Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 12 - Témoignages du 28 novembre 2006
OTTAWA, mardi le 28 novembre 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 19 h 5 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, honorables sénateurs, bonsoir aux témoins et au public qui nous regarde à la télévision. En mai dernier, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Cela fait trop longtemps que les décideurs et les politiciens se désintéressent de la situation critique des pauvres qui vivent dans les régions rurales. Cet automne, le comité a entendu divers témoins pour se faire une idée générale de la pauvreté qui touche les régions rurales du Canada. Le comité va s'appuyer sur les témoignages qu'il a entendus quand il se rendra, comme il l'a prévu, dans des collectivités rurales de l'ensemble du Canada l'année prochaine.
Le premier témoin que nous allons entendre ce soir par vidéoconférence est M. Chris Sarlo, professeur agrégé d'économie et directeur de la Faculté de commerce et d'économie de l'Université de Nipissing, à North Bay, en Ontario. Il est également chercheur adjoint à l'Institut Fraser. Ses travaux sur la mesure de la pauvreté à partir des besoins fondamentaux ont alimenté un débat sain et animé sur la question de la définition de la « pauvreté au Canada ».
Monsieur Sarlo, bienvenue. Nous disposons d'une heure ce soir pour parler de cette importante question avec vous. J'invite les sénateurs à poser des questions aussi brèves que possible pour que notre témoin puisse nous fournir des réponses complètes et pour que tout le monde puisse participer à la discussion ce soir. Monsieur Sarlo, je vous invite à présenter votre exposé.
Chris Sarlo, agrégé supérieur de recherche, Institut Fraser (par vidéoconférence) : J'ai préparé un bref exposé pour notre discussion. Je crois savoir que nous aurons aussi du temps pour les questions. Je remercie le comité de m'avoir invité à prendre la parole devant lui et à aborder des questions importantes.
Je dois dire que la pauvreté existe réellement au Canada. Il y a dans notre pays prospère des gens qui ont faim, qui sont mal logés et qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas accès aux services dont ils ont besoin. Tout cela compromet leur santé et leur bien-être. J'ai voyagé d'un bout à l'autre du pays, comme dit la chanson, de Bonavista à l'île de Vancouver, et j'ai vu personnellement une pauvreté extrême tant dans les régions rurales qu'urbaines. Ceux d'entre nous qui font partie de la classe moyenne et qui ont une vie confortable devraient prendre la route, en particulier dans l'Est du Canada, pour voir comment vivent nos concitoyens. Il est pour moi incontestable que de nombreux Canadiens vivent dans la pauvreté.
La tâche du spécialiste des sciences sociales est de mesurer ces phénomènes. Nous devons apporter nos connaissances rigoureuses et la méthode scientifique à l'examen de cet important problème. Je crains toutefois qu'en l'absence de méthodes de mesure précises et crédibles, il soit impossible d'élaborer des politiques efficaces et responsables dans ce domaine. Mes remarques vont principalement porter aujourd'hui sur l'aspect de cet important problème économique et social.
Le gouvernement fédéral dépense tous les ans des milliards de dollars pour mettre en œuvre des politiques et des programmes axés sur la lutte contre la pauvreté. J'inclus dans ces dépenses les transferts aux provinces, dont une partie est utilisée pour l'aide sociale, le logement et d'autres programmes. Supposons que quelqu'un, un journaliste ou un citoyen, demande à un député comme ces fonds sont dépensés. Que répondrait le gouvernement? Soyons plus précis : supposons que quelqu'un demande au premier ministre combien il y a de pauvres au Canada à l'heure actuelle. Quelle serait sa réponse? Supposons que cette personne demande si les politiques que le gouvernement applique depuis un certain nombre d'années ont eu pour effet de réduire la pauvreté. Quelle serait sa réponse?
Dans les deux cas, il serait obligé de dire que, franchement, il ne sait pas. Tous les chercheurs, s'ils sont honnêtes, seraient également obligés de dire qu'ils ne savent pas. Il existe deux principales raisons qui expliquent cette regrettable situation. La première est qu'il n'existe pas de seuil de la pauvreté officiel, ni même une mesure de la pauvreté qui soit généralement acceptée au Canada. Deuxièmement, l'indice du revenu dont nous nous servons pour déterminer le statut économique de la population est tellement mal conçu que nous ne pourrions pas évaluer la pauvreté avec précision, même si nous avions un seuil de la pauvreté qui soit généralement accepté. Je vais examiner en premier la seconde de ces raisons.
Pratiquement toutes les études qui cherchent à évaluer le nombre des personnes pauvres se fondent sur le revenu. Cependant, les données relatives au revenu que nous utilisons pour effectuer ces évaluations sont fournies par Statistique Canada et proviennent principalement de sondages dans lesquels on demande aux ménages de déclarer leur revenu de l'année précédente.
Les données que nous utilisons représentent « le revenu déclaré », qui ne coïncide pas toujours avec le revenu réel. Pour diverses raisons, les gens ne déclarent pas toujours le montant exact de leurs revenus. Une de ces raisons peut être liée à la volonté de dissimuler une partie du revenu pour éviter l'impôt.
Le rapport du vérificateur général de 1999 a examiné cette question et a estimé que la partie légale de l'économie clandestine représentait environ 4,5 p. 100 du PIB. La partie illégale, qui comprend des activités comme le jeu, la prostitution, le trafic de stupéfiants et le vol, représente également des sommes importantes. Le rapport laissait entendre que le problème des revenus dissimulés risquait de s'aggraver avec le temps, compte tenu de la croissance du nombre des travailleurs indépendants et du commerce électronique.
Je devrais également mentionner qu'il existe de nouvelles bases de données tirées des données présentées par les personnes qui déclarent leurs impôts et que l'on utilise particulièrement pour l'étude de la dynamique de la pauvreté. Je crois savoir que ces données sont elles aussi touchées par la même tendance à sous-déclarer certains revenus qui influe sur celles qui proviennent des sondages de Statistique Canada. Le vérificateur général a estimé, là encore dans son rapport de 1999, que les deux paliers de gouvernement perdaient près de 12 milliards de dollars par an en raison de cette évasion fiscale.
Je suis convaincu qu'il n'existe pas au Canada de base de données qui nous dise avec exactitude quels sont les revenus des Canadiens. À titre d'illustration, permettez-moi de vous demander de jeter un coup d'œil à la répartition du revenu déclaré en 2004, qui est tirée de l'enquête sur les dépenses des ménages. Si cela vous a été distribué, il y a la diapositive 1, intitulée « Répartition des revenus des ménages canadiens — 2004 ».
Dans la partie supérieure de cette répartition, il y a plus de 1 000 ménages qui ont déclaré en 2004 un revenu de 3,7 millions de dollars. Il faut savoir que l'enquête est basée sur un échantillon aléatoire, de sorte que chaque inscription sur ce tableau représente un certain nombre de ménages canadiens.
Dans la partie inférieure de la répartition, il y a près de 2 000 ménages qui ont des revenus déclarés négatifs. Cela est principalement dû aux pertes des petites entreprises. Le revenu déclaré moyen en 2004 était de 63 400 $, ce qui représente le revenu moyen des ménages.
Comme c'est la pauvreté qui nous intéresse, examinons de plus près la partie inférieure de la répartition des revenus. Elle comprend tous les ménages ayant un revenu de 5 000 $ ou moins. J'attire votre attention sur la diapositive 2 intitulée « Partie inférieure de la répartition des revenus — 2004 ».
J'utilise le montant de 5 000 $ à titre de montant arbitraire, puisqu'un ménage, ni même une personne seule, ne peut survivre au Canada avec moins de 5 000 $. Il est impossible d'acheter avec cette somme toutes les choses nécessaires à la vie. Pourtant, en 2004, il semble quand même que 185 000 ménages y soient parvenus. Il est troublant que notre programme de dernier recours, l'aide sociale, accorde dans toutes les provinces plus de 5 000 $ aux ménages dans le besoin. Il est donc évident qu'il faut s'interroger sur la fiabilité des données qui nous disent que 185 000 ménages ont des revenus aussi faibles que cela.
Je devrais également mentionner que 41 000 de ces ménages avaient un revenu déclaré égal à zéro. Dans l'ensemble, ce groupe correspond à un revenu déclaré moyen de 1 951 $ seulement, soit moins de 2 000 $ pour tous les ménages dont le revenu déclaré est de 5 000 $ ou moins.
Quel que soit l'étalon utilisé, cela donne à penser que ce groupe représente les plus pauvres parmi les pauvres au Canada. Cependant, la base de données de Statistique Canada dont est tirée cette information fournit d'autres renseignements au sujet de ces ménages. Les dépenses déclarées de ce groupe de ménages à faible revenu étaient en moyenne de plus de 20 000 $, soit plus de 10 fois le revenu déclaré moyen.
Cet écart important entre le revenu déclaré et les dépenses déclarées dans la partie inférieure de la répartition nous oblige à nous interroger sur les données de base utilisées pour mesurer la pauvreté. Nous ne pourrons jamais évaluer avec exactitude l'ampleur de la pauvreté tant que nous n'aurons pas réglé la question des revenus déclarés. Dans tous mes articles sur la pauvreté, je signale ce problème et j'invite Statistique Canada et les décideurs publics à se pencher sur la question de la qualité des données.
L'autre raison pour laquelle nous ne pouvons pas répondre à la question de savoir combien il y a de pauvres au Canada est qu'il n'existe pas de définition de la pauvreté qui soit acceptée et utilisée pour mesurer la pauvreté. Il existe deux grandes méthodes pour définir et mesurer la pauvreté. Selon la méthode relative, est pauvre toute personne qui a un revenu nettement inférieur à celui des autres membres de la société ou de la collectivité. Une mesure relative fréquemment utilisée est celle de la moitié du revenu moyen. Cette méthode est bien acceptée par les milieux de l'aide sociale. Elle voit dans la pauvreté un problème d'inégalité.
L'autre méthode est ce qu'on appelle la méthode absolue, qui considère la pauvreté comme un problème de manque de ressources. Avec cette méthode, est pauvre celui qui n'a pas ou qui ne peut acquérir les choses nécessaires à la vie. Il est évident que cette méthode comporte également un aspect relatif. Les choses nécessaires à la vie sont celles qui sont reconnues comme telles par votre propre société ou votre propre collectivité.
Un exemple de la méthode relative qui est souvent utilisée au Canada est le seuil de faible revenu, le fameux SFR, de Statistique Canada. La plupart d'entre vous le connaissent certainement. Cette mesure soulève des questions, en plus de sa complexité et du fait qu'elle est difficile à expliquer aux Canadiens.
Les provinces ont réagi au fait que ces seuils sont trop élevés pour représenter la pauvreté comme la plupart des gens la comprennent, ce qui a entraîné l'élaboration de la mesure fondée sur un panier de consommation. Les provinces ont clairement fait savoir qu'elles en avaient assez que l'on compare leurs prestations d'aide social au SFR, comme si le SFR représentait vraiment la pauvreté.
Autre préoccupation, Statistique Canada n'est même pas favorable à l'utilisation du SFR pour mesurer la pauvreté. Le statisticien en chef, M. Ivan Fellegi, a fait en 1997 cette déclaration, qui est très claire :
Depuis bon nombre d'années, Statistique Canada publie une série de mesures appelées seuils de faible revenu. Nous rappelons régulièrement et sans cesse la grande différence qu'il y a entre ces seuils et les mesures de la pauvreté. Les seuils de faible revenu s'obtiennent à l'aide d'une méthodologie logique et bien définie qui permet de déterminer qui s'en tire beaucoup moins bien que la moyenne. Bien entendu, s'en tirer beaucoup moins bien que la moyenne ne signifie pas nécessairement qu'on soit pauvre.
Avec la méthode de mesure fondée sur le SFR, ce qu'on appelle le « taux de pauvreté » au Canada serait aujourd'hui exactement ce qu'il était en 1981 — 15,9 p. 100. Selon le SFR, il semble qu'il n'y ait eu aucun progrès de fait dans la lutte contre la pauvreté pendant cette période, entre 1981 et 2004. Campagne 2000, qui utilise le SFR comme mesure de la pauvreté, a récemment rapporté que le taux de pauvreté chez les enfants avait augmenté de 17 p. 100 depuis 1989. De nos jours, un enfant sur six serait pauvre.
Un exemple de mesure absolue de la pauvreté est celui que j'ai élaboré, appelé « le seuil de la pauvreté fondé sur les besoins essentiels ». On a souvent reproché à cette mesure de donner des résultats trop faibles, voire d'être mal intentionnée. Je n'ai jamais très bien compris le sens de cette critique. Si nous voulons vraiment comprendre la pauvreté, pourquoi ne pas vouloir utiliser une mesure qui peut nous dire quel est le nombre de nos concitoyens qui n'ont pas les moyens d'assurer leurs besoins essentiels? Ces seuils sont faibles parce qu'ils représentent le coût des besoins essentiels dans les différentes régions du Canada.
À la différence des taux que j'ai donnés pour le SFR, le taux de pauvreté fondé sur les besoins essentiels a baissé d'environ 31 p. 100 entre 1981 et 2004. Pour vous rafraîchir la mémoire, je vous dirais que le taux de pauvreté fondé sur le SFR n'a pas évolué pendant cette même période. Le taux de pauvreté fondé sur les besoins essentiels a diminué d'environ 31 p. 100 au cours de cette période, passant de 7,1 à 4,9 p. 100. Cette évaluation est toutefois basée sur le revenu déclaré et nous avons déjà parlé de cette notion. À la différence des chiffres obtenus à partir du SFR qu'utilise Campagne 2000, la pauvreté fondée sur les besoins essentiels dans les familles avec enfants a diminué de 25 p. 100 depuis 1988.
Je suis depuis longtemps d'avis qu'on ne devrait pas utiliser le SFR pour mesurer la pauvreté. Mesurer les inégalités au Canada offre un certain intérêt, mais le SFR ne permet pas non plus de bien mesurer cet aspect.
La campagne Toonies for Tummies de la Grocery Industry Foundation of Canada a fait ressortir les problèmes que soulève l'utilisation du SFR. La campagne Toonies for Tummies a fait la manchette des journaux nationaux au cours des deux derniers mois. Les promoteurs de cette campagne prétendent, dans leurs annonces nationales et sur leur site Web, qu'un enfant canadien sur cinq a faim. Il n'existe absolument aucune étude scientifique qui justifie une telle affirmation. Lorsque j'ai parlé récemment à des journalistes, j'ai appris que cette affirmation se fondait sur les documents de Campagne 2000 qui utilisent le SFR comme s'il s'agissait d'un seuil de pauvreté. Bien entendu, le SFR est un seuil relatif et ne prétend absolument permettre d'évaluer les conséquences des privations, comme la faim.
Ma propre mesure de la pauvreté fondée sur les besoins essentiels cherche à cerner ce que représente une privation réelle et j'ai conclu, en me fondant sur des données les plus récentes, qui sont celles de 2004, qu'un enfant canadien sur 18 vit dans un ménage dont le revenu déclaré est inférieur au montant nécessaire pour répondre à tous les besoins essentiels de la vie. Ce rapport est bien loin de celui d'un enfant sur cinq et pourtant, la campagne de la Grocery Foundation a une portée nationale. Il est possible que certains Canadiens croient que 20 p. 100 des enfants canadiens ont faim, étant donné que nos représentants politiques ne remettent aucunement en question cette affirmation.
