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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 19 - Témoignages du 5 mars 2007 - Séance de l'après-midi


PRINCE GEORGE, COLOMBIE-BRITANNIQUE, le lundi 5 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 13 h 31 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, mesdames et messieurs. Nous sommes heureux d'accueillir parmi nous cet après-midi Mme Dowswell et M. Patterson.

Vous pouvez commencer, madame Dowswell.

Denise Dowswell, Little Valley Farms, à titre personnel : Le Canada veut-il de nous? C'est la question que nous nous posons dans notre ferme à l'heure actuelle. Nous sommes agriculteurs depuis trois générations à la ferme, ça a commencé avec mon grand-père. Il a travaillé jusqu'à l'âge de 72 ans. Il a travaillé jusqu'au jour de sa mort; il a pris sa retraite comme il le souhaitait. Ma grand-mère et lui sont tous deux enterrés sur le domaine.

Mon père a pris la relève. Il aura 60 ans cette année. La propriété compte 4 280 acres. Nous avons élevé jusqu'à 5 000 bovins. Nous en avons actuellement 2 500. Notre ferme est le fruit de labeur du matin au soir. Nous commençons la journée à 6 h 30. Mon père et moi nous rencontrons avant l'arrivée des employés à 8 heures et nous travaillons jusqu'à la tombée de la nuit. Les enfants font leur part. Sept petits-enfants âgés entre deux et sept ans vivent à la ferme, et même ceux de trois ans sont de la partie.

Nous sommes fiers de ce que nous produisons. Les produits que nous ne mangerions pas, nous ne les vendons pas. Ils ne quitteront pas la ferme. Cette philosophie nous a été transmise par mon grand-père et mon père. Nous dépensons beaucoup des capitaux que mon grand-père et mon père ont gagnés à la sueur de leur front. Mes deux sœurs sont comptables. La réalité est que nous payons pour cultiver nos terres. Il n'y a pas moyen de faire autrement. Nous sommes en train de dissiper les capitaux que mon père et mon grand-père ont investis dans la propriété.

Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés? Le transport des marchandises est un défi de taille pour nous. Nos produits doivent nous être acheminés. Nous avons connu une sécheresse cette année. Nous devons faire livrer tout le fourrage — à 50 $ la tonne. Tous nos animaux doivent être transportés. Les frais de transport sont de 50 $ par animal. Qu'est-ce que cela signifie pour nous? Ces animaux nous coûtent maintenant 100 $ supplémentaires par année. Ils ne paient pas pour être là; nous payons pour qu'ils soient là.

La main-d'œuvre représente un énorme problème pour nous également. À une certaine époque, nous pouvions trouver des gens qualifiés qui venaient de plus petites fermes. Par exemple, ils savaient conduire un tracteur. Qui embauchons-nous maintenant? Des jeunes qui n'ont jamais conduit un véhicule et qui n'ont pas de permis de conduire. Nous les formons. Nous leur demandons de travailler six jours par semaine. Nous avons engagé deux excellents travailleurs et avec le salaire que nous leur payons, ils vivent sous le seuil de la pauvreté. C'est honteux.

Je vais maintenant parler des programmes agricoles. Recevons-nous d'importantes subventions? Non. Nous consacrons énormément de temps aux programmes agricoles. Comme je l'ai dit, mes sœurs sont comptables et elles nous aident. Pour ce qui est du PCSRA, nous sommes encore en 2004. Nous avons reçu des fonds en 2004, mais on nous a par la suite informés que nous devions de l'argent. Nous sommes retournés au PCSRA, avons vérifié les chiffres à nouveau et, six mois plus tard, avons découvert que ce sont eux en fait qui nous devaient de l'argent — nous avons réglé nos affaires pour 2004. Malheureusement, nous avons du mal à payer les factures en 2007.

Nous sommes l'une des familles privilégiées dans la collectivité agricole, car nous portons encore un intérêt à l'agriculture. Quand je regarde dans ma collectivité, je vois des gens de l'âge de mon père qui ont travaillé toute leur vie — et qu'est-ce qu'ils ont? Ils ont installé une pancarte « à vendre » au bout de leur entrée. Les jeunes ne peuvent se lancer dans cette industrie. J'adorerais me consacrer à l'agriculture mais je dois enseigner deux jours par semaine parce que j'y suis contrainte. J'ai trois enfants à nourrir et à envoyer à l'école.

