Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 9 - Témoignages du 26 octobre 2006
OTTAWA, le jeudi 26 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 22 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[traduction]
La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et témoins, bonjour à tous ceux qui écoutent chez eux le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Au mois de mai, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Pendant trop longtemps, les décideurs et les politiciens ont fait fi du sort des pauvres en milieu rural. Jusqu'à la fin de l'année, le comité entendra une panoplie de témoins qui lui donneront un aperçu de la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Ces travaux serviront ensuite de base à la planification des visites du comité dans les collectivités rurales de tout le pays l'an prochain.
Comme le comité a pu l'apprendre déjà, la pauvreté rurale est un problème à facettes multiples qui va bien au-delà du problème de revenus inadéquats. Il englobe également les disparités quant à l'accès aux services, aux possibilités économiques et même à l'évolution de la santé. Cependant, la pauvreté rurale n'est pas répandue de manière égale dans tout le Canada.
Les témoins d'aujourd'hui sont bien placés pour parler de la nature pluridimensionnelle de la pauvreté rurale, en partie parce qu'ils proviennent de diverses régions du pays et en partie parce qu'ils ont fait des études très différentes. De l'Ouest, nous accueillons Mark Partridge — économiste actuellement en poste à l'Université Ohio State, mais affilié également à l'Université de la Saskatchewan. Du Québec, nous accueillons Bruno Jean — sociologue de l'Université du Québec à Rimouski et titulaire d'une chaire de recherche du Canada en développement rural. De l'est du pays, nous accueillons David Bruce — géographe à l'Université Mount Allison et directeur du Programme de recherche sur les localités rurales et les petites villes de l'université. Bienvenue, messieurs. Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous.
Nous disposons d'un peu plus de deux heures aujourd'hui pour traiter d'une vaste gamme de questions en compagnie de nos témoins; j'inviterais donc mes collègues, comme toujours, à formuler les questions les plus concises possible, pour que nos témoins puissent bien répondre et que nous ayons tous l'occasion de discuter des enjeux à l'audience, ce matin.
Messieurs, je vous prie de commencer.
Mark Partridge, professeur adjoint, Département d'économie agricole, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : C'est un grand plaisir pour moi d'être là aujourd'hui afin de discuter de deux questions très importantes. La première est la réduction de la pauvreté, et la deuxième, la revitalisation de nos collectivités rurales et l'amélioration des possibilités économiques des Canadiens en milieu rural.
Je sais que le comité a déjà entendu des spécialistes de Statistique Canada; je ne vais donc pas répéter les faits statistiquement établis. Plutôt, je serai proactif et je décrirai les politiques qui permettront d'améliorer la situation dans les régions rurales du Canada. En particulier, je m'attarderai à divers mythes qui entourent le Canada rural et je parlerai du besoin urgent d'aller au-delà de ces mythes et d'adopter une politique qui permette d'améliorer la qualité de la vie des Canadiens en milieu rural.
Il y a un mythe largement répandu au sujet des régions rurales du Canada, et aujourd'hui, je veux réfuter ce mythe. La campagne canadienne de votre grand-père n'est pas la campagne canadienne d'aujourd'hui. La campagne d'aujourd'hui est beaucoup plus diversifiée de ce que laisse croire le mythe. De même, je veux parler un peu de la géographie de la pauvreté canadienne. Ensuite, je toucherai un mot de la nécessité d'aller au-delà du mythe et d'adopter des politiques qui améliorent le niveau de vie des Canadiens en milieu rural. En particulier, je parlerai de l'idée d'exploiter la croissance urbaine au Canada en employant l'effet de levier et de la façon dont cela peut aider à mettre en place des institutions de soutien, qui nous permettraient de nous assurer que les Canadiens en milieu rural participent au processus de croissance.
Ayant cela à l'esprit, je tiens à souligner d'abord que les régions rurales du Canada dépendent beaucoup moins de l'agriculture et de l'exploitation des ressources naturelles qu'il y a 50 ans. En deuxième lieu, en rapport avec le mythe dont il est question, même les ménages agricoles dépendent beaucoup d'activités non agricoles, ce qui veut dire que les collectivités rurales doivent regarder au-delà de leurs racines naturelles, soit les ressources naturelles, si elles souhaitent se donner une économie prospère.
La diapositive que vous voyez en ce moment illustre la situation de l'emploi dans le domaine agricole partout au pays. À droite, il y a le Canada, à gauche, l'Ontario. L'Ontario n'est là qu'à titre d'illustration. En 1931, environ 30 p. 100 des Canadiens travaillaient dans le domaine agricole. En 2004, ça tourne autour de 2 p. 100. Le milieu rural canadien a fait l'objet d'une restructuration majeure, qui s'est révélée très éprouvante pour les collectivités qui en font partie. Le Canada rural d'aujourd'hui n'est pas le Canada rural d'hier.
Voilà pour le Canada dans son ensemble, mais qu'en est-il de nos collectivités rurales? Cette diapositive fait voir la part de l'emploi que représentent les régions rurales et les petites villes en Ontario. Par régions rurales et petites villes, il faut entendre simplement toute zone située en dehors d'un centre urbain de 10 000 personnes ou plus ou zone liée par les transports au centre urbain en question; ce sont donc des régions rurales qui ne sont pas très liées aux villes par le transport. Même dans les régions rurales et les petites villes de l'Ontario, le secteur agricole primaire compte pour 5 p. 100 environ, et le secteur minier, moins de 2 p. 100. Le secteur manufacturier, quant à lui, compte pour plus de 18 p. 100, ce qui fait contraste. En milieu rural ontarien, les gens sont deux fois plus nombreux à œuvrer dans le secteur manufacturier que dans celui des ressources naturelles. Au Québec, ils sont trois fois plus nombreux. C'est là une tendance générale que l'on peut constater dans la majeure partie du pays et l'effet d'une restructuration majeure par rapport à ce que le Canada rural pouvait être dans le passé.
Pour parler maintenant des ménages et des collectivités agricoles, le ménage agricole type au Canada tire 87 p. 100 de son revenu de sources autres que la ferme elle-même, par exemple le travail en ville. Même les ménages agricoles comptent sur l'économie rurale élargie. Si nous nous préoccupons des ménages agricoles et des autres, il faut savoir que l'économie rurale dans son ensemble est beaucoup plus diversifiée aujourd'hui qu'elle l'était il y a 50 ans.
Enfin, si nous comparons les revenus et les activités du ménage, compte tenu d'une définition élargie de la pauvreté, nous constatons que le ménage agricole type et le ménage non agricole type dans les régions rurales du Canada présentent une situation semblable. La faiblesse des revenus est un problème rural général qui s'applique aux deux cas. Si nous souhaitons régler le problème des revenus faibles dans le Canada rural, nous devons agir de façon tangible sur l'économie rurale dans son ensemble. Les deux graphiques qui suivent illustrent le fait que le revenu des ménages et la pauvreté sont semblables, qu'il s'agisse de ménages agricoles ou non.
Pour parler maintenant de la géographie de la pauvreté au Canada, voici une carte qui fait voir les taux de pauvreté d'après le SFR, le seuil de faible revenu, mesure de Statistique Canada. Il existe de nombreuses mesures de la pauvreté, toutes portant essentiellement sur des gens qui ont besoin de plus de ressources. Peu importe la mesure employée, je crois qu'elles sont toutes légitimes en ce sens. Le bleu indique les zones où la pauvreté est très forte, 20 p. 100 ou plus, les zones de 10 — les zones où le taux de pauvreté est de 10 p. 100 ou moins selon le SFR... et le rouge se situe entre les deux.
Nous voyons que, partout au Canada, cela fait des grappes. Dans la région de l'Atlantique, il y a beaucoup plus de bleu et de rouge, ce qui dénote une grande pauvreté. Le corridor Windsor-Toronto-Ottawa-Montréal se présente comme une grande grappe où la pauvreté est relativement peu présente. Dans l'ouest du Canada, nous voyons qu'il y a des grappes en Colombie-Britannique et en Alberta; par contre, en Saskatchewan et au Manitoba, c'est un véritable échiquier. Si je veux aborder cette question, c'est que je crois qu'elle peut intéresser le comité.
Le taux de pauvreté a tendance à être très faible dans les collectivités agricoles des grandes plaines de l'Amérique du Nord. Voilà une caractéristique; cependant, les collectivités en question ont tendance à être situées à côté de réserves au Canada ou de réserves aux États-Unis, qui présentent un taux de pauvreté très élevé, de sorte qu'il y a cet échiquier — surtout en Saskatchewan, mais aussi au Manitoba. Des localités très pauvres et des localités où la pauvreté est relativement absente peuvent être situées côte à côte; c'est ce qui caractérise un peu les Prairies.
Cela dit, j'aimerais faire quelques remarques à propos de la recherche. Dans le cas de la pauvreté à long terme, comme je l'ai fait remarquer, cela donne des grappes si on illustre le phénomène; il y a tout de même un autre facteur qui complique la donne : c'est que c'est très persistant. Les collectivités qui présentaient un taux de pauvreté élevé il y a 30 ans ont tendance à présenter un taux de pauvreté élevé aujourd'hui.
Cela tient pour beaucoup à des questions démographiques — à l'éducation et aux facteurs de ce genre, qui touchent le capital humain. Une bonne nouvelle pour ce qui est de la réduction de la pauvreté, c'est que les conditions économiques aujourd'hui ont moins d'impact sur la pauvreté qu'il y a dix ans — la bonne nouvelle, c'est que la collectivité qui éprouve des difficultés aujourd'hui n'est pas nécessairement prise au piège de la pauvreté. En ce sens, les conditions économiques ne vont pas nécessairement tirer la collectivité vers le bas.
Étant donné que la pauvreté présente cette géographie et que l'économie est beaucoup plus diversifiée que l'économie des seules richesses naturelles, quel est le principal facteur à l'origine de la croissance en milieu rural canadien? Une des tendances les plus marquées que nous observons, d'après l'analyse statistique, c'est l'accès aux centres urbains. La proximité des centres urbains est un élément moteur de la croissance en milieu rural canadien. C'est beaucoup plus fort comme tendance qu'aux États-Unis.
La raison principale, à mes yeux, c'est qu'il n'y a que neuf régions métropolitaines comptant 500 000 habitants ou plus au Canada, alors qu'il y en a une centaine aux États-Unis. Ce qu'il faut noter, c'est que chaque ville est très importante du point de vue de la croissance au Canada — cet élément important va donc aux villes. Ce n'est pas seulement que les villes sont en croissance, c'est aussi que la croissance des villes comporte des conséquences bénéfiques pour la croissance en milieu rural. Au moment de discuter des façons possibles de redévelopper les collectivités rurales par la voie de l'immigration, de l'esprit d'entreprise, du capital social et de la capacité sociale, nous devons reconnaître cette géographie très importante qui caractérise le phénomène. Nous devons reconnaître qu'il faut aménager un meilleur accès aux centres urbains, de manière à s'assurer de pouvoir avoir ce genre de développement. Par exemple, les immigrants ont tendance à s'établir dans les zones urbaines; si nous voulons les attirer en milieu rural, il faut donc créer de meilleurs liens avec nos centres urbains.
Les deux cartes suivantes illustrent ce que je viens de dire. Voici la croissance de la population dans l'est du Canada de 1991 à 2001. Les teintes foncées de rouge représentent la croissance de la population et les teintes foncées de bleu, les pertes démographiques. J'ai tracé un cercle de 100 à 200 kilomètres autour de ce que j'appelle les cinq moteurs de la croissance — les zones métropolitaines de 500 000 habitants ou plus — Hamilton, Toronto, Ottawa, Montréal et Québec; et il y a la ville que j'appelle l'aspirant, Halifax, qui s'approche de la masse critique. Une des choses qu'il faut remarquer, c'est que si la population s'accroît dans l'est du Canada, le même principe s'applique à l'ouest du Canada : cela a tendance à se faire dans les cercles en question. Encore une fois, je tiens à dire que ce qui est beau et bon pour Toronto ou Québec n'est pas que beau et bon pour ces villes; les effets de la croissance s'étalent. En ce sens, le Conference Board du Canada a raison à propos des villes. Ce sur quoi il n'insiste pas assez, c'est le fait que nous devons édifier davantage d'institutions de soutien et d'infrastructures régulières pour nous assurer que les régions rurales participent à la croissance en question. L'autre chose qu'il faut faire, c'est d'élargir les cercles en question pour qu'un plus grand nombre de collectivités rurales prennent part à la croissance.
Il y a d'autres bonnes nouvelles. Il n'y a pas que les villes de 500 000 habitants ou plus qui comptent. Les petites villes peuvent aussi jouer un rôle important d'étalement de la croissance, si bien que celle-ci atteint les collectivités rurales.
