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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 14 - Témoignages du 8 février 2007


OTTAWA, le jeudi 8 février 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 2 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Au mois de mai dernier, le présent comité a été autorisé à examiner la pauvreté rurale au Canada en vue d'en faire rapport. Ainsi, nous avons entendu l'automne dernier de nombreux témoins experts qui nous nous ont donné un aperçu de la question. À la suite de ces témoignages, le comité a préparé un rapport intérimaire publié en décembre 2006 qui, au dire de tous, a fait mouche. Les décideurs et les politiciens ont fait fi pendant trop longtemps des souffrances des démunis vivant en milieu rural. Mais ce temps est révolu. Autant que nous sachions, il s'agit de la première étude sur la pauvreté rurale au Canada. Nous en sommes au début de la deuxième phase de notre recherche.

Notre but est d'aller à la rencontre des Canadiens des régions rurales, les pauvres et les gens qui travaillent avec eux. Nous voulons entendre directement les témoignages sur les problèmes de la pauvreté rurale au Canada et les mesures susceptibles d'être prises. À cette fin, le comité tient quelques réunions préparatoires à Ottawa avant d'entreprendre les voyages prévus dans les collectivités rurales partout au Canada.

Nous sommes très heureux d'avoir parmi nous ce matin des représentants du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, le SCEP. Il y a un peu plus de deux semaines, le SCEP a organisé un grand rassemblement sur la Colline du Parlement afin de faire savoir aux parlementaires que des douzaines de collectivités rurales risquent de disparaître et que des milliers de travailleurs forestiers risquent de perdre leur emploi si rien n'est fait pour prêter main-forte au secteur forestier. En 2005, quelque 50 usines ont annoncé leur fermeture ou des réductions de personnel; près de 9 000 emplois ont été supprimés, ce qui menace l'existence même d'une douzaine de petites collectivités partout au pays.

Afin d'en savoir plus sur le sujet et de prendre conscience d'autres faits inquiétants, nous recevons M. Dave Coles, président national, et M. Gaétan Ménard, secrétaire-trésorier du SCEP.

Dave Coles, président national, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités ce matin. Vous entreprenez là quelque chose d'extrêmement important. J'ai bien peur que nombre de vos amis de l'autre endroit font peu de cas de la crise dans l'industrie forestière et de ses conséquences dans les régions rurales et les collectivités agricoles, car en fait, il y a un lien entre les deux.

Je vais brièvement vous brosser un tableau de mon parcours, ce qui vous permettra de comprendre la base de connaissances que nous avons acquise. Par la suite, M. Ménard fera de même.

Depuis plus d'un siècle, ma famille travaille dans le secteur forestier, tant au Canada qu'aux États-Unis. Mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père et moi avons tous travaillé dans ce secteur. Pendant 20 ans, j'ai travaillé dans les secteurs des produits en bois massif et des pâtes et papier en Colombie-Britannique; je suis ensuite devenu syndicaliste et j'ai été élu au bureau du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et des syndicats qui l'ont précédé. J'ai travaillé principalement dans l'Ouest canadien, même si j'ai passé 10 ans au sein du syndicat en tant qu'organisateur et conseiller syndical dans les Prairies. Mon bureau se trouvait en Alberta et je travaillais beaucoup pour le Syndicat national des cultivateurs à des questions portant sur le chômage et les emplois à l'extérieur des fermes. Dans de nombreuses collectivités rurales et forestières du nord du Canada et du Québec, les exploitants des fermes familiales ou leurs employés doivent trouver des emplois à l'extérieur de la ferme dans les secteurs des produits en bois massif et des pâtes et papier. La crise de l'industrie forestière touche les petites familles d'agriculteurs partout au Canada.

[Français]

Gaétan Ménard, secrétaire-trésorier, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Madame la présidente, cela m'a fait un peu sourire quand j'ai appris que j'allais me présenter devant le Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts parce que j'ai passé toute ma vie dans l'agriculture et la forêt. Je suis venu au monde sur une ferme, mes grands-parents et mes arrière-grands-parents avaient une ferme, j'ai donc passé toute ma jeunesse sur une ferme laitière à Masson, au Québec.

Par la suite, durant 15 ans, j'ai occupé un emploi dans une usine de pâtes et papiers à Masson, emploi que j'ai perdu à la suite d'un changement technologique, comme cela arrive à plusieurs membres d'ailleurs. Bien que cela ait été difficile à vivre, au moins le changement technologique a permis la survie de cette usine.

Ceci m'a conduit vers un poste de représentant syndical et c'est à ce titre que j'ai rencontré énormément de personnes ayant perdu leur emploi dans des usines de carton, des usines de pâtes et papiers, des gens qui, à 30, 40 ou 50 ans, doivent faire face à la réalité très difficile d'être en recherche d'emploi en possédant d'énormes compétences, lesquelles ne sont pas nécessairement transférables.

Récemment, j'ai été élu officier au Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et je travaille maintenant au bureau national avec mon ami Dave Coles.

[Traduction]

M. Coles : Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, les travaux du Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts nous semblent très encourageants. Vous pouvez compter sur toute notre collaboration et tout notre soutien dans l'atteinte de vos objectifs.

Le SCEP est un des plus importants syndicats du secteur privé au pays. Nous représentons des gens d'un océan à l'autre, qui travaillent autant dans les plus importants médias à Halifax et à Vancouver, que dans le secteur de l'exploration pétrolière à Fort McMurray, en Alberta, ou celui de la téléphonie à Montréal et à Toronto, et aussi les travailleuses et les travailleurs des pâtes et papiers dans l'ensemble du pays.