La majorité des gens dans cette salle reçoivent un chèque de paie toutes les deux semaines. C'est frustrant, car les agriculteurs au Canada ont seulement besoin d'une garantie qu'ils retireront effectivement quelque chose après une année de travail.

Je vais vous donner un aperçu de ce à quoi mes journées ressemblent. Les jours où j'enseigne, je me lève à cinq heures et exécute des tâches à la ferme avant de me rendre à l'école. Je reprends également mon travail à la ferme à quatre heures. À quel moment je vérifie l'âge des veaux? L'âge des veaux est vérifié avant cinq heures du matin ou quand mes enfants sont au lit. Les agriculteurs ne demandent pas la charité; ils veulent pouvoir gagner leur vie.

Lorsque l'ESB a frappé, nous avions un surplus de 500 bouvillons de l'autre côté de la frontière, aux États-Unis. Ils avaient été expédiés en mars, recevaient une alimentation complète, ont été abattus après la fermeture de la frontière le 20 mai et ont été vendus en tant que bœuf américain. Nous les avions vendus en août. Nous avons réalisé autant de profits avec les bouvillons qui étaient aux États-Unis qu'avec les bêtes adultes au Canada. Je parle exactement du même bœuf; certaines de ces bêtes étaient forcément de la même lignée. Ces bovins étaient vendus en tant que bœuf américain, car c'était avant l'ESB et, ici au Canada, on se faisait voler.

En 1972, notre ferme a été soumise à un blocage. À l'époque, ils disaient que le coût de production était de 1,42 $ et que le gouvernement garantissait ce montant pour l'élevage des veaux. À l'heure actuelle, pour un veau de même poids, l'agriculteur obtiendra entre 1,10 $ et 1,24 $. En 1972, il en coûtait 1,42 $ pour élever un veau; de nos jours, le coût des intrants a augmenté et l'agriculteur reçoit moins.

Quels sont quelques-uns des programmes en place actuellement? Il y a le PCSRA et le programme des SCDCA — les Services canadiens de développement des compétences en agriculture. Je voulais m'inscrire au programme des SCDCA, mais parce que mon époux touche un revenu en dehors de l'exploitation agricole, je n'y suis pas admissible. C'est une barrière pour un jeune qui tente de se lancer dans l'agriculture. Si un agriculteur occupe des emplois occasionnels, il est pénalisé — aucune aide n'est fournie à un agriculteur qui touche un revenu supplémentaire. Un agriculteur ne peut toutefois pas survivre financièrement. Comment voulez-vous que des jeunes se mettent à l'agriculture? — c'est ce qui déçoit la génération de mon père. Ces gens ont 60 ans. Ils ont consacré leur vie à leur ferme — et ils ne peuvent pas la vendre. Ils en sont prisonniers, et ce n'est pas parce que les jeunes ne veulent pas prendre la relève. C'est que les jeunes ne peuvent choisir l'agriculture comme gagne-pain, car ils n'ont ni le temps ni le capital.

La présidente : Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Patterson, après quoi nous passerons aux questions.

Dwaine Patterson, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 603, à titre personnel : D'abord, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le comité. Je réside à Prince George depuis maintenant 40 ans. Il y a 35 ans que je travaille à l'usine de pâte à papier Northwood de Canfor. J'ai le privilège de témoigner devant vous au nom de la section locale 603 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, qui représente les travailleurs de l'usine de pâte à papier Northwood de Canfor.

L'un des grands privilèges de travailler dans la plus jeune de toutes les usines de pâte à papier au Canada est que, bien que j'aie lu sur deux récessions qui ont sévi au Canada, je n'ai pas été touché par aucune. C'est un privilège d'avoir du travail. Comme il l'a été mentionné ici aujourd'hui, c'est un privilège d'avoir un travail qui vous assure un revenu toutes les deux semaines.

Votre comité comprend évidemment que la foresterie est le fer de lance de cette collectivité et constitue dans une large mesure l'épine dorsale de la province. Honorables sénateurs, vous êtes probablement au courant des problèmes de dendroctones de l'épinette et de dendroctones du pin, je ne m'y attarderai donc pas. Vous êtes probablement plus au fait que moi de la valeur élevée du dollar canadien et de ses retombées économiques, je vais donc passer à un autre sujet.

