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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 17 - Témoignages du 21 février 2007


EDMUNDSTON, NOUVEAU-BRUNSWICK, le mercredi 21 février 2007.

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 7 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour, je vous remercie, de nous avoir accueillis si chaleureusement à Edmundston. Pour nous, c'est très important d'être ici au coeur même de la francophonie hors-Québec dans un milieu fièrement rural. On s'excuse du fait que l'on ne soit pas aussi francophone que l'on devrait l'être, mais nous savons que les Acadiens et les Acadiennes ont une riche tradition. Je tiens à souligner que nous avons des écouteurs pour la traduction, et je vous encourage à les utiliser.

[Traduction]

Chers collègues, nous accueillons ce matin Guy Lanteigne et Claude Snow, qui vont nous en dire davantage sur les régions rurales du Nouveau-Brunswick et sur les défis auxquels est confrontée la communauté francophone. Nous sommes heureux de voir que vous êtes venus nous rencontrer et nous éclairer sur la question.

[Français]

Guy Lanteigne, à titre personnel : Madame la présidente, je suis très heureux d'être ici pour vous faire part de mon point de vue sur la pauvreté en milieu rural.

Je suis d'avis que la pauvreté en milieu rural est un problème très sérieux, mais c'est avant tout un problème réversible, qui peut donc être corrigé. Je ne pourrais pas traiter d'une situation de cette envergure sans essayer de proposer au moins une solution pour potentiellement régler les problèmes de pauvreté rurale. Une plus grande prise de conscience de l'importance de l'alphabétisation et de l'éducation pourrait faire partie d'une solution.

Au Nouveau-Brunswick, nous avons toujours vécu, majoritairement, de l'industrie des mines, des forêts, des pêches et de la construction. Ces métiers n'ont pas nécessité de hauts niveaux d'éducation post-secondaire. Actuellement, on est dans une période de redressement économique nécessaire, où il faut diversifier les ressources au Nouveau- Brunswick. On n'est peut-être pas suffisamment préparé à se diversifier, à s'ouvrir à la nouvelle technologie, à s'épanouir davantage socialement. Peut-être que l'on n'est pas préparé autant que pourraient l'être d'autres centres plus urbains.

À la page cinq de mon document vous trouverez un tableau de Statistique Canada qui illustre le taux de migration extra-provinciale. La dernière colonne de droite démontre le taux élevé des personnes qui ont quitté le Nouveau- Brunswick depuis 1991. Si l'on regarde dans la colonne centrale, on constate d'autres données alarmantes, soit le déclin du taux de natalité et l'accroissement des décès depuis 1991; il y a 1 000 décès de plus par année. Le taux de natalité, le vieillissement, et les décès sont presque rendus à égalité. La province ne se renouvelle donc pas, et, si l'on ajoute à cela l'expatriation, cela est très inquiétant. J'aimerais maintenant vous reporter à la page six, au point 3.1.

La FANB, la Fédération d'alphabétisation du Nouveau-Brunswick, soutient que les personnes plus alphabétisées, entre autres ont une meilleure compréhension de soi et du monde qui les entoure; sont plus en santé; sont moins souvent au chômage; s'adaptent mieux aux nouvelles technologies. Ces quatre points démontrent l'importance de l'alphabétisation.

Regardons rapidement les cinq niveaux d'alphabétisme : le niveau un, qui est le plus faible, ces personnes ne reconnaissent qu'un ou deux mots familiers dans un texte simple; le niveau deux, comprend les personnes pour qui toute nouvelle lecture est éprouvante et que les longs paragraphes de textes découragent; le niveau 3, représente le niveau minimal pour composer avec les exigences de la vie dans une société complexe et évoluée, et est également le niveau requis pour terminer des études secondaires et entrer au postsecondaire; les niveaux quatre et cinq, concernent les personnes qui peuvent manipuler plusieurs sources d'information ou résoudre des problèmes complexes. Peut-être que nos amis les traducteurs seraient dans les niveaux quatre et cinq.

Au Nouveau-Brunswick, 68 p. 100 de la population francophone et 47 p. 100 des anglophones sont dans la catégorie un et deux. Ce sont des pourcentages alarmants et déplorables.

Référons-nous maintenant à la page 8, aux données récoltées par le Comité des 12 pour la justice sociale dans la Péninsule Acadienne. Mon collègue Claude Snow, qui est sur ce comité, a conçu un tableau comprenant différentes analyses qui ont été faites de 1993 à 2003 et qui révèle aussi des informations assez alarmantes : Sur un total de 36 000 adultes, 27 500 disent avoir une incapacité quelconque; sur 16 000 emplois, 30 p. 100 sont saisonniers et 26 p. 100 de la population est en chômage. Ce sont des emplois plus ou moins stables; 50 p. 100 de ces gens sont à faible revenu; 1 700 personnes ont recours à des boîtes de nourriture, donc le revenu familial ne suffit pas pour nourrir leur famille. Ces données reflètent la réalité actuelle. Si on fait un bref survol de la situation des enfants, il y a près de 11 000 jeunes dans la Péninsule Acadienne. Sur ce nombre, il y a 200 décrochages scolaires par année et 500 suspensions du système scolaire. Tous des chiffres qui démontrent les côtés moins intéressants de notre belle région du Nouveau-Brunswick.

Pour terminer, selon moi, le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne peut y arriver seul. J'écoutais notre premier ministre, le très honorable Shawn Graham à la radio, il y a trois jours. Il a dit : « le Nouveau-Brunswick a besoin de deux ministères : un ministère des Finances et un ministère de la Santé pour dépenser les revenus. » Il y a donc un problème. L'argent n'est pas nécessairement mis aux bonnes places. Chose certaine, un déploiement gouvernemental est nécessaire pour contrer la pauvreté en milieu rural au Nouveau-Brunswick. Une amélioration, au niveau de l'alphabétisation et de l'éducation pourrait, selon moi, toucher vraiment le coeur du problème. On ne peut pas bâtir avec une population qui n'a pas suffisamment d'éducation et d'alphabétisation. Avec un épanouissement social plus large, et une ouverture technologique plus adéquate, on pourrait contrer l'exode et développer nos régions rurales.

Claude Snow, porte-parole, Comité des 12 pour la justice sociale : Madame la présidente, je veux d'abord remercier le votre comité d'être ici ce matin pour entendre ce que l'on a à dire au sujet de la pauvreté en milieu rurale.

Je dois d'abord vous féliciter pour la qualité du rapport que vous avez produit. C'est la première fois, à ma connaissance, qu'un rapport traduit aussi bien la pauvreté dans nos milieux ruraux. Il est très bien fait. Pour faciliter la présentation de ce matin, j'ai préparé une série de tableaux. Je ne prendrai que quelques minutes par tableau, sachant que le temps est limité. Mon exposé s'appelle « Briser le cercle : Oui, mais pas les gens ».

J'ai apprécié le tableau de votre rapport concernant le déclin de la population en milieu rural. Le graphique qui démontre le manque de population conduisant à la perte de service illustre très bien la situation. Je pense qu'on doit s'assurer que les gens ne soient pas brisés dans le processus.

Regardez le premier tableau qui s'intitule « Le Profil du Nord et de l'Est du Nouveau-Brunswick », parce que c'est de cette région dont on parlera. Il montre une carte produite par Ressources Naturelles Canada affichant les cinq grandes régions critiques au Canada em matière de pauvreté. Le Nouveau-Brunswick est l'une des cinq régions, surtout le Nord et l'Est du Nouveau-Brunswick. Je ne m'attarderai pas aux tableaux de la page trois et quatre, parce que mon collègue a déjà parlé d'éducation et du taux de chômage. Vous voyez que notre région est particulièrement éprouvée. Le tableau quatre, en particulier, démontre que notre région dépend beaucoup des transferts gouvernementaux. Je reviendrai sur le sujet au cours de mon exposé. Vous voyez qu'au Nord et à l'Est de la province, 29 à 44 p. 100 du revenu total des gens proviennent de transferts. D'où l'importance, pour nous, des transferts gouvernementaux.

J'aimerais d'abord parler de toutes les mesures gouvernementales favorables au milieu rural, et ensuite, des mesures qui sont défavorables, pour finir avec quelques pistes de solution.

À la page cinq, dans les mesures favorables, vous retrouverez l'ensemble des mesures de sécurité sociale que nous avons au pays et qui sont excellentes. On peut les comparer à un temple qui repose sur six colonnes, et chacune est importante pour assurer la survie des gens, surtout dans nos milieux ruraux.

Vous avez à la page six, le budget des services sociaux de la province du Nouveau-Brunswick qui est presque d'un milliard de dollars. Vous voyez aussi que la moitié de ce budget est consacré aux soins des personnes en établissement et à domicile. C'est donc un secteur très important, mais il y a aussi l'aide au revenu et tous les autres services. Ce sont des mesures essentielles pour soutenir et aider les individus et les familles.

À la page sept, vous retrouverez le système de péréquation qui assure la justice sociale dans notre pays ainsi que les paiements de transfert. Malheureusement, le tableau à la page sept démontre une baisse importante des paiements de transfert. Si je me rappelle bien, à l'échelle du pays, la diminution est de l'ordre de six milliards de dollars pour toutes les provinces. Dans notre province, cela équivaut à une diminution de 75 millions de dollars par année. À la page huit, le tableau démontre que l'assurance-emploi est primordiale dans une région comme la nôtre où il y beaucoup de travail saisonnier.

Si on considère maintenant les mesures défavorables, le petit schéma à la page neuf démontre que le système de sécurité sociale au pays se dégrade au cours des années. Je l'expliquerai peut-être plus tard si vous avez des questions.

À la page 10, vous voyez que le nombre de prestataires d'assurance-emploi a diminué énormément, ce qui représente une perte de 400 millions de dollars par année pour la province.

À la page 11, on retrouve les nouveaux modes de financement, soit l'impartition, la centralisation, la privatisation, qui ont un impact majeur sur les gens, surtout dans les milieux ruraux.

On retrouve à la page 12, le problème de la prestation fiscale pour enfants. C'est un problème parce que le gouvernement a augmenté la prestation fiscale pour enfants et la province a diminué l'aide au revenu de sorte que les gens sont encore au-dessous du seuil de pauvreté. À la page 12, toujours, à droite, un petit schéma démontre que les personnes qui sont sur l'aide au revenu à 55 ans doivent attendre d'avoir 65 ans avant d'atteindre le seuil de pauvreté. Ils sont là à attendre pendant 10 ans d'avoir au moins 11 600 $ par année, soit un montant juste au-dessus du seuil de pauvreté.

Maintenant, à la page 13, j'aimerais attirer votre attention sur deux programmes qui ont été extrêmement bénéfiques dans nos régions. Le premier, concernait les initiatives locales, et le deuxième celui des logements ruraux et autochtones. Ce sont des programmes fédéraux qui datent des années 1970 mais qui ont été extrêmement bénéfiques dans notre région.

À la page 14, vous voyez une proposition selon laquelle la notion de sécurité sociale soit élargie pour comprendre à la fois la protection non seulement des individus et des familles, mais aussi des petites communautés en milieu rural.

À la page 15, je crois qu'on ne peut pas passer à côté du fait que dans nos milieux ruraux, c'est le transport qui est le problème numéro un et c'est bien expliqué dans votre rapport. Alors, je crois que le fédéral devrait faire sa part dans l'adoption d'une politique de transport en milieux ruraux.

Enfin, le dernier tableau de la page 16, explique les mesures de protection sociale des personnes dans les milieux ruraux ou urbains. Il y a seulement une bonne formule : c'est que les mesures soient encadrées dans une loi; que le financement se fasse à partir des fonds publics et finalement, que ce soit géré par le secteur public et non par le privé. Avec ces trois conditions, il y a une garantie et une protection réelle pour les citoyens. Malheureusement, on se rend compte qu'au cours des dernières années, on est passé de la Loi sur le régime d'assistance publique canadien, qui date des années 1960, 1965, 1967, à la distribution de sacs de bienfaisance pour secourir les gens. C'est cela qui est triste.

La présidente : Je vous remercie, monsieur Snow.

[Traduction]

Puis-je formuler un commentaire personnel avant que mes collègues posent des questions? Guy, j'ai été très touchée que vous ayez d'abord parlé d'alphabétisation. C'est un volet important de ma carrière de sénateur, et je le suis depuis longtemps. Quand la question de l'alphabétisation est devenue le sujet de l'heure partout au Canada, le Nouveau- Brunswick était l'une des provinces les plus innovatrices. M. Hatfield était là au tout début, mais M. McKenna a vraiment servi de modèle à l'échelle nationale lorsqu'il a créé tous ces PCRS, les Programmes communautaires de récupération scolaire, partout dans la province, pour que les gens puissent venir et apprendre. Est-ce que les petits organismes locaux qui aident les adultes fonctionnent toujours?

[Français]

M. Snow : Il y a des comités un peu partout dans la province qui s'occupent de l'alphabétisation. Malheureusement, le financement public est insuffisant. Ces comités sont obligés de demander de l'argent aux communautés, et souvent, ils ne sont pas capables d'aller chercher l'argent nécessaire pour mettre sur pied la classe d'alphabétisation et recevoir des subventions du gouvernement. Dans nos milieux ruraux, c'est très difficile d'avoir des formules de financement où le fédéral, par exemple, verse 50 p. 100, la province, 25 p. 100, et l'autre 25 p. 100 viendrait de la communauté. Dans les milieux urbains, cette formule s'applique plus facilement, mais dans les milieux ruraux, c'est très compliqué.

M. Lanteigne : C'est pour cela que j'ai laissé monsieur Snow parler de ce sujet, parce que je viens juste de revenir au Nouveau-Brunswick, et mon implication dans le mouvement social est récente. Monsieur Snow, roule sa bosse depuis plusieurs années dans ces organisations.

[Traduction]

La présidente : Je crois que nous avons l'obligation, en particulier à Ottawa, de travailler encore plus dur pour aider à obtenir du soutien à l'alphabétisation pour les provinces. Nous avons été confrontés à un obstacle, mais nous allons continuer de pousser, en particulier au Sénat. Chaque jour, un membre du Sénat parle d'alphabétisation, alors la question n'a pas sombré dans l'oubli.

[Français]

M. Snow : C'est très important. C'est, en effet un gros problème.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Guy, après avoir mentionné l'alphabétisation, vous avez parlé de personnes qui ne sont pas ouvertes aux progrès technologiques. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et j'ai passé la majeure partie de ma vie dans les Maritimes. Je me souviens de l'époque, avant l'arrivée de Bell Aliant, où NBTel était un chef de file technologique parmi les sociétés de téléphonie en Amérique du Nord. Si le premier ministre McKenna a pu si rapidement s'adapter à l'idée des centres téléphoniques, c'est en partie parce que la technologie était déjà en place. J'étais un peu étonné de vous entendre dire que les gens ne sont pas disposés à s'adapter aux progrès technologiques, vu la fusion de MT&T, d'Island Tel, de Newfoundland Tel et de NBTel pour former Aliant. La situation a-t-elle changé? Y a-t-il récemment eu un changement qui a amené les Néo-Brunswickois à se montrer moins disposés à s'adapter à la technologie?

[Français]

M. Lanteigne : Dans la région du Nord-Est, les centres d'appel sont peut-être au centième rang des développements. Le centre Client Logic à Bathurst existe depuis à peu près quatre ans, et la technologie des centres d'appel, existe dans le Nord-Est depuis à peu près quatre ou cinq ans. Je ne sais pas si monsieur Snow aurait les chiffres, mais selon moi, c'est quatre ans, pas plus. Ces centres embauchent 150 personnes sur 50 000 ou plus, 100 000 avec tout le Nord-Est. C'est malheureusement lent. Peut-être est-ce mieux en Nouvelle-Écosse, mais dans le secteur francophone du Nord-Est, les centres d'appel ne se développent pas beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Vous avez aussi déclaré que 200 étudiants décrochent chaque année, ce qui ne me semble pas inhabituel, mais je ne peux pas en dire autant des 500 expulsions. Cela m'a paru inhabituel. Y a-t-il un problème dans le système? Y a-t-il dans le système quelque chose qui empêche les jeunes de s'adapter ou qui ne répond pas convenablement à leurs besoins, ce qui occasionne des conflits et, finalement, des expulsions?

[Français]

M. Lanteigne : J'émettrai brièvement mon opinion et monsieur Snow élaborera plus longuement. Je crois que l'éducation n'est pas une valeur profonde pour tout le monde. Au moindre problème, on quitte l'école. Peut-être moins maintenant, mais de mon temps, il y a douze ou treize ans à l'École Secondaire de Bathurst, l'année commençait avec une classe de 30, pour finir avec une classe de 20. L'importance de l'éducation n'est peut-être pas assez élevée.

M. Snow : Il n'y a pas assez de ressources dans les écoles pour venir en aide aux élèves qui ont des difficultés. Ce sont des enfants qui dérangent en classe, et la seule solution qu'ont les enseignants, c'est de les suspendre du système scolaire et de les retourner à la maison. C'est une véritable tragédie qu'il y ait autant d'enfants dans les maisons durant les heures de classe, qui regardent la télévision ou qui ne font rien du tout alors qu'ils devraient être à l'école. C'est une grave tragédie. Car ils deviennent des adultes qui ne sont pas scolarisés et qui auront besoin de cours de récupération scolaire pour être préparés à intégrer le marché du travail.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Snow, au tableau 5, j'aimerais que vous m'expliquiez les six colonnes relatives à la sécurité sociale.

[Français]

M. Snow : Nous avons au Canada un très bon système de sécurité sociale qui repose sur différentes mesures. Ici, vous avez juste le sigle : AE, pour l'assurance-emploi. La première mesure est celle de notre programme d'assurance- emploi. Ensuite, c'est la sécurité de la vieillesse et le supplément; le régime des pensions; la prestation fiscale pour enfant; nos crédits d'impôt et puis finalement, l'aide au revenu. Je pense que si les six colonnes sont là et qu'elles sont fortes, on peut garder au pays un bon système de sécurité sociale. C'est vital pour les personnes vivant dans la pauvreté. Surtout l'aide au revenu, parce que ceux qui ont un revenu extrêmement faible ne bénéficient pas des crédits d'impôt. La prestation fiscale est bonne aussi, sauf que, comme je l'ai expliqué, le gouvernement provincial a tendance à se retirer quand le fédéral augmente la prestation fiscale. Plus cela augmente, plus le gouvernement se retire, de sorte qu'au total, les gens n'en ont pas plus.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Ma dernière question concerne le programme du gouvernement actuel dans le cadre duquel on verse à certaines familles une allocation mensuelle de 100 $ par enfant aux fins de la garde d'enfants; ce programme remplace un programme négocié par le gouvernement du Canada, les dix provinces et les trois territoires avant l'élection du gouvernement actuel. Ce programme a-t-il eu un effet au Nouveau-Brunswick? A-t-il eu un effet positif ou négatif? Nous sommes allés à Terre-Neuve et à l'Île-du-Prince-Édouard, et on nous a fourni des réponses différentes.

[Français]

M. Snow : C'est une mesure qui n'est pas très populaire parce qu'elle est basée sur des besoins de la moyenne. Je crois que c'est primordial d'individualiser les situations. Le régime d'assistance publique canadien était basé sur un test de besoins et de ressources, « means and needs test », et cela permettait d'évaluer les besoins d'une famille et de lui donner de l'assistance selon ses besoins. Ici, on a une mesure universelle de 100 $ par famille. Dans la moyenne, peut- être que c'est très bien, mais pour ceux qui sont vraiment au-dessous de la moyenne, cela ne suffit pas. Peut-être que ceux qui sont au-dessus de la moyenne n'auraient pas eu besoin du 100 $. Selon moi, cela aurait été un meilleur système si on transférerait cet argent aux provinces et que celles-ci versent de l'assistance aux familles qui en ont le plus besoin.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Où vont les 500 étudiants après avoir été expulsés? Quelle est la procédure à suivre lorsqu'ils ont été expulsés de leur école? Est-ce qu'ils restent à la maison et regardent la télévision? Ils doivent bien aller quelque part. Il faut faire quelque chose.

