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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 20 - Témoignages du 8 mars 2007 - Séance du matin


HUMBOLDT, SASKATCHEWAN, le jeudi 8 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous, sénateurs, témoins et membres de l'auditoire qui sont ici pour savoir de quoi il retourne. Nous sommes ravis que vous ayez pu venir aujourd'hui et nous avons bien hâte de vous entendre.

Nous sommes aussi très heureux de nous trouver à Humboldt. Comme un certain nombre de nos témoins l'ont fait remarquer, Humboldt est un parfait exemple d'une collectivité rurale florissante, et son succès est dû, je n'en doute pas, à sa collectivité germanique vibrante au cœur de Humboldt. La présence germanique, je crois, se traduit dans le slogan touristique de Humboldt « un petit coin d'Allemagne au cœur des Prairies ».

Nous sommes ici pour tirer des leçons de votre succès mais aussi pour tenir compte de vos préoccupations et pour connaître les causes et les conséquences de la pauvreté dans les collectivités rurales de la Saskatchewan. Nous voulons aussi écouter ceux qui vivent dans la pauvreté ou qui aident les pauvres à s'en sortir, ainsi que la sorte d'infrastructure que vous avez établie dans ces régions pour venir en aide aux plus nécessiteux.

Notre comité s'est penché sur cette question à Ottawa depuis un an. Cependant, il y a environ deux semaines, nous avons commencé à nous dire qu'il ne suffisait pas d'écouter les soi-disant experts à Ottawa, et que le temps était venu d'agir et de nous rendre dans les collectivités. Nous avons sillonné les quatre provinces du Canada atlantique. Cette semaine nous avons amorcé notre voyage dans l'Ouest en nous rendant à Prince George en Colombie-Britannique. Nous avons eu une visite enthousiaste dans le coin sud-ouest de l'Alberta aux alentours de ma ville natale de Lethbridge; d'excellentes audiences hier dans les petites collectivités, et hier soir nous sommes arrivés à Humboldt où nous avons reçu un accueil chaleureux mais réservé.

Notre premier témoin aujourd'hui est Germain Dauk, membre du Comité d'action sur l'économie rurale. Il est accompagné de Dianne Olchowski, première dirigeante de la Community Futures Sagehill.

Germain Dauk, membre, Comité d'action sur l'économie rurale : Je dois m'excuser du rapport très bref que j'ai rédigé. Toute la semaine, nous avons eu à affronter un problème personnel à la maison et il se rapporte au problème dont il est question ici, soit la pauvreté rurale. Mon fils s'est attiré de sérieux ennuis et je me suis occupé à le faire admettre dans un centre de désintoxication pour toxicomanes. Ce matin, j'ai consacré seulement quelques minutes à coucher des idées sur papier très brièvement.

La pauvreté rurale est un problème réel. On peut donner notre propre exploitation en exemple. Même si nous sommes censés vivre dans un district où la récolte est assurée, depuis cinq ans nous avons été frappés par deux années de gel, une année de sécheresse et maintenant deux années d'excès d'humidité. L'année dernière, nous n'avons pas pu planter beaucoup de nos semences. On n'a pas pu ensemencer presque 40 p. 100 de nos champs et dans les 60 p. 100 où nous avons fait des semailles, la majorité ont été inondées et ont subi un stress dû à l'humidité.

Les outils de gestion du risque ne suffisent tout simplement pas. L'assurance-récolte cette année coûtera probablement aux environs de 100 $ l'acre, ce qui est déjà pas mal, mais avec l'augmentation des coûts, nos coûts dépasseront bien 200 $ l'acre. Sur une exploitation de presque 5 000 acres, où travaillent mes deux fils, ma femme et moi-même, c'est une grosse perte. Si la récolte est perdue, cela représente pour nous une perte d'un demi-million de dollars. Le Programme de stabilisation du revenu agricole, PCSRA, nous aidera à raison d'environ 20 $, mais avec la longue succession de maigres récoltes, nos marges bénéficiaires sont très peu élevées. C'est ce qui fait que le PCSRA n'est pas vraiment d'un grand secours.

J'ai parlé au sénateur Peterson de la différence qui existait aux États-Unis. Je m'y suis rendu deux fois avec le ministre Vanclief pour m'entretenir avec des sénateurs et des membres du Congrès. Ils estiment que leurs programmes de gestion du risque sont un investissement dans l'Amérique rurale et ils se décarcasseront pour procurer des fonds aux producteurs.

Je me suis intéressé pendant toutes ces années à des programmes et ils font frémir. L'assurance-récolte cette année pour l'orge est de 2,19 $ le boisseau. Le prix du maïs est de plus de 4 $. Les perspectives de rendement, les PDR, sont presque de 3 $. Le prix est de 3,50 $ pour l'orge maltée et pourtant, l'assurance-récolte de la Saskatchewan a établi le plus haut prix à 2,19 $, ce qui est presque criminel. Et ce n'est là qu'un exemple. Il faut se souvenir que la production alimentaire, la transformation des aliments au Canada, est la deuxième industrie en importance. Donc, bien des secteurs de la chaîne de valeur sont impliqués.

Je dois être extrêmement naïf parce que j'avais cru que c'était parce que je préside la table ronde sur la chaîne de valeur des cultures spéciales que j'avais été invité, et j'étais donc prêt à vous parler des chaînes de valeur et non pas des acres. Toutes ces notions s'intègrent les unes aux autres et je ne crois pas que cela importe vraiment.

Nous avons perdu des montants considérables dans notre exploitation agricole. Mes fils veulent bien essayer pendant encore un an, un point c'est tout. Si la situation ne s'améliore pas, ils renoncent. Dans mon cas bien sûr ma carrière est terminée parce que je suis de l'âge des sénateurs Peterson et Gustafson.

Il existe une crise de pauvreté rurale. Si notre exploitation agricole reflète la situation d'autres exploitations alors oui, il y a une crise.

Ce qui importe davantage c'est de savoir quelles sont les solutions. Nous devons immédiatement bonifier les programmes de gestion de risque. Ils sont insuffisants. Ils ne suffisent pas à la tâche. Il est difficile d'obtenir du crédit parce qu'ils ne sont pas proportionnés à l'importance du risque.

Je crois que l'agriculture a un énorme potentiel pour l'avenir. Si nous pouvons surmonter cette crise, son potentiel est énorme.

Que lui faut-il? De quoi a-t-elle besoin de la part du gouvernement? D'abord, il faut que l'industrie agricole permette aux producteurs de devenir propriétaires des industries de valeur ajoutée, comme le secteur des biocarburants. Les États-Unis ont un programme depuis un certain nombre d'années qui vise à venir en aide aux producteurs grâce à des prêts garantis, la participation au programme lié à l'éthanol et aux programmes de biogazole. Il faut que les producteurs deviennent propriétaires.

