Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 17 - Témoignages du 22 février 2007 - Séance du matin
ANNAPOLIS ROYAL, NOUVELLE-ÉCOSSE, le jeudi 22 février 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 52 pour examiner, afin d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. C'est un plaisir et un honneur d'être ici, à Annapolis Royal, le plus ancien peuplement continu du pays situé au nord de St. Augustine, en Floride, selon ce que nous a dit l'historien de notre comité. Comme nous l'entendrons sûrement aujourd'hui, Annapolis Royal est également l'une des collectivités rurales les plus dynamiques au pays, sinon au monde. Elle a toute une histoire. À tous ceux qui disent qu'il n'y a pas d'avenir au Canada rural, la longévité et la prospérité actuelle d'Annapolis Royal prouvent tout le contraire.
Je m'en voudrais de ne pas mentionner également que nous sommes pour ainsi dire dans la cour du sénateur Mercer. Pendant notre trajet en autobus, le sénateur Mercer ainsi que le chauffeur d'autobus nous ont raconté une foule d'anecdotes et bribes d'histoire sur la région, à notre plus grand plaisir. Je pense pouvoir dire sans crainte de me tromper qu'il n'y a pas meilleur ambassadeur pour la vallée de l'Annapolis et la Nouvelle-Écosse que le sénateur Mercer.
Nous recevons ce matin le maire d'Annapolis Royal, John Kinsella, qui pourra nous parler un peu plus d'Annapolis Royal et de ses efforts fructueux pour redonner du dynamisme à cette partie de la Nouvelle-Écosse rurale. Nous sommes ravis qu'il puisse être des nôtres aujourd'hui.
Nous recevons également Keith Robichaud, directeur municipal du comté d'Annapolis, et Peter Newton, préfet du comté d'Annapolis. Nous sommes très heureux, en ce merveilleux jour ensoleillé, d'être assis ici pour vous écouter.
Comme vous le savez, nous allons parcourir tout le pays. Nous avons commencé par le Canada atlantique, puis nous nous rendrons graduellement jusqu'à l'autre bout du pays et dans les territoires. Jamais la Chambre des communes ni le Sénat n'a entrepris un tel voyage dans l'histoire parlementaire.
Nous estimons que la pauvreté rurale mérite un examen minutieux, et nous espérons publier un rapport qui permettra aux gens de tout le pays de mieux comprendre qu'il existe une vie très vigoureuse et pleine d'espoir à l'extérieur des zones urbaines du Canada et que nous voulons garder nos racines rurales bien en santé, parce qu'elles sont à la base même du pays.
Monsieur le maire, à vous l'honneur.
John Kinsella, maire, Ville d'Annapolis Royal : C'est effectivement tout un honneur.
Bonjour, mesdames et messieurs. Au nom des habitants de la ville, je vous remercie de vous arrêter à Annapolis Royal dans le cadre de vos audiences sur la pauvreté rurale. Il est tout à fait approprié que je sois accompagné de Peter Newton et de Keith Robichaud. Ces messieurs travaillent tout le temps avec nous, en collaboration avec la ville.
La ville coopère avec ses voisins, ainsi que les gouvernements provincial et fédéral afin d'améliorer la vie des habitants de notre région. Nous avons créé un environnement qui vient d'être désigné petite ville où il fait le mieux vivre dans le monde. Nous avons entretenu et amélioré l'infrastructure de la ville, bien qu'il reste beaucoup à faire pour nos résidents et pour attirer d'autres résidents et entreprises à l'avenir.
Les maires et les préfets des comtés de Digby et d'Annapolis se rencontrent périodiquement pour discuter de leurs préoccupations communes et depuis peu, pour superviser le rétablissement de l'organisme de développement économique des comtés de Digby et d'Annapolis. Nous avons créé des services de planification conjointe pour les trois villes de Bridgetown, de Middleton et d'Annapolis Royal, en plus d'avoir conclu de nombreuses ententes de service avec le comté d'Annapolis. Dans nos relations avec les gouvernements fédéral et provincial, nous avons notamment travaillé au Programme d'infrastructure Canada-Nouvelle-Écosse, à l'établissement de cet organisme de développement, à notre désignation de capitale culturelle, au programme de péréquation fédéral, à l'administration des revenus de la taxe sur l'essence et à une subvention tenant lieu d'impôt pour Nova Scotia Power Incorporated.
Je félicite votre comité de s'inspirer du travail des autres. J'ai lu votre rapport intérimaire. Il est assez long, mais je l'ai lu au complet et il m'apparaît clair que vous vous attaquez à une très lourde tâche.
Je vous renvoie à quelques études qui ont été faites : « Painting the Landscape of Rural Nova Scotia : Rural Communities Impacting Policy Project October 2003 »; le document de discussion « Repopulation des régions rurales du Canada atlantique », le document de discussion du Comité panatlantique sur la repopulation préparé par le Rural and Small Town Programme de l'Université Mount Allison en 2006, puis ce rapport.
Nous savons que l'un des principaux facteurs déterminants de la santé est l'éducation. L'éducation donne accès à de meilleurs emplois, mais beaucoup de gens ne peuvent pas se payer d'études universitaires ou collégiales et celles-ci ne sont pas facilement accessibles dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse.
Si nous prenons l'exemple d'autres pays du monde, nous voyons que l'Irlande paie les études universitaires de ses citoyens. En Nouvelle-Écosse, les frais de service de la dette sont presque aussi élevés que nos dépenses en éducation. Si nous voulons sérieusement aider les gens, nous devons nous organiser pour rembourser la dette tout en injectant plus d'argent dans le système d'éducation.
Nous avons analysé quelques grands facteurs qui réduisent les débouchés pour les Canadiens des régions rurales : le déclin de la population attribuable à l'émigration, le vieillissement de la population et un manque d'immigration menacent la viabilité de beaucoup de collectivités; les employeurs existants ont parfois de la difficulté à trouver suffisamment de travailleurs pour combler les postes vacants, comme nous avons pu l'observer dernièrement dans une institution du nom de Convergys, un centre d'appels de notre région qui a tenté en vain d'augmenter le nombre de ses employés dernièrement.
Un autre grand facteur qui réduit les débouchés, c'est que cet environnement n'est pas très favorable à l'entrepreneurship, à l'innovation et au démarrage de nouvelles entreprises. De plus, la densité de la population descend parfois sous les seuils critiques pour maintenir des services publics essentiels comme les soins de santé et l'éducation. De plus, nos enfants doivent quitter la maison pour faire des études et se trouver un travail; la plupart d'entre eux ne reviennent pas. En fait, sans diplôme universitaire ou collégial, on est moins susceptible de trouver un emploi bien payé.
Nous faisons les recommandations suivantes : veillez à ce que toute personne ait accès à un diplôme universitaire de premier cycle ou à un diplôme collégial gratuitement; suivez les recommandations d'autres organismes et d'autres rapports. J'ai deux exemples à vous donner.
Pour que les Canadiens puissent continuer de vivre longtemps et améliorer leur état de santé, le Forum national sur la santé a fait des recommandations particulières dans « La santé au Canada : un héritage à faire fructifier — Volume II — Rapports de synthèse et documents de référence », et je suis d'accord avec lui. Permettez-moi de le citer.
Nous proposons d'adopter une vaste stratégie intégrée d'aide au revenu familial et de programmes pour les enfants et leur famille. Il est urgent de s'attaquer au problème de la pauvreté chez les enfants, surtout chez les enfants autochtones. Nous estimons que les volets de cette stratégie devraient suivre l'ordre de priorité suivant : instituer un programme de prestations intégrées pour les enfants afin de régler le problème urgent de la pauvreté chez les enfants; soutenir et renforcer les programmes communautaires assortis de visites à domicile, là où ils existent, et en instituer là où il n'y en a pas, pour aider les enfants à lutter contre l'adversité et pour améliorer les compétences parentales. Ces programmes devraient cibler les femmes enceintes et les enfants, depuis la naissance jusqu'à l'âge de 18 mois, qui sont les plus vulnérables. Il faudrait tout particulièrement s'attarder aux besoins des femmes et des enfants autochtones.
Reformuler les programmes et les politiques pour assurer l'accès abordable à de meilleurs services de garde et d'éducation préscolaire. Une attention particulière devrait être accordée aux besoins des enfants autochtones. Ces programmes devraient être accessibles à tous, les parents versant des frais à échelle variable en fonction de leur capacité financière.
Établir des programmes et des politiques en milieu de travail qui favorisent l'épanouissement de la famille par des mesures telles les horaires flexibles, le travail partagé, les congés de maternité prolongés, les congés de paternité, les congés sans solde, des garderies et des services pour les personnes âgées. Cette recommandation s'adresse tant aux gouvernements qu'au secteur privé et au secteur de la santé.
Réduire les impôts des contribuables qui élèvent des enfants afin que les politiques fiscales tendent vers plus d'équité et tiennent compte des frais réels qui incombent aux familles.
La deuxième recommandation que j'appuie est l'une des plus importantes, mais elle constitue le problème le plus épineux pour la santé de la population : il s'agit de la disponibilité des emplois. Voici les recommandations du forum :
Tous les gouvernements doivent reconnaître que, pour améliorer la santé de la population, il faut que les taux de chômage soient au plus bas niveau possible. Il faut prioriser et faciliter l'accès des jeunes à l'emploi, et abattre les barrières qui le rendent peu accessible aux minorités visibles, aux Autochtones et aux personnes souffrant d'incapacité, entre autres. À chaque niveau de gouvernement, toute politique économique (monétaire ou fiscale) doit être analysée dans la perspective expresse de son effet sur la santé.
Avant d'être maire, j'étais infirmier autorisé. J'ai travaillé à Toronto et à Windsor, en Ontario; à Churchill, au Manitoba; à Rocky Harbour, à Terre-Neuve et ici, en Nouvelle-Écosse. J'ai commencé ma carrière comme préposé aux bénéficiaires à l'hôpital Sunnybrook de Toronto. C'était un travail honnête, mais peu payant. Je sentais que j'étais en mesure de faire ma part différemment et je sentais aussi les pressions des travailleurs pauvres. Après plus de dix ans à vivre d'un chèque à l'autre et à m'enliser dans les dettes, j'ai pris la décision, avec ma jeune famille, grâce aux encouragements de mes collègues, de m'inscrire à un programme de soins infirmiers autorisés au St. Clair College of Applied Arts and Technology à Windsor, en Ontario. J'ai vidé mon fonds de pension et reçu des bourses et des prêts généreux. Il s'agissait d'un programme de six semestres comprimés en deux années civiles. J'ai obtenu mon diplôme avec mention d'honneur avec une dette de seulement 7 500 $, que j'ai remboursée en un an. Je suis un homme très différent aujourd'hui, grâce à cette chance que j'ai eue de croître.
J'ai vu et je continue de voir d'autres personnes dans des situations semblables. Si elles avaient la même chance que moi, elles aspireraient à devenir infirmiers ou infirmières ou à trouver l'occasion idéale de parfaire leur éducation. Nous devrions nous efforcer de permettre aux Néo-Écossais des régions rurales d'avoir accès à ces possibilités de manière équitable. Notre population rurale s'en trouverait beaucoup plus stable et aurait une qualité de vie générale beaucoup plus riche.
Je vous remercie encore une fois de nous rendre visite. J'espère que ce petit tour d'horizon de notre collectivité, de ses citoyens et des enjeux auxquels ils sont confrontés vous aidera dans vos délibérations sur cet enjeu important.
Je suis tout disposé à répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Les autres messieurs veulent-ils nous glisser quelques mots avant que nous passions aux questions?
Peter Newton, préfet, comté d'Annapolis : Bonjour et bienvenue encore dans le comté d'Annapolis.
Au nom du Conseil de la municipalité du comté d'Annapolis, je vous remercie de nous permettre de nous exprimer devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je m'appelle Peter Newton et en tant que préfet, je suis président du conseil. Je suis accompagné de Keith Robichaud, directeur municipal du comté. C'est avec grand plaisir que nous nous joignons à ce groupe de témoins, avec le maire John Kinsella et les gens de la ville d'Annapolis Royal.
Si je comprends bien, votre comité se penche sur la pauvreté rurale et compte recommander des mesures pour atténuer la pauvreté rurale et améliorer les débouchés pour les Canadiens des régions rurales. J'ai regardé le rapport intérimaire que vous avez déposé en décembre 2006. Je vais parler brièvement de certaines des questions que vous soulevez, puis du développement économique rural. Pour commencer, je vais vous présenter un peu le comté d'Annapolis.
Le comté d'Annapolis a une histoire riche, un environnement naturel magnifique et offre une qualité de vie enviable. C'est dans le secteur de l'Habitation de Port-Royal que s'est établi le premier peuplement européen permanent au Canada en 1605. Les villes historiques d'Annapolis Royal, de Bridgetown et de Middleton sont les points centraux de l'ouest, du centre et de l'est de notre comté. Ensemble, ces villes et plus de 100 collectivités du comté offrent tout un éventail de choix de styles de vie et d'aménagements d'utilisation collective.
La municipalité de comté d'Annapolis a une population de 18 500 personnes; si l'on y ajoute les populations d'Annapolis Royal, de Bridgetown et de Middleton, la population totale du comté d'Annapolis s'élève à presque 22 000 habitants. Le comté d'Annapolis a une superficie de 3 200 kilomètres carrés, situés dans l'ouest de la Nouvelle- Écosse, à côté de la Baie de Fundy. La rivière Annapolis sépare le comté en deux, d'est en ouest, et se jette dans le bassin Annapolis. Plus de 500 000 acres sur les 830 000 acres de terres du comté sont couverts de forêts, particulièrement le long des chaînes de montagnes au nord et au sud. La plus grande partie des 50 000 acres de terres agricoles qu'on trouve dans le comté s'étendent dans la vallée de l'Annapolis.
La pêche, la foresterie et l'agriculture demeurent des éléments importants de l'économie rurale. La plupart des segments du secteur agricole sont actuellement en déclin, et les seules exceptions notables sont peut-être les visonnières et l'aviculture. Le tourisme, le commerce de détail, le transport et l'entreposage ainsi que le secteur des services ont toujours été relativement stables, mais le tourisme a diminué depuis deux ans et pourrait bénéficier de nouveaux investissements et d'une diversification.
De grands progrès ont été faits pour diversifier l'économie dans le secteur des technologies de l'information et des communications, grâce à des investissements dans un réseau de fibres optiques local et à la présence du Centre de sciences géographiques ainsi que du Groupe de recherche en géomantique appliquée du campus de la Vallée de l'Annapolis, qui relève du Nova Scotia Community College.
La revitalisation de l'ancienne base militaire de Cornwallis est l'une des principales préoccupations de la municipalité de comté d'Annapolis en matière de développement économique et communautaire depuis 1994. En ce moment, il y a plus de 30 entreprises qui emploient plus de 1 000 personnes dans le parc industriel, et les logements militaires ont été convertis en quartiers résidentiels.
Il y a quelques années, la municipalité de comté d'Annapolis et notre partenaire, la municipalité de district de Digby, ont rénové un édifice de 40 000 pieds carrés dans le parc de Cornwallis pour l'établissement d'un centre d'appels d'arrivée. En 2004, ces locaux ont été loués à Convergys Customer Management Canada, qui emploie aujourd'hui plus de 600 personnes de la région.
En 2003, le Groupe de travail de planification volontaire de la propriété des terres non résidentielles de la Nouvelle- Écosse a déterminé que les comtés d'Annapolis et de Digby figuraient parmi les régions où la propriété non résidentielle des terres côtières et riveraines était la plus forte. Cela a contribué en grande partie à la croissance du développement résidentiel, et une bonne partie de ces terres ne sont toujours pas aménagées.
Nos municipalités reconnaissent qu'il y a des facteurs structurels ayant des incidences sur la croissance, la diversification et le rendement économique de nos économies rurales, en Nouvelle-Écosse, et qui les font varier. Dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, le PIB par habitant correspond à environ 70 p. 100 de celui de Halifax. Bien que ce ne soit qu'une mesure de la prospérité, il importe pour les municipalités et notre organisme de développement régional d'essayer de réduire l'écart sur le plan du PIB par habitant. La nouvelle économie et les facteurs favorables des technologies de l'information, combinés à l'avantage concurrentiel associé à la qualité de vie dans cette région rurale ont tout pour attirer de nouvelles entreprises, des entreprises à domicile et des résidents.
La municipalité de comté d'Annapolis participe activement à l'initiative des collectivités durables de la Nouvelle- Écosse depuis 2000. La région d'Annapolis-Fundy est l'une des deux régions de la Nouvelle-Écosse où une équipe de terrain de fonctionnaires fédéraux, provinciaux et municipaux se réunit périodiquement. En 2002, l'équipe de terrain d'Annapolis-Fundy a embauché un consultant pour analyser une multitude d'études, de rapports et de documents de planification des trois ordres de gouvernement sur la région. Cinquante-cinq ingrédients de la viabilité des collectivités en sont ressortis dans 13 catégories, qui sont résumées dans un tableau du rapport final du consultant. Ce tableau se trouve à la page suivante de ce document.
Les problèmes de durabilité des collectivités qui ont été observés dans notre région correspondent aux facteurs de la pauvreté rurale que vous présentez dans le rapport intérimaire de votre comité. Les grands enjeux sont le transport, la santé de la population, l'accès aux soins de santé, l'emploi, le tourisme, les ressources naturelles et le développement économique.
Maintenant, j'aimerais attirer votre attention sur l'annexe jointe à ce mémoire, qui donne quelques exemples de projets intergouvernementaux administrés par deux ou plusieurs municipalités de la région pour remédier aux problèmes qui sont à la source de la pauvreté et du manque de durabilité des collectivités. Nous espérons renverser le « cercle vicieux du déclin des régions rurales » (OCDE).
Je vais maintenant demander à notre directeur municipal d'expliquer brièvement quelques exemples des initiatives présentées sommairement en annexe.
La présidente : Merci beaucoup.
Keith Robichaud, agent administratif principal, Comté d'Annapolis : Je ne les présenterai pas en détail, mais j'estime important de mentionner quelques-unes des mesures que les municipalités de cette région ont prises.
Les mesures présentées en annexe de notre mémoire écrit sont une combinaison d'initiatives et de partenariats intergouvernementaux. Elles visent à montrer que certaines des conclusions de votre rapport intérimaire sur la nouvelle façon de voir le développement économique rural correspond beaucoup à ce que nous constatons de nos expériences, et nous appuyons vivement vos conclusions à cet égard.
J'aimerais attirer votre attention sur une initiative en technologies de l'information et en communications, notre FUNDYweb Broadband Board. C'est un projet d'envergure dans lequel les trois ordres de gouvernement investissent.
En gros, les sept municipalités des comtés d'Annapolis et de Digby ont travaillé en partenariat avec le Nova Scotia Community College, avec l'aide financière d'Industrie Canada, de l'APECA et de Nova Scotia Economic Development. Nous avons maintenant un réseau de câbles à fibres optiques, 48 torons, qui vont de Digby, à l'extrême Est du comté d'Annapolis, jusqu'à Meteghan, à l'extrême Ouest du comté de Digby et jusqu'à l'extrémité de Clare. Nous commençons à peine à en tirer le plein potentiel. Le Nova Scotia Community College l'utilise abondamment pour favoriser la recherche et la collaboration en éducation pour son centre des sciences géographiques et son groupe de recherche en géomatique appliquée à Middleton. Le centre Pearson pour la formation en maintien de la paix l'utilise aussi. Nous y avons de plus branché quelques écoles locales.
Ce projet de construction d'un réseau de fibres optiques a nécessité des partenariats publics-privés. Nous avons établi des partenariats avec deux sociétés de télévision par câble, Eastlink et RuSh Communications, qui ont des services par câble dans toute la région. Nous avons réussi à réduire nos frais de départ, ainsi que nos coûts permanents de maintenance du réseau en utilisant en partie leurs torons de messagerie sur les 150 kilomètres du réseau. De plus, nous avons réussi à négocier un certain nombre de torons de fibres optiques avec Eastlink pour construire une infrastructure d'acheminement des télécommunications entre Middleton et Halifax.
Les partenariats publics-privés profitent tant au gouvernement qu'au secteur privé. Ces entreprises ont ainsi eu l'occasion de développer et de parfaire leurs systèmes, en plus d'accroître l'accessibilité des services Internet à haute vitesse pour les résidents et les entreprises de la région. Bien sûr, nous avons eu notre connexion à Halifax et à des réseaux comme CAnet 4, le réseau de recherche des universités et des collèges canadiens, par exemple.