[Français]

M. Lanteigne : Ils partent pour travailler à Montréal dans les jardins de choux et de brocolis, ou ils partent pour Toronto ou Fort McMurray. Peut-être que la moitié vont revenir.

M. Snow : Plusieurs d'entre eux sont assez jeunes et ils sont toujours dépendents de leurs parents. Quand ils grandissent, ils deviennent des assistés sociaux. Par la suite, il existe des programmes pour les remettre sur le marché du travail. Il y a des programmes de récupération scolaire pour leur montrer à lire et à écrire, et de stage en entreprise, avec l'idée que peut-être ils vont finir par entrer sur le marché du travail. Mais c'est un processus qui est très long. Il me semble que la prévention et une approche proactive seraient meilleures dès le départ. Dès que l'enfant commence à mal fonctionner, qu'il ne peut pas s'adapter, dès la maternelle, au lieu de dire : « tu vas rester à la maison pour un an, puis quand tu auras six ans, tu viendras à l'école. » Cela fait l'affaire de l'enfant qui ne peut pas s'adapter aux autres enfants, et cela fait l'affaire de la maman qui aime bien garder son enfant avec elle.

M. Lanteigne : Ce n'est pas bon pour la société.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : C'est là que commence la pauvreté.

M. Snow : Oui.

Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il au Nouveau-Brunswick de nombreuses écoles de métiers où nous pourrions former certaines de ces personnes?

[Français]

M. Snow : Oui, les collèges communautaires, tout comme des « trade schools », ont une formation d'abord de récupération scolaire pour le rendre jusqu'à la 12e année, et ensuite leur donner un métier, mais c'est un processus qui est très long avant qu'ils puissent récupérer tout le temps qu'ils ont perdu.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Vous voyez en quoi cela pourrait poser problème. Si on les renvoyait à Montréal, ils pourraient avoir de graves ennuis. On peut prendre de mauvaises habitudes dans les grandes villes.

[Français]

M. Snow : Exact.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Comment mesure-t-on la pauvreté au Nouveau-Brunswick? Vous avez parlé du niveau de pauvreté. Vous dites que les fonds ne vont pas aux bonnes personnes, et que les gens touchent des prestations d'assurance-emploi. Comment mesure-t-on la pauvreté?

[Français]

M. Snow : Il existe des mesures telles le seuil de faible revenu et la mesure du panier de consommation. Ce que l'on voit c'est une diminution de la qualité de vie des gens. Cela se reflète surtout par un taux d'endettement plus élevé. Il y a beaucoup de familles qui dépensent le tiers de leur budget pour payer des dettes parce que la carte de crédit est la seule façon de survivre entre deux emplois. S'ils peuvent trouver un emploi, l'emploi est temporaire, alors entre deux emplois, il n'y a pas d'argent qui entre. Les conditions pour recevoir l'assurance-emploi sont plus sévères, et ils ne se qualifient pas, alors la solution c'est la carte de crédit pour survivre. Le taux d'endettement augmente. C'est un grave problème parce que les compressions dans les programmes d'assurance-emploi ont eu un effet considérable dans notre province, surtout dans le nord, à cause de la nature saisonnière du travail. On dépend beaucoup de l'assurance-emploi. L'autre chose, concerne la diminution considérable des paiements de transfert du gouvernement fédéral, ce qui fait qu'au point de vue de l'assistance sociale, le gouvernement est obligé de resserrer les cordons de la bourse.

Traditionnellement, dans l'assistance sociale, il y avait toujours deux programmes : l'assistance de base, puis il y avait des prestations spéciales, l'assistance supplémentaire. Mais l'assistance supplémentaire a été enlevée, donc il ne reste que l'assistance de base, qui est très faible, sauf pour ceux qui reçoivent la prestation fiscale pour enfant. C'est tout, mais cela reste de beaucoup inférieur au seuil de pauvreté. Pour les célibataires et les personnes seules qui n'ont pas la prestation fiscale pour enfants, c'est désastreux parce qu'il y a juste un peu d'assistance sociale, et rien d'autre. Voila pourquoi je dis que souvent, qu'ils doivent attendre d'avoir 65 ans pour atteindre le seuil de pauvreté.

M. Lanteigne : Cela me rappelle mes expériences avec le salaire minimum. Le salaire minimum au Nouveau- Brunswick est de sept dollars. Il augmentera à sept dollars vingt-cinq en juillet, je crois. Dans le Nord-Est du Nouveau- Brunswick, 40 p. 100 des emplois ou même plus sont au salaire minimum. J'ai habité Ottawa pendant quatre ans, et des emplois au salaire minimum, cela n'existe pas. Très rarement. On peut travailler dans une station d'essence à 10 $ l'heure. Le salaire minimum est monnaie courante au Nouveau-Brunswick, et ce, beaucoup plus que dans d'autres provinces. Dans le Nord-Est du Nouveau-Brunswick, ce sont tous des emplois à huit, neuf, 10 $ l'heure. Si l'on peut travailler à 10 $ l'heure, c'est un très bon emploi. C'est inconcevable d'avoir une qualité de vie avec un salaire de 10 $ l'heure. C'est impossible. Vous le savez autant que moi.

M. Snow : J'aimerais ajouter une précision. Souvent, le gouvernement offre de faire un stage en entreprise aux personnes qui n'ont pas d'éducation. Le gouvernement leur dit : « tu peux aller faire un stage à quelque part, un emploi à quelque part, puis ensuite, tu seras en chômage, ce qui va te permettre de payer pour ton éducation. »

Actuellement, le stage en entreprise est subventionné par le gouvernement et la personne est engagée pour 420 heures de travail, souvent au salaire minimum. L'employeur ne paie pas parce que c'est un emploi subventionné, mais aussitôt les 420 heures terminées, il le met à la porte puis en prend un autre. La personne congédiée ira sur le chômage, ensuite elle sera inscrite à un cours de récupération scolaire. Pendant tout ce temps, la personne est complètement en dessous du seuil de pauvreté et doit recevoir de l'assistance sociale et une carte médicale, parce qu'elle ne peut pas survivre. Elle finit avec un travail au salaire minimum, et s'il y a beaucoup de dépenses médicales, elle est encore obligée d'être sur l'assistance sociale, même en travaillant. Ce n'est pas une belle perspective d'avenir pour les gens.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les églises participent?

[Français]

M. Snow : Pas beaucoup, non. Parce qu'en plus des difficultés que vivent les églises, le nombre de paroissiens a beaucoup diminué. Quand l'assistance sociale manque, les banques alimentaires se retrouvent à l'église. Ils ont leurs critères, leurs conditions, leurs restrictions, et ne permettent pas aux gens de venir très souvent. Ce qui crée un autre problème. Selon moi, les banques alimentaires ne sont pas une bonne solution, parce qu'elles n'offrent pas une qualité de service égale dans la province. Là où les gens sont plus généreux, les banques alimentaires donnent plus. Là où ils sont plus pauvres, elles donnent moins. Alors on voit une différence dans la qualité et les services rendus.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : C'est tout un problème.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais revenir aux 500 étudiants expulsés. Cette tendance est-elle en hausse ou en baisse?

[Français]

M. Snow : Selon mon point de vue, cela reste à peu près la même chose. Je ne pense pas que cela augmente.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Vous avez mentionné, en guise de justification, le fait qu'on n'a pas beaucoup de respect pour l'éducation. Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, et, hier, l'un des témoins que nous avons entendus nous a dit cela au sujet d'un secteur particulier de l'Île-du-Prince-Édouard. Avez-vous des idées de mesures que nous pourrions prendre dans votre région pour que l'éducation soit plus valorisée?

[Français]

M. Lanteigne : Il faudrait que les jeunes se sentent davantage compris par le système d'éducation et qu'ils soient sensibilisés dès le départ à l'importance de l'éducation pour un avenir meilleur. Malheureusement, pour plusieurs personnes et sans viser qui que ce soit — quand on vient d'une famille où le salaire est de 90 000 $, 100 000 $ par année en travaillant dans les mines ou dans le domaine de la pêche, il y en a même qui font un million de dollars, l'importance de l'éducation n'est pas là. Les parents ont de la difficulté à faire le lien entre l'éducation et la réalité d'aujourd'hui. Les pêches, c'est fini. Les mines sont en déclin. Il y avait 5 000 travailleurs à la Brunswick Mines, et il en reste peut-être 500. L'économie est totalement différente et les parents ne réussissent peut-être pas à transmettre à leurs enfants que le temps est venu d'étudier parce qu'eux, ils n'ont pas vu l'importance de l'éducation. Il faut avoir de l'éducation aujourd'hui pour fonctionner en société et malheureusement ce n'est pas toujours le cas. Selon moi, cela serait mon explication.

M. Snow : Est-ce que je peux ajouter quelque chose? Le problème des enfants qui dérangent à l'école n'est pas un petit problème. Les classes sont nombreuses, les enseignants n'en peuvent plus et la seule solution c'est de sortir l'enfant du système. Ce qui n'est pas une solution, mais c'est une solution de survie pour les enseignants. La seule façon de traiter ce genre de problème, selon moi — en plus de la valorisation de l'éducation, c'est en allant voir les parents pour leur offrir de l'aide.

À cause des compressions dans les transferts gouvernementaux, les services sociaux généraux ont été coupés. Il y a la protection de l'enfance, mais la protection de l'enfance va intervenir seulement quand les parents sont négligents de façon très prononcée ou sont violents envers leurs enfants. C'est de la prévention tertiaire et non une réponse adéquate à ce genre de problème. Dès que l'enfant ne fonctionne pas bien, n'est pas capable de s'adapter au contexte scolaire, il faudrait qu'il y ait quelqu'un qui rencontre les parents et qui travaille avec eux pour essayer de résoudre le problème de l'enfant à l'école. C'est un travail de longue haleine, mais qui se fait à partir des parents, parce que l'on sait qu'il faut travailler avec le système familial au complet.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : C'est ça que vous entendez par manque de soutien?

M. Snow : Oui.

Le sénateur Callbeck : Est-ce que le chiffre que vous nous avez donné correspond au nombre de personnes qui utilisent les banques d'aliments?

[Français]

M. Snow : Combien de personnes utilisent les comptoirs alimentaires?

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Des paniers d'aliments?

[Français]

M. Lanteigne : Mille sept cent personnes dans la catégorie adulte ont recours à des boîtes alimentaires pour leur famille.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck. C'est beaucoup.

Monsieur Snow, j'aimerais vous interroger au sujet des solutions et des initiatives locales.

[Français]

M. Snow : Il y avait deux programmes, et je n'ai pas eu le temps d'élaborer. Un, qui s'appelait « les initiatives locales », et l'autre, « les habitations rurales et autochtones ». C'étaient des bijoux. Je suis travailleur social et j'ai travaillé avec ces programmes. Ils ont aidé énormément les gens parce que c'était des fonds du fédéral donnés à des particuliers, pour mettre sur pied des petites entreprises dans leur communauté, et qui visaient à donner des services aux gens, réparer ou construire les maisons ou faire du paysagement. Les gens apprenaient à travailler, à gérer des petits projets, et à travers l'expérience, certains d'entre eux avaient acquis assez de confiance pour continuer leur petite entreprise personnelle. Selon moi, c'était certainement une meilleure solution que de faire venir une grosse entreprise du Pakistan pour faire de la laine, et fermer ses portes quand les marchés tombent. Ces programmes permettaient à des personnes du milieu d'apprendre à offrir et à vendre des services. De cette façon, cela devenait une petite entreprise qui employait des gens. C'était extrêmement bien.

Avec l'aide du programme des subventions fédérales à l'habitation dans le nord de la province, on a construit plus d'une centaine de maisons. Un manuel extrêmement bien fait expliquait la marche à suivre. Le principe était celui-ci : la personne recevait une subvention de 40 000 $ du fédéral, un prêt remboursable à faible intérêt, en autant qu'elle ait un terrain pour construire cette maison. Alors nous, on a utilisé des personnes qui étaient sur l'assistance sociale pour les aider à construire leur propre maison. Ils avaient le financement d'Ottawa et avec les programmes de création d'emploi, ils apprenaient à travailler avec d'autres et ils construisaient les maisons dont ils avaient besoin. Cela répondait à la fois à un besoin de travail et à un besoin d'habitation.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Ce programme est-il en vigueur à l'heure actuelle?

M. Snow : Non.

Le sénateur Callbeck : À quelle époque l'était-il?

[Français]

M. Snow : Dans les années 1970 à 1975.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Vous avez mentionné un programme relatif au démarrage de petites entreprises. Est-ce que ce programme existe toujours?

[Français]

M. Snow : Non. La situation a beaucoup changée. Ce programme a eu lieu en 1972. C'est dommage, parce que pour les régions rurales comme la nôtre, c'était des solutions excellentes, adaptées à notre milieu.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Et le Programme de développement des collectivités?

[Français]

M. Snow : Qu'est-ce que c'est?

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : C'est le Programme de développement des collectivités. L'argent vient de l'APECA, mais il est distribué par l'entremise des sociétés de développement économique.

[Français]

M. Snow : C'est de l'aide à la petite entreprise, n'est-ce pas?

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Oui, et de la collaboration avec les collectivités dans le cadre de projets communautaires.

[Français]

M. Snow : Le problème avec les initiatives qui consistent à avoir du financement et la participation des communautés, c'est que cela varie beaucoup d'une communauté à l'autre, dépendamment s'il y a des personnes capables de faire une contribution. C'est ce qui est déplorable des formules de financement actuelles qui consistent à avoir des aides conditionnelles du gouvernement, par exemple à condition que la communauté fasse sa part. Dans notre province, une communauté comme Moncton n'a pas de difficulté à aller chercher du financement privé, mais dans le nord, c'est impossible, on n'est pas capable de trouver du financement privé, même 25 p. 100 d'un projet. Ce n'est pas possible, alors c'est pourquoi ce genre d'initiative nous limite.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Monsieur Lanteigne, à la page 6, vous dites qu'environ 68 p. 100 de la population francophone sont aux niveaux 1 et 2. Avez-vous accès au profil démographique des divers groupes d'âge? S'agit-il de jeunes, de personnes d'âge moyen, d'aînés?

[Français]

M. Lanteigne : Je n'ai malheureusement pas tous les groupes d'âges, mais c'est quelque chose que je peux facilement trouver auprès de la FANB. Ils sont sûrement plus spécifiques. Je n'ai fait qu'un résumé de toute l'information.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Oui, il serait intéressant de voir si le nombre de jeunes dans cette catégorie est en baisse.

Monsieur Snow, sur votre deuxième diapositive, il est question des piliers de la programmation sociale. On nous a dit que les gens qui tentent d'améliorer leur sort et de toucher un revenu supplémentaire en décrochant un emploi sont visés par des dispositions de récupération. Ces dispositions dissuadent les gens de travailler. Percevez-vous cela comme une faille du système?

[Français]

M. Snow : On a des exemptions sur les revenus d'emploi, parce qu'autrement, si la personne gagnait 1 $ puis elle perdait 1 $, elle n'aurait aucune motivation à aller travailler, alors il y a un programme pour ceux qui sont sur l'aide au revenu. Ils ont une exemption allant jusqu'à 200 $. Le premier 200 $ est exempt. On trouve que ce montant pourrait être un peu plus élevé. Le problème, c'est qu'à cause de notre économie, il y a des employeurs qui profitent de l'exemption et qui embauchent des gens pour leur faire gagner jusqu'à 200 $ et après ils en engagent un autre et ainsi de suite. C'est parce que les gens n'ont pas d'avantages à demeurer au travail après les premiers 200 $ parce qu'ils commencent à perdre leur assistance, et les employeurs considèrent que c'est de la main-d'oeuvre temporaire et cela ne leur fait rien de changer d'employés.

Voici le problème. Pour prendre quelqu'un qui est dans la pauvreté et l'emmener sur le marché du travail, cela demande un effort incroyable, parce qu'il faut lui assurer la même sécurité qu'elle avait avant d'aller au travail, quand elle était dépendante des programmes gouvernementaux. Cela demande de lui assurer assez d'argent, par exemple, pour combler tous les besoins de transport et les besoins médicaux. Souvent, les familles ont tellement de problèmes médicaux, que ce n'est pas avantageux pour eux de quitter l'assistance sociale pour aller sur le marché du travail. Le compromis, c'est de leur dire « allez sur le marché du travail, et on va vous laisser la carte médicale pour payer vos frais médicaux. » C'est le compromis qui se fait dans la province. Il y a des centaines de familles qui sont dans cette situation. Ce sont des familles qui travaillent au salaire minimum et qui quitteraient leur travail tout de suite si ce n'était pas qu'ils continuent à avoir un supplément de l'assistance sociale.

M. Lanteigne : J'ai une réponse pour M. Peterson à la question des groupes d'âge de l'alphabétisation. À la page huit de mon document, on note que 36 p. 100 des adultes ont moins d'une neuvième année dans la Péninsule Acadienne au Nord-Est du Nouveau-Brunswick. Trente-six pour cent des adultes qui ont moins d'une 9e année, donc c'est un chiffre qui représente assez bien le niveau d'éducation et d'alphabétisation dans les niveaux un et deux, car je ne pense pas qu'on puisse atteindre le niveau trois en alphabétisme avec moins d'une neuvième année.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : À la diapositive 12, vous faites état de disparités selon lesquelles on doit attendre l'âge de 65 ans pour atteindre le niveau inférieur, et ce n'est que parce qu'on commence à verser les prestations du RPC et de la Sécurité de la vieillesse. Cela crée un vide entre l'âge de 54 ans et l'âge de 65 ans. Cela n'aide pas la situation, je suppose, lorsque le gouvernement fédéral lance un programme dans le but d'apporter son aide, et que les provinces annulent immédiatement un programme, de sorte que nous n'en sommes pas plus avancés. Est-ce que cela va mener à une forme de revenu garanti?

[Français]

M. Snow : Je pense que oui. Je pense que ce serait sûrement la meilleure solution. Un revenu annuel garanti, surtout pour les personnes qui ont une incapacité au moins partielle au travail. Trois quarts des personnes sur l'aide au revenu est dans une catégorie qu'on appelle assistance transitoire, comme quoi ils vont quitter l'assistance pour aller sur le marché du travail. Mais ce n'est pas réaliste, parce que les employeurs ont beaucoup de choix dans la main-d'oeuvre, et ils vont prendre ceux qui ont le moins d'incapacité. Du moment que les gens ont une incapacité, ils vont les mettre de côté. Donc, ce sont des personnes qui vont passer la majorité de leur vie dans une catégorie qui s'appelle transitoire, avec l'idée qu'un jour, ils vont aller sur le marché du travail, mais ils n'iront pas.

Vous avez soulevé une question. Le Régime de Pension du Canada est une bonne mesure, mais cela ne rejoint pas les pauvres parce que ceux qui travaillent au salaire minimum, quand ils arrivent à 65 ans pour toucher des prestations du Régime de Pension du Canada, la prestation est très petite, et ils sont obligés d'avoir un supplément en assistance sociale de toute façon. Les personnes qui ont travaillé de façon occasionnelle souvent ne se qualifient pas au Régime de Pension du Canada. Alors, c'est un Régime qui rejoint une main-d'oeuvre assez stable, dans la classe moyenne et supérieure. Les autres n'en bénéficient pas vraiment. Cela ne leur donne rien, parce que s'ils sont sur l'assistance, le gouvernement leur demande d'aller chercher cette pension au fédéral, et enlève la pension de l'assistance puis leur donne la différence. Alors ils n'ont rien de plus à la fin.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Certes, lorsque les gens entendent parler de « revenu garanti », tout le monde commence à paniquer. Je me demande, si on faisait la somme de tous ces programmes, s'il n'y aurait pas une différence importante au chapitre du coût. Nous pourrions nous défaire de tous ces problèmes administratifs, et on pourrait peut-être rallier les provinces autour de ce projet et veiller à ce qu'elles ne puissent le retirer. Il s'agirait d'un programme permanent.

