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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 11 - Témoignages du 23 novembre 2006


OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 6 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Bonjour à notre témoin, Mme Diane Martz. Bonjour à tous ceux qui écoutent le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

En mai dernier, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire un rapport, la pauvreté rurale au Canada. Depuis trop longtemps, les décideurs et les politiciens font fi du sort des pauvres en milieu rural.

Jusqu'à la fin de l'année, notre comité entendra divers témoins qui nous donneront un aperçu de la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Les témoignages ainsi recueillis serviront de fondement aux travaux itinérants du comité dans les localités rurales de tout le pays l'an prochain.

Notre témoin aujourd'hui s'appelle Diane Martz. Mme Martz est directrice de la recherche au centre d'excellence pour la santé des femmes des Prairies et membre de la faculté de recherches à l'Unité de recherche et d'évaluation de la santé et de la population de la Saskatchewan. Ses travaux portent sur les femmes en milieu rural, les familles rurales, les fermes familiales et les localités rurales. Mme Martz a aidé à mettre sur pied le centre de soutien familial rural de Humboldt, en Saskatchewan. À l'heure actuelle, elle assume la première responsabilité de l'élaboration d'un protocole relatif à la violence familiale dans la région en question.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Merci beaucoup d'être venue nous voir par une assez belle journée d'hiver, à Ottawa.

Diane Martz, directrice de la recherche, Le centre d'excellence pour la santé des femmes — Région des Prairies, à titre personnel : Bonjour et merci de m'avoir invitée. Il fait bien plus chaud ici que par chez nous.

Les points que je vais faire valoir ce matin témoignent du fait que je vis dans les Prairies, que j'y travaille et que j'y ai fait mes études; la majeure partie de ce que je sais s'applique donc assez particulièrement à cette région du pays, même s'il faut dire que certains de vos travaux ont certainement une application nationale.

Plusieurs questions m'ont été posées; j'ai choisi de m'attacher à trois d'entre elles. Premièrement, entre le milieu rural et le milieu urbain, qu'est-ce qui distingue l'expérience de la pauvreté?

Je crois que la pauvreté en milieu rural représente une expérience différente à plusieurs égards. Les dimensions fondamentales de la pauvreté peuvent être très semblables — il y a manque de revenu et manque d'accès aux choses dont la famille a besoin —, mais la manière dont cela se décline dans les régions rurales est différente.

Les régions rurales sont davantage isolées; les gens doivent franchir de plus longues distances pour accéder aux biens et aux services. Cela signifie temps et argent. En même temps, les possibilités de transport en commun sont rares. Souvent, les moyens en place dans les localités rurales n'existent plus. À de nombreux endroits, l'autobus dans lequel on pouvait jadis monter est un souvenir. Du point de vue des personnes âgées, des pauvres et des personnes qui n'ont pas accès au transport, il est très difficile de se déplacer.

Les régions rurales dépendent davantage d'industries uniques dont l'activité a tendance à être cyclique et imprévisible. Ce sont souvent des industries de matières premières dont les prix tendent à fluctuer tout en restant à un niveau peu élevé. L'agriculture est certes un cas dont vous avez parlé. En Saskatchewan, le secteur des forêts représente un autre cas où les temps ont été durs récemment.

Les bonnes possibilités d'emploi sont rares en régions rurales. Cela vaut particulièrement pour les femmes. Nous avons étudié la situation des femmes qui oeuvrent dans les industries agricoles et forestières de la transformation et leur avons demandé ce qu'elles feraient si ce n'était des emplois qu'elles y détiennent. Essentiellement, elles ont répondu qu'elles feraient un travail administratif ou qu'elles travailleraient dans un « 7-Eleven » ou un magasin du genre. Rares sont les bons emplois où la personne touche plus que le salaire minimum; comme les gens n'ont pas tendance à délaisser les emplois du genre, l'occasion d'accéder à un tel poste se fait rare.

Les gens rémunérés au salaire minimum n'ont pas les moyens de se payer les services de garde; il faut donc trouver une façon de s'occuper des enfants, il faut jongler avec les responsabilités professionnelles et les besoins de la famille. De même, le revenu associé aux emplois en question est inférieur à toutes les mesures de la pauvreté dont il est question ici.

L'autre facteur qui a une influence sur les hommes aussi bien que les femmes, c'est que bon nombre des bons emplois dans le secteur des services disparaissent. Étant donné les compressions touchant la santé, l'éducation et les services gouvernementaux, les gens qui pouvaient revenir dans leur région pour occuper un tel poste, une fois leurs études terminées, ne disposent plus de telles options. Avec les gens instruits qui s'en vont ailleurs, nous perdons un bon nombre de bénévoles compétents qui auraient pu, dans le cadre des services communautaires, apporter une aide réelle aux pauvres. La perte d'emplois en éducation et en santé vaut particulièrement pour les femmes : ce sont des secteurs où les professionnelles évoluent de tradition; c'est-à-dire les secteurs où les femmes pouvaient occuper un bon emploi.

En régions rurales, les services sont moins accessibles, ce qui est lié à la question de l'isolement. Pour la plus grande partie, les recherches font voir que la plupart des services demeurent accessibles moyennant un déplacement de 30 minutes à une heure, mais seulement si on a accès à un véhicule, à des fonds pour y mettre de l'essence et au temps nécessaire pour se rendre à destination. Or, les services sociaux figurent parmi les services qui peuvent se révéler nécessaires et difficilement accessibles aux personnes à faible revenu. Dans bon nombre de lieux ruraux, il n'y a pas de services sociaux qui soient offerts en permanence. Par exemple, nous constatons que le nombre de banques alimentaires augmente dans la Saskatchewan rurale. Certaines des banques alimentaires en question, structures plus ou moins officielles que les églises prenaient en charge, deviennent aujourd'hui des banques alimentaires en bonne et due forme. L'aide juridique se trouve en ville; les services médicaux spécialisés et les bureaux gouvernementaux ne se trouvent pas forcément dans une localité rurale.

L'autre élément qui est ressorti du projet d'expression photographique dont certaines des femmes vous ont parlé plus tôt, et qui avait l'appui du centre d'excellence pour la santé des femmes des Prairies, c'est que les pauvres des villes peuvent faire profiter à leurs enfants de commodités et d'activités pédagogiques. Songez aux galeries, aux expositions dans les universités, aux bibliothèques et ainsi de suite, ce qui n'est pas toujours présent en régions rurales. Nous n'avons pas accès à certaines commodités, mais il existe certainement d'autres choses susceptibles de les remplacer.

Je crois que les normes sociales ne sont pas les mêmes. La question de l'instruction a été soulevée à plusieurs reprises ici. Pour ce qui est de l'instruction en milieu rural, il existe deux écoles de pensée. Dans le milieu de l'agriculture, les personnes estiment que les études ne sont pas nécessaires et qu'elles constituent parfois même un fardeau. Nous avons tous entendu à l'aréna l'histoire de gens qui disent qu'il est inutile de faire faire des études à ses garçons, qui vont se faire embaucher dans le secteur du pétrole et y gagner des bons revenus, sans être accablés par une dette de 40 000 $ en fin de parcours.

Ce n'est pas forcément le cas des filles. Traditionnellement, la famille agricole s'organise pour faire instruire les filles. Souvent, c'était la façon choisie pour donner aux filles quelque chose, car ce sont les garçons qui héritaient de la ferme. Je connais de nombreuses femmes qui en arriveraient probablement à la conclusion qu'elles ont eu droit au meilleur morceau.

Autre différence culturelle : en milieu rural, l'idée de l'autosuffisance est nettement plus forte. C'est une des raisons pour lesquelles la pauvreté est si souvent cachée en milieu rural. L'idée de l'autonomie est vraiment importante aux yeux des gens, surtout les hommes qui travaillent dans le secteur agricole. Nombre des hommes qui ont une exploitation agricole familiale et qui se trouvent en difficulté financière se tiennent responsables de la situation. Ils se tiennent rigueur d'avoir laissé tomber les générations venues avant eux et qui ont traversé la grande dépression, qui ont travaillé pour que la ferme survive et qui ont consacré toutes les belles années de leur vie — presque un siècle dans bien des cas — à la ferme. Particulièrement en ce qui concerne la crise financière qui a lieu en ce moment, ils estiment porter ce fardeau et se tiennent responsables du fait que la ferme fait faillite, et aussi du fait que les enfants ne peuvent pas y travailler.

En région rurale, il y a un nombre relativement plus grand de personnes âgées, qui ont davantage tendance à être pauvres. Cela vaut aussi un peu pour les femmes, car les femmes ont tendance à vivre plus longtemps. Dans certaines régions du pays, c'est une importante population autochtone, d'ailleurs à la hausse, qui est touchée. Je n'en ai pas beaucoup entendu parler durant les exposés que vous avez entendus, mais c'est certainement une question d'une grande importance dans les Prairies.

