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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 17 - Témoignages du 23 février 2007 - Séance de l'après-midi


DEBERT, NOUVELLE-ÉCOSSE, le vendredi 23 février 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 13 h 22 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et merci à tous d'avoir fait preuve d'autant de patience et d'être parmi nous aujourd'hui. C'est notre dernière visite au Canada atlantique où nous avons passé une semaine extraordinaire. Nous sommes un peu tristes que la semaine touche à sa fin, mais Debert est un lieu idéal pour tenir nos dernières audiences.

Comparaissent devant nous Karen Dykens et Ed McMaster. Mme Dykens sera le porte-parole de l'Association de la banque alimentaire de Colchester et M. McMaster est venu de Pictou en Nouvelle-Écosse.

Nous vous souhaitons à tous les deux la bienvenue. Si vous pouviez chacun commencer en nous donnant une idée assez brève de vos préoccupations, après quoi, nos sénateurs qui désirent vous poser des questions auront toute latitude pour le faire.

Karen Dykens, bénévole, Association de la banque alimentaire de Colchester : Il y a 15 ans que je travaille comme bénévole pour la banque alimentaire et, par conséquent, j'ai vu bien des changements depuis qu'elle a été créée en 1986. La banque alimentaire de Truro est l'une des plus grandes banques alimentaires pour tous en Nouvelle-Écosse.

Nous gardons des statistiques en appliquant notre régime de codes pour savoir d'où nos clients tirent leurs ressources et dans quelle situation ils peuvent se trouver. Jusqu'ici, 9 136 clients figurent dans notre dossier. Sur ce nombre, 70 p. 100 résident dans le comté.

En observant les tendances qui se manifestent dans le comté, on constate que l'âge, la santé, la cherté de vie, et le fait que les jeunes membres de la famille quittent les régions rurales, tous ces facteurs font que les aînés auront de plus en plus de mal à garder leur propre maison et à y demeurer. Ils doivent choisir entre acheter des médicaments, de la nourriture, ou chauffer leur maison pour continuer à l'habiter. Cela brise le cœur lorsqu'on voit une personne de 70 ans ravaler son orgueil lorsqu'elle vient demander quelques aliments pour pouvoir chauffer sa maison ce mois-là ou acheter des médicaments. Alors que les années passent, on a vu cette tendance s'accroître lentement.

L'année dernière, nous avons préparé 7 452 boîtes d'aliments dont une grande partie sont allées à des aînés, des gagne-petit, des chômeurs et des gens aux prises avec un certain nombre de difficultés diverses. Nous traitons avec chaque personne individuellement, parce que bon nombre de nos clients sont des personnes qui ont une déficience intellectuelle et ne savent pas vraiment comment cuire des aliments. Donc nous nous occupons d'eux. Il y a aussi des diabétiques qui ont besoin d'aliments, donc nous nous efforçons de leur fournir ceux qui répondent à leurs besoins.

Les agriculteurs de l'endroit ont été généreux et ont fourni des fruits et des légumes. Cependant, l'un de nos clubs, Old Men's Farm Men Club, cultive un jardin à notre intention, mais petit à petit nous perdons ces membres, cela veut dire que les fruits et légumes que nous donnons à nos clients se raréfient.

Notre clientèle s'accroît chaque année ainsi que ses besoins, mais grâce à l'appui de la collectivité, nous nous efforçons de répondre aux besoins. J'espère que nous pourrons nous attaquer aux problèmes concernant les aînés et ceux qui doivent recourir à la banque alimentaire.

Si vous avez besoin de plus de renseignements, nous publions un rapport annuel qui comprend le rapport du coordinateur ainsi que toutes nos statistiques pour l'année 2006. N'hésitez pas à nous le demander, car j'ai les deux.

La présidente : Pourriez-vous nous laisser ces renseignements?

Mme Dykens : Bien sûr.

La présidente : Je suis contente que vous soyez venue parce que nos discussions n'ont pas vraiment porté sur les aînés. C'est donc une bonne chose. Merci beaucoup.

Ed McMaster, à titre personnel : Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que cette dame a dit. Les banques alimentaires ne reçoivent pas suffisamment d'aliments pour continuer à fonctionner. Il y a une demande sans fin de fonds de la part de nos clients, que ce soit pour payer le loyer ou pour toute autre raison.

Je vais vous lire quelque chose. Je gère tout seul une petite banque alimentaire. Je n'ai pas beaucoup de moyens parce que le service de pompiers qui me donnait de l'aide a mis fin à cette aide sans raison. Ce n'était pas à cause de mon comportement ou du leur, mais parce qu'ils ne pouvaient plus continuer à recueillir des fonds supplémentaires. Ils avaient besoin de financer le service de pompiers, donc toutes leurs ressources qui allaient à ma petite banque alimentaire ont une nouvelle destination.

Ce matin, j'ai livré des aliments dans la ville de Pictou à une dame et son fils qui n'avaient pas mangé depuis quatre jours. Je lui ai dit : « Je vais m'adresser à ces sénateurs aujourd'hui et vous pourriez peut-être m'écrire un petit mot? »

Elle m'a écrit un mot en disant : « En ce qui me concerne, je reçois 680 $. Mon loyer coûte 625 $, ce qui fait qu'il ne me reste que 55 $. En plus, j'ai un fils à la maison qui n'est pas en bonne santé, et qui reçoit 412 $. Nous devons donc payer pour nos médicaments. »

Actuellement, ils font partie d'un programme quelconque en vertu duquel ils ne paient que 5,00 $ le médicament, mais là encore le fils a besoin d'aliments spéciaux, et cetera.

Je ne peux pas vraiment lire ce qu'elle dit ensuite : « De plus, je suis sur une liste et lui aussi, et je n'ai pas beaucoup d'argent pour l'alimentation. Donc je suis sur le... » Je ne sais pas vraiment ce qu'elle veut dire par là. « Donc je n'ai pas beaucoup d'argent pour l'alimentation. Tout mon argent sert à payer le loyer. » Je vais faire circuler ce petit mot et vous pourrez le garder.

Ce qui ne va pas, c'est que depuis l'époque de mon grand-père jusqu'à mon époque, et c'est valable pour l'avenir, nous vivons dans une sorte de monde qui est peut-être plein de propagande. En réalité nous sommes probablement plus pauvres que mon grand-père ne l'était. Nous pensons que nous sommes plus prospères, mais c'est une horrible méprise.

Mon grand-père pouvait acheter des lopins de terre avec l'argent qu'il gagnait, ce qui n'était pas beaucoup. Je sais que le terrain ne coûtait pas cher, mais j'aurais bien du mal à acheter un petit lopin de terre d'une ou deux acres durant ma vie.

Sa pension, puisqu'on parle des aînés, était de 75 $ par mois. Il n'y avait cotisé en aucune manière. Il vivait dans une ferme. Mon oncle, à la même époque, dans les années 60, touchait une pension analogue. Il avait un petit magasin, donc à cette époque-là, il pouvait faire don de toute sa pension, ce qu'il faisait.

Mon grand-père avait une exploitation agricole, il devait donc garder sa pension parce que déjà, dans les années 60, comme vous le savez, l'agriculture commençait à ne plus être aussi rentable. Les cultivateurs obtenaient de moins en moins pour leurs produits. Les supermarchés ou les grands magasins commençaient à voir le jour et ils exigeaient de plus en plus lorsqu'ils achetaient aux cultivateurs, si c'était le cas. Ils voulaient acheter à bon marché et vendre au prix fort, comme vous le savez.

La pension de mon grand-père ou de mon oncle était de 900 $. À l'époque, le salaire moyen d'un gendarme, un pêcheur ou peu importe, était de 1 920 $. Donc, la pension d'un aîné était de 47 p. 100 du revenu moyen. À l'époque, certaines personnes, bien entendu, gagnaient moins de 1 920 $, mais c'était à peu près le chiffre moyen.

Maintenant, 15 $ est peut-être le salaire horaire moyen en Nouvelle-Écosse, et on me dit qu'à raison de 1 880 heures cela équivaut à un revenu annuel de 28 200 $. Ma pension, quand je fais le calcul total, s'élève à 14 400 $, qui est un montant bien supérieur à celui que recevait mon grand-père, mais qui équivaut à 48 ou 49 p. 100 du revenu moyen. Il semble que nous ayons un peu plus d'argent, mais en réalité, nous en avons bien moins que mon grand-père tirait de sa pension du Canada, à laquelle il n'avait jamais cotisé.

En fait, le lait coûtait à l'époque 0,25 $ la pinte. On pouvait avoir une jolie maison dans la ville de Pictou pour 50 $ par mois. On pouvait en avoir une un peu moins attrayante à Victory Heights, un logement de temps de guerre, pour 19,50 $. Lorsqu'on fait l'équivalence de ces prix avec les prix actuels, on constate l'augmentation — la personne dont je parlais versait 625 $ pour un appartement — qui est énorme. Il me faudrait environ plus de 100 000 $ pour faire l'équivalence avec ce que mon grand-père était capable d'acheter avec 900 $. Je ne suis pas mathématicien — on pourrait tout égaliser et faire le calcul — mais j'ai la certitude que je me fais voler.