Nous essayons toujours d'exploiter le potentiel de ce réseau de fibres optiques. Dans le comté de Kings et à West Hants, on envisage de construire un réseau de fibres optiques communautaire. Nous espérons que dans la vallée de l'Annapolis, entre les deux, nous aurons assez de services pour tirer parti de ce réseau et présenter une demande de propositions aux entreprises du secteur privé qui pourraient vouloir offrir des services Internet à haute vitesse sans fil aux personnes qui n'ont pas encore accès à ces services. Ce sont quelques exemples de ce qui se passe là.
J'aimerais également mentionner brièvement le transport public, une question dominante dans beaucoup d'études et de rapports circonstanciels sur la région depuis dix ans. Je tiens à souligner que les municipalités de la région font preuve d'un esprit de collaboration exceptionnelle en matière de transport en commun. Notre expérience ici, dans le comté d'Annapolis, ne remonte qu'à 2001, mais les quatre municipalités du comté de Kings offrent des services de transport en commun depuis un peu plus longtemps.
Comme nous travaillons déjà en partenariat à divers égards dans la vallée, les administrateurs du comté d'Annapolis ont abordé la société de transport en commun de Kings, la Kings Transit Authority, et notre premier circuit reliait Greenwood, Middleton, Lawrencetown et Bridgetown. Nous avons lancé ce service en 2001. Quatorze mille passagers en ont profité la première année, et ils sont maintenant plus de 60 000. Il y a un autre circuit qui part de Bridgetown, passe par ici, à Annapolis Royal, et se rend jusqu'à Cornwallis Park. Ce circuit, qui est offert depuis trois ou quatre ans, compte un peu moins de 30 000 passagers, mais sa fréquentation augmente chaque année. Nous avons la responsabilité de tous les frais d'établissement et des subventions de fonctionnement requis pour ce circuit et nous payons des frais de gestion à King Transit. Ici, dans le comté, nous avons une subvention de fonctionnement à part et des ententes de partage des coûts entre les villes d'Annapolis Royal, de Bridgetown et de Middleton.
La municipalité de Digby a également signé un contrat avec Kings Transit, de sorte que le transport en commun va dorénavant de Cornwallis Park, en passant par Digby/Conway, jusqu'à Weymouth. Il existe dorénavant un service de transport en commun ininterrompu entre Weymouth, à l'extrême Ouest de la région, jusqu'à Wolfville, à l'extrême Est de la vallée de l'Annapolis. C'est un franc succès.
J'aimerais seulement souligner que le transport en commun est une proposition très coûteuse pour les municipalités rurales. Pour offrir ces circuits, il faut offrir un service complet dès le départ et absorber des coûts et des subventions importantes au départ. Par exemple, nos services sont offerts du lundi au vendredi de 6 heures à 22 heures et le samedi de 9 heures à 17 heures. Il faut débourser beaucoup d'argent pour offrir un horaire de transport en commun comme celui-là. Pour vous donner un exemple, la première année où nous avons offert le circuit dans l'Est du comté d'Annapolis, l'achalandage est passé de 15 000 ou de 16 000 passagers à 60 000 passagers; notre subvention de fonctionnement correspondait probablement aux deux tiers des coûts d'exploitation de ce circuit, et probablement seulement le tiers de nos frais était couvert par les recettes des boîtes de perception. Cependant, depuis que l'achalandage est de 60 000 passagers, c'est presque l'inverse, notre efficacité d'exploitation est de presque 70 p. 100, donc 70 p. 100 de nos coûts d'exploitation sont absorbés par les recettes des boîtes de perception, ce qui est très élevé selon les normes du transport en commun. En général, on s'attend à ce que les recettes des boîtes de perception ne permettent d'absorber que de 50 à 60 p. 100 des coûts. Bien sûr, les municipalités sont responsables de la totalité des frais de départ.
J'aimerais dire un mot en faveur du transfert fédéral de la taxe sur l'essence, qui est extrêmement important pour nous, dans la région. Nous avons toujours utilisé des autobus qui ne nous coûtaient pas trop cher, qui n'étaient pas de la plus grande qualité et qui avaient des coûts d'exploitation très élevés. L'an dernier, nous avons pu utiliser le transfert fédéral de la taxe sur l'essence pour acheter un nouvel autobus de grande capacité, pleinement accessible, à plancher bas, pour notre circuit dans l'Est d'Annapolis.
La municipalité de Digby, le comté d'Annapolis et notre partenaire pour le circuit de l'Ouest, la ville d'Annapolis Royal, viennent de commander un autobus de transport en commun à grande capacité de trente pieds, ils en ont commandé deux en fait, un pour chaque circuit, pour les services offerts à l'extrémité Ouest. Le transfert fédéral de la taxe sur l'essence servira à payer une partie de ces deux autobus. C'est très important du point de vue qu'il va nous permettre d'acquérir un autobus de transport en commun à grande capacité, à plancher bas, pleinement accessible. C'est merveilleux pour les personnes âgées et les personnes handicapées, pour tout le monde. Bien honnêtement, ce que je trouve si merveilleux là-dedans, c'est que notre part municipale des coûts pour ces autobus est à peu près la même que ce que nous investissions dans les anciens autobus usagés, de moindre qualité et en moins bon état de service. Les avantages que nous en tirerons seront énormes pour ce qui est de la qualité du matériel roulant, si je peux me permettre de faire une petite publicité.
Bien qu'il n'y ait pas de mesure de soutien fédérale/provinciale pour absorber les coûts d'exploitation, il a certainement été très avantageux pour nous d'avoir accès aux recettes de la taxe sur l'essence pour absorber le coût de nos investissements. Je vais m'arrêter là.
Je m'excuse d'avoir parlé si longtemps, madame la présidente, mais je me disais qu'il valait la peine de souligner toutes ces choses.
La présidente : Vous nous avez tous les trois présenté votre région de façon très détaillée et approfondie. Nous avons des sénateurs curieux qui aimeraient vous poser quelques questions et nous commencerons par le sénateur Mercer.
Le sénateur Mercer : Pour commencer, madame la présidente, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du comité en Nouvelle-Écosse en plus de remercier les témoins de leur présentation.
Je vis dans les East Hants à Mount Uniacke, je me considère donc au début de la vallée. Votre présentation a suscité beaucoup d'intérêt chez moi. Je n'ai pas entendu ces mots exactement, mais je pense avoir entendu la description d'un revenu annuel garanti dans votre proposition. Cela résume-t-il vos réflexions sur les prévisions budgétaires?
M. Kinsella : Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Mercer : Voilà. Laissez-moi poursuivre.
Vous avez mentionné les soins de garde pour enfants dans votre exposé. Le programme du gouvernement actuel, qui consiste à allouer 100 $ par mois aux familles admissibles, a remplacé les ententes que le gouvernement précédent avait signées avec la province de la Nouvelle-Écosse pour offrir de nouvelles places en garderie. L'allocation de 100 $ par enfant a-t-elle eu des effets? Est-ce un programme positif ou négatif?
M. Kinsella : Je n'en ai pas vu d'effets positifs. Je suis très déçu de la décision du gouvernement fédéral de prendre l'argent prévu pour créer des places en garderie et de l'utiliser plutôt pour émettre des chèques de 100 $. C'est presque mal intentionné, à mon avis.
Le sénateur Mercer : Monsieur le préfet et monsieur Robichaud, vous nous avez présenté des exposés très intéressants. Le sénateur Mahovlich pose constamment des questions sur le transport en commun. Voici là un bon exemple, et l'un des seuls que je connais jusqu'à présent, de transport en commun en région rurale qui semble fonctionner grâce à l'engagement d'un assez grand nombre de municipalités, si je comprends bien. Ce projet ne vient pas simplement du comté d'Annapolis et de la ville d'Annapolis Royal. Il est le fruit d'interactions complexes entre beaucoup de municipalités. Vous avez créé de nouveaux emplois à Cornwallis Park. Cela a-t-il contribué à faire en sorte que les gens au bas de l'échelle économique aient accès à ces emplois? Le transport est un problème de taille dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse.
M. Newton : Ce service a permis à tous ceux qui ne peuvent pas s'acheter de véhicule d'avoir accès à ces emplois. Sans transport en commun, ils ne pourraient pas se rendre au travail, ni rentrer chez eux. Ce service améliore leur situation économique à long terme.
M. Robichaud : J'aimerais ajouter, monsieur Mercer, que l'horaire du transport en commun dans le comté d'Annapolis se poursuit plus tard que l'horaire normal dans le reste du réseau de la Kings Transit Authority, et cela pour accommoder notamment les gens qui travaillent au centre d'appel de Convergys selon des quarts particuliers.
Le transport, la garde des enfants et le logement abordable sont trois enjeux importants pour les gens de cette région et particulièrement pour ceux qui veulent obtenir un emploi à ce centre d'appel. En fait, l'horaire du service de transport en commun vise à répondre aux besoins de transport de ceux qui travaillent au centre d'appel et qui n'ont pas de véhicule.
Le sénateur Mercer : Ce comité, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, étudie la pauvreté rurale. Dans ma brève séance d'information avec mes collègues, ce matin, j'ai oublié une chose que vous avez mentionnée dans votre mémoire et qui est d'une importance extrême dans cette partie de la province : il s'agit de l'élevage de visons. On trouve surtout les élevages de vison à Annapolis, à Digby et à Clare. Quelle est l'ampleur de cette industrie, si vous le savez? Je sais que les coûts d'exploitation de ces élevages sont très élevés. L'avenir est-il plus rose pour l'industrie du vison dans l'Ouest de la Nouvelle-Écosse?
M. Robichaud : Ce n'est que récemment que l'industrie du vison a connu un essor dans le comté d'Annapolis, en partie en raison du nombre de visonnières qu'on trouve à Clare et dans la municipalité de Digby. Je pense que cela s'explique notamment par le fait que les éleveurs séparent leurs troupeaux et leurs activités par mesure de précaution contre le risque de maladie.
Ici, dans le comté d'Annapolis, à notre connaissance, le revenu à la ferme pour l'industrie du vison n'est que d'environ un milliard de dollars par année, parce qu'elle est relativement nouvelle. Elle est beaucoup plus forte dans le comté de Digby, soit dans les municipalités de Clare et de Digby. J'ai entendu dire qu'elle générait jusqu'à dix millions de dollars par année et même plus.
Le sénateur Mercer : Je mentionnerai surtout pour mes collègues, plus que pour nos témoins, que l'un des avantages de l'élevage de visons, c'est qu'on les nourrit en grande partie des déchets de poisson, qui peuvent provenir d'autres activités. Utilise-t-on les produits locaux pour nourrir les visons?
M. Newton : La plupart des déchets de poisson viennent de produits locaux, mais on leur donne aussi du poulet et d'autres produits locaux. Une partie du poulet vient en fait de Montréal, au Québec. Il est envoyé ici vers certaines des plus grandes exploitations.
Le sénateur Mercer : C'est une excellente façon de nous débarrasser d'une partie de nos déchets.
Le sénateur Callbeck : Monsieur le maire, le troisième paragraphe de votre mémoire écrit porte sur le rétablissement de l'organisme de développement économique d'Annapolis et de Digby. Je présume que vous bénéficiez de beaucoup de programmes de l'APECA pour cela.
M. Kinsella : Nous faisons de notre mieux. Nous avons des occasions de travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral. L'APECA est l'une des façons de travailler avec lui.
Je siège au conseil depuis 15 ans et depuis que je suis là, j'ai vu des projets très fructueux se réaliser grâce à l'APECA. J'ai également eu une expérience négative et j'en ai été déçu, mais dans la majorité des cas, le travail de l'APECA ici est excellent.
Le sénateur Callbeck : Toute organisation peut s'améliorer. Je suis d'accord avec vous qu'elle fait du bon travail. Dans ma province, beaucoup de projets n'auraient jamais vu le jour sans l'APECA.
Cependant, si vous deviez faire des recommandations, quelles seraient-elles?
M. Kinsella : Je vais transmettre votre question à M. Robichaud dans un instant, parce qu'il est directeur municipal du comté et qu'à ce titre, il en sait un peu plus sur les rouages de tout cela.
Cependant, je recommanderais surtout qu'on écoute les experts, qu'on laisse les experts agir et qu'on accorde un peu moins d'attention à toutes les ramifications d'une décision. C'est parfois déprimant. Notre député parle parfois de toucher notre juste part inéquitable de l'argent du gouvernement fédéral. Bien qu'il le dise avec humour, il travaille avec acharnement pour obtenir l'argent qui aboutit ici. Il est déprimant de voir que les décisions politiques influencent parfois l'endroit où vont les fonds. C'est décevant. C'est tout ce que j'oserais dire. Je vais laisser M. Robichaud vous parler un peu de la bureaucratie et de la paperasse, qui font railler Amery Boyer, notre directrice municipale.
Le sénateur Callbeck : Voulez-vous nous en parler? J'aimerais également vous demander de nous parler du Programme de développement des collectivités.
M. Robichaud : Tout ce que je peux dire sur mon travail avec les organismes fédéraux comme l'APECA, c'est que nous comprenons qu'il y a des changements sur les plans de la responsabilité, de la tenue des dossiers et de la documentation. À l'ordre municipal de gouvernement, on espérerait un peu plus de confiance. Je sais qu'il y a déjà eu des abus et des écarts de conduite, mais il ne fait aucun doute que les règles et la paperasserie qu'il faut nous taper pour obtenir des fonds de nombreux organismes fédéraux — je pense au programme de demandes, à la tenue de dossiers et à la documentation — constituent un obstacle. À moins que nous ne menions un projet de très grande envergure, nous trouvons que pour beaucoup d'autres petits projets, les règles et la paperasserie sont de véritables obstacles.
Souvent, nous ne présentons pas de demande à l'APECA ni à d'autres programmes. Soit nous trouvons nous-mêmes l'argent, soit nous trouvons l'argent dans la province. De toute évidence, les municipalités sont plus étroitement liées à la province. Je pense que nous sommes perdantes dans certains cas.
Nous reconnaissons tout à fait qu'il faut un peu de règles et de paperasse, mais toute la bureaucratie qui domine à Service Canada, à l'APECA et dans d'autres organismes est déroutante.
Le préfet et moi avons dû signer des documents pour Service Canada hier, au sujet d'un programme d'emploi très modeste, et je n'ai jamais paraphé un document à tant d'endroits, ni signé à autant d'endroits dans ma vie. J'ai dû passer une heure avec un représentant de Service Canada pour participer à un programme d'emploi dans le cadre de notre programme de répertoriage des immeubles à valeur patrimoniale, tout cela pour une somme assez basse. La justification de toute cette tenue de dossiers et de ces exigences de rapport est assez renversante.
Je m'excuse de parler si longuement. Lorsqu'il s'agit d'initiatives très importantes, nous faisons l'effort, bien sûr, de suivre vigoureusement le processus. Cependant, il faudrait que les divers ordres de gouvernement apprennent à nous faire davantage confiance. Nous ne voulons pas avoir l'impression, en tant qu'administration municipale, que le gouvernement fédéral ne nous croit pas capable d'investir sagement son argent, et le nôtre, dans des programmes conjoints.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Kinsella, vous avez dit, dans votre exposé, que les employeurs pourraient avoir de la difficulté à trouver suffisamment de travailleurs pour combler les postes vacants. Vous venez de dire que vous avez un excellent réseau de transport en commun, chose qu'un grand nombre de villes au Canada, et notamment dans ma province, n'ont pas. C'est l'une des raisons invoquées pour expliquer le fait qu'il est difficile de recruter des travailleurs. Or, malgré l'existence de ce réseau, vous éprouvez encore des difficultés de ce côté-là.
M. Kinsella : C'est vrai. Je suis heureux de voir que la ville d'Annapolis Royal est en mesure d'avoir un réseau de transport en commun. Plusieurs études antérieures ont défini le transport comme étant une priorité absolue et un obstacle à l'emploi, à l'accès aux soins de santé. C'est pourquoi nous avons décidé d'investir dans celui-ci. Notre réseau est fortement subventionné, car nous n'avons pas le même nombre d'usagers dans cette partie-ci du comté d'Annapolis. Toutefois, d'après le conseil, c'est de l'argent bien dépensé.
Cela dit, le transport ne représente qu'un volet parmi d'autres des mesures qui ont été prises pour favoriser l'accès à l'emploi. Pour certaines personnes, le transport constituait un obstacle que nous nous sommes attachés à éliminer. Toutefois, d'autres problèmes subsistent en matière de services de garde et d'éducation. Une personne doit acquérir un certain niveau de compétences avant de pouvoir s'asseoir devant un ordinateur et interagir avec le public. Il y a donc des obstacles à l'éducation. L'accès à des services de garde peut également constituer un enjeu. Plusieurs raisons peuvent inciter les gens à ne pas chercher un emploi. La personne qui désire travailler dans un centre d'appels peut fort bien décider de se chercher un emploi à Halifax, par exemple, parce que son conjoint souhaite déménager dans cette ville.
Les jeunes se rassemblent pour diverses raisons, pour des questions d'intérêts. Parfois, ces intérêts ne comprennent pas le fait de vivre dans une collectivité rurale. Je ne peux rien faire de ce côté là. Par contre, je peux faire de la collectivité un lieu attrayant, sauf qu'elle ne semble attirer que des personnes comme moi — aux cheveux dégarnis ou grisonnants.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Newton, vous avez dit dans votre exposé que le tourisme est à la baisse, un phénomène que l'on constate dans de nombreuses régions, y compris dans ma province.
Vous avez ensuite dit que le tourisme pourrait bénéficier d'une plus grande diversification des investissements. Je voudrais en savoir un peu plus à ce sujet. Je voudrais également savoir pourquoi vous pensez que le tourisme est à la baisse.
M. Newton : Je ne vous donnerai probablement pas une réponse détaillée, mais M. Robichaud peut peut-être m'aider à cet égard.
Le tourisme est à la baisse pour plusieurs raisons, les frais de voyage étant un facteur parmi d'autres. Le trafic de passagers américains vers l'est du Canada et les provinces Maritimes a chuté considérablement depuis les événements du 11 septembre. Il avait commencé à reprendre légèrement, mais le coût du carburant, les mesures touchant la TVH influent sur la valeur du dollar américain. Au lieu de valoir 30 ou 50 p. 100 de plus, il vaut moins. Par ailleurs, la décision du gouvernement fédéral de ne plus accorder un rabais de TVH aux personnes en voyage au Canada va avoir un impact négatif sur le tourisme.
Les déplacements au sein des collectivités ne sont pas définis comme une activité touristique. Si je me rends dans le comté Kings, que je passe un week-end dans un gîte et que je visite un peu les lieux, je considère que je fais du tourisme. L'industrie touristique canadienne, elle, n'est pas du même avis. Pour elle, les gens doivent venir de l'étranger, des autres provinces, des autres pays. Si nous voulons encourager et stimuler notre économie, nous devons développer le tourisme. Nous devons faire plus pour encourager les résidents à visiter d'autres endroits à l'intérieur de la province.
Nous devons améliorer les infrastructures, le réseau d'autoroutes, le transport aérien, pour faciliter les déplacements à l'intérieur de la province. Nous devons également améliorer certains lieux d'attraction importants afin d'attirer un segment différent de la population, lui donner des raisons de venir nous rendre visite et de rester.
M. Robichaud : Sénateur Callbeck, quand le préfet a parlé de la nécessité de diversifier et d'accroître les investissements, il faisait également allusion au fait qu'une région comme celle-ci a toujours utilisé son histoire et sa culture pour attirer les touristes. Il est important de noter que de nombreux lieux historiques traditionnels, comme l'Habitation de Port-Royal et le fort Anne, en fait, la plupart des lieux historiques nationaux dans la région, connaissent une baisse d'achalandage. D'après certaines études, il faut encourager les nouveaux investissements, créer d'autres types d'attractions, organiser plus de festivals et d'événements touristiques. Nous nous sommes justement efforcés, au niveau local, de mettre l'accent là-dessus et d'encourager — ce que l'on appelle du « tourisme expérientiel » —, la tenue d'activités aquatiques sur la rivière Annapolis, par exemple. Nous avons investi de l'argent dans diverses initiatives; mentionnons le programme de surveillance de l'environnement du comté d'Annapolis et le club de canoë, qui se charge de tracer des parcours pour les canots et les pistes cyclables. Nous ne pouvons plus uniquement compter sur les lieux historiques. Nous devons trouver d'autres moyens de faire vivre aux gens une expérience touristique plus intéressante. Nous avons, comme je l'ai indiqué, aménagé des pistes cyclables pour les randonnées à bicyclette et développé des parcours de canots pour le club de canoë du comté d'Annapolis.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi d'autres, sénateur Callbeck. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Callbeck : Oui.
