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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 6 - Témoignages du 28 septembre 2006


OTTAWA, le jeudi 28 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 8 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous avons un groupe de témoins très distingués qui ouvriront pour nous le débat sur l'étude de la pauvreté rurale.

Les producteurs agricoles canadiens connaissent depuis quelques années leurs pires niveaux de revenus de l'histoire. Et ce sont leurs familles qui en souffrent le plus. Toutes les collectivités rurales au Canada sont touchées. Reconnaissant l'importance du problème, le gouvernement fédéral a annoncé en juillet dernier la création d'un programme d'aide aux familles agricoles doté d'un fonds de 550 millions de dollars pour venir en aide aux producteurs agricoles à faible revenu et à leur famille.

En mai dernier, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. D'ici la fin de l'année, le comité recevra divers témoins qui donneront un aperçu de la pauvreté dans les régions rurales. Ces travaux serviront de référence lorsque le comité se rendra dans diverses collectivités au pays l'an prochain.

Pour commencer notre étude aujourd'hui, nous entendrons des représentants de l'Organisation nationale anti-pauvreté. Cette organisation milite en faveur de l'éradication de la pauvreté depuis plus de 35 ans en organisant plusieurs campagnes très médiatisées pour attirer l'attention sur la situation pénible des pauvres et pour proposer des mesures visant à atténuer la pauvreté.

Pour représenter l'Organisation nationale anti-pauvreté nous avons aujourd'hui Mme Debbie Frost, présidente du conseil d'administration, et Mme Sherrie Tingley, directrice générale. Nous avons également Mme Nancy Shular, vice-présidente du conseil d'administration. Mme Frost est de Saskatoon, Saskatchewan, Mme Tingley est en poste ici à Ottawa et Mme Shular est d'Owen Sound, en Ontario.

Sherrie Tingley, directrice générale, Organisation nationale anti-pauvreté : C'est un véritable plaisir d'être ici aujourd'hui. Nous avons le privilège de vous présenter, et de pouvoir avoir avec nous, les membres de notre conseil d'administration, qui sont bénévoles.

Nous sommes une organisation sans but lucratif et non partisane qui représente les intérêts des personnes à faible revenu au Canada. Les membres de notre conseil d'administration sont des bénévoles provenant de toutes les provinces et tous les territoires du pays; ce sont eux qui dirigent nos travaux. Tous les membres de notre conseil ont vécu dans la pauvreté ou y vivent encore. Le conseil est assisté d'un modeste personnel qui travaille à notre siège social ici à Ottawa.

Notre mandat consiste à travailler en faveur de l'éradication de la pauvreté au Canada en veillant à ce que les préoccupations des personnes à faible revenu soient prises en compte dans les politiques et les décisions fédérales. Nous défendons les droits humains et économiques des personnes à faible revenu et appuyons les organisations locales et régionales afin que la voix des Canadiens à faible revenu puisse être entendue dans les processus de prise de décisions et d'élaboration des politiques, et ce, non seulement dans leurs collectivités mais aussi dans les provinces et sur la scène nationale.

J'aimerais commencer par la définition de la pauvreté et les indicateurs qui sont utilisés pour l'évaluer. J'aimerais citer, pour le compte rendu, les mots d'un groupe d'élèves de quatrième et cinquième années de North Bay. On leur a demandé ce qu'était la pauvreté. Ils ont répondu — et je crois que vous avez ce texte fort révélateur :

La pauvreté, c'est rêver de pouvoir aller chez McDonald; avoir un panier du Père Noël; avoir honte lorsque mon père ne peut avoir d'emploi; ne pas acheter de livre à la foire du livre; ne pas pouvoir aller aux fêtes d'anniversaires; entendre ma mère et mon père se disputer pour de l'argent; ne jamais avoir d'animal de compagnie parce que ça coûte trop cher; rêver d'avoir une belle maison; ne pas pouvoir aller en camping; ne pas avoir un hot-dog lors d'une journée du hot-dog; ne pas avoir de pizza lors d'une journée de la pizza; ne pas aller à Canada's Wonderland; ne pas pouvoir inviter ses amis à dormir chez soi; faire semblant d'avoir oublié son dîner; avoir peur de dire à sa mère qu'on a besoin de nouvelles chaussures pour le gymnase; se passer parfois de déjeuner; ne pas pouvoir jouer au hockey; parfois c'est très difficile parce que ma mère a peur et se met à pleurer; cacher ses chaussures pour que le professeur ne soit pas contrarié en voyant que je n'ai pas de bottes; ne pas pouvoir aller aux louveteaux ou jouer au soccer; ne pas pouvoir prendre des leçons de natation; ne pas pouvoir prendre des options à l'école, par exemple le ski alpin; ne pas pouvoir se payer des vacances; ne pas avoir de jolies barrettes pour ses cheveux; ne pas avoir sa propre cour; se faire taquiner à cause de ses vêtements; ne pas pouvoir participer aux sorties de l'école.

Comme vous pouvez le voir, la pauvreté n'est pas absolue; elle est relative. C'est une question d'inclusion sociale.

Votre comité pourrait bien consacrer toutes ses ressources et tout son temps à s'empêtrer dans le débat entre l'évaluation relative et l'évaluation absolue de la pauvreté. Nous espérons que vous opterez pour l'approche relative. Il est essentiel que vous examiniez l'inclusion sociale.

Je vais laisser la parole à notre présidente, Debbie Frost, qui a participé à un projet innovateur en Saskatchewan appelé Photovoice. Il s'agit d'un processus par lequel les gens peuvent identifier, représenter et améliorer leur collectivité par le biais d'une technique photographique particulière. Des appareils photos sont confiés à des personnes et leur permettent d'enregistrer des choses et de jouer un rôle de catalyseur de l'action sociale et du changement dans leur collectivité. Le processus utilise l'instantanéité de l'image et le texte qui l'accompagne pour présenter des preuves et pour promouvoir des façons efficaces et participatives de partager l'expertise afin de créer de saines politiques publiques.

Debbie Frost, présidente du conseil d'administration, Organisation nationale anti-pauvreté : Je vais vous parler du projet. Je voudrais aussi souligner que ce projet comporte beaucoup d'information concernant la fierté rurale et la pauvreté rurale en Saskatchewan.

J'ai aussi travaillé à un autre projet par l'entremise du Centre d'excellence pour la santé des femmes — région des Prairies, un projet portant sur les services sociaux et l'impact sur la santé des femmes. Nous avons recruté des groupes de tous les coins de la province, et notamment des régions rurales et des réserves. Le projet comportait un important volet sur la défense des droits, en particulier des personnes en région rurale, et l'accès aux ressources. Je n'ai pas d'exemplaire du rapport. Je peux vous transmettre l'information et le lien pour y accéder. Il est intitulé Don't We Count as People?

Nos participantes ont choisi le nom de ce projet, Faire attention et prêter attention : Les femmes, la pauvreté et les politiques publiques, Un projet Photovoice. Il explore les multiples définitions de la pauvreté : Que signifie-t-elle? Est-elle la même pour tout le monde?

Nous avons réuni un groupe de dix femmes et leur avons demandé si elles accepteraient d'être photographes. Toutes vivaient dans la pauvreté : des mères célibataires, des familles handicapées, des femmes célibataires. Nous nous sommes réunies plusieurs fois. Nous ne nous connaissions pas mais nous pensions qu'il était important de nous faire confiance car lorsqu'on est une personne à faible revenu, il est difficile de faire confiance aux gens. Après quelques réunions où nous avons appris à mieux nous connaître et où nous avons expliqué ce que nous aimerions faire, nous avons pu bâtir cette confiance. À certaines réunions, il y avait beaucoup d'émotion. Après quelque temps, les femmes se sont laissées aller à pleurer et à rire ensemble. Nous avons parlé de nos familles, d'incidents et des choses négatives dans nos vies. Le mari d'une des femmes vivait une période vraiment difficile et elle s'en est ouverte au groupe, mais il a fallu du temps pour bâtir cette confiance.

Nous avons ensuite remis aux femmes des appareils photos jetables. Je faisais parti du comité organisateur de ce projet et j'étais aussi l'une des photographes. Nous avons également permis aux femmes d'utiliser un pseudonyme. Lorsque les femmes s'engagent, elles craignent les répercussions, en particulier si elles vivent de l'aide sociale. Si vous vous exprimez, c'est mauvais. Les travailleurs sociaux ont tendance à menacer de vous couper les vivres. Un exemple éloquent : une femme qui se présentait aux élections municipales à Saskatoon il y a quelques années. Elle recevait de l'aide sociale et son travailleur social lui a fait parvenir une lettre lui disant de se retirer sans quoi ses prestations seraient coupées. Les personnes vivant de l'aide sociale n'avaient par le droit de se présenter à ces postes. Elle n'a pas retiré son nom et nous nous sommes battues.