Le segment de nos membres le plus significatif pour la discussion d'aujourd'hui vit et travaille dans ce que nous considérons comme le cœur rural du Canada et du Québec, en fait, ce que les citadines et citadins appellent les « petites villes canadiennes ». Il y a trois ans, plus de 60 000 membres du SCEP étaient embauchés dans les usines de ces milieux ruraux. Aujourd'hui, ils sont moins de 50 000 et, malheureusement, le nombre continue de baisser.

Et n'oubliez pas, mesdames et messieurs, il ne s'agit que de nos propres membres. Au-delà du SCEP, il y a eu 12 000 autres pertes d'emploi directes dans les secteurs des pâtes, des papiers et des scieries. Combinez ces pertes d'emploi avec ce que les économistes appellent l'effet d'« entraînement », et l'impact global de ce que nous pouvons nommer une crise dans la foresterie peut se chiffrer de façon réaliste à près de 100 000 emplois perdus. Et cela est dû au fait que les emplois perdus dans le secteur forestier sont, et de loin, l'assise économique du cœur du Canada.

Lorsque l'usine a fermé à Smooth Rock Falls, en Ontario, quelque 200 membres du SCEP et leurs familles ont été immédiatement dévastés en raison des pertes de revenu familial; or, ce n'était qu'un début. Quelques semaines après cette même fermeture, le marché de l'immobilier s'est effondré faisant en sorte qu'aujourd'hui, à Smooth Rock Falls, il est possible de faire l'acquisition d'une très belle maison à trois ou quatre chambres sur un immense terrain pour moins de 20 000 $ — et il n'y a aucun acheteur intéressé. Pourquoi? Parce que le marché d'alimentation est en train de fermer, ainsi que la pharmacie et de nombreuses autres petites entreprises, ce qui cimente une communauté.

Et la ville se voit déjà contrainte à réduire ses services de base parce qu'elle sait que l'assiette fiscale s'est envolée. Tembec n'était pas seulement le plus important employeur à Smooth Rock Falls, l'entreprise était également le plus important contribuable. Combinez cela à la perte de taxes foncières payées par les travailleurs et travailleuses de l'usine, et vous vous retrouvez avec une communauté en crise.

Inévitablement, les écoles seront les prochaines sur la liste. Comme les gens déménagent, les classes vont se vider; les concierges seront licenciés et les enseignantes et les enseignants ensuite. En bref, c'est un cercle vicieux qui se répète trop souvent partout au pays.

À Prince George et à Prince Albert, à The Pas, au Manitoba; dans les communautés partout en Ontario, de Dryden à Cornwall en passant par Smooth Rock Falls; dans les communautés partout au Québec, de New Richmond à Saint- Félicien en passant par Pontiac; dans l'Atlantique, de Stephenville à Terre-Neuve jusqu'à Bathurst au Nouveau- Brunswick. L'histoire est exactement la même.

[Français]

M. Ménard : Nous avons été très heureux d'apprendre que votre comité planifiait se déplacer dans certaines de ces communautés pour voir et entendre de vive voix ce qui s'y passe. Il est très important que votre comité puisse voir cela de première main.

Lorsque nous affirmons que le cœur du pays est en crise, ce n'est pas une exagération. Nous pensons également qu'il ne s'agit que d'un début. La dévastation économique a frappé fort. C'est un drame que vivent des milliers de gens, dans la quarantaine ou la cinquantaine, qui ont travaillé en usine toute leur vie. Ils sont souvent responsables d'enfants qui n'ont pas encore terminé leurs études.

La dévastation économique n'est qu'une partie de l'histoire. Nous parlons des usines et des forêts qui les entourent. Elles ont procuré de l'emploi aux régions rurales du Canada depuis plus d'un siècle. Beaucoup de régions reposent sur cette industrie et entretiennent encore l'espoir qu'elle survivra, mais si les usines ferment, il n'y a aucun autre endroit où travailler. Des travailleurs, à l'heure actuelle, font face à la possibilité de fermeture à Lebel-sur-Quevillon au Québec. Dans cette ville, si on ne travaille pas à l'usine de pâtes et papiers, on doit aller trapper le lièvre, car il n'y a rien d'autre à faire.

Kapuskasing n'est pas Toronto, Chandler n'est pas Montréal et Prince Albert n'est pas Saskatoon. Il n'y pas d'alternative pour ces travailleurs. Il arrive trop souvent que des milliers de gens doivent délaisser leur région, leur communauté et leur famille pour trouver de l'emploi ailleurs. À l'heure actuelle, ils fuient vers l'Ouest, vers l'exploitation pétrolière des sables bitumineux, là où se trouve l'argent. Il y a peut-être de l'argent là-bas, mais c'est peut-être la seule bonne chose qu'on peut dire de cette région.

En Alberta, et les limites sont repoussées au-delà de la tolérance, il n'y a pas d'infrastructures pour accueillir tous les travailleurs en provenance des autres régions. Même si ces infrastructures existaient, nous ne croyons pas que de déplacer tout le monde vers les régions où on exploite les sables bitumineux est une bonne idée. Il faut essayer de garder nos régions vivantes plutôt que d'avoir des migrations de ce genre qui ne représentent qu'une solution à court terme.

La première chose dont nous avons vraiment besoin de la part de l'industrie et du gouvernement à travers tout le Canada — l'industrie l'a fait avec nous le 22 janvier dernier, mais nous attendons toujours une réponse de la part des gouvernements, plus particulièrement du gouvernement fédéral — est qu'ils reconnaissent qu'il y a une crise au sein du monde rural et qu'elle s'aggravera à moins qu'à titre de nation nous ne saisissions cette crise par les cornes. Nous avons besoin d'abord et avant tout de cette reconnaissance.

Tout espoir d'éradication de la pauvreté actuelle dans plusieurs de ces régions sera perdu s'il n'y a pas cette reconnaissance. Nous pensons même que la pauvreté augmentera bien au-delà des niveaux actuels si on n'agit pas rapidement.