La santé du secteur forestier détermine pratiquement comment se porte la Colombie-Britannique. J'essaie d'entrevoir où seront les véritables problèmes si le groupe d'intellectuels du gouvernement ne reconnaît pas que nous sommes à la veille d'une crise dans l'industrie forestière. Nous sommes la plus jeune usine de pâte à papier au Canada. Par conséquent, nous produisons l'un des meilleurs produits au monde, et ce, à un excellent taux économique. Nous produisons une tonne de pâte pour chaque 0,4 jour-personne. Notre concurrent produit la même quantité en quatre jours-personnes. Nous sommes dix fois plus rentables que nos concurrents, nous jouissons donc d'une position privilégiée ici dans le Nord.

La qualité de la fibre que nous utilisons ne peut pas être reproduite dans des endroits comme l'Amérique du Sud. Ils peuvent vous fabriquer un papier journal, mais nous pouvons vous fabriquer un papier sur lequel vous pourrez lire même 50 ans après. Nous ne leur faisons pas concurrence dans ces types de projets forestiers. Cependant, nous rivalisons avec eux au chapitre du climat d'investissement dans le monde d'aujourd'hui, où les gens veulent obtenir un rendement immédiat et brut sur leurs investissements. Nous, qui oeuvrons dans l'industrie forestière, devons maintenir une approche progressiste à la gestion de nos usines pour que la structure financière actuelle cadre un tant soit peu avec les rendements que l'on trouve dans notre société.

L'emploi dans l'industrie forestière est fonction de la gestion intelligente de nos ressources, et c'est sur ce point que je sollicite l'aide des représentants élus. Il nous faut des systèmes de soutien qui nous permettraient de traiter le bois que nous abattons ici plutôt que d'expédier les rondins à l'étranger pour améliorer l'économie d'endroits comme le Japon, l'Amérique et la Chine. Nous devons proposer des initiatives dans ce secteur qui pourraient être menées en Colombie- Britannique. Plus nous ferons participer de gens dans une forme d'industrie secondaire liée au secteur forestier, plus nous pourrons nous soutenir mutuellement, l'agriculture et la foresterie. Plus il y a de gens qui travaillent et touchent un chèque de paie mensuel ou bimensuel, plus il y aura de gens pour venir en aide à nos amis et voisins oeuvrant dans le secteur de l'agriculture.

L'industrie forestière souffre depuis quelques années au Canada, surtout en Ontario et au Québec. Au cours des dernières années, 10 000 travailleurs ont perdu leur emploi, ce qui signifie qu'un million de tonnes de pâte ne sont plus produites par des usines canadiennes. Un million de tonnes de pâte correspondent à 16 p. 100 du produit national brut total généré par la pâte à papier. C'est 16 p. 100 en une année. Notre production de pâte à papier a baissé de ce pourcentage en un an. À mon sens, nous devrions examiner de près la situation dans notre industrie. Si cette baisse est une indication de notre avenir, alors un autre comité ne tardera pas à venir ici pour comprendre pourquoi le secteur forestier est dans le même guêpier que le secteur agricole actuellement. J'aimerais que l'on trouve une solution pour résorber les frais d'investissement afin d'attirer des investisseurs au pays.

Ce matin, un monsieur a parlé des recherches qui sont menées actuellement en Norvège. Il y a quelques années, des investisseurs norvégiens voulaient construire une usine produisant 5 000 tonnes quotidiennement — l'équivalent de la production des trois usines qui existent à l'heure actuelle — à Prince George. Les coûts des barres d'armature et du béton les ont découragés à investir dans cette région. Nous avons les ressources naturelles, la fibre et tout ce qu'il faut — y compris les réseaux de transport. Nous disposons de tout ce qu'il faut pour attirer les investisseurs.

J'espère que le sénateur Mercer perçoit mon message comme un encouragement — car je ne suis certainement pas ici pour pleurnicher.

Notre industrie n'est pas dans une situation difficile, mais nous devons faire le point et réaliser qu'elle peut s'empirer très rapidement si notre approche cesse d'être progressiste. Si l'industrie forestière échoue dans cette région, ce ne sera pas à cause du manque de matières premières; ce sera à cause du gouvernement, provincial ou fédéral, qui n'aura pas réussi à faire en sorte que ces matières premières soient utilisées pour générer des revenus pour nos citoyens. Si elle échoue dans cette région, ce ne sera pas à cause d'une pénurie de main-d'œuvre de qualité; ce sera parce que l'industrie et le gouvernement n'auront pas réussi à appuyer les efforts visant à former des travailleurs de qualité. Si elle échoue, ce ne sera pas à cause du manque de visionnaires; ce sera parce que nous n'aurons pas réussi à voir le problème suffisamment à l'avance pour pouvoir le résoudre.