Comme j'ai travaillé toute ma vie, ma pension est un petit peu plus élevée. Il y a eu un changement important dans le Régime de pensions du Canada également, parce que si l'on a eu deux ou trois mauvaises années, cela semble avoir une grande influence et vous en payez à tout jamais les conséquences.

J'espère que vous pourrez remédier à cela. Il faudrait dire aux gens de ne pas accepter leur pension tôt. S'ils parviennent à survivre, ils ne devraient pas prendre une pension anticipée parce qu'ils en perdent 30 p. 100. Le personnel du Régime de pensions du Canada m'a dit la semaine dernière que ma femme devrait vivre jusqu'à 76 ans avant que sa pension n'atteigne le montant exact, parce qu'elle a décidé de la toucher à l'âge de 55 ans. Elle reçoit 112 $. Au départ on lui a accordé 2 p. 100 de plus. La pension est montée à 124 $ à la fin du mois. Si quelque chose m'arrivait, elle se retrouverait toute seule avec 125 $ par mois. Bien entendu, elle touchera une partie de ma pension à l'avenir, mais le tout mis ensemble n'équivaudra jamais à ce que mon grand-père recevait en 1960.

C'est cela le problème, et c'est la raison pour laquelle cette dame est débordée par le nombre de gens qui se présentent à la banque alimentaire. D'ici peu, si cela continue, nous irons tous.

Il faudrait peut-être se pencher attentivement sur la façon dont fonctionne le Régime de pensions du Canada et peut- être l'Agence du revenu du Canada toute entière. J'ignore s'ils font ce qu'il faut. Ils font les calculs. Ils nous offrent un chèque, on peut leur téléphoner et ils vous diront : « Oui, vous avez eu une bonne année cette année et cette année-là mais vous n'avez versé aucune cotisation au Régime de pensions du Canada. » Lorsque nous avons une bonne année, pourquoi ne pouvons-nous pas payer un supplément pour compenser pour les mauvaises années? Il s'agit simplement de l'aspect relatif aux revenus.

C'est l'enfer pour trouver du travail, je puis vous l'affirmer. Les gens n'ont jamais été en aussi bonne santé. Je sais que certains ne le sont pas — il y a toujours quelqu'un de malade — mais ils sont en meilleure santé et plus instruits qu'auparavant. Mon grand-père et mon oncle n'avaient qu'une quatrième année d'instruction, mais ils parvenaient à gagner leur vie. De nos jours, si vous avez seulement ce degré d'instruction ou quelque chose d'équivalent, on vous met au rancart et on vous dit de retirer vos prestations d'assistance sociale. On ne veut pas de vous dans la population active.

En Nouvelle-Écosse, ils peuvent choisir le dessus du panier et c'est ce qu'ils font. On ne veut pas, mettons, des activistes comme moi. Je ne crois pas que je serais capable d'obtenir un autre emploi même si je pouvais revenir en arrière et recommencer à nouveau. Je ne pourrais jamais obtenir à nouveau un emploi, parce qu'on ne veut pas d'activistes, on ne veut pas de rebelles. Peu importe le talent de ces gens-là ou leur état de santé, on n'en veut pas, et la liste est longue des gens dont on ne veut pas.

J'ai travaillé en Nouvelle-Écosse toute ma vie. Il a été difficile parfois de trouver un emploi et difficile de le garder, et difficile aussi parce que le salaire n'est jamais au niveau où il devrait être; c'est donc difficile pour payer toutes les factures et accomplir quoi que ce soit. J'ai occupé tellement d'emplois que je ne pourrais pas les énumérer tous. J'ai travaillé comme boutefeu et comme apiculteur, et mille autres emplois entre les deux. Mes meilleures années, bien entendu, comme l'Agence du revenu du Canada vous le dira, ont été de 1967 à 1982. C'était l'époque où il semblait que l'on pouvait gagner sa vie, économiser de l'argent et aller de l'avant.

Dans bien des cas en Nouvelle-Écosse on est pris continuellement dans un engrenage. Quoi qu'on fasse, si les choses vont bien, on sait que bientôt on atteindra un plateau, et qu'ensuite on descendra la pente. On ne se prépare pas pour les creux de vague, que ce soit en agriculture, dans la construction navale ou quoi que ce soit. Nous n'excellons pas au Canada à planifier pour l'avenir.

Il y a eu une réunion ou quelque chose sur le raccordement permanent. Je sais que Bill Casey était pour. J'étais contre. Je me rappelle de ce qu'il disait souvent, parce que quand je regardais par la fenêtre, de chez moi, je voyais 400 personnes aller travailler pour d'assez bons emplois. Quand j'étais plus jeune, je ne voulais pas travailler dans les traversiers, parce que ce n'étaient pas de bons emplois, mais il y avait 400 personnes qui travaillaient sur les traversiers et qui gagnaient leur vie grâce à un certain système de stages. Ces personnes ont été promues capitaines, mécaniciens et je ne sais quoi d'autre, de sorte que ce travail était une bonne chose. Elles avaient toutes de l'assurance-santé et le reste. Leurs conditions étaient à peu près les mêmes que les miennes, quand je travaillais au chantier naval. C'était une façon productive d'évoluer. Ensuite, bien sûr, on s'est mis à parler du raccordement permanent et nous nous sommes exprimés sur diverses tribunes comme celles-ci, avons fait beaucoup d'exposés et avons parlé de tous les enjeux et des gens, évidemment. Je ne sais pas ce que pensait le sénateur Catherine Callbeck du raccordement permanent, mais la femme d'un pêcheur disait : « Le raccordement permanent ne vaut pas la peine. » C'était juste au moment où de nouveaux traversiers s'en venaient, des traversiers plus rapides, comme ceux qu'on voit dans la baie de Fundy aujourd'hui, qui déplacent les gens beaucoup plus vite. C'est un concept totalement différent. Toutes ces décisions ont un effet quelque part sur quelqu'un, et quelqu'un perd son emploi, puis n'arrive jamais plus à en trouver un aussi bon, parce qu'il est rendu trop vieux. Il peut s'être blessé; il peut être du mauvais côté politique ou être touché par toutes les choses qui entrent en jeu dans la lutte pour la survie en Nouvelle-Écosse.

Tout ce que j'ai mentionné joue un rôle extrêmement important. Je rêve du jour où la politique n'aura plus sa place parmi les travailleurs, où l'hôtel de ville, les amis, les voisins et toutes les autres formes d'influence n'auront plus leur place en milieu de travail. Au chantier naval de Pictou, nous nous portions très, très bien. La politique est revenue brouiller les cartes dans deux ou trois directions. Tout s'est mis à déraper. Trois cent personnes, quatre cent personnes, parfois même jusqu'à cinq cent personnes travaillaient là et un jour, elles sont toutes parties. Il n'y a plus personne là- bas. Les édifices et l'atelier de fabrication n'ont jamais été si bons pour construire des bateaux, mais bien sûr, nous ne pouvons même pas remorquer les traversiers qui font toujours la navette avec l'Île-du-Prince-Édouard. Nous ne pouvons plus les entretenir parce qu'il ne reste plus personne pour travailler.

Nous avons maintenant un nouveau problème : tout le monde part vers l'Ouest. Il n'y a pas que les jeunes qui partent vers l'Ouest pour travailler, parce que quand les jeunes partent et qu'ils ont des enfants, les personnes plus âgées partent aussi parce qu'elles veulent être avec leurs petits-enfants.

Elmer MacKay a qualifié cette émigration de déruralisation de la Nouvelle-Écosse. Il dit que tout a commencé dans les années trente. L'exode se poursuit. Il n'a jamais cessé. Il n'a que ralenti de façon cyclique de temps en temps.

Je ne sais pas ce que Peter MacKay va faire. Je vais le voir dans son bureau et je lui parle comme je vous parle. « Nous devons faire quelque chose. Nous devons essayer. » J'espère qu'il va faire quelque chose, parce que nous n'avons jamais eu de plus belle occasion. Je ne sais pas si nous pourrons ravoir un vice-premier ministre et ministre de l'Agence de promotion économique du Canada Atlantique, l'APECA, d'ici. Peut-être. Il va peut-être rester là longtemps, je ne le sais pas. J'espère que s'il est là, il va faire quelque chose pour convaincre les gens que nous devons faire mieux et que nous devons avoir des conditions équivalentes à celles de l'Alberta, par exemple. Nous le méritons. Ce n'est pas parce que nous sommes de ce côté de ce pays que nous devrions être des citoyens de seconde classe ou que nous devrions vider la banque alimentaire chaque semaine, entre autres.

Nous devons être autonomes. Bien sûr, comment pouvons-nous y arriver? On a beau s'emporter, mais a-t-on des solutions à proposer? Je ne sais pas quelle est la solution, parce que beaucoup de gens ont essayé. Je sais qu'Elmer MacKay a essayé. J'ai travaillé avec lui à différentes reprises et il a beaucoup essayé de faire des choses. Il en a accompli quelques-unes, tout comme différents politiciens. Ils ont déjà accompli des choses dans le passé. J'espère que Peter MacKay pourra faire quelque chose pour le chantier naval et qu'il pourra faire quelque chose pour notre comté, parce qu'en ce moment, nous sommes dans une très piètre situation.