Nous apprécions votre travail qui obligera l'industrie et les gouvernements provinciaux à porter attention non seulement à la réalité des villes construites autour d'usines mais aussi à la menaçante perspective de demain si nous n'agissons pas maintenant. En vous déplaçant ainsi à travers les régions vous ouvrirez les yeux de bien des gens et pourrez porter une meilleure attention à la réalité que ces gens vivent.

Nous appuyons votre travail et nous souhaitons collaborer avec vous de toutes les façons possibles. Nous serons avec vous partout. En tant qu'organisation, nous sommes présents dans toutes les régions du Canada, d'un océan à l'autre. Il est hors de question pour nous d'abandonner la lutte pour la survie de ces régions. Nous allons nous battre jusqu'au bout, car nous pensons que les emplois en foresterie méritent d'être défendus. Il n'y a aucune alternative pour ces régions. Nous devons travailler fort pour éradiquer la pauvreté qui sévit dans ces régions. Merci beaucoup de votre attention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci à vous deux. Vous nous avez brossé un sombre tableau, et je suis contente que vous ayez pu le faire aujourd'hui.

Le sénateur Gustafson : La pauvreté rurale et la difficulté à garder nos jeunes dans les régions rurales sont des problèmes auxquels nous faisons face depuis longtemps. Aujourd'hui, grâce au pétrole, l'économie de la Saskatchewan est en plein essor, mais son agriculture est en difficulté. J'ai parlé à un agriculteur la semaine dernière qui m'a expliqué qu'il a dû se départir des travailleurs de son exploitation agricole parce qu'il n'arrivait plus à les payer. En fait, ils sont partis travailler dans l'industrie pétrolière où ils obtiennent des emplois très bien rémunérés.

Nos jeunes ont envie d'aller vivre à la ville. Ils sont attirés par les grands centres. Peut-être est-ce différent dans l'industrie du bois de sciage, mais la tendance est là. Il est possible que, dans les dernières années, nos gouvernements aient été négligents en ne reconnaissant pas les besoins des régions rurales canadiennes. La première fois où j'ai été élu député, il y a 28 ans, nous construisions des patinoires dans les municipalités et les petites villes; aujourd'hui, ces patinoires sont fermées. Pour une raison qui m'échappe, nos jeunes n'ont pas envie de rester dans les régions rurales. Comment les y garder? Où le gouvernement a-t-il fauté?

Je pourrais continuer pendant longtemps. Le patrimoine du Canada provient de la terre : bois, pétrole, gaz ou produits de l'agriculture. On prend tout, mais ne donne rien en retour. Les raisons qui expliquent cela sont politiques. La volonté politique n'y est pas. Comment faire face à ce problème?

La forêt est une ressource renouvelable; il y a donc de l'espoir. Mais comment faire revenir les gens si nous n'avons pas d'emplois intéressants à leur offrir? Si nous voulons y arriver, nos industries doivent évoluer et produire plus que du bois. Les jeunes sont partis, pour suivre de meilleurs programmes d'études; nous devons donc leur offrir des emplois intéressants qui leur donneront envie de revenir. Ils ne seront peut-être pas intéressés à revenir construire une scierie, mais ils aimeraient sûrement être ingénieurs dans une usine où les méthodes de travail sont plus excitantes et font appel à la haute technologie. Voici une partie de la solution.

[Français]

M. Ménard : Effectivement, une des raisons pour lesquelles les jeunes quittent ces régions est pour aller chercher un niveau d'éducation. La plupart du temps, les jeunes vont quitter la région où se trouve l'usine afin d'aller s'instruire dans des écoles supérieures.

La question n'est peut-être pas comment les empêcher de quitter les régions mais plutôt comment les attirer. Évidemment, cela passe par l'emploi. Sans emploi, comment ramener nos jeunes dans ces régions éloignées?

Pourquoi gardons-nous espoir? Nous connaissons mieux la forêt que l'agriculture et la forêt est une ressource renouvelable, il y a donc de l'espoir. Comment ramener les jeunes? En leur offrant des emplois intéressants. Cela fait partie de la solution. Pour offrir des emplois intéressants, il faut accompagner nos industries afin qu'elles se transforment et produisent autre chose que du 2 X 4 et du 2 X 6. Mais que l'on aille vers des produits à haute valeur ajoutée ou des produits à haute technologie, cela offre des emplois intéressants et nos jeunes qui sont allés en ville pour avoir une meilleure éducation seront intéressés à revenir dans les régions. Ils ne sont pas intéressés à revenir pour opérer un moulin à scie, mais ils le seront peut-être pour devenir ingénieur dans une usine où l'on fera de la transformation beaucoup plus intéressante. C'est une partie de la solution.

[Traduction]

M. Coles : Sénateur Gustafson, je suis très heureux que vous ayez fait mention de la Saskatchewan. J'ai été président de notre syndicat pendant six ans et, malheureusement, j'ai dû assister à la fermeture de l'usine de pâte à papier de Prince Albert, exploitée à l'époque par Weyerhaeuser, qui est devenue aujourd'hui Domtar. La Saskatchewan est le pire exemple pour l'industrie forestière au Canada. En fait, on n'y trouve plus d'industrie forestière; elle a définitivement disparu. Les répercussions sur les régions rurales de la Saskatchewan, tant pour l'agriculture que pour l'industrie forestière, sont énormes. Il y aura une rationalisation naturelle — je hais cette expression, car elle appartient au domaine des entreprises — partout dans les Prairies où les gens des petites collectivités vont s'installer dans des localités un peu plus importantes. Or ces dernières, comme Saskatoon et Prince Albert, sont ravagées par l'effondrement de l'industrie forestière. Cela touche l'agriculture tout comme les forêts; dans les familles agricoles, il y en a beaucoup qui travaillent dans l'industrie forestière. On a du mal à trouver une scierie qui fonctionne en Saskatchewan. L'industrie au grand complet est paralysée. L'usine de pâte à papier est fermée. Les revenus de la province ont beau être à la hausse, les gens vont tout de même partir, car il n'y a pas d'emplois. C'est facile à comprendre. Cela importe peu que vous soyez gestionnaire d'usine ou ingénieur; Weyerhaeuser a licencié tous ses cadres de gestion supérieure, et tous les employés du siège social de l'entreprise sont partis. Une province a été rasée. J'espère que vous vous pencherez sérieusement sur cette question. L'industrie forestière touche autant le secteur de l'agriculture que celui de la forêt.

