Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 13 - Témoignages du 12 décembre 2006
OTTAWA, le mardi 12 décembre 2006
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 19 h 2, pour examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues et messieurs les témoins, je vous salue et vous souhaite la bienvenue. J'en profite d'ailleurs pour souhaiter la bienvenue également à tous les téléspectateurs qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Ce soir, nous accueillons des représentants de la Commission canadienne du blé — Adrian Measner, président- directeur général, et Allen Oberg, élu la semaine dernière à l'un des dix postes réservés aux membres élus du conseil d'administration. M. Oberg vient de l'Alberta.
Les Canadiens ont beaucoup entendu parler de la Commission canadienne du blé durant les dernières semaines et ils ont beaucoup lu à son sujet. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir ici à Ottawa pour témoigner devant notre comité au sujet d'une question d'une importance aussi cruciale pour le milieu agricole de l'Ouest canadien.
Depuis 71 ans, la Commission canadienne du blé est l'unique comptoir de vente de blé, de blé dur et d'orge pour les producteurs de l'Ouest. Chaque année, elle vend à peu près 22 à 24 millions de tonnes de blé et d'orge sur le marché intérieur et dans plus de 70 pays.
Comme nous le savons tous, le marché mondial du blé est très compétitif et dominé par quelques grandes sociétés céréalières qui, le plus souvent, dictent les conditions du marché. Un groupe d'agriculteurs soutient que, parce qu'elle vend leurs produits, la Commission canadienne du blé leur confère un réel pouvoir sur un marché qui manque habituellement de concurrence et leur rapporte peu actuellement. Toutefois, un autre groupe préférerait une formule plus souple qui lui permettrait de profiter des occasions qui se présentent sur le libre marché. Ces vues opposées sont au cœur du débat actuel très animé concernant l'avenir de la Commission canadienne du blé.
Au fil des ans, la commission a connu de nombreux changements. Actuellement, elle est régie par un groupe de 15 administrateurs, dont dix sont élus par les agriculteurs et cinq, nommés par le gouvernement fédéral.
Ce soir, nous disposons d'environ une heure et demie pour entendre MM. Measner et Oberg et les interroger. Comme toujours, je prie instamment les membres du comité de s'en tenir à de brèves questions afin de permettre à nos témoins d'y répondre pleinement, de sorte que chacun puisse contribuer à ce qui sera, j'en suis sûre, un débat animé.
Messieurs, vous avez la parole.
Allen Oberg, directeur, circonscription 5, Commission canadienne du blé : C'est avec plaisir que je suis venu ici ce soir pour vous rencontrer. Je dirige une exploitation mixte d'élevage de bétail et de production de grain avec mon frère, John, près de Forestburg, en Alberta. Dimanche dernier, mon mandat en tant que représentant des agriculteurs du nord-est de l'Alberta et du nord-ouest de la Saskatchewan au conseil d'administration de la Commission canadienne du blé a été reconduit. Ce soir, je suis accompagné de notre président-directeur général, Adrian Measner.
Avant d'entamer ma déclaration, j'aimerais commencer par dire que nous faisons l'objet d'un décret qui interdit à l'organisme d'engager des fonds pour promouvoir le principe du comptoir unique, de sorte que tout ce que je dirai à cet égard est une opinion personnelle.
Comme je l'ai mentionné, je viens tout juste d'être élu. J'ai passé une bonne partie de l'automne à m'entretenir personnellement avec 200 à 300 agriculteurs de mon district pour connaître leurs préoccupations et leurs opinions. Dans mon programme électoral, clairement énoncé, j'appuyais le principe du comptoir unique qu'est la Commission canadienne du blé. La principale question, celle qui m'a nettement démarqué des autres candidats, a été sans aucun doute le comptoir unique et, pour les agriculteurs, l'avenir de l'organisme.
Je suis également conscient que la situation n'est pas unique à mon district. Quel qu'ait été le district où se présentaient les candidats — qu'il s'agisse du sud de l'Alberta, du nord de la Saskatchewan ou de l'ouest du Manitoba —, le principal point dont tous débattaient était en fait ce principe du comptoir unique.
Que signifie le résultat d'une élection où quatre ou cinq candidats favorables au comptoir unique sont élus et récoltent plus de 60 p. 100 des suffrages? Pour moi, cela signifie que les céréaliculteurs de l'ouest du Canada envoient un message clair. Ils affirment sans équivoque que le principe du comptoir unique jouit de nombreux appuis. Ils affirment également que la majorité des agriculteurs préfère vendre son blé et son orge en passant par un seul agent.
Le gouvernement conservateur croit, d'après le résultat des élections fédérales de janvier dernier, qu'il a un mandat mais, de toute évidence, c'est le contraire. Des agriculteurs de la région Cyprus Hills-Grasslan ont voté aux dernières élections pour David Anderson, secrétaire parlementaire du ministre de l'Agriculture, mais d'autres, de la même région géographique, ont voté massivement aux dernières élections pour Larry Hill, un chaud partisan du comptoir unique. Il y a là une contradiction manifeste.
J'ai l'intention de transmettre lors des réunions stratégiques du conseil d'administration, des réunions auxquelles j'assisterai et dans tous mes autres échanges avec les autres administrateurs le message que m'ont donné les agriculteurs. Les sept autres administrateurs élus qui, comme moi, prônaient dans leur programme électoral le maintien du comptoir unique feront de même. Par conséquent, il faut que le gouvernement comprenne que tout président ou PDG nommé pour travailler avec notre conseil d'administration devra tout faire pour défendre, maintenir et renforcer le pouvoir de mise en marché des agriculteurs. S'il refuse de le faire, il fera face à l'opposition des huit administrateurs élus qui appuient le principe du comptoir unique et à la majorité des agriculteurs de l'Ouest canadien qui les ont élus.
À la Commission canadienne du blé, nous avons actuellement un président-directeur général en lequel nous croyons et qui a mis toutes ses énergies au service de la majorité des agriculteurs. Il a été un modèle d'intégrité, et nous apprécions à leur juste valeur sa sagesse et ses conseils. Ce n'est pas là l'opinion du seul conseil d'administration et des agriculteurs de l'Ouest canadien. Au cours des dernières semaines, notre siège social situé à Winnipeg a reçu toute une série de lettres de clients du Canada et de l'étranger.
Avec votre permission, je vais vous lire quelques extraits de lettres que nous avons reçues :
De Warburton Limited, un meunier du Royaume-Uni :
Pour ce qui est de notre préoccupation relative à la position dans laquelle se trouve Adrian et la commission en général, nous estimons que nous serions en bout de ligne obligés d'aller voir ailleurs pour trouver une source soutenue de blé d'excellente qualité en laquelle nous aurions confiance.
COFCO, c'est-à-dire China Cereals Oilseeds and Foodstuffs Corporation, notre partenaire chinois le plus fidèle avec lequel nous brassons depuis 46 ans des affaires d'une valeur de plus de 11 milliards de dollars, nous écrit :
Nous espérons que, dans l'intérêt de nos intérêts commerciaux réciproques, le leadership à la Commission canadienne du blé sera préservé.
Enfin, de A.D. Plowman, vice-président d'Agro-Hall Ltd., entreprise montréalaise :
M. Measner a toujours été un atout des plus distinct, important et précieux à la Commission canadienne du blé, dans tous les aspects de son fonctionnement, de l'agriculteur jusqu'à l'acheteur final — et à toutes les étapes intermédiaires.
En tant qu'administrateur, la lecture de ces lettres suscite chez moi des émotions mixtes. D'une part, je suis extrêmement fier que le président-directeur général que j'ai appuyé soit tenu en si haute estime dans l'industrie. D'autre part, je suis très déçu, tant en tant qu'agriculteur qu'en tant qu'administrateur, que nous soyons sur le point de le perdre dans cette déplorable bataille qui oppose un conseil d'administration élu par les agriculteurs et le gouvernement du Canada.
Je suis déçu également en tant qu'administrateur parce qu'il est de notre responsabilité en tant que conseil d'assurer la bonne gouvernance de l'organisme et de faire en sorte qu'elle ait la meilleure direction possible, mais en tant qu'agriculteur, je suis très troublé de voir que des clients de longue date — tant par les quantités qu'ils achètent que par les prix qu'ils sont disposés à payer — sont sur le point d'aller voir ailleurs pour acheter leurs grains parce que l'actuel gouvernement fait de la politique sur le dos de mon agent de mise en marché des grains.
Je ne peux pas me permettre le luxe de perdre des clients qui achètent mes récoltes — pas de bons clients, des clients disposés à acheter mon produit année après année. Le renvoi de M. Measner en tant que PDG ne pourra faire autrement que de compromettre ces ventes.
On peut dire la même chose de l'élimination du comptoir unique, mais vous n'avez pas à me croire sur parole. Fiez- vous à ce que disent les clients que je viens de citer et à une lettre de Prima Ltd., un important client d'Asie du Sud-Est qui, au cours des douze derniers mois, a acheté pour plus d'un million de dollars de tonnes de blé du Canada. Je cite :
Nous sommes plus qu'heureux de brasser des affaires avec la Commission canadienne du blé, en dépit de notre étroite proximité avec l'Australie. Le temps nous a appris à estimer à sa juste valeur le principe du comptoir unique adopté au Canada. Selon nous, grâce à ce comptoir unique, notamment à la Commission canadienne du blé, nous pourrons établir et entretenir des relations spéciales à long terme. Pareil fait est important du point de vue de l'acheteur. La CCB connaît nos besoins et, simultanément, elle est capable de nous fournir toutes les qualités de blé canadien dont nous avons besoin.
On a souvent reproché à la CCB de faire de la propagande simplement pour sauver sa peau et de faire graviter tout le débat autour de ses propres intérêts plutôt que ceux des agriculteurs. Les lettres que je vous ai citées et que je dépose auprès du comité ce soir montrent clairement que l'abolition du comptoir unique et le renvoi d'Adrian représenteront en fait pour les agriculteurs une perte de contrôle et, en fin de compte, de rendements. Ce sont les agriculteurs qui seront perdants, et nous sommes également ceux qui, par conséquent, devraient avoir le dernier mot et prendre la décision.
C'est tout ce que j'avais à dire. Je cède maintenant la parole à M. Measner.
Adrian Measner, président-directeur général, Commission canadienne du blé : Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux membres du comité pour avoir invité la CCB.
Les clients que M. Oberg a mentionnés sont des gens que je connais et avec lesquels je travaille depuis de nombreuses années. J'ai établi des relations avec eux une visite à la fois et une vente à la fois. J'y ai travaillé très fort parce que je comprenais l'importance de conclure des partenariats commerciaux fondés sur la confiance, le respect et l'intégrité et parce que je pouvais voir à quel point de pareilles relations étaient importantes pour les agriculteurs de l'Ouest canadien.
