Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 16 - Témoignages du 19 février 2007 - Séance du matin
CORNER BROOK, TERRRE-NEUVE-ET-LABRADOR, le lundi 19 février 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 12 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Je pense parler en notre nom à tous en vous disant que c'est un plaisir ainsi qu'un honneur d'entreprendre nos audiences sur les préoccupations rurales, la pauvreté rurale, qui nous mèneront dans tout le Canada, jusque dans les territoires. Nous voulions commencer dans notre province la plus récente, celle de Terre- Neuve-et-Labrador; nous sommes donc ici. Je crois qu'on peut dire que Terre-Neuve-et-Labrador est de loin la province la plus rurale au Canada. Ceux d'entre nous qui venons de l'Ouest croyons que nous venons de la région la plus rurale, mais c'est véritablement cette province qu'il l'est, puisque plus de 53 p. 100 de sa population vit en région rurale, alors que cette proportion n'est que de 21 p. 100 à l'échelle nationale.
La province de Terre-Neuve-et-Labrador constitue également un bon point de départ, parce que c'est l'une des deux seules provinces — avec le Québec — à avoir adopté une stratégie de réduction de la pauvreté à l'échelle provinciale, ce qui nous intéresse tout particulièrement. À Terre-Neuve, cette stratégie comporte une composante rurale très importante.
Notre premier témoin de ce matin est ici pour nous parler de cette stratégie et de l'état critique des pauvres des régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador.
Jennifer Jeans est la haute fonctionnaire du ministère responsable de la stratégie de réduction de la pauvreté. Nous sommes très emballés d'en entendre parler.
Jennifer Jeans, sous-ministre adjointe, ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à Terre-Neuve-et- Labrador. Je suis contente que vous veniez dans notre province pour échanger avec tous ceux et celles qui se préoccupent des enjeux importants dont vous allez discuter.
Je suis ici ce matin pour vous parler un peu de la stratégie de réduction de la pauvreté de Terre-Neuve. Je sais que notre ministre, l'honorable Shawn Skinner, qui a été nommé à la tête de notre ministère il y a environ un mois, aurait voulu être ici. Il a essayé de trouver des solutions à ses conflits d'horaire, mais n'a pas réussi. Je suis donc ici à sa place. C'est le principal ministre responsable de la stratégie de réduction de la pauvreté.
Je vais vous présenter un bref aperçu de cette stratégie, mais vous laisserai du temps pour les questions et la discussion.
Cette diapositive décrit l'engagement du gouvernement. Dans son programme électoral, le Parti progressiste- conservateur s'est engagé à transformer Terre-Neuve-et-Labrador, sur une période de dix ans, afin de faire de cette province, où la pauvreté est à son comble, la province où le revenu net d'impôt et le coût de la vie sont le plus avantageux. Cet engagement a été repris dans le discours du Trône de 2005, où le gouvernement s'est engagé à élaborer une stratégie pangouvernementale détaillée de réduction de la pauvreté, une stratégie qui se réalisera grâce à la collaboration de la collectivité.
Comment définir la pauvreté? Nous voyons la pauvreté sous son angle le plus large, en termes d'exclusion sociale, et nous ne parlons pas seulement des personnes qui n'ont pas assez d'argent, mais également de celles qui n'arrivent pas à participer pleinement à leur communauté. Nous tenons compte du niveau de scolarité. Le manque de scolarité peut être à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté.
Le logement est-il adéquat? Les gens ont-ils accès aux produits et services essentiels à la vie? Le téléphone, par exemple, permet aux gens de participer à la vie de leur communauté. De même, qu'en est-il de la santé de la personne? Doit-elle suivre un régime spécial? Peut-elle se payer les aliments nutritifs et les médicaments dont elle a besoin?
La diapositive suivante nous renseigne sur ceux et celles qui vivent dans la pauvreté à Terre-Neuve-et-Labrador. Dans notre étude, nous examinons l'accent qu'on met sur le faible revenu. Les ménages à faible revenu comptent environ 62 000 personnes qui vivent dans 33 000 familles; 17 000 enfants et 12 000 adultes d'âge avancé, particulièrement entre 55 et 64 ans. C'est ce qui est ressorti de nos recherches. Si la pauvreté semble beaucoup moins présente chez les personnes âgées, ce groupe est l'un de ceux qui affichent le degré de pauvreté le plus élevé. Nous ne savons vraiment pas pourquoi, mais c'est l'un des aspects sur lesquels nous avons convenu d'approfondir nos recherches. De même, 18 000 adultes célibataires et 5 000 familles monoparentales vivent dans la pauvreté dans la province.
Nous savons que selon les statistiques, environ 27 p. 100 de la population de la province a connu la pauvreté un moment ou l'autre entre 1999 et 2004, ce qui représente plus de 130 000 personnes.
Lorsque nous étudions la pauvreté, nous ne nous demandons pas seulement si les gens se situent sous un certain seuil de revenu, mais également quelle est l'ampleur de leur pauvreté, c'est-à-dire à quel point ils se situent sous le seuil et combien de temps dure leur pauvreté. Nous savons que parmi les 27 p. 100 de personnes qui se situent sous le seuil de la pauvreté, plus de 20 p. 100 des familles pauvres accusent un manque à gagner de plus de 6 000 $. Un peu plus de 16 p. 100 des personnes pauvres ont été pauvres pendant six ans entre 1996 et 2001. C'est là où nous avons publié notre rapport, en 2005, sur la base des données les plus récentes disponibles.
La diapositive suivante illustre la pauvreté dans la province, un phénomène rural et urbain. J'ai remarqué dans le rapport intérimaire que vous avez publié à l'automne — je l'ai lu et j'ai parlé de l'augmentation de la pauvreté en région urbaine — le fait que la pauvreté tend à devenir un phénomène de plus en plus urbain dans le reste du Canada. Ce n'est pas le cas dans notre province. Nous avons le pourcentage le plus élevé de personnes qui vivent en région rurale, et ces personnes vivent sous le seuil de faible revenu, le SFR. C'est à Terre-Neuve, dans les régions rurales comme dans les régions urbaines, que le revenu par habitant est le plus bas.
Quand nous concevons des initiatives pour la stratégie de réduction de la pauvreté, nous les élaborons sous l'angle rural, et bien que nous n'ayons pas encore de perspective officielle, nous sommes en train d'en élaborer une avec le gouvernement, qui s'appliquerait à toutes les décisions importantes en matière de programme et de politique. En raison de la nature rurale de la province, nous devons nous demander comment tout ce que nous faisons se répercute dans les régions rurales et si nos initiatives profitent aux collectivités rurales autant que nous le voudrions.
La vision à long terme de notre gouvernement dans la stratégie de réduction de la pauvreté est l'élimination de la pauvreté de la province. Cette province sera une province prospère, diversifiée, où toutes les personnes seront prises en considération, où elles pourront réaliser leur plein potentiel et avoir accès aux mesures de soutien dont elles ont besoin pour participer pleinement aux avantages socioéconomiques de la province.
Notre vision est très influencée par ce que nous avons entendu lors des consultations que nous avons tenues dans la province avant d'élaborer la stratégie de réduction de la pauvreté.
Quant à la façon de faire du gouvernement, notre plan d'action a été conçu après examen des recherches existantes, des pratiques exemplaires ainsi que des programmes et des services actuels du gouvernement. Nous avons tenu de vastes consultations dans les régions rurales et urbaines de la province et avons établi des groupes de travail à différents niveaux au gouvernement.
Je vais vous donner une idée des consultations qui ont eu lieu avant l'élaboration de notre stratégie. En juin 2005, nous avons publié un rapport circonstanciel, qu'on peut consulter sur notre site web. Il s'intitule Reducing Poverty : An action Plan for Newfoundland et Labrador. Il dresse le portrait de la pauvreté dans la province et résume quelques recherches menées dans différentes parties du pays et du monde.
Nous avons organisé douze ateliers avec des groupes communautaires, dix séances avec des organismes qui se consacrent à la lutte contre la pauvreté ou ont des connaissances particulières dans ce domaine, ce qui comprenait des groupes d'entreprises et des syndicats, ainsi que six séances de travail avec des personnes vivant dans la pauvreté. Nous avons travaillé de concert avec certains de nos partenaires du milieu communautaire, comme les centres pour femmes et les groupes qui viennent en aide aux jeunes à risque, qui sont en contact avec ces personnes. Nous sommes allés les voir et avons écouté les récits de personnes qui vivent dans la pauvreté.
Nous avons mis à la disposition des gens un numéro sans frais et avons reçu plus de 450 appels de personnes dont la moitié vivait du soutien du revenu. Nous nous sommes également dotés d'une adresse de courriel et avons reçu une centaine de courriels ainsi que 60 mémoires écrits de personnes et d'organismes.
Tout cela nous a permis de prendre le pouls de tout un éventail de personnes : celles qui travaillent pour un maigre salaire, celles qui vivent du soutien du revenu et celles qui défendent les personnes vivant dans la pauvreté ou qui leur offrent des services. Les buts de la stratégie, que je vais vous présenter, de même que les initiatives prévues dans le budget de 2006-2007, ont été élaborés à la lumière des enjeux qui sont ressortis des consultations et des pratiques exemplaires relevées dans nos recherches et nos évaluations.
C'est donc dans cette optique que nous avons conçu les initiatives de la première année de la stratégie ainsi que celles des prochaines années.
Il y a une série de principes directeurs qui inspirent l'élaboration des initiatives budgétaires, la stratégie et les principes généraux que nous suivons dans la mise en œuvre de notre travail et l'élaboration des initiatives futures.
L'un des principes clés est la prévention. Il faut intervenir tôt pour briser le cycle de la pauvreté. Par conséquent, nous veillons toujours à miser sur la prévention à long terme, parce que nous savons que s'il faut investir en amont, nous pourrons en retirer des avantages à long terme.
En nous appuyant sur nos partenariats, nous reconnaissons les différents rôles que jouent les divers secteurs et les solutions qu'ils peuvent apporter. Ainsi, une bonne partie de notre travail se fonde sur les partenariats que les divers ministères ont avec des organismes communautaires, nos partenaires municipaux et nos partenaires fédéraux.
Croyez-le ou non, le plus grand défi consiste à procéder de façon intégrée et coordonnée. Pour suivre une démarche intégrée, il faut travailler avec des ministères qui sont structurés et organisés selon un cloisonnement vertical. Il n'est pas facile d'établir des ponts entre les ministères, puis entre eux et la collectivité. Nous nous efforçons de montrer comment, dans notre stratégie, nous favorisons une démarche intégrée. On peut créer un comité ministériel ou un groupe de travail interministériel ou encore chacun peut s'engager à analyser l'effet des politiques d'un ministère à l'autre, ainsi que leurs incidences cumulatives. Il est également primordial de tenir compte des différences entre les régions rurales et urbaines et des défis de chacune, ainsi que de créer des projets qui fonctionnent bien dans différentes régions géographiques. Nous devons envisager différentes mesures.
La stratégie s'articule autour de cinq buts, et chacun comporte ses objectifs et ses mesures. Les buts sont à long terme. Ils sont fixés pour quatre ans. Les objectifs et les mesures s'appliquent aux deux prochaines années. Les buts sont mesurables. Encore une fois, comme je l'ai dit, ils découlent des résultats des consultations sur ce qu'il faut faire pour mettre un frein à la pauvreté, soit pour la prévenir et pour en atténuer les effets négatifs.
Ces cinq buts sont les suivants : améliorer l'accès aux services pour les personnes à faible revenu et la coordination des services; renforcer le filet de sécurité sociale, c'est-à-dire améliorer le filet de sécurité actuel; augmenter les revenus gagnés, parce qu'il ne fait aucun doute pour beaucoup de gens que pour se sortir de la pauvreté, il faut un emploi bien payé et des programmes d'aide pour ceux qui ne sont pas aptes au travail; intensifier les efforts pour favoriser le développement des jeunes enfants et mieux éduquer la population. Nous avons entendu ces buts haut et fort, et nous en avons la confirmation dans nos recherches sur les mesures à prendre pour réduire la pauvreté à long terme.
Quelles sont les grandes orientations? Nous avons retenu trois grandes orientations qui dirigeront notre travail à long terme et reflèteront ce que nous voulons accomplir. La première est de prévenir la pauvreté à long terme. Il est essentiel d'intervenir tôt pour briser le cycle et empêcher les gens de tomber dans la pauvreté. Par conséquent, nous devons opter pour une formule à long terme et offrir des outils pour aider les gens aux points tournants de leur vie.
Nous voulons réduire la pauvreté et augmenter la proportion de la population dont le revenu se situe au-dessus du seuil de la pauvreté. Pour ce faire, nous devrons trouver des moyens d'aider les gens à faire la transition dans leur vie.
Nous voulons atténuer la pauvreté : diminuer l'ampleur de la pauvreté et améliorer la qualité de vie des personnes pauvres. Nous devons donc miser sur les forces du filet de sécurité sociale et favoriser l'inclusion grâce à l'élimination des obstacles, comme le faible niveau d'alphabétisation, et créer des systèmes dans lesquels on est plus à l'écoute des besoins des personnes vivant dans la pauvreté.
En 2006, nous avons eu l'occasion d'investir considérablement dans la réduction de la pauvreté. La stratégie elle- même est un cadre qui contribuera à orienter nos décisions au cours des prochaines années. Nous avons réussi à faire cet investissement important, et tout un train de mesures a été annoncé dans le budget de 2006. Comme je l'ai déjà mentionné, celles-ci ont été conçues à la lumière des résultats des consultations.
Ces initiatives visent surtout à aider les travailleurs à faible revenu et leurs familles; à favoriser le perfectionnement des compétences pour l'emploi; à aider les clients du soutien du revenu qui veulent retourner au travail en éliminant les obstacles et en offrant d'autres outils; à améliorer le système scolaire de la maternelle à la 12e année pour qu'il soit mieux adapté; à renforcer le filet de sécurité sociale; à favoriser l'apprentissage en bas âge; ainsi qu'à améliorer l'accès à l'éducation postsecondaire. L'une des principales initiatives prévues — et la liste complète se trouve à la fin de la stratégie, dans les pages blanches — consiste à accroître l'admissibilité à notre programme de médicaments sur ordonnance. Jusqu'à la fin janvier, seules les personnes qui recevaient le soutien du revenu et les personnes âgées avaient accès au programme de médicaments sur ordonnance. Ceux qui avaient des frais de médicaments très élevés pouvaient présenter une demande, mais ils devaient répondre à des critères de moyens qui n'étaient pas imposés aux clients du soutien du revenu.
Depuis le 31 janvier dernier, ce programme est devenu accessible à toutes les personnes à faible revenu, à toutes les personnes dont le revenu est de moins de 30 000 $, selon des critères variables. Ainsi, une personne qui a un revenu de moins de 23 000 $ a pleinement accès au programme, sous réserve d'une coassurance de 20 p. 100, puis les critères varient pour permettre aux personnes ayant un revenu de 30 000 $ de présenter une demande.
Pour nous, c'est un grand pas stratégique en avant, et nous l'avons accueilli très positivement. Cette initiative a aplani certains des obstacles pour les clients du soutien du revenu et offert une aide très nécessaire aux personnes qui touchent un salaire peu élevé. Au fur et à mesure que nous en tirerons des leçons, nous verrons comment elle s'applique et si nous pouvons l'améliorer avec le temps.
Nous avons éliminé les frais de scolarité. Dans notre province, beaucoup d'écoles imposaient des frais en début d'année pour absorber le coût de toutes sortes de choses, des agendas aux produits de consommation. Beaucoup d'enfants devaient payer pour les fournitures s'ils voulaient suivre des cours d'art à l'école. Ces frais pouvaient varier entre 75 $ et 100 $ par enfant, par famille, payables en septembre. Ils avaient de grandes répercussions sur les familles à faible revenu. Par conséquent, nous avons augmenté la subvention par élève aux écoles l'année dernière et avons exigé l'élimination de tous les frais de scolarité.
Nous avons augmenté les taux de soutien du revenu de 5 p. 100, et à partir de cette année, nous indexons les taux de soutien du revenu et améliorons l'accès aux programmes d'éducation de base pour les adultes.
La dernière diapositive porte sur notre engagement à mesurer notre taux de réussite. Nos grandes orientations sont à long terme, mais les buts s'assortissent de résultats mesurables. Nous savons qu'il pourrait falloir du temps afin que nous puissions démontrer une incidence directe sur le SFR et le reste, mais nous trouvons des moyens de mesurer les progrès en cours de route. Parmi les indicateurs, il pourrait y avoir le taux de diplomation, le nombre de personnes qui touchent du soutien du revenu, le nombre de jeunes qui demandent du soutien du revenu et le taux de participation à l'éducation postsecondaire.
Nous nous sommes engagés à publier un rapport tous les deux ans (le premier paraîtra au printemps 2008) et à continuer à faire participer les collectivités du début à la fin. Officiellement, nous aurons l'an prochain une série de tables rondes pour marquer le coup d'envoi, pour ainsi dire, mais dans l'intervalle, nous poursuivons toujours nos discussions avec les collectivités grâce à nos moyens habituels : les consultations budgétaires, les structures consultatives régulières du gouvernement, comme le conseil consultatif sur la condition féminine, un comité consultatif sur les jeunes et d'autres.
Il y a beaucoup d'autres choses que je pourrais mentionner, mais je vais m'arrêter là.
La présidente : Je dois dire que le rapport que vous nous avez remis est inspirant. Certaines des questions que vous avez abordées ressortent beaucoup de nos audiences à Ottawa depuis quelques mois, et je dirais que vous êtes à l'avant- garde à bien des égards.
Le sénateur Gustafson : Je pense tout à fait la même chose que notre présidente. Il est très inspirant de constater dans votre rapport que l'engagement du gouvernement ici est très positif.
Ma première question porte sur le revenu moyen et les sommes mises à la disposition des personnes les plus pauvres des régions rurales. Pouvez-vous nous répéter les chiffres et nous donner un petit aperçu de la situation des plus pauvres parmi les pauvres? Vous aviez quelques chiffres, mais je ne les ai pas tous notés.
Mme Jeans : Je dois admettre que ce n'est pas à moi qu'il faut demander des statistiques, mais il y a des renseignements dans le rapport. Je peux seulement vous répéter les chiffres que je vous ai donnés. Nous en avons parlé : environ 27 p. 100 de la population a vécu dans la pauvreté un moment donné. Nous avons le taux le plus élevé de personnes vivant dans les régions rurales qui sont sous le SFR, et notre population rurale représente environ la moitié de notre population. Comme vous le savez, le SFR peut varier selon la taille de la collectivité. Par exemple, dans des régions très rurales comme à Baie Verte, le SFR peut être d'environ 14 000 $, alors qu'à St. John's, il serait d'environ 20 000 $. Il varie d'une famille à l'autre.
Le sénateur Gustafson : Quelle partie de la pauvreté vient de certaines industries? Par exemple, l'industrie des pâtes et papier a des problèmes; les pêches ont des problèmes. Y a-t-il des domaines dans lesquels la pauvreté est bien plus grande qu'ailleurs?
Mme Jeans : Il est vrai que bon nombre des régions rurales de la province dépendent de la pêche. Par conséquent, l'effondrement de la pêche dans les années 1990 et depuis a des conséquences énormes sur la situation économique dans les régions rurales.
J'ai apporté quelques cartes. Je n'en ai pas 20 exemplaires, mais j'en ai assez pour les sénateurs qui sont ici. Nous avons un secrétariat rural; nous travaillons tous ensemble et essayons d'harmoniser notre travail. Ce secrétariat a étudié les collectivités rurales et selon les indicateurs, a dessiné des cartes présentant celles qui sont à risque et celles qui se portent bien. Je pourrais certainement vous les fournir.
Je ne peux pas vous donner de chiffres précis tout de suite, mais il est indéniable que les régions rurales où la subsistance dépend de la pêche sont gravement touchées. On entend constamment parler de personnes qui doivent déménager pour trouver du travail. Ce n'est pas très différent de ce que nous avons toujours connu, mais le nombre de jeunes qui partent inquiète énormément beaucoup de collectivités. Nous constatons un grave déclin de la population dans beaucoup de régions rurales.
Le secrétariat rural s'efforce surtout de rassembler les gens des régions rurales autour de considérations à long terme sur l'endroit où ils veulent passer les dix prochaines années et les pousse à travailler ensemble pour élaborer une stratégie afin d'assurer la viabilité de leur région.
Le sénateur Gustafson : Quel est le salaire minimum?
Mme Jeans : Sept dollars l'heure.
La présidente : À titre indicatif, je devrais peut-être vous dire d'où viennent les sénateurs. Je viens de l'Alberta. Les sénateurs Gustafson et Peterson viennent de la Saskatchewan. Le sénateur Mahovlich vient du Nord de l'Ontario. Le sénateur Callbeck, bien sûr, vient de l'Île-du-Prince-Édouard, et le sénateur Mercer, qui était ici, vient de la Nouvelle- Écosse.
Le sénateur Peterson : Je vous remercie de votre exposé de ce matin. Il ne fait aucun doute que voilà une entreprise très ambitieuse et louable de votre part et que vous semblez l'attaquer de front.
Ce document a été déposé en juin dernier, n'est-ce pas?
Mme Jeans : Oui.
Le sénateur Peterson : Vous mentionnez ici que les recherches et le travail d'élaboration de politiques avec les intervenants se poursuit. Comment ce travail progresse-t-il? Ces activités se poursuivront-elles toujours ou essaierez- vous de définir les paramètres et d'établir un modèle tôt dans vos études?
Mme Jeans : Dans le document, nous mentionnons devoir approfondir nos recherches dans quelques domaines, comme sur la population des 55 à 64 ans, pour essayer de comprendre pourquoi la pauvreté est si grande chez elle. Nous envisageons d'étudier les incidences des programmes de tout le gouvernement et d'améliorer nos outils de travail. Nous avons déjà commencé. Il y a quelques programmes du gouvernement qui sont axés sur les besoins. L'un de nos engagements consiste à étudier les critères d'admissibilité et à essayer de les harmoniser; nous avons déjà commencé.
Nous avons également commencé à établir les indicateurs et allons les présenter cette année, afin de fixer les paramètres.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Peterson : C'est un bon début. Merci.
Il est écrit dans votre rapport qu'un faible degré de scolarité peut être une cause de pauvreté. De nos jours, un faible niveau d'alphabétisation est presque un gage de pauvreté. Quelles sont les incidences des compressions budgétaires récentes dans le financement des programmes d'alphabétisation sur vous? De toute évidence, c'est un facteur très important.