J'ai une dernière question à poser. Je viens d'une collectivité rurale. De nombreux témoins nous ont parlé des avantages que présente la collaboration entre les régions. Je sais que ce n'est pas la chose la plus facile à faire, mais, manifestement, vous arrivez à travailler ensemble avec efficacité. Quel est votre secret?
M. Newton : Je ne sais pas s'il y a un secret, ou si c'est tout simplement le fait de vivre dans une collectivité rurale où les gens ont à cœur le bien-être de leurs voisins. Nous avons beaucoup de chance. Nos directeurs municipaux, qui constituent notre point fort, arrivent à rassembler les collectivités. M. Robichaud joue un rôle décisif à cet égard. Il agit comme directeur municipal du comté Annapolis depuis 12 ans. Sa capacité de travailler avec d'autres directeurs municipaux, de les encadrer, de les encourager à faire les choses différemment, à servi d'inspiration aux représentants élus, aux maires, aux préfets. La collaboration entre les collectivités, au cours de cette période, s'est renforcée. Nous traitons aussi tout le monde avec beaucoup de respect, car ce qui est bon pour la ville d'Annapolis Royal est également bon pour le comté d'Annapolis, et ce qui est bon pour Middleton est bon pour Bridgetown et le comté d'Annapolis. Nous sommes conscients du fait que nos décisions ont un impact positif sur les autres.
Je fais partie du conseil depuis 1995. Le niveau de collaboration n'était pas, à l'époque, ce qu'il est aujourd'hui. Le sentiment de respect et l'esprit de collaboration sont plus forts. Le leadership dont font preuve nos directeurs municipaux y est pour beaucoup.
M. Robichaud : Je vais laisser le dernier mot à M. Kinsella, mais je ne crois pas que les directeurs municipaux voudraient s'attribuer le mérite de ce succès. Il doit y avoir beaucoup de volonté politique de toute part.
Il est important de reconnaître que tous les habitants de la Nouvelle-Écosse vivent dans des municipalités. Il y a des villes, des districts, des comtés, des régions. La province ne compte que 55 municipalités. Les choses sont plus faciles à gérer quand il n'y a pas de gros secteurs ou districts de services non constitués en municipalité. Notre structure municipale est efficace.
Je tiens également à signaler que la Loi sur l'administration municipale adoptée en 1999 autorise les municipalités à établir des partenariats entre elles et avec le secteur privé. Deux ou plusieurs municipalités peuvent collaborer à des projets. Les exemples dans la région abondent. Par exemple, le réseau d'aqueduc du comté, à Granville Ferry, alimente également la ville d'Annapolis Royal. Nous avons conclu une entente à ce sujet. L'usine d'épuration des eaux usées de la ville traite les eaux d'égout provenant de deux systèmes de collecte du comté.
J'ai parlé du réseau à large bande FUNDYweb. Sept municipalités ont conclu une entente qui a abouti à la création d'une personne morale. Celle-ci a été inscrite auprès du Registre des sociétés de capitaux et placée sous la direction d'un conseil. La Loi sur l'administration municipale autorise les municipalités à conclure divers types d'ententes et de créer des personnes morales pour remplir certaines tâches et fournir certains services. Les mesures de réformes structurelles adoptées par l'assemblée législative provinciale, et le fait qu'il n'y a que 55 municipalités et que tout le monde habite dans une municipalité, constituent des éléments clés. Je vais maintenant céder la parole à M. Kinsella.
M. Kinsella : Je siège au conseil depuis presque 15 ans. Il y avait toujours, entre les membres, des différends, des tiraillements. Il y a six ans, soit quand je suis devenu maire, j'ai convaincu les autres villes de la région à tenir des rencontres régulières. Ainsi, une fois par mois, les maires, les maires adjoints, les préfets, les préfets adjoints et les directeurs municipaux se réunissent pour discuter des initiatives que nous pouvons entreprendre ensemble, des questions qui nous préoccupent, des domaines dans lesquels nous pouvons collaborer. C'est pour cette raison que la commission de transport de Kings s'est adressée à nous. C'est à M. Robichaud que nous devons tout cela.
Quand la ville a reçu 250 000 $ du gouvernement fédéral dans le cadre du programme Capitales culturelles du Canada, nous avons travaillé de concert avec le comté pour célébrer, en 2005, « 400 ans de vie et de travail en commun ». C'est le thème que nous avons choisi, et c'est notre devise de tous les jours. C'est la seule façon de faire. C'est comme le mariage — il faut y travailler, sinon il va se solder par un échec. Voilà le secret.
Le sénateur Peterson : Nous avons eu beaucoup de discussions, et elles ont surtout porté sur le développement économique. Je sais qu'il est important pour une région d'être viable sur le plan économique. Toutefois, il est question ici de pauvreté rurale. Il y a trois points que je voudrais aborder. À vous de décider qui va répondre.
D'abord, le nombre d'assistés sociaux. Est-ce qu'il augmente? Est-ce qu'il constitue une source d'inquiétude? Je songe aux impôts fonciers en souffrance. Ensuite, les banques d'alimentation. Vous n'en avez pas parlé. Est-ce qu'elles existent? Y en a-t-il beaucoup? Enfin, les enfants autochtones, que vous avez mentionnés à plusieurs reprises, ce qui veut dire que la pauvreté a un impact sur les Premières nations. Je voudrais en savoir plus sur le contexte. Est-ce qu'ils vivent dans des régions urbaines par opposition aux réserves? Dans quelle mesure sont-ils touchés?
M. Kinsella : Il y a une banque d'alimentation dans la ville d'Annapolis Royal — et je pense que ses représentants vont comparaître devant le comité cet après-midi. Je me contenterai de dire que la ville travaille en collaboration avec elle, qu'elle le fait volontiers, et que cette banque d'alimentation joue un rôle au sein de la collectivité.
M. Robichaud : Je voudrais parler brièvement des services sociaux. Jusqu'en 1998, le comté assurait la prestation des services sociaux en son nom et au nom des trois villes. Toutefois, c'est le ministère provincial des Services communautaires qui s'occupe des programmes d'aide sociale. Il y a eu un échange de services, et les municipalités ont continué de payer pendant cinq autres années, mais nous ne nous occupons plus directement de la prestation de services sociaux depuis cette date. Je sais que les niveaux de services offerts ont changé. Toutefois, je n'ai pas de données à jour là-dessus.
Pour ce qui est des impôts impayés, à titre d'exemple, le comté d'Annapolis gère plus de 20 000 comptes de taxes. Il y a, en tout temps, entre 300 et 350 comptes qui font l'objet d'arrangements de paiements pour éviter que les propriétés ne soient vendues pour non-paiement d'impôt. Nous procédons à des ventes tous les ans. Il y a au départ entre 20 et 25 propriétés sur la liste, mais lorsque la vente est sur le point d'avoir lieu, il n'en reste plus qu'entre huit et douze. Bon nombre des propriétés vendues peuvent, par exemple, appartenir à des personnes inconnues.
Toutefois, il est arrivé que des gens perdent leurs propriétés, ce qui est très malheureux.
M. Newton : La réserve de la Première nation de Bear River se trouve à la limite des comtés d'Annapolis et de Digby. Elle compte un nombre assez important d'habitants et celui-ci augmente rapidement, en tout cas plus vite que dans les autres collectivités. Il y a également plusieurs membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur de la réserve, dans leurs propres maisons, à l'intérieur du comté et des villes. Ils participent à la vie sociale et paient leurs impôts comme tous les autres.
Concernant les banques d'alimentation, il y en a trois dans le comté d'Annapolis : une à Annapolis Royal, une à Bridgetown et une autre qui dessert la région de Middleton, laquelle englobe Nictaux, une collectivité rurale éloignée. Les banques d'alimentation sont de plus en plus sollicitées depuis quelques années.
Les collectivités rurales de la Nouvelle-Écosse, y compris la nôtre, comptent beaucoup de travailleurs à faible revenu. Ils s'occupent de leur maison; ils ne la chauffent peut-être pas toujours comme ils le voudraient. Ils ne paient peut-être pas toujours à temps leurs factures d'électricité et de téléphone — parfois, ils n'ont pas de téléphone. Ils ne possèdent peut-être pas de voiture, mais ils travaillent. Ils essaient tant bien que mal de maintenir leur mode de vie et ont recours, au besoin, à la banque d'alimentation. Ce sont des gens fiers. Il faut les féliciter, car ils essaient de préserver leur niveau de vie.
Le sénateur Mahovlich : Il y a un sujet qui n'a pas été abordé, et c'est la criminalité. La pauvreté et la criminalité vont souvent de pair. Monsieur Kinsella, vous avez travaillé à Windsor, en Ontario. J'ai travaillé pendant trois ans à Détroit, une ville qui affiche un des taux de criminalité les plus élevés au monde. La Californie consacre deux fois plus d'argent aux établissements carcéraux qu'aux universités. Personne n'a parlé de la criminalité dans cette région.
Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?
M. Kinsella : Je peux vous parler de la ville d'Annapolis Royal. Nous avons 2,58 policiers qui desservent 535 habitants. Nous avons un taux de criminalité qui fait l'envie des autres.
Annapolis Royal, tout comme Bridgetown et Middleton, est un centre situé à l'intérieur du comté. L'évaluation foncière y est très élevée. Il n'y a pas beaucoup de logements locatifs au sein de la collectivité. La plupart des crimes commis sont mineurs — par exemple, des actes de vandalisme. Les jeunes vont au cinéma, traînent avec leurs amis jusqu'aux petites heures du matin, commettent des actes de vandalisme, ou encore achètent de la drogue dans le stationnement. Voilà le genre de crimes auxquels nous sommes confrontés. Le taux de criminalité est très faible.
Comme je l'ai indiqué, les gens s'installent, par choix, à Annapolis Royal parce que nous avons un très faible taux de criminalité. Plus du tiers de la population vient de l'extérieur : des gens qui ont vécu ailleurs ou encore qui sont originaires de la Nouvelle-Écosse et qui reviennent s'installer ici. C'est un endroit fort attrayant où il fait bon vivre. Le taux de criminalité y est très faible.
M. Newton : Le fait que notre collectivité soit sécuritaire ajoute à notre qualité de vie. La GRC fournit des services de police au comté d'Annapolis, de même qu'aux villes de Bridgetown et de Middleton.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il un établissement carcéral dans la province?
M. Newton : Non. Il y a un centre de détention à Lower Sackville, si je ne m'abuse, et un centre de détention pour les jeunes à Waterville. Il y a également une prison pour femmes à Truro. Il y a certaines installations.
Le taux de criminalité, d'après les rapports de la GRC, n'a pas beaucoup fluctué ces dernières années. On a observé différents types d'activités, parfois concernant la drogue. Des invasions de domicile, entre autres, ont été enregistrées dans de nombreuses autres localités, mais les chiffres restent peu élevés. Les gens s'installent ici parce qu'ils aiment la qualité de vie que nous offrons.
M. Robichaud : Nous représentons une région rurale et agricole qui englobe d'importantes superficies de terres forestières. De grands champs de marijuana ont été découverts. On ne peut pas dire que la drogue ne constitue pas un problème. En fait, il y a des gens venus d'ailleurs au Canada qui s'installent ici parce que c'est une région tranquille, éloignée. Certaines exploitations agricoles de South Mountain ont fait l'objet de grosses saisies de drogues. Toutefois, ce n'est pas quelque chose qui se produit tous les jours.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de canotage, mais l'image qui me vient le plus souvent à l'esprit quand je pense à la Nouvelle-Écosse, c'est celle de la voile. Avez-vous des écoles de voile?
M. Robichaud : En fait, c'est le genre d'expérience touristique que l'on pourrait sans doute mettre à profit. Tous les étés, à Cornwallis, le centre de conférence du bassin d'Annapolis organise le camp de cadets Acadia pour l'ensemble des provinces de l'Atlantique. Des cours de voile sont offerts aux cadets de la marine dans le bassin d'Annapolis. À ma connaissance, c'est le seul cours qui est donné.
Le président : Je tiens à remercier les témoins. Cet échange de vues constitue un bon point de départ.
Le deuxième groupe de témoins est composé de Darren MacLeod, avocat directeur du Service d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse qui travaille à Annapolis Royal; Pauline Raven, agrégée de recherche auprès du Centre canadien de politiques alternatives; et Jonathan McClelland, directeur de West Nova Agro Commodities Ltd., un silo-élévateur local de petite envergure, et agent de développement des entreprises auprès du Nova Scotia Co-operative Council. Nous sommes heureux de vous accueillir.
Pauline Raven, agrégée de recherche, Centre canadien de politiques alternatives : J'ai distribué un résumé de quatre pages des sujets que je compte aborder aujourd'hui, mais je n'en ferai pas la lecture, pour gagner du temps.
Je suis heureuse de vous rencontrer. J'ai eu l'occasion de lire votre rapport intérimaire. Le contenu, dans l'ensemble, est très positif. Toutefois, je suis contre l'idée d'apprivoiser les tendances qui ont un impact fort négatif sur le milieu rural de la Nouvelle-Écosse, et surtout les pauvres de la province. Nous devons renverser et non apprivoiser ces tendances, parce qu'elles ne nous dirigerons jamais dans la bonne voie. Autrement, le rapport intérimaire constitue un bon point de départ en ce qu'il devrait nous permettre de définir les mesures que nous pouvons prendre pour venir en aide aux régions rurales pauvres de la Nouvelle-Écosse et du Canada.
Depuis 20-25 ans, je consacre le gros de mes efforts à la défense des droits des femmes à faible revenu et de leurs enfants. Mes constatations, même si elles portent essentiellement sur les enfants, peuvent s'insérer dans un contexte plus vaste.
Je voudrais parler brièvement des points qui ont été abordés par le groupe Campagne 2000, qui s'intéresse à la pauvreté chez les enfants au Canada. Bien que des promesses aient été faites pour enrayer la pauvreté, nous devons insister sur l'urgence de la situation et nous attaquer au problème. C'est quelque chose que vous pouvez faire en tant que comité : sensibiliser les Canadiens au fait que nous avons un défi très important à relever et que nous devons nous y mettre. Nous devons fixer un échéancier. Nous devons veiller à ce que dans ce pays incroyablement riche, les enfants ne débutent pas leur vie dans l'inégalité.
J'aimerais vous faire part d'une anecdote. Il y a environ dix ans — et je ne l'ai jamais oublié —, la petite fille d'une amie est revenue à la maison, à la fin de la première journée d'école, et a dit à sa mère, « Maman, je ne veux plus porter ce pantalon. » Sa mère lui a répondu, « C'est un beau pantalon, très chaud, qui résiste à l'usure. » C'était un pantalon en velours côtelé muni d'une doublure. « Non, maman, » a-t-elle dit, « c'est le genre de pantalon que portent les assistés sociaux. » C'était l'expérience qu'avait vécue une petite fille de cinq ans, le premier jour d'école. Dans les régions rurales du Canada, l'inclusion sociale est une réalité avec laquelle doivent composer les enfants. Elle a un effet durable. Nous devons nous attaquer à ce problème. Nous devons faire en sorte que les enfants sont traités de manière plus égale, qu'ils sont encadrés et intégrés de manière générale dans la société, qu'ils ne sont pas confrontés, dès le départ, aux écarts qui séparent les riches des pauvres — les régions urbaines et rurales, ou les familles qui ont un revenu disponible plus élevé et les familles qui ne peuvent payer la facture de chauffage. Nous devons faire quelque chose pour remédier à la situation.
Campagne 2000 va bientôt publier un document d'orientation qui examine quatre facteurs déterminants. Nous devons venir en aide aux enfants, qu'ils vivent en milieu urbain ou rural. Nous devons créer des emplois viables. Nous ne pouvons pas avoir des familles où parfois les deux parents travaillent qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Il nous faut des emplois viables. Nous devons également offrir des programmes de sécurité du revenu aux personnes handicapées.
Les témoins précédents ont parlé des taux d'assistance sociale qui fluctuent. Bien sûr qu'ils fluctuent, sauf qu'ils affichent une tendance à la baisse. Les gens se portaient beaucoup mieux au cours des décennies antérieures. Nous devons mettre sur pied des programmes de sécurité du revenu, notamment pour les personnes handicapées. Nous devons mettre sur pied des programmes d'aide transitoire pour les adultes qui se retrouvent parfois au chômage. Nous avons besoin de mesures de soutien efficaces pour éviter que les gens ne se retrouvent dans une situation dont ils pourront difficilement se sortir.
Nous devons mettre en place des programmes d'apprentissage qui sont accessibles à tous. Certains ont mentionné les programmes de services de garde pour enfants, mais cela ne suffit pas. Les Canadiens, qu'ils vivent en milieu rural ou ailleurs, doivent avoir accès à des possibilités d'apprentissage, et ce, dès la naissance. Nous devons appliquer des normes de scolarité qui permettent aux gens de trouver des emplois décents. Ceux-ci doivent également avoir l'occasion de se perfectionner au fur et à mesure qu'ils passent d'un emploi à un autre.
J'aimerais maintenant vous parler des collectivités rurales. Les mesures que j'ai décrites jusqu'ici s'appliquent à tous les Canadiens, peu importe où ils vivent. Nous devons agir sur ce front.
Je connais un peu le secteur agricole. Trois membres de ma famille ont travaillé dans ce milieu, un milieu qui a connu beaucoup de changements au cours des trois dernières décennies. La collectivité agricole locale n'a jamais été aussi instable. Cette situation est due au fait que les agriculteurs locaux doivent livrer concurrence sur le marché mondial. En tant que contribuable, j'assume une bonne part des coûts liés aux produits de piètre qualité qui arrivent sur le marché et qui se vendent moins cher que les produits locaux. Nous assurons l'entretien des routes pour que les pommes cultivées dans l'État de Washington puissent être vendues dans la vallée d'Annapolis. Pendant ce temps-là, les pommes que nous cultivons ici sont entreposées dans des chambres froides et demeurent invendues.
Nous parlons beaucoup de changements climatiques. Nous acheminons divers produits vers des endroits qui en ont déjà, sous prétexte qu'il n'y a pas suffisamment de produits dans une région pour approvisionner tous les supermarchés des Maritimes. Voilà le genre de tendances que nous devons remettre en question. Nous devons nous opposer à celles- ci, dire que ce n'est pas acceptable. Nous devons trouver des moyens d'appuyer les marchés locaux pour que les producteurs puissent vendre leurs produits ici, localement, et cesser de transporter des produits sur de longues distances au Canada. Autrement, les exploitations agricoles vont disparaître.
Les terres agricoles à Wolfville, d'où je viens, Greenwich et Northeast Kings sont en train d'être rezonées à des fins de développement. Les gens reviennent s'installer ici, à la retraite. Ils veulent vivre dans de belles agglomérations rurales. Étant donné la nature instable des activités agricoles, les agriculteurs veulent faire rezoner leurs terres, les vendre aux gens qui sont prêts à y construire des maisons avec l'argent qu'ils ont gagné en Ontario, en Alberta ou là où ils passé leurs années les plus productives. Nous devons trouver des moyens de protéger non seulement l'agriculteur mais également nos terres, car nous allons avoir besoin de celles-ci dans les années à venir.
Les gouvernements peuvent faire beaucoup pour décentraliser les emplois. Nous possédons maintenant d'excellents systèmes de transfert des données. Il n'est plus nécessaire de garder les dossiers dans des classeurs; ils peuvent être conservés dans des fichiers plus conviviaux et transférables. Les frais de communication sont aujourd'hui beaucoup moins élevés. Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas un plus grand nombre d'emplois fédéraux dans les régions rurales du Canada. Il n'est pas nécessaire que tous les postes soient situés à Toronto, à Ottawa, ou encore à Halifax, c'est-à-dire dans les grands centres. Bon nombre de ces emplois pourraient être transférés dans les régions rurales. Il y a des centres d'appels qui s'installent dans les régions rurales, mais pas de bureaux du gouvernement. Or, cela pourrait se faire très rapidement. Une telle démarche aurait également un impact énorme sur l'emploi dans les collectivités rurales de la Nouvelle-Écosse et d'ailleurs.
