Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 4 - Témoignages du 13 juin 2006
OTTAWA, le mardi 13 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 4 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons poursuivre aujourd'hui notre examen des questions agricoles. Depuis quelques années, comme le savent bon nombre de gens qui évoluent au sein de l'industrie, le revenu des fermes canadiennes est le pire qu'il a été dans l'histoire du Canada. Les prix faibles dans le secteur des grains et des oléagineux expliquent en partie cette crise des revenus.
Aujourd'hui, nous allons entendre le témoignage de représentants de la Commission canadienne du blé, figure marquante de notre histoire agricole depuis un bon moment déjà. À titre d'information pour nos téléspectateurs, disons que la Commission canadienne du blé est le vendeur à comptoir unique du blé, du blé dur et de l'orge des producteurs de l'ouest du Canada. Elle vend entre 22 et 24 millions de tonnes de blé et d'orge à l'intérieur du Canada et dans 70 pays. Comme la CCB vend collectivement, nombre de cultivateurs font valoir qu'elle leur donne une influence réelle sur un marché qui, d'ordinaire, souffre d'un manque de concurrence et leur laisse peu de prise sur le prix des produits qu'ils vendent. Tout de même, d'autres aimeraient assouplir le fonctionnement de la commission de façon à pouvoir tirer parti du marché libre ou à mettre sur pied des coopératives de nouvelles générations et investir dans des projets à valeur ajoutée.
Le gouvernement a signalé son intention de réformer la Commission canadienne du blé, qui a été maintes fois réformée et demeure sur pied. Les discussions ayant actuellement lieu sur l'éventualité d'un nouvel accord sur l'agriculture à l'Organisation mondiale du commerce pourraient également comporter des conséquences pour l'avenir de la commission.
Les représentants de la CCB venus comparaître aujourd'hui parleront des prix à prévoir dans le secteur et de l'avenir de la production des grains et oléagineux au Canada. Nous donnerons la parole à un ami du comité, M. Ken Ritter, président, de Kindersley, en Saskatchewan, et à M. Adrian Measner, ainsi qu'à M. Victor Jarjour.
Ken Ritter, président du conseil d'administration, Commission canadienne du blé : Merci, madame la présidente. J'ai quelques remarques à faire en guise d'introduction, si vous le permettez. Je suis agriculteur à Kindersley, en Saskatchewan. J'ai l'honneur de servir comme membre élu du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé et comme président du même conseil depuis 1999. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Adrian Measner, président-directeur général et membre du conseil d'administration, et de Victor Jarjour, représentant principal de notre section du commerce international.
Je tiens à remercier le comité de nous avoir accorder l'occasion de comparaître devant lui aujourd'hui. Je sais que le comité est fort occupé, et il est rassurant de savoir que, parmi les nombreuses difficultés sur lesquelles le comité doit se pencher, figure le rôle que la CCB devra jouer à l'avenir dans l'industrie céréalière, dans l'Ouest canadien en particulier. Malgré la récente hausse des prix des denrées, l'agriculture et le secteur céréalier traversent une période de crise. Les agriculteurs sont confrontés à des marges qui épuisent leurs réserves en capital et qui minent leur détermination et leur ingéniosité.
Dans ce contexte économique extrêmement difficile, quel système de commercialisation permettrait de mieux combler les besoins des producteurs de blé et d'orge? À une époque, j'aurais répondu comme le Parti conservateur du Canada : le marché à deux voies. Selon ce mode de mise en marché, les agriculteurs vendraient leur grain soit par l'intermédiaire de la Commission canadienne du blé, soit directement dans le négoce privé. En mettant en place un régime facultatif, aurais-je dit, la Commission canadienne du blé deviendrait plus rentable et elle donnerait simultanément plus de choix aux agriculteurs. C'est ce que j'aurais dit il y a huit ans, mais je ne tiendrais plus ces propos aujourd'hui. J'ai changé d'avis au sujet du rôle de la Commission canadienne du blé comme vendeur à comptoir unique, pour un certain nombre de raisons.
La première raison est que j'ai eu la preuve des prix élevés obtenus par la CCB comparativement aux prix demandés par nos concurrents. À chaque réunion du conseil d'administration, un classeur est mis à la disposition des administrateurs. Dans ce classeur figurent les données des ventes réalisées par la CCB, en regard des ventes de nos principaux rivaux. Cette information est des plus utiles. Elle nous permet, à moi et aux autres agriculteurs- administrateurs élus, de nous assurer que le comptoir unique est effectivement exploité de manière à accroître la valeur perçue par les producteurs de grain des Prairies. Cette information est également confidentielle tant pour des raisons liées aux relations que nous entretenons avec nos clients que pour des raisons liées à la concurrence. C'est pour cette raison que ce classeur reste dans la salle du conseil d'administration et que nous ne diffusons pas son contenu. Permettez-moi d'être catégorique : ces données fournissent la preuve irréfutable que la CCB obtient davantage pour le grain qu'elle vend pour le compte des agriculteurs des Prairies que ce que les autres vendeurs perçoivent. Je connais peu d'agriculteurs qui peuvent se permettre de laisser cet argent sur la table, surtout par les temps qui courent. Comme agriculteur, voici ce qu'il me faut au minimum : j'ai besoin de savoir si je touche un montant accru en raison de l'existence de la CCB ou si au contraire sa présence joue contre moi. La CCB commande des primes substantielles pour mon compte et celui des autres producteurs de blé et d'orge des Prairies, et j'ai compris que la principale raison de ces primes, hormis le courage et la ténacité des producteurs qui cultivent ce grain, est liée au comptoir unique.
Deuxièmement, j'ai vu la preuve d'un autre facteur aussi convaincant que le premier, soit le regroupement de l'industrie du grain. Tous les joueurs, des sociétés céréalières à nos concurrents, en passant par les chemins de fer, deviennent de plus en plus gros et puissants. Face à cela, que devons-nous faire dans l'Ouest canadien? De toute évidence, nous devons nous mesurer à eux et soutenir la cadence. Sinon, nous nous retrouverons exclus des marchés, dépassés par la concurrence et aux prises avec une structure de coûts non économique. À part le comptoir unique, de quel outil disposons-nous pour parvenir à cette fin? Il n'y en a aucun. Les sociétés céréalières qui, à une époque, appartenaient aux agriculteurs et étaient gérées par eux ont pratiquement disparu du paysage des Prairies. Les céréaliculteurs d'aujourd'hui font davantage confiance à la Commission canadienne du blé pour la protection de leurs intérêts qu'aux multinationales céréalières.
Ces deux avantages — la capacité de commander des primes et le pouvoir nécessaire pour se mesurer aux joueurs de calibre international de l'industrie céréalière — reposent sur le comptoir unique. Aussi, la notion selon laquelle il est possible de disposer d'un « marché à deux voies » dans lequel la CCB jouerait un rôle efficace est tout simplement illusoire. Ça ne peut pas fonctionner. L'instant où la CCB deviendrait facultative, le comptoir unique disparaîtrait, et avec lui, les avantages que je viens de décrire. Le véritable choix qui se présente aux agriculteurs est entre la CCB et un marché libre. Devant ces choix, les agriculteurs préfèrent très majoritairement garder la CCB et le comptoir unique.
Enfin, j'ai vu comment les administrateurs élus par les agriculteurs peuvent exercer des pressions pour obtenir des changements du régime de comptoir unique qui permettent de tenir compte des besoins des agriculteurs et de la latitude qu'ils requièrent. Les options de paiement au producteur que nous avons mises en place sont d'importantes améliorations, dans la mesure où elles procurent aux agriculteurs qui le souhaitent une plus grande maîtrise sur le prix de leur grain, tout en préservant les avantages de leur mise en commun des prix et de la vente par comptoir unique pour tous les autres agriculteurs.
Je sais que le terme « marché à deux voies » veut dire différentes choses pour différentes personnes. Je pense que ce thème remonte à l'époque où la Commission canadienne du blé était un organisme contrôlé par le gouvernement, entouré par le secret, dépourvu de mécanismes de reddition de comptes et n'offrant aucun choix, mais cette époque est révolue. Les producteurs de grain peuvent maintenant bénéficier à la fois du pouvoir de mise en marché et de la capacité d'exercer une plus grande maîtrise sur la vente de leurs produits. Toutefois, la Commission canadienne du blé et les agriculteurs ne peuvent pas disposer de pouvoir de marché en l'absence du comptoir unique, lequel permet à la CCB d'offrir toutes ces intéressantes options.