L'établissement de pareilles relations a toujours représenté une partie de mon travail qui était une grande source de satisfaction personnelle, tout comme l'amélioration des programmes et des services que nous offrons aux agriculteurs. Durant mon mandat comme président-directeur général, j'ai travaillé de près avec le conseil d'administration et le personnel à concevoir et à offrir des services aux agriculteurs qui accroissaient leur capacité de gérer eux-mêmes les risques de prix et les livraisons. Les agriculteurs peuvent désormais établir leurs prix en fonction des bourses de marchandises, des prix consentis aux élévateurs aux États-Unis, et ils peuvent les bloquer d'avance. Ils exercent également plus de contrôle que jamais sur les livraisons, sur des programmes comme les marchés de livraisons garanties et les contrats d'échange et de livraison qui sont à l'essai cette année dans certaines régions de la Saskatchewan.
En nous concentrant sur ces deux priorités que sont l'amélioration des services aux agriculteurs et le renforcement des relations avec les clients, nous faisons évoluer l'industrie. Nous étions en train de déplacer le débat, des vieilles questions d'idéologie et de politique vers une amorce de dialogue sur la façon d'améliorer le système, de simplifier la logistique, d'offrir encore plus de souplesse aux agriculteurs et d'appuyer et d'accroître les possibilités d'ajouter de la valeur à leurs produits.
Malheureusement, l'élan que nous donnions à ce genre d'initiatives favorables et l'énergie que nous y mettions sont actuellement compromis par la ressuscitation de vieux arguments, comme s'il n'y avait jamais eu de réforme au cours des dix dernières années.
L'idée que se fait le gouvernement de la CCB date de 1996. La CCB telle qu'il la conçoit est un organisme gouvernemental quelconque sans administrateur élu par les agriculteurs qui n'est soumis à aucun droit de regard, qu'il s'agisse des ventes ou des finances. Le gouvernement refuse de voir que ce sont en réalité les agriculteurs maintenant qui dirigent l'organisme, qui peuvent examiner toutes les ventes. Il refuse de reconnaître que les agriculteurs ont demandé au vérificateur général du Canada d'examiner la direction de l'organisme et qu'ils ont donné suite à ses recommandations.
Il refuse de reconnaître que les agriculteurs de l'Ouest canadien ont les mêmes droits que ceux de l'Ontario et du Québec. Les fermiers ontariens, par l'intermédiaire de leurs représentants élus au sein de l'Ontario Wheat Producers' Marketing Board, ont décidé d'éliminer le régime à comptoir unique de marketing. Les agriculteurs des Prairies, par la voie de leurs administrateurs élus comme M. Oberg, peuvent faire la même chose. Les céréaliculteurs du Québec ont récemment voté en faveur d'instituer un régime à comptoir unique pour la commercialisation du blé. En fait, la seule source de véritable discrimination à l'égard des céréaliculteurs de l'Ouest canadien est la décision, par le gouvernement, d'aller de l'avant unilatéralement, sans le consentement du conseil d'administration.
Le gouvernement actuel refuse également de discuter des options dont disposent actuellement les agriculteurs, du choix qu'elles leur donnent de vendre aux prix au comptant, de bloquer d'avance les prix et d'obtenir plus au départ.
En dernier lieu, il persiste à perpétuer des mythes au sujet du traitement à valeur ajoutée dans l'Ouest canadien, comme si c'était vrai que nous affichons du retard par rapport aux Américains et au reste du monde. En fait, c'est tout l'opposé. Les politiques que nous avons mises en place et l'équité avec laquelle tous les transformateurs sont traités par la CCB ont créé un contexte dans le cadre duquel la transformation à valeur ajoutée a connu une croissance soutenue.
La réforme de 1998, dans le cadre de laquelle le contrôle de l'organisme a été cédé à des administrateurs élus représentant les agriculteurs, a marqué un important jalon dans l'histoire de la CCB. Elle a marqué le point de départ d'un renouveau tant nécessaire que favorable. Plutôt que de régresser d'une décennie ou plus, les producteurs de grains de l'Ouest canadien souhaitent utiliser ce renouveau comme tremplin. Ils souhaitent poursuivre les améliorations entamées sous la direction des administrateurs qu'ils ont élus.
Le sénateur Gustafson : Les trois dernières années vécues par les agriculteurs de l'Ouest canadien sont probablement les pires de toute l'histoire du pays. Or, tout juste l'autre côté de la frontière, les Américains ont connu leurs trois meilleures années.
Combien de grains la commission a-t-elle réussi à vendre l'an dernier? Nous avons des tas de blé dur invendu. Nous entendons dire que les cours mondiaux sont censé augmenter, mais ce n'est certes pas un phénomène que nous observé. Si vous livrez deux demi-charges de blé, elles vous rapporteront exactement 3 200 $. Vous obtenez plus de 6 000 $ pour leur vente, mais la différence est absorbée par les frais de manutention. Il est devenu très difficile pour les agriculteurs de cultiver du blé et d'en vivre. Comment l'expliquez-vous?
M. Measner : Tout d'abord, l'agriculteur américain jouit de nombreuses subventions gouvernementales que n'ont pas les agriculteurs canadiens. M. Oberg aura probablement d'autres observations plus poussées à faire à cet égard. Donc, les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous.
Le sénateur Gustafson : Ils obtiennent ce prix au silo.
M. Measner : Ils ont des paiements compensatoires au titre de prêts qui leur garantissent un prix adéquat, et le gouvernement comble l'écart, au besoin.
Nous avons tenté de faire en sorte que, si les agriculteurs souhaitent profiter de ces prix au comptant, ils peuvent le faire. Nous avons mis en place un contrat de prix quotidien du blé de sorte qu'ils peuvent fixer leur prix selon le prix transfrontière aux États-Unis. Si les agriculteurs veulent courir le risque de bloquer un prix au comptant — il peut augmenter, diminuer, parfois au-delà, parfois en deçà du prix commun —, ils peuvent le faire. Je vais régulièrement à des rencontres d'agriculteurs et j'entends constamment dire que les cours sont plus élevés de l'autre côté de la frontière. Par conséquent, nous avons créé une option pour l'établissement des prix qui leur donne accès à ces prix. Donc, ils profitent de la force du comptoir unique tout en ayant accès à ces prix. Ce fut là une importante évolution. Cette année, nous avons fixé à 500 000 tonnes la limite pour ce programme. C'est sa deuxième année d'existence, et les agriculteurs y souscrivent au maximum.
Le sénateur Gustafson : Ce n'est qu'un projet pilote.
M. Measner : C'est un programme en construction, mais à l'avant-dernière journée du programme, on y a souscrit au maximum, et nous envisageons la possibilité de l'élargir l'an prochain.
J'aurais des précisions à fournir au sujet du blé dur. Il représente une culture importante, et nous accaparons plus de la moitié de ce débouché extérieur. L'an dernier, le Canada avait plus de huit millions de tonnes de blé dur, alors que la demande internationale est de sept millions de tonnes en tout. L'offre au Canada dépassait la demande sur le marché international. Lors de discussions avec le conseil d'administration, nous nous sommes engagés à nous discipliner dans nos ventes pour éviter de faire chuter le prix à la valeur fourragère parce que, si vous essayez d'écouler huit millions de tonnes sur un marché de sept millions partagé avec cinq ou six autres grands concurrents, le prix va s'effondrer. Nous nous sommes donc disciplinés dans la vente pour essayer de maintenir le prix et nous avons connu une année record d'exportation de blé dur. En effet, nous en avons exporté plus de 4,2 millions de tonnes.
Cette année, notre objectif est de mettre en marché tout le blé dur. Il en est effectivement resté de l'an dernier, mais notre objectif actuel est de l'ajouter à la production de cette année et de tout mettre en marché. De plus, il sera offert à un prix plus élevé que l'an dernier.
Le conseil d'administration élu par les agriculteurs a pris certaines décisions stratégiques qui nous ont permis d'ajouter autant de valeur pour les agriculteurs, et cette année nous en ajouterons encore.
Le sénateur Gustafson : Les grains qui ont permis aux agriculteurs de traverser les années difficiles ont été le canola, la moutarde et les pois — tous des grains qui ne sont pas commercialisés par la CCB et dont la plupart ont été vendus directement aux États-Unis. Ce sont eux qui ont sauvé les agriculteurs. Ce n'était pas le blé et ce n'était pas le blé dur parce que les prix n'étaient pas au rendez-vous. J'entends constamment les agriculteurs dire qu'ils vont refuser de cultiver quoi que ce soit qui est acheté par la Commission canadienne du blé.
Les agriculteurs souhaitent obtenir deux choses : avoir le choix et les mêmes possibilités que l'agriculteur de l'Ontario. Celui de l'Ontario a un marché local, des débouchés sur le marché nord-américain, sur le marché des Grands Lacs, sur le marché des États-Unis et sur le marché international. En plus, une grande partie de son grain passe par l'ACDI, c'est-à-dire l'Agence canadienne de développement international.
Nos fermiers de l'Ouest se demandent pourquoi ce devrait être différent dans leur cas, pourquoi ils n'auraient pas droit aux mêmes possibilités que le céréaliculteur d'Ontario.
M. Oberg : Je peux répondre à cette question. Pour ce qui est de la première question concernant les cultures qui offrent le meilleur rendement aux agriculteurs, je suis agriculteur moi-même, et je suppose que cela varie d'une année à l'autre.
L'an dernier, il y a eu beaucoup de plaintes au sujet du prix du canola et du niveau élevé des prix de référence. Il est trop simpliste d'affirmer qu'une certaine culture a été le numéro un comme source de revenu pour les agriculteurs.
Le sénateur Oliver : Cultivez-vous du blé dur?
M. Oberg : Non. Je cultive du blé de printemps, de l'orge, du canola et des pois.
Le sénateur Gustafson : Vous faites pousser du blé?
M. Oberg : Oui. Le blé représente une de nos plus importantes cultures. En fait, l'an dernier, le blé, par acre cultivé, était probablement ma plus grande source de revenu. Par contre, cela varie d'une année à l'autre et selon la région.
La Commission du blé peut commander de meilleurs prix sur les marchés inversés du blé, mais elle ne peut dicter le prix du blé, qui est fonction du jeu de l'offre et de la demande mondiales.
Quant à votre question au sujet de l'Ontario, ces producteurs jouissent exactement des mêmes possibilités que les producteurs de l'Ouest canadien. Il n'y a certes pas de discrimination à notre égard. Ils ont choisi, il y a plusieurs années, de s'écarter du modèle de comptoir unique. Cette décision leur appartenait en tant qu'agriculteurs. Manifestement, les agriculteurs de l'Ouest canadien ont la possibilité de faire la même chose. En fait, l'occasion s'en est présentée il y a tout juste une semaine. Dans chaque district où avait lieu une élection, des candidats prônaient le libre marché. Les agriculteurs auraient donc pu voter pour eux.