J'ai toujours recommandé que le Canada adopte un petit nombre de méthodes de mesure, deux ou trois peut-être, qui nous donneraient une image précise de l'ampleur de la pauvreté dans notre pays. Il est possible qu'une seule méthode ne nous apprenne pas tout ce que nous voulons savoir. En fait, c'est exactement ce que recommandait l'Accord de Copenhague de 1995 dont le Canada est signataire.
Cependant, quelle que soit la méthode de mesure adoptée, il nous sera impossible de progresser et de mieux cerner l'ampleur de la pauvreté tant que nous n'aurons pas réglé le problème des données. Il n'est pas possible de trop insister sur cet aspect.
Permettez-moi de conclure en disant que j'espère que les chercheurs dans ce domaine arriveront à un certain consensus au sujet d'une ou de plusieurs méthodes de mesure qui nous permettent de savoir de façon précise quelle est l'ampleur de la pauvreté au Canada. Le danger, bien sûr, serait que le choix de la définition de la pauvreté suscite un débat interminable qui détourne l'attention des pauvres et de leurs difficultés. Parallèlement, nous devons tous reconnaître que les gouvernements doivent rendre des comptes au sujet des sommes importantes qu'ils dépensent pour lutter contre la pauvreté. Si nous voulons élaborer des politiques intelligentes et efficaces, nous devons avoir une idée claire de la nature et de la dimension de cet important problème.
Le sénateur Mercer : Merci d'être ici ce soir. Nous sommes heureux du temps que vous nous consacrez et apprécions vos commentaires.
Vous m'avez toutefois laissé un peu perplexe. Vous avez dit que les données de Statistique Canada ne sont pas fiables. Ces données ne nous fournissent pas les statistiques dont nous avons besoin. Vous avez parlé de la campagne Toonies for Tummies qui utilisait le chiffre de un sur cinq pour le nombre des enfants canadiens qui ont faim. Avec votre méthode de mesure, que je ne suis pas sûr de bien comprendre, vous parlez d'un 1 enfant sur 18. C'est une différence énorme. Il me semble qu'il doit y avoir une façon plus scientifique de mesurer cette réalité.
Vous avez raison lorsque vous dites que Statistique Canada obtient ses données auprès des personnes qui répondent à des questionnaires; le gouvernement n'a-t-il pas accès à d'autres données qui permettraient d'effectuer une analyse plus précise du revenu, qui ne seraient pas basées pas sur les chiffres fournis par des personnes qui doivent déclarer qu'elles sont pauvres?
Il me semble que vous avez dit qu'il y a beaucoup de gens qui se disent pauvres et qui ne le sont pas. Je pense que ces personnes-là auraient du mal à accepter votre affirmation.
M. Sarlo : Nous utilisons deux méthodes pour obtenir auprès des Canadiens des informations à partir desquelles nous construisons nos bases de données et pour savoir quelle est la situation économique des Canadiens. La première consiste à faire des sondages; nous demandons à certaines personnes de déclarer le revenu qu'elles ont gagné l'année précédente. L'autre consiste à se servir des données contenues dans les déclarations de revenus. Nous savons, grâce aux opérations de rapprochement qu'effectue Statistique Canada et grâce aux travaux du vérificateur général, que ces données ne sont pas fiables. Le vérificateur général a fait remarquer que le Canada perdait des milliards de dollars chaque année à cause de l'évasion fiscale; il y a donc un certain nombre de personne, je ne parle pas de toutes les personnes, qui ne déclarent pas leurs revenus de façon exacte. C'est ce qu'on constate avec les sondages.
Je souhaiterais que le gouvernement demande une étude sur la façon d'obtenir des renseignements exacts. Je trouve cela très frustrant, tout comme vous. Je fais de la recherche sur la pauvreté. J'essaie de me procurer des données fiables pour que je puisse produire des études aussi exactes que possible. Je ne suis pas sûr de mes analyses. Je pense qu'elles reflètent à peu près la réalité, en termes de besoins essentiels. Je les utilise et je publie mes analyses mais je mentionne toujours que je ne suis pas sûr de la fiabilité des chiffres que j'utilise, précisément à cause du problème des revenus non déclarés.
Le sénateur Mercer : L'évasion fiscale n'a rien à voir avec la pauvreté. C'est illégal et c'est une sorte de sport pour certains, mais cela ne nous aide pas à mesurer la pauvreté, en particulier dans les régions rurales. Vous nous dites que les données que nous aurions naturellement tendance à utiliser, celles de Statistique Canada, ne sont pas fiables, mais personne, pas même vous, ne nous a fourni la moindre indication sur l'endroit où se procurer des données fiables.
Je pense que ces données fiables doivent se trouver dans les dossiers des municipalités qui s'occupent des pauvres sur une base quotidienne, des personnes qui n'arrivent pas à nourrir leurs enfants et qui les envoient à l'école le ventre vide, et celles qui ne peuvent payer leurs factures parce qu'elles n'ont pas de revenus pour diverses raisons ou parce que l'argent obtenu n'est pas géré correctement, parce que c'est là un autre type de pauvreté.
Y a-t-il une réponse?
M. Sarlo : Je comprends ce que vous dites. En l'absence de mesures fiables, ce sont les gens au niveau local, les organismes qui offrent des services et les groupes bénévoles qui doivent nourrir les pauvres et les aider. Je dis simplement qu'un gouvernement responsable a besoin d'avoir accès à des données exactes. Il doit être en mesure de dire à la population canadienne qu'il sait ce qu'est la pauvreté, qu'il l'a définie, qu'il dispose de renseignements fiables qui nous disent combien il y a de pauvres et s'ils vivent dans des régions rurales ou urbaines. Il serait alors en mesure d'utiliser ces données comme référence. Grâce à ces données, il pourrait savoir si les politiques qu'il applique sont efficaces ou non.
Je dis que, sur le plan de la responsabilité, il est important que les politiciens disposent de mesures précises et entre- temps, bien sûr, il faut aider les pauvres, mais je pense qu'il est absolument essentiel d'avoir accès à des mesures exactes.
Le sénateur Mercer : Nous avons mis sur pied un système où nous avons des lois très strictes en matière de protection des renseignements personnels — même si certains parleraient de lois sur l'accès à l'information d'inspiration libérale — qui limitent notre capacité à étudier ces chiffres, en réalité. Avons-nous créé nous-mêmes ce problème? Nous constatons qu'il y a un problème parce que les données l'indiquent, mais n'est-ce pas nous qui avons adopté les règles qui nous empêchent d'avoir accès à ces données?
M. Sarlo : J'aimerais beaucoup que les membres du comité parlent à des représentants de Statistique Canada. Les autres pays font face à des problèmes du même genre et ont peut-être adopté des solutions qui mériteraient d'être examinées. Je serais intéressé à entendre ce que ces représentants auraient à dire parce que cela fait longtemps que je travaille sur ce problème. C'est très frustrant et j'aimerais beaucoup trouver une solution. Je reconnais qu'il est important de protéger les renseignements personnels, mais nous dépensons des milliards de dollars et il est essentiel d'avoir des définitions et des informations claires.
Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné les autres pays. Ma dernière question est la suivante : quels sont ceux qui font mieux que nous? Devrions-nous examiner ce que fait un pays en particulier au sujet de la mesure de la pauvreté?
M. Sarlo : Je n'ai pas étudié les questions de pauvreté dans le monde entier, mais j'examine les données américaines. On a fait en 1995 une sérieuse tentative pour tenir compte de nombreuses choses qui ne figuraient pas dans les données, comme le logement subventionné. Cela fait une grande différence dans la vie des citoyens parce que cela leur a donné accès à des logements abordables. Il est possible que leur revenu ait été sous-évalué parce qu'ils bénéficiaient d'un logement subventionné. Au Canada, nous devrions peut-être inclure les soins de santé, ce genre de choses. Il existe des façons d'examiner plus globalement cette question. Cela ne sera pas facile mais il y a des études américaines qui pourraient nous aider à y parvenir.
La présidente : Monsieur Sarlo, nous avons entendu des représentants de Statistique Canada sur cette question. Nous serions heureux de vous envoyer une copie de ce qu'ils ont présenté au comité.
M. Sarlo : Cela m'intéresserait.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Sarlo, vous avez parlé de l'importance de disposer de mesures fiables de la pauvreté et vous avez mentionné que vous aviez mis sur pied une mesure de la pauvreté appelée la mesure de la pauvreté fondée sur les besoins essentiels. D'où tirez-vous vos chiffres pour effectuer cette mesure? Préparez-vous des mesures pour chaque province? Y a-t-il des différences entre les zones rurales et urbaines?
M. Sarlo : Oui. J'ai une liste des besoins essentiels, que je publie depuis 1992. J'ai modifié ces besoins dans ma liste la plus récente, celle de 2001, pour tenir compte des commentaires et des critiques qui ont été faits au sujet de ce qui devrait figurer ou ne pas figurer dans cette liste. J'ai une liste d'articles qui, peut-on prétendre, devraient figurer sur la liste des besoins essentiels de la plupart des gens. J'ai établi ensuite le coût de chacun de ces articles pour les diverses villes du Canada. Par exemple, je me sers de renseignements provenant de la SCHL pour savoir quel est le loyer moyen d'un appartement dans diverses villes. J'obtiens des renseignements auprès de Statistique Canada au sujet du coût de la nourriture et auprès d'agences sociales pour ce qui est du coût des vêtements, et cetera. C'est un exercice fastidieux mais j'ai des étudiants qui m'aident à compiler les données pour établir les coûts dans les régions urbaines. Je n'ai pas exclu les pauvres des régions rurales, dont la situation est, d'après ce que je sais, très difficile, mais il n'existe pas beaucoup de données sur les petites collectivités. Par exemple, la SCHL ne possède aucune information sur les collectivités de moins de 10 000 habitants; je dois également tenir compte des limites des données. J'imagine que les grandes agences, comme Statistique Canada, ont accès à davantage d'informations qui peuvent porter sur les zones rurales.
Après avoir établi le montant des dépenses, je prépare une sorte de moyenne pondérée pour chacune des provinces et pour l'ensemble du Canada. La moyenne pondérée commence au niveau de la collectivité parce qu'il existe de grandes différences entre le coût de la vie dans des endroits comme Vancouver et Toronto et dans les petites collectivités des Maritimes.
Le sénateur Callbeck : Faites-vous cela depuis 1992?
M. Sarlo : J'ai commencé avant. Ma première publication remonte à 1992 mais je travaille sur ce sujet depuis la fin des années 1980.
Le sénateur Callbeck : Les diminutions dont vous avez parlé dans votre exposé étaient-elles fondées sur votre méthode de mesure?
M. Sarlo : C'est exact.
Le sénateur Tkachuk : J'ai une question ou deux sur la répartition par région. Lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Callbeck, vous avez dit que vos chiffres venaient de la population urbaine et non pas de la population rurale. Où vivent les pauvres au Canada, d'après votre méthode de mesure? Je ne pense pas que les mesures fondées sur le SFR qu'utilise Statistique Canada soient très bonnes.
M. Sarlo : J'ai présenté une répartition par province dans la publication de 2001, même si ce n'est pas la publication la plus récente, et elle a paru en automne. On peut obtenir ces résultats sur le site Web de l'Institut Fraser. À cette époque, la Colombie-Britannique avait un taux de pauvreté élevé par rapport au Québec, par exemple. J'ai trouvé que cette différence était curieuse, puisque la répartition du revenu dans les deux provinces était semblable et que le revenu moyen était également semblable.
Je pense, en tant qu'économiste, que la différence vient du fait que le coût de la vie en Colombie-Britannique est beaucoup plus élevé, en particulier le coût du logement. Le seuil de pauvreté reflète les sommes que les gens doivent dépenser pour vivre, et ces sommes étaient beaucoup plus élevées en Colombie-Britannique qu'elles ne l'étaient au Québec, même si dans les deux provinces, le revenu était réparti de façon semblable. Si le seuil de la pauvreté est élevé en Colombie-Britannique, cela veut dire qu'il y a davantage de gens qui vivent en-dessous de ce seuil, parce que celui-ci est plus élevé. Cela s'explique en partie. Je pourrais adopter un point de vue plus large et appliquer les seuils de pauvreté aux données des années 1950 et 1960, et j'ai des renseignements sur les provinces depuis 1973. D'une façon générale, les provinces maritimes ont été plus touchées par la pauvreté que les autres parties du Canada — Terre-Neuve en particulier. Je me suis principalement intéressé au taux de pauvreté au Canada. Je comprends que le comité aimerait examiner la pauvreté d'un point de vue régional, et que je ne lui suis pas d'un grand secours. Je peux tout de même vous dire que les provinces maritimes sont les plus pauvres.
Le sénateur Tkachuk : Qui sont les pauvres? Avez-vous un profil des personnes que vous qualifiez de pauvres?
M. Sarlo : Oui. Encore une fois, ma dernière publication ne présente pas cette répartition parce que c'était une publication abrégée. On rencontre les taux de pauvreté les plus élevés chez les jeunes de moins de 25 ans et chez les parents célibataires. Il y a une chose à noter et dont vous parleront la plupart des témoins, c'est que chez les personnes âgées, la pauvreté a reculé sensiblement. Cela est vrai que l'on utilise la méthode du SFR ou celle des besoins essentiels. Il y a aujourd'hui moins de pauvreté chez les personnes de 65 ans et plus. Il y a des différences régionales mais elles ne méritent pas vraiment qu'on s'y attarde. Les deux groupes que j'ai mentionnés, les jeunes et les parents célibataires, sont particulièrement vulnérables.
Le sénateur Tkachuk : Ce problème vient-il en partie du niveau d'instruction des jeunes? Il me semble que leurs revenus soient peut-être moins élevés parce qu'ils entrent sur le marché du travail après une 12e année et risquent de travailler au salaire minimum. Il y a peut-être des gens qui ont du mal à trouver du travail au début, même si de nos jours j'ai du mal à le croire. Cela a déjà été un problème. Est-ce donc davantage une question de démarrage ou y a-t-il un groupe de jeunes qui sont chroniquement pauvres pour des raisons reliées à leur famille, à l'éducation ou à des problèmes psychologiques?
M. Sarlo : Ma conclusion est que c'est la première hypothèse, que les personnes sont en phase de démarrage. Il est parfois difficile de trouver ce premier emploi. Les gens commencent à travailler à temps partiel, ce qui explique que leur revenu annuel soit peu élevé. Il y a aussi des gens qui ne savent pas très bien ce qu'ils veulent faire et qui changent d'emploi souvent. Là encore, ces changements expliquent que leur revenu soit faible.
De plus, il est important de savoir que les étudiants des collèges et universités font partie de ce groupe. Statistique Canada inclut dans le revenu les gains obtenus par ces personnes ainsi que leurs bourses, et il arrive que le total de leurs gains et de leurs bourses ne soit pas élevé. Statistique Canada n'inclut pas l'aide financière, qui est la principale source de financement pour la plupart des étudiants. Je comprends pourquoi Statistique Canada ne le fait pas; un prêt étudiant n'est pas un revenu. Néanmoins, nous sous-évaluons la situation réelle de plus d'un million des étudiants qui fréquentent une université ou un collège, lorsque nous nous limitons au revenu déclaré.
Le sénateur Tkachuk : Bien sûr, cela ne comprend pas non plus les chèques que leur envoient leurs parents, peut-être, pour le loyer, la nourriture ou d'autres choses, parce que cet argent représente des sommes qui ont déjà été imposées.