Nous avons parlé de l'amélioration des infrastructures. L'accès au service Internet haute vitesse constitue depuis longtemps un problème pour les Canadiens qui vivent en milieu rural. J'ai accès à ce service, parce que je me trouve dans le corridor principal situé entre l'Université Acadia et l'hôpital régional de la vallée d'Annapolis. Je n'ai aucun problème de ce côté-là. Dix kilomètres plus loin, où habitent mes amis, la connexion à Internet peut uniquement se faire par satellite, ce qui coûte très cher. Ce sont de petits entrepreneurs. Je suis certaine que cela a un effet dissuasif sur les nombreuses autres personnes qui seraient prêtes à créer une entreprise à domicile si elles avaient accès à l'Internet.
Le transport public — les témoins précédents en ont parlé. En ce qui concerne les familles, et surtout les familles avec enfants, elles doivent avoir accès à un réseau de transport public plus souple. Quand on habite dans une ville, il est facile de laisser les enfants dans un centre de jour et ensuite de prendre un autre autobus, 10 minutes plus tard. Dans les collectivités rurales, l'autobus suivant ne passe que l'après-midi. On peut difficilement arriver au travail à 9 heures, dans ces cas-là. Il faut trouver des moyens plus flexibles et plus novateurs de fournir du transport aux Canadiens qui vivent en milieu rural.
Voilà les principaux points que je voulais aborder. Je répondrai volontiers plus tard à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre M. Darren MacLeod.
Darren MacLeod, avocat directeur, Service d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse, Bureau d'Annapolis Royal : Je vais, moi aussi, être bref. Ce n'est pas un de mes points forts, mais je vais faire de mon mieux. Je suis un avocat et un Cap- Bretonnais — ce qui représente un double danger.
J'ai rencontré Mme Raven il y a une dizaine de minutes de cela, mais vous allez avoir l'impression que nous avons collaboré ensemble, ce qui n'est pas le cas.
Je suis l'un de ceux qui a eu la chance de grandir dans un milieu rural, dans une collectivité qui regroupe des pêcheurs et des agriculteurs sur l'île du Cap-Breton. Plus important encore, j'ai eu la chance de gagner ma vie, de pratiquer mon métier et d'élever mes enfants dans une ville comme Annapolis Royal, qui est une ville typique des régions rurales du Canada.
Comme on l'a indiqué, je dirige le Service d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse. Le bureau, qui est situé à Annapolis, dessert les comtés d'Annapolis et de Digby. Les témoins précédents vous ont beaucoup parlé de ces deux comtés, de leur population, ainsi de suite. La nature de mon travail me permet de confirmer que la pauvreté rurale est un fait bien réel. Au cours de la dernière année, environ 700 dossiers ont été ouverts, ce qui est beaucoup, compte tenu du faible nombre d'habitants que compte la région.
J'ai quelques préoccupations concernant le financement par le gouvernement fédéral. En raison d'un manque de fonds, notre bureau ne peut offrir de l'aide juridique que dans les causes de droit pénal où il y a risque d'incarcération ainsi que dans les dossiers de droit de la famille où des questions importantes doivent être réglées relativement aux enfants. Dans la plupart des régions du pays, et en Nouvelle-Écosse tout particulièrement, si vous êtes pauvre et avez une affaire juridique d'un autre ordre à régler, vous devrez vous débrouiller sans l'aide d'un avocat. Ce sera notamment le cas pour un appel du Régime de pensions du Canada, de l'assurance-emploi ou de l'aide sociale, un différend entre propriétaire et locataire ou entre débiteur et créancier, et le partage des biens au moment d'une séparation lorsqu'il n'y a pas d'enfant en cause. C'est un problème important pour les pauvres, tant en région rurale qu'en milieu urbain.
À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral ne nous fournit aucun financement pour l'aide juridique dans les causes en matière civile ou de droits de la famille. On ne verse des fonds que pour les affaires de droit pénal et la province doit assumer les frais dans tous les autres cas. Notre financement a diminué au cours des dix dernières années. Si je soulève la question, c'est uniquement en raison des répercussions de cette situation sur les pauvres des régions rurales.
Par ailleurs, il y a deux grandes questions à régler, deux vastes champs d'intervention au cœur du débat. Il faut d'abord mettre des mesures en place pour réduire la pauvreté dès maintenant. Il faut en outre établir des stratégies de développement économique pour assurer la survie du Canada rural.
Mme Raven a déjà traité de bon nombre des sujets que je voulais aborder. Il n'est guère difficile de faire valoir que nous devrions améliorer la gamme des services sociaux qui sont accessibles aux personnes pauvres en milieu rural. Mais les gens vont sans cesse vous demander où vous allez prendre cet argent. Il faut d'abord et avant tout convenir de modifier le Transfert social canadien, qui assure aux provinces un financement global considérable au titre des programmes d'aide sociale.
Jusqu'en 1996, nous pouvions compter sur le Régime d'assistance publique du Canada où des fonds étaient versés aux provinces aux fins de l'aide sociale, sous réserve de certaines conditions, à l'instar de la Loi canadienne sur la santé. On vous disait : « Voici l'argent, mais vous devez l'utiliser de telle ou telle manière. » Le Transfert social canadien n'est pas assorti de telles conditions : « Vous prenez cette somme considérable et, nous vous en prions, utilisez-la pour les programmes d'aide sociale, mais personne ne va vérifier. » Cette façon de faire a notamment retenu l'attention du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies qui a critiqué la formule canadienne. Le changement le plus important que vous pouviez apporter consisterait à modifier le Transfert social canadien en y adjoignant certaines conditions contraignant les provinces à utiliser ces sommes pour les programmes d'aide sociale. Je dirais même que c'est une obligation en matière de droits de la personne.
À quelles fins pourrait-on affecter le financement? Pauline a répondu en grande partie à cette question. Il faut un régime d'aide sociale adéquat, ainsi que des services de garde et des centres préscolaires subventionnés de qualité de telle sorte que les gens puissent se permettre de travailler ou de parfaire leur formation. Il faut qu'il y ait coordination entre les ministères, ceux de l'éducation, des services communautaires et de la santé, pour que les enfants, surtout ceux des familles démunies, bénéficient de programmes de déjeuner, de lunch, voire d'activités parascolaires. Le salaire minimum doit être haussé. Il faut cesser de récupérer des sommes auprès des petits salariés et de leur imposer des pénalités à payer. Comme je l'ai déjà indiqué, je crois que les ressources financières sont suffisantes à cette fin.
J'aimerais parler un peu de développement économique, tout en espérant qu'on ne me posera pas de questions trop pointues à ce sujet étant donné que je pratique surtout le droit pénal. Comment pouvons-nous aider les gens à demeurer dans les régions rurales du Canada, si telle est leur volonté? Il y a tout de même certaines personnes qui voudront partir — surtout les jeunes — car l'herbe est toujours plus verte chez le voisin. Cependant, beaucoup de gens voudraient rester, mais en sont incapables.
Selon moi, les régions urbaines du pays ont besoin des régions rurales. L'eau potable en est un exemple parfait. Où allez-vous la trouver si ce n'est en milieu rural?
En outre, j'entrevois certaines possibilités pour les gens des régions rurales dans les domaines du changement climatique et de l'environnement. Des incitatifs devraient être offerts pour que des industries environnementales s'installent en milieu rural, que ce soit pour la production de biocarburants, d'énergie solaire, ou — lorsqu'on pense à la baie de Fundy tout près d'ici qui a les marées les plus fortes au monde — d'énergie marémotrice, de recyclage et de compostage. Ce sont autant d'activités qui sont nécessaires pour notre avenir et j'estime qu'on devrait cibler à cette fin le Canada rural et offrir des mesures incitatives en conséquence.
On devrait également prévoir des mécanismes pour inciter les gens à faire leurs achats dans les régions rurales avoisinantes. J'ai la chance de vivre ici et je peux récolter mes propres choux-fleurs en été; sinon, je dois manger des choux-fleurs qui viennent de la Californie. Il faut bien admettre qu'à cette période-ci de l'année, il n'y a pas grand- chose qui pousse dans le Canada rural. Quoi qu'il en soit, nous importons des denrées alimentaires. Pensez au coût du transport par camion et à toutes les répercussions que cela entraîne. Je ne sais pas si j'ai la solution. C'est pour ainsi dire une idée que je lance sur la table. Pourquoi consommons-nous des pommes du Chili ou des raisons d'Argentine ou toute autre denrée de cette nature, surtout ici dans la vallée de l'Annapolis, qui est l'une des régions les plus fertiles au Canada, et certainement la plus fertile de la Nouvelle-Écosse?
Il faudrait offrir des incitatifs aux gens pour qu'ils se livrent aux activités traditionnelles comme l'agriculture, l'exploitation forestière et la pêche d'une manière plus écologique. Si quelqu'un est en mesure de gérer adéquatement des terres à bois, il devrait exister des mécanismes pour l'inciter à s'en charger, plutôt que de laisser de grandes compagnies venir raser complètement ces terres en faisant de tels dégâts que rien ne pourra plus y pousser, avant d'aller faire la même chose dans une autre région du pays.
Je voulais également parler de la décentralisation des services gouvernementaux. Comme j'ai maintenu des liens étroits avec l'île du Cap-Breton — comme je l'ai indiqué, ma famille y vit toujours — je crois que le déménagement des bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada à Sydney est le meilleur exemple que je puisse vous donner. Je sais que l'impact est considérable pour l'économie de cette région. Comme Mme Raven l'a fait valoir, les moyens technologiques dont nous disposons maintenant facilitent grandement la décentralisation.
J'en resterai là pour mes observations préliminaires. Merci.
La présidente : Merci.
Nous écoutons maintenant M. Jonathan McClelland.
Jonathan McClelland, agent de développement des entreprises (région de l'Ouest), Nova Scotia Co-operative Council : Je vous remercie de m'accorder le privilège de présenter cet exposé à votre comité. Je vais m'attarder principalement aux questions touchant l'agriculture lesquelles sont, bien évidemment, au cœur de la vie rurale au Canada.
Parmi les grands problèmes qui touchent l'agriculture, on note le regroupement des marchés, le déclin des infrastructures et l'accroissement des dépenses. Je vais également vous souligner quelques enjeux et possibilités d'ordre stratégique.
Notre région a été le premier grenier du Canada. La première récolte de grain a été effectuée ici il y a environ 400 ans et la vallée de l'Annapolis est demeurée depuis une région agricole très importante. De Digby jusqu'au comté de Hants, la valeur à la ferme des produits agricoles vendus atteint environ 200 millions de dollars. La région figure parmi les secteurs agricoles les plus diversifiés au pays et offre des milliers d'emplois dans la transformation des denrées agricoles.
L'un des principaux problèmes que je constate est le manque de concurrence. Deux chaînes d'alimentation se partagent plus de 80 p. 100 — on se rapproche peut-être de 90 p. 100 actuellement — du marché du Canada atlantique. Il est impossible d'obtenir de bons prix pour nos produits dans un tel contexte. De fait, il arrive souvent qu'on ne puisse même pas signer une entente écrite lorsqu'on récolte des produits pour ces chaînes. Si elles peuvent remplacer nos produits par ceux du Chili ou de la Californie, elles nous demandent d'offrir les nôtres au même prix, sinon nous perdons le marché.
On a assisté à un regroupement des activités dans l'industrie de la transformation et le même phénomène s'est produit chez les fournisseurs d'intrants agricoles; d'un côté comme de l'autre, les agriculteurs sont maintenant des preneurs de prix et sont exclus du processus d'établissement de ces prix.
L'infrastructure pose également un problème de taille. Nous sommes confrontés à une éventuelle fermeture de différents centres de recherche en agriculture. Par exemple, le Nappan Agricultural Research Centre de Amherst joue un rôle essentiel pour notre industrie bovine, parce que nous n'avons pas de parcs d'engraissement comme en Alberta. Les recherches effectuées en Alberta donnent de bons résultats pour ce type d'élevage, mais ne sont pas applicables pour une région dont l'agriculture est basée sur la production fourragère.
En outre, lorsque des chercheurs meurent ou prennent leur retraite, il n'est pas rare qu'on ne les remplace pas. Il y a environ un an, 27 p. 100 des postes de recherche à Charlottetown étaient vacants. Bon nombre des nouveaux scientifiques qui sont embauchés sont affectés à des initiatives concernant les alicaments et les produits pharmaceutiques. Ces questions sont importantes, mais si vous disposez de la même quantité de fonds et que vous en allouez davantage à ces éléments, il en restera moins pour la recherche primaire. Autre phénomène que nous observons, un grand nombre d'usines de transformation de la région sont achetées en vue d'un regroupement des activités ailleurs.
Il y a également des problèmes au chapitre des infrastructures de transport comme les routes et les chemins de fer. Nous avons perdu plusieurs lignes ferroviaires sur courtes distances, ce qui a contribué grandement à la détérioration de notre réseau routier, un facteur qui n'est pas pris en compte dans l'analyse économique. On menace d'interrompre le service de traversier entre Digby et Saint-John. L'interruption a été reportée, mais la situation demeure inquiétante compte tenu de l'importance de ce service pour notre région. Les services d'appoint ont également été réduits.
Parallèlement à cela, les coûts connaissent des hausses vertigineuses. Dans les années 1970 aux États-Unis, les économistes agricoles ont calculé que les coûts des intrants avaient connu une augmentation correspondant à 1,4 fois le taux national d'inflation. Les agriculteurs achètent des tracteurs et du carburant — c'est un secteur qui exige d'importants investissements — et ces biens figurent parmi les plus touchés par l'inflation. Encore là, ce sont les exploitants agricoles qui doivent absorber une bonne partie de ces hausses sans qu'il leur soit possible de récupérer ces sommes sur le marché.
Certains ont fait valoir que l'agriculture se classait plutôt bas dans la liste des priorités gouvernementales et qu'elle n'avait pas droit à une attention suffisante. Cela est partiellement dû au fait que lorsqu'un agriculteur fait faillite, ou lorsque 100 agriculteurs font faillite, c'est seulement deux fermes par semaine qui disparaissent. Cela ne donne pas des manchettes aussi spectaculaires qu'une fermeture d'usine par Chrysler qui met 2 000 personnes au chômage. L'agriculture échappe à l'écran radar sous bien des aspects.
Je dirais que l'on ne se livre pas assez fréquemment à un exercice global d'évaluation stratégique. Nous nous retrouvons ainsi avec un tas de programmes spéciaux qui en viennent souvent à se contrecarrer les uns les autres.
Les programmes d'aide en cas de catastrophe sont axés sur les exploitations se livrant à la monoculture. Dans les Maritimes, il y a un grand nombre de fermes où l'on peut récolter à la fois certains fruits et certains légumes, faire un peu d'élevage de bovins, et produire du grain et du lait. Lorsqu'une catastrophe se produit, ces agriculteurs ne bénéficient pas vraiment des programmes d'aide, contrairement à ceux qui se concentrent sur un seul type de culture.
Un autre problème vient de la structure de financement fédéral-provincial qui consiste actuellement en un partage 60/40. Lorsqu'un nouveau programme est mis en œuvre, le Québec investit son 40 p. 100 et obtient le financement en contrepartie. D'autres provinces font de même, mais ce n'est généralement pas le cas des provinces maritimes, ce qui crée une forte disparité quant au niveau de soutien financier.
Par ailleurs, les industries primaires sont souvent considérées comme des secteurs en déclin et on est peut-être porté davantage à investir dans les nouvelles activités, au détriment de ces secteurs.
Les subsides versés à l'étranger font baisser les prix sur les marchés mondiaux et nous ne pouvons pas soutenir la concurrence de l'Union européenne ou des États-Unis qui consentent de tels subsides, ce qui cause des difficultés majeures aux agriculteurs canadiens. J'estime essentiel de maintenir la politique de gestion des approvisionnements en raison de l'absence de concurrence dans les secteurs de la transformation et de la vente au détail. Il y a un secteur où il existe une certaine forme d'égalité des pouvoirs. La Commission canadienne du blé permet en effet au Canada d'établir des prix pour le blé sur les marchés mondiaux, une possibilité que je juge importante.
Le financement est également problématique, car on assiste à un exode des capitaux. C'est un problème qui perdure depuis la Confédération. En Nouvelle-Écosse, 600 millions de dollars sont investis annuellement dans des fonds mutuels pour se retrouver à Bay Street, et seulement 2 p. 100 de ces sommes reviennent dans la province. Si tout cet argent était rapatrié chez nous, cela équivaudrait à un nouveau projet de sable bitumineux à chaque année. Cela aurait un tel effet sur notre économie. J'imagine que la situation est la même dans le reste du Canada atlantique, dans les Prairies et dans le nord de l'Ontario. L'argent est investi ailleurs et une très faible proportion revient dans la région. Ce phénomène réduit d'autant l'accès au capital de risque et aux fonds nécessaires pour les investissements locaux et, par le fait même, pour la modernisation des usines et les infrastructures locales.
Nous vivons actuellement une période de crise. Je sais qu'on peut avoir l'impression qu'il y a toujours un secteur qui vit des problèmes semblables, mais la situation est telle que même les agriculteurs les plus performants éprouvent des difficultés — et de véritables difficultés. Leur niveau d'endettement augmente avec l'âge, un phénomène qu'on ne peut observer dans aucun autre secteur de la société. En Nouvelle-Écosse, le niveau d'endettement des agriculteurs a augmenté de 238 p. 100 entre 1995 et 2005. En 2002 et 2003, le revenu agricole net était négatif. En moyenne, les agriculteurs, considérés dans leur ensemble, perdaient de l'argent.
Nous avons aussi un problème avec notre industrie de la transformation. On regroupe des activités à l'extérieur de la région. Les trois exemples que je donne dans mon mémoire — l'usine de transformation des pois et haricots, l'abattoir de volaille et probablement notre usine de transformation du porc — comptent pour environ un millier d'emplois dans la vallée de l'Annapolis. C'est énorme, mais cela ne tient même pas compte des répercussions sur les exploitations agricoles elles-mêmes. On parle seulement des emplois dans les usines en question.
Parmi les possibilités que j'envisage, il faudrait notamment accroître le financement pour la recherche et le développement. Par exemple, Hans Nass, un chercheur établi à Charlottetown, avait conçu plusieurs excellentes variétés de blé bien adaptées à notre climat. Il est décédé et je ne sais pas si on lui a trouvé un remplaçant. C'est grâce à des contributions de la sorte qu'on peut maintenir le dynamisme du secteur agricole.
Il faut que les usines de transformation et les infrastructures appartiennent à des intérêts locaux. Je proposerais que l'augmentation du financement des infrastructures municipales soit assujettie, par exemple, à la nécessité pour les municipalités de renoncer aux impôts fonciers pour les compagnies ferroviaires. C'est un petit coup de pouce qui pourrait aider certaines petites lignes ferroviaires à demeurer en opération. Nous avons souffert de la perte de bon nombre de ces services en Nouvelle-Écosse, comme ce fut le cas dans les Prairies et dans d'autres régions également.
Le capital de risque est important. La Banque de développement du Canada et Innovacorp, une agence provinciale, ont contribué grandement à faciliter l'accès à ce capital en Nouvelle-Écosse au cours des cinq dernières années.
La Nouvelle-Écosse a instauré le Fonds d'investissement dans le développement économique des collectivités qui octroie d'importants crédits d'impôt ainsi que des déductions fiscales liées aux REER pour les gens qui réinvestissent dans le développement économique local. C'est un modèle qui produit de bons résultats et qu'il convient d'explorer davantage.
Les biocarburants et les sources d'énergie de remplacement offrent d'intéressantes possibilités de croissance. Les agriculteurs sont propriétaires des fonds de terrain et d'une bonne quantité des ressources nécessaires à cette fin. Si Financement agricole Canada accordait des prêts à faible taux d'intérêt pour l'achat d'une éolienne ou la réalisation de quelques-unes de ces activités à valeur ajoutée, avec le gouvernement qui défraierait 3 p. 100 des 4 p. 100 d'intérêts, cela pourrait susciter des investissements considérables.