Mme Jeans : Il est important, et ces compressions ont été annoncées à la fin de l'année dernière. Notre ministère provincial de l'Éducation s'est penché sur leurs incidences, parce qu'évidemment, ces fonds finançaient beaucoup de programmes d'alphabétisation. Par conséquent, le ministère est en train de déterminer comment il est touché et ce qu'il fera pour y réagir, pour combler l'écart. Je pense que la ministre a écrit à son collègue fédéral pour lui faire part de ses préoccupations à cet égard. Il ne fait aucun doute que l'alphabétisation est fondamentale, non seulement pour mener à l'éducation postsecondaire, mais également pour favoriser la participation générale à la vie quotidienne et à la citoyenneté, notamment pour permettre aux gens de lire des prescriptions et de comprendre des directives sur l'utilisation de médicaments.
Il y aura des incidences. Notre ministère de l'Éducation va déterminer quoi faire pour combler l'écart.
Le sénateur Peterson : C'est si important que je suppose qu'on voudrait leur envoyer un exemplaire de ce rapport et souligner le paragraphe.
Mme Jeans : Nous l'avons fait parvenir aux huit ministres qui siègent au comité ministériel. Bien que ce soit notre ministre qui a la responsabilité première, chacun doit s'approprier considérablement ce rapport. Ils font tous partie des forces et des ingrédients clés de la réussite de cette stratégie. Les ministres provinciaux, dont le ministre des Finances et le ministre de l'Innovation, du Commerce et du Développement rural, qui est notre lien avec l'aspect économique et les autres ministères à vocation sociale, se sont engagés à procéder de concert, comme il le faut. Je crois qu'ils ont envoyé des exemplaires de ce rapport à leurs homologues fédéraux.
Le sénateur Peterson : Vous avez l'intention de mesurer votre succès en termes quantifiables, et je pense que c'est très important. Comment les choses avancent-elles? Avez-vous confiance d'obtenir des résultats que vous pourrez mesurer et qualifier?
Mme Jeans : Oui. Étant donné que nous nous sommes engagés à nous concentrer sur le faible revenu, nous allons nous pencher sur le SFR et les mesures de la pauvreté fondées sur un panier de consommation. Le bureau de statistique de Terre-Neuve-et-Labrador est en train d'élaborer des mesures de la pauvreté fondées sur un panier de consommation, qui nous permettront d'évaluer ces mesures au sein des collectivités ou des régions. Il importe de prévoir des mesures à court terme pour évaluer les progrès en cours de route, comme le taux d'alphabétisation, le niveau de scolarité et le reste. Nous devrons rendre compte de notre engagement à mesurer les résultats.
Le sénateur Peterson : Je vous souhaite bonne chance. Ce pourrait être un modèle pour les autres provinces qui essaient de lutter contre le même problème.
La présidente : De plus, il y a eu une série d'audiences assez enlevantes au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur l'alphabétisation. Nous avons notamment eu l'occasion d'entendre le témoignage remarquable d'apprenants de diverses parties du Canada. L'un des témoins les plus exceptionnels était un jeune homme de St. Johns, à Terre-Neuve, qui n'avait à peu près aucune compétence de base en lecture et en écriture et qui est aujourd'hui un très bon étudiant à l'Université Memorial. Cela porte fruit, c'est possible, mais il faut en faire beaucoup plus. Nous nous soucions beaucoup de cette réalité nous aussi.
Le sénateur Mercer : Je suis d'accord avec le sénateur Peterson : c'est un modèle que d'autres provinces pourraient suivre, et j'espère que les gens de la Nouvelle-Écosse y prêtent attention.
Je suis assez impressionné par les sommes prévues dans le budget de 2006-2007. Vous avez dit qu'on avait promis 30 millions de dollars et plus de 60 millions de dollars par année ensuite. C'est beaucoup d'argent pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador, comme pour n'importe quelle province.
Qu'est-ce qui motive cet investissement sur le plan financier? Est-ce votre réussite à Hibernia et le potentiel de Voisey's Bay? D'où cela vient-il? En tant que Néo-Écossais, également signataire de l'Accord Atlantique, je m'inquiète de rumeurs que le gouvernement actuel puisse ne pas honorer l'accord, ce qui aurait de grandes incidences tant sur Terre-Neuve-et-Labrador que sur la Nouvelle-Écosse.
L'argent de l'accord d'Hibernia est-il à la source de votre motivation?
Mme Jeans : Le ministre des Finances pourra vous en parler plus en détail. Cependant, nous sommes vraiment contents que le gouvernement investisse ainsi, parce que ce n'est pas toujours possible. Je crois donc que lorsque le premier ministre et le cabinet ont pris leurs décisions budgétaires, cet enjeu a été perçu comme une priorité pour l'investissement des fonds disponibles dans la province. Pour ce qui est de leur source, c'est l'augmentation des revenus de l'industrie pétrolière qui se fait sentir et nous donne accès à des fonds supplémentaires.
Le sénateur Mercer : Si l'industrie pétrolière ne générait pas de revenus et que vous n'aviez pas signé l'Accord atlantique, nous n'aurions probablement pas cette conversation. Nous l'aurions peut-être, mais nous n'aurions pas l'argent pour vous permettre de réaliser vos projets.
Mme Jeans : Je pense qu'il s'agit aussi de déterminer quelles sont les priorités quand les ressources sont peu abondantes et de juger où il vaut mieux investir. C'est tout ce que je peux vous dire sur les décisions du gouvernement.
Le sénateur Mercer : Voici la principale question que j'ai à vous poser à l'écoute de votre exposé : quels sont les résultats mesurables? J'aime beaucoup ce dont vous nous parlez, et tout semble extrêmement bien planifié. J'ai toutefois de la difficulté à déterminer comment vous allez mesurer les résultats concrètement. Quand mesurerez-vous les résultats pour la première fois en fonction des résultats escomptés?
Mme Jeans : Nous nous sommes engagés pour dix ans, et comme la pauvreté est un problème très complexe, nous favorisons une démarche à long terme. Cependant, les gens n'attendront pas dix ans pour déterminer si nous avons réussi. Il y aura diverses mesures et divers indicateurs pour chacun des buts. Les grands outils de mesure seront le SFR, le nombre de personnes qui se situent en deçà de ce seuil, de même que d'autres variables comme les valeurs subrogatives pour évaluer le nombre de personnes inscrites à des programmes d'études postsecondaires, au soutien du revenu et ailleurs. Nous allons publier notre premier rapport d'étape en 2008. Nous terminons à peine notre première année d'investissement.
Le sénateur Mercer : Est-ce que ce sera à la fin de 2008 ou à la fin de l'année financière de 2008?
Mme Jeans : À un moment donné en 2008. Ce pourrait être en juin 2008. Je dis juin, mais je lance une date en l'air.
Le sénateur Mercer : D'accord, je ne vous en tiendrai pas rigueur.
Mme Jeans : Nous allons alors publier un rapport. D'ici là, évidemment, nous aurons établi les indicateurs en fonction desquels nous ferons rapport le moment venu, de même que ce que nous avons fait et les investissements que nous avons faits. Nous sommes en train d'examiner quels investissements nous allons proposer pour la période budgétaire de 2007. Pour améliorer le sort des gens autant que nous nous y sommes engagés, nous devrons investir considérablement pendant une certaine période, non seulement pour prévenir la pauvreté à long terme, mais également pour faire augmenter le revenu des gens.
Le sénateur Mercer : Nous attendrons le premier rapport avec impatience; nous nous doutons que ce premier rapport ne sera peut-être pas le meilleur, mais il nous donnera au moins une idée du degré de réussite de cette entreprise.
La semaine dernière, nous avons reçu des témoins de l'Atlantic Institute for Market Studies, l'AIMS. Ils nous ont communiqué le message ou ont essayé de communiquer le message au gouvernement, et je cite, que : « Il est essentiel que les dirigeants politiques, à tous les paliers, ne mettent pas d'obstacles en place[...] » C'est ce qu'ils nous ont dit sur les moyens de réduire la pauvreté au Canada, tant en région rurale qu'urbaine. Quelle est donc l'attitude du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador à cet égard?
Mme Jeans : Nous ne pouvons qu'examiner les causes de la pauvreté et ce qu'il faut faire pour y remédier. Le gouvernement doit agir sur certains plans, comme en éducation et en santé. Le gouvernement de Terre-Neuve-et- Labrador a divers outils stratégiques pour améliorer son développement économique ainsi que le climat de développement économique. Chacun de nous essaie de rendre les autres stratégies efficaces plutôt que de faire cavalier seul. Le mot d'ordre, c'est que nous travaillons tous dans nos sphères de compétences. Le gouvernement travaille en partenariat stratégique avec les entreprises et les syndicats pour discuter des grands enjeux de la province et de ce qu'il faut faire pour y remédier. Par conséquent, nous travaillons ensemble afin de comprendre les problèmes de différentes perspectives, particulièrement sous l'angle du développement du marché du travail, pour répondre aux besoins futurs.
Je pense que le gouvernement a un rôle à jouer et qu'il est responsable de la prestation de services essentiels. Nous essayons de définir ce rôle, et le gouvernement entend privilégier ce type d'option stratégique à long terme.
Le sénateur Callbeck : Je suis tout à fait d'accord avec les bons mots que les autres sénateurs ont eus sur votre stratégie. Elle est ambitieuse : dix ans pour que votre province ne soit non plus la pauvre, mais la moins pauvre. Je vous en félicite. Il est fantastique que vous comptiez mesurer vos progrès de votre mieux et faire rapport tous les deux ans. Nous avons hâte de voir le premier rapport.
Votre document comporte différentes sections, dont l'une porte sur la collaboration avec le gouvernement fédéral. Je voulais vous interroger sur certains de ces outils de mesure. Vous dites vouloir créer une nouvelle entente sur le développement du marché du travail qui répondrait mieux aux besoins de la population de Terre-Neuve-et-Labrador. Pouvez-vous me donner des exemples de ce que vous voulez dans cette nouvelle entente et que vous n'avez pas maintenant?
Mme Jeans : Le conseil des ministres du marché du travail parle de l'Entente sur le développement du marché du travail, et comme vous le savez, différentes provinces ont différentes ententes. Certaines provinces délèguent la responsabilité des ententes sur le développement du marché du travail; d'autres optent pour la cogestion. Notre province a signé une entente de cogestion. Les fonds octroyés dans le cadre de cette entente sont investis dans le développement des compétences et les mesures favorisant le développement du marché du travail. Ils aident les personnes admissibles à l'assurance-emploi ou celles qui y ont déjà été admissibles. Ainsi, il y a des gens qui ont déjà touché toutes leurs prestations d'AE, mais qui demeurent admissibles pendant quelques années. Ces personnes ont le statut d'anciens prestataires réadmissibles.
L'un des éléments clés pour notre province, c'est la marge de manœuvre que nous gagnons pour aider d'autres groupes, comme les personnes sous-employées, c'est-à-dire les personnes qui travaillent, mais qui doivent parfaire leurs compétences, ainsi que les personnes qui reçoivent du soutien du revenu ou qui ne font pas du tout partie de la population active. Je ne peux vous en parler que d'une manière générale, parce que c'est un autre groupe qui participe à cette tribune fédérale-provinciale-territoriale. La clé de la collaboration avec le gouvernement fédéral, c'est de travailler sur tous les fronts auxquels nous participons pour faire avancer les projets dont il est question ici pour améliorer soit l'accès aux services ou répondre à des besoins particuliers.
L'Entente sur le développement du marché du travail rapporte un peu plus de 130 millions de dollars à la province chaque année. Une bonne partie de cette somme est investie dans le développement des compétences et comme je l'ai dit, sert à financer d'autres programmes visant à développer le marché du travail. Cependant, il y a des gens qui n'ont pas accès à ces fonds. D'une perspective provinciale, nous n'aurions certainement pas autant d'argent à investir sans cette entente. Par conséquent, elle accroît notre pouvoir d'aplanir de grands obstacles qui ont toujours empêché certaines personnes d'avoir accès à ces fonds.
Le sénateur Callbeck : En gros, vous voulez accroître l'admissibilité.
Mme Jeans : Nous souhaitons avoir une plus grande marge de manœuvre tant pour accroître l'admissibilité que pour varier les mesures que nous prenons pour adapter le marché du travail à nos besoins.
Le sénateur Callbeck : Vous parlez également d'améliorer les programmes et les services offerts aux personnes handicapées. Connaissez-vous bien cet aspect?
Mme Jeans : Oui, je le connais bien. Comme toutes les provinces, nous avons des programmes pour les personnes handicapées. Notre ministère met surtout l'accent sur les outils visant à aider les personnes handicapées qui veulent travailler. Nous travaillons en partenariat avec le gouvernement fédéral dans l'Entente sur le développement du marché du travail pour les personnes handicapées. Cette entente prendra fin le 31 mars prochain, mais elle vient d'être prolongée d'un an.
Les collaborateurs fédéraux-provinciaux-territoriaux ont étudié les avantages que les personnes handicapées pourraient tirer de mesures d'aide à l'emploi, mais également de mesures générales pour les aider à participer à la société et à améliorer leur revenu. Les fonctionnaires ont fait beaucoup de recherches sur les moyens d'améliorer le revenu de ces personnes, parce qu'il y a plus de personnes pauvres parmi les personnes handicapées que dans la population en général. Les personnes handicapées sont également moins susceptibles de participer au travail. Par conséquent, nous collaborons avec le gouvernement fédéral en vue d'améliorer les mesures d'aide au travail, de même que les mesures visant à améliorer la stabilité du revenu. Nous n'avons pas encore déterminé quelles seraient la marche à suivre et l'orientation avec le gouvernement fédéral actuel.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais vous poser une question sur le microcrédit, parce que c'est un sujet qui revient souvent. J'ai participé au groupe de travail du premier ministre, lorsque nous avons fait le tour du Canada en 2003. Nous avons fréquemment entendu dire, surtout par les femmes des régions rurales, que le microcrédit serait très important pour elles, qu'elles pourraient obtenir un prêt de 500 $ et démarrer leur propre petite entreprise. La moitié des entrepreneuses du Canada d'aujourd'hui viennent des régions rurales. Les statistiques montrent que les femmes font d'excellentes administratrices de petites entreprises. Avez-vous songé au microcrédit dans ce plan?
Mme Jeans : Ce n'est pas prévu dans le plan. Il pourrait toutefois y avoir un croisement avec les méthodes de développement économique, parce que bien sûr, pour réduire la pauvreté, nous voulons que les gens aient des emplois payants. Je ne suis pas certaine qu'on a étudié la question et je ne sais pas ce qui se fait à cet égard actuellement. Je sais que pour les clients du soutien du revenu, il existe un programme visant à aider les personnes qui veulent créer leur propre emploi et qu'il y a un programme de microcrédit pour eux. Cependant, je pourrais certainement vérifier s'il y a ou non des programmes offerts, si cette possibilité a été envisagée, particulièrement pour les femmes, et faire parvenir la réponse à la greffière du comité.
Nous avons un organisme d'entrepreneuses qui s'appelle la Newfoundland and Labrador Organization of Women Entrepreneurs. Je me rappelle vaguement qu'elles ont peut-être un petit programme de microcrédit, mais je ne pourrais pas vous le dire avec certitude.
Le sénateur Callbeck : Je suis surprise qu'il n'y ait pas plus de mesures de développement économique dans ce plan.
Mme Jeans : Je pense que nous avons délibérément décidé de ne pas mettre l'accent là-dessus parce que ce plan ne doit pas tout représenter pour tout le monde, il doit plutôt s'ajouter à la stratégie de développement économique du gouvernement. Il y a un groupe de travail sur les compétences; nous avons préparé un document de travail sur l'éducation postsecondaire et il y a une stratégie de diversification de l'économie rurale. Ce plan vise donc à se conjuguer aux stratégies qui sont déjà en place ou qui sont en cours d'élaboration.
Vous avez raison, et partout dans la province, on nous parle de l'importance du développement économique et des emplois, des emplois qui offrent un salaire décent et qui se trouvent près des collectivités. C'est primordial pour réduire la pauvreté.
Le sénateur Mahovlich : Je viens du Nord de l'Ontario. Il y a quatre ans, je crois, mais ce pourrait être il y a 15 ou 16 ans, je faisais du rafting dans un petit village du nom d'Ogoki, dans le Nord de l'Ontario, à environ 400 milles au Nord de Timmins. Je me suis trouvé pris et j'ai dû rester là quelques jours. C'était un village autochtone, et les gens qui travaillaient aux conduites d'égout et à la plomberie venaient de Terre-Neuve. J'ai eu beaucoup de plaisir pendant trois jours avec eux. Je me demandais si c'était toujours d'actualité, si les gens de Terre-Neuve partaient encore dans d'autres provinces pendant les périodes de pointe du travail. Y a-t-il un exode de travailleurs?
Mme Jeans : Oui, sénateur, cela a toujours été le cas. Certains de nos concitoyens partent travailler ailleurs. Jadis, nos pêcheurs remontaient la côte du Labrador pendant la saison de la pêche, puis revenaient. Nous nous inquiétons du fait qu'il y a de plus en plus de personnes qui quittent la province et plus particulièrement de l'incidence de l'effondrement de la pêche, dans les années 1990, et du pouvoir d'attraction de l'Ouest, qui offre des emplois très payants. Beaucoup de gens déménagent pour se trouver du travail. Il y a différents arrangements : certaines personnes font la navette entre l'Ouest et ici, et d'autres déménagent avec leur famille jusqu'à Fort McMurray ou ailleurs. Dans les années 1950 et 1960, beaucoup de gens allaient vers le centre de l'Ontario aussi. Le nombre de personnes qui déménagent, qui partent surtout des régions rurales pour se trouver du travail augmente énormément.
Le sénateur Mahovlich : Par conséquent, il n'y a pas d'immigration dans cette province depuis quelques années. Quelle est la situation sur le plan de l'immigration? Je sais que les gens semblent déménager vers les villes. On observe le même problème en Europe. Est-ce que tout le monde se dirige vers St. John's, à Terre-Neuve, ou tous les immigrants sont-ils attirés par les villes? N'y a-t-il plus personne qui déménage en région rurale?
Mme Jeans : Partout dans la province, il y a migration vers les grands centres régionaux.
Le sénateur Mahovlich : Oui, vers Grand Falls.
Mme Jeans : Effectivement, Grand Falls, Gander, Corner Brook et ainsi de suite. La population terre-neuvienne migre vers la ville. Nous avons effectivement des personnes qui viennent à Terre-Neuve pour travailler, particulièrement dans l'industrie du pétrole. En réalité, le gouvernement est en train d'élaborer une stratégie d'immigration qui l'aidera à régler certaines pénuries de main-d'œuvre. Depuis plusieurs années, des médecins et d'autre personnel médical viennent s'installer à Terre-Neuve pour travailler dans le domaine de la santé, mais nous cherchons à nous doter d'une approche plus stratégique visant à attirer des étrangers qui viendraient travailler et s'établir dans la province.
Le sénateur Gustafson : J'ai une question concernant le transport, et je ne parle pas du transport pour se rendre d'un emploi à l'autre dans la province, mais plutôt du transport dans un sens plus général. Vous avez accès à la mer. Étant moi-même de la Saskatchewan, je sais qu'un des plus gros problèmes dans cette province est que nous sommes enclavés à l'intérieur des terres. Pour expédier quoi que ce soit via un port de Vancouver ou par les Grands Lacs, il faut le transporter sur 1 500 et 2 000 milles. Il me semble que votre accès direct à la mer devrait être un atout de taille. Est-ce plutôt Halifax qui en profite vraiment par rapport à tous les autres ports?
Mme Jeans : Le transport est effectivement problématique.
Le sénateur Gustafson : Je parle de transport. Par exemple, pour expédier des pommes de terre, il me semble que d'avoir accès direct à la mer est très avantageux. C'est du moins ainsi que quelqu'un de la Saskatchewan verrait les choses parce que nous sommes si coincés dans l'intérieur des terres que nous devons transporter nos marchandises jusqu'aux frontières. Le transport est si coûteux qu'à la fin, il ne reste plus rien. Comment cela fonctionne-t-il ici ou le port d'Halifax occupe-t-il toute la place? Avez-vous des ports en eaux profondes?
Mme Jeans : Le transport est toujours effectivement un problème dans les régions où la population est clairsemée, à la fois pour le transport passagers et pour le transport marchandises. Le coût de transport des marchandises jusque dans la province en passant par un des grands ports est plus élevé; ce qui coûte le plus cher, c'est le transport par camions qui franchissent le golfe à Port aux Basques ou par porte-conteneurs jusqu'à St. John's. Le résultat, c'est que les marchandises coûtent plus cher.
Par conséquent, on n'a pas vraiment accès à la mer, et il faut faire le transport par camion. Nous n'avons pas plus accès à la mer que vous.
Le président : Je vous remercie beaucoup, et nous vous sommes très reconnaissants d'être venue témoigner. Vous transmettrez nos salutations au ministre.
Mme Jeans : Je le ferai. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à partager avec vous ce que nous faisons en matière de stratégie.
Le président : Chers collègues, nous allons maintenant assister à un véritable tour de force. Nous avons eu des pépins. Un des témoins est malade et l'autre, incapable de venir témoigner. Toutefois, nous avons réussi à trouver deux personnes qui feront d'excellents témoins. Je vous demanderais donc d'accueillir Colleen Kennedy, directrice exécutive de l'Association coopérative de Gros Morne. Elle représente aussi le Secrétariat rural de Corner Brook-Rocky Harbour. Doris Hancock, du Western School Board Partnering Committee, et Sean St. George, directeur exécutif du RED Ochre Regional Board Inc., vont aussi se joindre à nous. Ensemble, ils vont former notre nouveau groupe de témoins.
Colleen Kennedy, directrice exécutive, Gros Morne Cooperating Association : Bonjour. Je suis directrice exécutive de l'Association coopérative de Gros Morne, un groupe d'« amis du parc ». De plus, à titre bénévole, je préside le Secrétariat rural de Corner Brook-Rocky Harbour et je suis une ex-présidente du RED Ochre Regional Board, organisme pour lequel travaille M. St. George. Je travaille donc dans le secteur socioéconomique de l'Ouest de Terre-Neuve et au sein d'un conseil provincial de secrétariat rural depuis 12 à 15 ans.
Il faudra m'excuser, mais je n'ai pas fait mes devoirs. Je n'ai pas préparé de déclaration officielle. Je vais vous décrire la situation telle que je la connais et, si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'interrompre.
Commençons par parler d'économie. Nous avons toujours eu le sentiment d'avoir des ressources en abondance à Terre-Neuve. Toutefois, nous n'en avons pas tiré le parti le plus avantageux en les vendant sous forme de matières premières, et nous ne sommes jamais passés à l'étape de la transformation secondaire pour essayer d'en tirer le maximum. Ce fut là notre faiblesse en réalité, mais nous estimons être maintenant engagés dans la bonne voie. Une grande partie de notre problème réside dans le fait que nous n'avons pas fait de planification à long terme. Nous avons réagi aux situations plutôt que d'être proactifs et de planifier. Nous nous améliorons, et cela a représenté un changement vraiment important pour nos régions rurales parce qu'il a fallu attendre l'effondrement des pêches durant les années 1990 pour comprendre qu'il fallait penser à plus long terme.