Le sénateur Tkachuk : Pour tout dire, mon père a travaillé à l'usine de pâte à papier de Prince Albert pendant une bonne partie de sa vie. Il était membre du syndicat et a pris sa retraite il y a 24 ans. Il est toujours vivant; la fermeture de l'usine de pâte à papier l'a fortement perturbé, car cette dernière a constitué une grande part de sa vie et de celle de sa famille.

Quelle est la cause de la fermeture des usines de pâte à papier à Prince Albert comme ailleurs au pays?

M. Coles : Dans le cas de Prince Albert, il s'agissait d'une décision d'entreprise sans égard à la rentabilité. L'usine ne correspondait simplement pas au créneau de Weyerhaeuser. La fermeture d'une usine et l'arrêt de production de papier de haute qualité ont un effet d'entraînement, car une scierie de produits en bois massif rentable ne peut exister sans une usine de pâte à papier. Les déchets de la scierie sont appelés produits résiduaires, gentille expression utilisée pour désigner les copeaux de bois. Une scierie produit également des produits résiduaires, dont des écorces. Si vous ne pouvez vous en débarrasser, votre scierie ne pourra pas fonctionner. Par ailleurs, vous ne pouvez pas les brûler, car cette méthode n'est pas bonne pour l'environnement, même si elle coûte peu. De plus, votre usine de pâte à papier et votre usine de papier doivent être prospères pour favoriser l'industrie des produits en bois massif. Voilà pourquoi la Saskatchewan est paralysée.

Il y a plusieurs facteurs dans le reste du Canada. Certains font état de la conjoncture du marché, ce qui est vrai, en partie. Selon notre point de vue, la vraie raison était un manque de capitaux depuis trois décennies. Au Canada, notre équipement est très ancien. Il n'a pas été renouvelé et, dans la plupart des cas, il n'est pas concurrentiel à l'échelle mondiale. Le manque d'investissements s'est poursuivi. Parmi les entreprises qui ferment et quittent le Canada, nombre d'entre elles ont investi de fortes sommes dans des pays qui sont directement en concurrence avec le Canada. Essentiellement, notre industrie a pris de l'âge et est désuète. Pour résumer, nous ne sommes pas concurrentiels à l'échelle mondiale.

Le sénateur Tkachuk : Quelle est la cause? Pourquoi des entreprises iraient-elles ailleurs au lieu de réinvestir des fonds dans leurs usines de pâte à papier au Canada?

M. Coles : Pour la même raison que celle qui les a incitées à venir s'installer au Canada au début. Tout y était bon marché — l'eau et la fibre —, sans compter l'absence de réglementation. Vous rappelez-vous à quoi ressemblait le Canada avant l'apparition de la réglementation? On se débarrassait de ses déchets dans la rivière juste en face. Maintenant, les entreprises déménagent en Amérique du Sud ou en Indonésie où elles peuvent investir et éviter les règlements environnementaux, les régimes fiscaux, etc.

Le sénateur Tkachuk : Pourtant, la demande n'a pas diminué.

M. Coles : La demande a connu une certaine baisse, cela ne fait aucun doute, plus particulièrement pour les papiers de haute qualité, les papiers d'impression. L'ordinateur a actuellement un effet sur la demande de papier journal. Cependant, à l'échelle mondiale, la demande est toujours forte; nous avons assisté à la rationalisation de l'industrie et à des fermetures d'usine. Au Canada, actuellement, nous ne sommes pas concurrentiels en ce qui touche de nombreux types de papier, et c'est là notre plus sérieux problème. En fait, le Canada est un des rares pays producteurs de produits du bois au monde à ne pas avoir de stratégie industrielle. Voyez les mesures prises par les gouvernements des pays scandinaves en matière d'imposition et de R-D de pointe. Nous fabriquions les machines à papier; ces machines sont maintenant fabriquées en Europe. C'est l'Europe qui est à la fine pointe de la technologie dans le domaine de l'industrie forestière. L'équipement vraiment moderne est européen. Nous ne formons pas d'ingénieurs forestiers au Canada. Presque tout va de travers et très peu de choses fonctionnent bien.

Quel que soit le parti au pouvoir, aucune stratégie industrielle fédérale n'a été mise en œuvre dans le secteur forestier, même si le bois constitue notre matière première la plus importante.

Le sénateur Tkachuk : C'était intéressant. Il s'agit non seulement des causes de l'échec de ces industries, mais également des politiques gouvernementales que nous pourrions mettre en place afin de revigorer l'industrie ou de conserver ce qu'il nous en reste.

Au-delà des politiques existantes au sein de l'industrie, je veux examiner la question des travailleuses et travailleurs anéantis par les pertes d'emploi et la façon dont les politiques gouvernementales pourraient les aider à trouver un autre emploi ailleurs. On peut élaborer des politiques industrielles, mais il faut attendre des années avant qu'elles ne se concrétisent. Pendant ce temps, dans les petites localités, des gens demeurent sans emploi.