Quelle est la dimension agricole de la pauvreté en milieu rural? Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre, car, pour la plus grande part, nos travaux n'ont pas porté précisément sur la dimension agricole de la pauvreté en milieu rural. Nous contournons toujours la question. Je n'ai fait pour moi-même aucun travail qui portait particulièrement sur la pauvreté en milieu rural. Je me suis concentré sur la manière dont les familles qui s'adonnent toujours à l'agriculture se sont adaptées à la restructuration du secteur agricole et aux façons employées pour adapter les services au contexte rural — c'est-à-dire la façon de prendre le modèle urbain de services et de le faire fonctionner en milieu rural. Par ailleurs, les familles agricoles triment dur pour préserver le mode de vie qui, selon eux, devrait être le leur; la pauvreté est bien dissimulée. Il faut un effort concerté pour découvrir ce qui se passe vraiment; nous n'en sommes pas vraiment sûrs.

Comme vous le savez sûrement, la ferme ne permet plus de soutenir la grande majorité des familles agricoles. En 2003, 79 p. 100 du revenu de la famille agricole canadienne moyenne provenait d'ailleurs. Les familles agricoles se sont adaptées de nombreuses façons. Elles ont fait preuve d'une grande persévérance. Elles se sont diversifiées et ont modifié leurs exploitations agricoles, et elles ont fait du travail en dehors de la ferme, elles ont renégocié les rôles à la ferme, et certains membres ont carrément quitté la ferme. Nous avons vu qu'un grand nombre l'ont fait pendant la dernière période de recensement; à mon avis, ce sera le cas de nouveau.

Tout de même, la situation qui règne en Saskatchewan depuis quelques années mine le degré de résistance de nombreuses familles agricoles. Récemment, nous avons entendu parler d'agriculteurs qui n'arrivent pas à payer le loyer sur les terres qu'ils louent cette année, du fait de n'avoir même pas pu ensemencer. Les hommes se font embaucher dans le secteur pétrolier pour l'hiver, ils laissent à leur femme, à leurs enfants et à leur père âgé le soin de diriger l'entreprise agricole pendant leur absence, et notamment s'occuper du bétail, transporter et vendre les céréales, toutes les tâches en question, sans oublier ce qui se passe au sein de la famille pour ce qui est du travail en dehors de la ferme; les enfants utilisent de gros appareils agricoles pendant que les parents sont au travail ailleurs. Il y a eu l'histoire d'enfants de 14 ans. Les hommes du secteur agricole sont plus nombreux à demander des services de santé mentale, à exprimer des sentiments comme la honte, l'angoisse, la perte et les idées suicidaires, avec les conséquences du phénomène pour la santé. À certains égards, cela fait certainement voir qu'il y a une crise qui va en s'amplifiant. C'est aussi une évolution des choses, car, par le passé, les hommes du secteur agricole ne demandaient pas de services de santé mentale autant qu'il l'aurait probablement fallu. Les jeunes reportent leurs études postsecondaires parce que la famille n'en a pas les moyens. Des membres de familles agricoles utilisent les banques alimentaires; parfois, ils s'y rendent en faisant de l'auto-stop parce qu'ils n'ont pas d'argent pour mettre de l'essence dans le camion; parfois, ils vont en ville pour ne pas avoir à croiser leurs voisins.

Pour ce qui est des politiques que le gouvernement fédéral pourrait mettre à exécution, j'y ai réfléchi longuement. J'ai fait récemment des travaux sur l'éducation des jeunes enfants : j'ai essayé de mettre au point un modèle urbain qui fonctionnerait en milieu rural. Cela me paraît un point de départ extraordinairement bon. Il nous faut un programme de développement et de soins complets en ce qui concerne l'éducation des jeunes enfants. Ce programme devrait comporter de nombreuses facettes, notamment des services de garde d'enfants agréés, qui soient accessibles; des éducateurs qui recevraient un salaire suffisant; des enfants qui auraient accès à des programmes de première qualité; et des mesures de soutien aux parents. La mise en œuvre de tels programmes miserait sur une importante contribution de la part de la collectivité, surtout dans le cas des Autochtones.

Pour justifier un tel programme, disons qu'une bonne part des recherches font voir la valeur que comporte une éducation de première qualité durant la petite enfance. Par ailleurs, les piètres conditions socio-économiques ont un effet néfaste sur le développement des jeunes enfants.

Le volet services de garde revêt une importance capitale en milieu rural. Dans la région de Humboldt, nous avons aussi travaillé là-dessus. Seulement 1,9 p. 100 des enfants de moins de 12 ans avaient accès à une place dans un centre de services de garde agréé. Même en milieu rural, les parents aimeraient disposer de places agréées, car c'est pour eux un gage de qualité. Sans installations agréées, il n'est pas possible d'obtenir une subvention. Il nous faut cela.

La région de Humboldt est l'une des régions rurales les plus dynamiques de la province; elle compte notamment un secteur manufacturier et des industries diversifiées, dans une certaine mesure. On s'attendrait à ce que les questions du genre soient importantes dans la région. En fait, un des fabricants de la région y a vu une forme de soutien des services de garde des enfants au sein de la collectivité.

La garde des enfants est une question importante. C'est un peu différent en milieu rural, où il faut beaucoup plus de souplesse. Nous devons découvrir des façons d'adapter les modèles urbains au contexte rural. Vous avez débattu quelque peu les mérites du modèle de réseau intégré présenté par Donna Mitchell au Manitoba.

Faire garder les enfants est très important pour que les femmes puissent travailler ou parfaire leurs études, asseoir une carrière ou toucher un revenu supplémentaire — car les familles à deux revenus sont moins souvent pauvres — et commencer à mettre de l'argent de côté en vue de la retraite.

J'appuierais une deuxième mesure, soit celle qui consiste à continuer d'élaborer la politique rurale fédérale. L'exercice a commencé il y a un certain temps, et je ne sais plus très bien où on en est en ce moment. Nous devons décider quel genre de milieu rural nous souhaitons avoir au Canada, plutôt que de laisser simplement les choses se dérouler. Cela comporte de nombreux éléments.

En dernier lieu, il faut élargir notre politique agricole. L'impression que j'en ai, c'est que c'est très centré sur le commerce; nous devons étudier d'autres options en ce qui concerne l'agriculture.

Je terminerai là-dessus et je répondrai à vos questions.

La présidente : Merci d'avoir présenté un très bon exposé. Nous n'avons jamais reçu ces informations de cette façon particulière auparavant; nous apprécions beaucoup cela.

Le sénateur Segal : Madame Martz, merci d'avoir fait le long chemin jusqu'ici. Nous sommes fort heureux de savoir que vous avez fait une place dans votre horaire chargé pour venir nous aider dans notre démarche. Nous savons que c'est un service que vous offrez à titre gracieux; nous ne tenons pas cela pour acquis.

À écouter les universitaires et les professeurs et les savants et les autres personnes qui travaillent dans le secteur agricole, en tant que comité, nous voyons que l'analyse de la pauvreté en milieu rural comporte plusieurs souches. La meilleure façon de décrire l'une d'entre elles serait de dire : c'est une question d'argent. Est pauvre qui n'a pas suffisamment d'argent. Nous pouvons bien découper le phénomène en rondelles ou en cubes pour bien l'analyser, mais si nous ne donnons pas aux gens l'argent qui leur faut pour vivre avec une certaine dignité et un certain respect envers eux-mêmes, nous avons une situation intolérable du point de vue de nos compatriotes dans le contexte.

Suivant une autre souche, la situation est en fait beaucoup plus complexe. Un universitaire a affirmé que le membre d'une famille agricole qui n'a pas de revenu n'est pas aussi pauvre que celui qui n'a pas de revenu ailleurs. Il a sa ferme, de sorte qu'il peut y faire pousser des choses, des aliments et d'autres choses, si bien qu'il n'a pas à affronter la même pauvreté que son pendant en dehors de la ferme. L'analyse m'a paru intéressante. Je n'étais pas convaincu, mais je crois que l'universitaire en question y croyait vraiment.

On a avancé un autre point de vue qui tourne autour de l'idée de regrouper les biens, les emplois et les services; si nous regroupons davantage les biens, cela donnera de plus nombreuses possibilités.

En tant que comité, nous devons passer en revue tous les bons conseils ainsi offerts et concevoir des recommandations à l'intention du gouvernement et de nos collègues au Sénat.

Vous travaillez sur ce champ depuis longtemps, de façons qui sont différentes et constructives. Je remarque que vous faites partie d'un groupe chargé des subventions visant à renforcer la capacité des localités rurales à l'ère de la nouvelle économie, ce qui renvoie à un champ d'études qui m'apparaît fascinant et lié à ce que nous voyons aujourd'hui.

Si, un beau matin, le premier ministre ou la première ministre vous appelait et disait : « Je veux que vous soyez ma ministre de l'Agriculture. Je vais vous nommer au Sénat. Vous n'avez pas à être élue. Je vais vous donner 20 milliards de dollars. Vous pourrez prendre une décision, faire un choix qui vous paraît le plus important pour réduire la pauvreté en milieu rural et, quant à moi, je vais appuyer ce choix, quel qu'il soit. » Qu'est-ce que vous recommanderiez? Que feriez-vous?