Soit dit en passant, les producteurs québécois ont pris la décision inverse. Ils ont opté pour le régime à comptoir unique pour commercialiser leurs volumes de blé dans cette province.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Oberg, votre déclaration inclut des témoignages selon lesquels toute cette incertitude au sujet de l'avenir de la commission a un impact négatif sur les ventes. En d'autres mots, d'éventuels acheteurs commencent à regarder ailleurs. C'est exactement ce qu'a dit Ken Ritter, président de la commission, quand il a comparu devant le Comité de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes, et je cite :
L'incertitude qui plane actuellement sur la CCB fait beaucoup de tort à notre réputation. Nous commençons à en subir les conséquences.
Je tiens aussi à vous poser une question au sujet d'une autre déclaration qu'il a faite :
En outre, une analyse économique approfondie des conséquences d'un marché libre du blé s'impose.
En septembre 2006, le gouvernement a nommé un groupe de travail qui a déposé son rapport en octobre, je crois. Toutefois, il ne faisait pas d'analyse de l'impact sur le choix du marché. Que vous le sachiez, existe-t-il de pareilles analyses? Le gouvernement a-t-il manifesté un tant soit peu la volonté de faire ce genre d'analyse?
M. Oberg : L'étude probablement la plus notable des avantages du comptoir unique a été effectuée par Richard Gray et Hartley Furtan, de l'Université de la Saskatchewan. Ils évaluaient à plus de 200 millions de dollars les retombées supplémentaires pour la commercialisation du blé et à 57 millions de dollars, celles de l'orge. C'est probablement l'étude la plus remarquable qui existe.
Pour ce qui est du groupe de travail qui a été créé à l'automne, vous avez raison. Il n'a pas fait d'analyse approfondie de l'efficacité d'un système de double commercialisation. Le hic, du point de vue de la Commission canadienne du blé, c'est qu'il obligerait la commission à se comporter comme une entreprise céréalière. Comme elle dispose d'avoirs très limités, elle serait alors sérieusement désavantagée par rapport à ceux qui sont déjà présents dans le commerce et elle aurait à faire confiance à ces joueurs qui deviendraient ensuite ses concurrents pour l'exécution des contrats. C'était là une véritable lacune du travail effectué par le groupe. C'est pourquoi nous affirmons que l'idée d'un double marché est irréaliste, ce qu'a lui-même reconnu le groupe de travail. On peut avoir soit un comptoir unique, comme c'est le cas actuellement, ou cantonner la commission du blé dans un rôle mineur ou de petit courtier en grain. C'est là un choix qui appartient aux agriculteurs.
Le sénateur Callbeck : Estimez-vous nécessaire d'en faire une analyse plus poussée?
M. Oberg : Oui. Je l'applaudirais, tout comme les agriculteurs.
Quand on fait des études économiques, il est toujours difficile en tant que profane de juger de la pertinence du document. La meilleure façon de s'y prendre est de compter sur les pairs. Je peux vous dire que les études de Furtan et de Schmidt ont été très bien reçues par leurs pairs et que certaines autres, celles de Carter et Loyn par exemple, n'ont pas été aussi bien accueillies.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Oberg, vous avez mentionné il y a quelques instants ce qui se produirait si on pouvait avoir le choix du marché. Vous avez parlé des conséquences, et l'une d'entre elles serait que vous ne seriez qu'un petit joueur de la ligue. Qu'y a-t-il de mal à cela?
M. Oberg : Selon l'optique de chacun, il pourrait n'y en avoir aucun.
Le sénateur Tkachuk : Je vous parle de l'agriculteur. Qu'est-ce qui lui déplairait?
M. Oberg : Si vous êtes convaincu que le libre marché est la voie à suivre, c'est une idée qui vous plairait. Ce qui me préoccupe, c'est que nous observons un système où le commerce du grain est de plus en plus contrôlé par quatre ou cinq grands joueurs dans le monde. Plus de 70 p. 100 de ce commerce est sous l'emprise de ces cinq grands.
En tant qu'agriculteur, j'aimerais avoir un organisme qui peut travailler et parler en mon nom, qui peut non seulement commercialiser mon grain de manière efficace, mais contrer également l'influence grandissante non seulement des sociétés céréalières, mais également des chemins de fer. Il n'est pas question uniquement de faire de la mise en marché, mais également de faire contrepoids à ce pouvoir. C'est là que je vois un rôle important pour la commission.
Le sénateur Tkachuk : La raison d'être de la Commission canadienne du blé est justement de contrer ce pouvoir, de lui faire concurrence auprès d'autres éventuels clients, mais simultanément, les autres clients sont incapables de livrer concurrence parce que les agriculteurs ne peuvent que passer par la commission. Je ne suis pas trop sûr de bien saisir, mais peut-être pouvez-vous m'aider à comprendre.
M. Oberg : La Commission canadienne du blé n'est pas un acheteur de grain des agriculteurs. Elle vend le grain pour leur compte.
Le sénateur Tkachuk : Le producteur de blé n'a pas le choix. Il doit le vendre. Il n'a pas le choix.
M. Oberg : Non. Par contre, il dispose de plusieurs choix au sein même de la commission. Ainsi, il peut choisir de se regrouper avec d'autres producteurs, et il existe aussi plusieurs autres options qu'a mentionnées M. Measner. Il peut établir son prix en fonction du cours qui prévaut sur la Bourse de Chicago, des prix offerts aux élévateurs des États- Unis, et toutes ces options limitent le libre marché. En réalité, les agriculteurs ont le meilleur des deux mondes. Pour moi en tant que producteur, c'est un choix que j'aime avoir.
Le sénateur Tkachuk : Arrêtons-nous quelques instants à cette question. Vous avez mentionné que, lors de votre élection, vous aviez récolté 60 p. 100 des suffrages. Cela signifie que 40 p. 100 des électeurs étaient opposés à vous. Vous assumiez que la principale raison pour laquelle 60 p. 100 des électeurs ont voté pour vous était le fait que vous prôniez le comptoir unique, si j'ai bien compris.
M. Oberg : C'est juste.
Le sénateur Tkachuk : Manifestement, les 40 p. 100 qui n'ont pas voté pour vous se sont prononcé en faveur de l'autre option, soit du libre marché. Pourquoi les droits de 40 p. 100 des électeurs seraient-ils sacrifiés pour répondre aux besoins de 60 p. 100? Pourquoi, en tant que producteurs sur le marché, faudrait-il que leurs droits soient sacrifiés?
Nous vivons dans un pays libre. Si je vends un truc, un produit, et que je ne veux pas vous en confier la commercialisation, d'après votre raisonnement, je serais porté à croire que 40 p. 100 des gens ne souhaitent pas passer par vous. C'est là un nombre impressionnant. Vous êtes en train de dire qu'au Canada, il faudrait faire plier 40 p. 100 aux droits de la majorité pour contenter celle-ci.
M. Oberg : Les droits de la majorité sont une des préoccupations premières de toute démocratie, mais je représente tous les agriculteurs, non seulement ceux qui ont voté pour moi, mais aussi les autres membres de mon district. Le problème, c'est que, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, pour offrir le choix à ces 40 p. 100 dont vous parlez, il faudrait que la Commission canadienne du blé cesse d'être le choix des autres 60 p. 100, parce qu'il lui serait difficile de survivre sur un libre marché.
Le sénateur Tkachuk : Mettons cette question de côté. Je ne suis pas d'accord avec cet argument. Si vous faites aussi bien le travail que vous le dites, alors ceux qui privilégient le comptoir unique continuerons de le faire. Vingt pour cent des agriculteurs sont responsables de la production d'un fort pourcentage du grain, 80 p. 100 selon certains, ce qui fausse le nombre réel de suffrages, en quelque sorte. Ici au Sénat, nous avons toujours affirmé que les droits de la minorité étaient très importants. En fait, de nombreux sénateurs des deux côtés de la Chambre affirment que c'est là notre principale raison d'être. La première chose que nous affirmons, c'est à quel point le traitement réservé à nos minorités a de l'importance.
Vous voici en train de dire que le groupe qui n'a pas voté pour vous et qui s'est manifestement prononcé en faveur de la double méthode de commercialisation n'a pas de droit, à moins qu'il décide de ne plus cultiver de blé ou d'orge, ce que de nombreux agriculteurs ont, au fil des ans, décidé de ne pas faire.
M. Oberg : Si vous tenez compte de certains changements apportés par la Commission canadienne du blé depuis 1998, et ils sont considérables, il n'y a pas de statu quo à la commission. Si vous examinez toutes les options qui, comme je l'ai dit, tentent virtuellement d'imiter le libre marché, nous avons offert à ces producteurs une souplesse dans l'établissement des prix justement pour répondre aux préoccupations de la minorité dont vous parlez.
Le sénateur Mercer : Je vous suis vraiment reconnaissant d'être venus. Je sais que vous vivez tous deux et les autres membres de la Commission canadienne du blé une période houleuse.
Je m'excuse à l'avance. J'ai tendance à surpolitiser les choses. Mes collègues sauteront sur l'occasion pour le confirmer. Les 60 p. 100 de suffrages que vous avez obtenus le week-end dernier sont plutôt impressionnants. Comme M. Oberg l'a dit, son travail ne consiste pas à ne représenter que les 60 p 100 qui ont voté pour lui, mais également les autres électeurs de son district. Je peux très bien comprendre sa position et je le respecte d'autant.
Par contre, je suis préoccupé du fait que vous consacrez beaucoup de temps à venir nous parler, à notre comité et, la semaine dernière, au comité de la Chambre des communes, de la gouvernance de la commission et de la manière dont nous commercialisons le grain dans le monde entier alors que vous êtes censé être ailleurs. Où deviez-vous vous trouver ce soir?
M. Measner : La semaine dernière, je devais être au Japon.
Le sénateur Mercer : La semaine dernière, vous deviez être au Japon pour faire quoi au juste?
M. Measner : Pour rencontrer des clients.
Le sénateur Mercer : Des acheteurs de blé — c'est bien cela?
M. Measner : C'est juste.
Le sénateur Mercer : Quelqu'un y est-il allé à votre place?
M. Measner : Oui, le directeur général de la commission est allé.
Le sénateur Mercer : Toutefois, cela n'avait pas le même poids que le président-directeur général de la Commission canadienne du blé, puisque c'était votre second qui vous remplaçait.
M. Measner : Le Japon représente pour nous et pour les agriculteurs un marché très important de sorte que nous lui portons beaucoup d'attention. Habituellement, je m'y rends une fois par année à l'automne, mais j'en ai été incapable cette année.
Le sénateur Mercer : Je vous félicite des appuis que vous avez récoltés le weekend dernier, mais je reconnais également qu'il existe une minorité opposée au comptoir unique. Avez-vous déployé des efforts spéciaux en vue de tenir compte des besoins de ces personnes pour faire en sorte que vous leur offrez des services qu'elles jugent meilleurs que par le passé?
M. Measner : Oui. Nous y avons consacré beaucoup d'efforts. Depuis la création du nouveau conseil en 1998, l'organisme est en voie de restructuration et il tente d'être à l'écoute de tous les agriculteurs.
Il s'agit d'un enjeu économique, et j'en comprends le concept. Les agriculteurs n'appuieront pas à 100 p. 100 le principe du comptoir unique. C'est un intérêt économique auquel les agriculteurs ont manifesté leur appui. C'est une décision qui appartient aux agriculteurs, et il faut, comme je le fais, la respecter.