À Prince Albert, ville de mes parents, il y avait de nombreux travailleurs et travailleuses migrants. Des gens de partout au Canada, plus particulièrement du Québec, où ils travaillaient dans l'industrie des pâtes et papier, et de Terre-Neuve, venaient travailler à l'usine de pâte à papier. Nombre d'entre eux ne sont pas retournés dans leur province, mais sont restés chez nous jusqu'à leur retraite. Ils se sont intégrés à notre collectivité.

Même s'il se peut que ce qui se passe dans cette espèce de « Wild West Alberta » de l'industrie pétrolière et des sables bitumineux ne nous plaise pas en raison du flot énorme de travailleuses et de travailleurs, il s'agit là d'une formidable occasion du point de vue économique. Comment aider les gens à trouver du travail et à s'installer là où ils peuvent bien gagner leur vie et assurer la subsistance de leur famille? Cela est-il possible et comment faut-il s'y prendre?

M. Coles : Il existe un système que nous appelons la « transition équitable ». La définition du terme n'est pas claire, même pour nous. Le Québec et la Colombie-Britannique ont réduit leur nombre de coupes admissibles annuelles parce que la société a dit que, pour appuyer l'industrie, on devait couper moins d'arbres. Par ailleurs, la société a des comptes à rendre aux gens et aux collectivités. Grâce aux allégements fiscaux qui leur seraient consentis, ces dernières pourraient conserver leur dynamisme jusqu'à la fin de la période de transition. Il s'agirait d'offrir la formation pertinente et de garder les régimes actuels afin que les gens soient en mesure de perfectionner leurs compétences. Le SCEP représente également de nombreux travailleurs et travailleuses de Fort McMurray; cet endroit ne constitue pas la panacée de l'Amérique du Nord.

Le sénateur Tkachuk : Je n'ai jamais dit ça.

M. Coles : Sur le plan intellectuel, nous devons examiner le concept selon lequel nous pourrions, au pays, avoir un moteur économique : les sables bitumineux et l'industrie pétrolière. Mais cela est problématique. Quand une collectivité est complètement dévastée sur le plan économique, les gens doivent avoir accès à du financement transitoire pour se tourner vers de nouvelles industries. Or, les emplois en Alberta sont hautement qualifiés. En fait, il y a peu d'emplois pour les ouvriers. Nous représentons autant les travailleurs de la construction dans les champs de pétrole que les travailleurs des raffineries en Alberta. Ce sont des métiers hautement qualifiés. Personne ne peut pas simplement passer d'une salle de préparation du bois de Prince Albert à la raffinerie chez Suncor.

Le sénateur Tkachuk : Dans l'Ouest canadien, le moteur économique, c'est la « diversification ». Nous avons toujours pensé qu'un moteur économique situé dans le sud de l'Ontario n'était pas à l'avantage du Canada. Selon nous, c'est notre chance. Tous ces emplois créent une activité économique énorme. À vrai dire, tout cela repose sur les emplois hautement spécialisés de l'industrie pétrolière en Alberta. En Saskatchewan, l'industrie minière a offert des perspectives aux gens de ma province; et c'est une bonne chose. À Saskatoon, il n'y a pas vraiment de taux de chômage. C'est fantastique. Nous pouvons accueillir des travailleurs dans notre province. Il y a de nombreux emplois vacants, et les employeurs font des pieds et des mains pour embaucher. Partout, on peut voir des affiches « Nous embauchons ».

Le sénateur Gustafson : J'ai une courte question complémentaire. J'ai discuté avec un Chinois qui m'a dit que, là- bas, il est possible d'engager quelqu'un à 100 $ américains par mois. Dans ce contexte, nous faisons face à un problème mondial qui nuira fortement à toute l'Amérique du Nord. À cause de tels faibles salaires, comment pourrons-nous affronter la concurrence mondiale? Les pompes que nous utilisons pour extraire le pétrole en Saskatchewan proviennent de la Chine, qui a su tirer profit du marché.

[Français]

M. Ménard : La première chose que l'on compare, ce sont évidemment les coûts de main-d'œuvre. On peut comparer les coûts, mais il faut toutefois comparer également les compétences de la main-d'œuvre.

Comment pouvons-nous concurrencer ces gens? En ayant une main-d'œuvre ultra compétente et en produisant ici des produits ultra raffinés. Plutôt que de produire des produits de commodité, il faut se tourner vers des produits que les Chinois ne sont pas en mesure de fabriquer.

Mais nous avons besoin d'aide pour effectuer ce virage, car nous devons rapidement faire volte-face. Mon confrère, M. Coles, a indiqué plus tôt que l'industrie a négligé d'investir dans ses équipements pendant des années. Par conséquent, aujourd'hui notre industrie n'arrive pas à être de la concurrence parce que nous faisons des produits qui ne sont pas de la plus haute qualité.

Nous devons donc investir pour effectuer un virage et être en mesure de fabriquer des produits à plus haute valeur ajoutée. De cette façon, nous pourrons concurrencer la Chine ou l'Inde.

Mais pour ce faire, comme je l'ai dit plus tôt, nous avons besoin d'aide. L'industrie doit bénéficier de mesures fiscales ou de programmes spécifiques du gouvernement. Et si on regarde l'assiette fiscale au Canada, on dit que l'argent est à Ottawa. Le gouvernement a les moyens de développer une stratégie pour accompagner cette industrie et les communautés dans les programmes de formation et de main-d'œuvre.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : Tenez, ce matin, Chrysler a mis à pied 2 000 travailleurs. Que pouvons-nous y faire?

