivités des Premières nations du Québec puissent participer à l'autre régime de gestion des terres proposé dans la loi.
Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous accueillons Mme Caroline Davis, sous-ministre adjointe des Services fonciers et fiduciaires, et M. Paul Fauteux, tous deux du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Peut- être que M. Fauteux pourra nous expliquer sa fonction au sein du ministère une fois que j'aurai présenté tout le monde.
Nous comptons aussi parmi nous M. Karl Jacques, avocat-conseil principal intérimaire au sein de la Section des opérations et des programmes de Justice Canada.
Nous sommes également heureux d'accueillir le chef Austin Bear du First Nations Land Advisory Board. Le chef Bear a travaillé au projet de loi C-49 en 1999, ce qui montre bien que nous nous penchons sur cette question depuis un bon bout de temps.
Souhaitons également la bienvenue au chef Denis Ross, du Conseil de la Première nation des Innus Essipit; je suis heureux de vous revoir, chef Ross.
Monsieur Fauteux, vous pourriez peut-être expliquer vos fonctions.
Paul Fauteux, directeur général, Direction générale des terres, Affaires indiennes et du Nord Canada : Avec plaisir. Je suis directeur général de la Direction générale des terres, qui fait partie du Secteur des services fonciers et fiduciaires du ministère. J'ai eu le privilège de témoigner devant le comité lors de la législature précédente, afin d'obtenir son appui à la Loi sur la gestion du pétrole et du gaz et des fonds des Premières nations et à la Loi sur le développement commercial et industriel des Premières nations.
Le président : Madame Davis, vous avez la parole.
Caroline Davis, sous-ministre adjointe, Services fonciers et fiduciaires, Affaires indiennes et du Nord Canada : Bonsoir, chers sénateurs. Je propose que le chef Austin Bear soit le premier à parler, si cela vous convient.
Le président : Certainement.
Chef Austin Bear, First Nations Land Advisory Board : Tout d'abord, j'aimerais saluer les honorables sénateurs et les invités distingués qui assistent ce soir à cette audience.
Je suis très heureux de témoigner devant le comité ce soir, pour le compte du First Nations Land Advisory Board qui représente les Premières nations qui sont parties prenantes à l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations. Je suis président du Comité des finances de notre conseil et je parle ce soir au nom du chef Robert Louie, président du First Nations Land Advisory Board, au nom des autres membres de la direction ainsi qu'au nom des Premières nations que nous représentons.
Ce soir, je vous parle également à titre de chef de la Première nation de Muskoday, en Saskatchewan. Nous étions l'une des trois premières Premières nations à avoir ratifié l'accord-cadre. En fait, nous l'avons fait avant même que le Parlement ne le ratifie par l'adoption de la Loi sur la gestion des terres des premières nations en juin 1999. La Première nation de Muskoday gère les terres et les ressources dans sa réserve en vertu de ses propres lois foncières depuis janvier 2000, il y a plus de sept ans.
Ce soir, nous prenons la parole pour appuyer le projet de loi S-6, qui incorpore à la loi les modifications bijuridiques que nous avons apportées à l'accord-cadre.
Permettez-moi de vous expliquer un peu pourquoi nous appuyons le projet de loi S-6. Je vous ferai aussi un petit rappel historique
Lorsque les 14 Premières nations ont signé avec le Canada l'accord-cadre sous forme d'un accord de gouvernement à gouvernement en 1996, seuls les 14 signataires pouvaient saisir l'occasion de gérer leurs terres selon les modalités de l'accord-cadre qui, à l'époque, ne visait pas les autres Premières nations. Voilà pourquoi l'accord-cadre n'exprimait que des concepts de common law.
Aucune Première nation du Québec ne figurait parmi les 14 signataires initiaux. Tant et aussi longtemps que sa portée était réservée au groupe initial, l'accord-cadre ne pouvait s'appliquer à aucune Première nation du Québec ou de toute autre province ne faisant pas partie des signataires initiaux de l'accord.
L'accord-cadre a évolué au fil des ans. Entre 1996 et 1999, les chefs l'ont modifié à deux reprises et trois Premières nations — dont la mienne — l'ont ratifié par une approbation communautaire de leurs propres codes fonciers.
