Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 3 - Témoignages du 6 juin 2006


OTTAWA, le mardi 6 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 2, pour examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte.

C'est avec beaucoup de plaisir que nous accueillons aujourd'hui le ministre du Commerce international, l'honorable David Emerson. Il est accompagné de John Gero. Le ministre peut nous accorder une heure. M. Gero a indiqué que, si nous le souhaitons et, naturellement, si c'est aussi le souhait du ministre, il peut demeurer à notre disposition plus longtemps, ce qui convient parfaitement au comité.

À l'intention de nos téléspectateurs, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'objet de nos discussions aujourd'hui. Le comité examine des questions relatives au commerce international qui touchent à la fois l'agriculture et les forêts au Canada. Comme pas mal tous le savent s'ils suivent un tant soit peu l'actualité, le Canada est une nation commerçante. Chaque année, il exporte pour plus de 44,6 milliards de dollars de produits forestiers et pour plus de 25 milliards de dollars de produits agroalimentaires.

Nous sommes le quatrième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires et nous nous classons au cinquième rang des importations. Nos secteurs agricole et forestier ne pourraient faire l'apport qu'ils font à notre société sans le commerce international. C'est pourquoi la série actuelle de négociations qui a lieu à l'Organisation mondiale du commerce et le récent accord-cadre signé avec les États-Unis en matière de bois d'œuvre résineux ont tant d'importance pour le Canada rural.

Une nouvelle entente de l'OMC en matière d'agriculture entraînera peut-être une baisse des subventions agricoles — je rêve peut-être en couleurs — aux États-Unis et au sein de l'Union européenne, ce qui élargirait l'accès aux marchés des exportateurs canadiens. Néanmoins, les produits dont l'offre est gérée au Canada, comme les produits laitiers et les produits de volaille, de même que l'avenir de la Commission canadienne du blé, sont en jeu. Monsieur le ministre, vous avez beaucoup de pain sur la planche.

J'aimerais aussi demander aux membres du comité d'être brefs lorsqu'ils posent des questions. Monsieur Emerson, vous pouvez parler aussi vite que vous le souhaitez quand vous répondez aux questions de manière à ce que nous puissions couvrir le plus de terrain possible. Cela étant dit, j'aimerais demander au sénateur Gustafson, notre vice- président, d'entamer la période de questions, suivi du sénateur Peterson.

Monsieur le ministre, si vous voulez bien.

L'honorable David Emerson, C.P., député, ministre du Commerce international : Merci, madame la présidente. J'ai cru bon de ne pas faire de déclaration liminaire, parce que j'aimerais que le comité ait le plus de temps possible pour me poser des questions. Le texte de ma déclaration a été déposé, de sorte qu'il peut faire partie du compte rendu officiel. J'estime ainsi pouvoir tenir compte avec plus d'efficacité des priorités et des intérêts des honorables sénateurs.

Le sénateur Gustafson : Je suis heureux de vous rencontrer ici aujourd'hui. Il me tardait de rencontrer quelqu'un du domaine du commerce. Je fais partie du secteur agricole depuis 27 ans, depuis peut-être trop longtemps, mais nous avons entendu les mêmes propos de la part des gouvernements qui vous ont précédé durant ces années. Nous allons nous efforcer d'obtenir que les États-Unis et l'Union européenne cessent de subventionner leurs industries mais, pour être très franc, je ne crois pas que cela se produira parce qu'ils semblent avoir adopté la voie contraire. Les Européens affirment que leurs agriculteurs connaissent la famine et ne toléreront pas l'abolition des subventions. Les Américains, eux, se tournent rapidement vers la même solution.

Il s'agit là d'un grave problème mondial. Comment allons-nous régler la question des subventions dans le secteur agricole canadien?

M. Emerson : Honorable sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette excellente question. Mon collègue, qui se trouve à ma droite, est celui qui nage jusqu'au cou dans ces eaux. C'est un problème épineux.

Comme vous le savez, le cycle de Doha se dirige rapidement vers sa conclusion. Nous avons projeté de tenir une rencontre ministérielle vers la fin juin, de sorte qu'on s'efforce de fixer les modalités détaillées, comme on les qualifie, dans le dossier de l'accès aux marchés de produits à la fois agricoles et non agricoles.

Comme vous l'avez probablement lu dans les journaux, les Européens ont quelque peu modifié leur position, manifestant une certaine volonté à faire un peu plus de concessions. La balle est de retour dans le camp des Américains. Nous verrons si le genre de franchise dont a fait preuve le représentant commercial des États-Unis, M. Portman, est perpétué par son successeur, l'ambassadrice Schwab. Cette dame est intelligente et fort capable. Il reste à savoir si elle aura l'appui politique voulu pour faire évoluer le dossier.

Il faut convaincre les Européens et les Américains de modifier leur position. Les grandes économies en développement que sont le Brésil et l'Inde refusent d'élargir l'accès à leur marché des produits non agricoles tant qu'ils n'auront pas obtenu ce qu'ils désirent pour le secteur agricole. La situation demeure très fragile. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. La situation est tout simplement fort précaire.

Le Canada maintient un équilibre difficile entre les secteurs dont l'offre est gérée et qu'il a juré de protéger, et l'importante industrie agricole axée sur les exportations. Ce secteur prévoit une croissance du marché des exportations et tient vivement à obtenir une véritable libéralisation.

Le gouvernement et le Parlement du Canada ont adopté pour principe qu'il ne faut faire aucune concession majeure dans les secteurs dont l'offre est gérée. Nous nous faisons de notre mieux pour assurer la santé future de ces secteurs, mais simultanément, nous reconnaissons que nous n'avons pas intérêt à nous retirer de l'Organisation mondiale du commerce.

Nous en sommes au point où il faut soit nous battre pour notre industrie et pour obtenir les meilleurs gains offensifs et défensifs, soit laisser à d'autres le soin de veiller à leurs intérêts et accepter le résultat final. Nos négociateurs sont à la table et prêts à livrer bataille.

Nos négociateurs commerciaux sont des personnes très respectées par les autres pays et ils participent intensivement à divers groupes pour essayer de nous sortir d'une impasse extrêmement pénible, bien que je n'aille pas jusqu'à dire que nous sommes le pays déterminant quant à l'issue de cette négociation.

Le sénateur Gustafson : Je suis sûr que vous savez que les Américains viennent de connaître les trois meilleures années d'agriculture de toute leur histoire, alors que le Canada a peut-être vécu les trois pires. Hier seulement, Statistique Canada a annoncé que l'économie agricole avait ralenti de quelque 7 p. 100. Je vous remercie de tant travailler aux intérêts du secteur.