M. Coles : Si vous me le permettez, j'aimerais répondre succinctement. Dans les secteurs dont il est question — le pétrole et le gaz naturel —, les salaires ne sont pas un facteur, car ils ne représentent qu'un faible pourcentage des coûts. Suncor ou Syncrude vous le diront, les salaires ne sont pas un facteur parce que ce sont des industries hautement capitalistiques. Ces emplois exigent des compétences spécialisées. C'est le principal facteur.

Le sénateur Gustafson : Les autres emplois ne nécessitent pas de compétences particulières. Cela pourrait être un facteur.

Le sénateur Peterson : Mes préoccupations sont les mêmes que celles du sénateur Tkachuk. Nous devons trouver la source du problème afin de savoir précisément de quoi il en retourne. Nous avons éliminé la surcapacité, et la ressource ne manque pas puisqu'elle est renouvelable. Cela nous amène donc à l'absence de modernisation. Est-ce que cela veut dire que nous devrions nous battre pour cette industrie et ne pas abandonner? Pourquoi se battre? Est-ce vraiment l'enjeu? Existe-t-il un créneau dans lequel le Canada excelle et où nous pourrions nous concentrer nos efforts pour sauver cette industrie?

Le Sénat reconnaît qu'il y a une crise et veut trouver des solutions. Cependant, nous ne pouvons agir partout à la fois. Nous devons concentrer nos efforts. Vous devez nous expliquer le problème afin que nous puissions proposer des stratégies.

M. Coles : Je dois me rétracter : il y a des problèmes de capacité, notamment une surproduction. C'est un problème universel. Il y a des réductions partout, mais au Canada, la baisse a été beaucoup plus marquée que celle découlant naturellement des fluctuations du marché parce que nous ne sommes pas concurrentiels. Notre équipement est désuet, et cela fait augmenter les coûts de production de n'importe quelle tonne de produits.

Dans l'immédiat, nous avons besoin de R-D. La fibre est de qualité ici. Nous devrions nous concentrer sur les produits haut de gamme et non les produits bas de gamme. Les gens de l'industrie répètent sans cesse qu'il doit bien y avoir quelque chose d'autre à faire. Je ne suis pas un scientifique ni un chercheur, mais mon instinct me dit que, si nous n'avons pas effectué de R-D depuis 30 ans, nous accusons un retard. Selon moi, notre régime fiscal nuit aux investissements.

En collaboration avec l'Association des produits forestiers du Canada, nous avons indiqué quelle direction devraient prendre le gouvernement et l'industrie. Nous préconisons plusieurs mesures. Nous demandons qu'on organise un sommet regroupant l'industrie, le gouvernement, les travailleurs, les collectivités, les Premières nations et les environnementalistes. La forêt est une ressource renouvelable. Nous pourrions adopter bien des mesures, mais quelqu'un doit prendre les choses en main.

[Français]

M. Ménard : J'aurais un petit commentaire à faire. Le Canada est un très vaste pays. Lorsque vous demandez s'il n'y aurait pas une niche vers laquelle on pourrait aller, je crois qu'il n'y aura pas qu'une solution. C'est pour cette raison que l'on demande la tenue d'un sommet national où on impliquera l'ensemble des gouvernements provinciaux et les communautés. La solution n'est pas la même dans le Nord du Québec qu'en Colombie-Britannique. On ne fait pas les mêmes produits, on ne travaille pas avec la même sorte de billots. Je viens du Québec et la première fois que j'ai vu les billots en Colombie-Britannique, j'étais très impressionné, c'est très différent. Il n'y aura donc pas de solution unique à ce problème.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Vous avez dressé un tableau des effets dévastateurs de la fermeture d'une usine et de ses répercussions notamment sur le prix des maisons et les entreprises locales, comme ce fut le cas à Smooth Rock Falls, où 200 emplois ont disparu.

Quelles sont les principales recommandations que vous formuleriez au gouvernement pour aider l'industrie? Vous avez mentionné la recherche, les impôts et la réinstallation des gens. Si le gouvernement vous demandait vos cinq recommandations principales, quelles seraient-elles?

[Français]

M. Ménard : Premièrement, on droit prendre le virage afin d'avoir une forêt en santé. Donc, quand on parle d'une forêt en santé, on parle de réinvestissement, là aussi dans la recherche et le développement, créer des fonds spéciaux pour restaurer les endroits où on l'a dévastée. Il y a des endroits où on a trop utilisé la ressource. Il faut réinvestir, que ce soit en plantation ou dans une meilleure gestion. Il faut donc recréer des écosystèmes qui feront en sorte que cette ressource renouvelable va revivre. Il faut travailler sur cet aspect, dans le respect du protocole de Kyoto. Au niveau écologique, il faut travailler notre forêt d'une meilleure façon.

Deuxièmement, il faut avoir une industrie dynamique et prospère. Nous vivons sur cette industrie depuis des années. À l'heure actuelle, elle a besoin d'investissements et d'accompagnement, de stratégie nationale afin d'encourager les industries à investir dans ce secteur. Cela peut prendre différentes formes. Il y a beaucoup d'endroits dans lesquels on doit faire davantage de la recherche, que ce soit en bioénergie ou en recherche de haute technologie.

Le sénateur Tkachuk en a parlé plus tôt, pendant ce temps, il faut accompagner les communautés en crise. Là aussi, on a besoin de programmes spécifiques, que ce soit en termes de formation ou de déplacement. Il faut aider ces communautés afin qu'elles puissent passer à travers la crise, entre autres par des programmes de formation.

Mais tout cela, ce sont des propositions que l'on met de l'avant avec l'industrie. Ces propositions ont d'ailleurs été élaborées en collaboration avec l'industrie. Ce que nous devons faire en priorité c'est de constater qu'il y a une crise. Et pour cela, on demande au gouvernement Harper de recommander immédiatement la tenue d'un sommet national sur la crise dans l'industrie. Nous pourrons alors demander à tous les intervenants d'ajouter leur grain de sel aux propositions que je viens de faire et ce qui permettra d'avoir des solutions mieux adaptées aux différentes communautés et aux différentes régions. Parler aux communautés est une des premières choses à faire. Ils pourront vous faire part de leurs véritables besoins.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé d'un sommet. Y en a-t-il déjà eu un?