Deuxièmement, la recherche est nécessaire. En tant qu'ancien président, je sais que Pulse Canada est actuellement en train de faire des essais cliniques dans le domaine des bioproduits pour établir l'avantage de la consommation de légumineuses — deux tasses par semaine de pois, lentilles, pois chiches ou haricots, ou un mélange de ces catégories — et l'effet sur la cancer, le diabète, l'obésité et les maladies cardiaques. Les résultats préliminaires sont extrêmement excitants. Les cultures spéciales ne comprennent pas seulement les légumineuses mais aussi des plantes cultivées telles que la graine à canaris, la moutarde, le sarrasin, les herbes et épices. Nous croyons que l'alimentation a un énorme rôle à jouer dans la solution des coûts liés aux soins de santé. Nous dépensons des milliards de dollars en soins de santé et pratiquement rien à la recherche visant à abaisser ces frais de soins de santé.

À l'heure actuelle, ce sont le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les producteurs qui paient cette recherche. Elle est vraiment excitante mais le programme qui relève du Cadre stratégique pour l'agriculture, le CSA, va prendre fin très bientôt et passer à la génération suivante. Il faut offrir une transition. C'est extrêmement important pour l'avenir.

Tous nos minéraux et fibres proviennent de ressources non renouvelables. Il va falloir que cela change parce qu'elles s'épuisent et la recherche est nécessaire pour effectuer ce changement.

Je suis également président du Comité consultatif sur le programme de planification environnementale à la ferme. Je dirais qu'il a donné de très bons résultats. En moins de deux ans, nous avons enrôlé 10 000 exploitations agricoles dans ce programme. Il s'agit d'un paiement unique visant à améliorer la durabilité écologique de nos exploitations agricoles, et il faut qu'il soit maintenu.

Il y a un autre aspect à la question, et j'y ai fait allusion dans mon rapport. Sur notre exploitation, nous avons environ 50 acres d'arbres indigènes et plusieurs centaines d'acres de marécages qui représentent un coût pour nous. Nous payons des taxes sur ces acres. Nous n'en retirons aucun revenu et pourtant ces marécages et ces arbres indigènes rendent un grand service à la société. Y a-t-il une possibilité que des biens et services environnementaux soient une source de revenu pour les producteurs?

Nous traversons une crise à court terme; nous devons la surmonter, mais nous devons aussi considérer le long terme. Celui-ci comporte de la recherche. Il comporte un plan pour permettre à l'agriculture de participer à tout le secteur des bioproduits. Ce sera extrêmement critique. Je suis très optimiste en ce qui concerne l'avenir, mais nous connaissons une crise.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Dauk. J'aimerais également faire remarquer que Bradley Trost vient d'arriver. C'est le député de cette région. Soyez le bienvenu. Merci beaucoup d'être des nôtres.

Diane Olchowski, première dirigeante, Community Futures Sagehill : Bonjour. C'est certes un plaisir pour moi que de venir faire un exposé devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, en particulier sur la question de la pauvreté rurale.

Alors que je préparais mes notes pour cette occasion, j'ai eu du mal avec les mots « pauvreté rurale ». Typiquement, le mot pauvreté est presque toujours interchangeable avec le mot « pauvre » et le mot « pauvre » sert à décrire le manque de revenu pour répondre aux besoins essentiels, tels que nourrir sa famille et se loger.

Selon mon expérience, je crois qu'il serait difficile de trouver bien des gens dans la région de Sagehill qui se décriraient volontairement comme étant pauvres. En fait, ils seraient plus vraisemblablement portés à signaler les milieux urbains où chaque nuit aux nouvelles on entend parler des sans-abri, de la montée de la criminalité et d'enfants qui ne fréquentent pas l'école. Cependant, si vous demandiez à ces gens-là s'ils éprouvent des déficits dans nos zones rurales, ils énuméreraient les soins de santé, les réseaux de transport, l'éducation et l'alphabétisation, les problèmes de communication et de main-d'œuvre.

Les mots sont importants parce qu'ils fournissent la lentille que nous utilisons quand nous mettons en place une politique, des programmes et des services. Chacun de nous sait parfaitement que la question de la pauvreté rurale comprend beaucoup plus que le revenu de quelqu'un ou le prix quotidien des céréales. Il faut aussi tenir compte des facteurs psychologiques et sociologiques qui peuvent ultimement aboutir à l'exclusion. Il faut avant tout, dans une conversation au sujet de la pauvreté rurale, inclure le mot « développement ».

Je suis fière d'être membre d'une équipe qui vise l'aide au développement des collectivités. Nous nous concentrons surtout sur la réduction du déficit rural et la croissance de l'économie régionale en fin de compte. Nous le faisons en renforçant notre capacité communautaire collective pour innover, saisir les occasions et travailler de concert. Que le déficit se traduise par un accès au capital pour de petites entreprises, et l'occasion d'éduquer nos enfants près de chez nous, les questions d'alphabétisation communautaire, les stratégies d'immigration, le développement du secteur du biogazole, la définition et l'amélioration des couloirs de transport, le rajeunissement de la légion de bénévoles dans notre collectivité, ainsi que faciliter la collaboration municipale ou organisationnelle, développer des stratégies de transformation à valeur ajoutée, encourager nos jeunes grâce à des occasions d'apprentissage et en faisant preuve de leadership; renforcer nos forces culturelles ou maintenir le cap, pour que notre région puisse profiter de l'aide offerte par les échelons supérieurs de gouvernement, l'aide au développement des collectivités est en première ligne.

Community Futures Sagehill a une population totale d'environ 43 000 personnes, comprend 76 municipalités, dont une seulement a le rang de ville. Environ 88 p. 100 de la population sont établis dans des villes, villages ou à la ferme. Ces scénarios posent des défis intéressants.

La majorité des collectivités dans notre région ont connu une perte de population. Même si cette situation est analogue à bien d'autres régions de notre province, ce n'est pas une chose dont raffolent la plupart des gens. Par conséquent, nous connaissons un niveau croissant d'intérêt dans le repeuplement, les découvertes de nouveaux débouchés et une volonté d'explorer des stratégies innovatrices.

Des initiatives entreprises par les gens de l'endroit sont prises dans bien des collectivités de la région de Sagehill. Nous avons un vigoureux corridor d'entreprises industrielles juste à l'est de Humboldt, et nous tirons parti de cette vigueur en encourageant l'expansion des entreprises qui peuvent soutenir ou ajouter de la valeur à la production existante.

Nous possédons un trésor national dans le site historique à Batoche et nous collaborons avec la communauté locale métisse et Parcs Canada pour promouvoir énormément cette expérience culturelle. Le Resort Village de Manitou Beach continue à s'étendre sur les propriétés uniques du lac Manitou d'une façon très concertée. La communauté de Nokomis vient d'annoncer qu'elle projette de construire des installations de fabrication de biogazole.

Ce ne sont là que quelques exemples, mais nous savons que partout dans notre région, les collectivités décident de prendre les choses en main en concentrant leur énergie sur la création et la mise en œuvre de plans de développement communautaire et l'élaboration de stratégies de bénévolat. Elles utilisent leur énergie et leurs ressources pour faire en sorte que leur partie du Canada rural puisse demeurer forte et contribuer énergiquement à notre économie nationale. Notre organisme les appuie sans réserve.

