Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 14 - Témoignages du 6 février 2007
OTTAWA, le jeudi 6 février 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 19 h 3, pour examiner en vue d'en faire rapport la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, distingués sénateurs, bonsoir, mesdames et messieurs. Je salue également les auditeurs de cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
En mai dernier, le comité a reçu l'autorisation d'examiner en vue d'en faire rapport la pauvreté rurale au Canada, un sujet qu'aucun comité parlementaire n'avait étudié jusqu'ici, ni aux Communes ni au Sénat. L'an dernier, nous avons reçu plusieurs témoins experts qui nous ont tracé le portrait de la pauvreté rurale dans notre pays. À partir de leurs témoignages, nous avons rédigé un rapport provisoire que nous avons diffusé en décembre et qui, de l'avis général, met le doigt sur un très grave problème. Pendant trop longtemps, les responsables des politiques et les politiciens ont ignoré le drame de la pauvreté rurale. Ce temps est révolu.
Nous en sommes maintenant à la deuxième étape de notre examen. Nous avons l'intention de rencontrer des Canadiens qui vivent des situations pénibles dans leur milieu rural, ainsi que les intervenants qui viennent en aide aux petites communautés du pays. Nous voulons entendre de la bouche même de ceux qui vivent dans ces conditions ce que signifie être pauvre dans un milieu rural canadien et quelle aide ils attendent de nous.
À cette fin, le comité a convié des réunions préparatoires à Ottawa, en vue d'une tournée dans les régions rurales canadiennes. Ce soir, nos témoins représentent l'Association canadienne des banques alimentaires. Nous vous sommes infiniment reconnaissants de vous être déplacés malgré le mauvais temps. Vous nous rendez un grand service.
Nos témoins seront Charles Seiden, directeur général de l'Association canadienne des banques alimentaires; Wayne Hellquist, un ancien chef de file du mouvement paralympique canadien devenu président-directeur général de la Regina and District Food Bank, à Saskatchewan; Dianne Swinemar, directrice exécutive de l'organisme Feed Nova Scotia, ainsi que Michael Bay, membre du conseil d'administration.
Wayne Hellquist, président-directeur général, Regina and District Food Bank : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant le comité. Il est vraiment gratifiant pour moi de prendre part à ces discussions au nom de toutes les banques alimentaires disséminées au pays qui accueillent des gens qui ont faim. Bien entendu, ces gens ont faim à cause de la pauvreté qui sévit partout au Canada, et la situation est encore plus difficile dans les régions rurales.
Nous n'avons pas préparé d'exposé formel. Notre intention ce soir est de vous expliquer dans les grandes lignes ce que fait l'Association canadienne des banques alimentaires. Une fois par année, nous publions le document Bilan- Faim, un sondage sur l'état de la faim au Canada. Nous allons parler des statistiques sur la faim qui se trouvent dans ce document, en mettant l'accent sur la situation dans les régions rurales du pays.
Nous allons vous raconter ce qui fait le pain quotidien de nos banques alimentaires au pays, leur réalité de tous les jours. Nous sommes toujours ravis de pouvoir raconter leur histoire parce que les banques alimentaires abattent un travail colossal de lutte contre certains problèmes. Malheureusement, je suis loin d'être certain que nous entrevoyons la lumière au bout du tunnel, mais je sais que nous faisons partie d'un réseau de sécurité qui s'est tissé dans le pays pour éviter que les pauvres aient faim, dans la mesure du possible.
Je suis ravi de savoir que vous vous attaquez à la question de la pauvreté rurale au Canada. C'est une véritable plaie, dont nous voyons les manifestations tous les jours. Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez accompli et pour ce que vous entendez faire pour que cette réalité reçoive enfin l'attention qu'elle mérite de la part d'un pays aussi riche et prospère.
Je vais céder ma place à Mme Swinemar, directrice exécutive de Feed Nova Scotia et qui siège également au conseil d'administration de l'Association canadienne des banques alimentaires. Mme Swinemar possède une vaste expérience de terrain, mais elle a également participé à des travaux d'envergure nationale sur la question.
Dianne Swinemar, directrice exécutive, Feed Nova Scotia : Merci de votre invitation. J'ai été invitée sans doute parce que je suis la plus ancienne administratrice.
On m'a demandé de parler de l'Association canadienne des banques alimentaires, ce qui m'oblige à faire un petit recul dans le temps. Au début des années 80, en réponse à une situation de crise, les communautés ont pris des mesures de première ligne. Par l'entremise de programmes d'épicerie, de soupes populaires ou de programmes de bons d'achat, les communautés se sont mobilisées en réaction à ce qu'elles voyaient — des voisins qui venaient demander de l'aide.
Dans la plupart des grandes villes canadiennes, les groupes religieux et communautaires ont fait front commun pour fonder des centres de distribution, comme ils les appelaient. Notre organisme est issu d'un tel centre, dont le principal objectif était de trouver des ressources pour approvisionner les groupes religieux et communautaires locaux de première ligne qui avaient comme mission de nourrir les affamés.
En 1989, neuf dirigeants de banques alimentaires centrales du Canada se sont réunis. Ensemble, ils ont constaté que certains problèmes se retrouvaient partout au pays et ils se sont mis à réfléchir à des moyens d'action communs pour lutter contre la pauvreté et la faim au Canada.
Ils ont convenu de mettre sur pied un organisme national dont le mandat serait de trois années. D'ici trois ans, croyaient-ils, la situation serait revenue à la normale et, après dissolution de l'organisme, chacun pourrait repartir chez lui. Pourtant, ici sommes-nous, en 2007, toujours aux prises avec les mêmes problèmes, à la seule différence qu'ils sont encore plus graves maintenant.
Jusqu'en 2006, l'Association canadienne des banques alimentaires était composée d'un conseil d'administration auquel siégeaient des membres comme M. Hellquist et moi-même, c'est-à-dire des gestionnaires d'organismes communautaires qui cherchaient ensemble des façons de trouver la nourriture nécessaire pour approvisionner les communautés locales. Quels devraient être nos partenaires? Comment endiguer la faim et la pauvreté? Quels sont les problèmes et comment allons-nous les aborder? À qui faut-il nous adresser pour faire bouger les choses?
À notre grand désarroi, nous avons découvert que notre travail était le même que celui qui se faisait aux premières lignes, et que nous mettions énormément d'énergie pour trouver la nourriture dont les gens avaient besoin dans nos communautés locales. La défense des intérêts des pauvres et la réflexion sur les causes fondamentales de l'affluence aux banques alimentaires étaient sans cesse remisées au second plan.
Pour accomplir le travail de collecte de denrées, nous avons mis sur pied ce que nous avons appelé un Système national de partage des aliments. Nous avons interpelé des représentants de l'industrie de l'alimentation et du transport en leur disant : « Par défaut, nous faisons partie de votre industrie et nous avons besoin d'aide. » Ils nous ont donné des conseils et ils ont également créé un groupe consultatif, nous assurant qu'ils nous fourniraient la nourriture dont nous avions besoin, moyennant notre engagement à acheminer les denrées partout au pays. Nous avons donné notre parole, même si nous n'avions aucune idée de la façon dont nous nous y prendrions. En quelques années, nous avions réussi à convaincre le Canadien National, le Canadien Pacifique et bien d'autres entreprises de transport à devenir des partenaires à part entière, aux côtés des Kraft, Kellogg, Proctor & Gamble et quelque 80 entreprises nationales, pour transporter les denrées nécessaires dans les régions périphériques.
Nous avons vite constaté que nous pouvions acheminer la nourriture vers Edmonton, mais qu'en était-il de Grande Prairie et d'autres régions encore plus éloignées? Halifax était sur notre route, mais pas Canso ni Louisbourg. C'était très difficile. Nous avons réalisé à quel point il était difficile de trouver des solutions à la pauvreté dans les communautés rurales.
Une fois la question des denrées réglée, nous nous sommes attaqués au cœur du problème, c'est-à-dire comment aider les gens pour qu'ils n'aient plus besoin des banques alimentaires et quelles sont les mesures à prendre? Et nous en sommes venus à la conclusion que ce n'était pas notre problème. Un problème d'une telle envergure dépasse la capacité d'organismes comme le nôtre. Il est du ressort de nos instances nationales, parce qu'il est d'envergure nationale.
Nous avons aussi réalisé que nous n'étions pas les bonnes personnes. Il y a un an, tous les membres du conseil d'administration se sont retirés en bloc et nous avons vécu une véritable métamorphose. Nous avons élu un nouveau conseil en mai 2006, plus représentatif. Il compte des avocats et d'autres membres qui peuvent nous aider à faire passer notre message et à comprendre les causes profondes de la pauvreté maintenant que nous savons que des enfants ont faim, que des familles entières ont faim et que nous devons en prendre soin.
M. Hellquist : Je donne maintenant la parole à M. Seiden, qui vous parlera un peu plus en détail du Bilan-Faim et de ce que ce sondage nous révèle sur la faim dans le Canada rural.
Charles Seiden, directeur exécutif, Association canadienne des banques alimentaires : Merci de votre invitation. C'est vraiment un grand honneur de témoigner devant le comité. C'est une excellente occasion pour nous de faire connaître à la population l'ampleur et la profondeur du problème qui nous préoccupe aujourd'hui. Mme Swinemar a déjà expliqué que personne ne s'attendait à ce que les banques alimentaires aient une si longue durée de vie. Notre organisme nourrit 90 p. 100 des gens qui ont recours aux programmes alimentaires d'urgence au pays. Nous acheminons des denrées dans toutes les grandes villes des provinces canadiennes. Les 90 p. 100 de personnes qui s'adressent aux banques alimentaires représentent chaque mois 750 000 Canadiens. Parmi eux, 40 p. 100 sont des enfants, ce qui équivaut à 300 000 enfants. Ces chiffres se passent d'explication. Chaque mois, le nombre de personnes qui font la file pour obtenir de quoi manger aux portes des banques alimentaires équivaut à la population d'Ottawa. Et le nombre des personnes qui ont faim et qui ont besoin d'aide alimentaire d'urgence va toujours en augmentant, de façon astronomique.
Très rapidement, nous avons obtenu de l'aide des entreprises. Au début, nous distribuions 2 millions de livres de denrées; l'an dernier, nous en étions à 12 millions de livres. C'est une fraction de la quantité totale de nourriture donnée puisque les banques alimentaires locales en recueillent près de 150 millions de livres. Si nous faisons le total, les aliments acheminés valent autour de 350 millions de dollars.