Les initiatives écologiques bénéficient grandement à l'économie locale. Le groupe que je dirige, West Nova Agro Commodities, est un bon exemple de prise en charge par la communauté. Il a été mis sur pied en 2000 pour offrir des installations de manutention des grains aux agriculteurs de l'ouest de la vallée de l'Annapolis. Il y a environ 90 propriétaires locaux — dont la moitié viennent de l'extérieur de l'agriculture — ce qui permet le contrôle du produit pendant une étape supplémentaire à l'extérieur de la ferme. C'est un mécanisme de mise en marché. Nous nous sommes tournés vers l'exportation du foin et en avons fait jusqu'à ce qu'un concurrent verse des subsides trop élevés. Nous nous penchons actuellement sur des études de faisabilité concernant les biocarburants — un secteur rempli de promesses.
Je vais terminer rapidement avec quelques points que j'estime primordiaux. Le projet de loi C 257, actuellement à l'étude par le Parlement, relativement à l'embauche de travailleurs de remplacement dans l'industrie du transport du grain revêt une importance capitale. Si nos trains ne peuvent plus circuler, nous allons vraiment en ressentir les contrecoups. La question de l'immigration en milieu rural est également de toute première importance.
La présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
Le sénateur Mercer : Madame Raven, vous avez parlé de familles qui n'étaient pas capables de payer leurs factures de chauffage. Qu'advient-il de ces familles avec les températures que nous connaissons ici?
Mme Raven : En Nouvelle-Écosse, nous pouvons compter sur un secteur caritatif très généreux, parfois trop, qui est toujours prêt à intervenir pour combler les lacunes dont les gouvernements devraient, selon moi, s'occuper. Ces familles essaient de s'arranger. Elles peuvent s'adresser à une banque alimentaire, ce qui leur permet de mettre un peu d'argent de côté pour le chauffage ou le téléphone, par exemple. Ces familles essaient de profiter de tous les services qui leur sont offerts. Certaines églises versent même une allocation pour le carburant aux familles, surtout lorsqu'elles en arrivent à un point où il ne leur semble plus possible de chauffer leur résidence. Les familles peuvent ainsi s'adresser à un certain nombre d'églises dans la vallée. Les Clubs Lions et Kiwanis offrent également de l'aide à cet égard. Les familles peuvent donc faire appel à certaines ressources, mais elles doivent, dans tous les cas, laisser leur dignité à la porte. Cette situation à un effet dévastateur sur le bien-être général des familles.
Le sénateur Mercer : Monsieur MacLeod, vous nous avez dit que votre bureau avait ouvert 700 nouveaux dossiers l'an dernier. Vous avez indiqué que vous ne vous occupiez que des causes pénales pouvant donner lieu à une incarcération et des affaires de droit de la famille où des enfants sont touchés. Comment les nouveaux dossiers se répartissent-ils entre ces deux catégories? Pour ce qui est des causes pénales pouvant résulter en une peine de prison, de quels genres de crimes parle-t-on? Nous avons déjà eu une question à ce sujet. J'aimerais que vous nous donniez un aperçu des types d'infractions criminelles sur lesquelles vous devez travailler.
M. MacLeod : Pour répondre à votre première question, je dirais qu'il y a à peu près 384 dossiers concernant un crime commis par un adulte, une cinquantaine de délinquance juvénile et quelque 207 touchant les affaires de la famille. On n'arrive pas tout à fait au total exact, mais vous pouvez constater que les affaires pénales impliquant un adulte dominent largement. Les programmes de justice réparatrice et d'autres mesures du même type ont contribué grandement à réduire le nombre d'affaires pénales mettant en cause des jeunes. Malheureusement, ceux que nous avons encore à traiter sont peut-être plus graves qu'auparavant.
J'ai écouté avec intérêt le dernier groupe de témoins. En Nouvelle-Écosse, nous avons un pénitencier fédéral à Springhill ainsi que trois centres correctionnels à temps plein : un sur l'île du Cap-Breton, un à Burnside dans la région de Dartmouth, et un à Yarmouth, à l'extrémité sud-ouest de la province. Nous avons également un établissement de détention pour les jeunes. Le pénitencier fédéral de Springhill travaille en coordination avec celui du Nouveau- Brunswick, selon le niveau de sécurité requis. Le pénitencier de Springhill est un établissement à sécurité moyenne.
J'ai noté, et je suis d'accord sur ce point avec le maire, que la ville d'Annapolis Royal a un faible taux de criminalité. Il est en fait à peu près inexistant si on le compare à d'autres régions du pays et même, je suppose, à d'autres comtés. Je n'ai pas de statistiques avec moi — cela fait partie de mes activités quotidiennes — mais le taux de criminalité semble être à la hausse et les crimes commis sont malheureusement de plus en plus graves. Au cours de la dernière année, nous avons traité toute la gamme des crimes imaginables, du plus grave prévu au Code criminel jusqu'aux simples infractions contre les biens.
Le sénateur Gustafson : Si nous avions tenu une réunion comme celle-ci il y a cinq ans, la salle aurait probablement été remplie d'agriculteurs. C'est du moins ce que l'on constate dans les Prairies. Les agriculteurs n'ont plus le cœur au combat; ils ne ripostent même plus. Depuis que nous avons débuté nos réunions à l'est du pays il y a trois ou quatre jours, nous n'avons entendu qu'un seul agriculteur. Est-ce que la situation est la même ici?
M. McClelland : Eh bien, il y a au moins deux agriculteurs dans la salle aujourd'hui. Je dois toutefois admettre que bien des fermiers essaient simplement de s'en tirer, de survivre. Ils ont perdu toute motivation. Bon nombre d'entre eux cherchent probablement une façon de quitter l'industrie, ce qu'ils feront si des changements significatifs ne sont pas apportés.
Le sénateur Gustafson : Qu'advient-il de leurs enfants lorsqu'ils atteignent l'âge de prendre la relève?
M. McClelland : À l'heure actuelle, ils sont nombreux à bouder l'industrie agricole. Certains choisissent l'agriculture, mais lorsqu'ils voient leurs parents connaître des difficultés —et c'est le cas pour tout le monde, pas seulement pour un ou deux —, ils se demandent pourquoi ils devraient s'imposer le même sort.
Le sénateur Gustafson : Lorsqu'un agriculteur de la région vend son grain, peut-il le vendre où il veut ou bien est-ce que le gouvernement lui dicte à quel endroit il doit le faire?
M. McClelland : Le fermier a le choix. Nous ne sommes pas une grande région productrice de grain. Nous sommes en fait des consommateurs nets de grain, alors il existe différents débouchés pour la vente, y compris les marchés d'exportation étant donné que nous ne faisons pas partie des Prairies.
Le sénateur Gustafson : Madame Raven, existe-t-il des zones d'extrême pauvreté dans les secteurs ruraux de la province?
Mme Raven : Je pense qu'il y en a. Lorsqu'il est question de la pauvreté en milieu rural et de l'agriculture, il faut également porter attention à la situation des travailleurs agricoles. Aux yeux du travailleur agricole, l'agriculteur est habituellement une personne très riche. En Nouvelle-Écosse, les travailleurs agricoles touchent souvent le salaire minimum, ou à peine un peu plus, et ont un emploi saisonnier. En outre, ils ne profitent pas de certains avantages comme l'indemnisation pour les accidents de travail. Alors, dans le secteur agricole, il faut songer non seulement aux agriculteurs, mais aussi à ces travailleurs agricoles qui sont souvent les plus pauvres parmi les pauvres.
Il existe une grande disparité entre les différentes zones. En vous déplaçant près de chez moi autour du mont Nord ou vers le mont Sud, vous pourrez voir des habitations et des signes de pauvreté véritablement ahurissants. Je parle ici de maisons qui sont à peine habitables, selon les normes les plus courantes. Il y a donc des gens extrêmement pauvres dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse. Bon nombre de ces gens ne sont pas bénéficiaires de l'aide sociale. Ils parviennent à se tirer d'affaire en gagnant quelques sous, à gauche et à droite. Ils vivent en marge de la société dans des logements qui ne leur coûtent presque rien, mais pas dans le genre de lieux où vous et moi voudrions habiter.
Il y a donc effectivement des poches d'extrême pauvreté un peu partout en Nouvelle-Écosse, que ce soit sur l'île du Cap-Breton ou ici dans la vallée près du mont Nord ou du mont Sud.
Le sénateur Gustafson : Il ne fait aucun doute que le gouvernement a vraiment négligé l'agriculture depuis 10 ou 15 ans. Le secteur a seulement eu droit à quelques miettes, pour sauver la face. Pour leur part, les agriculteurs américains ont connu leurs trois meilleures années de tous les temps, alors même que nous subissions nos trois pires.
Vous avez parlé de produits qui étaient importés des États-Unis. S'agit-il seulement de fruits, ou y a-t-il également des grains?
Mme Raven : Je parle à la fois en tant que consommatrice et que membre d'une famille d'agriculteurs — mes deux fils et mon époux ont, à une période de leur vie, travaillé dans le secteur agricole. Il y a bien sûr des denrées que nous ne pouvons pas produire à l'année longue; ce n'est certes pas dans la vallée d'Annapolis que l'on peut s'attendre à trouver du raisin en janvier ou en février. Cependant, un grand nombre de produits locaux n'arrivent pas à se tailler une bonne place sur le marché parce qu'il est impossible d'approvisionner en volume suffisant les grandes chaînes d'alimentation. Les agriculteurs s'en plaignent depuis une bonne vingtaine d'années et la situation ne fait que se détériorer. Si vous n'arrivez pas à récolter un produit très semblable qui pourra se retrouver sur les tablettes des Sobeys et des Atlantic Superstore dans toutes les provinces maritimes, on ne vous prendra pas votre produit. Ces chaînes achètent souvent en très grande quantité sur un autre marché, ce qui fait que même si vous parvenez à fournir le volume requis, on vous demandera souvent d'accepter un prix très très faible pour votre produit, ce qui rend impossible toute viabilité pour l'agriculteur. Le problème se répercute sur le travailleur agricole qui n'a plus d'emploi. En raison des marges bénéficiaires insuffisantes, l'agriculteur ne peut pas se permettre de verser les salaires qu'il souhaiterait payer à ses travailleurs agricoles.
La semaine dernière, il y avait dans le Chronicle Herald un article sur un petit groupe d'agriculteurs qui essaient de vendre directement leurs produits à l'industrie alimentaire à Halifax. On a parlé à une restauratrice qui a indiqué qu'elle faisait des achats régulièrement auprès de 80 fournisseurs différents. Elle a fait valoir que cela lui faisait beaucoup plus de travail, mais qu'elle obtenait de bien meilleurs produits; elle a établi de bonnes relations avec ces agriculteurs et elle compte poursuivre ses activités de cette manière. Il faut un certain courage et peut-être un peu plus d'efforts pour acheter des produits locaux, mais je peux vous assurer que vous allez obtenir un produit de très haute qualité si vous vous adressez à un agriculteur de la vallée d'Annapolis. Nos produits sont tout simplement extraordinaires. Allez dans un marché agricole et achetez une pomme, même à cette période-ci de l'année; je peux vous garantir que son goût sera cinq fois meilleur et qu'elle sera cinq fois plus bénéfique pour votre santé qu'une pomme importée de l'État de Washington. Nous devons en arriver à instaurer un système et une stratégie et à modifier les politiques applicables pour nous assurer de consommer ici les pommes que nous produisons nous-mêmes.
Ce qui me déplaît vraiment dans ce rapport, c'est que l'on semble accepter ces tendances qui se sont installées, et je ne crois pas qu'il devrait en être ainsi. Si nous baissons les bras, c'en est fini des régions rurales du Canada. Nous devons dicter les tendances, plutôt que de les subir.
Le sénateur Gustafson : L'assurance-emploi est un bon exemple. Les agriculteurs n'ont accès à aucune mesure en lieu et place de l'assurance-emploi. Je ne sais pas quelle est la situation ici, mais c'est bien le cas dans l'Ouest canadien. On a déjà essayé de faire valoir ce point. Même les pêcheurs de la région ont accès à l'assurance-emploi. Il va sans dire que la situation est différente, mais il n'y a rien pour remplacer ce soutien du revenu.
Mme Raven : En tant que Canadienne vivant en milieu rural, j'ai beaucoup de fierté et je ne crois pas que les agriculteurs veuillent recevoir de l'assurance-emploi. Ce qu'ils souhaitent, c'est une économie viable. Ils veulent travailler pour l'argent qu'ils empochent et je pense qu'il nous faut commencer à tenir compte des considérations de ce genre. Nous devons façonner nos politiques publiques et nos systèmes en fonction de nos propres valeurs, aller de l'avant et ne plus nous laisser dicter nos comportements par des facteurs que l'on nous dit constamment immuables parce qu'ils nous sont imposés par des intérêts trop gros ou trop puissants.
Nous formons une nation souveraine. Nous sommes conscients de l'immensité de notre pays et des grandes quantités de terres rurales et de ressources naturelles qu'il met à notre disposition. Je pense que nous devons commencer à en tirer toute la fierté et toute la prospérité possibles.
La présidente : Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais je me vois dans l'obligation de vous interrompre.
Le sénateur Peterson : Nous avons déjà entendu tous vos commentaires qui mettent en lumière ces enjeux importants. Je pense que nous pouvons nous attaquer au cœur du problème.
Madame Raven, vous avez mentionné que la pauvreté demeure la pauvreté, qu'elle soit urbaine ou rurale, ce qui est tout à fait vrai, et que nous devons nous employer à aider les plus démunis de telle sorte qu'ils puissent se maintenir à flot.
À mesure qu'ils sombrent dans la pauvreté, les gens sont confrontés à différents problèmes corollaires comme la détérioration de leur état de santé et les dépendances de toutes sortes : drogue, alcool et jeu pathologique. Est-ce que le Centre canadien de politiques alternatives a déjà mené des études en vue de quantifier les coûts associés à ce phénomène, de manière à pouvoir établir une comparaison pour déterminer si des paiements de soutien du revenu pourraient être totalement récupérés, ou presque, à ce chapitre?
Nous considérons toujours le soutien du revenu comme un coût; on nous dit que c'est impossible, que cela coûte trop cher. Cependant, si l'on tient compte de tous ces facteurs, on pourrait décider de verser des paiements de soutien du revenu en sachant que l'on va récupérer ainsi la majorité de ces sommes.
Mme Raven : Tout à fait. Si vous examinez le travail effectué par le Centre canadien de politiques alternatives et Campagne 2000 et leurs documents de travail et d'orientation qui sont rendus publics assez régulièrement — de nombreux rapports ou sections de rapports ont d'ailleurs traité de ce sujet bien précis —, vous constatez que les coûts en matière de santé sont extrêmement élevés. Si l'on considère les produits pharmaceutiques accessibles aux familles à faible revenu, on se rend compte qu'ils sont bien souvent différents de ceux qu'il est possible de se procurer dans le cadre d'un régime indépendant d'assurance-médicaments. On voit donc souvent des enfants pauvres souffrant de maladies comme l'asthme dont l'état s'aggrave et qui se retrouvent hospitalisés pour une période prolongée, ce qui entraîne des coûts beaucoup plus considérables que ce que l'on aurait dû payer en supplément au départ pour de meilleurs médicaments. Cette situation n'est pas sans conséquences — par exemple, si vous avez des problèmes de santé en bas âge, votre santé sera également moins bonne rendu à l'âge adulte. Je pense que les investissements consentis pour la promotion de la santé et de saines habitudes de vie dès la petite enfance pourraient rapporter gros à long terme.
Si les gens sont en mesure de bien se nourrir et de se maintenir en bonne condition physique, il va de soi que tout le monde s'en portera mieux, y compris notre système de santé du point de vue financier.
Le sénateur Callbeck : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie pour vos exposés. Monsieur MacLeod, je suis certes d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut investir davantage dans nos services d'aide juridique. Dans ma province, bien des gens se représentent eux-mêmes devant les tribunaux, simplement parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer un avocat. À mon avis, c'est une situation qui est très inéquitable. Je sais que je ne voudrais surtout pas avoir à me représenter moi-même en cour, sans les services d'un avocat.
Vous avez parlé d'un financement global — par exemple, le Régime d'assurance public du Canada financé à parts égales par la province et le gouvernement fédéral. Nous sommes depuis passés à un mode de financement global qui n'impose pas un grand nombre de conditions. Quoi qu'il en soit, ce financement global n'est-il pas censé inclure des fonds pour l'aide juridique en matière civile?
M. MacLeod : Je ne pense pas qu'il y ait quelque disposition que ce soit prévoyant l'utilisation de ces fonds pour l'aide juridique. Il a peut-être déjà été question qu'une partie du financement fédéral soit affectée à l'aide juridique en matière civile, mais il n'y a toujours rien pour le moment. On avait peut-être l'intention de le faire au départ mais, pour autant que je sache, il n'y a pas de financement à cette fin. En outre, comme c'est le cas pour toutes les autres utilisations de ces fonds, rien n'oblige la province à se conformer aux formules prescrites; aucune condition n'est liée à ce financement. Je ne crois pas qu'il y ait un financement fédéral quelconque qui soit consacré aux affaires civiles, de préférence aux affaires pénales.
Le sénateur Callbeck : Il est possible que je me trompe, mais je croyais que c'était l'un des éléments mentionnés au titre du financement global.
M. MacLeod : Je peux faire erreur moi aussi. Je vous réponds seulement que je n'ai jamais eu vent d'une telle chose. À ma connaissance, aucune aide financière n'est fournie par le gouvernement fédéral pour l'aide juridique en matière civile ou en droit de la famille.
Le sénateur Callbeck : De toute manière, comme vous le dites, ce sont les provinces qui décident de l'utilisation de ces sommes.
M. MacLeod : Effectivement.
Le sénateur Callbeck : Madame Raven, le document Challenge 2000 à paraître va-t-il porter sur la situation dans l'ensemble du Canada?
Mme Raven : Oui. Ce document d'orientation ne va pas s'intéresser spécifiquement aux régions rurales du Canada ou au problème de la pauvreté rurale étant donné qu'il est fondé sur une approche beaucoup plus globale qui explore différentes catégories générales où des changements s'imposent.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de la connexion Internet haute vitesse et des possibilités qui en découlent pour la création de nouvelles entreprises. Quelle est la situation de la Nouvelle-Écosse à ce chapitre?
Mme Raven : Dans mon propre voisinage, si vous êtes situé dans le corridor principal ou dans un secteur desservi par la câblodistribution, vous avez le choix entre le câble et le service haute vitesse Aliant. Cependant, si vous êtes le moindrement en dehors de cet axe, votre seule option devient le satellite et les coûts sont deux fois plus élevés — et ce, pour moins de services encore. On pourrait donc parler de coûts prohibitifs, surtout dans le cas de très petites entreprises maison, pour lesquelles les possibilités d'emprunt au départ sont très restreintes, ce qui oblige à essayer de lancer l'entreprise aux moindres coûts possibles. Cela peut donc représenter un obstacle.
Le sénateur Callbeck : J'ai participé à une étude sur les femmes entrepreneures. Comme vous le savez sans doute, au Canada, la moitié de ces femmes viennent des régions rurales, et c'est un aspect très important pour elles.
Monsieur McLelland, vous nous avez dit que des investissements de 600 millions de dollars par année quittaient la Nouvelle-Écosse au profit de fonds mutuels et que seulement 2 p. 100 de ces sommes revenaient dans la province. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire mieux à ce chapitre? Est-ce parce que les investisseurs ne croient pas au potentiel de la région ou est-ce simplement parce qu'ils ne sont pas sensibilisés aux débouchés qu'elle offre?
M. McLelland : Les gens ont tendance à investir dans les choses qu'ils connaissent bien. Ainsi, il y a peu de chances qu'un investisseur de Bay Street connaisse l'existence d'une entreprise de 50 employés dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse; il risque davantage d'être au courant de l'exploitation d'une nouvelle mine en Indonésie, par exemple, ou d'une autre possibilité de ce genre. Ce phénomène est en grande partie attribuable à une connaissance insuffisante des possibilités d'investissement à l'échelon local.
Pour ce qui est du Fonds d'investissement dans le développement économique des collectivités, 5 des 6 millions de dollars investis au cours de la dernière année ont servi au démarrage d'entreprises locales ou à l'expansion de petites entreprises. Ces investissements sont passés de 500 000 $ à 2 millions de dollars pour atteindre maintenant 5 millions de dollars; une partie de ces sommes sont ainsi rapatriées.