Les projets sont peut-être différents, mais la motivation est la même. La force de notre région réside dans ses habitants, dans ses ressources naturelles, dans sa volonté de joindre l'acte à la parole, d'essayer quelque chose de nouveau et de mobiliser les troupes en vue de la réalisation d'un objectif commun.

Bien que dans la région de Sagehill le taux de plein emploi se situe à 4 p. 100, nous savons que près d'une centaine d'emplois dans notre région sont vacants depuis presque un an. Nous savons aussi que l'âge médian de notre population est plus élevé que la moyenne provinciale et que notre taux de participation est lui aussi plus élevé. Notre assise territoriale est importante, et on cherche vraiment de plus en plus à s'éloigner de la production primaire traditionnelle. Nous connaissons ces facteurs et sommes prêts à agir en élaborant des stratégies destinées à attirer des gens dans nos collectivités, à miser sur la production organique, à faire pousser des fruits là où l'on faisait pousser des céréales, à appuyer les individus qui veulent exploiter leurs propres petites entreprises, à protéger l'intégrité de notre environnement en assurant une bonne intendance et à célébrer notre histoire et notre culture collectives par le biais d'expériences touristiques uniques. Nous croyons bénéficier de façon générale d'une qualité de vie relativement élevée. Cela ne veut pas dire que nous ne connaissons pas de problèmes.

Dans la plupart des villes, les services d'incendie et de police sont assurés, tout comme le sont les garderies. Les routes et les moyens de transport sont accessibles. Les soins de santé sont dispensés presque partout et bien des fois ils sont offerts 24 heures par jour. On trouve des écoles dans la plupart des quartiers et le trajet des étudiants qui doivent emprunter l'autobus dure généralement moins de 30 minutes. En milieu rural, ce sont des bénévoles qui assurent les services d'incendie et, si nous sommes chanceux, nous bénéficions d'une présence policière à toutes les deux semaines. Dans les régions rurales, nous formons des comités de surveillance rurale et de quartier et nous avons énormément recours au Programme parents-secours alors qu'en milieu urbain, ces mêmes programmes sont laissés de côté. Il arrive que les dispensateurs de soins de santé nous rendent une visite hebdomadaire, mais le plus souvent, nous devons trouver des bénévoles pour nous rendre dans une collectivité à 30 ou 60 milles d'ici de sorte que les résidents de l'endroit, qui ne peuvent conduire, puissent voir leur médecin. Les écoles, dans les collectivités rurales, sont à l'étude et bien des parents pensent parfois faire l'école à la maison en raison des longs trajets en autobus.

Nous comprenons qu'une bonne partie de tout cela est fonction de nombres. Cependant, ceux d'entre nous qui choisissent de faire du Canada rural leur foyer ont une remarquable capacité de survie et c'est peut-être là, en partie, que réside une partie du problème. Notre capacité à nous adapter à un environnement changeant peut masquer une partie de notre réalité. Un pourcentage croissant d'habitants des régions rurales est en crise, les structures familiales croulent sous le fardeau de revenus en diminution, de la distance envers les services et le sentiment de devoir se débrouiller seules. Des services qui, il n'y a pas si longtemps, étaient offerts localement — et par là, j'entends à 20 ou 30 minutes de distance — ont maintenant été regroupés dans des milieux urbains beaucoup plus grands. On nous dit de télécharger le formulaire d'Internet, mais cela suppose que les gens ont un ordinateur et qu'ils ont accès à Internet. Si vous n'avez jamais essayé de télécharger un formulaire en couleur qui comporte de nombreux mots-symboles et logos de ministères en utilisant un accès téléphonique, vous savez qu'il serait moins pénible de faire le trajet d'une heure en voiture pour aller chercher le formulaire en personne. Nous recevons chaque semaine à notre bureau de nombreuses demandes de téléchargement de formules que nous envoyons par télécopieur à notre client parce qu'il n'a pas accès à Internet haute vitesse; cela devient une tâche impossible.

Nous devons préconiser l'innovation dans la prestation des services en créant une politique rurale dynamique. Nous devons tirer parti de programmes comme l'aide au développement des collectivités parce qu'ils fournissent une possibilité à exploiter nationale. Nous devons décider quel genre de Canada rural nous voulons et aller de l'avant.

Dans les dernières pages du rapport provisoire du comité intitulé Comprendre l'exode : lutte contre la pauvreté en milieu rural, les députés réitèrent leur profonde conviction que le Canada rural est en mesure de trouver ses propres solutions à ses propres problèmes s'il est convenablement appuyé par le gouvernement. Nous partageons cette conviction.

La présidente : Je vous remercie tous deux. C'est un excellent début pour notre discussion d'aujourd'hui; nous sommes vraiment ravis d'être ici à Humboldt. Madame Olchowski, quand vous parlez de votre travail et du soutien communautaire que les gens avec qui vous travaillez vous offrent ainsi qu'à tous les Canadiens, je peux vous dire que partout où nous allons, nous entendons parler du programme d'aide au développement des collectivités. En fait, juste avant notre départ d'Ottawa, nous avons eu une séance avec des gens du programme d'aide au développement des collectivités, dont les propos ressemblent beaucoup aux vôtres. C'est donc une très bonne combinaison pour entamer notre audience.

Le sénateur Gustafson : J'ai quelques questions, mais pour aller à l'essentiel, qu'arrive-t-il au prix des terres, ici, monsieur Dauk?

M. Dauk : Cela varie d'une région à l'autre; les prix des denrées se sont améliorés. Là où la production était bonne, le prix des terres a en fait augmenté. Là où on a éprouvé des problèmes de production, comme dans notre région, qui est très humide, et nous sommes extrêmement inquiets pour ce qui est de planter les cultures de l'an prochain, le prix des terres a légèrement baissé ou s'est maintenu. Il est très difficile de généraliser pour la province, c'est très régionalisé. Ce n'est pas une très bonne réponse, mais les prix varient. Avec les prix plus élevés et le bel optimisme pour cette année, là où la production a été bonne l'an dernier et où il y a possibilité d'obtenir une production cette année, les prix se sont en quelque sorte renforcés en fait.

Le sénateur Gustafson : Nous avons constaté qu'en Alberta le prix des terres est si élevé qu'il est extrêmement difficile de faire un profit sur cet investissement. Des questions, comme la possibilité de se retirer et de pouvoir continuer à exploiter la ferme, se posent donc.

M. Dauk : Je dirai que le problème, c'est peut-être le maintien de prix plus élevés qu'ils ne devraient l'être — même ici. Dans notre petite région, environ cinq sections de terre agricole ont récemment été achetées par un groupe d'investissement de l'Alberta parce que le prix des terres était très élevé dans leur province. Ils ont considéré que nos prix, qui tournent autour de 400 à 500 $ l'acre, représentaient une bonne affaire. En Alberta, on paierait 3 000 $ l'acre pour le même genre de terres.

Le sénateur Gustafson : Bien de nos agriculteurs semblent déprimés. Constatez-vous la même chose dans votre collectivité? Il n'y a pas cette fébrilité de planter les cultures. Habituellement, à l'arrivée du printemps, la température se réchauffe, l'herbe verdit et tout le monde a hâte de planter ses cultures.