Nous avons tenté de répondre aux souhaits du plus grand nombre d'agriculteurs en introduisant de nouvelles options pour l'établissement des prix. Ils n'ont pas que l'option de mettre leur production en commun. J'ai mentionné le contrat de prix quotidien en fonction des prix obtenus à l'élévateur aux États-Unis. C'est là un outil puissant d'établissement de prix qui plaît aux agriculteurs.
Nous avons un contrat à prix fixe et un contrat à prix de base qui varie chaque jour selon les marchés à terme des États-Unis. Nous avions 2,2 millions de tonnes de blé incluses dans le contrat de prix quotidien, cette année.
Nous avions convenu de 800 000 tonnes par contrat. Ils peuvaient choisir la journée d'établissement du prix en se basant sur les variations des marchés à terme aux États-Unis. Nous avions un demi-million de tonnes comprises dans le contrat de prix quotidien. Ceux-là avaient plus de trois millions de tonnes de blé.
Nous offrons aussi des options de paiement anticipé pour qu'ils puissent avoir une encaisse plus élevée plus tôt dans l'année. Ils y affectent 80 p. 100, 90 p. 100 ou 100 p. 100 du rendement prévu des comptes de mise en commun.
Il existe des variantes qui permettent aux agriculteurs de mieux gérer leur entreprise.
Le sénateur Mercer : Si je vous ai bien compris, il existe trois options?
M. Measner : Oui. Ce sont là les trois grandes options.
Le sénateur Mercer : Les options générales.
M. Measner : Oui.
Le sénateur Mercer : Qui s'en tire le mieux sur le plan économique? Qui fait le plus d'argent?
M. Measner : Tout dépend de la décision prise à l'égard des prix, ce qui n'est pas facile à faire. Certains agriculteurs s'en sortiront mieux s'ils choisissent un moment propice pour établir leurs prix. Les prix fluctuent périodiquement. Certains agriculteurs s'en tirent moins bien, de sorte qu'il est préférable pour eux d'opter pour la mise en commun.
Les agriculteurs prennent cette décision chaque année selon leur perception de l'avenir du marché et s'ils croient pouvoir en bénéficier.
Je ne crois pas qu'il existe une seule réponse. Il n'y a pas un seul groupe d'agriculteurs qui s'en tire toujours mieux ou un groupe qui s'en tire toujours plus mal. La situation varie. Tout est fonction des décisions qu'ils prennent en matière de prix.
Le sénateur Mercer : Quand l'Ontario s'est-elle écartée du principe de comptoir unique?
M. Measner : Cela s'est fait lentement. On a commencé par exclure 100 000 tonnes, puis 150 000, et on a continué ainsi à augmenter le tonnage. Le mouvement s'est amorcé il y a six ou sept ans. Je vous cite ces chiffres de mémoire.
Le sénateur Mercer : Combien de temps a-t-il fallu au Québec pour prendre la décision inverse?
M. Measner : Cela s'est fait tout récemment au Québec.
Le sénateur Mitchell : Après combien de temps?
M. Measner : Il n'y avait pas de comptoir unique là-bas auparavant. Ils commercialisaient leurs produits sur un libre marché.
Le sénateur Mercer : Ce sont de nouveaux adeptes du comptoir unique?
M. Measner : Oui.
Le sénateur Mercer : Je demeure perplexe quant à la raison pour laquelle nous nous retrouvons dans cette situation au départ. En un an, quel pourcentage de grain produit annuellement vendons-nous en une année? Combien de réserves gardons-nous pour les années subséquentes? Je suis un pauvre garçon de l'est du Canada. Je ne m'y connais pas beaucoup en grain. Je pense plutôt en termes de barils de pommes.
M. Measner : Notre objectif est de commercialiser tout le grain que nous confient les agriculteurs au cours d'une année donnée. Ce n'est pas toujours possible en raison du marché du blé dur, où l'offre excède la demande.
Habituellement, nous accepterions tout le blé qui nous est confié. L'an dernier, nous en avons accepté 95 p. 100 environ. Notre objectif cette année est 100 p. 100. Au cours des dernières années, nous aurions accepté 100 p. 100 du blé.
L'an dernier, nous n'avons accepté que 70 p. 100 du blé dur parce que la récolte était trop abondante. Cette année, nous prévoyons en accepter 100 p. 100. Cela fluctuera d'une année à l'autre. La plupart du temps, notre but est de tout commercialiser. Tout dépend du marché et de la logistique disponible pour transporter les récoltes.
Le sénateur Segal : Monsieur Measner et monsieur Oberg, soyez les bienvenus. J'ai de l'estime pour ceux qui sont élus. Une marge de 60 p. 100 est impressionnante.
De toutes les personnes qui se trouvent ici, à la table, c'est probablement moi qui ai le moins d'expérience en agriculture, sauf que je suis un consommateur. Au-delà de ce fait, je n'ai pas de formation comme telle en agriculture ni d'expérience sur la ferme. Je vois donc cette question sous un tout autre angle que mes collègues riches de leur expérience dans ce domaine.
Il y a une évidence que tous semblent éviter. Je parle des personnes qui ont été poursuivies, et des ralliements qui ont eu lieu partout dans les Prairies en leur faveur, parce qu'ils refusaient de se conformer à la loi. Je ne critique pas le moment choisi.
J'ai l'impression que la volonté qui ressort de l'opposition entre ceux qui souhaitaient commercialiser leur produit eux-mêmes, plutôt que de passer par la Commission canadienne du blé, et ceux qui préféraient la mise en commun, un principe dont vous en êtes très sincèrement convaincu et que vous appliquez honnêtement, c'est qu'il faudrait avoir une certaine liberté de choix.
Je ne doute pas de toute l'énergie qu'a déployée la Commission canadienne du blé pour offrir différentes options à ceux qui ont des carnets de livraison. Il nous est impossible de comprendre pourquoi certains agriculteurs sont convaincus de leur droit de choisir et ne peuvent pas comprendre pourquoi nous aurions un système qui les prive de cette liberté. Cela vous cause-t-il des difficultés ou un certain malaise?
M. Measner : Tout d'abord, pour ce qui est des agriculteurs envoyés en prison, c'était il y a dix ans environ.
Le sénateur Segal : Je m'en souviens.
M. Measner : C'était avant qu'entre en fonction le nouveau conseil d'administration. Il est important de bien situer les événements dans leur contexte. Ils n'ont pas été emprisonnés parce qu'ils livraient du grain de l'autre côté de la frontière. Il existait certains droits de douane à acquitter. La Loi sur la Commission canadienne du blé n'avait rien à voir avec cette histoire. Il s'agissait plutôt de la Loi sur les douanes. Ils auraient pu payer les amendes, mai ils ont préféré aller en prison.
Les émotions sont vives. Ce n'est pas que je sois opposé à ce qu'ils réclament. J'ai été mandaté par le conseil d'administration pour travailler de concert avec les agriculteurs. En 1998, l'organisme a été cédé aux agriculteurs pour qu'ils puissent décider eux-mêmes de l'opportunité de maintenir un comptoir unique pour la commercialisation de leurs produits ou de passer au libre marché. On voulait que les décisions soient prises par ceux qui détiennent les intérêts économiques.
Depuis lors, nous avons exécuté les ordres du conseil d'administration. Tous les deux ans, le mandat de la moitié des administrateurs élus prend fin, de sorte qu'il faut tenir des élections, et les nouveaux apportent de nouvelles questions à la table. Le conseil s'arrime aux souhaits des agriculteurs élus et met en place des programmes et des activités qui donnent suite aux préoccupations de tous.
L'enjeu est de nature économique. C'est une question pour laquelle il faut que les agriculteurs nous donnent leur avis. Je crois que nous y donnons suite comme il convient. Jusqu'à ces derniers mois, le débat n'était pas aussi émotif qu'il y a une dizaine d'années. Les agriculteurs respectaient le fait qu'ils dirigeaient l'organisme et prenaient les décisions. C'était avantageux pour l'agriculture dans l'Ouest canadien.
Depuis six mois, par contre, le débat fait à nouveau rage.
Le sénateur Segal : Vous me corrigerez si je semble injuste, mais des résolutions en faveur du libre choix et de la liberté n'ont-elles pas été adoptées par des organismes agricoles des Prairies pendant dix ans? Est-ce que je suis le seul à en avoir vues? Ai-je rêvé?
M. Oberg : Vous avez raison. Certaines organisations agricoles ont adopté des résolutions réclamant le choix. Par contre, je puis vous en nommer qui sont nettement favorables au principe du comptoir unique.
Pour ce qui est de la question plus générale, comme l'a mentionné M. Measner, les options que nous offrons pour l'établissement des prix ont beaucoup contribué à faire taire la critique.
Le problème que représente pour vous la Commission canadienne du blé en est un de liberté individuelle. Un office de commercialisation restreint encore plus les libertés individuelles.
Je dois m'en tenir à ce que la majorité des producteurs me disent. Selon eux, le fait de céder un peu de ses libertés individuelles pour le bien commun ou pour le bénéfice de tous en vaut la peine.
James Chatenay a des convictions profondes. Il estime que l'enjeu n'est pas d'obtenir le meilleur prix, mais de pouvoir exercer ses libertés individuelles. Quand ils en sont suffisamment convaincus, certains sont même disposés à aller en prison pour défendre ce principe.
Le sénateur Segal : Puis-je poser une autre question à cet égard? Un fait m'a toujours frappé au sujet du gouvernement fédéral et des organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux, selon le cas, et je crois savoir que vous relevez de cette dernière catégorie en raison de la nature du conseil d'administration. Il arrive parfois, plus intensément peut-être au niveau fédéral, qu'on obtienne un engagement institutionnel qui nous donne les moyens de faire quelque chose. Il y a eu au Parlement de grands débats sur la Loi canadienne sur la santé. Cette loi n'est pas l'objectif de la politique de santé publique, mais le moyen par lequel on espère faire en sorte que la population a accès à de bons soins de santé, les obtient selon ses besoins et qu'elle mène une vie saine et autonome. Il se peut que les institutions doivent parfois changer.
Êtes-vous à l'aise avec l'idée que nous nous enlisons dans un débat sur l'institution et son cadre et que nous commençons à perdre de vue un peu les résultats et les moyens des agriculteurs, de leurs familles et des choix auxquels ils ont confrontés? Est-il juste de critiquer ceux qui ont participé à ce débat à divers niveaux en s'en prenant au conseil d'administration? C'est une observation équitable et légitime. Toutefois, je prends du recul et je me demande s'il existe encore des agriculteurs qui exploitent leur entreprise comme ils le faisaient il y a 20 ans. Peu d'organismes au Canada évoluent encore de la même manière ou dans le même cadre. Le monde a changé.