Une étude intéressante menée par l'Université Saint Mary's a révélé qu'en Nouvelle-Écosse, de nombreuses entreprises à hyper croissance — l'échantillon examiné était très réduit — utilisaient le Fonds d'investissement pour le développement économique des collectivités comme placement de capital de risque. Dans la pratique, la province accorde un crédit d'impôt sur les investissements de 30 p. 100, qu'on peut placer ans un REER autogéré afin de bénéficier des avantages fiscaux. Et si l'on maintient cet investissement pendant 10 ans, on obtient 20 p. 100 de plus. Cela réduit les risques liés aux investissements locaux.
Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne les fonds communs de placement, nous devrions faire plus pour informer les gens de Bay Street des différentes possibilités.
M. McClelland : Je ne crois pas que ce soit la seule solution, mais elle est importante. Par ailleurs, les habitants des Maritimes investissent de manière très conservatrice : au lieu d'injecter 20 000 $ dans une entreprise locale, ils mettront cet argent dans un fonds commun de placement.
Le sénateur Callbeck : Le crédit de 30 p. 100, applicable aux fonds communs de placement, vaut seulement pour les régions rurales éloignées; les gens de la ville ne pourraient pas s'en prévaloir, n'est-ce pas?
M. McClelland : Cette mesure financière est destinée aux régions rurales, mais le ministre peut, à sa discrétion, l'accorder à quelqu'un d'Halifax.
Le sénateur Callbeck : Il y aurait donc une possibilité dans ce sens?
M. McClelland : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Il y a quelques années, j'étais joueur de hockey professionnel. La LNH a tenté de mettre la main sur une partie de nos fonds de pension excédentaires. Nous n'avions reçu aucun argent, mais nous avons voulu engager des poursuites. Nous pensions pouvoir arriver à une entente avec les avocats. Nous sommes allés à Bay Street et avons dit aux gens là-bas : « Si nous gagnons 10 millions de dollars, vous aurez droit à un pourcentage ».
Est-ce que votre barreau accepterait que vous représentiez les pauvres et que vous preniez au passage un pourcentage de ce qu'ils obtiendront? Serait-ce possible?
M. MacLeod : Non, je ne crois pas. Peu importe ce qu'ils obtiennent, il n'y a aucun pourcentage à prélever.
Le sénateur Mahovlich : Ils ont besoin de l'argent.
M. MacLeod : Oui, exactement. Il n'y a pas d'excédents. Ils ont du mal à joindre les deux bouts, alors on ne peut rien leur prendre.
Le sénateur Mahovlich : Je vois. Soit dit en passant, nous avons gagné. Les avocats voulaient nous facturer 50 000 $, mais après que nous avons eu gain de cause, ils nous ont réclamé 120 000 $. Quoi qu'il en soit, nous avons gagné.
Madame Raven, souhaitez-vous que le gouvernement intervienne pour régler ces problèmes considérables? Par exemple, en ce qui a trait aux grands magasins qui achètent des pommes du Chili ou de l'État de Washington, voulez- vous que le gouvernement décrète qu'ils doivent plutôt acheter leurs pommes à Annapolis? Est-ce ce que vous réclamez?
Mme Raven : En gros, oui.
Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement fait déjà quelque chose du genre. Il contrôle le contenu radiophonique en imposant un certain pourcentage de contenu canadien. Vous proposez qu'on fasse la même chose avec les pommes, n'est-ce pas?
Mme Raven : Absolument. Je sais que les politiques peuvent être très complexes et qu'on simplifie peut-être à outrance en parlant ainsi. Un bon point de départ serait de renseigner les consommateurs, même au sujet de l'étiquetage, de sorte que chaque fois qu'ils entreront dans un magasin, ils pourront choisir un produit de Nouvelle- Écosse.
La fin de semaine dernière, j'ai acheté du poisson à l'Atlantic Superstore. J'ai demandé au poissonnier d'où venait le poisson, mais il l'ignorait. Il était incapable de me dire si l'éperlan avait été pêché à Terre-Neuve, dans une rivière de Nouvelle-Écosse ou au Brésil. Rendre cette information disponible serait un bon début pour que les consommateurs puissent choisir entre des produits étrangers et néo-écossais.
Le sénateur Mahovlich : Les États-Unis sont notre plus gros problème. Nous sommes en concurrence avec eux sur tous les plans — et avec la Chine aussi. Tout semble être fabriqué là-bas de nos jours. Alors actuellement, nous livrons également concurrence aux Chinois.
En demandant à une entreprise de vendre un certain pourcentage de produits canadiens, le gouvernement établirait un précédent. Jusqu'où irons-nous? C'est un autre problème considérable auquel le gouvernement fait face.
Mme Raven : Il est élu pour résoudre les problèmes, alors il devrait s'y mettre.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé des chemins de fer. Il y avait une ligne qui se rendait jusqu'à Timmins, dans le nord de l'Ontario, mais plus aucun train ne va jusque-là maintenant. Or, étant donné le coût de l'essence, le transport ferroviaire serait probablement moins coûteux.
Je présume que c'est ce qui s'est produit ici.
M. McClelland : Il y a déjà eu une ligne de chemin de fer qui reliait Halifax à Yarmouth, mais elle n'existe plus.
L'une des choses qui m'agacent, c'est ce qu'on appelle l'économie partielle. J'entends par là le fait d'étudier une partie de la question et de dire : « Ce n'est pas une bonne chose que de subventionner les chemins de fer, c'est inéquitable » —, et cela ne me pose aucun problème. Toutefois, on construit des autoroutes avec l'argent des contribuables; on les entretient, on les déneige et tout le reste, et les camions, qui créent beaucoup d'usure, peuvent les emprunter. D'un autre côté, c'est le gouvernement qui a fait construire les chemins de fer au départ, mais ce sont les entreprises qui se chargent de les entretenir et de les moderniser. Elles paient des impôts fonciers sur les terres. Est-ce vraiment équitable?
C'est la même chose en ce qui a trait à la voie maritime du Saint-Laurent. Le gouvernement assume les coûts de déglaçage du Saint-Laurent, alors que les compagnies ferroviaires couvrent tous les frais de transport des marchandises d'Halifax à Toronto. Le portrait est incomplet.
Le sénateur Mahovlich : Ce n'est pas juste.
Le sénateur Gustafson : La différence entre les compagnies ferroviaires et les agriculteurs, c'est que les premières imposent un prix pour le transport des céréales. L'agriculteur, lui, devra accepter le tarif fixé. Je vous donne un exemple.
Dans le document, on peut lire qu'un agriculteur touche 5 $ par boisseau de blé ou de blé dur. En réalité, il en tire environ 2,70 $, et les compagnies de chemin de fer, 1,70 $ pour les frais de manutention. Les sociétés ferroviaires obtiennent à peu près autant d'argent pour la manutention du grain que l'agriculteur n'en reçoit pour sa culture. Que peut-on faire contre cela? Les compagnies de chemin de fer fixent les prix, tandis que les agriculteurs doivent se contenter de ce qu'on leur offre.
Si vous achetez un véhicule chez General Motors, on vous en demandera un certain prix. Mais il en va autrement dans le domaine de l'agriculture. C'est en fait le contraire qui se produit.
M. McClelland : Il n'y a que deux sociétés ferroviaires, le CN et le CP; il devrait y avoir moyen de réglementer les prix.
Si vous cultivez des pommes de table ici, les épiceries vous les achèteront. Vous cultivez et cueillez les pommes, et une fois qu'ils les auront vendues, les magasins vous paieront. C'est un exemple de concentration du pouvoir de marché. Vous pourriez attendre un an avant de recouvrer les coûts de production de ces pommes. Il en est ainsi dans la plupart des secteurs.
Le président : Merci beaucoup, chers témoins. La discussion a été très animée, et nous vous remercions de vos interventions.
Notre prochain intervenant est Robert Noble. Monsieur, veuillez commencer, je vous prie.
Robert Noble, vice-président, Annapolis County Federation of Agriculture : Bonjour à tous. La fédération agricole est heureuse de décrire au comité sénatorial l'état actuel de l'agriculture dans ce comté. Deux mille six est une année que les producteurs préféreraient oublier. Le temps très humide que nous avons connu au printemps, qui s'est maintenu tout au long de l'été et jusqu'à la fin de l'automne, est à l'origine des mauvaises conditions d'ensemencement, de la piètre qualité des fourrages récoltés et des maigres cultures horticoles. À l'automne, à cause de l'humidité, les récoltes étaient mauvaises ou difficiles. Bref, nous, les agriculteurs, sommes contents que l'année 2006 soit terminée.
La majorité des agriculteurs sont sur une pente descendante, car ils continuent de perdre une part croissante du dollar de consommation. J'imagine que les membres du comité ont eu connaissance de la couverture faite par les médias de la crise financière dans le secteur agricole, des manifestations devant les assemblées provinciales et des conférences de presse organisées.
Au milieu des années 1970, les producteurs recevaient environ 30 p. 100 du dollar de consommation, alors qu'aujourd'hui, cela représente de 10 à 15 p. 100 dans la majorité des cas. Par exemple, la part du bacon est de 12 p. 100 et celle du steak, de 15 p. 100.
Cela s'explique principalement par le fait que le commerce de détail en alimentation est entre les mains de deux énormes chaînes. Dans ce contexte, le consommateur paie très cher la marchandise. Par exemple, une carcasse de porc de 85 kg rapporte 125 $ au producteur et 460 $ à l'épicerie. Un producteur peut obtenir de 200 à 300 $ pour la carcasse d'une vache, alors que les commerces de détail en tireront 1 000 $. C'est la même chose pour les produits de la terre; les fermiers reçoivent le même prix qu'il y a 30 ans. Par exemple, 6 ¢ la livre de carottes et 1,25 $ la douzaine d'épis de maïs.
En 2006, on a assisté à une hausse de 15 p. 100 des coûts de production des agriculteurs. Les prix du carburant, du fourrage, des fertilisants et de la main-d'œuvre ont aggravé la crise du revenu dans le secteur agricole. Même la gestion de l'offre subit des pressions.
Dans des rapports sur les produits de consommation, on indique que certains produits continuent de progresser. Le vison se classe en première position, suivi par la gestion de l'offre, c'est-à-dire les produits laitiers et la volaille, puis les bleuets.
L'industrie du bœuf s'est pour ainsi dire relevée de la crise de l'ESB, mais pas sur le plan financier : elle demeure aux prises avec un manque de liquidités qui remonte à la période pré-ESB et s'élève à 40 ¢ la livre pour les bovins gras et à 300 $ par vache, et elle continue d'éprouver des difficultés. Les producteurs de bœuf sont les plus nombreux parmi les agriculteurs de ce comté.
Quant à l'industrie du porc, elle est en déroute. On s'attend à ce que 50 p. 100 de cette industrie, et même l'usine Larsen Packers, disparaisse d'ici septembre. Dans un an, ce secteur sera réduit à l'état de squelette.
Le secteur horticole, pour sa part, doit composer avec des baisses de prix et des hausses de coûts. Les politiques relatives à la sécurité alimentaire et à la traçabilité, que les deux grandes chaînes d'alimentation appliqueront en 2007, entraîneront des coûts fixes pour les producteurs sans qu'il y ait augmentation du prix des produits. Sawler Gardens, qui a lancé un projet pilote l'an dernier, a estimé à 20 000 $ les coûts annuels d'un programme de sécurité alimentaire.
Il devient difficile de trouver des travailleurs agricoles en raison d'une pénurie de main-d'œuvre. Les producteurs peuvent opter pour l'embauche de travailleurs étrangers. L'an dernier, il y en avait une trentaine dans le comté.
La fédération agricole est partenaire de notre foire agricole. Elle collabore étroitement pour maintenir Agriculture Alley, une vitrine importante et un programme de sensibilisation des consommateurs à l'agriculture d'aujourd'hui. Elle continue d'organiser la vente de bétail pour aider les producteurs à obtenir le plus possible pour leurs bêtes. Le seul encouragement important que reçoit le secteur agricole est le programme élaboré par l'industrie et le gouvernement, appelé « Transition et renouvellement de l'industrie », et notre industrie espère qu'il sera soumis à l'approbation de l'assemblée législative ce printemps. Ce programme, s'il est adopté, assurera aux producteurs un retour sur investissement de 12 p. 100.
Le comté d'Annapolis est assez productif sur le plan économique. Le secteur du bœuf rapporte 1,1 million de dollars; les produits laitiers, 4,2 millions; les grandes cultures, 3 millions; les fruits, 1,8 million; le porc, 1,2 million; la volaille, 2,5 millions; les œufs, 1 million; et enfin, le vison, 1 million.
Merci de m'avoir donné l'occasion de faire cet exposé.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Noble, j'aimerais vous interroger à propos du programme dont vous traitez au dernier paragraphe, qui s'intitule « Transition et renouvellement de l'industrie » et qui, si on l'adopte, donnera aux producteurs des retours sur investissement de 12 p. 100. Comment cela fonctionnera-t-il?
M. Noble : C'est la fédération agricole provinciale qui en assurera la mise en œuvre. Elle a mené des travaux là- dessus en collaboration avec un organisme fédéral, semble-t-il, pour tenter de récupérer l'argent dont les producteurs ont besoin. C'est le chiffre qu'ils visent. Je n'ai pas participé aux discussions, alors je me contente de rapporter ce que m'a indiqué la fédération.
Le sénateur Callbeck : Avez-vous dit que ce programme sera présenté au gouvernement?
M. Noble : Oui.
Le sénateur Callbeck : Le gouvernement est-il impliqué dans le dossier?
M. Noble : Oui.
Le sénateur Mercer : N'eût été de la différence d'accent, j'aurais cru que c'était le sénateur Gustafson qui nous faisait rapport ce matin, car vous reprenez nombre de ses remarques, et nous avons un réel besoin de les entendre encore. C'est la même situation partout au pays.
Vous avez parlé — comme bien d'autres — de la pénurie de main-d'oeuvre dans le secteur agricole. Nous avons appris que lorsque les travailleurs sont disponibles, les fermiers ont de la difficulté à les payer. D'après ce que vous avez dit, l'année dernière, il y a eu 30 travailleurs étrangers dans le comté d'Annapolis. D'où venaient-ils?
M. Noble : De l'étranger. C'étaient des personnes de race noire qu'un horticulteur avait embauchées pour les grandes cultures. On ne trouve plus personne pour ce type de travail.
Je possède une ferme laitière, et je transportais des bottes de foin jusque dans la grange. Quelques jeunes hommes de 18 ans étaient venus m'aider pour la journée. Le salaire minimum est de 6,80 $. Je les ai payés 7 $ de l'heure. Ils ont travaillé une journée, puis m'ont dit qu'ils ne voulaient pas revenir le lendemain, parce que leur mère avait reçu de l'argent, et qu'ils n'avaient plus besoin de travailler. Voilà où en est l'industrie laitière. On a dû faire appel à des travailleurs étrangers pour s'occuper des récoltes pendant une certaine période.
Le sénateur Mercer : Vous faites appel à une agence pour les faire venir?
M. Noble : Oui. J'imagine qu'Emploi Canada les recrute, et que l'agriculteur les paye tant, et le gouvernement, tant.
Le sénateur Mercer : Je sais, parce que j'habite ici, qu'il n'y a que deux grands supermarchés, Sobeys et Atlantic Superstore — lequel, pour la gouverne de mes collègues, est Loblaws. Comment pouvons-nous y échapper? J'ai parlé à mon collègue, Mark Eyking, député et fermier de Cap-Breton cultivant de la laitue en serre qu'on vendra dans un supermarché à Sydney. Il doit l'envoyer à Truro pour la vendre, et doit assumer les coûts d'expédition. Le produit est ensuite renvoyé au supermarché qui se trouve à quelques kilomètres de chez lui.
Avez-vous une solution à proposer? Nous avons tous compris en quoi consiste le problème. C'est la solution que j'ai du mal à trouver.
M. Noble : Je pense qu'il n'y a pas de solution simple; c'est une question de marché. Par exemple, à l'école, dans les années 1980, une enseignante m'avait appris qu'à Toronto, elle pouvait trouver des pommes de la vallée d'Annapolis à meilleur prix qu'ici. Aujourd'hui, la situation est la même. L'Ontario importe nos pommes et nous renvoie ensuite une partie de la marchandise; c'est ce qui explique la différence de prix. Je pense que tout est une question de transport et de marché. C'est ainsi qu'on procède.
Les courtiers sont également en cause. Dans l'industrie du bœuf, si je veux me débarrasser d'une vache, les gens de l'abattoir me diront que je n'ai pas besoin d'abattre le bœuf moi-même. Ils me diront que je n'aurai qu'à téléphoner le lundi matin à Better Beef, en Ontario, et que, ni vu ni connu, je ferai un dollar le kilogramme. Les mentalités doivent changer, ou nous n'irons nulle part.
Le sénateur Mercer : Je voudrais revenir sur le secteur bovin. Le fait qu'il n'y ait aucune usine de traitement titulaire d'une licence fédérale en Nouvelle-Écosse vous nuit-il? En tant qu'exploitant de ferme laitière, il est évident que vous avez des vaches de réforme.
M. Noble : Les pénitenciers et les établissements du genre, par exemple, exigent des produits d'inspection fédérale. À mon avis, ce n'est pas nécessaire, parce qu'il y a des inspections provinciales ici, et la qualité est tout aussi bonne. C'est une formalité administrative qu'on devrait laisser tomber.
Le sénateur Mercer : Pourrait-on contourner le problème en intégrant mieux les politiques fédérales? Il y a des abattoirs d'inspection provinciale. Si les normes étaient les mêmes, vous pourriez vendre votre produit aux établissements fédéraux et à l'extérieur de la province.
M. Noble : Oh, à mon avis, cela changerait assurément les choses.
Le sénateur Mercer : Pensez-vous que les règlements provinciaux sur les abattoirs sont aussi sévères que les règlements fédéraux?
M. Noble : Toutes les normes sont essentiellement les mêmes; elles viennent seulement de paliers différents.
Le sénateur Gustafson : Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, ou PCSRA, s'applique-t-il ici? Ce programme, mis sur pied par le précédent gouvernement, et non par le nouveau gouvernement au pouvoir, est un désastre.
M. Noble : C'est le moins qu'on puisse dire. Il n'est absolument pas adapté à un produit soumis à la gestion de l'offre, ou si peu. Tout est déterminé par la gestion de l'offre, mais l'industrie du bœuf ne s'applique pas à tout. C'est un cauchemar administratif pour tout le monde.
Le sénateur Gustafson : Évidemment, les subventions versées par les Européens et les Américains nous posent un problème. Les choses ne changeront pas. L'OMC continue de vouloir faire disparaître les subventions depuis que je suis au Sénat, c'est-à-dire 27 ans, mais rien ne va changer.
M. Noble : Pour moi, une subvention sert à subventionner quelque chose, et il y a quelque chose qui cloche quand un produit doit être subventionné. Les producteurs n'auraient pas besoin de subventions si on leur offrait ce qui leur est dû pour leur produit.
Le sénateur Gustafson : Bien, ce qu'il nous faut, c'est une loi agricole canadienne...
M. Noble : Exactement.
Le sénateur Gustafson : ... qui prévoit l'avenir. Avez-vous espoir que cela arrive un jour?
M. Noble : Pour moi, si le producteur pouvait obtenir 90 ¢ le litre pour son lait et que le bœuf se vendait 1,80 $ la livre au lieu de 1,10 $ ou 1,20 $, parce qu'il faut dire que les prix du lait n'ont pas augmenté mais que les dépenses, elles, ont doublé.
Le sénateur Gustafson : Vous avez raison. La hausse du prix du grain a été minime, alors que le prix des engrais est passé de 350 à 500 $ la tonne.
M. Noble : Par exemple, le 1er février, les producteurs ont reçu 3,5 ¢ de plus pour leur lait en Nouvelle-Écosse. C'est le prix réglementé en fonction du coût de production. Les détaillants pouvaient le vendre au prix qu'ils voulaient. Ils l'ont majoré de 3 ou 4 ¢, mais ils auraient bien pu l'augmenter de 10 ¢ s'ils l'avaient voulu.
Le sénateur Gustafson : Malheureusement, nous n'avons pas trouvé de solution même si nous sommes en mesure d'analyser le problème. Nous devons intégrer le marché mondial, évaluer la situation et déterminer ce que nous allons faire dans ce contexte, parce que c'est là où nous en sommes.