M. Sarlo : Vous avez raison. Les dons provenant des parents ou d'autres personnes ne sont pas inclus dans le revenu.
Le sénateur Tkachuk : Je voulais vous poser une question au sujet du second groupe. Ces deux groupes nous ont déjà été mentionnés. Je n'ai jamais assisté à une séance du comité au cours de laquelle nous avons eu une bonne discussion au sujet de ces deux groupes — les jeunes et les parents célibataires, qui représentent un problème social non seulement au Canada mais également chez nos voisins du Sud.
S'agit-il de parents célibataires qui ont déjà été mariés ou de parents qui ont toujours été célibataires, parce qu'ils ont eu des enfants hors mariage pendant qu'ils étaient à l'école secondaire?
M. Sarlo : Franchement, cette question dépasse mes connaissances. Il y a des démographes qui pourraient vous en dire beaucoup plus au sujet de la répartition des parents célibataires. Je sais que c'est un mélange des deux — des gens qui n'ont jamais été mariés et ceux qui sont séparés ou divorcés —, mais mes études n'ont pas porté sur cet aspect.
Le sénateur Tkachuk : Il me semble que les gouvernements devraient s'attaquer à la cause de la pauvreté, et pas seulement à la pauvreté elle-même. Si l'on veut réduire le taux de pauvreté chez les parents célibataires, il faudrait diminuer le nombre des parents célibataires — s'il y avait moins d'adolescentes enceintes, le taux de pauvreté diminuerait. C'est une question sociale.
L'autre question sociale est celle du divorce; il faut que les pères assument leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants. J'aimerais savoir si les gouvernements font ce genre de choses ou suis-je seule à dire qu'il faudrait aborder ces questions et non pas celles auxquelles nous nous intéressons?
M. Sarlo : Je conviens que les décideurs publics devraient examiner les causes de la pauvreté. Je ne sais pas s'il existe beaucoup d'études scientifiques sur ce sujet. C'est un sujet qui m'intéresse également.
Pour ce qui est de la séparation et du divorce, il y a des études qui parlent de méthodes plus contraignantes pour obliger les parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants à s'en occuper. Pour le reste, ma recherche a plutôt porté sur les questions de mesure et sur la façon d'évaluer avec précision la nature et l'ampleur du problème. Pour ce qui est de la question de politiques, je pense que vous avez tout à fait raison. Il faut examiner les causes parce que le gouvernement doit rendre des comptes au sujet de l'argent qu'il dépense et que les Canadiens veulent être sûrs que l'on s'attaque non seulement aux symptômes, mais aussi aux causes.
Le sénateur Mahovlich : J'ai grandi à Timmins et je ne pensais pas qu'il y avait des pauvres autour de moi. C'est peut-être parce que nous étions tous pauvres et si personne ne se considérait comme pauvre, c'est parce que nous nous aidions mutuellement. Nous étions tous des travailleurs et les gouvernements ne s'occupaient pas de ça.
La société devrait-elle demander au gouvernement de s'attaquer à ce problème ou devrions-nous essayer de le résoudre nous-mêmes? Est-ce bien là un rôle pour les gouvernements?
M. Sarlo : Je vais essayer de vous répondre. Lorsqu'on examine la recherche que j'ai effectuée, on constate qu'entre 1951 et le milieu des années 1970, la pauvreté a connu diminution très importante. C'était une époque où il n'y avait pas beaucoup de programmes sociaux gouvernementaux.
Cependant, par la suite, la pauvreté a beaucoup moins diminué — du moins la pauvreté que je mesure. Nous sommes passés d'un taux de pauvreté d'environ 40 p. 100 à un taux de près de 10 p. 100 au cours des années prospères que nous avons connues, les années 1950, 1960 et le début des années 1970.
Je pense que le pauvre d'aujourd'hui n'appartient pas à la même catégorie que le pauvre d'hier. Il y a encore des gens qui pourraient se sortir de la pauvreté avec un bon travail bien rémunéré, mais dans l'ensemble, à l'heure actuelle, les gens éprouvent davantage de difficultés que ceux qui vivaient pendant les années 1950 et 1960.
Ces personnes ont peut-être du mal à s'adapter, à vivre en parent célibataire, à renoncer à leur toxicomanie, ce genre de choses. Ce groupe connaît des problèmes très divers. Il est peut-être plus difficile de faire passer la pauvreté de 10 à 5 p. 100 ou de 5 à 2 p. 100 que de la ramener de 40 à 10 p. 100 à une époque où il suffisait d'avoir un bon emploi et un salaire réel élevé pour pouvoir améliorer son niveau de vie.
Je vois qu'il faut tenir compte du fait que la nature de la pauvreté a changé et qu'elle n'est plus ce qu'elle était à cette époque. Je pense néanmoins que la plupart des Canadiens reconnaîtraient qu'il y avait beaucoup d'entraide au cours des années 1950 et 1960, beaucoup moins d'intervention de la part des gouvernements et que les gens arrivaient à se sortir de la pauvreté.
Le sénateur Mahovlich : Je crois que les temps ont changé. Vous avez mentionné qu'en Colombie-Britannique, le coût de la vie était élevé et qu'il y avait beaucoup de pauvreté. En Ontario, dans la ville de Toronto, le coût de la vie est élevé, je crois; cela coûte cher. Y a-t-il davantage de pauvreté à Toronto que n'importe où ailleurs au Canada?
M. Sarlo : Je n'ai pas examiné la pauvreté dans les différentes villes. Cela vient du fait que nos enquêtes portent sur de petits échantillons — ils sont réduits au point où il est difficile de faire ce genre de choses avec précision.
Cependant, vous avez raison; le coût de la vie à Toronto est certainement élevé. Il y a davantage de gens qui vivent en-dessous du seuil de la pauvreté parce que leurs revenus sont faibles; d'autres études le montrent également. Pour le reste de l'Ontario, il y a des différences mais là où je vis, à North Bay, et là où vit le sénateur Mahovlich à Timmins — et cela vise également d'autres villes —, les choses coûtent beaucoup moins cher. Il y a de nombreuses collectivités où la vie est moins chère et il faut en tenir compte. Mais vous avez raison. Une grande ville comme Toronto influence lourdement les statistiques ontariennes.
Le sénateur Segal : Monsieur Sarlo, bienvenue et merci non seulement pour le temps que vous nous consacrez ce soir mais pour l'excellent travail que vous avez accompli sur la question de la mesure de la pauvreté. Il a enrichi le débat sur cette question au Canada et nous a aidés à sortir d'une orthodoxie parfois peu constructive et qui, comme vous l'avez mentionné, n'est pas aussi statistiquement fiable que certains aimeraient nous le faire croire.
J'aimerais vous poser une question précise au sujet de votre norme fondée sur les besoins essentiels et ensuite vous demander des conseils sur le défi que soulève plus précisément la pauvreté rurale.
Si l'on tient pour acquis que les mesures fondées sur le SFR suscitent des interrogations parce que ce sont des mesures relatives et non pas absolues, et si l'on compare cette méthode aux avantages de la méthode fondée sur les besoins essentiels, par exemple, et qu'on établit un seuil de cette façon, cela ne touche pas toujours le stigmate de la pauvreté.
Il faut évidemment reconnaître qu'une mesure économique ne peut aborder ces autres aspects. Je pense que tous ceux qui sont ici, et la société en général, s'inquiètent de cet aspect; l'enfant qui est le seul de sa classe à ne pouvoir participer à une journée d'activités et qui se sent ainsi mis à l'écart.
Nous pourrions nous trouver dans une situation où l'enfant d'une famille d'agriculteurs, par exemple, ne mange pas suffisamment pendant plusieurs jours parce que la somme de 40 $ qui aurait été normalement utilisée pour acheter de la nourriture a dû être utilisée cette semaine-là pour payer des factures d'électricité ou acheter une nouvelle paire de bottes. Cela arrive de temps en temps lorsque les enfants grandissent.
Même les familles qui ont suffisamment d'argent pour se vêtir, se nourrir et se loger et respecter leurs obligations, peuvent être pauvres. Que va faire, par exemple, une famille qui vit dans une région où, selon votre méthode de mesure, je crois — on utilise le transport en commun mais qui vit dans une région rurale où il n'y a pas de transport en commun et qui n'a pas les moyens de posséder un véhicule pour toutes sortes de raisons?
J'étais très attiré et intéressé par l'anomalie que vous avez signalée au sujet du revenu déclaré et des dépenses déclarées. Il y a deux façons de considérer cet aspect. Je ne dis pas que c'est ce que vous avez dit, mais on pourrait déduire de cette anomalie que les pauvres ont parfois tendance à profiter du système. Bien sûr, on pourrait également dire que, lorsqu'on est pauvre, la seule solution est de profiter du système si l'on veut survivre. Je ne préconise aucune de ces deux solutions mais je voulais mentionner que les gens qui profitent du système représentent peut-être un des aspects de notre problème.
Il s'agit de savoir dans quelle mesure les relations humaines essentielles dont le sénateur Mahovlich a parlé, le fait que les gens s'entraident et font partie d'un groupe, sont de nature communautaire.
Ma seconde question, et c'est, je crois, sur ce point que vous pourrez nous donner des avis ou des conseils extrêmement utiles pour nous, porte sur la nature différente des régions rurales du Canada. Nous savons que les revenus agricoles n'ont jamais été aussi bas. Nous savons que les banques alimentaires se sont multipliées dans les régions rurales. Nous savons que la transmission des exploitations agricoles d'une génération à l'autre a chuté en Ontario pour passer à 7 p. 100 parce que cette transmission n'est plus viable. J'accepte l'analyse économique selon laquelle les gens doivent suivre les emplois et une économie dynamique a un aspect destructeur : certaines activités disparaissent, d'autres apparaissent et les gens s'y adaptent. Je comprends comment cela fonctionne et je ne pense pas que cela soit toujours mauvais. Cependant, entre-temps, il y a des vies qui sont touchées. Je pense que les gens qui sont assis autour de la table voudraient pouvoir recommander au gouvernement la meilleure façon d'aider ces personnes. Il se peut que le gouvernement doive s'abstenir de faire certaines choses et, en fait, cesser de faire certaines choses pour que la collectivité puisse les faire elle-même de façon plus efficace.
J'aimerais avoir votre point de vue sur les critiques dont a fait l'objet votre propre méthode de mesure, connaître les conseils que vous pourriez nous donner au sujet de la question de la pauvreté rurale, même si les méthodes utilisées pour la mesurer sont, pour diverses raisons, inefficaces.
M. Sarlo : Dans mes écrits, je soutiens que l'établissement de seuils de pauvreté fondés sur les besoins essentiels représente une sorte de moyenne. Cette méthode examine les gens en général; elle examine les gens qui sont, en particulier, en bonne santé. Les situations particulières s'écartent de la norme : une personne handicapée ou une personne qui doit assumer des coûts médicaux ou autres particulièrement élevés. Il faut établir ce que nous appelons des seuils de pauvreté personnelle. Chacun a son propre seuil de pauvreté. Je ne peux pas toutefois utiliser 30 millions de seuils de pauvreté personnelle. Dans le cas du Canada rural, par exemple, si nous voulions obtenir de bonnes données, il faudrait établir un seuil applicable à la plupart des gens, en tenant compte des situations particulières.
Par exemple, comme vous l'avez mentionné, le transport coûte souvent beaucoup plus cher dans les régions rurales, alors que le logement est parfois moins cher, dans certains cas. À quel niveau est-ce que ces facteurs se compensent-ils et pouvons-nous trouver un seuil qui nous permette de vraiment savoir ce qui se passe?
Cela est possible. Là encore, je n'ai pas les ressources qui me permettraient de le faire, mais il y a des agences qui les possèdent.
La question du stigmate de la pauvreté est une bonne question. Je pense qu'il faudrait également examiner cet aspect. Je me suis principalement attaché à étudier les besoins essentiels, mais ce n'est pas parce que je pense que les pauvres devraient se contenter de combler ces besoins, et je crois qu'il y a là un réel problème de compréhension. On m'a reproché de vouloir limiter le revenu des pauvres. J'espère qu'un jour personne ne vivra en-dessous du seuil fondé sur les besoins essentiels, mais entre-temps, il faut quand même mesurer ces besoins pour pouvoir comprendre la pauvreté. Il faut savoir combien de nos concitoyens ne peuvent assurer leurs besoins essentiels. Si nous pouvions régler le problème des données relatives au revenu, cela nous aiderait beaucoup à comprendre la situation actuelle et à fournir aux décideurs des données fiables sur lesquelles baser leur action.
Je ne suis pas qualifié pour vous en dire beaucoup plus au sujet des questions rurales et je reconnais que vous faites face à un défi. Il est utile d'examiner cette question. Je ne l'ai pas fait pour la seule raison que je ne dispose pas de suffisamment de données, mais je sais que le problème existe. Lorsque j'ai voyagé avec mes enfants au Canada, j'ai vu des maisons qui ne conviendraient même pas à des animaux. Ce sont des situations fort tristes et je souhaite au comité d'arriver à proposer des solutions susceptibles de régler ce problème. Mais encore une fois, je sortirais de mon domaine d'expertise si je vous suggérais quoi que ce soit.
Le sénateur Segal : Comment pourrait-on utiliser votre méthode de mesure fondée sur les besoins essentiels, d'après ce que vous savez, pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés avec nos Premières nations autochtones qui vivent dans les régions rurales du Canada? Pensez-vous qu'il faudrait procéder à une répartition de ces populations ou que l'on peut utiliser pour elles les mêmes méthodes de mesure, étant donné que les chiffres sont toujours des chiffres et que, s'ils sont suffisants pour une famille, ils devraient également l'être pour n'importe quelle famille? Je n'ai pas de biais sur ce point mais j'aimerais entendre votre point de vue.
M. Sarlo : Je ne ferais pas trop d'ajustements. S'il est évident qu'un groupe particulier doit assumer des coûts sensiblement plus élevés pour une bonne raison économique, alors parfait, on peut faire un ajustement. Mais d'une façon générale, je dirais qu'il faut mesurer le coût des choses essentielles dans chaque collectivité et ensuite, dénombrer les personnes qui ne peuvent couvrir ce coût avec leur revenu. C'est ce que je suggérerais.
Le sénateur Peterson : Merci, monsieur Sarlo. C'est là que réside le problème. Vous n'êtes pas très satisfait de l'information que fournit Statistique Canada, vous semblez avoir défini ce qu'est la pauvreté, mais nous ne savons pas combien il y a de pauvres, ni où ils se trouvent.
Existe-t-il un moyen d'obtenir cette information? Je sais qu'il faut respecter la vie privée mais si nous avions une sorte de modèle, pourrions-nous nous adresser à un ministère provincial des services sociaux et lui demander de nous fournir certains chiffres? Comment faire pour connaître le nombre de personnes qui sont touchées par la pauvreté? Avant de résoudre ce problème, il faut, je crois, savoir combien il y en a.