Voici la croissance de la population de 1996 à 2001 — les couleurs sont les mêmes : le bleu foncé représente des pertes démographiques. J'ai tracé un cercle de 100 kilomètres, soit un déplacement d'une heure, autour de chacun des centres urbains dans les provinces des Prairies, dans la mesure où la population du centre est de 10 000 personnes ou plus. Ce que nous constatons, surtout au Manitoba et en Saskatchewan, c'est que la croissance notée dans les régions rurales, si croissance il y a, se situe dans les anneaux ainsi tracés. Ce qu'il faut savoir, c'est que le succès de Lethbridge ou d'Estevan comporte des conséquences importantes pour les collectivités rurales.
Comment faire pour améliorer les possibilités qui se présentent en milieu rural? Nous devons trouver des façons de resserrer les liens avec les centres urbains, même les plus petits. Pour une bonne part, cela tient au comportement des usagers des transports, mais je tiens à le souligner : nous ne cherchons pas à ce que tout le monde veuille se rendre à Estevan à tous les jours; nous voulons seulement qu'un nombre suffisant de personnes le fassent pour que nos collectivités rurales demeurent vigoureuses, et suffisamment nombreuses pour que nous puissions offrir des services importants, notamment du point de vue de la santé. Il s'agit d'en arriver à une masse critique et d'utiliser l'effet de levier pour stimuler le développement rural grâce à la croissance en milieu urbain.
Pour que les régions rurales du Canada demeurent viables à long terme, il faut prévoir l'accès à des salaires plus élevés et à des emplois pour les gens qui les habitent. Or, la façon la plus efficace d'y arriver, du point de vue de la recherche, c'est d'obéir à la nécessité de resserrer les liens avec les centres urbains et de constituer des grappes de croissance régionale — d'en arriver à une masse critique pour que les Canadiens des régions rurales puissent participer. Il nous faut davantage de structures de gouvernance originales, davantage d'approches régionales. Il nous faut améliorer les transports et l'infrastructure régionale, et il nous faut cultiver le leadership régional et des identités plus larges.
Aspects clés de la résistance opposée à ce que je dis : dans les petites collectivités rurales, les gens croient qu'ils ont l'oreille du maire ou du conseiller municipal, mais ils se préoccupent de ne pas être écoutés dans la région élargie. Je dis aux gens que cela est vrai, mais qu'il s'agit d'une petite localité qui ne présente pas la masse critique nécessaire pour survivre au XXIe siècle. Si vous vivez en milieu rural au Manitoba, ils vous écouteront à Winnipeg, à l'assemblée législative; ils vous écouteront à Ottawa si vous resserrez les liens et coopérez. Ce qu'il faut retenir, c'est que c'est une façon de plaider plus efficacement sa cause; à ce moment-là, les gens peuvent accomplir des choses concrètement et avoir de l'influence.
Pour conclure, il faut une approche nouvelle qui permet d'améliorer les revenus des Canadiens en milieu rural. Il faut démystifier la question, affirmer que le Canada rural est beaucoup plus diversifié qu'il l'était il y a 50 ans. Un des éléments clés qu'il faut saisir, c'est que même les petits centres urbains dont la population ne fait que 10 000 personnes peuvent produire un effet de levier qui stimule la croissance de la région rurale dans son ensemble, de la région rurale tout autour.
[Français]
Bruno Jean, titulaire, Chaire de recherche du Canada en développement rural, Université du Québec à Rimouski, à titre personnel : Madame la présidente, je vais m'exprimer en français.
La pauvreté des régions rurales est une question à l'ordre du jour depuis au moins un demi-siècle dans ce pays. On doit d'ailleurs au gouvernement fédéral, durant les années d'après guerre alors qu'une grande prospérité s'installait dans le pays, d'avoir alerté l'opinion publique sur le fait que des régions entières, comme le Nord, les provinces des Prairies, Terre-Neuve, la Gaspésie au Québec et d'autres, manifestaient une grande pauvreté. Nous connaissons la réponse du gouvernement avec la mise en place de l'ARDA et un ensemble de mesures qui a culminé avec la création du ministère de l'Expansion économique régionale.
Donc, si la pauvreté est encore à l'ordre du jour en 2006, cela signifierait-il que les politiques de développement régional auraient raté leur cible et n'auraient pas produit les résultats escomptés? Je pense qu'une telle conclusion serait exagérée, car certaines régions ont connu des développements intéressants et des investissements dans les infrastructures et aussi les programmes de qualification de la main-d'œuvre. Même s'ils ont peut-être accéléré une certaine migration, ces investissements ont permis aux régions dites pauvres d'offrir une meilleure qualité de vie, d'être plus attrayantes, notamment pour le tourisme.
Ce matin, je voudrais vous alerter sur la question de la mesure de la pauvreté rurale. Bien sûr, il y a des villages agricoles — je pense à l'ouest du pays — qui sont dans une grande pauvreté, et je pense que cela a rapport avec la politique agricole canadienne qui est, à mon avis, peut-être mal pensée, mais on pourra y revenir plus tard. Je préfère parler du Québec que je connais mieux. Au Québec, il me semble qu'on assiste ces derniers temps à une réduction de la pauvreté rurale et non pas à son élargissement.
L'Institut de la statistique du Québec a fait plusieurs travaux; je ne vais pas tous les mentionner. J'ai inséré des tableaux dans le rapport que je vous ai soumis. Par exemple, un paramètre assez classique, la mesure de faible revenu montre que 14,7 p. 100 des familles de la Gaspésie, une région réputée pauvre, et 10 p. 100 dans la région du Bas-Saint- Laurent, seraient donc sous le seuil de pauvreté. Mais quand on regarde, dans le même tableau, la ville de Montréal, cet indice atteint près de 20 p. 100. Cela veut dire qu'il y aurait donc 354 000 personnes pauvres dans la région de Montréal, alors que pour l'ensemble des régions périphériques du Québec — je parle de Gaspésie, Bas-Saint-Laurent, côte Nord, Saguenay, Abitibi-Témiscamingue —, au maximum, on aurait 93 000 pauvres. Autrement dit, selon cet indice, la pauvreté est peut-être plus fréquente dans un milieu urbain que dans certains milieux ruraux passablement éloignés.
J'ai cité un médecin de Montréal qui explique comment il voit cette pauvreté tous les jours et comment il pense que la pauvreté rurale est peut-être plus facile à gérer.
J'en viens à une autre série d'indices parce qu'il y a beaucoup d'indices qui mesurent les disparités économiques. Dans les tableaux que j'ai inclus dans le document, on voit qu'entre 1996 et 2001, dans les très petites localités — celles de moins de 500 habitants —, le revenu moyen des familles, si je mets le Québec à 100 p. 100, atteignaient, en 1986, 85 p. 100 environ. Ils n'étaient pas si loin. Et maintenant, on voit un dérapage : ils sont maintenant à 62 p. 100 de la moyenne québécoise.
Pendant toute cette période, dans les zones rurales, pour les petites localités, il semble donc y avoir des revenus qui perdent du terrain.
J'ai examiné rapidement la question des transferts gouvernementaux. Là aussi, il est intéressant de constater que le pourcentage de transfert, alors qu'il est très stable pour les milieux urbains — 14 p. 100 des revenus des urbains au Québec provient des transferts gouvernementaux —, dans le cas les petites localités rurales, les plus pauvres, alors qu'en 1986, ces transferts étaient presque de 30 p. 100, c'est-à-dire 28,6, ils ne sont plus que de 18 p. 100. C'est une donnée assez surprenante qui reflète peut-être aussi des changements dans les programmes d'assurance-emploi et l'accès à ces programmes pour les régions rurales.
J'ai mentionné également l'indice de faible revenu qui mesure l'amenuisement de l'écart entre la pauvreté rurale et la pauvreté urbaine.
Cela m'amène à conclure que si la pauvreté rurale existe, elle est certainement limitée à des zones particulières, probablement touchées par des phénomènes conjoncturels, comme une crise de revenu agricole ou la crise forestière par exemple, qui sévit au Québec actuellement, parce que sur une période un peu plus longue, on voit que la pauvreté rurale semble se réduire. Il reste des écarts de revenus, mais il faut dire aussi qu'il y a des différentiels de coût de vie qui font qu'on n'a pas besoin d'un revenu aussi grand dans certaines zones rurales pour les besoins de logement, entre autres.
J'ai aussi abordé, en page 4, la question des services publics. C'est vrai que nos recherches ont révélé que les ruraux sont très mobiles et qu'ils considèrent comme accessibles tous les services qui sont à moins d'une heure de leur résidence. Si on examine la situation, on s'aperçoit que pour le Québec, où le tissu de communautés rurales est assez bien équilibré, d'une certaine manière, si on fait un cercle autour de chaque village, moins d'une heure, on s'aperçoit que beaucoup de services sont accessibles pour les populations rurales. Évidemment, il y a des populations rurales isolées pour lesquelles les services de proximité sont menacés, comme l'école, et même des services privés comme une station-service, par exemple.
On a également examiné les solutions pour maintenir les services dans ces zones rurales. On a constaté qu'à une époque où on parle beaucoup de partenariats public-privé pour organiser les services — il y en a un certain nombre —, les partenariats que j'appellerais public-public sont très difficiles à organiser, alors qu'on pourrait penser qu'un même édifice pourrait abriter à la fois le bureau de poste, le gouvernement local, une autre agence. Donc, les partenariats public-public ne sont pas faciles à organiser. Ils aiment mieux faire des arrangements avec le secteur privé.
Autrement dit, par rapport au service, même si la large bande par exemple n'est pas encore accessible, je pense qu'on y arrivera. Je suis relativement optimiste par rapport aux services. Il y a encore des choses à faire, mais on avance.
Je voudrais revenir sur la question de la pauvreté, sur la façon de mesurer la pauvreté rurale efficacement.
En page 5, j'ai inséré un petit tableau. Au Québec, on a travaillé avec un concept qu'on a appelé « défavorisation rurale ». En gros, il y a 1 000 municipalités rurales au Québec. On a essayé de voir quels sont les indicateurs qui nous permettraient de classer les municipalités dans des catégories pour voir où se situe la pauvreté rurale. Quelles sont les localités qu'on a appelées ici en « restructuration ». En gros, on a réalisé qu'il y a environ cinq à sept variables qui sont des données disponibles à Statistique Canada, qui permettent d'établir un indice de défavorisation rurale nous permettant de classer à la fois les municipalités très dynamiques jusqu'aux municipalités qui sont en difficulté ou en dévitalisation.
À la page 6, on a même fait des tests, dans le cadre d'une thèse de doctorat que j'ai dirigée, où on a fait plusieurs simulations de cet indice de défavorisation, en faisant varier un certain nombre de variables. À la page 7, on s'est aperçu qu'en général, on pouvait mesurer la pauvreté rurale à l'aide d'un indice de défavorisation qui comprend seulement sept variables organisées : l'évolution de la population, dans les deux recensements disponibles au moment où on l'a fait, la proportion de personnes âgées de 20 ans et plus qui n'ont pas atteint une neuvième année de scolarisation, le taux d'emploi, le taux de chômage, la proportion de transferts gouvernementaux dans la composition du revenu du ménage, la proportion de personnes vivant dans des ménages à faible revenu et le revenu moyen des ménages. Ce qui est important de savoir, c'est que peu importent ces indices, la pauvreté rurale concerne 20 p. 100 des localités au Québec. Je pense que c'est à peu près semblable un peu partout au Canada.
Je voulais en venir, dans le temps qui me reste, aux solutions. À mon avis, il faut des politiques rurales distinctes des politiques agricoles. La meilleure politique rurale, c'est celle qui est cogérée avec les ruraux, un peu comme au Québec avec la politique nationale de ruralité au Québec.
Il faut donc de manière urgente que le gouvernement fédéral mette à la disposition des provinces des sommes importantes pour qu'elles se donnent des politiques rurales dignes de ce nom, avec des moyens conséquents.
Je ne suis pas un spécialiste des politiques agricoles, mais j'observe que dans le cadre stratégique agricole, les prémisses n'étaient peut-être pas les meilleures. Les résultats escomptés ne semblent pas être là si on se base sur les revenus agricoles des dernières années.
L'indépendance politique d'un pays passe par un niveau acceptable d'autosuffisance alimentaire. La création de richesse se fait dans la deuxième et la troisième transformation, et non pas dans la production de matières premières agricoles, que ce soit le blé, le lait non transformé, et cetera.