Le sénateur Tkachuk : Acceptez la nomination.

Le sénateur Segal : Vous avez présenté une réflexion très approfondie sur certains des volets et des défis dont il est question — et je crois que votre jugement pondéré nous serait immensément précieux.

Mme Martz : Certaines des façons dont les Européens ont étudié ce problème sont très intéressantes. Ils appliquent une approche multifonctionnelle; à leurs yeux, l'agriculture ne sert pas qu'à produire des denrées. À la ferme, les gens jouent plusieurs rôles, et notamment certains rôles très importants sur le plan environnemental. La ferme est un lieu pour piéger le carbone et protéger les bassins hydrographiques et ainsi de suite, et ce sont là des rôles qui peuvent être appuyés. J'envisagerais sérieusement ce côté des choses.

Bon nombre d'agriculteurs vous diront qu'ils veulent gagner leur pain. Ils veulent obtenir un juste prix en échange de ce qu'ils produisent et j'envisagerais globalement les produits de manière à y inclure les produits environnementaux. Ce serait probablement une des façons les plus intéressantes d'utiliser les fonds prévus, sur plusieurs fronts.

Le sénateur Segal : Aujourd'hui, au Canada, les gens qui vivent dans le Nord obtiennent certains avantages fiscaux. Dans la province de l'Ontario, les gens qui vivent au nord de la rivière des Français acquittent des frais d'immatriculation automobile moins élevés que les autres, et la province essaie d'y appliquer des taxes moindres sur l'essence, car les distances franchies pour aller d'un lieu à l'autre y sont plus grandes. Il y a une série de mesures que nous appliquons déjà, du point de vue des normes, en prenant en considération le fossé Nord-Sud.

Laissez-vous entendre que, pour des motifs stratégiques, soit parce que nous souhaitons que les gens continuent d'occuper la terre ou pour des raisons liées à l'environnement ou à un devoir de diligence de la part de nos agriculteurs — qu'ils connaissent une bonne année financière ou non — vous seriez favorable à un quelconque cadre visant à rémunérer ou à dédommager autrement les agriculteurs qui s'occupent de cela, indépendamment de ce qu'ils peuvent obtenir du cycle des récoltes pour l'année financière dont il s'agit? Est-ce à peu près ce que vous proposez?

Mme Martz : Je crois que c'est une voie possible, sinon vous faites le lien avec des gestes particuliers. Par exemple, j'ai visité en Angleterre une ferme où les gens avaient planté des peupliers hybrides; il s'agissait de piéger le carbone, de sorte que cela comportait une certaine valeur. Je songeais à un rôle plus actif en ce qui concerne l'environnement.

Il y aurait certains volets actifs du point de vue de la gestion. Je suis d'accord avec vous; en agriculture, il y a certes des éléments stratégiques liés au fait d'avoir des gens qui occupent la terre. Je circule parfois en voiture dans le bassin de la rivière des Français et dans le sud de la Saskatchewan, et je constate que les gens y sont très peu nombreux. Il m'est venu à l'esprit que, il y a 100 ans, il y avait là des bisons et des Autochtones. Dans 100 ans, qu'est-ce qui se trouvera sur cette terre? Les gens sont si peu nombreux.

Sur le chemin qui mène de Regina à Saskatoon, il n'est plus possible de faire le plein au-delà d'une certaine heure, en soirée. Un paysage abandonné, ce n'est pas un paysage que je voudrais voir; il faut donc adopter un mécanisme qui permettrait aux gens d'occuper la terre.

La nourriture représente l'autre élément dont il faut tenir compte du point de vue de la sécurité. Même si nous importons une bonne part de nos aliments et que nous sommes en mesure d'en obtenir de toutes les provenances, il faut savoir que c'est là la situation qui existe aujourd'hui; nous ne savons pas quelle sera la situation dans 50 ans. Si nous voulons préserver la capacité de produire notre propre nourriture, il nous faut préserver notre secteur agricole.

Le sénateur Segal : Nous avons déjà eu ce problème durant notre histoire : beaucoup de pays à couvrir et peu de gens pour le faire. Nous avons réglé la question. Nous l'avons réglée en pressentant les Îles britanniques, l'Ukraine et l'Europe de l'Est, et nous avons facilité les choses pour les gens qui souhaitaient venir ici, prendre une terre et se lancer. Croyez-vous que c'est le genre de mesure qu'il faudrait adopter aujourd'hui?

Mme Martz : Il existe des projets en ce sens, et cela me paraît être une bonne idée. Cependant, le monde a beaucoup changé depuis 100 ans — époque à laquelle la majeure partie de la population de la Saskatchewan a immigré. Aujourd'hui, la plupart des immigrants se tournent vers les centres urbains. À certains égards, il est difficile de convaincre les gens de s'installer en milieu rural.

Encore une fois, dans la région autour de Humboldt, qui revient tout le temps, les gens ont adopté une perspective très active à cet égard. Un employeur en particulier va recruter en Ukraine. On admet aussi que, si on fait venir les gens ici, il faut travailler avec les localités pour qu'elles soient accueillantes. Les nouveaux arrivants doivent être accueillis et intégrés à la collectivité. Des assemblées régionales ont maintenant pour thème la manière de favoriser l'immigration dans la région. Il y a encore beaucoup de travail à faire à l'échelle communautaire, pour que les gens trouvent cela attrayant.

Le sénateur Peterson : Madame Martz, je voudrais parler brièvement de votre politique rurale fédérale. Chaque fois que nous essayons de concevoir une politique fédérale, nous nous heurtons à d'énormes problèmes attribuables aux différences entre les régions du pays et même à l'intérieur d'une province, entre le nord et le sud. Jusqu'à quel point cette matrice doit-elle être détaillée? Jusqu'à quel point faudrait-il préciser le cadre, selon vous, pour aspirer à un degré de succès raisonnable?

Mme Martz : Nous sommes limités quant à savoir le degré de détail que cela peut comporter suivant l'incidence provinciale dont il s'agit — limités par d'autres sphères de compétence, essentiellement. Au moment de réfléchir à la question, j'ai essayé d'imaginer des mesures que le gouvernement fédéral pourrait envisager, par exemple en matière de communications et de transports, questions sur lesquelles le gouvernement fédéral s'est penché par le passé. Par exemple, même si nous avons tendance à croire que les services à large bande sont accessibles dans les régions rurales, les communications ne se font pas sans heurts. De fait, c'est un problème : il n'y a pas tant d'infrastructures globales que le gouvernement fédéral ait appuyées et qu'il pourrait continuer d'appuyer.

Pour répondre à votre question en particulier, il faudrait que le cadre soit large, car il y a la possibilité d'atterrir souvent dans les platebandes d'autrui. Une de nos difficultés, c'est que la plupart des gouvernements de nos provinces n'ont pas de politique rurale non plus. Le milieu rural a été laissé à lui-même, évoluant à la merci des forces du marché. Nous n'avons pas de plan; il nous en faut un pour avancer d'une manière positive.

Le sénateur Peterson : Merci.

Le sénateur Oliver : Votre réaction à la question très générale du sénateur Segal à propos des 20 milliards de dollars m'intéressait beaucoup. La possibilité que vous avez soulevée d'aborder la question selon l'approche multifonctionnelle européenne m'intéressait. Le comité a fait un voyage en Europe et a étudié les fermes en Irlande. De même, nous avons essayé de voir ce qui arrive quand la Communauté européenne remet de l'argent aux agriculteurs pour que, dans les faits, ils ne cultivent rien, pour qu'ils laissent les champs en friche, si bien que les animaux et les oiseaux sauvages peuvent venir et attirer les touristes.

Est-ce le scénario que vous envisagiez pour une ferme canadienne, si jamais nous adoptons cette forme de modèle multifonctionnel?

Mme Martz : Il faudrait qu'il y ait de nombreuses options différentes dans différentes régions du pays, car nous avons un environnement très variable et des régions différentes au pays, où les occasions ne sont pas les mêmes. Par exemple, en Saskatchewan, là où la population est très clairsemée, les occasions qui conviendraient à des fermes des Maritimes, de l'Ontario ou du Québec ne seraient peut-être pas aussi viables. Le portrait pourrait être très différent en Saskatchewan de ce qu'il serait dans une autre province. Dans certaines régions, une petite parcelle de terrain peut être reconvertie en zone boisée et désignée destination touristique. À l'inverse, dans les Prairies, renvoyer de grands segments de terres à leur état naturel supposerait un investissement phénoménal, car c'est tout simplement trop vaste. Il vaudrait probablement mieux envisager d'autres façons productives d'utiliser les terres en question.

Le sénateur Oliver : Dans votre mémoire, vous invoquez la possibilité de payer les familles agricoles en échange d'un travail de conservation de l'environnement. Est-ce que ça s'appliquerait à certaines des grandes fermes en Saskatchewan, dans votre modèle?