M. Sarlo : Absolument. Je ne voudrais pas minimiser le problème. J'ai moi-même beaucoup réfléchi à la façon de trouver de bonnes données. Là encore, il y a des études américaines qui pourraient être utiles. Il y a également des experts à Statistique Canada. Je ne sais pas. Vous avez dit que les représentants de Statistique Canada avaient déjà comparu devant le comité. Ont-ils parlé des problèmes que leur posait la notion de revenu? S'ils ne l'ont pas fait, il faudrait peut-être les faire revenir et leur poser cette question. Ces données sont-elles fiables? Peut-on vraiment dire qu'une personne qui ne déclare aucun revenu n'a effectivement aucun revenu? Si cette donnée est fiable, vous pouvez leur demander : comment vivent ces personnes? Comment peuvent-elles vivre sans aucun revenu? Il faudrait peut-être que ces gens relèvent le défi que pose l'obtention de bonnes données avant que les sénateurs et les parlementaires puissent élaborer des politiques. C'est une question difficile. Il faut peut-être utiliser des groupes de discussion ou d'autres méthodes pour arriver à la vérité. Il existe peut-être des façons indirectes d'obtenir cette information, mais je peux vous dire que je me suis heurté à de graves problèmes dans mon travail et que cela est très frustrant. Comme je le dis, je pense avoir une idée approximative du nombre des pauvres qui vivent au Canada, en utilisant ma méthode fondée sur les besoins essentiels. J'ai une idée générale mais je sais que quelque chose m'échappe. Je sais qu'il y a des lacunes. Je publie quand même mes chiffres parce qu'ils me paraissent utiles et qu'ils devraient alimenter le débat, mais j'aimerais beaucoup que Statistique Canada aborde cette question.
Le sénateur Gustafson : Comme vous le savez tous, cette question est complexe. Comme vous l'avez dit dans votre exposé : comment mesurer la pauvreté? Notre comité s'occupe d'agriculture et une partie de notre travail consiste à mesurer la pauvreté dans les régions agricoles. Au cours des trois dernières années, il est arrivé que dans certaines régions agricoles, les agriculteurs n'aient obtenu aucun revenu — leur revenu était négatif. Il y a des gens qui vivent sur l'argent qu'ils ont épargné. Il y a des problèmes graves. Je ne voudrais pas que vous m'en disiez trop, mais que pensez- vous de l'idée d'un revenu garanti?
M. Sarlo : D'un revenu annuel garanti?
Le sénateur Gustafson : Oui, que pensez-vous d'un revenu garanti versé par le gouvernement?
M. Sarlo : Curieusement, j'ai déjà écrit sur ce sujet. J'ai sérieusement essayé d'évaluer cette proposition et d'établir ce que serait un coussin de réserve qui encouragerait tous les Canadiens à travailler et empêcherait également que leur revenu tombe en-dessous d'un certain seuil. Il serait bon d'examiner cette idée et elle susciterait un large débat. Certains diraient que nous avons déjà adopté cette idée avec nos programmes d'aide sociale provinciaux parce qu'on peut les comparer à un mécanisme qui assure à la population un revenu annuel garanti. On devrait peut-être envisager une aide sociale modifiée qui inciterait les gens à travailler, mais qui leur accorderait un soutien lorsqu'ils ne peuvent pas travailler. J'ai écrit des articles qui traitent de la façon dont cela pourrait se faire et des avantages et des désavantages d'une telle proposition. Elle mérite d'être examinée.
Le sénateur Gustafson : Avez-vous étudié les allocations familiales versées par les provinces?
M. Sarlo : Je sais qu'il y a la prestation nationale pour enfants qui est, je crois, la même pour toutes les familles qui se trouvent dans la même situation. Je crois savoir que cette prestation a été relevée ces dernières années.
J'examine le revenu total, qui comprend donc toutes les ressources dont dispose le ménage, en tenant compte des exceptions que j'ai mentionnées plus tôt. Les allocations familiales font donc partie du revenu familial.
Le sénateur Gustafson : J'ai reçu à peu près la même formation que notre joueur de hockey, le sénateur Mahovlich. Nos parents nous disaient qu'en travaillant beaucoup, on pouvait réussir, ce que nous avons fait, et que, grâce au travail, on pouvait s'en sortir. Les temps ont toutefois changé. De nos jours, il n'y a plus beaucoup d'agriculteurs qui tuent leur vache ou qui élèvent des poulets. Toutes ces choses concernent directement nos attentes face à la vie, d'une certaine façon. Pourtant, comme l'a dit le sénateur Mahovlich, nous avions peut-être plus de certitudes à cette époque que nous en avons maintenant.
Que pouvons-nous faire à ce sujet? Je suppose qu'il n'y a pas grand-chose à faire.
M. Sarlo : J'aimerais mentionner un aspect que mes collègues du milieu de l'aide sociale mettraient probablement de l'avant : les gens ont du mal à s'adapter pour diverses raisons — problèmes de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale, et cetera. Il y a des gens qui vivent des situations très difficiles en ce moment et nous espérons pouvoir les aider à régler leurs problèmes. Mais entre-temps, il leur arrive de tomber en-dessous du seuil de pauvreté. Il faudrait décomposer tous ces éléments pour que les décideurs disposent de l'information dont ils ont besoin pour élaborer de meilleures politiques.
Le sénateur Gustafson : J'ai une autre question sur les banques alimentaires, les dons de charité et le soutien que le gouvernement accorde aux familles. Peut-on dire que les Canadiens sont généreux?
M. Sarlo : Je dirais que nous sommes relativement généreux. Je sais que cela varie selon les régions. Je crois savoir que c'est à Terre-Neuve que les gens sont le plus généreux. Il est important que les gens partagent ce qu'ils ont avec les autres membres de leur collectivité. Il arrive que l'aide fournie par des organismes de charité soit plus efficace, sur certains plans, que l'aide du gouvernement. Les gens sentent qu'il existe un lien plus direct avec les autres membres de leur collectivité lorsqu'ils donnent directement, et c'est peut-être une façon plus efficace d'aider les pauvres qu'en leur faisant simplement parvenir un chèque du gouvernement.
Le sénateur Gustafson : Il est possible que la majeure partie de nos dons de charité soit destinée à l'aide internationale plutôt qu'à l'aide nationale ou locale.
M. Sarlo : Voilà une remarque intéressante. C'est peut-être parce que nous pensons que la pauvreté est plus grave dans d'autres pays.
Le sénateur Tkachuk : Je vais poursuivre sur les questions qu'ont posées d'autres sénateurs et aussi sur les questions que j'ai posées plus tôt. J'ai toujours pensé que ce n'était pas en donnant de l'argent que l'on pourrait résoudre ce problème. Il y a des gens qui sont pauvres malgré eux, parce qu'ils sont handicapés ou pour une autre raison. Vous avez dit qu'il était plus facile de résoudre le problème lorsque les chiffres étaient élevés parce qu'il fallait alors s'occuper des aspects économiques ou liés à l'emploi. Lorsque ces problèmes sont réglés, les pourcentages commencent à baisser. Il devient alors plus difficile de faire baisser des pourcentages peu élevés parce que les problèmes qui demeurent sont plus difficiles à résoudre.
De plus, vous avez dit que la majorité des pauvres étaient des parents célibataires et des jeunes de moins de 25 ans. Nous avons parlé de cela dans les secteurs ruraux et nous avons constaté qu'il fallait que les chèques s'accompagnent de programmes. Par exemple, les toxicomanes ont besoin de centres de désintoxication et de services de counseling, il y a toutes les choses dont ces personnes ont besoin pour résoudre leurs problèmes et ne plus avoir besoin d'aide sociale. Il y a aussi les questions sociales qui sont à l'origine de la pauvreté. Il n'est pas bon pour la personne qui reçoit de l'aide sociale d'avoir d'autres enfants sans être mariée et de continuer à recevoir des chèques d'aide sociale, ce qui est une autre question. Lorsque quelqu'un reçoit de l'aide, il faut lui fournir les moyens de lutter contre ce problème, peut-être grâce à l'éducation.
M. Sarlo : J'ai un ou deux brefs commentaires. J'ai toujours pensé que les questions difficiles que pose la pauvreté aujourd'hui, par rapport à celles auxquelles nous faisions face au cours des années 1950 et 1960, exigent probablement que des spécialistes se chargent d'aider les gens sur une base individuelle. Que cela soit relié aux chèques et fasse partie obligatoirement de l'aide sociale ou des autres aides gouvernementales, je ne suis pas qualifié pour le dire. Je n'ai pas étudié cet aspect en détail, mais il y a des gens qui pourraient vous dire des choses plus intelligentes sur cette question.
Il me semble qu'il y a des gens qui ne sont pas prêts, à ce moment-ci de leur vie, à accepter un travail qui leur permettrait de sortir de la pauvreté. Ils ne sont pas prêts pour diverses raisons, et je laisserais à ces évaluateurs professionnels le soin de le dire et aux conseillers professionnels celui de les aider à en arriver à un point où ils sont en mesure de prendre un emploi. Je reconnais que l'aide dont ils ont besoin pourrait être une des causes du problème.
La présidente : Merci d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité ce soir. Nous avons eu une discussion intéressante. Monsieur Sarlo, je vous invite à communiquer avec le comité si vous avez des renseignements supplémentaires qui seraient utiles pour notre étude. Nous serions heureux que vous le fassiez.
Le sénateur Tkachuk : Nous devrions entendre des représentants de Statistique Canada sur ces questions. Ce sont des choses intéressantes. Il a raison — ces gens-là publient des analyses sur le revenu.
La présidente : Nos témoins suivants représentent Citizens for Public Justice et seront avec nous pendant environ une heure. Citizens for Public Justice est un groupe confessionnel de défense d'intérêts et d'élaboration de politiques qui a travaillé pour faire de la suppression de la pauvreté une politique prioritaire.
Harry Kits est le directeur exécutif de Citizens for Public Justice. M. Kits est membre du conseil d'administration de diverses organisations de charité à but non lucratif et travaille activement à l'élaboration de politiques. Plus récemment, M. Kits a essayé de faire en sorte que les réfugiés aient accès au programme canadien de prêts aux étudiants. Il s'intéresse également au rôle du secteur à but non lucratif dans notre société.
Il est accompagné ce soir par Greg deGroot-Maggetti, analyste des politiques socioéconomiques pour Citizens for Public Justice. Il représente Citizens for Public Justice pour Campagne 2000 et auprès de la Campaign Against Child Poverty — deux coalitions nationales de lutte contre la pauvreté — ainsi qu'auprès de l'Interfaith Social Assistance Reform Coalition. Il est également membre du Conseil national du bien-être social, un comité de citoyens qui fournit des avis au ministre des Ressources humaines et du Développement social.
Nous vous souhaitons la bienvenue à tous les deux et vous remercions de votre patience. Nous disposons d'une heure pour discuter de cette question importante avec les témoins. J'invite mes collègues, comme toujours, à poser des questions aussi brèves que possible de façon à laisser nos témoins leur fournir des réponses complètes et pour que tout le monde puisse participer à notre discussion de ce soir.
Harry J. Kits, directeur exécutif, Citizens for Public Justice : Nous sommes heureux d'être ici pour vous parler de ce sujet important qu'est la pauvreté et, en particulier, de votre intérêt pour la pauvreté rurale.
Notre organisme, Citizens for Public Justice, estime qu'il est temps que le Canada mette sur pied une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté pour que nous puissions réfléchir ensemble sur la façon d'aborder la question de la pauvreté et pour élaborer une stratégie. Notre appel fait écho à ceux du Conseil national du bien-être social, de la coalition Make Poverty History et d'autres groupes qui parlent de plus en plus d'une stratégie.
Nous pensons également qu'une telle stratégie viendrait compléter les plans officiels qui existent, par exemple, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador. D'autres pays, comme le Royaume-Uni et l'Irlande, ont déjà réussi à réduire les taux de pauvreté en adoptant une stratégie de lutte contre la pauvreté.
Le Canada doit, d'après nous, adopter une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté parce que c'est un moyen de veiller à ce que tous les citoyens disposent d'un revenu adéquat et de services qui répondent à leurs besoins essentiels. Nous avons toutefois également besoin d'une stratégie qui réduise les inégalités, favorise le développement du potentiel humain, renforce les collectivités et qui respecte l'environnement. Nous essayons de concilier toutes ces préoccupations lorsque nous réfléchissons à ces questions.
Nous pensons également qu'il faut que tous les secteurs de la société conjuguent leurs efforts pour que cet objectif se réalise. Les gouvernements doivent prendre en charge cette initiative dans le cadre de leur rôle de défenseurs de la justice sociale. Les gouvernements ont la capacité de modifier les choix des citoyens grâce à leurs programmes réglementaires, fiscaux, sociaux, économiques et environnementaux; toutefois, les entreprises, les syndicats, les médias, les organismes non gouvernementaux, les collectivités confessionnelles et les familles ont également un rôle à jouer.
Pour Citizens for Public Justice, un organisme chrétien, l'objectif qui consiste à réduire la pauvreté et les inégalités découle en partie de l'appel à la justice lancé dans la Bible. En tant qu'organisme national exerçant une activité citoyenne, Citizens for Public Justice prend au sérieux le commandement biblique qui nous ordonne de créer une société où il n'y a pas de pauvres, et que l'on trouve dans le Deutéronome. Dieu veut une société sans pauvres et nous avons été appelés à aider à faire de cette vision une réalité.
La conception de la justice sociale que s'est donnée Citizens for Public Justice nous a sensibilisés au fait que l'appel à la justice ne se résume pas à un appel lancé individuellement pour que chacun assume personnellement la responsabilité de ses actes. Ce n'est pas simplement un appel qui s'adresse à nous comme individus et nous invite à agir de façon charitable à l'égard de nos voisins, même si c'est une partie de ce qu'exige la justice, étant donné que la responsabilité personnelle en fait partie. Il ne s'agit pas non plus de répondre aux besoins des pauvres grâce à des organismes de charité et de bénévoles, même si cela fait également partie de l'appel à la lutte contre ce phénomène.
Il faut également tenir compte de la nature et du rôle de l'économie pour ce qui est de fournir des emplois de qualité : des emplois stables et rémunérés de façon adéquate. Au-delà de tout ceci, la justice sociale exige que le gouvernement se charge d'élaborer des politiques, des programmes et des structures susceptibles de réduire la pauvreté et de distribuer les ressources de façon équitable dans la société pour que tous les citoyens et tous les secteurs de la société puissent prospérer, suivre leur vocation et contribuer au bien commun.
On peut donner un exemple biblique particulièrement approprié avec les lois du Lévitique et du Deutéronome en matière de sabbat et de jubilé. On a officiellement invoqué les lois du jubilé pour supprimer la dette internationale de nos pays. Ces lois prévoient également la redistribution périodique des moyens de production, des terres, des semences et du bétail. Elles appellent des politiques publiques qui prévoient des périodes de repos pour les personnes, les animaux et la terre.
Nous pensons que les principes du sabbat et du jubilé sont toujours d'actualité et qu'il est possible de les incorporer dans les politiques qu'élabore le gouvernement. Ils nous montrent que nous devons concevoir des politiques qui donnent aux citoyens les moyens d'exercer un métier rémunérateur, qui leur permet de subvenir à leurs besoins. Ils nous obligent à veiller à ce que tous les citoyens aient accès à un revenu adéquat et à des services qui leur permettent de vivre correctement lorsqu'ils ne sont pas en mesure de combler tous leurs besoins en accomplissant un travail rémunéré. Ces principes doivent également se traduire par une utilisation prudente de nos ressources naturelles et par un respect envers le monde dont nous faisons partie.
Il faut qu'une stratégie de réduction de la pauvreté s'attaque aux causes de la pauvreté et que ceux qui connaissent la pauvreté participent à l'élaboration des moyens à prendre pour la supprimer.
La pauvreté dans les régions rurales du Canada a des aspects différents de celle qui existe dans les régions urbaines; c'est donc une bonne chose que le Sénat prenne le temps d'essayer de trouver des façons de supprimer la pauvreté dans les régions rurales, en particulier si cette étude s'inscrit dans une stratégie nationale intégrée qui vise à lutter contre la pauvreté dans l'ensemble du Canada.