M. Dauk : Encore une fois, cela varie selon le cas. Nous avons des agriculteurs plus vieux qui vivent à même leur capital. Cependant, mes fils, qui traversent une très mauvaise passe, n'ont pas les mêmes moyens. Ils vivent à même une déduction pour amortissement, leur revenu à l'extérieur de la ferme. Les gens de mon âge, qui reçoivent une pension et la pension de vieillesse, peuvent survivre. C'est très déprimant pour les plus jeunes, et c'est la génération que nous perdons. Cela me préoccupe vraiment.

Le sénateur Gustafson : En Alberta, on nous a dit très clairement que si on perd une génération d'agriculteurs, c'est la fin de l'industrie.

M. Dauk : Mes fils ont 35 et 45 ans. Ils traversent tous les deux une très mauvaise passe non seulement sur la ferme, mais aussi sur le plan personnel. Cela a un effet énorme sur nous. J'ai passé toute la semaine avec un de mes fils et c'est tout à fait déchirant. On le voit dans les ruptures de mariage, et c'est ce qui se passe dans ce cas-ci. C'est tragique. C'est un spectacle pénible. On ne peut pas en rejeter tout le blâme sur la question agricole, mais les pressions qui s'exercent sur ces jeunes gens sont réelles. Je suis le témoignage vivant que cela se produit.

Le sénateur Peterson : Monsieur Dauk, concernant les biocarburants, vous avez parlé de la propriété du producteur. S'agit-il d'un individu ou d'un groupe?

M. Dauk : Ça peut être les deux. J'aimerais investir dans l'industrie des biocarburants. J'ai des cousins au Minnesota et j'ai donc d'une certaine façon des points de comparaison. Mon problème, c'est que je n'ai pas d'argent à investir actuellement. Les banques hésitent à m'en prêter parce que nous utilisons notre avoir pour l'agriculture. Grâce à des garanties de prêts, et cetera, mes cousins aux États-Unis rentreront dans leurs frais dans un an et demi; ils récupéreront tout leur investissement. C'est un énorme rendement. Je leur ai parlé récemment, et compte tenu des prix du maïs plus élevés et peut-être des prix du pétrole moins élevés, ils ont rallongé cette période à deux ans et demi. C'est tout de même un rendement de 40 p. 100 pour leur investissement. Ils m'ont dit n'avoir eu aucun défaut de paiement pour tous les prêts garantis par le gouvernement américain. Cela arrivera peut-être un jour, mais cela leur a permis de posséder ces installations plutôt que ce soient les multinationales, comme Husky à Lloydminster, qui possèdent tout. Cela permet aux producteurs de participer à cette propriété. Non seulement cela, mais cela s'ajoute à ce qu'a dit Mme Olchowski. Il existe ou existera tellement de possibilités dans l'avenir pour la valeur ajoutée; si nous pouvons aider des producteurs à participer à cette propriété, je crois que nous arriverons à nous entendre sur bien des questions qui y sont reliées.

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé des terres humides et des zones arborées sur les fermes, sur lesquelles vous payez des taxes, mais qui ne vous rapportent rien. Verriez-vous un quelconque avantage à l'existence de crédits de carbone que d'autres pourraient vous acheter?

M. Dauk : L'agriculture risque fort de représenter une solution pour des questions comme le changement climatique. Nous avons en quelque sorte été des pionniers dans le concept de l'ensemencement direct il y a 16 ans; tout le monde nous a emboîté le pas. C'est devenu commun maintenant et a le potentiel de capter le carbone. Il existe un réel désir de convertir une partie de nos terres agricoles — en particulier les terres à blé plus marginales — en pâturages. Les pâturages ont la capacité de capter beaucoup plus de carbone que la céréaliculture. Les arbres ont beaucoup plus de capacité de capter le carbone en raison de leur taille. Il existe un énorme potentiel.

Pour ce qui est des biens et services écologiques, c'est un nouveau domaine. J'ai peur que si on introduit ce genre de paiements — et nous pourrions y voir un lien avec le Conservation Reserve Program américain — on prenne l'argent d'un programme pour le mettre dans un autre. Je ne voudrais pas que cela se produise, surtout en matière de planification agricole environnementale, le concept du paiement unique par opposition au concept du paiement annuel. Ils sont tous les deux importants, mais ils reposent sur des principes différents. Je crains parfois que les gens finissent par croire qu'il s'agit de la même chose.

Le sénateur Peterson : Pour ce qui est de la protection de la gestion du risque, croyez-vous que nous avons besoin d'un programme tout à fait nouveau qui reflète mieux les trois ou quatre dernières années où nous avons connu un manque à gagner?

M. Dauk : Je me suis occupé de ces programmes pendant longtemps. Je siégeais au comité d'appel de l'ACRA, l'Aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole, mais j'ai en fait démissionné. Je ne pouvais plus supporter l'ingérence bureaucratique et les tentatives en vue de ne pas verser les paiements auxquels avaient droit les agriculteurs. Mon départ s'est en quelque sorte fait par consentement mutuel parce je faisais tellement de raffut qu'ils m'ont renvoyé — je ne suis pas certain si j'ai quitté ou si j'ai été renvoyé; c'est sans intérêt.

Je crois que le programme a du potentiel. Il faut y travailler. J'ai eu la chance de venir à Ottawa à quelques reprises en parler avec les ministres, y compris notre nouveau ministre, Chuck Strahl. Le programme a du potentiel, mais quand nous connaissons des catastrophes année après année, comme celles que nous avons connues, cela ne fonctionne tout simplement pas. Je ne sais pas ce qu'il faudrait faire. Les bioproduits m'enthousiasment, de même que les cultures, les herbes, les épices et les légumineuses spéciales, mais je ne tiens pas à me faire passer pour expert en la matière. Je n'ai pas vraiment beaucoup travaillé là-dessus. Je sais seulement que le programme ne fonctionne pas.

Le sénateur Peterson : Madame Olchowski, d'après vous, combien de temps faudra-t-il avant que vous ayez accès à Internet haute vitesse et la large bande ici?

Mme Olchowski : Nous l'avons déjà en certains endroits. Le problème, c'est que c'est éparpillé. Par conséquent, si vous êtes un demi-mille plus loin par ici ou un demi-mille plus loin par là, le service n'est pas rendu. Je vous dirais d'ici deux à trois ans. Nous essayons d'utiliser le Programme d'accès communautaire, le PAC. C'est un programme fédéral en vertu duquel on essaie au moins d'implanter des points d'accès dans les collectivités de sorte que les gens peuvent se prévaloir du service. Le programme traverse une période difficile. Il est sous-financé et il est toujours menacé de disparition. Pour nous, c'est un problème.