Parlons maintenant de connectabilité. Du Rural Secretariat, nous avons dû repérer les sources de changement pour nous en l'an 2020. Nous avons passé en revue tous les dossiers, et chaque fois, nous constations que nous sommes la seule province du Canada qui n'est pas directement reliée au continent, ce qui nous oblige à recourir aux traversiers et au transport aérien.
Le président : Vraiment?
Mme Kennedy : Nous avons besoin d'une liaison directe qui nous confère un meilleur atout sur la concurrence commerciale. Nous estimons que nous pourrions ainsi accroître nos débouchés commerciaux et faire en fait un saut dans le futur. Et s'il y a une chose qui pourrait changer notre réalité, surtout dans les régions rurales, ce serait la connectabilité.
L'autre grand défi auquel nous faisons face est le caractère saisonnier des emplois. Une grande partie de notre industrie est axée sur les ressources, par exemple la pêche et l'exploitation forestière. Ce sont des secteurs très saisonniers. Nous avons une industrie touristique également, mais elle est aussi saisonnière. Beaucoup d'emplois paient peu, ce qui oblige les gens à s'inscrire à des programmes d'assurance-emploi durant l'hiver, ce qui n'est pas vraiment une façon de vivre.
Pour ce qui est de nos ressources humaines, il n'y a pas beaucoup de Terre-Neuviens de moins de 30 ans qui habitent dans nos localités de l'Ouest de Terre-Neuve et qui y élèvent des enfants, phénomène commun à toute la province. Cela a eu un impact sur notre santé et notre éducation. Les inscriptions à l'école ont baissé au point où nous offrons souvent maintenant un programme d'études de base. Les enfants des régions rurales de Terre-Neuve n'ont pas accès à beaucoup de programmes dans le domaine scientifique, et 80 p. 100 environ des membres de nos collectivités suivent essentiellement le programme d'études de base.
La santé est notre plus grand défi. Nous avons une population vieillissante. Nos ressources humaines et nos professionnels baissent en nombre, alors que le vieillissement de la population accroît les dépenses et fait augmenter la demande de services. Il nous a été très difficile de reconnaître que nous avons moins d'argent pour assurer les mêmes services.
Nous en venons maintenant à la régionalisation, qui devient un autre fardeau pour les Terre-Neuviens des régions rurales parce qu'ils doivent maintenant se déplacer sur les routes pour chaque rendez-vous. Ils doivent se rendre à Corner Brook ou à St John's pour un tomodensitogramme, pour un test de résonnance magnétique, pour de la dialyse, pour une foule de services que d'autres tiennent peut-être pour acquis. Ainsi, la naissance d'un enfant — un très grand événement — signifie que la mère doit se déplacer pendant trois à quatre heures pour accoucher.
De nombreux problèmes ont eu une influence sur la situation générale et sur nous; tout est relié. Nous avons constaté, lorsque nous avons essayé de dresser un plan à long terme, que les programmes et la politique dataient déjà de plusieurs années et qu'il fallait les changer pour répondre aux nouveaux besoins de la population. Cela ne peut se faire qu'avec la participation de la population et des localités. C'est là quelque chose à laquelle nous tenons beaucoup.
Mme Jeans vous a parlé tout à l'heure du programme relatif aux médicaments. Nous avons toujours discuté de la manière d'améliorer le sort des travailleurs à faible revenu et d'intégrer les sans-emploi à la population active, de réduire leur dépendance à l'égard des programmes sociaux. Cependant, nous en revenons toujours au même problème : s'ils gagnent sept dollars de l'heure, ils perdent tous les avantages relatifs aux médicaments et l'accès aux soins de santé gratuits. Il n'y a donc pas d'incitatif à travailler. Nous avons besoin d'un système à échelle mobile dans le cadre duquel on peut travailler et gagner un certain revenu tout en conservant ces avantages, ce qui encouragerait les gens à se trouver de l'emploi.
La question posée par le sénateur Mercer, je crois, était de savoir où trouver les moyens de le faire? Or, nous n'avons pas les moyens de ne pas le faire parce que, si l'on fait le calcul sur une période de 20 ans, il est moins coûteux de réintégrer les gens à la population active, sur le plan des programmes sociaux à long terme. À court terme, effectivement, il semble qu'on se paie un gros luxe, mais à longue échéance, je crois que c'est notre seule option.
Nous avons aussi mis sur pied des programmes fédéraux, comme des programmes de création d'emplois. Nous sommes allés dans les collectivités, qui les perçoivent comme une forme de charité sociale. Le travail est utile, mais ce ne sont pas des gains assurables. Chaque employeur de la province doit offrir une rémunération assurable. Avec la création d'emplois — qui relève désormais de centres de Service Canada —, les employeurs peuvent embaucher quelqu'un et créer de l'emploi pour 12, 14 ou 16 semaines, mais, en bout de ligne, ces travailleurs ne sont pas admissibles à un programme. Dans la région rurale de Terre-Neuve, ce n'est pas une question d'aller se trouver un autre emploi pour les 20 à 30 semaines suivantes ou jusqu'à ce que la saison débute, au printemps.
Le plus gros problème, selon moi, est de convaincre les collectivités de se mobiliser et de faire partie de la solution. Il est impossible de concevoir une politique universelle; elle ne s'adapte pas à toutes les situations. La politique doit être suffisamment souple pour répondre aux besoins régionaux. La régionalisation est une bonne chose, mais il faut aussi être attentif aux besoins locaux et à la façon d'offrir le meilleur service dans les localités en fonction des ressources dont nous disposons.
C'est donc ainsi que je vois la situation. C'est probablement une vue en plongée.
Doris M. Hancock, Planification régionale du partenariat, Corner Brook-Rocky Harbour Region Rural Secretariat : Je vous remercie vivement de m'avoir invitée à venir vous décrire certains de nos travaux. Je suis chargée de la planification régionale pour le Rural Secretariat, et Mme Kennedy est l'une de mes coprésidents. En 2004, la province a été divisée en neuf régions dotées de dix planificateurs et, en réalité, notre mandat était d'examiner la planification à long terme, dans ses dimensions sociale, économique, environnementale et culturelle. Le travail que j'effectue ici même avec de nombreux partenaires locaux tombe en réalité dans la catégorie sociale et, si vous tenez compte de l'indice de durabilité national, il relève, je suppose, du développement du capital humain.
La priorité numéro un au départ n'était pas la pauvreté. Le partenariat est plutôt venu du fait que certaines collectivités estimaient que leurs enfants, lorsqu'ils commençaient à fréquenter l'école, n'étaient pas là suffisamment longtemps pour assurer leur réussite et pour progresser d'année en année, ce qui les désavantageait. Elles ont donc commencé à s'inquiéter, et de là est venue l'idée du partenariat.
Le document que j'ai préparé relève en réalité de votre mandat du fait que vous devez examiner la dimension et l'ampleur du phénomène de la pauvreté rurale et les principaux facteurs du manque de débouchés pour les Canadiens ruraux et présenter des recommandations en vue de les atténuer.
Au sein du conseil scolaire, notre partenariat consistait à rassembler les organismes gouvernementaux et communautaires et à former une tribune pour en arriver à une solution. Quand nous avons commencé nos travaux, nous nous sommes servis de ce que le gouvernement provincial avait élaboré en termes de comptes communautaires. J'ignore si vous en connaissez le principe. Il s'agit d'un énorme système de données sur le Web qui regroupe des indicateurs sociaux, économiques et environnementaux auxquels le grand public a accès et qui peut vraiment être utilisé par n'importe qui, allant du commerçant à un organisme de planification sociale. Toute notre activité a été éclairée tout au long, et nous avons eu recours à des étudiants de niveau de maîtrise pour faire la recherche et nous guider.
Notre première initiative a été d'examiner les localités et les écoles ici, et nous avons repéré une école en particulier qui avait plus de besoins liés à un manque de ressources. On y voyait entrer des enfants en provenance de plus petites localités qui étaient aux prises avec une foule de problèmes sociaux. Il y avait un grand nombre de références au service de protection de l'enfance. Bon nombre de ces cas n'en étaient pas vraiment au point où la société d'aide à l'enfance devait intervenir, mais il y avait certes beaucoup d'échanges au sujet de ce qui arrivait à des enfants et à des familles de nos localités.
À partir de là, nous avons établi qu'il fallait à l'école un intervenant social pour faire le lien avec les enfants et améliorer le rendement scolaire, la vie familiale et la vie collective. Vous allez peut-être croire qu'il s'agit-là d'un service courant dans la plupart des écoles au Canada, mais nous étions une des deux provinces qui n'avaient jamais eu d'intervenant social à l'école, et, là où il y en avait, ils étaient chargés de protection de l'enfance, plutôt que de prévention. Nos efforts ont visé à vraiment y faire de la prévention et à repérer tôt les problèmes de manière à établir une certaine présence tôt dans la vie des enfants et dans celle de leurs familles.
Nos travaux ont permis de créer un poste de prévention exclusivement. Nous l'avons fait au moyen de fonds réservés à la mobilisation communautaire en provenance du ministère de la Justice du Canada. À partir de là, nous avons pu évaluer le poste et établir certains indicateurs de base.
Dans le rapport, vous pourrez voir les indicateurs que nous avons utilisés et constater qu'ils étaient inférieurs à ceux que suivait la province. Nous avons assuré un suivi de la présence à l'école, des retards, de l'absentéisme et du comportement et, à partir de ces données, nous avons constaté, dans une seule école, que le groupe qui présentait le plus de problèmes d'absentéisme était celui de la maternelle. Si ces enfants ne vont pas à l'école, comment peuvent-ils apprendre à être des citoyens productifs? Nous avons commencé à suivre nos indicateurs avec l'aide de l'intervenant social. L'information fournie dans le document qui vous a été remis ne fait pas de généralisation au sujet des localités, mais elle vous renseignera sur la façon dont nous interprétons ce qui se passe chez nos enfants dès la petite enfance et l'importance des soutiens sociaux.
Nous avons évalué le poste et avons constaté qu'il était très avantageux. Nous avons donc essayé ensuite de comprendre davantage ce qui se passait à l'école. Nous avons alors obtenu accès à un autre niveau de compte communautaire, soit un compte de quartier. Ces données ne sont pas publiques, mais les données statistiques de Terre- Neuve ont permis de repérer 23 secteurs géographiques dans la région de Corner Brook. Par conséquent, nous avons commencé à faire une analyse ou ce que nous appelions alors un « profil de la pauvreté » de la région. Nous avons découvert que, bien qu'on parle souvent de pauvreté comme étant ancrée dans ce quartier-ci ou dans tel autre, elle est en réalité présente partout dans la ville et dans la région. Nous avons repéré cinq secteurs où il y avait beaucoup de familles à faible revenu. Les cinq se trouvaient tous dans le territoire d'une même école avec laquelle nous tentions de travailler. Il n'est pas étonnant que l'école ait connu des difficultés. Elle était soumise à d'énormes pressions pour réagir aux circonstances sociales changeantes et à d'énormes problèmes générationnels.
Nous avons maintenant le profil de la pauvreté et les conclusions qui en résultent. Vous les trouverez dans le rapport. L'importance d'avoir des ressources en matière de prévention pour traiter de la pauvreté au niveau local devient essentielle pour définir les pratiques exemplaires reliées au poste d'intervenant social à l'école. Nous avons repéré des programmes qu'offrent Services à la famille — Canada, par exemple Familles et écoles travaillant ensemble Canada et le programme de traitement accéléré. Nous avons trouvé les ressources pour les mettre en œuvre, mais leur prolongation et durabilité sont très compromises. À l'échelle provinciale, les fonds à se partager en matière d'éducation sont limités. Les avantages des postes d'intervenant social à l'école ont été reconnus pendant de nombreuses années, et il existe des documents à leur appui. Cependant, ce n'est jamais la voie qu'a adoptée la province, et nous espérons que, dans le cadre du processus actuel, nous pourrons éclairer certaines décisions au niveau provincial.
Nos constatations sont très révélatrices. Des commentaires faits par des personnes interviewées — les parents et les principales sources d'information — concordaient énormément avec votre rapport sur la première phase de vos travaux et avec ce qu'a dit l'Organisation nationale anti-pauvreté au sujet de l'exclusion sociale qui résulte de la pauvreté. Nous tentons de trouver une solution locale qui nous permettrait d'atténuer ce problème. Nous savons, par d'autres études qui ont été effectuées ici — l'étude sur la dépendance intergénérationnelle en matière d'assistance sociale — qu'il s'agit d'un problème qui se transmet de génération en génération. Bon nombre des enfants que nous voyons vivent de mesures de soutien du revenu. Il faudra bien des années pour résoudre le problème, et il est fort probable que ces enfants redeviendront des prestataires du soutien du revenu à moins que nous n'adoptions d'autres mesures d'intervention.
J'ai inclus à votre intention certains de ces rapports dans l'annexe au présent document. En ce qui concerne nos initiatives actuelles, comme les partenaires sont si engagés, ils ont pris des fonds régionaux pour soutenir le poste d'intervention sociale à l'école pour les trois prochaines années. Par conséquent, il s'agit d'une collaboration très horizontale au niveau régional en vue de réellement intervenir et d'influencer ce que nous voyons dans la localité.
Du point de vue du comité, nous aimerions beaucoup voir une collaboration accrue entre les gouvernements fédéral et provincial en vue de s'attaquer à la pauvreté — particulièrement à la pauvreté chez l'enfant —, aux services à l'enfance et à des changements fiscaux. Là où on offre des services de prévention dans les provinces qui n'offrent pas le même niveau de service que la plupart des autres, nous aimerions qu'on y voie, pour qu'il y ait plus de nivellement entre les différents services de soutien de l'éducation. Si nous souhaitons avoir un impact sur le développement durable du capital humain, il faut le faire dès maintenant, surtout dans nos collectivités rurales, étant donné que nous vivons tant de changements importants. La période est critique.
Il faut effectuer plus de recherches sur les indicateurs dans les écoles afin de faire le suivi de la collaboration horizontale au sein de notre gouvernement et de nos régions. De plus, nous aimerions réellement voir — pour en revenir aux commentaires de Mme Kennedy — à des solutions plus régionales et plus souples venues des membres des régions rurales qui y participeraient et qui exerceraient un contrôle plus direct sur les ressources afin de régler les problèmes qu'ils constatent. Les solutions issues des centres urbains et des grandes villes canadiennes ne s'appliquent pas toujours à nos localités. Je crois que, si Mme Park avait été ici, elle serait d'accord avec ce que je viens de dire et ce que nous constatons.
Je ne peux pas passer en revue avec vous tout ce qui se trouve dans le document, mais sachez qu'un grand nombre des personnes à très faible revenu auxquelles nous avons parlé savaient qu'elles n'avaient jamais eu beaucoup d'argent ou beaucoup de revenu disponible. Par contre, elles ne se voyaient pas comme vivant dans la pauvreté et estimaient, en grand nombre, qu'elles avaient une vie riche; l'argent n'est pas le seul facteur qui contribue à la qualité de vie. C'était là un très grand facteur déterminant, mais elles n'avaient certes pas l'impression de vivre dans la pauvreté et souhaitaient voir leurs enfants réussir autant que tous les autres parents.
J'ai réuni ces renseignements pour que vous puissiez les examiner et, si vous avez besoin de plus de précision, n'hésitez pas à communiquer avec moi.
Le président : Je vous remercie beaucoup. C'est là le genre d'information dont nous avons besoin dans notre début d'enquête.
Sean St. George, directeur exécutif, RED Ochre Regional Board Inc. (Conseil de développement économique régional) : Honorables sénateurs, bonjour. Le RED Ochre Regional Board est l'un des vingt conseils économiques de Terre- Neuve-et-Labrador. Nous sommes subventionnés par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial en vue de faire du développement économique communautaire partout dans la province. Nous sommes une partie intégrante du réseau d'organismes de développement communautaire de Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Dans d'autres provinces, on en parlerait comme du Programme de développement des collectivités que vous connaissez.
Le RED Ochre Regional Board concentre son activité sur la région de Trout River, qui se trouve au nord de la ville de Corner Brook. Elle inclut le parc et la localité de St. Barbe, soit quelque 400 kilomètres de superficie. Nous sommes donc au service de 34 localités dont la population moyenne est de 264 âmes. Nous évaluons la population totale — donnée qui sera confirmée par Recensement du Canada — à moins de 9 000 actuellement, de 8 800 à peu près, à cause d'une baisse de la population, qui était de 13 000 environ il y a quelques années. En effet, notre population a baissé de 26 p. 100.
En tant que conseil, nous avons mis l'accent sur des éléments clés du développement économique communautaire, du développement des ressources humaines, du développement d'entreprises de commercialisation, de l'infrastructure, de la politique et de l'intégrité ou de la durabilité environnementales. Dernièrement, nous avons fait beaucoup de travaux de R-D parce que les défis auxquels nous sommes confrontés sont beaucoup plus exigeants que nous l'avions prévu au fil des ans, et nous y travaillons fort.
Les secteurs auxquels nous avons travaillé, particulièrement dans notre zone d'activité, sont la foresterie, la pêche et le tourisme. Nous avons connu certains succès. En 1992, le tourisme a rapporté quelque 10 millions de dollars et fait travailler 380 personnes dans la région. Actuellement, il représente une économie de 35 millions de dollars qui emploie plus de 1 300 travailleurs. Il faut en attribuer le crédit au gouvernement fédéral et à la province, à Parcs Canada et à de nombreux groupes qui se sont réunis pour utiliser nos actifs comme tremplin une fois qu'a été décrété le moratoire sur la pêche de la morue.
Nous habitons dans la région du Canada habitée depuis le plus longtemps par l'être humain, soit sur plus de 5 000 ans. C'est chez nous que se sont établis les Vikings il y a 1 000 ans. Pleins d'Européens, de Français, d'Irlandais, d'Écossais et d'Anglais notamment, se sont établis chez nous. Nous avons une riche histoire dont nous sommes fiers. Les gens aiment vraiment leur localité. Nous constatons que ceux qui doivent la quitter trouvent cela très pénible. C'est une chose que d'aller à Fort McMurray pour travailler, mais c'en est une autre de quitter sa famille ou de renoncer à son mode de vie.
Nous, en tant que conseil, avons pris certaines mesures que je vais vous énumérer sous six rubriques. Ainsi, nous avons fait du développement de ressources humaines. Au fil des ans, avec le soutien de Service Canada, nous avons fait beaucoup de travail d'alphabétisation. Nous en étions le promoteur local. Ce programme a maintenant pris fin, mais 40 p. 100 de notre population continuent d'être incapables de lire et d'écrire, de sorte que nous poursuivons notre réflexion sur ce qu'il faut faire à cet égard.
Nous faisons aussi de la commercialisation dans les entreprises. Je dois dire que les programmes fédéraux et provinciaux sont excellents. Nous avons été témoins d'une baisse marquée de l'activité dans le secteur des pêches et de l'exploitation forestière, mais nous avons eu recours à des programmes et à des services pour développer de la variété, pour mettre en relief les actifs des parcs nationaux et des lieux historiques nationaux de la région, soit les emplacements autochtones de Port au Choix et de Bird Cove et la beauté du parc national Gros Morne.
En matière d'infrastructure, nous avons reçu un appui très solide de deux ordres de gouvernement pour la construction d'autoroutes, de nouvelles écoles et de deux nouveaux hôpitaux au cours des dix dernières années. Ce genre d'infrastructures de base nous ouvrent la porte à tous les domaines de l'éducation et de la santé.
Il y a eu de bons coups : sur le plan environnemental, aux termes de la gestion intégrée de la plate-forme continentale côtière avec Pêches et Océans Canada, et le travail de Mme Kennedy en matière de gestion des déchets. Nous commençons à voir dans les localités la volonté d'y participer.
Sur le plan de la R-D, nous venons tout juste de commencer. Nous avons un nouveau partenariat avec la Memorial University afin d'étudier les pêches dans leurs dimensions sociale, biologique et environnementale pour déterminer à quel point le monde est en train de changer autour de nous et la manière de s'y adapter.
Essentiellement, nous prenons des mesures, mais le résultat final a été une baisse marquée de notre population. À nouveau, je répète que nous nous occupons de deux zones économiques, mais en 1996, notre population était de 26 000 environ dans la péninsule nord. Actuellement, notre population active — selon Statistique Canada — est de 12000 personnes âgées de 15 à 65 ans environ. Quand j'ai récemment réuni des données statistiques à nouveau, après celles de 2001, j'ai constaté une baisse de 50 p. 100. Quand nous avons perdu 6 000 personnes sur notre côte, c'était 6 000 travailleurs.
Quels défis cela pose-t-il sur le plan de la pauvreté rurale? Nos conseils municipaux ont de la difficulté à trouver des bénévoles. L'ancienne façon d'aborder l'économie consistait à dire qu'il y avait, d'une part, l'économie, et d'autre part, le social et tout en haut là-bas, l'environnement — selon qui vous étiez. Cela ne fonctionne pas.
Sénateur Mercer, vous avez mentionné l'attitude de laisser-faire de l'Atlantic Institute for Markets Studies selon lequel il est préférable de se tenir en retrait et de laisser agir les forces du marché. Cela ne fonctionne pas. Il faut une localité. Si quelqu'un aujourd'hui déclarait qu'il va emménager une usine dans ma région économique et qu'il aura besoin de 200 travailleurs, nous aurions de la difficulté à fournir le logement, les écoles, les hôpitaux et tout le reste. Immédiatement, les médecins et le personnel infirmier seraient confrontés à une augmentation de la demande de services de santé. Comment pourrait-on y faire face? Par conséquent, il faut développer l'entreprise, mais il faut aussi se préoccuper de la dimension sociale. Les gens d'affaires ne pourraient pas envisager l'installation de leur commerce dans notre région sans tenir compte aussi de la dimension sociale : le logement, les services médicaux, les écoles, l'alimentation en électricité. Tout cela forme un tout.
Récemment, en nous fiant à des recherches effectuées par Service Canada, nous avions pour attitude qu'il existait trois grands domaines, le social, l'environnement et l'économie, avec certains chevauchements. Nous nous rendons compte maintenant que pour traiter d'une question comme la pauvreté rurale, la dimension sociale fait partie de l'environnement et qu'il y a aussi une dimension économique.
Voilà ce que je veux dire quand j'affirme que ce n'est pas efficace à moins qu'on ne tienne compte de la dimension sociale. Comme l'a mentionné Mme Hancock, nous devons nous attaquer au taux élevé d'analphabétisation, et nous devons nous occuper des élèves qui sont désavantagés. Dans notre région, l'accès à l'Internet se fait par ligne commutée, et nous n'avons pas encore obtenu l'accès haute vitesse. Si, dès la maternelle, l'enfant n'a pas accès à l'Internet, comment peut-il faire des études de niveau postsecondaire? Il aura d'importants obstacles à surmonter.