Mme Martz : Je crois que ça s'appliquerait. Certes, l'idée du crédit de carbone est une option intéressante : il est possible de piéger le carbone non seulement au moyen des arbres, mais aussi au moyen des cultures. La gestion riveraine, c'est-à-dire le fait de payer les gens pour gérer les zones le long des ruisseaux pour qu'ils y maintiennent une eau d'une bonne qualité, est une autre option possible. Nombre de cultivateurs gardent à l'état naturel une partie de leurs terres. Peut-être que cela pourrait se faire davantage aussi. Il existe des options.

Le sénateur Oliver : Si l'agriculteur a une terre qu'il ne cultive pas, où va-t-il chercher son argent?

Mme Martz : L'agriculteur aurait besoin d'une forme quelconque d'appui en rapport avec une telle activité. Ce pourrait être un appui fiscal, sinon un droit payé en échange d'un service environnemental.

Le sénateur Oliver : Certaines des fermes que nous avons vues en Irlande il y a quelques années de cela étaient en bien meilleure situation financière qu'à l'époque où on n'y élevait que quelques têtes de bétail et des moutons. Tout de même, bon nombre des champs étaient laissés en jachère, car on ne permettait pas aux gens de les cultiver. C'est un modèle tout à fait unique, modèle qui se traduit aussi par un afflux massif d'argent de la Communauté européenne dans des pays comme l'Irlande.

Mme Martz : Oui.

Le sénateur Oliver : Vous avez aussi parlé d'aliments locaux et d'aliments de qualité. Encore une fois, cela revient à l'agriculture et à la production. Est-ce que vous pensiez à l'agriculture biologique?

Mme Martz : Selon l'endroit où on se trouve au pays, il existe de nombreuses occasions de mobiliser les consommateurs et de les encourager à acheter davantage de produits provenant des fermes locales, ce qui crée des occasions pour les agriculteurs locaux. Dans les zones plus densément peuplées, une telle option est beaucoup plus vraisemblable. Partout au pays, nombre de bons restaurants commencent à prendre les fermes locales pour source et à annoncer ce fait. Au Canada, les gens mettent encore toutes les sources d'aliments sur le même pied, essentiellement. Mon impression, c'est que, ailleurs dans le monde, on distingue mieux les différences de qualité entre les aliments. Les gens au Canada ont tendance à rechercher des aliments de qualité. Nous présumons que nous avons des aliments de qualité et qu'il n'y a pas une grande différence.

Une partie de la stratégie — ce ne serait pas la stratégie entière — consisterait peut-être à faire en sorte que les gens commencent à acheter leurs aliments de sources locales et à apprécier ce qui leur est accessible localement. Certes, le domaine des aliments biologiques est en expansion. La Saskatchewan compte l'un des plus grands nombres d'agriculteurs biologiques au pays, dont bon nombre cultivent des céréales. Cependant, le climat ayant été ce qu'il a été depuis quelques années, les agriculteurs en question se sont retrouvés devant de graves problèmes. Ils ne reçoivent pas le prix auquel ils sont habitués en échange de leurs produits. De même, les taux d'humidité plus élevés font qu'ils ont plus de difficulté à gérer les terres. Le secteur biologique dans son ensemble connaît un bon succès parce qu'il y a un élément de contrôle. Les agriculteurs que je connais produisent la culture, la proposent sur Internet et, de cette façon, la contrôlent jusqu'à un point assez lointain de la filière. Ils n'ont pas à remettre le contrôle à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Oliver : Comme un office de commercialisation?

Mme Martz : Oui, mais je ne dirais pas qu'il ne faut pas avoir d'office de commercialisation. L'élément de contrôle en question, chez les agriculteurs biologiques, leur procure certainement un rendement qui est nettement meilleur. Nombre d'entre eux conditionnent eux-mêmes leurs produits et en font la promotion. L'agriculture biologique est nettement plus en demande qu'auparavant, et nous commençons à constater que de plus grandes sociétés entrent sur le marché, ce qui aura un effet négatif sur les petits producteurs.

Le sénateur Oliver : Merci.

Le sénateur Tkachuk : Madame Martz, j'ai quelques questions à vous poser. Vous avez parlé du besoin d'offrir des services de garde et, en prenant Humboldt pour exemple, vous avez évoqué certaines difficultés, mais aussi le fait qu'un des fabricants commence à élargir ses services de garde. De même, vous avez parlé des emplois au salaire minimum. Y a-t-il une possibilité pour les gens des régions rurales d'ouvrir leurs propres centres de services de garde? Pourquoi avons-nous un problème de centres de services de garde quand il y a des gens qui se cherchent du travail?

Mme Martz : La question des centres de services de garde en tant qu'employeur présente quelques problèmes, dont le fait que les salaires versés sont très bas. Les femmes qui s'occupent des enfants reçoivent un salaire très bas, de sorte que les gens hésitent à investir dans une telle entreprise, en songeant au long terme. Souvent, les femmes installent un service de garde chez elles, pendant que leurs propres enfants sont jeunes, mais sans envisager à cet égard une carrière à long terme. Par conséquent, elles ne s'instruisent pas et n'obtiennent pas de permis de services de garde. Dans le monde d'aujourd'hui, pour être à la tête d'un service de garde dûment agréé, il faut un certificat en éducation de la petite enfance et tout le reste. Pour une grande part, quelques-uns des problèmes tiennent aux salaires très bas qui sont versés dans le domaine.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que c'est semblable dans les centres urbains? Je sais que de nombreuses personnes ont une garderie à domicile et qu'elles y accueillent dix ou douze enfants, dont certains sont très jeunes, puis elles ont les enfants à clé après 16 h. Elles gagnent un très bon salaire à offrir ce service à partir de leur propre domicile. Les problèmes dont vous parlez sont-ils liés à la formation ou aux débouchés ou au manque de bases qui seraient nécessaires au soutien d'une telle entreprise? Je ne comprends pas.

Mme Martz : La plupart des services de garde que vous trouverez dans une région rurale ne sont pas structurés.

Le sénateur Tkachuk : C'est une bonne chose, non?

Mme Martz : Les parents sont à la recherche de quelque chose de plus structuré, pour être rassurés quant au fait que leurs enfants vivent une bonne situation et sont éduqués dans le milieu en question. Les parents aimeraient que la situation soit de meilleure qualité, mais, en même temps, les coûts à cet égard sont très élevés.

De même, en milieu rural, nombre de personnes ont différents quarts de travail; par exemple, les gens qui travaillent dans les hôpitaux ou les fabriques. Les services de garde atypiques sont davantage sollicités, en dehors du segment habituel de 7 heures à 18 heures. Bon nombre des parents qui travaillent ont besoin d'avoir accès aux services plus tôt que cela, sinon plus tard. Parfois, ils ont besoin de pouvoir y recourir plus souvent à un moment précis. Les femmes qui travaillent dans les porcheries doivent y être à 7 heures le matin. Les heures normales des centres de services de garde ne leur conviennent pas. C'est plus compliqué en milieu rural parce qu'il y a moins de gens, mais aussi parce qu'il y a des besoins plus variés. Il est plus difficile de trouver une solution.

Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce qui se produirait si nous ne faisons rien? À part le fait que je représente le gouvernement et que je suis là pour vous aider, ce qui me fait souvent peur, qu'est-ce qui se produirait si le gouvernement fédéral ne se mêlait pas de cela? Les collectivités rurales se trouveraient-elles dans un plus mauvais pas ou, au contraire, dans une meilleure situation comme Humboldt? Humboldt est un merveilleux modèle à suivre pour le reste du pays, et il existe d'autres collectivités du genre qui ont réussi. Elles ont entrepris elles-mêmes de régler leurs problèmes. Kindersley est un autre exemple extraordinaire. Rosetown commence à effectuer des travaux substantiels en matière de développement économique. Nombre de collectivités adoptent une attitude positive face à leur situation et apportent d'elles-mêmes des améliorations qui changent les choses. Elles reçoivent un peu d'aide parce qu'elles ont pris l'initiative de présenter leurs projets aux gouvernements. C'est une question qui m'inquiète vraiment. Qu'est-ce qui se passerait si le gouvernement ne faisait rien?

Mme Martz : Les milieux ruraux sont en déclin. Dans la région où je vis, il y a des endroits où les choses vont bien, mais il y a de nombreux autres endroits où la vie est difficile et où nous constatons que la population diminue. Humboldt est probablement la seule petite ville de Saskatchewan dont la population n'a pas diminué, d'après les recensements de 1996 à 2001. Si nous ne faisons rien, ce qui se produit à l'heure actuelle ne fera que continuer. Je ne suis pas sûre que cela soit la bonne voie à suivre. Les collectivités comme Humboldt n'ont pas nécessairement tout fait par elles-mêmes. Le fait d'avoir certaines capacités permet d'établir des liens avec les programmes; Humboldt dispose de telles capacités grâce à St. Peter College et aux moines, qui se sont chargés dans le passé de l'éducation des agriculteurs. Humboldt possède une culture. C'est une région intéressante parce que la culture y est un peu différente d'ailleurs. Les entreprises de fabrication ont vu le jour dans les fermes, lorsque les agriculteurs ont réalisé diverses innovations pour répondre à leurs besoins, jusqu'à ce que leurs activités deviennent suffisamment importantes pour qu'on puisse parler d'entreprises de fabrication. Ça a été une région spéciale pendant longtemps. Parce que les collectivités n'ont pas la capacité nécessaire pour faire ce qu'on a fait à Humboldt, le gouvernement peut jouer un rôle de renforcement et d'encadrement en ce qui concerne les capacités en question.