Lorsque je lis des lettres provenant de grossistes qui affirment être satisfaits du concept de guichet unique, je me demande tout de suite si c'est une bonne chose pour eux ou pour nous. C'est peut-être très bien pour eux, mais je ne suis pas entièrement certain que c'est toujours nécessairement bon pour nous. Monsieur Oberg, que dites-vous à vos électeurs à propos du changement fondamental qui s'impose à la CCB? Peut-être estimez-vous qu'un tel changement n'est pas nécessaire parce que la Commission fait bien son travail.
M. Oberg : Les méthodes agricoles ne sont plus les mêmes qu'il y a 20 ans, et la Commission canadienne du blé n'est pas non plus ce qu'elle était il y a 20 ans. Le changement important touchant la CCB est survenu en 1998, lorsque sa gestion a été confiée aux agriculteurs. De plus, le conseil d'administration est depuis formé de 10 membres élus et de cinq administrateurs désignés par le gouvernement.
Le fond du débat, la raison de notre comparution ce soir et toutes les discussions qui ont lieu concernent le fait qu'on est en train d'observer un renversement. Nous sommes pratiquement sur le point de retourner à l'époque où la CCB était dirigée strictement par des commissaires nommés. C'est pourquoi les émotions sont vives. Il faut se demander s'il s'agit d'un organisme dirigé par les agriculteurs, comme ce qu'on voulait en 1998. C'est là la question.
Le sénateur Segal : Que puis-je répondre à un agriculteur indépendant qui me dit, à moi, un non-initié : « Si vous aimiez Joseph Staline, vous aimerez la Commission canadienne du blé ». Que dois-je répondre à cela?
M. Oberg : Je lui proposerais de voter aux élections du conseil d'administration. À chacune des élections qui ont eu lieu depuis 1998, il y a eu des candidats de tous les horizons. On a toujours eu l'embarras du choix sur le plan des points de vue. Bien que la démocratie au sein de la Commission canadienne du blé puisse être améliorée, le système actuel est définitivement meilleur que l'ancien, qui était dirigé par des commissaires. Étant donné que la commission verse de l'argent aux agriculteurs et qu'elle existe pour eux, il est certain que ce sont eux qui doivent la gérer et prendre les décisions. C'est ce que je répondrais à cette personne.
M. Measner : J'ai deux commentaires à formuler. C'est injuste envers les agriculteurs d'affirmer que la commission n'a pas changé. Le nouveau conseil d'administration formé de membres élus a profondément transformé cet organisme. La commission est totalement différente de ce qu'elle était il y a dix ans. Les agriculteurs devraient être fiers des administrateurs qu'ils ont élus et des changements qu'ils ont apportés en vue de faire de la commission un organisme plus solide et meilleur. Au bout du compte, ce sont les agriculteurs qui dirigent la commission, et c'est cela qui importe. C'est aux demandes des agriculteurs, et non pas à celles de cette institution, que nous répondons, et il continuera d'en être ainsi.
Du point de vue du client, ce sont les services et la qualité qui sont importants. Ce qu'ils veulent, c'est acheter des produits qui ajouteront de la valeur à leur organisation. Ainsi, ils tirent des avantages des produits qu'ils achètent. Nous effectuons régulièrement des sondages auprès de nos clients et nous bâtissons une image de marque pour les produits cultivés par les agriculteurs de l'Ouest canadien. Selon notre dernier sondage, environ 90 p. 100 des clients croient que nos produits sont tout aussi bons ou meilleurs que ceux de nos concurrents, et entre 80 p. 100 et 95 p. 100 estiment que notre service est aussi bon ou meilleur que celui offert par nos concurrents. Nous avons obtenu de très bonnes notes à cet égard, et les agriculteurs devraient en être fiers. Je suis fier d'un organisme qui est en mesure de fournir un tel service. Notre système est différent de celui des Américains, mais nous pouvons dire que nous effectuons un excellent travail, en particulier pour les agriculteurs.
Le sénateur Peterson : La Commission canadienne du blé a évolué. Elle entretient des rapports comparables à ceux que peuvent entretenir deux gouvernements ou deux pays. Des nations comme la Chine et l'Inde, qui achètent énormément, sont attirées par la qualité de nos produits et la sécurité de l'approvisionnement. Sur le plan des ventes, il y a un paiement initial et un paiement final. S'il y a un manque à gagner, je crois comprendre que c'est la commission qui l'absorbe et non pas l'agriculteur.
Supposons qu'on élimine la commission. Qu'adviendrait-il? Que feraient les agriculteurs pour vendre leur produit?
M. Measner : Sans le guichet unique, dans tous les marchés libres, les agriculteurs devraient s'adresser aux quatre ou cinq grandes sociétés dont M. Oberg a parlé tout à l'heure. Ce sont elles qui dominent ce secteur du commerce international. Les agriculteurs devraient livrer leur produit à ces sociétés, qui le vendraient pour eux. Les acheteurs ne sauraient pas par contre qu'il s'agit d'un produit canadien. Ces sociétés en question vendent des produits provenant de divers pays. La situation serait différente. Les agriculteurs ou les associations d'agriculteurs ne vendraient plus eux- mêmes leurs produits. Ce seraient plutôt de grands acteurs internationaux qui s'en chargeraient. À l'heure actuelle, grâce au guichet unique, nous gérons la vente de façon à obtenir le prix maximum dans certains marchés. Nous utilisons le pouvoir que nous procure la formule du guichet unique pour obtenir le meilleur prix possible pour les agriculteurs. Sans l'existence de la commission, quatre ou cinq grandes sociétés offriraient le même produit aux acheteurs, ce qui aurait pour effet d'ébranler la structure des prix.
Dans un tel contexte, les agriculteurs feraient affaire avec ces sociétés plutôt qu'avec leur propre agence de commercialisation.
Le sénateur Peterson : Est-ce que ces sociétés fixeraient le prix elles-mêmes, conformément au montant qu'elles seraient prêtes à payer?
M. Measner : Les agriculteurs obtiendraient le prix qu'on leur offrirait au moment de la livraison de leur produit. Il s'agirait du prix que la société proposerait ce jour-là. Les agriculteurs ne bénéficieraient pas des options que nous leur offrons. Essentiellement, on leur proposerait un prix, qu'ils devraient accepter ou bien ils seraient forcés de s'adresser à une autre société.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Measner, je suis désolé de la façon dont vous avez été traité. Cette décision est irréfléchie et indigne, étant donné le service que vous avez fourni aux agriculteurs et aux Canadiens. Je suis certain que la situation est difficile pour votre famille, et c'est pourquoi je tiens à vous dire que bon nombre d'entre nous sont désolés.
Puisque la Commission est un organisme dirigé par des agriculteurs, le ministre n'a donc pas le droit d'intervenir et d'agir comme il l'a fait envers M. Measner. Le conseil d'administration n'a-t-il pas toujours présenté une recommandation quant au choix de son dirigeant? N'est-il pas logique qu'il embauche un président-directeur général qui lui convient?
M. Oberg : Cela a toujours été le cas par le passé, quoique depuis 1998, nous n'avons eu que deux PDG. Auparavant, il s'agissait d'un commissaire en chef. Cependant, depuis ce temps, c'est ainsi qu'on fonctionne. Après que le ministre eut consulté le conseil d'administration, une firme de professionnels a analysé bien des candidatures avant qu'on engage M. Measner.
Vous avez raison d'affirmer que le PDG doit bénéficier du soutien du conseil d'administration et être en mesure de travailler avec lui. C'est le cas en ce moment. M. Measner peut compter sur l'appui de son personnel et du conseil d'administration. La possibilité que nous ayons un nouveau PDG préoccupe de nombreux membres du conseil, car on ne sait pas ce qui se passera. Cela crée un climat d'incertitude non seulement au sein du conseil, mais aussi dans l'ensemble de l'organisation et chez nos clients à l'étranger. Il s'agit d'une situation très précaire qui, pour le bien de tous, doit être réglée.
Le sénateur Mitchell : Comme le ministre ne peut pas renvoyer les membres du conseil, il a à la place décidé de remercier M. Measner. Il est congédié parce qu'il accompli le travail demandé par le conseil d'administration, qu'il fait d'ailleurs très bien. C'est une situation terrible.
On ne cesse de prétendre que les agriculteurs sont en quelque sorte désavantagés parce que la Commission canadienne du blé n'obtient pas pour eux un bon prix. Toutefois, toutes les études dont j'ai pris connaissance montrent que les agriculteurs obtiennent de meilleurs prix et font donc davantage d'argent. Pourtant, j'entends des agriculteurs déclarer qu'ils auraient obtenu plus s'ils avaient livré eux-mêmes leur blé. Je n'ai lu aucune étude prouvant que c'est vrai. J'aimerais savoir s'il en est de même pour vous.
Même si la minorité représente 40 p. 100, on ne peut pas dire qu'elle est désavantagée sur le plan du prix ni que ses droits ne sont pas respectés. Il est vrai que 60 p. 100 des agriculteurs affirment obtenir le prix qu'ils souhaitent, mais il n'en demeure pas moins que tout le monde obtient un bon prix, et probablement un meilleur prix. Existe-t-il des études qui prouvent le contraire, c'est-à-dire qu'on pourrait obtenir un meilleur prix autrement?
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai pas dit cela.
Le sénateur Mitchell : Non.
Le sénateur Tkachuk : Posez la question comme il faut.
Le sénateur Mitchell : C'est ce que certains font valoir.
M. Oberg : Les études de Carter et de Loynes sont celles qu'on cite le plus souvent pour montrer que la formule du guichet unique ne permet pas un bon rendement. Ces deux études ont été commandées par le gouvernement de l'Alberta. Elles ont été critiquées par les pairs, et les auteurs n'avaient pas accès à toutes les données sur les ventes de la Commission canadienne du blé. C'est une des lacunes qui ont été relevées.
Le sénateur Mitchell : J'ai entendu des agriculteurs affirmer que les coûts de la Commission canadienne du blé sont trop élevés. Connaissez-vous l'ampleur des coûts chez Cargill ou ADM, c'est-à-dire Archer Daniels Midland?
M. Oberg : Les coûts d'administration de la Commission sont bien connus. Ils s'élèvent à 60 millions de dollars par année.
Étant donné que Cargill est une société privée, il est impossible de connaître ce chiffre. Les producteurs doivent toujours se rappeler que même dans un système ouvert, il y a des coûts d'administration et des frais de manutention à assumer. Je crois que la Commission est parfois trop critiquée parce que ses coûts sont connus. Sur les bons de paiement émis par la Commission, tous les coûts sont indiqués. Dans un marché libre, les bons de paiement ne contiennent pas autant de détails.
Le sénateur Mitchell : Bien entendu, si les agriculteurs trouvent trop élevés les coûts de la Commission canadienne du blé, ils peuvent voter pour quelqu'un qui prendra des mesures à cet égard. Dans le cas de Cargill, que peut-on faire?