Si la politique agricole canadienne visait une telle autosuffisance, je pense que le monde agricole en profiterait, comme on a pu le voir au Québec. Je me permets de vous citer les paroles suivantes d'un chef d'État, en vous mettant au défi de me dire qui les a prononcées et quand :
Nous sommes une nation bénie parce que nous pouvons produire notre propre nourriture et que, par conséquent, nous sommes en sécurité. Une nation qui peut nourrir sa population est une nation en sécurité.
Le même chef d'État poursuivait en blâmant les libéralistes irresponsables qui sont prêts à abandonner notre production alimentaire à des pays instables comme ceux du tiers Monde.
Je crois que les sceptiques seront confondus, car il s'agit bien des paroles de Georges W. Bush en avril 2003 lors de l'adoption du « Farm Bill » qui a mis en place un train de mesures pour soutenir l'agriculture américaine. Je pense que ce qui est bon pour les États-Unis est sûrement bon pour nous aussi.
Il ne faut pas mésestimer les changements qui sont en train d'intervenir. En français, on dit « manger local ». Cette idéologie des consommateurs est en train de changer nos systèmes bioalimentaires, et ce, avec des conséquences très positives sur l'emploi en milieu rural.
Je vous donne un exemple. À Trois-Pistoles, dans le Bas-Saint-Laurent, il y avait une grande coopérative laitière agricole. Il y a quinze ou vingt ans, elle a fermé et des centaines d'emplois ont été perdus. Au même endroit, un agriculteur a commencé une micro-fromagerie basque. Aujourd'hui, sa micro-fromagerie s'est développée et est devenue une belle petite PME qui emploie 30 personnes. Il y a d'autres micro-fromageries. Je pense que ce tissu économique est très solide et correspond à des besoins. Ils travaillent sur des marchés locaux et ont également créé de bons emplois.
C'est une tendance importante; on le voit avec l'explosion de la demande de produits du terroir au Québec. Il y a beaucoup d'opportunités pour créer de la richesse dans les milieux ruraux.
Si on veut lutter contre la pauvreté, il faut créer la richesse. Pour créer la richesse, même dans les régions les plus périphériques, cela suppose un vigoureux travail pour définir des stratégies locales de développement agricole et agroalimentaire, comme nous avons tenté de le faire dans une région dont je parle dans un texte en annexe.
Je ne veux pas prendre le temps de mes collègues, je vais donc en arriver aux conclusions. J'avais donné quelques éléments des expériences étrangères, mais on verra dans la discussion.
En conclusion, quand on parle de la pauvreté rurale, c'est 20 à 25 p. 100 des municipalités rurales, mais évidemment dans les régions éloignées, nordiques, et les communautés autochtones. Ces collectivités sont en dévitalisation, comme en témoignent leur révolution démographique négative et les indices de défavorisation rurale. Ce sont des municipalités en dévitalisation, en déstructuration, et peut-être en restructuration, mais pour lesquelles il faut mettre en place un vigoureux programme étatique, comme une sorte de plan Marshall tel qu'on a connu pour la reconstruction de l'Europe d'après-guerre.
Il faut donc un plan de revitalisation de ces communautés qui peuvent redevenir des milieux de vie attrayants et qui constituent déjà, par les ressources primaires, agricoles, halieutiques, forestières, minières, et maintenant le vent, le paysage à la prospérité nationale.
Il s'agit de réussir leur développement en misant non pas sur la spécialisation, mais sur la diversification de leur économie et en misant sur la multifonctionnalité de ces territoires.
Je vais terminer en vous énonçant quelques petites propositions rapides que je désirais vous soumettre. Je crois qu'il faut passer d'une approche « people base » à une approche « place base ».
Cela signifie qu'il faut renforcer les ressources et les capacités d'action du programme canadien de développement des communautés. Cette structure est en place et connaît beaucoup de succès. Elle a fait ses preuves. Cette structure pourrait mettre en place un programme visant à faciliter la relève entrepreneuriale dans de nombreuses PME rurales qui constituent la base du tissu économique et qui font d'ailleurs actuellement face à plusieurs problèmes de relève.
Deuxièmement, il faut développer de concert avec les provinces un programme de revitalisation des communautés rurales. Je pense qu'on peut tirer des leçons de l'expérience québécoise. Ce programme que j'ai évoqué à quelques reprises dans mon exposé pourrait être livré par les agences régionales de développement qu'on connaît comme l'APECA, FedNor, Diversification de l'économie de l'Ouest Canada, et cetera, qui ont un rôle à jouer pour le relèvement des régions rurales en difficulté.
Troisièmement, il faudrait remettre en place le Conseil consultatif canadien sur les questions rurales pour mieux connaître ce qui se passe au quotidien dans les diverses régions du pays. Je pense que le genre de conseil consultatif que le précédent gouvernement avait mis en place est utile pour être en mesure de savoir ce qui se passe et conduire certains travaux de réflexion.
Il faut mettre en place une politique agricole qui vise l'autosuffisance alimentaire nationale, basée sur la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture et ses nouvelles fonctions.
L'agriculture est en train de changer. L'agriculture de demain aura de nouvelles fonctions de production d'énergie, les centrales éoliennes, les biocarburants. Elle aura également de nouvelles fonctions écologiques comme la séquestration du carbone. On voit que demain l'agriculture sera différente de ce qu'elle a été.
Finalement, en tant qu'universitaire, je dis qu'il faut encourager la recherche universitaire de qualité sur les nombreux problèmes que doivent affronter les communautés rurales de ce pays, en lançant une initiative de recherche sur les défis de développement de la ruralité canadienne. Cela peut se faire avec le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
[Traduction]
David Bruce, directeur, Programme de recherche sur les localités rurales et les petites villes, Université Mount Allison, témoignage à titre personnel : Je vais faire de mon mieux pour tout dire en dix minutes, car la valeur réelle des audiences réside dans l'interaction entre les honorables sénateurs et ceux parmi nous qui viennent faire part de leurs idées et de leurs opinions.
Merci beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui. Je tiens à souligner que je ne suis pas spécialiste du secteur agricole. Je dirais que je suis généraliste pour ce qui est des questions rurales. Ce dont je souhaite vous faire profiter aujourd'hui, c'est une longue période de R-D communautaire accomplie principalement dans les régions rurales et les petites villes de l'Atlantique.
J'ai bien pris le temps d'étudier l'ensemble des questions auxquelles le comité s'intéresse. Je tiens à me concentrer sur trois questions précises. Premièrement, quelle mesure de la pauvreté conviendrait-il d'envisager? Deuxièmement, quelles sont les conséquences de la pauvreté pour les collectivités rurales? Troisièmement, quelles mesures pourrait-on proposer au comité? Je vais prendre les questions dans l'ordre. Nous les traiterons assez rapidement, puis je serai disposé à en discuter.
Je ne crois pas qu'il existe une mesure de la pauvreté qui soit la meilleure entre toutes. Nous pouvons passer beaucoup de temps à débattre des mérites d'un seuil de revenu jugé approprié, mais quoi qu'il en soit, nous constaterons toujours qu'un cas de pauvreté est un cas de trop. Qui étudie la pauvreté s'aperçoit qu'il s'agit d'une question relative. Même si nous augmentons ou abaissons le seuil de revenu, certaines personnes se sentiront toujours exclues ou marginalisées dans notre société. Grâce à mon travail et à mon expérience de bénévole dans les collectivités rurales, par exemple dans les sports chez les jeunes, j'ai appris que la pauvreté ne se résume pas à un revenu absent ou insuffisant. Cela donne aussi qu'un jeune ne peut jouer dans une ligue de hockey mineure ou participer à un programme parascolaire. Cela donne que quelqu'un rate l'occasion de côtoyer un ami à l'école. Nous devons garder cela à l'esprit quand nous discutons d'une mesure de la pauvreté. Ce n'est pas qu'une absence de revenu; c'est tout autant l'incapacité de se sentir inclus dans la collectivité. Je suis sûr que bon nombre d'entre vous peuvent évoquer personnellement des exemples de personnes avec qui elles ont grandi ou qu'ils connaissent, et qui, pour une raison ou une autre, n'arrivent pas à se faire une place. Dans bien des cas, c'est la pauvreté qui est à la racine du problème.
L'approche explorée récemment à Ressources humaines et Développement des compétences Canada repose sur une notion qualifiée de « pauvreté mesurée en fonction du marché » qu'il vaudrait la peine d'approfondir. Essentiellement, la mesure établie en fonction du marché concerne un panier élargi de biens et de services qu'il faut à une personne, à un ménage ou à une famille pour être inclus dans la collectivité. On n'y trouve pas que les éléments de première nécessité — ce qu'il faut pour se nourrir, se vêtir et se loger. On y tient compte du prix réel du transport, des médicaments et des autres choses que nous tenons souvent pour acquises et que nous jugeons accessibles parce que nous avons les revenus nécessaires. Grâce au panier élargi, nous nous donnons une idée beaucoup plus réaliste des revenus qu'il faut réellement pour survivre et sortir de la pauvreté.
Après les impôts, une famille de quatre personnes vivant en région rurale au Canada aura besoin de 24 000 $ à 28 000 $ pour s'en tirer et être incluse dans sa collectivité. Une fois que le fisc a pris sa part, cela donne l'équivalent de 13 à 16 $ l'heure en salaire, pour un seul soutien de famille ou pour deux conjoints qui travaillent. Or, nous savons que bon nombre des nouveaux emplois créés en milieu rural depuis 20 ans au Canada se situent dans le secteur des services, plus faiblement rémunéré, des emplois chez Tim Horton par exemple. Il nous faut trouver une solution pour combler l'écart qui existe entre ce que le marché verse en rémunérations et ce qu'il faut vraiment pour vivre.
Il importe de souligner que la mesure fondée sur le marché découle de travaux commandés par les ministres des Services sociaux de tout le Canada à la fin des années 90. J'invite vivement le comité à se demander pourquoi les taux d'assistance sociale n'ont pas augmenté en fonction de ce que la mesure fondée sur le marché a permis de révéler aux ministres des Services sociaux ou à leurs homologues. Il y a un écart qui est évident. Bien entendu, c'est une question structurelle : les provinces sont responsables de l'assistance sociale, mais le gouvernement fédéral dispose à cet égard de leviers utiles en ce qui concerne les politiques officielles et les revenus.
Il est peu probable que les sénateurs entendent le Conseil national du bien-être social pendant leur étude de la question. Le conseil a beaucoup fait pour confirmer l'existence de l'écart entre les taux d'assistance sociale et le coût réel de la vie dans une collectivité.
Un des trucs curieux qu'il faut noter au sujet des taux d'assistance sociale, c'est qu'il n'y a pas de différence entre le milieu urbain et le milieu rural. Les provinces appliquent un seul et unique taux sur l'ensemble de leur territoire. Chacune d'entre elles joue à inclure ou à exclure tel ou tel élément, à prévoir tel avantage et ainsi de suite, mais il n'en demeure pas moins que les taux d'assistance sociale appliqués aux gens se situent de 50 à 80 p. 100 en deçà du seuil de pauvreté.
Si nous souhaitons que les gens bénéficient d'une certaine stabilité à court et à moyen terme, afin de pouvoir se remettre sur pied, il faut noter que, sous leur forme actuelle, les régimes d'assistance provinciale ne sont pas à la hauteur. Je ne suis pas là pour dire qu'il suffirait d'injecter encore des fonds dans les régimes d'assistance sociale pour que tout aille bien, car, comme je le dirai plus tard, il n'y a pas que l'argent qui entre en ligne de compte. Il y a aussi les mesures officielles qui permettent aux gens de se remettre sur les rails.
Je sais que le comité s'intéresse à l'aspect agricole de la question. Je n'ai pas entre les mains les statistiques faisant voir le nombre de personnes qui contribuent au dossier ou en font partie. Tout de même, il importerait de prendre quelques minutes pour parler du fait que — qu'il s'agisse d'agriculture, de pêche ou d'une autre activité du secteur primaire reposant sur l'exploitation des richesses naturelles —, certaines activités présentent par leur nature même un caractère saisonnier et sont un facteur d'instabilité des revenus ou d'un manque de sécurité des revenus dans nos collectivités rurales. C'est une question tout aussi épineuse que celle qui consiste à se pencher sur le montant des revenus gagnés sur une période de 12 mois.