Nous devons étudier les raisons pour lesquelles des usines à pâte ont fermé leurs portes en Ontario et au Québec et avoir des idées vraiment novatrices pour décider des mesures à prendre concernant l'industrie forestière dans cette région. Je suis absolument certain d'y arriver. Je peux trébucher deux fois et je prendrai ma retraite avant que l'industrie forestière sèche la dernière balle de pâte, mais mes petits-enfants ont besoin d'un endroit pour travailler et vivre.

La tranche d'imposition pour les cols bleus est très élevée, l'une des plus élevées au monde. Pour arriver à garder cette ressource et continuer de pouvoir en disposer, nous avons besoin d'aide pour maintenir l'industrie en place et créer une industrie secondaire dans cette région.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous. J'espère que nous arriverons à une conclusion qui permettra aux investisseurs, aux travailleurs et au gouvernement de mieux dialoguer pour aboutir à une solution qui maintiendra l'industrie forestière dans cette région.

La présidente : Merci beaucoup, Dwaine. Le sénateur Peterson sera le premier à poser des questions, il sera suivi par le sénateur Mercer.

Le sénateur Peterson : Merci, madame la présidente, et merci à vous deux pour vos déclarations.

Denise, je peux presque ressentir la douleur que vous avez manifestée durant votre déclaration aujourd'hui, et vous n'êtes ici pour demander ni la charité ni pour faire l'aumône. Vous ne demandez simplement que votre salaire corresponde au travail que vous faites, ce qui n'est certainement pas déraisonnable. Nous sommes arrivés à une conjoncture où la situation actuelle doit être corrigée, parce que j'espère que vous, votre famille et éventuellement vos enfants puissent continuer l'exploitation qui appartient à votre famille depuis quelque temps.

Être obligé de payer pour travailler est pratiquement impossible à comprendre. D'une façon ou d'une autre, il faudra que le reste du pays le comprenne et le comité s'engage à corriger cette situation parce qu'elle est tout simplement injuste.

Le sénateur Mercer : Denise et Dwaine, je vous remercie d'être venus. Nous éprouvons le même sentiment exprimé par le sénateur Peterson, nous pouvons ressentir votre douleur.

Dwaine, vous avez essayé de tirer un peu à l'avance la sonnette d'alarme pour que le comité comprenne bien la situation de l'industrie forestière. La situation de l'industrie forestière nous intéresse beaucoup; elle est très différente d'un bout à l'autre du pays et très importante dans cette région.

Dans ma province, en Nouvelle-Écosse, elle est encore très importante. Il y a trois usines de pâtes importantes, mais la gestion est différente; l'industrie est beaucoup moins importante. Les terres à bois que nous avons déboisées pour alimenter ces usines étaient très petites.

Vous avez mentionné plusieurs fois les coûts d'investissement. Selon vous, de quelle façon le gouvernement pourrait aider à établir une approche progressiste au niveau des investissements pour l'industrie forestière? Que devons-nous faire pour améliorer cette situation?

M. Patterson : Je ne sais vraiment pas, je ne suis pas économiste. J'espérais qu'il y aurait des idées novatrices dans ce domaine, par exemple un investisseur pourrait espérer une réduction au niveau des coûts ou des impôts, faire ce qui est nécessaire, puis étaler cela sur une période de 15 ans. Autrement dit, au lieu d'être imposé immédiatement pour avoir ouvert une usine à pâte de plusieurs millions de dollars, retarder les paiements jusqu'au moment où il est plus facile pour l'investisseur de le faire et ainsi, les bénéfices seraient plus équilibrés les premières années et aussi plus tard.

Si j'ai bien compris ce que m'ont dit les directeurs et le personnel à l'usine à pâte, au bout d'une période d'environ 10 ans, les bénéfices tirés du même produit étaient beaucoup plus élevés, simplement parce qu'ils avaient déduit tous les coûts qui y étaient associés. J'espérais une mesure dans ce sens où, au lieu d'attendre 10 ans pour avoir de tels bénéfices, ils pourraient faire des paiements après 10 ans, ce qui leur permettrait de faire des bénéfices au début et encourager l'investissement.

Le sénateur Mercer : Il y a aujourd'hui quatre usines à Prince George?

M. Patterson : Techniquement, il y en a trois; Northwood comprend deux usines distinctes situées l'une à côté de l'autre dans le même édifice.

Le sénateur Mercer : Vous êtes à l'usine la plus neuve?