M. Measner : Ces dernières années, nous avons beaucoup fait pour diminuer les coûts. Nous avons procédé à un examen de l'organisation et nous avons réduit le personnel de 20 p. 100. Nous nous sommes employés à accroître notre efficacité. Par souci de rentabilité, nous avons éliminé des postes au sein de la haute direction. De plus, nous avons remanié notre régime d'avantages et décidé d'en partager les coûts car ils ne cessaient d'augmenter, et notre objectif est d'assurer la viabilité à long terme de l'organisation. Nous avons tenté de prendre toutes les mesures nécessaires, mais il nous faut tout de même du personnel pour mener nos activités. Je crois que notre organisme est très rentable et que nos coûts correspondent à ceux de tout autre organisation.
Le sénateur Mahovlich : En Ontario, d'où je suis originaire, il existe aussi un guichet unique. Est-ce ainsi parce que c'est pratique? Je ne pense pas que nos agriculteurs soient plus riches que ceux de l'Ouest. Est-ce parce que nous sommes plus près des Grands Lacs et des marchés libres?
M. Measner : C'est en partie pour cette raison. Les agriculteurs de l'Ontario sont très avantagés sur le plan géographique par rapport à ceux de l'Ouest. Nos clients sont les mêmes dans certains cas, mais les agriculteurs de notre région doivent faire transporter leur produit par train jusqu'à Thunder Bay et par cargo hors mer jusque dans le fleuve St-Laurent. Sur ce plan, il est certain que les agriculteurs ontariens sont avantagés, et il n'y a aucun problème à cet égard. En plus, ils sont tout près des États-Unis. Ils cultivent beaucoup de blé tendre. Ils ne cultivent pas le blé de qualité que nous produisons dans l'Ouest. Ils ont opté pour la quantité plutôt que pour la qualité. La majorité de la population habite dans l'est du pays, là où se trouvent la plupart des minoteries.
Quelqu'un a parlé du programme de l'ACDI. Ce qui me pose problème, c'est le fait que nous n'obtenons pas beaucoup de fonds par l'entremise de ce programme parce que nos prix sont plus élevés que ceux de l'Ontario. Cette province jouit de nombreux avantages. Les agriculteurs ontariens ont choisi de ne pas donner une image de marque à leurs produits, contrairement à nous. Nous vendons un produit de qualité pour lequel nous obtenons le meilleur prix. L'Ontario a décidé de privilégier une autre voie, et je respecte cela. C'est le choix qui lui convient le mieux, et je suppose qu'elle considère que cette façon de faire fonctionne bien pour l'instant.
Le sénateur Oliver : Je m'intéresse aux chiffres. J'aimerais revenir sur ceux mentionnés par le sénateur Gustafson, qui est agriculteur dans l'Ouest. Il connaît un peu le marché du blé dur et du grain. Je voudrais que vous commentiez ces sommes.
Il a affirmé que le montant brut qu'un agriculteur reçoit de la Commission pour deux chargements de grain s'élève à environ 6 000 $, mais en soustrayant les frais de manutention, il lui en reste 3 200 $. Il faut ensuite déduire aussi les coûts des facteurs de production, qui comprennent entre autres les coûts de l'engrais, des semences, et d'autres.
Ainsi, comment un agriculteur peut-il réaliser un profit en vendant son blé dur à la commission?
M. Oberg : Je ne connais pas la capacité du camion du sénateur Gustafson. C'est ce que j'aimerais d'abord savoir.
Le sénateur Gustafson : Il peut contenir 1 100 boisseaux, et je tiens à dire que j'ai parlé de deux chargements.
M. Oberg : Je suis le premier à admettre que l'agriculture est un secteur d'activité difficile. Il existe de nombreux produits de base qui rapportent gros une certaine année, mais donnent de maigres revenus l'année d'après.
Le sénateur Oliver : Je suis d'accord, mais je vous ai interrogé à propos de ces chiffres en question. Dites-moi comment un agriculteur peut réaliser un profit.
M. Oberg : On a laissé entendre qu'un système de vente différent aurait pour effet de faire monter le prix du blé. Il s'agit là à mon avis d'une analyse plutôt simpliste, car la commission ne contrôle pas tout...
Le sénateur Oliver : Vous ne répondez pas à ma question.
Supposons que ces chiffres sont exacts. Sur un montant brut de 6 000 $, il reste à un agriculteur 3 200 $ après déduction des frais de manutention. Et de cette somme, il faut aussi soustraire les coûts des facteurs de production, dont font partie les coûts de l'engrais, des semences, et autres.
Si tout cela est exact, comment un agriculteur peut-il faire un profit en vendant son blé dur à la commission?
M. Oberg : Les frais de manutention semblent un peu élevés. Comme je l'ai dit, parfois les agriculteurs travaillent à perte.
Le sénateur Oliver : Ils ne peuvent donc pas réaliser un profit en vous vendant leur produit.
M. Oberg : C'est ce qui arrive aussi à l'occasion dans le cas d'autres denrées que nous ne vendons pas.
M. Measner : Je ne suis pas tout à fait d'accord sur cette perspective. Chaque année, les agriculteurs déterminent s'ils vont cultiver du blé dur, du blé tendre, des pois, et cetera.
Le sénateur Oliver : La plupart font toujours la même chose. Allez-y.
M. Measner : On a constaté que la culture du blé dur augmente progressivement. Elle doit rapporter considérablement, sinon cette tendance n'existerait pas.
L'année dernière, nous avons reçu 8 millions de tonnes de blé dur parce que c'est ce que les agriculteurs ont voulu cultiver. Le rendement était meilleur que celui d'autres denrées. L'offre a excédé l'ensemble de la demande internationale.
Comme ce sont les agriculteurs qui déterminent ce qu'ils vont cultiver, je présume que la culture du blé dur est rentable, car sinon la production ne serait pas si élevée dans l'Ouest. Lorsque les agriculteurs livrent leurs grains à un silo primaire, ils doivent normalement payer des frais de manutention d'environ 10 $ par tonne. On déduit aussi des frais de transport variant entre 35 $ et 40 $ par tonne. Voilà les déductions dont parlait le sénateur.
Seule la commission révèle ces déductions. Les autres organismes vous proposent un prix, sans donner le détail des divers frais, et vous devez juger si ce prix vous convient. Nous essayons de faire preuve de transparence pour que les agriculteurs prennent connaissance de toutes les déductions. Vous devez aussi savoir que la somme initiale qui est versée ne constitue qu'une partie du paiement final. C'est notamment ce qui explique pourquoi le montant n'est pas élevé.
Le sénateur Oliver : Un autre versement est effectué en plus du paiement de 3 200 $?
M. Measner : Au moment de la livraison, les agriculteurs reçoivent un premier montant. Pendant l'année, à mesure que les stocks diminuent, nous procédons à des réajustements. Les agriculteurs obtiennent ce qui leur revient et, quand les stocks ont été écoulés, nous leur versons le paiement final. Ils reçoivent continuellement des versements. La somme qui leur est donnée au moment de la livraison constitue le paiement initial.
Le sénateur Oliver : Quand vous avez répondu à la question la première fois, vous avez dit que l'année dernière, il y a eu un surplus de blé dur, qui sera écoulé cette année à un prix plus élevé que l'an passé. Comment pouvez-vous savoir cela maintenant?
M. Measner : Nous effectuons des prévisions pour les agriculteurs, et nous savons que l'année dernière, le prix a atteint 195 $ pour une tonne métrique. Cette année, nous prévoyons 210 $ pour une tonne métrique. Il s'agit là d'une hausse de 15 $. Je vous ai remis tout à l'heure nos prévisions. Comme l'année n'est pas encore terminée, il se peut qu'il y ait des changements, mais, habituellement, nos projections sont assez justes.
Le sénateur Oliver : Ne pensez-vous pas que ce sera moins élevé?
M. Measner : Non, le marché se porte assez bien, et je crois que nos estimations correspondent à ce que les agriculteurs obtiendront.
Le sénateur Gustafson : Les statistiques indiquent que les jeunes agriculteurs abandonnent parce que la situation est difficile. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi les Américains sont contre la Commission canadienne du blé? Pourquoi cette animosité? J'estime que cela nous nuit. Je pense qu'ils se préoccupent davantage de l'aspect politique que de la valeur sur le plan économique. Quand je suis allé à Washington, je les ai entendus dire que le commerce repose sur la réciprocité. Si nous leur ouvrons notre frontière pour les divers produits de base, ils nous ouvriront la leur. Nous savons que les États-Unis ont toujours vendu notre bétail dans le reste du monde. Dès qu'ils ferment leur frontière, le prix du bétail dégringole.
Pourquoi Cargill, Archer Daniels Midland et d'autres grandes sociétés s'établissent-elles au Canada, à côté de la frontière américaine? C'est très fréquent.
M. Measner : Quant à savoir pourquoi les États-Unis sont contre la Commission canadienne du blé, je vous dirais d'abord que le système canadien diffère beaucoup du leur. D'après les clients, nous offrons un meilleur service, avant et après la vente, et nos produits sont meilleurs.
Le sénateur Gustafson : Ne vendez-vous pas vos produits par l'entremise de Cargill et ADM? Un agriculteur pourrait faire de même.
M. Measner : Je vais revenir à cela.
Dans une des lettres, un client explique qu'il préfère acheter des grains provenant du Canada parce qu'il est certain de la qualité. C'est ce que bien des clients ont indiqué.
Pour vendre nos produits, nous faisons aussi appel à des exportateurs agréés. En général, nous effectuons entre 50 p. 100 et 60 p. 100 des ventes et entre 40 p. 100 et 50 p. 100 sont réalisées par l'entremise d'exportateurs agréés. Nous procédons ainsi pour deux raisons. Premièrement, c'est une question de rentabilité. Nous avons deux bureaux ailleurs dans le monde qui nous coûtent entre 600 000 $ et 900 000 $ par année. Nous avons le choix : soit nous mettons sur pied 40 ou 50 bureaux dans le monde, soit nous avons recours aux services de sociétés internationales. Nous avons choisi la deuxième option, mais, comme c'est le cas lorsque nous vendons nous-mêmes directement, nous contrôlons le prix, et c'est ce qui importe le plus. Il est important de savoir cela. Nous ne laissons pas tomber les agriculteurs. Les exportateurs savent que s'ils veulent vendre notre produit, ils doivent absolument le faire au prix que nous fixons.
Certains marchés, comme l'Irak, présentent des risques élevés. Le grain, dans ces cas-là, est uniquement vendu par l'entremise d'un exportateur agréé ou de l'une des grandes sociétés en raison des politiques pratiquées sur ces marchés. C'est pour cette raison que nous avons recours à des exportateurs agréés. Ils constituent un bon intermédiaire pour les agriculteurs. Ce mode de commercialisation est très rentable.
Le sénateur Gustafson : Mais en ce qui concerne les agriculteurs, ils peuvent vendre leur grain.
M. Measner : Ils doivent le vendre à ces sociétés. Le système est différent. C'est celui qu'utilisent les agriculteurs aux États-Unis. Au bout du compte, sénateur, ce sont les agriculteurs qui décident. S'ils veulent commercialiser leur produit via le guichet unique, c'est ce que nous faisons. C'est d'ailleurs le choix qu'ils ont fait.