Revenons au projet. Les femmes à faible revenu sont souvent surveillées par les autres et dans ce projet, nous étions derrière la lentille, pas devant. Nous nous sommes penchées sur nos propres expériences et avons observé le monde à partir de notre point de vue. Nous avons cherché à connaître tous les obstacles engendrés par la pauvreté et toutes les bonnes choses qui nous font avancer.

Nous encourageons les gens dans les collectivités à prendre soin les uns des autres en élaborant des politiques justes et en traitant tout le monde avec dignité et respect. Nous voulons du changement et espérons que nos actions porteront fruit.

Notre objectif dans le projet était de nous servir de nos mots et de nos photographies pour sensibiliser le public et influer sur les politiques publiques afin de réduire la pauvreté et d'améliorer les conditions de vie des femmes.

Nous songeons à reprendre ce projet avec des hommes afin d'en faire un processus inclusif et non centré uniquement sur les femmes. Nous sommes actuellement à réunir un groupe d'hommes. Il est plus difficile de réunir des hommes pour faire de genre de chose. Nous travaillons là-dessus et nous espérons mettre ce projet en marche d'ici un an avec des hommes qui feront la même chose.

Comme vous le voyez, les femmes ont utilisé des pseudonymes mais l'important était d'avoir ces images et ces textes. Vous pouvez voir le nom au-dessus de l'image, et les titres, par exemple: « La pauvreté, c'est douloureux! » Les femmes ont choisi elles-mêmes les titres et elles ont écrit les textes. Ces textes leur venaient du coeur. C'est ainsi qu'elles voient la pauvreté et ce qu'elle signifie pour elles. Certaines de ces images sont très puissantes. Je regrette que ce lot ne contienne pas toutes les images. Quand nous avons préparé les liens et la présentation en PowerPoint, nous n'avons pas pu inclure toutes les images. Nous avons dû nous restreindre un peu. Je peux avoir le lien avec toutes les images.

C'est un projet puissant, et il est fort. Certaines de ces femmes viennent de régions rurales de la Saskatchewan et certaines de réserves. Lorsque nous réalisons ce genre de projet, nous nous assurons que c'est un processus inclusif.

Je vous recommande de prendre connaissance de cette documentation lorsque vous aurez le temps et de lire les mots de ces femmes. Celui des hommes devrait venir bientôt. J'enverrai le lien pour le rapport parce qu'il contient d'importantes recommandations dont vous voudrez tenir compte.

Nancy Shular, vice-présidente du conseil d'administration, Organisation nationale anti-pauvreté : Je viens de l'Ontario rural. Je suis la première vice-présidente de l'Organisation nationale anti-pauvreté. Je viens d'une collectivité rurale où bien des gens savent d'où viendra leur prochain repas uniquement parce qu'ils ont la chance de produire leur propre nourriture. Ceux qui vivent de leurs produits agricoles sont à la merci des saisons et de la météo. Si l'année est mauvaise, alors même ces gens auront faim.

Pour ceux qui ne cultivent pas, l'ampleur de la pauvreté est telle qu'ils n'ont aucun mode de transport pour se rendre à l'épicerie ou, ce qui est tout aussi grave, pour obtenir des soins de santé, quand ils sont disponibles. Dans les régions rurales, il y a peu de médecins, quand il y en a, et aucun psychiatre, même si le taux de suicide est élevé.

Les hommes deviennent frustrés lorsqu'ils ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille et cette frustration se retourne souvent contre leur famille. Comme il n'y a pas de moyen de transport, les familles sont piégées dans des situations d'abus, et le cercle vicieux est maintenu. Même si les abuseurs veulent avoir de l'aide, ils n'ont aucun moyen de se rendre là où l'aide est offerte.

Les femmes, les enfants, les hommes, les agriculteurs et les familles en général sont touchés par la pauvreté rurale. Absence de soins médicaux, insuffisance de ressources, coûts élevés du logement et du chauffage, absence de moyen de transport et des hommes qui peuvent se sentir inutiles : bon nombre de ces problèmes sont des symptômes d'abus.

Il faut faire quelque chose pour faire en sorte que la vie soit plus qu'une simple existence. Les enfants en milieu rural ne voient même pas un avenir meilleur dans les études supérieures parce qu'il n'y a pas de fonds pour les payer. Le gouvernement doit élaborer une stratégie viable de réduction de la pauvreté. Cette stratégie doit au moins atteindre le seuil de pauvreté. Elle permettrait d'avoir des aliments nutritifs et même un moyen de transport. Avec une bonne alimentation et des soins médicaux, les enfants pourraient espérer avoir un avenir meilleur.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie d'être venues ce matin nous apporter votre aide pour cette étude de la pauvreté en milieu rural. Votre organisation existe depuis environ 35 ans. Vous avez mené plusieurs campagnes. D'où vous vient votre financement?

Mme Tingley : Nous avons de généreux donateurs. En outre, nous recevons des fonds de Ressources humaines et Développement social Canada. Je ne sais pas ce qui adviendra du financement l'an prochain mais le gouvernement a toujours cru que notre participation au débat et à l'élaboration des politiques publiques est importante dans une société démocratique. Nous recevons également des dons de fondations, etc. C'est toujours difficile, et nous ne savons jamais ce que nous réserve l'avenir.

Le sénateur Callbeck : Vous êtes financés par le gouvernement fédéral depuis plusieurs années.

Mme Tingley : Oui, nous le sommes.

Le sénateur Callbeck : Je remarque que vous menez deux importantes campagnes en ce moment, l'une portant sur le salaire minimum, un salaire plus équitable, pour le porter à dix dollars l'heure. Une telle mesure aiderait certainement bien des gens rémunérés à l'heure. Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, alors cette question m'intéresse beaucoup. Avez-vous des idées ou des recommandations pour les pêcheurs et les agriculteurs qui ne sont pas rémunérés à l'heure? Je me demandais si vous aviez songé au revenu annuel garanti.

Mme Tingley : Le revenu annuel garanti est l'une de nos priorités. Nous croyons que c'est fondamental pour les droits de la personne et la justice sociale, ainsi que pour la sécurité économique des Canadiens. C'est là une de nos principales priorités et nous n'hésitons pas à la recommander. Nous connaissons l'impact que les transferts de revenus actuels ont sur l'équilibrage dans une certaine mesure mais bien sûr les besoins ne sont malheureusement pas satisfaits.

Le sénateur Callbeck : Il est aussi recommandé de rendre le régime fiscal plus équitable. Avez-vous des recommandations particulières à ce sujet?

Mme Tingley : Nous n'avons pas travaillé autant que nous aurions pu le faire sur le régime fiscal parce que c'est généralement laissé aux économistes, etc. L'accès au régime fiscal est une de nos préoccupations. Cela peut sembler un peu bizarre mais de nombreux avantages sont accordés par le biais du régime fiscal, alors il devient essentiel que les gens puissent produire une déclaration de revenus pour avoir accès aux avantages. Nous sommes très préoccupés par les avantages non réclamés. Les gens sont exclus parce qu'ils se disent généralement: « Je n'ai pas de revenu, alors je ne produirai pas de déclaration », ou alors ils habitent avec un conjoint qui produit une déclaration et ne réalisent pas que la déclaration de revenus fait partie du processus qui permet d'avoir accès aux avantages. De plus en plus d'avantages sont accordés aux Canadiens par l'entremise du régime fiscal mais les gens doivent en faire la demande.

Le processus est complexe et il est inquiétant que les parlementaires aient travaillé si fort pour mettre en oeuvre ces programmes et pourtant nous n'avons pas atteint les objectifs. Récemment des bons d'études ont été offerts mais encore une fois ce processus est très complexe, même s'il ne nous semble pas complexe à vous et à moi. Afin d'avoir les bons d'études les parents doivent demander un numéro d'assurance sociale pour leur bébé. Ils ne songeront peut-être pas à faire cette demande. Ils doivent avoir un régime d'éparge-études et recevoir le Supplément de la prestation nationale pour enfants. Ressources humaines et Développement social Canada nous assure que les banques demanderont les bons d'études au nom de leurs clients mais je suis sceptique à propos de ce processus. Nous sommes préoccupés par le nombre de personnes qui n'obtiennent pas ces avantages. Dans la déclaration de revenus, il y a des cases à cocher qui permettent à l'Agence de revenu du Canada de savoir si elle doit calculer ou non le crédit pour la TPS. Nous tenterons de savoir combien de personnes oublient de cocher la case. L'ARC en fait-elle un suivi ou considère-t-elle cet oubli comme un boni? Il est ridicule de penser qu'elle ne puisse pas calculer automatiquement le crédit pour tous ceux qui produisent une déclaration.

Les gens qui nourrissent les gens sur le terrain n'arrivent qu'à satisfaire les besoins de base et ne songent pas souvent à ces questions. Bien des gens dans nos refuges sont des aînés qui ne reçoivent pas la prestation de la Sécurité de la vieillesse ni le Supplément de revenu garanti. Les travailleurs des refuges arrivent à peine à endiguer la vague et n'ont pas le temps d'approfondir la question du revenu. Mes collègues auront peut être d'autres commentaires.