M. Patterson : Oui.

Le sénateur Mercer : On pourrait supposer que les trois autres ne sont pas aussi efficientes que la vôtre. L'efficience est incroyable.

M. Patterson : En fait, monsieur, je travaille dans deux usines. Northwood comprend deux usines situées l'une à côté de l'autre. Notre ligne A, la nouvelle ligne, est beaucoup plus efficiente que l'ancienne. Cependant, en passant d'une usine à l'autre, on peut constater que le produit fini est pratiquement le même, la qualité est donc encore la même.

Le sénateur Mercer : Faudrait-t-il offrir un incitatif aux usines qui ne sont pas aussi efficientes? Devrions-nous faire quelque chose pour faciliter le rééquipement de ces vieilles usines afin de les rendre aussi efficientes que la nouvelle?

M. Patterson : Cela est malheureusement le problème qu'il faudra résoudre. La prévoyance nous dit que ces usines vieilles de 100 ans seront fermées. Les personnes qui vont décider de fermer ces usines devront répondre de leur action devant leurs électeurs. Je ne suis pas une de ces personnes, mon travail est donc plus facile.

Le sénateur Mercer : Denise, en comptant tous les membres de la famille, combien de personnes travaillent dans votre ferme?

Mme Dowswell : Il y a deux hommes engagés pour nous aider et mes trois sœurs. Mon père a eu la chance d'avoir quatre filles et six petites-filles. Il n'a qu'un seul petit-fils. Avec les deux engagés et nous, mon père travaille à plein temps. Il travaille de six heures du matin jusqu'au soir.

Le sénateur Mercer : Vos sœurs travaillent aussi à l'extérieur de la ferme?

Mme Dowswell : Elles travaillent à l'extérieur de la ferme mais aussi à la ferme.

Le sénateur Mercer : Mais pas votre père?

Mme Dowswell : Mon père travaille à la ferme tous les jours, oui. Cela nous inquiète beaucoup parce que mon père ne reçoit pas de salaire, mais nous ne pouvons pas engager quelqu'un pour faire son travail. Comment allons-nous payer la retraite de notre père? Quand son père a pris la retraite, nous avons pu continuer à exploiter la ferme. C'est aussi quelque chose qui nous préoccupe beaucoup.

Le sénateur Mercer : Vous avez dit que vous n'étiez pas éligibles à certains programmes parce que votre mari travaille à l'extérieur de la ferme, ce qui change votre revenu familial. Le problème du système fiscal, c'est qu'il est conçu pour être universel. Il est difficile pour le gouvernement de personnaliser le système fiscal à votre situation particulière. J'essaie de voir ce que pourrait faire le gouvernement pour résoudre cette situation. Est-ce que le gouvernement pourrait exclure des calculs le revenu de votre mari? Est-ce que cela serait la solution?

Mme Dowswell : Exactement. Exclure le revenu du conjoint — cette mesure ferait toute la différence pour moi. Pour nourrir mes enfants, je dois ramener 25 000 $ seulement par année. Toutefois, je ne peux pas acheter des vaches ou garantir que j'aurai 25 000 $ par année et que je pourrai nourrir ma famille. C'est tout ce que je demande. J'apporte un supplément à mon revenu familial, mais avec l'agriculture, je ne peux pas garantir que je pourrai nourrir mes enfants à la fin de l'année.

Le sénateur Mercer : Ceci sera une bien mince consolation pour vous, mais vous n'êtes pas seule. Nous avons entendu la même histoire partout — peut-être pas avec la même intensité que vous y avez mise, mais nous avons entendu la même histoire. Les solutions sont plus difficiles.

Mme Dowswell : Ce qui m'inquiète, c'est que bon nombre des gens qui assistent à ces réunions d'agriculteurs ont l'âge de mon père, et très peu même s'y intéressent. Les quelques personnes qui restent et qui ont une passion — leur cœur n'y est plus. C'est ce qui arrive. Les gens de la génération de mon père ont 60 ans et ils veulent pouvoir transmettre la ferme aux jeunes, mais quelque chose doit se produire.

Le sénateur Mahovlich : Denise, j'ai six petits-fils. Je me demandais s'ils pouvaient travailler dans votre ferme cet été?

Mme Dowswell : Bien sûr.

Le sénateur Mahovlich : Je serais heureux de les envoyer là-bas.

La présidente : Prenez-le au mot.

Le sénateur Mahovlich : Vos parents ont maintenant 60 ans. Ont-ils l'intention de prendre leur retraite à la ferme? Ont-ils l'intention de rester à la ferme jusqu'à l'âge de 80 ans?

