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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 13 - Témoignages du 5 décembre 2006


OTTAWA, le mardi 5 décembre 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 29, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite le bonsoir aux honorables sénateurs, à notre très éminent témoin et aux téléspectateurs des travaux du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Nous sommes réunis ce soir pour discuter des conséquences, pour les agriculteurs, des technologies de restriction de l'utilisation des ressources génétiques (dites TRURG), qui constituent un groupe d'outils génétiques englobant la technologie largement connue sous le nom de « Terminator ». Cette technologie permet d'obtenir des plantes génétiquement modifiées, qui peuvent atteindre la maturité, mais dont les semences ne germeront pas. En 1998, la société Delta and Pine Land et le département de l'Agriculture des États-Unis (USDA) ont obtenu le brevet de la technologie « Terminator » aux États-Unis. Depuis l'année dernière, cette technologie est protégée par brevet au Canada et dans l'Union européenne.

Notre témoin d'aujourd'hui, la Dre Ricarda Steinbrecher, fait partie de l'élite des spécialistes de cette question. Biologiste et généticienne, elle a orienté ses travaux sur le génie génétique appliqué aux denrées alimentaires et à l'agriculture ainsi que sur ses risques et ses conséquences potentielles sur la santé, l'alimentation, la sécurité et notre environnement. Elle est actuellement codirectrice d'EcoNexus, association de recherche d'intérêt public à but non lucratif dont le siège se trouve au Royaume-Uni. Elle est conseillère et consultante auprès de nombreuses organisations nationales et internationales et elle a participé de très près aux négociations internationales et à la mise en œuvre, par les Nations Unies, depuis 1995, du protocole de Cartagena sur la biodiversité.

Veuillez commencer, madame Steinbrecher.

Ricarda Steinbrecher, codirectrice, EcoNexus, à titre personnel : Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de parler de cette question importante. Je crois comprendre que, ce soir, on s'intéresse particulièrement à la technologie « Terminator », qui, comme l'on vient de le dire, appartient à un groupe plus vaste de technologies appelées TRURG, pour technologies de restriction de l'utilisation des ressources génétiques. Je discuterai du but de la technologie « Terminator », de sa conception et des différences qui existent entre les espèces génétiquement modifiées ordinaires, les melons sans pépins ou les semences hybrides. Puis je passerai aux problèmes et aux risques associés à la technologie.

Le but des technologies de restriction de l'utilisation des ressources génétiques est, comme leur nom l'indique, de limiter l'utilisation des matériels génétiques, pour deux motifs : le premier est la protection de la propriété intellectuelle. Des sociétés ayant fait breveter certains gènes ne veulent pas que ces derniers soient utilisés par d'autres obtenteurs ni par les agriculteurs qui réutiliseront les semences sans acquitter de droits pour la technologie. Telle était la première raison d'être de cette technologie.

Le deuxième but est le système de protection de la technologie, ou SPT, qui est le motif en vertu duquel Delta and Pine Land met cette technologie de l'avant sur la scène internationale. D'après certaines brochures, cette technologie profitera aux agriculteurs. Mais elle profitera également à cette société, car c'est un système de protection des brevets qu'elle détient.

Le troisième but est la protection contre la contamination, et c'est à lui que beaucoup d'entre nous s'intéressent. S'agit-il d'un outil pour prévenir la contamination par les cultures génétiquement modifiées? Actuellement, il est très difficile de trouver les gènes génétiquement modifiés non seulement dans les cultures où ils sont censés se trouver, mais également dans les champs contigus. On les trouve, des années plus tard, dans les ressemis et même dans d'autre pays.

Peut-être avez-vous entendu de l'affaire StarLink, un cas de contamination survenu aux États-Unis. Une production végétale non destinée à la consommation humaine s'est retrouvée partout. On l'identifie de nouveau, à l'occasion, dans des analyses, bien que personne ne la cultive plus. Elle s'est échappée dans la nature et elle s'y trouve encore. La technologie « Terminator » peut-elle nous protéger contre cela? Certains ont laissé entendre qu'elle pourrait servir au confinement biologique.

Je reviendrai sur le modèle dont s'inspire la technologie. Ensuite, nous pourrons déterminer si cette technologie peut servir à cette fin. Le modèle consiste à produire une semence qui, lorsqu'elle sera mise en terre, donnera une plante ordinaire, qui donnera des semences à son tour. Cependant, parce que ces semences sont stériles, elles ne donneront pas naissance à une plante.

Le mécanisme agit à la toute fin de la formation de la semence, lorsque l'embryon se développe. Quand la semence a fini de se développer, l'étape suivante est la croissance de l'embryon. À cette étape, un gène, létal, toxique pour la cellule, une toxine, s'active. Ce gène est lié à une séquence de régulation qui ne s'activera qu'à la fin de l'étape du développement de l'embryon. Ce n'est qu'à cette dernière étape que la plante sera toxique. Certains qualifient ces semences de suicides, parce qu'elles se tuent elles-mêmes, elles se suicident, en produisant la toxine.

Comment peut-on multiplier une telle semence? À cette fin, la toxine ne devrait pas être active. C'est pourquoi on insère un bloc entre la séquence de régulation et le commutateur du gène de la toxine. Le commutateur et l'information génétique doivent être contigus pour fonctionner correctement. Si je les sépare en insérant entre eux un bloc ou une séquence d'ADN, ils ne peuvent pas fonctionner. C'est ainsi que l'on procède, par l'insertion d'un bloc, ce qui est excellent.