Toutefois, nos codes ne pouvaient entrer en vigueur tant que le Canada ne remplissait pas son engagement de ratifier à son tour l'accord-cadre. Cela s'est fait par l'adoption de la Loi sur la gestion des terres des premières nations en juin 1999. Vous remarquerez, honorables sénateurs, que, d'après son objet et son libellé, cette loi prévoyait la ratification de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations et visait sa prise d'effet.
Après la ratification par les deux parties, la Première nation de Muskoday a été en mesure de proclamer l'entrée en vigueur de notre code foncier. C'est ce que nous avons fait au début du nouveau siècle. À ce stade-là, l'accord-cadre avait fait l'objet d'un examen et on avait entamé des discussions sur la possibilité d'étendre sa portée à d'autres Premières nations.
En prévision de cet élargissement de la portée, l'accord-cadre a été modifié une fois de plus en 2001 afin de faciliter l'ajout de nouvelles parties et d'aborder le fait que nous allions avoir bien plus que les 14 Premières nations signataires en l'espace de quelques années. Si vous faites le compte, c'est la troisième fois que l'accord-cadre fut modifié.
Au bout du compte, l'accord-cadre s'est appliqué à d'autres Premières nations en 2002-2003, ce qui portait à 30 le nombre total de parties; depuis, ce chiffre est passé à 47 Premières nations, parmi lesquelles 17 fonctionnent en vertu de leurs propres codes fonciers. À ce jour, 18 Premières nations sont fonctionnelles à ce chapitre; la Première nation de Burrard en Colombie-Britannique a récemment ratifié son code foncier. Mais je brûle un peu des étapes.
C'est aussi en 2003 que le Land Advisory Board a proposé une autre modification à l'accord-cadre en vue d'ajouter la terminologie bijuridique pour que le processus devienne plus accessible aux Premières nations du Québec. Aux termes de discussions de longue haleine, le Canada a convenu, en 2006, de négocier une modification bijuridique; cette négociation a porté fruit.
C'est ainsi que la quatrième modification est aujourd'hui en place. Entre-temps, nos amis et collègues d'Essipit ont également signé l'accord-cadre. Nous leur souhaitons la bienvenue, comme nous l'avons fait officiellement durant nos propres séances.
Le projet de loi S-6 permet d'harmoniser la Loi sur la gestion des terres des premières nations avec l'accord-cadre. Si l'on regarde le texte du sommaire qui se trouve dans la version imprimée du projet de loi, on peut lire ce qui suit :
Le texte modifie la Loi sur la gestion des terres des premières nations pour qu'elle tienne compte, dans la mesure prévue par l'accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations, des concepts et de la terminologie propres au droit civil de la province de Québec.
Pour les Premières nations qui sont parties à l'accord-cadre, le projet de loi S-6 marque un pas de plus vers la confirmation et l'engagement du Canada à l'égard de l'accord-cadre. Il s'agit d'un véritable accord national, qui est accessible de façon égale à toutes les Premières nations qui, dans toutes les provinces, en deviennent signataires. Cela fait partie intégrante de notre vision de l'accord-cadre et nous encourageons le comité et le Sénat à voter en faveur du projet de loi S-6.
Nous profitons de cette occasion pour vous remercier de votre vision et de votre engagement.
[Français]
Chef Denis Ross, Conseil de la Première nation des Innus Essipit : Monsieur le président, je suis heureux d'être ici ce soir. Comme vous l'avez dit, je suis le chef de la Première nation des Innus Essipit. Il me fait plaisir de me joindre au chef Bear et à Mme Davis pour vous entretenir du projet d'amendement de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations.
D'abord, l'accord cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations permet aux Premières nations qui le désirent de se soustraire aux dispositions de la Loi sur les indiens en ce qui a trait à la gestion des terres de réserve. Par la même occasion, ils peuvent se doter d'outils modernes de gouvernance pour gérer leurs terres et leurs ressources.