Pourtant, il en faudrait encore plus. Vous avez en main un exemplaire de Bilan-Faim 2006, notre rapport sur la faim.
Comme l'a dit Mme Swinemar tout à l'heure, les grands fabricants nous ont donné beaucoup d'aliments. Nous entretenons une relation privilégiée avec les fabricants de produits alimentaires et de consommation du Canada, ainsi qu'avec les responsables du magazine Canadian Grocer. Tous font la promotion du magazine. Ils font notre promotion également, de même que celle de la population que nous desservons. Tous ont à cœur de donner à chaque Canadien sa juste part.
Le problème est énorme. Vous constaterez à la lecture du rapport que les banques alimentaires ont peine à répondre aux besoins de base.
Qu'est-ce que cela signifie pour le Canada rural? Bien que les communautés rurales vivent souvent dans des régions agricoles très productives, des dizaines de milliers de leurs membres ont faim. Je sais que je ne vous apprends rien — j'ai lu votre étude et os rapports. Apparemment, vous commencez à cerner les enjeux.
Cependant, il s'est fait jusqu'ici très peu de recherches sur la nature exacte des problèmes de la faim et de la sécurité alimentaire au Canada rural. C'est pourquoi vos travaux revêtent une si grande valeur.
Les résidents des régions rurales fréquentent les banques alimentaires à cause de la vulnérabilité socioéconomique dans laquelle se trouve une grande partie de la population canadienne et de la refonte des régimes de protection sociale, qui se sont considérablement détériorés. J'ai eu l'occasion de rendre visite à l'organisme America's Second Harvest, le pendant américain de l'Association canadienne des banques alimentaires. Je suis également membre du conseil d'administration du réseau mondial des banques alimentaires, fondé par le Canada, les États-Unis, le Mexique et l'Argentine pour venir en aide aux pays importateurs d'aliments à mettre sur pied des banques alimentaires. Notre premier projet visait Israël. Nous avons lancé des projets dans d'autres pays, dont le Ghana et plusieurs autres pays sud-américains.
Aux États-Unis et au Canada, les gens fréquentent les banques alimentaires pour diverses raisons, y compris le coût du logement et du transport, ces derniers facteurs ayant des conséquences plus graves encore dans les communautés rurales. Votre rapport donne un bilan très juste de la situation. Nous avons produit un rapport voilà quelques années sur la fréquentation des banques alimentaires en milieu rural. On y évoquait des problèmes comme les distances à parcourir pour obtenir des services, l'importance cruciale du transport et le manque de services dans les communautés. Tous ces problèmes sont décrits de façon très articulée dans votre rapport.
Voici quelques chiffres sur les banques alimentaires, et sur celles qui se trouvent dans les régions rurales plus particulièrement. Plus de la moitié des banques alimentaires qui ont contribué au Bilan-Faim 2006, c'est-à-dire 325 banques alimentaires sur 638, se trouvent en milieu rural. Cela signifie que plus de la moitié des banques alimentaires que nous soutenons desservent des communautés rurales.
En mars 2006, 65 000 personnes ont reçu des denrées de banques alimentaires situées en région rurale, dont au moins 25 720 enfants. Ces statistiques font peur! Il est plutôt paradoxal de constater que, dans un pays aussi riche que le nôtre, 65 000 membres de communautés qui cultivent et produisent de la nourriture, dont 25 000 enfants, doivent fréquenter une banque alimentaire et faire la file pour manger.
Depuis l'année 2000, 60 nouvelles banques alimentaires sont apparues dans les régions rurales. Les familles monoparentales représentent le tiers environ des ménages qui reçoivent de l'aide dans ces communautés. Les personnes célibataires, les couples sans enfant et les familles biparentales comptent respectivement pour 29, 12,2 et 25,7 p. 100 des utilisateurs.
En mars 2006, 36 p. 100 des banques alimentaires en milieu rural ont dû rivaliser d'imagination pour parer aux pénuries de denrées. Certaines ont refusé des clients, d'autres ont fermé plus tôt, ont acheté de la nourriture ou ont donné moins que d'habitude. Comme Mme Swinemar l'a déjà mentionné, nous envisageons d'augmenter l'approvisionnement en nourriture, mais ce n'est pas une solution viable à long terme pour améliorer la situation extrêmement difficile qui afflige beaucoup trop de Canadiens. L'aide sociale constitue la principale source de revenu de 55 p. 100 des ménages qui fréquentent les banques alimentaires rurales.
Il n'est pas facile de donner un visage aux statistiques que je viens de vous lire. Les statistiques sont les mêmes partout au pays, pour les régions rurales et urbaines. Nous devons nous rendre à l'évidence : la faim sévit partout au pays, de façon différente toutefois selon les régions. J'espère que nous aurons l'occasion ce soir de donner un peu de chair à ces plates statistiques.
M. Hellquist : Je le répète, notre Bilan-Faim est un document d'information clé. Nous recueillons des données que nous diffusons à la grandeur du pays pour amener la population à bien saisir non seulement ce que vivent leurs concitoyens qui ont faim, mais aussi, dans une certaine mesure, le rôle que joue l'Association canadienne des banques alimentaires dans la lutte contre la faim.
M. Seiden a brièvement abordé la dynamique de la faim dans le Canada rural et le fait qu'une partie importante des nouvelles banques alimentaires ont été créées pour répondre aux besoins urgents de petites communautés rurales. Le principal problème, il va sans dire, vient de ce que beaucoup de ces petites communautés ne disposent pas de l'infrastructure nécessaire pour venir en aide à ceux parmi eux qui ont faim. Beaucoup des membres les plus vulnérables de ces communautés sont poussés malgré eux vers les grands centres urbains, en quête de soutien et d'aide. Cet exode provoque le déclin des populations rurales. Beaucoup de ces personnes frappent à la porte de Mme Swinemar à Halifax, ou à la mienne, à Regina, parce que les services dont elles ont besoin n'existent pas dans les régions rurales du Canada. Les problèmes sont importés — ou exportés, selon le point de vue — des régions rurales aux agglomérations urbaines. Les banques alimentaires en milieu urbain ne cessent de grossir pour servir une clientèle en hausse constante.
Malheureusement, l'expansion indéfinie des banques alimentaires ne résoudra pas le problème. De temps à autre, nous nous disons que si nous continuons de faire ce que nous avons toujours fait, nous obtiendrons toujours les mêmes résultats. Et les résultats parlent d'eux-mêmes : toujours plus de gens qui fréquentent des banques alimentaires de plus en plus grosses en milieu urbain et l'apparition de banques alimentaires en milieu rural. À nos yeux, ce n'est pas la solution.
Je ne vous cache pas que le Canada se trouve aux prises avec un problème très complexe. Le territoire est immense et divers facteurs bouleversent la vie des régions rurales. Le Bilan-Faim fait état des priorités en matière de politiques qui, de l'avis des banques alimentaires, doivent être prises en compte dans la lutte contre la faim au pays. Ces priorités sont énoncées à partir de la page 33 du Bilan-Faim. Je vous épargne les détails — vous pouvez consulter le document pour en savoir plus. Vous y trouverez la perspective collective des banques alimentaires du Canada tout entier, qui ont une expérience quotidienne et concrète des problèmes.
Vous connaissez déjà les concepts d'augmentation du salaire minimum, de potentiel de gains suffisant et de logements abordables, de hausse de l'aide sociale. Ce n'est rien de bien nouveau. Mme Seiden a parlé déjà des failles de notre régime de sécurité sociale. Ces failles, nous en voyons les conséquences tous les jours dans les banques alimentaires du pays.
Je viens de la Saskatchewan. Vous avez sans doute entendu parler de la situation économique des milieux agricoles de la Saskatchewan et d'une bonne partie du pays. Nos voisins américains auront connu les 4 meilleures années de leur histoire pour ce qui est des revenus agricoles entre 2003 et 2006, tandis que chez nous, pour citer votre rapport, ces revenus sont en chute libre. De toute évidence, nous devons tirer des leçons des politiques agricoles qui ont permis aux communautés rurales des États-Unis de préserver leur capacité économique.
Par exemple, nous devons nous pencher sur la question de la capacité de transformation du Canada et de la création de débouchés pour favoriser la croissance économique des régions rurales. Par ailleurs, ce sont de politiques économiques et non de politiques sociales dont nous avons besoin pour favoriser le repeuplement des régions rurales du Canada et diminuer la faim et la pauvreté dans ces régions.
Devant la porte de la banque alimentaire que je dirige à Regina, je vois de plus en plus de personnes qui arrivent de régions rurales. Notre banque alimentaire dessert actuellement 100 communautés rurales, en plus de la ville de Regina. Je me répète, mais c'est un problème que nous vivons tous les jours dans notre province. Et la situation est la même partout au pays.
Malheureusement, nous n'avons trouvé ni l'arme ni les réponses magiques pour régler les problèmes. La seule chose dont nous sommes certains est que les banques alimentaires ne sont pas une solution. Les banques alimentaires ont été créées par les communautés pour répondre à un besoin. Malgré notre immense utilité, nous sommes sûrement la seule entreprise ou la seule industrie du pays à souhaiter une baisse de clientèle. En réalité, notre plus grand souhait serait de fermer boutique parce qu'il n'y aurait plus assez de bouches à nourrir ou de gens pauvres, ni en milieu urbain ni en milieu rural. Les banques alimentaires pourraient ainsi mettre leurs énergies ailleurs.
Nous savons bien que c'est impensable à court terme, mais c'est notre vision. C'est la vision que devrait embrasser toute la population canadienne. Nous voulons lutter pour venir à bout du problème, pas seulement pour créer des banques alimentaires toujours plus imposantes.
La présidente : C'est une vision que nous partageons. Vous nous avez donné un portrait très instructif. En visitant différentes régions du pays et en prêtant l'oreille à ce que les gens auront à nous raconter, nous ferons de notre mieux, même si c'est peu, pour faire avancer les choses.
Le sénateur Oliver : Je vous souhaite la bienvenue et je tiens à vous remercier. J'ai trouvé vos témoignages fort intéressants.
Nous sommes un comité parlementaire. Nous traitons de questions qui mettent le gouvernement en cause, et plus particulièrement le fédéral puisque nous faisons partie du Parlement du Canada. Mes questions auront donc un lien avec notre mandat, qui est d'examiner les politiques publiques d'un point de vue fédéral, au nom de l'ensemble de la population canadienne.