Je suis désormais en mesure de multiplier les semences, mais le mécanisme ne fonctionnera pas. Pour activer la toxine, j'insérerai dans la plante un autre ensemble de gènes qui serviront de ciseaux moléculaires. Si ce gène est actif, il produit une protéine appelée recombinase, qui reconnaît le bloc que j'ai inséré auparavant et qui l'excise. La séquence de régulation, le promoteur, se rapproche du gène et devient actif; la toxine est produite.

Nous avons là deux ensembles de gènes; mais comment commande-t-on l'activateur du gène? J'introduis un troisième ensemble de gènes qui possède un système répresseur. Ce dernier réprime l'activateur, qui se trouve désormais en son milieu.

Le premier ensemble est le mécanisme dit de commutation. Le gène répresseur possède un élément réagissant à une substance que l'on peut pulvériser sur la plante. C'est pourquoi j'ai introduit ce mécanisme extérieur de commande dans le système. Nous avons un système très complexe, très interdépendant, interactif, qui, en ce sens, possède plusieurs points vulnérables.

Cela fonctionne-t-il? Nous ne possédons aucune donnée scientifique à ce sujet. Il n'existe aucune publication scientifique validée par un comité de lecture ni aucun résultat d'essais en serres, dont nous avons besoin afin d'examiner ce système et ses performances. Nous ne pouvons examiner que les éléments individuels mis en place dans les plantes « Terminator ». Les ayant examinés, je puis affirmer qu'aucun d'entre eux ne fonctionne parfaitement. On observe toujours des couacs.

Un autre problème est que les gènes insérés dans les plantes génétiquement modifiées peuvent souvent être inactivés par la plante elle-même. Nous appelons ce phénomène la réduction des gènes au silence. Nous l'avons constaté à maintes reprises chez les plantes génétiquement modifiées.

De même, des séquences peuvent soudainement s'échapper ou, pendant le processus de multiplication, elles pourraient devenir isolées. Beaucoup de gènes doivent rester ensemble dans une cellule pour fonctionner. En les multipliant, on peut les distribuer à différentes plantes, chez qui le processus ne fonctionne pas. Il existe beaucoup de points vulnérables, qui pourraient rendre le système inopérant.

Voilà, en bref, comment cela a été conçu.

Quelle est la différence avec les plantes génétiquement modifiées ordinaires ou les melons sans pépins? La différence réside dans ce mécanisme de commutation. Celui-ci est différent en raison du mécanisme externe de commande dont il est doté C'est un système très fragile. Tantôt il fonctionne, tantôt non. Nous ne pouvons pas nous y fier. En ce qui concerne les cultures génétiquement modifiées, cela est très complexe, et ce mécanisme extérieur de commande y est intégré.

Pour ce qui concerne les melons sans pépins, on ne les cultive pas pour leurs semences, mais pour le fruit. C'est un produit de la reproduction. Ce n'est pas une culture génétiquement modifiée.

Beaucoup d'agriculteurs ne réutilisent pas les semences hybrides, parce que ces dernières ne conservent pas leurs caractères d'une génération à l'autre. Elles ne donnent pas une récolte uniforme, mais elles ne sont pas stériles. Encore une fois, nous constatons ici une différence. Certains agriculteurs sèmeront des semences hybrides.

Pour ce qui est des problèmes que nous observons, nous avons dit, plus tôt, que la raison d'être de la technologie « Terminator », de restriction de l'utilisation des ressources génétiques (TRURG), est d'agir en système de confinement. Nous pourrions avoir des semences stériles, si la technologie fonctionnait. Selon mon évaluation et celle de nombreux scientifiques, il est absolument impossible qu'elle fonctionne comme il le faudrait afin d'être un système de confinement. Il faudrait que ce soit un confinement total (à 100 p. 100), et rien ne permet d'atteindre ce taux.

Posons l'hypothèse qu'elle fonctionne à 80 p. 100; qu'elle fonctionne ou non, il y a production de pollen qui être transporté dans les champs voisins et donner lieu à une pollinisation croisée. Le système n'est assorti d'aucun mécanisme de blocage; nous continuons à obtenir tout le matériel génétique.

Supposons que nous voulions faire de la culture de plantes pharmaceutiques sans contaminer les champs voisins; c'est impossible avec cette technique, parce que le pollen, par le mécanisme de la pollinisation croisée, propagera tous les gènes à l'extérieur. Nous pouvons donc imaginer le cas d'un agriculteur qui, voisin d'une telle culture et essayant de conserver les semences en vue de les cultiver, ne le pourrait pas. En conséquence, la contamination ne peut pas se propager aux générations suivantes lorsque nous avons une contamination dans la première.

L'autre facteur est que si la technologie ne fonctionne pas correctement, la contamination se propagera aux générations ultérieures. Cela signifie qu'elle devient héréditaire.

Quels problèmes les agriculteurs affrontent-ils? Cela a été un motif de préoccupation économique, en raison des cultures contaminées, qui, si elles contiennent des « gènes pharmaceutiques », ne peuvent pas être vendues sur le marché des denrées. En outre, beaucoup de producteurs de blé au Canada, par exemple, conservent leurs semences. Si celles-ci sont contaminées par la technologie « Terminator » et si les producteurs les sèment l'année suivante, il y aura réduction de la croissance, parce que certaines semences seront stériles. Les répercussions peuvent être nombreuses. La technologie « Terminator » peut également s'étendre aux plantes apparentées.

Quelle est la substance servant de commutateur? La pulvérise-t-on sur la culture ou en enduit-on les semences? Rien de cela n'est encore clair. L'idée, à l'origine, consistait à utiliser la tétracycline, substance qui peut également être antibiotique. Beaucoup disaient que l'idée n'était pas bonne. S'étant rangée à cette opinion, la société Delta and Pine Land a annoncé qu'elle n'utiliserait pas la tétracycline. Elle songe à un système de commutation fondé sur un mécanisme de réaction à l'alcool d'origine bactérienne.