La construction de voitures et de wagons est au ralenti. L'industrie souffre. L'agriculture a de plus en plus de mal chaque année. Bien sûr, le traversier ne bouge plus, et Peter MacKay nous a aidés. Bien sûr, les deux côtés de la chambre étaient du même côté, et il était de l'autre côté, donc nous avons réussi à conserver le service de traversier. Pour les quelques emplois qu'il y a là, j'espère que nous pourrons conserver ce service.

Je pourrais vous parler de beaucoup, beaucoup de choses pendant très longtemps. Je pense qu'il y a certaines choses qui ne continueront plus longtemps pour les producteurs primaires. Je sais que vous voulez parler d'agriculture et de forêts, mais les producteurs primaires doivent aussi presque pouvoir vendre leurs produits directement à l'utilisateur ou à l'acheteur.

Quand l'industrie du pétrole est arrivée, il y a quelques années, nous allions faire comme l'Alberta. On parlait de la nouvelle Alberta : la Nouvelle-Écosse serait très riche grâce au pétrole. Puis badam! Cela n'a pas fonctionné du tout. Les gens ont perdu de l'argent. Nous n'avons rien gagné. Nous avons perdu de l'argent dans les projets comme Simper Gas, donc cela n'a pas porté fruit.

À l'époque, on disait que l'Écosse avait fait la même chose. On y a créé des marchés pour que les gens puissent prendre leurs marchandises, qu'il s'agisse de cochons, de framboises, de fraises ou de miel, et louer un espace pour quelques dollars afin de les vendre. Aujourd'hui, nous faisons un peu la même chose, mais c'est là où tout cloche.

J'aimerais vous dire une dernière chose. Les gens du comté de Pictou utilisaient tous le Sobeys pour vendre leurs produits. Ils y vendaient de tout : des mitaines, des gants, des couteaux, des petits fruits, du miel... C'était un peu comme ce qu'on fait ici, dans le comté de Colchester. Puis les magasins se sont mis à ouvrir le dimanche.

C'est pourquoi, lorsque vous prenez des décisions, vous devez réfléchir à leurs répercussions sur les gens. On ne peut pas seulement penser au bon côté. Il faut penser à la destruction que peuvent causer ses gestes.

Le premier ministre Rodney MacDonald a levé les bras et a dit : « Je ne peux plus tolérer ce commerce du dimanche. Nous allons laisser tous les commerçants ouvrir s'ils veulent ouvrir. » Le marché a dû fermer ses portes. Une centaine de personnes apportaient leurs produits en ville, des légumes, tout y était, comme au marché de Halifax et dans les marchés de Saint John, au Nouveau-Brunswick ou ailleurs, mais tout s'est terminé le 24 décembre. Il n'y a nulle part où aller. Ils vont dans les écoles et à différents endroits.

Si, dans votre grande sagesse, vous pouviez construire ou créer des marchés de la sorte, alors la dame qui a des surplus à la banque alimentaire ou qui a reçu des dons en nourriture qui n'ont pas pu être mangés pourrait les vendre dans des endroits comme celui-là, afin d'acheter des victuailles pour la banque alimentaire.

Il y a des solutions. Je ne sais pas de quoi a l'air le modèle de l'Écosse, mais une partie des fonds tirés du pétrole extracôtier de la mer du Nord a servi à ouvrir des marchés de ce type.

J'en aurais encore bien plus à dire, mais je sais que nous manquons de temps.

La présidente : Je sais qu'il y a plein de gens autour de la table qui ont des choses à dire, et nous voulons les entendre aussi. Merci beaucoup, monsieur McMaster. Vous nous avez présenté un exposé fantastique, et nous voyons où vous voulez en venir, mais nous allons commencer les questions et poursuivre à partir de là.

Le sénateur Mercer : Madame Dykens, j'aimerais vous remercier de vos 15 ans de bénévolat pour la banque alimentaire. C'est beaucoup de temps, et notre collectivité est meilleure grâce à elle, je vous en remercie.

Monsieur McMaster, c'est tout un défi pour vous d'avoir votre propre petite banque alimentaire.

Madame Dykens, les chiffres sont renversants. Vous avez eu 9 136 clients. De ce nombre, 70 p. 100 venaient de l'extérieur de la ville de Truro, donc des régions rurales. Vous ne m'avez pas donné de pourcentages, mais vous avez dit que la clientèle était de plus en plus âgée. Elle compte plus de personnes âgées qu'avant, mais y a-t-il encore une vaste majorité de jeunes, particulièrement de familles monoparentales?

Mme Dykens : Oui. Il y a beaucoup de mères et de pères monoparentaux qui ont besoin d'aide, et nous les considérons comme les travailleurs pauvres, où ils sont...

Le sénateur Mercer : Travaillent-ils?

Mme Dykens : Ils travaillent, mais leur salaire ne suffit pas. Ils n'arrivent pas à tout payer compte tenu du coût de la vie : la gardienne, le logement, le transport... Ils trouvent que s'ils peuvent obtenir un peu de viande et de produits en conserve de la banque alimentaire, il sera un peu plus facile de joindre les deux bouts.

Le sénateur Mercer : Oui. Le gouvernement fédéral actuel a adopté un programme sur la garde des enfants par lequel il donne 100 $ par mois, soit 1 200 $ par année aux parents d'enfants d'âge admissible. Ce programme a remplacé l'ancien, l'accord signé entre le gouvernement du Canada et la province de la Nouvelle-Écosse pour augmenter le nombre d'espaces en garderie. Quand vous parlez avec les gens qui reçoivent cet argent, constatez-vous qu'il les aide? Est-ce qu'il les aide pour la garde des enfants?

Mme Dykens : Pour la garde des enfants, oui, cet argent aide quelques personnes. Nous voyons que certaines mères peuvent utiliser les services de garderie pour leurs enfants à un coût moindre qu'avant, ce qui leur laisse un peu plus d'argent pour payer la nourriture et les vêtements des enfants. Nous voyons une différence à cet égard pour les soins de garde. Le problème est loin d'être totalement résolu, mais nous voyons lentement une petite différence qui se fait sentir.

Le sénateur Mercer : La banque alimentaire de Colchester fait-elle partie du réseau Feed Nova Scotia?

Mme Dykens : Feed Nova Scotia s'occupe surtout de distribution. Nous travaillons sur le terrain. Nous sommes avec les clients tous les jours, cinq jours de service régulier, mais on fait aussi appel à nous en situation d'urgence, après un incendie, une inondation ou un ouragan, par exemple.

Le sénateur Mercer : Vous avez raison, Feed Nova Scotia est un réseau de distribution et de service à la clientèle. Recevez-vous de la nourriture de Feed Nova Scotia?

Mme Dykens : Oui. Ce que nous recevons dépend de ce que nous recevons à la banque alimentaire. L'organisme distribue de la nourriture à d'autres banques alimentaires, selon certains pourcentages. Il analyse les statistiques sur notre clientèle et calcule le pourcentage de nourriture qu'il nous donnera en conséquence. Il peut y avoir une petite banque alimentaire comme celle qu'exploite ce monsieur et qui offre des services peut-être une fois par semaine, donc son pourcentage d'aliments sera inférieur.

Le sénateur Mercer : J'ai passé beaucoup de temps dans le comté de Pictou dans ma vie. Ma famille a des chalets dans ce comté. Je suis étonné. N'y a-t-il pas de banque alimentaire dans le comté de Pictou?

M. McMaster : Oui, il y a une banque alimentaire dans la ville de Pictou, mais sa situation s'apparente à celle de cette banque-ci : elle est surimposée. Elle n'arrive pas à prendre le dessus, et il y a d'autres raisons à cela aussi. Comme Mme Dykens le dit, il y a des gens qui ne veulent pas aller à la banque alimentaire.

Il arrive que je prépare des boîtes. Lorsque j'avais l'aide du service des incendies, je pouvais remplir des boîtes et les livrer, parfois à un ami qui se chargeait de transmettre le tout à la personne dans le besoin, que lui seul connaissait. Je ne savais pas qui allait recevoir la boîte. Seul cet ami était au courant.

En d'autres occasions, je peux laisser les denrées sous une certaine boîte aux lettres. Je dis alors aux gens qu'il y aura quelque chose pour eux sous cette boîte aux lettres, ou encore dans tel magasin, et c'est à cet endroit qu'ils vont le récupérer. Il leur suffit de se présenter au magasin en demandant si Ed McMaster a laissé quelque chose pour eux. Sans savoir ce qu'il y a dans la boîte, ces gens vont se déplacer pour aller la chercher. Il s'agit de nourriture, bien évidemment, bien qu'il arrive que ce soit de l'argent.