Les changements de ce genre prennent du temps, de l'innovation et de la sensibilisation. Cependant, ils permettent de bénéficier du meilleur des deux mondes. Les possibilités offertes par le marché ouvert, d'un côté, et la gestion des risques et les primes que la Commission canadienne du blé a toujours fournies, d'autre part.
Le véritable choix ne réside pas dans un régime de « marché à deux voies ». Il s'agit d'un marché libre dans lequel CCB perdrait son efficacité et dans lequel le seul choix offert aux producteurs serait de vendre leur grain à une poignée de multinationales céréalières qui contrôleraient dans les faits la mise en marché de tout le grain.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous fassions preuve de complaisance à la CCB. Comme je l'ai dit, nous avons apporté de nombreux changements afin d'accroître l'efficacité et la capacité de réaction de l'organisation ainsi que d'accroître la souplesse au chapitre des choix offerts. Notre stratégie d'affaires actuelle prévoit des changements encore plus importants et radicaux, à l'intérieur du cadre existant, qui vise à accroître encore davantage les recettes touchées par les agriculteurs et à placer la CCB sous l'entière maîtrise des agriculteurs.
Je sais parfaitement que le Parti conservateur du Canada s'est engagé à rendre la mise en marché par l'intermédiaire de la CCB facultative, et je peux très bien comprendre que le gouvernement se sente maintenant obligé de tenir ses promesses électorales. Cependant, au nom des nombreux agriculteurs de l'Ouest canadien qui sont comme moi convaincus de la nécessité d'une structure à comptoir unique pour la vente du blé et de l'orge, je demande au gouvernement de reconnaître qu'il s'agit d'une question sur laquelle les agriculteurs devraient avoir le dernier mot. Notre industrie, notre argent et notre avenir sont en jeu. La décision devrait donc nous revenir. Si d'importants changements structurels doivent être apportés à la manière dont le blé et l'orge des producteurs sont vendus, les agriculteurs devraient avoir leur mot à dire sur ces changements, dans le cadre d'un plébiscite. Cet avis est partagé par la grande majorité des producteurs de grain des Prairies. C'est également la position de la Commission canadienne du blé, et les exigences de la Loi sur la Commission canadienne du blé sont claires sur ce point.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Ritter. Pourriez-vous nous dire comment sont choisis les administrateurs de la Commission canadienne du blé?
M. Ritter : Dans la région des Prairies, il y a dix districts où se pratique la culture des grains visés par la Commission du blé, y compris dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta, et dans une petite partie du nord-est de la Colombie-Britannique. Chacun des dix districts en question comporte cinq circonscriptions au fédéral.
Dans les districts en question, quiconque répond à la définition de producteur à la Commission canadienne du blé détient un droit de vote. À une exception près, toutes les sélections ont été très serrées. Les candidats se présentent à titre indépendant, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas affiliés à quelque parti politique que ce soit. Ils présentent leurs vues et leurs idées à l'électorat, puis un scrutin postal est organisé. Il s'agit d'un scrutin préférentiel, c'est-à-dire qu'il faut indiquer son premier choix, puis le deuxième et le troisième et ainsi de suite. Pour être élu, un candidat doit recevoir plus de 50 p. 100 des votes.
Le sénateur Gustafson : Mes questions se rapporteront à votre point de vue sur la situation à l'OMC. Un des problèmes que nous éprouvons, c'est qu'on nous a promis que les Américains et les Européens cesseront de subventionner leurs industries, ce qui ne se fait pas. Pour que les prix augmentent sur le marché mondial, il nous faudra regarder de ce côté. Pour que le Canada se taille une place à titre de pays exportateur, ce qui est le cas pour les grains et oléagineux, nous n'avons pas d'autres choix. Nous consommons environ 25 p. 100 de ce que nous cultivons. Il faut donc en exporter 75 p. 100.
Vous avez signalé que le comptoir unique permettra d'obtenir le meilleur prix, et c'est peut-être vrai; toutefois, nous devons obtenir des prix plus élevés. Nous ne pouvons continuer dans le contexte, à moins que le gouvernement du Canada conçoive un programme qui égalisera les chances.
J'aimerais entendre vos observations sur la situation. À quoi aboutiront les pourparlers commerciaux selon vous? Ils doivent avoir lieu dans un mois environ.
M. Ritter : Je répondrai à la première partie de votre question, puis je laisserai à M. Jarjour le soin de conjecturer au sujet des pourparlers commerciaux, car il en saisit mieux les nuances.
Il importe toujours pour un pays exportateur de disposer de chances égales afin de créer de la valeur à partir de ce qu'il produit, et c'est un des éléments de base de l'Organisation mondiale du commerce. Est-ce nécessaire pour un pays exportateur comme le nôtre? C'est absolument nécessaire, mais il n'y a pas beaucoup d'argent à prévoir, même si une entente devrait être conclue.
Quant à l'augmentation des prix, elle devra tenir à la demande mondiale. Nous en entrevoyons le jour. Il y a quelques jours, j'ai lu un article intéressant sur la production de maïs aux États-Unis. On y disait que le maïs pourrait finir par manquer aux États-Unis, en raison de l'énorme volume de production d'éthanol et de divers autres facteurs.
Je crois qu'il y a de l'espoir pour l'industrie céréalière. Il nous faut simplement franchir au plus vite les deux ou trois prochaines années, jusqu'à ce que les divers usages que l'on conçoit pour le grain produit donnent la demande voulue. Je crois que le produit des agriculteurs de l'Ouest canadien peut trouver une meilleure place depuis un certain temps. Certains signes portent à croire que cela commence déjà à se faire cette année. Par exemple, au mois de mai, le prix du blé a augmenté d'environ d'un dollar le boisseau dans certains marchés, ce qui est certes encourageant. M. Jarjour veut vous parler un peu de la direction que prennent les pourparlers de l'OMC.
Victor Jarjour, représentant principal, Commerce international, Commission canadienne du blé : Si on conclut une entente qui répond aux objectifs que se sont fixés les pays membres de l'OMC, c'est-à-dire d'importantes réductions du soutien intérieur, une ouverture réelle des marchés et l'élimination des subventions à l'exportation, les agriculteurs finiront par y trouver leur compte. Cependant, il faut vraiment que, dans les faits, il s'agisse de réductions réelles. Il ne faut pas que ce soit de grands coups d'épée dans l'eau. Il faut que ce soit des réductions réelles et, évidemment, il faut que la cible soit les États-Unis et l'Union européenne. Nous en verrons l'aboutissement dans six semaines environ, car si l'exercice doit porter fruit, il faut que ce soit d'ici la fin juillet. Je ne m'aventurerai pas davantage à faire des prédictions sur cette question.
La présidente : Et à ce moment-là qu'est-ce qui arrive? Où en est l'OMC en ce moment dans ses réunions?
M. Jarjour : Les négociations se sont intensifiées depuis la fin du mois d'avril. Les délais ne sont toujours pas respectés. Les gens ont vraiment l'impression que, à moins d'une entente conclue fin juin, sinon en juillet, le projet sera probablement mis en suspens pendant plusieurs années. La raison? Les États-Unis et leur « pouvoir de négocier par la procédure accélérée ». C'est un pouvoir de négociation qui est accordé au président et qui permet à l'administration de négocier un accord de commerce, puis de le proposer au Congrès, qui l'adopte ou le rejette en bloc. Le Congrès ne peut apporter de modifications. C'est ce qu'on entend normalement par procédure accélérée. La possibilité d'y recourir s'achève à la fin juillet 2007.
Une entente sur les modalités pourrait intervenir d'ici la fin juin ou juillet, mais les négociations ne seront pas terminées. Elles vont se poursuivre jusqu'au moment où on en arrivera à une conclusion, puis les pays chercheront à faire approuver l'entente par leur gouvernement, leur parlement ou leur Congrès.
Le sénateur Mitchell : Merci d'avoir fait l'effort de venir comparaître aujourd'hui. Je sais l'ardeur que vous mettez à défendre vos commettants, et il est toujours bien d'avoir l'occasion de discuter avec vous de ces questions.
Une des critiques que j'ai entendues au sujet de la Commission canadienne du blé — et je n'entends nullement par là que cette critique me paraît justifiée —, c'est que le produit-créneau occupe une grande place en agriculture aujourd'hui et que, d'une façon ou d'une autre, la Commission canadienne du blé fait obstacle à la mise en marché des produits en question. J'ai entendu dire que la CCB fait obstacle à la mise en marché des produits-créneaux, car les marchés à cet égard ne sont pas assez grands à son goût ou que le volume est insuffisant.