Le programme des modèles dont Mme Donna Mitchell a parlé, le secrétariat rural, est en cours, et les responsables de ce programme ont pris un certain nombre de modèles ayant connu du succès dans une région du Canada et ont essayé de les appliquer à d'autres régions du Canada, pour voir ce qui se passerait et si les modèles peuvent être adaptés avec succès. Je travaille avec l'un de ces modèles dans la région d'Outlook. Il s'agit d'un modèle de projet de collaboration communautaire qui fait intervenir un certain nombre de ressources. Il s'agit évidemment de ressources monétaires, mais aussi de la ressource importante que représentent les gens qui travaillent auprès des gouvernements fédéral et provinciaux, qui font le pont entre les collectivités et les gens à qui il faut parler pour faire bouger les choses dans les collectivités. Récemment, cela a touché des routes, ainsi que des données permettant de tracer des cartes, de planifier et de prendre des décisions fondées sur des renseignements. Le modèle a permis d'établir des liens avec le gouvernement, et il a été très utile à la collectivité d'Outlook. Il a permis aux résidents de cette collectivité de progresser beaucoup plus rapidement qu'ils n'auraient pu le faire sans lui.

Le sénateur Tkachuk : Dans ma province, nous sommes tout à fait conscients de la manière dont certains gouvernements ont centralisé de nombreuses fonctions, comme les écoles et les hôpitaux. En Saskatchewan, il faut se rendre en voiture à Saskatoon et à Regina pour à peu près n'importe quoi. Les écoles sont centralisées, ce qui fait que les enfants doivent prendre l'autobus scolaire et quitter la maison très tôt, dès 5 h 30, et ils rentrent à la maison tard le soir. Nous avons pensé, je ne sais pas comment, que c'était la meilleure façon d'économiser. Je n'ai jamais cru en ce genre de système; néanmoins, c'est ce que nous faisons. Je ne crois pas que nous ayons épargné de l'argent, et nous parlons maintenant de payer des gens pour qu'ils fassent pousser des arbres sur une ferme ou pour que certaines terres soient destinées à autre chose que la production. Tout cela n'a absolument aucun sens.

Est-il possible de renverser ce mouvement? Il n'y a aucun service gouvernemental, alors qui va vouloir habiter là- bas? Pourquoi vivre là-bas s'il n'y a pas de services de santé et qu'on ne peut pas vivre avec sa famille sans avoir à envoyer ses enfants à l'école à 5 h 30 par autobus scolaire? Peu importe ce que le gouvernement ferait, pourquoi y aurait-il une quelconque incitation à vivre là-bas?

Mme Martz : Les gens vivent en milieu rural parce qu'ils adorent ça.

Le sénateur Tkachuk : Exactement, c'est pourquoi nous ne devrions pas avoir à les payer pour qu'ils le fassent. On devrait leur offrir la possibilité de le faire.

Mme Martz : Oui, je suis d'accord avec vous. Une partie du problème réside dans le fait que nous n'avons pas envisagé de façon novatrice la manière dont nous faisons certaines choses. Par exemple, nous avons tendance à voir les écoles simplement comme l'endroit où on éduque les enfants de 6 à 18 ans. Cependant, les écoles pourraient être bien plus que cela dans bon nombre de nos collectivités; ce pourrait être des endroits hébergeant des garderies ou des foyers de personnes âgées. Des écoles pourraient avoir de nombreuses autres fonctions que celles qu'elles ont à l'heure actuelle. Nous aurions pu garder certaines de nos écoles ouvertes si nous avions envisagé de leur attribuer d'autres fonctions.

Le sénateur Tkachuk : Peut-être faut-il ne pas dépenser tout l'argent pour permettre aux enfants des villes d'aller à la garderie ou à la prématernelle de 15 heures à 17 heures, où on s'occupe d'eux pendant que les avocats vont travailler. Nous pourrions alors investir cet argent dans les écoles des régions rurales du Canada, de façon que lorsque les enfants atteignent l'âge de 6 ans, ils puissent aller à l'école dans une petite ville de la Saskatchewan, plutôt que d'avoir à prendre l'autobus et à effectuer un trajet d'une heure et demi ou de deux heures pour se rendre à l'école.

Mme Martz : C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé ce point lorsque j'ai parlé de la prématernelle : pour dire qu'il faut adapter les mesures au milieu rural. Les citoyens des villes se font beaucoup plus entendre que ceux des régions rurales. Il est souvent arrivé qu'on prenne des ressources qui devaient être consacrées au milieu rural pour les affecter à un milieu urbain. Il faut donc adopter une démarche qui nous permettra de nous assurer que les ressources vont là où elles doivent aller.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord avec vous là-dessus. Merci.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venue ici ce matin. Je veux vous poser une question au sujet d'un rapport que les centres d'excellence de la santé des femmes ont publié en 2004. Votre centre a participé à ce rapport. Il est intitulé « La santé des femmes en milieux rural, éloigné et nordique : orientations en matière de politiques et de recherches ». D'après ce que je sais, vous avez tenu plusieurs ateliers au sujet de ce rapport. Je ne sais pas si vous ne l'avez fait que dans votre province, ou partout au Canada. C'est ma première question.

Vous avez parlé de nombreuses choses, comme de l'infrastructure dans les milieux ruraux du Canada, de l'absence de services de santé mentale, de l'absence de services de santé en général, du fait que les jeunes quittent les régions rurales pour trouver des emplois et ainsi de suite. Vous élaborez des plans d'action. Je me demande comment cela évolue. Est-ce que vous parvenez à mettre ces plans d'action en œuvre, et est-ce que vous disposez des ressources financières pour le faire? J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

Mme Martz : Le rapport portait sur l'ensemble du Canada, et les séances des groupes de concertation qui ont donné lieu au rapport ont eu lieu dans toutes les provinces et dans le Nord.

En ce qui concerne les recommandations formulées dans le rapport, il n'y a pas de ressources pour l'application des éléments du plan d'action. Nous avons obtenu des fonds en Saskatchewan, et nous mettons la dernière main au projet en question. Nous avons obtenu un financement de la part de Condition féminine Canada, afin de demander aux femmes des milieux ruraux de la Saskatchewan : « Voici les recommandations générales à l'échelle nationale. Que veulent-elles dire pour vous, et comment envisagez-vous leur application dans votre collectivité? »

La fin de semaine prochaine, nous tenons une séance d'orientation stratégique. Nous avons organisé des ateliers dans toute la province. Nous réunissons certaines des femmes et nous allons coucher sur le papier des recommandations stratégiques concrètes pour ce qui devrait se produire à tous les niveaux. Lorsque nous avons effectué des ateliers dans les collectivités, nous avons parlé aux femmes de ce qu'elles faisaient au sein de leurs propres collectivités. Nous leur avons demandé : « Quelles sont les choses que vous ou votre groupe faites ici? » Elles ont parlé des initiatives relatives à la violence familiale. Elles ont parlé de rétablir une certaine part de la dimension sociale et du soutien social pour les femmes qui s'est perdue en milieu rural, de différentes choses qu'elles faisaient à l'échelle locale. L'orientation stratégique touche plusieurs niveaux; nous souhaitons donc, lorsque nous nous rencontrerons la fin de semaine prochaine, étoffer ce que les gens peuvent faire, ce qu'il faudrait peut-être que les entreprises et les collectivités fassent, ce que les municipalités, le gouvernement provincial et peut-être même le gouvernement fédéral doivent faire. Nous travaillons encore avec ces données.

Le sénateur Callbeck : Ce dont vous parlez aura lieu la fin de semaine prochaine en Saskatchewan?

Mme Martz : Oui.

Le sénateur Callbeck : Vous avez reçu de l'argent de Condition féminine Canada à cette fin?

Mme Martz : Oui.

Le sénateur Callbeck : Les autres provinces ont-elles reçu de l'argent?

Mme Martz : Je ne crois pas que les autres provinces aient donné suite à cela.

Le sénateur Callbeck : Merci.

Mme Martz : Cela constituera un fondement pour le travail qui reste à faire.