Il faut aussi penser qu'on ne peut pas acheter de l'huile à chauffage ou payer sa facture d'électricité avec la nourriture qu'on obtient de la banque alimentaire. Votre fournisseur de mazout n'acceptera pas de boîtes de conserve en guise de paiement. C'est surtout cela qui est problématique.

J'ai dû parfois donner de l'argent et, à l'occasion, c'était mon argent à moi. En fait, c'est souvent mon argent personnel.

Le sénateur Mercer : Monsieur McMaster, le réseau des banques alimentaires joue un important rôle de soutien social dans l'ensemble de la province. Je sais de quelle manière Mme Dykens détermine qui sont ses clients et où elle peut les trouver. Comment procédez-vous pour que les démunis puissent vous joindre ou pour repérer les personnes qui ont besoin d'aide?

M. McMaster : Ces gens communiquent avec moi. Cette femme à laquelle je livrais les denrées directement chez elle n'avait rien contre le fait de me voir arriver en plein jour. Je pouvais donc me rendre directement à son appartement de Pictou. Cependant, d'autres préfèrent que personne ne soit au courant. Certaines banques alimentaires font la même chose. Elles ouvrent le soir pour servir les étudiants qui constituent une bonne partie de leur clientèle. L'éducation coûte incroyablement cher et les étudiants ne veulent pas faire la queue et faire des démarches semblables si bien qu'il arrive parfois, et je ne sais pas si Mme Dykens le fait, que les banques alimentaires soient ouvertes le soir ou les week- ends pour accommoder ces gens.

Le sénateur Mercer : Madame Dykens, vous avez des fournisseurs locaux, quelques agriculteurs, et je crois que vous avez parlé d'un club de personnes âgées qui cultivent un jardin pour la banque alimentaire, une initiative fort louable. Je ne me souviens pas des termes exacts que vous avez employés, mais vous avez indiqué que vous étiez en train de les perdre. Est-ce parce qu'ils vieillissent?

Mme Dykens : Oui, à cause de leur âge. Nous avions déjà eu deux décès au sein de ce groupe qui jardine fidèlement pour nous depuis aussi longtemps que je puisse me rappeler. C'était leur façon de se tenir occupés après leur retraite. Depuis, cinq membres de ce groupe sont décédés et les autres vieillissent tranquillement et en viennent à ne plus être capables de jardiner, alors que leurs enfants qui auraient pu donner un coup de main ont quitté la région.

Le sénateur Mercer : Quoi qu'il en soit, je pense que le jardinage est une façon intéressante de faire participer les gens en aidant la banque alimentaire.

Mme Dykens : Oui, effectivement, et je dois dire qu'il y a également un jardin communautaire qui nous apporte son soutien.

La présidente : Au bénéfice de toutes les personnes ici présentes, j'aurais dû mentionner dès le départ que le sénateur à l'allure distinguée que vous pouvez voir au bout de la table n'est pas vraiment un sénateur. Il s'agit de votre député fédéral, Bill Casey, que nous accueillons avec très grand plaisir aujourd'hui.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie pour votre présence aujourd'hui ainsi que pour l'aide alimentaire que vous dispensez. C'est une facette extrêmement importante.

Madame Dykens, vous travaillez pour la banque alimentaire depuis 15 ans?

Mme Dykens : Oui.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous pu constater un accroissement de la demande?

Mme Dykens : Vous pouvez en être sûre.

Le sénateur Callbeck : Une demande de plus en plus forte à chaque année?

Mme Dykens : La demande a augmenté énormément depuis mon arrivée. Chaque année, chaque mois, nous avons au moins 30 nouveaux clients.

Le sénateur Callbeck : Je crois vous avoir entendu dire que 70 p. 100 de la demande se situait en milieu rural?

Mme Dykens : C'est exact.

Le sénateur Callbeck : Bon nombre des personnes en question n'ont pas de voiture?

Mme Dykens : Effectivement.

Le sénateur Callbeck : Comment ces gens vont-ils chercher la nourriture? Comment se rendent-ils à la banque alimentaire?

Mme Dykens : Il y un réseau d'entraide, un voisin peut les conduire, ou une personne peut se présenter avec une fourgonnette en nous disant que telle famille est dans le besoin. Il peut arriver que ces gens soient trop fiers pour venir eux-mêmes, mais quelqu'un d'autre nous informe de la situation et nous envoyons de la nourriture par son entremise. Les gens confient à ces émissaires leurs données financières, leur numéro d'assurance sociale et toutes ces choses que nous devons savoir, et apposent leur signature; on leur ramène les denrées, ce qui fait qu'ils n'ont pas à interagir directement avec nous.

Le sénateur Callbeck : C'est ce que je me demandais justement : s'il y avait un mode de livraison.

En gros, quelle serait la proportion de personnes âgées?

Mme Dykens : Je dirais qu'elle se situe entre 20 et 35 p. 100, si ce n'est pas plus élevé.

Le sénateur Callbeck : Monsieur McMaster, vous vous occupez de votre propre banque alimentaire. Nous n'avons pas encore accueilli de témoins qui en faisaient autant, alors je tiens à vous en féliciter. Depuis combien de temps le faites-vous?

M. McMaster : Eh bien, ma famille a toujours aidé les pauvres et je suppose que cela doit faire 30 ans dans mon cas. Il n'y a pas tellement de personnes âgées dans mon secteur. Certains aînés ont besoin d'aide, mais dans la plupart des cas, il s'agit de mères avec leurs enfants. Lorsqu'une femme est célibataire et seule à la maison, la situation n'est pas vraiment problématique. Elle peut survivre avec ce qu'elle reçoit du gouvernement. Cependant, dès qu'un enfant entre en scène, ou encore lorsqu'il y a un enfant plus âgé, les paiements reçus ne suffisent pas à nourrir tout le monde.

Le document que j'ai fait circuler est très éloquent à ce chapitre. L'aide n'est pas suffisante. Le loyer en gruge la presque totalité. Et lorsqu'arrivent Noël, les anniversaires et toutes ces célébrations, ces gens aimeraient pouvoir eux aussi participer à la fête, ce qui est tout à fait naturel. Nous vivons dans un pays si plein de richesses de toutes sortes que je n'arrive pas à comprendre comment certains peuvent être aussi démunis.

L'argent peut être dépensé autrement. Il y a la dépendance au jeu, il y a la cigarette, mais je constate dans la plupart des cas, et je ne sais pas si ma collègue ici présente pourra le confirmer, que la situation n'est aucunement due à un problème de jeu pathologique, de toxicomanie ou de comportements de ce genre. Les gens essaient simplement de survivre, mais ne disposent pas d'un revenu suffisant. Presque tout leur argent sert à payer le loyer. Le téléphone est une autre dépense importante. Et tous ces coûts ne cessent d'augmenter.

Le sénateur Callbeck : Peut-on parler d'une demande très forte qui augmente sans cesse?

M. McMaster : La situation était bien différente lorsque j'étais enfant. Les gens s'entraidaient toujours pour ce qui est de la nourriture.

Il y a un autre facteur. Une fois que ces personnes commencent à manger un certain type de nourriture, elles ne veulent plus en dévier. Même pour quelque chose acheté à leur intention par les gens de la banque alimentaire, voire par moi-même. C'est la réaction à laquelle j'ai parfois droit.

Un jour, une femme a appelé pour me dire qu'elle n'avait rien à donner à manger à son fils qui aurait bien voulu se mettre quelque chose sous la dent avant d'aller essayer de travailler comme pêcheur le lendemain. J'ai donc acheté des aliments que je jugeais les plus nourrissants pour lui permettre de faire sa journée de pêche. J'ai laissé le tout sur place et à mon retour à la maison, la femme a appelé de nouveau pour me dire qu'il voulait des pâtes. Comme je ne savais pas exactement de quoi elle voulait parler, je lui ai demandé de m'indiquer quel genre de pâtes pour que je puisse lui en apporter. Ce pauvre garçon n'avait pas la nourriture qu'il lui fallait. Il est mort d'une forme rare de cancer à 21 ou 22 ans; un cancer qu'on n'avait jamais vu auparavant chez une personne de race blanche car il frappe uniquement les Asiatiques. Le mal a pris racine dans son nez avant de se propager dans le reste de son corps.

Vous devez faire le nécessaire auprès des députés, ou des autres instances, pour que l'on puisse offrir cette aide alimentaire. Si on ne peut pas nourrir les gens ici même au Canada, qu'allons-nous faire dans d'autres pays? Je ne veux pas discuter de l'aspect démocratique de la question. J'ai un petit-fils à Kandahar et une petite fille à la Commission scolaire de Halifax et je puis vous assurer que, ces derniers temps, je n'ai pas ménagé les politiciens et toutes les personnes liées au gouvernement. Je combats avec autant d'ardeur que mon petit-fils le fait, j'ose espérer, à Kandahar. Nous nous devons d'en faire davantage. Je ne veux pas être trop émotif à ce sujet.

La présidente : Je suis persuadée qu'il fait du bon travail et que vous avez vous-même fait œuvre utile en aidant ces gens tout au long de votre vie.