Le sénateur Gustafson : Je viens d'une région rurale de la Saskatchewan, et j'ai l'impression que les Canadiens des régions rurales acceptent des normes inférieures à celles qu'attendent les gens des grands centres urbains. Vous avez mentionné que 40 p. 100 de vos citoyens travaillent au salaire minimum, c'est-à-dire 7 $. Cela me semble injuste, et j'ignore quelle est la solution, mais c'est un phénomène qui s'est manifesté petit à petit, et il semble s'aggraver au lieu de s'améliorer. Je vais vous donner un exemple. On peut embaucher un pousse-crayon à Ottawa ou à Toronto, et on a bien du mal à conclure que c'est nécessaire. On paie cette personne 40 000 $ ou 50 000 $ par année. Ici, vous êtes censé vous débrouiller avec 10 000 $. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose dans notre société qui ne tourne pas rond, et, bien sûr, notre comité a pour mandat de tirer des conclusions sur la question de la pauvreté en milieu rural. Or, cette pauvreté existera toujours si nos attentes demeurent si faibles. Nous ne nous en sortirons jamais. Dans de nombreuses régions rurales du Canada, on accepte des normes inférieures à l'égard du logement et du niveau de vie. Je vais vous donner un exemple. Je passe par Yellow Grass, en Saskatchewan. Je m'arrête dans un petit café. Je prends deux œufs, du bacon et des œufs, du jambon et tout le bataclan pour 3 $. J'arrive en ville et on peut me demander jusqu'à 20 $ pour la même chose.

J'aimerais bien savoir pourquoi le Canada rural se contente de moins, car cela crée des problèmes, et le fossé entre les nantis et les démunis continue de s'élargir. J'aimerais entendre vos commentaires sur la question.

[Français]

M. Lanteigne : Je trouve que c'est représentatif des forces économiques des différentes provinces ou régions de certaines provinces. Dans le Nord-Est, comme je l'ai mentionné tantôt, notre économie a été longtemps basée sur des métiers manuels qui demandent moins de hauts niveaux d'éducation. Aujourd'hui dans les secteurs des ressources naturelles du Canada, il reste le pétrole et l'on va s'en occuper. La population, dû à des manques d'investissements gouvernementaux, n'a pas su entrevoir le virage à temps, et l'on est rendu à un point où il faut compenser avec ce que l'on a, et l'économie n'est pas prête pour de nouveaux changements. Les secteurs manufacturiers sont en déclin. On veut s'y accrocher pour vivre au Nouveau-Brunswick, mais ça prendrait autre chose, et malheureusement, on n'est pas prêt. C'est ce qui explique les salaires minimums qui sont si bas. Avec l'augmentation de 0,25 $ de l'heure en juillet, il y a des entreprises d'un employé ou deux qui fermeront leurs portes suite à cette hausse parce qu'ils ne pourront peut- être pas se le permettre. C'est une crise. Le salaire minimum est moins courant dans les grandes villes comme Toronto, Régina ou Saskatoon. Ces villes sont beaucoup plus prospères qu'en région rurale. Selon moi, en région rurale on s'accroche au salaire minimum pour avoir un revenu moindrement important.

M. Snow : Vous savez, dans notre pays, on a un outil formidable pour lutter contre les différences entre les pauvres et les riches dont vous parlez. L'outil dont je veux parler, c'est celui qui est dans notre Constitution à l'article 36, qui prévoit un système de péréquation qui fait en sorte que d'un bout à l'autre du pays, on a des services de qualité à peu près égaux. Le problème, c'est que la péréquation est menacée actuellement à causes des différentes perceptions, des conceptions et des ressources naturelles. Je crois que notre système de péréquation est en danger, et il y aura de plus grandes inégalités si on ne préserve pas ce système tel qu'il a été conçu. Les provinces les plus pauvres bénéficient de l'argent de paiements de transfert pour permettre aux citoyens d'avoir une qualité de vie à peu près semblable. Pas à tous les points de vue, naturellement, mais à bien des points de vue. C'est pourquoi j'ai insisté sur l'importance de conserver les paiements de transfert tels qu'ils étaient auparavant pour redonner aux gens une certaine qualité de vie.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : Je ne veux pas m'éterniser sur le sujet, mais, en parcourant votre belle province, j'ai remarqué que, contrairement à la Saskatchewan, vous n'êtes pas confrontés à ce phénomène où la disparition d'une petite ville mène à la disparition de tout ce qui l'entoure. Est-ce qu'une telle chose se produit ici? J'ai l'impression que les gens ont tendance à opter pour les régions rurales à cause de la beauté évidente du paysage. Qu'arrive-t-il dans ce cas-là?

[Français]

M. Snow : J'aimerais faire une nuance, concernant les personnes qui quittent les petites communautés. On ne perd pas la communauté en entier, on perd les personnes les plus habiles, celles qui sont plus entreprenantes et qui ont le plus à offrir. Ceux qui restent sont des personnes qui ont plus d'incapacité et qui sont plus dépendantes des fonds gouvernementaux. Cela contribue au déclin, parce que ce sont des personnes qui ont peu à offrir sur le plan du travail et cela coûte cher à l'État.

Traditionnellement, au Nouveau-Brunswick, surtout dans le nord de la province, le secteur tertiaire, parce qu'il y avait beaucoup de gens pauvres, s'était beaucoup développé. Mais au cours des 20 dernières années, on s'est rendu compte que le gouvernement a aussi coupé dans le secteur tertiaire. Cela fait en sorte que le niveau de pauvreté a augmenté. Le coût de la vie a monté, les services ont diminué, l'assistance a diminué ou est resté pareille et il y a un manque à gagner qui est très important.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : Les enfants qui vivent en milieu rural prennent-ils l'autobus pour se rendre à l'école?

M. Snow : Oui.

Le sénateur Gustafson : Êtes-vous organisé de façon à ce que ces autobus soient utilisés pour des activités sportives, par exemple pour les enfants qui jouent au hockey ou s'adonnent à d'autres sports?

[Français]

M. Lanteigne : Non. J'ai été choyé parce que mes parents avaient les moyens de me conduire en voiture, pour aller faire du sport ou des activités, et on se jumelait avec d'autres familles qui pouvaient se le permettre. Une journée c'était mon père, la semaine d'après, c'était le père de mes amis. C'était, et c'est le seul moyen. Le seul transport possible c'est en voiture avec nos parents. Si les parents ne sont pas fortunés, il y a automatiquement aucun sport ou activité.

M. Snow : Il y a les sports, mais vous savez que dans nos régions, c'est la maladie qui est le problème numéro un. Il y a beaucoup de maladies dans les familles. Parce que la population est moindre, on ferme les hôpitaux locaux et l'on centralise les hôpitaux régionaux. Cela augmente donc la distance pour les gens qui ont besoin de traitements. Parce qu'il n'y a pas de système de transport en commun, les gens doivent demander de l'aide pour se faire conduire. C'est un problème énorme. Le groupe qui suivra parlera certainement du problème de transport parce que c'est un des problèmes majeurs dans les régions rurales.

M. Lanteigne : La FANB, la Fédération d'Alphabétisation du Nouveau-Brunswick a étudié la question, et a réussi à démontrer qu'avec une alphabétisation adéquate, automatiquement, tu deviens en meilleure santé. Cela apporte une prise de conscience, sur les habitudes de vie saines comme le sport et l'alimentation. Investissons dans l'alphabétisation et la santé suivra, selon moi.

[Traduction]

La présidente : Nous devrions vous donner la vedette dans une annonce télévisée sur l'alphabétisation. Merci beaucoup.

Avant que vous ne partiez, j'aimerais que vous sachiez quelles régions nous représentons. Le sénateur Gustafson vient de la Saskatchewan; le sénateur Mahovlich, pour qui le patinage et le hockey n'ont aucun secret, est originaire du nord de l'Ontario; le sénateur Peterson est originaire de la Saskatchewan; le sénateur Callbeck, de l'Île-du-Prince- Édouard; le sénateur Mercer vient de la Nouvelle-Écosse, et j'ai grandi dans le sud-ouest de l'Alberta, et nous sommes tous enchantés d'être ici aujourd'hui.

Je tiens à remercier nos prochains témoins d'être ici aujourd'hui. C'est vraiment un plaisir pour nous de pouvoir sortir d'Ottawa et de la Colline du Parlement pour voir le monde réel. Nous tenions mordicus à nous rendre dans cette région de la province pour tenir ce genre d'audiences.

John Gagnon, coprésident, Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick : Je remercie le comité sénatorial de nous avoir invités ici aujourd'hui. Le Front commun pour la justice sociale est un organisme multisectoriel, une coalition englobant un grand nombre d'organismes, de groupes sociaux, de groupes religieux, de groupes syndicaux et, plus important encore, de gens qui vivent dans la pauvreté. Nous sommes un groupe très englobant qui envisage des façons d'aider les gens à s'affranchir de la pauvreté. Nous connaissons les facteurs qui mènent à la pauvreté. Ma collègue, Claudia, est une personne qui vit dans la pauvreté. Mon coprésident, qui malheureusement n'a pu être ici aujourd'hui, vit également dans la pauvreté. Alors, notre groupe n'exclut personne. Encore une fois, nous cherchons des façons de sortir les gens de la pauvreté, et je crois qu'on mettrait bien trop de temps à vous raconter comment les gens sombrent dans la pauvreté.

Nous allons vous présenter un exposé, et nous vous avons remis un document. Il s'agit d'un document de travail assemblé à l'occasion de notre premier sommet sur la pauvreté. Nous y avons accueilli des politiciens, des groupes sociaux et la majorité de ces groupes, y compris des gens qui vivent dans la pauvreté. Nous avons envisagé des façons de sortir les gens de la pauvreté. Il y a beaucoup d'informations dans ce document, et nous allons aborder indirectement certains des sujets qu'il contient, car c'est un document au contenu très large. Les gens qui vivent dans la pauvreté ont beaucoup contribué à l'élaboration de ce document.

Ce document est la base sur laquelle se fonde l'exposé que vous présentera John Gagnon. Nous vous expliquerons concrètement ce que les gens vivant dans la pauvreté considèrent comme des obstacles, et de quelle façon ils devraient s'affranchir de la pauvreté. C'est un document très important et, encore une fois, la majeure partie de notre exposé en sera inspiré.

C'est la campagne que nous avons lancée. C'est la campagne du foulard, une campagne de tricot. Nous avons retenu ce thème parce que nous estimons que la pauvreté, la conjoncture économique et tous les autres facteurs dans notre province sont interreliés, et que nous devons travailler ensemble, nous qui sommes tricotés serrés, pour que la pauvreté soit chose du passé. Tout le monde s'attache d'abord et avant tout à la pauvreté. Il y a de nombreuses autres solutions, mais notre campagne met l'accent sur trois d'entre elles. La première est une majoration du salaire minimum à 8,55 $ puis à 10 $ l'heure.

M. Gagnon : Et ce n'est qu'un début. L'assurance-emploi influe énormément sur la pauvreté.

Nous vous en avons remis deux, dont une pour vous-même, et nous demandons aux membres du comité d'en signer une. Voyez-vous, nous préparons actuellement une campagne de cartes postales. Si j'ai le temps, plus tard, je vous expliquerai plus en détail de quoi il s'agit.

La présidente : Vous voulez que chaque sénateur en signe une?

M. Gagnon : Chacun, oui.

La présidente : D'accord.

M. Gagnon : Je n'en ai pas donné une au personnel, mais si le personnel veut en signer une, ce n'est pas un problème.

Je crois que, lorsque nous nous penchons sur la pauvreté, nous devons tenter de déterminer comment les gens deviennent pauvres. Nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas aider les gens à sortir de la pauvreté. Les statistiques présentées dans ce document vont vous montrer que les gens qui vivent dans la pauvreté dans notre province, c'est-à-dire les assistés sociaux, les personnes qui touchent le salaire minimum, et cetera, sont au bas de l'échelle de la pauvreté. Nous sommes au bas de l'échelle des gens vivant dans la pauvreté. Nous sommes au bas de l'échelle des gens qui touchent de l'aide sociale. Nous sommes au bas de l'échelle lorsqu'il est question du salaire minimum. Même avec le salaire minimum, même avec les augmentations, même avec les augmentations que nous demandons, car nous tentons d'être réalistes, les gens continueront de vivre bien en deçà du seuil de pauvreté, et il ne s'agit que d'un seuil bas fourni par Statistique Canada.

Les statistiques qui figurent dans ce document ont été compilées avec l'aide de statisticiens de Statistique Canada et d'un chercheur de l'une des universités. Les statistiques sont très solides.

Ce que nous disons, c'est que, dans le Canada atlantique ou les provinces des Maritimes, nous sommes toujours sous la moyenne. Ce que nous disons, c'est que nous devrions au moins être parvenus à ce niveau. Nous ne demandons même pas, pour l'instant, d'être amenés au niveau canadien. Cela vous donne une idée du désespoir que nous vivons.

Pour permettre à 64 personnes et familles vivant de l'aide sociale d'accéder à ce niveau, il faudrait environ 13 millions de dollars. Or, il y a une somme d'environ 20 millions de dollars qui s'en vient; cela ne nous dérange pas de parler de ces chiffres, car ce sont de vrais chiffres : nous avons un budget qui s'en vient. Les chiffres que vous voyez nous permettraient non pas de dépasser le seuil de la pauvreté, mais bien seulement de l'atteindre.

Il y a eu une augmentation importante du nombre de personnes au Canada qui ont recours aux banques d'aliments, de 708 000 à environ 750 000. C'est toute une poussée. Cette augmentation correspond à ce qui s'est produit dans notre province. Il y a 18 000 personnes qui utilisent les banques d'aliments dans notre province, et 66,3 p. 100 de ces personnes qui utilisent les banques d'aliments vivent de l'aide sociale.

Dans notre province, la pauvreté a de nombreux visages. Certaines gens deviennent pauvres, d'autres sont sans abri ou vivent de l'aide sociale. Il y a les travailleurs à faible revenu. J'ai assisté à une partie de l'exposé de tout à l'heure, où on parlait du salaire minimum. Ces gens travaillent et vivent tout de même sous le seuil de la pauvreté. Même si deux personnes travaillent, elles vivent toujours sous le seuil de la pauvreté au pays.

Nous parlons de la pauvreté infantile. En 1989, je crois, il y a eu une résolution, une résolution d'un comité parlementaire, relative à l'élimination de la pauvreté d'ici l'an 2000. Nous sommes maintenant en 2007. À l'époque, environ un enfant sur trois vivait dans la pauvreté. Nous parlons d'environ une personne sur cinq, résultats très similaires à ceux de notre province. Environ une personne sur cinq vit dans la pauvreté. Nous n'avons pas éliminé le problème de la pauvreté infantile. C'est un sujet dont les gens parlent avec émotion, mais ce qu'ils ne comprennent pas ou ce qu'ils ne semblent pas accepter, c'est qu'il y a des enfants pauvres, il y a des familles pauvres. S'il y a des familles pauvres, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de revenus ou d'emplois rémunérateurs, c'est qu'on travaille au salaire minimum. C'est à cela que nous devons nous attacher. C'est bien beau de dire que nous allons éliminer la pauvreté infantile, mais nous devons aussi nous pencher sur cet aspect.

Nous avons parlé des répercussions économiques et des seuils de faible revenu. Je ne vais pas trop m'attarder aux statistiques. Je serai très bref après ce dernier point. J'ai des collègues ici qui vont vous parler de leur expérience de pauvreté.

Il y a de nombreux obstacles personnels liés à la pauvreté, comme le manque d'estime de soi et le stress lié à l'inquiétude de devoir satisfaire à ses besoins fondamentaux, et nous devons nous pencher sur ces obstacles. De nombreuses personnes vivent dans l'inquiétude de ne pas pouvoir manger ou payer la facture de mazout pour le mois. Elles se demandent si elles seront en mesure d'habiller leurs enfants. Ce ne sont là que quelques-uns des choix qui accompagnent l'accroissement du coût de la vie et l'inflation. Le panier d'épicerie qui coûtait environ 100 $ il y a 20 ans, coûte désormais environ 130 $. C'est le genre de situation où les gens doivent faire des choix. Lorsque l'inflation monte, on entend parler beaucoup de gens, des personnes à revenu moyen ou à revenu supérieur qui disent : « Hé, c'est terrible, nous n'avons pas les moyens. » Ces personnes ont peut-être le choix en ce qui concerne le type d'automobile qu'elles conduisent ou le type de vacances qu'elles prennent, mais, pour les gens qui vivent dans la pauvreté, il peut s'agir de déterminer si on va manger ou chauffer la maison. Ils doivent choisir entre habiller leurs enfants ou acheter des aliments pour les nourrir. Les gens ne devraient pas avoir à faire des choix concernant leurs besoins fondamentaux. Une telle chose ne devrait pas arriver dans notre pays, et puisque c'est le cas, c'est une tragédie nationale. Nous entendons des gens parler du niveau de pauvreté. C'est une honte nationale, dans un pays aussi riche que le nôtre, dans une province aussi riche que la nôtre, de devoir parler de cela aujourd'hui. Tout ce stress et toute cette inquiétude constituent un problème de taille.

Les gens qui vivent dans la pauvreté ne jouissent pas de la base de soutien que de nombreuses personnes tiennent pour acquise. Toute cette question des hostilités familiales, ce genre de choses arrive, non pas parce que ce sont de mauvaises familles, mais parce qu'il y a du stress. Il arrive parfois que les gens qui vivent dans la pauvreté n'arrivent pas à survivre aux obstacles systémiques et à la discrimination qui sont le lot de toute personne pauvre. Certaines personnes n'ont pas la force morale pour survivre à ces épreuves. Certaines personnes nouent des relations malsaines, et d'autres vivent dans la solitude. Il y a des obstacles inhérents au système qui font de la discrimination contre les assistés sociaux. Ces choses sont bien réelles.

Nous devons nous pencher sur le manque de compréhension du phénomène de la pauvreté, et je vous fais grâce des détails, car je crois prendre trop de temps à mes collègues. Il y a un manque de compréhension liée à cette notion d'approche universelle pour régler tous les problèmes.

Sur ce, je cède la parole à Cathy, qui va vous parler de l'assurance-emploi, facteur qui a de l'importance dans nombre de nos régions où il y a du travail saisonnier, mais pas de travailleurs saisonniers.

Cathy Mailloux, secrétaire, Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick : Madame la présidente, je parle anglais, mais les mots me viennent plus facilement en français, alors je vais présenter mon exposé en français.

[Français]

Aujourd'hui, je représente les gens qui reçoivent de l'assurance-chômage.

Dans les provinces de l'Atlantique, comme vous le savez, on a le plus haut taux d'assurance-chômage au Canada. Le travail saisonnier, comme la pêche, l'industrie de la forêt, les bleuets, en est la raison principale. Ces industries rapportent des millions à l'économie de l'Atlantique autant que pour le Canada lui-même. Sans ces travailleurs, nos produits locaux n'existeraient pas et cela plongerait l'industrie dans une dépression économique irrévocable.

Il faut rappeler que les travailleurs saisonniers sont payés à bas salaire. Par exemple, celui qui travaille dans une usine sera payé à peu près 7,60 $ l'heure, ce qui est inacceptable. Il est désolant que les gens pensent que les travailleurs d'usine n'ont pas d'éducation, et qu'ils ne méritent pas un meilleur salaire. C'est désolant, parce qu'on a besoin du monde pour faire ce travail et que c'est un métier aussi valable qu'un autre.

En 1992, les prestations de l'assurance-chômage équivalaient à 66,6 p. 100 de leur salaire. Aujourd'hui, le taux a descendu à 50 p. 100, ce qui fait une coupure de plus de 10 p. 100 depuis 1992, alors que l'inflation a continué à grimper, et que l'assurance-chômage et les taux descendent. Cela ne fait aucune allure.

Le nombre de semaines de travail exigées a augmenté à 54 semaines alors qu'en 1992, c'était 45 semaines pour faire une demande à l'assurance-chômage. Le nombre de semaines pour qualifier a augmenté de 10 à 14 semaines ainsi que le nombre d'heures pour se qualifier.

Dès qu'une personne fait une demande d'assurance-chômage, il y a deux semaines d'attente, donc une perte de deux semaines de salaire. Il y a un minimum de quatre semaines avant l'ouverture du dossier. Ce qui représente près de six semaines sans revenu. Si le dossier doit être révisé, cela peut atteindre douze semaines d'attente. Trois mois sans revenu, avec des familles à nourrir et tout le reste, les dépenses d'électricité qui augmentent en hiver, cela entraîne des dettes avant même de recevoir leur assurance-chômage et les gens ne sont plus capables de se reprendre. C'est l'effet de la boule de neige qui grossit et grossit, et la personne n'est jamais capable de prendre le dessus. Tout cela a des effets dévastateurs dans nos régions.

