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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 15 - Témoignages du 15 février 2007


OTTAWA, le jeudi 15 février 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 7 h 59 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour, mesdames et messieurs. Bonjour aux téléspectateurs qui suivent nos délibérations. En mai 2006, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. L'automne dernier, plusieurs témoins experts nous ont donné un aperçu de la pauvreté rurale. En nous basant sur ces témoignages, nous avons rédigé un rapport intérimaire qui est paru en décembre et qui, à tous les points de vue, a vraiment touché un point sensible. Depuis de trop longues années, la misère des pauvres des régions rurales a été ignorée par les décideurs et par les politiciens.

Nous entamons maintenant une deuxième étape de notre étude. Notre objectif est de rencontrer des habitants des régions rurales du Canada, des pauvres et des personnes qui travaillent avec eux. Nous voulons entendre des témoignages directs concernant les difficultés auxquelles sont confrontés les pauvres des régions rurales du Canada et les possibilités que nous avons de les aider.

C'est pourquoi le comité tient des séances préparatoires à Ottawa avant de prévoir des déplacements dans les collectivités rurales du pays.

Aujourd'hui, des témoins nous présenteront un large éventail de points de vue sur les difficultés des ruraux pauvres et sur les mesures susceptibles de les aider. Nous accueillons ce matin Charles Cirtwill, président par intérim de l'Atlantic Institute for Market Studies, et Ishbel Munro, directrice exécutive du Coastal Communities Network. Soyez les bienvenus.

Charles Cirtwill, président par intérim, Atlantic Institute for Market Studies : Je voudrais tout d'abord vous féliciter pour ce travail. Il est un fait indéniable que l'on n'avait pas encore fait d'étude sérieuse et fouillée sur cette question. Je pense en outre qu'il est absolument exact de penser que votre rapport intérimaire a mobilisé différentes collectivités et les a incitées à examiner sérieusement les questions qui se posent dans ce domaine.

Je voudrais ensuite vous donner quelques informations sur l'Atlantic Institute for Market Studies. C'est un centre d'étude et de recherche indépendant sur les politiques socioéconomiques, qui est situé à Halifax (Nouvelle-Écosse). Nous nous intéressons aux activités de tous les organismes d'étude des politiques gouvernementales, ainsi qu'aux questions locales, régionales, nationales et internationales. Nous nous intéressons à tout ce qui se passe dans le domaine.

J'entonnerai d'emblée la rengaine habituelle, à savoir que les tendances démographiques rurales sont généralement défavorables, au Canada. Notre population vieillit, la natalité diminue ainsi que le nombre de personnes venant s'établir dans nos zones côtières; en outre, dans les collectivités rurales en particulier, les revenus diminuent et on produit moins de richesses.

Ce qui est étrange, c'est qu'il s'agit en fait d'une bonne nouvelle pour les pauvres. Cette situation améliorera les possibilités pour les personnes qui sont les plus démunies, qui profitent le moins de notre période d'essor économique et vers lesquelles nous avons tourné notre attention depuis peu. Au cours des 20 prochaines années, ces personnes auront d'excellentes chances de changer leur vie.

Il est essentiel que les dirigeants politiques, à tous les paliers, ne mettent pas d'obstacles en place ou, du moins, qu'ils ne causent pas d'ennuis lorsqu'ils essaient d'aider les pauvres. Ça ne signifie pas que le gouvernement ne fait rien pour eux. Il est primordial que la maximisation des avantages pour les personnes qui ne seront jamais capables de s'en sortir par elles-mêmes demeure une priorité du gouvernement. La clé est de prendre conscience du fait que les politiques qui ont été mises en place au cours des deux dernières générations ont été inefficaces, surtout dans les collectivités rurales. Les efforts déployés pour maintenir un passé idyllique au lieu de bâtir un avenir incertain ont causé un préjudice considérable, non seulement à notre pays, mais aussi aux personnes que nous voulions aider.

L'avenir de l'action gouvernementale en matière de lutte contre la pauvreté rurale est dans une phase de transition. Ça ne signifie pas forcément que la politique gouvernementale soit dans une phase de transition, bien que ce soit le cas, mais qu'elle devrait aider les pauvres à changer de vie.

Le facteur défavorable pour les agriculteurs des régions rurales est que le Canada est en train de perdre sa capacité de concurrence dans la production de produits agricoles en vrac, à l'état brut. Comme la plupart d'entre vous le savent, les produits agricoles ont été pendant des années responsables de la plus grosse partie de notre excédent commercial.

Le facteur qui est encourageant est que nous voulons mettre un terme à ce type de production. L'histoire s'est répétée à l'échelle planétaire. À une certaine époque, le gouvernement néo-zélandais avait offert des subventions pour produire du vin et les agriculteurs s'étaient mis à produire d'énormes quantités de vin de piètre qualité. Le gouvernement a supprimé ces subventions pendant la période de ralentissement économique. Les agriculteurs ont réagi en prétendant que la suppression des subventions sonnait le glas d'un mode de vie traditionnel, et c'était vrai. À l'heure actuelle, le vin néo-zélandais est un produit de haute qualité. Il s'agit d'un exercice à forte valeur ajoutée. Les cultivateurs néo-zélandais ont appris qu'ils pouvaient faire davantage de profit avec un produit de meilleure qualité et en diminuant la production.

C'est ce que je constate dans ma région. En Nouvelle-Écosse, un producteur de pommes s'est mis à faire des tartes et à les vendre directement à Wal-Mart, en réalisant ainsi un profit considérable. Le vin de glace est un autre exemple. On voit en outre des variétés biologiques de pommes se vendre sur les marchés américains et ce créneau prend de l'expansion. On constate également que les technologies par câble ou sans fil permettent aux collectivités rurales d'accroître leur qualité de vie et d'accéder à un niveau de vie durable en attirant un nombre croissant d'entreprises reposant sur Internet. Je parlais dernièrement à une personne qui gère une agence de voyage à partir de son sous-sol.

Plus près de chez nous, les agriculteurs ont un marché pour les produits locaux frais. Les produits ne sont toutefois pas vendus uniquement au marché local, mais aussi aux grands magasins de vente au détail comme Sobeys.

Même l'abandon de l'agriculture par les jeunes ne sonne pas le glas de la vie rurale. Ce n'est pas tellement l'exploitation agricole familiale qui disparaîtra, mais plutôt le type de famille possédant et gérant cette sorte d'exploitation qui sera différent. L'évolution qui se produit dans la vallée du Fraser est un bel exemple des changements qui se produisent à l'échelle nationale. Il y a des années que ces terres ont cessé d'appartenir à des agriculteurs canadiens de style traditionnel, si ce type d'agriculteurs a déjà existé. Nous parlons de l'agriculteur traditionnel ou des valeurs agricoles traditionnelles comme si l'agriculteur avait toujours été le même type de personne. C'était effectivement le même type de personne sur le plan générique. Cependant, avec chaque nouvelle génération apparaît un type différent de famille qui reprend les terres agricoles, les exploite de façon rentable et crée un nouveau produit. Dans la vallée du Fraser par exemple, l'agriculteur canadien traditionnel a été d'abord remplacé par des Chinois. Maintenant, ce sont les sikhs qui pratiquent l'agriculture et élèvent leur famille sur les terres fertiles et rentables de cette région.

Le premier défi que le gouvernement doit relever est d'éviter de céder à la tentation de gérer ce changement, car cela implique une sélection des gagnants et des perdants et nous savons que la performance du gouvernement dans ce domaine n'a pas été très bonne jusqu'à présent.

Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, nous avons mis l'accent sur l'enseignement postsecondaire, et en particulier les universités. Je ne veux pas dire que le fait de posséder un diplôme universitaire soit un handicap comme tel. Le problème, ce sont les conséquences involontaires des efforts qui ont été déployés pour convaincre tous les citoyens qu'ils devraient posséder un diplôme universitaire. Nous nous sommes fondés sur le principe que tout le monde pouvait faire des études universitaires. Puis nous avons décrété que tout le monde devrait faire des études universitaires. C'était une attaque directe, bien que probablement involontaire, contre les collectivités rurales. Cette mentalité a dévalué les compétences nécessaires pour accomplir les nombreuses tâches courantes de la vie rurale qui sont liées à des métiers. Ce changement a créé un contexte dans lequel on estime qu'il est acceptable de mépriser certaines tâches, pourtant indispensables, du seul fait qu'il n'est pas nécessaire de posséder un diplôme universitaire pour pouvoir les accomplir. Cela nous a même permis de dévaluer les métiers spécialisés qui exigent une formation poussée car les personnes suivant ce type de formation étaient perçues comme étant moins intelligences que celles qui entreprenaient des études universitaires. Cet effort pour encourager les gens à suivre une formation universitaire est en partie la cause des pénuries de main-d'œuvre qualifiée. Nous avons convaincu nos jeunes que ces compétences n'avaient pas de valeur. Ils nous ont écoutés et ces compétences ont maintenant disparu.

Dans le secteur de l'éducation, nous avons tenté de sélectionner les gagnants et les perdants, et nous avons échoué à nouveau. Pourtant, nous agissons de la même façon dans le contexte de notre politique d'immigration. Nous essayons de cibler des types d'immigrants précis pour combler des postes et accomplir des tâches spécialisées précises. Les pénuries de main-d'œuvre ont déjà des incidences négatives sur les possibilités économiques en agriculture et dans les métiers spécialisés, qui étaient les points forts traditionnels des collectivités rurales. Dans le domaine de l'immigration, nous avons axé nos efforts sur des immigrants de la composante économique et sur des types de travailleurs qualifiés bien précis, par le biais d'un système de points en vertu duquel aucune compétence particulière n'est attribuée aux camionneurs par exemple.

Même lorsqu'il est question d'encourager les entrepreneurs à immigrer, nous oublions quel type de personnes les entrepreneurs ont tendance à être. La pire erreur que puisse commettre un étudiant en présentant sa demande de visa pour venir faire des études universitaires au Canada, c'est d'admettre qu'il envisage la possibilité d'y rester après ses études car, dans ce cas, on ne le laisse pas venir. On veut que les étudiants viennent ici, qu'ils dépensent de l'argent ici et reçoivent leur éducation ici, mais qu'ils retournent dans leur pays ensuite. Si l'on renvoie chez eux des jeunes ayant des idées nouvelles, d'où viendront nos entrepreneurs?

Nous pouvons tirer pleinement parti d'une autre occasion qui a un impact direct sur les collectivités rurales. Notre secteur agricole a besoin d'une main-d'œuvre économique pour pouvoir être compétitif à l'échelle mondiale. De nombreux pays ont établi des programmes de travailleurs invités très efficaces. Dans le contexte de l'ALENA, nous avons accès à un bassin de main-d'œuvre tout prêt et, pourtant, nous ne faisons pas beaucoup d'efforts pour instaurer les systèmes de sélection et de marketing nécessaires pour en profiter. L'ex-président mexicain Vicente Fox a déjà préconisé la mise en place d'un programme de travailleurs invités pour les travailleurs mexicains. Un grand nombre de travailleurs mexicains pourraient s'établir dans les collectivités rurales, ce qui créerait des débouchés non seulement pour eux, mais aussi pour les Canadiens de ces régions. Il est essentiel que nous exploitions cette idée.

Le deuxième et le plus grand défi que le gouvernement a à relever est de laisser ces occasions démontrer leur utilité. Au cours de l'après-guerre, nous avons fait une série de mauvais choix stratégiques qui ont piégé toute une sous-classe de personnes dans des conditions caractérisées par une mauvaise instruction, un revenu modeste et des possibilités d'épanouissement réduites. Ce qui est bien, c'est que nous n'aurons pas le choix et que nous devrons absolument faire volte-face. Au cours des années 1960 et 1970, il y avait pléthore de main-d'œuvre et nous avons créé une politique gouvernementale efficace dans ce contexte. Nous avons créé ces politiques pour faire face à des forces démographiques qui étaient trop puissantes pour les ignorer et trop écrasantes pour les modifier. Nous sommes maintenant confrontés à une situation qui est pratiquement à l'opposé et qui nous forcera, même si c'est à contrecœur, à faire marche arrière.

Une pénurie de main-d'œuvre est la meilleure alliée d'un travailleur pauvre. Qu'ils ne travaillent qu'à temps partiel, qu'ils n'aient pas travaillé un seul jour de leur vie ou qu'ils soient temporairement sans travail, une pénurie de main- d'œuvre crée des opportunités pour les travailleurs et suscite des motivations suffisantes pour les encourager à en tirer parti.