Le sénateur Mahovlich : À Ottawa, on doit embaucher des actuaires pour calculer les pensions. Je ne pense toutefois pas que ces spécialistes vont directement sur le terrain pour voir quels sont les besoins. J'aimerais maintenant que vous nous disiez de quoi cette personne a besoin exactement. C'est une mère seule qui vit avec son fils. Quelle somme lui faut-il à chaque mois? Elle reçoit actuellement 680 $. Je ne vois pas comment elle peut survivre avec ce montant alors qu'elle a un loyer de 625 $ à payer.

M. McMaster : Je ne sais pas.

Le sénateur Mahovlich : De combien aurait-elle besoin?

M. McMaster : Eh bien, voici ce qui arrive. Les propriétaires profitent de la situation de ces gens et je suppose que cela exigerait des mesures de contrôle des salaires et des prix, ce que personne ne souhaite. Le propriétaire connaît le montant du chèque que cette femme touche, alors il augmenterait le loyer en conséquence. Je ne sais pas si c'est la même chose dans les grandes villes.

Le sénateur Mahovlich : Nous avons beaucoup de problèmes dans les villes également.

M. McMaster : Oui, je sais.

Le sénateur Mahovlich : À Toronto.

M. McMaster : Si le propriétaire croit qu'il peut obtenir 1 000 $ pour son loyer, il va le fixer à 1 000 $ sur-le-champ.

Le sénateur Mahovlich : Les propriétaires vont s'accaparer de ces sommes.

M. McMaster : Je ne sais pas. Vous étiez un grand joueur de hockey, mais si vous arrivez à trouver une solution, vous prouverez encore davantage votre valeur au sein d'une équipe.

Le sénateur Mahovlich : Comme vous parlez de hockey, je peux vous dire que nous avions le même problème. Lorsque j'ai commencé à jouer, le président de la ligue venait nous visiter pour nous dire à quel point notre régime de pension était extraordinaire. Si on lui posait une question, il nous mettait rapidement en boîte, alors on préférait se taire. En fin de compte, je n'aurais pas pu survivre avec la pension à laquelle j'ai eu droit lorsque j'ai pris ma retraite. On nous exploitait.

Nous étions des joueurs de hockey, nous devions quitter le Nord, comme les jeunes doivent maintenant partir d'ici parce qu'il n'y a pas de travail. Les gens se déplacent, mais il y a toujours quelqu'un pour essayer de profiter de la situation des autres. Nous sommes justement ici pour essayer de comprendre un peu mieux quels sont les besoins de ces gens qui fréquentent les banques alimentaires. Le problème semble bien réel.

M. McMaster : C'est la même chose pour les étudiants universitaires. Dans la région métropolitaine de Halifax, les étudiants comptent énormément sur les banques alimentaires parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent. Nous aidons également quelques jeunes ici. Ils ont probablement connu l'expérience de la banque alimentaire lorsqu'ils fréquentaient l'université : les loyers sont si élevés sur le campus comme à l'extérieur de l'université. J'ai un fils qui est passé par là. Il a dû avoir recours à la banque alimentaire pendant ses études universitaires. Il en est ressorti avec deux diplômes, mais il n'a toujours pas d'emploi. Il est revenu au travail qu'il faisait auparavant.

Le sénateur Mahovlich : Une grande partie de ces jeunes sortent de l'université avec des dettes. Je ne crois pas que nous allons dans la bonne direction, parce qu'un jeune de 25 ans voudrait normalement fonder un foyer et s'acheter une maison. Comment pourrait-il le faire? Je pense que nous imposons un stress beaucoup trop grand à nos jeunes étudiants.

M. McMaster : J'avais économisé de l'argent pour aller à l'université. Je n'y suis jamais allé. Je voulais devenir pilote professionnel. Un camarade, qui venait de quitter la force aérienne, ou il y était peut-être encore, m'a dit ceci : « Il y a une foule de pilotes civils, et tu n'auras jamais d'emploi. » Je suis sorti de ce programme immédiatement. Voilà comment les emplois se terminent en Nouvelle-Écosse : d'un coup sec.

La présidente : Je vous remercie tous les deux. Vous nous avez présenté un exposé réaliste et animé, et nous vous remercions d'être venus.

Nous sommes sur la route depuis plusieurs jours et, malgré la difficulté des enjeux, nous sommes ravis de rencontrer les gens du Canada atlantique.

Pour terminer aujourd'hui, nous accueillons Jayne Hunter et Pam Harrison, deux représentantes de la Rural Communities Foundation of Nova Scotia, et Barton Cutten, un étudiant ayant un sens politique.

Pam Harrison, coprésidente, Rural Communities Foundation of Nova Scotia : Mme Hunter et moi représentions deux groupes distincts qui se sont réunis pour former la Rural Communities Foundation of Nova Scotia. Mme Hunter faisait partie de l'organisme Literacy Nova Scotia, et moi, du Coastal Communities Network. Lorsqu'il y a eu un ralentissement dans les activités de pêche, la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique, ou LSPA, a été lancée afin d'aider les collectivités rurales à traverser cette terrible période d'ajustement. À la fin du programme, il restait environ 350 000 $ et nous avons pris cet argent pour créer une fondation.

L'objectif de la fondation est d'accorder de petites sommes d'argent aux communautés qui ont des idées sur la manière d'améliorer le sort des collectivités rurales de la Nouvelle-Écosse. Nos subventions ne vont jamais bien au-delà de 1 000 $, mais dans une collectivité rurale, cette somme équivaut à deux activités de financement. Un bon comité s'épuise juste à organiser deux activités de financement afin de recueillir 1 000 $, puis à faire le travail. Nous avons dit : « Nous allons enlever cette étape. Donnons les 1 000 $ à ces gens, et l'énergie qu'ils mettraient à mener des activités de financement pourra servir à faire quelque chose de bon dans la communauté. » Eh bien, de belles choses ont été réalisées grâce à ces 1 000 $.

Dans un cas, les gens ont pris les 1 000 $ et se sont adressés à une laiterie. Ils ont dit que les enfants n'avaient pas de lait, et la laiterie a offert de donner 30 p. 100. Ils ont pris les 1 000 $, ce qui faisait 30 p. 100, et les familles ont payé 30 p. 100. Elles ont payé seulement le tiers du coût du lait pour leurs enfants. Cela peut vous paraître peu, mais c'était énorme pour ces familles.

Nous avons aussi donné 1 000 $ à une école, qui a permis aux enfants de sixième année de se lancer en affaires. Ils ont mis sur pied une petite entreprise à l'intérieur de cette école. Madame Callbeck, cela ressemblait au projet « Je veux être millionnaire » que j'ai lancé à l'Île-du-Prince-Édouard il y a plusieurs années. Quoi qu'il en soit, ces enfants ont mis sur pied une cantine, qui ne vendait que des aliments nutritifs. Il y avait des pommes, des oranges, des bananes, du fromage, du yogourt, et cetera. Les enfants ont appris que s'ils achetaient des aliments à un tel prix et qu'ils les vendaient à un tel prix, ils réalisaient un peu de profit. Non seulement le programme permettait d'avoir une bonne nutrition, mais les enfants ont aussi appris les rouages des affaires.

Nous avons financé 10 projets semblables en un an. Notre thème cette année-là était la nutrition.

Au cours des deux dernières années, nous nous sommes occupés du problème des sans-abri en Nouvelle-Écosse, qui est déchirant. Dans le secteur rural de la Nouvelle-Écosse, ce problème n'est pas plus visible que la pauvreté, parce qu'il est gênant. C'est peut-être un enfant qui passe la nuit du lundi dans le sous-sol d'un ami, la nuit du mardi chez sa grand-mère, et il est ailleurs le jeudi soir, parce que le problème des sans-abri est caché. Nous avons donné une subvention de 10 000 $ — 5 000 $ en 2006 et 5 000 $ en 2007 — à un groupe qui s'occupe de ce problème dans le secteur rural de la Nouvelle-Écosse.

Notre rapport annuel est ici et nous aimerions d'abord le faire circuler. Nous voulons vous dire que ce ne sont pas des montagnes d'argent qui font une grande différence, mais qu'il faut mettre de petites sommes entre les mains des gens qui ont une solution en tête pour corriger un problème. Voilà ce que nous voulons vous dire : quand on est prêt à dégager des fonds, il faut donner cet argent aux gens qui savent comment l'utiliser pour changer les choses.

Mme Hunter et moi parlions tout à l'heure des circonstances qui entraînent les gens dans la pauvreté. Bien souvent, c'est parce qu'ils ne savent pas comment faire de bons choix, et un mauvais choix en entraîne un autre.