Par conséquent, mon travail consiste à examiner le développement commercial et les possibilités économiques. En ce qui concerne une de nos composantes clés, la politique, nous avons fait une analyse fouillée du secteur des pêches à la péninsule Great Northern, avec l'appui des deux ordres de gouvernement. Je sais que vous vous occupez d'agriculture et de forêts, mais pour ce qui est de la pauvreté rurale, la pêche représente le même apport économique pour notre pays et pour la province. Par contre, elle ne contribue plus grand-chose à l'économie de notre région. Par là, j'entends que nous sommes passés de 1 100 pêcheurs à 600 environ. Des 1 000 travailleurs que nous avions dans les usines de transformation du poisson, il n'en reste probablement que 500. À nouveau, ce sont là des débouchés en moins. Nous avons dans notre système scolaire 2 000 élèves de moins de 19 ans. Qu'avons-nous à leur offrir comme avenir? Les possibilités seront ailleurs.
Qu'arrive-t-il à nos personnes âgées et à nos organismes communautaires? À nouveau, nous avons des défavorisés. Dans les régions rurales de Terre-Neuve, tout comme ailleurs au Canada, nous avons toute la gamme, allant de personnes à bon revenu à d'autres dont le revenu est faible. Cependant, à mesure que disparaît notre assise économique qui permet d'offrir des emplois, la situation empire. En tant que conseil économique travaillant en collaboration avec ses partenaires, nous nous sommes donc attaqués à la façon dont il faut envisager l'avenir.
Voici quelques exemples. Nous avons récemment monté une base de données sur les ressources humaines dans laquelle sont dénombrés les jeunes qui ont quitté l'école au cours des huit dernières années. Nous avons compté nos jeunes, en nous inspirant du modèle de Northern New Brunswick et des Irlandais où, même durant les années 1970 et 1980, on vérifiait où allaient ceux qui quittaient la région. L'Internet nous a permis de le faire de manière rentable. Nous savons maintenant où se trouvent ces jeunes, qui ont maintenant entre 19 et 29 ans. Nous avons communiqué avec eux. Nous les avons intégrés à une base de données. Par conséquent, quand un homme ou une femme d'affaires de la région a besoin de quelqu'un — récemment un garagiste cherchait un mécanicien, par exemple —, nous avons envoyé un courriel aux personnes inscrites dans la base de données. Nous savons qu'elles ont leurs titres de compétence. Nous les avons en fait fichées, par catégories. Par conséquent, si une personne d'affaires vient nous voir, nous pouvons communiquer l'information à ces exilés.
Au Nouveau-Brunswick, ils nous ont avertis qu'il fallait du temps pour que le milieu des affaires prenne son essor. Cependant, à mesure que notre population vieillit et prend sa retraite, notre région se dépeuple. J'ai remarqué que, dans votre rapport provisoire, vous avez parlé du nombre toujours plus grand de personnes qui quittent leur région, du besoin amoindri d'entreprises et de services et de la façon dont cela a un effet en cascade. Nous avons vu ce fichier dans une des publications du Réseau canadien de développement économique communautaire, de sorte que nous avons communiqué avec le conseil économique du Nouveau-Brunswick qui a tout partagé avec nous — à nouveau, en s'inspirant de ce qui se fait dans d'autres pays. C'est pour nous un bon outil. Cependant, nous continuons d'être à la recherche de fonds et de tenter de persuader le milieu d'affaires d'y participer. C'est là une étape.
Nous faisons face, tout comme dans le fameux roman se déroulant durant la Révolution française, au meilleur comme au pire. Nous avons maintenant des emplois à offrir, mais nous avons perdu tant de membres de la collectivité qui sont allés occuper des emplois plus rémunérateurs en Alberta. Nous faisons maintenant face à un défi. Nous avons de nouvelles entreprises, nous offrons de nouveaux services au parc national Gros-Morne. Toutefois, comment trouver de nouveaux employés lorsqu'on n'a que des emplois à 7, 8 et 10 $ de l'heure à offrir, sans avantages sur le plan de la santé pour la plupart? Nous avons un problème de recrutement. Nos jeunes quittent les régions, et j'ai plus de 30 ans, de sorte que lorsque je suis le plus jeune dans la pièce, je sais que nous avons un problème.
Permettez-moi de vous fournir certains faits de base. J'ai remis à votre personnel un exemplaire du Great Northern Peninsula Fisheries Task Force Report. Je vais me concentrer sur ce rapport dans mes conclusions.
Le groupe a examiné essentiellement la politique, au niveau fédéral et provincial, qui affecte notre économie. À nouveau, les pêches contribuent toujours autant à l'économie nationale, mais elles ne rapportent plus à l'économie des localités. Les emplois ont disparu. Dans votre rapport provisoire, vous avez fait ressortir que la capitalisation est en train de remplacer la main-d'œuvre. Cependant, nous ne pouvons même pas faire du développement de nouvelles entreprises si nous n'avons pas accès aux ressources au large de nos côtes, ces ressources qui sont la raison même pour laquelle nous nous sommes établis ici, tout comme les Autochtones et les autres. Ce sont les ressources que l'on trouve ici qui expliquent qu'on veuille s'établir dans la région depuis 5 000 ans.
Dans notre rapport, que notre député, les ministres provinciaux et Pêches et Océans Canada ont tous appuyé, nous avons fait ressortir, là où il est question de l'allocation des ressources et des parts de contingentement raisonnables, les nos 2.1 à 2.3 des recommandations, qui sont au nombre de 44. Votre personnel a maintenant la version intégrale du rapport. Malheureusement, c'est un document volumineux, et je n'en avais pas d'autre exemplaire.
Les parts de quota seraient de responsabilité fédérale. En ce qui concerne la capacité de traitement et la délivrance de licences provinciales, nous avons les nos 5.1 à 5.6, qui incluent toute la question du traitement régional, de la délivrance des licences et ainsi de suite. Ensuite, au no 8.1, il est question du problème qui a fermé notre autoroute plusieurs fois et qui impose beaucoup de stress dans la collectivité. C'est l'idée que le poisson est pêché sur la côte, puis transporté par camion. Nous avons fait ressortir qu'il fallait s'attaquer à ce problème de manière plus efficace. Une fois que la pêche de la morue a diminué, nous avons observé une augmentation marquée de la pêche de la crevette, alors que de nombreux permis de transformation de la crevette étaient alloués à d'autres régions de la province, même si la ressource venait de notre région.
Nous avons rédigé un document de niveau stratégique qui fait ressortir les problèmes et comment il faut les régler. Nous affirmons qu'il existe des possibilités. Vous êtes ici pour parler de pauvreté rurale. Ma contribution à votre dialogue, à mesure que vous faites la tournée du pays, est simplement de dire que la pauvreté rurale comporte de nombreux défis et de nombreux problèmes, entre autres en matière d'éducation et d'accès à des services convenables. Vous avez effectivement fait ressortir, dans votre rapport, la question de la citoyenneté, de l'accès à des soins de santé et à une éducation convenables. À mon avis, l'accès à des débouchés économiques fait aussi partie du problème de la pauvreté. Dans notre région, c'est un problème auquel nous sommes confrontés actuellement. Notre défi deviendra donc celui de la ville de Corner Brook et de la province parce qu'à mesure que diminue notre population, les besoins des autres régions diminueront également, et l'effet en cascade se poursuivra.
Nous avons des débouchés. J'ai fait ressortir certaines initiatives. Nous avons triplé à peu près notre industrie du tourisme au cours des quinze dernières années. C'était là un défi qui a été relevé par nos nombreux intéressés et qui a été bien relevé. Il faut continuer. C'est pourquoi nos travaux de R-D en matière de pêche ont tant d'importance pour notre université, financés, avec un peu de chance, par des demandes de l'extérieur qui passent par l'Agence canadienne de développement international à Ottawa. Tout cela a été fait la semaine dernière.
Pour en revenir à ce que Mme Kennedy mentionnait en matière de transport, le premier ministre Charest a annoncé récemment que le gouvernement du Québec s'engageait à verser plus de 100 millions de dollars pour l'achèvement de la route sur la Côte-Nord. Cette route serait reliée au réseau routier du Labrador et offrirait la possibilité de se rendre par automobile jusque dans les provinces maritimes, de monter jusque chez nous — à la péninsule Great Northern — et de ressortir par St. Barbe ou, comme le mentionnait Mme Kennedy, d'assurer une liaison fixe. Par conséquent, si nous y avons accès et que nous pouvons l'utiliser, ce sera là un important débouché économique.
Enfin, en ce qui concerne la technologie de l'information, nous avons besoin de l'accès à l'Internet haute vitesse. Quand nous sommes au bureau, nous savons que tous les jeunes sont sortis de l'école à 15 heures parce que, quand nous tentons d'envoyer un courriel, tout est gelé. C'est un problème, et nous devons y trouver des solutions. Nous savons que les gouvernements fédéral et provincial travaillent de concert avec Persona et Rogers, certains de nos fournisseurs locaux, à trouver une solution. Quand on leur demande de faire une étude de rentabilité pour une localité de 200 personnes, c'est difficile. Cependant, si la localité a deux pourvoyeurs qui font un milliard de dollars par année et qu'ils ont besoin de l'Internet haute vitesse, cela devient une question de survie économique.
Dans votre document provisoire, vous vous en êtes tenus à des généralités au sujet des indicateurs. Les ressources humaines représentent pour nous un problème. Nous utilisons des programmes et des services, qui sont excellents et essentiels. C'est la politique qui est la source de nos problèmes, en matière par exemple d'incitatifs fiscaux et d'accès à nos ressources. Parce que nous habitons dans des régions rurales, nous nous déplaçons beaucoup pour obtenir des services de santé. Tout ce que vous avez à faire, c'est d'écouter une de nos infirmières vous décrire le voyage qu'elle a dû faire au-delà des montagnes de Corner Brook avec un patient au beau milieu de l'hiver, derrière une gratte. C'est un problème, et cela coûte cher.
Quand je me suis installé à la péninsule Northern il y a 15 ans, on versait une allocation pour l'habitation dans le Nord. Des incitatifs fiscaux destinés aux régions rurales sont un moyen qui pourrait nous permettre de niveler le terrain de jeu. Pour ce qui est des indicateurs, quand vous parlez de mesures pour les personnes à faible revenu, Service Canada, Statistique Canada, les Mesures de la pauvreté fondées sur un panier de consommation et tout le reste, ils sont tous axés sur la macro-économie. Il faut préciser quels indicateurs utiliser pour que nous, à la péninsule Great Northern de l'Ouest de Terre-Neuve, ayons les mêmes droits en tant que citoyens, les mêmes débouchés économiques et tout le reste qu'à Hull, au Québec, à Halifax, en Nouvelle-Écosse, ou à St. John's, à Terre-Neuve.
L'économie de St. John's connaît un boom. Nos diplômés d'études de niveau postsecondaire ne doivent plus maintenant aller loin. Ils sont à Halifax et à St. John's. Dans notre étude, plus de 60 p. 100 de nos jeunes ayant fait des études postsecondaires demeurent à Terre-Neuve-et-Labrador. Cependant, ils ne demeurent pas forcément dans notre région en raison du manque de débouchés.
Dans le cadre de vos délibérations, j'espère que vous vous arrêterez à ce que la politique fiscale et les programmes en matière de pêches peuvent faire pour nous. Nous avons une petite industrie agricole dans notre région et un grand secteur d'exploitation forestière, qui fait face à un ralentissement partout dans la région, ce qui pose un autre problème. En matière d'exploitation forestière, nous espérons pouvoir recourir au Programme des collectivités forestières de Ressources naturelles Canada pour faire de la R-D sur d'autres applications. En agroalimentaire, nous nous sommes servis du soutien du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral pour mener un projet pilote sur des récoltes de baies en climat froid afin de suppléer à l'activité de certaines petites localités.
En guise de conclusion, nous avons fait du travail. Nous nous sommes servis des programmes et des services offerts. Selon moi, notre problème en bout de ligne est de savoir comment nous allons régler les questions de ressources humaines, de commercialisation des nouvelles entreprises, d'infrastructures, de politiques, d'environnement et de R-D quand, au départ, nous sommes désavantagés du fait que nous sommes loin des grands centres et que les ressources sont limitées. Le revenu familial annuel est de 43 000 $ dans notre région, de 53 000 $ dans la province et de 63 000 $ à l'échelle nationale. Par contre, le coût de la vie y est plus bas, en ce sens que nous sommes propriétaires de nos maisons. Le taux le plus élevé de propriété foncière au pays se trouve à Terre-Neuve, surtout dans la péninsule Great Northern. Je crois que tous nos voisins seraient probablement capables de construire une maison.
Voici donc le problème : comment nous transformer en société contemporaine quand nous avons besoin d'accès à des soins de santé poussés? Si quelqu'un a besoin d'un tomodensitogramme, c'est un coût. Nous voyons les membres de la collectivité essayer d'y obtenir accès. L'éducation est un autre problème. La politique fiscale donne à chaque famille le même dégrèvement, mais si une famille vit à St. John's, ses besoins financiers pour l'éducation de ses enfants représentent environ les deux tiers de ce que doit payer la famille de la péninsule, qui doit aussi assumer le transport et le logement à l'extérieur.
Le sénateur Mercer : Mesdames et messieurs, merci beaucoup d'être ici. Nous vous savons gré de votre présence, en particulier ceux d'entre vous qui ont remplacé à pied levé d'autres qui ne pouvaient se libérer. J'ai beaucoup de questions, mais je vais essayer d'être bref.
Madame Kennedy, vous avez parlé du secteur bénévole, et plusieurs ont mentionné la baisse démographique. Les organismes qui dépendent des bénévoles dans le secteur rural de Terre-Neuve-et-Labrador ont-ils de la difficulté à recruter des gens pour faire le travail de base?
Mme Kennedy : C'est une réponse facile : nous avons les mêmes bénévoles maintenant. Nous avons épuisé notre réseau de bénévoles. Nous fonctionnons grâce à ce réseau depuis, je dirais, 10 à 12 ans. Je fais partie d'environ 12 à 14 conseils d'administration dont 50 à 60 p. 100 des membres, au moins, se retrouvent dans d'autres conseils. C'est difficile d'avoir de nouveaux visages parmi les bénévoles. Aussi, lorsqu'il est question d'économie, nous pouvons susciter un peu d'intérêt, mais nous avons besoin d'une certaine expertise pour pouvoir avancer. Cela devient un défi. Il ne suffit pas d'avoir une personne en chair et en os.
Le sénateur Mercer : La bonne nouvelle, c'est que toutes les études menées chaque année montrent que Terre-Neuve- et-Labrador continue d'être la province la plus généreuse du pays, en ce sens que les Terre-Neuviens donnent davantage aux organismes de bienfaisance que tout autre Canadien. C'est remarquable quand on sait qu'il s'agit aussi de la province la plus pauvre. C'est tout en son honneur.
Le gouvernement fédéral, dans le dernier budget, a instauré un programme pour la garde d'enfants, que beaucoup parmi nous ont contesté, qui assure des prestations de 100 $ par mois par enfant dans certaines catégories. Ce programme a-t-il eu un effet quelconque, positif ou négatif, à Terre-Neuve-et-Labrador?
Mme Kennedy : Je ne peux pas vraiment dire dans quelle mesure ce programme a eu un effet sur notre qualité de vie. Lorsqu'un programme est mis en place, nous pouvons sentir les effets dans notre communauté. Il y a eu plusieurs nouveaux programmes pour les soins de santé primaires, quelques programmes sociaux; si nous ne les voyons pas dans notre collectivité, nous ne pouvons pas vraiment dire qu'ils ont une incidence. Là où je vis, je ne crois pas que je verrais les répercussions d'un tel programme comme si je vivais à Corner Brook.
Le sénateur Mercer : Madame Hancock, les récentes compressions que le gouvernement fédéral a imposées dans certains programmes sociaux ont-elles eu un effet dans le secteur du Western School Board?
Mme Hancock : Indirectement. La province ressentirait davantage les changements apportés dans le financement fédéral au cours des négociations entourant la garde d'enfants ou d'autres secteurs de dépenses qui relèveraient de la province. Pour répondre à la question que vous avez posée à Mme Kennedy, un grand nombre de personnes m'ont dit que les prestations qu'elles recevaient pour la garde d'enfants sont bénéfiques, mais elles ne couvrent pas toutes les dépenses de garderie que l'on peut avoir en l'espace d'un mois.
Le sénateur Mercer : À ce sujet, quel serait le coût moyen d'une place dans une garderie reconnue, dans cette région de Terre-Neuve?
Mme Kennedy : Vous devriez poser la question à M. St. George, puisqu'il a un jeune enfant.
M. St. George : En moyenne, dans l'Ouest de Terre-Neuve, il en coûte 500 $ par mois dans une garderie enregistrée.
Le sénateur Mercer : Par conséquent, on ne va pas bien loin avec 100 $ par mois.
M. St. George : C'est 20 p. 100 de ce dont vous avez besoin.
Le sénateur Mercer : Si vous n'avez pas l'autre 80 p. 100, cela ne sert à rien, n'est-ce pas?
M. St. George : Non.
Le sénateur Mercer : Exactement.
Mme Hancock : Dans un grand nombre de petites collectivités, il n'y a pas de garderies enregistrées. Les enfants sont gardés par des voisins ou des membres de la famille. Je crois comprendre qu'une grande partie de l'argent qui devait être versé à la province devait servir au développement du réseau de la petite enfance dans la province, et qu'on devait remanier les programmes pour tenir compte des changements dans le financement fédéral. C'est pourquoi, dans nos recommandations, nous voulons que le gouvernement fédéral et la province discutent davantage des solutions à apporter dans les secteurs ruraux et les programmes de garderie.
Le sénateur Mercer : Par conséquent, l'entente qu'avaient conclue le gouvernement du Canada et celui de Terre- Neuve-et-Labrador aurait été plus avantageuse que les prestations mensuelles de 100 $.
Mme Hancock : C'est ce que pensent bien des personnes qui se sont entretenues avec nous, mais je ne peux pas dire que la province est de cet avis.
Le sénateur Mercer : L'autre chose, madame Hancock, qui me trouble dans votre rapport, c'est le taux élevé d'absentéisme chez les enfants de la maternelle. Je ne comprends pas. Comme vous l'avez mentionné, je présume que c'est inhabituel. En savons-nous les raisons?
Mme Hancock : Ce résultat nous a estomaqués. Nous avons examiné les données sur une période de six ans pour cerner cette tendance. Dans certains cas, les enfants manquaient jusqu'à 80 jours par semestre. En suivant une piste au niveau de l'école, nous avons réussi à examiner l'absentéisme, les retards et l'assiduité, et le travail préventif que nous faisons avec le poste de travailleuse sociale vise justement à aider ces familles. Ce travail a permis d'augmenter la présence des enfants à l'école et la participation des membres de la famille. Des classes destinées aux parents ont été mises sur pied. Dans certains cas, il s'agissait vraiment d'établir un lien plus serré avec les parents.
Depuis que nous avons instauré le poste de travailleuse sociale en milieu scolaire, un des services de base offerts consiste à fournir des vêtements aux enfants. S'ils viennent à l'école et qu'ils se mouillent durant la récréation ou qu'ils doivent se changer parce qu'il fait froid, la travailleuse sociale peut leur fournir ces vêtements. Ils n'ont pas à retourner à la maison. C'est le genre de service de base dont nous parlons. Les problèmes sont souvent liés au revenu, à la monoparentalité et aux grandes difficultés financières.
Le sénateur Mercer : Est-ce ce qui explique le taux élevé d'absentéisme, parce que vous parlez dans votre rapport — à la page 7 — des gens qui se trouvent dans le cycle de pauvreté, des gens qui vivent de l'aide sociale.
Mme Hancock : Oui.
Le sénateur Mercer : Est-ce qu'un grand pourcentage de ces enfants viennent de familles qui vivent de l'aide sociale?
Mme Hancock : Oui. C'est ce qui est ressorti de l'étude provinciale concernant la dépendance intergénérationnelle par rapport à l'aide sociale, réalisée par le ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi. Les enseignants avaient enseigné aux parents lorsqu'ils étaient enfants et maintenant, des années plus tard, ils voient leurs enfants dans la même situation. Comment allons-nous briser le cycle de pauvreté et vraiment changer les choses?
Le sénateur Mercer : C'est le plus grand défi, évidemment.
Monsieur St. George, vous avez parlé d'une baisse démographique dans le secteur que vous desservez. Je crois que vous avez dit que le nombre était passé de 13 000 à 8 800 habitants.
M. St. George : Oui.
Le sénateur Mercer : C'était durant quelle période?
M. St. George : C'était de 1988 à 2001.
Le sénateur Mercer : Pour approfondir ce que vous et d'autres avez dit, ces gens seraient-ils allés à St. John's ou à Halifax, ou encore plus à l'ouest à Fort McMurray?
M. St. George : Oui, dans notre région, la grande majorité des gens sont partis en Alberta. Dans la première moitié des années 1990, les gens allaient surtout en Ontario, à Mississauga et à Brampton. En 2000 et 2001, les gens sont tous partis en Alberta. J'ai remarqué récemment que les gens qui vivaient en Ontario vont maintenant rejoindre les autres membres de leurs familles qui sont partis en Alberta.
Le sénateur Mercer : J'ai été surpris lorsque vous avez parlé des pêches. De façon générale, vous avez parlé de la valeur des pêches. Étant originaire de la Nouvelle-Écosse, je comprends dans une certaine mesure les problèmes associés aux pêches, et j'aurais cru qu'ils étaient encore plus graves ici. Si les pêches ont encore une valeur aussi importante que vous le dites, qu'est-ce qu'on pêche? Vous avez parlé de la crevette. Ce n'est certainement pas de la morue. Qu'est-ce qu'on pêche pour maintenir cette valeur?
M. St. George : On pêche de la crevette, du crabe, du hareng, du maquereau — ceci change maintenant parce que les stocks s'épuisent — des poissons de fond. La pêche à la morue en particulier a pris fin en 2003, mais la pêche au homard dans notre région est très forte; et il y a aussi une foule d'autres pêches moins importantes. Globalement, par contre, c'est la pêche à la crevette qui a permis de maintenir cette valeur jusqu'à maintenant dans notre région.
Le sénateur Mercer : La semaine dernière, nous avons entendu des témoins de la Nouvelle-Écosse qui nous ont parlé de la politique du propriétaire exploitant dans la pêche au crabe et au homard. Avez-vous une politique semblable ici, à savoir que c'est un propriétaire exploitant qui détient le permis de pêche au homard ou au crabe, et non quelqu'un de St. John's qui engage un pêcheur pour faire le travail?
M. St. George : Oui, nous avons cette politique.
Le sénateur Mercer : Je présume que c'est une bonne chose.