En 2001, mon institut a estimé qu'en 2020, il y aurait près de 80 000 travailleurs en moins au Canada atlantique. Les tendances démographiques sur lesquelles repose cette prévision se sont encore accentuées au cours des cinq dernières années. Actuellement, en Nouvelle-Écosse, le taux de chômage a atteint son niveau le plus bas depuis 30 ans. Selon une prévision, le taux de chômage devrait être pratiquement nul en Nouvelle-Écosse d'ici une dizaine d'années. Le chômage zéro est accompagné d'une grave perturbation économique. Les produits ne sont pas fabriqués, les cultures ne sont pas récoltées et les livraisons ne se font plus. Il sera essentiel que les personnes qui sont actuellement sans emploi travaillent.

En Ontario et en Alberta, par exemple, il a fallu trouver des possibilités de donner un emploi dans de brefs délais à des personnes qui étaient considérées comme inemployables en raison de la diminution de la main-d'œuvre disponible. Aux États-Unis, McDonald a investi des sommes considérables pour concevoir une caisse enregistreuse pouvant être utilisée par des analphabètes. Avec l'ouverture de débouchés économiques énormes, le gouvernement a modifié ses politiques pour encourager des citoyens à suivre une formation et à réintégrer la population active, et ces initiatives ont été efficaces. Ces personnes ont maintenant un emploi et touchent un revenu auxquels elles n'avaient pas accès.

Ce nouvel état d'esprit s'implante au Canada atlantique. J'ai dernièrement eu le plaisir de faire un exposé à l'assemblée annuelle du Nova Scotia Trucking Human Resource Sector Council qui représente les camionneurs des régions rurales du Canada atlantique. Ce groupe a mis en place une initiative impressionnante ciblant les employés non traditionnels de son secteur — les femmes, les Autochtones, les Néo-Écossais de souche africaine et les personnes handicapées. En mettant en œuvre de nouvelles technologies et en adoptant de nouvelles attitudes, cet organisme attire, pour la première fois, des groupes qui n'avaient jamais eu de contacts avec le secteur. Il a donc créé des débouchés pour ces travailleurs tout en répondant aux besoins de l'industrie.

Ces changements ne seront pas faciles. Deux générations de citoyens du Canada atlantique ont été piégées par diverses politiques sociales. Le piège est appâté par l'assurance-emploi, une assurance sociale qui retire en fait les gens du marché du travail et leur donne peu de motivation à travailler ou à suivre une formation. L'assurance-emploi — ou assurance-chômage, comme on l'appelait alors — a été conçue au cours d'une période de main-d'œuvre excédentaire. Elle a permis aux citoyens de toucher un revenu pendant qu'on essayait de leur trouver une place dans la population active. Grâce au système des prestations tournantes et d'une assurance-emploi fondée sur des différences régionales, nous avons pu maintenir ce système pendant un certain temps. Nous ne pouvons plus nous offrir ce luxe, car nous avons besoin de ces personnes-là sur le marché du travail.

Au milieu des années 1990, le gouvernement fédéral s'est mis à apporter les changements nécessaires pour ajuster le programme d'assurance-emploi : diminution des prestations, règles d'admissibilité plus strictes et ajustement des prestations dans les cas de recours répété à l'assurance-emploi.

Les électeurs, en particulier au Canada atlantique, ont récompensé le gouvernement en ne réélisant pas la plupart de leurs députés en 1997. Les politiciens ne sont pas des politiciens s'ils ne sont pas sensibles à la perte de leur emploi et la plupart des députés ont été réélus en 2000, après que l'on ait atténué les modifications apportées au régime d'assurance- emploi ou, dans de nombreux cas, qu'on y ait renoncé complètement. Dans ce cas-là, les politiciens avaient toutefois raison, et il est maintenant essentiel de refaire ce type d'ajustements.

L'assurance-emploi n'est pas le seul obstacle que nous ayons créé à l'accès des pauvres au marché du travail. L'interaction du régime fiscal et de nos programmes d'aide sociale est telle que ce sont les personnes dont les revenus annuels se situent entre 13 000 et 20 000 $ qui paient les taux marginaux d'imposition les plus élevés. Ces personnes essaient souvent de faire la transition entre la pauvreté et un emploi. Si elles touchent des revenus, nous récupérons sur leurs prestations, par le biais de l'impôt, un montant équivalant à leur revenu. En fait, nous leur faisons payer un taux d'imposition de 100 p. 100 pour avoir eu l'audace de se trouver un emploi.

Il y a aussi des obstacles pour les populations plus âgées. Ceux d'entre nous qui ont atteint l'âge de 65 ans sont renvoyés dès le lendemain de leur anniversaire pour des raisons qui, dans d'autres circonstances, seraient considérées tout à fait illégales. Le retraite forcée éloigne du marché du travail des travailleurs actifs, capables et enthousiastes.

La pénurie de main-d'œuvre donnera aux pauvres des régions rurales ou des régions urbaines l'occasion de faire la transition de la pauvreté à la prospérité. Le rôle principal qu'auront à jouer les divers paliers de gouvernement sera de faciliter cette transition, mais nous ne pouvons pas choisir la façon dont elle se déroulera. Nous ne pouvons pas sélectionner les occasions qui seront des formules gagnantes ou celles qui ne le seront pas. Nous ne pouvons pas sélectionner les gagnants et les perdants. La transition est déjà en cours. Les citoyens profitent de cette pénurie de main-d'œuvre et le rôle de tous les paliers de gouvernement, en particulier du gouvernement fédéral, est de faciliter le changement déjà en cours.

Le vice-président : Merci. Vous avez soulevé de nombreuses questions.

Le sénateur Oliver : Merci pour votre exposé. Vous êtes membre d'un groupe de réflexion important. Je voudrais entendre votre définition de la pauvreté rurale. Après quoi, je voudrais vous poser des questions sur la pauvreté, car la plupart des commentaires et des recommandations que vous avez faits portent davantage sur les stimulants économiques que sur la pauvreté. Aidez-moi à comprendre ce que vous entendez par « pauvreté rurale », qui est l'objet principal de notre examen.

M. Cirtwill : En matière de pauvreté, il est important de comprendre qu'il existe deux groupes principaux. D'une part, il y a des personnes qui n'ont jamais pu subvenir entièrement à leurs propres besoins et, d'autre part, celles qui ne peuvent le faire que partiellement ou qui ont besoin d'un peu d'aide pour faire la transition d'un emploi au suivant, à la suite d'un changement dans leur vie.

Mes observations portent essentiellement sur le deuxième groupe. En ce qui concerne le premier groupe, les personnes qui ne seront jamais capables de s'en sortir toutes seules, notre objectif devrait être de trouver le plus de ressources possible pour les aider. Une des méthodes consiste à faire contribuer les autres personnes à leur capacité maximale. Chaque dollar que nous prélevons sur ce groupe est un dollar que nous pouvons dépenser pour le premier.

Le sénateur Oliver : Quel est le pourcentage des personnes qui ne pourront jamais subvenir à leurs besoins par elles- mêmes et de celles qui peuvent le faire? Est-ce 50 p. 100 et 50 p. 100 ou 60 p. 100 et 40 p. 100?

M. Cirtwill : D'après les données les plus récentes de Statistique Canada que j'ai examinées, environ 30 p. 100 des personnes qui vivent dans la pauvreté en sortiront probablement. Ces personnes-là seront remplacées par d'autres. Environ un tiers des personnes faisant partie de ces catégories statistiques ne sont plus dans la même catégorie l'année suivante ou l'année d'après. Le pourcentage total que représente ce groupe est étonnamment constant et s'établit à 30 p. 100, mais les personnes qui en font partie font bien la transition. Lorsque nous établissons un objectif en nous fondant sur le principe qu'un seul pauvre est un pauvre de trop, il est essentiel d'être conscient du fait que certaines personnes auront toujours besoin d'aide. La question est de savoir comment on peut les aider. L'objectif est de s'assurer que les personnes qui auront toujours besoin d'aide en reçoivent et qu'on supprime les obstacles qui ralentissent la transition des personnes qui ont besoin d'une aide transitoire. Je ne suis pas sûr en ce qui concerne le pourcentage de personnes qui restent dans la pauvreté. Je pense que le pourcentage est de 30-30-30 : 30 p. 100 de personnes qui pourront faire la transition dans un délai raisonnablement court de moins de deux ans, 30 p. 100 de personnes qui auront toujours besoin d'aide et 30 p. 100 de personnes qui se situent entre les deux premiers groupes.

Le sénateur Oliver : En ce qui concerne les deux groupes, les personnes qui n'auront jamais un emploi et celles qui peuvent avoir un emploi, votre exposé portait principalement sur le deuxième. Les exemples que vous avez cités à propos de la production de vin en Nouvelle-Zélande et des tartes faites dans la vallée du Fraser pour Wal-Mart, concernent le deuxième groupe.

M. Cirtwill : Mes commentaires portaient sur les personnes pour lesquelles il est essentiel que nous cessions de dépenser des ressources pour en avoir davantage pour celles qui font partie du premier groupe.

Le sénateur Oliver : Les femmes, les Autochtones ou les Noirs qui deviennent camionneurs font partie du deuxième groupe.

M. Cirtwill : Ces personnes-là deviennent non seulement camionneurs, mais aussi des techniciens en logistique, des répartiteurs, et cetera. Ce que vous dites est exact. D'après les chiffres concernant la pauvreté, la population la plus nombreuse a tendance à être celle des mères célibataires; celles-ci ont tendance à être un groupe sous-représenté dans la population active. Par conséquent, il s'agit d'initiatives de ce type ayant pour objet de leur laisser la liberté de contribuer au mieux de leurs capacités à leur bien-être personnel.

Le vice-président : Cela m'a intrigué lorsque vous avez signalé que nous créons moins de richesses en milieu rural. Ai- je bien compris?

M. Cirtwill : Nous créons moins de richesses qu'autrefois en milieu rural. Le pourcentage des richesses que nous générons est moins élevé. Cela dit, j'ai vu des chiffres intéressants sur l'activité manufacturière dans les régions rurales du Canada. La difficulté est liée aux définitions, que le comité a examinées dans son rapport intérimaire.

Le vice-président : Ce que je veux faire remarquer, c'est que les pêches, l'exploitation forestière, l'agriculture, l'exploitation du gaz ou du pétrole et l'exploitation minière sont des activités pratiquées dans les régions rurales, mais que celles-ci ne reçoivent rien en retour.

M. Cirtwill : Je ne suis pas nécessairement d'accord en ce qui concerne ce dernier point. Par exemple, plusieurs projets de prospection pétrolière et gazière sur la côte est ont généré la construction d'installations dans des régions qui, d'après la définition de votre comité, se trouvent en milieu rural. Un de ces projets est la raffinerie de gaz de Guysborough.

Le vice-président : Les centres urbains continuent de prendre de l'expansion. Plus de la moitié de notre population vit dans les quatre plus grandes villes. La concentration est moins élevée qu'elle ne l'a jamais été en milieu rural, même si les richesses viennent de là.

M. Cirtwill : Cette question est rattachée aux occasions que j'ai mentionnées. Il faut reconnaître que les régions rurales offrent des possibilités économiques considérables qui devraient, si nous nous y prenons bien, être une occasion de croissance de la population dans ces centres. La difficulté qui se pose à nous est liée au fait que la définition de « Canada rural » s'applique à tout ce qui est situé au-delà d'un rayon de 50 kilomètres d'un centre urbain. La croissance dans le secteur rural s'est réalisée en grande partie dans ce petit couloir. Le récent rapport du Conference Board du Canada fait référence aux neuf villes noyau. Il ne faut pas une grande intuition pour déclarer que toutes nos ressources devraient être axées sur ces neuf villes parce qu'elles stimuleront la croissance de notre économie. Le Conference Board a signalé que ce principe s'applique dans de moindres proportions lorsqu'il s'agit de populations plus restreintes. Par exemple, Kentville, une localité de ma province, est un centre pour la région périphérique, au même titre que Bathurst, au Nouveau-Brunswick, est un centre pour la région. Ces centres plus petits ont un impact économique sur leur région, au même titre que de plus grands centres, comme Halifax. Le défi qui se pose au comité est de faire en sorte que ce type d'analyse soit claire.

Le sénateur Mercer : Monsieur Cirtwill, vous avez contesté deux ou trois de mes idées de base sur le rôle du gouvernement. Vous avez contesté la définition traditionnelle de l'« exploitation agricole familiale », le type d'exploitation qui existe encore en Nouvelle-Écosse et au Canada atlantique. Vous avez contesté l'éducation et je conteste à mon tour ce que vous avez dit à ce sujet. Dans le milieu des affaires publiques, on considère généralement que l'éducation est une des possibilités de briser le cycle de la pauvreté, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. Votre exposé s'attaque à l'enseignement universitaire. Vous avez fait remarquer que le gouvernement devrait éviter de créer des obstacles et qu'il ne devrait plus sélectionner les gagnants et les perdants. Pourtant, quelqu'un doit concevoir les programmes d'éducation. Au cours des années 1970, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a recruté des travailleurs écossais pour l'installation de la canalisation isolée dans le cadre de la construction de l'usine d'eau lourde, parce qu'on ne trouvait pas de travailleurs qualifiés dans ce domaine en Nouvelle-Écosse. Le taux de chômage était alors de 15 à 18 p. 100 au Cap-Breton. Le gouvernement a pour responsabilité de gérer efficacement la main-d'œuvre. Avons-nous fait de l'excellent travail? Je ne le pense pas, mais je conteste qu'il faille s'abstenir de sélectionner les gagnants et les perdants, contrairement à ce que vous avez recommandé. Si nous ne sélectionnons pas les gagnants et les perdants, le nombre de perdants sera beaucoup plus élevé et devinez où on les retrouvera? Sur le seuil de notre porte d'entrée. Ensuite, on s'attend à ce que nous nous occupions de ces personnes et à ce qu'elles se retrouvent dans le groupe de citoyens qui, d'après vous, ne seront jamais capables de subvenir à leurs propres besoins. Elles seront pour toujours entraînées dans le cycle de la pauvreté.