J'aimerais souligner qu'il nous faut prendre grand soin de ce que les réformes des régimes d'assurance-emploi ne pénalisent pas les travailleurs et les industries parce qu'ils présentent un caractère saisonnier. Nous savons tous que nombre de nos homologues en milieu urbain, il y en a de nombreux dans la pièce en ce moment même, jouissent des biens et des produits de nos industries saisonnières, qu'il s'agisse d'un bon repas au saumon dans le restaurant au bout de la rue ou de quelque autre aspect de cette industrie productive. Nous ne pouvons pénaliser les gens qui font partie de ces industries. D'une part, nous voulons le produit des industries saisonnières en question, mais, d'autre part, nous voulons qu'il y ait là une main-d'œuvre mobile qui se déplace dans les collectivités où les emplois saisonniers sont offerts. Il y a eu des expériences qui visaient à déterminer s'il est possible de procéder ainsi, mais combien de gens peut- on déraciner trois fois par année, et balancer d'une industrie saisonnière à l'autre dans trois régions différentes du Canada rural. Si nous accordons de la valeur aux produits en question et que nous voulons les produits des industries saisonnières, alors il ne faut pas pénaliser les gens parce qu'ils occupent un emploi saisonnier dans une telle industrie et parce que, déracinés, ils sont allés travailler ailleurs que dans la région où ils ont grandi.
Avant d'aborder la question des effets de la pauvreté, je veux affirmer que nous sommes sur le point de constater l'extension de la pauvreté à des niveaux de revenu plus élevés. Je pense surtout à l'impact du lourd endettement à l'issue des études postsecondaires. Nous avons entendu nombre d'histoires déplorant le cas de nombreuses personnes contraintes d'aller travailler dans la région du Centre, sinon dans les sables bitumineux de l'Alberta pendant quelques années au moins, ne serait-ce que pour ramener leur dette étudiante à quelque chose de viable. Cela devient un grand élément à l'origine de l'exode rural. Bien entendu, il y a aussi la mobilité naturelle de la main-d'œuvre, ce contre quoi nous ne pouvons rien. Cependant, là où les gens n'ont pas l'occasion de revenir dans leur ville natale pour mettre sur pied une entreprise ou occuper un emploi rémunéré parce qu'ils ont à supporter une lourde dette à la suite d'études postsecondaires, il faut se pencher sérieusement sur la question de savoir s'il n'y aurait pas d'autres façons de cultiver la prochaine génération de travailleurs. Il nous faut cultiver la prochaine génération sans lui imposer le fardeau excessif que représente une dette étudiante si lourde.
Je sais que le comité s'intéresse à la question des effets de la pauvreté sur les collectivités rurales. La question a fait l'objet de beaucoup de travaux de nombreux chercheurs différents dans de nombreuses disciplines différentes, depuis la santé jusqu'à l'économie agricole, en passant par la psychologie. Les effets sont tout à fait visibles. Les gens ayant un faible revenu n'ont pas la capacité d'adopter le mode de vie sain nécessaire pour ne pas imposer de fardeau à notre réseau de la santé. De manière générale, les gens ayant un faible revenu ont tendance à ne pas accorder la même valeur à l'acquisition continue du savoir ou à l'idée de cultiver la prochaine génération pour lui donner un avantage et ainsi de suite.
De jour en jour, les collectivités où le taux de pauvreté est plus élevé comptent un nombre moindre de personnes qui dépensent sur place — cela donne une spirale descendante, qui fait que les entreprises ferment parce qu'elles n'ont pas les rentrées d'argent quotidiennes nécessaires pour survivre. Cela accélère l'effet de spirale qui finit par coûter de plus en plus cher aux gens de la collectivité, car ils doivent se déplacer davantage pour trouver les biens et services de base, qu'il s'agisse d'articles au détail ou de services personnels.
Cela tient en partie à des revenus qui sont faibles, des revenus qui ne sont pas stables. Cela tient en partie aussi au fait que l'activité économique est dissociée de la collectivité où nous l'avons située. Par exemple, étant donné la restructuration qui touche actuellement l'économe agricole, les fermes locales n'appartiennent plus à des intérêts locaux. Elles appartiennent à quelque conglomérat multinational, pour qui il est facile de fermer boutique ou de dire : nous allons nous installer dans la ville voisine ou dans la collectivité voisine. Il y a donc peu de gens qui dépensent localement, qui achètent le matériel agricole ou les engrais et ainsi de suite. Encore une fois, cela a un impact sur les emplois et un effet de spirale. C'est en partie attribuable aux forces économiques naturelles, mais c'est aussi attribuable à une consommation insuffisante dans certaines de nos collectivités agricoles.
Parlons maintenant de quelques considérations stratégiques, ce qui, je l'espère, donnera lieu à un débat fructueux. Il n'y a pas de panacée, pas de solution miracle. Nous n'avons pas de baguette magique qui nous permettrait de régler d'un seul coup tous les problèmes qui existent dans le monde.
Bon nombre de ceux qui ont affaire au dossier de la pauvreté soulignent que ce n'est pas qu'une question de revenu, et ils ont raison de le faire. Ce n'est pas juste une question de revenu. Il s'agit d'en arriver à une combinaison judicieuse de politiques et de programmes qui relèvent les revenus des gens à un niveau approprié et les aident à grimper les échelons à cet égard. Autrement dit, il ne suffit pas de dire : il faut que vous alliez vous trouver du travail. Voici un programme d'études qui dure un an. Formez-vous, puis vous allez pouvoir trouver du travail. » Qu'en est-il de la mère célibataire qui a deux enfants et qui habite une collectivité où il n'y a pas de services de garde? Comment fera-t-elle pour assister à un cours de huit ou de douze mois, afin de devenir employable, si elle a un enfant de trois ans ou de cinq ans à la maison? La combinaison choisie de politiques et de programmes doit tenir compte de ce que nous pouvons faire pour relever les revenus et offrir d'autres mesures de soutien nécessaires pour que les gens deviennent réemployables ou employables dans la collectivité ou la région où ils se trouvent.
Nous pouvons mettre sur pied des programmes en fonction des facteurs de pauvreté. Il peut s'agir, par exemple, de rendre les études postsecondaires plus abordables. Faut-il que les études postsecondaires soient dispensées sans frais? Je ne sais pas. Je ne sais pas si nous pouvons nous le permettre en tant que société, mais nous devons trouver une stratégie qui rend ces études plus abordables, pour que les diplômés n'aient pas à supporter un tel endettement.
Il nous faut trouver des façons d'accroître l'offre de logements abordables en milieu urbain comme en milieu rural. Le coût de la main-d'œuvre et des matériaux de construction a augmenté de façon phénoménale. Le prix des terrains aussi. Les diplômés frais émoulus de l'université et la « classe moyenne » n'ont pas les moyens de s'offrir une maison de 250 000 $ à Halifax. On ne parle d'Airdrie et de Calgary; on parle de Halifax. Cela touche aussi Truro, Sackville et Fredericton et ainsi de suite, là où je travaille. Il nous faut trouver des façons de réduire ces coûts. Il nous faut investir dans des services de garde abordables pour les familles, afin qu'elles puissent obtenir la formation nécessaire et laisser leurs enfants dans un endroit sûr au moment de se former pour devenir réemployables et se libérer du carcan de la pauvreté.
Il nous faut réexaminer certains des paramètres du régime d'assurance-emploi, de façon à ne pas pénaliser les gens qui font un travail saisonnier. Je ne recommande pas de subventionner les gens des régions. Je dis plutôt qu'il faut trouver la combinaison judicieuse, pour les gens qui bénéficient du régime d'assurance-emploi.
En matière de politique, il nous faut quelques interventions qui sont conçues en fonction des résultats de la pauvreté — pour prendre en considération le cas des gens qui sont déjà pauvres : quoi faire pour les aider à s'en sortir? Une réévaluation des taux d'assistance sociale dans le contexte de mesures fondées sur le marché vaudrait la peine de faire l'objet d'une discussion, et j'invite fortement les honorables sénateurs à faire comparaître, si cela est possible, les divers ministres des services sociaux du pays. En particulier, je me soucie de la possibilité que, dans bien des cas, les gens soient pénalisés au moment où cesse l'assistance sociale — car il y a des allocations pour le transport et la garde des enfants et ainsi de suite — afin de commencer un travail rémunéré, qui ne comporte pas de tels avantages. C'est un élément dissuasif qui est intégré à la mesure elle-même : dès que vous commencez un travail, vous perdez les soins médicaux de base auxquels vous avez droit, de sorte que les gens, par défaut, renoncent à un travail rémunéré et réduisent encore la productivité de nos économies rurales.
Enfin, en plus de réduire le coût des logements pour qu'ils deviennent abordables dans certaines de nos collectivités, il nous faut revoir l'offre de logement social dans tout le Canada, en milieu urbain comme en milieu rural. En particulier, je songeais à un réexamen du programme de coopératives d'habitation qui a remporté un franc succès au moment de son introduction au début des années 70, et qui a été éliminé en 1993 dans le cadre des grandes compressions touchant le secteur du logement à ce moment-là. Plusieurs études font voir clairement que les personnes à faible revenu bénéficiant de projets et de programmes de logement social et de coopérative profitent grandement de l'interaction avec un groupe de personnes à revenu mixte et finissent par cesser de vivre de l'aide sociale et d'autres formes de soutien du revenu pour entamer un travail rémunéré au sein de la société.
Je terminerai là-dessus. Je suis tout à fait disposé à discuter et débattre avec vous.
La présidente : Merci beaucoup. Vous pourrez certainement engager une bonne discussion ici.
Le sénateur Oliver : Je remercie les trois témoins d'avoir présenté un excellent exposé. Messieurs Partridge et Jean, j'aimerais vous poser mes questions d'abord, car vous avez touché à plusieurs sujets semblables. Vous avez parlé de la nécessité d'édifier une sorte d'infrastructure rurale. Vous avez utilisé le terme « infrastructure », monsieur Partridge, et M. Jean a parlé de programmes de revitalisation, tant régionaux que provinciaux. Je connais la signification du terme « infrastructure », mais disons qu'il est question d'une petite localité rurale de 200 personnes avec un secteur agricole mixte, des gens à la retraite et ainsi de suite. Quelle forme d'infrastructure matérielle envisagez-vous pour lier cette localité à un centre urbain?
Deuxièmement, êtes-vous d'avis qu'à l'avenir, plutôt que de reposer sur une agriculture mixte — avec 50 vaches, un potager et quelques pommiers, par exemple — la ferme comptera des éoliennes, elle produira du biocarburant, avec piégeage du carbone et ainsi de suite? L'avenir des fermes est-il de ce côté-là, plutôt que de celui des vaches, poules, cochons et pommes? Est-ce l'avenir?
[Français]
M. Jean : Vous avez posé plusieurs questions et je ne suis pas sûr de les avoir toutes bien saisies. Quand on parle d'infrastructure pour les régions rurales, on parle des grandes infrastructures de base telles l'état des routes, les aéroports, les hôpitaux. Ces infrastructures sont couvertes en grande partie par les programmes que j'ai mentionnés. Par exemple, j'ai pu constater de belles infrastructures routières dans la région du nord-ouest du Nouveau-Brunswick.
À mon avis, la question des grandes infrastructures au pays est maintenant à peu près réglée. Évidemment, il suffit maintenant de les entretenir. Vous savez, il est arrivé que des structures s'effondrent. La maintenance constitue un grand défi.
Pour le petit village dont vous parlez, l'infrastructure est une réalité quotidienne. Il existe des centaines de petits villages où l'on doit, par exemple, maintenir les services postaux.
Au Québec, il y a des centaines de petits villages. Quand on parle d'infrastructures, c'est maintenir le service de la poste. C'est souvent des infrastructures privées. Quand, dans cette communauté, les dépanneurs sont fermés, qu'il n'y a plus de stations-service pour faire le plein de la voiture, c'est un problème. C'est un problème énorme pour le quotidien.
Est-ce que la large bande est arrivée? C'est en train de se déployer, cela va arriver, c'est un bien essentiel. Les infrastructures que j'ai évoquées ne sont peut-être pas si compliquées, maintenance des grosses infrastructures, et des plus petites, que le privé devrait d'ailleurs fournir à l'occasion. Au comité consultatif sur les questions rurales, auquel j'ai eu la chance de participer, on a réfléchi à ce sujet et on a bien pris conscience que, notamment par rapport à cette infrastructure Internet, il est logique d'avoir des infrastructures organisées par le privé en ville, parce que le privé va bien faire les choses. Il va faire bénéficier les consommateurs de bas prix, la compétition va bien fonctionner, et c'est un bon système. Mais en milieu rural, il faut penser que c'est une responsabilité publique, parce qu'il n'y a pas assez de densité pour faire en sorte qu'on puisse demander au privé de réussir à faire cela. C'est une question de citoyenneté. Est-ce que les ruraux sont des citoyens comme tous les autres au Canada ou des citoyens de deuxième zone?