Mme Kennedy : J'ai fait partie du groupe de travail sur les pêches, alors je suis un peu au courant de la situation. Nous faisons partie de la politique du propriétaire exploitant, et nous avons examiné ce que la Nouvelle-Écosse fait à cet égard. Cela tuerait les collectivités rurales de Terre-Neuve, en particulier pour la pêche au homard — où les pêcheurs côtiers sont vraiment prospères. S'ils transféraient leur permis de l'un à l'autre, les effets pourraient être dévastateurs pour un petit village qui dépend de l'industrie — probablement les 10 ou 12 familles qui vivent là.
M. St. George : L'Islande a des quotas individuels, transférables. Nous y avons effectué un voyage d'étude il y a quelques années. Le pays a fixé des quotas, mais les effets ont été dévastateurs pour ses collectivités les plus rurales.
Nous avons deux exemples modelés sur ce qui s'est produit dans le Nord de l'Alaska. À la Labrador Fishermen's Union Shrimp Company Limited, ils ont un quota de pêche qu'ils prennent et ils peuvent dépenser l'argent pour financer ou développer d'autres pêches ou d'autres activités économiques. À St. Anthony, qui se trouve à l'extérieur de ma région, il y a la St. Anthony Basin Resources Inc., SABRI, qui a un quota. Dans notre région, nous avons un plus petit quota pour un groupe au nord du 50e parallèle. Le Labrador est le meilleur modèle. Le quota a donné de très bons résultats. Il a permis de créer de nouvelles entreprises et de maintenir des emplois. C'est très axé sur les affaires; cela n'a rien de social — ce sont les affaires. Je sais que nos collègues de la Nordic Economic Development Corporation revendiquent l'établissement de quotas pour la région, comme des quotas régionaux pour les différentes collectivités. Cette mesure permettrait de garder de la richesse dans les régions; ou bien les quotas pourraient être vendus, comme le fait la SABRI. Ils réinvestissent l'argent dans la région. Toutefois, ce n'est possible que si nous avons un quota local.
Lorsque je dis que la richesse des pêches se retrouve ailleurs, de plus en plus, c'est que la richesse va aux grandes entreprises à l'extérieur de la région. Les choses changent encore maintenant avec la Fishery Products International Limited et nous remarquons que nous avons, je crois, deux nouvelles entreprises dans notre région. La richesse sort des collectivités, alors qu'elles ont toujours été dépendantes de cette richesse.
Le sénateur Gustafson : J'ai une question concernant la brutalité avec laquelle le gouvernement agit à l'égard de l'assurance-emploi, de l'emploi saisonnier, et cetera. En agriculture et dans les petites entreprises, les gens peuvent toujours avoir un emploi à court terme — peut-être de deux ou trois jours. Ces gens reçoivent des prestations, mais le gouvernement leur dit qu'elles vont leur être retirées à cause de ces deux jours ou deux semaines de travail. Ce travail devient désavantageux, et on le voit. Une entreprise essaie d'embaucher un homme pour un travail à court terme, par exemple si un menuisier a besoin d'aide, juste la main-d'œuvre brute, et j'ai l'impression que le gouvernement pénalise ces gens et les garde dans une situation dont ils ne pourront jamais se sortir.
Je parle par expérience — j'ai passé 50 ans dans le secteur agricole, la petite entreprise, la construction, et cetera. Cette situation existe et continue d'exister. Les gens préfèrent ne pas travailler parce qu'ils vont perdre leurs prestations et seront pénalisés. Nous n'avons pas trouvé de façon de régler cette situation. Le problème touche surtout les hommes, mais dans certains cas, dans le secteur des services, il touche les femmes également. Nous les pénalisons et nous créons un plus grand problème.
La plupart de ces gens ne vont pas s'instruire. Certains peuvent à peine signer leur nom. Les études sont la dernière chose à laquelle ils pensent, mais ce sont de bons travailleurs. Bien souvent, ils peuvent faire fonctionner une machine mieux que personne parce que c'est le seul emploi qu'ils ont eu. Il n'y a aucun secteur dans lequel nous pouvons les rémunérer sans les pénaliser.
Mme Kennedy : Mme Jeans a parlé tout à l'heure de critères variables et des gens qui ne veulent pas travailler à sept dollars l'heure parce qu'ils vont perdre leurs prestations et leur carte de médicaments. Le système d'assurance-emploi doit être repensé parce que beaucoup de personnes, si elles travaillent après avoir touché leurs prestations d'assurance- emploi, sont rémunérées « en dessous de la table ». Est-ce exact?
Le sénateur Gustafson : Oui, c'est exact.
Mme Kennedy : Il y a des façons de changer la politique et les programmes pour corriger cette situation : utiliser des critères variables, partager la richesse; laisser les gens encaisser une certaine somme sans les pénaliser. Du point de vue de l'employeur, chaque fois qu'ils travaillent une journée, je dois passer une journée à remplir des documents pour Service Canada parce que rien ne doit paraître dans le système.
Le système et la façon dont il est structuré posent un véritable défi. Nous faisons les choses différemment maintenant. Nous avons besoin de nouveaux systèmes pour nous aider. Des critères variables donneraient vraiment de bons résultats dans le cadre du programme d'assurance-emploi.
L'autre problème, c'est que le système est payé par les employeurs et les employés. Les emplois à Terre-Neuve, en particulier dans l'industrie touristique que M. St. George a mentionnée, où nous avons développé ce marché pour créer une demande, ne sont pas payants. Les gens qui travaillent dans cette industrie reçoivent sept dollars l'heure. Dans le secteur rural de Terre-Neuve, le taux d'occupation est de 38 p. 100 chez certains hôteliers, alors ils ne peuvent pas se permettre de payer dix dollars l'heure. Toutefois, c'est ce qu'ils vont devoir payer pour conserver leur personnel. Nous pourrions peut-être avoir un système de partenariat : si vous faites ce profit, vous avez droit à une subvention dans le cadre du programme auquel vous avez contribué. Toutes sortes de nouvelles façons de faire peuvent être fructueuses. Le comité devra probablement se pencher sur cet aspect.
M. St. George : Je pourrais parler aussi de la participation au marché du travail. Si vous amenez quelqu'un à travailler, même pour de courtes périodes de temps, il se crée graduellement un lien. Nous l'avons vu déjà dans notre région, où des gens ont commencé à faire de très petits boulots à l'hôtel ou à l'entreprise, et à mesure que leurs habiletés s'améliorent, ils s'attachent graduellement au marché du travail et leur emploi se prolonge sans cesse. Toutefois, il faut du temps et les programmes pénalisent vraiment les gens.
Je reviens à ce que j'ai dit au sujet des indicateurs. Un des problèmes que nous avons au XXIe siècle, c'est que nous utilisons des indicateurs du XXe siècle ou, pire, du XIXe siècle. Nous utilisons des indicateurs économiques et des mesures comptables. Combien de briques faut-il pour construire un immeuble? Combien de gens faut-il payer chaque heure? Tous ces chiffres sont digérés, mais dans les calculs, on oublie l'impact social de la non-inclusion des citoyens, quand nous n'aidons pas les gens, qui sont désavantagés, à se joindre au marché du travail. D'après ce que j'ai vu pendant 15 ans dans la péninsule Northern, la plupart deviennent de très bons employés. Toutefois, cela prend du temps.
Un de mes professeurs à l'université parlait de la nécessité de sortir des sentiers battus. Les mesures comptables ne s'appliquent pas à l'économie. Elles s'appliquent aux petites entreprises, aux grandes entreprises, mais si vous possédez une entreprise et vous avez une marque de commerce, comme Coca-Cola, vous pourriez dire que cela n'a aucune valeur concrète. Pourtant, si elles ne protègent pas leur marque de commerce, des entreprises comme Coca-Cola ou IBM auraient des problèmes si elles permettaient à d'autres de l'utiliser. C'est une chose intangible.
Je suis d'accord avec Mme Kennedy au sujet de la participation au marché du travail. À Terre-Neuve, nous avons des gens qui sont analphabètes. Beaucoup dépendent des services sociaux. Les salaires élevés dans d'autres provinces attirent nos meilleurs éléments. J'étais au Cap-Breton l'an dernier et les gens là-bas ont les mêmes problèmes. En fait, nous en avons parlé et il y avait une grande similitude dans bon nombre des régions rurales. Nous devons nous y mettre; les programmes et les services ne sont avantageux qu'à un certain point. Il nous faut de bons indicateurs pour pouvoir montrer les avantages à long terme. Lorsque je fréquentais l'Université Memorial il y a 16 ans, on nous disait qu'il en coûte 1 million de dollars pour garder quelqu'un dans la dépendance des services sociaux toute sa vie. Cette somme doit comprendre le personnel, la paperasse, tous les coûts. Toutefois, si cette même personne est inscrite à un programme, à l'université ou peu importe ce qu'il faut pour l'amener à participer au marché du travail, le coût est d'environ 100 000 $. Cette mesure date d'il y a 25 ans, alors c'est ce que je veux dire lorsque je parle d'élargir nos indicateurs.
Le sénateur Gustafson : Ceci m'a toujours embêté beaucoup. Je l'appelle le « gros gouvernement ». Il me semble que le gouvernement est capable de faire circuler plus de documents. Il adore le papier et il créera des emplois avec le papier juste pour créer des emplois, parfois pour des raisons politiques. Toutefois, quand vient le temps de faire quelque chose de réaliste, de stimuler l'économie et de renforcer les industries — et il le faut — il semble que nous ne soyons pas capables de trouver une façon d'aider ces gens pauvres qui en ont bien besoin. Ils ne vont pas s'en sortir seuls.
J'utilise cet exemple — et je dois être prudent quand je le fais : je suis allé en Afrique plusieurs fois, et la solution que nous avons même dans un pays du tiers monde, c'est l'éducation. D'accord, donnons-leur donc une éducation. Qu'arrive-t-il? Ils s'instruisent et viennent au Canada. Ils ne vont pas là-bas pour travailler la terre et accroître la prospérité de la collectivité agricole dans ce pays. Ils s'instruisent, ils sont partis.
Nous devons trouver une façon d'aider ces gens qui se trouvent au bas de l'échelle. Beaucoup ont des compétences, mais nous sommes incapables de les aider.
Le sénateur Callbeck : Madame Kennedy, vous avez parlé de la vente de matières premières et du fait que la valeur ajoutée est insuffisante à Terre-Neuve, ce à quoi je peux certainement m'identifier, puisque je suis originaire de l'Île-du- Prince-Édouard. Toutefois, vous avez parlé aussi des programmes et des politiques établis il y a longtemps, qui doivent être adaptés au monde d'aujourd'hui. Vous avez mentionné le programme de médicaments, qui a été instauré à Terre- Neuve, et je suis d'accord que c'est un pas dans la bonne direction. Il aide, bien sûr, les gens à faible revenu et ceux qui vivent de l'aide sociale à sortir du système. Dans ma province, s'ils sortent du système — je présume que c'est la même chose ici — ils doivent alors payer eux-mêmes leurs soins de santé, leurs médicaments, et cetera. Puis vous avez parlé un peu du système d'assurance-emploi. J'aimerais que vous nous parliez des autres changements qui, à votre avis, s'imposent dans le monde d'aujourd'hui.
Mme Kennedy : Lorsque j'ai parlé de nos matières premières, je voulais vous donner une idée de la façon dont nous sommes arrivés ici. Nous sommes arrivés ici parce que nous avons vendu des matières premières. Nous aurions pu faire tellement plus si nous avions maximisé les revenus, nous n'aurions pas les pénuries que nous connaissons aujourd'hui dans les secteurs de la forêt et de la pêche. Nous avons donc abusé de ces ressources et nous ne l'avons pas fait seuls. Nous avons été autorisés à le faire, et c'est pourquoi je parle de politique. Lorsque nous avons formé le groupe de travail sur les pêches, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas faire de changement. Nous pouvons formuler des recommandations, mais seul un changement de politique peut nous permettre de modifier notre façon de faire. Par l'intermédiaire du groupe de travail sur les pêches, nous avons donc présenté une quarantaine de recommandations au gouvernement, la plupart liées aux politiques. Nous devons commencer à transformer l'industrie.
Nous aimerions ravoir un programme. Nous avons vu les conséquences dans les soins de santé. Nous le vivons maintenant; nous essayons de régionaliser et nous reconnaissons qu'il faut le faire. Nos ressources ne sont pas illimitées et offrir ce service commence à nous peser. Toutefois, il ne faut pas prendre la décision à notre place. Nous pouvons prendre de bonnes décisions qui nous seraient profitables, qui ne nous coûteraient pas plus, qui nous rendraient probablement très heureux et nous permettraient d'offrir un bien meilleur service. Nous devons mettre en œuvre une politique dans les domaines de l'éducation, de la santé et d'autres programmes sociaux dans les collectivités qui nous affectent économiquement.
Lorsque nous recrutons des fournisseurs de soins de santé, un médecin par exemple, il nous en coûte 80 000 $. Nous les trouvons, ils s'installent dans des collectivités rurales de Terre-Neuve, mais ils ne restent pas. Nous n'avons aucun soutien en place, alors ils retournent à St. John's, à Toronto ou à Vancouver, là où ils trouvent un soutien autour d'eux pour leur culture. Ils ne veulent absolument pas rester dans les collectivités rurales de Terre-Neuve. Nous avons un taux de rétention de moins de 6 p. 100.
Sean a dit qu'il faudrait interroger les gens qui ont quitté Terre-Neuve pour voir s'ils aimeraient revenir travailler ici. C'est là où nous devons commencer. Les personnes qui ont grandi ici aiment l'endroit. Ils en sont fous. La pauvreté, ce n'est pas juste une question d'argent, et il y a un véritable amour pour la terre. Les gens reviendront pour moins — mais pas beaucoup moins maintenant. Ils veulent une base. Nous avons un problème de recrutement parce que nous laissons tomber nos systèmes de soins de santé et d'éducation. Cela devient donc un cercle vicieux pour nous.
Nous devons commencer à trouver une façon d'attirer les gens avec un bon système de soins de santé et d'éducation. Ces choses sont peut-être liées; nous parlons peut-être d'une approche holistique. Nous éduquons les gens dans le domaine de la santé et de l'éducation. Nous ne leurs parlons pas seulement de nutrition, par exemple, et ils ne vont pas consulter une diététiste pour revenir avec une feuille de papier sur laquelle il sera écrit « Prenez des Omega 3, et faites ceci et cela ». Nous essayons d'établir un lien entre la santé et l'éducation pour vivre la santé communautaire, pour que les gens puissent se rendre dans une cuisine communautaire et apprendre à manger les aliments qui sont bons pour eux. Ils peuvent suivre les programmes de physiothérapie s'ils le souhaitent. Nous essayons d'établir cela dans une structure communautaire, pour que cinq, six ou sept collectivités puissent y participer. On peut l'étendre à certains programmes scolaires, et faire participer les collectivités, les parents et d'autres bénévoles. Nous avons alors changé la façon de faire dans les systèmes de soins de santé et d'éducation parce que nous faisons de l'éducation en même temps. C'est la même chose quand on parle d'instaurer maintenant des critères variables : dans 20 ou 30 ans, la croissance et la demande reposeront sur les structures que nous mettons en place maintenant.
C'est en partie ce que nous voulons faire en matière de politique. Nous devons apporter des changements, enlever tous ces piliers qui ont été créés dans la façon de faire les choses et commencer à construire des ponts pour que le courant passe plus facilement.
Le sénateur Callbeck : Vous avez dit combien il est difficile de recruter des médecins. A-t-on songé à offrir des incitatifs aux jeunes, qui vivent à Terre-Neuve et qui ont grandi dans les collectivités rurales de Terre-Neuve, pour les aider à faire leurs études médicales s'ils s'engagent à revenir pour un certain temps?
Mme Kennedy : Oui. Il y a un programme en place à l'heure actuelle à Western. Il s'agit d'une bourse d'études de 25 000 $. C'est limité. Il y a probablement deux bourses. Peut-être que parfois, notre vision des choses est étroite. Nous utilisons l'argent pour recruter des gens. Nous disons « Eh bien, ils sont d'ici, ils reviendront de toute façon, alors cherchons quelqu'un d'autre », et puis nous les perdons. Nous avons certains programmes en place, mais pas assez. Il faut modifier ce programme parce que nous avons des gens sur la côte ouest qui travaillent dans le secteur médical et qui aimeraient probablement revenir ici, mais nous ne sommes pas très compétitifs par rapport aux États-Unis ou à l'Ouest du Canada.
Le sénateur Callbeck : Mon autre question porte sur le système d'imposition. Madame Hancock, vous avez parlé d'une collaboration entre les gouvernements provincial et fédéral dans un grand nombre de dossiers, notamment le régime d'imposition. Je crois que vous en avez parlé également, monsieur St. George. J'aimerais que vous nous en disiez davantage.
Mme Hancock : Lors de nos entretiens, il est ressorti que nous nous dirigeons vers un cadre de bien-être, ce qui s'inscrit dans la prévention. Les gens payent d'eux-mêmes pour que leurs enfants participent à des sports ou d'autres loisirs, ce qui contribue à un mode de vie sain, ou encore investissent dans des services de garde, et cetera. Ils fournissent davantage, sans parler de certains coûts médicaux. Comment cette contribution peut-elle alors être reconnue, c'est-à-dire que peut-on leur donner en retour s'ils remplissent les objectifs sociaux globaux en investissant dans les personnes? Leur contribution n'est pas reconnue dans le système d'imposition, et j'imagine qu'on a abordé la question en pensant aux investissements dans les enfants. On a pensé aussi aux gens qui sont plus nombreux à s'occuper des personnes âgées dans les collectivités rurales.
Il y a une foule de situations semblables. Si les gens payent davantage pour des services ou de l'équipement ou pour permettre à une personne de rester dans un établissement de soins de longue durée, comment le reconnaît-on? Comment offre-t-on des avantages fiscaux aux gens dans les collectivités? La question a été soulevée à maintes reprises et nous devons trouver des façons d'offrir des crédits d'impôts.
M. St. George : La péninsule Northern est un endroit merveilleux, mais il peut être très coûteux de tomber malade. C'est très coûteux d'offrir une éducation à nos enfants. Je vais le constater. C'est aussi très coûteux de faire d'autres activités courantes, par exemple si vous devez consulter un avocat ou vous rendre dans un bureau du gouvernement. Les gens d'affaires de la péninsule Northern sont certainement pénalisés parce qu'ils se trouvent à cet endroit. Faire affaire avec les ministères du gouvernement est coûteux pour eux.
Corrigez-moi si je me trompe. Dans votre rapport provisoire, vous parlez des raccordements électroniques, du gouvernement et des services en ligne. Le problème, dans notre région, c'est que l'informatique, la technologie de l'information est nouvelle pour bien des gens et il leur faut du temps. Je sais que le Programme d'accès communautaire, le PAC, qui est un programme fédéral-provincial visant à donner accès à Internet, a donné certains résultats, mais nous avons beaucoup de propriétaires de petites entreprises — comme le montrent nos données démographiques. Ils travaillent, alors où prennent-ils le temps d'apprendre à faire fonctionner l'ordinateur? Nous avons une base complète de données sur nos entreprises. Nous avons interrogé les 3 800 ménages du district et les 394 entreprises, alors nous savons que seules 18 p. 100 des entreprises utilisent le courriel. Comment remédier à cette situation?
Les programmes et les services pourraient aider dans ce sens mais, pour revenir à votre commentaire sur les impôts, il faut, encore une fois, cerner clairement les indicateurs. Je dis tout simplement qu'il nous faut des résultats mesurables pour comprendre comment les gens dans les régions rurales sont touchés. Donnons des chances égales à tous. Je vais vous donner un bon exemple. Aux États-Unis, la loi sur les banques exige que ces dernières accordent des prêts aux petites entreprises dans les régions rurales. Dans notre région, les gens d'affaires se battent pour avoir accès aux capitaux. Mme Kennedy et moi, à titre de bénévoles et membres du Conseil de développement économique régional, nous avons vu des gens d'affaires se battre pour avoir accès aux capitaux.
Ces situations vous interpellent et, pourtant, des politiques comme la loi sur les banques et les politiques fiscales peuvent uniformiser les règles. Pour dire les choses sans détour, nos banques ne veulent plus prêter d'argent dans la péninsule Northern. Pour toutes les transactions bancaires commerciales dans la péninsule Great Northern, nous devons aller à Corner Brook.
Cela vous donne une idée des désavantages. Ce n'est pas que nous sommes pauvres dans les régions rurales de Terre- Neuve. C'est tout simplement que nous sommes financièrement pénalisés pour tout ce que nous devons faire. Cela mine notre énergie.
Le sénateur Callbeck : Oui.
M. St. George : Nous devons innover. Nous devons regarder l'avenir, mais lorsque nous siphonnons nos ressources simplement pour rester où nous sommes — je ne m'inquiète pas de notre situation actuelle — en tant qu'agent de développement économique, je m'inquiète de ce que sera notre situation dans 10 ans, dans 20 ans. Le reste du pays fait des progrès et si nous n'en faisons pas, notre situation sera bien pire dans 10 ou 20 ans.
Si le Canada était une maison, je comparerais le Canada rural au sous-sol, au grenier et au garage. Je dois vous demander ceci : seriez-vous propriétaire d'une maison qui n'a pas de sous-sol pour votre système d'électricité, votre réservoir d'eau chaude, votre salle de lavage? Seriez-vous propriétaire d'une maison où il n'y aurait pas d'endroit pour entreposer vos meubles de jardin? Le Canada est composé de nombreuses parties, et le Canada rural offre un service essentiel au pays. Nous avons les matières premières. Si la péninsule Northern, les sites du parc national sont dépeuplés, comment va-t-on voyager dans la région s'il n'y a pas de services et de gens qui vivent là?
Le Canada est composé de nombreux éléments. L'urbanisation est une tendance à l'échelle internationale mais, tout comme un sous-sol, un grenier ou un placard de services fournit des services essentiels dans les maisons, nous fournissons des services essentiels au pays. L'analogie est peut-être faible, mais elle vous donne une idée de ce que je pense.
Le problème qui se pose à vous est le suivant : que faire du déséquilibre qui existe entre les différentes régions du pays? Si nous ne réglons pas le déséquilibre, quelles seront les conséquences à long terme? Je ne suis pas certain que nous voulons savoir la réponse. Ma formation et mon expérience me disent que si nous ne prenons pas soin de notre santé, nous devons payer lorsque nous tombons malades. Si nous n'éduquons pas nos enfants, lorsqu'ils auront 20 ans, nous aurons un problème plus grave.
Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il des coopératives de crédit à Terre-Neuve?
M. St. George : Il y a une coopérative de crédit dans notre région. Elle ne consent pas de prêts commerciaux. Dans la région de Labrador Straits, juste au nord de la nôtre, je sais que les banques se sont retirées totalement, et c'est la coopérative de crédit qui est entrée en scène et qui a fait un excellent travail. Dans notre région, les banques et la coopérative de crédit évoluent et la coopérative de crédit sera probablement une solution. Toutefois, nous voyons assurément les banques se retirer.