L'autre jour, je marchais avec ma petite-fille jusqu'à l'école avec une jeune mère, qui amenait ses deux petits au centre préscolaire. Je lui ai demandé comment elle allait. Elle m'a dit « Eh bien, nous ne pouvions pas nous permettre d'acheter des pneus d'hiver; hier, en se rendant au travail, Kevin a perdu la maîtrise de la voiture et a dérapé. Nous n'avions pas d'argent pour une remorqueuse, alors nous avons dû attendre qu'il y ait assez de gens pour sortir la voiture du fossé; à ce moment-là, il était si tard qu'il a manqué son travail, alors il a perdu une journée de salaire. » Cette histoire montre comment ce cycle peut commencer parce qu'on n'a pas d'argent pour acheter des pneus. Nous croyons parfois que l'argent doit toujours être consacré à la nourriture, mais il y a beaucoup plus que cela.

Je sais que votre temps est compté, alors je vais m'arrêter ici et laisser quelqu'un d'autre prendre la parole.

La présidente : Merci beaucoup. Je sais que nous allons vouloir vous poser des questions.

Barton, pouvez-vous nous expliquer ce que fait un étudiant ayant un sens politique?

Barton Cutten, à titre personnel : J'ai 26 ans; je suis né et j'ai grandi à la ferme familiale, dans la région. J'ai presque terminé un baccalauréat spécialisé en sciences et en gestion des systèmes environnementaux et je suis agent de ventes pour une entreprise agricole. Je me déplace beaucoup, alors j'ai cette perspective de première ligne qui est très bonne.

Quant à mon sens politique, le bien-être de nos collectivités à long terme me tient beaucoup à cœur, alors je cherche activement des solutions constructives qui nous permettraient de sortir de notre énigme actuelle. Voilà, en gros, ce qu'est un étudiant ayant un sens politique.

J'aimerais tout d'abord faire l'éloge de ce rapport intérimaire, et tout spécialement de la section portant sur le développement économique rural. « Conjuguer les intérêts ruraux et urbains », à la page 65, sera essentiel, parce qu'il y a une rupture entre les deux éléments. Je crois que cette rupture crée des problèmes pour la durabilité des régions rurales; « Agriculture et multifonctionnalité » est l'autre section qui m'intéresse.

Comme je l'ai dit, il faut rétablir un lien entre les intérêts ruraux et urbains. Bien des gens en milieu urbain savent peu comment les aliments sont produits et ce qu'il faut pour les produire. De plus en plus, avec le resserrement des normes en matière de sécurité alimentaire, beaucoup de citoyens présument que les coûts accrus sont épongés quelque part, mais ce sont bien souvent les agriculteurs qui doivent en payer le prix, ce qui augmente leurs dépenses. Si la sécurité alimentaire est un bien public, et que nos denrées ne se vendent pas plus cher, les coûts plus élevés doivent être couverts par les deniers publics. Voilà une autre pression qui rend la vie difficile aux agriculteurs.

En tant que société et culture, les agriculteurs doivent se réapproprier l'accès à leur marché, parce qu'à l'heure actuelle, ils vendent des produits, et les entreprises dociles, pour minimiser leurs entrants et maximiser leurs profits, donnent le moins possible aux agriculteurs. Il est possible de contribuer davantage à la chaîne de valeur ajoutée au sein des groupements agricoles s'ils peuvent conclure assez d'ententes de coopération pour transformer, commercialiser et distribuer leurs produits un peu plus. Il n'est pas nécessaire que chaque agriculteur vende ses produits directement, mais plutôt qu'il se crée une coopération qui permettrait de récupérer une partie de ce revenu agricole.

Bon nombre d'agriculteurs ici, en Nouvelle-Écosse, veulent que leur revenu provienne du marché. Ils ont dit clairement qu'ils ne souhaitent pas dépendre du financement de l'État. Voilà la direction qu'ils souhaitent emprunter, et il faut les encourager dans ce sens.

Parlons un peu de l'agriculture et de la multifonctionnalité. Pour continuer d'offrir des aliments bon marché ici au Canada, les agriculteurs doivent trouver des sources de revenu à l'extérieur de la production d'aliments primaires. Je sais que la production énergétique offre un énorme potentiel. Ce sera une source de revenu si nous voulons continuer d'offrir des aliments bon marché.

Il est possible aussi de poursuivre la recherche et de mettre en application une technologie qu'on appelle décomposition anaérobie ou digesteur. Cette technologie permet de composter les déchets alimentaires ou le fumier animal, et le méthane ainsi produit est recueilli et converti en électricité. Les agriculteurs peuvent donc vendre le méthane, ce qui peut être une source de revenu.

De plus, les agriculteurs peuvent aussi louer une partie de leur terre pour la production d'énergie éolienne. Ce sont deux activités lucratives qui peuvent générer un revenu stable et prévisible qui permettrait aux agriculteurs de gérer leurs entreprises.

Soit dit en passant, nous parlions tout à l'heure de ceux qui avaient un accès à la vente directe, comme les producteurs d'électricité. Comme il a été dit, dans la province, l'électricité est régie par la Nova Scotia Power, mais il existe un projet de loi que la présente législature ne fait que repousser. Il stagne depuis environ quatre ans. Il s'agit de la recommandation 51 qui, en bref, préconise la déréglementation de l'industrie de l'électricité. La Scotian WindFields, une coopérative qui est devenue le principal défenseur de l'énergie éolienne dans la province, s'impatiente de produire davantage, mais elle doit vendre sa production à la Nova Scotia Power, et cette dernière ne croit aucunement dans cette industrie. La Scotian WindFields ne veut pas de subvention, elle ne veut pas de soutien des gouvernements, elle veut seulement pouvoir vendre directement son produit. Sur la scène locale, tout politicien ou dirigeant qui prendrait ce dossier en main serait, je crois, très populaire au bout du compte.

Il serait possible de réduire le coût de la vie dans les secteurs ruraux associés à l'agriculture en permettant aux agriculteurs de construire sur leur propriété plus de logements qui seraient habités par d'autres. À l'heure actuelle, en Nouvelle-Écosse, les règlements municipaux et provinciaux précisent qu'en plus de sa maison principale, l'agriculteur peut avoir un autre logement pour quatre personnes sans avoir à payer une taxe foncière supplémentaire. Si ces dispositions pouvaient être changées et que les agriculteurs pouvaient avoir deux ou trois maisons de plus, on pourrait ainsi offrir un loyer bon marché aux employés qui vivent et travaillent dans ces fermes. Ces habitations pourraient contribuer à réduire le coût de la vie dans les régions rurales sans que l'on dépende des subventions de l'État. Les sénateurs pourraient recommander cette mesure aux autorités provinciales et municipales comme moyen d'atténuer certains problèmes liés à la pauvreté en milieu rural.

Il existe un dossier fondamental que, à mon avis, une entité gouvernementale qui ne dépend pas d'une élection devra étudier : fermer le cycle des nutriments. Je vais être direct. Nous devons commencer à réintégrer nos biosolides dans le système de production agroalimentaire. Pour ceux qui ne savent pas très bien ce que sont les biosolides, il s'agit, en bref, des eaux usées sanitaires traitées. À l'heure actuelle, notre système de production alimentaire est linéaire. Nous avons des entrants synthétiques, que ce soit de l'azote ou du phosphore. Les aliments sont consommés par les êtres humains, mais les nutriments résiduels excrétés ne retournent pas à la terre. Des quantités d'eaux usées sanitaires sont encore déversées dans la mer. Une partie est compostée, mais elle est habituellement dispersée dans d'autres secteurs.

Je ne recommande pas une solution exacte pour régler cette situation, mais je crois qu'il faut faire preuve d'un véritable leadership au pays pour prendre les devants. Aucun candidat politique élu ne veut prendre le dossier en main. La question est si controversée que les seules fois où elle est soulevée dans les débats publics, c'est en réaction à quelque chose qui leur est littéralement imposé. Je crois que le premier organisme gouvernemental qui agira récoltera des bienfaits considérables.

J'en arrive à mon dernier point : les économies et sociétés rurales en général. L'implantation accrue d'Internet haute vitesse dans les milieux ruraux est fondamentale au soutien des économies rurales, car les résidants des milieux ruraux ne dépendent alors pas des ressources primaires ou de leur environnement immédiat pour leur assurer une source de revenu. Je crois que c'est ce qui est en train de se produire lentement en Nouvelle-Écosse et j'encourage fortement tous les gouvernements à poursuivre leurs efforts pour que les résidants des milieux ruraux ne soient pas tributaires de leur milieu environnant pour gagner leur vie.

Il existe un problème majeur concernant la production alimentaire et l'accessibilité des aliments. Il est étonnant que les agriculteurs de nos jours, qui sont la pierre angulaire de la production agricole, cultivent rarement leurs propres aliments. Cela me laisse perplexe. Je crois que si nous pouvions favoriser une culture de production alimentaire dans nos milieux ruraux, où les terres agricoles le permettent, surtout auprès des chômeurs car ils ont le temps de le faire, cette production alimentaire pourrait contribuer à combler certains besoins essentiels et à procurer des aliments frais et bons pour la santé.

Une solution pourrait être d'encourager des personnes de la communauté artistique à déménager dans les milieux ruraux, en quelque sorte, plus particulièrement celles qui reçoivent des subventions du gouvernement. Il faudrait les inciter à s'installer dans les milieux ruraux et une part de l'argent destiné au loyer pourrait être remise aux propriétaires en milieu rural, par exemple. Cette solution pourrait être une façon créative de canaliser des fonds vers les milieux ruraux sans devoir mettre en place un énorme programme de subventions.