Cet accord-cadre, signé en 1996 par 14 Premières nations comme le disait le chef Bear tout à l'heure, accordait un plus grand contrôle de leurs terres et de leurs ressources. Ils ont décidé d'établir une relation de gouvernement à gouvernement avec le Canada en signant l'accord-cadre. À ce moment, aucune nation du Québec n'avait manifesté d'intérêt à faire partie de ce groupe. C'est en 2004 que, pour la première fois, une Première nation du Québec, Essipit, manifestait son intérêt à se prévaloir de cette initiative. Sur la recommandation du conseil consultatif en 2005, le ministre a accepté en 2006 que la nation Essipit puisse se joindre à l'accord-cadre. Puisqu'à l'époque aucune Première nation du Québec n'avait manifesté d'intérêt vis-à-vis l'accord-cadre, la loi qui entérinait en 1999 l'accord-cadre de 1996 a été élaborée en utilisant seulement les concepts juridiques et la terminologie de la common law. Le LAB et le Canada ont convenu en 2006 de modifier l'accord-cadre pour y incorporer une terminologie et des concepts de droits civils, c'est-à-dire de le rendre bijuridique. Cette approche rendait ainsi l'accord plus accessible aux Premières nations du Québec.
L'amendement no 4 signé en 2007 a donc rendu l'accord-cadre bijuridique. La prochaine étape consistait à incorporer dans la loi les mêmes concepts et c'est la raison pour laquelle nous sommes devant vous ce soir.
Avec l'accord-cadre, le Canada travaille en partenariat avec les Premières nations, dont la nation Essipit, en les appuyant dans leur transition de la Loi sur les indiens vers le contrôle par leur communauté de la gestion de leurs propres terres et ressources.
Cette initiative est conforme à l'engagement du gouvernement de changer les structures actuelles et d'élaborer en partenariat des accords modernes qui donneront au gouvernement des Premières nations la capacité d'effectuer des changements positifs et de longue durée au sein de leur collectivité.
Dans ce contexte, il est également important de faciliter pour les Premières nations du Québec, l'accès à l'accord- cadre leur permettant ainsi de gérer leurs propres terres et leurs ressources.
Le projet de loi qui en résulte constitue par la même occasion un solide pas en avant pour le gouvernement fédéral dans le cadre du suivi au Forum socio-économique des Premières nations du Québec qui s'est tenu à Mashteuiatsh au mois de novembre 2006. Il est important de souligner que plusieurs Premières nations du Québec surveillent avec grand intérêt le processus en cours et l'adhésion de la nation Essipit à l'accord-cadre pourrait les encourager à faire de même.
Alors que la Première nation des Innus d'Essipit se voyait imposer depuis plus d'un siècle les structures politiques, sociales et économiques de la société majoritaire, elle a su se relever et énoncer sa propre vision quant à ses objectifs et à l'avenir de ses jeunes.
Au début des années 1980, avec à sa tête un conseil axé vers le partage du patrimoine collectif dans une perspective d'amélioration du mieux-être de ses membres, la nation Essipit s'est donc engagée sur la voie du développement.
Ce développement est survenu dans des domaines propices au maintien et à l'évolution des valeurs traditionnelles, et ce, en fonction des considérations suivantes : affirmation de la culture et des activités traditionnelles, reconnaissance et défense des droits ancestraux, reconnaissance et défense du patrimoine naturel et de l'environnement, partage des expériences et des connaissances, maintien du lien intrinsèque avec la terre et enfin, utilisation des richesses naturelles dans un contexte de développement durable.
Au cours des 30 dernières années, Essipit s'est doté de divers bâtiments, installations et équipements dont les fonctions sont d'assurer des services à la communauté et de procurer du travail à ses membres.
C'est ainsi que sur le territoire de la réserve appelé Innu Assi, on trouve, entre autres bâtiments, un centre administratif et de santé, un centre de la petite enfance, une maison pour les aînés, 32 unités de logement locatifs, un centre communautaire et une foule d'installations accessibles à la population, dont un dépanneur, une piscine, une patinoire extérieure et plusieurs terrains de jeu, des sentiers pédestres et d'autres installations.