Plusieurs disent que l'assurance-chômage décourage les gens à travailler et que ceux-ci deviennent dépendants dans ces régions. Nous croyons que c'est la responsabilité du gouvernement de créer du travail avec des bonnes conditions pour ensuite créer une économie dynamique. Je vais prendre l'industrie de la pêche comme exemple. Supposons que suite à la saison de pêche, on avait une deuxième ou une troisième transformation du produit de la pêche, et si le gouvernement mettait quelque chose sur pied pour faire travailler ces gens-là, ils n'auraient pas besoin de se fier sur l'assurance-chômage. Quand on y pense, on prend notre produit ici au Canada, on le fait transformer, juste pour la première transformation et on envoie le produit aux États-Unis pour donner de l'ouvrage aux États-Unis, on ramène le produit au Canada, on le met dans les congélateurs des épiceries puis on achète tous leurs produits Captain Highlander. Pour quelle raison le gouvernement ne peut-il pas mettre en place un système où la transformation du produit se ferait ici plutôt que de l'envoyer aux États-Unis, et que ce travail reviendrait au monde de nos régions? Les gens d'ici n'auraient pas besoin de se fier à l'assurance-chômage.

Ma conclusion, c'est que les rémunérations d'assurance-chômage devront être modernisées pour suivre l'inflation et pour vivre avec dignité.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons besoin d'entendre davantage de voix comme la vôtre à Ottawa.

[Français]

Mme Mailloux : Je suis pêcheur et je suis sur l'assurance-chômage. Je vis ce problème présentement. Mon mari et moi sommes pêcheurs. Je sympathise avec les personnes à l'usine. Des fois, ce sont les deux parents qui travaillent à l'usine. Il y a des capitaines qui deviennent millionnaires avec le crabe des neiges et ils ne sont pas capables de se raisonner. Le gouvernement n'est pas capable de mettre un système en place pour qu'ils fassent leur débarquement pour faire travailler ces gens à l'usine. En étant capitaine de bateau et pêcheur, je réalise que j'ai besoin de ces travailleurs que la plupart du monde prend pour acquis. Sans eux, nous, on rentre au quai avec notre cargaison, et qu'est-ce qu'on fera avec notre poisson? Il y a des femmes qui travaillent à la shop l'été, et le salaire sert seulement à payer la gardienne. Elles disent qu'elles ne font pas d'argent à travailler. Eles paient la gardienne. Elles commencent à six heures du matin, et elles ne savent pas quand elles vont sortir, 10 heures, 11 heures, minuit le soir. Il faut que la gardienne soit là 24 heures par jour. Elles travaillent pour avoir leur assurance-chômage et pour survivre l'hiver. C'est honteux. Cela ne devrait pas se faire au Canada. C'est désolant que les gens soient obligés de vivre de même.

[Traduction]

Claudia Parks, membre, Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick : Bonjour. Je suppose que je suis ce que vous appelleriez une statistique. Je vis dans une extrême pauvreté. Je vis sur la Péninsule acadienne. Je vais vous donner une description générale de ma situation. J'ai élevé deux enfants sur l'aide sociale. Mes deux garçons, jusqu'à maintenant, ne se débrouillent pas trop mal dans la vie. Mon aîné souffre du syndrome d'alcoolisme fœtal, et mon autre garçon a des troubles d'apprentissage. Ce n'était pas facile d'élever mes enfants avec si peu d'argent. Vu l'instabilité et l'incapacité physiques et mentales de mon plus vieux, j'ai eu du mal à retourner sur le marché du travail. Dans mon cœur, j'ai toujours voulu travailler. Je n'avais jamais eu de difficultés à trouver un emploi. Le problème, c'était de le garder, car mon fils était si instable, en raison du syndrome d'alcoolisme fœtal; vous savez que ces enfants ont de graves problèmes de comportement. Sa maladie m'a sortie du marché du travail. Il fallait que j'aie la possibilité de quitter le travail soudainement pour ramener mon fils à la réalité. À un moment donné, j'ai décidé qu'il était beaucoup plus important pour moi d'être à la maison et d'être une mère à temps plein, et de l'aider à vivre avec son handicap. Je lui ai appris comment survivre en société; je lui ai montré comment faire un budget. J'ai mis des années et des mois à lui montrer comment économiser de l'argent, et cela m'a permis d'apprendre à le faire aussi. Ce n'était pas si mal. C'était difficile, car je n'avais pas beaucoup d'argent. C'est difficile de devoir dire à son enfant de six ans : « Je suis désolée, mais tu ne peux pas avoir cette tablette de chocolat. Nous n'avons tout simplement pas assez d'argent. » Puisqu'il souffre du SAF, il piquait une crise. Je me souviens, à un moment donné, nous étions dans un centre commercial quelque part, et je venais tout juste de faire mon marché, et il voulait quelque chose, et, avec ces enfants, lorsqu'ils veulent quelque chose, ils le veulent maintenant. J'ai essayé de faire la bonne mère, et il a piqué une crise. J'ai regardé la femme qui se tenait à mes côtés, et je lui ai dit : « À qui appartient cet enfant? » Inutile de vous dire que c'était très, très difficile.

Mon deuxième garçon a des troubles d'apprentissage, et je blâme personnellement la pauvreté pour sa situation, car, même si je suis alcoolique, je suis sobre depuis presque 30 ans maintenant, et ma santé n'était pas à son meilleur quand j'ai commencé ma vie avec mon premier fils. J'ai dû recourir à l'aide au revenu à l'époque, et j'ai été forcée de continuer à vivre avec un revenu si bas, et en raison de ma pauvreté, ma santé s'est dégradée au fil des ans. À l'époque de ma deuxième grossesse, j'avais presque 40 ans, et de nombreux facteurs ont influé sur ma santé à ce moment-là. Il a eu un accident vasculaire cérébral juste avant sa naissance, ce qui a causé ses troubles d'apprentissage.

J'ai beaucoup de volonté, et j'en ai toujours eu. J'ai lutté pendant toute ma vie, et je ne laisserai pas un système avoir raison de moi. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai joint les rangs du Front commun. Je suis aussi membre du Comité des 12 pour la justice sociale. Comme vous l'avez entendu dans l'exposé de Claude, si des gens comme moi ne prennent pas la parole, Dieu seul sait comment des gens qui sont vraiment, vraiment en difficulté pourraient s'amener à dire à des gens comme vous : « J'ai besoin d'aide, vous savez, j'ai besoin d'aide ».

Juste pour vous donner un exemple, mon revenu annuel total est de 5 970 $. Je suis seule. Je vis dans une maison que j'ai reçue en héritage. Je vis dans une région rurale du Nouveau-Brunswick. J'étais folle de joie quand j'ai reçu mon formulaire T5007 parce qu'il y avait une erreur dessus. Il disait que j'avais fait 6 065 $. Puisque j'essaie d'être optimiste, j'ai téléphoné à ma travailleuse sociale et je lui ai dit : « Est-ce que vous me devez 95 $? » Cela aurait voulu dire que je pouvais manger un peu mieux ce mois-là.

Les statistiques ou les chiffres que je vous donne s'appliquent seulement à moi. Mais j'ai des données pour l'ensemble de la province. Dans mon cas, le chauffage compte, à lui seul, pour 40 p. 100 des 505 $ que je reçois chaque mois. J'ai d'autres factures et d'autres responsabilités, comme l'assurance automobile. Je n'ai pas d'assurance pour la maison, car je n'en ai pas les moyens. J'espérais pouvoir en souscrire une cette année, mais puisque la Province du Nouveau-Brunswick a décidé d'augmenter nos factures d'électricité encore une fois cette année, après avoir augmenté de 8 p. 100 l'an dernier, je n'ai tout simplement pas assez d'argent dans mon budget pour assurer ma maison. J'ai des factures, comme mon téléphone et des menues dépenses. Je dois me procurer un désodorisant et des choses comme ça pour au moins être présentable. Alors, cela accapare probablement 40 p. 100 de mon revenu. Cela me laisse environ 100 $ pour acheter des aliments.

C'est toute une parade, lorsque les gens touchent leurs chèques. Vu de l'extérieur, vu par une personne qui a les moyens de faire des choses, il est difficile de comprendre le comportement des personnes qui vivent de l'aide sociale. Le premier du mois, ils affluent dans les magasins. Ils se promènent partout, et je sais que, à un moment donné, j'ai entendu quelqu'un me dire : « Pourquoi achète-t-elle tant de saucisses à hot dog et de frites? ». J'ai tenté de lui expliquer qu'il s'agit probablement d'une mère qui a de nombreux enfants et qui doit trouver un moyen de les nourrir pour qu'ils ne se couchent pas affamés. Elle achètera une douzaine de saucisses à hot dog, et peut-être qu'elle va les couper en deux. Je sais que je l'ai déjà fait. Je prenais quatre saucisses à hot dog et je les mettais coupées en petits morceaux, et j'ajoutais peut-être deux ou trois patates et une carotte et un peu de bouillon, et je nourrissais mes enfants avec ça. Il est très difficile d'expliquer à ces gens pourquoi cette mère va probablement au bingo chaque semaine et fait des choses qui leur font dire : « C'est pour ça que je paie des impôts? Pourquoi fait-elle cela? » Vous devez comprendre que l'un des principaux problèmes qui découle de la pauvreté, d'être pris dans le système, d'être pris dans la pauvreté, c'est que la pauvreté mène à de nombreuses habitudes malsaines. Une personne désespérée fera à peu près n'importe quoi pour toucher quelques dollars de plus. Ces personnes se feront peut-être traiter de tricheurs ou d'autres choses humiliantes et dégradantes pour tout être humain. Encore une fois, ce n'est que mon point de vue personnel. Je dirais que peut-être 3 p. 100 de ces personnes gaspillent la totalité de leur chèque, mais c'est très rare.

J'ai rencontré des gens qui ont vécu en milieu rural au Nouveau-Brunswick, et le gouvernement a mis au point un plan génial pour instruire tout le monde et veiller à ce qu'ils retournent au travail. Tout ça, c'est bien beau, mais je sais que, pour ma part, ce n'est pas ça, le problème. J'ai un diplôme universitaire, et je vis toujours dans la pauvreté, et c'est vraiment, vraiment frustrant. Ma mère est tombée malade il y a trois ans, j'ai dû quitter mon emploi à Ottawa et revenir dans le Nouveau-Brunswick rural, et j'ai souffert d'une dépression très profonde au début. Cela m'attriste encore aujourd'hui, car je suis passée d'un salaire raisonnable, de peut-être 25 000 $ ou 30 000 $ par année, à 5 000 $. Mais la priorité, pour moi, c'était de prendre soin de ma mère. Elle avait besoin de moi, et c'était très triste.

Nous avons eu, comme vous le savez probablement, un hiver très froid cette année. Certaines des histoires d'horreur ont été rendues publiques, et c'est probablement grâce à des organismes comme le Front commun qu'ils sont en mesure de dire : « Je pourrais peut-être téléphoner à un journaliste, et je pourrais peut-être faire savoir au public que j'ai froid ou que je n'ai pas de nourriture. » C'est triste, lorsqu'on entend parler de cette femme, dans une région rurale du Nouveau-Brunswick, âgée de 59 ans, qui a dû faire brûler ses meubles parce que le gouvernement ne voulait même pas reconnaître son existence. Il faut que ça cesse. Il faut que ça cesse. Les gens doivent avoir accès aux ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins fondamentaux.

Si vous vivez en milieu rural au Nouveau-Brunswick, le transport est extrêmement difficile, car, comme vous le savez, nombre de nos hôpitaux ont fermé leurs portes. On a ouvert de petites cliniques où les gens peuvent aller voir un médecin le jour, mais, si une personne devient malade au beau milieu de la nuit, oui, l'aide sociale va probablement payer le transport. Le problème des gens pauvres, en raison de l'attitude du public à l'égard des gens qui vivent aux crochets de la société, je suppose que c'est la seule façon de le dire, c'est qu'ils ont du mal à trouver quelqu'un pour les conduire à l'hôpital pour la somme que le gouvernement est disposé à payer pour le transport.

L'autre problème, toujours lié au transport, concerne les banques d'aliments. Dans le Nouveau-Brunswick rural, dans la région de Caraquet, sur la Péninsule acadienne, il y a trois banques d'aliments. Je vis à Grande-Anse, dans le nord-est de la province. C'est une très belle région de la province, mais, si mon auto est en panne et que je suis incapable de me rendre à la banque alimentaire, je dois offrir 20 $ à quelqu'un pour qu'on me conduise à la banque d'aliments, qui est à 20 ou 25 km de chez moi. Le panier est censé durer trois jours, et je dois reconnaître, par contre, que le peu qu'il contient est plutôt bon. On vous donne peut-être deux patates, quelques carottes, peut-être un petit morceau de viande et du pain. Le problème, en ce qui concerne les banques d'aliments des régions rurales du Nouveau- Brunswick, c'est qu'il faut téléphoner et prendre rendez-vous. On me laisse avoir faim. Je dois téléphoner et prendre rendez-vous, et si j'ai le malheur de les appeler directement, on me répondra immédiatement que : « Non, vous ne pouvez pas téléphoner. Vous devez appeler votre travailleuse sociale, et elle doit téléphoner. » Parce que vous avez besoin de la permission du gouvernement pour appeler la banque d'alimentaire. Ce sont de petites choses qui sont dégradantes pour les gens. Ensuite, je dois trouver un moyen de m'y rendre.

Certaines personnes vivent dans des lieux reculés. J'aimerais bien que les sénateurs aient l'occasion de se rendre dans une petite localité qui s'appelle Notre-Dame-des-Érables. Je ne suis pas certaine de la population exacte, mais je sais que la pauvreté dans ce minuscule village est extrême. On peut voir que les maisons sont en ruines. La province fait comme si ces gens n'existaient pas. Le chômage est extrêmement élevé, et il y a de nombreux troubles d'apprentissage. Les gens ne peuvent tout simplement ni lire ni écrire. Si vous leur demandez de signer une pétition, ils ne comprendront même pas ce que vous voulez dire. Ils n'ont aucune idée de ce que vous leur offrez. Il est regrettable que des gens soient forcés de vivre dans de telles conditions.

L'autre chose, c'est que... on parlait de l'assurance-chômage et du salaire minimum, qui est à 7 $ l'heure, et, si on vit en milieu rural au Nouveau-Brunswick, disons Grande-Anse ou Caraquet, si on trouve un emploi au salaire minimum à Bathurst, il faudra conduire au moins 50 kilomètres pour se rendre au travail. Le prix de l'essence et de l'huile a monté. Si vous avez un très bon véhicule, l'essence pour l'aller-retour devrait vous coûter de 10 à 15 $ par jour. Beaucoup de gens n'ont même pas 10 $ à mettre dans leur réservoir d'essence. Il n'y a pas de transport en commun. Nous devons trouver des moyens d'aider ces gens, ces personnes qui peuvent travailler, à travailler.

Je sais une chose : du point de vue médical — et ça m'a brisé le cœur de le savoir —, mon médecin m'a déclaré tout à fait inapte à réintégrer la population active en raison des problèmes physiques que j'ai. Je fais beaucoup d'arthrite dans la colonne vertébrale. J'ai sept disques qui sont disparus, complètement disparus. Le médecin m'a dit que si je continuais à mettre trop de pression sur mes os, je finirais dans un fauteuil roulant. Je n'ai même pas 59 ans, et les médecins ne vont pas m'opérer : je suis trop jeune. En raison de facteurs de stress, j'ai fini par avoir des ulcères d'estomac. J'ai des pierres au foie. J'ai des problèmes de digestion. Je ne suis pas vraiment grosse, je suis seulement enflée à cause du stress. Il y a des jours où je me porte bien. J'adorerais sortir faire une balade, mais il y a des jours où je n'y arrive tout simplement pas. J'ai essayé de trouver d'autres compromis, mais il y a bien des gens qui n'arrivent pas à composer avec leur dépression. Il est frustrant pour les gens qui vivent de l'aide sociale de se faire dire par leur médecin : « Il faut que vous vous occupiez de votre santé et que vous restiez à la maison. » Les gens se font refuser une aide supplémentaire à laquelle ils auraient droit.

Les autorités ont mis sur pied un conseil consultatif médical. Aujourd'hui même, je ne sais toujours pas qui sont les médecins qui siègent à ce conseil médical. Je n'ai aucune idée de qui il peut s'agir. Je ne sais pas du tout pourquoi ils m'enverraient une lettre pour dire : « Vous n'êtes pas invalide au sens de la loi », alors que l'invalidité est très bien définie dans la loi provinciale sur l'invalidité. L'invalidité que j'ai se trouve dans la loi. C'est considéré comme une invalidité, mais je ne suis quand même pas admissible. C'est frustrant. Ce n'est pas tellement plus par mois. C'est seulement 82 $ de plus par mois, plus une somme supplémentaire de 1 000 $ qui me permettrait d'engager quelqu'un pour pelleter mon entrée ou tondre mon gazon, car je n'y arrive plus.

J'ai deux garçons. Il y en a un qui va avoir 30 ans en mars. Mon deuxième a 19 ans. Malgré leur handicap, les deux travaillent, mais ils ne sont pas riches. Cela a peut-être quelque chose à voir avec ma personnalité et mon caractère et la façon dont je leur ai appris à se battre. Je leur ai appris à se battre, quel que soit le problème qui les touche, et à continuer à se battre. J'ai eu l'occasion d'en faire des gens qui peuvent maîtriser leurs problèmes. Ils travaillent. Il y en a un à Montréal. Mon deuxième fils est à Moncton. Il a réussi à se trouver un emploi qui est payé 10 $ l'heure, mais il peine, étant donné que son loyer lui pèse et, aussi, qu'il a 19 ans. Enfin, s'il avait quelques dollars de plus, il s'achèterait l'amplificateur plutôt que de la nourriture. Ensuite, il appelle sa mère et me demande, et moi je dis : « Désolé. Où penses-tu que je vais... » alors, il dit : « Bon, je vais manger du riz cette semaine. » Mais il est en train d'apprendre. Il apprend à se battre. Sa grande, grande crainte, c'est d'être forcé à revenir vivre dans la péninsule et de vivre dans la pauvreté et de vivre de l'aide sociale. Il ne veut pas de ça.

Quelqu'un a parlé d'éducation tout à l'heure. Une des choses que j'ai remarquées, et j'ai un très bon sens de l'observation, c'est qu'il y a un blocage sérieux. Je ne sais pas si les sénateurs se rappellent l'époque où le gouvernement du Nouveau-Brunswick a lancé le programme Nouveau-Brunswick au travail. Cela semblait très, très bien sur papier. Ça semblait être une excellente idée. Une des plaintes qu'il y a eues, une des choses que les participants au programme m'ont dites, c'est que le système de classification les frustrait. Au moment d'être classés ou d'être mis dans une catégorie pour savoir où ils aimeraient bien aller, ils étaient tout à fait attristés par le fait que les gens les rabaissaient. Plutôt que de pouvoir garder leur attestation, ils se faisaient dire : « Non, vous ne pouvez aller au collège parce que vous n'avez qu'une 3e année de scolarité, et il nous faut vous instruire, car vous êtes stupides. » Bon, ils n'ont pas vraiment utilisé ces mots-là, mais c'est comme ça que les gens se sentaient. C'est devenu un obstacle. J'en ai rencontré certains qui sont pris à essayer de terminer leur 4e ou leur 5e année, trois, quatre ans plus tard. Ce serait probablement quelqu'un comme mon deuxième fils, qui ne sait pas lire ni écrire. Je veux dire qu'il a besoin d'aide, par exemple un ordinateur ou quelque chose du genre, pour l'aider à écrire : il ne sait pas épeler les mots et ne peut pas lire quelque chose de trop compliqué. Les mots n'ont pas de sens pour lui. Il doit y avoir une meilleure façon de les instruire avec une formation concrète ou quelque chose d'autre, sans devoir dire à ces gens : « Eh bien, vous ne savez pas lire ni écrire; nous ne pouvons donc vous instruire davantage. » Ce n'est pas acceptable.