Est-ce le cas? Est-ce que je décris correctement la question, et quelle serait votre réaction à cette critique?
Adrian Measner, président-directeur général, Commission canadienne du blé : Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation. Je sais que vous ne disiez pas que vous étiez d'accord, vous, avec cela. Vous repreniez plutôt les paroles d'autres personnes. Notre travail est un travail de commercialisation, et nous avons affaire parfois à des marchés à grand volume où les quantités achetées tous les ans se chiffrent en millions de tonnes et parfois aussi à des petits marchés où les ventes se chiffrent plutôt en milliers de tonnes par année. Notre objectif consiste à concevoir un programme qui maximise les revenus des agriculteurs. Nous saisissons donc toutes les occasions qui se présentent sur le plan de la commercialisation.
Nous avons des marchés prêts à accueillir notre blé dur Navigator. C'est une variété de blé dur qui est destinée à un fournisseur de Pologne, lequel s'en sert pour produire ses pâtes. Il indique sur l'étiquette que les pâtes sont faites à partir de blé dur canadien, et il fait sa mise en marché partout en Europe et dans plusieurs pays, même jusqu'aux États- Unis. C'est un créneau de marché. Nous préservons l'identité du blé dur depuis le Canada jusqu'au client. Celui-ci apprécie beaucoup la PI et verse même une prime en échange.
Nous avons un autre client — Warbutons, au Royaume-Uni — qui vient au Canada même et aide les agriculteurs à déterminer la quantité d'engrais qu'il faut utiliser pour produire les céréales, une certaine teneur en protéines et une certaine variété. Il choisit lui-même les variétés qu'il souhaite avoir. Nous envoyons ensuite les céréales à Londres. J'ai parlé maintes fois à ce client particulier, le propriétaire de la meunerie, Warbutons, et il a parlé de l'expansion de son entreprise. D'abord, le pain produit s'est très bien vendu — il est fait pour la plus grande part de blé canadien —, c'est un pain de qualité qui est en demande à Londres. La croissance de la meunerie est limitée par le capital du propriétaire, qui construit des boulangeries le plus rapidement possible, selon le capital à sa disposition. Notre travail consiste à trouver les créneaux, les marchés axés sur la qualité, les marchés pour la quantité — et nous nous en occupons.
Le sénateur Mitchell : La CCB fait obstacle aux efforts que déploie le secteur agroalimentaire pour se donner de nouvelles variétés de produits?
M. Measner : Non, nous essayons de faciliter ce travail. La question de la distinction visuelle des grains a fait l'objet de discussions. C'est un critère de désignation des variétés canadiennes qui doit être respecté avant que la mise en marché ne soit autorisée. Il y a quelques semaines, à la dernière réunion de notre conseil d'administration, nous avons soumis une proposition, qui a été approuvée, et nous discutons avec la Commission canadienne des grains de cette question-là et de la possibilité de créer une catégorie spéciale pour le blé fourrager, pour les usines de production d'éthanol. Nous essayons d'intervenir dans tous les dossiers où il peut y avoir des restrictions et de nous assurer que le système avance, mais, en même temps, de protéger les intérêts des agriculteurs.
Le sénateur Mitchell : Quel est votre rôle dans la mise en marché des grains destinés à la production d'éthanol et de biocarburants? La question de la distinction visuelle des grains intervient-elle, oui ou non? Ce sujet m'intéresse beaucoup.
M. Measner : Pour ce qui est de la production d'éthanol, les responsables peuvent s'approvisionner à la Commission canadienne du blé ou sur le marché libre. Nous n'avons pas de rôle à jouer là-dedans. La plupart des grains en question proviendront du marché libre intérieur, et non pas de la Commission canadienne du blé. Par conséquent, nous ne sommes pas vraiment partie à cette affaire. S'ils n'arrivaient pas à obtenir un approvisionnement suffisant, cela nous intéresserait de discuter avec eux, mais ils sont libres d'agir comme bon leur semble. Ils ne sont pas obligés d'acheter à la Commission canadienne du blé.
M. Ritter : Si je saisis bien, les grains servant à la production d'éthanol sont exemptés de la Commission canadienne du blé.
Le sénateur Mitchell : À votre avis, est-ce que cela a du sens?
M. Ritter : Les grains en question sont utilisés à des fins industrielles. Évidemment, si l'usine ne dispose pas de suffisamment de matières premières et que nous sommes en mesure de l'approvisionner, nous serons heureux de le faire. En tant que commission, nous avons appuyé l'idée de la production d'éthanol et de l'utilisation à valeur ajoutée des grains des Prairies, et nous appuyons ces efforts sans réserve, de toutes les manières possibles.
Le sénateur Callbeck : J'ai une question à propos des ententes bilatérales. Le ministre David Emerson était ici l'autre jour, et nous avons parlé de ces ententes. Comme vous le savez, les États-Unis font des efforts très vigoureux en ce sens auprès d'autres pays qui nous désavantagent. Est-ce là une question qui préoccupe la Commission canadienne du blé? Le cas échéant, à quels pays pensez-vous en particulier?
M. Ritter : C'est une question qui préoccupe énormément la Commission canadienne du blé, car, sous certains aspects, les ententes bilatérales en question l'emportent sur l'accord général de l'OMC. Monsieur Jarjour, voulez-vous nous dire de quels pays il s'agit?
M. Jarjour : Nous nous adressons au gouvernement à ce sujet depuis 2003, époque à laquelle les États-Unis négociaient une entente bilatérale avec le Maroc. Il y a longtemps que nous faisons des pressions sur le gouvernement pour qu'il s'attache davantage aux ententes bilatérales.
Les principaux pays qui nous intéressent sont ceux de l'Afrique du Nord, particulièrement le Maroc et l'Algérie. En Amérique latine, là où les États-Unis sont sur le point de conclure certaines négociations, particulièrement dans la région des Andes, les pays qui nous intéressent sont l'Équateur, le Pérou et la Colombie.
M. Ritter : Il est question aussi d'autres grands pays comme le Japon, la Chine et l'Inde. Notre président-directeur général voudra peut-être ajouter une observation : il est allé en Afrique du Nord et a parlé à ceux de nos clients qui sont assujettis à certaines des ententes bilatérales conclues par les Américains.
M. Measner : Il serait peut-être utile de parler des conséquences de ces ententes. Au Maroc, nous vendons normalement de 300 000 à 400 000 tonnes de blé dur, soit plus de 10 p. 100 de notre programme global pour le blé dur. L'accord conclu par les Américains avec le Maroc donne aux États-Unis un avantage de 28 $ — pour un tarif plus bas sur les ventes au Maroc. Nous avons deux choix : nous retirons nos billes et laissons le marché aux États-Unis, ou nous essayons d'affronter la concurrence. Nous n'avons pas encore eu à faire ce choix, mais le jour viendra. Les meuniers marocains ne nous ont pas délaissés parce qu'ils apprécient la qualité du blé canadien. Le premier appel d'offre a été octroyé il y a deux semaines : ils ont acheté 40 000 tonnes de blé dur des États-Unis. C'est un exemple pour montrer à quel point la situation est grave et que la transition est entamée. Notre principal client pour le blé dur est l'Algérie, où les États-Unis ont entamé des discussions en vue de conclure une entente bilatérale. Nous avons discuté nous aussi avec nos clients d'Algérie, qui sont bien placés pour obtenir le marché optimal au profit de leur pays. Ils veulent acheter du blé dur canadien, si bien qu'ils veulent que le gouvernement canadien conclue une entente avant les Américains. D'intenses pressions sont nécessaires. Nous sommes heureux d'annoncer que cela s'est fait la semaine dernière, mais il nous faut suivre cela avec un plan d'action serré.
Le sénateur Callbeck : Ma question porte sur la valeur ajoutée, objet d'une étude achevée par le comité en décembre 2003. À ce moment-là, nous avons eu droit au témoignage de Prairie Pasta Producers, coopérative de nouvelle génération qui achète des grains à la CCB. Y a-t-il d'autres coopératives de nouvelle génération qui s'approvisionnement chez nous et, le cas échéant, font-elles de bonnes affaires?