Le sénateur Peterson : Nous nous rapprochons d'un accord dans le dossier du bois d'oeuvre résineux. Il existe de nombreuses exclusions, comme les entreprises de la région atlantique et des territoires canadiens. De ces 32 entreprises, je me demande combien il en reste. Il faut que ce soit surtout des entreprises de la Colombie-Britannique. Nous pourrions peut-être en parler pour quelques instants.

Ma source de préoccupation est le mécanisme qui est déclenché quand le prix du bois d'oeuvre baisse en deçà de 3,55 $ par mille pieds-planche, ce prix étant dicté, je suppose, par le marché de la construction. Quelle est la possibilité que le prix atteigne ce niveau bientôt? S'il l'atteint, quels sont les effets? Les chances que cela se produise semblent bonnes. Devrions-nous nous préparer à faire l'objet d'autres dispositions punitives qui seraient déclenchées aux termes de l'accord?

Il est plutôt malheureux que cinq milliards de dollars aient été versés à l'industrie américaine. Il doit y avoir un moyen pour nous d'au moins contrôler cet argent d'ici. Nous ne leur verserions pas 500 millions de dollars pour les dédommager de leurs frais juridiques parce que je suis sûr que nous avons, de notre côté, assumé des frais juridiques dans le processus de négociation de l'accord.

Il doit y avoir un moyen d'établir une structure grâce à laquelle nous pourrions prélever ces frais et en disposer, si cela devait se produire. Les chances que cela se produise semblent bonnes.

M. Emerson : Nous sommes en train d'examiner des options qui nous permettraient d'accélérer la remise et le contrôle des dépôts en espèces récupérés. Il faut peut-être mettre en place un mécanisme.

Il y a tant d'informations erronées qui circulent que j'avoue qu'en ce qui concerne le bois d'oeuvre résineux, nous sommes parties à des procédures dans le cadre de l'ALENA et de l'OMC depuis de nombreuses années. La dernière enquête, communément appelée « Lumber IV », date d'il y a quatre ou cinq ans. Toutes les procédures sont parfaitement légitimes aux termes de l'ALENA et du chapitre 19. En effet, l'ALENA inclut un processus pour abaisser les droits dont le Canada s'est servi à son avantage et il permet le règlement des différends essentiellement, mais non exclusivement, en invoquant le chapitre 19, comme vous le savez, en raison du chapitre 11.

Le processus de règlement des différends permet de faire arbitrer les litiges commerciaux et les mesures commerciales en vertu de lois sur le commerce déloyal qui s'appuient sur les lois intérieures du pays qui a entamé la procédure.

Il ne s'agit pas là d'un train indépendant de lois que nous avons négociées, mais bien du droit américain, de sorte que nous évoluons constamment dans un monde où la conjoncture économique peut changer.

Par conséquent, les tribunaux américains peuvent être saisis de différents genres de causes où, si vous obtenez gain de cause, comme c'est souvent notre cas, les définitions réglementaires changent et des lois différentes peuvent être adoptées. Nous avons été témoins de l'adoption de l'amendement Byrd, qui de l'avis de tous ne serait jamais adopté. Des changements ont été apportés aux lois qui définissent les subventions et à diverses questions centrales à ces litiges.

Ce que je dis, en réalité, c'est qu'il faut comparer l'accord proposé non pas avec un libre-échange pur et dur — qui n'est pas une option —, mais à ce qui nous attendrait si nous poursuivions le litige. Même si nous gagnions toutes les causes qui sont actuellement en instance et qu'aucune nouvelle poursuite n'était amorcée, nous sommes à deux ans de la victoire et d'une éventuelle récupération des droits acquittés.

L'accord établit le cadre au sein duquel nous récupérerons 80 p. 100 à peu près des droits. Nous les obtiendrons plus rapidement. Il y a un coût à prolonger le litige, de l'argent qui pourrait plutôt être réinvesti, réparti comme dividendes ou utilisé comme le jugent bon les entreprises. Il y a un coût à refuser de lâcher prise, et l'accord met fin au trop grand nombre de ressources consacrées, par les entreprises, à des batailles juridiques au sujet du bois d'œuvre résineux. Croyez-moi, c'est une bataille extrêmement coûteuse. Il faut des millions de dollars et beaucoup de temps simplement pour gérer les données associées, par exemple, à un examen pour présumé dumping, au dépôt de données ou à des examens administratifs dans les dossiers où des droits compensateurs ont été imposés.

L'accord nous évite que le Département du commerce des États-Unis ne lance d'autres poursuites. Il nous procure stabilité et sécurité en empêchant que d'autres actions en justice du même genre soient entamées au cours des sept ou neuf prochaines années.

Cela signifie aussi que, comme vous le disiez, nous pourrions payer des taxes à l'exportation si le prix baisse à un certain niveau. L'accord prévoit un mécanisme selon lequel à mesure que les prix du marché baissent, une taxe à l'exportation variant entre 5 et 15 p. 100 peut être appliquée lorsque le prix est de 315 $ par millier de pieds-planche.

On espère que ce mécanisme aura un impact salutaire sur le comportement des entreprises, qu'elles géreront leurs productions de telle manière que les exportations ne seront pas frappées d'une taxe pour des périodes prolongées. Seule l'expérience nous dira à quel point la mesure est efficace.

Ce qui m'importe davantage, c'est que la taxe à l'exportation est une taxe canadienne. C'est un peu comme si on augmentait les droits de coupe quand le cycle est à son plus bas. L'argent demeurera au Canada et reviendra aux provinces d'où vient le bois d'œuvre qui pourront l'appliquer à des réductions de taxe et à d'autres investissements dans les infrastructures.

Au moins, l'argent demeurera au Canada, nous créons de la certitude, de la stabilité et, ayant moi-même de l'expérience dans cette industrie, je sais qu'il lui faut de la stabilité. Il n'y a pas que l'industrie du bois d'œuvre qui vit une période difficile. L'industrie des pâtes et papiers est durement frappée par la crise du prix des panneaux OSB et du contreplaqué.

Le sénateur Peterson : Est-il possible d'intégrer ce régime aux droits de coupe de sorte qu'il soit conforme, nous épargnant ainsi d'autres maux de tête? Vous dites presque indirectement que c'est la même chose.

M. Emerson : D'une certaine façon, c'est encore meilleur, et je vais vous en expliquer la raison. En théorie, vous pourriez simplement augmenter le droit de coupe lorsque le cycle est à son plus bas. Cependant, cela signifierait que chaque arbre coupé au Canada en ferait les frais. Cela signifierait que les coûts augmenteraient, non seulement pour le bois d'œuvre exporté aux États-Unis, mais également pour les exportations de bois d'œuvre en Chine et dans des pays du tiers monde. Le coût supplémentaire s'appliquerait aux panneaux OSB et il ferait augmenter le coût des pâtes et papiers. En ce sens, la taxe à l'exportation est une augmentation ciblée du droit de coupe qui entraîne moins de dommage collatéral qu'une augmentation générale du droit de coupe.