M. Dauk : Nous venons de tenir une agri-rencontre au cours de laquelle cette question a été abordée. La Saskatchewan est l'une des provinces où le pourcentage de gens qui utilisent Internet haute vitesse est le plus élevé et c'est la province qui offre un fort potentiel de possibilités, en particulier du côté rural, pour participer à l'économie grâce à l'utilisation d'Internet. Nos recommandations seraient d'élargir l'accès à Internet haute vitesse. Nous voyons les centres d'appels comme un secteur à faible coût. Cependant, si nous pouvons réunir des spécialistes, comme dans le domaine médical, des infirmiers, des infirmières, des spécialistes en mécanique, et cetera, dans toute la province, les relier par Internet haute vitesse, offrir un centre d'appels très haut de gamme — ce que l'on essaie de faire à Kenaston avec i-Tracks et le groupe de Dan Weber —, alors on peut dire que le potentiel pour le secteur rural de la Saskatchewan est énorme. Tout a rapport à Internet haute vitesse.

Le sénateur Mercer : Madame Olchowski, vous avez parlé de fabrication de biocarburant à Nokomis. S'agirait-il de la première usine de fabrication de biocarburant dans la province?

Mme Olchowski : Il y en a une à Lloydminster qui est rendue à ces étapes; mais dans une petite collectivité, oui.

Le sénateur Mercer : Qui sera propriétaire de l'usine?

Mme Olchowski : Les producteurs comptent détenir une partie de la propriété. Ils estiment que l'usine nécessitera des capitaux d'environ 65 millions de dollars. Selon leur plan, les producteurs investiraient entre 8 et 12 millions dans l'usine. Il y aurait de 5 à 7 millions de dollars de plus pour les contrats de prestation de services. L'intention est que les producteurs auront des droits et des obligations pour ce qui est de pouvoir livrer du grain également, qu'ils auront cette obligation de le livrer.

Le sénateur Mercer : Savez-vous quelles cultures ils comptent utiliser?

Mme Olchowski : En ce moment, ils pensent utiliser seulement des graines oléagineuses, du canola. Ils ont des plans concernant l'aspect glycérol du produit, notamment la collaboration avec un parc d'engraissement assez important de cette région. Ils espèrent qu'un certain nombre de ces combinaisons les aideront à garantir l'avenir de l'usine.

Le sénateur Mercer : Est-ce que cela modifierait quelques-unes des cultures traditionnelles de cette région de la province?

Mme Olchowski : Je suppose que ces prochaines années, on a surtout semé du canola et des graines oléagineuses dans cette région précise. Lorsque nous avons parlé aux producteurs hier — car c'est à ce moment-là que l'annonce en a été faite — il y avait beaucoup d'enthousiasme au sujet de la conversion de cette superficie aux graines oléagineuses.

Le sénateur Mercer : Vous avez mentionné, tout comme de nombreux autres, la question de la garde d'enfants en milieu rural au Canada. Le gouvernement actuel a mis en place un programme qui remet 100 $ aux familles admissibles, en remplacement d'une entente conclue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Saskatchewan. Est-ce que cette mesure a eu une incidence positive ou négative?

Mme Olchowski : Tout dépend de l'endroit. Le problème n'est pas de savoir si les gens ont l'argent pour payer les services de garde d'enfants, mais de savoir si le service est offert.

Le sénateur Mercer : L'entente antérieure devait créer des places en garderie, et je ne crois pas que ce nouveau programme l'ait fait.

Mme Olchowski : Il n'a créé aucune place dans notre région.

Le sénateur Mercer : Monsieur Dauk, vous produisez des légumineuses. Je vais porter un autre chapeau la semaine prochaine. En tant que membre du Comité des transports et des communications, je serai au port de Vancouver. Je poserai la question évidente qui fait le lien entre mes deux comités : quelle est l'ampleur de votre problème de transport pour acheminer vos récoltes de la Saskatchewan au port et aux clients?

M. Dauk : À la table ronde, nous avons réalisé plusieurs études comparatives avec l'aide d'Agriculture et Agroalimentaire Canada avec les lentilles roses, les pois verts, le sarrasin, et cetera et l'indice de référence nous dit que nous obtenons de bons résultats dans ce domaine. Nous réussissons dans bien des choses au Canada, mais nous excellons dans d'autres. Nous voulons l'utiliser dans notre développement d'une marque avec le programme de promotion de l'image de marque du Canada. La question qui revient sans arrêt dans chaque pays et pour chaque produit, c'est celle de notre réseau de transport, et c'est l'obstacle qui nous frustre le plus. Nous y travaillons, mais c'est tellement difficile de faire bouger les choses. Il y a tellement d'intervenants; c'est tellement complexe. Cependant, si vous pouvez y faire quelque chose, vous serez célèbre et nous vous en serons éternellement reconnaissants.

Le sénateur Mercer : Je ne sais pas si j'aurai la solution mais une chose est certaine, je vais essayer de vous aider. Le problème que soulèvent constamment les agriculteurs et les exportateurs, c'est celui du manque de conteneurs. Est-ce que ce problème persiste, celui de n'avoir aucun conteneur sur place ici, en Saskatchewan, où vous pouvez charger les cultures au lieu de les expédier et de les reconditionner à Vancouver?

M. Dauk : Comme vous le savez, on a recours presque exclusivement aux conteneurs pour les cultures spéciales, et c'est tellement essentiel. Je sais que Red Williams parle de la notion d'un port à conteneurs en Saskatchewan, ce qui serait très utile. Cependant, je n'en comprends pas tous les tenants et aboutissants de sorte que je ne m'aventurerais pas à vous dire ce qu'il faudrait faire. Il y a tellement de travail, d'études et d'efforts à déployer et tous les paliers de gouvernement, tous les partis doivent s'y attaquer. C'est important.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné que vous avez besoin d'incitatifs. Avez-vous des exemples dans d'autres secteurs au Canada où le gouvernement a donné des incitatifs, dans les pêcheries ou le secteur minier, et où cela a eu de bons résultats?

M. Dauk : Mon inspiration me vient du sénateur Segal car il est très à l'aise avec cette question-là. Il a des exemples concrets d'endroits où des industries et des compagnies ont eu l'avantage d'avoir l'aide du gouvernement. Je dis que c'est un investissement, que ce soit pour des compagnies comme Bombardier Inc., ou pour le secteur des pêcheries ou de l'exploitation forestière, en particulier l'industrie pétrolière. Si nous prenons cette dernière et comptons le nombre d'incitatifs qu'elle reçoit — encore une fois, je cite le sénateur Segal là-dessus —, ils sont tout simplement énormes. En comparaison, n'importe quoi qui se fait dans le domaine de l'agriculture n'est rien. Je crois qu'il y a des incitatifs qui fonctionnent, j'en suis convaincu. Je pense que notre attitude au Canada vis-à-vis de ces incitatifs est qu'ils ne servent qu'à faire du sauvetage, que c'est du bien-être social à l'intention des agriculteurs. La même attitude existe lorsque nous parlons de l'industrie pétrolière. L'industrie de l'automobile reçoit d'énormes incitatifs, et si nous prenons tous ces exemples, on ne les voit pas du même point de vue négatif. Aux États-Unis, on considère que c'est un investissement dans le secteur rural américain. Il y a de nombreux exemples, mais je ne préconise pas qu'on nous donne énormément d'argent. Je dis tout simplement de collaborer avec les producteurs pour mettre au point un programme d'assurance qui couvrira adéquatement nos risques, pour que nous puissions obtenir du financement, et cetera. Cela fonctionne avec les gens — ce qui est différent d'un sauvetage.