Le sénateur Callbeck : Je partage certainement vos préoccupations. J'ai parlé à bien des gens à l'Île-du-Prince-Édouard qui ne reçoivent pas certaines des prestations simplement parce qu'ils ignoraient leur existence. C'est un problème.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais commencer par le point que vous avez soulevé concernant les services sociaux et l'interdiction qui est faite aux personnes vivant d'aide sociale de s'exprimer. J'ai été scandalisé d'entendre qu'un bénéficiaire ne pouvait solliciter un mandat politique. Pourriez-vous préciser pourquoi c'est arrivé? Y a-t-il une politique à cet effet?

Mme Frost : Les gens qui vivent de l'aide sociale sont très intimidés par les travailleurs sociaux. J'ai un diplôme en travail social et l'expérience que j'ai des services sociaux et des travailleurs sociaux ne correspond pas à ce que j'ai appris à l'école. On ne devrait pas dire: « services sociaux » mais plutôt: « services financiers » ou quelque chose du genre. Les gens en Saskatchewan ont vraiment peur de s'exprimer et de s'engager. Je suis l'exception parce que je suis engagée mais c'est parce que je ne peux pas me la fermer. Pour la plupart des gens, c'est un manque d'estime de soi et un manque de confiance. Il faudrait les aider à s'engager dans la collectivité. Or, certaines personnes ont vraiment peur de cet engagement parce qu'elles n'osent pas s'exprimer. Elles croient que si leur travailleur social apprend qu'elles se sont exprimées, elles recevront une lettre leur disant qu'elles ont été coupées. Pour vous donner un bon exemple, je travaille avec une femme qui est aussi une intervenante. Pour certains de ses dossiers, plutôt que de passer par les travailleurs sociaux, parce qu'elle n'arrivait à rien avec eux, elle est allée directement au bureau du ministre, ce que nous, intervenantes, faisons à l'occasion. Cette femme a reçu une lettre du directeur du programme au bureau de Saskatoon lui disant que si elle allait encore une fois au bureau du ministre, elle allait en subir les conséquences dans ses prestations. C'est ce que le ministère fait; les services sociaux intimident les gens.

Il semble que chaque fois que quelqu'un vivant de l'aide sociale tente de faire un pas en avant, on le fait reculer de deux pas. C'est une bataille dans l'Ouest. Nous travaillons sans cesse pour encourager les gens et les rendre autonomes et pour les aider à bâtir l'estime de soi et la confiance dont ils ont besoin pour intégrer la collectivité. Ces efforts leur permettront éventuellement de chercher du travail et de suffire à leurs propres besoins. Cela ne marche pas pour tout le monde mais pour beaucoup, c'est le cas.

Le sénateur Tkachuk : Le comité a été mandaté pour examiner la pauvreté rurale. L'économie va bien depuis plusieurs années. Le taux de chômage dans la plupart des provinces est faible. Les gouvernements dépensent de l'argent sur tout. Vous pouvez focaliser sur le Canada rural ou parler de la situation générale. Tout dépend de ce que vous pouvez faire pour nous aider. J'aimerais avoir une réponse à certaines questions : les travailleurs à faible revenu reçoivent-ils de l'aide sociale? Sont-ils handicapés? Sont-ils jeunes ou vieux? Qui sont les travailleurs à faible revenu?

Mme Tingley : Les pauvres ont toujours été de femmes. Au Canada, un grand nombre de personnes ont connu un cycle de la pauvreté. Les gens y tombaient, s'en sortaient et y tombaient à nouveau. La pauvreté persistante n'a pas été trop grave parce que les gens avaient de nombreuses possibilités et nous avions un filet de sécurité sociale qui empêchait les gens de trop s'enfoncer. Or, aujourd'hui nous assistons à la création d'un piège de la pauvreté, ce qui nous préoccupe. Lorsque les gens perdent leur emploi, ils n'ont plus d'assurance-emploi. Bien des gens se tournent vers l'aide sociale, ce qui est punitif. La plupart des provinces ont adopté la méthode du dépouillement des biens, c'est-à-dire que les gens doivent être pratiquement à la rue pour être admissibles aux prestations. Par exemple, l'Ontario a abaissé le plafond des biens des mères célibataires de 5 000 $ à 1 200 $ environ. Avec 1,200 $ et un processus aussi complexe, les gens risquent d'être expulsés de leur logement. C'est incroyable qu'on puisse tomber aussi bas.

J'ignore si le comité a pris connaissance du rapport du Conseil national du bien-être social sur les revenus de l'aide sociale. À Ottawa, et l'Ontario n'est pas la pire province, une mère célibataire avec un seul enfant reçoit environ 950 $, et le loyer moyen à Ottawa est de 950 $.

Si cette mère occupe un emploi précaire et attrape la grippe, avec le genre d'emplois qu'on a maintenant, elle perdrait probablement le sien pour s'être absentée. Elle serait mal prise. Tout à coup elle ne pourrait plus payer le loyer et serait obligée de vendre quelque chose juste pour payer ce loyer. Si les choses empiraient, elle et son enfant se retrouveraient à la rue, ou presque.

Les gens tombaient dans le filet de sécurité mais maintenant le filet est si bas qu'ils passent le plus clair de leur temps à faire la queue aux banques d'alimentation, à se battre pour ne pas être expulsés ou à vivre dans un refuge. C'est tout simplement ahurissant. C'est un des problèmes les plus graves que nous constatons mais c'est un problème caché qui n'a pas encore révélé toute sa dynamique. C'est tous simplement incroyable.

Encore une fois, avec le dépouillement des biens en Ontario, votre voiture ne peut pas valoir plus de 10 000 $. C'est peut-être une bien bonne voiture, mais encore là, si vous avez une bien bonne voiture, et au Canada rural, la meilleure chose que vous puissiez avoir, c'est une bien bonne voiture, eh bien! tout à coup, vous devez vendre votre voiture. Vos chances d'intégrer le marché du travail sont nulles, alors ça devient ridicule. Le régime d'aide sociale, le Régime d'assistance publique du Canada, a été perdu en 1995, et il n'y a aucune condition aux transferts à la province pour l'aide sociale sauf celle de pouvoir déménager d'une province à l'autre. Les gouvernements provinciaux ne sont pas tenus de s'assurer que les prestations qu'ils versent sont suffisantes pour satisfaire leurs besoins de base. Dans une cause entendue par la Cour suprême, l'affaire Gosselin, bien des provinces ont prétendu qu'elles n'avaient aucune obligation de fournir quoi que ce soit à leurs citoyens. Je sais qu'un des juges a demandé à l'avocate du procureur général de l'Ontario si cela comprenait même de l'eau et elle a dit oui, et nous savions que c'était vrai mais c'est très pénible.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque vous dites que le RAPC était là en 1995, y en avait-il un avant cela? Lorsque vous dites que le RAPC a été supprimé, que voulez-vous dire exactement?

Mme Tingley : Le Régime d'assistance publique du Canada a été mis en place en 1965 ou 1975, et il est devenu la référence pour le transfert social. Il y avait des conditions concernant ce que les provinces devaient fournir à leurs citoyens, et c'était le Régime d'assistance sociale du Canada et il englobait les soins à domicile, les services de garde et l'aide sociale. Pour l'aide sociale, elles devaient verser des prestations suffisantes; il devait y avoir un processus d'appel; elles devaient verser des prestations aux personnes dans le besoin.

Le gouvernement transmet un rapport tous les cinq ans à l'ONU sur les droits sociaux et économiques au Canada et a déclaré que le Régime d'assistance publique du Canada constituait la base fondamentale des droits économiques des Canadiens. Par conséquent il était très choquant de voir arriver le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et c'est devenu un bloc transféré aux provinces et cela voulait dire que les régimes d'aide sociale étaient en concurrence avec l'éducation et la santé, et la grande majorité des gens veut des soins de santé et en aura besoin. Nous avons vu des changements incroyables dans les régimes d'aide sociale partout au pays.

Mme Frost : J'aimerais ajouter un commentaire ici. Lorsque nous avions le RAPC, les provinces devaient rendre compte aux fédéraux de l'argent dépensé, mais les fonds versés aux provinces étaient aussi réservés. Un certain montant devait être consacré aux services sociaux, à la santé et ce genre de chose. Lorsque le transfert social a été mis en place, tout cela est disparu et tout le processus de reddition de compte a été supprimé. Maintenant l'argent va aux provinces et elles peuvent en faire ce qu'elles veulent. Les fonds ne sont plus réservés.

La présidente : Très souvent lorsqu'on parle de banque d'alimentation on pense au Canada urbain. Cet été, j'étais à l'un de ces nombreux déjeuners aux crêpes qui ont lieu dans les petites collectivités du sud de l'Alberta, et à l'entrée de l'un d'eux il y avait de grosses boîtes pour payer son prix d'entrée, mais le prix demandé n'était pas de l'argent mais des vêtements, de la nourriture ou n'importe quoi pour la banque d'alimentation de cette toute petite collectivité. Je me demande, en particulier dans le cas de Mme Frost, de la Saskatchewan, alors que nous nous préoccupons de l'aspect de la pauvreté sur le terrain dans le Canada rural, nous nous demandons dans quelle mesure cela touche les villages, et la survie même de ces villages. Avez-vous un commentaire là-dessus?