Sur ce même territoire, on trouve également des installations de nature récréo-touristique où travaillent plusieurs de nos membres. Parmi celles-ci, notons un terrain de camping, 32 unités de condo, des chalets de location, un atelier et une boutique d'artisanat, et cetera.
Outre ces installations situées sur réserve, on en trouve aussi d'autres situées hors réserve sur le territoire traditionnel du nitassinan, soit six pourvoiries, deux terrains de camping, un garage d'entretien mécanique, une poissonnerie ainsi que des équipements de type pneumatique pour les croisières aux baleines et deux bateaux de pêche de type crabier.
La majorité des actifs d'Essipit est cependant située en Innu Assi, c'est-à-dire sur la réserve qui mesure à peine 0,8 km2 .
Selon les édits de la Loi sur les indiens, ces actifs ne peuvent être offerts en garantie à une banque ou à une société financière, le tout n'étant transférable que d'Autochtone à Autochtone.
L'accession d'Essipit au régime de gestion des terres de Premières nations va permettre à la communauté de secouer en partie ce joug que constitue la Loi sur les indiens. En effet, les dispositions sur la gestion des terres comprises dans ladite loi cesseront de s'appliquer à Essipit lorsqu'elle se sera prévalue de l'accord-cadre.
Pour nous l'avantage d'un tel régime réside en ce qu'il constitue une étape importante sur la voie de notre autonomie.
Essipit est en effet engagé avec deux autres Premières nations innu membres du Conseil tribal Mamuitun Mak Nutakuan dans des négociations tripartites avec les gouvernements canadiens et québécois en vue de la signature d'un traité sur des revendications territoriales globales. Il s'agit d'une démarche entreprise il y a plus de 20 ans, ayant débouché en mars 2004 sur la signature d'une entente de principe d'ordre général qui constitue la base des présentes négociations.
Les différentes mesures de développement économique initiées par Essipit au cours des 30 dernières années ont clairement démontré que c'est en exerçant ses compétences qu'on acquiert le plus de crédibilité vers ses partenaires et bailleurs de fonds. Il en va de même dans le cas de l'accord-cadre qui va permettre à Essipit de développer diverses expertises administratives dans un contexte de gestion de ses propres terres de réserve.
Lorsqu'à la signature d'un traité, Essipit acquerra l'ensemble des outils de gouvernance nécessaires à sa survie et son épanouissement dans la fédération canadienne, cette expertise acquise sous l'égide du régime de gestion des terres sera essentielle au bon déroulement des mesures de transition d'un gouvernement à l'autre.
C'est pourquoi nous appuyons le projet d'amendement à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations résultant des modifications apportées à l'accord-cadre, en évoquant les principes suivants :
La bijudiciarisation de l'accord-cadre qui, par conséquent, facilite pour Essipit et pour les Premières nations du Québec, l'accès au régime de gestion des terres des Premières nations.
La Loi sur la gestion des terres des Premières nations et l'accord-cadre reconnaissent de façon pratique et factuelle la gouvernance des Premières nations sur leurs propres territoires.
Dans le lent cheminement vers l'autonomie que nous avons entrepris avec d'autres communautés innu, ce régime nous procure un outil efficace de planification à long terme.
Sous ce régime, personne ne pourra contester notre droit de gestion sur un espace assujetti à un code foncier issu de la communauté elle-même.
L'acquisition de ces nouveaux pouvoirs n'aura aucun effet sur le titre aborigène et sur les revendications autochtones et ne pourra en rien entraver les négociations tripartites ayant présentement cours.
Ce régime va réduire les tracasseries juridiques et administratives souvent alimentées par des intérêts politiques régionaux visant à mettre un frein aux volontés légitimes de développement et d'émancipation des Premières nations.
Alors que les générations précédentes ont souffert de n'avoir aucune emprise sur leur avenir, ce régime va permettre à nos jeunes de participer à l'instauration d'un processus décisionnel et d'un mode de développement fondé sur un contrôle élargi de leurs destinées.
Dans un monde où il ne faudra plus demander la permission pour chaque aménagement et chaque ajout aux structures existantes, l'exécution des projets sera plus rapide et plus facile.