L'autre chose, c'est qu'ils sont obligés d'avoir ce recyclage et cette formation. Tout de même, j'ai été une candidate parfaite quand je suis revenue dans la Péninsule acadienne. Je vivais de l'assurance-chômage. C'était l'occasion idéale pour moi de me recycler pour me retrouver sur le marché du travail. J'ai les compétences. J'aurais pu faire n'importe quoi, laver les planchers, être secrétaire administrative, être traductrice. Je peux faire n'importe quoi si je décide de m'y mettre. Tout ce que je demandais à ma travailleuse, c'est qu'elle me permette d'avoir une formation de recyclage pour améliorer mes aptitudes pour la rédaction en français, pour que je puisse être bien assimilée dans la population active. Oui, oui, oui : c'est ce qu'elle a répondu. J'ai attendu et j'ai attendu et j'ai attendu. Trois semaines plus tard, je l'ai rappelée et j'ai dit : « Qu'est-ce qu'il en est de mon rendez-vous avec le secteur du recyclage et de la formation — je suis censée d'avoir ce qu'on appelle un dossier pour le Nouveau-Brunswick? » « Ah, vous ne pouvez pas faire cela parce que vous avez consulté un conseiller en santé mentale et je dois obtenir d'elle une autorisation. » J'ai dit : « Excusez-moi. Je vous ai demandé de me donner la permission d'y aller. » De toute façon, ils ont joué à ce jeu pendant six mois environ et, enfin, ils m'ont dit : « Non, il ne reste plus de place. » Je lui ai demandé : « Qu'est-ce que vous voulez dire : il n'y a plus de place? » Elle a dit : « Il n'y a que 25 places d'offertes dans la Péninsule acadienne, dans la région de Caraquet. Nous ne pouvons vous envoyer là et, de toute manière, vous êtes surqualifiée. Vous avez un baccalauréat, et nous ne pouvons vous recycler. » J'ai donc été laissée à l'aide sociale. Je n'avais pas d'autre choix. Bon nombre des gens qui assistent à cette formation obligatoire sont menacés : s'ils ne s'y prêtent pas, ils vont perdre leur revenu.

Ce que j'aimerais, c'est qu'on adopte un système préventif qui interdirait que de jeunes enfants finissent par vivre de l'aide sociale. Je ne veux pas voir une jeune personne vivre ce que j'ai vécu en tant que jeune adulte, dans la mi- vingtaine. Je vais avoir 60 ans dans un an et demi, et je suis encore prise au piège de la pauvreté.

Étant quelqu'un qui vit dans la pauvreté, j'ai l'impression, entre autres, qu'il n'y a absolument aucune façon de se libérer du système. Il n'y a aucune façon de se sortir de la pauvreté. J'ai essayé, j'ai essayé de toutes les façons possibles de sortir du système et, chaque fois, il y a un petit accroc. Si ma toilette se brise, il faut que j'appelle pour demander la permission de la faire réparer parce que je n'ai pas l'argent, et il faut que je discute et que je leur donne une raison pour laquelle j'ai besoin d'une toilette qui marche chez moi. Il faut que je les menace et que je dise : « Bien, c'est un risque pour la santé si vous ne m'aidez pas. » Des fois, je peux attendre trois, quatre jours sans eau courante ni installations adéquates.

À 60 ans, il faut que je demande ma pension du Canada. De fait, je suis obligée de la demander. De la façon dont les choses fonctionnent, si je ne demande pas la petite pension à laquelle j'ai droit parce que j'ai travaillé, le gouvernement va déduire le montant de toute façon, quoi qu'il advienne. J'ai l'impression que c'est totalement inconstitutionnel. On ne devrait pas me forcer à prendre une pension simplement parce que je suis pauvre. Je suis pénalisée parce que j'ai travaillé, et je trouve que c'est dégradant... tout au moins, en arrivant à l'âge de la retraite, il faudrait que je puisse garder au moins cette petite pension. C'est 185 $ par mois. Ce que je perds, c'est probablement autour de 20 $ par mois, ce qui n'est pas un gros montant, mais pour moi, c'est beaucoup d'argent. Ce serait bien que mes paiements soient rajustés pour que je puisse garder les 185 $ et ne pas avoir à les déduire de mon chèque mensuel de 500 $. Au moins, j'aurais de l'argent pour fonctionner.

C'est à peu près ce que j'avais à dire. Pour les Néo-Brunswickois qui vivent en milieu rural, réintégrer la population active est un combat de tous les instants, et la pauvreté a causé beaucoup de difficultés.

La présidente : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler aujourd'hui.

M. Gagnon : Comme l'exposé que nous venons de présenter le fait voir, la pauvreté se définit par beaucoup, beaucoup plus qu'une simple absence de revenu. La pauvreté, c'est aussi les conditions dans lesquelles un être humain se trouve à être privé de ressources, de moyens d'agir, de choix, du pouvoir nécessaire pour acquérir et cultiver son autonomie et pour participer à la société. C'est très, très important, la dernière partie : participer à la société. Par conséquent, il faut améliorer la situation économique des gens qui vivent dans la pauvreté. Nous croyons qu'il faut une stratégie nationale anti-pauvreté. Appelez cela une loi anti-pauvreté comme on l'a fait au Québec, appelez ça un processus. Peu importe le nom que vous lui donnez, il nous faut un processus, une stratégie qui s'accompagne d'une vision à long terme, pas juste des idées à court terme, des idées à long terme avec des objectifs raisonnables et des délais raisonnables, par exemple dix ans. En 1989, nous avons entendu dire que la pauvreté chez les enfants serait éliminée. Nous sommes maintenant en 2007. Ce n'est pas une vision raisonnable. Il y a encore des enfants pauvres, et ils sont plus nombreux qu'ils l'étaient en 1989.

Nous avons besoin d'un plan d'action avec un budget. Le gouvernement doit commencer à budgétiser pour savoir comment éliminer la pauvreté ou les causes de la pauvreté. Nous n'avons pas vu cela ces derniers temps. Nous n'avons jamais vu cela, ni comment on coordonne ces initiatives entre les organismes gouvernementaux, entre les partenaires, afin de régler les problèmes...

Il nous faut une plus grande responsabilisation. Il nous faut une structure de responsabilisation pour garantir qu'on consultera les Canadiens avec les groupes d'intérêts particuliers, les gens qui vivent dans la pauvreté, sans oublier un système pour évaluer le plan d'action.

Ce sont dix des tâches qu'il nous faut réaliser. Il nous faut des lois efficaces. Il nous faut des objectifs mesurables et des délais en rapport avec les budgets en question. Il nous faut un comité indépendant, et non seulement un comité gouvernemental qui dirigerait l'affaire.

Il nous faut nous entendre sur une définition et des indicateurs avec l'ensemble des partenaires. Quels sont les indicateurs qui permettent de voir que le processus fonctionne, que le plan fonctionne? Comment évaluons-nous cela? Je crois que c'est cela qu'il nous faut, et je veux conclure très brièvement. Nous n'en avons pas beaucoup parlé pendant l'exposé, mais il y a un grand nombre d'indicateurs de pauvreté... des femmes, des femmes monoparentales, qui sont très nombreuses à être pauvres; des femmes qui font des petits boulots et qui vivent dans la pauvreté. Nous avons parlé de l'équité salariale. C'est pour un travail de valeur égale et non pas un travail égal. Pour un travail de valeur égale, le salaire versé est inférieur d'environ 14 p. 100 l'heure. Tout le monde semble dire la même chose. Il nous faut être réalistes à propos de certains de ces buts, et je tiens à conclure en disant cela.

Je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de prendre la parole. Nous sommes ouverts à toutes les questions que vous voudrez bien poser.

La présidente : Merci beaucoup à tous les trois.

Nous allons céder la parole à David Couturier, directeur général de l'Atelier RADO.

[Français]

David Couturier, directeur général, Atelier RADO : Madame la présidente, c'est un privilège d'être ici et un honneur d'être invité à parler de la question de la pauvreté en régions rurales. Notre présentation ne contient ni documents ou statistiques parce que l'on n'est pas un « advocacy group ». Nous représentons une banque alimentaire, la cuisine communautaire, le comptoir vestimentaire et le service d'urgence.

Je suis content de voir que le Sénat canadien décide de se mobiliser contre la pauvreté et son effet en milieu rural au Canada et au Nouveau-Brunswick, parce que c'est une réalité. Ce que je vais vous présenter ici, c'est la réalité, parce qu'on travaille directement et indirectement avec les personnes à faible revenu. Pour favoriser une efficacité dans vos initiatives, il y a deux points très importants. Le premier, concerne la pauvreté et, le deuxième, c'est que vous avez trois questions à vous poser : c'est quoi la pauvreté? C'est qui la pauvreté? Et pourquoi la pauvreté? Voilà la base. Pour être efficace, il faut réaliser que l'on ne pourra jamais enrayer la pauvreté. La seule chose que l'on puisse faire, c'est de l'alléger.C'est la pierre angulaire du développement de stratégies et de politiques, parce qu'il y a une réalité : il y a des gens qui ne sont réellement pas capables de travailler en société. Je vais faire davantage allusion à la pauvreté, qui est une tendance que l'on voit beaucoup plus en région rural qu'urbaine.

Atelier RADO s'occupe de banques alimentaires, de cuisines communautaires, de comptoirs vestimentaires et de services d'urgence. On est la première ligne de défense dans la lutte contre la pauvreté.

La pauvreté est une équation très complexe qui contient plusieurs variables. Un, l'éducation, la santé, la politique — on ne peut pas toujours blâmer le gouvernement — la société, l'économie, les politiques et ainsi de suite, la mondialisation des marchés. On doit tenir compte de plusieurs facteurs quand parle on de la pauvreté, parce que la pauvreté, ce n'est pas toujours un choix. Je dirais que pour 95 p. 100, ce n'est pas un choix, c'est la situation qui fait en sorte que c'est très difficile de travailler.

Selon Statistique Canada, au Nouveau-Brunswick, le salaire minimum est à sept dollars l'heure. Ceci étant dit, Statistique Canada a chiffré que le seuil de la pauvreté au Canada était de 14 $ l'heure. Le seuil de la pauvreté, c'est le montant nécessaire, soit 14 $ l'heure, pour combler les besoins primaires. On est deux fois sous le montant de base, qui sera de 7,25 $ en juillet. C'est un écart d'au moins 6,75 $ l'heure. C'est énorme. Imaginez la capacité à combler ses besoins, c'est insupportable. Je vais renchérir avec cela. Statistique Canada dit que le bénévolat est chiffré à 16 $ l'heure. Le bénévolat vaut 16 $ l'heure. Quand on fait la comparaison entre le bénévolat et le seuil de pauvreté, le bénévolat vaut 16 $ l'heure. Il vaut deux dollars de plus que le seuil de pauvreté qui est de 14 $ l'heure. C'est quelque chose. C'est un indice d'importance dont il faut tenir compte.

Selon la théorie de Maslow, si une personne ne peut pas combler son premier besoin de base, qui est de se nourrir, de se vêtir, de se loger et s'abriter, la personne ne peut pas gravir l'échelon. Si tu ne peux pas gravir l'échelon, tu as de grosses lacunes pour avancer dans ta vie. C'est la réalité de la pauvreté et des effets en milieu rural.

Je vais vous donner des statistiques réelles d'Atelier RADO au niveau de la banque alimentaire : on dessert une population de près de 35 000 personnes dans le comté de Madawaska, à Edmundston. Dix p. 100 du comté de Madawaska vient solliciter nos services à la banque alimentaire. Il y a cinq ans, à mes débuts, 75 p. 100 de nos clients étaient des personnes à faible revenu. Aujourd'hui, c'est 60 p. 100. Il y a eu une diminution à cause d'une augmentation phénoménale des « working poor », des personnes qui sont pauvres qui travaillent. Du monde qui travaille chez Wal- Mart à 8 $ l'heure, 20 heures par semaines. Huit dollars l'heure à 20 heures par semaines, cela fait 4,00 $ l'heure à 40 heures par semaine. On a perdu beaucoup de terrain avec la mondialisation des marchés. Avec le libre-échange, on a perdu beaucoup de travail, et les réalités sont là, les statistiques sont là. Il y a du monde qui nous dit que nous sommes chanceux à Edmundston parce qu'il y a autant de travail aujourd'hui qu'avant. C'est vrai qu'il y a autant de travailleurs qu'avant et le chômage est resté pareil. La seule différence c'est qu'il y a beaucoup moins de personnes qui travaillent à 30 $ l'heure et beaucoup plus de personnes qui travaillent à 6,00$ l'heure. La région a perdu sa capacité au sein du gouvernement, de venir en aide aux organismes à but non lucratif qui ont un rôle presque insurmontable et indispensable pour une bonne qualité de vie. Vous savez, aujourd'hui, selon Statistique Canada, si du jour au lendemain tous les organismes à but non lucratif du Canada décident de fermer les portes par manque de ressources financières, humaines et matérielles, on tombe dans une crise économique automatique. C'est raisonnable au niveau d'analyse.

Ceci étant dit, 10 p. 100 du comté de Madawaska, pensez-y comme il faut. Si on est 30 ici, il y en a au moins trois qui viennent chez nous demander des services. C'est quand même alarmant. Dans une classe de 30 personnes, trois enfants n'ont pas mangé à leur faim. S'ils n'ont pas mangé à leur faim, le cercle vicieux commence. Comment font-ils pour apprendre? Comment font-ils pour être disciplinés? Comment font-ils pour être attentifs? C'est un cercle vicieux, et c'est facile à comprendre.

À la banque alimentaire de l'Atelier RADO, on a servi 1 600 boîtes de nourriture. Nos boîtes de nourriture peuvent durer 10 jours. On a aidé 3 055 personnes l'année passée, sur une population de 35 000. À la cuisine communautaire, on est ouvert à peu près 240 jours par année parce qu'on est fermé les fins de semaine et les journées fériées. L'année passée, sur ces 240 jours, Atelier RADO a aidé 14 400 personnes pour les repas. On est 35 000 de population. Imaginez- vous. Faites les calculs, c'est presque la moitié du comté de Madawaska qui a sollicité nos services. Au comptoir vestimentaire plus de 11 000 personnes sont venues et, en plus, nos services sont réservés exclusivement aux personnes à faible revenu. Si dans un comté comme le nôtre où il y a 35 000 personnes seulement, on a aidé 11 000 personnes dans leurs besoins de vêtements, d'électroménagers, d'ameublements ou autres, il y a un méchant problème. C'est énorme.

L'année passée, sur un budget de 350 000 $ pour gérer Atelier RADO, 35 p. 100 vient du gouvernement, 65 p. 100 vient de la communauté. Notre problème c'est que la communauté, comme je vous l'ai dit tantôt, a du travail en masse à Edmundston. Mais ils font du 20 heures semaine, 15 heures semaine à 6,00 $, 7,00 $ ou 10,00 $ l'heure. Dix dollars de l'heure, même 20 $ l'heure à 20 heures par semaine, cela donne 10 $ l'heure à 40 heures par semaine. Tu ne peux pas arriver avec ça. Le salaire nécessaire pour vivre au Canada, c'est 14,00 $ l'heure. C'est une moyenne nationale, et cela, ce n'est pas nous qui l'a inventé, c'est Statistique Canada.

Ceci étant dit, au niveau des statistiques, l'Atelier RADO, notre organisation à but non lucratif a offert en service l'année passée avec un budget de 350 000 $, a une valeur marchande de 1,02 millions de dollars. Le gouvernement donne 2,1 millions aux agences comme la nôtre au Nouveau-Brunswick pour s'occuper des personnes pauvres. Si on fait le calcul, on est un excellent retour sur l'investissement en ce qui a trait à l'aide aux personnes à faible revenu. Pensez-y, avec 350 000 $, on a offert 1,02 millions de dollars en valeur marchande en service juste à Edmundston dans le comté de Madawaska. C'est incroyable. Multipliez ces statistiques avec les 59 agences du Nouveau-Brunswick et imaginez la valeur marchande de nos services au Nouveau-Brunswick. Imaginez au niveau Canadien la valeur marchande de nos services? On n'est pas là juste pour dire qu'on est là. C'est parce qu'il y a un besoin, un grand besoin. Même si je suis directeur d'une banque alimentaire, consciemment, je sais qu'on n'est pas la meilleure solution au problème de la pauvreté parce qu'on n'est pas là pour enrayer la pauvreté et que l'on n'est pas un « advocacy group ». On est là pour combler des besoins, pour aider les gens pauvres dans leur cheminement personnel, à percer dans la vie, et à s'éduquer. On ne peut pas demander à une personne d'aller aux études, d'aller au travail, d'essayer de progresser dans sa vie si ses besoins primaires ne sont pas comblés, elle ne peut pas. Elle va demeurer une statistique et elle ne pourra pas progresser, et la société va payer d'une manière ou d'une autre, ce qui veut dire que c'est très important de parler du besoin d'être proactif.

La pauvreté n'est pas seulement une question d'argent, il n'y a rien de plus pauvre qu'un pays riche comme le Canada, où l'on retrouve autant de pauvreté. En 1996, j'ai vécu un mois au Mexique où j'ai travaillé bénévolement, en contact direct avec la pauvreté. Ils ne parlaient que l'Espagnol, et j'ai travaillé à leur façon pour vivre la réalité de la pauvreté. Je peux vous assurer que cela m'a mis pas mal à l'envers. Au Mexique, ils n'ont pas d'aide, nous, on a quand même de l'aide sociale, mais ce n'est pas assez. Nous avons le syndrome « band-aid ». Par exemple, si tu tombes et tu te fais mal, tu mets un « band-aid », et tu apprends qu'en tombant tu peux te faire mal, alors tu apprends à ne pas tomber. C'est un peu le même principe aux niveaux social, économique et politique. Peu importe, il faut que tu apprennes. Un de nos problèmes, c'est le manque de mesures incitatives pour faire apprendre des personnes. Ce n'est pas une question d'éducation, c'est une question de logique.

Prenons l'exemple des minorités visibles des Premières nations; ils représentent l'entité qui reçoit le plus d'argent nationalement en matière d'aide sociale et de tous les programmes d'infrastructure. Pourtant, c'est la minorité visible où l'on voit le plus haut taux de suicides, de viols, de meurtres. Il y a une raison pour cela. Ce n'est pas une question de ressources mais de capacité. Notre centre reçoit des personnes qui ont 495 $ par mois; sur ce montant, 400 $ par mois servent au logement seulement. Financièrement, ils ont besoin de plus d'argent, mais si du jour au lendemain on leur donnait 1 000 $ de plus par mois, ils ne pourraient pas le gérer. C'est une réalité. Il y a des gens qui n'ont pas la capacité de s'en sortir, parce leurs parents n'ont pas été en mesure de leur montrer les réalités de la vie. Prenons l'exemple de cette mère de famille qui a réussi à briser le fameux cercle vicieux, en démontrant à ses enfants qu'elle n'avait pas choisi de vivre en pauvreté, qu'il importait de changer de mentalité et de pousser plus loin pour changer de vie. Si cela n'est pas un exemple d'une personne qui est riche, alors c'est quoi? C'est à ce niveau qu'il importe d'intervenir. On doit prendre ces exemples pour encadrer et pousser ce monde-là. Il y a des gens qui ne peuvent pas travailler, parce qu'incapacités physiquement et mentalement. Il y en d'autres, qui ne peuvent pas travailler à cause de questions de logistique ou d'éducation.

Dans le passé, nous avions accès à un programme qui permettait aux personnes de mieux gérer leurs ressources financières et matérielles. Les fonds provenaient du provincial et du fédéral et cela nous permettait d'offrir un service gratuitement et de faire des économies dans nos opérations. Ce programme a permis à des personnes d'être beaucoup moins dépendantes des systèmes. Quoique les statistiques aient démontré qu'il y avait beaucoup moins de personnes qui utilisaient nos services parce qu'elles étaient en mesure de mieux gérer leurs ressources, le gouvernement a décidé, en 2003, de couper ce programme, parce selon eux, il n'était pas viable.