Mme Frost : Dans les régions rurales de Saskatchewan, c'est très grave. Ils n'ont pas de banque d'alimentation; ils n'ont pas de ressource. L'un des problèmes quand on vit dans un village rural, dans toutes les provinces j'imagine, c'est que le coût de la vie y est beaucoup plus élevé. Par exemple, je peux aller au supermarché et acheter quatre litres de lait pour trois dollars. Si vous allez à une coopérative dans un village rural, vous paierez cinq dollars pour la même chose, ce qui équivaut à deux pains. Le coût de la vie en milieu rural est beaucoup plus élevé. Ils n'ont pas les grands magasins d'alimentation que nous avons en ville.

Selon mon expérience en Saskatchewan, et dans certaines régions rurales, ce sont surtout les groupes religieux qui offrent des services dans ces régions. Ils travaillent avec les familles, offrent de l'aide, mais ce qui se passe là-bas n'a plus rien d'un boom rural. Bien des villages ferment; les gens quittent et les villages disparaissent tout simplement et deviennent des villages fantômes. J'ignore ce qui se passe dans les autres provinces mais je sais que c'est ce qui arrive de plus en plus souvent en Saskatchewan.

Comme l'a souligné Mme Shular, le problème, c'est l'insuffisance de ressources, de moyens de transport et de soins de santé. Pour les gens recevant de l'aide sociale dans les petits villages, un travailleur social s'y rend une fois par semaine. C'est la seule occasion qu'ont ces gens de demander de l'aide. S'ils reçoivent de l'aide sociale et ont besoin de quelque chose, ils ont l'occasion une fois par semaine de voir un travailleur et c'est tout. Dans le cas de la Saskatchewan, c'est un manque de ressources, un manque de tout qui fait fermer les petits villages. Le coût de la vie est beaucoup plus élevé pour les gens en milieu rural.

La présidente : J'imagine que c'est aussi une question importante dans la plupart des régions rurales de l'Ouest canadien.

Mme Frost : J'imagine que oui.

Mme Shular : À Owen Sound, notre principal centre, les gens ont le droit d'aller à la banque d'alimentation trois fois par année, et en Ontario rural, les gens doivent trouver quelqu'un pour les y conduire. Trois fois par année quand on est affamé, ce n'est pas assez. C'est la limite à Owen Sound — trois fois par année.

Le sénateur Segal : Pourriez-vous me donner une idée, si c'est la région d'Owen Sound qui est le centre ou une partie quelconque de l'Ontario, de la façon dont les gens se débrouillent? Je me rappelle que M. Rae était très contrarié lorsque M. Martin a sabré le RAPC, bien qu'il l'ait sabré pour d'autres raisons liées à de plus importants problèmes fiscaux.

L'influence du gouvernement fédéral signifiait que pour chaque dollar dépensé par la province, le gouvernement fédéral donnait un dollar. C'était un financement équilibré dollar pour dollar venant d'Ottawa. La disparition de cette formule a mis les gens et le gouvernement de l'Ontario en colère. C'était justement au moment où la récession créait un chômage massif et où les prestations avaient été sabrées de façon draconienne par le gouvernement du jour. Tout revenait à l'aide sociale, alors les listes de l'aide sociale allongeaient. Le gouvernement fédéral a décidé qu'il n'assumerait aucune responsabilité à l'égard de ces listes, ce qui laissait les provinces se débrouiller seules. Je crois que l'histoire montrera que les mailles du filet de sécurité se sont agrandies et que cette décision fédérale a eu des conséquences sur bien des vies.

J'aimerais parler de l'accès aux soins de santé dans cette partie de l'Ontario rural que vous connaissez. Vous avez mentionné le transport, le besoin d'avoir une voiture. Pourriez-vous aussi nous dire si ce sont les familles agricoles qui souffrent le plus dans les circonstances actuelles ou si ce sont des gens qui vivaient en milieu rural et qui travaillaient peut-être dans une usine locale qui a fermé, ou qui sont allés au village pour travailler dans un commerce de détail qui a fermé ou dans lequel le salaire minimum était insuffisant pour vivre. Je ne veux pas de statistiques. Si vous en avez, c'est très bien mais donnez-moi simplement votre opinion, dans la partie de l'Ontario où vous vivez.

Mme Shular : Pour ce qui est de la fin du RAPC, le comté de Grey est connu comme celui où il y a eu le plus grand nombre d'audiences au tribunal et le plus de pertes. D'abord, il faut pouvoir vous rendre aux services sociaux du comté de Grey pour faire une demande, un endroit situé au centre d'Owen Sound. Vous devez voir un film le premier jour, y retourner un autre jour pour une entrevue et un autre jour pour voir si votre demande est acceptée. Donc, vous devez pouvoir vous y rendre trois fois et ensuite ils vous envoient un chèque si vous êtes accepté, ou une lettre de refus. Si vous recevez une lettre de refus, vous devez alors aller à un tribunal, ce qui pourrait prendre des mois. Les gens souffrent vraiment dans le milieu de l'aide sociale et c'est tout simplement insensé que toutes ces étapes soient requises.

Owen Sound est un centre. C'est là que je vis maintenant mais je n'y vivais pas il y a cinq ans. La plupart des gens à l'extérieur d'Owen Sound doivent se débrouiller avec le transport. Owen Sound a un service de transport public de 9 heures à 17 heures, mais en dehors d'Owen Sound, il n'y en a pas.

Le sénateur Segal : Selon Statistique Canada, près de 40 p. 100 des personnes qui vivent en milieu rural au Canada vivent sous le seuil de faible revenu. Si vous songez à vos voisins, des gens que vous connaissez à la campagne, ce chiffre est-il exact ou la situation est-elle plus grave?

Mme Shular : Je crois qu'il est un peu faible. La perception, avec laquelle je ne suis pas d'accord, c'est que les agriculteurs vivent mieux que les autres personnes en milieu rural au Canada parce qu'ils ont des terres et peuvent produire leur nourriture. Cependant, tout dépend encore de la météo.

Le sénateur Segal : Il n'y a pas de salaire minimum pour les agriculteurs.

Mme Shular : Il n'y a même pas de salaire pour un agriculteur. Il y a aussi que les gens croient que l'agriculteur est riche de ses terres, et personne ne sait combien l'agriculteur doit sur ces terres. Il pourrait devoir 99 p. 100 de la valeur de ses terres, alors ils ne sont pas vraiment riches de leurs terres. Certaines personnes en Ontario rural disent, eh bien! c'est plus facile pour les agriculteurs, mais ce n'est pas vrai. C'est peut-être le cas de certains, s'ils ont hérité de la ferme familiale ou quelque chose du genre, mais pas pour les autres.

Le sénateur Segal : Madame Tingley et madame Frost, vous parlez d'un revenu annuel garanti. C'est une chose que de nombreuses personnes, dont moi-même, réclament depuis très longtemps.

Je pense en particulier à ce que Mme Frost a dit à propos des rapports que les gens ont avec les travailleurs sociaux et de la façon dont les travailleurs sociaux, même les mieux intentionnés, doivent traiter leurs dossiers, qui deviennent de plus en plus nombreux. Certaines personnes sont d'avis que s'il y avait un revenu annuel garanti qui fonctionne correctement, les gens feraient tout simplement une déclaration de revenus. Si vos revenus étaient inférieurs à ce qu'il faut pour vivre dignement et satisfaire vos besoins de base (transport, chauffage, nourriture, etc.), le système comblerait automatiquement l'écart, comme c'est le cas actuellement du crédit pour la TPS pour ceux qui produisent une déclaration.

Selon cet argument, vous pourriez éliminer les obstacles que vous avez décrits — se rendre au bureau, voir le film, faire la demande, etc. — et ce serait plus automatique. Cependant, il faut un certain niveau d'alphabétisme pour se brancher au système fiscal. Si vous ne produisez pas de déclaration, vous ne pourrez pas être inscrit pour la période où vous avez besoin d'aide. Vous avez évoqué le problème de se brancher au système, alors quelle est la réponse?

Supposons que le gouvernement est disposé à mettre en place un seuil de revenu pour tous les Canadiens en milieu rural. Comment comblez-vous cet autre écart?

Mme Tingley : Il n'y a aucune raison de ne pas avoir un formulaire de déclaration d'une seule page. Revenu Canada a tous les renseignements. Je prépare ma propre déclaration depuis des années. J'ai un fils de 22 ans et je l'aide à préparer la sienne aussi. Les enfants posent les questions pertinentes; il demande toujours pourquoi il faut multiplier par 17 p. 100 et ensuite par 33 p. 100.

Le sénateur Segal : Des étages entiers de comptables fiscalistes dépendent de cette complexité.