Beaucoup de plantes sont capables de produire naturellement de l'alcool. Des semences commencent à germer dès qu'on les met en terre; pourtant, si le champ est inondé pendant quelques jours, les plantes sont capables de survivre, grâce à un mécanisme leur permettant de produire de l'énergie en déficit d'oxygène. Cependant, le sous-produit de ce mécanisme est l'alcool. En conséquence, ces plantes sont capables elles-mêmes de déclencher ce mécanisme. Or, nous ne savons jamais si le mécanisme est déclenché ni quand.

Bref, nous disposons d'une technologie très complexe, qui ne nous protégera pas de la contamination, certainement pas du pollen. Avec les semences, la réponse est douteuse; tantôt il y aura contamination, tantôt pas.

Quel est donc l'intérêt, pour les agriculteurs, de vouloir la technologie? Qu'en retirent-ils? Dans ce contexte, j'aimerais annoncer qu'un moratoire est actuellement en vigueur sur l'utilisation de la technologie, en vertu de la Convention sur la diversité biologique. Ce moratoire est dans la droite ligne du principe de précaution : en effet, il y a tant d'inconnu, et on n'a pas élucidé les répercussions écologiques et socioéconomiques pour les collectivités agricoles, et autres.

Dans ce contexte, le moratoire durera tant qu'on n'aura pas effectué des essais approfondis ni évalué les conséquences de manière transparente et tant que l'on n'aura pas évalué les conditions d'un emploi sûr et bénéfique. Voilà un concept intéressant : il faut valider les utilisations bénéfiques.

La Convention sur la diversité biologique, que le Canada a signée, n'est pas contraignante; c'est un accord international. Je voulais simplement faire connaître cette information de base.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie d'être présente aujourd'hui. Nous sommes au milieu d'une autre étude mais il est très utile d'avoir ici pour nous en parler la Dre Steinbrecher qui possède autant de compétences en la matière, parce qu'il s'agit d'un sujet inhabituel mais important que nous n'avons pas encore couvert.

Comme il faut acheter des semences tous les ans, est-ce que cela pourrait augmenter les prix pour le producteur et pour le consommateur? Existe-t-il un avantage au plan des prix pour le producteur et pour le consommateur?

Mme Steinbrecher : J'aimerais pouvoir vous répondre en me servant de mon expertise mais cette question ne relève pas de la compétence d'un généticien. C'est pourquoi il faudrait procéder à une évaluation d'impact pour ce qui est des effets socioéconomiques, évaluation qui n'a pas été effectuée.

Je suis d'accord avec vous, il faudrait trouver réponse à cette question.

Le sénateur Mercer : Les opposants à la technologie « Terminator » craignent qu'elle ne soit accidentellement transférée à d'autres végétaux. Si c'est possible, quels sont les risques pour l'environnement? Je crois que l'évaluation que nous poursuivons permettra de répondre à cette question, mais j'aimerais néanmoins connaître votre opinion à ce sujet.

Quels sont les risques pour l'environnement ou peut-on protéger les variétés que produisent les agriculteurs grâce à cette technologie? Existe-t-il des façons d'atténuer ces risques autrement qu'en interdisant la technologie? Nous avons ici une technologie intéressante, mais nous devons trouver une façon pratique de l'utiliser.

Mme Steinbrecher : J'ai décrit brièvement certains éléments de cette technologie qui pourraient poser problème. Voici à mon avis quels seraient les risques pour les agriculteurs du voisinage et leurs variétés : si par exemple j'étais un agriculteur voisin de celui qui applique la technologie « Terminator » et que je conservais mes semences, parce qu'il s'agit soit de semences de spécialité produites sur ma ferme ou encore de semences adaptées à certaines conditions, et qu'elles étaient contaminées par des semences « Terminator », un certain pourcentage de mes semences ne pourrait pas germer. Je perdrais alors confiance dans mes propres semences, je ne pourrais plus les utiliser et il faudrait que j'achète des semences sur le marché des semences. Cela signifie que je perdrais ma variété spéciale ou mes semences produites à la ferme et qu'en plus je devrais assumer les dépenses liées à l'achat de semences différentes. Je considère qu'il s'agit là d'un effet négatif.

De plus, en ce qui concerne l'environnement, nous ne savons pas ce que cela peut signifier. Si d'autres transgènes sont introduits, s'il y avait par exemple des cultures pharmaceutiques ou un type quelconque de substance, nous ne savons pas ce qui pourrait se passer en cas de croisements éloignés de la plante. Les semences « Terminator » doivent offrir une protection; par conséquent, le risque serait beaucoup plus élevé si l'on ajoute à des cultures utilisées à des fins alimentaires des gènes que nous n'aurions pas songé à introduire.

On le ferait en entretenant l'illusion ou le souhait qu'il n'y a pas de croisement éloigné. Cependant, comme je l'ai dit, il y aura toujours un pourcentage qui non seulement se croisera à d'autres semences mais sera également viable et continuera de se transmettre. C'est le grand danger. Et c'est pourquoi certains diront que ce type de semence augmentera en fait les risques liés au génie génétique, en raison du faux sentiment de sécurité.

Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné et nous avons lu que les producteurs ont annoncé, en 1999, qu'ils n'utiliseraient pas la technologie « Terminator ». Cependant, cette technologie a été brevetée au Canada en 2005 ainsi que dans l'Union européenne. Nous avons dit que nous ne l'utiliserions pas, mais nous l'avons brevetée. Cela signifie que nous pourrions l'utiliser sous peu.