Mme Dowswell : Oui, c'est ce qu'ils ont l'intention de faire.

Le sénateur Mahovlich : Votre père travaillera-t-il jusqu'à l'âge de 80 ans? Est-ce que ce sera l'âge de sa retraite?

Mme Dowswell : C'est sa retraite. C'était la retraite de mon grand-père. Lorsque nous montons en selle, nous déplaçons le bétail. L'autre jour, nous avions 11 chevaux de sellés.

Le sénateur Mahovlich : Votre père s'occupait-il de votre grand-père?

Mme Dowswell : Eh bien, mon grand-père est décédé. Mon père monte à cheval, et tous les petits-enfants montent à cheval, et je le fais avec mes sœurs. Nous allons nous occuper l'un de l'autre. Tout ce que nous demandons, c'est de nourrir nos familles.

Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement devrait proposer une meilleure politique, de meilleures règles pour les agriculteurs, pour qu'ils puissent avoir une vie.

Mme Dowswell : Bon nombre d'agriculteurs veulent prendre leur retraite dans leur ferme.

Le gouvernement de la Suisse a un programme de transition qui aide les familles à prendre leur retraite dans leur propre ferme, comme elles le souhaitent, mais le Canada n'a pas de programme semblable. Il est en compétition avec des pays comme les États-Unis — qui s'occupent de leurs agriculteurs. La Suisse s'occupe de ses agriculteurs. Les Européens le font. D'après ce que j'ai entendu, les Canadiens ne sont pas assez affamés, ils ne savent pas ce que signifie crever de faim.

Le sénateur Mahovlich : Il n'y a rien de semblable pour les agriculteurs.

Mme Dowswell : Non.

Le sénateur Mahovlich : Ce n'est pas une situation facile.

Concernant l'industrie forestière, il y a 30 ou 40 ans, il existait à Montréal une entreprise de meubles qui s'appelait Vilas; je possède encore un de ses meubles. Quand je me suis marié, j'ai acheté un bel ensemble de cuisine Vilas. Il avait été fabriqué à Shawinigan ou dans une de ces petites villes du Québec; il était fait en bel érable. L'entreprise Vilas a été achetée par Molson's et a été fermée au bout de deux ans. Il y avait une déduction fiscale. L'entreprise fabriquait de beaux meubles en érable. On n'encourageait pas les gens à se lancer dans la fabrication de meubles — ce qui est un problème avec nos lois. Cette déduction fiscale était avantageuse pour Molson's.

Pour ce qui est d'avoir une industrie secondaire ici, à Prince George, avez-vous en tête une entreprise de meubles comme celle-là?

M. Patterson : Ce que je souhaite, c'est qu'on utilise tout le bois résiduel dans la forêt, les arbres qu'ont tués les dendoctrones du pin et de l'épinette. Tellement de fibres sont gaspillées; nous devons les utiliser d'une façon quelconque. Je souhaite qu'on puisse les utiliser pour les nouveaux poêles à granulés que l'on vend comme appareils de chauffage de remplacement. Par exemple, si nous pouvions créer des usines de granulés ici même, ce serait une excellente ressource.

L'une des mesures qui pourraient aider notre collectivité — et je ne pense certainement pas à mes propres ressources ici. Mon patron ne sera probablement pas d'accord sur ce que je vais dire, mais si les gens qui ont une licence de propriété forestière de production étaient forcés d'agir de façon responsable envers toutes les fibres qui se trouvent sur leur propriété, on ferait probablement des gains de 30 à 40 p. 100 sur ces terres. Sortir cette fibre de la forêt occasionnerait des dépenses supplémentaires, que partageraient le détenteur de la licence et les bénéficiaires. Avec un peu d'imagination, on peut trouver une façon de faire qui sera profitable pour tous.

Le sénateur Gustafson : Dwaine, vous semblez dire que l'industrie suscite une certaine nervosité. Lorsque nous étions dans les Maritimes, et encore à Prince Albert, on nous a parlé de fermetures et des problèmes que connaissaient les vieilles usines. Je crois comprendre que vous vous préoccupez de la stabilité de vos usines.

Si j'ai bien compris, vous fabriquez d'abord des colombages, puis vous utilisez la pâte résiduelle?