Ce régime va nous permettre d'envisager l'exécution accélérée et efficace de certains projets de nature structurante tels : les réparations et les ajouts aux infrastructures existantes, les aménagements communautaires — maisons des aînés, maisons des jeunes, et cetera — et l'amélioration des installations récréo-touristiques déjà en place sur notre Innu Assi.
Pour toutes ces raisons, et pour l'avenir de nos enfants, je demande au Sénat canadien de bien vouloir appuyer le projet de loi S-6, qui modifie la Loi sur la gestion des terres des Premières nations et d'y incorporer les modifications déjà agréées entre les Premières nations et le Canada afin de faciliter l'adhésion des Premières nations du Québec à l'accord-cadre, si celles-ci désirent s'en prévaloir.
[Traduction]
Caroline Davis, sous-ministre adjointe, Services fonciers et fiduciaires, Affaires indiennes et du Nord Canada : Merci beaucoup de nous avoir invités. Nous sommes heureux de témoigner devant le comité pour examiner le projet de loi S- 6.
Je suis accompagnée de M. Paul Fauteux, directeur général, Direction générale des terres, ainsi que de M. Paul Landry, directeur des Projets législatifs, de M. Garry Best, directeur de la Gestion des terres des Premières nations — le programme qui se rattache à ce projet de loi — et de M. Karl Jacques des services juridiques ministériels. Nous essaierons de répondre à vos questions.
Pour gagner du temps, je pourrais peut-être déposer mes observations et passer à vos questions. Mes observations portent surtout sur le potentiel que laisse augurer cette initiative au chapitre du développement économique et sur la relation étroite qui se dégage avec le travail fort utile accompli par votre comité dans le cadre de son rapport intitulé Partager la prospérité du Canada — Un coup de main, pas la charité. Nous jugeons que cette initiative vient appuyer ce rapport.
Comme je l'ai dit, pour gagner du temps, je pourrais proposer de déposer mes observations.
Le président : Sénateurs, êtes-vous prêts à passer aux questions?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci, madame Davis, d'avoir amené vos experts avec vous. Si l'on vous pose des questions détaillées, vous aurez sûrement du renfort, ce qui est bien.
Le sénateur Peterson : Tout d'abord, en ce qui concerne la gestion des terres, si j'ai bien compris, toutes les modifications dont nous parlons sont de nature technique.
Chef Ross, dans votre plan d'utilisation des terres, vous avez dit que vous deviez obtenir l'approbation de la majorité, je présume, des membres de la réserve. Faut-il obtenir d'autres approbations ou s'agit-il de la seule? Cela se passe-t-il uniquement à l'intérieur de la bande ou devez-vous faire approuver vos plans par, disons, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien?
[Français]
M. Ross : Non. Si la loi est adoptée, il est certain que l'approbation de la population sera requise. On a déjà commencé à en discuter avec les membres de la communauté. Présentement, la démarche est entreprise, mais je pense que ce sont les membres de la communauté qui vont décider si le code foncier s'applique.
Le président : À l'heure actuelle, vous n'avez pas l'appui de la réserve, n'est-ce pas?
M. Ross : Il est certain qu'on va avoir l'appui de la population, mais avant, il faut savoir si la modification à la loi sera adoptée. Cela ne sert à rien de faire la démarche si la loi n'est pas adoptée.
[Traduction]
Le président : Ils n'ont pas l'approbation.
Le sénateur Peterson : Je comprends ce point, mais y a-t-il une approbation de plus à obtenir? Si les membres de la bande donnent leur approbation, le ministère n'a pas besoin de donner la sienne?
Mme Davis : Non.
Le sénateur Peterson : Bien, c'est ce que je voulais savoir.
Chef Bear, en ce qui concerne l'avenir de cet accord, y a-t-il actuellement une liste d'attente de Premières nations qui sont intéressées?
M. Bear : Oui, beaucoup de Premières nations à l'échelle du pays nous ont fait part de leur intérêt. Dans le cadre du processus, une Première nation doit d'abord manifester son intérêt par écrit, généralement au moyen d'une résolution du conseil de la bande, après quoi la Première nation est placée sur la liste.