À votre connaissance, y a-t-il eu des discussions entre le gouvernement et les propriétaires de la technologie génétique en vue d'utiliser une technologie de restriction en ce qui concerne le processus d'évaluation réglementaire? Y a-t-il eu des débats qui nous rapprocheront de cette éventualité, c'est-à-dire que nous pourrions commencer à faire quelques expériences?

Mme Steinbrecher : Je ne suis pas au courant de discussions qui auraient eu lieu au gouvernement. Tout ce que je peux vous dire est fondé sur mes observations en tant que participante aux négociations et aux processus internationaux; par exemple, dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique ou lors de réunions connexes sur les sciences et les conseils techniques et technologiques.

Le Canada est l'un des pays qui a constamment tenté de miner le moratoire. Je ne sais pas pourquoi, ou ce qui fait l'objet de discussions au Canada — s'il existe un consensus parmi les membres de la Chambre des communes ou du Sénat selon lequel le Canada devrait tenter de se débarrasser du moratoire. Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression que c'est ce que le Canada est en train de faire.

Le sénateur Mercer : Nous avons la chance d'avoir, dans diverses régions du Canada, des fermes expérimentales administrées par le ministère de l'Agriculture. Il me semble, logiquement, que si nous décidons d'adopter ce type de technologie, elle devrait être mise à l'essai dans nos fermes expérimentales.

Existe-t-il d'autres pays dans le monde qui procèdent actuellement à des expériences à ce sujet? Y a-t-il des expériences pratiques, sur le terrain, de cette technologie ailleurs dans le monde? Ce n'est assurément pas le cas au Canada ou dans l'Union européenne. Expérimente-t-on cette technologie quelque part?

Mme Steinbrecher : Est-ce que vous parlez de la technologie « Terminator »?

Le sénateur Mercer : Oui.

Mme Steinbrecher : Comme je l'ai mentionné précédemment, à ma connaissance, il n'existe pas de plant produit à l'aide de la technologie « Terminator ». Nous ne possédons même pas de données sur les essais en serre. Cela ne signifie pas que quelqu'un quelque part ne tente pas de voir si la technologie fonctionne en faisant des essais au champ. Cependant, peu importe le pays auquel vous songez — et les applications ou les notifications d'organismes génétiquement modifiés, qu'un pays devrait accepter — il n'existe aucune notification à cet effet nulle part. Cela ne signifie pas pour autant que quelqu'un quelque part n'est pas en train de faire l'essai de la technologie sans en informer quiconque mais je ne suis pas au courant.

À ce que je sache, tout cela serait à l'état de projet. La technologie « Terminator » ne semble appliquée nulle part; c'est peut-être dû à sa difficulté d'application. C'est tout ce que je peux dire à ce sujet.

Le sénateur Gustafson : Monsanto applique-t-elle cette technologie?

Mme Steinbrecher : Un certain nombre d'entreprises de biotechnologie s'intéressent à la technologie et possèdent divers brevets sur celle-ci. Monsanto possède effectivement un brevet — je ne suis pas sûre qu'il y ait eu une demande de brevet ou à quelle étape elle en est à ce sujet. J'ai vu une description du brevet, donc Monsanto est intéressée. Les sociétés Delta and Pine Land Company et Syngenta sont également intéressées.

Beaucoup d'entreprises ont breveté cette technologie. Cela ne signifie pas nécessairement qu'elles progressent en termes de recherche. Parfois, les entreprises s'assurent de posséder la propriété intellectuelle et que personne d'autre ne peut y toucher. Elle est là et pourrait ne pas aller nulle part.

Le sénateur Gustafson : Si cette technologie était adoptée, elle donnerait assurément à l'entreprise qui la contrôle énormément de pouvoir. Les producteurs ne pourraient aller chercher les graines et les cultures semencières dans leurs graineries. Ils devraient aller acheter la semence et seraient alors à la merci de l'entreprise qui contrôle son commerce. C'est déjà le cas dans une certaine mesure.

On peut soutenir qu'il y a un côté positif : la quantité de boisseaux produits, grâce aux grains génétiquement modifiés, représente un grand avantage. Par ailleurs, on peut aussi dire que les producteurs sont à la merci des semencières, parce que les producteurs qui utilisent à nouveau la semence, même s'ils peuvent le faire, enfreignent la loi.

Ce dernier argument serait beaucoup plus frappant que le premier que le producteur peut écarter car il ne concerne que les coûts. Dans l'industrie agricole — je parle en tant qu'agriculteur — nous sommes à la merci de tout le monde. Nous prenons ce que nous pouvons obtenir. Ce serait le cas dans cette situation. Par ailleurs, ils pourraient augmenter les rendements jusqu'à ce que cela constitue un avantage.

Je m'inquiète des dangers que représenterait une technologie incontrôlable, qui ne pourrait être contrôlée. Nous savons que, dans une certaine mesure, cela ne constitue pas un grand problème. Toutefois, même en ce qui concerne le canola, on a vu des plants le long des routes. Plusieurs rotations de cultures sont nécessaires pour que les champs puissent accueillir seulement certaines cultures. Ce n'est assurément pas une bonne chose de semer du canola année après année ou même à tous les deux ans.

Ce sujet est très préoccupant. Cela ne fait aucun doute. Je suppose que les agriculteurs sont à la merci des législateurs et du gouvernement qui nous protègent contre les avancées dans ce domaine jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits que l'on ait répondu à bon nombre des questions posées.

Mme Steinbrecher : Comme il n'y avait pas question, j'aimerais simplement ajouter un commentaire.