La présidente : Merci beaucoup. Vous avez ajouté quelques nouveaux points aux déclarations de nos témoins, ce qui est important.

Le sénateur Mercer : Je remercie les deux témoins, Mme Hunter, de Literacy Nova Scotia, et Mme Harrison, du Coastal Communities Network. Il y a quelques semaines, nous avons reçu à Ottawa Mme Ishbel Munro du Coastal Communities Network. J'ai son témoignage ici. J'aimerais savoir une fois pour toutes si le Coastal Communities Network fait officiellement partie de la Rural Communities Foundation of Nova Scotia?

Mme Harrison : Nous sommes les deux groupes membres fondateurs. Quand on nous a remis les fonds de la LSPA, c'était pour mettre en valeur les collectivités rurales, et l'appauvrissement de l'alphabétisation avait été établi comme l'un des éléments contribuant au problème. C'est pourquoi ces deux groupes se sont réunis pour recevoir l'argent.

Le sénateur Mercer : J'ai examiné votre rapport annuel, que vous avez eu l'amabilité de nous distribuer. D'abord, j'ai regardé les fonds puis les organisations à qui vous avez remis des subventions en 2005, qui sont énumérées là. Je connais suffisamment bien la géographie pour constater que vous avez bien réparti les fonds un peu partout dans la province, depuis le Cap-Breton jusqu'à Yarmouth, en passant par de nombreuses autres régions, dont toutes les collectivités rurales, bien évidemment. D'où proviennent les quelques 300 000 $ que vous aviez à la banque, comme il est précisé dans le rapport annuel?

Mme Harrison : Ce sont les fonds qui restaient du programme de la LSPA financé par le gouvernement fédéral. La LSPA a été mise en œuvre pour pallier l'effondrement des pêches; c'était donc l'argent non utilisé de cette stratégie.

Le sénateur Mercer : Donc, les fonds de la LSPA étaient...

Mme Harrison : Ils nous ont servi de fonds de démarrage.

Le sénateur Mercer : Je commence à comprendre. Acceptez-vous maintenant des dons?

Mme Harrison : C'est ce que nous essayons de faire. Nous exécutons actuellement un programme de relations publiques pour faire savoir à l'ensemble de la population de la Nouvelle-Écosse que la Rural Communities Foundation of Nova Scotia est en place, et que si les résidants désirent améliorer la vie des collectivités rurales, alors ils peuvent verser des dons à la fondation. Notre conseil d'administration ferait en sorte que ce soit possible.

Le sénateur Mercer : D'après ce rapport, la fondation est enregistrée en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes, mais n'est pas un organisme de bienfaisance enregistré?

Mme Harrison : Nous le sommes. Nous avons un numéro d'organisme de bienfaisance. Nous pouvons maintenant émettre des reçus aux fins de l'impôt.

Le sénateur Mercer : C'est très bien car vous en avez manifestement besoin. Je crois que c'est une autre solution intéressante à quelques-uns des problèmes : avoir des fondations qui sont axées uniquement sur les questions rurales. C'est une perspective intéressante. Merci beaucoup.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie tous d'être venus aujourd'hui. Madame Harrison, le programme que vous avez mis sur pied à l'Île-du-Prince-Édouard, How to be a Millionaire, est l'un des meilleurs programmes que je connaisse pour aider les jeunes à acquérir des compétences en gestion d'entreprise.

Quand vous dites qu'il est possible d'accomplir beaucoup avec une petite somme d'argent, c'est tout à fait vrai. Je souhaite vous poser une question au sujet du micro-crédit. Quand je parle de micro-crédit, je fais référence à de petites sommes d'argent, 500 ou 1 000 $. Quand nous avons reçu le Groupe de travail du premier ministre sur les femmes entrepreneures, cette question a été soulevée dans une foule de secteurs relativement à l'importance, surtout en milieu rural, que les femmes entrepreneures puissent avoir accès à 500 ou 1 000 $ pour pouvoir lancer leur propre petite entreprise. Croyez-vous que cette nécessité, ou ce besoin, existe?

Mme Harrison : J'imagine que oui, et je crois qu'au Canada, le besoin serait un peu plus élevé que 500 ou 1 000 $. Il y a de nombreuses années, le Coady International Institute de l'Université St. Francis Xavier a exploité ce thème. Quand le lauréat indien du prix Nobel de la paix est venu à Halifax il n'y a pas si longtemps, je l'ai écouté et me suis dit que nous devrions vraiment prendre ce modèle et nous employer à le mettre en oeuvre car je crois qu'il y a de la place pour une industrie de couture à domicile ou autre industrie du genre.

Le sénateur Callbeck : C'est vrai.

Mme Harrison : C'est un excellent argument que vous soulevez. La fondation n'a rien fait en ce sens, mais ce qui fait la beauté de la fondation est que chaque année, les membres du conseil d'administration se réunissent et se posent la question : « Quel thème sera le plus profitable aux milieux ruraux de la Nouvelle-Écosse cette année? » Nous changeons de thème d'une année à l'autre, alors les micro-prêts pourraient très bien être un thème pour le futur. C'est une excellente suggestion.

Le sénateur Callbeck : Je crois que c'est bien, surtout pour les régions rurales du Canada. La moitié des femmes entrepreneures au pays vivent dans des régions rurales, et nous l'avons entendu à maintes occasions.

Monsieur Cutten, vous avez mentionné que les habitants des milieux urbains connaissent mal le processus de production des aliments, et je pense que c'est vrai. Comment pouvons-nous sensibiliser les concitoyens de la ville?

M. Cutten : Cette question peut être délicate. Certaines initiatives sont en place actuellement pour encourager les milieux urbains et ruraux à renouer leurs liens. L'une d'elles, menée dans les provinces maritimes, se nomme la Journée portes ouvertes à la ferme. C'est un événement annuel où les représentants du ministère de l'Agriculture aident à promouvoir des visites à la ferme. Tous les agriculteurs, s'ils le veulent, peuvent s'inscrire et dire : « Je peux ouvrir ma ferme au public pour une ou deux journées ». Les gens peuvent venir pour avoir un aperçu. L'initiative connaît beaucoup de succès. L'année dernière, un peu plus de 20 000 personnes sont allées visiter des fermes en Nouvelle- Écosse pour découvrir comment cela se passe sur une ferme, ce qui est bon, mais nous sommes loin d'un million.

Ce n'est pas un problème évident à régler car nous sommes tous pris par nos occupations quotidiennes et il est difficile de se libérer. Je crois que du marketing plus direct auprès des regroupements agricoles contribuerait réellement à favoriser l'établissement de ces liens, même si cette mesure a davantage une vocation sociale que pratique, où vous favoriser ces relations pour que les consommateurs cessent d'acheter dans les grands magasins, ce qui est plutôt impersonnel. Vous traitez avec des particuliers qui oeuvrent dans l'industrie agricole primaire, et ces liens peuvent être tissés. Cela fonctionne bien dans le cadre de marchés fermiers, et ce modèle pourrait être élargi, surtout dans les régions où les distances géographiques entre la production agricole et le marché sont raisonnables ou du transport est accessible.

Nous pourrions promouvoir des marchés quotidiens. Actuellement, la plupart des marchés fermiers ont lieu qu'une fois par semaine, ce qui est acceptable, mais je crois que les possibilités d'en accroître la fréquence sont énormes. D'après mes expériences dans la province, les marchés fermiers connaissent du succès et sont achalandés. Cette solution contourne aussi de nombreux problèmes liés aux recettes car on élimine l'intermédiaire plus organisé, et une plus grande part de la vente au détail revient aux agriculteurs.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie infiniment. Vous nous avez certes donné de nombreuses idées auxquelles songer.

Le sénateur Gustafson : Monsieur Cutten, vous avez de toute évidence l'intention de devenir agriculteur?

M. Cutten : Non.

Le sénateur Gustafson : Cela répond à ma question.

M. Cutten : J'ai la société à cœur, mais je crois que je peux mieux aider l'industrie et l'ensemble de la société en ne consacrant pas autant de temps à l'agriculture. J'y prends plaisir, mais je dois admettre, en toute franchise, que ce n'est pas une passion, mais je traite quotidiennement avec des agriculteurs.

Le sénateur Gustafson : J'ai pratiqué l'agriculture toute ma vie et je continue à le faire aujourd'hui. J'ai 73 ans, et je n'ai jamais vu une situation aussi critique que celle à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle. Nous avons essayé la diversification, la production de différentes cultures et toutes sortes de méthodes. Des mesures peuvent être prises, mais le principal problème est que nous devons tirer certains revenus des produits que nous vendons. Nous ne pourrons jamais lutter à armes égales à moins que nous réglions la situation comme l'ont fait les États-Unis, qui offrent beaucoup de subventions. On nous dit depuis 20 ans, depuis l'époque que j'étais député et, maintenant au Sénat, que nous parviendrons à arrêter les Américains et les Européens d'octroyer des subventions, mais cela ne se produira pas. Le Canada doit décider s'il veut une industrie agricole ou non. Il devra débloquer des fonds, mais je crois que cet investissement profitera au pays s'il est géré convenablement. J'ai une autre question à vous poser. Combien de vos amis sont ou seront des agriculteurs?