Le sénateur Peterson : Participez-vous tous activement à ce programme?
Mme Hancock : Je crois que le tiers du financement du poste de travailleuse sociale en milieu scolaire est assuré par cette initiative.
Le sénateur Peterson : Votre participation est-elle continue? Les rencontrez-vous? Est-ce qu'on vous consulte?
Mme Hancock : Notre comité a participé à un processus de consultation et nous avons accès aux gens qui y travaillent.
Mme Kennedy : J'ai vu ce document. Mme Hancock a probablement travaillé davantage avec le groupe qui organisait les réunions. Pour ma part, j'ai lu certaines parties du programme, mais je n'ai pas vraiment participé.
Le sénateur Peterson : Ne croyez-vous pas que vous devriez le faire?
Mme Kennedy : Oh, certainement. J'écoutais aujourd'hui pour saisir certains des enjeux qui recevront l'attention de la province ainsi que la stratégie de réduction. Mme Jeans a présenté de bonnes choses, et je crois qu'ils se dirigent dans la bonne direction.
Le sénateur Peterson : Vous avez paru un peu hésitante sur ce point. Croyez-vous que cela peut apporter un véritable changement ou est-ce trop vaste? Voulez-vous vous concentrer davantage sur ce vous faites?
Mme Kennedy : Oui, j'aime les détails que vous pouvez mesurer plutôt que les généralités que vous ne pouvez pas évaluer. Certains programmes qu'ils sont en train de mettre en œuvre sont vraiment bons. C'est le premier pas dans la bonne direction. Ils ont commencé à établir des partenariats, mais ce n'est qu'un début.
Le sénateur Peterson : Avez-vous le pouvoir de faire les changements que vous souhaitez? N'est-ce pas important?
Mme Kennedy : Oui.
Le sénateur Peterson : Vous nous parlez de récupérations, de développement économique, de santé et d'éducation. N'est-ce pas là où se situe le pouvoir?
Mme Hancock : Oui, je crois que ce document de stratégie est une étape très importante pour notre province, qui donnera vraiment une bonne orientation.
Sénateur Callbeck, pour répondre à quelques questions que vous avez posées concernant cette stratégie, le ministère des Ressources humaines, du Travail et de l'Emploi a adopté certaines politiques pour que les gens fassent la transition entre le soutien du revenu et l'emploi sans perdre tous leurs avantages. C'est très vaste, mais très bien réfléchi; et c'est aussi très nouveau. Toutefois, à mesure que la chose prend forme, nous verrons certainement une différence dans la province.
Mme Kennedy : Je crois que c'est là l'essentiel : c'est très nouveau. Je n'ai pas hésité parce que je croyais que ce n'était pas un bon document. C'est nouveau; ça vient de commencer. Je crois qu'il y a un énorme potentiel.
Le sénateur Peterson : C'est le temps de s'engager, quand c'est nouveau.
Le sénateur Mahovlich : C'est très intéressant. En pensant à votre province, à ses problèmes d'accès aux hôpitaux et aux écoles, je me demande si quelqu'un a déjà proposé de construire une université dans le nord de la province. Cette idée a-t-elle déjà été avancée?
Mme Kennedy : Nous avons une université à Corner Brook.
Le sénateur Mahovlich : À Corner Brook?
Mme Kennedy : Oui. C'est un prolongement de l'Université Memorial. Il s'agit du Sir Wilfred Grenville College. Il existe, je dirais, depuis 30 ans.
M. St. George : Oui.
Mme Kennedy : Il n'offrait pas de programmes d'études supérieures. En gros, nous faisions un ou deux ans et nous pouvions aller jusqu'à quatre. Aujourd'hui, le collège offre probablement 10 programmes différents menant à un grade.
Le sénateur Mahovlich : Fait-il des progrès?
Mme Kennedy : En fait, il fait des progrès très soutenus depuis deux ou trois ans et certaines personnes dans la région souhaitent qu'il devienne indépendant. Je ne dis pas que c'est une bonne ou une mauvaise chose. Je ne m'en occupe pas, mais nous allons accroître les possibilités de formation postsecondaire dans l'Ouest de Terre-Neuve.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il beaucoup d'étudiants de l'extérieur, de la partie continentale?
Mme Kennedy : Nous avons fait beaucoup d'efforts de recrutement, non seulement au Canada, mais à l'extérieur du pays, et nous avons attiré beaucoup d'étrangers au Sir Wilfred Grenville College et au College of North Atlantic. Ils ont probablement connu une hausse d'environ 15 p. 100.
Mme Hancock : Je ne suis pas certaine.
Mme Kennedy : Il y a une augmentation assez importante des admissions de l'extérieur de la province actuellement.
Le sénateur Mahovlich : Voulez-vous faire concurrence à d'autres universités canadiennes?
Mme Kennedy : L'Université Memorial est déjà concurrentielle.
Mme Hancock : Oui. Même si c'est seulement le prolongement de l'Université Memorial, j'estime que ce n'est pas une mauvaise chose.
Le sénateur Mahovlich : Je crois que c'est une bonne chose.
Mme Kennedy : Moi aussi. Nous pouvons accroître considérablement les possibilités ici et le nombre de programmes dans l'ouest de la province.
M. St. George : Oui. Sénateur, dans ma région, beaucoup de jeunes fréquentent le collège et l'université à Corner Brook étant donné qu'on y offre des programmes menant à un diplôme depuis 10 ans.
Il est certain que les gens sont conscients des défis sur le plan économique. La population doit s'instruire. Nos jeunes sont de plus en plus nombreux à poursuivre des études postsecondaires. Le défi pour nous, c'est qu'ils restent à Terre- Neuve.
C'est la même chose dans l'ouest de la province et au Labrador, mais à plus petite échelle. Les jeunes suivent des cours d'université au collège communautaire, et nous assistons donc au même phénomène.
Le sénateur Mahovlich : C'est formidable. Le sénateur Gustafson a dit qu'en Afrique, les gens s'instruisent et partent, mais je crois qu'ils partent pour d'autres raisons, surtout la corruption de l'administration publique, parce que j'ai pu constater quand je suis allé au Congo qu'il y avait bien des raisons pour lesquelles les jeunes s'en allaient. Poursuivez votre travail d'éducation et vous en verrez les avantages parce que tout le monde estime que c'est la priorité absolue. Si vous avez une bonne université, les gens vont la fréquenter.
M. St. George : Il y a dix ans, nous avons déterminé qu'il fallait créer des liens entre les activités économiques et les établissements d'enseignement. Nous allons maintenant discuter des programmes dans les écoles avec le concours de la gestion intégrée du plateau côtier et le Rocky Harbour College. Il y a eu des échanges entre la Commission canadienne du tourisme et l'école secondaire. C'est donc important parce qu'il y a des possibilités. Il va y avoir des emplois dans les années à venir et nous devons intéresser les jeunes pendant qu'ils sont au secondaire parce qu'une fois à l'université, ils élargissent leurs horizons.
Nous aimerions fournir plus d'informations aux écoles avec l'aide des entreprises locales. L'an dernier, dans le cadre d'un projet pilote à Corner Brook, nous avons lancé le programme Books for Boats dans toutes les écoles, de Trout River à Port au Choix. C'est le bureau de Mme Kennedy qui a piloté le projet. C'est ainsi que les élèves du cours de sciences de neuvième année ont visité la station de biologie marine de North Point et découvert l'importance de l'écosystème et de la pêche. Je me suis occupé seulement de l'aspect financier du projet mais, apparemment, on insiste beaucoup pour que nous recommencions cette année et que nous en fassions davantage.
Mme Hancock : Nous avons aussi le College of the North Atlantic ici et 17 campus dans la province. Les statistiques montrent bien que là où l'infrastructure existe dans la province, le pourcentage d'élèves qui terminent leurs études secondaires et postsecondaires est plus élevé.
Nous aimerions bien que l'infrastructure prenne de l'expansion, mais il y a aussi des problèmes logistiques. Actuellement, le Sir Wilfred Grenville College envisage de s'affilier à l'Université Memorial. Nous voulons vraiment rapprocher l'université et le collège et aider les gens en région rurale.
Le sénateur Mahovlich : C'est motivant pour les jeunes d'avoir des possibilités. Une université à proximité est accessible. Mon père a toujours bâti nos maisons près d'une école pour être sûr que je puisse la fréquenter.
Le sénateur Gustafson : Avez-vous examiné l'incidence de la politique de l'immigration sur notre pays?
Mme Kennedy : Il y a à peine six mois, la province a présenté sa nouvelle stratégie sur l'immigration. Nous lui avons demandé de songer à en faire une « stratégie démographique ». Nous reconnaissons tous pour la plupart qu'il faut une stratégie en matière d'immigration, mais nous aimerions qu'on l'appelle stratégie démographique avant d'en rendre les mesures publiques. L'Île-du-Prince-Édouard a d'ailleurs commencé à remplacer sa stratégie sur l'immigration par une stratégie démographique. Nous ne voulons pas seulement attirer de nouveaux arrivants, mais aussi inciter les gens originaires d'ici à revenir. C'est donc ce qui est envisagé, mais la stratégie existe. Des gens avaient des craintes parce que c'est un changement culturel pour nous. Dans l'ensemble, toutefois, la plupart des gens ont fort bien accepté la stratégie.
Le sénateur Gustafson : Il me semble qu'il faut examiner la situation à l'échelle mondiale. On entend dire que les Américains veulent construire un mur le long de leur frontière avec le Mexique, mais il reste qu'ils ont besoin de ces travailleurs migrants pour faire les récoltes, ou encore s'occuper du service dans les restaurants et les hôtels parce que, sans eux, on pourrait difficilement louer une chambre d'hôtel.
Le monde dans lequel nous vivons évolue rapidement et il me semble que, si le Canada a commis des erreurs, c'est en acceptant des immigrants fortunés et instruits, ce qui a parfois pénalisé nos citoyens. C'est ce qui s'est passé en Saskatchewan avec les médecins qu'on a fait venir. À une certaine époque, en raison des politiques en vigueur, on refusait l'entrée en médecine à nos étudiants pour accueillir des médecins de l'extérieur.
Je me demande ce que vous avez fait dans la province à ce sujet.
Mme Kennedy : C'est la raison pour laquelle, par souci de rectitude politique, nous ne voulons pas d'une « stratégie sur l'immigration »; nous voulons plutôt emboîter le pas à l'Île-du-Prince-Édouard parce que nous trouvons qu'il est plus logique d'adopter une stratégie démographique.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais savoir ce que vous pensez du Programme de développement des collectivités. Fonctionne-t-il?
M. St. George : En fait, j'étais un employé du Programme de développement des collectivités jusqu'à son fusionnement avec le Centre d'aide aux entreprises; je suis ensuite allé travailler pour le Conseil de développement économique régional, du côté des services communautaires.
Dans notre région, nous avons la NORTIP Development Corporation. Il y a 15 bureaux dans la province qui accordent des prêts. C'est une partie importante de nos services et de nos programmes. Ces bureaux contribuent à l'économie de la région parce qu'ils sont souvent les seuls à offrir de l'aide financière et autre aux entreprises.
Nous avons toutefois un problème en raison des investissements nécessaires. Actuellement, le fonds d'investissement est limité à 125 000 $, je pense. Il faudrait revoir la façon dont nous finançons les entreprises. Je vais vous donner un exemple précis montrant qu'il faut examiner la politique. Nos usines de transformation de la crevette rejettent les carapaces sur le littoral, alors que nous pourrions construire des usines pour transformer les carapaces en chitine et en d'autres produits utilisés dans le secteur pharmaceutique. Il faudrait adopter une approche plus globale pour assurer la valeur ajoutée.
Le Programme de développement des collectivités s'adresse davantage aux propriétaires de petites entreprises; il est utile, mais c'est seulement un élément parmi tant d'autres. En tant qu'employé, je trouve évidemment le programme utile. Cependant, comme la région se transforme, il devient certes plus difficile de transiger avec le milieu des affaires.
La présidente : Merci beaucoup de vos exposés et de vos témoignages.
Sénateurs, nous allons maintenant accueillir des représentants du Réseau de banques alimentaires et de l'Union des pêcheurs de Terre-Neuve.
Judie Gushue, ancienne présidente, Réseau de banques alimentaires : Je suis très heureuse de m'adresser à vous au nom du Réseau de banques alimentaires de l'Association ministérielle de la baie des Îles, communément appelé Réseau de banques alimentaires. Sœur Alicha, qui m'accompagne aujourd'hui, et moi-même faisons toutes les deux partie de la direction du Réseau. Sœur Alicha supervise un comptoir alimentaire et je suis une ancienne présidente. J'ai enseigné pendant 30 ans au niveau postsecondaire, en commerce, arts appliqués et services communautaires, et Sœur Alicha a elle aussi longtemps enseigné à des jeunes de la maternelle à la neuvième année. Elle a œuvré pendant 13 ans dans le milieu des services communautaires dont le Réseau de banques alimentaires fait partie.
Le mot « réseau » décrit bien le fait que nos services alimentaires d'urgence sont offerts à partir d'un centre de collecte et de distribution à ceux qui en ont besoin à Cornerbrook, ainsi que sur les rives nord et sud de la baie des Îles et dans les localités de Steady Brook, Massey Drive et Little Rapids. Nous avons un excellent système informatique qui nous permet de tenir des données sur les clients et les aliments qui sont fournis en grand nombre depuis la création du Réseau en 1994.
Le Réseau a été créé par l'Association ministérielle pour une raison précise. Au départ, les familles nécessiteuses étaient dépannées par toutes les Églises de la région et il y avait beaucoup de chevauchements dans l'aide alimentaire à cette époque. L'Association ministérielle a alors eu la brillante idée de réunir l'ensemble des paroissiens pour leur demander s'ils accepteraient de soutenir un réseau et de recruter un coordonnateur pour réduire grandement les chevauchements — car nous refusons de parler « d'abus » — dans la distribution des services alimentaires et des paniers de nourriture. C'était une façon de rendre le système équitable pour tous et d'en assurer l'existence.
Le Réseau de banques alimentaires est un organisme de bienfaisance enregistré. Il a été constitué en personne morale en septembre 2006. Nous avons un conseil d'administration très dynamique dont tous les membres représentent les Églises de la région que nous servons. Nous nous adressons à une population d'à peu près 40 000 personnes. Le Réseau a un coordonnateur à temps plein et des centaines de bénévoles dévoués; de plus, le milieu nous appuie à 150 p. 100 si c'est possible, et cela depuis des années.
En 2006, nous avons répondu à 1 647 demandes d'aide alimentaire et secouru 657 familles de la région, ce qui représente un montant de 120 000 $. Nos deux comptoirs alimentaires distribuent chaque mois, été compris, des aliments pour une valeur de 10 000 $ aux familles nécessiteuses de la région.
J'imagine que nous sommes la seule banque alimentaire au Canada dont l'aide distribuée a diminué depuis deux ans, ce que je peux expliquer. En effet, l'aide alimentaire a diminué de 29,8 p. 100 depuis 2005 et, en 2005, elle avait aussi diminué de 8,8 p. 100. Vous vous demandez sûrement pourquoi il en est ainsi alors que l'aide augmente presque partout.
Il y a eu une crise dans le réseau en 2002. Les données que nous avons pu compiler à partir de nos dossiers informatiques très bien tenus nous ont permis de constater que 24 p. 100 des gens que nous appellerons nos clients, faute d'un meilleur mot, venaient immanquablement chercher des denrées chez nous toutes les huit semaines. Ils reconnaissaient vouloir visiter la banque alimentaire tous les mois. La plupart de ces familles, ce qui n'est pas étonnant, touchaient de l'aide sociale, ce qui est aujourd'hui le soutien du revenu. Pendant des années, elles ont fait appel à ces organismes entièrement bénévoles à des nombreuses occasions. Le réseau était en crise.
En 2002, nous avons rencontré l'Association ministérielle, reconnu la crise et défini un plan d'action pour la régler. J'ai indiqué, en tant que nouvelle présidente à l'époque, que nous fermerions nos portes si le nombre de clients augmentait, surtout le nombre de ceux qui revenaient toutes les huit semaines. Les 800 ou 900 familles que nous aidions en 2002 auraient dû retourner demander le secours des Églises, ce qui aurait été désastreux. Tout le système se serait effondré.
Le conseil d'administration a donc mis en œuvre un plan avec la collaboration des directeurs bénévoles, des coordonnateurs et de l'Association ministérielle en vue d'un redressement dont nos clients seraient les plus importants bénéficiaires. Tout le monde est devenu redevable de ces actes, et nous avons été très chanceux d'avoir deux excellentes superviseures à la direction des comptoirs, soit Sœur Alicha et Capitaine Betty Ann Pyke. Nous avons commencé à reprendre en main la situation qui nous échappait d'après nous. Nous devions rendre des comptes à la population qui nous a tellement appuyés.
Nous avons commencé à travailler directement avec les superviseures des comptoirs pour rappeler aux familles que notre service alimentaire était un service d'urgence. Nous avons expliqué que nous étions bien disposés à offrir notre aide, mais qu'il ne fallait pas épuiser nos ressources. En fait, nous en avons partagé le coût. Nous avons fait savoir aux gens qu'ils ne pourraient peut-être pas continuer de venir toutes les huit semaines pendant des années nous demander de l'aide. Nous avons commencé à leur faire comprendre qu'ils devaient réfléchir à la situation, et insisté pour qu'ils trouvent d'autres solutions à leurs besoins. Nous leur avons vraiment demandé leur collaboration afin d'assurer que nos ressources ne s'épuisent pas aussi rapidement qu'avant.
En 2002, 24 p. 100 de notre clientèle venait s'approvisionner toutes les huit semaines et, en 2000, il en coûtait 40 000 $ en ressources alimentaires au réseau bénévole. Nous avons fait remarquer le problème au ministère de la Santé et des Services sociaux parce que c'était surtout des bénéficiaires de l'aide sociale qui profitaient de ce montant de 40 000 $. À notre avis, nous soutenions et financions le budget du ministère à cette époque, ce que nous ne pouvions plus faire.
Ce qui est difficile pour nous, en tant que membres du conseil d'administration du Réseau de banques alimentaires — et Sœur Alicha peut le confirmer — c'est que nous connaissons les problèmes de nos clients et leur situation financière; nous savons que ce sont des gens à faible revenu qui ont peu d'instruction, mais notre mandat consiste simplement à fournir des services alimentaires d'urgence, pas à apprendre à mieux connaître les familles et les particuliers qui nous visitent. Ayant toutes les deux travaillé dans l'enseignement, Sœur Alicha et moi savons combien l'instruction est importante et nous sommes à la fois inquiètes, déçues et choquées de ne pas pouvoir leur montrer comment planifier un repas et un budget. Il ne s'agit pas de porter de jugement sur eux, mais simplement de leur transmettre les connaissances et les compétences de base que nous avons. Nous ne pouvons pas le faire. Il y a une politique et un énoncé sur la confidentialité qui nous empêchent de le faire, mais je suis persuadée que nous devons trouver le moyen d'aider nos clients.
C'est particulièrement difficile pour les bénévoles des comptoirs alimentaires et des gens comme Sœur Alicha qui rencontrent ces personnes tous les jours. Ils jouent un rôle très utile parce qu'ils proposent aux clients de suivre un atelier de gestion financière ou encore ils leur donnent des conseils de santé. C'est cependant minime ce que nous pouvons faire et on ne sait pas jusqu'à quel point cela peut servir.
J'aimerais maintenant vous parler d'un autre défi pour le Réseau de banques alimentaires, dans notre aide aux familles à faible revenu, et c'est celui lié à la distribution d'aliments non périssables. Il est question dans mes notes de la nutrition en boîte. D'une certaine façon, je crois que nous pouvons faire mieux dans le cadre de notre mandat actuel en offrant aux familles des aliments, comme des pâtes, plus nutritifs, faits de grains entiers, et cetera. Nous pouvons trouver des moyens d'améliorer nos mesures d'aide alimentaire. C'est pourquoi cette question sera à l'ordre du jour des discussions de la prochaine réunion de notre conseil d'administration.
Nous nous réjouissons du soutien indéfectible que nous recevons des résidents, des entreprises, des organismes, des écoles et des collèges. Notre conseil d'administration s'engage à trouver d'autres façons d'aider davantage les familles dans le besoin.
Je vous ai donné quelques exemples de ce que nous pouvons faire et de ce que nous avons déjà fait à plusieurs reprises. Sœur Alicha a proposé que les gens puissent apprendre à faire un budget et acquérir des connaissances pratiques. Nous allons poursuivre notre travail auprès de partenaires. Nous allons distribuer dans les sacs d'aliments, les sacs d'épicerie que nos clients vont rapporter à la maison des brochures sur les organismes qui offrent des ateliers sur la gestion des dettes et d'un budget. Nous avons établi des partenariats de ce genre, d'une façon un peu détournée. Nous aimerions avoir des moyens plus directs d'aider les gens encore davantage.
Nous allons réévaluer ce que nous appelons notre panier ordinaire pour offrir des choix-santé. Nous allons demander l'aide des résidents en leur distribuant une liste d'aliments sains qu'ils pourraient nous donner, même s'il s'agit de denrées non périssables en boîte. Nous recevons aussi des dons en argent et nous allons faire l'effort d'acheter des aliments plus sains plus souvent.
Ce n'était qu'une simple introduction pour amorcer la discussion et vous permettre de poser vos questions sur le réseau des banques alimentaires. Je vous remercie de votre attention et je suis impatiente de répondre à vos questions.
La présidente : Sœur Alicha, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Sœur Alicha Linehan, secrétaire, Réseau de banques alimentaires : Pas vraiment. Je crois que Mme Gushue a pratiquement tout dit. Personnellement, je crois qu'une bonne partie du problème se situe au niveau du système d'éducation. Je suis grandement en faveur de l'éducation préscolaire, parce que nous assistons à un cycle qui se répète depuis des générations.
Je tenais à vous parler des difficultés auxquelles font face de nombreuses familles. J'entends toutes sortes d'histoires comme celle de cette mère qui n'a pas envoyé ses enfants à l'école pendant deux jours parce qu'elle n'avait rien à leur donner pour dîner. C'est terrible! Cette situation me bouleverse, d'autant plus que je ne suis pas en mesure de les aider, parce que je n'interviens qu'en cas d'urgence.
Comme Judie l'a dit, nous avons travaillé fort pour recommander la mise sur pied d'un cours qui permettrait aux gens d'apprendre à dresser un budget, dispensé dans l'une de nos banques alimentaires. Ce serait formidable d'offrir un tel cours sur place, mais nous ne pouvons rien faire de plus que le recommander. Comme je côtoie directement la clientèle, ce sont deux situations qui m'attristent énormément.