Environ 800 000 personnes fréquentent vos banques alimentaires. Vos méthodes d'approvisionnement sont diverses. J'ai appris aujourd'hui que les banques alimentaires avaient même une dimension mondiale. Le Canada, l'Argentine, les États-Unis et le Mexique travaillent ensemble. Vous nous avez parlé également de votre rôle de conseiller auprès d'Israël. C'est donc un problème mondial.
La question concerne tout autant les ordres de gouvernement municipal, provincial et fédéral. Le gouvernement fédéral octroie de l'aide et les gouvernements provinciaux consacrent énormément d'argent aux services sociaux. À votre avis, notre comité parlementaire fédéral devrait-il se pencher sur des façons pour les banques alimentaires de coordonner les activités d'aide des instances provinciales, municipales et fédérales? À votre connaissance, existe-t-il beaucoup d'organismes et d'instances publiques qui tentent d'aider les mêmes personnes de la même façon? Si c'est le cas, est-il possible et souhaitable de mieux coordonner leurs activités respectives et, ainsi, d'en arriver à ce que les banques alimentaires ne soient plus nécessaires? Pourriez-vous devenir un organisme central par lequel transiterait l'aide municipale, provinciale et fédérale visant les personnes qui ont besoin de la nourriture distribuée par vos banques alimentaires?
M. Hellquist : Permettez-moi de répondre. C'est une question avec laquelle nous devons nous battre tous les jours puisque nous sommes en lien avec tous les paliers de pouvoir. Cependant, je ne crois pas que nous soyons les mieux placés pour assurer ce genre de coordination. J'en serais ravi, mais nous avons plutôt besoin de mécanismes rigoureux de coordination des politiques sociales, depuis le municipal jusqu'au fédéral. Les programmes et les politiques se chevauchent et il n'existe aucun régime intégré de sécurité sociale pour venir en aide à la population à faible revenu ou à revenu moyen. Par conséquent, les difficultés varient d'une province et d'une municipalité à l'autre.
Si nous pouvions au moins amorcer un dialogue en vue de nous donner un mécanisme de concertation et de résolution collective des problèmes, nous en arriverions sans doute à une meilleure compréhension des enjeux. En conséquence, nous obtiendrions une coordination beaucoup plus efficace des ressources nécessaires pour faire bouger les choses dans le Canada rural et résoudre le problème de la faim.
Michael Bay, membre du conseil d'administration, Association canadienne des banques alimentaires : Malgré toute ma fierté d'être l'un des tout nouveaux administrateurs de cet organisme, je ne crois pas que l'Association canadienne des banques alimentaires soit la mieux placée pour faire ce travail. Si ma compréhension de néophyte est bonne, il ne faut pas confondre pauvreté rurale et pauvreté urbaine. Les personnes touchées sont différentes. Bien entendu, une partie de la population touchée souffre de graves problèmes de santé mentale et d'autres problèmes du genre — des gens auprès desquels j'ai beaucoup travaillé. Dans les zones urbaines, des personnes vivent dans la pauvreté de génération en génération, et elles ont besoin d'aide pour se sortir de cette condition. Au contraire, dans les régions rurales, une grande partie des personnes qui ont faim aujourd'hui ont travaillé de façon acharnée et ont énormément contribué à l'économie et, de bien des façons, à façonner le tissu social du pays. Ces gens ne sont pas issus d'une longue lignée de pauvreté. Ce sont les enfants de ceux qui nous ont nourris, et ils nous demandent maintenant de les nourrir. Ce phénomène a quelque chose d'infernal.
Selon moi, l'Association canadienne des banques alimentaires ne peut pas remplir ce rôle parce qu'il ne s'agit pas simplement de fournir de l'aide et de créer encore plus de dépendance. Nous devons plutôt chercher à redonner leur capacité économique à un groupe de citoyens qui, historiquement, ont énormément contribué à notre richesse collective.
Dans l'Ouest canadien, des personnes qui ont contribué à enrichir le secteur agricole se retrouvent maintenant dans cette partie de la population qui reçoit et non plus parmi celle qui donne. Dans le centre du pays, on nous annonce tous les jours dans les journaux que 1 000 emplois ont été supprimés dans telle grande usine, 2 000 dans telle autre. On oublie les emplois qui disparaissent dans les petites entreprises liées. Ce ne sont pas les 1 000 emplois perdus à Toronto qui devraient faire les manchettes, mais plutôt les 50 ou 100 emplois supprimés dans les petites villes, parce qu'il n'existe pas d'autres emplois à ces endroits.
Dans l'Est du Canada, ce sont les industries de la pêche et du tourisme, à l'Île-du-Prince-Édouard notamment, qui dominent. Comme vous l'avez déjà entendu ce soir, nous devons penser à des mesures pour revigorer l'économie. Les statistiques effrayantes que nous a données M. Hellquist sont éloquentes : comment se fait-il que nos voisins américains aient connu les quatre meilleures années agricoles de tous les temps? Tout se joue autour de la valeur ajoutée, dont ils sont devenus des spécialistes.
Le sénateur Oliver : Leur prospérité est due surtout aux subventions de 90 milliards de dollars sur 5 ans que leur accorde le Farm Bill.
M. Bay : Selon ce que j'en comprends, les revenus proviennent en grande partie de la valeur ajoutée, et en partie peut-être de l'aide gouvernementale.
Le sénateur Oliver : Très bien, mais ma question ne portait pas sur la valeur ajoutée. Je veux savoir si, selon vous, les banques alimentaires pourraient coordonner les actions prises pour répondre aux besoins par les instances fédérales, municipales, provinciales et dans les régions rurales, afin que les personnes nécessiteuses qui fréquentent vos banques alimentaires reçoivent plus d'aide. Concrètement, je vous demande si nous pouvons adopter une nouvelle politique publique en ce sens.
M. Hellquist : Il est certain que nous sommes tout à fait disposés à participer à un débat sur la teneur d'une telle politique. Cependant, je ne sais pas si nous serions en mesure de diriger ce débat. Nos organismes sont avant tout d'essence communautaire. La plupart ne reçoivent aucun soutien d'aucun palier de gouvernement. Ce n'est donc pas notre volonté qui est en cause, mais plutôt notre capacité à animer ce débat.
Nous souhaitons vivement prendre part au dialogue. Nous avons certainement un rôle à jouer parce que la question des compétences revient sans cesse dans notre travail. Nous savons ce que les personnes touchées endurent dans la réalité. Je ne pense pas que nous soyons en mesure d'animer la discussion, mais nous pouvons certainement contribuer à la solution, prendre part au débat et faire tout ce que nous pouvons pour assurer une meilleure coordination et faire avancer le dossier.
Mme Swinemar : Je suis plutôt d'accord avec M. Hellquist. Selon mon expérience, il est toujours assez difficile d'amener deux ordres de gouvernement à se parler. Invariablement, ils se renvoient la balle quand nous demandons de l'aide ou du soutien pour les utilisateurs de nos banques alimentaires.
Je trouve très encourageant de vous entendre poser la question. Si jamais ce débat a lieu, j'aimerais beaucoup y participer au nom de mon organisme. Par contre, je ne pense pas que nous devrions nous trouver à la barre.
M. Seiden : Je pense aussi que vous avez soulevé une question importante. J'aimerais toutefois vous rappeler que, à l'origine, les banques alimentaires ont été créées sur une base temporaire. Leur croissance a coïncidé avec les changements apportés par le fédéral aux modalités de financement des provinces et des municipalités. Quand le Programme d'accès communautaire, le PAC, a commencé à fonctionner par enveloppes globales, les restrictions concernant l'affectation des crédits ont été abolies du même souffle. Le résultat de ce virage a été une croissance spectaculaire de notre industrie, pour le pire.
Actuellement, la répartition des fonds n'est pas uniforme. Par conséquent, il est essentiel, absolument essentiel, que le dialogue dont vous parlez se fasse entre les échelons fédéral, provincial et municipal.
Le sénateur Meighen : Nous n'avons pas réussi à bien saisir les facteurs à l'origine d'une telle explosion de votre clientèle. Vous avez évoqué la question du financement global.
M. Seiden : Nous abordons ce sujet dans notre mémoire. Auparavant, c'était le fédéral qui décidait des affectations. Lorsque le Régime d'assistance publique du Canada a été aboli, certaines restrictions avaient été prescrites concernant l'affectation des sommes, qui devaient servir pour l'aide sociale, ou suivant certains éléments et certaines règles. Lorsque le financement global est devenu la règle, notre enveloppe a été intégrée à celle de l'éducation, et l'affectation des crédits relevait dorénavant de chaque province. Il y a moins de restrictions. C'est de cela qu'il faudra parler. Toutes les parties prenantes devront se réunir.
Le sénateur Oliver : Peut-être le PAC pourrait-il servir de mécanisme de coordination?
Le sénateur Merchant : Je suis au courant de tout ce que vous faites à Regina et je sais que vous connaissez certaines causes à l'origine de la pauvreté. La banque alimentaire de Regina a-t-elle pris des mesures pour aider les gens à se sortir de cette dépendance? Faites-vous appel à d'autres programmes pour lutter contre certaines des causes profondes de la faim?
M. Hellquist : Oui, tout à fait. Il y a quelque temps, nous avons été forcés d'admettre que nous ne pourrions pas cesser nos activités. Effectivement, les besoins ont augmenté de façon vertigineuse, et les banques alimentaires de Saskatoon et de Regina ont connu une croissance quasi exponentielle. Nous nous sommes aperçus que nous étions condamnés à poursuivre nos activités de livraison de nourriture parce qu'il était impensable de laisser quiconque mourir de faim.
Nous nous concentrions surtout sur la distribution et la collecte de nourriture. Toutefois, nous avons peu à peu réalisé que, pour donner une aide véritable aux personnes et aux familles, nous devions également les aider à acquérir des compétences et des connaissances qui leur permettraient de se sortir de leur état de dépendance.
Nous avons investi plusieurs millions de dollars ces dernières années pour mettre en place un programme et un centre d'éducation dans notre établissement, lequel s'adresse particulièrement aux utilisateurs de longue date des banques alimentaires et à leurs familles. Notre offre de services est très complète, depuis les programmes d'études postsecondaires agréés — nous travaillons actuellement à l'instauration d'un cours de cuisine de casse-croûte — jusqu'à des cours sur des sujets aussi élémentaires que la préparation des aliments en cuisine pour les enfants d'âge préscolaire. Nous offrons énormément de formations de préparation à l'emploi et d'alphabétisation. Notre principal objectif est l'intégration au marché du travail. Nous avons collaboré très étroitement avec les milieux des entreprises et de l'éducation pour garantir, dans un premier temps, la qualité de nos programmes et, dans un deuxième temps, l'offre d'emplois aux participants au bout de la route.