La pauvreté ne se mesure donc pas exclusivement avec un manque d'argent. Parfois, c'est un manque de savoir-faire, un manque de ressources et d'encadrement.

L'autre problème, c'est la capacité versus la volonté. Ici au Canada, selon Statistique Canada, le comté de Madawaska est la deuxième communauté la plus généreuse pour son bénévolat et ses contributions d'argent. La première, c'est à Sussex, toujours au Nouveau-Brunswick. Par contre, on est en perte de capacité, parce les gros business à but non lucratif, comme les fondations d'hôpitaux et même le clergé, embauchent des compagnies pour faire des levées de fonds. Cela fait en sorte qu'il y a une grosse compétition à l'intérieur même des régions, et que des petits organismes comme la nôtre, perd la capacité à garder leurs opérations parce qu'il y a un manque d'argent. Ces grosses levées de fonds ont pour effet de minimiser la capacité de l'assiette fiscale à partager les richesses. C'est une question de re-distribution des richesses. On ne peut pas demander à une communauté qui est pauvre de se prendre en main par elle-même car elle a un manque de richesses. Elle a besoin d'encadrement, et au niveau rural, pas seulement au Nouveau-Brunswick mais ailleurs dans le monde, c'est un gros défi.

On se questionne souvent sur les raisons pour lesquelles les régions rurales deviennent plus pauvres que d'autres. C'est parce que les régions rurales, en général, sont des endroits ayant une abondance de ressources naturelles, comme les eaux pour les pêches, les forêts, les mines, ainsi de suite. Au début tout va super bien. Tout le monde travaille. Et puis, viennent la mondialisation des marchés et le libre-échange. Les grosses compagnies achètent alors les petites, qui achètent les autres petites; un moment donné, il n'y a plus de petites compagnies. C'est pour ça que les co-ops et les caisses populaires ont été fondées, pour faire un ensemble de plusieurs petites compagnies, mais maintenant, la mondialisation des marchés et le libre-échange ont fait en sorte que les forts sont devenus plus forts et les faibles plus faibles.

Actuellement, le meilleur des ressources naturelles du Nouveau-Brunswick, va aux États-Unis. C'est une capacité qu'on avait et que l'on a plus. On prend beaucoup de produits d'ici et on les transforme. On les retrouve à un prix beaucoup plus élevé. Il n'y a aucune raison pour qu'un arbre qui est coupé et transformé dans la région soit plus cher qu'un arbre qui est coupé ici, qu'il soit envoyé et transformé en Chine, et qu'il revienne à Edmundston pour qu'il soit moins cher. C'est un non-sens et ce n'est pas logique. Que le bois soit envoyé et transformé en Chine nous fait perdre beaucoup de travail et pour quelle raison? Il y a un manque de leadership quelque part qui fait en sorte qu'on n'est pas maîtres de nos propres ressources naturelles. Le problème, c'est que les ressources sont au niveau primaire, et que l'on perd de plus en plus le niveau secondaire, soit tout ce qui est du domaine de la transformation. Au niveau tertiaire, il y a une lacune. On s'en vient progressivement, mais l'élan n'est pas assez fort pour pouvoir vivre dans ce domaine-là. Un problème au Nouveau-Brunswick, par exemple, c'est le monopole de la compagnie Irving sur l'industrie du bois et des papeteries. Si Irving va bien, tout le monde va bien, car tout le monde travaille. Le transport va bien, le magasin va bien. Si la compagnie décide de fermer tous ses stops à bois, tout le monde sera pénalisé. Qu'une compagnie soit grosse, peut aider, mais cela peut nuire énormément aussi parce que les enjeux sont gros.

Aujourd'hui, le Nouveau-Brunswick est paralysé au niveau primaire parce qu'on n'est pas assez diversifiés. Toutes les ressources sont au niveau primaire : le bois, le papier et la planche et les pêches. Si ces marchés sont en effervescence, notre économie sera à la hausse. Mais ce n'est pas la réalité. Les pêches ont de la misère, les forêts ont de la misère, les papeteries ont de la misère parce que la mondialisation occasionne beaucoup de pression sur nous. C'est un gros problème.

Présentement, je fais partie d'un comité avec Mme Claudette Bradshaw. qui a été nommée par le premier ministre du Nouveau-Brunswick sur l'initiative provinciale des organismes à but non lucratif. Le fait que nous n'ayons rien à présenter aujourd'hui est que l'on est en train de travailler sur un dossier et qu'il est en phase embryonnaire. On tente de démontrer le rôle capital des organismes à but non lucratif sur le bien-être des communautés et sur le développement de leur qualité de vie. Ce dont on a besoin, premièrement, c'est d'une responsabilisation du fédéral et du provincial afin d'aider et d'encadrer plus efficacement les organismes à but non lucratif; prenez l'exemple pour RADO — le gouvernement donne 100 000 $ à l'atelier RADO pour opérer. Si du jour au lendemain on disparaît, ce n'est pas 100 000 $ qu'il faudra injecter dans la région mais 1,02 millions de dollars, et ce 1,02 millions, il ne peut pas l'injecter, parce que le montant total investit au provincial est de 2,1 millions. On doit y penser.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Veuillez transmettre nos salutations à Claudette, qui a fait un grand travail à titre de leader à cet égard. Non seulement ici, mais partout au Canada. C'est une grande dame.

Le sénateur Mercer : Je tiens à reprendre ce que vous venez de dire. Le nom de Claudette Bradshaw revient dans toutes les provinces. Claudette est non seulement un atout pour le Nouveau-Brunswick; c'est un trésor national pour ce qui touche les questions très importantes qui sont à l'étude aujourd'hui.

Claudia, il est vraiment important pour nous de vous rencontrer. Vous êtes pour nous une source d'inspiration. Peut-être que vous vivez de l'aide sociale et que vous n'êtes pas en mesure de travailler, mais votre vie est un très grand succès. Vous avez élevé deux enfants qui travaillent. Ils ne font peut-être pas tout à fait ce que vous souhaiteriez ou ce qu'ils souhaiteraient eux-mêmes, mais nous devons vous féliciter de cela, vous féliciter de votre abstinence et de l'engagement dont vous faites preuve envers vos enfants, notamment pour essayer d'améliorer non seulement votre situation à vous, mais aussi celle de nombreuses autres personnes au Nouveau-Brunswick et au Canada. Je tiens à vous remercier d'être venue nous raconter cette histoire. Il est très important que nous puissions entendre les gens qui, dans les faits, vivent dans la pauvreté tous les jours, toutes les heures. Merci de cela.

Mme Parks : Merci, sénateur.

Le sénateur Mercer : Claudia a évoqué le fait qu'il faut avoir la permission d'aller à la banque alimentaire. C'est pour moi une idée nouvelle, que je n'ai jamais vue dans la province, la Nouvelle-Écosse. Est-ce quelque chose qui est propre au Nouveau-Brunswick?

Hier, à l'Île-du-Prince-Édouard, nous avons eu droit à une analyse de la fréquentation des banques alimentaires et de la fréquence à laquelle les gens y recourent; de fait, les responsables ont essayé de rajuster le tir pour s'assurer que les personnes qui recourent à une banque alimentaire sont vraiment celles qui en ont le plus besoin.

Pouvez-vous répondre à ces deux questions? Est-ce une règle du gouvernement provincial qui fait qu'il faut avoir la permission d'aller à la banque alimentaire? Mesurez-vous la fréquence d'utilisation des banques alimentaires?

[Français]

M. Couturier : Très bonne question, sénateur. Chose certaine, on essaie de responsabiliser et de sensibiliser le gouvernement, mais le problème, c'est qu'il donne des montants, parfois minimes, aux banques alimentaires, et leur dit de s'arranger avec ces fonds. Il n'y a pas une banque alimentaire qui fonctionne de la même manière; que ce soit les banques alimentaires, les cuisines communautaires, les comptoirs vestimentaires ou les services d'urgence, chaque organisation à but non lucratif a sa propre méthode de gestion et ses critères d'admissibilité. C'est une des lacunes des organismes à but non lucratif. Avec la collaboration de Mme Claudette Bradshaw, on veut responsabiliser le gouvernement, pour qu'il y ait une uniformité dans la gestion et les services donnés par les organismes à but non lucratif pour répondre aux besoins essentiels de la population.

À Moncton au Nouveau-Brunswick, il y a neuf banques alimentaires et la moitié fonctionne sur le mode du bénévolat. À Atelier RADO, on a six employés permanents à temps plein et l'on est considéré comme chef de file en matière de gestion d'organisme à but non lucratif. Mais, il y a un prix à cela. Souvent, on se débat comme un diable dans l'eau bénite pour pouvoir arriver à nos fins. Le manque d'uniformité dans les modes de fonctionnement est ce que l'on veut changer aux initiatives gouvernementales et ce n'est pas chose faite. Il semblerait y avoir une certaine ouverture au fédéral ou au provincial, face à ce besoin d'uniformisation des services. Le problème, c'est la question de capacité. Les régions, même si elles sont pauvres, ont une assiette fiscale et elles ont une capacité en argent.

Le problème réside dans la capacité d'une communauté à répondre aux besoins. Dans notre organisation, tout est comptabilisé : le nombre de personnes servies, la quantité que l'on donne, la quantité des dons, et je suis payé pour le faire. Il y a des agences qui n'ont pas les fonds pour le faire et elles n'ont pas les ressources pour fournir des statistiques. J'ai pu vous donner les chiffres réels du RADO parce que je travaille dans ce domaine, mais beaucoup ne peuvent pas le faire. Ils n'ont aucune idée combien de personnes passent, parce qu'ils n'ont pas les ressources pour les comptabiliser. À Saint-Jean, il y a des banques alimentaires où la moyenne d'âge des bénévoles est de 70 ans. On ne peut pas leur demander de fournir un système élaboré de comptabilité. La réalité à Saint-Jean n'est pas celle de Moncton, Fredericton ou Edmundston. Nous, parce qu'on est au public, on est ouvert à fournir nos statistiques. C'est la différence, mais malheureusement, ce n'est pas la réalité pour tous.

Au Canada, il y a eu une diminution des services dans les banques alimentaires, non pas à cause d'une diminution de la fréquence, mais parce qu'on a moins de capacité à répondre à la demande. La cause principale de ce problème, c'est que nos revenus restent les mêmes chaque année, et que le coût de la vie augmente aussi d'année en année.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Il existe un réseau national de banques alimentaires, et je ne sais pas s'il y a un réseau au Nouveau-Brunswick même. La Nouvelle-Écosse a appliqué un modèle où toutes les banques alimentaires s'unissent sous la bannière de Feed Nova Scotia de manière à coordonner les dons et la distribution. Est-ce qu'il y a quelque chose du genre au Nouveau-Brunswick? Les banques alimentaires du Nouveau-Brunswick sont-elles membres du réseau national? Mon collègue, Gerard Kennedy, m'a aidé à établir ce réseau national il y a quelques années.

[Français]

M. Couturier : Au Nouveau-Brunswick, il y a l'Association des banques alimentaires du Nouveau-Brunswick. Notre organisation payait pour être membre de cette association et aussi pour devenir membres de l'Association canadienne des banques alimentaires. Toutefois, il y a eu une restructuration au niveau de l'Association des banques alimentaires canadiennes, et des agences comme la nôtre, ne peuvent plus devenir membres. C'est l'Association provinciale qui peut devenir membre directement.

Un facteur alarmant est que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a eu la générosité d'augmenter l'aide au revenu de X pourcentage. Cela donne à peu près 15 $ de plus par mois. Toutefois, en même temps, à Edmundston, tous les propriétaires de logements ont augmenté les loyers de 15 $. C'est juste pour vous dire que la pauvreté n'est pas seulement une question d'argent. Supposons que le gouvernement fédéral disait, du jour au lendemain, qu'il standardise l'aide au revenu à 1 000 $ au Canada. Ce serait une erreur, parce que tous les propriétaires augmenteraient le loyer de ceux et celles qui reçoivent de l'aide au revenu. C'est une logique. Dans vos efforts, si vous augmentez l'aide au revenu, soit de 495 $ à 2 000 $, automatiquement, tout va augmenter. Le coût de la vie va augmenter. Ça prend un « incentive » dans le sens qu'un, c'est bon que vous augmentiez le logis, mais deux, il faut que vous disiez aux propriétaires qu'ils ne peuvent pas augmenter le prix des logements pour X nombre d'années ou par rapport au taux d'inflation. Pas plus que cela.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Claudia, je vais répéter ce que le sénateur Mercer a dit : il est important pour nous d'entendre votre histoire et je tiens particulièrement à vous remercier d'être venue comparaître aujourd'hui.

Mme Parks : Merci, madame le sénateur.

Le sénateur Callbeck : Vous dites que, arrivée à 60 ans, vous recevriez 185 $ du Régime de pensions du Canada, mais que cela aurait pour effet de soustraire 20 $ à votre chèque de 500 $. Parlez-vous du chèque d'aide sociale?

Mme Parks : Non, quand je dis que je suis contrainte, je veux dire que je suis contrainte de prendre ma retraite à 60 ans. Arrivée à 65 ans, je perds environ 20 $, selon la situation actuelle. Cela pourrait changer. Du fait du Régime de pensions du Canada, si je présente une demande à l'âge de 60 ans, je suis pénalisée de 0,5 p. 100 par mois, tous les mois. Comme je touche des prestations d'aide sociale dans la province du Nouveau-Brunswick, je fais l'objet de discrimination, essentiellement, en raison de ce statut, et, personnellement, je trouve que c'est injuste.

Le sénateur Callbeck : Je comprends maintenant. Si vous avez parlé de 85 $, c'est que votre médecin a indiqué que vous étiez invalide. Est-ce un chèque provincial de 85 $?

Mme Parks : Non, ce qui arrive, c'est que mon chèque actuel de 505 $ — et je n'en suis pas certaine parce qu'ils viennent de l'augmenter de 1 p. 100 ou je ne sais quoi récemment... au moment où j'ai présenté la demande ou que mon médecin a présenté la demande, je ne savais même pas qu'il l'avait demandé pour moi. Je l'ai découvert quand ma travailleuse a communiqué avec moi et qu'on a dû fixer un rendez-vous pour l'évaluation sociale de mes capacités. C'est peut-être ma personnalité qui fait qu'ils ont décidé que je n'étais pas invalide : je ne sais pas ce qui s'est passé. Il existe trois catégories d'aide au revenu pour les montants, et je crois que la province du Nouveau-Brunswick est probablement la seule qui a cette fourchette de revenu où je me trouve. Il y aura, disons — je donne des exemples, n'allez pas me citer —, 582 $ qui seront versés à une personne qui a été déclarée invalide par le conseil consultatif médical. Ce sont des cas rares. Le nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie se situe entre 1 500 et 2 000 personnes ou unités. Ma catégorie est donc celle où c'est un montant de 505 $. Dans cette catégorie-là, il y a environ 7 000 à 8 000 unités. Il me semble que tous ceux qui n'entrent pas dans les deux autres catégories entrent dans celle-là. Puis, il y a le montant absurde de 284 $ par mois, qui est remis aux personnes qui vivent dans un refuge ou au domicile parental ou dans un foyer. Ce sont des gens qui sont considérés comme aptes au travail.

L'autre truc qui se produit, du point de vue des politiques, c'est qu'on dit clairement : la plupart des gens qui se trouvent dans ma catégorie sont inaptes au travail, mais il n'est pas dit que nous avons droit à l'aide supplémentaire.

Le sénateur Callbeck : John, votre exposé portait sur la pauvreté au sens général du terme. Le comité étudie la question de la pauvreté en milieu rural. Y a-t-il une différence entre la pauvreté en milieu rural et la pauvreté en milieu urbain?

M. Gagnon : De façon générale, je crois qu'être pauvre, c'est être pauvre, mais on peut disséquer le phénomène d'autant de façons qu'on veut; la pauvreté a de nombreux visages. Il peut s'agir de pauvreté en milieu rural ou de pauvreté en milieu urbain... la dynamique est tout de même différente. Le seuil de faible revenu auquel j'ai fait allusion pendant mon exposé et celui auquel mon collègue là-bas a fait allusion, ce n'est pas la même chose. Les gens reconnaissent qu'il existe des différences entre le contexte rural et le contexte urbain, en raison du seuil de faible revenu, qui est plus bas en milieu urbain.

Je crois que la différence réside dans les obstacles qui se présentent. La pauvreté y est toujours, mais les obstacles comme ceux dont Claudia parlait — il faut se rendre dans une banque alimentaire, il faut payer le transport, il faut faire l'épicerie, vous vivez dans une région rurale, vous avez besoin de transport. Là où il est question de pauvreté, il faut parler non seulement des gens qui vivent de l'aide sociale, mais aussi des personnes, nombreuses, qui touchent le salaire minimum. Pourquoi pensez-vous que les gens n'acceptent pas les emplois à 10 $ l'heure? C'est 10 $ l'heure, puis il y a les frais d'assurance et aucun transport en commun. Ce sont là certains des éléments de la dynamique, certains des obstacles. Oui, les obstacles sont différents. Les obstacles sont plus nombreux en région rurale qu'en milieu urbain, mais la pauvreté demeure la pauvreté. Voilà la différence. Pas la différence sur le plan de la pauvreté.

Le sénateur Callbeck : Cathy, je suis certainement d'accord avec vous à propos de la valeur ajoutée. Je sais que, dans ma province, l'Île-du-Prince-Édouard, auparavant, nous ramassions les pommes de terre pour les mettre dans des sacs puis les expédier en dehors de l'île. Maintenant, nous avons des usines de transformation. Je veux dire qu'il y a des centaines et des centaines de personnes qui travaillent dans ces usines. C'est donc une chose qu'il nous faut certainement faire davantage.

Vous avez parlé de la garde d'enfants. Avez-vous de la difficulté à trouver des places ici pour votre enfant? Est-ce coûteux?

Mme Mailloux : Les travailleurs saisonniers comme les pêcheurs ou les travailleurs d'atelier peuvent travailler, sur cinq mois, autant qu'une personne normale le fera dans un bureau pendant toute une année. C'est plus concentré. Il est question de gens qui, par exemple, travaillent dans les ateliers et doivent avoir quelqu'un pour garder les enfants à la maison 24 heures sur 24, sept jours sur sept. On peut les appeler au milieu de la nuit, à trois heures, quatre heures, cinq heures du matin. Évidemment, ils ne peuvent réveiller les enfants pour les sortir de la maison, si bien qu'ils doivent prévoir la chose et s'assurer qu'il y a quelqu'un à la maison pour les surveiller. En prenant le cas de la personne qui est sur appel 24 heures sur 24, sept jours sur sept pendant deux mois, il faut penser que c'est en échange de 250 à 300 $ par semaine. Lorsqu'ils ne travaillent pas, les gens doivent faire leur lessive, de sorte qu'ils ne peuvent s'occuper de leurs enfants non plus, et ils doivent payer leurs factures, aller en ville et faire toutes sortes de trucs. En fait, la personne qui garde les enfants demeure sur place pendant deux mois. Une fois les dépenses payées et tout le reste, une fois la gardienne payée, il ne reste plus rien. On entend cela tous les jours : essentiellement, les gens disent qu'ils travaillent pour payer la gardienne. Je travaille simplement pour toucher des prestations d'assurance-chômage et survivre à l'hiver. Ils travaillent pour les prestations et pour la gardienne.

M. Gagnon : Vous venez de dire quelque chose de très important. Nous avons débattu ad nauseam de la question de la garde des enfants. Le gouvernement précédent s'est engagé et, aujourd'hui on s'est engagé à dépenser sans discernement pour régler le problème, plutôt que d'aménager des places. Toute la question est là, non seulement pour ce qui touche le travail saisonnier, mais aussi l'accessibilité des services de garde des enfants, un programme national, des normes nationales permettant aux gens d'envoyer leurs enfants à la garderie. Et cela vise les travailleurs saisonniers ou autres, ou encore des gens qu'on veut libérer de la nécessité de toucher des prestations d'aide sociale et intégrer au marché du travail. Qu'est-ce qui les incitera à le faire? Les gens qui font un travail moyennant un faible revenu, qui sont en deçà du seuil de la pauvreté, ont besoin de services de garde abordables. Ce sont là certains des obstacles dont je parlais. Encore une fois, que ce soit rural ou urbain... s'il y a quelque chose en milieu urbain qui n'existe pas en milieu rural, il y a un problème. Je crois que vous avez dit quelque chose de très important. Ce n'est pas uniquement le cas des travailleurs saisonniers dont il s'agit. Il nous faut un système national de services de garde abordables, et voilà un des obstacles qui se dressent devant les gens qui vivent dans la pauvreté.

Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord avec vous.

[Français]

M. Couturier : Je vais rajouter un exemple. Chez nous, les frais de gardiennage nous coûtent à peu près la même chose mensuellement que notre hypothèque. La réalité d'aujourd'hui, c'est que les deux parents doivent travailler. Le coût de la vie a augmenté trop vite par rapport aux revenus, et les revenus n'ont pas augmenté de la même façon dans tous les secteurs. Les endroits où il y avait des syndicats, tant mieux, parce qu'ils ont créé des emplois qui, économiquement, ont fait tourner l'économie. On ne peux pas faire virer une économie avec 10 $ l'heure, 40 heures par semaine. Tu ne peux même pas subvenir à tes propres besoins. Nous, on est le cas typique. On est deux parents, on travaille tous les deux, on fait des bons salaires, on est chanceux, mais on a travaillé pour cela par exemple. La seule affaire, c'est que cela nous coûte une paie par mois juste pour les enfants. Deux revenus sont nécessaires pour y arriver. Imaginez si on avait un allégement des coûts, combien ce serait bénéfique pour la communauté économique. On pourrait acheter plus. En ce moment, on minimise nos achats, on ne voyage pas, on ne sort certainement pas. La réalité est là. C'est sûr qu'en bout de ligne, on a un retour d'impôt, mais on paye pendant 12 mois. C'est très difficile. Mais le retour d'impôt ne représente pas des sommes exorbitantes non plus. Des statistiques démontrent que le taux de natalité à l'intérieur de la classe à faible revenu augmente, et que le taux de natalité des classes moyennes et mieux nantis, est resté stable. Il y a quelque chose qui se passe. Il faut aider non seulement les personnes à faible revenu mais aussi celles de la classe moyenne qui est en train de disparaître. Qu'arrive-t-il à la classe moyenne? Ceux et celles qui ont de l'argent, ils ont les moyens pour trouver des façons de payer moins d'impôts : l'évasion fiscale. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Même si je voulais faire de l'évasion fiscale, je ne peux pas. Je n'ai pas d'argent. Je vous ai dit tantôt que je vous démontrerais la réalité et non des statistiques. Si j'avais 400 $ de plus par mois, je mettrais de l'argent dans des fonds pour les études de mes enfants. Je ne peux pas tout de suite. Les compagnies me disent qu'elles ont de bons programmes pas chers. Je n'ai pas cet argent. Il faut payer les gardiennes. Économiquement, je ne peux pas acheter la voiture que je veux ou mettre du bardeau sur la maison, je ne peux pas faire ceci ou cela. C'est la réalité.

M. Gagnon : Je suis content que David ait exprimé la réalité d'une famille de deux personnes qui travaillent, mais je ne pense pas qu'ils vivent en pauvreté. C'est le cas de deux personnes qui travaillent, et qui éprouvent des difficultés. Au début de notre présentation, on parlait de pauvreté, et que lorsque l'inflation monte, c'est beaucoup plus difficile pour eux. Si on trouve la situation vraiment difficile avec un revenu, imaginez une mère monoparentale, les personnes qui travaillent au salaire minimum à 7,00 $ l'heure dans la province, imaginez les problèmes qu'ils vivent comparativement à ceux qui ont un revenu au salaire moyen.

[Traduction]

La présidente : Merci. Ce serait très bien si tous les membres des deux Chambres du Parlement pouvaient entendre vos observations aujourd'hui.

Le sénateur Callbeck : David, la valeur du service que vous êtes en mesure de fournir à partir du budget que vous avez est certainement impressionnante. Vous dites que vous avez perdu la capacité d'aider les organisations qui améliorent la qualité de la vie des gens. Vous avez parlé de la fermeture d'organismes bénévoles. Est-ce que cela se produit souvent? Perdons-nous un grand nombre d'organismes bénévoles?

[Français]

M. Couturier : Auparavant, il y avait une classe ouvrière, et on les appelait des personnes qui sont brûlées par le travail. Aujourd'hui, le problème est que ce sont les bénévoles qui sont brûlés par le travail. Les statistiques démontrent qu'il y a un haut taux d'employés qui sont en dépression ou qui sont « overworked » comme on dit, mais cette réalité atteint aussi les bénévoles. Les organismes à but non lucratif, ce n'est pas juste là pour ramasser de l'argent. Elles existent parce qu'il y a un besoin. Dans la région, pour une population de 35 000 personnes, il y a 174 organisations à but non lucratif qui ont besoin d'argent pour vivre. Que ce soit pour les sports et loisirs, l'art et la culture, ou des organismes à but non lucratif comme la nôtre. La réalité aujourd'hui, pour Edmundston, est que la capacité financière des gens à faire des dons s'est transformée, et les levées de fonds sont plus difficiles à faire. Depuis les coupures de 300 employés à la compagnie Fraser, où le salaire minimum est à peu près de 25 $ l'heure, près de 95 p. 100 d'entre eux ont retrouvé du travail. À l'époque, quand on demandait pour un don, ils pouvaient donner un don. Aujourd'hui, ils travaillent chez Canadian Tire, ou ailleurs, mais à 10 $ l'heure.

C'est rendu qu'il des organisations à but non lucratif qui embauchent des compagnies de levée de fonds, qui font des grosses campagnes, qui épuisent les ressources et la capacité financière. Les meilleures organisations à aller chercher le plus de dons, ce sont celles qui retournent en communauté chercher des dons. Le problème, c'est qu'il y a moins d'argent, donc moins de capacité de donner. Il y a aussi le problème d'une population vieillissante. Statistique Canada a dit que pour la première fois en 200 ans, le taux de décès est plus élevé que le taux de natalité. C'est un facteur important. Ces statistiques coûtent cher. Qu'est-ce qu'on va faire avec cela? Nos régions perdent la capacité de subvenir aux besoins. Le meilleur exemple est celui de notre budget qui est resté le même depuis 10 ans, et nos coûts d'opération ont augmenté d'à peu près 100 p. 100 dans l'espace de 10 ans. Le monde ne comprend pas l'impact de l'augmentation du taux d'inflation de 2 p. 100. Si on achetait pour 10 000 $ en électricité l'année passée, 2 p. 100 sur un dollar, cela ne vaut rien, mais 2 p. 100 sur 10 000 $, cela commence à faire des sous. C'est un problème. Même si on est un organisme à but non lucratif, on a les mêmes responsabilités et les mêmes inquiétudes que les business qui sont là pour faire de l'argent.

On a deux sources de revenu : l'aide du gouvernement pour nos finances, et la communauté. Juste pour comparer la région urbaine versus la région rurale, par personne, il y a autant de pauvreté en région rurale qu'en région urbaine, sinon plus. En région urbaine, ils ont une capacité financière parce qu'il a des business qui font de la grosse argent. Les maisons mères, bien souvent, sont dans les centres urbains. Ceci étant dit, ne cherchez pas une maison mère ici. Wal- Mart n'a pas sa maison mère dans une place comme Edmundston. Ils ont un dépôt. Bien souvent, l'aide de ces grosses compagnies est national et localement il n'y a qu'une implication minime. Quand on parle de capacité, c'est sûr qu'on veut dire la capacité de nos communautés. Le gouvernement dit souvent que la communauté doit se prendre en main. Mais si la communauté est pauvre, s'il n'y a pas d'argent et le taux d'illettrés est élevé, comment peut-elle se prendre en main? C'est la capacité réelle. Ne demandez pas à quelqu'un qui a une jambe cassée de courir un marathon de 10 kilomètres dans une heure. Il ne pourra pas. C'est un peu le même principe.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : J'aimerais remercier les auteurs de nos exposés. Leurs observations témoignent de leur perspicacité; elles nous aideront certainement à mieux achever notre rapport final. Ils ont travaillé avec beaucoup de minutie.

Cathy, à propos des retards à l'assurance-emploi, avez-vous constaté que les gens vont chez Insta/Chèques pour aller chercher de l'argent d'avance, tout en payant un taux exorbitant?

Mme Mailloux : Non, les gens prennent du retard sur les choses. Pour moi-même, je sais que j'ai déjà appelé au bureau du chômage et que je leur ai dit : « Bon, ça fait 12 semaines. Je vais prendre mes enfants, je vais aller les asseoir sur votre bureau, et vous pourrez les nourrir. » Je n'ai pas les moyens de m'y rendre ou d'obtenir de l'argent à l'avance. On n'est jamais, jamais sûr d'obtenir ces prestations et on ne veut pas courir le risque. Je suis une femme pêcheur. Mon employeur, c'est mon mari. Tous les ans, je suis prise avec cette bureaucratie et j'ai toujours le stress de ne pas savoir si je vais recevoir mes prestations d'assurance-chômage. Il faut qu'il y ait des études. Cette année, ils l'ont envoyé à Revenu Canada parce que je suis payée en pourcentage plutôt qu'en salaire à la semaine. On ne peut aller emprunter de l'argent parce qu'on ne sait pas si la demande sera acceptée ou non. À ce moment-là, on commence à prendre du retard sur le paiement des factures et puis, une fois qu'on reçoit un chèque, on s'aperçoit que c'est pour une semaine. On commence par une semaine. Habituellement, nous présentons une demande à l'automne. Les travailleurs des usines et du secteur forestier ont les mêmes problèmes. Ils obtiennent peut-être la moitié d'un chèque avant Noël. C'est la réalité des chômeurs. Les gens pensent : « Ah bien, ils aiment cela être au chômage. » Nous perdons la moitié de notre salaire. Nous perdons notre salaire à attendre. Nous perdons la moitié de notre salaire pendant les mois d'hiver, au moment où la vie est plus chère. La réalité de la situation, c'est qu'on prend simplement du retard sur les choses.

Le sénateur Peterson : Claudia, je veux simplement éclaircir votre situation en ce qui concerne une retraite anticipée. Êtes-vous en train de dire que le gouvernement provincial vous oblige à prendre une retraite anticipée pour éviter de vous payer, pour récupérer ce qu'il vous paie?

Mme Parks : Oui, monsieur le sénateur. Ils récupèrent mes prestations du Régime de pensions du Canada.

Le sénateur Peterson : Ils vous obligent à accepter cela.

Mme Parks : Ils m'obligent à accepter cela.

Le sénateur Peterson : Je crois que c'est inconstitutionnel.

Mme Parks : Je sais. Je le crois moi aussi.

Le sénateur Peterson : Nous devrions vérifier.

Mme Parks : J'espère que j'aurai les moyens, à 60 ans, d'intenter une action contre le gouvernement.

Le sénateur Peterson : Ce serait merveilleux.

Mme Parks : Ce serait probablement moi qui le ferais. J'ai parlé à un très, très grand nombre de personnes à qui cela est arrivé. Une femme m'a dit, et c'est si triste : sa prestation du Régime de pensions du Canada était de 23 $, et le gouvernement l'a forcée à la prendre. On lui a dit de faire cela. Elle a répondu : « Non, je ne prends pas cela. » C'est une petite boule d'énergie. Elle aurait tout pris en main. Elle est drôle à mourir. Elle a refusé, puis elle a commencé à recevoir des chèques mensuels d'aide sociale, et elle a des problèmes physiques, et voici que la somme de 23 $ est soustraite de son chèque. Les autorités l'obligent à demander cela. Je lui disais : ça ne devrait pas se produire parce qu'on crée ainsi une situation. On crée ainsi une très mauvaise situation. Je m'excuse, mais c'est comme cela que je le vois. En tant que Canadienne, j'ai des droits. J'ai des droits en tant que Canadienne.

Le sénateur Peterson : Je suis d'accord.

David, vous dites que la banque alimentaire a de la difficulté avec les bénévoles et qu'elle essaie de rester à flot avec les fournitures et tout le reste, mais je crois que je peux commenter cette situation. Vous êtes probablement comme moi : vous recevez toutes sortes d'appels de télémarketing le soir, ce qui montre à quel point tout est en train d'être mis sur les épaules des particuliers, que, pour une grande part, les gouvernements semblent renoncer à la responsabilité de s'occuper de leurs citoyens à cet égard. C'est tout simplement tragique, et ça touche l'ensemble du système, non seulement vous, mais c'est malheureux. Nous pourrions peut-être faire la lumière sur cette question.

John, dans votre étude, ici, dans ce rapport, que dites-vous pour que nous puissions progresser? Est-ce la fin ou allez-vous continuer?

M. Gagnon : Ce que nous avons fait avec succès, et David en a parlé à la conférence... Nous voulons que tous continuent de mettre la main à la pâte. Nous souhaitons que notre organisation soit inclusive. Ce que nous avons fait, c'est que nous avons invité les pauvres à travailler à ce dossier. Maintenant que la conférence est chose faite, nous avons entamé une campagne de cartes postales. Sans la signature de Frank, ce serait peut-être utile, je ne sais pas. Cela explique le tout début des choses. C'est la première étape de la campagne, qui consiste à mettre les politiciens au courant de la chose, à mettre la société au courant de la chose. Voilà certains des trois éléments auxquels nous allons travailler. À la lecture du rapport, vous verrez qu'il y a d'autres éléments. Nous parlons d'un revenu annuel garanti, qui représente une solution à long terme. Nous discutons de toute la question de l'équité salariale, dont j'ai parlé tout à l'heure. Ce ne sont pas les seules causes de la pauvreté. Après ça, nous allons réévaluer le dossier, pour savoir quoi faire maintenant et pour travailler avec les gouvernements. Les cartes en question seront portées aux députés locaux de l'assemblée, puis, ensuite, nous organiserons une campagne. Oui, ce sera une campagne permanente visant à éliminer les causes de la pauvreté, surtout les causes de ce type.

Le sénateur Mahovlich : Vous parlez de travail saisonnier, et nous parlons du fait que le travail saisonnier n'est pas une très bonne chose. J'ai été joueur de hockey, et c'était un travail saisonnier. Quand j'ai commencé il y a 50 ans — 50 ans, cela fait peur, vous savez —, je devais travailler l'été. Je n'en tirais pas assez d'argent, et je n'étais qu'un garçon célibataire, mais je devais me débrouiller pour faire un autre travail pendant les quatre mois de l'été, car les propriétaires ne nous payaient pas assez. Ils payaient le salaire minimum. J'ai été là, et on m'a dit : « Vous allez obtenir cela Frank, et nous allons vous sortir de Timmins et vous allez descendre à Toronto », et ils nous ont dit quel serait notre salaire, et c'était tout. Nous avons fini par former une association et, après dix ans de lutte, le président de la ligue est venu nous voir pour dire quelle serait notre pension, et on ne pouvait survivre avec une telle pension. Si je devais dépendre de cette pension, je ne pourrais survivre aujourd'hui.

Ce ne sera pas facile pour le travailleur saisonnier. Vous avez raison; il nous faut trouver un autre travail, du fait que le travail saisonnier ne suffit pas. Les joueurs de hockey d'aujourd'hui n'ont pas besoin de travailler l'été. Nous nous sommes battus avec acharnement. Il nous a fallu aller devant les tribunaux et, subitement, un jeune joueur de hockey gagne aujourd'hui un million de dollars par année.

Bon, je ne sais pas si le poisson ne va jamais commander une telle somme. Peut-être un jour. Qui sait? Il nous faut transformer les produits ici même, au Nouveau-Brunswick, pour avoir le temps de construire quelque chose. Je crois que vous avez raison sur ce point, mais il y a un autre problème aussi. Il y a beaucoup de commerce mondial maintenant. Vous êtes en concurrence avec la Chine et avec les travailleurs chinois, qui ne sont pas payés.

Mon père m'a toujours dit : c'est toujours une question de circulation. À 8,55 $ l'heure, on dirait que la circulation est coupée. C'est ce qui est arrivé ici. Vous avez raison; il nous faut redresser la situation pour que vous puissiez vous permettre cette circulation, participer aux affaires de la collectivité et fonctionner correctement. Notre salaire minimum est trop bas.

Bon, Cathy, avez-vous quelque chose à dire? Je sais que vous êtes en train de noter des choses fébrilement.

Mme Mailloux : J'aimerais revenir à ce que vous disiez au sujet du Japon et de la Chine.

Le sénateur Mahovlich : Oui, le commerce mondial.

Mme Mailloux : Le commerce mondial. Je crois que le commerce mondial nuit à notre industrie de la pêche. Je vais vous donner un exemple. Je suis pêcheur et c'est ma passion. Les Japonais sont arrivés, et ils veulent nos œufs. Ils ont commencé à payer cher nos œufs de hareng. Le gouvernement canadien ne comprend pas la situation encore, je ne sais pas s'il comprendra jamais un jour; nous détruisons nos stocks pour que ce produit puisse être vendu à l'étranger. Il y a ces grandes sommes d'argent qui sont proposées, et les pêcheurs disent : « Mon Dieu, ils paient très cher ces barils », mais où en serons-nous dans dix ans?

Nous avons vécu cette situation avec la morue. Nous sommes des pêcheurs de morue. Nous avons laissé 100 000 livres de morue dans l'eau cet été parce que personne ne voulait en acheter, du fait qu'ils prennent la morue de Russie, qui coûte moins cher. Cela se comprend, étant donné que, depuis 1992, nous avons un moratoire sur la pêche à la morue. Les usines et le matériel ne fonctionnent plus, et le quota ne suffit pas à remettre sur pied les usines. Nous nous trouvons dans l'industrie où des gens de l'extérieur viennent ici et nous nuisent.

Le gouvernement canadien doit se réveiller et comprendre que, dans l'industrie de la pêche, la qualité et non la quantité doit devenir le mot d'ordre. C'est comme si le gouvernement canadien avait une idée fixe : quantité, quantité, quantité... mais notre quantité ne fait que baisser et baisser et baisser. Nous devons changer. Nous devons penser comme les Européens. Il nous faut des produits de qualité. C'est comme le bois d'œuvre que nous envoyons au Japon. Il faut arrêter cela parce que c'est la raison pour laquelle nous vivons dans la pauvreté.

Le sénateur Mahovlich : Nous perdons nos ressources naturelles.

Mme Mailloux : Oui, nous perdons nos ressources naturelles au profit d'autres, qui viennent d'autres endroits. Les gens d'autres endroits viennent voler nos ressources, qu'ils remettent à une main-d'œuvre bon marché. C'est terrible.

Le sénateur Mahovlich : Cela coûte moins cher de construire une maison en Chine qu'au Canada, et nous pourrions construire une maison pour l'expédier là-bas, mais là-bas, ils pourraient le faire à moindres frais. C'est un autre grand problème.

M. Gagnon : J'aimerais réagir à certaines des observations que vous avez faites, et je crois qu'il est important, et difficile, de réagir après Cathy. Elle a une connaissance tellement approfondie des pêches.

Comme bon nombre de personnes, je crois que les accords de libre-échange ont un très, très grand impact sur notre économie. Nous passons des contrats pour donner à l'étranger tout le travail qui se fait pour ce qui est de la deuxième et la troisième transformations. Certains des meilleurs poissons qui se trouvent proviennent de Caraquet, mais vous ne verrez pas d'huîtres en conserve de Caraquet; la transformation se fait au Japon. Quand les Japonais viennent ici, ils inspectent les usines. Ils achètent même les usines pour transformer le poisson à l'étranger. Nous laissons notre poisson être transformé par d'autres.

Sénateur Mahovlich, ce que vous disiez tout à l'heure à propos de l'époque où vous étiez joueur de hockey et où vous deviez travailler l'été... les emplois offerts dans le nord du Nouveau-Brunswick et dans la péninsule ne sont pas des emplois durables. On a entendu dire de la part de nombreux gouvernements qu'il n'appartient pas au gouvernement de créer les emplois; je suis d'accord, mais il appartient au gouvernement de créer le bon climat, le bon contexte économique pour que des emplois se créent. Les gouvernements n'ont pas fait cela dans la province. Ils n'ont pas fait cela dans la partie nord de la province. S'ils prétendent que les gens sont dépendants de l'assurance-chômage, c'est parce qu'ils ont créé eux-mêmes cette dépendance, dans un contexte où les industries favorisent le travail à temps partiel, où les emplois à temps plein dignes de ce nom, qui permettent aux gens de gagner leur vie, n'existent pas. C'est la réalité telle qu'elle est dans ces collectivités.