La tâche du gouvernement est d'aider les Canadiens à sortir de ce type de cycle et de fournir des occasions. Si les personnes concernées décident de ne pas sortir de ce cycle, libre à elles de le faire, mais le gouvernement doit leur donner l'occasion d'en sortir. Vous recommandez toutefois que le gouvernement n'intervienne pas, qu'il réduise les impôts et qu'il laisse les gens se débrouiller. Est-ce bien cela?

M. Cirtwill : Revenons aux principes de base. Mes commentaires concernaient l'accent que le gouvernement avait décidé de mettre sur l'importance de l'enseignement postsecondaire défini comme « universitaire ». Au cours des 20 dernières années, nous avons mobilisé beaucoup de ressources, de temps, d'énergie et d'efforts de marketing pour convaincre les citoyens de ce qu'une éducation universitaire est le fondement de la réussite d'une personne. Je reconnais entièrement que l'éducation est un facteur décisif. Ce que je tente d'expliquer, c'est que l'éducation universitaire est une définition restrictive du concept de l'éducation. On fait de la formation postsecondaire dans des écoles de métiers, dans le cadre de programmes d'apprentissage, au travail et dans le secteur privé. Tant que le gouvernement n'aura pas créé des programmes donnant le plus large accès possible à l'instruction en offrant aux personnes concernées une flexibilité maximale qui leur permette d'adapter leur éducation aux possibilités économiques, il y aura toujours plus de perdants que de gagnants.

Le sénateur Mercer : Je n'insiste pas, monsieur le président, car ma tension artérielle ne me permet pas de poursuivre cette discussion.

Le sénateur Callbeck : Vous avez fait des commentaires intéressants, monsieur Cirtwill. Je voudrais toutefois poursuivre dans la foulée des commentaires du sénateur Mercer. Vous avez mentionné que le gouvernement ne devrait pas gérer le changement parce que cela implique des gagnants et des perdants. Vous avez en outre fait des commentaires sur l'éducation postsecondaire et sur l'immigration en citant de nombreux exemples.

Dans votre document, il est écrit ceci :

L'avenir de l'action gouvernementale contre la pauvreté rurale entre dans une période de transition... Je pense que la stratégie gouvernementale doit être d'aider les autres à changer, à faire la transition, à aller de l'avant.

Je présume que cela signifie que le gouvernement ne devrait pas gérer le changement, mais qu'il devrait le faciliter. Comment doit-il procéder?

M. Cirtwill : En ce qui concerne l'éducation, si nous ciblions davantage de ressources — mais pas toutes, car nous avons pris, envers les établissements, des engagements que nous devons respecter — sur des étudiants précis et leur permettions de choisir les possibilités qui reflètent la réalité de la situation économique dans laquelle ils se trouvent, ce serait un exercice important dans le contexte de la participation gouvernementale. Nous réglerions la question des obstacles éventuels à l'accès qui sont liés à l'incapacité de payer.

En ce qui concerne l'immigration, la meilleure solution serait de laisser la plus grande latitude possible aux immigrants, et aussi aux collectivités, pour qu'elles puissent démontrer qu'il s'agit bien des types d'immigrants dont elles ont besoin. Plutôt que de cibler des travailleurs qualifiés et de faire définir les ensembles de compétences requises par des fonctionnaires d'Ottawa, le gouvernement fédéral devrait donner de l'aide aux collectivités pour faire connaître des secteurs qui attireront chez elles les types d'immigrants dont elles pensent avoir besoin.

Par exemple, notre institut a une recrue intéressante qui est venue comme entrepreneur-investisseur-immigrant, dans le cadre du Nova Scotia Nominee Program. Cet homme travaille pour nous dans le secteur de la politique gouvernementale concernant la Chine. Depuis son arrivée au Canada, il y a un an, il ne cesse de dire qu'il ne comprend pas pourquoi le Canada et la Nouvelle-Écosse cherchent des immigrants venant de Beijing. Il a dit qu'il avait voyagé dans les zones rurales de la Nouvelle-Écosse et que certaines régions de la province de Shenzhen, en Chine, sont identiques à certaines régions de la Nouvelle-Écosse. Nous pouvons obtenir les immigrants dont nous avons besoin pour l'industrie; pourquoi dès lors perdre notre temps dans les grands centres?

Le gouvernement fédéral en particulier, qui est le principal responsable en matière d'immigration, pourrait consulter de façon plus directe les collectivités concernées sur leurs besoins et leur permettre d'en faire la démonstration sur une base individuelle plutôt que de décider que la Nouvelle-Écosse accueillera un nombre déterminé d'immigrants dans des catégories précises. Dès que nous imposons des restrictions, nous limitons le niveau de réussite possible.

Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne l'apport d'immigrants dans les régions rurales, le gouvernement a-t-il un rôle à jouer pour aider la collectivité concernée à offrir les soutiens adéquats?

M. Cirtwill : Tout à fait. Il est certain que le gouvernement a un rôle à jouer dans ce domaine. Cependant, s'il gère les événements de façon trop serrée, il recréera les problèmes que nous avions. Il ne fait aucun doute, par exemple, que le gouvernement possède les ressources nécessaires pour faire connaître les collectivités, pour les aider à étudier leurs besoins réels, par opposition aux besoins perçus, pour identifier les régions du globe où l'on peut trouver les personnes qui répondent à cette description et pour avoir accès aux ressources indispensables pour mettre celles-ci au courant de ces possibilités. Cette étape-ci devrait probablement relever du gouvernement, puisqu'il dispose des ressources nécessaires pour ce faire.

Le sénateur Callbeck : Pour en revenir à la question concernant les études universitaires, vous avez suggéré d'accorder directement des fonds aux étudiants. Comment cette façon de procéder aiderait-elle à accorder directement des fonds aux étudiants pour les laisser décider du choix de l'université?

M. Cirtwill : De plusieurs façons. Les étudiants auraient ainsi accès au type d'éducation qu'ils souhaitent. Pour en revenir à l'exemple que j'ai mentionné au sujet du Trucking Council, j'ai été surpris d'apprendre que les étudiants de la Nouvelle-Écosse ne peuvent pas avoir accès à des prêts aux étudiants pour devenir chauffeur de camion. J'estime que c'est un problème de taille, compte tenu de la pénurie de chauffeurs de camion dans cette province.

Un système qui fournit de l'aide à certains étudiants et pas à d'autres est un système défectueux. En permettant à tous les étudiants, peu importe l'établissement dans lequel ils font leurs études, d'avoir accès à une certaine réserve de fonds — même si l'on fait un ajustement pour les diplômés de premier cycle, pour la formation dans les métiers et pour les diplômés de deuxième cycle — on règlera ce problème.

Ce changement réglera aussi le problème d'absence d'imputabilité entre les établissements de formation et les étudiants et entre les établissements de formation et le gouvernement qui finance cet exercice. Plusieurs programmes financent des places dans des spécialités dont l'économie actuelle n'a plus besoin. Ces programmes sont maintenus bien au-delà de leur durée de vie utile parce qu'en vertu du système de financement actuel, les établissements reçoivent des subventions globales.

Le sénateur Peterson : On a dit que la justice sociale ne sera pas réalisée tant que la justice économique n'aura pas été établie. Nous nous débattons pour déterminer la marche à suivre pour lutter contre la pauvreté rurale. Je reconnais que lorsque le gouvernement entreprend la conception d'un programme, le programme devient souvent trop compliqué et inapplicable.

Vous suggérez ce que les gouvernements devraient faire. Un exemple est la politique d'immigration qui présente de grosses lacunes. Les provinces du Québec et de l'Ontario ont instauré une politique personnelle pour savoir ce qu'elles veulent et pour pouvoir agir à leur guise. J'habite en Saskatchewan où nous savons ce que nous voulons, mais tout le monde a abandonné la partie en raison du temps nécessaire pour que l'information soit acheminée dans le système; l'entreprise concernée a trouvé une autre solution au problème ou elle a fermé ses portes.

Quel serait le résultat si le gouvernement fédéral accordait à toutes les provinces une plus grande liberté d'action pour régler ce type de situation?

En ce qui concerne les politiques fiscales, vous signalez que nous encourageons les pauvres à travailler, puis que nous les pénalisons. Au lieu d'un tremplin, nous tendons un grand filet dans lequel ils se font prendre. Comment peut-on se sortir de cette situation?

Je voudrais connaître vos opinions sur les fiducies financières par l'intermédiaire desquelles on pourrait mettre des fonds de côté pour les investir dans des personnes qui n'ont pas de ressources et qui voudraient aller de l'avant. Ces fonds seraient remboursés. Je ne suggère pas de distribuer des fonds, mais d'investir dans les ressources humaines. Certaines personnes échoueraient, mais d'autres réussiraient; nous serions remboursés et nous pourrions réinvestir ces fonds. Est-ce que cette approche serait une façon de régler le problème à une échelle microéconomique plutôt qu'à une échelle macroéconomique?

M. Cirtwill : En ce qui concerne l'opportunité d'accorder aux provinces un rôle plus important en matière d'immigration, la réponse est un oui non équivoque, mais j'irais même plus loin que cela. Les collectivités devraient aussi avoir un rôle. Rivière-du-Loup, par exemple, devrait intervenir dans l'orientation de la politique d'immigration québécoise. Il n'est pas nécessaire de se demander si ce changement devrait être un transfert officiel de responsabilités, avec les négociations constitutionnelles qui y seraient associées. Il suffirait d'être raisonnable, d'avoir le sens pratique, et de tenir compte du fait qu'il n'y a pas de solution nettement délimitée, comme dans tout volet de la politique gouvernementale. Le résultat serait d'autant meilleur que la flexibilité que l'on pourrait donner à ces programmes serait plus grande.

En ce qui concerne la question du tremplin, étant donné que je viens de la Nouvelle-Écosse, j'ai le grand plaisir de signaler que c'est précisément pour cette raison que la province met en œuvre à titre d'essai le Harvest Connection Program. La province a identifié un secteur de son économie dans lequel elle a de la difficulté à trouver des travailleurs. Dans le cadre de ce programme, les premiers 3 000 $ de revenu gagné ne seront pas repris sur les prestations d'aide sociale. Le programme élargit la fenêtre dans laquelle on a la capacité financière de faire la transition de l'aide sociale au milieu du travail.

La transition est-elle suffisante? Je ne le pense pas. Je pense qu'il reste encore bien du chemin à parcourir avant de trouver une solution qui permette de faire efficacement la transition entre l'aide sociale et le marché du travail.

La difficulté est que l'on dit qu'on paie les gens pour être des assistés sociaux. Il est essentiel de faire savoir clairement qu'on récompense ces derniers d'avoir obtenu un emploi et qu'on les aide à faire la transition entre un emploi et le suivant, qui leur permettra d'accéder à une autonomie financière totale. Je pense que ces types de programmes sont un modèle dont on s'inspirera à l'échelle nationale et à l'échelle sectorielle. En fait, le parti au pouvoir en Nouvelle-Écosse a adopté dernièrement à son assemblée générale annuelle une résolution en vertu de laquelle il s'engage à réduire la récupération fiscale à l'échelle de toute l'économie. Certains modèles peuvent être appliqués à l'échelle nationale.

En ce qui concerne les fonds ou les fiducies qui permettraient aux régions ou aux collectivités d'avoir accès à des capitaux ou à un type quelconque d'investissement dans les personnes, il en existe déjà. On a établi en Nouvelle-Écosse un fonds de capital-risque dans le contexte duquel une partie des sommes investies sont déductibles de l'impôt provincial. Ce fonds a été conçu de façon à ce que l'argent soit investi dans de jeunes entreprises en développement de la province. Ce n'est pas le premier programme de ce type, mais ce type d'initiative est une intervention appréciée, qui est souvent efficace.