Le principal problème, bien évidemment, vient de ce que nous pouvons accommoder un assez petit nombre de personnes à la fois. Nous pouvons aider seulement une famille, une personne à la fois à briser le cycle infernal. Dans bien des cas, le cycle se perpétue de génération en génération. Nos utilisateurs ne sont pas les premiers de leur lignée à avoir faim. Ils ne sont pas les premiers à connaître la pauvreté. Si nous parvenons à briser ce cycle, nous donnons l'espoir d'un meilleur avenir à une famille et à une personne.
Nous avons obtenu un taux de succès extraordinaire. Nous avons réussi à placer presque tous nos diplômés, et 70 p. 100 des élèves qui ont commencé un de nos programmes ont obtenu leur diplôme. Nous avons trouvé des remèdes à très petite échelle au lieu de chercher des solutions symboliques à une situation qui nous dépasse.
Dans bien des cas, il s'agit d'un problème familial qui se transmet de génération en génération. Dans d'autres, les personnes sont démunies des compétences, de l'expérience ou des connaissances requises par le marché du travail. Et beaucoup de nos clients sont aux prises avec des problèmes multiples.
À la banque alimentaire de Regina, nous avons créé un centre de services polyvalent qui regroupe et abrite différents organismes offrant une gamme diversifiée de services. Actuellement, nous avons une division de services sociaux, auxquels s'ajoute toute une gamme de cours de formation et de perfectionnement à l'intention des utilisateurs de la banque alimentaire. C'est un petit pas, mais il s'agit d'un pas important pour nous.
La présidente : Un projet semblable est en marche à Lethbridge, où un centre répondra à différents besoins au même endroit.
Le sénateur St. Germain : J'aimerais poursuivre sur la lancée du sénateur Merchant et vous interroger sur les causes fondamentales. Vous avez évoqué l'aspect transgénérationnel. Avez-vous isolé d'autres causes fondamentales? Le caractère intergénérationnel m'apparaît une cause plutôt vague du phénomène. Pouvez-vous être un peu plus précis? Je crois, Madame Swinemar, que vous avez également tenté de cerner les causes profondes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?
Nous l'avons déjà souligné, le phénomène semble plutôt circonstanciel dans les milieux ruraux. Dans le cas des villes, c'est un peu différent. J'ai grandi dans un milieu rural. La pauvreté existait, mais il n'y avait pas de banques alimentaires. Nous avons tous survécu.
Mme Swinemar : J'ai grandi dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse et notre famille a survécu grâce au soutien de nos voisins et de la famille. Les sacs de homards que nous trouvions sur le palier ne trompaient pas. Il n'existait pas de banques alimentaires, mais tous faisaient en sorte, de façon parfois anonyme, que les familles ne manquent de rien. Les épiciers locaux nous faisaient crédit et attendaient que l'argent rentre pour être payés. Je n'ai rien fait pour obtenir le poste que j'occupe actuellement. C'est le poste qui m'a trouvée. J'ai été engagée pour fermer la banque alimentaire dont j'ai hérité. Je suis sincère quand je parle du malaise que j'éprouve quand je rédige ma notice biographique et que je décris mes réalisations professionnelles au sein de la banque alimentaire. Il est difficile de ressentir de la fierté parce que l'organisme que je dirige est en expansion, devant ce qu'il est devenu, mais c'est la réalité.
Avant d'occuper ce poste, je travaillais dans le domaine de l'éducation permanente. Je pensais à cela pendant que M. Hellquist répondait à votre question et qu'il parlait du centre qu'il a mis sur pied. Ce que nous faisons ressemble beaucoup à cela, mais nous le faisons à une autre échelle. Nous offrons un programme culinaire et nous réfléchissons actuellement à des moyens de mieux aider nos participants.
Dans les régions rurales du Canada, et je m'exprime ici d'un point de vue personnel, nous allions à l'école en autobus. Le trajet durait deux heures environ. Pour les élèves moins motivés — on sait que le système scolaire ne convient pas à tous les types d'apprenants —, le décrochage devient une solution très tentante. Mon ancien travail consistait à jeter des ponts entre la communauté et l'école. Je travaillais pour un visionnaire qui était convaincu que si nous parvenions à offrir des programmes scolaires incluant l'anglais langue seconde, l'alphabétisation, la formation générale ou des cours d'informatique à des gens qui n'avaient jamais vu d'ordinateur, nous pourrions mettre fin au vandalisme, garder les enfants à l'école et obtenir le concours des parents qui ont un mauvais souvenir de l'école. Nous savions qu'il se trouvait beaucoup d'enfants qui ont la clé au cou et qui sont très vulnérables. Le système d'éducation a changé et les banques alimentaires tentent dorénavant d'offrir des programmes d'éducation permanente. C'est un autre sujet de préoccupation.
Je participe au Bilan-Faim. Ces derniers jours, j'ai demandé à mes partenaires de la Nouvelle-Écosse comment se passaient les choses. Leurs doléances rejoignent essentiellement celles de tous les intervenants au pays : il n'existe pas suffisamment de mécanismes de soutien pour les jeunes des régions rurales. Dans les régions rurales de la Nouvelle- Écosse, les jeunes filles qui tombent enceintes n'ont aucun recours et elles doivent quitter l'école très tôt. Est-ce un phénomène générationnel? C'est possible. Je ne trouve aucune autre réponse plausible. Dans la région rurale où j'ai grandi, j'ai été éduquée grâce au soutien d'une communauté tout entière, à qui je suis très reconnaissante. Lorsque j'y retourne, je constate que cet appui communautaire a disparu à cause de la grande vulnérabilité dans laquelle se trouvent les habitants des milieux ruraux.
Le sénateur St. Germain : Existe-t-il des risques de créer une dépendance chez les utilisateurs du système? J'ai été policier à Vancouver. J'ai vu l'Armée du Salut et divers organismes religieux distribuer de la nourriture. Corrigez-moi si j'ai tort, mais je constate que les banques alimentaires ont pris le relais de ces organismes à plusieurs égards. De nos jours, les banques alimentaires fonctionnent de telle manière qu'elles prêtent flanc aux abus et à la dépendance. Existe- t-il des façons de contrôler ces risques? J'imagine que la dépendance et l'abus ne sont pas aussi fréquents dans les zones rurales que dans les zones urbaines, mais j'aimerais avoir votre réponse à cette question et obtenir vos commentaires sur les moyens dont disposent les banques alimentaires pour contrer ces problèmes.
M. Hellquist : Sénateur, vous soulevez là une excellente question. Tout d'abord, il est clair que tout régime d'assistance aux personnes dans le besoin crée une certaine dépendance. Ces personnes, une fois qu'elles ont demandé l'aide de ces organismes, continuent de le faire. C'est pour cette raison que l'aide est offerte en premier lieu. Le défi consiste à empêcher les prestataires de faire du sur-place, de devenir des utilisateurs à long terme ou viagers du système. C'est l'un des défis auxquels sont perpétuellement confrontées les banques alimentaires, qui ne doivent perdre de vue qu'elles sont une aide alimentaire de secours. Les banques alimentaires ne doivent pas remplacer les programmes sociaux ni les politiques sociales qui garantissent que tous ont un revenu suffisant pour s'alimenter.
En deuxième lieu, si vous demandiez aux utilisateurs s'ils préfèrent avoir recours à l'aide d'une banque alimentaire ou faire leurs emplettes chez Sobeys ou Safeway parce que leur revenu leur permet de faire ce choix, je vous garantis qu'ils vous répondront qu'ils ne souhaitent pas dépendre des banques alimentaires. Les gens répugnent à cette dépendance. Il est clair qu'un noyau dur de prestataires a besoin d'aide systématique et à long terme. Il se peut également que certaines personnes se fient à une forme d'aide alimentaire tout au long de leur vie. Le défi consiste à agir assez vite pour que les autres prestataires ne développent pas de dépendance au système. Le risque est indissociable de ce type d'aide. Les banques alimentaires ont repris une partie des responsabilités qu'assumaient autrefois les groupes paroissiaux et religieux ainsi que les organismes communautaires. Il faut dire que ces organismes font face à d'énormes difficultés. Les églises sont de moins en moins fréquentées, et les églises rurales sont particulièrement éprouvées. Elles n'ont ni la capacité ni les ressources pour continuer à offrir les services qu'elles prodiguaient autrefois. J'aime à penser que les banques alimentaires représentent tout simplement la solution qu'a trouvée notre société contemporaine pour répondre aux besoins. Mme Swinemar a déjà expliqué que ces systèmes de soutien sont le fruit de la mobilisation des communautés. Je pense quant à moi que des banques alimentaires disparaîtront éventuellement et que les communautés trouveront d'autres moyens pour nourrir les affamés, et j'espère que leur nombre diminuera de façon significative.
M. Seiden : Vos deux questions sont liées. À la page 17 du Bilan-Faim, vous trouverez un tableau fort troublant sur les sources de revenus. On peut y lire que 53 p. 100 des gens vivent de l'aide sociale et que le régime social ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins. Ce tableau est très significatif. Non seulement répond-il à vos deux questions, dans une certaine mesure, mais il nous indique surtout quelle politique est nécessaire pour redresser le problème. Parmi les utilisateurs des banques alimentaires, 13 p. 100 occupent un emploi, mais sont incapables de joindre les deux bouts. Ils ne sont pas paresseux ni dépendants, et ils ne veulent certainement pas frapper à la porte des banques alimentaires. Ils gagnent moins que le salaire minimum et ne peuvent pas s'acheter à manger. Beaucoup des petits salariés font partie d'un ménage dont le revenu global se situe entre 16 000 et 18 000 $. La statistique suivante concerne les prestataires d'une pension d'invalidité. Ces personnes aimeraient beaucoup mieux ne pas avoir besoin des banques alimentaires, mais leur invalidité les empêche de travailler. Le groupe suivant compte 6 p. 100 de personnes âgées et pensionnées, un nouveau phénomène, et 4,2 p. 100 qui sont prestataires de l'assurance-emploi.
Des politiques successives nous ont amené des utilisateurs représentant des groupes de la société qui sont venus se greffer au noyau dur des utilisateurs dits transgénérationnels. Comme l'a évoqué M. Hellquist, quantité de gens qui s'adressent aux banques alimentaires par suite des compressions multiples dans le filet de sécurité sociale — ce que le tableau illustre tout à fait clairement — qui souffrent de ne pouvoir subvenir à leurs besoins.