Je ne connais pas l'histoire de chacun. J'en entends seulement ici et là, de temps à autre; par exemple, des hommes seuls qui doivent composer avec des budgets très limités. C'est décourageant de savoir dans quelles conditions ils vivent et de ne pouvoir rien faire pour eux.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, et sachez que je partage votre peine, car beaucoup de gens de ma région, dans le Sud-Ouest de l'Alberta, vivent un peu la même situation. Ces dernières années, nous avons vu des banques alimentaires s'établir pour la première fois dans les petites villes qui parsèment cette région rurale. Il s'agit d'un problème de taille.
Sœur Alicha : De plus, ce sont des villages de pêcheurs. Il y a Cox's Cove, autour de la baie jusqu'à Lark Harbour, et Frenchman's Cove. Le fait que ces communautés vivent de la pêche a forcément eu une incidence sur les familles.
La présidente : Nous allons maintenant céder la parole aux représentants de l'Union des pêcheurs de Terre-Neuve.
Jason Spingle, représentant des employés de la côte Ouest, Union des pêcheurs de Terre-Neuve : Au nom de mes collègues, Mme Payne et nos membres, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. Plus de 90 p. 100 de nos membres viennent de communautés de pêcheurs des régions rurales de Terre- Neuve-et-Labrador, et cette question revêt une importance capitale pour eux et leur avenir.
Je suis fier de dire que je suis originaire d'un petit village de pêcheurs dans la région de Labrador Straits, tout juste au nord d'ici, à l'Anse-au-Clair. Je m'enorgueillis aussi de dire que je suis l'un des premiers diplômés du programme de sciences de l'Université Memorial — sur la colline, comme nous l'appelons. Je suis encore ici, ce qui est une bonne chose. Je vais parcourir rapidement notre mémoire, dont nous avons remis copie à chacun de vous. Comme il est assez long, nous n'aborderons pas tous les points; je vais plutôt vous résumer l'essentiel.
Notre union compte plus de 20 000 membres dans toute la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Évidemment, la grande majorité d'entre eux travaillent directement dans l'industrie de la pêche, soit dans les secteurs de la récolte ou de la transformation. J'aimerais insister sur le caractère rural de notre union.
Comme nous le savons tous, les communautés rurales font partie de notre identité canadienne et constituent un enjeu très important. Ce qui a grandement touché, au cours des dernières années, les secteurs primaires qui assurent la subsistance des communautés rurales sont les facteurs macroéconomiques tels que la force du dollar canadien; la mondialisation — je donne souvent l'exemple de la main-d'œuvre bon marché de pays comme la Chine; la régionalisation des services, quelque chose d'extrêmement important de notre point de vue; les faibles revenus, particulièrement au sein d'une population vieillissante et décroissante; et l'exode rural des jeunes. Mais tout d'abord, il faudrait commencer par reconnaître la valeur unique du Canada rural. Ce serait un bon début.
Le coût de la vie élevé, en particulier pour se chauffer et se loger, constitue un problème pour les familles des communautés rurales. Nous n'avons parlé que de nourriture et de services. La régionalisation des services a un effet considérable sur ces communautés.
Si l'on se fie aux dernières statistiques, on pourrait dire que c'est tout le Canada qui connaît une chute du taux d'épargne. Mais si l'on examine cela de plus près, on voit qu'en 1993 et auparavant, Terre-Neuve-et-Labrador était l'une des provinces possédant le plus haut taux d'épargne per capita. Par conséquent, ce sont simplement les circonstances qui ont amené ces gens à se retrouver dans une situation aussi difficile.
J'ai une ventilation des statistiques de l'emploi en milieu rural. J'aimerais attirer votre attention sur le dernier point : les industries sont saisonnières, pas les travailleurs. Les trois principales industries sont la pêche, la foresterie et le tourisme. En outre, ces industries attirent des capitaux, c'est pourquoi elles sont aussi importantes. Cependant, pour des raisons évidentes, elles ne rapportent pas à longueur d'année. Par ailleurs, l'augmentation de la valeur du dollar canadien a porté un dur coup à ces trois industries.
Prenons maintenant les chiffres réels; vous avez entendu que jusqu'à il y a quelques années, la pêche à Terre-Neuve était une industrie d'un milliard de dollars; cela nous montre son importance. C'est ou plutôt c'était la plus grande industrie. Compte tenu des facteurs susmentionnés, elle a subi quelques revers, mais on a l'impression que l'industrie de la pêche, par exemple, ne représente plus qu'une petite partie de ce qu'elle était. En effet, à certains égards, on peut dire que c'est vrai, mais il n'en demeure pas moins que c'est ce qui fait vivre les communautés rurales dans cette province. Elle est donc indispensable.
En ce qui concerne les facteurs en cause, sachez que la valeur de nos exportations a diminué de plus de 300 millions de dollars depuis 2004. Cette chute est en grande partie attribuable au fait que nous exportons la plupart de nos produits aux États-Unis et en Europe. Ce sont nos deux plus grands marchés, avec quelques pays d'Asie. Si nous prenons le crabe, qui est principalement exporté aux États-Unis — le crabe des neiges, notre ressource la plus chère avec la crevette —, en 2006, nous avons essuyé des pertes de 47 millions de dollars à cause de l'appréciation du dollar canadien. On parle ici de la valeur au débarquement seulement, et cet argent est directement destiné aux communautés rurales. Les conséquences sont donc énormes pour les communautés qui dépendent de ces ressources.
Quant aux rapports de la Banque du Canada, nous croyons fermement qu'il incombe au gouvernement du Canada de se pencher sur l'incidence de la valeur du dollar canadien sur l'industrie de la pêche et sur les besoins d'adaptation des travailleurs et de leur famille partout au Canada. Nous ne le dirons jamais assez.
Nous vous avons donné quelques statistiques sur les changements auxquels nous avons assisté depuis les moratoires sur la pêche à la morue et au poisson de fond entrés en vigueur en 1992 et 1993 respectivement. Nous ne connaissons que trop bien les répercussions de tels moratoires. Beaucoup de pêcheurs et de travailleurs d'usine se sont retrouvés sans travail. Certains considèrent même que le secteur de la transformation est décimé. Les effets ont été dévastateurs.
Il y aussi le problème du chômage. On compte 24 000 emplois directs dans le secteur de la pêche. Nous pouvons dire que les femmes ont été extrêmement touchées étant donné que le nombre d'emplois dans la transformation a été réduit de moitié et que ce sont principalement des femmes qui travaillent dans les usines.
Évidemment, les pêcheurs de poisson de fond, comme la morue, le saumon ou le sébaste, dont le volume était élevé et exigeait une forte main-d'œuvre, se sont tournés vers le crabe et la crevette, dont le volume beaucoup plus faible nécessite moins de transformation. Néanmoins, il reste que la valeur est supérieure.
Ce n'est pas surprenant, les gens dans l'industrie de la pêche ont un certain profil. Trente pour cent des travailleurs ont plus de 50 ans. Le revenu moyen en ce moment — et j'insiste vraiment là-dessus —, incluant les prestations d'assurance-emploi, dépassait à peine les 17 000 $ l'année dernière. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié des travailleurs d'usine sont des femmes, ce qui est loin d'être négligeable.
Dans le secteur de la récolte, la moyenne d'âge se situe au-dessus de 50 ans, et il y a de plus en plus de femmes là aussi. Le revenu moyen est légèrement plus élevé en terme relatif. Encore une fois, il inclut les prestations d'assurance- emploi — et cela concerne les propriétaires de bateau également. L'industrie de la transformation est plus productive, exige moins de main-d'œuvre et génère plus de richesses, mais les conditions de travail se sont détériorées considérablement et les revenus ont chuté au fil des années.
Après l'imposition du moratoire en 1992, tous ceux qui avaient pris part au programme d'adaptation des pêches s'attendaient à ce que les stocks se soient rétablis avant 2000, et non 2002. Nous parlons ici de prévisions et, manifestement, le gouvernement n'avait pas prévu le coup. Si on prépare un scénario en s'appuyant sur des conjectures, il faut prévoir en même temps un plan d'urgence. Il est évident qu'il n'y en avait pas, et cela a plongé un grand nombre de personnes dans des situations extrêmement difficiles.
Quant à l'évaluation de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, j'estime qu'elle aurait été beaucoup plus utile si elle avait été faite en 1992. Toutefois, le ministère a prédit la situation après coup, alors que nous étions déjà aux prises avec les problèmes. Ils sont encore présents et ils ne se régleront pas tout seuls. Le gouvernement doit agir. Il incombe aux deux niveaux de gouvernement de stabiliser cette industrie ainsi que la centaine de communautés qui en dépendent.
J'aimerais ajouter quelque chose au dernier point. Vous avez également reçu une copie du document d'orientation intitulé « Stabilizing and Strengthening the Newfoundland Fishery : Fighting for the survival of our coastal communities. » Fin novembre ou début décembre l'an dernier, nous avons tenu notre congrès, qui a lieu tous les trois ans, et nous avons cherché principalement des façons de stabiliser l'industrie de la pêche, de sauver — et de faire prospérer à l'avenir — nos communautés rurales.
Nous devons faire quelque chose. Nous assisterons à l'autorationalisation. Elle est inévitable et aura un effet dévastateur à bien des égards. Il est impossible de recycler tout le monde, et nous perdons tellement de gens. Nous devons absolument nous attaquer au problème si nous voulons sauver les régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador.
Il y a d'importants obstacles au recyclage. Nous avons seulement examiné les données démographiques et l'âge moyen des travailleurs. Bien sûr, je n'ai pas beaucoup insisté sur l'éducation, car pour des raisons évidentes, c'est un problème bien connu.
J'aimerais aborder particulièrement la question des femmes qui ont des engagements envers leurs familles. Celles-ci doivent, par exemple, prendre soin de parents âgés, ce qui les limite dans leur capacité à se recycler et les rend moins mobiles. Ce ne sont pas des problèmes dont on fait habituellement état dans la section économique du Globe and Mail, n'empêche qu'ils sont bien réels.
Dans le document, vous trouverez le témoignage d'un travailleur d'usine à Marystown, qui met la situation de ces gens en perspective. De quoi avons-nous besoin? Manifestement, il faut un programme de renouvellement de l'industrie, qui servirait de catalyseur pour revitaliser l'industrie et les communautés. Parmi les suggestions : programme de retraite anticipée ou de rachat de permis pour les pêcheurs — et cela peut prendre différentes formes; retraite anticipée pour les travailleurs d'usine, pour les gens qui ont énormément apporté à notre économie et qui vivent dans des conditions difficiles; et recyclage pour ceux qui le désirent. Beaucoup souhaitent se réorienter, et les possibilités sont là.
J'aimerais aborder brièvement un point important que nous avons passé sous silence en ce qui a trait à la politique sur les pêches — vous pourrez en lire les détails dans notre mémoire. Dans les années 1970, le ministère des Pêches et des Océans a adopté deux politiques : celle du propriétaire-exploitant et celle de la séparation des flottilles. Très simplement, la première stipule que, dans le secteur de la pêche côtière, le titulaire d'un permis de pêche doit exploiter ce permis, une disposition qui, si elle est appliquée correctement, devrait mettre fin à la propriété par les entreprises ainsi qu'à leur contrôle de la ressource. La deuxième politique, sur la séparation des flottilles — qui est le prolongement de l'autre —, établit un système par lequel ce sont les titulaires de permis qui pêcheront le poisson, et les acheteurs qui se chargeront ensuite de le transformer. Nous savons que c'est le meilleur système pour les communautés; l'autre, très franchement, mène à la privatisation. Il existe beaucoup d'exemples de ses répercussions sur les communautés rurales.
Quant à ces autres questions faisant souvent l'objet d'importants débats, comme la réduction de la dépendance à l'assurance-emploi, si nous renforçons l'économie au moyen d'un ajustement, nous limiterons le recours à ce type de programmes. Ceux-ci demeureront nécessaires, mais on comptera moins sur eux.
En conclusion, il nous semble important de rappeler certaines réalités. Ceux qui se recycleront parmi les travailleurs du secteur de la transformation — et de la pêche également —, dont la majorité aura passé 35 ans sur le plancher de béton d'une usine de transformation du poisson, à raison de six mois par an, si ce n'est une année complète, auront de fortes chances de se retrouver avec des handicaps physiques comme l'arthrite. Nous connaissons bien les problèmes que cela représente pour les travailleurs dans la plupart des industries. Si une personne se recycle à 55 ans, il y a lieu de se poser certaines questions élémentaires, mais tout à fait légitimes, dont celle-ci : jusqu'à quel point la plupart des employeurs voient d'un bon œil une personne qui se recycle à cet âge? Il est difficile de se recycler puis de continuer à travailler.
J'aimerais insister encore une fois sur les différences entre les sexes. Au regard des difficultés que tout ce secteur de la population éprouve, la situation est beaucoup moins facile pour les femmes car, à bien des égards, la responsabilité de leur communauté et de leur famille repose sur leurs épaules.
Pour terminer, nous avons proposé de nombreuses solutions pour lutter contre la pauvreté rurale par les moyens que nous avons évoqués — et je n'en ferai pas la lecture. Ici-même, au collège Sir Wilfred Grenville, un professeur qui étudie le sujet a prononcé une allocution très intéressante. Avant notre départ, j'aimerais vous donner des références concernant une partie de ses travaux. L'automne dernier, il a donné une conférence dont le thème était, je crois : Vaut- il la peine de sauver les régions rurales canadiennes? Vous pourriez jeter un coup d'œil à son travail. Je pense que c'est extrêmement important. La question — et j'y ai beaucoup songé moi-même, en tant que jeune citoyen de Terre-Neuve- et-Labrador et du Canada — est fort simple. Je pense que nous avons deux possibilités : payer maintenant et régler ces problèmes en investissant dans nos communautés et dans l'ensemble du Canada rural, ou remettre cela à plus tard.
Personnellement, j'ai retenu un vieil adage : mieux vaut prévenir que guérir. J'ai souvent constaté que ce principe se vérifiait. Je tiens à vous remercier, et j'attends avec impatience la suite du débat sur cette question.
La présidente : J'ai noté que la question de l'apprentissage des jeunes enfants revient souvent dans ce rapport. Madame Payne, vouliez-vous ajouter quelque chose avant que les sénateurs ne commencent à poser leurs questions?
Lana Payne, recherche et communications, Union des pêcheurs de Terre-Neuve : J'ajouterai seulement quelques mots sur la question de l'éducation préscolaire, car je sais que certains témoins en ont parlé plus tôt, tout comme vous. Je pense que l'un des plus grands problèmes que nous éprouvons dans les communautés rurales, c'est que de nombreux services, que l'on tient pour acquis dans les grands centres, ne sont tout simplement pas disponibles. Dans notre province, environ 80 p. 100 des programmes de garde d'enfants et d'éducation en âge préscolaire sont concentrés dans les agglomérations, même si le gouvernement provincial tente maintenant de remédier à la situation.
Malheureusement, l'annulation des accords bilatéraux sur l'apprentissage des jeunes enfants conclus entre le gouvernement fédéral actuel et les provinces a détruit les plans établis. Nous avons perdu environ 55 millions de dollars prévus dans l'accord pour les quelques années à venir, et une grande partie de cet argent devait servir à l'éducation préscolaire en zone rurale. Nous avons donc dû repartir à zéro.
Je sais qu'on a déjà discuté d'éducation, mais il s'agit vraiment d'un sujet crucial. Nous devons nous assurer que les habitants des communautés rurales y ont accès. Actuellement, tout le monde sait qu'il en coûte bien plus cher aux jeunes de ces communautés pour étudier car il leur faut se déplacer et il y a de fortes chances qu'au bout du compte, ils soient beaucoup plus endettés, ce qui contribue souvent au fait qu'ils finissent par s'établir en Alberta pour y gagner de gros salaires, étant donné qu'ils ont une dette importante à rembourser.
Ainsi, il faut dépenser de l'argent tôt, et le dépenser dans l'éducation.
Le sénateur Mercer : Merci de votre comparution. Je pense que la dernière remarque de Mme Payne pourrait servir de titre à un rapport : investissons dans l'éducation, et faisons-le tôt.
La présidente : Ce n'est certainement pas moi qui m'y opposerais.
Le sénateur Mercer : Ce serait une bonne introduction pour notre rapport final. J'ai noté qu'à la page 18 de sa présentation, M. Spingle déclare « Tout le monde ne peut déménager en Alberta (comme le laisse entendre C.D. Howe) » — ou l'Atlantic Institute for Market Studies, « l'Institut C.D. Howe de l'Est », comme je l'appelle.
Monsieur Spingle, vous avez brièvement parlé des politiques visant les propriétaires-exploitants et la séparation des flottilles. Vous semblez les approuver toutes les deux. Pourriez-vous me donner davantage de détails à ce sujet? Qu'en est-il des quotas? Nous avons entendu des témoins de Nouvelle-Écosse se plaindre de gens qui vendaient des quotas et du fait que certains quotas étaient détenus par des personnes ne faisant pas partie de la communauté. Le meilleur exemple est celui de Canso, en Nouvelle-Écosse, où les habitants peuvent voir des gens d'autres régions pêcher sous leur nez en utilisant le quota qu'eux-mêmes avaient auparavant.
M. Spingle : Eh bien, ce à quoi nous avons assisté ici, bien sûr, c'est à la création, par Pêches et Océans Canada, de deux groupes dans le domaine des pêcheries. D'une part, il y a ce qu'on appelle le secteur des embarcations de moins de 65 pieds, dont font partie nos membres d'ici, à Terre-Neuve-et-Labrador. Dans ce secteur, les pêcheurs détiennent des licences individuelles et les quotas sont répartis entre les flottilles de pêche. L'autre groupe est celui de la pêche en haute mer, qui concerne principalement les entreprises. Dans ce contexte, nous devons nous pencher sur les raisons pour lesquelles c'est devenu ainsi. Bien sûr, si l'on tient compte du Fishery Products International Limited et des quotas imposés pour certaines espèces plus au large, la décision de procéder de cette façon était appropriée à l'époque. Cependant, nous avons assisté à une privatisation des ressources.
Je vais d'abord m'attaquer à ce dernier problème. Par exemple, le quota d'une communauté détenu par une entreprise pourrait changer de mains, de sorte que le poisson irait ailleurs. Cela n'a jamais été l'objectif visé. Mais c'est ce que nous constatons, à mesure que le nombre d'exploitants diminue à cause des fusions et autres. Les intérêts communautaires en prennent un dur coup, ce qui a un impact considérable pour la population.
Les politiques visant les propriétaires-exploitants et la séparation des flottilles ont été adoptées parce qu'il était très difficile — le problème s'est aggravé ces dernières années, mais il n'est pas nécessairement nouveau — pour nos membres d'accéder au capital. Bien souvent, après examen de leur plan d'affaires, les banques n'évalueront même pas leur demande. Alors, où iront-ils? Ils se tourneront vers les entreprises, ces mêmes entreprises qui font partie du problème. Bien sûr, celles-ci ne voient pas d'inconvénients à avancer l'argent, mais nos membres doivent pratiquement tout mettre en gage en échange. C'est un problème considérable que nous tâchons de régler en ce moment. Au final, cela réduit les intérêts communautaires dans le secteur des pêches.
Nous avons vu que cela prenait deux directions. Dans des pays comme l'Australie, on a appliqué des mesures exhaustives, et les politiques visant les propriétaires-exploitants et la séparation des flottilles sont exclues. Il n'y a aucune concurrence de la part des transformateurs de poisson, car ceux-ci deviennent en quelque sorte des pêcheurs. Ils font ce qu'ils veulent, contrairement aux flottilles des Îles Féroé, par exemple. Dans le cadre d'une étude de cas menée là-bas, on s'est concentré sur l'objectif de ramener le poisson dans les communautés. Je pense que, pour la ressource et, de façon plus importante, pour les gens qui en vivent, le modèle des Îles Féroé est plus viable et — si je puis me permettre d'utiliser un mot fort — plus sensé.
Mme Payne : Sinon, C'est à Bay Street qu'on contrôle la ressource.
M. Spingle : Oui.
Le sénateur Mercer : Je pensais qu'on y contrôlait tout. En tout cas, on fait tout pour. Lorsque vous avez parlé de Pêches et Océans Canada, vous n'avez fait aucune mention des données scientifiques émanant de ce ministère et dont la fiabilité fait constamment l'objet d'un débat dans le Canada Atlantique.
M. Spingle : C'est précisément de ces questions dont je me suis surtout occupé au cours de mon mandat, ces huit dernières années. En fait, j'ai une formation en sciences. C'est un paradigme en évolution maintenant, car nous tâchons de promouvoir un nouveau système et de le mettre en œuvre. Les programmes auxquels j'ai participé — le Programme sentinelle du poisson de fond et le Programme de recherches conjointes en sciences halieutiques — permettaient de mener des recherches faisant appel à des scientifiques de Pêches et Océans Canada et à des pêcheurs. Nous avançons tant bien que mal. Je pense qu'au bout du compte, la fiabilité de la science dépend de la rigueur des données. Il s'agit de déterminer le mieux possible ce qui se produit, et si c'est bon ou pas.
Avant le moratoire — c'est pourquoi cela a changé en partie —, Pêches et Océans Canada avait un système qu'il utilisait exclusivement à l'interne. Ce ministère publiait ses rapports et prenait des décisions en conséquence. Les pêcheurs pêchaient. Mais le moratoire a ouvert les yeux à tout le monde. Depuis, au moyen des programmes que je viens de mentionner, et grâce auxquels j'ai pu mettre mes compétences à profit, nous avons travaillé pour que les pêcheurs participent non seulement à la collecte des données, mais aussi à leur analyse et à leur interprétation. Je reviens tout juste de Mont-Joli, au Québec, où l'on a tenu une évaluation des stocks de morue du nord du golfe, un événement annuel auquel je participe, et nous commençons à constater, de même qu'au moyen d'autres programmes, que cela bénéficie à l'ensemble du système. Beaucoup de gens l'ignorent, mais nous sommes très impliqués dans le dossier et nous estimons que les pêcheurs devraient avoir voix au chapitre. Nous n'en sommes pas encore là, mais c'est ce que nous espérons.
Le sénateur Mercer : Il est rassurant de vous entendre dire que les données scientifiques sont plus exactes qu'avant. Voilà de bonnes nouvelles.
Mme Gushue et Sœur Alicha, j'ai lu votre rapport, et il m'a bouleversée. En fait, lorsque j'ai commencé à le lire, je ne m'attendais pas à cela, mais j'ai été troublée par votre préoccupation relative à l'aide alimentaire d'urgence et à la fréquence à laquelle les gens y recourent, de même qu'à votre allusion à ces familles qui se présentent dans les banques alimentaires toutes les huit semaines. Vous avez tenté de leur faire comprendre que les banques alimentaires n'étaient qu'une mesure d'urgence. Mais ne peut-on pas imaginer que des familles ayant un niveau de revenus aussi faible, et vivant une telle détresse, puissent se retrouver en situation d'urgence toutes les huit semaines? Votre rapport me donne l'impression que, si je me rends à une banque alimentaire toutes les huit semaines, quelque chose ne tourne pas rond chez moi.