Dans le cadre des négociations internationales et à l'intérieur de certains ateliers qui découlent de ces négociations, on s'inquiète non seulement de l'érosion de la biodiversité mais aussi de l'agrobiodiversité, ce qui signifie qu'on s'inquiète qu'il y a de moins en moins de semences différentes disponibles. Il y avait autrefois tellement de cultures différentes produites par les agriculteurs que nous pouvions consommer. Nous avions un régime très varié, ce qui est également très bénéfique pour le consommateur.

Comme vous le savez probablement, si l'on prend ses vitamines à une seule source, le corps l'utilise moins efficacement que si cette vitamine est consommée à partir de différentes sources. Nous ne savons pas pourquoi mais c'est simplement une chose que nous pouvons observer.

Par conséquent, du point de vue de la santé publique, il est non seulement important d'avoir une variété d'aliments, mais cette variété est également nécessaire pour la sécurité alimentaire car, dans certaines saisons et dans certaines régions, une culture pousse mieux que dans d'autres. Le problème, évidemment, est qu'on ne peut plus garder les semences; il faut retourner les acheter. Que conserve-t-on et qui est en train de conserver les semences qu'il est possible de réutiliser? Voilà une autre question à laquelle il faudra répondre.

Des organismes se regroupent maintenant pour inventorier ce qui reste afin de le préserver. Il existe des programmes de recherche internationaux dans ce secteur, qui est assurément source de préoccupations.

En ce qui concerne la technologie « Terminator » et le rendement, je peux comprendre que les producteurs soient intéressés à accroître leurs rendements et que si une semence plus coûteuse donne de meilleurs rendements, ils pourraient choisir de l'acheter. La technologie « Terminator » n'est pas conçue pour accroître le rendement. Elle est conçue — intrinsèquement — pour donner des graines qui ne germent pas. Une autre modification génétique pourrait aussi lui avoir été apportée, une autre modification à cette fin; mais pour cette fin, on n'a pas besoin de la technologie « Terminator », si vous comprenez ce que je veux dire.

Toute la question serait alors plus risquée, parce qu'il y aurait tellement d'autres étapes découlant du génie génétique et des modifications qui pourraient mal fonctionner. On pourrait vouloir conserver la modification originale plutôt que d'ajouter une autre modification, si l'on souhaitait suivre la voie tracée par le génie génétique.

Le sénateur Gustafson : Il est vrai que c'est ce qui est déjà arrivé dans une certaine mesure. Lorsque nous avons commencé à semer du canola, les rendements du canola Roundup Ready, génétiquement modifié, étaient extraordinaires. En réensemençant le même champ, même après la rotation des cultures, nous ne pouvions obtenir les rendements de départ. Je ne dirai pas que c'est l'expérience que tous ont connue, mais c'est certainement l'expérience que nous avons eue.

La question des variétés différentes a toujours été importante au Canada, parce que nous avons toujours été fiers de posséder le meilleur blé de force roux de printemps au monde en termes de variétés et que nous avons empêché les variétés américaines d'entrer au pays.

Toutefois, si vous dites que la technologie pourrait être utilisée dans l'avoine, l'orge, le blé, le canola, la graine de moutarde, peu importe, cela pourrait certainement changer toute l'orientation des variétés.

Mme Steinbrecher : C'est aussi pour cela qu'il devrait y avoir des évaluations d'impact avant d'aller plus loin.

Le sénateur Callbeck : Ce n'est pas une question facile.

Le document parle de 2000, date à laquelle une conférence des parties à la convention des Nations Unies a recommandé que la technologie de restriction de l'utilisation des ressources génétiques (TRURG) ou technologie « Terminator », ne soit pas approuvée pour des essais au champ tant qu'on n'aura pas recueilli davantage de données scientifiques.

Comme vous le savez, le Canada n'a pas accepté la recommandation et je crois vous avoir entendu dire que vous ne compreniez pas pourquoi.

Mme Steinbrecher : Je n'ai aucune information qui me permettrait de savoir pourquoi.

Le sénateur Callbeck : Possédez-vous de l'information provenant d'autres pays qui n'ont pas non plus accepté la technologie, qui ont adopté la même position que le Canada, et savez-vous pourquoi ils ont adopté cette position?

Mme Steinbrecher : J'essaie de me rappeler l'argument de certains pays. Certains ont dit qu'il faudrait simplement pouvoir procéder à des évaluations plus poussées, faire la recherche et ne pas bloquer une technologie en soi, mais plutôt l'examiner au cas par cas.

Tous les pays sont d'accord avec cette approche, à condition qu'elle soit n'importe quoi d'autre qu'une technologie « Terminator ». Mais celle-ci est dans une catégorie à part en ce qui concerne ses répercussions et son impact sur les agriculteurs. Il y a des questions d'impacts socioéconomiques, sur la biodiversité des organismes aquatiques, la biodiversité en général, la sécurité alimentaire et le contrôle des semences. Différents groupes se sentent menacés par cette technologie. Par conséquent, la Convention sur la diversité biologique considère qu'il faut prendre du recul car c'est une technologie qui doit être traitée à part des autres. Dans les pays qui préconisent une recherche plus poussée, je crois qu'il y a un intérêt là où l'industrie de la biotechnologie est également très active. Toutefois, ce n'est pas le cas pour tous les pays non plus. Le Brésil a imposé un moratoire, sa propre loi nationale sur la technologie « Terminator » —l'Inde également. Il y a aussi là-bas des activités en biotechnologie. J'aimerais être un analyste politique, mais ce n'est pas dans mes cordes. Je peux observer et vous transmettre mes observations.

La présidente : Grand bien vous fasse.

Le sénateur Callbeck : Ils ont recommandé de ne pas approuver la technologie pour les essais tant qu'on n'aurait pas recueilli plus de preuves ou de données scientifiques. Où en sommes-nous dans la recherche? Quel est l'état actuel de la recherche? À votre avis, dans combien de temps aurons-nous des données scientifiques ou en aurons-nous jamais?