M. Measner : Prairie Pasta, c'est un projet qui ne s'est pas concrétisé. Nous ne faisons pas affaires avec d'autres coopératives de nouvelle génération en ce moment.
Le sénateur Callbeck : Prairie Pasta n'achète pas chez vous.
M. Measner : Ils ont étudié le marché et concluent que le moment n'était pas bien choisi pour se lancer dans ce projet particulier à ce moment-là.
Le sénateur Callbeck : Ils se souciaient de la question de la souplesse de la CCB.
M. Ritter : Nous pouvons répondre à des questions générales à ce sujet. Au cours de notre dernier sondage, nous avons demandé aux agriculteurs ce qui leur importait d'abord et avant tout. Ils ont parlé de travailler avec des producteurs en vue d'une transformation à valeur ajoutée dans les Prairies. Ils souhaitent que la CCB travaille à de tels projets. Notre politique relative à la valeur ajoutée nous paraît équitable, car elle égalise les chances pour tous ceux qui souhaitent transformer le grain, qu'il s'agisse d'un groupe d'agriculteurs, d'un groupe industriel ou d'un autre groupe. Tous peuvent acquérir le grain au même prix. Les agriculteurs y voient une question de première importance. Nous cherchons à réviser nos politiques pour voir si la CCB peut faire quoi que ce soit afin que les agriculteurs soient plus souvent propriétaires d'entreprises qui ajoutent de la valeur.
Le sénateur Callbeck : Ils ont parlé des frais de transport qu'ils doivent assumer, qu'ils recourent aux silos de la CCB ou non. Cela s'ajoute au coût qu'il faut assumer pour en arriver à un produit à valeur ajoutée.
M. Ritter : Les frais de transport de l'agriculteur, c'est un peu un mythe. M. Measner peut peut-être expliquer en quoi le facteur transport joue sur la valeur du grain de l'Amérique du Nord.
M. Measner : Nous établissons nos prix au port, là où nous fixons le prix initial, le prix demandé à l'entreprise de transformation. Les prix sont moins élevés en campagne du fait du coût du transport des marchandises : le grain coûte plus cher au port que dans le pays. Souvent, nous entendons les gens dire que, pour acheminer une cargaison à l'usine de transformation, ils doivent en assurer le fret jusqu'au port. En réalité, cela reflète la valeur variable du grain au port et au pays. Ce n'est pas vrai qu'ils ont à assumer les frais de transport; c'est plutôt un reflet des valeurs variables sur le marché.
Le sénateur Callbeck : Je croyais savoir que même s'ils ne recouraient pas aux silos et transformaient eux-mêmes leurs grains, ils devaient encore assumer les frais de transport jusqu'à la CCB, mais que le coût était intégré à l'ensemble.
M. Measner : Ils craignaient devoir encore vendre le grain à la Commission canadienne du blé et faire l'objet du prix initial avec les paiements subséquents, s'ils ne pouvaient vendre directement à l'usine de transformation. C'est la question qui préoccupait le plus le groupe.
Le sénateur Callbeck : Les frais de transport dans tout cela.
M. Measner : Oui.
Le sénateur Peterson : Quand vous vendez votre blé à la Chine, je présume que la Chine croit traiter avec le Canada de pays à pays, ce qui la rassure. S'il y avait une commission double et que j'étais producteur, je tiendrais cette porte pour fermée, car la Chine ne traiterait vraisemblablement pas avec un producteur individuel. Où les producteurs individuels s'adressent-ils pour vendre leurs produits? Est-ce qu'ils sont limités à Louis Dreyfus Corp., Cargill Inc., Archer Daniels Midland, et ainsi de suite?
M. Measner : Nous entretenons de bonnes relations avec la COFCO, en Chine, qui importe le blé. C'est une relation qui existe depuis de nombreuses années : le Canada vendait des céréales en Chine avant même que les liens diplomatiques ne soient noués. La Chine s'en souvient, et nombre de missions chinoises soulèvent ce point quand elles se trouvent au Canada. La relation avec la Commission canadienne du blé et avec le Canada est solide et importante. Elle rapportera à l'avenir, car la demande en Chine connaît une croissance importante.
Si ce n'était de la Commission canadienne du blé, les récoltes, dont celles du blé, seraient mises en marché par l'entremise de multinationales, comme vous l'avez souligné. Or, le marché est plus ou moins dominé par quatre ou cinq multinationales, qui contrôlent l'essentiel de l'environnement international. Les multinationales commercialiseraient ce grain comme elles commercialiseraient les autres grains qui ne relèvent pas de la CCB.
Il importe d'y penser quand il est question de la Commission canadienne du blé. Nous sommes une entreprise canadienne qui travaille pour les agriculteurs canadiens et qui met en marché des produits canadiens. Si ce n'était de la CCB, tout cela serait perdu.
Le sénateur Peterson : Les entreprises indépendantes fixeraient leurs propres prix. Par exemple, Cargill Inc. pourrait établir qu'elle est prête à payer un agriculteur pour son produit.
M. Measner : C'est cela.
Le sénateur Peterson : Un des irritants, c'est cette idée des denrées de spécialités du point de vue de la valeur ajoutée. Nous avons parlé de Prairie Pasta Producers et les raisons pour lesquelles l'entreprise ne fait pas de la livraison directe un élément de son plan. Vendez-vous de l'orge de brasserie à contrat, ou la vente directe est-elle permise?
M. Measner : C'est comme pour le blé; cela passerait par la Commission canadienne du blé pour aboutir aux malteries.
Le sénateur Peterson : Croyez-vous que, du fait que l'éthanol est une exception, il est possible que la même chose arrive à l'orge de brasserie? Croyez-vous qu'on ait trouvé ainsi le défaut de la cuirasse?
M. Measner : Comme M. Ritter l'a souligné, nous révisons toutes nos politiques relatives à la valeur ajoutée, pour nous assurer qu'elles reflètent le mieux possible les besoins de nos agriculteurs. Il existe peut-être des façons de faciliter le travail des agriculteurs. Nous devons nous rappeler qu'il faut égaliser les chances, car nous voulons une industrie à valeur ajoutée qui soit forte et viable, et c'est bon pour les agriculteurs. Il faut trouver le juste équilibre. Nous allons étudier cette question particulière dont vous avez parlé dans l'examen.
Le sénateur Peterson : Essentiellement, vous dites que les producteurs sont vos clients et que vous faites de votre mieux pour les servir.
Le sénateur Meighen : Je sais que vous traitez avec quelque 70 pays. Nous avons parlé des ententes bilatérales. À cet égard, les Américains sont-ils les seuls à s'adonner à cette pratique ou y a-t-il d'autres pays qui concluent des ententes bilatérales?
M. Jarjour : Certes, les États-Unis sont ceux qui s'appliquent le plus vigoureusement à conclure des ententes bilatérales et qui comptent le plus grand nombre de projets de négociation. L'Australie négocie également avec quelques pays.
Le sénateur Meighen : Si nous avions un graphique, verrions-nous que les ventes remontent, diminuent ou sont stables depuis 10 ou 15 ans?
M. Ritter : Les ventes sont demeurées relativement stables, si je ne m'abuse.
Le sénateur Meighen : Je sais que cela tient jusqu'à un certain point à la production, mais, à votre avis, quelle serait la meilleure façon de vous aider à accroître les ventes — outre des ententes bilatérales?
M. Measner : En ce moment, comme M. Ritter l'a souligné plus tôt, la demande n'a pas suivi l'offre, pour la plus grande part, si on fait le bilan des dix dernières années. Tout de même, nous sommes témoins de certains changements. Si vous regardez ce qui se passe depuis trois ou quatre ans pour ce qui est de la demande et de l'offre à l'échelle mondiale, vous constatez que la demande a été supérieure à l'offre, sauf pour une année en particulier. Pour l'avenir, nous entrevoyons une croissance phénoménale du marché de l'éthanol aux États-Unis, au point où il sera probablement deux fois supérieur à ce qu'il était il y a deux ans, et ce, en trois ans environ. Les agriculteurs vont consacrer de nombreux acres à la culture du maïs destiné à la production de l'éthanol, terrain qui, normalement, aurait servi à produire autrement des aliments pour la consommation humaine ou animale. Nous voyons des développements positifs sur ce fond.