Je voudrais terminer sur l'agriculture du futur. C'est vrai que c'est une image qui s'en vient. Je crois que l'agriculture de demain sera elle-même diversifiée, c'est ce qui sera intéressant et qu'il faut viser. Il faut viser, sur un territoire donné, à avoir un maximum de modèles de fermes, d'exploitations agricoles. Qu'il y ait des petites exploitations écologiques, qu'il y ait de la place pour des grandes fermes, le mieux c'est la diversité. Ce n'est pas d'avoir tout pareil. Parce que nos territoires ruraux sont diversifiés, il y a la place pour des grandes fermes, mais la ferme familiale a sa place. C'est sûr qu'il y aura des demandes pour des nouvelles activités autour de la production de biocarburant. Comment ce sera fait, on ne le sait pas trop encore.
[Traduction]
M. Partridge : Je n'ai pas le même point de vue sur la question. J'avancerais que, dans de nombreuses régions du pays en ce moment, l'infrastructure routière n'est pas suffisamment bonne pour soutenir le mouvement des gens et des biens entre les régions rurales et régions urbaines. En ce sens, nous allons nous donner des régions plus fortes dans la mesure où les zones rurales et les zones urbaines auront collaboré de près. J'insisterais sur la nécessité de s'attacher à une infrastructure plus essentielle.
Sénateur, vous avez évoqué un exemple important. Soit une petite localité; dans votre exemple, vous disiez qu'il y avait 200 personnes et qu'il fallait des soins de santé. Une des difficultés qu'éprouvent les localités et les gouvernements, de manière générale, c'est qu'on ne peut aménager une clinique dernier cri dans chacune des localités du pays. Nous n'en avons pas les moyens. Une des façons de procéder consiste donc à aménager des régions et à installer des établissements dernier cri à certains endroits, pour s'assurer que chaque personne y a accès en temps utile. Nous ne pouvons aménager des installations dernier cri dans chacune des collectivités, mais nous pouvons aménager des régions où il y a des établissements dernier cri, pour nous assurer que la population entière y a accès.
J'ai parlé d'éléments de l'infrastructure concrète, par exemple les routes et les aéroports. Nous pourrions parler aussi d'infrastructures informationnelles qui sont importantes. Je veux parler d'infrastructure immatérielle, c'est-à-dire la gouvernance. J'ai parlé un peu de la question de l'influence. Une des difficultés en ce moment tient au fait que les collectivités rurales et urbaines ne travaillent pas suffisamment ensemble en tant que région. Pour l'édification de l'infrastructure immatérielle, il importerait de concevoir une gouvernance qui fait que les zones urbaines et les zones rurales collaborent. Il importe de bien gouverner, de stimuler la confiance et de combler le fossé entre le milieu rural et le milieu urbain.
Pour ce qui est des biocarburants, voilà une question intéressante du point de vue de la politique officielle. On s'agite beaucoup autour de cette question, et le potentiel est grand. J'encouragerais plus de recherches dans le domaine, car il importe d'éliminer notre dépendance à l'égard de sources d'énergie instables. Quant à nos collectivités rurales, je peux entrevoir que certains agriculteurs en profiteraient. Un des points que j'ai fait valoir pendant mon exposé, c'est que même si nous doublons la taille du secteur agricole canadien grâce aux biocarburants, secteur qui a fait l'objet de réductions massives, cela aurait un effet relativement faible sur l'économie rurale dans son ensemble. En un sens, ce n'est pas une solution pour les régions rurales dans leur ensemble, mais cela ne veut pas dire que ce n'est pas une solution à d'autres problèmes, du point de vue des énergies de substitution.
Je voudrais maintenant faire une petite mise en garde concernant toute l'agitation qui se produit autour de la question des biocarburants. Pour une bonne part, cela vient des États-Unis, où il y a toute une expansion en ce qui concerne l'éthanol et ainsi de suite. Cela a donné un contexte très particulier du point de vue des décideurs, mais ce n'est peut-être pas une chose que nous voudrons créer ici au Canada. Aux États-Unis, on applique un tarif important sur les importations d'éthanol brésilien, si bien que celui-ci ne pénètre pas le marché. Si ce n'était de ce tarif, il n'y aurait pas d'industrie américaine de l'éthanol. Cette dernière existe dans un contexte très particulier qui comporte des subventions et des tarifs. Il reste à voir si d'autres pays voudraient reproduire ce genre de politique.
Le sénateur Oliver : Il y a aussi l'industrie éolienne et les usages modernes que les agriculteurs peuvent faire de leurs terres.
M. Partridge : Je n'ai pas parlé d'éoliennes parce que, dans certaines régions du pays, l'énergie éolienne n'a pas tant la cote. Dans d'autres, oui.
La présidente : Dans mon coin du pays, le vent souffle toujours.
Le sénateur Oliver : Il y a une chose qui m'étonne un peu : il n'y en a pas un parmi les trois qui ait insisté sur la revitalisation des collectivités rurales et sur ce que j'appelle l'« agrotourisme ». C'est-à-dire l'idée d'attirer plus de touristes et de touristes qui dépensent dans les « couettes et café » en campagne. Pourriez-vous me dire s'il pourrait s'agir d'un des instruments dont on se servirait pour mieux revitaliser les régions rurales du Canada?
M. Bruce : C'est une bonne question. Je crois que je peux parler au nom de tous quand je dis que, pour traiter de tout, les dix minutes allouées ne représentent pas beaucoup de temps. En tant que sujet ou solution stratégique... je crois que les collectivités particulières doivent analyser ce qu'elles ont à offrir et le présenter sous une forme créative et attrayante aux yeux du marché. Dans diverses régions du pays, il existe de très bons exemples de programmes agrotouristiques de qualité ayant vu le jour. Dans la région de Montmagny et dans les Cantons de l'Est, au Québec, et dans d'autres régions du Canada, cela fonctionne bien.
Le sénateur Oliver : C'est un élément. C'est aussi une fonctionnalité.
M. Bruce : Il faut que cela se fasse sous l'impulsion de la collectivité et que ce soit la décision de la collectivité.
[Français]
M. Jean : Dans le papier, je l'avais mentionné, mais pour moi, dans le concept de multifonctionnalité, il y a l'activité touristique. De plus en plus, les visiteurs au Canada veulent découvrir la nature et les paysages naturels. Il y a là très certainement une avenue à explorer. Il ne faudrait pas penser que se concentrer... J'ai parlé diversification et non spécialisation. Dans le panier des opportunités, le tourisme est là. Il y a beaucoup de choses encore à faire, il y a des choses intéressantes qui se font actuellement, mais ce n'est pas une réponse.
[Traduction]
La présidente : Il y a une chose qui m'a frappée dans ce que M. Partridge a affirmé à propos des établissements de santé dernier cri des régions rurales du Canada. Une des plus grandes difficultés, par exemple, dans les petites localités entourant ma ville natale de Lethbridge consiste à trouver même un seul médecin qui soit prêt à s'y établir. Oui, ils se rendent dans ma ville, mais c'est presque une de ces exigences « stables » qu'il faut à toute collectivité, y compris aux collectivités rurales.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Bruce, vous avez parlé d'éducation, et je suis certes d'accord avec pour dire que le manque d'éducation est l'une des causes de la pauvreté.
Dans les régions rurales de ma province, le pourcentage de titulaires d'un diplôme d'études secondaires est inférieur à ce qu'il est en milieu urbain, et je présume que cela vaut pour l'ensemble du Canada. Nous devons trouver des façons d'encourager nos jeunes à achever leurs études, puis à fréquenter l'université.
Une des suggestions que vous faites, c'est de rendre les études postsecondaires plus accessibles aux étudiants provenant de ménages à faible revenu d'une région rurale. Je crois que ce devrait être une mesure universelle. Proposez- vous que nous ayons un programme différent pour les étudiants des régions rurales?
M. Bruce : Dans certains cas, cela se justifie : la plupart de nos établissements d'enseignement sont situés dans de grands centres urbains, même si ce n'est pas tous. Au Québec, le réseau universitaire s'étend plus largement dans les régions rurales; pensons par exemple à Chicoutimi, à l'Abitibi-Témiscamingue et ainsi de suite. Même dans la région de l'Atlantique si on y regarde un peu — à Halifax, à Fredericton, à Moncton —, on voit qu'il y a un fardeau à assumer, au-delà des seuls frais de scolarité : les citadins ont la possibilité de demeurer à la maison et de se rendre à l'Université Dalhousie en empruntant les transports publics au coin de la rue, par exemple. Voilà un élément de la situation.
Quant à l'observation plus générale que vous avez formulée au sujet des études secondaires inachevées, je ne suis pas spécialiste du système d'éducation, mais, d'après mon observation générale de la situation, un certain nombre d'étudiants profiteraient probablement d'études secondaires dûment achevées dans un programme qui n'est pas forcément conçu pour les préparer aux études universitaires, mais plutôt pour entrer dans un programme d'apprentissage d'un métier ou occuper un autre type d'emploi jugé utile dans notre société.
À propos d'une question tout à fait distincte, nous savons qu'il existe en ce moment une énorme crise de main- d'œuvre dans les métiers de la construction. Cette crise est attribuable en partie à la modification apportée dans la plupart des provinces, il y a quelques années, pour réduire les programmes menant aux métiers de la construction et intéresser les jeunes aux technologies de la formation. Voilà une décision mal avisée qui nous fait beaucoup de mal aujourd'hui. Encore une fois, c'est un champ de compétence provinciale, mais les autorités ont quand même la possibilité d'encourager des modifications dans le domaine, dans l'espoir d'attirer plus de jeunes et de les garder à l'école.
Le sénateur Callbeck : Je suis certes d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut insister davantage sur la main- d'œuvre spécialisée, car il y a pénurie en ce moment, et il semble que les choses soient appelées à s'aggraver. Un des autres témoins a-t-il des observations à formuler?
M. Partridge : J'ai une observation à faire. J'œuvre dans le milieu des études supérieures, et je crois en l'importance des études supérieures. Pour une bonne part, les recherches font voir que les résultats les plus probants sont attribuables aux mesures pédagogiques prodiguées à la petite enfance. Or, dispenser ce service à la collectivité imaginée par le sénateur Oliver, celle qui compte 200 personnes, sera un des plus grands défis à relever pour la collectivité en question. Une localité de 200 habitants dispose de peu de ressources pour offrir une éducation de première qualité pendant la petite enfance, mais cela nous ramène à l'idée de faire collaborer davantage de collectivités en vue d'atteindre une masse critique. À ce moment-là, les services d'éducation à la petite enfance deviennent possibles. J'insisterais moi-même sur l'éducation à la petite enfance, mais soulignons que chaque petite localité, à elle seule, ne saurait fournir de tels services.
[Français]
M. Jean : M. Bruce a mentionné le cas très particulier du Québec. En effet, plusieurs universités au Québec sont situées dans des zones rurales. Ce modèle est assez unique au Canada.
Je suis profondément convaincu que l'université a une influence réelle sur la prospérité économique d'une région. Pour ceux qui connaissent le Québec, je cite souvent l'exemple des régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Comme le disait un ancien recteur de l'Université de Rimouski, le drame en Gaspésie est qu'il n'y a pas d'université.
La région du Bas-Saint-Laurent, à une certaine époque, se trouvait en grande difficulté. Heureusement, elle a pu jouir, comme la Gaspésie, des bénéfices de La loi sur l'aménagement rural et le développement agricole (ARDA) et des programmes des années 60. Au cours des 15 dernières années, on a créé 20 000 emplois dans la région du Bas-Saint- Laurent alors qu'il n'en existait que 74 000. Cela représente une augmentation de 26 p. 100 d'emplois dans cette région.
A-t-on découvert une mine d'or dans la région du Bas Saint-Laurent? Non, il ne s'est rien produit de tel. Toutefois, il s'est produit un autre phénomène. On a vraiment modernisé, à tous les niveaux, dans les secteurs traditionnels. Par exemple, on a manufacturé des produits géniaux, faits à partir de la tourbe, destinés à la biofiltration et à toutes sortes d'usages. Premiertec a créé des milliers d'emplois dans des secteurs traditionnels tels celui de la tourbe.
Dans la petite ville de Rimouski, on a créé un centre de la nouvelle économie et plusieurs emplois. Il s'est donc produit une diversification. On a travaillé dans tous les secteurs, soit agricoles, forestiers et de nouvelles technologies. Nous croyons que l'université a joué un rôle très important pour aider les organismes, individus et entreprises privées de cette région. Sa présence a donc eu une importance énorme.
Dans certaines municipalités rurales, ce sont les collèges communautaires qui ont eu un impact réel dans le développement économique régional.
[Traduction]
La présidente : Je suis tout à fait d'accord. Je viens d'une région rurale et, pendant mon enfance, il n'y avait là ni université ni collège communautaire. Aujourd'hui, nous avons les deux, tous deux pleins à craquer. Les gens arrivent des petites collectivités pour fréquenter les deux établissements en question, alors que, auparavant, il fallait se rendre jusque dans le nord de l'Alberta, ce qui n'était pas possible.