Pour ce qui est des usines au sud de la frontière, je ne sais pas au juste à quoi vous faites allusion. Il existe bien quelques malteries; ce sont les seules que je connaisse.
Le sénateur Gustafson : ADM possède 25 p. 100 des parts d'Agricore United. C'est un gros joueur. En fait, le canola est expédié directement à ADM, dans le Dakota du Nord. Souvent, ils paient quelques dollars de plus pour le canola et l'acheminent gratuitement par camion.
M. Measner : Je ne peux parler au nom des producteurs de canola. S'ils se dotent d'installations au sud de la frontière, c'est qu'ils doivent avoir un marché.
Je peux uniquement parler au nom de la CCB.
Le sénateur Gustafson : Vous savez que le Saskatchewan Wheat Pool a proposé d'acheter Agricore United, qui regroupe l'Alberta Wheat Pool, le Syndicat du blé du Manitoba, l'Union des producteurs de grain, ADM, qui détient 24 p. 100 des parts, ainsi de suite.
Avez-vous envisagé de regrouper Agricore International, les syndicats du blé, la Commission du blé, ainsi de suite, sous une entité unique qui serait capable de livrer concurrence aux joueurs internationaux? Ceux-ci ne disparaîtront pas, qu'il y ait ou non une Commission du blé. Ils ne disparaîtront pas. Les agriculteurs, j'en suis convaincu, vendraient leur grain à la société canadienne s'ils pouvaient obtenir les mêmes prix que leur offre ADM ou une autre compagnie internationale.
En avez-vous discuté?
M. Oberg : Non. Nous n'avons eu aucune discussion à ce sujet. La loi, dans sa forme actuelle, nous interdit de posséder des actifs de ce genre.
Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier : vous parlez de créer une société canadienne. Or, est-ce que cette société — et vous avez déjà dit qu'ADM possède 24 p. 100 des parts — serait en mesure, financièrement, de commercialiser le grain? Je ne le pense pas. Elle aurait besoin d'un partenaire américain comme ADM pour le faire.
Le sénateur Gustafson : Mais je considère ADM comme un actif, parce qu'elle a accès au marché mondial. Prenons l'exemple de Weyburn Inland Terminal. Les agriculteurs ont refusé de vendre 49 p. 100 des parts à ADM. Qu'est-il arrivé? ADM a conclu une entente avec l'une des sociétés céréalières située une trentaine de milles plus loin et s'est emparé du marché. Les agriculteurs, eux, n'ont rien eu.
M. Measner : Le Weyburn Inland Terminal est une société prospère qui appartient aux agriculteurs et qui assure surtout la manutention du grain de la CCB. C'est-là une composante importante de la culture qui prévaut dans l'Ouest du Canada. Il y a quelques installations — très peu — qui appartiennent à des agriculteurs, mais elles concentrent leurs activités sur le grain de la Commission canadienne du blé.
Ce que vous dites, c'est que ces grandes sociétés achètent une partie des installations et que nous perdons notre identité canadienne. La Commission canadienne du blé fait partie de cette identité. Elle commercialise les produits canadiens et en fait la promotion.
Le sénateur Gustafson : Il s'agit là d'une solution qu'il faudrait explorer plus à fond.
La présidente : Je tiens à dire que, vu l'importance du sujet, nous allons reporter à jeudi matin notre discussion sur la pauvreté rurale. Vous pouvez donc continuer de poser vos questions.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais en poser une au sujet du marché intérieur. Pourquoi la Commission du blé refuse-t- elle de permettre à l'agriculteur des Prairies de vendre son grain sur le marché intérieur sans passer par la commission?
M. Measner : Est-ce que vous faites allusion aux minoteries? Le marché des céréales fourragères est maintenant ouvert.
Le sénateur Tkachuk : S'il y a un client en Ontario ou au Québec, à Halifax ou à Vancouver, pourquoi l'agriculteur ne peut-il pas vendre son produit sur le marché intérieur?
M. Measner : Encore une fois, cela fait partie du concept de guichet unique. Le grain destiné à la consommation humaine sur le marché intérieur est vendu par l'entremise de la Commission canadienne du blé. Nous offrons aux transformateurs canadiens des options de fixation de prix stables, une formule qui a leur a permis de connaître la prospérité et la croissance. Je vous ai parlé de la croissance qu'ont connue les minoteries, les malteries dans l'Ouest.
Le grain est commercialisé par l'entremise de la CCB, qui sert de guichet unique. Le prix du grain destiné à la consommation humaine sur le marché intérieur est fondé sur le prix du marché américain, étant donné que les minoteries peuvent importer du blé des États-Unis. Je ne sais pas si j'ai bien compris votre question. Y ai-je répondu?
Le sénateur Tkachuk : Oui. L'agriculteur ne peut pas vendre directement à la minoterie. Il doit vous payer.
M. Measner : Nous tenons compte du prix pour la consommation humaine sur le marché intérieur. L'agriculteur peut livrer son produit directement...
Le sénateur Tkachuk : Tout cela est bien beau, mais, dans les faits, il ne peut pas le vendre lui-même, que ce soit au Canada, en Chine ou ailleurs.
M. Measner : Il peut livrer son produit directement à la minoterie, mais celle-ci nous verse le prix pour la consommation humaine sur le marché intérieur. L'agriculteur participe au compte de mise en commun.
Le sénateur Tkachuk : Il livre le grain et vous verse une commission.
Le sénateur Gustafson : Ce qui fait qu'il le rachète.
M. Measner : Non. Il participe au compte de mise en commun ou choisit l'une des options de fixation de prix, comme s'il livrait le grain au silo primaire ou à une minoterie. C'est la même chose; il participe au compte de mise en commun.
Le sénateur Tkachuk : Il est difficile d'y échapper. Il y a de nombreux agriculteurs qui ont compris que la culture biologique des céréales est un secteur très prometteur. Les Européens y attachent beaucoup d'importance. Les agriculteurs dans ma province ont cerné le marché et cultivé des céréales biologiques, sauf qu'ils n'ont pu le faire sans la participation de la Commission canadienne du blé.
Vous pouvez peut-être nous expliquer, non pas ce que vous faites présentement, mais comment le tout a commencé, et ce que vous avez obligé le producteur de céréales biologiques à faire pour qu'il puisse vendre son blé en Europe. Ne l'avez-vous pas obligé à vous vendre son produit et ensuite à le racheter? Le grain n'a jamais quitté le silo. L'agriculteur a ensuite été obligé de le vendre lui-même en Europe.
M. Measner : Il y a deux ou trois options qui s'offrent à lui.
Ce qui arrive, c'est qu'il doit racheter le grain en se fondant sur le prix conventionnel — moins les bonifications consenties sur les produits biologiques. Il garde les bonifications, mais rachète le grain en se fondant sur le prix conventionnel du blé — le prix que nous appliquons sur le marché du Royaume-Uni, si c'est là qu'il vend son produit. Il doit racheter...
Le sénateur Tkachuk : Il vend son produit lui-même; vous n'intervenez pas dans le processus.
M. Measner : Dans certains cas, non, dans d'autres, oui. Il existe plusieurs formules.
Le sénateur Tkachuk : Vous pénétrez le marché, et du fait que vous en contrôlez une partie, vous avez accès à sa clientèle et transigez avec celle-ci sans passer par lui.
M. Measner : Dans bien des cas, la clientèle est la même. Nous avons transféré une bonne partie de cette clientèle aux producteurs biologiques. Nous avons essayé de travailler avec eux, de les aider à conclure des ventes. Toutefois, vous voulez savoir s'ils rachètent le blé en fonction du prix conventionnel. Ils ne le font pas. Ils gardent les bonifications consenties sur les produits biologiques. Ils en font ce qu'ils veulent.
Le sénateur Tkachuk : Je voudrais que l'on m'explique clairement ce que l'on entend par « rachat » et « mise en commun ». L'agriculteur biologique qui a cerné un nouveau marché et mis au point un produit qui se vend à très bon prix à l'étranger a été obligé de vous revendre le produit - il n'a jamais quitté le silo -, de le racheter et de le commercialiser lui-même en Europe. N'est-ce pas ce qui est arrivé?
M. Measner : Encore une fois, il rachète le produit à un prix qui est fondé sur le prix conventionnel - peu importe le prix demandé sur ce marché. Nous vendons le produit à la même minoterie, de sorte que le prix est le même.
Le sénateur Tkachuk : C'est tout ce que je voulais savoir.
Le sénateur Mercer : Il y a certains points qui ne sont toujours pas clairs, mais je voudrais revenir aux grandes sociétés auxquelles les sénateurs Gustafson et Tkachuk ont fait allusion. Qui sont les grandes sociétés avec qui vous feriez affaire ou, si la Commission du blé n'existait pas, avec qui les agriculteurs seraient obligés de transiger, au Canada?
M. Measner : Cargill, ADM, Bungee, ConAgra et Dreyfus. Ce sont les cinq sociétés les plus importantes.
Le sénateur Mercer : Je tiens à rappeler au comité que Cargill est la société qui a été mentionnée dans le dossier de la crise de l'ESB. Elle a gagné beaucoup d'argent avec le programme de redressement de l'industrie dans le sillage de l'ESB. Les agriculteurs ont été obligés — parce que le programme était mal conçu à l'origine — de vendre leur bétail à Cargill, qui a fait une petite fortune avec tout cela. Est-ce que quelqu'un peut le confirmer? N'est-ce pas vrai?
Le président : Nous ne le savons pas.
Le sénateur Mercer : Je me rappelle avoir vu, dans son rapport annuel, une note indiquant que les profits réalisés au cours de ce trimestre avaient augmenté en raison du programme de redressement de l'industrie dans le sillage de l'ESB. Je suis donc très à l'aise à l'idée de faire affaire avec des gens qui ont si bien su tirer parti des agriculteurs de l'Ouest.
Est-ce que ces sociétés appartiennent toutes à des intérêts américains?
M. Measner : Américains ou européens. Je pense que Dreyfus est une entreprise européenne.
Le sénateur Mercer : Et par européenne, vous voulez dire allemande, française, britannique?
M. Measner : Française.
Le sénateur Mercer : Essentiellement française, la plus importante étant Cargill, qui est une compagnie américaine?
M. Measner : Oui.
Le sénateur Mercer : Et ADM est la deuxième en importance?
M. Measner : Oui. Elle appartient également à des intérêts américains.
Le sénateur Mercer : Et qui est la troisième?
M. Measner : Bungee ou ConAgra. ConAgra est également une entreprise américaine.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit que Bungee est une entreprise française?
M. Measner : Dreyfus.
Le sénateur Mercer : Je pose la question parce qu'il est intéressant de voir que les agriculteurs peuvent continuer de vendre leur grain par l'entremise d'un organisme contrôlé ou exploité par le Canada, comme la Commission canadienne du blé, l'autre option étant de faire affaire avec nos bons amis de Cargill, qui ont si bien fait dans le passé.