Le sénateur Mahovlich : Madame Olchowski, les jeunes quittent les régions rurales, et nous devons essayer de les y garder. Y a-t-il suffisamment de travail pour eux? Sont-ils actifs? Y a-t-il suffisamment de loisirs pour intéresser nos jeunes à rester? Est-ce que nous les appuyons de cette façon?

Mme Olchowski : Je ne suis pas convaincue qu'il y ait suffisamment d'activités. Il y a à peine quelques années, lorsque j'étais plus jeune, j'ai aussi quitté le secteur rural. C'est ce que nous faisons. À nos 18 ans, nous voulons avoir plus d'instruction, voir le monde. Lorsque j'ai eu 18 ans, le monde était à 60 milles de distance, à Saskatoon. Maintenant, pour les jeunes, la distance n'a pas d'importance. En travaillant avec les jeunes — et c'est ce que nous avions l'habitude de faire lorsque j'étais à l'école —, nous avons essayé de parler de civisme et de responsabilité civique, et à quel point il était important de gérer son ménage. Nous constatons que les jeunes sont engagés plus activement dans leur collectivité et, pourtant, lorsqu'ils obtiennent leur diplôme, ils quittent pour approfondir leurs études. Je dois vous avouer que nous voulons qu'ils partent car ils ne pourront pas approfondir leurs études dans une petite ville. Nous voulons qu'ils obtiennent cette scolarité. Nos stratégies doivent être davantage concertées pour les encourager à revenir.

Là où j'habite, à Bruno, il y a 600 habitants, quand personne n'est absent. Nous sommes tous de très bonnes personnes, mais certains de ces choix pourraient être limités. L'essentiel, c'est de trouver des façons différentes de les encourager à revenir plutôt que de toujours rabâcher qu'ils ne devraient jamais partir. Nous avons du travail à faire concernant ces sortes d'activités. Les gouvernements partout ont construit des arénas, ajouté une glace artificielle, fait toutes ces choses que, maintenant, nous nous employons à fermer. Cela accapare notre infrastructure de façon plus importante, même nos corridors de transport dans une certaine mesure. Pour quelqu'un qui vit dans le secteur rural de la Saskatchewan, ce n'est rien de conduire pendant une heure. Mon mari et moi allons à Saskatoon, qui est à une heure de route de chez nous, pour dîner avec des amis. Cela fait partie de notre vie. Je pense que les plus jeunes, lorsqu'ils arrivent à la maison, sont encore plus prêts à sauter dans la voiture. La question serait l'état de la route.

Le sénateur Mahovlich : Je vis dans Toronto même et il me faut une heure pour me rendre au centre-ville.

Mme Olchowski : Ma belle-sœur aussi avait l'habitude de faire cela, et elle était dans tous ses états à l'idée de savoir que je faisais 30 minutes de route pour me rendre au travail. Je lui ai dit : « Tu n'es pas sérieuse, je ne changerais jamais de place avec toi. »

Le sénateur Gustafson : Dans le rapport provisoire, une des principales questions avait trait à un projet de loi canadien sur l'agriculture. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Essentiellement, j'estime qu'il faudra attendre au moins dix ans, peut-être 15.

M. Dauk : Évidemment, et c'est un peu bizarre que vous et moi parlions de dans dix ou 15 ans d'ici, mais c'est essentiel; nous devons le faire. Vous parlez d'un projet de loi canadien sur l'agriculture, et ce qu'il y a d'intéressant et de fascinant à cet égard, c'est qu'il y a un plan global, et il est à long terme. Parfois, il me semble que nous sautons d'une crise à l'autre sans plan global et, par conséquent, nous ne sommes pas aussi efficaces que nous devrions l'être.

La présidente : Nous vous remercions beaucoup d'être venus et d'avoir déployé ces efforts; nous savons que vous vivez certaines tensions. Merci. Pour vous, madame Olchowski, ne lâchez pas; continuez la lutte.

Nos prochains témoins sont Russ McPherson et Mary Lou Whittles. Nous avons vos documents et nous vous donnons la parole, madame Whittles.

Mary Lou Whittles, présidente, Chambre de commerce du district de Kenaston : Bienvenue en Saskatchewan. Je vous remercie de prendre le temps de venir m'écouter. Je m'appelle Mary Lou Whittles, et il n'y a pas plus de souche que moi. Si l'on fait exception de l'année que j'ai passée dans une petite collectivité de l'Ontario, Manotick, et de quelques années à Calgary au cours des années 1970, j'ai passé toute ma vie en Saskatchewan.

Après avoir lu votre rapport intérimaire intitulé Comprendre l'exode : lutte contre la pauvreté rurale, je me suis sentie obligée de comparaître devant vous. Je suis ici en tant que simple citoyenne; présidente de la Chambre de commerce de district et de Kenaston; et administratrice de Mid Sask, une régie régionale de développement économique, REDA en anglais, et de la Société d'aide au développement des collectivités, SADC; et en tant que personne pour qui le développement économique régional est devenu une passion.

Au cours des 20 dernières années, mon mari et moi avons vécu à Kenaston, une collectivité agricole d'un peu moins de 300 habitants. Je n'ai pas de tableaux, graphiques et statistiques qui décrivent les tristes malheurs du secteur rural de la Saskatchewan. C'est mon quotidien et je vois de première main l'incidence que les années où le prix des céréales était faible, la sécheresse, l'encéphalopathie spongiforme bovine, ESB — ou ce que l'on appelle communément la « maladie de la vache folle » — et les coûts élevés des intrants ont eue sur nos familles agricoles et, partant, sur les entreprises locales.

Si nous croyons à la théorie de Mark Partridge selon laquelle les collectivités dans un rayon de 100 kilomètres d'un grand centre urbain ont plus de chance non seulement de survivre, mais de prospérer, alors Kenaston est dans une position enviable. Située à tout juste 80 kilomètres au sud de Saskatoon, Kenaston est à la croisée de deux grandes autoroutes. L'autoroute 11, dans l'axe nord-sud, sur laquelle se déplacent d'importants volumes de marchandises tous les jours entre Saskatoon, Moose Jaw et Regina. L'autoroute 15 dans l'axe est-ouest, voit beaucoup de circulation locale et de camions. Si vous prenez les collectivités dans un rayon de 100 kilomètres de Saskatoon, vous croirez à la théorie des 100 kilomètres. Même s'il est rassurant de vivre dans « la zone », nous nous rendons compte que le simple fait d'y vivre ne garantit pas nécessairement la survie. Comme on l'a signalé dans un document de recherche récent publié par Statistique Canada, « Les facteurs stimulant l'économie rurale canadienne », Ray D. Bollman dit « connaîtront le succès à l'avenir les collectivités rurales qui auront trouvé de nouveaux biens ou services à vendre ».