M. Cutten : Ils ne sont pas aussi nombreux que je le voudrais. J'ai traité avec un grand nombre de producteurs laitiers, et la possibilité de trouver de la relève dans le secteur soumis à la gestion des approvisionnements est plus élevée, mais pour ce qui est de nombreux autres secteurs — l'élevage bovin ou, à l'heure actuelle, l'élevage de porcs — la relève est inexistante. Nous avons de jeunes agriculteurs itinérants qui vont de ferme en ferme, sans véritable espoir ou possibilité d'entrer dans l'industrie. Je crois que nous avons besoin d'obtenir de meilleurs prix pour nos produits et plus d'aide gouvernementale pour l'investissement initial — car c'est un obstacle de taille à l'heure actuelle, même pour les jeunes agriculteurs qui veulent et peuvent vendre un bon produit, mais qui ne disposent pas de la mise de fonds initiale.

Le sénateur Gustafson : Vous avez analysé la situation correctement. À mon avis, l'industrie laitière, par exemple, ou quiconque est protégé par un office de commercialisation, réussit mieux que l'Américain qui n'a pas d'office de commercialisation. Ils s'en sortent mieux, il va sans dire. Demandez-leur; les chiffres peuvent le prouver.

Cela dit, la situation est toute autre pour les producteurs de porcs, de bétail et de grains. Dans un pays comme le Canada, où nous exportons 80 p. 100 de notre grain, nous devons trouver un moyen d'uniformiser les règles du jeu ou déclarer faillite. Comme le sénateur Sparrow disait souvent au gouvernement, et même s'il était un libéral et que je suis un conservateur, nous partageons le même avis : « Que le gouvernement nous le dise. Veut-il que nous soyons en affaire ou pas? » Cette approche est directe, mais illustre la situation à laquelle nous sommes confrontés ici, selon moi. Je vous félicite de tenter de trouver des orientations et des mesures qui amélioreront la vie des agriculteurs. Continuez votre bon travail.

M. Cutten : Merci.

Le sénateur Gustafson : Je crois que jusqu'à ce que nous trouvions le moyen d'investir, nous avons besoin d'une politique agricole canadienne; un projet de loi qui prévoira dix ans à l'avance et qui donnera aux jeunes comme vous la possibilité de décider s'ils peuvent se diriger dans cette voie.

Je viens de vous faire un discours, je suppose.

La présidente : Mais c'était un bon discours.

Le sénateur Mahovlich : Mon père a eu une ferme. Cela a duré six mois, je crois. Ce n'est pas un secteur facile. Il est retourné à l'exploitation minière et a été mineur la majeure partie de sa vie.

L'année dernière, mon épouse et moi avons visité l'Italie. Durant notre séjour, j'ai entendu un énorme vacarme à deux heures du matin en plein centre-ville de Rome. Je me demandais bien ce que c'était. Je payais assez cher pour loger dans un bel hôtel et profiter de tous les agréments s'y rattachant. J'ai regardé par la fenêtre et j'ai aperçu des gens en train de monter des tentes au centre-ville de Rome. Dans toute la ville, c'était le jour du marché. Les agriculteurs sont autorisés à venir dans les villes et à vendre leurs produits, et c'est tout un marché fermier. Vous pouvez vous procurer de tout, il y a toutes les variétés de légumes que vous voulez. Ce marché durait deux ou trois jours par semaine.

À Toronto, nous avons un marché au centre-ville, le St. Lawrence Market.

M. Cutten : J'y suis déjà allé, oui.

Le sénateur Mahovlich : Cela vaut la peine d'y aller, mais tout est supervisé, ordonné et propre. Je suppose que les agriculteurs peuvent venir en ville et en repartir d'une certaine façon, mais à Rome, on les voit partout. Ils ont des marchés un peu partout. Vous croyez que c'est ce que les agriculteurs d'ici devraient faire : aller à Halifax ou dans d'autres villes et organiser des marchés?

M. Cutten : Idéalement, je crois que c'est ce qu'ils devraient faire. Je suis conscient que sur le plan pratique, il peut être difficile pour chaque agriculteur de trouver le temps de participer à un marché mais je crois qu'en principe, c'est une bonne idée. Une chose qui fait défaut, une entrave — il s'agit plus d'un obstacle à cette démarche en fait — est que l'industrie de l'agriculture est profondément ancrée dans la mentalité de vendre ses produits crus aux consommateurs. Je crois que de façon générale, nos producteurs primaires n'ont pas les compétences voulues, et plus particulièrement les habiletés interpersonnelles, pour le faire. Il faut leur donner un peu plus d'information à cet égard. S'ils peuvent acquérir ces compétences, alors oui, je crois que ce serait une bonne solution.

Le sénateur Mahovlich : Cette mesure ferait disparaître tous les supermarchés?

M. Cutten : Je l'ignore. La production est saisonnière dans la province, alors je ne crois pas que ce soit plausible.

Le sénateur Mahovlich : Oui, c'est un autre problème.

M. Cutten : Je crois que nous dépendrons de ces grands magasins pour une part raisonnable de notre consommation d'aliments, mais que des marchés fermiers pourraient être organisés. Les marchés offriront de grandes perspectives d'emploi, même dans nos régions de transition urbaines-rurales où un grand nombre de jeunes qui ne veulent ou ne peuvent pas nécessairement pratiquer l'agriculture de produits primaires pourraient avoir la possibilité de vendre les marchandises que leur culture et leur société produisent.

La présidente : Madame Hunter, je crois comprendre que vous et Mme Harrison travaillez ensemble?

Mme Hunter : Nous siégeons à un conseil d'administration bénévole. Je travaille en fait pour Literacy Nova Scotia et Mme Harrison est bénévole à la Rural Communities Foundation of Nova Scotia.

La présidente : Je sais, et vous faites de l'excellent travail. Quand vous participez à des banques alimentaires et à d'autres initiatives du genre, jusqu'à quel point, d'après vous, l'analphabétisme peut-il être un fardeau dans la vie des gens?

Mme Hunter : Je dois sortir les statistiques. Trente-huit pour cent des habitants de la Nouvelle-Écosse ont des difficultés à lire et à écrire. D'après l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA), ils sont en-dessous du seuil requis pour fonctionner normalement en société, qui est le niveau 3. Ce que je vérifie toujours avant d'accorder des subventions à un projet est s'il permettra de renforcer les capacités et s'il renferme un volet éducatif. Donc, il faut toujours un volet visant l'apprentissage des adultes ou des enfants. C'est toujours une partie importante de ce que nous faisons.

La présidente : Je crois comprendre que nous avons reçu d'excellentes nouvelles au cours de la dernière semaine et que tout n'est pas perdu?

Mme Hunter : Le Movement for Canadian Literacy a reçu de bonnes nouvelles, je crois, oui.

La présidente : Je vous remercie pour ce que vous faites.

Nous avons tiré des leçons de notre expérience. Nous avons appris beaucoup tout au long de notre voyage, mais avons eu des audiences remarquables ici, en Nouvelle-Écosse. Nous avons été guidés par notre dirigeant représentant la Nouvelle-Écosse, le sénateur Mercer. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous remercions tous les gens à l'arrière de la salle qui sont restés aujourd'hui et qui ont écouté, ainsi qu'aux quelques personnes qui ont participé.

Notre séjour a été fort enrichissant. Je vous remercie également de nous avoir soumis vos commentaires sur notre rapport provisoire, peu volumineux. À partir de vos commentaires, nous avons décidé de parcourir le pays et de visiter chaque province, après quoi nous nous rendrons également dans les territoires parce qu'on les oublie souvent et qu'ils ont aussi des problèmes dans leurs milieux ruraux.

Nous veillerons à ce que vous receviez des exemplaires du rapport lorsque nous l'aurons achevé, mais son utilité dépendra uniquement des échanges que nous aurons eus avec des personnes comme vous, des rencontres avec des gens qui éprouvent des difficultés et avec des particuliers qui ont des idées novatrices, comme celles que nous avons entendues durant notre voyage. Nous ferons de notre mieux pour donner suite à notre rapport provisoire afin de pouvoir, dans la mesure du possible, apporter des changements positifs, aussi modestes soient-ils, dans notre milieu agricole du pays.

Mme Harrison : Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de nous adresser à vous et de nous avoir écoutés. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La présidente : Merci.

Le sénateur Mercer : Madame la présidente, j'aimerais souligner la présence dans l'auditoire du président du conseil du comté de Colchester, M. Mike Smith, et le remercier d'être venu.

La présidente : Merci, chers collègues. Vous avez été extraordinaires. Nous allons poursuivre nos efforts. Notre prochaine destination est l'Ouest canadien.

La séance est levée.


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