Mme Tingley : Oui, mais c'est insensé. Nous allons faire pression pour avoir ce formulaire simplifié d'une page pour qu'on n'ait plus à multiplier par 33 p. 100 et ensuite par 17 p. 100 et par 1,2 p. 100, etc. Ils vous disent de multiplier par un pourcentage; ils disent de multiplier par 20 p. 100 et non par 0,2 p. 100. C'est ridicule; et ensuite, bien sûr, Revenu Canada a tous les renseignements.

De mon expérience personnelle en tant que mère à faible revenu, lorsqu'ils ont mis en place la Prestation nationale pour enfants, j'ai travaillé en faveur de ce programme. Lorsqu'ils l'ont mis en place, je vivais en union de fait. Ils l'ont mis en place en même temps que nous avons perdu l'allocation familiale, et ils ont permis aux conjoints de fait de produire une déclaration conjointe. Je croyais que c'était très bien, nous pouvions produire une seule déclaration. Je n'ai pas réalisé que si je ne produisais pas ma propre déclaration de revenus, je perdrais la Prestation nationale pour enfants.

Je vivais au seuil de la pauvreté et j'avais l'impression que tout allait très bien. J'ai été environ six ans à ne pas recevoir la Prestation nationale pour enfants. Je croyais que j'étais trop riche pour la recevoir, bien que là je travaillais sur la politique à l'échelle nationale. J'étais très déçue parce que lorsque j'ai parlé à Revenu Canada lors de ma séparation, ils avaient toutes les données sur mes revenus passés. Ils pouvaient simplement les imprimer pour moi et j'ai fait une demande pour ces années. J'ai pensé, ils ont les données, j'ai déclaré ces revenus, etc. Il est tout simplement ahurissant que quelqu'un qui travaille au niveau de la politique nationale ne puisse comprendre le système. Cela voulait dire que ce n'est vraiment pas une question d'alphabétisme ou de connaissance; le système est beaucoup trop complexe, et c'est ridicule.

Mme Frost et Mme Shular doivent se rendre à une réunion, mais je veux aborder nos recommandations, concernant ces gens qui vivent dans la pauvreté en milieu rural au Canada, la réduction de la pauvreté fondée sur les biens, et aussi du fait que bien des gens vivant dans la pauvreté travaillent. Il y a un très grand nombre de travailleurs à faible salaire.

Mme Frost : Si vous êtes une mère célibataire au salaire minimum qui doit payer la garderie, une fois la garderie payée, il ne reste plus rien pour vivre. Il n'en reste même pas assez pour payer son loyer.

Avant de partir, j'aimerais ajouter quelque chose concernant le RAG qui a été soulevé à quelques reprises. Notre conseil a plusieurs comités qui travaillent sur divers dossiers. Je crois que Mme Shular en est la présidente. Nous avons un comité du RAG qui travaille là-dessus depuis un an maintenant. Nous essayons de faire avancer les choses. Nous tentons de nous lier à d'autres groupes au Canada qui travaillent sur la même question. Nous essayons de réunir ces groupes afin d'en arriver à un RAG universel qui fera l'affaire de tout le monde.

Mme Shular : Nous ne travaillons par sur le revenu annuel garanti. Nous travaillons sur un revenu adéquat garanti.

La présidente : Sur ce, nous vous remercions. Nous sommes désolés de vous voir partir. Au cours de l'année nous espérons prendre contact avec vous afin de pouvoir bénéficier de votre expérience et de votre sagesse.

Entre temps, Mme Tingley demeure avec nous et nous poursuivons notre audience.

Le sénateur Munson : Bonjour. Nous avons entendu des déclarations étonnantes que nous ne devrions pas entendre de nos jours. Tout d'abord, j'ai quelques questions terre à terre concernant le nombre de personnes vivant dans la pauvreté en milieu rural au Canada. C'est peut-être naïf, mais est-ce pire qu'il y a dix ans?

Mme Tingley : Je n'ai pas les chiffres en main. Cependant, je peux vous dire si c'est pire ou non. La performance économique étonnante du Canada n'a pas profité à tout le monde. En fait, l'ampleur de la pauvreté est scandaleuse. Quand on parle de pauvreté, il est essentiel d'en mesurer l'ampleur et de comprendre à quel point les gens sont loin du seuil de faible revenu. Est-ce pire? C'est infiniment pire. C'est terrible de voir à quel point les pauvres sont pauvres et de voir les conséquences de cette pauvreté dans leur vie. Il ne faudrait surtout par croire que tout va bien parce que le taux de pauvreté est passé de 30 à 20 p. 100. Ce n'est pas bien du tout parce que ces 20 p. 100 sont dans une situation pire que jamais. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Munson : Croyez-vous que ce soit une question d'attitude? Je crois que nous sommes concentrés sur l'urbain, et le Canada rural est loin des yeux, loin du coeur. Si vous vivez en ville, comme beaucoup de monde, ou dans toute grande ville, si vous rentrez à pied à la maison vous verrez de 20 à 25 personnes qui demandent de l'argent. Vous savez, parce que tout est institutionnalisé, ils se retrouveront peut-être dans un refuge dans la soirée, et tout ça. Nous voyons cela, mais nous ne voyons pas d'agriculteur assis au bout de la route et demander: « Vous n'auriez pas un peu de monnaie » ? On ne voit pas cela. Pourtant, il y a beaucoup de souffrance. Mais on ne la voit pas.

Mme Tingley : Tout ce qui s'écrit, d'après les mots des gens vivant dans la pauvreté et dans les collectivités rurales, est à propos de l'invisibilité de la pauvreté. C'est ahurissant de voir à quel point elle est cachée.

J'ai habité de nombreuses années à Barrie, en Ontario. Pour l'essentiel du temps que j'y ai passé, si vous perdiez votre logement, la municipalité vous donnait un billet d'autobus. Il n'y avait pas de sans-abri dans la collectivité parce qu'ils étaient à la périphérie. Il y a aussi cette attitude. C'est incroyablement caché.

Certains des moments les plus difficiles de mon travail d'intervenante, c'était de parler aux gens, de leur montrer comment faire une demande de prestations d'aide sociale et de les convaincre ensuite qu'il fallait qu'ils le fassent pour leurs enfants, parce que c'est la toute dernière chose qu'ils voulaient faire. Il fallait dire : « Vous devez le faire pour vos enfants ». Avec le ralentissement en Ontario, bien des gens n'avaient jamais compté sur quelque forme d'assistance que ce soit. En milieu rural au Canada, il y a une éthique de l'autonomie. J'ai des racines rurales par ma famille avec des revendications territoriales. J'ai grandi dans une collectivité rurale et je peux être autonome, quoique ma courtepointe n'est plus tout à fait ce qu'elle était.

Le sénateur Munson : Cela nous ramène à votre déclaration d'ouverture. Vous avez parlé de la pauvreté qui était l'inclusion sociale de sorte que lorsque les gens doivent faire une demande de prestations d'aide sociale, chose qu'ils ne veulent pas faire, c'est une question de place d'honneur. Comment peut-on composer avec cela très concrètement, sur le plan psychologique, humain?

Mme Tingley : Nos régimes d'aide sociale et même nos régimes d'assurance-emploi ne sont pas très accueillants. Lorsqu'on chute, la réponse n'est pas très bonne. Quand il faut aller à une banque d'alimentation, la réponse n'est pas très bonne.

J'hésite à dire que dans les collectivités rurales, les gens sont plus fiers, mais ils sont peut-être plus transparents.

Le sénateur Munson : Je viens de parler de revenu garanti. Quelle est la chose la plus importante que le gouvernement puisse faire pour aider à éradiquer la pauvreté?

Mme Tingley : Un revenu adéquat permettrait d'éradiquer une grande partie de la pauvreté au Canada, surtout en milieu rural, et les gens produiraient une déclaration et recevraient un remboursement. L'ancienne allocation familiale a beaucoup changé la vie des gens. C'était un programme extraordinaire. Ce n'était qu'un petit transfert d'argent mais il a beaucoup changé la vie des femmes et des enfants. Personne n'avait honte de recevoir son chèque d'allocation familiale. Et personne n'avait à faire la queue ou à se défaire de ses biens, etc. Je ne suis pas certaine que nous en sommes là. Je crains que la distance à parcourir soit très difficile. Il y aura peut-être d'autres petites étapes à franchir.

J'ai eu le plaisir d'être membre du Task Force on Modernizing Income Security for Working-Age Adults. Le rapport contient un certain nombre d'excellentes recommandations. J'ai laissé un exemplaire du rapport pour qu'on puisse le consulter. Il est intitulé: « Time for a Fair Deal ». Bien qu'on puisse le qualifier d'urbain, il n'y a rien dans les recommandations du groupe de travail portant sur Toronto qui ne puisse bénéficier aux Canadiens des régions rurales.