Nous recueillons ces données sur une base annuelle. Le nombre de petits salariés a connu une hausse effarante, tout comme le nombre de prestataires de pensions d'invalidité. Les personnes âgées sont aussi plus nombreuses. Les changements sont très nets dans ces trois catégories d'une année à l'autre.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne suis pas membre de ce comité, je me sens donc privilégié de me trouver ici ce soir, en remplacement du sénateur Callbeck. Je trouve que nous avons là une occasion en or de nous réunir pour discuter de ce problème et pour nous y sensibiliser davantage en 2007. Lorsque j'ai été élu pour la première fois au sein du gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick, j'ai démarré une banque alimentaire dans ma ville, et ce, malgré une forte résistance des citoyens qui en ressentaient de la honte. Aujourd'hui, 20 ans plus tard, la banque alimentaire est toujours en place. Je savais à l'époque que cette banque était nécessaire, parce que j'exerçais la médecine familiale et que mes patients me confiaient leur difficulté à se procurer les aliments pour bébé et tout ce qui est nécessaire à une famille. Pour ma part, la nécessité d'une telle banque ne faisait aucun doute.
Vous avez mentionné que le nombre de personnes âgées va en augmentant. Dans le contexte du Canada rural, comment voyez-vous la question en ce qui concerne les personnes âgées? Autrement dit, est-ce que vous prenez des mesures particulières pour les gens âgés incapables de se rendre dans les banques alimentaires? Nous connaissons tous l'existence de programmes extraordinaires, comme la popote roulante, qui exercent leurs activités en milieu rural, jusqu'à un certain point. Si une région a la chance de pouvoir compter sur des bénévoles, la mise en place de ce programme devient possible. Avez-vous prévu quelque chose de particulier pour les gens âgés qui sont incapables de se déplacer dans les régions rurales?
M. Hellquist : Vous soulevez un problème qui touche particulièrement les régions rurales du Canada, en raison des distances en cause, mais aussi du dépeuplement des régions rurales de la Saskatchewan et du reste du Canada. Aider les gens à faire la navette entre leur domicile et les endroits où ils doivent se rendre pour y recevoir divers services, qu'il s'agisse de soins médicaux ou d'une aide alimentaire, tient du défi. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui explique l'augmentation du nombre de banques alimentaires dans les communautés rurales. Pour régler ce problème, il faut rapprocher la banque alimentaire de ce groupe en plein essor qui en a bien besoin. C'est l'une des solutions que nous avons envisagées. Mais, est-ce suffisant? Probablement pas. Il reste toujours beaucoup de laissés-pour-compte qui habitent trop loin de la ressource pour pouvoir en bénéficier. Bien entendu, transporter de la nourriture n'est pas si simple. Il faut tenir compte des aspects de la salubrité et s'assurer que la banque offre des aliments sains. Il en coûte plus cher d'apporter de petites quantités de nourriture à une seule personne en particulier dans un milieu rural, et cela représente également un défi sur le plan logistique.
À dire vrai, je ne suis pas convaincu que nous ayons fait du bon travail à ce chapitre, et je ne pense pas qu'il existe un moyen simple de régler ce problème. Le seul moyen que nous avons trouvé a consisté à augmenter considérablement le nombre de banques alimentaires dans les petites communautés rurales des quatre coins du pays.
Le sénateur Trenholme Counsell : Pour poursuivre dans le même ordre d'idées, si vous le permettez, avez-vous prévu la possibilité qu'un parent, un ami ou une personne qui donne des soins à la personne âgée ou à la personne handicapée, vienne à sa place chercher de la nourriture?
Mme Swinemar : Bien entendu. Si une personne est incapable de se rendre à la banque alimentaire, alors c'est un membre de la famille ou un voisin qui s'en chargera.
Dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, étant donné les taux de chômage actuels, nous constatons une énorme vague de déplacement vers l'Ouest des personnes aptes au travail qui espèrent trouver de l'emploi dans le secteur pétrolier. Dans une communauté en particulier, où notre étude des tendances était particulièrement révélatrice de ce mouvement, on a constaté une diminution importante du nombre de clients de la banque alimentaire. Nous avons finalement découvert que c'était parce que ceux qui pouvaient travailler avaient quitté pour l'Alberta. Lorsque nous nous sommes interrogés sur la raison de l'augmentation du nombre de clients de la soupe populaire, nous avons découvert que c'était parce que plus personne ne s'occupait des personnes âgées. Même ceux qui avaient recours à la banque alimentaire s'occupaient des personnes âgées. Aujourd'hui, les choses ont changé, et les personnes âgées sont forcées de venir à la soupe populaire. C'est désormais la soupe populaire et non la banque alimentaire qui est la nouvelle réponse des régions rurales canadiennes à la faim et à la pauvreté.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais revenir à la question des fermes en sérieuse difficulté. Il y en a dans ma région du Nouveau-Brunswick. Mais, il y a aussi l'exemple fantastique de jeunes gens se lançant dans l'agriculture et dans la culture biologique de produits de spécialité. Je pense entre autres à un jeune couple de ma connaissance qui a décidé de se lancer dans l'élevage de l'agneau, et qui se tire très bien d'affaire.
Lorsque des agriculteurs en sérieuse difficulté s'adressent à vous, leur demandez-vous s'ils ont pu bénéficier de services de consultants pour les aider à trouver éventuellement une nouvelle orientation pour leur exploitation agricole, même si cette orientation n'a rien à voir avec la voie tracée par les grandes exploitations commerciales dont ils ont l'habitude? Est-ce que ce genre de services-conseils existe? Le fait que des agriculteurs soient forcés d'avoir recours à des banques alimentaires est relativement nouveau, aussi il est clair que ces gens ont besoin de conseils particuliers.
M. Hellquist : C'est une bonne question. D'après mon expérience avec les familles d'agriculteurs forcées de faire appel à des banques alimentaires, il s'agit d'un coup terrible pour ces gens et d'une atteinte à leur estime personnelle. En règle générale, ils n'ont pas très envie de s'éterniser, et de piquer une jasette, ils sont plutôt pressés de sortir de la banque alimentaire. Être forcés de faire appel à une banque alimentaire, c'est vraiment le comble pour les agriculteurs, parce qu'ils considèrent comme un échec le fait d'être incapables de produire suffisamment de nourriture et de revenus pour leur famille.
Nous n'avons pas eu beaucoup de discussions avec les familles d'agriculteurs. C'est difficile pour eux d'avoir à se tourner vers une banque alimentaire. Durant des années, ces gens ont tiré une grande fierté d'être les producteurs de nourriture, non seulement pour le Canada, mais aussi pour le reste du monde. Ils continuent de produire des aliments pour le monde entier, mais ils ne parviennent pas à produire suffisamment de ressources économiques pour alimenter leur propre table. C'est une grave situation pour bien des agriculteurs, et une sérieuse attaque à l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes.
La présidente : Vous avez raison. Cette situation est le résultat des sécheresses, des problèmes causés par l'ESB et d'autres difficultés qui sont malheureusement impossibles à surmonter malgré les efforts de quiconque. Cette situation frappe de plus en plus de gens, même ceux qui n'auraient jamais pensé avoir un jour à se mettre en file dans une banque alimentaire, et ce n'est pas facile à vivre.
Le sénateur Meighen : En répondant à nos propres questions, vous en avez soulevé d'autres très intéressantes. J'aimerais que nous disposions de plus de temps pour pouvoir vous en poser beaucoup d'autres qui nous viennent à l'esprit. Par exemple, dans quelle mesure devriez-vous utiliser vos précieuses ressources pour étudier les causes fondamentales? De toute évidence, la société doit se pencher sur cette question, pour en finir une fois pour toutes avec les banques alimentaires, ce que vous espérez voir arriver un jour. Et cependant, votre tâche principale, pour le meilleur et pour le pire, est de mettre de la nourriture à la disposition de ceux qui en ont désespérément besoin. Un jour, il faudra bien examiner dans quelle mesure cette tâche est reléguée dans l'ombre par rapport à toutes les autres.
Pour le moment, je tiens à me concentrer sur la question soulevée par le sénateur Oliver. Que peuvent faire les parlementaires fédéraux pour vous venir en aide? Nous avons mentionné le problème lié au financement global, aussi peut-être qu'il pourrait être réglé à l'échelle du gouvernement fédéral. Est-ce que vous éprouvez des difficultés avec les dons que vous recevez? Avez-vous le droit d'en solliciter? Est-ce que vous en recevez suffisamment? Comment le gouvernement fédéral pourrait-il vous aider à cet égard? Y a-t-il autre chose que le Parlement pourrait faire pour améliorer l'efficacité de vos efforts?
M. Seiden : Ce sont de bonnes questions. S'il y a une chose que j'ai apprise, durant mon engagement auprès de l'Association canadienne des banques alimentaires, c'est que nous sommes un peu comme deux organisations dans un même corps, ce qui me semble parfois assez étrange. Nous parlons de la possibilité de cesser nos activités, alors qu'il y a beaucoup d'affamés qui ont besoin de nos services. Ironiquement, nous n'avons jamais demandé d'aide. Les banques alimentaires souhaitaient conserver leur indépendance, et à l'origine, elles se voyaient comme temporaires, parce qu'elles ambitionnaient de vaincre la faim. Ce sont les entreprises canadiennes qui assurent la majeure partie de notre financement. Nous n'avons jamais fait activement campagne pour amasser des fonds afin de rémunérer notre personnel, payer notre équipement et nos appuis mais, ce qui importe encore davantage, nous n'avons jamais demandé que l'on accorde le plus petit incitatif fiscal à nos donateurs, qu'il s'agisse du transport ou des produits alimentaires.
Les États-Unis ont accordé de petits allégements fiscaux à ceux qui donnent de la nourriture et aux fabricants de produits alimentaires. Cette mesure stimule énormément les dons. Le Mexique aussi a mis en place un tel allégement fiscal, et Israël, durant les premiers mois de la mise en place d'un réseau, a adopté une loi du bon samaritain qui prévoit certains petits allégements fiscaux pour les fabricants de produits alimentaires.
Les États-Unis viennent d'adopter une loi qui étend l'incitatif fiscal aux agriculteurs des régions rurales et aux petites entreprises. On estime que cette mesure entraînera une augmentation de 250 millions de livres de produits alimentaires par année que les agriculteurs et les petites entreprises pourront donner aux banques alimentaires — et on les encouragera à le faire.