Vous avez entendu ce qui s'est dit à propos des riches millionnaires et des bateaux-usines... S'ils font tant de millions de dollars, et Cathy n'est pas parmi eux, sur 14 semaines, ils ne sont pas motivés à prendre en charge la deuxième et la troisième transformations. Il faut qu'il y ait une volonté politique pour que cela se fasse.

Le sénateur Mahovlich : Au Japon, est-ce qu'ils ont de l'assurance-chômage?

M. Gagnon : Je ne suis pas sûr. Ils doivent avoir une forme quelconque d'assurance.

Le sénateur Mahovlich : Ou en Chine?

M. Gagnon : Je n'en suis pas sûr. Je ne peux répondre à cette question. Je n'ai pas tant approfondi le sujet.

Le sénateur Mahovlich : Peut-être pouvons-nous prendre un pays comme exemple pour avoir certaines des réponses.

M. Gagnon : Vous avez parlé, comme mon collègue, de l'idée de relever le salaire minimum et les prestations d'aide sociale. Il en a été question à notre sommet. Si vous relevez le salaire minimum, si vous relevez les prestations d'aide sociale, il y a l'inflation, et la récupération. Il fait valoir un bon point. En réalité, c'est comme un pansement. Ce n'est pas ça qui règle le problème.

Même si on relève le salaire minimum ou qu'on donne des prestations d'aide sociale plus généreuses, les gens qui touchent les montants en question seront encore bien en deçà du seuil de pauvreté. Ce qu'il nous faut, c'est un objectif à long terme, ce que le gouvernement libéral précédent a envisagé. Le revenu annuel garanti... le terme semble mauvais, et bien des gens se préoccupent de cette idée. Je viens du mouvement syndical, et même le mouvement syndical se méfie un peu de ce revenu garanti.

Je crois qu'il nous faut un revenu annuel garanti qui permettra aux gens d'avoir un revenu supérieur au seuil de pauvreté. C'est ce qu'il nous faut viser. C'est ce qu'il nous faut faire. Ensuite, on n'a pas à se poser ces questions. Écoutez, j'ai un travail saisonnier; je dois trouver un autre travail pour l'été. Voici le revenu garanti que vous allez avoir. Maintenant, les répercussions pourraient être nombreuses. Bien des gens diraient : « Eh bien, si vous faites cela, c'est peut-être l'aide sociale qui finira pas payer la note, sinon peut-être l'assurance-emploi. » Mais si vous versez un revenu qui permet aux gens de vivre, à ce moment-là, je crois que nous pouvons commencer... je ne dirais pas éliminer les autres programmes, mais nous pouvons commencer à envisager la façon de financer, si c'est à ça que ça reviendrait ou non. Je ne préconise pas l'élimination de ces programmes, mais il existe toutes sortes de façons d'envisager la question, pour s'assurer d'avoir un revenu décent, au-dessus du seuil de pauvreté. La solution est là.

Le sénateur Mahovlich : Si tout le monde avait le salaire minimum, on n'aurait plus besoin des banques alimentaires.

M. Gagnon : Un salaire décent, oui.

Le sénateur Mahovlich : On n'aurait pas besoin des banques alimentaires. Et puis Wal-Mart et les magasins comme cela feraient plus d'argent. C'est simplement une question de circulation. Notre circulation n'est pas bonne.

M. Gagnon : Cela nous ramène à toute la question de la répartition de la richesse.

Le sénateur Mahovlich : Claudia, vous avez montré que vous avez le courage de Rosa Parks. C'était une Américaine qui a fait preuve d'un grand courage, tout à fait comme vous. Je tiens à vous en féliciter.

Vous disiez que vous avez de l'assurance automobile, et je faisais mes calculs. Comment avez-vous réussi à acheter une voiture, ou l'avez-vous plutôt volée?

Mme Parks : C'est une très bonne question. De fait, quand je suis arrivée dans la province du Nouveau-Brunswick en 2003, je venais de quitter un emploi qui était très... je ne dirais pas qu'il était à salaire élevé, mais j'avais de bons revenus et je venais de passer à l'assurance-chômage. Ma mère, qui a 87 ans, vivait dans un foyer. Je peux épargner, évidemment, si je me contente de vivre avec un très petit montant d'argent. Ce que j'ai fait, c'est que j'ai économisé quelques dollars tous les mois à partir du moment où je suis revenue à la maison en février et, en juin, j'avais économisé assez d'argent pour acheter la voiture. Croyez-moi : je n'ai pas payé 5 000 $; j'ai payé 500 $. Puis, je me suis dit : bon, je dois économiser encore. J'ai dû économiser pour faire immatriculer le véhicule, j'ai dû économiser pour obtenir l'assurance, le faire réparer, et puis, progressivement... arrivée à Noël, je pouvais utiliser la fourgonnette, que j'utilise encore d'ailleurs. C'est une Caravan de Dodge, 1988, et j'ai un très bon mécanicien qui me permet de faire toutes les grandes réparations que je veux et de ne lui verser que quelques dollars. Les gens sont très gentils. Le véhicule roule toujours.

Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il un foyer qu'un médecin pourrait peut-être vous recommander? Vous dites que vous avez mal au dos et que vous n'êtes pas capable de faire certaines choses. Il faut quelqu'un pour pelleter la neige. Est-ce qu'ils n'ont pas cela ici : un foyer pour les personnes invalides?

Mme Parks : Il n'y a pas de place à l'auberge. C'est un des problèmes, dû aux contraintes de temps et à des trucs comme cela. Un des problèmes, surtout en milieu rural, au Nouveau-Brunswick, c'est qu'il n'y a pas suffisamment d'unités pour les gens qui ont besoin de soins temporaires. En ce moment même, ma mère se trouve dans un très bon foyer résidentiel où on s'occupe d'elle. On subvient à ses besoins fondamentaux, on fait sa lessive. Elle fait encore son lit elle-même, et va avoir bientôt 88 ans. Elle se lave les cheveux elle-même. La liste d'attente est très longue. C'est donc un problème.

Le sénateur Mahovlich : David, vous avez dit qu'il y a des gens qui touchent le salaire minimum, mais qui recourent aux banques alimentaires. Constatez-vous que les gens sont moins nombreux à recourir aux banques alimentaires, où est-ce que ça se maintient? Est-ce qu'ils cessent de le faire, sinon est-ce qu'ils continuent à le faire?

[Français]

M. Couturier : C'est une très bonne question. Au contraire, la sollicitation des services continue d'augmenter d'année en année. Il y a de plus en plus de travailleurs qui sollicitent nos services parce qu'ils ne peuvent pas combler leurs besoins. En plus, il y a des personnes qui reçoivent leur pension et qui ont besoin de nos services. On n'a pas la capacité de répondre à tous ces besoins, parce que financièrement, on n'a pas les ressources. Même si la communauté est très généreuse au niveau des denrées non périssables ou en argent, il reste que c'est notre capacité d'offrir nos services qui est très limitée. On aimerait aider beaucoup plus de personnes. Par exemple, aujourd'hui on ne peut donner que sept boîtes de nourriture par unité familiale par année. Avant, lorsqu'on avait un programme, on pouvait leur apprendre des trucs pour avoir sept boîtes de nourriture pour 12 mois au lieu de 10. Ils avaient de la misère à bien gérer leurs ressources financières et matérielles. Comme je vous ai dit tantôt, la pauvreté, ce n'est pas juste une question d'argent, c'est une question de capacité. C'est une question de bon sens et d'intelligence. Le programme était subventionné par le provincial et le fédéral et permettait aux familles d'avoir une meilleure gestion. Ils devenaient moins pauvres, moins dépendants du système parce qu'ils apprenaient. Moi, j'ai un budget. J'ai tant de revenus, j'ai tant de dépenses. Je dois composer avec cela. Ceci étant dit, cela leur permettait de mieux gérer leurs ressources, même au niveau d'une boîte de nourriture qui normalement peut durer dix jours en moyenne. Il y des boîtes de nourriture qui durent trois jours parce que les gens ne savent pas cuisiner avec ce qu'ils ont. Par exemple, avec une livre de hamburger, tu peux faire un cheeseburger avec, et il ne reste plus rien. Mais tu peux aussi faire une lasagne, un spaghetti et cuisiner trois repas. C'est un peu dans ce sens-là qu'on parle de la pauvreté. On a de la difficulté à donner nos services par manque d'argent. Il y a des coûts pour opérer une banque alimentaire : on doit payer les employés, l'électricité, le chauffage, les assurances. On a les mêmes responsabilités financières qu'un business. À la fin de l'année, on est obligé d'arriver à zéro, sinon le gouvernement nous dit que s'il y a un surplus de 1 000 $, — et on ne peut pas le mettre dans un fonds de réserve — il nous coupe. J'aimerais que la province du Nouveau-Brunswick nous donne la gestion des finances, peut-être qu'on pourrait les aider à mieux gérer.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : J'ai assisté à toute l'audience. Vous me laissez les questions difficiles.

La présidente : C'est parce que vous êtes un si bon cultivateur.

Le sénateur Gustafson : Je crois que ces questions doivent être posées. En voici une qui n'a pas encore été posée pendant notre voyage, mais je crois qu'elle doit être posée. Dave, l'Armée du Salut est-elle active dans la collectivité avec les banques alimentaires?

[Français]

M. Couturier : Le comptoir vestimentaire est l'une de nos sources de revenus qui rapporte à peu près 55 000 $ par année. Cet argent est redistribué dans notre organisation, et va pour l'achat de la nourriture pour la région. On est un excellent partenaire économique. Chaque cent dépensé et chaque cent reçu de la communauté est redistribué à 100 p. 100 dans la communauté. Dernièrement, l'Armée du Salut a ouvert ses portes comme comptoir vestimentaire. Il y a deux ans, ils sont venus nous voir, dans le but de nous aider. Je leur ai expliqué que nous étions une banque alimentaire, une cuisine communautaire, un comptoir vestimentaire et un service d'urgence. Ils nous ont demandé si nous avions des abris. Non, c'est le seul service qu'on n'a pas dans la région. Toutefois, les personnes qui vont magasiner à l'Armée du Salut ne reviendront plus au RADO, alors ils sont en quelque sorte nos compétiteurs. L'argent dépensé à l'Armée du Salut n'est pas dépensé chez nous et les fonds de l'Armée du Salut ne restent pas dans la région. C'est comme Développement et Paix. L'Armée du Salut est un organisme important, mais l'argent ne reste pas dans la communauté contrairement à notre organisme qui la maintient 100 p. 100 dans la région. C'est un cercle vicieux. Un taux de roulement se fait. L'année prochaine, est-ce qu'on aura le même montant d'argent grâce au comptoir vestimentaire? On ne le sait pas.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : La question n'a pas été posée, et j'ai beaucoup de sympathie pour ces gens. Ce sont des gens qui souffrent de toxicomanie et d'alcoolisme et ainsi de suite. Je veux qu'on comprenne cela; j'ai de la sympathie pour les gens qui souffrent de ces dépendances, car j'ai vécu des choses très difficiles dans tout ce domaine. Y a-t-il une grande consommation de substances, surtout chez nos jeunes? Quand j'étais jeune moi-même, cela n'existait pas. Ce n'était tout simplement pas une possibilité. Maintenant, il y a des gens qui viennent dans nos écoles pour nous mettre en garde contre cela, qui s'en soucient. Je veux dire que si nous voulons faire un bon travail en étudiant la pauvreté, il nous faut nous pencher sur cela aussi. J'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez. J'aimerais bien avoir des solutions.

Mme Parks : D'après mon expérience personnelle et d'après ce que j'ai vu dans la Péninsule acadienne, ce dont j'ai été témoin et d'après mes échanges aussi avec d'autres personnes, il y a un problème de drogue et d'alcool, surtout dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick. Ça semble être pire, pour une raison ou une autre, car c'est si près de chez nous.

Le sénateur Gustafson : Il est difficile de trouver une famille qui n'est pas touchée par une forme quelconque de toxicomanie.

Mme Parks : Oui, il y a des gens qui ont un petit scanner et qui écoutent ce que fait la GRC, qui écoutent pour voir où s'en va l'ambulance. Je me souviens que, il y a quelques années, et c'est juste pour vous donner une idée de la gravité du problème, il y avait un agent de la GRC au volant de sa voiture, je crois que c'était dans l'île de Lamèque, il était au volant de son véhicule et il a dit : « Mon Dieu, nous avons une autre décoration d'arbre de Noël. » C'était un signe pour les gens de l'endroit, dans la péninsule; tout de suite, nous savions que quelqu'un s'était suicidé par pendaison. C'est très triste. C'était un jeune, et cela arrive encore de nos jours. C'est vraiment grave.

J'imagine que tout dépend de la façon dont vous voyez l'accoutumance. Une personne peut être accoutumée à l'alcool, oui, certainement, et tous ses investissements et toutes ses énergies vont en ce sens, car c'est une maladie qui progresse. L'autre facette de l'accoutumance, c'est la manie du jeu, où la situation s'est aggravée aussi. Comme ces gens ont un si faible revenu, ils ont besoin désespérément d'argent, et s'ils se trouvent à gagner 20 $ ou 100 $, Dieu du ciel, vous savez... Nous avons des machines de vidéo poker, et j'ai vu des gens s'enfoncer là-dedans. Je connais des gens qui sont devenus abstèmes, mais qui ont chuté avec les machines à parier. C'est un grave problème. Je parle du milieu rural au Nouveau-Brunswick.

J'ai aussi vu des gens du milieu rural au Nouveau-Brunswick, dans mon coin à moi, et j'ai vu des gens à Fredericton aussi, qui vivent au refuge et ne peuvent s'en tirer, même s'ils sont abstèmes depuis deux ou trois mois. C'est que le gouvernement ou le refuge, en raison de son règlement, afin d'avoir assez d'argent pour s'occuper des gens en question, prend tout le chèque d'aide sociale et ne leur en remet qu'une petite partie. C'est pourquoi j'ai invité les sénateurs à aller voir du côté de Notre-Dame-des-Érables pour y constater les conditions. Il y a là beaucoup d'alcoolisme, et les gens sont nombreux à souffrir de problèmes de toxicomanie. C'est ce qui arrive.

Au fil des ans, la province du Nouveau-Brunswick a décidé de réduire le financement des places dans les centres de traitement. Il a réduit le nombre de lits à Tracadie, et il faut comprendre, c'est pour la Péninsule acadienne dans son ensemble. Il y a dix lits au centre de désintoxication; c'est tout. Je sais que le gouvernement a appliqué des réductions à l'ensemble de la province, et il est vraiment triste qu'il l'ait fait. Il est en train de découvrir — je lis beaucoup, je consulte Internet... je découvre que, devant les tribunaux, de plus en plus, il est question de situations où il y a eu violence. Il y a eu un meurtre dans mon petit village le 1er janvier. C'est une chose qui ne se produit jamais. Les choses commencent à être très graves, et vous devriez peut-être y jeter un coup d'œil.

[Français]

M. Couturier : On travaille directement avec les personnes pauvres et indirectement avec d'autres organisations gouvernementales à but non lucratif. Quand un besoin primaire n'est pas comblé, il y a un vide, et la personne cherche à le combler par autre chose : l'usage du tabac, des drogues et de l'alcool. Je vous ai parlé du cas d'une personne qui gagnait 495 $ par mois, dépensait 400$ pour le loyer, alors sur les 95 $ qui restaient, 80 $ allaient pour la cigarette. J'ai essayé de faire comprendre à la personne en lui disant « essaie d'arrêter de fumer des cigarettes puis achètes de la nourriture convenable. » La réponse a été : « David, la bonne nourriture coûte trop cher. » En plus, les banques alimentaires sont critiquées pour la qualité de la nutrition. On ne peut pas donner ce que l'on n'a pas, alors on ne peut pas acheter de la nourriture de très haute qualité. C'est par rapport aux dons qu'on reçoit. Il y a des gens qui se demandent pourquoi les banques alimentaires ne peuvent pas donner des diètes spéciales. On est même critiqué par des médecins qui nous disent d'essayer de donner du jus non sucré, et ainsi de suite. On ne peut pas. On n'a pas les moyens. Quand c'est rendu qu'on demande à un organisme à but non lucratif de combler les besoins de quelqu'un qui est malade. Il y a un problème.

À un moment donné, une gestionnaire du provincial nous a dit : « ne tanne pas ce client parce que le tabac c'est un sédatif. » Dans quel sens? C'est parce que cela lui permet de se calmer. Deux, trois cigarettes permettent de combler un repas. C'est la réalité. À un moment donné, la cigarette ne suffit plus, l'usage de l'alcool et de la drogue commence, parce qu'avec l'alcool et les drogues donnent un meilleur « buzz ». Alors, le cercle vicieux commence. Les personnes ne mangent plus, maigrissent, deviennent malades, après, ils retournent aux banques alimentaires et l'on nous dit : « comment ça se fait que tu n'es pas capable de donner une bonne nourriture à cette personne? » On n'a pas l'argent et c'est un autre phénomène du cercle vicieux.

[Traduction]

M. Gagnon : Nous parlons de gens qui deviennent malades et qui ont besoin de médicaments. Il est prouvé que les assistés sociaux et les pauvres deviennent malades plus souvent, qu'ils meurent plus jeunes et qu'ils contractent plus de maladies, à cause du système.

Je veux parler de certaines des remarques que vous avez faites et de certaines des remarques que les gens font. Vous avez posé des questions au sujet des gens qui vivent dans la pauvreté. Nous devons faire très attention de ne pas stéréotyper les gens qui vivent dans la pauvreté en tant que toxicomanes. Il y a la violence familiale. Je ne crois pas qu'il y ait d'études qui dictent ce qu'est la norme dans la société. Je peux vous dire : je vis à Bathurst, au Nouveau- Brunswick, tout juste au bout du chemin, et les gens là veulent ouvrir une unité d'hébergement pour les gens à faible revenu, dans le secteur résidentiel, là où il y a des gens de la classe moyenne et des nantis. Dans le journal, l'ex-maire de la ville et les résidants avaient une pétition qui disait : « Nous ne pouvons avoir ces immeubles résidentiels pour personnes à faible revenu ici dans notre quartier. Il y aura des gens qui vivent de l'aide sociale. Des gens qui vivent dans la pauvreté. La criminalité va augmenter, la consommation de drogues va augmenter, la violence va augmenter. » Ce qu'ils disaient dans le journal et ce qu'ils voulaient vraiment dire, c'est que la valeur de leur maison allait baisser. Nous devons faire très attention quand nous parlons de gens qui vivent dans la pauvreté. Oui, il y a de la violence. Est-ce plus fréquent que la norme? Je ne crois pas. Ce qui arrive, cependant, comme vous vivez dans la pauvreté et que vous devez recourir aux banques alimentaires et que, disons, il y a là le type qui est alcoolique, ici le type qui est toxicomane, ici quelqu'un qui fume, eh bien il est comme ça parce qu'il est stéréotypé... parce qu'il devrait acheter autre chose avec son argent. Peut-être qu'il ne fait pas une bonne dépense, mais je connais des gens qui vivent dans la pauvreté et qui gèrent très bien leur argent, parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. Ils ont deux ou trois enfants, les deux travaillent, ou les deux vivent de l'aide sociale, et permettez-moi de vous dire qu'ils gèrent leur argent mieux que certaines banques et que certaines personnes au pays.

La présidente : Sur cette note, je dirais que nous pourrions y passer la journée. Ça été une discussion extraordinaire. C'est le genre de choses que nous espérions beaucoup avoir l'occasion de faire. Nous tenons à remercier chacun d'entre vous. Ce ne sont pas des événements faciles à raconter, mais, néanmoins, vous nous avez ouvert de nombreuses portes, et nous vous sommes très reconnaissants. Bonne chance à chacun d'entre vous. Et ne lâchez pas, Claudia. Et vous aussi. Merci beaucoup.

La séance est levée.


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