Le sénateur Gustafson : Bonjour. Je tiens à vous remercier de témoigner à titre de représentante de la Saskatchewan, parce que je crois que la situation actuelle là-bas est spéciale. Lorsque j'ai été élu ici pour la première fois, la première personne à qui j'ai parlé, c'est Tommy Douglas, et il a fait une déclaration qu'on semble avoir oubliée. Il a dit que la Saskatchewan avait un bel avenir, parce que la province compte 40 p. 100 de terre arable. Nous semblons avoir tout oublié au sujet des terres arables. Une grande part de ce dont nous parlons ici relève du gouvernement provincial, mais, comme vous le savez, Saskatoon et Regina dirigent la province. Ce sont des gens de ces deux villes qui ont les sièges et les votes, et ils ont à peu près oublié les milieux ruraux de la Saskatchewan. Je ne suis pas tellement partisan du NPD, mais Tommy Douglas allait voir les agriculteurs pour leur demander : « De quoi avez-vous besoin? » Cela a mené à l'électrification des campagnes, à des projets hydrauliques et à bien d'autres projets encore. De telles choses ne se produisent plus. En réalité, il y a un fossé entre les milieux rural et urbain — je ne vais pas utiliser le mot « guerre », mais c'est pourtant de cela qu'il s'agit, et le sénateur Peterson sera d'accord avec moi là-dessus. Cela n'est pas bon pour le pays, ni pour la terre.

On a laissé entendre ici que l'argent constituait un problème. En Saskatchewan, nous avons connu trois années de revenu agricole négatif. Vous savez tout à ce sujet. Sans argent pour affronter la situation, que faire? Ce n'est pas le cas en Alberta. Chaque fois que le gouvernement fédéral a lancé un nouveau programme, le gouvernement de l'Alberta a été en mesure de lui répondre du tac au tac : « Nous allons investir autant, et même davantage. » En Saskatchewan, nous avons toujours dû prendre moins et négocier pour obtenir de quoi survivre. Nous avons un problème lié aux compétences provinciales, et c'est un enjeu important.

Je vais utiliser deux ou trois exemples qui peuvent fonctionner, et qui fonctionnent, en fait. Les milieux ruraux présentent de grands avantages. Par exemple, les meilleurs joueurs de hockey du monde viennent de milieux ruraux. Ils ne viennent pas de Regina ou de Saskatoon; ils viennent de petites villes comme Humboldt — Gordie Howe, par exemple. La vérité, c'est qu'il y a des occasions que nous ne saisissons pas. Il ne devrait y avoir aucune raison justifiant qu'un jeune de la Saskatchewan ne joue pas au hockey. Il en a davantage l'occasion qu'un jeune de Toronto. Bon nombre des enfants des villes n'ont pas l'occasion de faire les choses que les enfants peuvent faire en régions, mais nous avons parfois négligé de saisir les occasions qui se présentent à nous. Auparavant, SaskPower fournissait l'argent permettant d'entretenir la glace artificielle dans une région rurale, mais l'entreprise a mis fin à ce financement. Cela n'aurait jamais dû se produire. On aurait dû plutôt donner de l'ampleur à cela. Nous pouvons faire des choses dans les milieux ruraux du Canada, mais, sur le plan politique, ces choses ne permettent pas d'acheter des votes, parce qu'il n'y a pas de votes à acheter dans ces endroits. Nous ne représentons que 2 p. 100 de la population.

Je crois qu'il serait possible de partir de cela. Je pense aux endroits où nous avons reçu des subventions fédérales et provinciales pour la construction de patinoires et pour les centraliser, de façon que plusieurs petites villes puissent avoir la même patinoire, et que les enfants puissent y aller en autobus. De cette façon, tous les jeunes auraient l'occasion d'aller patiner. Nous avons en quelque sorte décidé que cela n'avait plus d'importance. Bon nombre de ces petites collectivités n'ont plus les moyens de payer pour la glace artificielle. Ils n'arrivent plus à payer la facture d'électricité, tandis que SaskPower fait des profits phénoménaux.

Mme Martz : Nous avons passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d'énergie à nous occuper des milieux urbains du Canada pendant 20 ans et même plus. Même à l'Université de la Saskatchewan, il y a très peu de gens à l'extérieur du College of Agriculture qui envisagent l'agriculture de façon générale, et qui se concentrent sur les petites collectivités, les petites fermes et les fermes familiales. Nous avons décidé que les milieux ruraux n'étaient simplement plus l'endroit où demeurer, et nous avons donc véritablement déplacé nos ressources vers les milieux urbains et porté notre attention sur ceux-ci. À l'heure actuelle, cela est en train de changer dans une certaine mesure, ce qui, je crois, est une très bonne chose.

Je peux vous raconter une histoire au sujet d'une élection récente. Un député ayant posé sa candidature dans une circonscription incluant Saskatoon et la région qui se trouve à l'est de la ville a dit aux gens d'une collectivité rurale qu'il n'avait pas besoin de se rendre chez eux pour leur parler, puisqu'il avait été élu à Saskatoon. Vous avez tout à fait raison. Le pouvoir politique ne se trouve vraiment plus dans les régions, et les gens des régions ont donc beaucoup de difficulté à se faire entendre et à faire connaître leurs problèmes.

Cela s'est produit en Saskatchewan, l'une des provinces les plus rurales du pays. Nous tendons à manquer d'intérêt pour l'évolution des enjeux ruraux. Les gouvernements ont passé beaucoup de temps à dire que les milieux ruraux ne se résument pas à l'agriculture. Je sais quel message ils essaient de faire passer, il y a autre chose en milieu rural, comme la foresterie et la fabrication et ainsi de suite. Cependant, du point de vue des agriculteurs, c'est comme si les agriculteurs n'étaient plus du tout importants.

David Freshwater, qui a récemment témoigné devant vous, a fait un commentaire dans le cadre d'une conférence à laquelle j'ai assisté. Il a dit qu'il avait conduit d'une grande ville américaine à une autre, et que, tout ce qu'il avait vu, c'est de l'agriculture; alors comment l'agriculture peut-elle ne pas être une chose importante? Les agriculteurs sont responsables d'énormes terres. L'agriculture est toujours importante, à mon sens, du moins.

Le sénateur Gustafson : C'est un sujet inépuisable, et le sénateur Segal a mis l'accent sur l'idée qu'il faut faire quelque chose. Le Canada a réellement besoin de se doter d'une politique canadienne en ce qui a trait à l'agriculture, une politique qui va aller au fond des choses, que nous n'avons pas à l'heure actuelle.

Où commencer? La plupart des témoins que nous avons reçus disent qu'il n'y a pas de panacée, pas de solution unique. Cependant, il est possible de faire un certain nombre de choses, et nous ne les faisons pas. Ces choses s'effondrent.

Prenez par exemple la petite ville de Macoun. Cette ville a connu toutes sortes de problèmes avec ses égouts, mais essayez d'obtenir l'aide du gouvernement provincial pour régler ce problème. De la même façon, l'infrastructure se détériore dans toutes les petites villes; elles n'ont pas l'argent pour s'en occuper, et elles n'obtiennent pas l'aide du gouvernement provincial pour le faire.

Mme Martz : Exactement. Peut-être cela n'est-il pas une solution pour chaque ville et pour chaque service, mais dans certaines régions, la régionalisation peut constituer la solution, par exemple, en ce qui concerne le traitement de l'eau. Chaque ville n'a pas besoin d'un technicien spécialiste du traitement de l'eau. C'est une ressource qu'on peut partager, on peut en avoir un certain nombre qui travaillent dans une région. Les régions doivent regrouper et déterminer les ressources qu'elles peuvent partager, leurs besoins individuels et la manière de faire fonctionner les systèmes.

J'ai organisé des réunions communautaires auxquelles la ville d'à côté ne participait pas si la rencontre avait lieu dans telle autre ville, à cause de la rivalité si forte. Il faut que nous mettions cela de côté et que nous commencions à travailler ensemble à l'échelle régionale.

Le sénateur Gustafson : Politiquement, cela ne se produira jamais. Il faudra que quelqu'un prenne l'initiative. Presque tout ce qui se produit commence avec la terre, que ce soit les pêcheries, l'industrie du bois de sciage, le pétrole, le gaz, les mines ou l'agriculture. Tout cela provient de la terre. Cependant, nous avons décidé, en tant que pays, que tout allait revenir dans les centres urbains. Sinon, nous aurons des problèmes importants.

Comparons le Canada et les États-Unis. Les États-Unis disposent d'une loi agricole qui envisage l'économie agricole sur 10 ans. La plus grande partie de cela porte sur les milieux ruraux des États-Unis. Hier, j'ai évoqué l'idée d'une loi agricole au Canada, idée que l'on a tout de suite critiquée. C'est de cela dont nous avons besoin. Nous avons besoin d'un programme à long terme, et cela faisait partie des recommandations du comité, si vous vous rappelez. Une des principales choses, c'était un programme agricole typiquement canadien. Le comité doit faire en sorte que les gouvernements comprennent qu'on pourrait régler le problème en parlant d'environnement, sans égard à l'allégeance politique, d'une manière ou d'une autre, avec l'appui des résidents des centres urbains. En parlant de l'environnement, nous allons pouvoir obtenir l'attention des citadins. En parlant d'économie, nous n'arriverons à rien.

Mme Martz : Vous devez choisir les arguments qui jouent en votre faveur. Nous n'avons pas très bien réussi jusqu'à maintenant à convaincre la population urbaine qu'il valait la peine d'accorder de l'attention aux milieux ruraux.