L'essentiel, bien entendu, est que cela ne puisse devenir un organisme du même type que l'Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA) ou que le Fonds de développement de l'Ouest, dans le cadre desquels de grosses quantités de fonds sont distribuées sans trop d'exigences en matière de reddition de comptes et de remboursement. Comme vous l'avez signalé, on ne veut pas établir uniquement des programmes de subventions globales ou des programmes à perte. Il est essentiel que ces programmes aient un impact positif concret pour les bénéficiaires, afin de les encourager à adopter des comportements qui les rendent plus autonomes.

Le sénateur Peterson : En outre, il faut éviter que le programme soit trop rigide, sinon il sera inefficace, surtout lorsqu'il s'agit de fonds associés à un report d'impôt. Si j'investis, j'obtiens un allégement fiscal, mais les gestionnaires du fonds font preuve d'une telle prudence, étant donné qu'ils doivent prendre soin des fonds, qu'ils investissent principalement dans des bons du Trésor du gouvernement du Canada. Ils se vantent alors d'avoir fait de l'excellent travail parce qu'ils ont réalisé 6 p. 100 d'intérêt au cours de l'année écoulée. Ces programmes ont tendance à être inefficaces.

Je pense qu'il est essentiel qu'un programme soit structuré de façon à tenir compte du fait qu'il s'agit d'un secteur à haut risque, mais c'est la seule possibilité de permettre aux gens d'avoir accès à du capital-risque.

M. Cirtwill : Il existe en Suède un modèle de remboursement des prêts étudiants. Les prêts étudiants sont essentiellement accessibles pour n'importe quel type de formation. Bien que la plupart des coûts soient payés par le gouvernement, les étudiants suédois peuvent obtenir des prêts étudiants très élevés. Cependant, le mode de remboursement de ces prêts sur une période prolongée à un taux d'intérêt favorable, fondé sur un montant proportionnel à leur revenu, laisse une latitude remarquable en matière de remboursement. Il encourage en outre les étudiants au début de leurs études — et c'est précisément ce qui nous intéresse — et offre la flexibilité nécessaire pour s'adapter aux réalités de la vie courante. La flexibilité fait partie intégrante de ce système.

Ce que vous dites est exact. Plus on aura de flexibilité dans ce type d'approche, et mieux ce sera pour tout le monde.

Le vice-président : Nous savons que Chrysler a licencié 2 000 personnes. On a de la difficulté à recaser un travailleur de Chrysler qui touche une cinquantaine de dollars de l'heure par exemple, dans un emploi où il recevra un salaire plus bas.

En Saskatchewan, par exemple, on a de la difficulté à trouver quelqu'un pour travailler dans une exploitation agricole à cause des salaires élevés dus au boom pétrolier. Cette situation pose un problème à nos agriculteurs. J'ai parlé l'autre jour à un agriculteur qui m'a dit qu'il engageait des ouvriers agricoles pour toute l'année mais qu'il ne peut plus le faire et qu'il ne sait pas comment il fera ce printemps pour la récolte. Cette difficulté ne touche pas uniquement les agriculteurs; c'est un problème qui touchera tout le pays.

Par ailleurs, les ouvriers chinois travaillent pour 100 $ US par mois et les pompes utilisées pour l'extraction du pétrole en Saskatchewan sont fabriquées en Chine. Le Canada sera confronté, à mon avis, à de graves problèmes liés à la main-d'œuvre et à différents aspects de notre société. J'aimerais que vous fassiez des commentaires à ce sujet.

M. Cirtwill : Les ouvriers de Chrysler n'auront pas de problèmes car des agents de recrutement les attendront à la sortie de l'usine; leur situation s'arrangera. Je pense qu'une autre usine de montage automobile ouvrira ses portes dans une région située non loin de là; ils n'auront pas de problème.

L'attrait que présente le travail dans une exploitation agricole est toutefois lié aux deux commentaires que j'ai faits. Il est essentiel de chercher d'autres solutions que celle qui repose sur le principe qu'il faut attirer un tuyauteur ou un soudeur pour travailler dans une ferme. Il est indispensable d'examiner sérieusement la possibilité de faire appel à des travailleurs invités. La Californie et le sud de l'Ontario obtiennent de bons résultats avec les programmes de travailleurs invités. Au Mexique, un bassin de main-d'œuvre attend de pouvoir profiter de cette occasion, et il faudrait faire appel à ces travailleurs. C'est le premier exercice.

Le deuxième exercice est lié aux travailleurs chinois qui travaillent pour une centaine de dollars par mois. Ce sont précisément les types de travailleurs auxquels je pense. Il faut leur parler pour savoir s'ils veulent s'établir ici et travailler pour un salaire un peu plus élevé.

Le sénateur Oliver : L'Atlantic Institute for Market Studies (AIMS), qui a son siège au Canada atlantique, signale depuis longtemps que la région de l'Atlantique se porterait beaucoup mieux si elle était régionalisée et si elle devenait une unité ou si on envisageait de faire beaucoup d'activités en commun.

Je voudrais que vous appliquiez le modèle dont vous avez fait la promotion à plusieurs reprises, à la question que nous examinons, à savoir la pauvreté rurale.

M. Cirtwill : Si j'ai bonne mémoire, nous n'avons jamais préconisé une union politique des quatre provinces, car ce n'est pas une solution. Ce que vous dites est toutefois parfaitement exact; il est essentiel que nous travaillions davantage de façon collective. L'existence de quatre commissions d'indemnisation des accidents du travail, de quatre lois sur la réglementation des alcools, de quatre structures chargées d'établir les salaires minimums et de quatre codes du travail est un énorme gaspillage de ressources; cette prolifération crée en outre des obstacles artificiels à la flexibilité qui permettrait le déplacement de travailleurs entre les différentes régions. Il est beaucoup plus efficace ou facile pour les personnes qui vivent à Amherst de travailler à Moncton, mais nous érigeons des obstacles qui ne permettent pas ce type de mobilité.

Ce que vous dites est parfaitement exact. Ce type d'obstacles a un impact direct sur notre capacité de lutte contre la pauvreté rurale, sous toutes ses formes et avec toutes les armes de notre arsenal. Si nous simplifiions beaucoup plus nos règlements et si le libre-échange était en vigueur à l'intérieur de nos frontières nationales, la pauvreté serait beaucoup moins répandue qu'elle ne l'est. Dans ce domaine, et dans tous les domaines semblables, toute amélioration que nous pourrions apporter serait avantageuse non seulement pour les personnes qui font déjà partie de la population active, mais beaucoup plus encore pour celles qui ne profitent pas encore de ces possibilités économiques.

Le sénateur Callbeck : Je voudrais vous poser une question au sujet de l'APECA puisque vous êtes situés au Canada atlantique. Je pense que votre organisme a déjà fait des critiques au sujet de l'APECA, mais je voudrais vous poser une question au sujet du Programme de développement des collectivités de l'APECA, car plusieurs témoins en ont vanté les mérites.

M. Cirtwill : Je pense qu'il est juste de dire que AIMS n'a jamais été un grand admirateur de l'APECA. AIMS n'a jamais été particulièrement en faveur de l'octroi de grosses subventions globales à quelqu'un qui ne doit pas rendre de comptes sur leur utilisation. L'APECA a des antécédents qui en disent long dans ce type de programme. Cela dit, vous avez parfaitement raison. L'APECA a amorcé certains changements. Certains de ses programmes sont beaucoup plus orientés vers des résultats pratiques et sont plus souples, plus réalisables et plus mesurables que jamais. Si je devais choisir un programme à maintenir parmi tous ces programmes, ce serait probablement le Programme de développement des collectivités qui est exécuté par les Corporations de développement communautaire. L'APECA a encore une tendance regrettable à distribuer beaucoup de fonds avant les années d'élections, comme l'a indiqué une recherche faite avant les dernières élections fédérales. Elle a encore tendance à donner un pourcentage exagéré des fonds aux circonscriptions représentées par des membres du gouvernement. Il est toutefois exact de dire que ce sont les premiers signes d'un changement de mentalité et d'éthique à l'APECA qui lui permettra d'autres réalisations. Mes collaborateurs doivent maintenant se demander pourquoi je dis du bien de l'APECA.

Le sénateur Callbeck : Je suis heureuse de savoir que vous conserveriez le Programme de développement des collectivités.

[Français]

Le sénateur Biron : La baisse des stocks de poissons a entraîné une diminution des emplois et des revenus pour les régions côtières. Cela a marqué le début d'un exode des jeunes vers l'Alberta. Pour contrer cet exode, le gouvernement pourrait offrir des subventions afin de créer des emplois dans l'industrie. On verrait ainsi une augmentation du travail dans ces zones urbaines. En Saskatchewan, par exemple, j'ai rencontré des agriculteurs qui s'apprêtent à obtenir des crédits de carbone à cause de l'industrie du pétrole. Ils comptent de cette façon augmenter leurs revenus.

Un emploi créé dans une industrie entraîne du travail pour cinq autres personnes. L'effet inverse est aussi vrai. Comment prévoyez-vous contrer cet exode autrement qu'en cherchant à urbaniser une partie des emplois?

[Traduction]

M. Cirtwill : Ce sont des idées complexes, mais je répondrai d'abord à votre commentaire sur les crédits de carbone. Sans vouloir appuyer ou critiquer les crédits de carbone, c'est exactement le type d'innovation que devraient mettre en place les agriculteurs des régions rurales pour identifier tous les revenus des ressources possibles et en tirer parti. Nous aurons une discussion sur les crédits de carbone un autre jour.

En ce qui concerne la possibilité de subventionner des industries précises pour créer un effet de retombée de telle sorte que la création d'un emploi entraîne la création d'un autre, c'est déjà le cas, en particulier dans les entreprises manufacturières rurales. Il serait de loin préférable de mobiliser les ressources gouvernementales pour faciliter l'accès au marché, qu'il s'agisse d'une technologie informatique sans fil, de l'informatique, de l'infrastructure pour les collectivités rurales ou de s'assurer qu'un niveau raisonnable de transport et d'accès à des réseaux de transport mondiaux soit en place. On a par exemple présenté dernièrement au Nouveau-Brunswick un nouveau projet ayant pour but d'améliorer le réseau routier entre les grands centres, à savoir Moncton et Saint John, et le nord de la province afin de faciliter aux collectivités rurales de cette région l'accès au marché mondial. Ce projet présente du moins l'avantage d'encourager les collectivités rurales à trouver leur créneau sur le marché. Il suffit de mettre en place l'infrastructure nécessaire pour leur permettre de voir ce qui est intéressant et de saisir l'occasion. Il est absolument exact de signaler que chaque emploi que l'on arrive à créer et chaque économie que l'on arrive à soutenir devient un moteur qui aura des retombées. Il est important de supprimer les obstacles existants pour laisser libre cours à la croissance et faciliter la croissance dans d'autres secteurs en décelant les lacunes actuelles, que ce soit dans la politique gouvernementale, dans l'infrastructure ou dans la formation.

La principale initiative que nous puissions prendre se rattache à ce qu'on a déjà dit au sujet de l'éducation, car l'éducation est la pierre angulaire du système. Nous ne faisons pas actuellement un usage efficace de nos jeunes ressources humaines en ce qui concerne l'accès à la formation, la participation et l'engagement. Une chose est certaine : si les jeunes Canadiens reçoivent cette éducation, ils lanceront des idées créatives pour créer des emplois pour eux- mêmes, pour leurs associés, leurs voisins et leurs amis.

Le sénateur Mercer : Je voudrais poser une question qui s'inscrit dans le même ordre d'idées que celle qu'a posée le sénateur Oliver au sujet d'une union des provinces maritimes. Au fil des années, le Conseil des premiers ministres de l'Atlantique a tenté de simplifier la coordination des achats entre les trois provinces. Pensez-vous que ce conseil pourrait poursuivre ses efforts de coordination, non seulement en ce qui concerne les achats, mais aussi d'autres activités communes? Vous avez dit que vous trouviez que l'existence de trois séries de codes du travail était inutile. Ça semble être une bonne idée jusqu'à ce que la Nouvelle-Écosse, qui a la population la plus élevée de ces provinces, dise aux habitants de l'Île-du-Prince-Édouard comment gérer leur territoire. À ce moment-là, l'union se disloquerait rapidement. Les insulaires ne la supporteraient pas et je les comprendrais.

M. Cirtwill : Vous n'apprécierez probablement pas non plus cette réponse, sénateur. En toute sincérité, j'estime que la meilleure solution serait de laisser les structures actuelles en place et d'en discuter. Pour cela, des négociations directes et spécifiques entre les quatre gouvernements provinciaux seraient essentielles. Lorsqu'on crée des paliers d'administration supplémentaires, qu'il s'agisse du Conseil des premiers ministres de l'Atlantique ou de la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'est du Canada, on crée des paliers de bureaucratie, des structures, des obstacles et des processus d'approbation supplémentaires. Il faut trop de temps pour réaliser les projets. Par exemple, les quatre provinces ont négocié pendant un certain temps un programme scolaire pour la région de l'Atlantique concernant diverses disciplines et elles ont même conçu des examens adaptés à ces différents systèmes. Il y a eu ensuite, bien entendu, un changement de gouvernement dans deux provinces : une province s'est retirée des négociations et le système s'est disloqué petit à petit. C'est formidable lorsque ces types d'organismes supra-juridictionnels sont efficaces. Malheureusement, c'est rarement le cas.