Dans son plan d'affaires d'il y a quelques années, la Chambre de commerce de Kenaston et district a reconnu que l'avenir de notre école était une nécessité pour le bien-être de notre collectivité. L'occasion d'inviter 60 étudiants étrangers dans notre école secondaire s'est présentée. Le plan a dû être mis de côté parce qu'il a été jugé trop ambitieux pour une collectivité comme la nôtre.

Dans le cadre de la fusion des arrondissements scolaires, nous avons redéfini le projet afin d'y inclure un plus grand nombre d'écoles. Cela permettra d'avoir et d'améliorer toutes les écoles secondaires participantes dans la division scolaire de Sun West qui s'étend sur 80 000 milles carrés dans la région centre-ouest de la Saskatchewan. Les étudiants étrangers seront inscrits par un entrepreneur et avocat d'entreprises saskatchewanais bien connus dont le bureau est situé à Saskatoon.

Les jeunes originaires de nombreux pays d'Asie et d'Europe sont très friands des diplômes universitaires nord- américains. Pour pouvoir s'inscrire à une université nord-américaine, il faut d'abord bien maîtriser l'anglais. C'est en s'inscrivant à la dernière année ou aux deux dernières années d'une école secondaire nord-américaine pour améliorer ses connaissances de l'anglais à tous les niveaux et obtenir un diplôme de 12e année que l'étudiant étranger pourra choisir l'université à laquelle il veut s'inscrire. Il semble que leurs problèmes sont nos solutions et vice versa.

Il a été très difficile, faute d'un meilleur terme, d'inviter les 84 municipalités rurales, les villes, les villages et les centres de villégiature qui constituent l'assiette fiscale de la division scolaire de Sun West. L'étendue de la région relevant de la division scolaire de Sun West ne permet pas de communiquer et de tenir des réunions facilement, surtout bénévolement. Cependant, trois réunions se sont tenues, plusieurs lettres ont été envoyées et le projet sera lancé dans quatre collectivités.

Si l'on veut que le programme des étudiants étrangers réussisse dans nos écoles, il faudra mettre au point un programme d'accueil. Habituellement, l'étudiant étranger paie en moyenne 600 $ par mois à une famille pour le gîte et le couvert. Chaque étudiant paiera 6 000 $ par an à une famille et, à son tour, à la collectivité et environ 8 000 $ à la division scolaire pour l'enseignement qu'elle dispense à l'étudiant. En comptant les 16 écoles secondaires dans la division, les retombées économiques et l'exposition sur la scène internationale que ce projet peut susciter dans notre région sont considérables. Nous pensons que cette approche « hors des sentiers battus » permettra non seulement d'améliorer nos écoles rurales mais aidera aussi à réduire les difficultés économiques qui prévalent dans notre région.

Sur une note personnelle, j'aimerais vous parler du chemin que j'ai parcouru jusqu'à aujourd'hui. Il y a 24 ans que je suis marié à un homme qui a été prêteur agricole. J'ai travaillé en tant que technicienne juridique dans une société d'avocats à Saskatoon. Bien que je fusse consciente des problèmes sociaux et économiques qui existaient autour de moi, je pensais qu'en les ignorant, ils ne me toucheraient pas. De toute façon qu'aurais-je pu faire? Je ne crois pas être seule à partager ce point de vue.

Quand il était prêteur agricole, je remarquais qu'au fil des jours, des mois et des années mon mari était de plus en plus stressé. En l'espace de 20 ans à peine, j'ai vu le cadre international changer au point de devenir presque méconnaissable. Au départ, je croyais que l'attitude des gens autour de moi était de l'apathie. J'ai depuis changé d'avis. Je pense qu'un grand nombre de personnes des zones rurales de la Saskatchewan sont frustrées, ont peur, sont vraiment découragées et ont été poussées à la limite. Un fermier d'âge moyen l'a bien décrit en me disant un soir : « Tout ce que nous entendons aux nouvelles, c'est la réussite économique de Saskatoon et d'un grand nombre de nos villes. La majorité d'entre nous seraient bien plus heureux avec 20 000 $ de plus en poche et si le paiement du chauffage cet hiver n'était pas une préoccupation. » On est bien loin du « renier du monde » dont on parlait quand j'étais petite.

J'ai commencé, dans ma collectivité, à travailler à la Chambre de commerce de Kenaston et district. J'avais entendu parler, sans plus, des bureaux de Mid Sask CFDC/REDA. Je savais, toutefois, qu'ils avaient quelque chose à faire avec le développement économique. Cela me suffisait. J'ai offert mes services pour représenter bénévolement le village de Kenaston, la municipalité régionale de McCraney et celle de Rosedale au conseil et j'ai passé les trois dernières années à me familiariser avec les hauts et les bas du développement économique dans notre région.

Pour moi, le bureau de Mid Sask CFDC/REDA est le meilleur outil que les gouvernements peuvent donner à quelqu'un comme moi. Il est difficile pour quelqu'un qui entre dans le domaine du développement économique à partir de la base de comprendre l'absence de leadership et de capacité dans les zones rurales de la Saskatchewan. Si je devais faire une recommandation au comité sénatorial, ce serait de donner à Mid Sask CFDC/REDA la capacité de continuer à jouer le rôle de leader pour réaliser les projets de développement économique qui sont déjà tracés.

Nous travaillerons pour maintenir les écoles et ultérieurement les collectivités en attendant que la situation change. Ce n'est pas une solution miracle, mais plutôt une façon de maintenir l'infrastructure pendant que l'économie mondiale détermine si le mode de vie rural est rentable. Je crois qu'on peut prouver qu'il l'est.

Russ McPherson, agent de développement économique, Mid-Saskatchewan Community Futures Development Corporation/Regional Economic Development Authority : Je vais commencer par parler de moi. J'habite dans une ferme familiale qui existe depuis 103 ans et mon grand-père et moi avons occupé le même siège dans le conseil rural durant probablement 40 p. 100 du temps pendant lequel il constituait une municipalité. Notre approche est un peu agressive, mais ce n'est pas à cause d'un manque de racines rurales.

Je commence par une citation extraite d'un document sur une recherche faite par Statistique Canada et intitulé « Les facteurs stimulant l'économie rurale canadienne », c'est un petit prolongement des propos tenus par Mme Whittles.

La mauvaise nouvelle pour les collectivités rurales traditionnelles est que le secteur primaire continuera de se débarrasser de main-d'œuvre. Connaîtront le succès à l'avenir les collectivités rurales qui auront trouvé de nouveaux biens ou de services à vendre.

Cet extrait est tout à fait conforme à l'approche que nous avons adoptée.

Les collectivités rurales de la Saskatchewan ont consacré beaucoup de temps depuis la Seconde Guerre mondiale à essayer de réinventer l'agriculture. Pendant les mauvais moments de cette période, l'attitude dans les Prairies était « de faire attention, d'arrêter de dépenser, de serrer la ceinture » et d'espérer que la situation s'améliore. Cette mentalité a transpiré non seulement dans nos collectivités, mais aussi dans les organismes municipaux qui les régissent. Selon cette même mentalité le changement est mauvais, un point c'est tout.