À l'heure actuelle, les dons n'entraînent aucun avantage sur le plan fiscal. La seule économie qu'une entreprise ou un donateur réalise est celle des frais pour se débarrasser des produits.
J'ai entendu l'histoire d'un éleveur du Manitoba ou d'une des provinces de l'Ouest qui avait éprouvé certains problèmes. Il lui revenait en effet plus cher de donner ses vaches que de les abattre, et ce, en raison de l'absence d'incitatif fiscal. C'est une honte. Nous pourrions également vous fournir d'excellents exemples de ce qui se fait dans le Sud, si cela vous intéresse.
Le sénateur Meighen : Madame la présidente, pourrions-nous obtenir ces exemples?
Le sénateur Oliver : Je pense que Mme Swinemar a mentionné tout à l'heure que Kraft et Proctor & Gamble vous fournissent une contribution substantielle. Êtes-vous en train de nous dire que lorsque ces entreprises vous fournissent des produits alimentaires pour un montant considérable, elles n'obtiennent aucune compensation, aucun reçu aux fins de l'impôt, ni aucun allégement en retour?
Mme Swinemar : C'est exact.
M. Seiden : Si nous produisons un reçu aux fins de l'impôt, les entreprises doivent inclure le montant figurant sur le reçu dans leurs revenus. Il s'agit d'une situation de neutralité fiscale, c'est-à-dire que les entreprises doivent inclure le montant du reçu aux fins de l'impôt dans leurs revenus et radier une dépense pour les produits visés. Si nous ne leur donnons pas de reçu, la situation est toujours neutre sur le plan fiscal. Nous leur fournissons une lettre d'acceptation. Dans ce pays, il n'existe aucun incitatif fiscal de quelque ordre que ce soit pour les donateurs aux banques alimentaires.
M. Bay : Pour vous donner un exemple, d'après ce que l'on m'a dit, certains grands importateurs de produits alimentaires ont constaté qu'il leur coûterait de l'argent de faire des dons de nourriture au système de banques alimentaires. Ces entreprises importent les produits alimentaires au Canada, pour s'apercevoir qu'il n'y a pas de marché pour ces produits ou encore que les étiquettes ont été mal placées, et ainsi de suite. Elles ont acquitté certaines taxes lorsque ces produits sont entrés au pays. Si elles peuvent certifier que ces produits ont été détruits, elles obtiennent un remboursement de ces taxes. Si elles décidaient de nous donner les produits en question, elles n'obtiendraient toutefois aucun remboursement. Par conséquent, il leur en coûterait trop cher; aussi les produits vont au dépotoir plutôt qu'à la banque alimentaire. Corriger la situation ne coûterait rien au ministre du Revenu national puisque ces taxes sont remboursées de toute façon étant donné que les produits alimentaires sont détruits. Il s'agit d'un poste budgétaire qui ne coûterait absolument rien.
M. Seiden : Cette situation s'est produite deux fois cette année, c'est-à-dire qu'un fabricant a versé des droits sur une grande quantité de produits et qu'il a dû les détruire pour se faire rembourser ces droits.
Le sénateur Hubley : Nous ne sommes pas si bien renseignés que cela sur cette question. En examinant la pauvreté rurale, nous imaginons une exploitation agricole ayant connu des difficultés et une famille d'agriculteurs forcée de faire appel à une banque alimentaire. Nous savons depuis longtemps que beaucoup de fermes ont survécu grâce à un revenu extérieur; il me semble que nous sommes témoins d'une autre étape sur ce parcours pas très confortable.
Il n'y a pas vraiment de différence dans la pauvreté, qu'elle soit en milieu rural ou en ville. Quels sont les renseignements que les banques alimentaires peuvent recueillir auprès de leurs clients? Pouvez-vous recueillir des renseignements concernant les circonstances les ayant conduits chez vous?
Mme Swinemar : Les questions peuvent varier d'une banque alimentaire à l'autre. Mais en règle générale, la majorité d'entre elles demandent à ceux qui viennent réclamer leur aide de présenter une carte d'assurance-maladie. Elles demanderont la carte d'assurance-maladie de tous les membres de la famille afin de s'assurer que la même famille ne s'adresse pas à plus d'une banque, parce que c'est une question que nous posent toujours les membres du public. Elles s'informeront aussi de la source des revenus. Si les clients ont un revenu, certaines banques alimentaires iront jusqu'à leur demander de préciser le montant de ce revenu et celui des dépenses mensuelles. En règle générale, les questions ne vont pas beaucoup plus loin que cela.
Comme M. Hellquist l'a fait remarquer, les gens ne s'éternisent pas vraiment à la banque alimentaire. Ils voudraient bien être invisibles — ils entrent, récupèrent les produits alimentaires et s'enfuient aussi rapidement que possible dans la crainte de tomber sur un voisin ou sur un ami. Cependant, dans la majorité des banques alimentaires, on recueille certains renseignements. C'est ce qui nous permet de produire notre Bilan-Faim, par exemple; parce que nous disposons des données nécessaires.
M. Hellquist : Il y a des exemples dans tout le pays de banques alimentaires qui restent ouvertes en soirée afin de permettre aux clients de se présenter en-dehors des heures de la journée pour venir chercher leur panier de nourriture. Ils veulent éviter que leurs voisins sachent qu'ils sont dans une mauvaise passe. Ils ne veulent surtout pas que la communauté soit au courant qu'ils sont dans le besoin. Essayer de recueillir des données de ces gens se révèle assez difficile, et plus particulièrement dans les régions rurales du Canada où beaucoup de banques alimentaires sont administrées uniquement par des bénévoles, souvent les voisins et les amis des clients de la banque. L'expérience peut se révéler assez désagréable pour une personne qui, depuis de nombreuses années, exploite sa propre ferme, et a connu du succès en affaires, tant à titre individuel que familial. Il arrive que la ferme soit dans la famille depuis des générations, et que les propriétaires soient forcés d'admettre qu'ils doivent avoir recours à la charité de la communauté pour nourrir leur famille, ce qui se révèle une expérience incroyablement humiliante. Il est donc difficile pour le bénévole de la banque alimentaire d'engager la discussion sur quoi que ce soit à part les échanges strictement nécessaires.
Des banques alimentaires d'un peu partout au pays tentent d'en apprendre un peu plus. J'ai entendu parler de certaines banques alimentaires qui essaient de réaliser des entrevues de départ afin de pouvoir cerner un peu mieux la myriade de difficultés que ces familles doivent affronter. Ces gens ne sont pas seulement affamés; ils ont probablement aussi des problèmes de santé. Dans bien des cas, ils sont affligés de dépendances ou d'autres problèmes, comme dans les cas de jeunes mères chef de famille ayant décroché des études. Plus nous en apprendrons sur ces gens, et plus nous serons à même de mettre en place les services requis pour les aider, mais c'est loin d'être facile.
Mme Swinemar : Nous avons une ligne d'écoute téléphonique qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours par semaine, dont nous avons hérité avec notre organisation. M. Hellquist a tout à fait raison. Nous demandons aux gens de nous expliquer ce qui les a incités à appeler la ligne de dépannage. Il se peut qu'ils aient besoin de nourriture, mais que ce ne soit que la pointe de l'iceberg. Le problème est souvent beaucoup plus profond que le seul manque de nourriture. La ligne téléphonique leur permet de garder l'anonymat, et c'est plus facile pour eux.
Le sénateur Hubley : Est-ce que vous pouvez ensuite les diriger vers d'autres organismes au sein de la communauté qui pourront leur venir en aide?
M. Hellquist : C'est l'intention au départ. Si la banque alimentaire est incapable de les aider, nous voulons nous assurer qu'ils pourront trouver de l'aide ailleurs dans la communauté. Je le répète, plus nous en apprendrons sur ceux qui utilisent les banques alimentaires, et mieux nous serons en mesure de les diriger vers les bons services.
Mme Swinemar : Mais ce n'est pas nécessairement le cas dans les régions rurales du Canada, parce qu'il arrive que ces mêmes systèmes de soutien soient absents de la communauté. Les gens doivent se rendre dans la ville la plus proche pour y avoir accès. Les bénévoles qui administrent les banques alimentaires où ils s'adressent en premier lieu ne savent pas nécessairement quels sont les services à leur disposition.
Le sénateur Mahovlich : L'Armée du Salut s'occupe de ces besoins depuis toujours. Est-ce que cet organisme dispose d'un moyen quelconque pour aider les gens à décrocher du système? Par exemple, dispose-t-elle d'un programme de formation destiné à aider les gens à ne plus être forcés d'avoir recours aux banques alimentaires?
M. Seiden : Nous avons rencontré des responsables de l'Armée du Salut, et certaines de leurs banques alimentaires sont des membres de notre association, surtout dans l'Ouest canadien. Le directeur national des programmes de l'Armée du Salut m'a informé que son organisme administre des services relatifs au logement, aux vêtements et à d'autres besoins et, qu'en réalité, il préférerait ne pas avoir à administrer de banques alimentaires. L'organisme le fait par nécessité dans certaines communautés, mais ce n'est pas son service principal. Tous les organismes, qu'il s'agisse de centres de santé mentale ou de centres alimentaires, s'ingénient à trouver le moyen d'apprendre à leurs clients à se passer de ce service.
Le sénateur Mahovlich : C'est une lutte de tous les instants.
M. Seiden : Tout en gardant à l'esprit les chiffres que je vous ai lus, je ne voudrais surtout pas vous donner l'impression que tous nos clients sont dépendants à notre égard. Nombre d'entre eux travaillent à temps plein, et ils n'arrivent quand même pas à joindre les deux bouts. Actuellement, 13 p. 100 de notre clientèle adulte, avec des enfants, travaille à temps plein au salaire minimum et est incapable de se tirer d'affaire.
Le sénateur Mahovlich : Un de mes amis a pris sa retraite et a décidé de faire du bénévolat. Tous les matins il conduit des patients dans une autre ville où ils doivent recevoir des traitements. Est-ce que le nombre de bénévoles augmente maintenant qu'il y a de plus en plus de banques alimentaires?
Mme Swinemar : Je peux m'exprimer au nom de mon organisme. J'ai 30 employés et une équipe de volontaires de 600 personnes. Nous ne pourrions pas nous en sortir sans les bénévoles.