Le sénateur Mercer : J'ai une mauvaise nouvelle pour vous. Vos commentaires concernaient les quatre provinces, mais les miens ne concernent que trois provinces car la séparation géographique de Terre-Neuve-et-Labrador est trop prononcée pour qu'un tel système soit fonctionnel pour quatre provinces. Lorsqu'on demande à trois ou quatre provinces de participer à des discussions, il faut une certaine structure, comme la structure du Conseil des premiers ministres de l'Atlantique, qui a connu quelques réussites. Vous avez mentionné qu'on pouvait se passer de ce conseil et que les gouvernements devraient entamer des discussions, mais c'est précisément la raison pour laquelle le Conseil des premiers ministres de l'Atlantique a été mis en place. Le sénateur Callbeck, qui a été première ministre de l'Île-du- Prince-Édouard, confirmera que cet organisme est précisément celui par l'intermédiaire duquel on entame le type de négociations que vous souhaitez.

M. Cirtwill : Je ne pense pas que ce soit le cas. Ce type de conversations débute généralement sur le plan bilatéral. Je ne pense pas non plus que la meilleure option soit une situation dans laquelle trois provinces négocient et toutes les trois doivent se mettre d'accord. Je serais heureux que la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard se mettent d'accord sur une question et accordent leurs violons et que le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard se mettent d'accord sur une autre question et accordent leurs violons. Je serais heureux que l'Alberta et Terre-Neuve s'entendent sur une question et se mettent au diapason. Plus la synchronisation est poussée, et plus les obstacles disparaissent.

Voyez par exemple la réaction à l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre qui a été conclu entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Je ne sais pas pourquoi nous avons besoin d'un accord de libre- échange entre deux provinces d'un même pays. La réaction au Canada atlantique a été de vouloir établir un accord semblable. C'est insensé. Pourquoi n'adhérerions-nous pas à cet accord-là?

C'est le type d'esprit de clocher auquel mène la pensée de groupe. Je serais beaucoup plus heureux de voir Danny Williams prendre l'avion pour aller faire savoir à l'Alberta et à la Colombie-Britannique qu'il veut adhérer à leur accord de libre-échange. Je serais beaucoup plus heureux de voir Pat Binns aller signaler à la Colombie-Britannique qu'elle veut adhérer à cet accord de libre-échange. Peu m'importe qu'on normalise le salaire minimum et qu'on uniformise d'autres structures et obstacles avec le Québec, l'Ontario, ou avec un autre État de l'union. J'estime qu'il est essentiel de faire preuve de beaucoup plus de prudence et de décider que toutes ces règles différentes créent des obstacles structurels, ce que le Conference Board du Canada appelle la balkanisation de notre économie. L'uniformisation soutenue de ces règles n'est pas facilitée par des organismes-cadres semblables.

Le sénateur Mercer : Je tente désespérément de trouver un point sur lequel nous pourrions nous entendre. J'essaierai une toute dernière fois, puis j'abandonnerai.

D'après les commentaires que vous avez faits au sujet de l'enseignement supérieur, j'ai cru comprendre que l'enseignement universitaire n'était pas la solution universelle. Je ne suis pas entièrement en désaccord avec cette opinion. Un des principaux avantages au Canada atlantique est le grand nombre d'universités. Trois des sénateurs ici présents sont du Canada atlantique. Le sénateur Oliver est diplômé de l'Université Acadia, le sénateur Callbeck est diplômée de l'Université Mount Allison et je suis diplômé de l'Université Saint Mary's. Nous couvrons toute la gamme.

M. Cirtwill : Je suis diplômé de la Dalhousie University.

Le sénateur Mercer : Un élément dont nous ne tirons pas profit au Canada atlantique est l'infrastructure intellectuelle qui existe dans toutes les universités des trois provinces, qu'il s'agisse de l'Université de l'Île-du-Prince- Édouard, de l'Université Mount Allison, de l'Université du Nouveau-Brunswick, de l'Université Saint Mary's, de l'Université Acadia, de l'Université St. Francis Xavier ou de l'Université Cape Breton. De nombreuses personnes brillantes y enseignent, y font de la recherche ou font un certain type de travail à l'extérieur des classes.

Pensez-vous qu'il serait intéressant de ne pas nécessairement coordonner cette infrastructure mais, au moins, de savoir qui est là pour que, lorsque nous nous faisons connaître à l'extérieur, nous puissions dire que nous avons cet actif et que c'est une raison de plus pour vouloir faire des affaires au Canada atlantique?

M. Cirtwill : Il n'y a pas longtemps, par exemple, les 35 millions de dollars qui ont été accordés à la Dalhousie University pour la recherche océanographique ont placé ce programme sur la scène internationale en termes de visibilité. J'estime toutefois qu'il était déjà visible sur la scène internationale en raison des personnes intelligentes qui y participent et de l'excellence de leurs travaux. Cette subvention a fait connaître cette histoire de réussite aux Canadiens qui en ignoraient l'existence et elle nous permettra d'élargir ce programme.

Je suis entièrement d'accord avec vous sur le point suivant : nous devrions et nous pourrions faire beaucoup plus pour faire de cette ressource un facteur encore bien plus important de notre réussite économique. Cependant, je suis légèrement en désaccord avec certains de vos commentaires. On y fait des choses intéressantes. L'Université de l'Île-du- Prince-Édouard a de nombreux liens avec la collectivité agricole et elle a fait un excellent travail de facilitation et de valeur ajoutée. L'Université du Nouveau-Brunswick établit des partenariats directs avec le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick et le secteur de l'énergie, dans le but d'adapter les possibilités de s'instruire aux possibilités économiques. Il existe d'autres exemples. L'Université Allison, l'Université Dalhousie et l'Université Mount Saint Vincent ont également mis en place des programmes intéressants.

Vous avez parfaitement raison lorsque vous dites qu'elles pourraient faire beaucoup plus. Si vous cherchez une possibilité d'encourager les universités à le faire, faites-le, mais assurez-vous qu'il ne s'agisse pas d'un exercice de contrôle du haut vers le bas, c'est-à-dire du type d'exercice auquel on a tendance à s'adonner.

Le vice-président : Le commentaire que je voudrais faire est que le commerce entre les provinces n'est pas aussi développé qu'il devrait l'être. Lorsque j'étais député, j'ai reçu un appel d'un petit boucher de la Saskatchewan qui préparait des viandes. Il ne pouvait pas les vendre au Manitoba parce que son installation était construite en deux par quatre en acier plutôt qu'en blocs de béton. C'était une petite entreprise qui aurait pu être rentable pour lui, mais il ne pouvait pas vendre de bœuf à Brandon (Manitoba), à cause des règlements.

Nos activités sont souvent réglementées à outrance, car nous agissons comme dix États vassaux à l'intérieur d'un même pays. Je suis pleinement d'accord : notre réglementation est excessive.

Je donne maintenant la parole au prochain témoin, Mme Munro, puis nous lui poserons des questions.

Ishbel Munro, directrice exécutive, Coastal Communities Network : Je donnerai d'abord de l'information sur le Coastal Communities Network, puis je donnerai quelques renseignements d'ordre démographique sur la Nouvelle- Écosse, puisque vous faites un déplacement dans cette région, afin de vous aider à préparer votre voyage et à discuter de la situation dans cette région.

Le Coastal Communities Network est un organisme provincial à but non lucratif. Il a maintenant 15 ans et nous en sommes fiers. Nous avons des membres représentant des milieux très différents, notamment des groupes féministes, l'Église unie, des groupes environnementaux, des organisations micmaques, des groupes acadiens, des groupes africo- néo-écossais, des sociétés historiques locales, la Union of Nova Scotia Municipalities, des universités et le Nova Scotia Community College. Il représente donc des organismes très différents.

Le Coastal Communities Network a été créé à la suite de la crise du poisson de fond qui a éclaté en 1991. Vous avez suggéré d'exploiter les capacités des universités. Le département de l'enseignement postscolaire de l'Université St. Francis Xavier était préoccupé par la situation. Il a donc organisé une série de colloques dans les provinces. Ce qui est intéressant, c'est que c'était la première fois que des personnes extérieures à l'industrie de la pêche étaient réunies pour discuter de questions concernant les pêches. Certains conseillers municipaux et d'autres personnes ne voulaient pas participer sous prétexte que cela concernait la pêche. Nous avons dit que ce n'était pas le cas mais que c'était une question concernant la collectivité, et nous avons rassemblé personnes de divers milieux.

À la suite de ces colloques, nous avons tenu une conférence pour laquelle nous avons rassemblé à nouveau les gens. C'était une conférence historique, car les pratiquants des divers types de pêches de la Nouvelle-Écosse étaient probablement à couteaux tirés depuis des siècles et c'était la première fois qu'ils estimaient qu'il était nécessaire de faire abstraction des désaccords pour travailler ensemble dans l'intérêt de la collectivité. C'est ainsi que notre réseau a été créé.

Nous sommes un organisme qui rassemble divers groupes pour trouver un terrain d'entente afin d'aller de l'avant. Nous le faisons par le biais du réseautage et d'opportunités semblables à l'éducation des adultes. Nous avons des cercles d'apprentissage mensuels axés sur différents thèmes comme les possibilités de tirer parti de l'énergie éolienne dans la collectivité, la façon de gérer une pandémie de grippe ou tout autre sujet intéressant les groupes concernés.

Nous assurons en outre une liaison entre le gouvernement et la collectivité. Nous siégeons à l'Équipe rurale de la Nouvelle-Écosse et avons d'autres liens avec le gouvernement. D'une certaine façon, cela nous aide à donner la parole à des personnes qui, sans cela, n'auraient pas l'occasion d'exprimer leurs opinions.

Un sujet que j'aborderai aujourd'hui est la difficulté que nous avons en raison de l'état de délabrement avancé de l'infrastructure dans les régions rurales du Canada. Elle a de nombreuses ramifications dans d'autres domaines, qu'il s'agisse des trains, des élévateurs à grains, et cetera. Vous voyez maintenant une photo de Baxter's Cove. À l'intention de ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la pêche, cette photo est celle d'un quai environ deux semaines avant la saison de pêche au homard. On y voit des rochers et des câbles électriques parmi le bois. Les pêcheurs chargeront 300 casiers à homard sur leurs bateaux à partir de ce quai. C'est forcément un défi. Étant donné que nous avons entendu de nombreuses doléances au sujet de l'état de délabrement avancé de l'infrastructure, nous avons fait une étude intitulée Between the Land and the Sea, dans laquelle nous avons examiné l'importance qu'ont les quais et les ports de la province sur le plan socioéconomique.

Cette étude a donné un aperçu clair de l'économie côtière et a fait un bilan comparatif des aspects sociaux entre les régions rurales et les régions urbaines de la Nouvelle-Écosse. Nous avons subdivisé la province en quatre zones et, par conséquent, au lieu d'employer la définition de Statistique Canada de « urbain » et de « rural », nous nous sommes basés sur ce que les habitants de la Nouvelle-Écosse considèrent comme des zones urbaines et des zones rurales. Des régions comme celle de Ecum Secum, de Sheet Harbour ou d'autres petites collectivités n'étaient pas considérées comme des zones urbaines pour la simple raison qu'elles font partie de la Municipalité régionale de Halifax. Nous avons ensuite subdivisé les quatre zones en 77 grappes. La diapositive contient des renseignements sur le dépeuplement des zones rurales de la Nouvelle-Écosse. Comme vous pouvez le voir, dans la zone urbaine, la population a augmenté de 26 p. 100 au cours des dix dernières années. Nous savons qu'elle a encore augmenté davantage depuis et, par conséquent, le dépeuplement des zones rurales pose un gros problème.

La population de la Nouvelle-Écosse vieillit incontestablement; par conséquent, de graves problèmes se poseront dans le secteur de la santé au niveau des soins pour personnes âgées et autres soins analogues dans les régions côtières. Cette tendance aura en outre une influence considérable sur la main-d'œuvre et sa disponibilité, en particulier en ce qui concerne l'industrie de la pêche, mais aussi pour d'autres industries comme celle du tourisme.