Le Land Advisory Board formule des recommandations au ministre et lui indique quelle Première nation, dans quelle région, signera l'accord-cadre et quand elle fera partie du processus. Oui, nous avons une liste d'attente de Premières nations.
Le sénateur Peterson : Si une Première nation est la dernière sur la liste, combien de temps lui faudrait-il, grosso modo, pour devenir partie prenante?
M. Bear : À l'heure actuelle, nous utilisons ce que nous appelons une approche « par tranche de 30 » Premières nations sur la liste. À mesure qu'une Première nation passe au vote et obtient un vote positif, elle est rayée de la liste, ce qui libère une place pour une autre Première nation dans une région particulière.
Si, pour une raison quelconque, une Première nation décide de ne pas donner suite immédiatement à ses démarches, elle est « mise de côté ». C'est le terme que nous utilisons. Et une autre Première nation peut la remplacer dans une région particulière.
Le sénateur Lovelace Nicholas : La collectivité mohawk de Kahnawake est-elle toujours intéressée à appuyer ce projet de loi?
M. Fauteux : Non, la collectivité mohawk de Kahnawake a examiné en détail l'accord-cadre et en a discuté avec le Land Advisory Board et le ministère. Elle a conclu qu'elle voulait poursuivre ses propres négociations sur la gestion foncière avec le ministère, hors du contexte de l'accord-cadre.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Toutes les collectivités au Québec ont-elles appuyé ce projet de loi? Dans le cas contraire, pourquoi?
Mme Davis : Nous travaillons à ce projet de loi en collaboration très étroite avec la Première nation des Innus Essipit, car elle a manifesté un vif intérêt. Une fois que le projet de loi sera adopté, si c'est ce que souhaitent les sénateurs, et une fois qu'il entrera en vigueur, toutes les Premières nations au Québec seront admissibles à utiliser le processus.
[Français]
M. Ross : Je tiens à dire qu'on a déjà rencontré l'Assemblée des Premières nations pour les informer de la démarche qu'on avait entreprise avec le conseil consultatif et il y a des communautés qui se sont déjà montrées intéressées à cette démarche.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : J'appuie de tout cœur ce projet de loi. Je suis un ancien maire de Vancouver. Notre région comptait les Premières nations de Burrard, de Musqueam et de Squamish, sans oublier les collectivités dans le district régional du Grand Vancouver. Ce qui m'a toujours préoccupé, c'est que nous ne semblions jamais capables de dialoguer avec ces Premières nations à cause des difficultés qu'elles avaient. Je suis particulièrement heureux d'apprendre la nouvelle au sujet de Burrard et j'appellerai dès demain le chef Leonard George pour le féliciter.
Ma question concerne le Québec. Quelles sont la nature et la portée des discussions engagées avec le secrétariat du Québec relativement à ce projet de loi? Est-ce que celui-ci est en faveur et est-ce que tout va bon train de son côté?
Mme Davis : À ma connaissance, le secrétariat du Québec a effectivement été consulté et il est en faveur.
Le sénateur Campbell : Quelle a été la nature des discussions en ce qui concerne la propriété provinciale des terres de réserve au Québec?
Mme Davis : Les terres de réserve sont la propriété de Sa Majesté du chef du Canada, plutôt que des provinces.
Le sénateur Campbell : Il n'y en a donc aucune?
Mme Davis : Non. Il va de soi que les provinces interviennent lorsqu'il y a un ajout à des terres de réserve. Les terres de la province sont transférées à la Couronne, généralement au moyen d'un décret adopté par la province. Nous prenons un autre décret pour ajouter les terres à la réserve.
Le sénateur Campbell : Ce processus se ferait donc entre les gouvernements fédéral et provinciaux, puis les terres seraient cédées à la Première nation.
Mme Davis : Oui.
Le sénateur Hubley : Madame Davis, vous avez dit que vous travaillez étroitement avec les collectivités des Innus Essipit en vue d'établir un cadre. Le cadre sera-t-il assez large et assez flexible pour englober les besoins des autres collectivités au Québec?