Le sénateur Tkachuk : L'accord relatif au bois d'œuvre résineux a suscité certains débats dans les journaux et à la Chambre du Sénat. Il n'a pas obtenu l'appui de plusieurs entreprises, notamment de certaines entreprises albertaines, et je sais que dans les provinces maritimes, certaines préoccupations ont été exprimées, même si je croyais que cette région était exclue.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi certaines entreprises sont opposées à l'accord? Que faisons-nous pour atténuer l'incertitude ou leurs préoccupations?

M. Emerson : Quand on se lance dans ce genre de négociations, on commence par s'entendre sur un certain nombre de points principaux qui sont ensuite rendus publics. Dans ce cadre, il reste de petits détails à régler qui affectent diverses entreprises et divers intérêts privés de manière différente. Il est tout à fait normal que l'on cherche à défendre sa position pendant qu'on cherche à traduire l'accord-cadre en un document définitif. Cela fait tout simplement partie du processus.

J'ai rencontré des intérêts albertains plusieurs fois, et nous avons retenu les services d'experts-conseils qui sont actuellement à Washington pour les négociations. Les experts ont pour mandat de faire en sorte que les enjeux et les préoccupations de l'Alberta sont pris en considération dans la rédaction de l'accord.

En Alberta et ailleurs, il existe aussi un certain nombre d'enjeux concernant les entreprises génératrices de valeur ajoutée et les entreprises de resciage final. C'est un dossier compliqué. Les difficultés sont en effet moins nombreuses si les entreprises de resciage final ne sont pas détentrices de tenure en matière de bois d'œuvre et si elles achètent le bois de faible qualité des grands producteurs intégrés et en font un produit à valeur ajoutée. Nous avons une bonne méthode de traitement; elles ne paieront la taxe que sur le prix du premier millier, de sorte qu'elles ne paient pas de taxe sur la valeur ajoutée durant le processus de resciage final.

Par contre, certaines entreprises de resciage final et entreprises génératrices de valeur ajoutée ont aussi la tenure, ce qui pose des problèmes à certaines. Nous nous efforçons de trouver une solution, bien que je ne sois pas sûr que nous réussirons.

L'Atlantique canadien devrait être très heureux; il est exclu. Il existe peut-être dans cette région quelques entreprises de resciage final qui ont des enjeux similaires à ceux que je viens de mentionner. Le régime d'attestation du produit d'origine que cette région vient de mettre en place pose aussi un problème de nature plutôt technique. Je vais vous en donner une version abrégée.

Durant les années 1990, lorsqu'était en place l'accord sur le bois d'œuvre résineux, le pays était aux prises avec un contingentement très strict de ses livraisons sur le marché américain. La région de l'Atlantique avait alors été exclue, étant donné qu'une grande partie de son bois d'œuvre venait de terres boisées privées, voire des États-Unis.

Par conséquent, la région de l'Atlantique du Canada n'a pas été perçue comme un des méchants qui profitaient d'une présumée subvention, de sorte qu'elle a été exclue. Cependant, au fil des années d'existence de l'accord sur le bois d'œuvre résineux, on était très préoccupé par le fait qu'il y avait sur le marché américain plus de bois d'œuvre en provenance de l'Atlantique canadien que cette région n'était capable d'en produire.

D'où les exigences voulant qu'on mette en place un régime pour vérifier qu'il s'agissait en fait seulement de livraisons de bois d'œuvre que la région produisait et qu'il n'existait pas de moyens pour le Québec de passer par la région atlantique pour écouler ses produits sur le marché américain. Le nouvel accord fait craindre qu'on ne respecte pas le régime de certificats d'origine mis en place. Nous allons le respecter, mais nous devrons l'associer à un régime national parce que, pour qu'il soit efficace, il faudra qu'il s'applique à l'échelle du pays.

Le sénateur Tkachuk : Plusieurs articles ont paru dans le journal au sujet des négociations de l'OMC et de notre supposé isolement parce que tenons mordicus à préserver la gestion de l'offre. Le comité en a discuté. Nous avons entendu des personnes participant à la gestion de l'offre et nos libres-échangistes de l'Ouest. C'est une bataille constante entre les deux camps.

Les Américains et les Européens se sont-ils engagés à réduire les subventions à un point où il nous serait plus difficile de défendre la gestion de l'offre? Dans l'affirmative, quel genre de propositions font-ils qui nous intéresseraient?

M. Emerson : Je vais demander à John Gero de vous répondre de manière plus précise à ce sujet.

En Europe, certaines des propositions sont des concessions faites aux Américains visant l'accès au marché, et surtout des concessions ayant trait à leur « farm bill » et aux subventions mentionnées par le sénateur Gustafson. Pour vous répondre brièvement, oui, ils font des concessions, qui représentent une jolie somme. En ont-ils fait suffisamment? Pas encore, selon nous.

John Gero, sous-ministre adjoint, Politique commerciales, Commerce international Canada : Il y a trois points à retenir au sujet des négociations dans le secteur agricole et des discussions relatives à l'accès au marché visant à abaisser les tarifs. La véritable question est de savoir si les Européens peuvent faire une meilleure offre en ce qui concerne l'abaissement des tarifs. Durant les négociations sur les subventions à l'exportation, à Hong Kong, durant la rencontre ministérielle, les Européens se sont engagés à abolir les subventions à l'exportation d'ici 2013.

Le soutien intérieur vise surtout les États-Unis et la quantité d'argent qu'ils mettront à la disposition de leurs agriculteurs dans le « farm bill ». Les États-Unis ont indiqué qu'ils étaient prêts à abaisser globalement de 53 p. 100 le soutien national. Nous visons un taux beaucoup plus élevé, et cet enjeu fait partie des négociations.

Le sénateur Callbeck : Je viens d'une province agricole, l'Île-du-Prince-Édouard, où nous cultivons beaucoup de pommes de terre et les transformons en frites.

L'an dernier, les États-Unis ont conclu un accord bilatéral avec des pays d'Amérique centrale. Si j'ai bien compris, les États-Unis peuvent expédier leurs produits dans ces pays sans qu'il y ait de tarif, alors que l'Île-du-Prince-Édouard et d'autres régions du Canada paient un tarif d'au moins 15 p. 100. C'est là un enjeu d'importance dans ma province. Je crois savoir qu'une des usines envoie des pommes frites d'une valeur allant jusqu'à 75 millions de dollars en Amérique centrale.

Le gouvernement est-il en pourparlers avec ces pays et tente-t-il de conclure avec eux un accord bilatéral?