Le sénateur Merchant : Madame Tingley, vous avez tracé tout à l'heure un portrait de ce que c'est pour une jeune personne de vivre dans la pauvreté, et il était révélateur de voir la pauvreté à travers les yeux d'une jeune personne. Vous avez également parlé des femmes et des mères célibataires. Nous avons une population vieillissante. Je me demandais comment s'en tirent les aînés qui vivent dans la pauvreté et quelles difficultés les aînés en milieu rural doivent surmonter. Est-ce quelque chose de plus ou est-ce plus facile de vivre en milieu rural quand on est âgé et pauvre? Quelle est la différence avec la vie à la ville? Comment aidez-vous les aînés qui vivent dans la pauvreté? L'unité familiale se désagrège, c'est-à-dire que les familles ne vivent plus ensemble de génération en génération. Qui s'occupe des aînés? Nous avons tous des parents qui vieillissent. J'ai un père qui a 90 ans. Il n'est pas pauvre mais je connais les difficultés qu'il a juste parce qu'il est âgé. S'il faut aller au foyer, c'est dispendieux. Comment les aînés pauvres font-ils dans une telle situation?

Mme Tingley : Il y a eu une approche qui consistait à réduire l'aide communautaire. Cette semaine nous avons vu cela au Canada, au gouvernement fédéral, et le secteur bénévole a été très malmené au Canada. Le secteur bénévole a été un important intervenant dans cette partie de la collectivité. Par exemple, la popote roulante, qui est généralement bénévole, et les soins à domicile, qui étaient bénévoles et le sont encore dans une certaine mesure, ont été réduits. Par conséquent, la capacité de la collectivité de participer à cet éventail de services a été réduite dans tous les coins du pays. C'est une chose très préoccupante et elle à d'importantes répercussions sur l'aide permettant aux aînés de demeurer à la maison. Il y a aussi les prestations non réclamées, notamment le SRG que les aînés ne reçoivent pas. Peut-être que les gens sont moins en mesure de connaître ces prestations dans les collectivités rurales à cause des endroits où aller pour les activités. Bien entendu, comme il y a davantage de femmes au travail, il y en a moins dans les collectivités rurales.

En outre, la participation des personnes touchées à la vie communautaire est essentielle. Je suis très fière que l'Organisation nationale anti-pauvreté travaille si fort pour s'assurer que les personnes qui ont vécu dans la pauvreté soient parmi les participants, mais cela a été largement réduit. En Ontario, il y a les systèmes des maisons de soins. Nous avons tellement coupé le système et il n'y a absolument aucun gaspillage. Mme Shular, par exemple, a peut-être une maison de soins au coin de la rue mais son époux doit aller à Orangeville. Cependant, ces personnes ne sont pas nécessairement capables de participer au système. Quant on rationalise les services au strict minimum, les effets commencent à se faire sentir et il est difficile d'assurer l'autonomie des gens.

Le sénateur Merchant : Est-ce plus difficile d'être un aîné en milieu rural qu'à la ville?

Mme Tingley : Oui, à cause du transport et de l'isolement, et encore une fois, la question des maisons de soins car les services sont très restreints.

Le sénateur Merchant : Trouvez-vous qu'il y a davantage d'esprit communautaire? On connaît ses voisins et on connaît la collectivité, alors on sait quand quelqu'un a des besoins, alors qu'à la ville il y a l'anonymat.

Mme Tingley : J'ignore si nous savons quand les gens sont dans le besoin à cause de la fierté et du souci de sauver les apparences. La dernière chose qu'ils veulent, c'est demander de l'aide, surtout quand c'est si honteux de demander de l'aide. Nous n'avons pas examiné ces mesures de soutien. Nous n'avons pas accordé de valeur au secteur bénévole.

Le sénateur Merchant : On apprend des choses quand on a des parents. Dans le cas des médicaments, par exemple, il y a des plaquettes alvéolaires, et à la ville, la pharmacie peut préparer ces emballages. Je crois qu'ils servent pour tout un mois, et il y a des codes de couleurs pour les médicaments du matin et du soir. Ils mettent tous les médicaments de la journée dans une petite alvéole et on presse pour les faire sortir. Or, quand on habite à la campagne, il n'y a pas de pharmacie. Comment obtient-on le genre d'assistance sur laquelle on peut compter à la ville mais qu'on n'a pas en milieu rural? Il y a toutes sortes de petits trucs.

Mme Tingley : Oui, et ils favorisent l'autonomie.

Le sénateur Merchant : Vous avez dit que certaines parties du pays étaient pires que d'autres. Que voulez-vous dire? Parlez-vous des provinces?

Mme Tingley : En ce qui concerne l'aide sociale, le Nouveau-Brunswick est la pire, avec l'Alberta.

Le sénateur Segal : Vous voulez dire en ce qui concerne les niveaux disponibles?

Mme Tingley : Oui, les niveaux de prestations sont tellement en deçà de ce qu'il en coûte pour survivre. Lorsque le premier ministre de l'Alberta a commenté la question en août, il a dit: « Eh bien! Les gens peuvent déménager ».

La présidente : Je dois dire que c'est très décevant pour une représentante de l'Alberta car il y a là-bas, en comparaison des autres provinces, beaucoup plus pour aider.

Le sénateur Callbeck : Je voudrais revenir avec vous, madame Tingley, sur la voie de la pauvreté qui selon vous se creuse ou s'élargit. Vous avez parlé de 1995, année où le Régime d'assistance publique du Canada a été aboli et où nous avons eu le transfert social. Bien entendu, comme l'a dit le sénateur Segal, si la province dépensait un dollar, elle recevait un dollar d'Ottawa. Comme les provinces avaient l'habitude de dire, c'était des demi-dollars qu'elles dépensaient, alors il y avait davantage d'incitatif à mettre de l'argent dans les services sociaux.

Comme on l'a dit, vous êtes en concurrence avec la santé et l'éducation, et c'est difficile.

Par exemple, vous avez dit qu'en Ontario, une personne qui a une voiture évaluée à plus de 10 000 $ doit vendre cette voiture. Manifestement, il y a eu bien des changements en Ontario. Il est clair que selon vous, ce transfert social a agrandi le piège de la pauvreté. Des études ont-elles été faites pour démontrer que c'est bien le cas?

Mme Tingley : Les études montrent que les gens sont à l'aide sociale plus longtemps. L'une de ces études à l'Université de Toronto est intitulée: « Social Assistance in the New Economy ». Elle montre le piège dans lequel tombent les gens. Quand une personne tombe aussi bas, elle concentre toute son énergie à trouver de la nourriture et à régler les crises, par exemple son incapacité de payer les factures.

Le sénateur Callbeck : Cette étude a-t-elle englobé toutes les provinces et trouvé que c'était le cas partout au Canada?

Mme Tingley : L'étude (SANE) porte sur l'Ontario. Je crois savoir que les gens dans tous les coins du pays restent à l'aide sociale plus longtemps.

Le sénateur Tkachuk : Ma première question demandait qui est les pauvres et en réponse, vous avez parlé des femmes mais êtes ensuite passée à autre chose.

Mme Tingley : Principalement, et malheureusement, les femmes sont davantage susceptibles d'être pauvres, surtout les mères célibataires. Au Canada rural, l'incidence de l'invalidité est plus élevée qu'au Canada urbain, ce qui est surprenant étant donné que les services sont plus accessibles dans les centres urbains. Les changements structurels ont eu un impact plus important sur les femmes que sur les hommes au Canada. Nous savons que tout le monde est pauvre.

La plus importante préoccupation, c'est le nombre de travailleurs incapables de se tirer de la pauvreté. Le document de Mme Ruth Levita parle de l'approche de l'inclusion et de l'exclusion utilisée au Royaume-Uni et en Europe, où l'on a conclu que la réponse à l'inclusion, c'est le travail. Au Canada, cette question est à l'ordre du jour depuis 20 ans — les gens ont simplement besoin d'avoir un emploi et le problème sera réglé. Le Supplément de la prestation nationale pour enfant était destiné à favoriser le maintien au travail des parents, principalement les femmes. Dans la plupart des provinces, si une partie ou la totalité de leurs revenus provenait de l'aide sociale, ils perdaient le SPNE parce que la province le récupérait. Environ la moitié des personnes recevant des prestations d'aide sociale travaillent, c'est important de le savoir. Donc, le travail ne permet pas nécessairement aux gens de s'extirper de la pauvreté. Le travail n'est plus ce qu'il était, surtout pour les parents seuls soutien de famille, surtout en milieu rural, et le travail n'est peut-être pas la solution à leurs problèmes.

Le sénateur Tkachuk : La situation est-elle aussi difficile pour les femmes en milieu rural au Canada qu'elle l'est pour celles qui vivent à la ville? Le pourcentage est-il le même ou est-il plus élevé?

Mme Tingley : Je n'ai pas la réponse à cette question. J'imagine que c'est beaucoup plus difficile pour les femmes en milieu rural parce que les femmes en milieu urbain ont accès à de nombreuses ressources parentales. Par exemple la bibliothèque près de chez moi a des programmes extraordinaires pour les enfants à la maison. Les familles en milieu urbain ont peut-être aussi un meilleur accès aux services de garde.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez mentionné que le nombre de mères travailleuses qui vivent dans la pauvreté est très élevé. Pourquoi? Est-ce parce que les pères ne paient pas la pension alimentaire pour les enfants? Les pères ont-ils abandonné leur famille?