Nous avons été invités à comparaître pour parler au comité, en particulier, des méthodes de mesure de la pauvreté. Malheureusement, notre organisation, tout comme le témoin qui nous a précédés, ne prétend pas posséder une expertise particulière en matière de pauvreté rurale. Nous avons toutefois étudié les méthodes de mesure de la pauvreté qui existent au Canada et nous sommes heureux de partager avec vous notre point de vue sur ce sujet. Mon collègue Greg deGroot-Maggetti va vous présenter cette partie de notre exposé.
Greg deGroot-Maggetti, analyste des politiques socioéconomiques, Citizens for Public Justice : Une méthode de mesure de la pauvreté peut, pour l'essentiel, nous apprendre trois choses. Premièrement, le nombre des personnes qui vivent dans la pauvreté. Deuxièmement, le degré de pauvreté de ces personnes. Troisièmement, le temps que passent ces personnes dans la pauvreté.
Un quatrième élément utile est de savoir combien de gens vivent près du seuil de la pauvreté. Cela nous donne une idée du nombre des personnes vulnérables qui pourraient tomber dans la pauvreté.
Il existe deux façons fondamentales de mesurer la pauvreté, conçue comme un manque de revenu, et je vais les présenter dans des termes légèrement différents de ceux qu'a utilisés le témoin précédent. Ces deux façons sont la méthode du panier de consommation et la méthode du revenu relatif. Ces deux méthodes ont l'air assez semblables, mais la méthode du panier de consommation est fondée sur la question suivante : quels sont les biens et les services dont les gens ont besoin pour mener une vie décente et participer à la société? Il s'agit ensuite d'additionner le coût de ces biens et services pour en arriver à un seuil de revenu qui sert de seuil de pauvreté.
La méthode du revenu relatif est basée sur la question suivante : quel est l'écart qui sépare le revenu d'un ménage ordinaire de celui d'une personne ou d'une famille qui a du mal à subvenir à ses besoins et ne peut participer pleinement à la vie de la collectivité?
La plupart des méthodes de mesure basées sur le revenu relatif utilisées de par le monde sont fondées sur un pourcentage du revenu médian et non pas du revenu moyen. Le revenu médian représente le point à partir duquel une moitié de la population gagne un revenu supérieur et l'autre moitié, un revenu inférieur. L'Union européenne a décidé de fixer son seuil de pauvreté à 60 p. 100 du revenu médian. Tous les pays de l'Union européenne sont tenus de mettre en place des stratégies de lutte contre la pauvreté et des stratégies visant à mettre fin à l'exclusion sociale, et 60 p. 100 du revenu médian est la mesure de référence qu'ils utilisent pour évaluer leur succès et réduire la pauvreté.
L'UNICEF, dans ses rapports sur la pauvreté des enfants dans les pays riches, utilise un seuil de pauvreté fixé à 50 p. 100 du revenu médian. Ce niveau est identique aux seuils de faible revenu que produit Statistique Canada. Ces seuils de faible revenu nous fournissent les données historiques les plus longues que nous puissions avoir en matière de revenu. C'est une des raisons pour lesquelles on fait si souvent référence à ces données. Les SFR sont un mélange intéressant de méthodes de mesure fondées sur le panier de consommation et sur le revenu relatif. Le panier de consommation utilisé pour le SFR ne comprend que trois articles : la nourriture, les vêtements et le logement. Les seuils de faible revenu sont calculés à partir de ce que dépense le ménage canadien moyen sur ces trois articles, et non pas sur le coût réel qu'il faut assumer pour obtenir une certaine quantité de nourriture, de vêtements et de logement dans certaines collectivités.
Laquelle de ces deux méthodes est la plus utile pour lutter contre la pauvreté rurale? J'ai le sentiment que c'est la méthode fondée sur le panier de consommation, et la méthode basée sur le panier de consommation élaborée par Ressources humaines et Développement social Canada, RHDSC, est probablement plus utile dans cette optique que la méthode du revenu relatif. Avec le panier de consommation, on peut voir l'effet qu'ont les coûts de transport ou les coûts de logement, par exemple, sur le niveau de pauvreté dans différentes collectivités. Cette information est importante si la stratégie a pour but de réduire la pauvreté dans différents types de collectivités.
Dans les régions rurales, les frais de transport sont un poste du budget beaucoup plus important que dans les zones urbaines, et c'est ce que confirment les mesures obtenues à partir du panier de consommation établi par RHDSC. Ces frais augmentent énormément, bien sûr, lorsque les prix de l'essence s'envolent. Dans les zones urbaines, le coût du logement a bien souvent une influence plus grande sur le coût de la vie.
Nous avons jusqu'ici parlé des méthodes de mesure de la pauvreté fondées sur le revenu, mais plus récemment, l'intérêt s'est plutôt déplacé vers les biens. Cette méthode va au-delà des biens traditionnels, comme les biens financiers et les biens matériels, pour prendre aussi en compte les biens humains, comme l'éducation, les compétences et les capacités, les biens sociaux, comme les relations, les réseaux et la participation à des groupes, les biens spirituels, comme la vie spirituelle et les communautés confessionnelles et, enfin, les biens publics ou civiques, comme l'accès aux services et les espaces publics.
Si nous voulons adopter une stratégie efficace capable de réduire la pauvreté dans les régions rurales comme dans les régions urbaines, il faut tenir compte de tous ces facteurs qui permettent à la population d'exercer des métiers rémunérateurs et de gagner un revenu adéquat.
Le sénateur Tkachuk : Nous parlons de niveaux de pauvreté et nous parlons de revenu. Quel serait le revenu d'une personne dans une petite ville comme Saskatoon ou Halifax? Avez-vous un chiffre ou une idée de ce revenu?
M. deGroot-Maggetti : Cela dépend de la méthode de mesure utilisée et cela dépend de la taille du ménage, mais je vous invite à utiliser le panier de consommation.
Le sénateur Tkachuk : À titre d'exemple, prenons un jeune couple ou un célibataire, qui commence à travailler.
M. deGroot-Maggetti : Je n'ai pas ces chiffres en tête, mais vous pouvez les trouver dans le rapport qui traite de la méthode du panier de consommation. Cette mesure se fonde sur un ménage de quatre personnes, deux adultes en âge de travailler et deux enfants. Il y a une formule qui permet d'obtenir le chiffre pour une personne seule.
Le sénateur Tkachuk : Quel serait ce chiffre avec deux enfants?
M. deGroot-Maggetti : Comme je l'ai dit, je n'ai pas ce chiffre en tête.
Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous me donner une idée?
M. Kits : Je n'ai pas ce chiffre en tête. Ces mesures constituent des éléments d'information importants, mais je ne crois pas qu'il faille procéder à une analyse purement mathématique ou scientifique du phénomène. Les mesures de la pauvreté sont importantes, mais la pauvreté comporte toutes sortes d'aspects, dont vous avez parlé plus tôt, notamment les questions qui touchent l'exclusion, les inégalités et le reste. Parmi ces éléments, il y a la façon dont ces mesures permettent de s'assurer que ces personnes s'intègrent à la société, conservent les ressources et les biens qu'elles ont et ne soient pas obligées d'y renoncer parce qu'elles ont recours au régime d'aide sociale, par exemple, pour qu'elles puissent poursuivre leur vie et progresser.
Le sénateur Tkachuk : Donnez-moi un chiffre approximatif de ce que cela pourrait être dans une ville de taille moyenne ou pour n'importe quelle ville. Donnez-moi un chiffre et nous verrons après.
M. deGroot-Maggetti : Pour vous donner un exemple, le seuil de faible revenu, qui est calculé pour diverses villes, pour une ville de plus de 500 000 habitants, le revenu avant impôts qu'un individu devrait gagner se situerait autour de 20 000 $ par an, qui représente le seuil de faible revenu pour une grande ville. Ce montant est légèrement inférieur pour une ville de taille moyenne et il diminue pour les petites villes.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit 20 000 $?
M. deGroot-Maggetti : Environ.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé d'emplois de qualité. Je m'énerve parfois quand des comédiens que j'aime bien regarder, comme Jay Leno, se moquent des gens qui travaillent chez McDonald's ou chez Wal-Mart. Pour moi, le travail est toujours une bonne chose et l'oisiveté une mauvaise chose. Travailler, que ce soit gratuitement ou comme bénévole, est une chose merveilleuse. Nous devrions encourager les gens à travailler. Pour moi, travailler est toujours une bonne chose. Nous devrions tous être fiers de tous les gens qui travaillent, qu'ils travaillent chez McDonald's ou chez Wal-Mart au salaire minimum, ou gratuitement comme bénévole parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire.
Prenons le cas de quelqu'un qui travaille à 8 $ l'heure, qui fait une semaine de 40 heures chez McDonald's, Tim Hortons ou Wal-Mart. Cela représente 320 $ par semaine multiplié par 50 semaines, ce qui donne 16 000 $. Ce revenu correspond à seulement 8 heures de travail par jour. Il n'y a rien de mal à ce que les gens travaillent 10 ou 12 heures par jour, en particulier lorsqu'ils sont jeunes. Ce n'est pas trop demander.
S'ils ne voulaient pas être pauvres, il faudrait qu'ils gagnent 20 000 $. Si deux de ces personnes vivaient ensemble, partageaient un appartement et gagnaient chacune 20 000 $ en travaillant chez McDonald's, leur revenu combiné serait de 40 000 $. Elles pourraient partager le prix de l'appartement, acheter la nourriture ensemble, comme nous le faisions à l'université où nous étions quatre à habiter dans une maison. Nous mettions toutes nos ressources en commun et nous vivions très bien. Nous avions de quoi manger et pour ce qui est du revenu, nous vivions en-dessous du seuil de la pauvreté. Ce n'est pas très difficile à faire au Canada.
M. deGroot-Maggetti : Permettez-moi de vous donner un exemple qui touche à la question de la pauvreté des enfants et des familles. La mère est mariée et a trois enfants, et c'est quelqu'un que je connais, une de mes amies. Ce sont des immigrants récemment arrivés au Canada qui travaillent dur.
Le sénateur Tkachuk : J'en suis sûr.
M. deGroot-Maggetti : Elle travaille à plein temps dans une équipe de nettoyage dans un collège communautaire, sur le poste de nuit, et elle touche 9,50 $ l'heure. Ils habitent dans un sous-sol. Ce n'est pas un logement très salubre. Elle ne gagne pas suffisamment en travaillant à plein temps pour dépasser le seuil de la pauvreté.
Si son mari trouve un emploi qui lui donne 9,50 $ l'heure, à eux deux, ils n'auront pas un revenu suffisant pour élever leur famille. Il y a un dilemme qui vient du fait que les collèges communautaires et les universités doivent faire des économies pour boucler leurs budgets, et cela vient de nos politiques sociales. Le travail qui était effectué auparavant par des employés syndiqués des collèges est maintenant donné à contrat à des organismes de services. C'est pourquoi cette femme va continuer à gagner 9,50 $ l'heure, et après six mois d'ancienneté, elle gagnera toujours 9,50 $ l'heure. Elle peut travailler beaucoup mais elle ne gagnera pas suffisamment pour dépasser le seuil de la pauvreté.
Campagne 2000 et le Conseil national du bien-être social ont rapporté qu'environ un tiers des familles avec enfants se trouvaient dans ce dilemme. Ces familles ont au moins un adulte qui travaille à temps plein toute l'année mais qui ne gagne pas suffisamment pour que le revenu de la famille dépasse le seuil de faible revenu, le SFR. Ce dilemme existe toujours dans notre pays; il y a des gens qui travaillent beaucoup mais qui ne gagnent pas suffisamment pour sortir de la pauvreté.
Le sénateur Tkachuk : J'essaie d'être précis parce que nous voulons étudier ce problème. Les immigrants qui viennent au Canada viennent d'un pays qui ne leur offrait aucun espoir; c'est pourquoi ils viennent ici, parce qu'il y a de l'espoir. Ils vont peut-être se trouver au départ un travail peu rémunéré, fréquenter l'université, essayer d'apprendre un métier ou peut-être faire toutes ces choses. Les immigrants ne m'inquiètent pas beaucoup. Il me semble que ce ne sont pas les immigrants qui constituent un problème pour les services d'aide sociale. Ce sont eux qui travaillent beaucoup et qui essaient de s'en sortir. Bien souvent, ils finissent par être propriétaire d'un restaurant, d'un dépanneur ou peut-être d'une entreprise de nettoyage. La femme qui commence par nettoyer les logements des autres arrive parfois à démarrer sa petite entreprise. Très vite, elle s'en sortira mieux que le Canadien moyen.
Je dis qu'il existe des façons de sortir de la pauvreté. La pauvreté, comme vous la décrivez ici, est un travail à 8 $ l'heure pour une personne. Cependant, si ces personnes travaillent quelques heures supplémentaires, elles pourraient ensemble gagner un revenu supérieur au seuil de la pauvreté. Il n'y a pas de mal à le faire, en particulier pour les gens qui ont de 20 à 23 ans.
Il me paraît grave que vous ne puissiez me fournir ces chiffres.
M. deGroot-Maggetti : Ces chiffres sont faciles à obtenir. Les méthodes de mesure de la pauvreté peuvent aussi dire quels sont les secteurs où se concentre la pauvreté. Par exemple, dans la ville de Toronto, Centraide a fait une recherche intéressante pour localiser les foyers de pauvreté. Les taux de pauvreté chez les nouveaux immigrants dans des villes comme Toronto sont tout à fait disproportionnés. Pour les familles avec enfants, les taux de pauvreté ont augmenté de façon dramatique chez les nouveaux immigrants. Ces familles tendent à se concentrer dans certains secteurs de la ville. Il existe une autre façon d'utiliser de façon créative les méthodes de mesure de la pauvreté, lorsqu'il s'agit de lutter contre la pauvreté et de changer les choses, c'est le projet Human Early Learning Partnership de la Ville de Vancouver. Ce projet a permis d'effectuer une étude qui a consisté à établir une carte montrant à la fois les secteurs où se concentre la pauvreté, en particulier la pauvreté des enfants, et le genre de ressources publiques offertes, comme les parcs, les écoles et les centres communautaires. Cette recherche a montré que les secteurs où vivaient les familles les plus pauvres et disposant des ressources personnelles les plus réduites avaient tendance à vivre dans des zones où il n'y avait pas de parc, ni de services communautaires, et cetera.
Je n'ai pas toutes ces données avec moi mais les données relatives à la pauvreté que nous pouvons nous procurer auprès des experts de Statistique Canada et de Ressources humaines et Développement social Canada pourraient être utilisées efficacement pour élaborer à la fois des stratégies nationales et des stratégies communautaires. Ces données pourraient servir à préciser le genre d'actions que nous pouvons prendre pour améliorer la situation des personnes qui vivent dans la pauvreté et celles des collectivités qui sont particulièrement durement touchées par la pauvreté. C'est la suggestion que nous pouvons faire à ce sujet, et je vous demande de m'excuser de ne pas avoir tous ces chiffres avec moi.