M. Coles : Pas à notre connaissance. Nous nous sommes entendus à l'unanimité avec les gens de l'industrie, demandant au gouvernement de convoquer un tel sommet. L'industrie et le syndicat ont convenu de rédiger un document, et nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les chefs des Premières nations, les groupes environnementaux et les groupes communautaires, car nous croyons que la solution doit avoir une vision d'ensemble. Il n'est pas suffisant que vous nous écoutiez. Vous devez avoir un débat sur cette crise à un niveau supérieur.

Cette crise ne touche pas seulement les travailleurs de l'industrie, elle touche tout le Canada. C'est un énorme puits de carbone. Ça concerne Kyoto et les droits des Premières nations. Voulons-nous de nos régions rurales? Peut-être pas. Moi, c'est ma vie, mais certains pans de la société pensent qu'il ne devrait pas y avoir de société rurale.

Voilà nos demandes. Partez de la base. Le travail du comité nous aidera à démarrer. Avant qu'il ne soit trop tard, il y a certaines régions au Québec que je vous incite à visiter. L'échec de l'industrie dans ces endroits les a complètement dévastées. Le nord de la Saskatchewan connaît les mêmes problèmes, tout comme le nord-ouest de la Colombie- Britannique où, sauf une ou deux, toutes les usines de pâte, les scieries et les exploitations forestières ont été fermées, y compris celles à Terrace et à Smithers. À The Hazeltons, une scierie qui offrait de bons emplois aux travailleurs, dont 90 p. 100 étaient des Autochtones, a fermé ses portes au début de 2002. Un grand nombre de ces travailleurs ne sont jamais retournés travailler, car les gens des Premières nations ne veulent pas quitter leurs communautés, leurs terres. Ils étaient là bien des générations avant nous et ils n'ont aucune intention de partir. L'absence d'emplois forestiers engendre une pauvreté incroyable. Si vous voulez constater la pauvreté du Canada rural, nous pouvons vous donner une liste, et vous y trouverez que non seulement des nouveaux immigrants, mais également des Autochtones souffrent des fermetures dans l'industrie forestière.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que votre syndicat compte des membres dans toutes les régions du pays. En avez- vous dans toutes les provinces? Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, et je crois qu'il y a environ mille personnes qui travaillent dans l'industrie forestière là-bas. Avez-vous des statistiques?

M. Coles : Oui, nous en avons. Nous représentons des usines de transformation, des cartonneries et des usines de papier. Nous avons au moins quelques membres dans toutes les provinces et tous les territoires.

Le sénateur Mahovlich : Je viens du Nord de l'Ontario. Lorsque j'étais enfant, j'ai visité de nombreuses usines à Smooth Rock Falls, Iroquois Falls, Kapuskasing et Timmins dans le cadre de sorties scolaires. Ont-elles toutes été achetées par Tembec? Est-ce que Tembec a acheté les installations de Noranda et de Smooth Rock Falls?

M. Coles : Il faudrait que je vérifie, car il y a tant d'usines au Canada que je ne m'y retrouve plus. Tembec a effectivement acheté une grande partie des usines en Ontario, mais il existe aussi d'autres entreprises importantes telles qu'Abitibi-Consolidated et Domtar.

Le sénateur Mahovlich : Ce sont de grandes sociétés qui les contrôlent, n'est-ce pas?

M. Coles : Tout à fait. Il y a eu deux énormes fusions dans les six derniers mois.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que de nombreuses usines ferment parce que la société en possède une autre 30 milles plus loin?

M. Coles : Oui.

Le sénateur Mahovlich : La deuxième n'était pas viable?

M. Coles : C'est une décision d'affaires.

Le sénateur Mahovlich : Les résultats financiers.

M. Coles : Je ne l'ai pas avec moi, mais nous pourrions facilement fournir au comité une carte qui indique l'emplacement des installations fermées ainsi que leur propriétaire.

Le sénateur Mahovlich : Si je me rappelle bien, Smooth Rock Falls est situé très près d'Iroquois Falls. Si la société possédait une usine dans une ville, elle la fermerait, puis exploiterait celle de l'autre ville tout en utilisant les mêmes ressources naturelles.

M. Coles : De plus, au Canada, et particulièrement en Ontario, le conflit sur le bois d'œuvre a entraîné la fermeture de la moitié des scieries en Ontario. L'effet a été dévastateur pour l'Ontario et l'île de Vancouver. Je crois que l'entente sur le bois d'œuvre nous a fait perdre 50 p. 100 des scieries en Ontario. L'industrie des pâtes et papier a également subi des pressions considérables.

[Français]

M. Ménard : C'est assez curieux. C'est maintenant ici au Canada, le pays de la forêt, que le coût de la fibre est le plus dispendieux au monde. L'industrie fait face à une hausse incroyable du coût de l'énergie et de la fibre puis en même temps à une hausse incroyable du dollar canadien. Tout cela combiné a provoqué d'un coup sec la crise sans précédent que nous vivons présentement. Rapidement, les usines les moins performantes ont dû fermer leurs portes les unes après les autres. Lesquelles choisit-on de fermer en premier? Ce n'est pas nécessairement les moins rentables. Cela dépend des décisions prises par les dirigeants de ces grandes entreprises.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Les États-Unis d'Amérique sont notre plus grand acheteur de produits forestiers, n'est-ce pas?