Cette diapositive-ci montre quelques chiffres sur les revenus pour 2000. Vous constatez qu'une personne qui vit dans la région urbaine de Halifax a en moyenne un salaire beaucoup plus élevé que les habitants des zones rurales. Cette diapositive concerne la population active occupée. Ce qui est intéressant, c'est qu'alors que nous pensions que la population active des zones côtières rurales aurait considérablement diminué, l'impact le plus important a été dans la zone rurale non côtière de la Nouvelle-Écosse, dans laquelle la population active a diminué de 15 p. 100. Ces chiffres concernent les personnes qui sont couvertes par les statistiques. Une personne qui n'a pas travaillé pendant un an n'est plus incluse dans le système. Il ne faut jamais oublier que de nombreuses autres personnes sont sans emploi, mais qu'elles ne sont pas incluses en raison de la méthode de collecte de l'information utilisée par Statistique Canada.

Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a une hausse de 28 p. 100 dans la zone urbaine de la Nouvelle-Écosse. Comme en Saskatchewan et comme dans d'autres régions du Canada, on constate une très forte migration et des possibilités d'emploi considérables dans les zones urbaines et pas dans les zones rurales.

Le chiffre indiqué sur cette diapositive donne de l'information sur les emplois dépendant d'un port qui sont nombreux dans certaines catégories. On constate par exemple une diminution de 39 p. 100 du travail en ce qui concerne les hommes de pont. Il s'agit là d'une énorme diminution, et c'est le signe d'une concentration dans le secteur des pêches. Cette tendance est un sujet de préoccupation de premier plan pour les collectivités côtières, et elle transparaît dans de nombreuses statistiques. Un chiffre que je voudrais signaler est seulement dû à un changement apporté par Statistique Canada; on constate une diminution de 61 p. 100 du nombre de travailleurs des usines à poisson, mais une hausse de 46 p. 100 du nombre de manœuvres dans la transformation du poisson. On espère que ce changement n'est dû qu'à une modification des définitions utilisées par Statistique Canada.

L'étude indique l'impact économique global de base, à savoir que 28 p. 100 de la population de la Nouvelle-Écosse vit dans la zone côtière, 24 p. 100 de la main-d'œuvre active travaille dans la zone côtière rurale, 14 p. 100 de la main- d'œuvre est dépendante des quais et des ports et 70 p. 100 des exportations provinciales sont générées dans de fortes proportions par des entreprises côtières rurales.

Nous avons examiné également l'industrie touristique qui, en 2001, était une industrie représentant un chiffre d'affaires de 1,2 milliard de dollars en Nouvelle-Écosse. Les études sur ce secteur indiquent que les touristes viennent en Nouvelle-Écosse pour voir nos villages de pêche côtiers. C'est ce qui attire principalement les touristes, au-delà du Nouveau-Brunswick. Sans les villages côtiers, nous perdrions ce tourisme.

En 2002, la valeur des exportations de poisson était d'environ 1,3 milliard de dollars. La crise du poisson de fond est intéressante. En effet, la quantité totale de poisson capturé est restée stable, mais la valeur a considérablement augmenté, car le poisson de fond a été remplacé par les mollusques, le homard, le crabe, et cetera. Cette pêche est toujours en grande partie entre les mains de pêcheurs indépendants qui dépensent leurs revenus dans les collectivités locales. En 2002, 800 millions de dollars ont été dépensés dans les collectivités côtières et cette pêche appartient encore, dans une large mesure, à des pêcheurs indépendants.

Un défi qui se pose à nous est lié à l'infrastructure maritime, car c'est essentiellement elle qui nous permet d'aller au travail. Sans cette infrastructure, nous ne pouvons pas aller au travail. Les politiques gouvernementales ont évolué et ont créé ce qu'on appelle des autorités portuaires; par conséquent, les collectivités locales gèrent maintenant elles- mêmes leurs quais. C'est tout à fait comme si on demandait aux riverains de la 401, à Toronto, entre Jane Street et Keele Street, de gérer leur propre tronçon de route et de payer les coûts d'éclairage, d'enlèvement de la neige et de réfection, et d'établir en outre des plans d'affaires quinquennaux pour la route, car c'est par cette route qu'ils se rendent au travail. Pour notre part, nous nous rendons au travail par nos quais.

Ici, ce sont des groupes à but non lucratif qui s'en chargent. Cette photo-ci, par exemple, représente Harbourville, un port qui est passé par les mailles du système. Il appartenait au ministère des Transports puis a été transféré à la province, et personne n'en revendique la propriété. Il se trouve dans la région du bassin Minas. Les quais ne sont pas très nombreux dans cette région et, par conséquent, les pêcheurs ne peuvent pas aller s'installer dans une autre zone. Ce quai est organisé et géré par un organisme communautaire qui gère également la salle communautaire. Le groupe a recueilli beaucoup de fonds pour la réfection du quai et a très bien travaillé avec la collectivité des Premières nations. Les habitants de cette région ont pu obtenir des fonds pour construire certaines sections de leurs quais. Il y a une autre section que le gouvernement n'a pas réparée et ils n'ont maintenant plus accès aux sections qui ont été construites, car celle-ci a été endommagée par une tempête. Les habitants de la région ont même organisé des repas pour ramasser 30 000 $ pour payer la TPS sur le coût des travaux de construction qui ont été faits sur le quai. Tout cela représente un très gros effort collectif pour maintenir l'économie locale en vie.

D'après des chiffres estimatifs, il faut prévoir 4 p. 100 de la valeur des quais pour maintenir en bon état les ports pour petites embarcations. Le gouvernement annonce un investissement de 1,36 million de dollars en Nouvelle-Écosse. Il l'avait annoncé en 1999. On ne cesse de me dire qu'on me fournira de nouveaux chiffres sur les sommes données, mais je ne sais toujours pas combien. C'est un problème énorme en Nouvelle-Écosse et il est entièrement lié à la pauvreté rurale. Sans cette infrastructure, nous serons à coup sûr en sérieuse difficulté.

La question de savoir si les pêches sont une ressource publique ou une ressource privée suscite d'importantes controverses. Je ferai des commentaires sur le poisson. Une des principales politiques qui a protégé nos pêches est la Politique de séparation des flottilles propriétaire-exploitant. Elle perd toutefois de sa vigueur. En vertu de cette politique, le propriétaire doit également être l'exploitant du bateau. Cette politique a été conçue afin que les pêcheurs indépendants puissent continuer à avoir du travail et qu'ils dépensent leur revenu dans les collectivités locales.

Cette approche est différente de celle adoptée sur la côte Ouest où les pêches ont été regroupées. On y utilise de plus gros bateaux et le nombre de personnes qui travaillent pour les pêches et en tirent profit est moins élevé. Les bateaux sont à Vancouver, à Nanaimo et à Victoria. D'après ce que j'ai pu comprendre, les licences appartiennent à des personnes qui habitent Vancouver et ces titulaires de licences n'ont aucun autre lien avec le secteur de la pêche.

De telles situations ont des conséquences sociales, économiques et environnementales. Il y a ensuite les pressions pour pouvoir subvenir à ses besoins. Nous estimons que la politique de la privatisation de la pêche menace nos collectivités en engendrant de la pauvreté et en supprimant des possibilités d'être des membres engagés et productifs de la société.

Il faut se demander si l'on veut que les citoyens et les familles gagnent décemment leur vie, ou que quelques entreprises s'enrichissent au détriment de nombreuses familles qui tomberaient dans la pauvreté. Ce type de scénario s'est déroulé dans la péninsule de Digby, en Nouvelle-Écosse, où les propriétaires de bateaux de pêche à la ligne et de palangriers, ainsi que les équipages de pont, touchaient des salaires raisonnables. Dans de nombreux cas, ils ont été expulsés du secteur de la pêche à cause des règlements. C'est ce que nous appelons se faire saigner à blanc.

La documentation que nous vous avons remise contient un courriel que j'ai reçu d'un pêcheur qui tente désespérément de survivre cet hiver. Ce courriel montre que les niveaux d'alphabétisation laissent à désirer. Les coûts continuent à augmenter, car les pêcheurs doivent payer la présence d'un observateur sur leur bateau alors que ce dernier a souvent un salaire supérieur aux revenus du pêcheur dirigeant l'entreprise. La réglementation pose des difficultés.

Il y a ensuite les quotas individuels transférables qui sont aux antipodes de la politique de séparation des flottilles propriétaire-exploitant. Ce type de propriété devient beaucoup plus fréquent dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Les pêcheurs achètent leur quota à la compagnie avant d'aller pêcher. S'ils ont ensuite des problèmes de moteur ou si une tempête se lève et qu'ils n'atteignent pas le quota, ils perdent de l'argent. Par conséquent, ils travaillent pour des revenus inférieurs au salaire minimum.

Une autre conséquence de cette situation est qu'un pêcheur indépendant a le droit de pêcher, mais que si ce n'est pas une bonne journée pour sortir le bateau, le pêcheur y renoncera par mesure de sécurité. Cependant, si le pêcheur ne peut pas renoncer à sortir le bateau parce qu'il a acheté le quota, même si une tempête se lève, il sortira et pêchera dans des conditions dangereuses. Cela peut avoir des conséquences tragiques.

Pour de nombreuses personnes, si cette situation est la réalité de l'avenir, la Nouvelle-Écosse se trouvera dans des conditions analogues à celles qui règnent dans les ateliers de misère. Nos pêcheurs ne sont pas protégés par les dispositions législatives concernant le salaire minimum ou la sécurité et il est essentiel d'intervenir pour remédier à ce manque de protection. Il est manifestement indispensable de trouver des possibilités de contrer cette tendance.

À la baie de Fundy, plusieurs personnes nourrissaient leur famille en récoltant des palourdes et en les vendant aux restaurants locaux. Dernièrement, le gouvernement a accordé des concessions couvrant de vastes zones côtières à des entreprises et les travailleurs pêchent les palourdes pour un revenu inférieur de 30 p. 100 à celui qu'ils avaient avant.

Je trouve que la ville de Canso est un exemple étonnant de collectivité résiliente qui ait affronté des difficultés trahissant souvent les faiblesses des politiques gouvernementales. Le gouvernement a accordé des fonds à une compagnie de distribution de fruits de mer pour construire une usine de transformation du poisson à Canso. La compagnie a dit qu'elle ne le ferait qu'à la seule condition qu'on lui accorde le quota de pêche associé à cette collectivité. Elle a construit l'usine, obtenu le quota, est restée une dizaine d'années puis a quitté la région avec le quota. La collectivité n'a plus accès à la ressource. Les membres de la collectivité voient pêcher au large de leurs côtes des bateaux venant d'autres régions alors qu'ils ne peuvent pas pêcher eux-mêmes.

Canso a été une collectivité extrêmement résiliente et innovatrice. Elle a créé le Stan Rogers Folk Festival. Neuf cents membres de la collectivité participent au festival et 600 personnes travaillent à titre de bénévoles. Tous les membres de la collectivité font partie d'équipes de travail qui jettent un regard créatif sur les possibilités de diversifier l'économie locale.

Canso est le lieu où les messages concernant la guerre, le naufrage du Titanic et d'autres événements de ce genre sont arrivés en premier. Les membres de cette collectivité font appel à leur esprit d'initiative. Par exemple, elle a accueilli dans la région un centre d'appels qui a créé de 25 à 30 emplois supplémentaires. La plupart de ces emplois sont occupés par des mères seules. C'est un milieu de travail humain. Il témoigne d'un esprit d'initiative très développé.

Le leadership efficace est essentiel pour trouver des possibilités de résoudre les problèmes qui se posent dans les zones rurales de la Nouvelle-Écosse ou du Canada. On voit la différence entre les collectivités où règne ce type de leadership et de vision et celles d'où il est absent. Il est essentiel de trouver des possibilités de les aider à développer les capacités et les compétences de ces chefs de file et de leur apporter un soutien. C'est en tout cas un des objectifs du Coastal Communities Network.

En ce qui concerne nos recommandations, il faudrait faire une étude sur l'impact de la privatisation sur la pêche et sur les collectivités. Il faudrait en outre soutenir l'infrastructure qui nous permet d'aller au travail.

Je ferai rapidement quelques commentaires sur d'autres questions concernant notamment le secteur agricole. Il y avait une entreprise agricole, Peninsula Farms, qui produisait un yogourt absolument délicieux et qui employait 30 personnes. Son système était différent de celui des multinationales. Elle a fait l'objet d'une enquête de la part d'Agriculture Canada et des produits pour une valeur de 30 000 $ ont été déclarés non conformes. Le ministère a admis qu'il savait que le produit était salubre mais que, comme il s'agissait d'un système différent, il a dû obliger l'exploitation à fermer ses portes. C'est un exemple de règlement qui a causé de graves problèmes.

Les jeunes ont de la difficulté à aller de l'avant en raison du taux d'itinérance très élevé chez les jeunes en Nouvelle- Écosse. Ils dorment chez des amis et déménagent constamment.

Dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, la recherche d'un logement abordable pose d'énormes problèmes. Nous avons notamment entendu l'histoire d'un travailleur qui venait d'une roulotte installée dans un lieu très isolé. Il était venu pour demander de l'essence. C'était un travailleur, mais il touchait le salaire minimum et il n'arrivait pas à gagner assez pour faire face aux hausses de coûts. Il s'agissait d'une roulotte de deux Chambres à coucher. Quelqu'un s'est rendu jusqu'à la roulotte et a remarqué qu'un trou avait été fait dans le plancher de la roulotte et que deux adolescentes vivaient dans ce trou aménagé dans le sol.

Il paraît que beaucoup de personnes vivent dans des baraques très rudimentaires. Ce sont des travailleurs, mais s'ils ne touchent que le salaire minimum, ils n'ont pas les moyens de payer un loyer.

Les mères célibataires doivent choisir entre la nourriture et le chauffage car, dans les régions rurales de la Nouvelle- Écosse, le chauffage n'est pas inclus dans le loyer. Elles vont par conséquent s'établir à Dartmouth où le chauffage est inclus, mais elles perdent alors toute l'infrastructure sociale et le soutien qu'elles obtenaient dans les collectivités rurales.

Nous avons entendu parler de personnes âgées qui n'ont pas les moyens de payer les taxes. Dernièrement, un homme a été jeté à la porte de sa propre maison et est allé vivre dans une baraque. La GRC l'a découvert gisant sur le sol, incapable de se relever, après avoir fait une chute de la falaise située derrière sa maison.

Nous avons entendu parler de personnes âgées, notamment d'un couple de Berwick qui s'est suicidé parce qu'il n'avait plus les moyens de se payer à manger.

Ce sont des histoires qui font mal. C'est la dure réalité. La pauvreté juvénile continue d'augmenter en Nouvelle- Écosse. D'après les chiffres, les assistés sociaux, ou même les personnes qui ne touchent que le salaire minimum, notamment les mères célibataires, gagnent 6 000 $ de moins que le montant considéré comme le seuil de faible revenu.

Il est extrêmement difficile d'aller de l'avant. Dans le seul comté de Cumberland, plus de 600 habitations sont sur une liste d'attente pour les réparations. Il s'agit de maisons dont l'installation électrique est déficiente ou qui ne sont pas isolées. Le problème du logement y est un problème majeur et il est essentiel de trouver des possibilités d'y remédier. Je pense que les organisations à but non lucratif peuvent souvent gérer mieux et de façon plus efficace ce type de situation que les ministères. À Antigonish par exemple, certains groupes communautaires administrent des logements, de façon beaucoup plus efficace et à bien meilleur coût que ne le fait le gouvernement. Je pense donc que ce sont là quelques options.

Il est en outre essentiel d'examiner le Transfert social canadien. Je passerai une partie de cette information en vue très rapidement. Le nombre de membres de la catégorie des femmes âgées est extrêmement élevé. La province accordait, si je ne me trompe, une subvention de 1 000 $ par mois pour les soins à domicile. Cette subvention a été supprimée il y a quatre ans. De nombreuses femmes âgées vivent dans la pauvreté en Nouvelle-Écosse.

Bien d'autres problèmes majeurs se posent. Les groupes de bénévoles ne peuvent pas obtenir le statut d'organisme de bienfaisance. Les groupes qui veulent aider les gens sont devenus dépendants des subventions gouvernementales, car la loi canadienne rend l'obtention du statut d'organisme de bienfaisance extrêmement complexe parce que les dispositions législatives dans ce domaine sont basées sur le vieux modèle britannique d'aide aux pauvres. Si nous dispensons de l'éducation, mais pas dans un établissement, on a de la difficulté à aller de l'avant.

Il existe également un lien entre la pauvreté et un très grand nombre de problèmes de santé mentale; en outre, on ne dispose pas d'installations adéquates. Dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, il faut parfois attendre jusqu'à six ans pour avoir un rendez-vous avec un psychiatre.

En bref, nous avons des atouts, mais de nombreuses politiques et dispositions réglementaires gouvernementales nous menacent. Je suis encouragée de voir ce rapport et de constater qu'on est disposé à examiner ces inégalités et à s'attaquer à certains de ces problèmes.

À propos des prêts aux étudiants et autres questions semblables qui ont été évoquées tout à l'heure, je pense que la remise d'une partie de la dette sur les prêts aux étudiants aux personnes qui retournent travailler dans les régions rurales représenterait une aide considérable. Je pense que le gouvernement ontarien le fait, qu'il remet une partie de la dette aux personnes qui vont travailler dans le nord de la province.

On a de la difficulté à obtenir des fonds pour les programmes d'éducation de la petite enfance. En Suède, il a été démontré qu'un investissement dans l'éducation de la petite enfance contribuait dans une large mesure à atténuer la pauvreté. À court terme, il est essentiel de financer l'alphabétisation des adultes.

Sur ce, je vous remercie. J'ai beaucoup aimé votre rapport. Je le trouve très élaboré et il aborde de nombreuses questions. J'ai remarqué toutefois qu'il ne contenait pas beaucoup de commentaires sur la pêche, et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé d'en parler.

Le vice-président : Merci, madame Munro. Il ne nous reste que 25 minutes. Je demanderai donc que vous posiez des questions brèves et pertinentes.

Le sénateur Mercer : Je pense que vous avez mis en évidence certains des problèmes bien réels associés à la pauvreté rurale, mais que vous avez en outre fait la preuve des atouts et de la résilience des habitants des Maritimes, plus particulièrement des Néo-Écossais. Votre description de la ville de Canso est exacte. Les habitants de cette localité ne cessent de se relever après avoir encaissé des coups durs. C'était une excellente initiative d'y avoir établi le Stan Rogers Folk Festival. Une forte proportion de la musique de Stan s'appliquait très bien aux habitants de Canso et de la périphérie.

J'ai une ou deux questions précises à poser au sujet de la politique de séparation des flottilles propriétaire-exploitant. Vous avez mentionné la politique appliquée apparemment sur la côte Ouest. Cela ne poserait-il pas un problème dans la pêche au crabe, surtout au Cap-Breton, où de nombreux propriétaires de bateaux et de licences ne sont pas des exploitants? C'est donc précisément le problème auquel vous avez fait allusion.

Mme Munro : C'est un problème qui se pose dans certaines régions du Cap-Breton. Je n'ai pas entendu parler de nombreux cas semblables dans la région du détroit de Northumberland, mais on commence à en parler. De l'autre côté du Cap-Breton, on entend parler de la concentration des licences et il paraît que le ministère demande aux pêcheurs de vendre leurs licences à des entreprises qui en possèdent déjà beaucoup. Oui, cela pose un problème.

Le sénateur Mercer : On entend constamment des plaintes contre le ministère des Pêches et des Océans; cela fait partie des fonctions d'un sénateur ou d'un député néo-écossais. Le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes a recommandé à l'unanimité — à plusieurs reprises — que le ministère des Pêches et des Océans soit déménagé d'Ottawa et qu'il soit scindé de façon à ce qu'une partie soit implantée sur la côte Ouest et l'autre sur la côte Est.

Pensez-vous que cela irait mieux si, Dieu nous en préserve, un employé du ministère des Pêches et des Océans rencontrait un pêcheur?

Mme Munro : Ce ne serait certainement pas mauvais. Une décentralisation du ministère pourrait être utile à bien des égards — quoique j'ai entendu dire que, sur la côte Ouest, les pêcheurs souhaitent que la politique de séparation des flottilles soit également mise en application dans leur région. Cette politique serait avantageuse pour les collectivités côtières de cette région.

Je pense que certaines difficultés sont liées à la complexité de l'infrastructure océanique et maritime, c'est-à-dire de l'écosystème comme tel : il y a une différence par rapport à la gestion d'une ressource terrestre qui est statique. La gestion des pêches pose d'énormes défis. Le mode de gestion communautaire a été largement adopté en Nouvelle- Écosse. Nous avons aidé à faire cette transition de nombreuses façons, notamment en organisant des colloques avec les pêcheurs et en examinant des exemples de gestion communautaire à l'échelle mondiale, pour que les citoyens concernés investissent dans la durabilité de leurs pêches locales.

Je pense que la délégation de ce pouvoir a posé au ministère des Pêches et des Océans un énorme défi. S'il était implanté un peu plus à l'échelle régionale, la population locale serait peut-être plus enthousiaste.

Le sénateur Mercer : Dans la diapositive 27, sous la rubrique consacrée aux recommandations concernant la pauvreté, vous avez indiqué que la Commission doit étudier l'impact de la privatisation des pêches.

Je ne sais pas très bien ce que vous entendez par là. Je ne sais pas si je dois appuyer ou rejeter cette recommandation, car je ne la comprends pas.

Mme Munro : Il s'agit d'examiner l'impact qu'a eu sur les pêches le fait d'autoriser les entreprises à ne pas suivre la politique de séparation des flottilles.

Nous avons en place une politique en vertu de laquelle, pour pouvoir pêcher, les pêcheurs doivent normalement posséder le bateau et l'exploiter. La pêche a été privatisée de nombreuses façons différentes, en exploitant les échappatoires, ce qui a eu un impact très considérable sur les collectivités côtières et a engendré beaucoup de pauvreté dans bien des régions.

Le sénateur Mercer : C'est un cas semblable à celui du quota de Canso qui a été cédé au propriétaire de l'usine.

Mme Munro : Tout à fait. L'océan est une ressource publique. Le privatiser et décider qu'une partie de l'océan peut être vendue à une entreprise déterminée ou...

Le sénateur Mercer : Est-ce une situation semblable au problème des palourdes dans le comté de Digby?

Mme Munro : Tout à fait.

Le sénateur Mercer : Comme vous le savez, le comité se déplacera à partir de la semaine prochaine en Nouvelle- Écosse, et nous irons tout près de Digby. Si nous n'avons pas l'occasion d'observer la pêche, j'essaierai au moins de manger quelques délicieuses palourdes du comté de Digby. Je m'en réjouis d'avance.

Si le gouvernement pouvait mettre une recommandation en œuvre immédiatement, laquelle lui suggéreriez-vous?

Mme Munro : Il y en aurait trop.

Le sénateur Mercer : Citez-en deux.

Mme Munro : J'en mentionnerai deux. Une recommandation importante serait d'augmenter le salaire minimum considérablement afin de permettre aux mères célibataires qui arrivent à trouver un emploi de gagner décemment leur vie. Mon deuxième choix serait l'éducation. Si vous me permettez de préciser ce choix, l'alphabétisation des adultes serait ce qui est le plus essentiel. Il est indispensable de revoir notre système d'éducation, car je pense que par l'éducation que nous leur donnons, nous incitons nos jeunes à quitter la région. Il est impératif d'examiner non seulement le système d'enseignement primaire, mais aussi l'ensemble du système scolaire pour voir comment le système d'éducation peut montrer aux citoyens les possibilités qui existent dans leur collectivité. Je soutiens également les collèges communautaires. Ils sont nécessaires pour l'avenir.

Le sénateur Mercer : Merci, madame Munro. J'aurais voulu avoir plus de temps.

Le vice-président : Je dois m'en aller car j'ai un autre rendez-vous et, par conséquent, je demande au sénateur Callbeck d'occuper le fauteuil. J'ai négligé d'avertir mes collègues que le sénateur Fairbairn devait s'absenter aujourd'hui. En ma qualité de vice-président, je tiens à la féliciter pour l'excellent travail qu'elle a fait. Si elle nous écoute aujourd'hui, je lui signale qu'elle rate une séance très intéressante.

Le sénateur Catherine S. Callbeck (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

Le sénateur Peterson : Vous avez notamment signalé l'état de délabrement avancé de l'infrastructure. C'est un problème qui se pose à l'échelle nationale, comme vous le savez probablement. La plupart des égouts, des conduites d'eau, des ponts, des routes et des stations d'épuration ont été construits dans les années 1950 et dans les années 1960; par conséquent, ils se disloquent littéralement, car on n'a pas réinvesti dans ces infrastructures. Cette situation pousse à se demander si les gouvernements s'intéressent aux questions rurales, notamment à la pauvreté rurale. Si nous rajeunissons cette infrastructure, il y aura une demande pour ces services, et ce serait normal.

Y a-t-il une possibilité que cela se fasse? Dans ce cas, comment devrions-nous procéder?

Mme Munro : Un problème particulier se pose en ce qui concerne l'infrastructure maritime, car un grand nombre de fonctionnaires ne la considèrent pas comme une infrastructure nationale. Ils pensent que le problème ne se pose qu'à Terre-Neuve et qu'en Colombie-Britannique et ne tiennent pas compte du fait qu'il y a des quais au Manitoba et des pêches commerciales au Manitoba et en Ontario. C'est notamment de là que vient la difficulté que nous éprouvons à trouver de l'aide pour l'infrastructure maritime. Les autorités, et même Infrastructure Canada, ne reconnaissent pas que l'infrastructure maritime fait partie intégrante de l'infrastructure du Canada. Je pense que c'est le dilemme de la poule et de l'œuf. Ne faudrait-il pas investir dans ces régions? Sinon, la situation économique se détériorera. En Nouvelle-Écosse, on fait des dépenses de plus de 1 milliard de dollars pour le tourisme et de près de 2 milliards de dollars pour les pêches. Tout un pan de notre économie, qui représente un investissement d'environ 3 milliards de dollars, est dépendant de cette infrastructure. Il est absolument essentiel que nous l'entretenions.