M. Patterson : En gros, ce seraient les résidus du bois de construction de dimensions courantes. Toutefois, les choses vont changer dans un proche avenir, parce que le bois sec qui se trouve présentement dans la forêt pourra être utilisé pour la fabrication de bois de construction de dimensions courantes pendant environ trois à cinq ans seulement; tout dépend dans quelle mesure les insectes auront grugé l'écorce et auront infecté le bois. Si le bois est encore debout, il pourra servir à la fabrication de pâte pendant 25 ans. Ce ne sera pas le cas si les arbres sont tombés. Toutefois, si les arbres sont secs et debout, ils pourront servir à la fabrication de bois de construction de dimensions courantes pendant trois à cinq ans, après quoi ils seront trop secs et cassants pour former des colombages. D'un point de vue logistique, il faudrait réduire le bois en copeaux et le transformer en pâte.

Il y a un autre aspect que j'aimerais mentionner. La teinture bleue que laissent ces insectes tue les arbres. Tout le monde trouve que c'est joli, mais il s'agit d'un champignon. Nous commençons à peine d'étudier les risques possibles pour la santé humaine. Ces arbres sont acheminés à l'usine, où le bois est réduit en copeaux; le champignon se propage dans l'air et les gens respirent cette saleté. Dans 10 ou 15 ans, nous serons peut-être ici à discuter des maladies pulmonaires des travailleurs de l'industrie forestière, comme celles des mineurs. Toutefois, pour l'instant, nous devons agir avec les connaissances que nous avons, et nous devons sortir ce bois de la forêt.

Le sénateur Gustafson : Denise, vous nous avez donné un très bon aperçu de ce qui se passe en agriculture. La situation est très grave. De plus en plus d'agriculteurs perdent courage. Il y a un attachement sentimental à une ferme — je le sais. Mon grand-père, mon père et moi, nous étions tous des agriculteurs. Mes fils sont des agriculteurs et mes petits-enfants conduisent des tracteurs. Ce n'est pas seulement une question d'argent. C'est beaucoup plus que cela. C'est difficile à expliquer. Les gens que j'ai représentés dans la circonscription d'Assiniboine pendant 14 ans étaient des ruraux. Je crois vraiment qu'ils sont le sel de la terre. Vous l'avez démontré ici aujourd'hui, et vous nous avez amplement donné matière à réflexion, comme les autres témoins qui ont comparu ici. Nous ne l'oublierons pas de sitôt. Le défi est de communiquer cela aux autorités. Merci à vous deux de vos témoignages.

Mme Dowswell : Merci de nous avoir écoutés.

Le sénateur Mercer : J'aimerais poser une question rapide à Denise — un sujet que nous n'avons pas abordé auparavant lorsque nous avons parlé du secteur bovin.

Je crois comprendre qu'il n'y a aucun abattoir en Colombie-Britannique. Vous devez transporter votre bétail en Alberta — ce qui nous ramène à parler des coûts supplémentaires du transport. A-t-on envisagé d'établir un abattoir en Colombie-Britannique pour traiter le bœuf ici au lieu de l'envoyer de l'autre côté des montagnes?

Mme Dowswell : Il y a eu des pourparlers, et diverses tentatives ont été faites. Nous y avons pris part. Il y avait un petit abattoir à Terrace, où nous envoyions huit à dix bouvillons par semaine. Ils avaient un contrat avec les traversiers pour le transport de la viande. Les choses allaient bien jusqu'à ce que Tyson et Cargill, voyant là une occasion d'affaire, leur ont offert de la viande gratuite. Ils les ont forcés à fermer leurs portes. Tyson peut abattre en une journée ce que les petits établissements peuvent abattre en un an et, à moins qu'il y ait un marché, il écrase ces petits abattoirs.

Le sénateur Mercer : Les trois grosses compagnies sont donc Cargill, Tyson et XL Foods et elles établissent des prix d'éviction.

Mme Dowswell : Elles ont mis la main sur ces traversiers. Elles leur donnaient la viande juste pour qu'ils la ramènent.

Le sénateur Mercer : Le secteur des traversiers n'est-il pas contrôlé par le gouvernement de la Colombie- Britannique?

Mme Dowswell : Ce devrait être le cas.

Le sénateur Mercer : Les traversiers sont la propriété du gouvernement de la Colombie-Britannique.

Mme Dowswell : Oui. Si on adoptait un règlement disant que l'hôpital doit utiliser notre viande, ou s'il y avait un marché défini ici, cela nous aiderait. Or, les petits abattoirs sont tout simplement écrasés.