M. Noble : Il faut prendre le taureau par les cornes et pas se laisser distraire par le bœuf.
Le sénateur Gustafson : Votre réponse en vaut bien une autre.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il déjà eu un détaillant de la côte est qui a vendu ses produits dans l'Ouest du pays? Par exemple, y a-t-il des produits portant la mention « fait en Nouvelle-Écosse » ou des « bleuets de la Nouvelle-Écosse » qui ont été vendus dans l'Ouest?
M. Noble : Tout se fait à l'échelle des Maritimes. Les deux détaillants dont nous parlons font des affaires dans les trois provinces maritimes, pas seulement en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard. Ils travaillent dans l'ensemble des Maritimes; tout est envoyé à un entrepôt central et c'est pourquoi on ne voit pas de produit avec la mention « fait en Nouvelle-Écosse ».
Le sénateur Mahovlich : Comment est-il possible de livrer concurrence à des entreprises comme Loblaws qui vont acheter des pommes au Chili pour pratiquement rien. Comment pouvons-nous leur faire concurrence? Leur disons- nous quoi faire? Comment allez-vous faire dans un pays libre? Sans compter que nous transigeons maintenant avec l'OMC, ce qui est un autre sérieux problème. Comment prendre le taureau par les cornes si ses cornes sont couvertes de vaseline?
M. Nobel : Il y a 51 p. 100 de tout ce que me rapporte le lait que j'expédie à l'usine laitière qui provient de deux marchés. Deux magasins représentent 51 p. 100 du chiffre d'affaires de deux à trois millions de dollars. S'ils vendent 10 000 litres et qu'un autre commerce en vend 10, qui pensez-vous obtiendra la meilleure entente? C'est exactement ce qui se passe.
Les prix ont aussi un impact puisque quelqu'un peut faire un détour de 40 kilomètres pour épargner 10 ¢ sur une boîte de petits pois. Si le bœuf de la Nouvelle-Écosse se vend 1,80 $ la livre et que le Superstore peut vendre du bœuf de l'Australie à, disons, 1,10 $, c'est ce bœuf qu'il va vendre.
Le sénateur Mahovlich : C'est vrai. Et ce bœuf est probablement aussi transformé en Australie.
M. Noble : Oui. Exactement.
Le sénateur Mahovlich : Il y avait beaucoup d'usines de transformation dans l'Ouest avant l'apparition de la maladie de la vache folle. Quelques autres usines ont ouvert leurs portes dans l'Ouest depuis, je crois. Je ne sais pas s'il y a une usine de transformation du bœuf ici.
M. Noble : Nous en avons deux ou trois qui ont reçu des fonds provinciaux pour améliorer la qualité de leurs installations. Comme je l'ai dit, l'inspection de la viande doit relever davantage des provinces que du gouvernement fédéral.
Timothy Hennigar, fermier, membre, Council of Leaders at the Nova Scotia Federation of Agriculture : Madame la présidente, puis-je faire un bref commentaire? Je sais que je ne figure pas sur la liste des témoins.
La présidente : Rapidement.
M. Hennigar : Je fais partie du conseil des leaders de la Nova Scotia Federation of Agriculture, qui représente le milieu agricole de la province.
Pour répondre à la question du sénateur sur le fonctionnement du programme de renouvellement que nous proposons, il s'agit essentiellement d'une taxe sur les aliments, que ce soit sur la vente en gros ou la vente au détail. Nous espérons ainsi que le secteur de la production agricole pourra obtenir un rendement de 12 p. 100 sur l'investissement. Je voulais simplement faire cette précision.
La présidente : Merci beaucoup.
Le prochain groupe de témoins que nous accueillons se compose de John Andrew, coordonateur du refuge d'urgence du Open Arms Resource Centre, de Della Longmire, directrice générale du Women's Place Resource Centre, et de Doug Greene, bénévole au centre de ressources.
Allez-y, madame Longmire.
Della Longmire, directrice exécutive, Women's Place Resource Centre : Ma déclaration sera brève.
Au sujet de l'ampleur de la pauvreté des femmes en milieu rural, nous savons que les pénuries d'emplois, de moyens de transport, de garderies et de services de soutien limitent l'accès des femmes aux études et à la formation. Ces pénuries ont aussi une incidence sur leur qualité de vie. Sans compter qu'on les sollicite pour faire du bénévolat afin de soutenir le milieu, et que cela ne tient même pas compte des pressions exercées pour maintenir la cohésion sociale, assurer la survie des écoles et des établissements de santé dans la région et offrir des loisirs aux jeunes familles. Le comté d'Annapolis a une population de 21 000 personnes. Il y a 8 470 femmes du comté qui ont indiqué, dans le recensement de 2001, faire du bénévolat, ce qui vous donne une idée de la situation dans nos localités.
Nous ressentons tous l'effet dévastateur de la fermeture des pêches, de la disparition des industries primaires et de la crise des fermes familiales dont la région est victime depuis des dizaines d'années. C'est maintenant au tour des employeurs de la région de fermer leurs portes, comme Shaw Wood, Britex et TRA. Les gens partent parce qu'il n'y a pas de travail. La rapidité avec laquelle la situation de la région se détériore ne fait qu'accentuer la pauvreté. Nous reculons, et rapidement. Les gens dont nous avons besoin pour assurer la vitalité de la région partent, et ce sont surtout les jeunes qui s'en vont.
Sur une note plus personnelle, j'ai deux neveux qui sont partis au cours des deux dernières semaines, un dans l'armée et l'autre en Alberta. Vous pouvez donc voir que c'est commun.
Nos routes se détériorent, nous perdons nos infrastructures. Des écoles, des installations sanitaires, des magasins et des entreprises ferment leurs portes. Tous ces facteurs et le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes indiquent que la pauvreté dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, et plus particulièrement dans le comté d'Annapolis, touchent les personnes âgées.
Au début, j'ai dit que notre clientèle se composait de femmes qui n'avaient pas connu la pauvreté avant, et cela s'explique parce qu'il y a de plus en plus de femmes âgées. Certaines femmes âgées seules qui touchent la Sécurité de la vieillesse et ses programmes connexes, soit le Supplément de revenu garanti, l'allocation de conjoint et l'allocation aux survivants, vivent bien souvent avec moins de 13 000 $ par année. C'est leur seul revenu.
Par rapport au salaire moyen national qui est de 35 000 $ et plus, en Nouvelle-Écosse, les femmes gagnent en moyenne 28 000 $ et plus et, dans le comté d'Annapolis, elles ont un revenu moyen de 15 000 $ et plus. Il est alors impossible de faire des économies pour sa retraite. Le sénateur Callbeck a parlé des REER. Vous pouvez comprendre pourquoi les femmes des régions rurales n'ont pas les moyens de souscrire à un régime enregistré d'épargne-retraite, aussi utile que cela puisse être.
En 2005, le gouvernement du Canada a augmenté le Supplément de revenu garanti de 36 $ par mois, ce qui représente 1,20 $ par jour par bénéficiaire.
La pauvreté, quoique liée à une situation, est aussi tributaire des politiques. Les organisations féminines savent depuis longtemps que la pauvreté est liée au sexe. D'ailleurs, les femmes des régions rurales sont les plus désavantagées. Les causes sont nombreuses et j'en ai citées quelques-unes. J'ai entendu l'exposé de Pauline Raven qui a, elle aussi, parlé de la pauvreté. Les femmes, et surtout celles d'un certain âge, vivent dans une plus grande pauvreté. Les politiques et les programmes doivent tenir compte des réalités rurales. Les solutions et les politiques urbaines ne fonctionnent pas en région rurale.
Les politiques et les programmes, comme l'assurance-emploi, le salaire minimum insuffisant, l'aide sociale, le logement abordable et l'équité salariale, qui sont financés ou établis en fonction de la population, ne sont pas adaptés à la réalité rurale. J'ai parlé de la population du comté d'Annapolis, et il est évident qu'une localité ou qu'un comté voisin n'a pas nécessairement besoin d'une politique semblable, compte tenu des différences qui peuvent exister entre nos voisins et nous sur le plan de la population, du territoire et des employeurs.
Au sujet du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, le Nova Scotia Action Group a déclaré, et je cite :
Nous sommes inquiets parce que les mesures fédérales et provinciales prises pour renforcer les programmes sociaux depuis que le déficit fédéral a été épongé en 1998 ne prévoient aucun engagement pour accroître ou maintenir les fonds affectés à l'aide sociale, à l'aide juridique et aux services sociaux, y compris ceux qui sont spécifiquement destinés aux femmes. On semble accorder moins d'attention aux aspects de la politique sociale qui sont les plus importants pour lutter contre la pauvreté et ses répercussions sur les femmes et les enfants, au profit d'autres enjeux tout aussi cruciaux comme les soins de santé, l'enseignement postsecondaire et le développement de l'enfant. Nous sommes aussi très inquiets que le récent document fédéral sur l'équilibre fiscal passe complètement sous silence les responsabilités du gouvernement fédéral dans la contribution au financement de ces mesures par le transfert de fonds aux gouvernements provinciaux.
Pour conclure, je dirais qu'il y a des initiatives très constructives qui sont prises dans notre pays. L'une d'elles est votre présence ici aujourd'hui et l'autre, le fait que la province de Terre-Neuve-et-Labrador est en train d'élaborer une stratégie sur la réduction de la pauvreté. Je viens d'assister à une réunion à Halifax au cours de laquelle nous avons réclamé une stratégie semblable en Nouvelle-Écosse.
Pour votre information, j'ai avec moi un rapport qui a été financé par Condition féminine Canada il y a un ou deux ans et qui examine l'impact du Régime de pensions du Canada sur les femmes des régions rurales de la Nouvelle-Écosse en particulier. Vous constaterez, quand vous aurez l'occasion de le lire, que c'est un document extrêmement important. Je voudrais ajouter que ce rapport ne serait plus à notre disposition si les nouveaux critères de Condition féminine Canada s'appliquaient. C'est simplement une petite remarque concernant les mesures dont nous avons besoin.
Merci.
La présidente : Nous en prenons note.
John Andrew, coordonateur du refuge d'urgence, Open Arms Resource Centre : Je crois devoir préciser que mon expérience est limitée et n'apporte certes pas toutes les réponses. Pendant dix ans, j'ai travaillé auprès des sans-abri et fait de l'action communautaire, d'abord auprès des jeunes. Nous avons un service de défense des droits qui s'adresse à tous les groupes d'âge, une aumônerie et un refuge qui fonctionnent tous ensemble. Nous avons essayé de séparer l'aumônerie du refuge, pour des raisons évidentes, afin que les gens n'aient pas l'impression de se faire donner la morale. Nous avons cependant constaté certaines failles dans le système là où la communauté religieuse n'était pas mobilisée comme elle aurait peut-être voulu l'être. Il y a certes d'autres lacunes en ce qui concerne l'aide gouvernementale.
Notre clientèle est composée autant de détenus en liberté conditionnelle que de bénéficiaires des services de santé mentale. Nous prenons la relève pour le ministère de la Justice parce qu'il n'y a pas de maison de transition dans la vallée de l'Annapolis, et nous accueillons des gens à leur sortie de l'hôpital. C'est la GRC et les services communautaires qui nous envoient des gens. Nous fonctionnons sans aucune aide gouvernementale, même si c'est vraiment décevant.
On nous avait fait miroiter des promesses il y a quelques années, mais rien ne s'est matérialisé. Notre député fédéral et nos députés provinciaux sont tous bien conscients de la situation et aiment bien nous encourager, mais cela ne nous a rien donné jusqu'ici.
Malgré tout, nous nous sommes lancés dans l'aventure, mais cela a été très difficile. Une grande partie de mon travail consiste à coordonner les bénévoles. J'ai évalué nos coûts de fonctionnement, ce que nous faisons pour la région, avec une équipe de bénévoles, à environ 110 000 $ par année. Nous sommes sur appel 24 heures par jour.
Même si une bonne proportion de nos clients sont des bénéficiaires du ministère des Services communautaires, ce n'est pas le cas de tout le monde. J'ai noté que nous avons accueilli trois hommes depuis septembre qui travaillent à l'usine Michelin. Bien souvent, les hommes nous arrivent après une séparation et nous disent que leur femme les a mis à la porte et que le compte de banque est vide. Nous ne portons pas de jugement. C'est ce qu'on nous raconte. Le chômage et les problèmes de santé mentale ne sont donc pas le lot de tous nos clients.
À notre avis, le système prive les gens de leur dignité d'une certaine façon. Il y a des gens qui se retrouvent chez nous et nous demandent un billet d'autobus. Parfois, nous pouvons leur procurer de l'argent. Nous avons des contacts avec certains agriculteurs, en partie parce que j'ai travaillé à la ferme pendant mes études. Nous avons donc de bons rapports avec eux. Cependant, et certains hésitent à en parler, beaucoup de nos clients abusent du système. Nous essayons de créer un réseau pour que ce ne soit pas toujours les mêmes personnes qui aillent frapper aux portes de toutes les églises. Notre présence en ville sert à contrôler la situation.
Notre président est un économiste agricole. C'est utile pour nous parce que nous rencontrons très fréquemment des clients qui n'occupent pas des emplois habituels. Ils ont souvent des liens avec l'agriculture. Inévitablement, l'économie sera plus locale à mesure que nous serons plus sensibilisés aux questions environnementales et que les coûts du carburant vont augmenter. C'est du moins ce que nous espérons.
Le comté Kings échappe un peu à la norme, je pense, parce qu'il connaît une forte croissance. À long terme, ce n'est pas un bon type de croissance. On construit beaucoup de logements et on élargit l'autoroute qui mène au cœur de la ville. Les gens trouvent que c'est une oasis à l'écart de la ville, mais ces changements n'aident en rien les pauvres qui vivent ici et qui n'ont pas beaucoup d'instruction. En fait, ils les plongent probablement encore davantage dans la pauvreté. Ce sont des terres agricoles qui sont vendues pour bâtir ces nouveaux ensembles résidentiels.
Notre projet pluriconfessionnel ou non confessionnel est mené par un groupe confessionnel, et nous ne nous en excusons pas. Nous n'avons pas de préjugé à l'égard de nos clients. Cependant, il semble parfois y avoir des préjugés à l'égard de notre pensée ouvertement religieuse. Nous représentons un certain pourcentage de la population, mais il semble étrange que nous ayons été contournés plusieurs fois.
Nous avons plusieurs bénévoles qui contribuent au moins 40 heures par semaine de leur temps, certains d'entre eux étant des prestataires de pension d'invalidité, comme Doug ici. Il a tout fait, d'où la raison pour laquelle je lui ai demandé de m'accompagner aujourd'hui. D'abord client, il est devenu un de nos bénévoles. Il a fait des AVC et il est handicapé, mais il continue de nous donner beaucoup de son temps. Il fait partie d'un groupe croissant de personnes qui le font.
Il faut accroître l'appui aux solutions venues de la base. Vous en voyez vous-même aujourd'hui les avantages. Le sentiment de communauté et d'appartenance existe toujours.
Je vous laisse sur cette note. Vous pouvez lire notre rapport si vous avez besoin de plus de précisions statistiques dans ces domaines. Je me contenterai de faire remarquer que nous répondons probablement aux besoins du cinquième environ des sans-abri de la région.
Le président : Monsieur Greene, avez-vous quelques mots à nous dire?
Doug Greene, bénévole, Open Arms Resource Centre : Non. Je vous remercie, sénateur.
Le président : Par contre, vous allez répondre aux questions?
M. Greene : Oui, sénateur.
Le sénateur Mercer : Tout d'abord, je vous remercie tous d'être venus et du travail que vous faites au sein de la collectivité.
John, je sais de quoi vous parlez quand vous affirmez que vous êtes un groupe confessionnel et qu'on ne croit parfois pas que vous êtes là pour faire le travail. Répandre la parole de l'Évangile, peu importe l'interprétation qu'on en fait, est un ajout de dernière minute. La priorité numéro un est de prendre soin des gens. Je le sais et je l'estime à sa juste valeur.
Vous avez effectivement parlé d'abus du système. Je ne tiens pas à m'y attarder plus qu'il faut, car j'aimerais plutôt insister sur le bon travail que vous faites. Cependant, les abus du système retiennent beaucoup l'attention du grand public. Quel pourcentage des gens, selon vous, abusent du système, et de quel genre d'abus parle-t-on ici? De plus, existe-t-il, selon vous, un moyen pour les gouvernements qui administrent les programmes de bien le faire sans nuire à l'excellent travail qui est accompli auprès de ceux qui ont besoin d'aide?
M. Andrew : Je déplorerais que l'on retire certains de ces privilèges en raison du grand nombre de personnes qui ont vraiment besoin d'aide.
Quelqu'un a parlé tout à l'heure des travailleurs immigrants. Dans notre collectivité, il y a souvent des gens qui refusent de travailler. Que Dieu bénisse ceux qui nous viennent des Antilles et du Mexique, mais je ne comprends pas pourquoi nous en avons besoin. Il existe en réalité dans notre collectivité des personnes qui sont parfaitement capables de travailler; parfois, elles ont même des entreprises au noir et mènent d'autres activités. Parfois aussi, ce sont des travailleurs affectés à la récolte. On dénombre un fort pourcentage de pareils travailleurs dans Kings County, et il faut prévoir des encouragements quelconques si ce sont de véritables travailleurs affectés à la récolte. Peut-être devraient-ils bénéficier d'une certaine forme d'assurance-emploi pour le reste de l'année, ce qui les découragerait peut-être d'abuser du système, de cumuler les avantages en touchant un chèque de paye l'été et l'automne et en vivant du bien-être également.
Le sénateur Mercer : Ce que vous avez dit au sujet du changement survenu à Kings County a piqué ma curiosité, en particulier maintenant que les voies de l'autoroute ont été doublées à partir d'Halifax. Je vis dans Hants County, où c'est également le cas, et je crois qu'il y a un problème là. Vous dites que des localités comme Wolfville, Kentville et New Minas sont en train de devenir des villes dortoirs d'Halifax.
M. Andrew : C'est juste.
Le sénateur Mercer : Vous affirmez ensuite qu'il faut accroître le soutien au niveau de la base. Quel genre de soutien faut-il prévoir, selon vous?
M. Andrew : Nous avons plusieurs fois été confrontés au cas de fondations ou de groupes qui souhaitaient investir dans l'itinérance, mais l'argent va habituellement à ceux qui souhaitent faire de la recherche — dont j'ai fait partie plus d'une fois. C'est ainsi que l'Armée du Salut a mené un projet de recherche, tout comme le groupe pour lequel je travaillais, Victory over Violence. Donc, le phénomène de l'itinérance a été étudié de même que la faisabilité d'un refuge; cela a déjà été fait.
Nous n'avons jamais demandé à quelque gouvernement que ce soit de payer nos factures. En fait, nous sommes parfaitement heureux de simplement coordonner une équipe de bénévoles, mais ce serait merveilleux de constater l'arrivée de renforts et la création de nouveaux espoirs, ce qui ne s'est tout simplement pas produit. Par conséquent, c'est ce que j'entends lorsque j'affirme que nous aimerions voir le gouvernement et le secteur privé conjuguer leurs efforts. Et les groupes confessionnels estiment en règle générale qu'ils ont une responsabilité à assumer dans ce domaine, et je crois qu'il est couramment admis par tous qu'ils ont effectivement un rôle valable à jouer. Toutefois, j'estime qu'il faut qu'il y ait certaines relations avec le gouvernement. Nous avons traversé une période très difficile. Je suis souvent actif sur le terrain, de sorte que je ne suis pas en mesure de m'adresser aux personnes à qui il faut s'adresser.
Le sénateur Mercer : Ma dernière question s'adresse à la fois à John et à Della, parce qu'elle les concerne tous les deux. Vous avez parlé de travailler avec des femmes qui ne connaissaient pas auparavant la pauvreté, un phénomène dont nous commençons tout juste à entendre parler, soit que beaucoup de ces personnes sont des femmes qui tout à coup se trouvent seules, sans le partenaire qui était leur source de revenu, et qui doivent vivre avec un faible revenu. Subitement, après avoir été choyées tout au long de leur vie peut-être, elles sombrent dans la pauvreté.