Mme Steinbrecher : Vous soulevez des points intéressants. Les données scientifiques, qui sont nécessaires, sont en fait celles des essais en serre, de plants complets auxquels on a intégré tous les différents éléments, et il n'existe pas de données à cet égard. Comme je l'ai dit précédemment, c'est peut-être bien parce que le processus est tellement complexe et difficile à appliquer qu'il pourrait ne jamais fonctionner pendant la durée de temps qui serait nécessaire même pour un taux de réussite de 80 p. 100. C'est peut-être pour cette raison qu'on ne peut la produire.

J'ai des collègues qui font de la recherche sur différents éléments et pour différents buts. Ils ne mènent pas leur recherche à cause des TRURG; ils veulent simplement connaître certains mécanismes.

Ils le font séparément; il n'y a pas d'intérêt à suivre le processus au complet car peu de scientifiques sont intéressés à produire des plants stériles. Toutefois, ils sont intéressés par les mécanismes, donc il s'agit d'un outil de recherche. Je vois que davantage de données sont produites. La question reste à savoir devrait-on aller jusque-là?

C'est une bonne question. Ce n'est pas mon rôle de dire quoi faire, mais je peux constater de nombreux problèmes qu'il faudrait régler avant de suivre cette voie; des problèmes qu'il faudrait examiner avant plutôt que de produire quelque chose puis d'essayer ensuite de réparer les pots cassés.

Il y a en Chine des peupliers génétiquement modifiés. La Chine éprouve de gros problèmes de désertification. En effet, le désert est en train d'avancer. La Chine avait déjà été déboisée et on y pratiquait une agriculture très intensive. Ce type d'agriculture n'a pas laissé de protection pour le sol, donc le désert avance rapidement. Beijing commence à connaître de grosses tempêtes de sable.

Les Chinois disent maintenant : « Reboisons rapidement ». Ils ont essayé de le faire. Une partie de leur programme consistait à planter beaucoup de peupliers. En le faisant rapidement, toutefois, les scientifiques chinois n'ont pas pris suffisamment de temps pour analyser la question sous tous les angles possibles. On a donc planté des peupliers en monoculture, et les peupliers sont très menacés par les ravageurs. Par conséquent, les Chinois ont produit par génie génétique — et planté sur de grandes surfaces — le peuplier doté d'une toxine Bacillus thuringiensis, qui tue certains types de papillons, qui sont les ravageurs du peuplier. C'est seulement maintenant que les scientifiques disent : « Nous ne savons plus ce qui se passe. Nous avons un problème. » Parfois, les gens font quelque chose parce que c'est possible, mais après coup ils commencent à y penser et à évaluer la situation et ils ne peuvent aucunement défaire une technologie susceptible de se multiplier.

Je crois qu'il faut ici procéder à quelques évaluations quant à l'utilisation de la technologie de restriction de l'utilisation des ressources génétiques, ou technologie « Terminator », en ce qui concerne les arbres qui pourraient être modifiés génétiquement. C'est une idée qu'entretient ici la délégation. J'en ai parlé à des scientifiques. On a trouvé quelque chose qui pouvait être utilisé pour empêcher le pollen de fertiliser d'autres arbres, mais il ne s'agissait pas d'une technologie « Terminator ». C'est différent, il existe des moyens différents.

Je considère qu'il n'est pas avisé de laisser une chose aller aussi loin pour ensuite commencer à évaluer la situation. Il est préférable de le faire dès le départ — c'est-à-dire, envisager les hypothèses et faire ensuite quelques autres tests. Je ne sais pas si les renseignements que je viens de vous donner peuvent vous aider.

Le sénateur Callbeck : Oui. Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Mercer : J'imagine que nous parlons d'un cas hypothétique. Nous avons une technologie et nous n'avons pas d'utilisation pratique pour celle-ci. Vous avez parlé des déserts. L'un des grands problèmes de notre pays et l'un des grands problèmes dont nous débattrons pendant je ne sais combien d'années, est la question du réchauffement global et du changement climatique. Je sais que vous ne pouvez répondre par un oui ou par non, mais cette technologie pourrait-elle nous aider si le réchauffement global et le changement climatique se poursuivent? Cette technologie nous permettrait-elle peut-être de survivre plus longtemps sur la planète, parce que la technologie permet de faire pousser des arbres, des plants et des aliments génétiquement modifiés.

Mme Steinbrecher : Parlez-vous des TRURG ou de génie génétique en général?

Le sénateur Mercer : Des TRURG et de la technologie « Terminator ».

Mme Steinbrecher : À mon avis, vos craintes sont tout à fait justifiées. Un nombre considérable de groupes différents sont en train d'évaluer les effets du réchauffement de la planète. Le climat va changer. Tout à coup, des orages éclateront et on assistera à d'autres changements climatiques impossibles à prévoir. Peut-être que les plantes que nous connaissons aujourd'hui ne pourront plus donner le rendement habituel ou attendu, et peut-être faudra-t-il cultiver d'autres variétés de plantes, ou encore augmenter la superficie des zones cultivables? Je ne pourrais pas vous dire. La température, l'humidité et une multitude d'autres facteurs peuvent changer. En tant que biologiste, je crois que la meilleure solution consiste à conserver la plus grande diversité possible, de manière à pouvoir en disposer en cas de besoin. Il y a une grande diversité, mais la situation se dégrade rapidement.