Le sénateur Mercer : Oui. Lorsque nous avons tenu nos audiences sur la crise de l'ESB, nous avons vu que de nouvelles installations ouvraient au Canada. Je suis originaire d'une province où il n'y a aucun abattoir et aucun établissement inspecté par les autorités fédérales. Nous avons vu une coopérative dans les provinces des Maritimes. A- t-on envisagé de créer une coopérative, ou d'utiliser la coopérative existante?

Mme Dowswell : Il y a eu des discussions, et des entretiens ont même eu lieu avec le gérant des viandes de Save-On- Foods. Toutefois, le plus grand défi est de rester compétitif par rapport à Extra Foods et tous les autres magasins. Les gens de Save-On-Foods disent qu'ils ne peuvent prendre d'engagement; si l'établissement appartient aux producteurs, nous allons acheter vos produits, parce que nous devons nous assurer que les gens vont acheter notre viande, mais si la viande est moins chère chez Extra Foods ou ailleurs, c'est là qu'ils vont l'acheter.

Le sénateur Mercer : Un des grands problèmes que nous avons, c'est que la nourriture est beaucoup trop bon marché dans notre pays.

Mme Dowswell : Exactement.

Le sénateur Mercer : Toutefois, comme je l'ai dit à quelqu'un tout à l'heure, les gouvernements peuvent difficilement dire aux gens qu'ils ne paient pas assez pour quelque chose dont ils ont absolument besoin, alors les solutions sont plutôt compliquées, et je vous remercie infiniment de vos deux exposés aujourd'hui. Comme l'a dit le sénateur Gustafson, nous ne sommes pas prêts de les oublier.

Le sénateur Gustafson : J'aimerais simplement ajouter une chose pour le compte rendu. Ces bovins dont nous parlons sont probablement les meilleurs du monde. J'ai visité les parcs d'engraissement du Kansas. Il y a là du bétail canadien et du bétail mexicain, et ce sont les meilleurs bovins du monde, dans tout ce pays. Pour une raison quelconque, plus vous allez au sud, plus le bétail perd en qualité. Il faut comprendre que nous parlons d'une industrie qui est la meilleure du monde.

Mme Dowswell : Les rations que nous servons à notre bétail sont équilibrées et informatisées. Il nous arrive de ne pas prendre de pause pour dîner, mais les bovins, eux, reçoivent leur déjeuner et leur dîner. Nous sommes très fiers de nos élevages; nous en prenons soin et nous en sommes fiers.

Le sénateur Gustafson : Si vous avez la chance de visiter ces parcs d'engraissement au Kansas, allez-y et vous verrez que c'est vrai.

Le sénateur Mahovlich : Un autre commentaire concernant le coût de la nourriture. Je crois que nous payons assez pour la nourriture, mais je ne pense pas que l'argent est distribué correctement.

La présidente : Juste une question, Denise. Je croyais qu'un établissement allait voir le jour en Colombie- Britannique. Est-ce exact?

Mme Dowswell : Un établissement de Prince George relève depuis peu des autorités fédérales — mais l'argent ne revient pas encore aux producteurs. Le problème, c'est que les marchés sont encore établis par les grandes entreprises, alors on ne paie pas plus pour le bétail. Le bétail se trouve encore dans l'ancien marché. C'est ce qui, à mon avis, est le plus difficile pour les agriculteurs : le marché est encore contrôlé par les magnats de l'industrie. Le bétail est encore vendu aux prix du marché.

Il y a donc un établissement à Prince George, mais jusqu'à présent, le producteur n'en profite pas. On y abat de 12 à 18 bêtes par semaine — c'est sa capacité.

La présidente : Vous nous avez fait tout un honneur en nous faisant part si ouvertement de vos inquiétudes et de vos souhaits. Je crois que tout le monde ici aimerait bien pouvoir régler la situation d'un coup de baguette. Je vous prie de rester en contact avec nous et de nous donner des nouvelles.

Nous tenons aussi à vous remercier, Dwaine, d'être ici aujourd'hui et d'avoir pris part à notre étude. Notre petit comité a la réputation de ne pas lâcher prise et c'est ce que nous allons continuer de faire, mais encore une fois, nous aimerions recevoir des nouvelles de vous.

Ce fut une très bonne journée aujourd'hui. Lorsque nous faisons ces voyages, nous apprenons, et nous apprenons grâce à vous, ce qui, je crois, nous aide à mieux faire notre travail. Vous y avez certainement contribué aujourd'hui. Nous vous souhaitons la meilleure des chances.

Merci, chers collègues. Vous avez été merveilleux comme toujours.

La séance est levée.


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