John, en voyez-vous? De plus, que faisons-nous si leur revenu est inférieur à moins de 13 000 $ par année? Même en Nouvelle-Écosse, il est plutôt difficile de s'en tirer avec un pareil revenu.
Mme Longmire : Il n'y a pas très longtemps, une cliente s'est présentée au centre, une vieille qui avait des troubles de santé mentale et qui vivait d'une pension d'invalidité représentant bien moins que 13 000 $ par année. Elle dispose de 750 $ par mois et elle vit dans l'indigence la plus totale. La seule chose que nous pouvions faire pour l'aider était d'essayer de la faire accepter dans un programme de protection des adultes, de manière à la garder au chaud ce soir-là et les quelques jours qui suivaient — parce qu'il se trouve qu'à ce moment-là, le thermomètre a chuté ici en Nouvelle- Écosse à moins 22 à peu près. Elle vivait dans une roulotte sans chauffage et avait très peu de nourriture. Nous n'avons pas réussi à la faire admettre dans un refuge et à lui obtenir de l'aide. La fin de l'histoire, c'est que cette femme a pris toutes ses possessions, son chien et son chat et qu'elle est allée squatter chez son voisin. La GRC est venue, de sorte qu'elle a été prise en charge et qu'on est en train d'évaluer son cas.
Voilà qui illustre la situation désespérée, surtout des femmes âgées qui vivent dans la pauvreté la plus abjecte.
Nous parlions du besoin, ici dans la vallée, d'une forme quelconque de refuge; nous n'en avons pas. Nous pouvons envoyer une femme victime de violence à Chrysalis House. On peut peut-être établir des liens avec Open Arms, mais où doit-on envoyer une femme âgée dans pareille circonstance? Voilà le résultat de la situation.
M. Andrew : Oui, notre cible est de créer des abris d'urgence. Vous trouverez à ce sujet certaines données statistiques dans mon mémoire. Le premier matin, après que la personne a mangé et passé une bonne nuit au chaud, nous établissons des objectifs clairs. Bien qu'il soit arrivé que des personnes séjournent chez nous pendant trois ou quatre semaines lorsqu'elles débutaient un emploi ou commençaient à se remettre sur pied, nous tentons d'écourter le plus possible le séjour. Toutefois, cela ne répond pas aux besoins de tous.
Ceux qui ont des troubles de santé mentale — ils représentent un tout autre groupe pour lequel on ne prévoit pas grand-chose. Nous nous sommes battus pour obtenir deux lits additionnels pour les cas d'urgence, parce qu'après 16 h 30, s'il n'y a plus de psychiatre de service à l'hôpital Valley Regional, il n'y a pas d'endroit où envoyer ces gens. Nous avons obtenu les deux lits. Voici ce qui se passe désormais : la GRC nous amène ces personnes, mais nous ne sommes pas équipés pour les prendre en charge. Les deux lits additionnels servent maintenant à absorber les débordements d'Halifax, de sorte que nous ne pouvons même pas nous en servir.
Mme Longmire : Au cours du dernier mois, c'était le code pourpre dans tous les hôpitaux de la vallée — le « code pourpre » signifie qu'il n'y a pas de service disponible, qu'il n'y a pas de lit, pas de médecin. J'estime qu'il faudrait que vous le sachiez.
Le sénateur Peterson : Je remercie les témoins. Malheureusement, nous n'avons pas beaucoup entendu parler des personnes qui vivent dans la pauvreté dans le cadre des audiences — et j'en comprends la raison, tout comme vous. Cependant, ceux que nous avons entendus nous décrivent une véritable tragédie. Voici ma question : existe-t-il ici un groupe de soutien qui s'occupe des personnes qui vivent dans la pauvreté la plus abjecte? Vous avez parlé de refuge, mais y a-t-il quelqu'un qui s'occupe de ces personnes?
Mme Longmire : Nous travaillons auprès des femmes. Il existe certaines installations dans notre région, mais très peu pour les hommes qui vivent dans la pauvreté. Les appuis sont limités dans ce que nous pouvons faire. Il y a beaucoup d'organisations religieuses, qui font certes de l'excellent travail pour aider ceux qui vivent dans de pareilles conditions. Cependant, vous avez raison. C'est là le problème le plus important. Notre groupe les réfère à d'autres et essaie de les aider par tous les moyens possibles, mais où faut-il les référer?
Il y a cinq ans environ, quand je travaillais sur le terrain, au bout de trois appels, j'aurais réglé la situation ou obtenu une aide quelconque. Maintenant, il faut huit appels environ. Voilà qui vous donne une idée de la situation et de l'incapacité des organismes communautaires, submergés, de satisfaire aux besoins qui existent.
M. Andrew : C'est le refrain que j'entends continuellement aujourd'hui. En fait, l'ouverture d'un abri n'était pas l'idée première — nous n'étions pas conscients que le problème était aussi important qu'il l'est. À l'origine, nous avions mis sur pied un programme d'action sociale de jour. Il faut une journée complète, de 8 h 30 à 16 h 30, pour faire tous les liens, avant d'avoir quelqu'un dans la pièce, de les avoir mis en contact avec les services sociaux et ainsi de suite. Donc, nous ne réussissons à répondre qu'à une partie de la demande.
M. Greene : Dans mon cas, il a fallu plus de temps parce qu'on passait son temps à m'envoyer d'un à l'autre; il a fallu deux semaines pour que j'aboutisse là et qu'on commence vraiment à m'aider. C'est un problème énorme. Malheureusement, le temps ne joue pas en notre faveur; il ne semble jamais y en avoir suffisamment pour tout faire.
Le sénateur Peterson : John, vous avez fait remarquer qu'il y a des emplois disponibles, mais que les gens ne sont pas disposés à travailler ou ne le font pas pour une foule de raisons. Je suppose qu'elles obtiennent une forme d'aide quelconque. Ai-je raison?
M. Andrew : Il me serait un peu difficile de faire une pareille affirmation. Nous savons tous qu'on ne peut pas vivre de 8 $ de l'heure, pas si l'on a une famille, c'est sûr. Toutefois, bien souvent, c'est juste.
Le sénateur Peterson : D'accord, mais cela arrive. Il existe peut-être des moyens de régler ces cas. On peut dire : « Si vous ne faites pas ce travail particulier, nous allons vous retirer l'aide ».
M. Andrew : C'est vrai.
Le sénateur Peterson : Nous avons également entendu parler, lors d'audiences antérieures, de personnes qui essaient d'améliorer leur sort, qui font du travail supplémentaire, mais dont on récupère immédiatement cet argent, de sorte qu'elles ne sont pas incitées à travailler. Comment se sortir de ce cercle vicieux?
Mme Longmire : J'aimerais simplement dire que, récemment, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a aboli la récupération par le ministère des Services communautaires à l'égard des travailleurs de ferme, jusqu'à concurrence de 3 000 $. Donc, si vous êtes assisté social en Nouvelle-Écosse et que vous êtes capable de faire des travaux agricoles ou reliés à une ferme, on vous permet de gagner 3 000 $ avant de commencer à réduire l'aide sociale. Nous venons tout juste de demander que cette disposition soit universelle, parce que ce n'est pas simplement une question de ne pas pouvoir travailler ou de ne pas vouloir le faire. Il n'est pas facile à l'assisté social qui est couvert par un régime d'assurance-médicaments et qui a des enfants ou un enfant malade, de décider de se passer de l'assistance sociale. À 8 $ de l'heure, il est difficile de payer les médicaments de son enfant.
C'est donc là un des problèmes. Il faut envisager des programmes qui abolissent certains de ces obstacles pour ceux qui ont besoin de travailler et qui souhaitent le faire, parce que je peux vous dire, pour l'avoir observé moi-même, que les Néo-Écossais ne sont pas du genre à ne pas vouloir travailler. Ils souhaitent avoir un emploi rémunéré; c'est un peuple très fier et indépendant. Cependant, les décisions sont prises pour eux, et ces décisions leur nuisent beaucoup.
Je peux vous dire que, si mon enfant avait besoin de services médicaux, je m'arrangerais pour qu'il les obtienne, quels que soient les moyens à prendre.
Le sénateur Gustafson : Je suis en train d'examiner votre tableau ici; le taux d'occupation des hommes est probablement le plus important.
M. Andrew : En termes de nombre, peut-être, comme partout ailleurs, il y aurait plus d'hommes. L'aide aux femmes représente toute une série de problèmes différents. De plus, malheureusement, beaucoup de nos invitées ont tendance à retourner vivre au sein de relations malsaines, pour avoir un certain sentiment de sécurité. Ainsi, actuellement, nous avons une ex-cliente monoparentale. Nous avons essayé de l'aider, mais elle est dans cette situation. Elle a deux enfants en bas âge. Elle a été abandonnée par le père et elle a un bébé. Elle travaille au Subway, de sorte qu'elle paye un membre de la famille pour garder les enfants, et je ne comprends même pas pourquoi elle se donne la peine. Dans sa situation, je demanderais des prestations d'assistance sociale. À la fin de la semaine, elle n'a même pas d'argent pour s'acheter du café, j'en suis sûr.
Le sénateur Gustafson : Vous mentionnez ici, et je crois que c'est un bon message pour tous, qu'il faut réfléchir au sort de ces personnes plus souvent qu'à l'église, le dimanche.
M. Andrew : Exact.
Le sénateur Gustafson : Naturellement, l'Évangile l'a toujours bien fait ressortir. Parfois, on ne voit pas la réalité jusqu'à ce que cela nous touche de près, et alors on en prend conscience.
Certains vous diront de ne pas faire l'aumône au quêteux assis sur le trottoir, à Ottawa. J'en suis venu à la conclusion qu'ils ont tort. Ce pauvre homme a besoin d'aide. Que dire sauf de vous féliciter pour le travail que vous faites. Dans pareilles situations, il n'y a rien pour rappeler son devoir au grand public, sauf les organisations religieuses.
M. Andrew : C'est vrai. Du moins avec ce groupe, je peux me servir de l'Évangile pour le faire, et c'est ce que nous faisons. Manifestement, leur foi les oblige à agir. J'estime que nous pouvons le faire pour de simples raisons humanitaires avec la plupart, si l'on arrive à les rejoindre et à s'identifier à elles.
Le sénateur Gustafson : Actuellement, cependant, puisqu'il est question de motifs humanitaires, beaucoup réclameraient des fonds pour l'Afrique et ainsi de suite, et j'avoue que le besoin est grand.
M. Andrew : Vous avez raison.
Le sénateur Gustafson : Par contre, il existe aussi un besoin au Canada même.
M. Andrew : Oui.
Le sénateur Gustafson : Donc, je vous félicite.
Le sénateur Callbeck : Je vous remercie d'être venus ce matin et de nous avoir fait ces exposés. Moi aussi, je vous félicite du travail que vous faites. C'est extrêmement important.
J'aurais une question à vous poser au sujet d'une partie de votre mémoire où il est écrit que les femmes qui vivent en région rurale sont les plus désavantagées. Vous ajoutez que les politiques et les programmes doivent tenir compte de la réalité rurale, que les approches et les politiques urbaines ne se prêtent pas au contexte rural. Vous mentionnez plusieurs programmes, comme l'assurance-emploi, le salaire minimum, l'assistance sociale et ainsi de suite. Êtes-vous en train de dire qu'à votre avis, les femmes de la campagne ne sont pas vraiment traitées aussi bien que celles des centres urbains par les services d'assistance sociale?
Mme Longmire : C'est circonstanciel, en termes de transport. Si vous vivez dans un centre urbain, vous avez alors accès à des services que n'ont pas les femmes en milieu rural. De plus, particulièrement dans Annapolis County, il ne faut pas oublier la densité de population. Il est étonnant de voir à quel point notre territoire est peu peuplé. Il existe certaines formes de transport qui traversent la vallée, mais nous n'avons pas de moyens nous permettant d'y accéder. C'est là que résident en réalité les difficultés.
En ville, vous avez accès aux garderies en traversant seulement quelques rues avec votre enfant. Une jeune mère qui vit à Bridgetown aurait à se rendre à Annapolis Royal ou à Middleton pour confier son enfant à une garderie. Si elle n'a pas de moyen de transport, même si elle demeure à Bridgetown et travaille au Save Easy local, comment peut-elle mettre son enfant en garderie?
Par ailleurs, il y a un exode massif des jeunes hommes. Ils déménagent dans l'Ouest ou ailleurs, et il y a un délai avant que leur famille puisse aller les retrouver, et ce, si elle les rejoint. D'après ce que nous savons, il arrive parfois que l'homme parte et ne revienne pas dans la région. Que doit faire la jeune mère dans cette situation?
C'est pourquoi j'ai dit que je crois que les femmes en milieu rural sont plus désavantagées. À mon avis, nous devons examiner le problème et trouver une solution qui n'est pas universelle. Nous devons élaborer des politiques qui sont appropriées à la région et qui ne tiennent pas seulement compte de la population, car un grand nombre de ces questions reposent sur la population.
Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord avec ce que vous dites — je viens d'un milieu rural — mais je voulais seulement que vous en fassiez état.
Vous avez parlé du programme à Terre-Neuve-et-Labrador — et nous avons évidemment reçu un exemplaire lundi quand nous y étions, et c'est un programme très ambitieux. En dix ans, ils veulent faire de la province qui enregistre le plus de pauvreté celle qui en a le moins. Le programme inclut une foule d'éléments différents. Vous avez également mentionné que vous étiez à Halifax en février. Je présume que, par votre participation ici, vous voulez que le gouvernement fasse de même ici, ou quelque chose de très semblable?
Mme Longmire : J'aimerais quelque chose qui y ressemble beaucoup, ou une combinaison de différentes mesures qui ont été prises dans d'autres pays. Nous sommes tous au courant du remarquable redressement en Irlande. Nous devons trouver une solution qui convient à la Nouvelle-Écosse, car nous sommes tous si différents.
Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord.
John, vous avez mentionné que vous n'obtenez aucun financement du gouvernement?
M. Andrew : C'est exact.
Le sénateur Callbeck : Et vous fonctionnez avec un budget d'environ 110 000 $?
M. Andrew : C'est notre budget de fonctionnement estimatif. Cependant, quand nous avons visité nos amis à Hope Cottage qui gèrent l'un des plus grands refuges d'Halifax, un homme d'âge mûr qui a travaillé dans le système pendant longtemps m'a regardé et m'a dit : « Vous avez besoin d'environ 110 000 $ ». C'est le montant que nous avions établi sur papier.
À l'heure actuelle, de nombreux particuliers, nos directeurs, de même que plusieurs églises, nous manifestent un certain intérêt — de toutes les confessions, entre autres, catholiques, wesleyens, baptistes. De ce côté, les liens se multiplient, mais j'avais espéré un bien meilleur partenariat avec le gouvernement. Un très bon dialogue s'est instauré avec nos représentants provinciaux, mais n'a pas vraiment mené nulle part. Il semblerait que les démarches soient interrompues chez les bureaucrates, qui administrent l'argent comme s'il leur appartenait et sont très pingres. Je dis cela parce que nos députés locaux ont formulé des directives très claires à cet égard. Ils ont envoyé des messages de soutien très éloquents et, à une occasion, le ministre des Services communautaires a envoyé un message très clair : « Incluez-les dans votre budget ». Nous avons assisté à de nombreuses réunions. Voici la dernière chose que je leur ai dite : « Nous avons du travail à faire; vous savez où nous trouver. »
Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il du secteur des affaires? Est-il intervenu de quelque façon que ce soit?
M. Andrew : Non, et c'est probablement en partie de notre faute parce que nous ne disposons vraiment pas des ressources voulues pour assigner des particuliers pour pressentir les entreprises. Nous avons obtenu une subvention fédérale pour qu'un prestataire de l'assurance-emploi devienne un agent de financement, alors nous sommes actuellement à la recherche d'une personne pour combler ce poste. C'est bien la première fois que nous recevons une forme quelconque d'aide gouvernementale. Cette subvention ne nous sert aucunement pour nos coûts de fonctionnement et ce genre de frais, mais permettrait qu'une personne établisse un dialogue avec le milieu des affaires, les groupes sociaux et bien d'autres.
Le sénateur Callbeck : J'ai juste une autre question, madame la présidente. Della, vous avez mentionné un refuge pour femmes précis. Quel est à peu près le pourcentage du financement destiné à l'exploitation du refuge qui provient du gouvernement?
Mme Longmire : À l'heure actuelle, il n'y a qu'une maison de transition pour les victimes de violence familiale. Je ne peux pas parler au nom de mes semblables, qui ne sont pas ici, mais je crois que la majorité du financement provient du ministère provincial des Services communautaires.
Le sénateur Mahovlich : Je remercie les témoins de s'être présentés. Il y a 54 ans, j'ai quitté le Nord de l'Ontario pour m'installer à Toronto. Je n'avais encore jamais vu personne dormir dehors, mais quand je suis arrivé à Toronto, j'ai aperçu un soir sur le terrain de football quelques hommes avec une bouteille de vin. Ils avaient l'air de bien s'amuser et ils ont dormi dehors. Aujourd'hui, nous voyons des gens qui vivent sous les ponts et dorment dans les bois.
Y a-t-il certaines personnes qui ne veulent pas que nous les aidions? À Toronto, je crois qu'il y a certaines personnes pour lesquelles nous ne pouvons rien.
M. Andrew : À mon avis, ces personnes souffrent de troubles mentaux. Je pense que le besoin d'un refuge est assez fondamental. Nous avons travaillé avec des gens au centre-ville de Fredericton qui ressemble plus à une ville par rapport à ce qu'on trouve dans cette région. Vous allez y trouver des gens qui ne veulent pas recevoir d'aide. De plus, nous avons certains clients chez qui il s'agit souvent d'un problème de santé mentale. Lorsqu'ils sont assis en face d'un travailleur social ou d'un travailleur chargé de l'accueil qui leur demande leur nom, ils se demandent pourquoi cette personne veut connaître leur nom et ne peuvent répondre.
Par conséquent, afin de protéger les droits de certains de ces particuliers, les autorités ont peu de pouvoir pour ce qui est de prendre des décisions pour eux. Certaines démarches sont prises à l'échelle provinciale pour que cette situation change et que les policiers puissent faire certains choix pour un particulier donné. C'était autrefois la pratique, et nous nous y sommes vivement opposés à cause d'abus, ce que je comprends tout à fait. Cependant, il est déjà arrivé que des personnes qui ne connaissent même pas leur nom quittent l'unité de psychiatrie de Kentville. Elles peuvent partir car elles ne veulent pas y rester. J'ai des doutes sur ce genre de système.
Ainsi, je pense que vous avez raison et qu'il y a effectivement des gens qui refusent qu'on les aide. Selon moi, ces personnes doivent fort probablement être malades.
Le sénateur Mahovlich : Est-il déjà arrivé qu'une personne que vous avez prise en charge s'en soit très bien sortie? Autrement dit, la personne a eu besoin d'aide à une certaine époque et réussit maintenant dans la vie?
M. Andrew : Bien sûr. Comme je l'ai mentionné, certaines personnes que la chance a abandonnées pour une raison ou une autre, peut-être à cause d'une incapacité, sont revenues à la case départ, ont suivi des formations et travaillent maintenant avec nous et font du bénévolat. Je crois que ce sont des cas de réussite.
Le sénateur Mahovlich : Avez-vous des particuliers qui reviennent tout le temps?
M. Andrew : Non. C'est très rare. Dans ce cas, ils dorment sur des lits de camp et nous leur faisons clairement savoir que c'est temporaire. Nous avons des discussions en personne avec eux et faisons en sorte qu'ils assument des responsabilités. Généralement, nous leur confions quelques tâches dès le premier matin. S'ils doivent aller à l'hôpital, ils n'ont pas le choix d'y aller. S'ils ne tiennent pas leurs engagements, nous les prévenons qu'ils ne peuvent rester que pour une autre nuit seulement. Plutôt que de les démoraliser, au contraire, vous leur donnez des responsabilités, ce qui aide à se prendre en charge, à mon avis.
Le sénateur Peterson : Je voudrais faire un bref commentaire sur ce que Della a dit concernant la difficulté de trouver des places en garderie appropriées. Le gouvernement précédent a proposé un programme qui répondait aux besoins du secteur du développement de la petite enfance et aurait offert de nombreuses places en garderie mais il n'a malheureusement pas été mis en œuvre.
La présidente : Je vous remercie tous énormément. Merci à tous les participants et à tous ceux qui ont écouté la séance.
La séance est levée.