M. Emerson : Voilà un excellent point, et ma position est simple. J'occupe ce poste depuis trois mois et demi, et une des conclusions à laquelle j'en suis venu, c'est qu'en tant qu'un des pays du monde les plus dépendants du commerce, nous n'avons pas eu une position aussi stratégique et énergique que nous aurions dû dans la conclusion de nouveaux accords commerciaux. Nous avons des secteurs fragiles qui semblent se pointer et susciter la défaveur publique dès que nous commençons à parler de nouveaux accords commerciaux. Cela semble être inévitable.

Vous avez parlé du problème des pommes de terre, mais la situation va empirer. Des pays comme les États-Unis, le Mexique et l'Australie ont conclu des accords de libre-échange avec au moins une douzaine de pays.

Vous avez parlé d'un cas particulier où les Américains ont conclu un accord de libre-échange avec les quatre pays d'Amérique centrale, ainsi qu'avec la République dominicaine. Je ne crois pas qu'ils aient réussi à signer avec tous les pays de cette région. M. Gero peut me corriger si je fais erreur.

L'annexe visant les réductions tarifaires prévoit un tarif avantageux pour les exportateurs américains de pommes de terre, ce qui entraînerait un déplacement des échanges. Subitement, les exportations proviendraient d'un pays où le coût est plus élevé, ce qui nuirait au commerce canadien dont le coût de production est plus faible, simplement en raison de la distorsion causée par les tarifs en place.

Une de mes grandes priorités, en ma qualité de ministre du Commerce international, est de revoir l'ALENA, de diriger le processus de l'OMC de manière à en tirer un avantage maximal pour le Canada, pour des raisons que j'expliquerai plus tard si vous le souhaitez, et de parer la négociation compétitive d'accords de libre-échange bilatéraux. Si nous prenons trop de retard par rapport à nos concurrents et que nous ne rattrapons pas ce retard, nous ferons l'objet de discrimination, même si nous sommes un des pays les plus dépendants à l'égard du commerce.

Nous sommes en train effectivement d'examiner divers accords de libre-échange bilatéraux ou régionaux. Nous les classons en fonction de la valeur actualisée du marché. En d'autres mots, à quel point un marché est-il avantageux pour le Canada? À quel point est-il vraisemblable que nous pourrons négocier? Combien de temps faudra-t-il? Nous nous efforçons d'adopter une approche systémique et celle que vous avez mentionnée nous semble prometteuse.

Le sénateur Callbeck : Quand vous dites que vous les classez, ne l'avez-vous pas fait encore? Est-ce l'approche qui, à votre avis, pourrait être privilégiée?

M. Emerson : Oui. Je ne puis vous dire exactement à quel résultat nous aboutirons.

Je puis cependant vous dire ceci : si un pays se montre disposé et que nous pouvons constater dès le premier contact qu'il ne semble pas y avoir d'obstacle à l'accord, nous irons de l'avant avec célérité et énergie. Nous voulons faire en sorte que nous concluons des accords et que nous controns certains des désavantages que nous voyons se poindre.

Nous travaillons aussi dans le cadre des commissions de l'ALENA; nous examinons la façon dont le Canada, le Mexique et les États-Unis peuvent améliorer leur collaboration. Nous examinons la collaboration afin d'essayer de conclure des accords de libre-échange comme ceux que nos partenaires de l'ALENA ont avec d'autres pays dans le contexte de l'ALENA de manière à pouvoir commencer à élargir cet accord de manière à y inclure certains autres pays qui ont passé d'autres accords de libre-échange.

Le sénateur Callbeck : Y a-t-il eu des discussions entre le Canada et d'autres pays d'Amérique du Sud?

M. Emerson : Oui.

M. Gero : Nous avons déjà un accord bilatéral de libre-échange avec le Costa Rica et nous sommes en train de négocier avec les autres membres du groupe des quatre pays d'Amérique centrale. Ce n'est qu'une question de temps.

Le sénateur Oliver : Monsieur le ministre, je vous sais gré de vos observations. Plusieurs auteurs ont affirmé que le délai guillotine pour l'engagement dans des négociations était décembre 2006, c'est-à-dire dans six mois. Qu'arrive-t-il si cette ronde de négociations échoue et quel en sera l'effet sur les agriculteurs canadiens? Avez-vous, en tant que ministre, une stratégie pour faire face à l'échec?

M. Emerson : Je vais demander à M. Gero de vous donner plus de détails. Vous savez pour quelle raison décembre 2006 est la date guillotine. C'est à ce moment-là que prend fin le pouvoir accordé au président par la procédure accélérée.

Le fait de ne pas conclure un accord serait très nuisible au Canada, à mon avis. Il existe tant de possibilités dans le secteur des services et des produits non agricoles, sans oublier les sacrifices qui seront faits dans le secteur agricole. Ce sera très problématique, une autre raison pour laquelle nous accorderons autant d'attention aux accords bilatéraux et régionaux de libre-échange.

Si nous nous nous retrouvons isolés parce que les négociations de Doha pour le développement ont échoué, nous sommes vulnérables. Il faudra se dépêcher d'agir avec énergie pour tenter de minimiser les dommages que subiraient nos possibilités futures de croissance.

Le sénateur Oliver : Que pouvez-vous raisonnablement accomplir en termes de ces accords bilatéraux? Vous avez parlé avec le sénateur Callbeck des six prochains mois.

M. Emerson : En six mois, on peut faire beaucoup. Peut-on signer un accord dans six mois? Probablement pas, mais on peut certes se rendre jusqu'au point où le but est en vue et qu'on sait qu'un accord sera signé. C'est important à savoir, selon moi.

Nous avons besoin de savoir quand les perspectives de conclusion d'un accord sont réalistes. Nous aurons alors une bonne idée d'où se trouvent les écarts pour relancer les négociations.

Le sénateur Oliver : Mis à part votre désir de signer quelques accords bilatéraux, quelle est l'autre partie de votre stratégie en vue de protéger les agriculteurs canadiens si les négociations de Doha échouent?

M. Emerson : Je ne suis pas ministre de l'Agriculture. C'est à lui en réalité qu'il faudrait poser la question. J'ai la conviction toutefois que nous avons besoin d'appuyer la transformation de l'industrie agricole canadienne. Je suis convaincu que la protection n'est qu'un pis-aller, qu'il va falloir que le secteur se transforme, qu'il se cherche des créneaux commerciaux et des possibilités d'ajouter de la valeur à nos produits. Voilà ce qu'il faut faire, en plus de multiplier les débouchés commerciaux.

La présidente : Chers collègues, nous sommes ravis d'avoir pu rencontrer le ministre, mais nous allons devoir nous passer de sa présence parce que j'entends le timbre sonner. Je crois que vous avez encore cinq minutes.