M. Coles : Oui, c'est exact.

Le sénateur Mahovlich : La Chine doit certainement avoir grandement besoin de nos produits forestiers, car je n'ai pas aperçu beaucoup de forêts lorsque j'ai visité le pays.

M. Coles : Certains produits destinés à la Chine sont fabriqués au Canada.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que nous leur envoyons un produit fini? Nous ne leur envoyons pas du bois de construction; nous leur envoyons une maison. C'est ce que vous me dites?

M. Coles : Bien peu en fait, mais nous leur vendons certaines qualités de papier. La Chine achète principalement du kraft peu dispendieux, qui est à la base du papier et du papier journal en Amérique du Sud et en Indonésie, et le transforme chez elle pour satisfaire à ses propres besoins et le revendre au Canada et aux États-Unis.

Le sénateur Oliver : Vous représentez le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. Vous avez fait un exposé pertinent au nom du syndicat et des travailleurs.

Nous devons maintenant voir l'autre côté de la médaille avec les gestionnaires et les propriétaires. Nous n'avons vu aujourd'hui qu'un point de vue sur la crise. Vous dites que la direction fournit un équipement désuet, que ce dernier n'est pas concurrentiel, qu'on n'investit pas suffisamment et qu'il faut beaucoup de nouveaux capitaux.

Vous n'avez pas mentionné les problèmes du côté syndical. Dans les années 1950, les travailleurs forestiers utilisaient des scies à tronçonner. Par la suite, ils ont eu des scies à chaîne. En Europe, ils ont d'immenses ébrancheuses- tronçonneuses qui peuvent entrer dans leurs grandes forêts. Une seule abatteuse-façonneuse peut effectuer le travail de deux douzaines d'hommes, et elle fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Que fait le syndicat pour s'adapter à cette nouvelle réalité? Cela prend beaucoup moins d'employés qu'avant pour amener le bois de la forêt à l'usine. Vous dites que les entreprises n'ont pas investi pour moderniser l'équipement dans les usines, ce qui réduirait davantage le nombre d'emplois. Toutefois, que faites-vous, en tant que syndicat, pour les moderniser?

M. Coles : Nous avons rencontré les hauts dirigeants d'Abitibi et de Bowater, deux grandes sociétés canadiennes.

Le sénateur Oliver : Bowater, c'est en Nouvelle-Écosse.

M. Coles : Exact. Bowater et Abitibi vont bientôt fusionner, Domtar et Weyerhaeuser sont sur le point de finaliser le tout. Nous les avons rencontrés pour discuter avec eux des façons de rendre leurs entreprises rentables.

Nous ne pouvons pas acheter l'équipement, nous ne faisons qu'utiliser celui qu'ils nous fournissent. Ces abatteuses- façonneuses dont vous avez parlé se retrouvent partout au Canada. Votre estimation du nombre de travailleurs qu'elles remplacent est probablement très prudente. Une seule machine peut remplacer des centaines de travailleurs; c'est une réalité incontournable. Nous exhortons les employeurs à moderniser leur équipement, même si, en fin de compte, il y aura moins de travailleurs. Cela ne nous dérange pas du tout.

Le sénateur Oliver : Il y a des travailleurs dans la forêt actuellement, pour moi. Vous voulez les mettre à la porte parce que les scies à chaîne sont devenues démodées.

M. Coles : Je ne connais pas beaucoup la forêt dans l'est du Canada, mais dans le reste du pays et à de nombreux endroits au Québec, on utilise des abatteuses-façonneuses. Il n'y a pas de travailleurs, seul un opérateur fait fonctionner la machine.

Nous ne sommes pas contre la modernisation de l'industrie. Nous ne sommes pas des luddites. Nous avons besoin que l'industrie survive. Nous voulons des investissements; nous travaillons avec les employeurs pour nous assurer que le ratio heures-personnes par tonne ou par pied planche est le meilleur au monde, le plus efficace. Notre survie en dépend. C'est de cette façon que les syndicats ont survécu dans les pays scandinaves.

[Français]

M. Ménard : J'ai moi-même perdu mon emploi en l'an 2000 suite à un investissement de 150 millions de dollars dans l'usine. Pourtant, 150 emplois ont été perdus. Nous ne nous sommes jamais opposés à cela, au contraire, nous avons appuyé toute mesure qui permettait la survie de l'usine.

Dans ces circonstances, nous interpellons l'industrie et les gouvernements pour savoir si on peut accompagner ces gens. Que faisons-nous pour réduire l'impact sur les familles? Les solutions traditionnelles préconisées dans ces circonstances sont souvent la préretraite, la réduction du temps de travail, réduire le nombre d'employés par en haut au lieu de par en bas. Notre travail consiste à accompagner ceux qui restent. C'est ce que nous avons fait chez nous. Le comité de reclassement, alors que j'étais président d'une section locale et impliqué sur ce comité, a réussi à reclasser tous les travailleurs soit par de la formation ou autres. Lorsque l'industrie, le syndicat et le gouvernement travaillent ensemble, des choses magnifiques sont accomplies.

[Traduction]

La présidente : Merci, nous vous en sommes fort reconnaissants. Sénateur Oliver, vous aviez tout à fait raison sur ce point.

Ce fut une très belle séance. Nous n'en avions jamais eu une comme ça.

Le sénateur Oliver : Nous devrions en avoir davantage.

La présidente : Effectivement. Nous y réfléchirons durant notre tournée. Puisque nous irons dans le nord de la Colombie-Britannique, nous sommes très heureux que vous soyez venus nos donner des informations supplémentaires. Nous vous rappellerons si nous avons besoin de vous.

M. Coles : Si vous le souhaitez, madame la présidente, je vous laisserai un exemplaire du rapport que l'industrie et le syndicat ont produit conjointement.

La présidente : Merci beaucoup.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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