[Français]
M. Jean : Pour ma part, j'ai quitté Rimouski lorsque j'étais jeune car il n'y avait pas d'université. Par la suite, le collège et l'université furent créés. Je suis alors revenu dans ma région grâce à l'université. Vous avez donc devant vous l'exemple vivant de cet impact.
[Traduction]
La présidente : Voilà. Tant mieux pour vous.
Le sénateur Segal : Hier, au Sénat du Canada, le sénateur Mahovlich m'a avisé du fait que l'art d'être bref est de rigueur; je vais donc poser deux questions rapides, et je vais demander aux témoins d'y réfléchir.
[Français]
Quand le professeur Jean a cité George W. Bush, il l'a fait d'une façon tout à fait positive. Pour les Américains, le financement des fermiers dans leur communauté représente une question de sécurité nationale. De notre côté, si nous examinons les montants d'argent octroyés aux régions comme les Territoires du Nord-Ouest, nous constatons que nous dépensons beaucoup d'argent par personne et ce, pour des raisons de sécurité nationale. C'est une question de souveraineté.
[Traduction]
Ma question s'adresse à tous. Êtes-vous d'avis que l'impératif gouvernemental face aux régions rurales du Canada, l'idée de soutenir la population en tant que base économique viable, est une question de sécurité nationale? Croyez- vous que nous devrions situer notre investissement dans ce contexte ou est-ce que cela vous paraît exagéré? Question corollaire : le dépeuplement de ces régions doit-il nous préoccuper? La combinaison des revenus en milieu rural, revenus agricoles et autres, ne suffit pas pour que les gens y demeurent; la tendance est donc à l'urbanisation, qui est déjà tout à fait massive, et elle se poursuit au point où le nombre de collectivités qui deviennent non viables est de plus en plus nombreux.
Ma deuxième question se rapporte à l'argent. Si vous faites un total de toutes les subventions du président Bush à diverses catégories d'agriculteurs, les mesures d'appui des collectivités rurales, les paiements de transfert, sans oublier les mesures énergiques du gouvernement américain concernant les importations agricoles aux États-Unis, il devient difficile de conclure que les États-Unis n'ont pas, de fait, décidé que l'agriculteur américain mérite un revenu annuel garanti. Ce n'est pas le nom que l'on donne à la chose, pour des raisons idéologiques, mais si on met ensemble tous les morceaux, c'est le portrait qu'on obtient. Nos agriculteurs à nous, quant à eux, sont contraints de concurrencer grâce à des appuis sporadiques touchant le cycle économique de marchandises particulières, sans bénéficier de politique globale si énergique.
Vous avez tous parlé du seuil de faible revenu comme étant l'une des mesures employées, sans oublier les mesures fondées sur le marché. Ce ne serait pas si coûteux de relever jusqu'à ce niveau le revenu moyen de ce qui se situe en deçà du SFR — grâce à un supplément salarial ou à un supplément de revenu garanti, comme nous le faisons dans le cas des aînés — que la formule actuelle, qui consiste à consacrer des sommes d'argent à toute une série de programmes. Nous consacrons actuellement 260 milliards de dollars au Canada à la sécurité sociale, sans compter la santé et l'éducation, ce qui a un impact moindre dans les faits.
J'aimerais savoir ce que les témoins en pensent. Je crois que ce sera une des questions intéressantes auxquelles nous aurons à réfléchir en tant que décideurs. Pour être clairs, nous étudions la pauvreté rurale au comité et non seulement le revenu agricole. La distinction que vous avez faite à cet égard a été très utile.
M. Bruce : Pour répondre d'abord à votre deuxième question, à propos du revenu annuel garanti, je dirais que vous avez conçu une façon originale de réfléchir à ce dont nous parlons, soit de nous assurer que les gens ne sont pas pénalisés parce qu'ils contribuent à quelque chose qu'il nous faut dans notre société, c'est-à-dire qu'ils fournissent la nourriture. M. Jean en a parlé. En principe, j'appuierais ce que vous préconisez. Certes, il faudrait réfléchir aux éléments concrets de l'affaire, mais c'est un principe de fonctionnement que j'appuierais.
À la question que vous avez posée au sujet du dépeuplement des régions rurales en tant qu'impératif national, je crois qu'il faut se pencher sur la question, car, hormis le fait que les collectivités en question font partie de notre patrimoine national et notre tissu national depuis la fondation de notre pays, les gens ne saisissent pas la valeur qu'il y a dans le fait d'avoir une population dans nos régions rurales. Nous parlons du fait d'accéder à nos parcs nationaux. Qui sont les gardiens de nos parcs nationaux, dans bon nombre de cas? Ce sont les citoyens des régions rurales. Qui sont les gardiens du paysage que nous allons voir en conduisant et j'évoque à ce sujet la vallée de l'Annapolis ou quelque autre sentier ou chemin scénique au Canada. Certains ont affirmé que nous devrions peut-être demander un péage à l'entrée de la vallée d'Annapolis, à ceux qui sont venus voir les pommiers en fleurs. Cela fait partie de la valeur de nos collectivités rurales. On ne saurait quantifier cela en dollars et en cents. Oui, nous devons nous en préoccuper. Nous ne pouvons exiger des gens qu'ils déménagent de Berwick ou de je ne sais où, mais il faut mettre en place des conditions nécessaires pour que les gens choisissent de demeurer ou de quitter, suivant les possibilités économiques qui s'offrent à eux. Je crois qu'il est important de s'en préoccuper. C'est un impératif national.
M. Partridge : Ce sont trois questions auxquelles il est très difficile de trouver une solution. Je vais les regrouper. Comme je le disais, étant donné la réalité du XXIe siècle dans les régions rurales du Canada, il faut nouer de solides liens avec les centres urbains et trouver une façon de les resserrer encore pour assurer la vigueur économique des campagnes. J'essayais de mettre de l'avant des idées qui sont réalistes et qui concordent avec les décisions que prennent réellement les gens en ce moment. Nous aurions de la difficulté à recréer les campagnes canadiennes des années 50, mais il y a toujours des façons de revigorer les régions rurales du Canada d'aujourd'hui.
Les idées que je propose présentent un bon rapport coût-efficacité et seraient acceptables aux yeux d'un nombre assez élevé de contribuables. Quant à savoir en quoi les régions rurales sont si importantes, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'invoquer la question de la sécurité nationale. Nous pouvons invoquer toutes sortes d'autres facteurs. Premièrement, les gens sont nombreux à aimer le mode de vie qui existe dans les régions rurales. Ils aiment les petites villes; ils n'aiment pas la congestion; ils aiment le fait de connaître leurs voisins; ils aiment l'impression générale qui se dégage d'une zone rurale. Si nous perdons nos collectivités rurales, nous perdons cette option. Une des raisons principales pour lesquelles les régions rurales sont si importantes au Canada, c'est que ce que nous perdons, nous le perdons non seulement aujourd'hui, mais encore pour des siècles.
De même, les collectivités rurales constituent souvent la première ligne de défense pour ce qui est de l'environnement. Elles en sont les gardiens. Ce sont elles qui se trouvent aux abords des bassins hydrographiques, des forêts et des lacs. En ce sens, la bonne santé du Canada rural favorise la bonne santé de l'environnement. Il y a une autre raison, qui est culturelle : nous perdons une bonne part de notre patrimoine si nous perdons nos collectivités rurales. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'invoquer la sécurité nationale pour revigorer les régions rurales. Il existe toutes sortes de raisons par ailleurs qui permettent d'affirmer qu'elles sont importantes.
Du point de vue de la politique agricole, même si la description que vous faites de la politique agricole des États- Unis et de l'Union européenne peut être exacte, d'une certaine façon, les choses sont très fluides en ce moment. À l'OMC, nombre des demandes des États-Unis et de l'Union européenne en rapport avec la politique agricole constituent des éléments destinés à être négociés et à consolider leur position. Aux États-Unis surtout, il y a des motifs budgétaires qui expliquent la situation. Il reste à voir quel genre de programme agricole se dégagera du Farm Bill de 2007.
Pour ce qui est de l'économie dans son ensemble, la politique agricole revêt une grande importance pour la compétitivité internationale du Canada. L'agriculture affiche constamment un excédent commercial et produit des effets très importants. La récolte et la transformation des aliments ont lieu près des zones urbaines. C'est important pour le pays.
Les États-Unis appliquent des programmes agricoles très généreux, mais les études démontrent que les collectivités bénéficiaires ne s'en sont pas forcément tirées mieux et que, de fait, c'était peut-être encore pire. Pour ce qui est de la revitalisation générale des régions rurales, je dirais que les programmes agricoles ne représentent pas une bonne idée. Les programmes agricoles sont importants pour le secteur agricole, mais non pas pour l'économie rurale dans son ensemble.
Le sénateur Mahovlich : Le Canada rural peut-il attirer des immigrants? À l'époque où j'étais jeune garçon, à Timmins, en Ontario, il y avait des Chinois dans le nord de l'Ontario. J'avais dans ma classe Freddy Wong et Suzy Wong. Aujourd'hui, il semble se retrouver à Vancouver, à Toronto et dans les autres grandes villes. Est-ce que nous devrions essayer d'attirer des immigrants dans les régions rurales du Canada?
M. Bruce : Voilà une bonne question. Depuis un certain temps, j'étudie certains districts ou certaines régions rurales des Maritimes à ce sujet.
Pour les collectivités particulières, le processus d'immigration est une immense boîte noire. Les gens présentent une demande à un bout, il y a les collectivités à l'autre bout, puis, à un moment donné, les gens se retrouvent à Vancouver, Toronto et Montréal. Pour ce qui est de faire du marketing et d'attirer les gens, voilà une situation qui présente des difficultés.
Tout de même, je crois qu'il existe quelques exemples, particulièrement dans la partie sud des Prairies — je pense à Steinbach et à plusieurs autres endroits — où des gens d'autres pays viennent s'installer.
Certaines collectivités rurales sont aux prises avec des problèmes de main-d'œuvre. Dans l'ouest du Nouveau- Brunswick, on a de la difficulté à trouver des travailleurs agricoles, des chauffeurs et des ouvriers du secteur manufacturier. Il faut voir comment nous pouvons signaler ce besoin aux pays dont les gens — je n'aime pas dire que les gens s'adapteront plus « naturellement » — où il y a plus d'éléments en commun entre le pays d'origine et le Canada rural. Je pense à l'Europe de l'Est, à la Russie, aux pays scandinaves et ainsi de suite.
Souvent, quand je parle de repeuplement et d'immigration avec les gens dans une collectivité rurale, la première chose qu'on me dit, c'est : « Je ne veux pas que ces Asiatiques viennent voler nos emplois. » Ils voient tout de suite un Asiatique ou un Africain. Ils sont prédisposés à penser que, premièrement, ce sont les seuls pays d'où viennent les immigrants et, deuxièmement, les immigrants en question ne s'adapteront peut-être pas, sinon ils ne voudraient pas eux-mêmes qu'ils s'adaptent. En réalité, il y a de nombreux autres pays d'origine que nous devrions prendre en considération, et où on trouve l'ensemble de compétences et les éléments d'acclimatation qui présentent peut-être de meilleures chances de succès.
Je suis d'accord avec vous : il existe certaines possibilités à cet égard. Le défi à relever, c'est d'aider les collectivités à comprendre le processus d'immigration et expliquer le rôle qu'elles peuvent jouer dans le tableau d'ensemble, pour attirer les immigrants.
M. Partridge : Nos travaux donnent à penser que le fait d'attirer des immigrants dans les régions rurales du Canada est très utile. C'est que les immigrants sont associés à un effet de multiplication très important en ce qui concerne la croissance de la population rurale. Non seulement ils s'y ajoutent eux-mêmes, mais en plus, ils produisent deux autres effets. D'abord, il y a la masse critique. Si ces collectivités comptent un nombre suffisant d'habitants, elles peuvent garder un hôpital et faire en sorte que l'endroit soit vivable pour des gens nés au Canada même. Voilà un des effets de multiplication. Il y a aussi un grand effet de multiplication qui est attribuable au fait que les immigrants provenant de certains pays aiment s'installer près d'autres immigrants de leur ancien pays. Ils ont un réseau. Ils peuvent compter sur quelqu'un qui a découvert les façons de faire pour s'adapter au nouveau pays. Voilà pourquoi il y a ce grand effet de multiplication. Une fois que vous commencez à attirer des immigrants, vous obtenez un effet de multiplication qui fait que d'autres immigrants encore viennent, ce qui rend la collectivité plus vivable, car elle peut compter sur davantage de services. Le problème, c'est que nombre de collectivités rurales ne comptent pas d'immigrants et qu'elles éprouvent de la difficulté à en attirer.