M. Emerson : Le timbre signifie qu'il me reste deux minutes. Que décidez-vous? Il faut que j'aille voter. M. Gero peut demeurer sur place, si sa présence vous est utile, et je reviendrai après le vote.

La présidente : Ce serait très utile en effet. Nous vous en serions très reconnaissants.

M. Emerson : Je devrais être de retour dans 15 à 20 minutes. M. Gero saura répondre mieux que moi à vos questions, de toute façon. Quand vous vous serez habitués à lui, vous ne voudrez plus me revoir.

Le sénateur Oliver : Dans le document déposé par le ministre, on peut lire qu'il va prendre le temps nécessaire pour mener à bien les négociations, mais qu'il tentera de finaliser l'accord durant les prochaines semaines. Tout à l'heure, je l'ai entendu parler de deux ans avant que l'argent ne revienne au Canada. Quand sera finalisé cet accord et quand les Canadiens récupéreront-ils l'argent qu'on leur a confisqué sans raison?

M. Gero : Je crois que l'idée est de finaliser l'accord dans les prochaines semaines, puis de travailler le plus rapidement possible au remboursement.

Le sénateur Oliver : Les Canadiens auraient-ils cet argent en 2006?

M. Gero : Je ne peux répondre à cette question, mais j'espère qu'une partie de cet argent sera remboursée en 2006.

Le sénateur Campbell : Je viens d'une province qui dépend du bois d'œuvre résineux. Dans ma province, toute nouvelle associée à cette industrie fait la manchette. Tout d'abord, je tiens à dire que l'accord me semble raisonnable et juste, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvions.

Quel est le pourcentage des exportations de la Colombie-Britannique par rapport à celles de l'Ontario et du Québec?

M. Gero : Je crois savoir que la Colombie-Britannique est la source de 53 p. 100 environ de toutes nos exportations aux États-Unis. Le Québec est la source de 16 p. 100 et l'Ontario, je crois, de 8 ou 9 p. 100.

Le sénateur Campbell : J'ai l'impression que l'industrie de la Colombie-Britannique est satisfaite de l'accord. Pourtant, j'entends continuellement dire, maintenant que je lis les journaux ontariens et québécois, que ces provinces sont mécontentes. Pouvez-vous m'en expliquer la raison?

M. Gero : Tous les gouvernements provinciaux ont appuyé l'accord, et je crois que la majorité des membres de l'industrie également. Comme le ministre l'a expliqué tout à l'heure, différentes entreprises ont des points de vue différents. L'accord pose plus de difficultés à certaines d'entre elles qu'à d'autres, selon leur rendement sur le plan des exportations — le genre de produits qu'elles exportent.

Ce que vous voyez, ce sont des désaccords à l'égard de certains détails de l'accord. En règle générale, l'accord a le plein appui de toutes les provinces, et la plupart des membres de l'industrie canadienne souscrivent à ses grands principes.

Le sénateur Campbell : S'agit-il simplement d'une entreprise qui est en désaccord — d'une entreprise qui peut-être est toujours en litige avec les États-Unis?

M. Gero : C'est juste.

Le sénateur Mitchell : En décembre dernier, je me trouvais à Hong Kong pour la ronde de négociations de l'OMC, et c'était fort intéressant. Vous et les ministres avez mené ces négociations d'une main de maître. C'était vraiment un moment intense.

Deux positions très nettes se sont dégagées à l'égard de la gestion de l'offre et de la Commission canadienne du blé — ceux qui préféreraient qu'il n'y en ait pas et ceux qui souhaitent désespérément les conserver. Ces positions sont certes reflétées des deux côtés de la Chambre et du Sénat, jusque dans une certaine mesure. Ceux qui préféreraient ne pas avoir de Commission canadienne du blé et de régime de gestion de l'offre soutiennent qu'ils font obstacle à l'accord international sur l'agriculture qu'essaie d'obtenir l'OMC.

Je me réjouis d'entendre le gouvernement dire qu'il a pour principe de ne pas reculer là-dessus. Il me semble qu'à l'échelle des échanges avec les États-Unis et l'Europe dans le monde, ces deux éléments sont si insignifiants qu'ils ne méritent pas d'être la pierre d'achoppement des négociations.

Si nos relations avec les États-Unis ou avec l'Europe sont en jeu, nous avons fait tant édulcoré notre position par rapport à ce qu'ils ont eux-mêmes cédé qu'il faut se demander pourquoi il faudrait y renoncer pour les convaincre de céder encore plus? Pouvez-vous m'en expliquer la logique? A-t-on l'impression que nous devrons sacrifier la gestion de l'offre et la Commission canadienne du blé pour accélérer la conclusion de cet accord international?

M. Gero : Presque tous les pays ont des intérêts différents dans le secteur agricole. Chacun d'entre eux a un secteur agricole qui est axé sur les exportations et se cherche des débouchés mondiaux. Ils ont aussi certains secteurs qui sont plus axés sur les marchés intérieurs. Le Canada n'est pas unique à cet égard. La même situation s'applique aux États- Unis et aux Européens, parmi les plus importants pays, ainsi qu'à certains nouveaux pays en développement.

L'enjeu n'est pas de trancher dans un sens ou dans l'autre. La véritable question dans ces négociations est de savoir comment libéraliser l'accès au marché, réduire sensiblement le soutien national et éliminer les subventions à l'exportation. Simultanément, il n'y aura pas d'accord si on ne tient pas compte convenablement des fragilités de chacun. Comme vous le savez, il existe, en agriculture, dans les négociations visant à libéraliser les marchés, une catégorie appelée « produits sensibles ». Presque chaque pays en a, et il doit exister un moyen de faire en sorte de protéger beaucoup plus les produits sensibles qu'on ne le fait en règle générale.

Dans le cadre de ces négociations, si 150 pays en conviennent, il faut trouver un compromis qui respecte les intérêts des deux pays en matière d'exportation tout en tenant compte des vulnérabilités nationales.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous nous dire que ces deux éléments de notre politique de l'agriculture ne sont pas gravement compromis, que nous pourrons les protéger comme étant des enjeux sensibles?

M. Gero : Le gouvernement a déclaré officiellement qu'il défendra le régime de gestion de l'offre.

Le sénateur Mitchell : En fin de compte, l'argument selon lequel il faut y renoncer pour avoir un accord ne tient pas forcément. Il représente simplement plus d'eau au moulin et un argument politique. Je vous remercie beaucoup.

Le président : À l'intention de tous les sénateurs et téléspectateurs, je signale que M. Gero est le sous-ministre adjoint de la Politique et des négociations commerciales. Cet homme nage constamment dans des eaux profondes et dangereuses. Son travail dans le cadre de ces discussions internationales, qui sont si difficiles, est admirable.