Je suis en colère. J'ai dressé une liste de questions avant que ne débute la réunion. Je vais commencer par la dernière. Pourquoi sommes-nous ici? Pourquoi nous trouvons-nous dans cette situation? Pourquoi sommes-nous en train d'avoir ce débat?
Il y a des membres au sein de la commission qui ont récemment été élus par les agriculteurs — 60 p. 100 contre 40 p. 100 —, ce qui représente un pourcentage beaucoup plus élevé que celui obtenu par le gouvernement actuel ou, du reste, par n'importe quel autre gouvernement au Canada, ces dernières années. Le mandat semble assez clair.
Pourquoi sommes-nous en train de débattre de cette question? Pourquoi le président-directeur général d'un organisme très efficace se fait-il montrer la porte par des personnes qui ne sont pas vraiment ses patrons, mais qui semblent croire qu'elles exercent un contrôle sur lui? J'aimerais savoir pourquoi nous sommes ici. Je ne comprends pas.
M. Oberg : Il ne fait aucun doute que les avis sont partagés. J'ai dit, plut tôt, que cette question suscite beaucoup d'émotion, car ce qui est en jeu, ici, c'est l'existence d'un organisme qui a été remis entre les mains des agriculteurs en 1998 et qui risque maintenant de se retrouver sous l'emprise d'Ottawa. Voilà ce qui choque les agriculteurs.
Il est vrai qu'il y a de gros joueurs dans l'industrie — ceux que vous avez mentionnés. Je pense qu'ils voient l'élimination de la Commission du blé comme une occasion d'augmenter leurs revenus. Or, je tiens à rappeler aux agriculteurs et aux personnes ici présentes que la seule façon dont ils peuvent augmenter leurs gains, c'est si les agriculteurs font moins. J'invite ces derniers à réfléchir à cela.
Il ne fait aucun doute qu'une entreprise comme Cargill aimerait ajouter du blé canadien à son menu quand elle vend du blé à l'étranger, sauf qu'elle ne peut pas le commercialiser.
Le sénateur Mercer : Je vous remercie tous les deux d'être venus nous rencontrer, compte tenu des circonstances et des moments très difficiles que traverse la commission.
Le sénateur Callbeck : Je voudrais vous poser une question au sujet du plébiscite de 1997. Environ 63 p. 100 des producteurs ont voté pour le maintien d'un guichet de vente unique pour l'orge. À votre avis, est-ce que les résultats du plébiscite de 2007 vont être plus élevés ou moins élevés?
M. Oberg : Cela dépend pour beaucoup de la question de savoir qui a droit de vote. Qui a le droit de voter? Est-ce que ce sont tous les producteurs de grain, ou uniquement les producteurs d'orge? J'entends dire que le vote pondéré pourrait être envisagé, et que les agriculteurs qui sont les plus gros propriétaires terriens ou les plus gros producteurs auraient un plus grand nombre de voix. Bien que rien de tout cela n'ait été décidé, ces facteurs auraient tous un impact sur les résultats.
C'est dans la province de l'Alberta que la commercialisation de l'orge par la Commission du blé recueille le moins de soutien. Or, ce soutien augmente au fur et à mesure que l'on se dirige vers l'Est. Par ailleurs, d'après ce que disent les agriculteurs, et je l'ai constaté au cours de l'élection, on commence à penser que le plébiscite va porter sur une question autre que la commercialisation de l'orge. Si la Commission du blé n'est plus responsable de la mise en marché de l'orge, est-ce qu'elle va s'en trouver affaiblie? Si vous appuyez la commission et que la réponse est oui, ce facteur risque d'influencer le vote. Pour certaines personnes, le plébiscite ne portera pas du tout sur l'orge, mais sur le fait d'avoir un organisme fort et efficace qui défend les intérêts des agriculteurs et qui s'occupe de commercialiser leur grain.
Le sénateur Callbeck : Qui, à votre avis, devrait avoir le droit de voter? Quel genre de conditions devrait-on imposer?
M. Oberg : À mon avis, tous les producteurs devraient avoir le droit de voter. La Loi sur la Commission canadienne du blé définit le producteur comme toute personne qui cultive les six grandes catégories de grain, lesquels englobent le blé, l'orge, l'avoine, le seigle, le lin et le canola. J'estime que le plébiscite devrait être ouvert à tous. Je suis contre la tenue d'un vote pondéré. Il faut appliquer le principe « une personne égale un vote », qui est plus démocratique. La question est tout aussi importante pour le petit agriculteur, même si son niveau de production est moins élevé, que pour celui qui possède 5 000 ou 10 000 acres.
Le sénateur Callbeck : Vous dites que le plébiscite devrait être ouvert à tous. En 1997, le producteur qui avait effectué une seule livraison en cinq ans pouvait voter.
M. Oberg : Je ne me souviens pas des critères, mais je pense, moi aussi, que le plébiscite devrait être ouvert à tous.
Le sénateur Mitchell : On a abordé, plus tôt, une question qui semble toujours revenir sur le tapis. J'en ai entendu parler à Hong Kong, lors d'une réunion de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. D'après certains personnes, si nous abolissons la Commission canadienne du blé, et peut-être aussi la gestion de l'offre — j'ai l'impression que si nous éliminons la Commission canadienne du blé, le gouvernement va s'attaquer à la gestion de l'offre —, l'Europe, qui verse des subventions importantes à ses agriculteurs, et les États-Unis, qui eux aussi accordent des subventions non négligeables à leurs producteurs, vont abandonner celles-ci, ce qui va permettre de libéraliser le marché. C'est impossible à croire.
Croyez-vous que nous pourrions, un jour, par la négociation raisonnée, obtenir des États-Unis qu'ils nous donnent ce que nous voulons si nous acceptions d'éliminer la CCB ou le système de gestion de l'offre? Je ne le crois pas. Je pose la question pour la forme.
M. Measner : L'Europe s'est dotée d'une structure. Les États-Unis, eux, ont eu recours aux subventions pour établir ce que j'appelle une politique d'aliments à bas prix. Ils essaient de réduire les prix, et ils subventionnent leurs agriculteurs. Le guichet unique ne constituera pas un enjeu de négociation et ne les incitera pas à modifier ces subventions. Ils négocient. L'industrie agricole a été développée grâce aux subventions, et ils vont prendre les mesures qui s'imposent pour la protéger. L'élimination ou le maintien du guichet unique ne changera rien à la situation. Pour eux, les subventions sont importantes, et je ne pense pas que cela va changer.
Le sénateur Mitchell : Exactement. D'après ce que vous venez de dire, monsieur Oberg, c'est que, toutes choses étant égales, si les prix ou les coûts de Cargill sont les mêmes que ceux de la Commission canadienne du blé, Cargill doit quand même réaliser un profit, chose que ne peut pas faire la commission. Qui paie pour cela? Je suppose que ce sont nos agriculteurs.
Le gouvernement a vraiment négligé — et je suis poli quand je dis « négligé » — nos liens avec la Chine. En fait, il a provoqué la Chine à plusieurs reprises. Il a posé des gestes qui, tout le monde le sait, ont eu pour effet de provoquer la Chine. Toutefois, vous avez travaillé très fort en vue de développer ce marché. Est-ce que vos efforts sont menacés par les actions du gouvernement? Est-ce que vous obtenez de l'aide du gouvernement?
M. Measner : Il est encore trop tôt pour le savoir. Nous avons établi des liens étroits avec la Chine et, on l'a probablement déjà mentionné, depuis le début des années 1960, nous avons vendu et acheté 120 millions de tonnes de blé et d'orge. C'est énorme. La Chine est un très gros client. Elle aime la qualité du blé canadien. Nous allons ouvrir un centre technique en Chine cette année, de concert avec COFCO, notre associé. Ce projet est en cours. Nous essayons de nous tailler une plus grande place dans ce marché. J'espère que, de manière générale, rien ne viendra compromettre ces liens, parce que nous entretenons avec ce pays des rapports très étroits, et les agriculteurs en bénéficient beaucoup.
Le sénateur Mitchell : J'ai entendu quelque chose, et vous pouvez peut-être le confirmer. Je ne sais pas si c'est vrai ou si cela relève de la conjecture. Si nous optons pour la commercialisation mixte et que la Commission canadienne du blé échoue dans ses efforts en raison de problèmes structurels — les capitaux, ainsi de suite — serions-nous en mesure, en vertu de l'ALENA, de recréer la Commission canadienne du blé?
M. Oberg : Pour répondre à votre deuxième question, vous avez raison. La Commission canadienne du blé est le seul organisme qui peut prétendre avoir pour mission de maximiser les bénéfices des agriculteurs. Il n'y a pas d'actionnaires de l'extérieur à qui verser des dividendes. Voilà pourquoi, dans un régime libéralisé, la Commission du blé aurait de la difficulté à soutenir la concurrence. Si la commission avait assumé, pendant toutes ces années, le rôle d'une société céréalière, ce qu'elle n'était pas, elle aurait gardé une partie des recettes, évité de tout divulguer aux agriculteurs, acheté des actifs, chose qu'elle n'a jamais fait. Elle n'a jamais agi comme une société céréalière. Elle a versé, tous les ans, tous les revenus aux agriculteurs, moins les frais de commercialisation et d'administration, pour ensuite repartir à zéro. Voilà pourquoi, dans un système ouvert, nous serions sérieusement désavantagés par rapport aux personnes qui sont en affaires depuis 60 ans.
Pour répondre à votre question au sujet de l'ALENA, vous avez raison. Une fois qu'une entreprise a accès à un marché en vertu de l'ALENA, elle peut, si cet accès disparaît, intenter des poursuites, d'où la difficulté de la démarche.
Le sénateur Mitchell : Donc, on ne peut pas faire marche arrière si le gouvernement commet une erreur.
M. Oberg : Ce serait très difficile — pas impossible, mais très difficile.
La présidente : Chers collègues et témoins, merci d'avoir assisté la réunion. Nous traversons une période difficile. Cette question soulève beaucoup d'émotion, et je pense que le comité s'est très bien tiré d'affaire.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez bien dirigé la réunion. Il n'y a pas eu de dérapage. J'ai trouvé le débat et la discussion, toutes opinions confondues, fort intéressants. Nous ne nous sommes même pas engueulés.
La présidente : C'est une bonne chose.
Le sénateur Mitchell : Joyeux Noël!
La présidente : Messieurs, nous vous souhaitons bonne chance. Ce n'est pas une situation facile à vivre. Nous avons eu, ce soir, une très bonne discussion. Je tiens à ce que vous sachiez que les membres du comité s'entendent très bien. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous entretenons de bons rapports avec les agriculteurs.
Je tiens à préciser que nous avons déposé, récemment, un rapport sur le secteur des céréales et des oléagineux, étant donné que nous avions consacré beaucoup de temps à l'industrie du bétail. Nous affirmons, dans ce rapport, qu'il est peut-être temps de nous doter d'une loi sur l'agriculture canadienne. Nous allons y travailler parce que nous pensons qu'une telle loi serait utile.
Sur ce, je vous dis merci et, bon voyage de retour.
La séance est levée.