C'est peut-être une stratégie très efficace. C'est lié à certains des travaux que nous avons effectués, moi et certains de mes collègues, à l'Université de la Saskatchewan. Nous avons cherché à savoir comment faire pour atteindre dans les régions une masse critique qui permettra de constituer les réseaux qui attirent les immigrants pour que ceux-ci se sentent à l'aise, de sorte qu'il y aura plus d'immigrants provenant de leur pays, que l'immigration atteindra tout son potentiel dans les régions rurales du Canada.
Le sénateur Mahovlich : Il y a une demande de main-d'œuvre à Fort McMurray. Est-ce que ce sont des immigrants ou seulement des Canadiens qui vont à Fort McMurray?
M. Partridge : J'y étais il y a tout juste un mois. Voilà un sujet intéressant. Deux questions entrent en jeu. Oui, il y a des immigrants qui vont à Fort McMurray; tout de même, je veux parler de la complexité de la pauvreté en milieu rural. Il y a ce point de vue selon lequel l'immigration exclut des candidats éventuellement compétents parmi les membres des Premières nations et les Métis dans le nord de l'Alberta et dans le nord de la Saskatchewan. La politique d'immigration doit être mûrement réfléchie : il y a des gens qui sont convaincus que le gouvernement du Canada et les administrations provinciales et locales dépensent plus d'argent pour attirer des immigrants des Philippines qu'ils en dépensent pour simplifier la vie d'une famille des Premières nations qui souhaite travailler à Fort McMurray. C'est un exemple de la complexité du dossier de la politique d'immigration.
Le sénateur Tkachuk : Ce sera le Fort McMurray de Terre-Neuve et du Labrador. Danny Williams ira annexer cette région de l'Alberta.
Je veux aborder une question que le sénateur Segal a soulevée. M. Jean a également parlé de l'idée que le Canada rural soit une sorte de jardin zoologique entretenu et enjolivé pour ainsi dire pour les touristes; les gens vont voir, et des sommes d'argent sont dépensées pour que les choses demeurent ainsi. Je ne suis pas de cet avis.
Les Américains ont d'énormes programmes de subvention parce qu'il est plus facile de justifier cela en invoquant la sécurité nationale qu'en disant : « Merci beaucoup d'avoir voté pour moi, mais je vais aussi chercher les Européens. » C'est un problème. Si nous subventionnons l'agriculture dans la même mesure que le font les Américains et les Européens, nous inondons d'aliments l'Afrique, l'Asie et d'autres régions du monde, de sorte qu'ils ne peuvent devenir autosuffisants. C'est une façon antiéconomique et horrible d'essayer de régler le problème. La solution de facilité, c'est de donner de l'argent aux gens. Comment pouvons-nous renverser la vapeur?
Je suis originaire de la Saskatchewan. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres provinces, mais, en milieu rural chez nous, la politique sociale a eu l'effet d'un gros aspirateur. Les membres du comité ont déjà entendu mon point de vue sur la question. Nous centralisons toutes les écoles, si bien que les écoles sont installées dans les villes. Nous centralisons tous les hôpitaux, si bien que les hôpitaux sont installés dans les villes. Vous ne pouvez subir une radiographie parce que la politique gouvernementale ne vous permet pas de vous payer une radiographie dans une petite ville. Il faut prendre sa voiture et faire le long chemin jusqu'à Saskatoon.
Il y a toutes ces politiques sociales horribles. Les villes obtiennent tous les bâtiments publics, les gros hôpitaux et les ministères. Dans l'intervalle, nous éliminons les bureaux de poste et les écoles dans les campagnes. Cela se fait depuis 30 ans. Nous passons l'aspirateur et nous disons : « Pourquoi est-ce que personne ne veut vivre ici? Pourquoi y a-t-il des pauvres ici? » Tout est parti.
Il y a toujours un débat autour des dépenses d'infrastructure. Faut-il que cela passe en premier? C'est comme cela que nous avons construit le premier chemin de fer. Construisons un chemin de fer, les gens viendront s'installer ici. Peut-être que si l'infrastructure était meilleure, les gens choisiraient de s'installer ici. Les régions rurales du Canada doivent garder les cerveaux, les jeunes, les innovateurs, les bonnes têtes. On ne peut garder les bonnes têtes dans les villes des régions rurales sans hôpitaux, sans bureaux de poste et sans les services qui importent du point de vue d'une vie civilisée.
Je ne sais pas si on a fait des efforts à cet égard, mais, dans ma province à moi, cela me rend fou. Voilà ce que j'en pense.
M. Bruce : Je ne suis pas sûr qu'il y ait là une question, mais il y a certes une observation. Je toucherai simplement un mot du point que vous avez soulevé à propos de la nécessité de garder chez soi les cerveaux. J'emprunte l'expression d'un de mes collègues, Godfrey Baldacchino, de l'UPEI, qui parle de « brain rotation », essentiellement l'exode et le retour des cerveaux. Autrement dit, il est très bien que nos jeunes quittent l'île ou quittent la ferme, mais il faut créer les conditions qui feront que, dans quatre ou cinq ans, après avoir acquis l'expérience mondiale qu'ils recherchaient ou profité de ce qui peut bien cultiver un cerveau, ils reviennent et changent des choses pour eux-mêmes, pour la collectivité et pour la prochaine génération. Cela nous ramène à ce que vous avez dit : il faut la bonne combinaison de services et de commodités pour que le cerveau en question continue d'être cultivé dans la collectivité en question.
Il reste alors à déterminer, du point de vue de l'investissement de la société considérée globalement, à quoi s'établit la masse critique minimale de services et d'éléments d'infrastructure publique qu'il faut pour que le cerveau en question revienne dans sa campagne de la Saskatchewan ou de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Tkachuk : À Saskatoon, les gens reçoivent le courrier à la maison.
Le sénateur Segal : J'aimerais parler brièvement de la question de l'infrastructure.
[Français]
Le sénateur Segal : Le professeur Jean a parlé des effets positifs que la présence d'une université peut avoir sur la population d'une région.
[Traduction]
Dans le domaine de la politique publique au Canada, sporadiquement, les autorités provinciales et fédérales ont décidé d'aménager de grands bureaux administratifs dans certains centres — monsieur Partridge, ce serait comme ceux qui se trouvent sur votre carte — qui se trouvent au centre de zones urbaines rurales. Je pense au centre de traitement de la TPS à Summerside, Île-du-Prince-Édouard; au centre d'immigration à Vegreville, Alberta; au bureau des Anciens combattants à Charlottetown; et aux installations du RAMO à Kingston, qui a rapatrié un groupe d'employés de Toronto, tout en créant toutes sortes de bons emplois locaux dont les salaires sont venus s'ajouter aux revenus non agricoles possibles dans la région. Comme les normes étaient plus élevées, comme c'est le cas pour une université, il en en été de même des niveaux de rémunération, des avantages sociaux et de l'assurance médicale.
Les réaménagements en question comportent des coûts, mais nous ne calculons pas la différence entre le coût par pied carré d'un immeuble loué en milieu rural en Saskatchewan et ce qui serait demandé au centre-ville, à Ottawa. Les ministres d'Ottawa deviennent toujours très agités quand il y a ce genre de discussion, mais cela ne me dérange pas : je crois que le besoin d'établir les bureaux administratifs dans les grandes villes reste à prouver.
Cela vaut particulièrement pour les opérations administratives qui supposent une grande manipulation des données — un traitement intensif des données comme dans le cas des déclarations d'impôt sur le revenu et ainsi de suite. Je suis toujours inquiet quand je reçois une lettre des services fiscaux de Shawinigan, mais pas parce que c'est Shawinigan. Je me sens mieux depuis qu'il y a un nouveau gouvernement en place. Je n'ai pas à m'inquiéter du courrier qui vient de Shawinigan autant que par le passé, mais je donne crédit à ce premier ministre, député local, qui est allé constituer là un bassin d'employés.
Dans l'analyse particulière que vous faites des grappes, monsieur Partridge, pour les États-Unis et pour le Canada à la fois, quel est le rôle du secteur public? Dans quelle mesure y voyez-vous un levier important pour ce qui est de faciliter l'établissement des grappes en question et d'installer dans les régions rurales des employeurs qui recrutent — pour aider vraiment à améliorer la base économique générale?
M. Partridge : Le gouvernement joue un rôle important. J'admets que le gouvernement dispose de ressources limitées. Il a tant de choses à accomplir — santé, éducation et autres besoins — qu'il n'en a que tant à offrir pour revitaliser les régions rurales.
Tout de même, pour ce qui est du rôle du gouvernement, il s'agit de soutenir. L'infrastructure nécessaire existe-t- elle? Les services sociaux nécessaires existent-ils? Que ce soit dans chaque ville ou, plus vraisemblablement, étant donné les coûts, dans les grands centres tout au moins, est-ce qu'il existe des façons de s'assurer que les gens des campagnes ont accès à cela? Quant au troisième rôle, vous évoquez le cas de petits créneaux originaux où les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle. Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse, à condition de ne pas essayer de réaménager certains types de services gouvernementaux et en situer le centre dans des petites collectivités rurales où il n'est pas possible d'attirer les employés; les petits centres en question ne permettront pas d'attirer certains types de personnes ayant des exigences élevées du point de vue de l'éducation.
Tout de même, les genres de services que vous décrivez pourraient être offerts à l'étranger, en Inde. Pourquoi ne pourraient-ils pas être confiés à de petites collectivités rurales, de façon à étaler la richesse? En ce sens, il existe de nombreux services gouvernementaux dont le siège pourrait se trouver dans une collectivité rurale. On pourrait ainsi constituer une sorte de masse critique, bâtir des régions et créer des occasions, de manière à profiter d'effets de retombée et de multiplication valables pour la région entière.
M. Bruce : Il y a également des retombées pour le secteur privé. Chez nous, à Sackville, au Nouveau-Brunswick, il y a le bureau secondaire d'une entreprise qui traite avec les détaillants propriétaires des lecteurs de cartes magnétiques. Les responsables ont cherché à dessein à ne pas s'installer dans le centre-ville de Toronto, car ils voulaient une certaine diversité. Quand il y a eu la panne de courant dans le sud de l'Ontario, la seule chose qui ait sauvé l'entreprise en question, c'est le fait qu'elle avait un bureau à Sackville, qui pouvait continuer à servir les clients. L'étalement du risque est important aussi.
Pourquoi Sackville? C'est assez près d'un aéroport et c'est une ville universitaire. Cela fait partie d'un regroupement des services et des commodités nécessaires pour attirer ce genre d'activité. Il ne suffit pas de s'installer n'importe où.
Le sénateur Mahovlich : Il y a une chose qui m'attire en France et en Italie, quand je me rends là : les restaurants et la gastronomie.
Est-ce que nous en faisons assez dans nos universités à cet égard? Souvent, monsieur Jean, je vais au Québec et je trouve de bons restaurants. Par contre, dans les régions rurales du Canada, si nous pouvions attirer des chefs et avoir de bons restaurants, il y aurait plus de tourisme. Les gens trouveraient que les lieux sont plus attrayants. Je crois que nous n'en faisons pas assez pour attirer de bons éléments culinaires au Canada. Êtes-vous de cet avis ou y a-t-il des bons restos que je ne connais pas?
[Français]
M. Jean : Vous avez raison. Il y a beaucoup à faire dans l'industrie touristique rurale canadienne. Je ne connais pas beaucoup ce secteur, mais je sais qu'au Québec il y a des associations touristiques régionales qui font un très beau travail et qui vont dans le sens d'offrir des produits touristiques de qualité.
Puisque j'ai la parole, j'aimerais revenir sur la question de la présence des ruraux dans les territoires du Nord, dans nos grands espaces. Je suis convaincu que les ruraux exercent plusieurs fonctions. Tout en occupant le territoire, ils produisent des biens et services, ils aménagent un paysage. L'occupation du territoire est une fonction géopolitique essentielle pour la souveraineté nationale et la sécurité.
On peut dire également que les ruraux le font bénévolement. Mais dans certaines zones isolées, je pense que le gouvernement a la responsabilité de les aider à se maintenir dans cette partie du territoire. C'est une façon d'aborder le problème et d'une manière ou d'une autre, on doit reconnaître ce rôle géopolitique des populations rurales.
[Traduction]
Le sénateur Peterson : Les témoins ont fait un travail admirable pour définir la pauvreté et déterminer où elle existe. Le défi à relever, maintenant, c'est de savoir quoi faire pour l'enrayer.