Le sénateur Cohen : J'aurais quelques petites questions concernant le bois d'œuvre résineux. Ma question s'inscrit dans la foulée de ce qu'a dit le sénateur Oliver au sujet du remboursement de l'argent. Une fois l'accord conclu, pourquoi y aurait-il un retard? Pourquoi ne pas simplement faire un chèque?

M. Gero : Dans le régime américain, pour pouvoir rendre l'argent, il faut que le Trésor américain et l'agence américaine des douanes et de la protection des frontières passent toutes les inscriptions à la loupe, une à une. En d'autres mots, il faudra littéralement examiner chaque franchissement de chaque conteneur de bois d'œuvre. Dans ce système, pour pouvoir rembourser les droits, il faudra que le Trésor américain passe une à une plus d'un million d'écritures faites au cours des cinq dernières années et qu'il les radie une à une avant de pouvoir écrire un autre chèque.

Dans le cadre de l'entente de principe conclue avec les Américains, nous nous efforçons de trouver un régime qui permettrait de mieux faire ce remboursement. Du point de vue américain, c'est ainsi qu'on rend l'argent. Nous essayons de mettre sur pied un régime, dans l'accord-cadre, qui permettrait le remboursement des fonds de manière plus efficace aux exportateurs inscrits.

Le sénateur Cowan : Si je comprends bien, une partie de l'argent conservé par les États-Unis servira à rembourser aux entreprises américaines les frais juridiques qu'elles ont assumés pour des actions en justice qui ont échoué. Que projette de faire le gouvernement canadien à l'égard des entreprises canadiennes qui ont dû payer ces droits et prendre part au litige? Leurs frais seront-ils remboursés par les instances soit américaines, soit canadiennes?

M. Gero : Est-il vrai qu'une partie de l'argent sera conservée par la coalition américaine pour payer les frais du litige? Au cours des quelque deux dernières années, le gouvernement du Canada a aidé les diverses associations de producteurs de bois d'œuvre sur le plan des frais juridiques.

Le sénateur Cowan : Nous avons entendu des conjectures ou des observations selon lesquelles à l'avenir, il faudra que les gouvernements provinciaux fassent approuver leurs plans de gestion des forêts ou de production de bois d'œuvre par une instance américaine. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

M. Gero : Selon moi, on a mal interprété l'entente. Une disposition de l'entente, comme dans la plupart des accords commerciaux, prévoit que les gouvernements ne chercheront pas à se soustraire aux dispositions de l'entente pour donner des assurances à une ou à l'autre partie et qu'après avoir conclu l'accord, les gouvernements n'agiront pas de manière à contrevenir à celle-ci. C'est essentiellement ce dont il est question.

Le sénateur Cowan : Le gouvernement du Canada va-t-il approuver les plans provinciaux, puis donner des assurances aux instances américaines?

M. Gero : Je ne crois pas qu'il y ait de plan en vue d'approuver les changements apportés à la politique. Comme tous les accords commerciaux, celui-ci prévoira un mécanisme de règlement des différends. Il inclura une disposition aux termes de laquelle il est interdit aux gouvernements de se soustraire aux modalités de l'entente. Je suppose que nous aurons une disposition de règlement des différends dans l'entente selon laquelle si l'une ou l'autre des parties estime que l'autre contourne l'entente, il y aura matière à litige, précédé de consultations et de pourparlers.

Le sénateur Gustafson : Mon thème favori est de faire renoncer les Américains et les Européens aux subventions. Je ne crois pas qu'on y arrivera. Par exemple, les pois se vendent 5 $US le boisseau alors que les agriculteurs canadiens touchent 2 $CAN par boisseau, en raison d'une subvention versée par les États-Unis. La France a doublé la subvention au blé l'an dernier, et il semble que la situation empire.

Aux États-Unis, la décision semble relever plus de motifs politiques que de motifs économiques. Comment allons- nous survivre dans un pareil scénario? À moins que nous ne réglions le problème à l'échelle de la planète, il n'y a pas de solution. Il faudrait que le cours des grains atteigne des sommets astronomiques. La faible augmentation actuelle du prix du blé de force serait gobée par la croissance des coûts de l'énergie et des intrants. L'avenir qui se dessine n'est pas très rose.

Si l'on veut que le Canada maintienne une forte présence dans le secteur des grains et des oléagineux, il faudra apporter des changements à l'économie mondiale. Les investissements dans l'agriculture ont un effet multiplicateur sur l'économie, notamment sur la construction de machinerie, d'automobiles et de camions et ainsi de suite. Il semble que le Canada n'en ait pas bien tenu compte. Si nous ne le faisons pas, nous nous retrouverons en sérieuse difficulté, à moins que ne sévisse une sécheresse mondiale.

M. Gero : Sénateur, il est tout à fait vrai que les agriculteurs canadiens sont les plus efficaces au monde et peuvent rivaliser avec n'importe quel autre agriculteur. Toutefois, ils ne peuvent rivaliser avec des trésors publics, et c'est pourquoi les négociations de l'OMC sont si importantes.

Si la série de négociations mène à un accord, non seulement éliminera-t-elle toutes les subventions à l'exportation européennes, mais également, selon l'offre actuelle qui, faut-il l'espérer, sera bonifiée dans le contexte de l'entente finale, elle exigera de très importants changements dans le « farm bill » américain qui, comme vous le savez, est actuellement à l'étude.

Sans l'intervention d'une pareille entente au sein de l'OCE, le « farm bill » pourrait avoir une portée encore plus grande. Cet enjeu est pour nous d'un intérêt primordial dans ces négociations.

Le sénateur Gustafson : Les Américains font toujours valoir que le commerce est une rue à deux sens. Si nous ne leur permettons pas de vendre leurs produits sur notre marché, pourquoi nous permettraient-ils de le faire sur le leur? Ils en parlent chaque fois que nous leur rendons visite.

M. Gero : Et c'est pourquoi nous avons besoin d'une ambitieuse entente au sein de l'OMC qui porte non seulement sur le soutien national aux États-Unis ou les subventions à l'exportation de l'Europe, mais également sur toute la question de l'accès au marché, de sorte qu'un producteur puisse vendre ses produits n'importe où dans le monde. Cela fait partie de l'équilibre global recherché dans tout éventuel accord.

Le sénateur Gustafson : Une autre percée est survenue. Dans le secteur de l'élevage bovin, les Américains ont vendu notre bœuf partout dans le monde pendant 100 ans. Ensuite, lorsque la crise de l'ESB a frappé, ils ont fermé leurs frontières, et le marché s'est effondré.

M. Gero : Le fait de pouvoir exporter notre bétail est essentiel à notre économie.

Le sénateur Gustafson : Peuvent-ils vendre notre blé?