M. Hellquist : Nous faisons le suivi de nos bénévoles, heure par heure, et la moyenne par mois se situe quelque part entre 4 000 et 5 000 heures de bénévolat. Ce chiffre excède de beaucoup les heures de travail du personnel de façon continue. Les banques alimentaires comptent beaucoup sur certains appuis dans la collectivité. L'un de ces appuis est celui des bénévoles, et l'autre est le genre d'appui que nous obtenons des donateurs individuels qui croient énormément en l'utilité du travail que nous accomplissons. Par ailleurs, le secteur privé est très généreux dans son soutien permanent, que ce soit par l'entremise de la fourniture de produits alimentaires ou de dons sur une base régulière. Nous bénéficions toujours d'un extraordinaire soutien communautaire de la part des églises, des écoles et d'autres organismes communautaires. Le mouvement est aussi près de la base qu'il est possible de l'être, et cette base ne cesse de s'élargir dans les petites communautés.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les petites communautés bénéficient de programmes comme la popote roulante? À Toronto, j'ai fait du bénévolat durant une semaine, parce que l'organisme voulait avoir un peu de publicité, et j'ai livré des repas en compagnie de M. Gordon Sinclair. C'était formidable; les repas étaient excellents, et les bénéficiaires étaient tellement ravis de nous voir.
M. Hellquist : La popote roulante est un merveilleux concept et elle donne d'excellents résultats dans les grands centres. Ce programme est plus difficile à administrer dans les petites villes, parce qu'il faut tenir compte des aspects de la salubrité des aliments, et trouver des gens pour faire la cuisine, et ainsi de suite. Il s'agit d'un service extrêmement apprécié de ceux qui en ont besoin, mais on le retrouve habituellement davantage dans les grands centres.
Mme Swinemar : Pour donner une perspective rurale à votre question, dans les régions rurales de la Nouvelle- Écosse, nous constatons que l'âge des bénévoles qui administrent les organismes que nous soutenons monte en flèche. Cette année, une banque alimentaire a dû fermer ses portes parce que les bénévoles qui s'en occupaient depuis près d'une quinzaine d'années étaient devenus trop âgés pour continuer à le faire, et qu'il n'y avait personne d'autre dans la collectivité pour prendre la relève. Désormais, les gens doivent se rendre dans la ville d'à-côté pour obtenir de l'aide. Cette situation est caractéristique des communautés rurales où la population prend de l'âge et où les systèmes de soutien diminuent.
Le sénateur Mahovlich : C'est précisément ce que je voulais savoir — si vous continuez à accueillir des bénévoles pour vous venir en aide. Sinon, on dirait que ces bénévoles vieillissent, et que les jeunes ne prennent pas la relève.
Mme Swinemar : C'est exact.
M. Seiden : Mon document est unique en son genre au Canada et le seul qui donne la mesure de la faim. Par conséquent, il représente un baromètre de l'utilisation qui est faite des banques alimentaires. Durant ma première année au sein de l'organisme, pour une raison que j'ignore, le document n'a pas été publié. J'ai reçu des appels d'enseignants, d'églises et de communautés de tout le Canada qui souhaitaient en obtenir un exemplaire.
Sénateur Mahovlich, si vous jetez un coup d'oeil à la dernière page, vous y verrez un graphique. Dans le haut, vous pouvez lire que le nombre total d'heures de bénévolat au Canada est de 245 000, et que les heures de travail du personnel se chiffrent à 104 000. Vous pouvez également voir, pour chaque province, le nombre d'heures de travail bénévole et le nombre d'heures travaillées dans les banques alimentaires. Ce tableau contient beaucoup de renseignements pour répondre à votre question.
Le sénateur Mahovlich : Merci.
Le sénateur Merchant : Pourriez-vous nous parler un peu des coupons alimentaires, un régime qui a été instauré aux États-Unis?
Mme Swinemar : J'ai participé à un certain nombre de conférences aux États-Unis avec des représentants des banques alimentaires et je leur ai demandé ce qu'ils pensaient des coupons alimentaires, s'il s'agissait d'un bon programme pour offrir de l'aide aux familles, et si ce programme donnait des résultats. Leur réponse ne repose pas sur des preuves scientifiques et elle n'est pas non plus très documentée, néanmoins, les administrateurs de banques alimentaires m'ont confié qu'à leur avis les coupons ne règlent pas le problème. Les bénéficiaires de coupons alimentaires doivent toujours avoir recours aux banques alimentaires. De toute évidence, le programme est insuffisant pour répondre aux besoins des familles.
Le sénateur Merchant : Vous avez fait remarquer que si les gens avaient des bons alimentaires, ils pourraient décider de les utiliser autrement.
Mme Swinemar : Oui, c'est exact.
Le sénateur Merchant : Il serait peut-être utile de se doter de coupons alimentaires en plus des banques alimentaires. On permet aux gens de venir une fois par mois, et parfois deux fois par mois à Regina.
M. Hellquist : Le concept qui sous-tend les coupons alimentaires mérite que l'on s'y arrête. Du point de vue conceptuel, il ne s'agit pas d'un mauvais programme parce qu'il peut permettre à des gens de suppléer à leur approvisionnement alimentaire régulier. Cependant, je ne pense pas qu'il s'agisse de la seule solution, et encore moins de la meilleure solution, au problème. Selon moi, il n'y a pas qu'une solution pour régler le problème de ceux qui ont faim. Nous avons mis en place une petite épicerie à l'intérieur de notre banque alimentaire, de sorte que lorsque les gens viennent prendre leur panier, nous pouvons leur vendre des produits alimentaires nourrissants et de bonne qualité à prix réduit. Dans ces conditions, nous pouvons leur fournir des articles que nous ne pouvons leur garantir sur une base régulière, comme les protéines, les fruits et légumes frais, et ainsi de suite. Il y a énormément de choses que nous pouvons faire collectivement pour régler non seulement le problème de la faim, mais aussi celui de la nutrition. Nous payons le prix de la mauvaise alimentation des gens affamés dans notre système de soins de santé.
En prenant du recul et en adoptant une plus large perspective de ce que nous tentons d'accomplir, on voit que notre objectif ultime est que les enfants puissent être élevés dans des familles en bonne santé. Ces familles n'ont pas seulement besoin de nourriture, elles ont besoin d'aliments de bonne qualité. Il faut voir à ce que cela devienne possible.
Dans cette optique, nous essayons de stimuler la croissance économique et le développement dans notre pays. Il doit bien y avoir un moyen de relier l'approvisionnement alimentaire dont nous avons besoin à la table avec les producteurs d'aliments du Canada afin que les aliments produits dans les régions agricoles rurales du Canada passent de la ferme directement au consommateur sans transiter à l'étranger ou aux États-Unis en vue de la transformation. Il faut générer une activité économique qui contribue à protéger et à préserver notre système de la production alimentaire, d'un bout à l'autre, jusqu'aux consommateurs canadiens — je veux parler d'une solution élaborée dans les régions rurales du Canada afin de nous assurer de disposer des ressources alimentaires nécessaires.
Peut-être qu'avec des ressources suffisantes, les banques alimentaires pourraient acheter les produits directement des producteurs. De nombreux aspects doivent être envisagés de façon globale. Les coupons alimentaires pourraient très bien faire partie de la stratégie. Ce débat a déjà eu lieu en Saskatchewan. Nous nous interrogeons au sujet de la possibilité de mettre en place un programme de coupons alimentaires d'un autre genre, un programme qui accorderait aux gens une certaine quantité de produits alimentaires, mais qui leur laisserait une certaine marge de manœuvre en ce qui a trait à ce qu'ils pourraient acheter avec ces coupons ou avec une carte de crédit ou une carte de débit spéciale. Il faut faire preuve de créativité afin de fournir non seulement la bonne quantité de nourriture, mais aussi des aliments de qualité, des aliments nutritifs, afin que les enfants, les personnes âgées et les adultes puissent répondre à leurs besoins pour être des citoyens productifs.
M. Seiden : Pendant que je me trouvais aux États-Unis, j'ai entendu une drôle de réflexion comme quoi il n'y aurait pas de pauvres ou de personnes ayant besoin de banques alimentaires au Canada, parce que nous bénéficions d'un filet de sécurité sociale.
Les coupons alimentaires ne sont qu'un des éléments de la politique nationale des États-Unis. En effet, le gouvernement des États-Unis achète des produits alimentaires, gère des programmes et dépense des milliards de dollars. Ce pourrait être l'équivalent de notre filet de sécurité sociale, s'il fonctionnait comme il se doit. Le gouvernement américain achète aussi les denrées excédentaires, un peu comme nos offices de commercialisation. Il achète l'équivalent de 500 millions de livres de produits alimentaires par année pour les banques alimentaires et leurs clients. Toute une gamme d'activités sont en place. Je ne suis pas en train de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes aux États-Unis, mais ce pays a mis en place un train de mesures afin que la population puisse avoir accès à des produits alimentaires.
Le sénateur Merchant : Nous pouvons essayer de trouver d'autres moyens plus créatifs d'aider les gens à se nourrir.
M. Bay : Les bons alimentaires comportent un autre problème qui tient au coût très élevé des produits dans les régions rurales éloignées. Une modeste allocation pourrait peut-être faire la différence pour une personne de Regina ou de Toronto, mais ne servira pas à grand-chose en milieu rural. Je vais vous donner un exemple. J'ai passé une semaine dans un petit établissement de la Baie James relativement à la question des pensionnats, et je suis entré dans les magasins des régions nordiques à plusieurs reprises. Beaucoup de résidents de cette communauté vivent de l'aide sociale. Les bananes coûtaient 7,99 $ la livre. Un bon alimentaire ou un chèque d'aide sociale est nettement insuffisant pour acheter soit des bananes ou de la viande. En revanche, les chips étaient à peu près au même prix qu'à Toronto. Cette collectivité est aux prises avec un énorme problème de diabète. Dans bien des régions rurales, on retrouve le même genre de problèmes; le bon alimentaire ou le chèque d'aide sociale permet d'acheter des produits qui finiront par détruire la santé, mais il est insuffisant pour acheter des aliments nutritifs. Peu importe comment on aborde la situation, elle les laisse toujours perdants.
Il n'est pas facile de transporter des produits alimentaires dans ces régions. En effet, certaines régions du Canada ne sont accessibles qu'en été, d'autres uniquement par voie aérienne et d'autres encore, uniquement en hiver. Même si les programmes de coupons alimentaires sont importants, ils ne représentent pas la solution pour les Canadiens les plus vulnérables.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai été agréablement surpris de lire quelque chose dans le Bilan-Faim 2006. Particulièrement au Sénat, mais aussi sur toutes les tribunes possibles, je me fais l'ardent défenseur des services de garde d'enfants. Je vais vous lire cet extrait du document, à la page 40 de la version française, pour le bénéfice de tous et chacun :
Le gouvernement doit adopter des mesures immédiates pour fournir au Canada un système de places en garderies accessibles à tous, de grande qualité, à prix abordable et inclusif. Il doit renverser sa décision de mettre fin au programme national d'apprentissage et de garde des enfants.