Mme Davis : Absolument. Les modifications que nous proposons à la loi sont, comme on l'a mentionné, de nature assez technique et elles portent surtout sur la différence entre la common law et le Code civil du Québec. Toute Première nation au Québec qui compte une réserve intéressée à se joindre à l'initiative et à travailler avec le chef Bear et ses conseillers, peut le faire sans difficulté.
Le président : C'est le sénateur Gill qui m'a d'abord parlé de cette préoccupation lors d'une séance antérieure dans le cadre de laquelle le chef Ross avait fait un excellent exposé, tout comme ce soir. Il nous avait montré un extrait vidéo sur les progrès réalisés. C'est très encourageant. Grâce à ces progrès, sa collectivité pourra prendre en main son avenir et son développement économique, ce qui contribuera à son épanouissement, on l'espère.
Chef Bear, nous avions commencé par 14 groupes en 1999. Je suis sûr que vous vous en souvenez comme si c'était hier. Y a-t-il eu des problèmes avec diverses Premières nations qui ont opté en faveur de la Loi sur la gestion des terres des premières nations? Feriez-vous certaines choses différemment ou jugez-vous que le tout s'est bien déroulé?
M. Bear : Cela s'est bien déroulé, en grande partie. Le Land Advisory Board s'est penché sur les questions et les préoccupations, de concert avec ses partenaires au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Nous avons dû aborder et régler les questions liées aux problèmes dont on a hérité, aux délimitations territoriales et aux évaluations environnementales des sites. Ces questions font partie de la réalité, et il aurait fallu les aborder de toute façon.
Nous avons constaté que le tout s'est déroulé sans trop de difficultés pour la plupart des Premières nations. Les échéances et les exigences établies dans les budgets affectés au processus de développement ont été respectées. Cet aspect a assez bien fonctionné. Comme pour toute nouveauté, nous avons dû prendre en considération les questions soulevées en cours de route.
Relativement aux Premières nations qui deviennent fonctionnelles et qui sortent de la phase de développement, je ne crois pas qu'il y ait une seule Première nation au Canada qui puisse dire aujourd'hui ou demain : « Nous allons renoncer à notre code foncier et à l'Accord-cadre sur la gestion des terres des premières nations, et nous sommes prêts dès demain à retourner à la Loi sur les Indiens. » Vous n'en trouverez pas une, monsieur le président.
Le président : Chef, vous avez répondu à la question. Veuillez faire part de nos salutations distinguées au chef Robert Louie. Quel est son titre officiel?
M. Bear : Il est président du First Nations Land Advisory Board.
Le président : Je remercie tout le monde pour l'excellent travail que vous faites. La participation à ce processus sous l'ancien gouvernement s'est avérée très encourageante. Ce processus semble avoir très bien fonctionné, et je vous en félicite.
Il s'agit d'un projet de loi assez technique, un domaine de spécialité pour les avocats et les experts constitutionnels. Je crois que vous avez répondu aux questions des sénateurs.
S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier les témoins d'être venus ici ce soir. J'aimerais passer à l'étude article par article immédiatement pour permettre au chef Ross de placer sa collectivité sur la route du progrès.
Êtes-vous d'accord que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi S-6, Loi modifiant la Loi sur la gestion des terres des premières nations?
Des voix : D'accord.
Le président : Le titre est-il réservé?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Les articles 1 à 6 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le président : Adoptés.
Les articles 7 à 13 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le président : Adoptés.
Les articles 14 à 19 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le président : Adoptés.
Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Le projet de loi est-il adopté sans amendement?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Dois-je faire rapport du projet de loi à la prochaine séance du Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
J'aimerais remercier tout le monde d'avoir accéléré l'étude de ce projet de loi important. À bien des égards, il s'agit d'un projet de loi d'ordre administratif, mais c'était important que nous l'adoptions pour que toutes les Premières nations dans l'ensemble du pays puissent être assujetties à la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Il s'agit d'une démarche positive qui favorisera la prospérité, démarche pour laquelle les Premières nations ont fait preuve d'un leadership réel.
La séance est levée.