Nous devrions aussi cultiver plus de variétés différentes, notamment des variétés complémentaires. Prenons, par exemple, l'Afrique : on y cultive du maïs, mais les plants sont ravagés par le charançon du maïs. Faut-il répandre des insecticides? Cultiver du maïs transgénique? Que faire? Existe-t-il un élément présent dans cet écosystème qui pourrait être complémentaire à la culture du maïs? Il faut aussi dire que les Africains ont un problème avec la striga, une mauvaise herbe tropicale qui étouffe les plants.

Les scientifiques ont donc élaboré un système de complémentarité en collaboration avec les agriculteurs. Ils ont découvert une herbe — l'herbe à éléphant — qui pousse bien en bordure des champs de maïs et qui attire le charançon. Le ravageur, qui préfère l'odeur de l'herbe à éléphant, non seulement délaisse les plants de maïs, mais se retrouve prisonnier du liquide collant de l'herbe. Les scientifiques ont découvert une autre plante — la desmodie — qui pousse bien entre les plants de maïs. C'est une très petite plante fixatrice d'azote dont l'odeur repousse le charançon du maïs et qui ne risque pas d'être envahie par la striga, car ces deux plantes sont mauvaises voisines. En plus, la desmodie fertilise le sol. Quant à l'herbe à éléphant, elle peut aussi servir de fourrage pour les animaux et procurer un revenu supplémentaire aux agriculteurs qui la vendent au marché. Du coup, nous avons le choix de cultiver une espèce génétiquement modifiée, d'utiliser des tonnes d'insecticides ou d'avoir recours au système de complémentarité.

Les agriculteurs ont utilisé le système de complémentarité à titre expérimental, puis ont décidé de l'adopter. Comment ce système pourrait-il fonctionner dans une industrie agricole à grande échelle? Il y a très peu de recherches qui tentent de répondre à cette question. À cela s'ajoutent d'autres facteurs à considérer comme la superficie des champs, la machinerie, et ainsi de suite.

Il faut aussi bien comprendre les mécanismes. Je crois que le génie génétique est un outil très utile pour faire avancer la connaissance, car il reste encore tant de choses à découvrir. Je pense par exemple à la sélection effectuée à l'aide de marqueurs moléculaires, grâce à laquelle nous pouvons mettre les outils de la génétique à contribution pour observer les caractéristiques qui se retrouveront chez les végétaux et dans la généalogie des plantes. Les ressources à notre disposition sont infinies.

Par contre, je ne vois pas comment la technologie « Terminator » pourrait contribuer au scénario du réchauffement de la planète que vous décriviez. Je n'oserais pas me prononcer sur les autres mécanismes du génie génétique, car je ne peux pas vous dire lesquels seront utilisés, ni si nous aurons un jour une réponse à cette question.

Le sénateur Mercer : Il est curieux de constater à quel point les aliments génétiquement modifiés sont mal accueillis et dans quelle mesure cette technologie est perçue avec méfiance. Au Canada, nous cultivons et nous produisons des aliments, notamment des céréales, des fruits et des légumes, qui n'ont jamais existé auparavant. Nous avons croisé des plantes et créé des souches végétales qui poussent dans les conditions difficiles qui existaient avant le réchauffement de la planète. Je constate en effet que le public s'y oppose, mais que des modifications génétiques plus ou moins importantes sont pratiquées depuis déjà de nombreuses années.

Il s'agit d'une technologie et d'un domaine de recherche absolument fascinants. Et, je constate avec inquiétude que le Canada n'est pas nécessairement à la fine pointe des avancées dans le domaine.

Dans quelle région du monde la recherche est-elle la plus avancée? Vous êtes une chercheure d'élite dans le domaine, où travaillez-vous? Où se trouvent les plus importants centres de recherches en génétique et en amélioration des plantes dans le monde?

Mme Steinbrecher : Je ne suis pas certaine de savoir de quoi vous voulez parler exactement, des chercheurs en génie génétique qui développent la technologie « Terminator » ou des personnes qui étudient les végétaux ou qui recueillent des semences?

Le sénateur Mercer : Ma question comprend tous les aspects qui entourent l'emploi de nouvelles technologies dans la culture et la production des aliments.

Mme Steinbrecher : Ils sont tellement nombreux. Sans compter les collaborations intéressantes entre les scientifiques et les agriculteurs. Ils font des recherches ensemble afin de déterminer lesquelles sont les plus pertinentes.

Évidemment, les ressources financières sont un élément déterminant en ce qui à trait à la poursuite de la recherche. Parfois, les processus sont plus longs et les fonds tardent à venir, il est donc possible qu'ils aient besoin de soutien financier. Bien sûr, le financement n'est pas une chose simple. La recherche n'est donc pas concentrée dans un endroit en particulier. Il y a beaucoup d'activités en cours dans différentes régions et différents pays du monde. Selon l'aspect particulier qui vous intéresse, un centre de recherches peut être plus avancé que les autres.

En ce qui concerne le génie génétique de manière générale, j'ai d'abord appliqué ses principes dans le domaine de la thérapie génétique humaine alors que je dirigeais un laboratoire dans un hôpital au Royaume-Uni. Notre principe fondamental a toujours été d'éviter de créer une chose qui pourrait éventuellement être dangereuse. Nous sommes conscients que l'ensemble du système de thérapie génétique humaine est comme un écosystème en soi. Nos gènes ont évolué au fil du temps et il existe entre eux des relations qui nous échappent. Peut-être croyons-nous simplement pouvoir découvrir quelque chose là où il n'y rien. Nous avons toujours cette idée en tête quand nous procédons à une modification génétique et que nous introduisons un gène. Il est essentiel que le gène n'endommage pas et ne perturbe pas les autres gènes, car dans le domaine de la thérapie génétique humaine, les dommages ou les interactions géniques peuvent causer un cancer ou d'autres maladies ou complications fatales.