Le sénateur Mercer : Le problème continue à s'aggraver, nous cherchons toujours des réponses et nous ne les trouvons pas. Je vais revenir à un commentaire qu'a fait le sénateur Mahovlich au cours de la séance précédente. Dans de nombreuses collectivités, les gens ne savent pas qu'ils sont pauvres. Ils ne savent pas qu'ils sont pauvres jusqu'à ce qu'ils se comparent avec quelqu'un d'autre, et ils se retrouvent alors tous dans la même situation. Notre étude a pour but d'examiner et de faire rapport sur la pauvreté rurale. Je ne devrais peut-être pas faire l'affirmation suivante parce que je vis dans une ville et que j'y ai pratiquement toujours vécu, à l'exception de ces dernières années. Cependant, je dirais que les pauvres qui vivent dans les villes et les pauvres qui vivent dans les régions rurales du Canada sont différents pour des raisons différentes. Dans l'ensemble, le coût de la vie est plus élevé dans une ville; c'est le côté négatif. Dans les régions rurales, le coût de la vie est moindre mais il y a moins d'équipement. Dans les zones rurales, les parcs se trouvent dans les cours. Les espaces de loisirs sont souvent proches de la maison parce qu'ils sont habituellement situés sur le terrain de la maison. Dans une ville, il faut se déplacer pour exercer des activités de loisirs et les centres de loisirs ne sont pas toujours situés au milieu des projets de logement social. Il y a des exemples qui illustrent très bien cette situation dans ce pays.
J'aimerais que vous confirmiez ma thèse selon laquelle pour une personne qui est pauvre dans une région rurale et celle qui est pauvre dans une région urbaine, l'important n'est pas vraiment de mesurer leur niveau de revenu. Il faut plutôt mesurer le coût total des besoins essentiels dans leur environnement rural ou urbain respectif.
M. deGroot-Maggetti : Je ne sais pas très bien comment vous répondre, mais je sais qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, une province dont le gouvernement a adopté une stratégie officielle de lutte contre la pauvreté, le gouvernement travaille avec Ressources humaines et Développement social Canada pour adapter la méthode fondée sur le panier de consommation de façon à donner une image plus précise du coût de la vie dans les collectivités rurales de Terre-Neuve-et-Labrador. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a jugé que les mesures effectuées par RHDSC ne convenaient pas à leurs objectifs autant qu'il l'aurait souhaité. Le fait de disposer de ce genre de mesure et d'avoir un gouvernement qui a adopté un plan officiel de lutte contre la pauvreté a favorisé la création d'un outil bien adapté. C'est également un bel exemple de collaboration entre deux niveaux de gouvernement pour mieux comprendre ce qu'il en coûte de vivre dans une collectivité particulière où le gouvernement essaie de faire quelque chose.
M. Kits : C'est exactement ce que peut faire la méthode de mesure de la pauvreté fondée sur le panier de consommation. Il s'agit d'adapter le panier de consommation à une situation spéciale. Vous mentionnez, par exemple, que c'est ce qu'a permis la méthode du panier de consommation, à savoir examiner les différences entre les collectivités rurales et les centres urbains pour ce qui est du coût de diverses choses comme le transport et le logement, ainsi que les autres coûts reliés aux services. Cette information est ensuite utilisée pour établir le revenu qu'il faut avoir pour vivre dans une collectivité rurale, de façon à éviter que des personnes vivent au-dessous du seuil de la pauvreté.
Le sénateur Mercer : Vous travaillez tous les deux dans un organisme confessionnel, ce qui est louable. J'ai de mon côté travaillé dans le secteur bénévole et à but non lucratif. Je vais vous poser une question qui ne concerne pas uniquement les activités confessionnelles et autres dans le domaine de l'activisme social, mais aussi les organismes de charité à but non lucratif. Pensez-vous que les organismes de charité à but non lucratif devraient jouer un rôle plus important dans la lutte contre la pauvreté?
M. Kits : Je ne pense pas que ce rôle puisse être élargi pour le moment. Je crois que les organismes de charité, qu'ils soient confessionnels ou non, qui s'occupent des pauvres dans les collectivités font déjà tout ce qu'ils peuvent faire.
Cela vient en partie du fait qu'ils se sont engagés à se rapprocher le plus possible des gens qu'ils prennent en charge, de participer le plus possible à la vie de ces gens pour les aider à sortir de la pauvreté. Ils ne se contentent pas de donner de l'argent; ils essaient d'offrir des services de counseling, ils essaient de mettre sur pied des banques alimentaires et des choses de ce genre. J'ai l'impression que ces organismes ont déjà beaucoup de mal à faire tout cela.
J'ai assisté au cours des derniers mois à deux conférences regroupant des collectivités confessionnelles qui veulent s'occuper de questions de politiques publiques. Elles affirment, en se basant sur leur expérience sur le terrain, qu'elles ne peuvent pas faire tout ceci. Il faut changer la façon dont nous luttons contre la pauvreté au Canada — à la fois sur le plan plus vaste de l'économie, c'est-à-dire le nombre des emplois, le revenu de base et ce genre de choses, et sur celui des politiques connexes qui portent sur le salaire minimum et ce genre de choses —, parce que les gens n'arrivent vraiment pas à s'en sortir.
Je crois que cela revient un peu à la question qui a été soulevée précédemment, et qui portait sur la différence qui existe entre hier et aujourd'hui. Notre économie, notre style de vie et notre façon de vivre ont pour effet d'affaiblir le sentiment communautaire. Auparavant, on s'adressait à son voisin si le tracteur tombait en panne : on pouvait lui demander de l'aide. Mais de plus en plus, nous sommes devenus, dans un certain sens, des concurrents dans une économie mondiale et ce genre de choses ne se fait plus. Ce n'est plus aussi courant maintenant.
Ces organisations essaient de renforcer autant qu'elles le peuvent les liens communautaires. On crée aussi des banques alimentaires dans les collectivités rurales, pour essayer de remplacer la perte de ce sens de la communauté, mais on peut se demander si cela est suffisant. Je dirais que oui. Ce genre d'action est nécessaire parce qu'elle reflète un engagement personnel et concret. Cependant, il faut également aborder les questions structurelles, notamment celles qui touchent l'emploi, les défis que pose l'économie mondiale pour les collectivités agricoles, ainsi que les autres genres de politiques que l'on peut adopter en matière d'aide sociale, de salaire minimum et des autres aspects qui ont une incidence sur la pauvreté.
Le sénateur Mercer : Il faut donc élaborer une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.
J'ai une dernière question au sujet du rôle que jouent les organismes à but non lucratif dans la collectivité. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'ils font tout ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. Il faudrait toutefois reconnaître que l'immense majorité des personnes qui travaillent dans ce domaine ne le font pas pour en retirer un avantage personnel. Elles le font parce que c'est la chose à faire — c'est une façon d'aider les autres.
Il me semble que la société devrait récompenser ces personnes et le faire publiquement. Il faut trouver le moyen de dire à toutes ces personnes qui se portent volontaires, qui travaillent dans les banques alimentaires, dans les soupes populaires, que leur travail est important, que leurs concitoyens le reconnaissent et qu'il faut le leur montrer d'une façon ou d'une autre.
Je ne sais pas quelle serait cette façon et pourtant, je travaille depuis longtemps dans le secteur des organismes à but non lucratif. Un donateur à qui je remettais une récompense m'a déclaré que ce geste n'était pas nécessaire. Je lui ai répondu que oui, il l'était; je n'avais simplement pas encore trouvé la bonne façon de récompenser cette personne. Ce que je venais de lui remettre n'était pas une récompense appropriée.
Pensez-vous que ce besoin est toujours là? Est-il nécessaire que nous remerciions collectivement les personnes qui travaillent pour un organisme à but non lucratif, qui offrent des services aux pauvres, qui les aident et leur donnent un coup de main et non pas l'aumône?
M. deGroot-Maggetti : Les gens s'occupent de toutes sortes d'activités bénévoles dans la collectivité. Je vais vous raconter l'histoire d'une mère dont le fils se trouvait dans la même classe que le mien. Nous nous rencontrions à l'école le matin dans la cour de récréation. Il se trouve que nous allions chez le même médecin. Nous nous voyions dans le bureau du médecin. En fait, nous avions également le même dentiste et nous nous voyions également chez lui.
Un jour, j'ai conduit un voisin à une banque alimentaire et j'y ai rencontré cette mère. J'ai eu du mal à attirer son attention, et la première chose qu'elle m'a dite a été : « Je n'aime vraiment pas être obligée de venir ici ». Je me suis dit un moment; nos deux enfants ont le droit de s'instruire et nous n'avons pas honte de nous rencontrer à l'école. Nos deux enfants ont droit d'obtenir des soins de santé; nous n'avons pas honte de nous rencontrer chez le médecin. Pourquoi devrions-nous nous trouver dans une situation où l'un des deux se sent honteux parce qu'il a besoin de nourriture pour ses enfants?
Le dilemme est le suivant : dans quelle direction doit-on orienter l'action des bénévoles? Il y a tant d'églises qui ouvrent leurs portes à l'heure actuelle, cet hiver, pour que les gens aient un endroit pour dormir mais dans des conditions qui, d'après le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, violent leurs droits humains fondamentaux.
Les gens qui fréquentent les banques alimentaires se retrouvent parfois dans une situation difficile. Je me souviens de l'histoire d'une femme qui utilisait les services d'une banque alimentaire — et toutes ces banques manquent de nourriture et elles sont obligées de rationner les clients. Cette femme est entrée dans cette banque alimentaire et une bénévole, sans doute fatiguée, lui a dit qu'elle ne pouvait pas revenir aussi souvent. Dans ce cas-ci, la bénévole l'avait prise pour quelqu'un d'autre.
Ce genre de travail bénévole est nécessaire et oui, il faudrait récompenser les gens qui le font. Cependant, je préférerais beaucoup que les parents se portent volontaires pour aider les élèves en classe et pour les programmes sportifs et artistiques communautaires — ce sont des activités qui peuvent enrichir la vie de ces enfants et leur faire acquérir des compétences nouvelles.
Nous devrions fournir les choses essentielles que chaque être humain a le droit d'avoir. Le Canada est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il faut trouver les moyens de veiller à ce que ces droits soient pleinement respectés, tout en préservant la dignité des personnes qui les exercent et ne pas s'en remettre uniquement aux bénévoles, parce que les bénévoles sont des bénévoles et s'ils n'y a pas de bénévoles, les gens auront faim.
Le sénateur Mercer : Voici mon dernier commentaire. Dans certains cas, c'est une bonne chose d'offrir ces services — entraîner les jeunes, aider les élèves — mais cela ne règle pas le problème. Si les élèves n'ont pas suffisamment mangé ou s'il y a de la violence chez eux — si le père ou la mère est toxicomane ou alcoolique ou s'il n'y a pas d'amour dans la famille — j'ai entraîné des jeunes qui venaient du quartier le plus pauvre d'une grande ville et je sais que lorsqu'ils venaient jouer au baseball pour moi, il importait peu qu'ils aient beaucoup de talent s'ils n'avaient pas suffisamment mangé. L'excellent travail que d'autres et moi faisons et toutes les choses que nous leur donnons pour qu'ils soient bons dans une activité sportive ne donneront rien s'ils ne sont pas nourris correctement et ne se sentent pas appréciés une fois qu'ils ont joué leurs sept manches de baseball.
M. Kits : Je dirais que les autres façons dont nous parlons qui concernent la façon de traiter les autres, de s'entraider, passent également par l'économie et par notre gouvernement. Peut-être qu'une des meilleures façons dont vous, en tant que représentants du gouvernement, pourriez remercier ceux qui exercent ce genre d'activités serait de trouver une façon plus générale, plus globale de s'attaquer aux questions liées à la pauvreté, pour que ces autres choses puissent commencer.
Il y a toutes sortes de façons de lutter contre la pauvreté. Il y a des gens qui peuvent offrir leur temps et s'occuper de gens sur un plan personnel, mais il y a aussi le niveau plus général de ce qui se passe dans notre économie; le gouvernement peut réduire la pauvreté en adoptant différentes sortes de programmes — peut-être un revenu annuel garanti pour certaines catégories de personnes et ce genre de choses. Quels sont les grands changements d'orientation qui pourraient se produire? Nous pourrions peut-être essayer d'inciter et de persuader les entreprises de reconnaître qu'elles représentent un modèle, en partie du moins, de la façon dont nous nous occupons des autres. Les décisions que prennent les entreprises au sujet des emplois, l'accès aux emplois et de la reconnaissance du travail effectué qui se traduit par de l'argent ou d'autres avantages sont des façons de montrer que l'on s'occupe des autres.
Le sénateur Segal : J'aimerais avoir votre avis sur ce qui me paraît être une question philosophique que pose notre sujet d'étude.
Je suis un de ceux qui pensent qu'il y a beaucoup de choses que les gouvernements font bien; une politique sociale modulée, sensible aux besoins de chaque individu n'est pas une de ces choses. À cause de sa structure, le gouvernement ne peut pas être sensible aux raisons qui expliquent que dans cette maison les choses sont différentes de celles qu'il y a dans cette autre maison, il y a toutes sortes de raisons pour cela, même sans mentionner les règles en matière de protection des renseignements personnels, notamment, qui s'appliquent maintenant à notre système.
Les gouvernements sont capables d'agir de façon efficace lorsqu'ils s'occupent d'éducation publique, par exemple. Le gouvernement a agi de façon efficace à l'égard des personnes âgées, comme notre témoin précédent l'a mentionné, en supprimant les grandes zones de pauvreté qui existaient chez les personnes âgées en introduisant le Supplément de revenu annuel garanti, qui existe depuis plusieurs dizaines d'années maintenant, tant sur le plan fédéral que provincial.
Un simple test peut donner droit à certaines choses. Remplissez votre déclaration d'impôt. Si votre revenu est inférieur à un certain montant et qu'il est réputé être le montant approprié, il est alors complété. Il est facile d'accorder aux étudiants qui ne gagnent pas 30 000 $ par an un crédit de TPS remboursable, qui est versé dans leur compte, qu'ils paient ou non de l'impôt, pourvu qu'ils remplissent une déclaration.
Nous ne pouvons pas faire beaucoup plus que cela. Pour le reste, nous dépendons d'organisations comme les vôtres : des organismes communautaires, des organismes confessionnels ou associés à une église, qui essaient tous d'être sensibles à la situation des autres et qui n'ont pas à respecter toute une série de règles et de contraintes. Ces organismes n'ont pas toujours l'argent dont ils auraient besoin, mais ils n'ont pas toutes ces règles et ces contraintes qui limiteraient leur action, par exemple, en cas de choix à faire entre l'équité et la sensibilité. Si l'on veut être équitable, il faut traiter tous les gens de la même façon; si l'on veut être sensible, il faut tenir compte du fait que les gens n'ont pas tous les mêmes problèmes. Il est difficile de demander au gouvernement d'agir en tenant compte de ces différents aspects sans que quelqu'un se sente lésé.
C'est là un aspect de notre problème philosophique pour ce qui est d'élaborer des conseils sur la question de la pauvreté rurale.
L'autre aspect est la motivation. Nous ne portons pas de jugement sur les raisons pour lesquelles les personnes âgées se retrouvent dans une situation où leur revenu est inférieur à un certain niveau; nous nous contentons de leur envoyer de l'argent. Ce sont des personnes âgées, ce sont des Canadiens ou des résidents permanents qui n'ont pas suffisamment pour vivre et nous leur envoyons de l'argent. Nous ne leur posons pas toute une série de questions pour savoir si c'est parce que leur mari n'a pas épargné suffisamment d'argent ces 30 dernières années, si c'est parce qu'ils ont trop dépensé en voitures ou parce qu'ils ont vécu dans une maison qui était trop grande. Nous n'entrons pas dans ces considérations. Nous leur disons : si vous n'avez pas suffisamment d'argent, nous allons vous aider. C'est l'engagement mutuel qu'ont pris tous les Canadiens.