Mme Gushue : Nous ne voyons aucun mal à ce qu'on se présente chez nous toutes les huit semaines. Mais, d'un autre côté, nous souhaitons que ça cesse, car nous voulons faire plus pour les clients. Nous nous sentons impuissants parce que nous ne pouvons les aider. Ces gens vivent des problèmes importants, mais nous ignorons lesquels et ce qui les amène dans les banques alimentaires.
Nous savons que réclamer fermement la préservation des ressources posait un dilemme, mais l'épuisement de ces ressources semblait un problème de première importance à l'époque. Jamais nous n'avons refusé qui que ce soit, mais en 2002, nous craignions qu'il n'y ait plus de banque alimentaire pour secourir les nécessiteux. Nous pensions que peut- être, dans un effort de sensibilisation, nous pourrions aider les gens à faire les bons choix, sans toutefois les forcer. Nous n'avons refusé personne. Nous discutions le plus possible avec les gens, dans la mesure où notre mandat nous le permettait.
Le sénateur Mercer : Est-ce que cela fait partie de la question que vous avez soulevée sous le thème : « ressources/ talents inutilisés » en ce qui concerne les politiques de confidentialité qui vous empêchent de consigner ce que vous savez des clients ainsi que vos connaissances sur d'autres sujets? Il me semble que Feed Nova Scotia, l'une des plus importantes banques alimentaires de Nouvelle-Écosse, a pris certaines mesures intégrant les politiques d'autres banques alimentaires et d'autres services sociaux, dont le programme d'alphabétisation. Est-ce que cela a été votre cas? Avez-vous essayé aussi?
Mme Gushue : Oui, nous avons commencé en 2002. Lorsque nous avons compris, au cours des trois ou quatre dernières années, que nos ressources, y compris nos ressources financières, étaient désormais assurées et que l'appui de la communauté se poursuivait et n'avait pas fléchi, nous nous sommes sentis assez forts pour passer à autre chose et créer des liens. J'ai évoqué notre rencontre avec des représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux, en juin 2002, et le fait qu'à l'époque, par l'entremise du conseil, j'avais proposé que nous établissions des liens avec les différents ministères concernés. Nous ne cherchons pas à obtenir du financement. Toutefois, nous aimerions entretenir des relations avec ceux qui fournissent des services aux clients, et souhaiterons leur communiquer nos connaissances et leur expliquer comment nous pouvons les aider dans ce cercle formé par les bénéficiaires, nous-mêmes, les organismes gouvernementaux et les groupes communautaires, qui servent tous les mêmes clients très efficacement.
Il y a environ 10 ans, nous avons également mis sur pied ce qu'on appelle le réseau de ressources communautaires, un groupe communautaire dont la composition est plus ou moins stable. Il figure sur la liste des groupes avec lesquels nous avons travaillé en tant que banque alimentaire. Le réseau des ressources communautaires est un organisme informel regroupant 25 ou 30 groupes communautaires représentant tous les niveaux de gouvernement, des gens du milieu des affaires et de simples citoyens qui se réunissent tous les mois et partagent des programmes et des services. Ainsi, si notre banque alimentaire avait un programme spécial comme notre thINK FOOD, un programme de recyclage de cartouches à imprimante laser, elle en ferait profiter tous les groupes communautaires. Si le College of the North Atlantic avait un programme spécial de perfectionnement professionnel, nous en ferions la promotion et mettrions des dépliants dans les sacs de nourriture destinés aux clients, de sorte qu'il y aurait collaboration entre les groupes. Nous souhaiterions encourager cela encore davantage. Maintenant que nous nous sentons en sécurité sur le plan financier et que nous pouvons compter sur des ressources alimentaires et sur l'appui de la communauté, nous irons certainement en ce sens. Nous devons aussi élargir notre mandat. Je doute que la question de la confidentialité soit un problème pour les clients.
Le sénateur Mercer : Ça l'est pour les praticiens du droit en matière de protection de la vie privée.
Mme Gushue : Oui, exactement.
Le sénateur Mercer : Tout à fait; il est toujours question d'un groupe d'avocats, Mme Gushue.
Le sénateur Mercer : Sœur Alicha a raconté l'histoire de cette mère qui avait gardé son enfant à la maison pendant quelques jours, parce qu'elle n'avait tout simplement pas assez de nourriture à mettre dans sa boîte à lunch. Je reviens sur la déclaration d'un témoin ce matin, qui a parlé du taux élevé d'absentéisme à la maternelle. La boucle est bouclée. C'est Sœur Alicha, je crois, qui a évoqué le cycle de la pauvreté. C'est un problème de taille.
Sœur Alicha : J'aimerais seulement ajouter quelque chose aux propos de Mme Gushue. Si les mêmes 10 familles, disons, se présentaient toutes les huit semaines pendant 10 ans, ne vous demanderiez-vous pas si le système les sert bien? Y a-t-il quelque chose qui cloche avec leurs sources de revenu, et qui serait à l'origine du problème? C'est ce dont nous parlons, de même que du sentiment d'impuissance face à notre incapacité à intervenir sur le terrain.
Le sénateur Gustafson : J'aimerais avoir votre opinion sur la Chine, car j'estime que nous n'envisageons que les problèmes sans nous préoccuper des conséquences. Brian Mulroney, l'ancien premier ministre, avait l'habitude de dire : « Ne me dites pas d'où nous venons; dites-moi plutôt où nous allons! » C'est d'autant plus vrai aujourd'hui.
Il est intéressant de constater la justesse des propos de votre témoin sur notre situation agricole, du moins en ce qui concerne l'Ouest du Canada. Il est question ici du panier de provisions. Les Canadiens y consacrent 10 p. 100 de leur revenu. Les États-Unis sont le seul pays où le panier de provisions coûte moins cher. Les Américains y consacrent 9 p. 100 de leur revenu. Il semble que nous ne soyons pas en mesure de nous occuper de secteurs aussi essentiels que l'agriculture et les pêches, qui nous appartiennent pourtant. Mes deux questions portent sur la Chine et sur le panier de provisions.
Mme Payne : Certains de nos quotas visent des produits qui sont transformés en Chine, ce qui élimine des emplois dans les collectivités rurales. Naturellement, les Chinois ont aussi besoin d'emplois. Cependant, engageons-nous des poursuites et pêchons-nous le poisson dans nos eaux territoriales ou essayons-nous une autre solution? Nous affirmons que nous n'obtenons pas toutes les retombées que pourrait nous procurer ce poisson, notamment en ce qui concerne la création d'emplois au Canada. C'est surtout à cause des entreprises dans ce domaine. Parfois, ces entreprises, auxquelles nous avons déjà fait allusion, exportent une proportion de leurs prises en Chine à des fins de transformation, ce qui élimine des emplois dans le domaine de la transformation du poisson au Canada. C'est un problème parce que, si nous voulons assurer la survie des collectivités rurales, nous devrons alors songer aux genres d'emplois qu'on y trouvera, et la transformation du poisson en est un.
Il faut envisager la valeur ajoutée. Il en a été question plus tôt ce matin et, dans notre document d'orientation, nous avons proposé de se pencher sur la structure de commercialisation : il faut essayer davantage de tirer profit de nos ressources et non pas uniquement compter sur une économie où les profits se retrouvent ailleurs. Nous ne nous sommes pas encore dotés d'une structure de commercialisation des poissons et fruits de mer. Nous continuerons à préconiser une telle structure. Vous pourriez peut-être formuler une recommandation à cet égard dans votre rapport. Ce serait certainement utile. Il faudrait donc investir en ce sens. Pour mettre le tout en branle, il faudrait dégager des crédits, qui proviendraient non pas uniquement du secteur privé mais également des gouvernements.
M. Spingle : À cet égard, nous avons tendance à nous concentrer sur le court terme et le moyen terme. Je crois que nous avons tendance à oublier. Nous examinons la politique qui façonnera l'avenir et l'importance à long terme qu'elle accorde aux poissons et aux aliments. Actuellement, on accorde beaucoup plus d'importance au champ pétrolifère Hibernia qu'à notamment la morue du Nord, qui constitue peut-être le cheptel piscicole le plus important et une des meilleures sources de protéines. C'est une ressource renouvelable. La situation est difficile à l'heure actuelle. Je ne peux que présumer que la situation se rétablira. Il s'agit essentiellement de 300 000 tonnes de bonnes protéines faibles en gras. Nous nous concentrons sur les ressources non renouvelables et sur ce qu'elles nous apporteront. Nous avons tendance à faire fi de l'importance à long terme de ce qui pourrait vraiment nous être utile.
Le sénateur Peterson : Madame Gushue, êtes-vous la seule banque alimentaire ici?
Mme Gushue : Oui. La prochaine se trouve à Pasadena. Il y en a également une à Deer Lake. Nous avons deux comptoirs ici, à Corner Brook.
Le sénateur Peterson : À quelle distance se trouve Deer Lake?
Mme Gushue : C'est à une demi-heure d'ici en voiture. Nous ne desservons pas cette collectivité, ni Pasadena, qui se trouve à dix minutes en voiture de Deer Lake.
Le sénateur Peterson : Je me demandais si les gens d'ici se rendent en voiture à Deer Lake et si ceux de Deer Lake viennent ici.
Mme Gushue : Nous espérons que ce n'est pas le cas. Nous espérons qu'ils ne viennent pas ici pour ensuite se rendre à Pasadena. Il n'existe aucun lien entre nos banques alimentaires et celles de Pasadena et de Deer Lake.
Le sénateur Peterson : Existe-t-il ici un programme de repas en milieu scolaire?
Mme Gushue : Il y a le programme des petits déjeuners pour les élèves.
Le sénateur Peterson : Les deux sont-ils distincts?
Mme Gushue : Ils le sont effectivement. Il y a également le programme Kids Eat Smart Foundation. C'est le programme des petits déjeuners ici.
Le sénateur Peterson : Est-il permanent? Existe-t-il depuis un certain temps?
Mme Gushue : Il existe depuis environ huit ou neuf ans.
Le sénateur Peterson : Monsieur Spingle, je viens de la Saskatchewan. Vous devrez donc m'aider à comprendre. Les permis de pêche sont-ils accordés uniquement aux entreprises ou à la fois aux entreprises et aux particuliers?
M. Spingle : Nos membres sont des particuliers, du moins en théorie. On a fait allusion aux conventions de fiducie qui ont augmenté au cours des dernières années. Il y a d'autres secteurs. Tout est fonction de la ressource, des espèces. Certains permis sont accordés à des entreprises. C'est donc une combinaison des deux. Il y a une distinction entre ce que nous appelons la pêche côtière et la pêche hauturière.
Pour la plupart des espèces, il y a une combinaison des deux. Pour certaines, les permis sont accordés soit aux entreprises, soit aux particuliers. En ce qui concerne le crabe des neiges notamment, les permis sont accordés aux propriétaires exploitants. Par contre, les quotas du poisson de fond comme la limande à queue jaune des Grands Bancs appartiennent à des entreprises. Il s'agit d'une pêche hauturière qui alimente l'usine de Marystown.
Le sénateur Peterson : Ce qui vous préoccupe, c'est que les particuliers se heurtent à des problèmes et vendent leur permis à des entreprises? Est-ce bien cela?
M. Spingle : En théorie, il peut sembler que le pêcheur côtier, le propriétaire exploitant, est le propriétaire du poisson ou exerce un contrôle sur celui-ci, mais ce n'est qu'une apparence en raison des conventions conclues. Il est obligé de s'en remettre aux entreprises pour obtenir de l'argent. Il signe une convention.
Il y a l'autre aspect, soit l'avantage qu'en retirent les régions et les collectivités, et c'était clairement l'intention des entreprises à ce moment-là. Par exemple, j'expédie le poisson pêché à Terre-Neuve à une usine de la Nouvelle-Écosse ou vice versa, ou encore en Chine.
Donc, si on m'impose un quota dans l'exploitation d'une usine ici à Corner Brook et si de meilleures perspectives commerciales me sont offertes pour expédier le poisson en Chine, cela ne sera pas tellement à l'avantage de la région. C'est essentiellement en quoi consiste ce problème, et des mesures doivent être prises, pour ainsi dire.
Le sénateur Peterson : L'industrie a-t-elle pris trop d'ampleur? À quelle taille faudrait-il la ramener pour qu'elle soit viable pour tous?
M. Spingle : Il faudrait la réduire considérablement. Je suis content que vous ayez posé cette question, sénateur, parce qu'il y a eu notamment un rachat en 1992, à la suite du moratoire. La Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique ou LSPA a été mise en œuvre, et il est encore question de rachats. Cela s'arrêtera-t-il un jour? En fait, cela a beaucoup contribué à réduire la flotte pour parvenir au résultat nécessaire. Il suffit simplement d'aller un peu plus loin, à mon avis. C'est l'objectif, n'est-ce pas? Nous ne voulons pas créer une situation sur laquelle il faudra nous pencher dans dix ans. Si les mesures pertinentes sont prises, notre industrie sera viable, d'après les chiffres, et nous permettra de gagner correctement notre vie. Je ne crois pas qu'il soit possible de répondre directement à cette question en donnant un chiffre ou un pourcentage. Je ne donnerai aucun chiffre, même si j'ai assez souvent tendance à le faire. Je dirais que ce chiffre sera important mais raisonnable.
Le sénateur Callbeck : Le sénateur Mercer a fait allusion à la situation que vous avez évoquée. D'après ce qui est écrit ici, la banque alimentaire a comme mandat de fournir une aide alimentaire en cas d'urgence. Quant à moi, la situation est urgente lorsqu'une mère ne peut pas nourrir ses enfants. Cependant, la banque alimentaire n'est pas en mesure d'affronter une telle situation, n'est-ce pas? Là où je vis, il n'y a pas de banque alimentaire. Je suis donc une néophyte en la matière, mais je crois comprendre que la banque alimentaire n'est pas ouverte tous les jours et que les gens obtiennent des aliments aux quinze jours. Elle n'est donc pas en mesure de composer avec le genre de situation que vous évoquez.
Sœur Alicha : Que voulez-vous dire?
Le sénateur Callbeck : La mère manque de nourriture, et elle ne peut recourir à la banque alimentaire.
Sœur Alicha : Mais oui, elle peut.
Le sénateur Callbeck : Je vois.
Sœur Alicha : Nous disons que nous essayons de découvrir les raisons pour lesquelles les gens ont recours à nous pendant une période prolongée. Nous essayons de nous attaquer au cœur du problème, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour le faire. À titre de superviseure d'un comptoir d'une banque alimentaire, je ne peux que fournir une aide d'urgence et poser des questions.
Le sénateur Callbeck : Je comprends ce que vous dites. J'avais simplement mal saisi.
La banque alimentaire est-elle ouverte six jours par semaine?
Sœur Alicha : Non, elle est ouverte quatre jours par semaine.
Le sénateur Callbeck : Vous êtes un organisme de bienfaisance enregistré, et la valeur des aliments que vous avez distribués en 2006 s'établissait à 120 000 $. Dans l'aide que vous apportez, quelle est approximativement la proportion des aliments que vous distribuez par rapport à l'argent que vous accordez?
Mme Gushue : Nous donnons probablement un peu moins de 40 000 $.
Sœur Alicha : J'allais dire que 70 p. 100 étaient des dons de la collectivité.
Mme Gushue : Approximativement.
Le sénateur Callbeck : La situation a-t-elle changé depuis que vous êtes devenus un organisme de bienfaisance enregistré?
Mme Gushue : Pas vraiment. Depuis notre ouverture en 1994, nous avons toujours été un organisme de bienfaisance enregistré.
Le sénateur Callbeck : Je vois que vous vous êtes constitués en société en 2006.
Mme Gushue : Je me permets de revenir à votre question au sujet des situations d'urgence. Les églises peuvent fournir de l'aide les fins de semaine ou en soirée lorsque survient une urgence. Le ministère de la Santé et des Services sociaux dispose d'un numéro de téléphone que les gens peuvent composer la nuit s'ils ont besoin de mazout. Nous accordons également des montants pour le mazout, sous les auspices de The Bay of Islands Ministerial Association. Cependant, si une personne a besoin de nourriture et fait appel à une église, cette dernière accordera de l'aide, quelles que soient les convictions religieuses de cette personne. Aucune limite n'est imposée à cet égard.
Notre mandat à titre de banque alimentaire offrant des services d'urgence nous place dans une situation embarrassante, étant donné que nous ne sommes ouverts qu'à certaines heures pendant la semaine. C'est un réseau de bénévoles qui dispose d'un coordonnateur rémunéré. Le salaire de ce dernier est très modeste. Il est versé grâce aux dons du public. Cependant, nos ressources ne nous permettent pas de fournir de l'aide en cas d'urgence, même si nous ne refusons personne. Comme sœur Alicha l'a signalé, on essaie d'établir s'il s'agit vraiment d'une urgence en posant des questions aux personnes. Dans la plupart des cas, on leur accorde de l'aide.
Il y aura toujours des gens qui auront besoin d'aide à intervalles réguliers, et nous nous comportons d'une façon contradictoire. Certains en arrivent à développer une dépendance à l'égard de notre aide, même lorsqu'il n'y a plus d'urgence. Je préférerais dire pour les besoins de la discussion — certainement pour les besoins de la discussion du conseil d'administration — que nous fournissons de l'aide alimentaire demandée sans vraiment chercher à savoir s'il y a vraiment une urgence, car nous nous sentons un peu négligents de ne pouvoir ouvrir le soir, la fin de semaine et le mercredi. Comment pouvons-nous donc dire que nous offrons un secours alimentaire d'urgence? Il se produit quotidiennement des situations dont s'occupent probablement les églises et d'autres organisations de bienfaisance.
Le sénateur Callbeck : Je n'ai qu'une question sur le profil des pêcheurs. Sur le salaire moyen de 17 000 $, quelle est la proportion approximative des prestations d'assurance-emploi?
Mme Payne : Environ la moitié.
Le sénateur Callbeck : C'est donc dire que 50 p. 100 provient du revenu d'emploi et que 50 p. 100, des prestations d'assurance-emploi.
Mme Payne : Vous constatez alors à quel point les gens peuvent être pauvres quand ils ne reçoivent pas de prestations d'assurance-emploi.
Le sénateur Callbeck : Oui.
Le sénateur Mahovlich : À propos des banques alimentaires, je me demandais s'il existait une organisation semblable à la popote roulante, comme à Toronto? Chaque semaine, des personnes à mobilité réduite qui sont incapables de se faire à manger — parce qu'elles sont en fauteuil roulant ou ont de l'arthrite, par exemple — peuvent se faire livrer un repas chaud à la maison. C'est un service très prisé.
Sœur Alicha : Oui, les infirmières de l'Ordre de Victoria offrent un tel service.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce aussi disponible à la campagne?
Sœur Alicha : Je ne saurais vous dire jusqu'où le service est fourni, mais j'en doute.
Mme Payne : Cela m'étonnerait également.
Sœur Alicha : Il se rend peut-être jusqu'à Pasadena, mais je ne crois pas que le réseau soit aussi étendu que celui de la banque alimentaire, par exemple.
Le sénateur Mahovlich : Je vois que l'Armée du Salut s'implique dans cette banque d'alimentation. Cet organisme existe depuis longtemps déjà. Je me souviens, il y a de cela 40 ans, que l'Armée du Salut aidait à la distribution de nourriture. L'organisme est-il toujours actif? Est-ce qu'il se développe encore?
Sœur Alicha : Oui, il est toujours actif. En fait, un nouvel édifice vient tout juste d'ouvrir ici. À vrai dire, il a déménagé tous ses services, qui sont maintenant regroupés dans cet immeuble du centre-ville de Corner Brook. On y trouve un centre de services aux familles, de même qu'une banque alimentaire; une des deux qui existent. Ça bouge beaucoup de ce côté-là.
Mme Gushue : Nous collaborons activement avec les services aux familles de l'Armée du Salut. Ceux-ci ont accès à un réseau, et nous travaillons d'arrache-pied avec eux afin de pouvoir y présenter des ateliers, donner des cours de dynamique de la vie, transmettre des habiletés d'adaptation et montrer comment établir un budget. Nous ferions la promotion des activités au moyen de ce réseau. Nous présenterions les ateliers sans savoir si les clients viennent du grand public ou de la banque alimentaire; cela ne dérangerait pas du tout les animateurs. Ainsi, nous avons établi une très bonne relation et nous avons ouvert une porte nous permettant d'organiser ces activités pour aider les clients de la banque alimentaire.
Le sénateur Mahovlich : À propos des stocks de morue, sont-ils en train de se reconstituer? Les évalue-t-on? Je n'en ai pas beaucoup entendu parler récemment. J'aimais bien venir ici auparavant; on m'offrait de la langue de morue.
M. Spingle : Vous pouvez toujours en commander dans la plupart des restaurants, je crois.
Les stocks de morue du Nord, que l'on retrouve dans la partie sud de la mer du Labrador et sur la côte est, sont parmi ceux qui attirent le plus l'attention — et c'est justifié, étant donné le contexte — parce qu'il y a plusieurs composantes à prendre en compte. Les stocks de morue se rétablissent le long de la côte. Nous reconnaissons que l'importante composante hauturière qui permettait d'approvisionner auparavant les grandes usines — et qui a diminué de 59 p. 100 — n'est pas revenue aux niveaux souhaités, mais nous observons une forte composante côtière.
On constate que ces stocks se reconstituent dans le secteur nord du golfe, sur la côte ouest de Terre-Neuve, sur la côte sud-ouest et sur le littoral nord au Québec à un rythme relativement bon; néanmoins, une pêcherie est en construction. Il y a même eu une fermeture en 2003 qui était clairement injustifiée. Je remercie le sénateur Mercer pour sa question sur le volet scientifique, parce que j'ai été énormément impliqué dans tout ceci. Cela fait partie du débat, alors que des changements s'effectuent et que l'on s'investit de plus en plus. On constate une amélioration, ce qui est extrêmement encourageant pour les pêcheurs et les communautés.
Enfin, les autres stocks que l'on retrouve près de Terre-Neuve sont ceux de la côte sud; et ils se portent mieux — en théorie, du moins — que les autres. Je dirais qu'actuellement, ils sont stables. La morue est toujours au centre de notre économie et, à long terme, nous la considérons comme l'une des espèces qui, en particulier, fera partie du processus de renouvellement pour les raisons dont nous avons discuté.
La présidente : Voilà qui conclut cette partie des audiences. Je vous remercie sincèrement de votre présence parmi nous. Je pense que c'est congé pour vous aujourd'hui, alors je vous suis reconnaissant d'être venus. Cela nous aidera grandement dans notre étude. Merci encore, et n'abandonnez pas le combat!
La séance est levée.