Mme Tingley : Non. Nous avons un bien meilleur système de pension alimentaire pour enfants au Canada parce que nous avons des lignes directrices mais la pension alimentaire pour enfants ne suffit pas pour extirper la famille de la pauvreté.

Le sénateur Tkachuk : Vous parlez de la pension alimentaire versée par l'époux ou le père?

Mme Tingley : Oui. S'ils vivent de l'aide sociale, c'est dollar pour dollar; si la famille reçoit 500 $ par mois de pension alimentaire pour enfants, ses prestations d'aide sociale sont réduites de 500 $ par mois. S'ils doivent compter sur l'aide sociale, le fait de recevoir une pension alimentaire pour enfants n'améliore pas nécessairement leur situation. C'est une aide, mais pour bien des gens ce n'est tout simplement pas suffisant.

Le sénateur Tkachuk : On ne tient aucunement compte du fait que non seulement la personne qui ne fait plus partie de la famille doit payer une pension alimentaire pour subvenir aux besoins de l'enfant mais devrait aussi payer pour subvenir aux besoins de la personne soignante.

Auparavant, une telle situation était embarrassante pour les hommes mais ce n'est plus le cas. C'est un problème parce qu'à mon avis, ils devraient avoir l'obligation légale et morale de prendre soin et de l'enfant, et de la personne soignante. Y a-t-il une façon d'en arriver à cela?

Mme Tingley : Les tribunaux se sont prononcés très clairement sur la nécessité pour les femmes de devenir autonomes. J'ai travaillé sur les questions familiales et lorsqu'une pension alimentaire pour conjoint est accordée, elle est limitée dans le temps. On prévoit que la femme deviendra économiquement autonome. Il faut aussi savoir que l'ex-conjoint vit peut-être aussi dans la pauvreté et qu'il n'a peut-être pas la capacité de subvenir aux besoins d'un deuxième ménage.

Il serait peut-être opportun d'examiner les lignes directrices régissant les pensions alimentaires pour enfants parce que le montant payable décroît au fur et à mesure que le revenu du payeur augmente. Il devient une partie moins importante de ce revenu parce qu'il est déterminé selon la théorie voulant que les familles à revenu élevé dépensent moins pour leurs enfants. On ne tient pas compte de la situation du bénéficiaire. La théorie est intéressante — plus le revenu du payeur est élevé, plus le pourcentage de ce revenu versé en pension alimentaire pour enfant est faible, et ce, quelle que soit la situation économique de la famille qui prend soin de l'enfant.

Le sénateur Segal : J'ai une question simple à laquelle la réponse pourrait être très complexe; et j'ai une question complexe à laquelle la réponse pourrait être simple, mais je vous laisse juger.

La question simple porte sur la récente annonce par le gouvernement d'un programme d'option agricole. Il est trop tôt pour savoir s'il aura un effet positif mais l'objectif, c'est qu'aucune famille agricole ne devrait avoir moinsde 25 000 $ par année pour vivre. Sachant qu'il peut en coûter plus cher qu'ailleurs pour vivre dans certaines parties du Canada, si une famille agricole a la même dynamique familiale que nos autres familles canadiennes, c'est-à-dire 1,6 enfant ou je ne sais trop, pourriez-vous me dire si à votre avis ce chiffre est raisonnable? C'est un peu plus de 2 000 $ par mois; serait-ce suffisant? Raisonnable?

Mme Tringle : C'est un grand pas en avant. C'est assez près du seuil de faible revenu, alors c'est formidable. Bien entendu, les difficultés surgissent des menus détails, alors la méthode de calcul et la mise en oeuvre sont importantes. Par exemple, facteur important en ce qui concerne le revenu et la pauvreté des gens, quel est le coût du logement? C'est très évident quand on compare les familles; des voisins peuvent se ressembler beaucoup mais l'un peut ne pas avoir d'hypothèque et l'autre être endetté jusqu'au cou. Le coût du logement est souvent ignoré dans l'élaboration de nombreux programmes, mais il a un impact important.

C'est un départ formidable mais il faut le suivre de près. Il doit y avoir un moyen de suivre la mise en oeuvre et un mécanisme de rétroaction pour régler les problèmes.

Le sénateur Segal : Ma prochaine question porte sur les points d'accès pour les gens. Nous avons un régime fédéral; par conséquent, certaines choses sont de compétence provinciale et municipale alors que d'autres sont de compétence fédérale. Bien que les gouvernements fassent de leur mieux pour coordonner les dossiers, on constate souvent que ce qui est mis en place par l'un est annulé par l'autre, et ce, pour la simple raison que l'autre avait des règles en place longtemps avant l'initiative fédérale, quelle qu'elle ait été.

Nous avons vu cela, par exemple, dans le cas des bourses du millénaire. Ce programme visait authentiquement à aider les jeunes — il pouvait verser jusqu'à 2 000 $ par année — mais certaines provinces avaient des lois qui disaient, par exemple, si vous demandez de l'aide financière aux étudiants en Ontario, il faudra compter tous vos revenus; et si l'on en tient compte, votre admissibilité en sera réduite. Il n'y avait là aucune mauvaise intention mais au bout du compte l'avantage que voulait accorder le gouvernement n'apparaissant pas vraiment.

Il y a diverses façons de régler la question. Le gouvernement fédéral pourrait transférer toutes ses obligations et responsabilités sociales, moyennant certaines conditions comme dans le cas du RAPC, mais dire que les principaux points de service seront les provinces. Elles sont plus près des gens, elles sont davantage engagées sur ce plan, elles ont des bureaux à proximité, elles doivent rendre des comptes à l'échelle locale — la question est réglée. L'obligation du gouvernement fédéral, c'est de veiller à ce qu'il y ait assez d'argent à redistribuer, compte tenu de la richesse du pays, et à ce que certaines conditions s'appliquent afin d'éviter que tout cet argent aille dans de nouveaux hôpitaux sans rien laisser à l'aide sociale pour aider les Canadiens vivant sous le seuil de la pauvreté.

Avez-vous une opinion là-dessus, vous qui êtes passée par le système — songez, par exemple, au Canada rural, mais même globalement — ou ne faites-vous pas confiance aux provinces?

Mme Tingley : J'ignore si je dois dire que je leur fais confiance ou non. En Ontario, il y a eu du délestage et du va-et-vient. Ce que j'ai vu du délestage aux municipalités, c'est que ce n'est pas très bon. Je donnerai l'exemple d'Ottawa. La responsabilité du logement social relève maintenant de la ville d'Ottawa, qui définit la priorité relative au premier accès à un logement. Auparavant, 10 p. 100 des logements sociaux étaient réservés aux familles jeunes, aux jeunes et aux néo-Canadiens — des gens qui auraient de la difficulté à attendre longtemps. Quand le logement a été transféré aux municipalités, celles-ci pouvaient définir leurs propres priorités. À Ottawa, les jeunes et les néo-Canadiens n'étaient plus prioritaires. Ils n'avaient plus la priorité d'accès aux logements sociaux. Avec une liste d'attente de neuf ans, il n'y a plus de jeunes ni de néo-Canadiens dans ces collectivités. On ne peut pas être sur une liste d'attente tant qu'on n'est pas au pays et dans la collectivité.

J'aime bien transférer les responsabilités à un niveau supérieur parce que je crois que les politiques sont meilleures. Au niveau local, les pauvres peuvent être très mal vus. J'ai travaillé dans un dossier où le conseil municipal voulait la liste des personnes recevant de l'aide sociale dans leur collectivité. Ils voulaient voir la liste et déterminer qui ne devrait pas avoir d'aide sociale et qui le devrait. Nous nous sommes battus contre cela et avons gagné, mais parfois au niveau inférieur, il peut vraiment y avoir de la mauvaise volonté et souvent plus on monte, moins il y a de mauvaise volonté.

En ce qui concerne l'accès, il devient de plus en plus difficile pour les Canadiens. À titre d'exemple, si vous devez faire une demande de prestations d'assurance-emploi, lorsque vous arrivez au bureau on vous envoie à un ordinateur; vous devez faire votre demande en ligne. Les gens âgés trouvent ce processus difficile et nous avons des intervenants — s'ils ont la chance d'en trouver un — qui doit s'asseoir avec eux à l'ordinateur parce qu'ils sont incapables de remplir leur demande. L'accès est de plus en plus un problème; les difficultés sont dans les détails des programmes.