Il y a trois points que je pourrais faire valoir et qui modifieraient ce marché — et nous croyons qu'ils seront tous utiles à cet égard. D'abord, il y a la demande accrue d'éthanol, qui fait diminuer la production de grains destinés à la consommation humaine, de sorte que l'offre globale baisse. Ensuite, il y a la réémergence du marché chinois, et nous prévoyons que ce marché accroîtra ses importations. La Chine est notre plus important client depuis deux ans, mais ce ne sera pas le cas cette année, étant donné notre qualité, mais la Chine est devenue un acteur de taille. En fait, il y a l'Inde qui arrive tout juste sur la scène. Cette année, l'Inde importe trois millions de tonnes de blé; au cours des cinq à dix prochaines années, nous entrevoyons une croissance de ce côté. Étant donné la demande accrue d'éthanol et la demande accrue provenant des deux pays en question, nous sommes portés à croire à un avenir un peu plus rose. Malheureusement, il faut se rendre là. Nous avons encore quelques années difficiles devant nous.
Le sénateur Meighen : Je crois que votre réponse laisse voir qu'il n'y a pas grand-chose à faire du seul point de vue de la commercialisation. Si vous aviez un plus grand budget à cet égard, par exemple, ce ne serait pas très différent, n'est- ce pas?
M. Measner : Je ne refuserai jamais un accroissement du budget de commercialisation.
Le sénateur Meighen : Est-ce que ce budget vient de vos clients?
M. Measner : Ce budget vient de mon conseil d'administration.
Notre travail de commercialisation est efficace. Il y a toujours un rapport coûts-avantages dont il faut tenir compte et c'est ce qui se passe. Pour l'essentiel, nous mettons en marché tout le blé qui nous est confié, la plupart des années, et tout l'orge, dont l'orge de brasserie qui nous est confié — tout l'orge fourragère. Le blé dur nous a donné des problèmes. Le marché de l'exportation du blé dur est limité, et le Canada occupe autour de 50 p. 100 de ce marché, de sorte que nous en avons une grande part.
Nous avons entrepris une stratégie qui maximise les ventes que nous pouvons faire à un prix raisonnable — nous avons essayé de ne pas faire baisser le prix jusqu'au niveau des céréales fourragères. Si nous avions essayé de mettre en marché tout le blé dur que les agriculteurs ont cultivé depuis quelques années, nous aurions fait baisser le prix. Par conséquent, nous ne l'avons pas tout mis sur le marché, mais cela tient à une stratégie qui rend compte de la demande globale sur le marché international.
Je serais certainement favorable à un accroissement de mon budget, mais je ne suis pas certain que cela règle le problème dont vous parliez.
M. Ritter : Puis-je aborder une petite question qui est devenue très grande — l'imprévisible facteur qui joue tant sur les prix du grain : le dollar canadien. À l'exemple de toutes les autres industries du Canada, nous faisons face à cette ascension rapide du dollar. L'augmentation est de l'ordre de quelque 40 p. 100 sur trois ou quatre ans; de fait, le prix des céréales se situe simplement dans le 90e percentile des prix, toutes époques confondues, exprimé en argent américain. Notre époque connaît d'assez bons prix.
Nous devons composer avec le fait que notre dollar est fort. D'après ce qu'on sait, il devrait demeurer fort, si bien que nous allons devoir trouver les marchés à grande valeur où écouler notre grain de grande qualité. Nous ne pouvons affronter la concurrence de l'Ukraine et d'autres fournisseurs dans les marchés à faible valeur. Ces pays produisent à peu de frais et possèdent une monnaie dévaluée.
Le sénateur Meighen : Les Ukraines de ce monde nous menaçaient-elles moins à l'époque où le dollar canadien valait 70 cents américains?
M. Ritter : À l'époque, l'Ukraine n'exportait pas vraiment, mais la situation a changé, et l'Ukraine deviendra un concurrent.
Le sénateur Mitchell : Quelles sont selon vous les intentions du gouvernement en ce qui concerne l'élection des cinq membres restants du conseil d'administration — la commercialisation mixte — ou l'élimination pure et simple du mandat de la Commission canadienne du blé? Avez-vous eu droit à des échos précis là-dessus, des consultations?
M. Ritter : Certes, le gouvernement a fait valoir qu'une promesse électorale est une promesse — ce qui comprend la question de la commercialisation mixte. Cependant, notre organisme est d'avis que la commercialisation mixte ne représente pas un véritable choix. Il faut choisir entre le comptoir unique et le marché libre.
Nous avons toujours cru qu'il s'agissait d'une question fondamentale du point de vue des producteurs des Prairies : c'est à eux de décider. Je suis originaire du secteur où bon nombre de ces députés ont été élus. Je crois connaître les électeurs. La question de la Commission canadienne du blé n'a pas eu d'influence déterminante sur les dernières élections fédérales; les gens devraient donc avoir l'occasion de se prononcer directement sur l'avenir de leur organisation.
Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas comme si le gouvernement était sur le point d'agir à cet égard. Il semble tergiverser. Il n'a pas commencé à agir, non?
M. Ritter : Rien n'a été dit directement au public qui nous porterait à le croire. Notre ministre Strahl a parlé d'évolution plutôt que de révolution.
Le sénateur Mitchell : Une révolution peut être à la suite des prochaines élections, selon les résultats qu'il y aura.
La question des marchés de l'éthanol : est-ce une distinction arbitraire — car il ne s'agit pas d'un aliment?
M. Ritter : Oui, ce n'est pas destiné à la consommation humaine. Ça ne relève pas de la loi.
Le sénateur Mitchell : Y voyez-vous un problème pour vous? Est-ce que cela divise vos marchés et crée le genre de concurrence que la commercialisation mixte créerait, ou est-ce simplement un dossier auquel vous ne pouvez pas toucher?
M. Ritter : L'industrie de l'éthanol ne nous pose aucun problème. S'il y a de la valeur ajoutée au profit des agriculteurs des Prairies, nous sommes toujours favorables. C'est aussi simple que cela. Nous voyons là une occasion et nous ferons tout ce que nous pouvons pour appuyer l'industrie de l'éthanol. Comme notre président-directeur général l'a signalé, nous avons proposé une sorte de blé de qualité industrielle qui se distingue aisément de notre blé de première qualité, destiné à la consommation humaine, et nous appuyons sans réserve ce genre de projet. Ce que nous disons, c'est que nous pouvons réussir d'un côté comme de l'autre.
M. Measner : Les usines de production d'éthanol vont s'approvisionner au prix le moins élevé possible, pour faire en sorte que leurs activités soient rentables. Nous ne voyons pas là de valeur ajoutée pour les agriculteurs, dans la mesure où ils doivent se battre entre eux et baisser les prix. Nous avons dit aux responsables des usines que s'ils souhaitent envisager un lien à long terme qui comporte un prix raisonnable, nous sommes prêts à le faire, mais je ne vois pas en quoi cette concurrence et des pressions à la baisse exercées sur les prix créent de la valeur. Nous agirons avec beaucoup de réserve dans ce dossier.
Le sénateur Gustafson : Il ne fait aucun doute que le transport représente une de nos principales difficultés. Nous sommes loin de l'océan, et le transport est très coûteux. À Weyburn, en Saskatchewan, si nous expédions pour 10 000 $ de blé dur no 3, nous recevons un chèque de 5 000 $, après avoir acquitté des frais de transport et de manutention de 5 000 $.
J'étais bien seul à défendre la subvention du nid-de-corbeau, à la Chambre des communes, au moment des débats sur son éventuelle abolition. Depuis qu'elle a été abolie, nous n'avons pas vraiment fait de profits en agriculture. Cela nous a coûté 1 $ le boisseau, gros facteur. Par ailleurs, il y a 15 ans, nous chargions à plein des navires à destination de la Chine et de la Russie. Il fallait trouver assez de blé pour répondre à la demande.
Les conteneurs présentent-ils un élément important de l'équation des transports et, le cas échéant, quelle est leur incidence sur nos marchés?
M. Ritter : Vous êtes tombé dans le mille, sénateur Gustafson. Nous avons tous été dupes quand la subvention du nid-de-corbeau a été éliminée. On nous a fait croire qu'il y aurait partout des occasions extraordinaires à saisir. La plupart de ces occasions ne se sont pas concrétisées, et les agriculteurs ont beaucoup investi dans des projets douteux. Les agriculteurs sont méfiants face aux changements : chat échaudé craint l'eau froide.