La présidente : Le sénateur Gustafson et moi sommes membres du comité depuis longtemps. L'idée d'une loi agricole figure dans notre dernier rapport, publié en juin. Nous devons continuer de mettre cela de l'avant, peu importe ce qui se passe par ailleurs. C'est peut-être la seule chose qui attirera l'attention directement sur les régions qui nous préoccupent.

Le sénateur Mitchell : Je me demandais si vous pouviez commenter la situation des femmes qui vivent en milieu rural pauvre. Est-ce que les femmes sont plus souvent aux prises avec la pauvreté que les hommes en milieu rural?

Mme Martz : Je crois que oui, pour deux ou trois raisons précises. L'une de ces raisons est que les personnes âgées sont plus souvent des femmes que des hommes et que bon nombre de femmes âgées restent dans des régions rurales. Le deuxième groupe de femmes qui vivent dans la pauvreté est celui des mères monoparentales. Je n'ai pas de chiffres là- dessus. J'ai l'impression que de nombreuses femmes quittent le milieu rural où elles vivent dans la pauvreté pour s'établir en ville, où il est en quelque sorte plus facile de se débrouiller, vu l'accès accru aux services.

Les femmes s'occupent aussi du travail affectif et des soins auprès de la famille. Ainsi, dans une famille pauvre, les femmes sont comme une bouée pour les autres membres de la famille. On voit souvent des agricultrices utiliser les services de santé mentale en rapport avec leur situation familiale, parfois avec ce qui se passe avec leur mari et ainsi de suite, tandis que les hommes ne recourent pas nécessairement à ces services. En raison du travail affectif qu'elles font, les femmes assument une grande part de la pression et du poids liés au fait d'essayer de joindre les deux bouts et d'offrir aux enfants la nourriture et tout le reste dont ils ont besoin. La fonction de soins que remplissent les femmes est importante.

Le sénateur Mitchell : Le gouvernement a récemment suggéré le partage des revenus de pensions. Il est intéressant de constater qu'il y aurait beaucoup moins de pensionnés en milieu rural qu'en milieu urbain au Canada, et cette mesure ne viendra pas particulièrement en aide aux milieux ruraux.

Pouvez-vous commenter l'idée de permettre à une famille dont l'un des conjoints reste à la maison d'obtenir des prestations du RPC grâce au revenu de l'autre conjoint? C'est souvent la femme qui reste à la maison, surtout en milieu rural, même si les femmes qui vivent dans ces milieux travaillent sur la ferme. Avez-vous réfléchi à la possibilité qu'on permette au soutien économique de la famille qui obtient des prestations du RPC d'en procurer à son conjoint qui choisit de rester à la maison et de travailler à la maison? Notre société n'accorde que très rarement une valeur économique à ce travail.

Mme Martz : Non, pas plus qu'on en accorde au travail à la ferme. Certaines des études que nous avons réalisées auprès des agricultrices montrent que même les femmes qui disent ne rien faire à la ferme passent trois heures par jour à y travailler.

Je n'ai pas réfléchi, mais, de prime abord, c'est probablement une bonne chose à faire, puisque les agricultrices n'ont pas l'occasion d'accumuler l'argent qui leur permettrait d'avoir une certaine sécurité financière après 65 ans ou parce qu'elles ne seront plus en âge de travailler. J'hésite à dire pour leurs vieux jours. Des agricultrices m'ont déjà parlé de ce manque de sécurité. Il semble que la mesure dont vous parlez fournirait un revenu aux gens qui n'en obtiennent pas à l'heure actuelle.

Le sénateur Mitchell : Vos commentaires sur l'éducation des jeunes enfants m'intéressent beaucoup. Toutes sortes de données montrent les répercussions positives de cette éducation. Ce qui m'intéresse, c'est que, à ce sujet, vous avez mis l'accent sur les collectivités autochtones.

Mon intention est beaucoup moins partisane qu'elle ne va le paraître, mais avez-vous eu l'occasion, en ce qui concerne ces idées, d'évaluer la proposition du gouvernement précédent au sujet de l'éducation des jeunes enfants? Auriez-vous été en mesure d'en évaluer l'application aux milieux ruraux du Canada? C'est une question complexe, je sais.

Mme Martz : Lorsque nous avons jeté un premier coup d'œil sur cette proposition, il n'y avait rien de certain quant à la manière dont les choses devaient se dérouler, alors je n'ai pas examiné la proposition avec soin.

Dans le cadre de notre projet, nous avons recommandé qu'on finance des centres chargés d'exécuter les programmes et ainsi de suite, afin de créer des garderies. Dans les milieux ruraux, cette infrastructure n'existe pas. Sans un moyen de créer des places dans des services de garde autorisés, même les parents qui ont de l'argent n'auraient accès à rien. L'argent ne permet pas nécessairement à une personne d'accéder à un service, si le service n'existe pas.

Le sénateur Mitchell : Les domaines où convergent les initiatives de mesures sociales et les avantages commerciaux suscitent toujours mon intérêt, et parfois, même, m'enthousiasment; les services de santé publique sont l'un de ces domaines. La Canada West Foundation, dans le cadre d'études récentes, a mis l'accent sur un autre de ces domaines, plus subtil, bien qu'il soit de plus en plus important. De façon précise, les pénuries de main-d'œuvre — surtout en Alberta, d'où je viens — mettent en lumière un besoin réel, du point de vue économique, de se concentrer sur les collectivités autochtones et leur bassin de main-d'œuvre extraordinaire, ainsi que sur la contribution peut-être encore plus importante qu'elle pourrait faire. Évidemment, les Autochtones vivent en milieu rural et, souvent, malheureusement, dans la pauvreté.

L'éducation des jeunes enfants est l'un de ces domaines — essayer de trouver le moyen d'offrir les services dans ces collectivités; aussi, l'apprentissage à distance et essayer de l'offrir dans ces collectivités et dans toutes les collectivités rurales. Pouvez-vous faire un commentaire sur l'apprentissage à distance? Avez-vous abordé ce thème dans le cadre de vos études ou de vos discussions?

Mme Martz : J'ai participé à l'apprentissage à distance à quelques occasions. Je crois qu'il s'agit d'une chose qui offre de très bonnes possibilités aux gens qui souhaitent demeurer dans leurs collectivités et poursuivre des études. À La Ronge, par exemple, l'Université de la Saskatchewan offre un programme d'études en environnement. J'ai toujours été préoccupée par le fait que peu d'Autochtones s'inscrivent à ce programme. On s'est aperçu qu'ils sont réticents à venir à Saskatoon pour le faire. Offrir ce genre d'enseignement à des endroits comme La Ronge et un peu partout est une bonne chose.

Il faut être très motivé et discipliné pour que l'enseignement à distance fonctionne. Ce n'est pas une panacée, et on ne peut négliger d'offrir du soutien aux étudiants qui essaient d'apprendre de cette manière.

Le sénateur Segal : Madame Martz, j'ai trois questions précises à vous poser, et j'aimerais beaucoup connaître votre point de vue sur ces questions.

On nous a raconté, et on nous a parlé d'autres manières aussi, du problème de l'effondrement des revenus agricoles dans les milieux ruraux du Canada et du fait qu'il a engendré l'augmentation de la violence familiale dans ces milieux. La criminalité a augmenté, en lien avec la méthamphétamine en cristaux et l'abus d'alcool ou d'autres drogues en général. On nous a dit que certains des chiffres concernant les décès liés aux armes à feu en milieu rural avaient augmenté, alors qu'ils ont diminué dans d'autres parties du pays, dans les milieux urbains. Les installations de culture se sont multipliées, et les gens cherchent d'autres manières de générer des revenus.

Ma première question sera la suivante : que percevez-vous de ces phénomènes dans le cadre de votre travail?

Ma deuxième question serait : quel est le rôle des coopératives, selon vous, d'après votre cadre de référence? Que sont-elles aujourd'hui, comparativement à ce qu'elles étaient auparavant? À quel point ces organisations sont-elles centrales et font-elles bouger les choses, grâce au fort mouvement historique de coopération, surtout en Saskatchewan, et aux activités commerciales mutuellement avantageuses? J'aimerais entendre votre point de vue là-dessus.

Je veux ensuite vous parler de ma plus grande peur, qui vient du fait que, dans les ministères de l'Agriculture et des Finances de tout le pays, sans égard aux politiques partisanes du gouvernement actuel, les gens disent que si nous ne faisons qu'attendre, le problème va se régler de lui-même. Nous allons avoir à nous occuper de moins d'agriculteurs, parce qu'ils vont quitter leurs terres; ils vont déménager là où il y a des emplois. En Ontario, à l'heure actuelle, la propriété de seulement 7 p. 100 de nos fermes est transmise d'une génération à l'autre. À l'occasion de nombreuses réunions du comité, nous avons parlé de ce phénomène, qui a lieu dans divers secteurs producteurs de biens.

J'aimerais bien entendre votre opinion sur ces trois questions.