Nous avons parlé des possibilités qui peuvent fonctionner ou ne pas fonctionner, et qu'il faudra bien du temps à mettre en œuvre. Dans l'intervalle, ne pourrions-nous pas envisager d'utiliser la richesse du pays, qui n'appartient pas seulement au centre du Canada et aux grands centres urbains, pour établir un programme de revenu garanti, tout en essayant de concevoir les programmes envisagés et de les mettre sur pied? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Partridge : J'ai cosigné récemment un livre intitulé The Geography of American Poverty. J'ai parlé d'une des grandes difficultés auxquelles fait face le milieu rural du Canada, soit les problèmes institutionnels. Nous devons nous fier à nos institutions en tenant compte du sens du vent, qui souffle vers les centres urbains. Nous ne voulons pas abandonner entièrement le Canada rural. Comment nous assurer qu'il arrive perdurer, étant donné les tendances relevées?
Pour ce qui est des solutions à court terme, je n'opterais pas pour un programme de revenu garanti. D'autres formes d'appui seraient nettement plus fructueuses. Notamment, il pourrait s'agir de soutenir les gens avec des services comme la garde d'enfant. Nous avons parlé des difficultés qu'éprouvent les femmes seules ayant des enfants; nous devrions appuyer davantage les possibilités de formation. Autre grand problème, surtout dans les régions rurales si votre famille vit de graves difficultés financières : le transport, trouver des façons originales de faire en sorte que les travailleurs à faible revenu puissent se rendre au travail représente un autre élément capital. J'insisterais davantage sur les formes de soutien du travail. À ce titre, je mentionnerais aussi le crédit d'impôt remboursable. Si vous êtes un gagne-petit, vous obtenez un crédit d'impôt remboursable; autrement dit, vous êtes subventionné pour travailler.
Pour ce qui est de la pauvreté et du taux de pauvreté, par rapport au Canada, les États-Unis présentent un bilan mitigé, mais ils comptent tout de même parmi leurs succès le crédit d'impôt pour personne à faible revenu : les familles où le travail procure un revenu modeste ont droit à un important crédit d'impôt. Il faut mettre en place ce genre de programme de soutien du travail avant d'envisager quelque forme de revenu annuel garanti.
Le sénateur Peterson : Je comprends, sauf que, lorsque vous établissez la structure, les gens qui présentent une demande ont de la difficulté à le faire. Les programmes sont souvent si compliqués que le temps qu'il leur faut pour recevoir une réponse affirmative, il est trop tard. Les autres questions peuvent faire intervenir des crédits d'impôt. Ce serait un point d'appui mais pas une béquille. Cela a du sens. Il est difficile pour les gens de devoir composer avec cela.
Le sénateur Callbeck : J'ai une question supplémentaire à propos de ce crédit d'impôt remboursable. Vous dites que, dans la mesure où les gens travaillent, ils obtiennent un remboursement, qu'ils paient de l'impôt sur le revenu ou non? C'est bien cela?
M. Partridge : Si le ménage à faible revenu en question a touché des revenus, la famille reçoit un chèque, tout comme un chèque de remboursement d'impôt.
Le sénateur Callbeck : Il doit présenter une déclaration?
M. Partridge : Oui.
La présidente : C'est une question que je voulais soulever. Notre comité est bien connu pour certains des rapports qu'il a publiés au fil des ans. Nous sommes devenus assez militants dans les cas où les choses allaient mal dans notre communauté agricole.
Durant la dernière année, nous avons entendu parler de la crise qui sévit dans notre industrie des grains et des oléagineux au Canada. Avant cela, il y a eu les années de l'ESB, la quasi-catastrophe de la vache folle, et notre relation avec les États-Unis.
À ce moment-là, nous avons entendu un grand nombre de témoins provenant des régions rurales de tout le pays. Nous avons beaucoup discuté des raisons pour lesquelles nous devrions avoir nos propres usines de conditionnement — dans certains cas... pas d'énormes usines comme celles qui gouvernent notre pays, en rapport avec ce produit. Une fois que les choses se sont calmées un peu, on s'est beaucoup intéressé, particulièrement dans l'ouest du Canada et particulièrement dans ma province à moi, à l'idée de voir de petites entreprises qui exploiteraient des créneaux sur le marché, mais qui seraient là au cas où un incident se produisait de nouveau et que la frontière était fermée.
Cela ne s'est pas produit. C'est attribuable en partie, j'imagine, au fait que les gouvernements n'ont pas vraiment appuyé l'idée que ce soit probablement la chose à faire — pas pour d'innombrables entreprises dans tout le pays, mais, néanmoins, là où les agriculteurs canadiens et les camionneurs canadiens et les transformateurs canadiens auraient l'occasion de mieux gagner leur vie, ce qui suppose un plus grand nombre d'emplois.
Je ne sais pas très bien pourquoi tout cela ne s'est pas produit; je sais qu'il y en a une dans la province du sénateur Callbeck, mais c'était en route bien avant que la crise ne se produise. Il y en a une, enfin, qui aura lieu au Manitoba, et une autre, en Colombie-Britannique. Dans notre province, l'Alberta, en ma ville à moi, il y a des gens qui voulaient et qui étaient prêts à amasser des fonds, mais qui n'ont pas obtenu l'appui du gouvernement. Il y a aussi les deux grandes entreprises, Cargill et Lakeside, qui sont bien enracinées dans ce secteur.
Quand nous parlons du « Canada rural », nous parlons d'y installer des exploitations plus productives qui, nous l'espérons, permettront aux jeunes d'y rester et pourront servir en cas de mauvais temps ou je ne sais quoi. Avec quel degré de vigueur faudrait-il que nous en fassions la promotion?
Je vous ai tous écoutés — il semble y avoir l'idée qu'il nous faut installer d'autres entreprises dans ce vaste secteur rural. Voici l'occasion de le faire, me suis-je dit, mais rien ne s'est fait. Quelqu'un a-t-il quelque chose à dire à ce sujet?
Aurait-il fallu que nous disions, en tant que gouvernement national, que nous sommes un élément de ce partenariat, ou certainement les provinces en sont un? Est-ce comme cela qu'il faut procéder?
M. Bruce : Voilà une question délicate. En réalité, il est question de la volonté d'une personne ou d'une entreprise privée d'assumer les risques nécessaires à la mise sur pied d'une entreprise. Sans avoir de précisions sur les exemples que vous avez donnés, je présumerais que, dans certains des cas, les gens ont regardé l'évaluation des risques rattachés au projet d'entreprise et décidé soit qu'ils ne s'y engageaient pas, soit qu'ils s'engageaient à cet égard, mais n'ont pas pu obtenir le financement bancaire voulu ou je ne sais quoi encore.
Cela nous amène à nous interroger sur le rôle que devraient jouer les sociétés d'aide au développement des collectivités et d'autres organismes financés à même les deniers publics, au sein de notre société, qui sont conçus pour investir dans des projets d'entreprise relativement risqués, particulièrement là où les membres du secteur privé ne sont pas prêts à accorder le financement. Il y a deux façons possibles d'aborder votre question : d'abord, il y a l'évaluation des processus décisionnels et l'évaluation de risque réalisée par la voie d'une demande présentée à une société d'aide au développement des collectivités ou à d'autres organismes. Est-ce trop difficile? N'y a-t-il pas suffisamment de risques à investir dans ces entreprises? Ensuite, y a-t-il un bassin suffisant de capital destiné aux prêts qu'ont consentis les sociétés d'aide au développement des collectivités en question, en vue de répondre aux exigences des entrepreneurs qui présentent des idées nouvelles? Je sais que, dans certaines régions du Canada, et en particulier au Nouveau-Brunswick, les fonds destinés aux dix SADC de la province, par l'entremise de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, ont été majorés, de manière à faire grossir le bassin de crédit en réaction aux exigences accrues. Je ne saurais dire que cela s'est fait dans tout le pays, mais il existe des exemples du genre qu'on peut étudier. Il y a aussi la question des évaluations du risque qui peuvent être trop prudentes.
Le sénateur Callbeck : J'ai quelques questions rapides à poser.
Il me semble que les groupes de réflexion, les chercheurs et les médias, notamment, ont consacré davantage d'attention ou de recherche à la pauvreté en milieu urbain. Pourquoi?
Ensuite, quelle est selon vous la différence entre la pauvreté urbaine et la pauvreté rurale? Y a-t-il une différence?
M. Partridge : Pour ce qui est des médias, il faut dire qu'ils se trouvent dans les villes. Le siège du gouvernement se trouve dans les villes, et les médias prêtent attention aux choses qui se déroulent tout près, par exemple dans les ministères. Le Globe and Mail ne se concentre pas sur la question de la pauvreté rurale partout au Canada. La Presse non plus. C'est la raison principale. Ils se concentrent sur des choses qu'ils comprennent, ce qui a tendance à toucher les centres urbains.
Pour ce qui est de la pauvreté, la grande distinction entre la pauvreté en milieu urbain et la pauvreté en milieu rural, c'est que la première a tendance à être davantage concentrée dans des quartiers. Les gens habitent près les uns des autres. Ce n'est pas le cas en milieu rural. La bonne nouvelle, du point de vue de la politique à adopter, c'est que là où il y a des concentrations de pauvreté, il y a cette influence des pairs suivant le raisonnement des spécialistes en économie urbaine. Si vos voisins n'ont pas de travail et que vous ne travaillez pas régulièrement non plus, vous n'allez pas façonner cette culture où tout le monde travaille. Il y a pression négative des pairs. Pour ce qui est des régions rurales, cette forme de pression des pairs est probablement moins marquée parce que la pauvreté est davantage « étalée » sur le plan géographique. Les gens des régions rurales font face à de nombreuses difficultés, mais ils ne se retrouvent pas devant le grand problème que l'on constate, par exemple, au centre-ville de Toronto.
[Français]
M. Jean : Il y a une grande différence entre la pauvreté urbaine et la pauvreté rurale, et elle est liée à plusieurs facteurs. La pauvreté rurale est souvent cachée. J'ai eu l'occasion de visiter la belle région de Charlevoix au Québec. C'est une région touristique, attrayante, près de la ville de Québec. Il y a beaucoup de pauvreté dans cette région, mais elle est cachée. Souvent, la pauvreté rurale est moins visible à cause de l'économie informelle. De ce fait, il y a des systèmes d'entraide, des réseaux sociaux, qui empêchent qu'elle soit visible comme en ville.
On ne doit pas encourager la pauvreté, mais les pauvres en région rurale, il existe un groupe, qui arrive à avoir une qualité de vie à cause de ces réseaux. Tout cela n'est pas quantifiable. Cela n'apparaît pas dans les statistiques officielles, ni sur le terrain, mais c'est là quand même. C'est ce que j'observe.
[Traduction]
M. Bruce : Vous avez raison. La plupart des analyses et des études d'envergure sur la pauvreté sont centrées sur le milieu urbain. Le Conseil canadien de développement social est à l'origine d'une étude qui fait autorité en la matière, étude publiée en 2000, et qui portait presque entièrement sur les grands centres urbains et sur les aspects précis de la pauvreté parmi divers sous-groupes démographiques.
Dans le cas de la pauvreté en milieu rural, les résultats des analyses tendent à être moins globaux et comparatifs, à faire voir davantage que « ceci se passe dans cette communauté particulière » ou encore « voici ce qui arrive aux Autochtones qui habitent dans les réserves » et ainsi de suite. Nous n'avons pas droit au tableau d'ensemble.
Je suis d'accord avec mes collègues pour ce qui est des éléments distinctifs de la pauvreté en milieu rural. En règle générale, les gens pauvres sont plus ou moins les mêmes : mères seules, personnes âgées et ainsi de suite. La profondeur diffère peut-être un peu, mais les mécanismes d'adaptation et la visibilité ne sont pas du tout les mêmes. En milieu rural, les pauvres ont tendance à avoir des biens à leur disposition, mais ils peuvent n'avoir absolument aucun revenu.
Le sénateur Mahovlich : Il y a plus de criminalité.
M. Bruce : L'accroissement de la criminalité en milieu urbain est une réaction.
Le sénateur Mahovlich : Pourquoi?
M. Bruce : C'est un mécanisme d'adaptation, dans certains cas.
La présidente : Merci beaucoup. Voilà une séance qui a été très utile et très intéressante.
Le sénateur Segal : Oui, c'était excellent.
La présidente : C'était très différent des séances précédentes. Chacun à sa façon particulière, vous avez, tous les trois, présenté un point de vue différent sur la tâche qui évolue. Merci d'être venus comparaître et, qui sait? l'an prochain peut-être, nous pourrons nous entretenir avec vous encore, quelque part sur ce chemin difficile, mais tout à fait nécessaire que nous parcourons.
Merci beaucoup, chers collègues. Nous nous réunirons de nouveau la semaine prochaine.
La séance est levée.