Je pense que nous pouvons faire preuve de plus d'innovation dans nos façons de procéder, en encourageant par exemple les autorités portuaires à collaborer pour ne pas faire le même travail individuellement dans la même région. Dans la baie de Fundy, il y a un quai qui monte et descend en glissant le long d'un piquet, au gré des marées; j'espère que vous avez eu l'occasion de voir les énormes marées dans cette région. C'est un quai peu coûteux. Il existe des façons innovatrices de procéder, mais il est essentiel que nous investissions dans ces infrastructures de base pour assurer l'avenir de notre économie rurale et préserver notre tissu social.

Le sénateur Peterson : J'espère que vous serez convaincants, car vous serez en concurrence avec les régions urbaines pour ces fonds. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet de la vision et du leadership des collectivités, car c'est effectivement ce qui nous permettra de nous débarrasser de ce problème et de réussir.

Le sénateur Oliver : Ma question porte sur la division des pouvoirs. En vertu de notre Constitution, le gouvernement fédéral a certains pouvoirs et les gouvernements provinciaux ont des pouvoirs déterminés également. Les gouvernements provinciaux sont responsables des droits de propriété et des droits civils. Certaines des questions que vous avez exposées aujourd'hui relèvent de la compétence des provinces, alors que d'autres relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Notre comité est un comité du Sénat du Canada, donc un comité fédéral. Nous voulons recommander des changements que le gouvernement fédéral pourrait réaliser.

Vous avez mentionné les quais. Les quais relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral. Le logement et certains autres volets des services sociaux sont, par contre, des domaines qui relèvent de la compétence des provinces. Pouvez-vous mentionner des initiatives que le gouvernement fédéral peut prendre pour aider à faire disparaître la pauvreté dans les régions rurales? Quelles seraient les initiatives les plus importantes, par ordre de priorité, que le comité devrait examiner dans un contexte fédéral?

Mme Munro : Il existe une possibilité d'améliorer la situation par le biais des transferts sociaux entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. À l'instar des transferts de fonds qui sont faits aux termes de la Loi canadienne sur la santé, certaines lignes directrices précisent comment ces fonds doivent être utilisés. Je pense que des possibilités existent en ce qui concerne des normes minimales, afin que les bénéficiaires de l'aide sociale, par exemple, ne soient pas dans l'obligation de choisir entre l'alimentation et le chauffage. Il est en outre possible de fixer un niveau de vie minimal pour que nos citoyens ne restent pas dans un état de pauvreté profonde.

Le sénateur Oliver : Existe-t-il des écarts régionaux ou estimez-vous que des politiques nationales ou des mesures fondamentales de ce type devraient être prises par le gouvernement fédéral et être applicables à toutes les régions du Canada?

Mme Munro : Vous pourriez examiner le travail qui a été fait pour diverses régions en ce qui concerne les biens de première nécessité : par exemple, le coût du lait n'est pas le même en Nouvelle-Écosse qu'à Terre-Neuve-et-Labrador ou qu'au Yukon, ou encore qu'en Ontario. Un prix fixe ne serait pas efficace, car il existe de trop nombreuses variables. Cependant, si le coût est basé sur ce qui est nécessaire pour que les enfants aient une alimentation nutritive, et si on assure un niveau de vie minimum, cela contribuerait dans une large mesure à alléger non seulement la pauvreté juvénile, mais aussi le stress auquel est soumise la mère célibataire qui essaie d'élever ses enfants dans des conditions quasi impossibles.

Je pense qu'on pourrait modifier les dispositions législatives concernant les collectes de fonds faites par les organismes de bienfaisance. C'est une responsabilité qui relève intégralement du gouvernement fédéral. De nombreux groupes, nous y compris, ont essayé de les faire modifier, car nous estimons que nous œuvrons dans le secteur caritatif. Cette loi est un obstacle pour de nombreux organismes à but non lucratif qui font un travail considérable dans les collectivités.

Certains travaux de développement communautaire qui étaient réalisés sous les auspices du gouvernement fédéral grâce à des fonds accordés par Service Canada, par exemple, ont eu un impact considérable dans les collectivités rurales. Canso a pu, par exemple, obtenir des fonds par le biais de ce qui était appelé alors Développement des ressources humaines Canada (DRHC), pour régler divers problèmes et aider les collectivités à faire participer les jeunes et à réaliser toutes sortes de projets à caractère économique et social. Le gouvernement a totalement pris ses distances par rapport à ces types de soutien accordé aux travailleurs de première ligne qui aident les collectivités. La plupart de ces fonds ont été confiés à l'APECA, mais ils n'ont pas servi à financer du développement communautaire, par exemple.

Nous avons entendu dire que des fonds seraient accordés par le biais de l'APECA afin d'aider des organismes à but non lucratif à entreprendre des activités sociales. Ce serait une initiative fantastique, car les organismes à but non lucratif pourraient alors établir des entreprises sociales et les recettes générées par ces entreprises pourraient servir à financer leurs activités de bienfaisance. Ce type de financement est un exemple absolument brillant des possibilités que nous aurions d'aller de l'avant. Nous pouvons aller de l'avant en faisant preuve d'esprit d'innovation et en appuyant ces types d'initiatives novatrices.

La présidente suppléante : Tous les sénateurs qui voulaient poser des questions ont eu l'occasion de le faire. Je voudrais toutefois en poser moi-même.

Votre réseau est un réseau bénévole; il est à but non lucratif. D'où viennent les fonds nécessaires au financement de vos activités?

Mme Munro : Ils viennent de nombreuses sources. À l'origine, nous recevions des fonds de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique (LSPA) par le biais du Programme d'adaptation de la pêche du poisson de fond de l'Atlantique mis en place lorsque la crise du poisson de fond a éclaté. Nous recevons actuellement des fonds du gouvernement provincial par l'intermédiaire du bureau de développement économique qui met en œuvre la nouvelle politique de développement communautaire de la Nouvelle-Écosse. Le Coastal Communities Network a collaboré avec le gouvernement dans le cadre d'un projet appelé « Rural Communities Impacting Policies », dans le but d'établir cette politique. Il s'agit d'un projet innovateur, car il a mobilisé plusieurs services, et nous recevons des fonds par l'intermédiaire de ce bureau. Nous recevons également des fonds du Secrétariat rural, qui relève d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Nous recueillons en outre des fonds en organisant des ventes aux enchères par écrit et d'autres types de ventes aux enchères.

La présidente suppléante : Quel est votre budget approximatif?

Mme Munro : Cette année, il est d'environ 170 000 $, soit plus élevé que l'année dernière. Nous employons cette année de quatre à cinq personnes et tenons des réunions mensuelles. Nous organisons des réunions du conseil d'administration tous les deux mois, publions une revue, organisons une conférence annuelle et une journée de développement des compétences. Nous tiendrons un forum sur les politiques à la fin du mois qui réunira 110 membres du gouvernement, activistes communautaires et universitaires. Nous envoyons un bulletin électronique bihebdomadaire à nos membres, nous répondons aux demandes de renseignements et nous nous intéressons à d'autres projets. Nous utilisons les fonds dont nous disposons de façon très rentable. Nous nous efforçons d'accomplir le plus possible.

La présidente suppléante : Les fonds sont donc dépensés judicieusement. Pouvez-vous dire quel pourcentage approximatif des fonds provient du secteur bénévole et quel pourcentage du gouvernement?

Mme Munro : Le pourcentage augmente, mais je n'en suis pas absolument sûre. Au début, nous ne faisions pas payer de cotisation à nos membres, mais nous en faisons payer une maintenant. De la sorte, le montant en provenance du secteur privé augmente. Les cotisations sont payées librement et, par conséquent, les personnes qui n'en ont pas les moyens ne doivent pas la payer. Certains de nos membres vivent dans la pauvreté et pourraient avoir de la difficulté à payer une cotisation annuelle de 30 $. Comment demander à une personne qui en est réduite à demander de l'aide à son conjoint pour s'arracher une dent de nous donner des fonds pour que nous puissions faire connaître ses problèmes au gouvernement?

Le sénateur Biron : Parlez-vous français?

Mme Munro : Non.

[Français]

Le sénateur Biron : Dans l'exemple que vous donnez, vous dites qu'une mère va recevoir l'assurance-emploi pour un montant de 7 779 $ annuellement. Vous dites aussi que, dans le cas de l'assistance sociale, la même femme recevrait 13 092 $ de revenu. Ne serait-il pas préférable pour elle de ne pas recevoir d'assurance-emploi? Ou suggérez-vous plutôt d'augmenter l'assurance-emploi?

[Traduction]

Mme Munro : C'est une partie de la difficulté qui se pose. Le montant qu'elle reçoit à titre de prestation n'inclut pas le crédit d'impôt pour enfant alors que le montant reçu de l'aide sociale l'inclut. C'est pourquoi il est plus élevé. Aller travailler peut être plus coûteux et ne pas être abordable pour certaines personnes qui doivent payer pour la garde de leurs enfants. C'est une transition très difficile à faire et il est essentiel de mettre des mesures en place pour permettre aux personnes de faire la transition entre l'aide sociale et le marché du travail tout en continuant à recevoir de l'aide. C'est un défi énorme d'aller travailler et de payer les dépenses supplémentaires que cela engendre. Une autre dépense liée au travail est le coût du transport. Dans de nombreuses régions rurales de la Nouvelle-Écosse, il n'existe pas de transport en commun. Les habitants de la plupart des régions rurales doivent trouver un moyen de transport. L'homme dont j'ai raconté l'histoire tout à l'heure et dont les filles vivaient dans un trou aménagé dans le sol a demandé de l'aide sociale pour s'acheter un vélo afin de pouvoir se rendre au travail plus facilement. C'est une difficulté supplémentaire, car les habitants des régions rurales de la Nouvelle-Écosse ont tendance à avoir beaucoup de fierté et à aimer être autonomes. Les pauvres souffrent souvent en silence, car ils essaient de conserver leur dignité en cherchant à subvenir par eux-mêmes aux besoins de leur famille.

La présidente suppléante : Ma dernière question porte sur le micro-crédit et c'est une question qui a été posée au cours de la séance précédente. J'ai fait partie du Groupe de travail du premier ministre sur les femmes entrepreneures qui s'est déplacé dans tout le pays en 2003. Nous avons entendu beaucoup de commentaires concernant la nécessité d'instaurer un système de micro-crédit, surtout dans les régions rurales, où se trouvent la moitié des femmes entrepreneures. Est-ce que, dans les collectivités côtières, il existe un système, ou a-t-on l'intention d'établir un système, permettant d'avoir accès à du micro-crédit?

Mme Munro : C'est certainement nécessaire. Il existait en Nouvelle-Écosse un programme appelé Calmeadow Canada qui offrait du micro-crédit. Je n'en ai pas entendu parler dernièrement et il a peut-être disparu. Il offrait ce type de financement. Les femmes se regroupent souvent pour essayer de s'entraider, et chacune d'elles investit un certain montant. Il y a de nombreuses femmes entrepreneures dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse. Étant donné que l'Internet haute vitesse est de plus en plus disponible dans les régions rurales, le phénomène peut faire boule de neige et prendre beaucoup d'expansion. L'Internet haute vitesse est un atout considérable pour les femmes qui ont une entreprise à domicile. Étant donné que j'étais une mère célibataire, j'avais installé mon bureau chez moi; le travail pour le Coastal Communities Network a donc été fait pendant des années à partir de mon domicile. C'était une excellente façon de travailler, car j'étais à la maison quand mon enfant rentrait. Lorsqu'il était malade, j'étais là et je pouvais continuer à travailler. J'espère que la Conférence internationale sur le micro-crédit qui a eu lieu à Halifax donnera un nouvel essor à ce concept. Cette conférence a en tout cas incité l'APECA et d'autres organismes à examiner ce type d'option. On peut déjà obtenir du micro-crédit dans une certaine mesure par le biais des Corporations au bénéfice du développement communautaire (CBDC), mais la difficulté est que le taux d'intérêt est plus élevé que dans les banques. Le propriétaire de l'entreprise a de la difficulté à rembourser. Il serait intéressant qu'on établisse un système dans le contexte duquel le taux d'intérêt serait égal ou inférieur à celui des banques, pour aider nos entrepreneurs.

La présidente suppléante : Je vous remercie d'avoir témoigné aujourd'hui. Vous avez sans aucun doute donné au comité une foule d'informations et d'idées dans le cadre de son étude sur la pauvreté rurale.

La séance est levée.


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