Il y a aussi le cumul. J'ignore si nous en avons parlé mais vous avez peut-être abordé la question. Pour chaque dollar qui provient de je ne sais où, vous pouvez perdre 1,50 $ de prestation, disons de la popote roulante. Quand on à un tel système complexe de prestations, on a aussi l'effet de cumul, alors c'est vraiment un problème. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Segal : C'est très utile. La question complexe, brièvement, était la suivante : Tout le monde dit que la meilleure chose à faire pour avoir une population en santé et heureuse, c'est de s'assurer que tous fassent de bonnes études. Les études constituent un bon indicateur de la capacité de gagner sa vie, de la santé et de la durée de vie des gens, et retirer de l'argent du secteur de l'éducation pour le mettre dans le réseau de la santé, qui consacre le plus gros de ses ressources aux trois dernières années de la vie des gens, n'est pas la meilleure chose à faire. Au lieu de cela, nous devrions investir largement à l'autre bout si l'on pense au long terme.

Je me souviens d'un premier ministre qui disait que la meilleure politique sociale, c'est un emploi. Nous devons tout faire pour nous assurer que les gens ont les outils nécessaires pour intégrer le marché du travail, et c'est pourquoi diverses initiatives d'alphabétisation ont été mises en oeuvre par l'administration Mulroney avec une certaine dose de courage et de détermination.

Que recommanderiez-vous pour les gens qui, pour des raisons qui échappent largement à leur volonté, sont en marge de l'économie? Si un gouvernement voulait engager les dépenses les plus susceptibles d'aider ces gens à reprendre la route, quelle est la chose la plus importante que vous recommanderiez qu'il fasse pour accroître leurs chances de réussite. Je veux dire un retour au travail dans la dignité et dans le respect des difficultés qu'ils ont connues.

Mme Tingley : Cela donne le frisson.

Le sénateur Segal : Je n'ai jamais dit que ce serait facile.

Mme Tingley : Nous nous battons pour l'égalité matérielle, par pour l'égalité formelle, et les tribunaux se sont prononcés à ce sujet. Offrir à tout le monde la même chose ne suffit pas, mais s'assurer que les gens arrivent aux mêmes fins, c'est réaliser l'égalité matérielle, et c'est ainsi que la Charte est interprétée.

Je me suis souvent demandé pourquoi nos réponses à l'inégalité ou au désavantage finissent par aggraver le désavantage plutôt que de placer les gens dans une position où ils ne seront pas désavantagés, ou qui leur permettra de réaliser l'égalité matérielle.

Nous ne permettons pas aux plus désavantagés d'être propriétaires de leur maison, même si nous savons que le fait d'être propriétaire leur offrira une bien meilleure qualité de vie. Nous ne voulons pas leur donner de l'argent qui pourrait leur permettre d'accumuler un bien. Notre réponse aggrave le désavantage. Ils doivent vivre à loyer ou même dans une très mauvaise situation. Notre réponse à la jeune mère, c'est qu'elle ne peut pas faire des études postsecondaires parce que notre système social ne le permet pas. Nous savons que lui permettre de faire des études postsecondaires ou l'aider à terminer ses études l'aiderait à réaliser l'égalité matérielle.

J'ai fait le tour de la question, mais nos réponses devraient tenir compte de la vie des gens. Nous devrions être beaucoup plus évolués sur cette question. Si nous sommes un pays d'égalité, nos réponses aux programmes sociaux devraient viser ces résultats et non aggraver les désavantages. L'accès aux études est immensément important. Il est très triste que la réponse pour les gens qui sont si désavantagés, c'est qu'ils ne peuvent pas aller à l'école.

Le sénateur Segal : C'était très utile.

La présidente : Donc, vous croyez que les 42 p. 100 d'adultes canadiens qui n'ont pas les capacités de lecture et d'écriture voulues pour faire des choses fondamentales tous les jours de leur vie, ces choses que nous tenons pour acquises, sont au bas de l'échelle de la pauvreté en raison du manque d'accès.

Mme Tingley : C'est exact.

Le sénateur Munson : J'imagine que l'obligation de se départir de ses biens signifie qu'une famille agricole ne peut être admissible à l'aide sociale et conserver quand même ses biens. Il semble que l'aide sociale ne soit pas vraiment un choix pour eux. Êtes-vous d'accord?

Mme Tingley : Ils imposent maintenant sur la résidence des gens des droits de rétention équivalents aux prestations reçues. Si vous recevez 10 000 $ par année, vous avez hypothéqué votre maison pour 10 000 $. C'est très punitif et contreproductif.

Le sénateur Segal : Si je ne me trompe pas, les droits de Sa Majesté passent avant ceux de la banque.

Mme Tingley : À l'échelle internationale, les stratégies de réduction de la pauvreté tiennent compte des biens, notamment celui que représentent les études. Nous savons que pour les mères seules soutien de famille, avoir une maison serait un bien immense. Nous savons que pour les familles en difficulté, avoir une maison est un bien immense.

Il est très intéressant de voir qu'aux États-Unis il y a de nombreux programmes d'accès à la propriété, mais pas ici au Canada, parce que nous ne croyons pas que les gens devraient pouvoir accumuler des biens. En fait, nous les dépouillons de leurs biens et imposons des droits sur leur propriété.

Je sais que lorsque j'ai dû demander l'aide sociale, alors que j'avais une maison — dont la mère célibataire que je suis est très fière — j'ai choisi de ne pas recourir à l'aide sociale et de devenirs travailleurs autonomes à contrat. Cela m'a coûté cher, mais la dernière chose qu'on veut faire, c'est de souscrire une deuxième hypothèque et de voir fondre la valeur de ses biens.

Le sénateur Munson : Nous savons que votre organisation fait un travail formidable, mais l'accent est sur les femmes, les enfants et les Autochtones. Êtes-vous dans une courbe d'apprentissage maintenant en ce qui concerne la pauvreté rurale? Croyez-vous que votre organisation s'est suffisamment concentrée sur la pauvreté rurale?

Mme Tingley : Non, je ne crois pas que nous ayons consacré autant d'effort que nous aurions dû consacrer à la pauvreté rurale. La pauvreté urbaine a beaucoup de défenseurs et les villes travaillent continuellement sur cette question. Nous sommes vraiment ravies de cette occasion qui nous est donnée de vous parler de la pauvreté rurale. C'est une formidable courbe d'apprentissage pour nous. Nous aimerions avoir assez de ressources pour en faire beaucoup plus.

Le sénateur Merchant : En réponse aux questions du sénateur Segal, vous avez répondu à ma question concernant les façons créatives d'empêcher les gens de chuter aussi bas.

Votre organisation a-t-elle des membres qui s'occupent des gens en milieu rural ou êtes-vous en milieu urbain?

Mme Tingley : Nous avons des membres dans tous les coins du pays, et nous avons de nombreux membres ruraux.

Le sénateur Merchant : Travaillent-ils dans leurs propres collectivités?

Mme Tingley : Oui, c'est bien cela.

La présidente : Au Canada, il y a une question de distance des points d'accès. Comment les gens qui travaillent avec vous communiquent-ils? L'une des choses qui nous ont troublés et nous ont incités à aller de l'avant, c'est la réalité des distances et de la fierté des gens qui ont vécu sur la terre et qui sont maintenant à risque. Ces choses arrivent dans tous les coins de ce pays. Comment vos gens franchissent-ils cet obstacle? Comment réagissent-ils quand ils doivent composer avec les mêmes choses qui se passent à la ville et y ajouter l'isolement de la campagne?

Mme Tingley : Nous faisons énormément de conférences téléphoniques. L'un des membres de notre conseil d'administration est pêcheur. Il y a tant de respect pour le membre pêcheur aussi. Le conseil est composé de personnes qui sont actives dans leur collectivité dans toutes les régions du Canada. Il est essentiel pour nous d'être bien compris partout au pays.

Nous utilisons aussi le courriel dans une certaine mesure, quoique certains de nos membres n'ont pas accès à un ordinateur ou à Internet. Il faut dont poster des choses, etc. C'est toujours difficile. Le Canada est un grand pays et il est difficile de réunir tout le monde avec des ressources limitées.

Je ne suis pas certaine que cela ait répondu à votre question.

La présidente : Il est difficile d'y répondre, je sais.

C'est notre première réunion et vous êtes nos premiers témoins sur cette question. Nous avons commencé avec un groupe très utile. Il est bon de savoir dès le départ que le travail sera extrêmement délicat et difficile. Nous voudrons peut-être vous parler à nouveau au cours de nos travaux. Votre présence ici aujourd'hui vous ayant permis de connaître les intérêts du comité, nous vous serions reconnaissants de nous faire part de toute autre question qui peut être portée à votre connaissance concernant vos travaux.

Mme Tingley : Il y a des groupes ruraux extraordinaires sur le terrain, et notamment des groupes de femmes en milieu rural. Il y a un étonnant éventail de groupes ruraux. Je sais que nous n'avons probablement pas rendu justice à l'étendue de leurs connaissances des diverses questions. Je suis persuadée qu'ils participeront à vos audiences dans les autres régions.

La présidente : Il serait utile que notre personnel puisse communiquer avec vous pour connaître les régions et les personnes-ressources que vous pourriez recommander.

Mme Tingley : Certainement.

La présidente : Merci beaucoup.

Merci chers collègues. C'est un bon départ dans ce qui est manifestement une question difficile.

La séance est levée.


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