La Commission canadienne du blé a adopté deux mesures pour régler le problème. À titre de comptoir unique, il n'y a que nous qui pouvons faire en sorte que les sociétés ferroviaires se concurrencent entre elles. Nous pouvons inciter deux grandes sociétés ferroviaires à nous offrir des tarifs concurrentiels sur le transport de cargaisons à destination des États-Unis ou de la côte Est. C'est notre force en tant que comptoir unique qui nous permet de le faire.
Deuxièmement, nous avons mis en place une politique qui fait que les wagons sont affectés aux silos où les agriculteurs décident de signer leur contrat. Les wagons suivent donc la décision de l'agriculteur. L'agriculteur décide quel silo il souhaite utiliser en fonction du marché qu'il vient de conclure avec l'exploitant du silo, pour y faire transiter son grain. C'est là un élément de concurrence qui, à notre avis, est à l'avantage des agriculteurs, même si, avec tout cela en place, le transport et la manutention représentent encore une part importante du coût de la mise en marché du grain.
M. Measner : C'est un très faible pourcentage du grain qui est exporté dans des conteneurs. Au cours des dernières années, le tarif du transport par océan a augmenté étant donné la demande chinoise. Durant cette période, nous avons pu envoyer certains conteneurs d'orge de brasserie en Chine à un coût inférieur que ce qu'il aurait fallu assumer pour le transport en vrac. C'était une situation unique. Il y avait des conteneurs excédentaires qui devaient retourner en Chine vides, et là-bas, des installations pour les décharger. Nous avons tiré parti de la situation et expédié près de 100 000 tonnes d'orge de brasserie dans des conteneurs, au cours des deux années en question. Tout de même, c'est un cas qui est unique à ces années en particulier.
Pour l'avenir, nous entrevoyons une demande qui s'accroît dans le cas des conteneurs, car le client se soucie de plus en plus de la salubrité des aliments et que le principe de la préservation de l'identité permet de veiller à la salubrité du produit. Nous croyons bien qu'il y aura croissance sur ce front.
Il serait très utile de pouvoir disposer d'installations pour conteneurs dans les Prairies : le seul endroit où nous arrivons à faire charger un conteneur, c'est au port. Espérons que c'est une occasion que les agriculteurs sauront saisir.
Le sénateur Gustafson : Si vous regardez la marge de profit des sociétés céréalières, vous verrez qu'elles se débrouillent très bien. Les marchés du Weyburn Inland Terminal et de la Saskatchewan Wheat Pool ont fait un grand bond. Les grandes sociétés américaines comme ConAgra construisent des terminaux tout le long du 49e parallèle. Les céréalières semblent pouvoir agir sans règles ni restrictions. Elles semblent être en mesure de demander tout ce que le marché peut supporter.
M. Measner : C'est vrai. Auparavant, la Loi sur les grains du Canada, sous l'égide de la Commission canadienne des grains, prescrivait des tarifs maximums qu'elle ne pouvait dépasser. Ces tarifs ont été éliminés il y a bien des années et, aujourd'hui, les céréalières peuvent bien appliquer tout prix que la concurrence est prête à supporter. Nous voulons qu'un plus grand nombre d'entreprises agricoles, si cela est possible, affrontent la concurrence des grandes sociétés et rivalisent avec elles pour que les tarifs en question ne dépassent pas les bornes. Nous avons essayé d'élaborer des politiques qui favorisent un tel état de choses, pour que les agriculteurs aient des installations terminales intérieures qui fonctionnent, dans les Prairies. Weyburn et les autres ont fait assez bonne figure ces dernières années. Leurs plans d'affaires sont centrés sur le grain de la Commission. Voilà un facteur dont il faut tenir compte au moment d'envisager la création d'un marché mixte ou l'élimination de la Commission canadienne du blé : ces installations ont du succès en raison même de la Commission canadienne du blé. Le monde serait très différent sans la Commission canadienne du blé, et le sort de ces entreprises serait très différent.
Nous sommes également témoins d'une grande concentration de la propriété en ce qui concerne les terminaux à Vancouver, à Prince Rupert et à Thunder Bay. Nous nous réjouissons de la décision récente du Bureau de la concurrence, qui a contraint Agricore United à vendre l'un de ses terminaux à Vancouver. Nous sommes intervenus dans le dossier parce que, à notre avis, il n'y avait pas assez de concurrence de ce côté-là. Une poignée d'entreprises est en mesure de contrôler les tarifs applicables au transport du grain qui y est destiné. Nous voudrions qu'il y ait des propriétaires indépendants, de préférence des agriculteurs. Nous voudrions qu'il y ait plus de concurrence, des propriétaires indépendants qui ne sont pas liés aux grandes sociétés.
Le sénateur Gustafson : Y a-t-il encore du grain qui passe par la route de la baie d'Hudson?
M. Measner : Oui. Nous en sommes le principal fournisseur. C'est un autre bon point : si ce n'était de la Commission canadienne du blé, il n'y aurait pas de terminal à Churchill. Il est bon d'avoir un port dans les Prairies. Nous faisons transiger de 300 000 à 400 000 tonnes de céréales par année par Churchill. Notre objectif pour cette année est de 400 000 tonnes. Nous avons fait des ventes depuis Churchill, même si le port n'est pas ouvert avant août.
Le sénateur Gustafson : Vers où va le grain qui y a son point de départ?
M. Measner : Il y en a une partie qui va en Europe, une partie, en Amérique latine, mais, pour la plus grande part, il est destiné à l'Afrique.
Le sénateur Callbeck : J'ai une question complémentaire à celle que j'ai posée sur la valeur ajoutée. Vous dites que le projet de coopérative de nouvelle génération Prairie Pasta Producers est resté lettre morte. Avez-vous affaire autrement à des coopératives de nouvelle génération?
M. Measner : Je ne crois pas qu'il y en ait dans cette catégorie.
Le sénateur Callbeck : Avez-vous connaissance de facteurs ou de questions qui, selon vous, vous permettraient de paver la voie à des coopératives de nouvelle génération centrées sur les produits à valeur ajoutée? Le cas échéant, quels sont-ils?
M. Measner : Nous sommes à revoir toutes nos politiques. Nous ne sommes pas rendus assez loin pour prendre des décisions concrètes, mais nous allons nous concentrer sur cette question. Nous avons signalé au conseil d'administration que nous reviendrons en septembre avec les résultats de l'examen.
La question dépasse le cadre de la CCB et tandis que nous discutons de l'avenir de l'agriculture et que nous discutons de l'avenir de l'ouest du Canada, nous devrons songer à la propriété des exploitations agricoles, sous bien des aspects, car la part des agriculteurs y est limitée. Qu'il s'agisse de la transformation de grain de la Commission ou autre, qu'il s'agisse de première manutention ou de manutention au terminal, c'est très limité. Il y a les installations d'ITAC, les expéditeurs de wagons de producteurs et les chemins de fer sur courte distance qui, tous, sont centrés sur le grain de la Commission, mais à part cela les agriculteurs ont une très faible participation. Nous devons réfléchir à des façons de majorer cette participation. Il y a quelques idées dont nous allons discuter plus à fond au conseil d'administration et que nous pourrons annoncer, dans un proche avenir. Elles sont axées sur l'agriculteur, sur l'idée de favoriser chez l'agriculteur la propriété sous tous ses aspects, par exemple en ce qui concerne la transformation et la manutention, car le milieu a changé. Ce n'est pas un milieu sain si vous imaginez ce à quoi il pourra ressembler dans cinq ou dix ans et ce n'est pas un milieu sain si la Commission canadienne du blé y est absente.
Le sénateur Peterson : J'ai lu l'autre jour que le Brésil — qui est peut-être le producteur dont les coûts sont le plus bas — va commencer à accorder des subventions. Quel en sera l'impact sur le système? Le Brésil est-il un acteur de premier plan?
M. Ritter : J'ai lu un article semblable où on disait que les agriculteurs manifestaient et occupaient des édifices gouvernementaux et ainsi de suite. La question, si je saisis bien, c'est que le Brésil aussi a de nombreuses régions où la distance à franchir pour transporter le grain est grande. Généralement, le transport se fait par camion. On trouve que la monnaie brésilienne s'apprécie rapidement; subitement, ils constatent qu'ils perdent de l'argent dans un domaine qui, auparavant, était lucratif. Par conséquent, ils demandent à leur gouvernement de mettre en place des mesures minimales de soutien. Le Brésil n'a pas de programme de subvention de grande envergure. À mon avis, il n'y a vraiment pas de raison de s'en soucier.