La présidente : Nous ne souhaitons pas revivre la crise de l'ESB. Le comité a consacré de nombreuses semaines à étudier ce dossier épineux.

Le sénateur Peterson : Nous avons eu récemment un déjeuner-rencontre avec les producteurs de produits laitiers et ils nous ont parlé de la question des concentrés protéiques du lait dont on est en train d'inonder le marché. Nous n'étions pas conscients de l'existence de ces produits dérivés quand les tarifs ont été mis en place pour la première fois en vue de protéger contre ces importations. Ils font donc indirectement ce qu'ils ne peuvent pas faire directement.

Nos négociateurs prennent-ils des mesures pour colmater cette brèche?

M. Gero : Actuellement, sénateur, cet enjeu est ressorti d'une décision rendue par un tribunal aux termes d'un règlement canadien. Nous sommes en train de voir, ce qui est en grande partie une question nationale que devront régler entre eux Agriculture Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada, comment on pourrait adapter le règlement pour faire en sorte que les agriculteurs canadiens bénéficient d'une certaine protection.

Le sénateur Tkachuk : La grande différence entre le cours canadien et le cours américain du bois d'œuvre, c'est que les Américains ont des terres privées alors que nous avons des droits de coupe. Le sénateur Campbell s'y connaît peut- être mieux que moi en la matière, mais je crois que la Colombie-Britannique envisage la possibilité de d'avoir des boisés privés plutôt que des droits de coupe.

L'accord-cadre dispose que :

Le Canada, avec la pleine participation des provinces, et les États-Unis feront tout en leur pouvoir pour définir les « exemptions à la politique » concernant la mesure à l'exportation pour chacune des provinces dans les 18 mois qui suivront l'entrée en vigueur du présent accord.

Certains ont interprété cette disposition comme signifiant que le Canada sera soit obligé d'adopter ou qu'il adoptera volontairement la même politique privilégiant les boisés privés plutôt que les droits de coupe.

L'expression « exemptions à la politique » signifie-t-elle que nous devrions nous rapprocher de la façon dont ils établissent le prix de leur bois d'œuvre ou a-t-elle un autre sens?

M. Gero : Sénateur, je crois qu'elle a un autre sens. Ce dont il est question en réalité, c'est de faire en sorte qu'on connaisse la définition des subventions compensables de manière à éviter que les politiques adoptées par le Canada puissent être considérées comme une subvention compensable.

L'idée est d'avoir une entente au sujet de politiques canadiennes qui soutiendrait une exemption permanente à toute mesure relative à des droits compensateurs prises par les États-Unis. Cela ne signifie pas que la seule façon d'y arriver est de copier les pratiques forestières des États-Unis.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais revenir à la question qu'a posée le sénateur Peterson au sujet des concentrés protéiques de lait. J'ai lu que les producteurs laitiers sont impatients d'avoir recours à l'article 28 du GATT. Êtes-vous d'accord avec eux? Est-ce une question à laquelle vous réfléchissez?

M. Gero : Jusqu'ici, le gouvernement n'a pas décidé d'invoquer l'article 29 de l'actuel accord de l'OMC, de l'ancien GATT, pour plusieurs raisons. La possibilité en est envisagée, mais l'article n'a jamais été invoqué.

Le sénateur Callbeck : Quels sont les avantages et inconvénients de cet article?

M. Gero : Le recours à l'article 28 soulève plusieurs questions. Tout d'abord, bien sûr, il y a les dispositions de l'OMC selon lesquelles il faut les indemniser pour avoir relevé leur propre tarif. La question est de savoir comment le Canada pourrait le faire.

Ensuite, nous sommes en pleine période de négociation des questions tarifaires au sein de l'OMC. La question qu'il faut se poser, c'est de savoir si cela nous complique la tâche, dans le cadre de ces négociations?

Puis, il y a la question de savoir si une pareille augmentation du tarif serait possible dans le contexte de notre Accord de libre-échange nord-américain. Ce sont tous des facteurs qui jouent, à la fois pour et contre.

Le sénateur Callbeck : Quel calendrier envisage-t-on en ce qui concerne les producteurs laitiers?

M. Gero : Nos ministères nationaux s'efforcent d'atténuer cette préoccupation à l'égard des concentrés protéiques de lait. Malheureusement, je ne suis pas aussi bien informé au sujet de ce qui se fait sur le front national, de sorte que je ne puis vous donner de calendrier exact. Par contre, je sais que des pourparlers avec les producteurs laitiers ont eu lieu à cet égard.

Le sénateur Mitchell : Pour ce qui est de l'accord sur le bois d'œuvre résineux, nous avons négocié un droit à l'exportation que nous pouvons conserver plutôt que de verser un tarif qui leur revient à eux?

M. Gero : C'est juste.

Le sénateur Mitchell : Quels genres de restrictions sont imposées sur ce que nous pouvons faire avec cet argent? Par exemple, pouvons-nous simplement le rendre aux entreprises?

M. Gero : Non. Le fait de le rendre aux entreprises reviendrait à contourner l'entente tel que nous l'avons mentionné tout à l'heure.

Le sénateur Mitchell : Cette possibilité est-elle explicitement exclue?

M. Gero : Si nous leur rendons l'argent, cela signifie qu'elles ne paient aucun droit à l'exportation. Ce serait clairement contraire à l'entente.

Le sénateur Mitchell : À quel point pouvez-vous vous rapprocher de cette solution?

M. Gero : L'idée est de retourner les fonds aux provinces qui les utiliseraient comme bon leur semble, sans toutefois contrevenir à l'entente.

Le sénateur Mitchell : Actuellement, le tarif est de 10 p. 100 en règle générale, de sorte que, si à un moment donné le prix tombe en deçà de 355 $US, il leur coûte plus cher que ce qu'ils versent actuellement?

M. Gero : Ce serait vrai. Bien sûr, actuellement, aux termes de l'entente, étant donné les prix, ils n'auraient rien à payer.

N'oubliez pas que, dans le cadre du régime américain, ce montant est soumis à un examen annuel, de sorte que bien que ce soit ce qu'ils paient actuellement en vertu du régime actuel, ce montant pourrait augmenter.

Le sénateur Mitchell : Une observation faite dans la déclaration liminaire du ministre a éveillé ma curiosité. Pour les sept à neuf prochaines années, quand le cours du bois d'œuvre est élevé, aucune mesure ne sera imposée à la frontière.

Est-ce une projection pour la durée de l'accord ou du cours futur du bois d'œuvre? Peut-il le prévoir comme cela?

M. Gero : Non, il faisait une projection pour la durée de l'accord. Chaque fois, durant cette période, que le cours du bois d'œuvre dépasse 355 $ US, naturellement, il n'y a pas de règlement.