Les références que vous avez faites à l'Ancien Testament visent essentiellement à partager avec les autres. Si nous pensons à l'idée de jubilé, à l'idée d'effacement des dettes, à l'idée de verser la dîme et de toujours faire une place à l'étranger et à partager avec lui ce que vous avez, il s'agit toujours de partager avec les autres. Nous savons également qu'une partie de la réalité économique incontournable est que, s'il n'y a pas suffisamment de choses à partager, nous ne pourrons pas partager avec tout le monde ce que nous avons en ce moment.
Si vous parlez à des agriculteurs canadiens, vous constaterez qu'ils n'aiment pas l'idée de recevoir de l'argent et de recevoir une aumône. Ils vous diront qu'ils veulent que leur travail soit rémunéré de façon équitable. Donnez-nous un prix équitable pour nos produits, disent-ils. C'est comme cela que nous voulons gagner notre vie. C'est pour cela que nous sommes des agriculteurs, parce que nous croyons en ce que nous faisons. Ces différents éléments sont reliés de différentes façons.
J'ai remarqué que la semaine dernière, le ministre des Finances a parlé, dans un exposé économique, d'un supplément au revenu d'emploi. D'après ce document, le gouvernement réfléchit à la situation des personnes qui travaillent — et je pense à la personne dont M. deGroot-Maggetti a parlé tout à l'heure — et qui ne gagnent que 9 $ l'heure. Cela n'est pas suffisant. L'idée dont parlait le ministre des Finances consisterait, je crois, à accorder un crédit d'impôt remboursable aux personnes qui travaillent mais dont le revenu se situe quand même en-dessous du seuil de la pauvreté. Pour bénéficier d'un tel crédit d'impôt, ces personnes doivent toutefois travailler, pour les encourager à demeurer, d'une façon ou d'une autre, dans la population active.
Ces personnes recevraient probablement cet argent avant qu'elles ne produisent une déclaration d'impôt, si l'on pense à la façon dont cela se fait avec la TPS.
Les gouvernements doivent faire des choix. Ils ne peuvent pas tout faire; ils ne peuvent pas éparpiller leur action. D'après votre propre recherche, d'après les liens qu'entretient votre organisation avec les personnes en difficulté et compte tenu de votre engagement à faire preuve de solidarité avec tous les membres de la société, quel serait votre premier objectif et votre première priorité? Vous n'êtes pas obligé de me répondre au nom de votre organisme, vous pouvez exprimer vos sentiments personnels en vous basant sur ce que vous avez vu et entendu.
M. deGroot-Maggetti : D'après nous, la première chose à faire, et ce n'est pas une action concrète et directe, serait d'élaborer une stratégie visant à aborder ces problèmes parce qu'une stratégie doit venir compte de ce que peuvent faire les différents acteurs. Le gouvernement fédéral peut faire certaines choses, les gouvernements provinciaux peuvent faire certaines choses et les stratégies de lutte contre la pauvreté sont également mises en œuvre dans les collectivités. Avec une stratégie de ce genre, on pourrait prendre une série de mesures accompagnant un budget. Cela ne supprimerait peut-être pas la pauvreté mais cela ferait partie d'un plan global. Il doit y avoir un plan visant à supprimer la pauvreté.
Le sénateur Segal : Pour revenir à la guerre contre la pauvreté qu'avaient lancée Lyndon Baines Johnson et Lester Pearson, nous avons eu des stratégies jusqu'à ne plus savoir qu'en faire. Le problème est qu'une stratégie ne se mange pas. Si vous êtes agriculteur et que vous n'avez plus de revenu, que vous avez du mal à conserver vos machines agricoles, si la banque vient vous harceler, si votre revenu n'a pas augmenté et a même diminué depuis 10 ans, une stratégie ne sert à rien. Ces gens n'ont pas besoin d'une stratégie. Ils ont besoin d'une aide immédiatement.
M. deGroot-Maggetti : Lorsque le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a adopté sa stratégie de lutte contre la pauvreté, il a procédé à des consultations pour savoir de quoi les gens avaient besoin. Avant même de présenter sa stratégie dans son budget du printemps, il a pris des mesures précises qui découlaient de ces consultations. Le gouvernement a, par exemple, relevé les prestations d'aide sociale et les a indexées à l'inflation. Ces mesures s'inspiraient des consultations et faisaient partie de la stratégie.
C'est parce que le gouvernement avait adopté une stratégie intégrée que le ministère de l'Éducation a décidé qu'il fallait consacrer des fonds à la réduction des droits de scolarité si l'on voulait obtenir des résultats dans cette lutte contre la pauvreté. Si cette réduction des droits avait été examinée dans le cadre du processus budgétaire, ce n'aurait pas été une priorité pour le ministère de l'Éducation. On aurait sans doute préféré modifier un programme, activité plus proche de la mission du ministère, mais étant donné que le gouvernement avait adopté cette stratégie intégrée regroupant les différents secteurs, il y a eu concertation et le ministère de l'Éducation a constaté que les droits de scolarité constituaient un obstacle important qui empêchait les enfants de s'instruire.
Dans certains cas, il semble qu'il faille prendre des mesures précises, mais les mesures prises sont plus efficaces si elles s'inscrivent dans une stratégie globale.
Certains pays ont réussi à réduire la pauvreté. L'Irlande a connu une croissance extraordinaire à la fin des années 1990 et on espérait que la croissance économique aiderait tout le monde. Le gouvernement a alors constaté que sans un effort concerté visant à faire profiter l'ensemble de la population de cette croissance, les inégalités s'aggraveraient et la pauvreté perdurerait; le gouvernement a donc fait un effort concerté pour réduire la pauvreté.
Cela ressemble beaucoup à ce qu'a connu le Canada. Il y a eu des exemples d'efforts stratégiques visant à réduire la pauvreté — je ne voudrais pas qu'on voie là une question de terminologie ou un autre rapport — et il faut que le gouvernement soit véritablement décidé à prendre de mesures qui ont pour effet de réduire la pauvreté et ne se contente pas de faire valser les crédits d'un ministère à l'autre.
C'est un peu ce qui est arrivé avec le supplément de Prestation nationale pour enfants. Il devait réduire la pauvreté chez les enfants mais on voulait aussi renforcer les incitations au travail et réduire la complexité intergouvernementale, ce qui ne s'est pas produit. Résultat : certaines familles très pauvres n'ont pas pu obtenir cette prestation.
Le sénateur Segal : Parce qu'elles recevaient de l'aide sociale.
M. deGroot-Maggetti : Oui, et les prestations d'aide sociale n'ont pas été augmentées, alors que le supplément de la Prestation nationale pour enfants l'a été.
Pour revenir à l'exemple de l'avantage fiscal pour revenu d'emploi, la notion de prestation fiscale pour enfants remplit en partie ce rôle, étant donné que les entreprises doivent payer un salaire qui permette de vivre, mais devraient- elles payer un salaire qui fasse vivre toute la famille? Cela soulève la question de la sensibilité. L'entreprise ne devrait pas tenir compte de la taille du ménage et payer un salaire plus élevé parce qu'il y a six enfants. Nous mettons sur pied des programmes qui tiennent compte du fait que, lorsqu'un parent travaille, il devrait au moins gagner suffisamment pour couvrir ses propres dépenses. Lorsque ce travail ne permet pas de couvrir les dépenses reliées à l'éducation des enfants, il y a des programmes publics qui doivent aider à assumer ces dépenses.
M. Kits : Pour revenir sur le problème philosophique que posent ce que quelqu'un a appelé « les instruments grossiers de l'État », il faut reconnaître que ces instruments ne permettent pas de s'attaquer à toutes les situations difficiles. C'est la raison pour laquelle nous nous engageons de plus en plus dans l'élaboration d'une stratégie plutôt que dans la recherche de mesures particulières. En fait, nous essayons de réfléchir à la forme qu'elle pourrait prendre, en allant dans les collectivités rurales et en écoutant ce qu'ont à dire les personnes qui vivent dans une situation financière difficile et, peut-on penser, en cherchant des mesures susceptibles de donner des résultats. Cela pourrait déboucher sur une stratégie. Cela pourrait nous amener à examiner toute une série d'autres aspects reliés aux politiques commerciales à l'égard des produits de base, par exemple, si c'est le genre d'aide que les agriculteurs estiment être les plus importantes. Cela pourrait être une mesure plus immédiate, comme un revenu ou un supplément garanti.
Nous tenons à souligner qu'il s'agit de partager et non pas simplement de répondre aux besoins essentiels. Il s'agit de voir comment les gens peuvent participer à la vie de la collectivité et faire partie de la société, et d'imaginer ensuite à quoi cela pourrait ressembler. Oui, il y a des gens qui n'ont pas besoin de beaucoup d'aide à l'heure actuelle, mais plutôt que de commencer par les besoins essentiels, il faudrait concevoir notre action comme une sorte d'engagement à partager avec les autres et voir ensuite ce qu'il faudrait faire pour y parvenir. Il faudrait peut-être envisager des stratégies alternatives en matière de diversification économique pour les collectivités rurales. Si le problème vient en partie du fait que les services quittent les collectivités, on pourrait peut-être chercher les moyens de les inciter à y revenir. Le genre de mesures qu'il faut prendre font partie des aspects que nous avons examinés pour élaborer notre stratégie.
M. deGroot-Maggetti : J'ajouterais une chose pour illustrer encore une fois l'importance d'élaborer un plan intégré. St. Christopher House, une agence communautaire de Toronto, a effectué, il y a quelques années, un projet de recherche appelé Community Undertaking Social Policy. Il y a toutes sortes de programmes, à différents niveaux, qui visent à aider les gens qui vivent dans la pauvreté. Cette étude a examiné la situation des personnes âgées, des familles, les genres de programmes et de services qu'elles recevaient, et comment tout cela s'harmonisait. Les auteurs ont examiné la situation des personnes âgées qui recevaient la prestation de Sécurité de la vieillesse, le Supplément de revenu garanti, parfois des subventions pour le logement et les services d'une cuisine volante. Tous ces services étaient fournis en fonction du revenu, de sorte que, dès que leur revenu augmentait ne serait-ce que légèrement, elles perdaient le droit à une partie des subventions accordées pour certains de ces services. L'aspect remarquable est qu'ils ont constaté que, pour certaines personnes âgées à faible revenu, dès qu'elles avaient un dollar de revenu supplémentaire, qu'il se trouve dans un REER ou autre chose, elles perdaient parfois plus d'un dollar. Lorsqu'on reçoit le Supplément de revenu garanti ou la prestation de Sécurité de la vieillesse, on perd cinquante sous pour chaque dollar gagné. On risque en plus de perdre la subvention au logement ainsi que d'autres subventions.
Tout le monde veut lutter contre la pauvreté et faire quelque chose. Cependant, ces actions ne sont pas coordonnées. Les auteurs de cette étude ont examiné comment toutes ces mesures fonctionnaient ensemble et ils ont constaté que les familles avec enfants connaissaient le même genre de problème. Des mesures adoptées par un palier de gouvernement ou par une collectivité allaient parfois à l'encontre des mesures adoptées par d'autres organismes.
Le sénateur Segal : Nous savons que, lorsque les gens essaient d'abandonner l'aide sociale, le taux réel d'imposition appliqué à la première tranche de 50 $ de gains non reliés à l'aide sociale est de 100 p. 100. Les Canadiens les plus riches sont imposés à environ 53 p. 100 du taux marginal mais les gens qui essaient de quitter l'aide sociale subissent un taux réel d'imposition de 100 p. 100, si l'on se base sur la perte nette de leurs prestations. Vous avez abordé un point très grave.
Le sénateur Mahovlich : Quel est le pays qui est le plus généreux pour les pauvres? La Suisse?
M. deGroot-Maggetti : Je modifierais légèrement votre question. Dans la séance précédente, vous avez parlé du problème des parents célibataires et du taux de pauvreté élevé qu'on retrouvait dans cette catégorie. Si vous étiez un parent célibataire, en particulier une mère célibataire, le mieux serait de vivre en Suède. Le pourcentage des familles monoparentales est à peu près le même en Suède qu'au Canada, mais le taux de pauvreté chez les enfants et les familles en Suède représente une fraction seulement de ce qu'il est au Canada. La Suède a adopté des programmes publics qui visent non seulement à aider les pauvres mais à aider tout le monde. Ces programmes réussissent à empêcher la pauvreté, à réduire la pauvreté et à accorder un soutien aux familles.
On dit souvent qu'il suffirait, pour bien des gens, qu'un chèque de paie s'égare, qu'un accident survienne ou qu'il y ait une crise dans la famille pour que toute la famille se retrouve dans la pauvreté. Au cours des années, nous avons fait des choses remarquables au Canada pour aider les gens. L'éducation publique et la santé publique en sont d'excellents exemples. Nous avons également réussi à réduire la pauvreté chez les personnes âgées, ce qui est un autre exemple positif. Le Canada est un pays qui traite bien les personnes âgées, mais pourrait-il traiter de la même façon tous ses citoyens?
Excusez-moi, je n'ai pas répondu à la question exactement comme vous l'avez posée.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez tous les deux étudié aux États-Unis. Est-ce que la pauvreté varie d'un État à l'autre?
M. Kits : Je ne connais pas la réponse exacte mais oui, la situation varie. Cela dépend des programmes et des ressources et du coût de la vie dans certaines collectivités.
Le sénateur Mahovlich : Certaines collectivités sont plus généreuses et certains États sont plus généreux que d'autres, n'est-ce pas?
M. deGroot-Maggetti : J'ai examiné des études, en particulier sur la question du capital social, qui traitaient des inégalités aux États-Unis. Il semble que ces inégalités soient moins graves dans les États situés à proximité du Canada que dans les autres, même si je ne sais pas exactement pourquoi. Il y a eu également des études au sujet du taux du salaire minimum et de l'effet que peut avoir l'augmentation du salaire minimum. Il a été possible de comparer sur ce point différents États, étant donné que certains ont augmenté le salaire minimum, alors que d'autres l'ont maintenu au taux fédéral. Cette comparaison fournit de bonnes données sur les effets de l'augmentation du salaire minimum. Les craintes que l'on avait au sujet de l'effet d'une telle augmentation sur les emplois peu rémunérés ou sur le secteur des services et de la vente au détail ne se sont pas concrétisées comme on s'y attendait. Ces études fournissent des conclusions intéressantes, même si je ne les ai pas avec moi aujourd'hui.
Le sénateur Gustafson : Vous avez tous les deux déclaré que vous travailliez pour des organismes confessionnels. Notre gouvernement a fait une chose positive; il exempte les dons de charité. Cette possibilité est probablement très peu exploitée. Les personnes qui ont des revenus importants peuvent donner jusqu'à 20 p. 100 de leur revenu, et dans certains cas, davantage.
Je crois beaucoup aux organismes confessionnels parce qu'ils font du bon travail et la plupart du temps gratuitement. Ils font don de leur travail tant sur le plan international, dans des pays comme en Afrique, que sur le plan national.
Les Canadiens sont très généreux. Bien entendu, je ne voudrais certainement pas que notre gouvernement modifie le plafond des dons faits à des organismes de charité. Je veux que le gouvernement le laisse à son niveau actuel. Parallèlement, les groupes confessionnels assument une grande responsabilité : celle de veiller à ce que les dons ne soient pas gaspillés et qu'ils soient utilisés de la façon prévue.
Je vais prendre l'exemple de la Banque de céréales vivrières du Canada, que vous connaissez peut-être. La petite ville de Lampman, en Saskatchewan, a appelé cet organisme pour demander deux wagons-trémies de blé. Elle en a reçu 12.