Au milieu des années 1980, lorsque j'étudiais la thérapie génétique en vue de trouver un traitement pour combattre l'hémophilie, nous croyions qu'en dix ans nous aurions réussi. Étant donné l'état des connaissances en génétique à l'époque, nous aurions dû avoir découvert le traitement. Pourtant, vingt ans ont passé et le traitement contre l'hémophilie n'existe toujours pas. Parfois, nous pensons avoir compris, mais pour arriver à quelque chose il faudrait considérer des facteurs dont nous n'avons pas encore conscience. Nous ne possédons toujours pas la technologie qui permet l'insertion d'un gène à un endroit précis, y compris pour les végétaux. C'est-à-dire que nous réussissons seulement à placer le gène quelque part, donc, à chaque fois il faut faire des essais afin de déterminer les répercussions pour chaque application.

À titre d'information pour le comité, le processus de transformation visant à insérer un gène dans une plante consiste à utiliser des tissus et des cellules végétales qui ultimement risquent de prendre la place de l'ADN. Pour éviter cela, nous employons de nombreux produits chimiques. D'une manière ou d'une autre, peu importe l'endroit, nous insérons le gène, mais encore faut-il faire pousser la plante à partir de ces tissus. Pour y arriver, il faut lui administrer beaucoup d'hormones et d'autres produits chimiques. Seulement au cours du processus de clonage, avant même l'introduction d'un gène, la plante subit des centaines de milliers de mutations. En fait, ce procédé est utilisé par les phytogénéticiens comme technique mutationnelle.

Lorsqu'il est question de génie génétique, il ne faut pas considérer uniquement le simple gène introduit, car il déclenche une série d'autres processus. Le processus est toujours lent. On dit parfois que le processus accélérera les choses, mais ce n'est pas nécessairement le cas, car il faut rétrocroiser la plante au moins dix fois pour éliminer les mutations secondaires et évaluer les autres interactions. Voilà, c'était uniquement à titre informatif.

Le sénateur Mercer : Merci.

Mme Steinbrecher : La question n'est pas simple.

La présidente : Vous parliez de la Chine. Y a-t-il des débouchés possibles en Afrique dans votre domaine d'expertise scientifique?

Mme Steinbrecher : Veuillez m'excuser, je n'ai pas très bien compris votre question. Pourriez-vous la répéter?

La présidente : Tout à l'heure, vous avez parlé de la Chine. Est-ce que vos recherches en génétique peuvent apporter une lueur d'espoir aux populations africaines qui ont de graves problèmes en agriculture? Cette technologie peut-elle les aider à régler leurs problèmes?

Mme Steinbrecher : Lors des négociations qui ont eu lieu dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, les Africains, au cours des discussions sur la technologie « Terminator », ont proclamé d'une voix unanime que ce n'était pas l'avenue qu'ils entendaient privilégier. Ils prétendent que cette technologie entraînera une foule de problèmes pour les agriculteurs, la biodiversité et l'agrobiodiversité. Par conséquent, nous ne devrions pas non plus privilégier cette solution pour l'Afrique. Ce sont les Africains qui ont milité en faveur du moratoire. L'Afrique est un continent qui s'exprime d'une seule voix. Fait intéressant quand on sait que l'Afrique est aux prises avec des problèmes dans le domaine de l'agriculture, notamment la sécheresse. Nombreux sont ceux qui ont dit que cette technologie serait extrêmement bénéfique pour l'Afrique et permettrait de nourrir tout le monde, mais je pense qu'elle a été présentée aux Africains comme une bénédiction. Or, ils ne voient pas les choses sous le même angle. En partie parce que la technologie du génie génétique ne leur apparaît pas comme étant la bonne solution, car elle n'est pas entre les mains des agriculteurs. Aussi, les études d'impact sont peut-être menées aux États-Unis, mais rien ne garantit que ce sera le cas en Afrique. Les Africains doivent mener leurs propres essais, à la suite desquels ils seront en mesure de choisir la voie qui leur convient.

Par exemple, comme je le disais précédemment, il existe une pratique agricole axée sur la complémentarité qui consiste à combiner différentes variétés de plantes. Il faut se rappeler que l'agriculture en Afrique se pratique à une toute autre échelle, sur de petites parcelles. Et que dire de l'accessibilité des points d'eau et des terres cultivables, des problèmes que le génie génétique ne peut pas régler. Il s'agit plutôt d'un problème politique. Or nous savons que les solutions techniques, du genre bricolage technologique, ne règlent pas nécessairement tous les problèmes complexes. En ce qui concerne les TRURG, elles sont fermement rejetées par l'Afrique.

La présidente : Vous avez livré votre message ici, au Parlement. Qui d'autre allez-vous rencontrer pendant votre séjour à Ottawa?

Mme Steinbrecher : Je comparaîtrai devant le Comité permanent de la Chambre des communes pour discuter avec certains députés. Je m'entretiendrai également avec des collègues scientifiques. Nous avons encore beaucoup à apprendre et il est parfois facile d'oublier de se poser les bonnes questions pour résoudre un problème. Il est toujours très utile de se rencontrer entre scientifiques afin de voir les questions sous un angle différent. Voilà le principal objet de ma visite à Ottawa.

La présidente : Nous vous souhaitons beaucoup de succès. Votre séjour au Canada correspond à la période la plus froide de l'année, il vous faudra revenir durant la belle saison. Je suis persuadée que de nombreuses personnes serait intéressées d'entendre votre histoire.

Mme Steinbrecher : Merci.

La présidente : Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté de témoigner devant le comité ce soir. Nous admirons vos efforts et vos réalisations.

Mme Steinbrecher : Merci. J'espère que ces renseignements seront utiles dans vos délibérations.

La séance est levée.


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