Mme Martz : En ce qui concerne la première question, le fait de savoir s'il y a augmentation des types de comportement criminel et ainsi de suite, ce que j'ai entendu dire — encore une fois, nous n'avons pas examiné cela de façon systématique —, c'est que certains des problèmes de santé mentaux qu'on constate, notamment chez les personnes qui subissent du stress et ainsi de suite, ont des conséquences au chapitre de la violence familiale. Les gens de la Farm Stress Line documentent très bien ces faits. Parce que les gens deviennent très stressés, certains comportements du genre semblent ressortir.

En ce qui concerne les installations de culture et la méthamphétamine en cristaux, au centre, nous sommes en train d'effectuer une étude sur les jeunes des milieux ruraux et les drogues. L'enquête que nous effectuons auprès des jeunes est assez vaste, alors nous n'avons pas encore de chiffres. Certains des jeunes qui travaillent à mon bureau ont voulu lancer cette étude en raison de ce qu'ils entendent dans les bars et dans les rues de la ville au sujet de la fréquence de l'utilisation de différents types de drogues. La méthamphétamine en cristaux obtient davantage d'attention, mais j'ai l'impression que l'alcool va probablement se révéler être un problème beaucoup plus grave.

Le dépeuplement des milieux ruraux du Canada permet aux gens de faire ce genre de choses sans scrupule. Par ailleurs, on ne surveille plus aujourd'hui les fermes, il est donc facile d'obtenir les produits chimiques dont on a besoin ou de les voler. Ce ne sont pas nécessairement les gens des régions rurales qui font ce genre de choses. En fait, les gens tirent plutôt parti du dépeuplement des régions rurales; c'est ce que l'on constate dans certains endroits.

Il y a encore certaines initiatives importantes de coopération, par exemple des agriculteurs qui se regroupent pour construire des silos terminaux intérieurs. Ce ne sont pas que les grandes entreprises; certaines de ces initiatives sont axées sur les fermes. Les agriculteurs cherchent à travailler ensemble pour tirer parti du potentiel qu'offre l'éthanol. Les agriculteurs cherchent les occasions de se regrouper et de réaliser des choses.

Les coopératives d'épargne et de crédit sont à peu près les seuls établissements financiers des milieux ruraux aujourd'hui. Ce sont les seuls établissements qui sont restés. Les coopératives existent encore dans les milieux ruraux. Elles changent, comme les coopératives d'épargne et de crédit et les coopératives changent en ce qui concerne la manière dont elles sont financées et gérées.

Le fait de ne rien faire nous ramène à ce que le sénateur Gustafson disait au sujet de convaincre les milieux urbains de l'importance des milieux ruraux. Les milieux ruraux ont un rôle énorme à jouer, mais beaucoup de gens ne s'en rendent pas compte. Dans une certaine mesure, cela revient à invoquer les arguments environnementaux selon lesquels l'approvisionnement en eau des villes dépend des milieux ruraux, et la qualité de l'air dépend éventuellement des milieux ruraux. Les gens des villes se débarrassent de leurs déchets dans les milieux ruraux. Du point de vue de l'environnement, nous allons peut-être pouvoir faire passer des arguments au sujet de l'importance des milieux ruraux pour les milieux urbains.

Dans un pays de la taille du Canada, il est parfois difficile de faire accepter ce genre d'arguments. Les commentaires que j'ai faits plus tôt reflètent cela aussi. Qu'arrivera-t-il si rien ne change? Ce n'est pas le genre de monde que je souhaite voir.

Le président : Récemment, il a presque toujours fallu une crise extrême pour faire prendre conscience aux citadins de ce qui se passe. Je pense à la maladie de la vache folle. Ce qui est assez bizarre et assez heureux, c'est que cela a touché une corde sensible et que, je crois, cela a fait que le Canada a été le premier pays à devoir s'occuper de cette maladie bovine, au cours de laquelle la consommation de bœuf a augmenté plutôt que diminuer. Ça été comme un aperçu de ce que les réactions peuvent être si l'on raconte aux gens ce qui se passe. Il ne faudrait pas qu'une crise nationale soit nécessaire pour que cela se produise; cependant, les Canadiens ont bel et bien réagi.

Le sénateur Callbeck : Madame Martz, je voulais vous poser une question au sujet du Programme de développement des collectivités. Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, où le programme a permis d'accomplir de bonnes choses dans les régions rurales. Je suis sûr que vous connaissez ce programme; le gouvernement fédéral donne de l'argent à des organisations communautaires locales pour les aider à trouver des solutions à leurs problèmes.

Est-ce qu'on utilise beaucoup ce programme en Saskatchewan?

Mme Martz : Oui. C'est un programme très important en Saskatchewan. Nous avons des organisations de développement économique régional et nous avons aussi le Programme de développement des collectivités. Dans certaines collectivités, les deux fonctionnent ensemble, et c'est là qu'on a connu le plus de succès. Dans la région d'Outlook, les deux organisations ont mis leur territoire et leurs ressources ensemble, et elles travaillent ensemble à la prestation des services et à offrir leur soutien à la région environnante. Si cela se produisait plus souvent à l'échelle de la Saskatchewan, on pourrait en tirer des avantages dont on ne profite pas à l'heure actuelle. Ces organisations font du très bon travail dans la province.

Le sénateur Callbeck : Croyez-vous qu'on devrait donner de l'ampleur à ce programme?

Mme Martz : Je pense que la possibilité de donner de l'ampleur au programme existe, ainsi, peut-être, que celle d'augmenter la base des prêts de façon que le programme puisse permettre d'encadrer le démarrage de davantage d'entreprises et autres choses du genre. Dans la région que je connais, on essaie de soutenir l'innovation autour des produits agricoles de la région. Oui, je pense que ce programme a été un succès.

Le sénateur Mahovlich : L'argent semble influencer beaucoup de gens. Fort McMurray est une ville champignon. Avez-vous constaté que beaucoup de gens des régions rurales ont déménagé à Fort McMurray au cours des 10 dernières années? Les gens ont-ils quitté l'école pour aller travailler?

Mme Martz : Il semble que ce sont surtout des hommes qui vont à Fort McMurray. Les familles qui cherchent à se loger à Fort McMurray trouvent que cela est très cher; je crois que la maison la moins chère là-bas se vend à 300 000 $. Nombreux sont les hommes qui quittent leur ferme pour aller travailler à Fort McMurray pendant l'hiver, puis reviennent au printemps pour semer et ainsi de suite. Nombreux sont les jeunes hommes qui se rendent à Fort McMurray pour être en mesure de rembourser leurs prêts d'études.

Le sénateur Mahovlich : Nous perdons donc beaucoup de nos jeunes gens. Qu'en est-il des programmes d'enseignement à Fort McMurray? Arrive-t-on à suivre le rythme de l'expansion?

Mme Martz : Je n'en ai aucune idée.

On est en train de construire une route, en Saskatchewan, de La Loche vers Fort McMurray, ce qui permettra à de nombreuses collectivités autochtones et métisses de se rendre rapidement à Fort McMurray. Cette nouvelle route aura des répercussions énormes sur le nord-ouest de la Saskatchewan.

Le sénateur Mahovlich : Cette situation va peut-être donner lieu à la construction de théâtres, au foisonnement des arts et à la multiplication des programmes là-bas.

Mme Martz : C'est à cause du nombre de gens qui s'établissent là-bas. Comme toute collectivité en croissance rapide, Fort McMurray fait face à une situation à la fois positive et négative.

Le président : Fort McMurray est une collectivité dynamique.

Je suis heureux de vous avoir entendu parler du Programme de développement des collectivités comme vous l'avez fait. Dans ma province, l'Alberta, ce programme a toujours été extrêmement utile et simple dans les campagnes, dans les petites collectivités. Il arrive que les grandes villes minimisent l'importance de ce programme. Il semble que les seules personnes qui sachent à quel point ce programme est un succès, ce sont les gens des petites collectivités. Comme d'habitude, c'est difficile de faire passer le message.

Je crois que, dans le cadre de leurs relations avec les différents gouvernements, les membres du comité devraient se faire un devoir de parler de ce programme, parce que, de temps à autre, il semble que le programme décline et qu'on pense qu'il est moins important qu'on l'aurait cru. C'est pourtant véritablement un programme important. En réalité, dans certains cas, c'est le seul avantage qui existe et la seule aide disponible, là où on en a le plus besoin. C'est quelque chose que nous pouvons essayer de faire passer et sur quoi nous pouvons mettre l'accent lorsque nous voyageons. Il serait déplorable qu'on mette fin à ce programme parce qu'on n'en saisit pas la valeur ici.

La discussion d'aujourd'hui a été très intéressante, et je vous remercie beaucoup d'être venue. Vous êtes évidemment au cœur de nombreuses choses qui nous préoccupent. C'est une bonne chose que d'entendre ce qu'a à dire une personne qui vient d'un milieu rural et qui travaille dans le domaine, et nous vous souhaitons tout le succès possible. Nos chemins vont probablement se croiser de nouveau dans l'avenir.

La séance est levée.


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