Un petit agriculteur qui était venu d'Allemagne comme immigrant il y a des années, a déclaré à un journaliste qu'il avait survécu en mangeant du rutabaga pendant plusieurs mois et que c'était tout ce qu'ils avaient à manger pendant la guerre, en Allemagne. Il a déclaré qu'il serait heureux de donner un petit camion de blé pour aider quelqu'un.
Je pense que c'est une attitude courante chez les Canadiens. Ma question est la suivante : que peuvent faire les gouvernements, que pouvons-nous faire en tant qu'individus, pour favoriser cette attitude, qui est déjà une excellente attitude? À mon avis, elle est excellente, mais que pouvons-nous faire pour la renforcer?
M. Kits : Le défi consiste peut-être à réfléchir aux destinataires de notre aide. Le sénateur Segal a déclaré que les agriculteurs préféraient de loin vendre leurs céréales à un prix raisonnable que d'être obligés d'accepter l'aumône, qu'elle vienne de la collectivité ou du gouvernement. C'est là un défi auquel il faut réfléchir.
Il est important que les gens continuent à être généreux, à s'occuper des autres et à leur rendre service. Cependant, le défi consiste principalement à trouver la façon de le faire tout en préservant la dignité des personnes qui reçoivent l'aide, tout en leur permettant de trouver du travail, de trouver le moyen de s'occuper de leurs enfants, tout en gagnant un revenu en effectuant le travail qu'elles savent faire.
C'est donc un ensemble de choses. Il faut continuer à encourager la générosité et l'altruisme, mais il faut également veiller à ce que les agriculteurs puissent vendre leurs céréales, trouver un autre genre d'emploi pour les jeunes ou donner aux gens ce qu'ils recherchent. Il ne s'agit pas simplement de charité, même si cela est important; il s'agit de développer à long terme les capacités des agriculteurs et de veiller à ce qu'ils possèdent des machines dans leur ferme qu'ils peuvent utiliser, des machines qui ne vont pas compromettre leur situation financière au point où ils auront besoin de le faire. Nous pourrons ensuite utiliser cette réaction généreuse pour enrichir mutuellement nos vies.
Le message que nous envoient les collectivités qui font sur le terrain ce genre de travail charitable est qu'il faut mettre en œuvre des solutions structurelles plus larges pour qu'elles ne soient pas obligées de solliciter autant leurs ressources pour obtenir des résultats.
M. deGroot-Maggetti : J'aimerais faire quelques commentaires. Il y a une chose qui pourrait aider. J'ai donné l'exemple des églises qui ouvrent leurs portes aux sans-abri, et il y a beaucoup de groupes confessionnels qui aimeraient beaucoup construire des logements abordables. Bien souvent, lorsqu'il y avait un programme fédéral de logement qui permettait de construire des logements abordables, les groupes confessionnels et les autres groupes communautaires construisaient ces projets d'habitation. Ils construisaient également des aménagements sociaux — des espaces permettant aux résidents de créer une collectivité et de ne pas être parqués, comme cela se fait trop souvent, dans les sous-sols d'église ou dans les salles paroissiales. C'est un genre de situation où les dons aux organismes de charité donnant droit à une déduction fiscale pourraient se combiner à un programme ayant pour but de financer la construction des logements. Le gouvernement pourrait utiliser ces deux outils importants.
J'ai lu certains témoignages que vous ont présentés d'autres intervenants. Il y a une chose qui m'a frappé. C'est ce que bien souvent, lorsque nous parlons de pauvreté, nous avons tendance à l'individualiser. L'une des choses les plus intéressantes que j'aie lues dans les témoignages précédents, concernait les aspects structurels, notamment les rapports qui existent entre les collectivités rurales et les petits centres urbains, et l'effet que cela peut avoir pour préserver la santé et la vitalité des collectivités rurales. Lorsqu'une collectivité rurale est saine et dynamique, bien sûr, les individus et les ménages s'en sortent mieux.
J'ai trouvé un autre exemple fascinant; celui des collèges et des universités situés dans les collectivités rurales et le type de synergie que peut créer la combinaison de ces universités et collèges avec l'économie rurale locale. Comme l'ont dit certains témoins, cela va même au-delà de l'économie agricole : la vie économique dans les régions rurales comporte d'autres facettes.
Cela m'a semblé intéressant — élargir le point de vue au-delà des personnes qui composent le ménage pour voir les collectivités dans lesquelles elles vivent et le genre de biens communautaires qui permettent de créer des communautés fortes et dynamiques.
Le sénateur Gustafson : Il y a un programme qui me semble donner de bons résultats, ce sont les foyers pour personnes âgées qui sont administrés par des organismes de charité, comme les différentes églises. Le gouvernement finance la construction des foyers mais les organismes de charité les administrent très bien. Cette façon de faire est très répandue au Canada, d'après ce que je sais. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Kits : Il s'agit là encore de combiner les ressources du gouvernement et la volonté de faire en sorte que les personnes âgées aient accès à un logement, tout en travaillant avec les collectivités qui sont prêtes à s'engager — qu'il s'agisse d'une communauté confessionnelle ou non — à travailler ensemble et à trouver les moyens de le faire. Il faut toutefois faire appel aux ressources dont dispose le gouvernement pour réussir ce genre de choses, et ne pas se limiter à ce que peut offrir une collectivité donnée. Là encore, cela revient à pousser la notion de partenariat un peu plus loin.
Le sénateur Gustafson : C'est également intéressant parce qu'à mesure que le gouvernement renforce la collectivité, celle-ci a moins besoin de soutien.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé plus tôt des banques alimentaires et ensuite des banques alimentaires dans les régions rurales. Les banques alimentaires sont-elles efficaces?
M. deGroot-Maggetti : Efficaces dans quel sens?
Le sénateur Tkachuk : Lorsqu'on donne de la nourriture, il y a souvent une file, et on ne connaît pas les gens qui s'y trouvent. Est-ce que l'on sait si ces gens sont pauvres? Autrement dit, y a-t-il des gens qui profitent du système, ce qui nuirait aux pauvres? Ces banques se contentent de donner des aliments. C'est ce que font les banques alimentaires.
M. Kits : Non, elles ne donnent pas uniquement des aliments.
Le sénateur Tkachuk : Alors j'aimerais en savoir davantage.
M. Kits : Il est de plus en plus difficile d'obtenir des aliments parce que les banques alimentaires n'arrivent pas à fournir à la demande. C'est ce que m'a dit aujourd'hui la femme qui parlait de son expérience avec la banque alimentaire et maintenant elle défend les intérêts des autres pauvres. Dans certains cas, si vous recevez de l'aide sociale, vous pouvez venir à la banque alimentaire trois fois par mois seulement, par exemple. Si vous êtes handicapé, vous pouvez venir cinq fois; ce sont les restrictions qui sont imposées. On vous pose toutes sortes de questions lorsque vous venez dans une banque alimentaire pour savoir si vous êtes vraiment pauvre.
C'est difficile pour les gens qui le sont vraiment parce qu'ils viennent dans ces banques et on leur pose des questions. Comme cela a été mentionné, nous ne posons pas souvent les mêmes questions aux personnes âgées, même s'il y en a qui vont chercher de la nourriture dans les banques alimentaires et à qui on pose probablement les mêmes questions.
La difficulté est de trouver le moyen de donner à ces personnes les ressources dont elles ont besoin, tout en préservant autant que possible leur dignité. Les banques alimentaires ont de plus en plus de mal à remplir ce rôle.
L'idéal pour les gens est d'avoir du travail. Si vous parlez aux gens qui reçoivent de l'aide sociale, vous constaterez que l'immense majorité d'entre eux préféreraient de loin travailler, tout comme l'agriculteur préférerait vendre sa production. Il y a bien sûr des gens qui en profitent, comme il y a des gens qui ne déclarent pas leurs revenus et font des choses de ce genre. C'est toujours comme ça. En tant que chrétiens, nous dirions que le péché est inévitable; le défi que notre collectivité doit relever est qu'il faut être aussi généreux que possible pour que tous ces gens puissent, en préservant leur dignité, avoir suffisamment de nourriture, avoir suffisamment de ressources, avoir du temps à passer avec leurs enfants et à faire ce genre de choses.
Le sénateur Tkachuk : Il n'y a pas de dignité lorsque les choses sont gratuites. Ici, sur la Colline, il y a un organisme qui distribue des produits cosmétiques. Il le fait tous les ans et tous les députés, sénateurs et employés font la queue pour obtenir leur sac. De quoi ont-ils l'air? Cela veut dire que les gens renoncent très facilement à leur dignité. Nous le faisons même pour des bonbons. Il y a des organismes qui distribuent des sacs de bonbons à Noël et tout le monde y va.
Tous ces acteurs et actrices s'attendent aussi à recevoir gratuitement un sac rempli de bonnes choses à la cérémonie des Oscar. Ces gens gagnent 20 millions de dollars par film. Les gens sont tous pareils. Ce n'est pas un péché que de perdre sa dignité, c'est quelque chose d'horrible, c'est mal se comporter. Les gens font la queue. Si vous leur donnez de la nourriture gratuitement, les gens font la queue et prennent la nourriture. Il n'y a rien de mal à trier les gens et à dire que cette personne en a besoin. Lorsque les gens donnent des aliments, ils veulent que ces aliments soient distribués à ceux qui en ont besoin; ils ne veulent pas qu'ils soient remis à des personnes qui n'en ont pas besoin. C'est aux organismes à veiller à donner ces aliments aux personnes qui en ont besoin. C'est également leur responsabilité de faire preuve de délicatesse lorsqu'ils posent ces questions. Mais il n'y a rien de mal à poser des questions.
M. deGroot-Maggetti : Il n'est pas toujours facile d'aller chercher de la nourriture dans une banque alimentaire.
Le sénateur Tkachuk : Je devrais essayer pour voir si je pourrais obtenir des aliments. Je ne sais pas.
M. deGroot-Maggetti : Il suffit d'avoir une poussette, de porter un autre enfant dans les bras, de monter dans l'autobus, d'aller à la banque alimentaire, qui n'est peut-être pas près de chez vous, et ensuite, de prendre un sac ou un carton plein d'aliments, de revenir en autobus avec votre poussette et votre enfant et de rentrer chez vous.
Je ne voudrais pas vous faire croire que les banques alimentaires sont des endroits terribles parce que les gens qui s'en occupent font d'excellentes choses. Ces banques deviennent des agences qui offrent toutes sortes de services. Elles font aussi de la formation. Certaines essaient de renforcer la dignité des bénéficiaires et de favoriser la participation communautaire, les jardins communautaires. Les gens essaient de faire toutes sortes de choses créatrices dans les collectivités et l'Association canadienne des banques alimentaires essaie de travailler le plus efficacement possible pour que les gens aient suffisamment à manger. Cependant, lorsque l'Association canadienne des banques alimentaires a publié ses chiffres sur les gens qui ont faim, je crois qu'elle l'a fait ce matin, elle mentionne toujours les mesures que devrait prendre le gouvernement, parce que nous ne pouvons pas continuer à en demander autant aux banques alimentaires.
Elles peuvent faire tout ce qu'elles peuvent pour essayer de répondre aux besoins alimentaires d'urgence, mais si le Canada veut vraiment assurer la sécurité alimentaire de sa population, il faut aller au-delà des banques alimentaires.
Le sénateur Tkachuk : Je ne pose pas ces questions pour faire le méchant, mais nous étudions la pauvreté rurale au Canada, et il faut trouver des solutions et examiner toutes les solutions qui existent déjà. Au cours de ma vie, j'ai vu beaucoup de solutions mais il y a toujours des pauvres. Il est possible que votre idée d'une stratégie nationale donnerait des résultats. J'aimerais en apprendre davantage sur ce qui s'est fait à Terre-Neuve-et-Labrador et en Irlande. Ce sont là des choses intéressantes, madame la présidente. Nous devrions demander à des témoins de nous expliquer ce qui se fait chez eux et de nous fournir des chiffres pour savoir si leur action est efficace ou non. Je vais en rester là. Finalement, nous n'aurons peut-être pas besoin de banques alimentaires.
M. Kits : Je pense que les banques alimentaires préféreraient ne pas exister. Si des structures plus larges donnaient aux gens la possibilité d'avoir de la nourriture, du travail et ce genre de choses, on n'aurait pas besoin de banques alimentaires et je crois qu'elles seraient très heureuses de disparaître.
La présidente : Vous avez dit quelque chose, monsieur deGroot-Maggetti, qui a fait comme un déclic chez moi, lorsqu'on a parlé des différentes causes de la pauvreté. Vous avez prononcé le mot Suède et mentionné comment, sur le plan des comparaisons, nous aurions beaucoup de mal à faire ce que fait la Suède dans beaucoup de ces domaines.
La chose qui m'est venue à l'esprit est que la Suède est un pays allié, un partenaire commercial, et comparée au Canada, a un des taux d'alphabétisme les plus élevés au monde. Ce n'est pas notre cas. Dans un pays prospère et généreux comme nous pensons l'être, il y a près de 42 p. 100 des adultes qui sont en danger tous les jours parce qu'ils sont incapables de lire, d'écrire, de communiquer, d'obtenir du travail et ce genre de choses, incapables d'aider leurs enfants à apprendre.
Dans votre situation, dans le travail que vous faites, est-ce que vous vous heurtez souvent à ce problème? C'est une réalité et je crois qu'à mesure que notre comité va poursuivre ses travaux, nous allons constater que ce problème est également un des aspects qui empêche les gens, qu'ils vivent dans une région rurale ou urbaine, d'avoir la même chance que les autres.
M. deGroot-Maggetti : C'est une bonne question. Il serait bon d'examiner comment les autres pays ont réussi à réduire et à supprimer la pauvreté et à alphabétiser davantage les citoyens, par exemple.
C'est une question de philosophie, je crois. Les pays comme la Suède — et la Suède n'est pas le seul pays, mais les pays européens, en particulier les pays d'Europe du Nord — ont une philosophie sociale qui est davantage axée sur la solidarité, et cette philosophie prend en compte les structures qui influencent la vie des gens.
La Suède et la Norvège ont eu besoin de 40 ou 50 ans pour construire de tels systèmes. Quelqu'un m'a dit l'autre jour qu'ils avaient parlé à un Suédois des travailleurs pauvres et la personne a dit : « Qu'est-ce que c'est qu'un travailleur pauvre? » Lorsque nous avons proposé un crédit d'impôt sur le revenu d'emploi pour être sûr que les gens qui travaillent conservent suffisamment d'argent pour ne pas être en-dessous du seuil de la pauvreté, les gens de ces pays nous regardent. Ils se disent que, si l'entreprise n'est pas capable de verser un salaire qui permette aux travailleurs de vivre, on peut se demander si elle est vraiment rentable? Ils ont construit des systèmes de formation et d'éducation depuis 40 ou 50 ans, des incitations permanentes où même les travailleurs à faible revenu ont la possibilité de se former et de s'instruire pendant toute leur vie de travailleur, et ainsi de continuer à progresser.
Si nous voulons obtenir des taux de pauvreté aussi bas que ceux-là, il faut savoir que cela prendra beaucoup de temps, mais il faudra investir dans la population et dans les collectivités de toutes sortes de façons.
La présidente : Merci de m'avoir rappelé que cela faisait également partie de ce problème et de dire à tous mes collègues que la capacité de lire, d'écrire et de communiquer est au cœur d'un grand nombre des problèmes que connaissent les familles canadiennes.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'il y a beaucoup d'immigrants en Suède et en Norvège? Je ne le pense pas.
La présidente : Quoi qu'il en soit, voilà une visite très intéressante et nous vous remercions également de votre patience.
La séance est levée.