Le sénateur Peterson : La Fédération canadienne de l'agriculture nous a présenté un exposé récemment et où elle parlait de réserve de grains de 57 jours. Or, cette réserve a baissé et elle baisse encore. La baisse finit forcément par avoir une influence sur les prix. À quel moment commencez-vous à en parler dans vos documents de promotion, pour que les gens commencent à acheter avant que cela ne devienne un problème?
M. Ritter : Je laisse à M. Measner imaginer ce qui se passerait en rapport avec la deuxième partie de votre question, mais je vais essayer moi-même de répondre à la première partie. Nous vivons dans un monde « juste à temps » aujourd'hui, alors tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas de perturbation majeure — comme nous l'avons vu l'été dernier dans le cas du carburant au moment où l'ouragan Katrina a frappé — , il semble que personne ne veuille prendre en considération ce risque. Tout de même, une fois survenue la perturbation, les choses se font assez rapidement.
Monsieur Measner, quel est le chiffre qui, selon vos prévisions, sonnerait l'alarme?
M. Measner : Il y 10 ou 15 ans, le chiffre aurait sonné l'alarme, et je suis sûr que c'est ce qu'a dit la FCA. Il y avait une époque où les gens parlaient de famine et de ce qu'il fallait faire si les stocks en question baissaient. Cependant, le monde a changé avec le passage à l'inventaire juste à temps. Les pays sont nettement plus rassurés quant à l'accès aux vivres; ils ne se soucient pas vraiment de l'importance des réserves en question. Je suis d'accord pour dire que la réserve est basse et qu'elle n'aura pas à baisser encore longtemps avant que les gens se mettent à réagir et s'en soucier. On n'y est pas encore tout à fait, mais ça n'aura pas à baisser encore beaucoup, à mon avis, car à y penser les réserves mondiales ne sont pas très importantes. C'est à la fin d'une année de récolte, la fin du cycle de production. Ce n'est pas énorme.
Le sénateur Peterson : Les gens de la fédération se posaient la même question. On en est à une réserve de 57 jours et, et qui chute. Pourquoi est-ce que cela ne fait rien à la structure de prix?
M. Measner : M. Ritter a souligné que, du point de vue du dollar américain, les marchés à terme ont atteint un record historique, dans ce 95e percentile. Il y a eu une certaine réaction à la situation, mais pas suffisante, avec le dollar canadien et ainsi de suite, pour que cela ait une grande influence. Nous pouvons seulement espérer que quelques autres événements s'enchaînent et que cela continue de croître.
Le sénateur Peterson : Des partisans de la commercialisation mixte ont-ils cherché à se faire élire à votre conseil d'administration et, le cas échéant, ont-ils réussi?
M. Ritter : Il y en a un certain nombre. De fait, au moment de ma première campagne, j'ai réussi moi-même; j'ai été élu. Trois autres ont été élus en faisant valoir cette idée; deux, après avoir vu la réalité de leur situation, ont adopté le point de vue selon lequel un comptoir de commercialisation unique représente ce qu'il y a de mieux pour les agriculteurs de l'Ouest canadien. Comme il y a un grand mythe qui est constamment nourri à ce sujet, je vais expliquer un peu. Je suis convaincu que le comptoir unique vous permet de jouer tout à fait des libertés dont vous voulez jouir. Vous pouvez choisir sur le plan du prix. Nous travaillons actuellement aux choix sur le plan de la livraison. Les choses mêmes que vous exigez, l'essentiel de la commercialisation mixte, la Commission canadienne du blé l'offre. Seriez-vous assez étourdis pour renoncer à ce pouvoir marchand en échange de quelques être instance mythique?
Le sénateur Peterson : Combien de temps prendra cette transformation?
M. Ritter : Je ne parlerai pas pour les autres, mais, quant à moi, il a fallu un an ou deux pour que je voie l'ensemble des faits, pour voir le traitement que nous réservaient les fournisseurs de services de transport, les exploitants de silos, pour voir les prix obtenus sur les marchés — et j'ai vu qu'il était logique pour les agriculteurs de voir dans leur camp cette organisation.
Le sénateur Peterson : Il y a cinq ans, particulièrement en Saskatchewan, les agriculteurs faisaient transporter le grain jusqu'à Scobey et Plentywood, car ils obtenaient deux dollars de plus le boisseau. Je crois que c'était attribuable à l'offre et à la demande. Les agriculteurs se demandaient pourquoi ils ne le feraient pas toujours. En une semaine, certains agriculteurs locaux se sont demandé qui est propriétaire de tous ces camions sur les routes et ils ont fait fermer les frontières assez vite.
M. Ritter : Nous avons même trouvé une façon de régler encore davantage la question. Nous avons maintenant une option de prix — le marché au prix quotidien — qui permet à un agriculteur d'obtenir le prix en dollars américains en échange de son grain.
Le sénateur Callbeck : En 2006, selon l'enquête annuelle de la Commission canadienne du blé auprès des producteurs, 45 p. 100 des producteurs étaient en faveur du comptoir unique, 47 p. 100 étaient en faveur d'un système mixte, où les agriculteurs pourraient choisir entre la CCB et le marché libre, et 7 p. 100 étaient en faveur du marché libre sans restriction. Les pourcentages ont-ils beaucoup changé depuis dix ans, ou est-ce demeuré constant?
M. Ritter : Madame, ce sont des choses qui fluctuent pas mal. Il faut se rappeler qu'il s'agit d'une enquête. Nous tenons également des élections directes où les gens votent pour des administrateurs ayant pris position sur une question ou une autre. Si je me souviens bien, les chiffres en question n'ont pas beaucoup évolué depuis dix ans, mais il s'agit d'une enquête générale comprenant de nombreux éléments. Il s'agit surtout de demander : appuyez-vous la Commission canadienne du blé? Près des trois quarts des agriculteurs affirment qu'ils appuient la CCB.
La présidente : Une question que nous n'avons pas abordée, c'est celle des contestations sans fin qui viennent parfois des États-Unis et qui visent votre existence même. Combien de fois les États-Unis ont-ils essayé de contester votre existence en invoquant un accord de commerce ou en instituant une autre forme de démarche juridique? Si je ne m'abuse, vous avez eu gain de cause chaque fois.
M. Ritter : Ils ont contesté notre légitimité au moins une douzaine de fois. La réponse simple à votre question, c'est que nous avons eu gain de cause chaque fois, en dernière analyse. Nous en sommes au point où nous pouvons vendre du blé et de l'orge sur le marché américain. La raison qui les pousse à continuer à nous contester est ce qui importe. Les États du Nord exercent d'intenses pressions politiques sur eux pour qu'ils lancent constamment ces contestations de nature commerciale, car, comme tous les Américains, ils croient qu'ils sont supérieurs en tous points. Voilà donc que leurs propres meuniers veulent acheter nos grains à nous, même s'ils ont à verser des primes sans, probablement, savoir pourquoi. La réponse simple est que notre système, notre classement, notre qualité, nos silos, l'efficacité de nos chemins de fer et, certainement, notre capacité en tant qu'organisation sont tels que la qualité demeure de premier ordre. L'élément le plus fort, c'est que les agriculteurs de l'Ouest canadien cultivent un grain de qualité.
M. Jarjour : Le nombre exact de contestations et d'études s'élève à 14, mais nous avons passé un bon bout de temps aux États-Unis à rencontrer des groupes agricoles, dans les principales régions productrices de blé, afin de nouer avec eux des liens pour comprendre pourquoi ces contestations reviennent toujours.
M. Ritter a tout à fait raison. Les Américains nous ont dit très clairement que le système canadien, à leur avis, permet mieux d'en arriver à un produit de qualité pour l'utilisateur final. Ils ne sauraient avoir un système comme le nôtre aux États-Unis; la solution, de leur point de vue, consiste donc à éliminer le système canadien. C'est la raison fondamentale qui les pousse à nous contester, que ce soit dans les démarches bilatérales ou à l'Organisation mondiale du commerce.
La présidente : Aux yeux de certains, il est incompréhensible que ces contestations se poursuivent toujours. J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi il y a cette bataille constante entre les producteurs canadiens quant à savoir si la Commission canadienne du blé leur est utile. Ils affirment souvent qu'ils pourraient se débrouiller mieux seuls. Au Canada, en quoi la liberté de ne pas recourir à la Commission canadienne du blé améliorerait-elle les possibilités pour les agriculteurs de vendre leur propre grain sur le marché international?