Quarante et un pour cent des banques alimentaires ont demandé au gouvernement de faire précisément cela. À mon avis, cette position est l'une des plus convaincantes sur le sujet. Je vous remercie de l'avoir exprimée, et j'ai fermement l'intention de m'en servir la prochaine fois que je me lèverai pour faire valoir cette question au Sénat.
L'un d'entre vous souhaitera peut-être élaborer un peu sur cette position, parce que j'y crois vraiment. Il est convaincant de lire que le manque de places en garderies à prix abordable est directement lié à la faim. Seulement 15,5 p. 100 des enfants âgés de zéro à 12 ans ont accès aux services de garde réglementés à l'heure actuelle, et je suis enclin à penser que bon nombre d'entre eux se trouvent au Québec. J'ai eu le privilège, la semaine dernière, de visiter deux centres de la petite enfance au Québec où les parents paient 7 $ par jour. Il y a des listes d'attente, même au Québec. Ce système est un modèle du genre, et nous serions bien avisés de l'examiner de près. J'aimerais vous entendre vous exprimer sur cette recommandation.
M. Seiden : Vous avez raison, il s'agit d'une prise de position très ferme, mais à mon avis, elle est justifiée. Je suis assez fier de la manière dont nous avons procédé pour évaluer le rendement. Nous avons étalé le processus sur deux ans. Ce n'est pas que je ne veuille pas répondre à votre question, mais cette prise de position fait partie d'un bloc, et il y a en réalité six principales recommandations
Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai lu la liste. Ce point vient vers la fin, mais il n'en demeure pas moins que 41 p. 100 des banques alimentaires se sont prononcées en faveur de la recommandation en y apposant leurs noms.
M. Seiden : Nous sommes aussi d'ardents défenseurs de cette position. Il faut ouvrir des percées sur le logement et les autres questions. Il est important de considérer la situation dans son ensemble. Dans le rapport préliminaire de ce comité, vous avez parlé de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté, et je pense que vous avez cité un témoin en la personne de Greg deGroot-Maggetti comme ayant déclaré que l'on ne peut pas considérer une seule recommandation comme la solution au problème. Il faut en effet se doter d'une stratégie nationale de réduction de la pauvreté qui englobe toutes ces questions, parce qu'elles ont toutes un lien avec les clients des banques alimentaires. Tout à l'heure, j'ai fait allusion à la répartition des groupes constituant l'ensemble des clients des banques alimentaires. Par exemple, 53 p. 100 des utilisateurs sont prestataires de l'aide sociale, et la majeure partie de ce groupe est constitué de mères seules qui sont incapables de se passer du système, à moins de pouvoir compter sur des services de garderies pour leurs enfants. Les recommandations ont un lien avec les clients des banques alimentaires, et elles visent à corriger les problèmes de ces gens.
Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais connaître le pourcentage de mères seules qui ont recours aux banques alimentaires.
Merci pour ces renseignements extrêmement précieux. Je sais que cette recommandation s'insère dans un train de mesures qui comprennent notamment le logement, et ainsi de suite. Vous lancez un message très ferme. Je vous assure que je ne vais pas le citer hors contexte, mais selon moi, ce message a encore plus de poids venant de vous que, disons, d'un professeur de l'Université de Toronto. À mon avis, vous êtes très bien placés pour le savoir.
M. Seiden : Pour renchérir sur ce que vous venez de dire, 22 p. 100 des utilisateurs de banques alimentaires sont des familles biparentales. Les familles monoparentales représentent 30 p. 100 de l'ensemble. Pour trouver un système susceptible de les aider à se passer des banques alimentaires, il faut d'abord mettre en place un réseau de garderies, parce qu'une mère chef de famille qui se rend dans une banque alimentaire ne peut laisser son enfant seul pour aller suivre une formation. Mes deux collègues ont mis en place des programmes de formation. Mais la question est : comment procéder pour que les mères aient accès aux programmes? Je sais que certaines banques alimentaires commencent à mettre sur pied des garderies à l'intérieur de la banque alimentaire ou qu'elles soutiennent des garderies situées à proximité.
M. Hellquist : J'aimerais intervenir sur ce point. Nous avons déjà reconnu que des services de garde à prix abordables sont essentiels pour permettre aux mères et aux pères qui élèvent seuls leurs enfants de suivre de la formation. Au sein de notre banque alimentaire, nous avons mis sur pied une garderie pouvant accueillir 60 personnes par jour, dans le cadre de notre centre de formation. Il est tellement essentiel de mettre en place des moyens d'abolir au moins un des obstacles que doivent affronter les parents qui élèvent seuls leurs enfants, autrement dit, d'éliminer un obstacle les empêchant d'avoir accès aux services. Si nous n'éliminions pas cet obstacle, nous ne pourrions sans doute pas intéresser les clients des banques alimentaires à nos programmes.
D'un point de vue non scientifique, il y a un aspect extrêmement positif à ce qu'une mère seule ou un père seul puisse suivre un programme de formation et prendre sa pause café avec son enfant ou lui donner à dîner. Mesdames et messieurs, voici une dynamique entièrement différente, et une façon entièrement nouvelle d'envisager la situation. En effet, de cette manière, nous œuvrons auprès de la famille au complet plutôt que d'un seul de ses membres. Peu importe ce que nous ferons en ce qui a trait à l'établissement d'un réseau de sécurité, il faut qu'il soit non seulement complet, mais aussi qu'il prenne en considération l'unité familiale dans son ensemble. En offrant de l'aide à la famille entière, on se donne infiniment plus de chances de briser le cycle de la dépendance.
Le sénateur Meighen : Avez-vous votre mot à dire, ou plutôt, avez-vous réussi à sensibiliser vos donateurs en ce qui concerne la qualité des produits alimentaires?
M. Hellquist : Absolument, c'est ce que nous faisons. Nous travaillons très fort à l'échelle du pays pour sensibiliser les donateurs au genre de produits alimentaires dont nous avons le plus besoin. Toutes les banques alimentaires s'entendent pour avoir une liste des produits alimentaires les plus essentiels pour répondre à leurs besoins. Il y a bien quelques lacunes dans les listes que j'ai vues. On note une tendance à inclure certains aliments à faible valeur nutritive, simplement parce qu'ils donnent une sensation de satiété. Il faudrait également favoriser le contenu canadien. Par exemple, en demandant du jus de pomme plutôt que du jus d'orange. Nous pourrions faire des efforts dans des secteurs qui inciteront ceux qui font des dons aux banques alimentaires à acheter des produits canadiens. Voilà une prise de position qui pourrait être utile et facile à mettre en œuvre d'un bout à l'autre du pays.
Mme Swinemar : Environ 60 p. 100 de ce que nous expédions représente des produits frais et périssables qui nous sont donnés par des distributeurs locaux. Jusqu'à hier, j'aurais pu vous dire que nous distribuons les produits alimentaires en suivant les recommandations du Guide alimentaire canadien, mais à partir d'aujourd'hui, je n'en sais trop rien, étant donné les modifications ayant été apportées récemment au guide. Nous allons devoir vérifier les stocks. Nous avions pour stratégie de cibler ces produits alimentaires.
Le sénateur Meighen : Existe-t-il une autre raison, à part la pénurie de ressources, pour que les banques alimentaires restreignent le nombre de visites de leurs clients?
M. Seiden : La première raison est la pénurie de ressources. Certaines banques alimentaires offrent un petit pourcentage de plus de produits alimentaires. Cependant, la quantité dépend généralement de la situation géographique au Canada, de la richesse de la province visée, de l'emplacement des principaux distributeurs et de la quantité de produits alimentaires qu'eux-mêmes sont en mesure d'amasser. Dans le futur, nous espérons avoir l'occasion de nous asseoir pour déterminer quels sont les besoins de la personne moyenne. Même si notre objectif ultime est de disparaître une fois que nous aurons vaincu la faim, dans l'intervalle, il faut que les banques alimentaires sachent quels sont les besoins d'une personne normale et qu'elles puissent travailler de concert avec les donateurs et les fabricants à la production de la quantité requise, tant à l'échelle nationale que locale.
Mme Swinemar : En règle générale, les banques alimentaires ont pour politique de recevoir leurs clients une fois par mois, mais ce n'est pas nécessairement ainsi que les choses se passent dans la réalité. Une famille ne peut pas se rendre à une banque alimentaire une fois par mois et survivre. En réalité, les clients se présentent deux ou trois fois par mois, et nous nous débrouillons avec la situation.
Le sénateur Meighen : Dans Bilan-Faim 2006, vous préconisez l'adoption d'une prestation fiscale pour le revenu gagné. Certains affirment que le budget 2007 du gouvernement fédéral proposera une prestation fiscale pour le revenu gagné. Avez-vous tenu des discussions à ce sujet ou avez-vous été invités à participer à des consultations prébudgétaires pour promouvoir cette prestation? Selon vous, y a-t-il des chances pour qu'elle soit adoptée?
M. Seiden : Lorsque le gouvernement tient des consultations prébudgétaires, nous présentons un mémoire. J'ai avec moi notre document de base, qui est bien documenté et qui précise notre énoncé de principes.
Le sénateur Meighen : En ce qui concerne la prestation fiscale pour le revenu gagné, vous êtes-vous préparés en prévision du prochain budget?
M. Seiden : Nous avons transmis nos commentaires dans le cadre d'une éventuelle consultation prébudgétaire.
La présidente : Ce document Bilan-Faim 2006 sera très utile au comité. Je l'ai feuilleté jusqu'à la page concernant ma province, l'Alberta, et j'y ai lu des phrases très intéressantes, étant donné toute la publicité qu'on lui accorde. Je cite :
Il est intéressant de signaler que malgré le boom économique et le moindre recours aux banques alimentaires en Alberta, c'est la province qui a le plus haut pourcentage de clients ayant un emploi et qui visitent des banques alimentaires.
Ça paraît incroyable.
Je remercie les témoins pour leur inestimable contribution à cette réunion. Chacun d'entre nous a déjà eu un contact quelconque avec les banques alimentaires au fil des années. Les témoignages que nous avons entendus ce soir seront très utiles au comité lors de ses déplacements aux quatre coins du pays pour poursuivre son examen de la pauvreté rurale au Canada.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.