Le sénateur Peterson : Le montant déterminant est donc de 355 $US.

M. Gero : Oui.

Le sénateur Peterson : La taxe à l'exportation est-elle censée maintenir ce prix à 355 $US?

M. Gero : Non, ce n'est pas sa raison d'être.

Le sénateur Peterson : Quelle est-elle alors? Si le prix chute en deçà de 325 $US et que l'écart est de 30 $US par millier de pieds-planche, à combien s'élève la taxe à l'exportation?

M. Gero : À 325 $, elle est de 10 p. 100 dans certaines situations. N'oubliez pas que le mécanisme prévoit deux composantes différentes, parce que les diverses régions canadiennes peuvent choisir à quelle méthode elles se soumettront quand le prix baisse. Soit qu'elles paient la taxe de 10 p. 100 prévue pour cette fourchette de prix, soit qu'elles se soumettent à des restrictions sur la quantité qui peut être exportée et qu'elles paient beaucoup moins de taxes à l'exportation.

Le sénateur Peterson : Que désirent les Américains? Manifestement, ce sont eux qui dictent tout cela. Souhaitent-ils un prix de 355 $US?

M. Gero : Ce que vous avez devant vous représente le détail de l'accord, et ce sera aux diverses régions du Canada, non pas aux États-Unis, de faire le choix.

Le sénateur Peterson : Vous avez une taxe à l'importation et une taxe à l'exportation pour faire grimper le prix. J'estime qu'ils sont en train de protéger le prix de leur marché.

M. Gero : Le niveau où se situera le prix à la fin de la période sera fonction du prix, parce que des échelles progressives sont prévues et que chaque prix sera majoré de 10 ou de 15 p. 100 au sein même des fourchettes.

Le sénateur Peterson : Manifestement, ils s'efforcent en quelque sorte de maintenir un certain prix. Ce qu'ils exigeraient comme prix chez eux, si le cours baissait à 325 $US, la taxe à l'exportation le ferait augmenter. Je suppose donc que, si vous êtes Georgia Pacific, vous exigeriez ce prix. Pourquoi ne l'exigeriez vous pas?

M. Gero : On exige ce que le marché peut supporter.

Le sénateur Peterson : Nous ne sommes pas autorisés à vendre le bois moins cher.

M. Gero : Vous vous trouvez peut-être dans une région où l'on n'exige pas la taxe de 10 p. 100 et où vous décidez de limiter le niveau de vos exportations.

Le sénateur Peterson : Cela revient à la même chose.

Le sénateur Gustafson : Dans les Prairies, plusieurs constructeurs de maisons exportent leurs produits aux États- Unis. Il semble que cela permette d'économiser beaucoup de taxes.

M. Gero : Je ne crois pas que l'accord vise les maisons préfabriquées. Il porte uniquement sur le bois qui était visé par les droits compensateurs antérieurs. Ce n'était pas le cas des maisons préfabriquées, de sorte qu'elles ne sont pas visées par l'accord.

Le sénateur Cowan : La région atlantique du Canada est exclue de l'accord.

M. Gero : C'est juste.

Le sénateur Cowan : En supposant que la véritable origine du bois est la région atlantique du Canada, y a-t-il une limite à la quantité de bois d'œuvre qui peut être exportée par cette région aux États-Unis?

M. Gero : La région est entièrement exclue à condition que ses exportations ne dépassent pas ce qu'elle produit réellement et ce qu'elle a en stock. Si elle excède ce nombre, et on aurait de la difficulté à voir comment, ce serait un signe que le bois ne provient pas de la région de sorte qu'un droit additionnel s'appliquerait. Tant que vous ne dépassez pas ce que vous produisez et ce que vous avez en stock, il n'y a pas de quota.

Le sénateur Cowan : J'avais cru comprendre qu'un certain pourcentage serait peut-être exigé en fonction des exportations historiques vers les États-Unis.

M. Gero : Non, c'est en fonction des stocks réels affectés à la production.

Le sénateur Cowan : Donc, quelle que soit la production réelle, tant que le bois vient de la région atlantique du Canada, il n'y a pas de problème?

M. Gero : Oui, à condition que le bois vienne de Terre-Neuve, de Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Au cours des dernières années, nous nous sommes penchés plusieurs fois sur le problème de l'ESB. Tant de nos partenaires commerciaux ont fermé leurs frontières à notre bœuf après que les Américains l'ont fait. Tous nos partenaires ont-ils rouvert leurs frontières ou en reste-t-il un certain nombre qui hésitent à recommencer à acheter notre boeuf?

M. Gero : Malheureusement, tous nos partenaires commerciaux n'ont pas rouvert leurs frontières à notre bœuf, mais c'est une priorité pour nous et nous obtenons un certain succès, bien que lentement. Cette semaine, la Thaïlande a décidé d'autoriser à nouveau les importations de bœuf canadien. C'est un processus permanent en vue de convaincre, par l'intermédiaire de nos organismes de réglementation, nos anciens partenaires que le bœuf canadien est sans danger. Nous n'avons pas réussi à récupérer tous nos marchés, mais Agriculture et Agroalimentaire Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada et notre ministère y travaillent.

La présidente : Sur quel pays nous concentrons-nous? Je songe notamment au marché asiatique.

M. Gero : Les deux plus importants marchés sont la Chine et la Corée, avec lesquelles nous poursuivons nos pourparlers.

La présidente : Y a-t-il des progrès en Corée?

M. Gero : Non, pas pour l'instant. Toutefois, les pourparlers se poursuivent avec ces deux pays et avec leurs instances de réglementation.

La présidente : Chers collègues, j'ai à vous transmettre un message venu de la ligne de front. On prévoit maintenant deux votes, plutôt qu'un. Je me demande si vous souhaitez faire une courte pause et attendre que le ministre revienne ou si vous avez épuisé vos questions pour ce soir?

Le sénateur Gustafson : Je crois que le témoin a répondu à la plupart de mes questions, si ce n'est toutes.

La présidente : C'est un fait.

Cela étant dit, j'aimerais remercier son personnel d'avoir organisé son emploi du temps de manière à ce qu'il puisse revenir et j'espère, que, quand vous lui exprimerez notre reconnaissance, vous l'informerez que nous souhaitons vous revoir tous deux.

Je suis sûre de parler au nom de tous les sénateurs quand je vous souhaite franc succès au cours des prochains jours. Ils ne s'annoncent pas faciles. Nous avons la certitude que vous ferez ce dans quoi vous excellez, c'est-à-dire négocier. Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation aujourd'hui.

M. Gero : Honorables sénateurs, c'est moi qui vous remercie.

La séance et levée.


Haut de page