M. Ritter : Pour expliquer nombre de ces questions, il faut songer aux racines politiques des Prairies. Certains agriculteurs croient que la CCB — même si elle est née de l'initiative du gouvernement conservateur, en 1935, je crois — a fini par être considérée par certains comme étant une organisation dont le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique ont fait la promotion. À mon avis, c'est une conclusion très malheureuse. En tant qu'organisation, nous nous considérons comme étant affiliés seulement aux agriculteurs des Prairies. Nous avons vu ce qui s'est passé dans les bureaux de scrutin ruraux de l'ouest du Canada au cours de la dernière élection. Il vous faudrait poser la question suivante : comment est-ce même possible qu'une personne appuyant le comptoir unique soit même élu au conseil d'administration de la Commission canadienne du blé? Le fait est simple : la plupart des électeurs conservateurs choisissent aussi le comptoir unique à la CCB. Selon moi, il y a toujours eu quelques agitateurs — comme Bobby Kennedy a pu le dire, il y a 20 p. 100 des gens qui s'opposent à tout, tout le temps — qui perpétuent toujours ces mythes et scénarios catastrophiques et tout le reste, et la roue tourne sans cesse.
La deuxième question qui préoccupait beaucoup les gens, c'était le programme américain d'amélioration des exportations, instauré il y a une douzaine d'années environ. L'effet a été d'élever les prix du grain aux États-Unis mêmes et de les abaisser partout ailleurs dans le monde. La plupart des agriculteurs ne comprenaient pas les effets de cette politique. Leur façon de structurer les prix était une aberration. C'est une chose qu'on ne voit pas aujourd'hui. Comme je vous l'ai déjà dit, les prix au Canada et aux États-Unis sont, à notre avis, très proches. Souvent, nos prix sont plus élevés. Si vous voulez le prix américain, vous pouvez l'obtenir à la ferme grâce à une de nos options.
Voilà comment tout cela se perpétue. Tout ce que je demanderais, c'est que chacun regarde bien le cas de la Commission canadienne du blé. Nous ne nous ancrons pas dans ces mythes. Nous sommes tournés vers l'avenir, dans la direction que prend le monde, et nous songeons à ajouter de la valeur et à la façon de faire des affaires, à l'idée d'être un partenaire de tous les agriculteurs.
Le sénateur Gustafson : Pour ce qui est du soutien du comptoir unique, il semble que cela ait un caractère régional. Par exemple, l'Alberta appuie vivement la CCB, car celle-ci est idéale du point de vue des agriculteurs. Des quantités de grains considérables sont chargées sans avoir à être transportées sur une longue distance. Les appuis en faveur de la commercialisation mixte semblent être plus forts le long de la frontière américaine que dans la partie nord de la Saskatchewan ou certaines parties du nord du Manitoba. Je vous invite à commenter cette question. Étant donné l'Accord de libre-échange nord-américain, je suis d'avis que nous aurons un jour un marché commun nord-américain, probablement dans différents secteurs.
En tant qu'agriculteurs, nous obtenons le meilleur prix possible en échange du grain. Je me souviens de l'époque où les États-Unis avaient des petits conteneurs dans chaque petite ville, où ils stockaient le grain. Le Canada faisait cela aussi jusqu'à un certain point, mais pas autant que les États-Unis. Ils faisaient exactement ce que font aujourd'hui les compagnies d'engrais. Elles fixent leur prix et s'en tiennent à ce prix. Les compagnies de machines le font. Elles demandent un prix et obtiennent le prix qu'elles veulent.
Nous sommes des preneurs de prix. Nous prenons ce qu'on nous donne. Peut-être qu'il nous faut revenir au vieux principe biblique qui dit d'emmagasiner le grain recueilli pendant les 17 années d'abondance en prévision des sept années de famine. Je cultivais à cette époque. C'était certainement une époque où on disait qu'il fallait toujours avancer; faire rouler les choses; cultiver toujours du grain.
M. Ritter : M. Measner commentera les statistiques provinciales, mais je commenterai d'abord moi-même, de la façon suivante.
Sénateur, le monde a beaucoup changé depuis cette époque. Je ne suis pas bien plus jeune que vous, mais je me souviens que c'était, en termes relatifs, une belle époque. Cependant, le monde était très différent; il y avait la guerre froide. Chacun savait dans quel camp il se trouvait. Les clients de chacun faisaient la file. Il y avait l'idée générale que tous devaient travailler ensemble. Il y avait des accords internationaux sur le blé, bon nombre d'accords prévoyant des garanties. C'était une assez bonne époque.
Aujourd'hui, les choses ont changé et elles changent encore, tout le temps, je viens d'acheter un livre de Gwyn Dyer, où il est question d'un monde multipolaire. Nous ne sommes plus dans un monde où il y a l'Occident et le Bloc soviétique. Il y a maintenant la Chine, l'Inde et le Brésil qui sont en train de devenir des géants. Les États-Unis et l'Union européenne sont encore des acteurs de tout premier plan sur la scène mondiale.
Certaines des choses que nous aurions pu faire à ce moment-là — par exemple, emmagasiner le grain et le garder longtemps en dehors du marché, et ce n'est peut-être plus possible. À l'époque, il y avait le programme de la Réserve fédérale : les agriculteurs se faisaient payer le grain que le gouvernement emmagasinait.
Du point de vue de la mise en marché, nous envisageons des petits trucs pour nous assurer que nos clients les plus importants ont un approvisionnement garanti, mais, globalement, je ne sais pas si le monde d'aujourd'hui est le même que celui qui existait à l'époque grisante que représentent les années 60 et 70.
Monsieur Measner, pouvez-vous parler du soutien provincial?
M. Measner : La question faisait partie de notre enquête. Il y a quelques différences à noter, mais pas autant que vous le pensez peut-être. Nous avons posé la question suivante : tout compte fait, êtes-vous pour ou contre la Commission canadienne du blé? Soixante-seize pour cent des répondants dans les Prairies ont dit appuyer vivement ou quelque peu la CCB, c'est donc 76 p. 100 en faveur. Nous avons réparti les données par province : au Manitoba, cela s'élève à 81 p. 100, en Saskatchewan, à 78 p. 100, et en Alberta, à 69 p. 100. C'est plus bas en Alberta, mais je crois que c'est encore très bon. La question a fait couler beaucoup d'encre en Alberta, mais pour ce qui est des appuis des agriculteurs à l'égard de la Commission canadienne du blé, 69 p. 100 l'appuient. Certes, ces statistiques nous réjouissent.
La présidente : N'importe quel parti politique y verrait de bons appuis.
Le sénateur Peterson : Jouez-vous sur les devises en achetant et en vendant au nom de vos producteurs? Achetez- vous d'avance des devises américaines en période de vente, pour protéger le rendement de vos producteurs?
M. Measner : Nous avons établi ce qui s'appelle un programme de couverture, qui couvre en partie les risques liés à la fluctuation des devises étrangères à mesure que progresse l'année. Nous n'essayons pas de prévoir les moindres fluctuations du marché, car il s'agit là à mon avis, d'une idée dangereuse. Certes, on peut tomber dans le mille, mais on peut aussi se tromper énormément. Tout de même, nous avons un programme de couverture qui couvre les risques liés à l'évolution des devises étrangères dans les comptes des syndicats de blé; il y a donc couverture périodique au fur et à mesure que l'année progresse. Cela commence au début d'avril et ça continue pendant l'année.
La présidente : Merci beaucoup. Je ne crois pas qu'il soit possible de procéder à ce genre d'étude sans solliciter les observations de la Commission canadienne du blé. Chaque fois que vous venez témoigner, vous apportez une contribution réelle à la discussion et, de temps à autre, il y a des nouveaux membres du comité qui ont besoin d'entendre l'histoire de la Commission canadienne du blé et le contexte dans lequel elle évolue. Nous avons besoin d'être informés de l'importance de la Commission canadienne du blé au moment où l'époque change et de mettre en perspective ces informations vis-à-vis de l'OMC. Je vous transmets nos meilleurs vœux, et à bientôt.
M. Ritter : Merci beaucoup.
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, avant que vous ne fermiez vos dossiers et partiez, nous devons tenir une séance à huis clos pour dire à nos recherchistes comment il nous faudrait produire un rapport provisoire sur les audiences que nous tenons. Je demanderais donc à tous les sénateurs présents de demeurer.
Le comité se poursuit ses travaux à huis clos.