Les municipalités ont fini par réduire les impôts fonciers, à mettre de côté toute planification importante « en attendant que la situation s'améliore ». Les municipalités et les particuliers ont peu investi ou pas du tout dans l'infrastructure. La question s'est posée avec le problème de l'eau potable de ces dernières années. Un grand nombre de maisons dans notre village ont été construites au début du siècle dernier. Bien que beaucoup de maisons aient été améliorées, il s'agit de maisons à ossature de bois qui n'étaient pas prévues tenir jusqu'au siècle suivant. Les bordures de trottoirs et les caniveaux ne sont pas courants dans ce village et les surfaces sont souvent revêtues de gravier.

Peu d'entreprises de services agricoles existent encore dans les villages ruraux. La fermeture des élévateurs à grains en bois a éliminé la moitié de l'assiette fiscale d'un grand nombre de ces villages. Habituellement, dans le village, le travail est fait par un secrétaire employé à temps partiel, quelques heures sont peut-être payées pour les réparations et l'entretien simples et pour le bénévolat des membres du conseil du village. Il n'y a pas de planification stratégique, et si la municipalité est gérée comme une entreprise, il n'y a certainement pas de stratégie de retrait. Les particuliers ont des stratégies de retrait et l'exode se poursuit.

Dans certains cas, les pauvres ont tout simplement été abandonnés dans un endroit qui rétrécit et qui est leur village ou dans d'autres cas, leur ferme familiale. Il faut du capital et des rentrées d'argent pour faciliter le déménagement vers un centre plus grand et dans beaucoup de cas, cet argent manque. Ceux qui continuent à travailler se déplacent certainement tous les jours pour aller dans un centre plus grand. Ceux qui sont à la ferme familiale sont très attachés à la terre et ils préfèrent souvent la pauvreté à la liquidation.

Les organismes de services sociaux en situation difficile ont tendance à aggraver le problème en plaçant des bénéficiaires dans certaines de ces collectivités afin que leurs ressources tiennent un peu plus longtemps. Le fait de se déplacer tous les jours pour aller dans une autre collectivité afin d'y acheter des produits de première nécessité, des provisions, des médicaments délivrés sur ordonnance, du matériel et de l'essence épuise le peu d'argent qui peut rester et ces gens sont aujourd'hui pauvres et isolés.

Les zones rurales disposent de ressources pour dispenser une formation d'appoint comme les collèges régionaux qui font un excellent travail en offrant aux particuliers une orientation, des classes et une approche souple pour le perfectionnement professionnel. D'autres collectivités n'ont pas pu faire de même à cause du manque de structure.

À part les dix grandes municipalités en Saskatchewan, dont certaines ne comptent que 5 000 habitants, les autres 800 petites municipalités rurales et urbaines n'ont tout simplement pas la capacité de planifier elles-mêmes les changements. Comme Mme Whittles l'a dit, la capacité est un énorme problème. La plupart de ces petits gouvernements n'ont qu'un seul employé administratif qui a pour principale tâche la collecte des impôts et le paiement des factures. En Saskatchewan, une partie de la culture résiste à la fusion des municipalités en de plus grandes unités qui disposeraient d'une capacité. Mid Sask CFDC/REDA a senti le besoin d'intervenir et de combler cette lacune.

En 2005, Mid Sask CFDC/REDA, avec le concours du ministère de la Diversification économique de l'Ouest, du Secrétariat rural du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et du Rural Development Institute de l'Université de Brandon au Manitoba ont lancé le projet WaterWolf qui vise à renforcer les capacités et à trouver des solutions à ce problème. Le conseil a décidé de s'attaquer aux cinq thèmes suivants : un gabarit de partage des impôts et des investissements pour les municipalités; la planification de l'utilisation des terres, l'utilisation des systèmes d'information géographique (SIG) et des systèmes de positionnement global (GPS) comme outils essentiels; le partage des techniciens de l'eau régionaux pour les petites municipalités urbaines qui ont du mal à financer ces services; un groupe de gestion de la vallée de la rivière Saskatchewan Sud au-dessous de la vallée Meewasin, pratiquement entre Saskatoon et le barrage Gardiner; l'accent sur le développement urbain au lac Diefenbaker, particulièrement au parc Danielson à la hauteur du barrage.

Les initiatives visent les causes de la pauvreté rurale, l'incapacité d'élaborer une planification générale et à long terme et de repenser le milieu rural dans le contexte d'un monde de plus en plus urbanisé.

Nous ne pouvons pas accomplir des progrès dans les collectivités rurales sans établir une certaine présence régionale pour coordonner, planifier et réunir des bons renseignements qui permettront aux leaders ruraux de prendre des décisions fondées sur des preuves pour le présent et l'avenir dans un contexte régional. Le fait que des municipalités soient membres de Mid Sask CFDC/REDA est un atout puisque cela leur donne un sens d'appartenance et une voix au conseil.

Le projet WaterWolf vise à construire cette capacité régionale. À lui seul, il n'éliminera pas la pauvreté rurale, mais il peut nous aider à créer un développement par le bas qui remplacera notre totale dépendance à l'égard de l'économie agricole qui n'est plus le seul moteur économique des régions rurales de la Saskatchewan.

Je voudrais ajouter que des membres de notre conseil, comme Mme Whittles, font beaucoup pour changer les choses grâce à leurs efforts et leur engagement pour trouver des facteurs de changement pour nos zones rurales.

La présidente : Merci beaucoup. Monsieur Tucker, avez-vous quelque chose à dire ou passons-nous directement aux questions?

Jim Tucker, directeur général, Mid-Saskatchewan Community Futures Development Corporation/Regional Economic Development Authority : Non, vous pouvez passer directement aux questions.

Le sénateur Mercer : Madame Whittles, votre programme pour les étudiants étrangers m'intéresse beaucoup. Il y a quelques jours à Warner, en Alberta, nous avons constaté que des gens sont sortis des sentiers battus. Ils ont insufflé un nouveau dynamisme à leur école secondaire en enseignant le hockey à des jeunes femmes. Vous avez mentionné un programme d'accueil à la ferme. Avez-vous songé à la responsabilité qui est celle d'accueillir dans des maisons des jeunes qui viennent d'un peu partout dans le monde? Avez-vous un programme qui permet de surveiller cette situation?

Mme Whittles : Absolument. Il y aura un coordinateur du programme d'accueil. Je suis sur le point de constituer une société à but non lucratif avec des actionnaires des collectivités participantes. Ces enfants seront couverts par une assurance. Nous avons des contrats avec les étudiants, l'école et les endroits où ils seront hébergés.

Le sénateur Mercer : Monsieur McPherson, vous avez parlé du projet WaterWolf et je sais que Mme Whittles fait partie du conseil d'administration. Il y a longtemps que vous avez affaire avec les municipalités participantes et vous avez mentionné dans votre déclaration le manque de volonté des petites municipalités à l'égard de la fusion. C'est un problème constant que l'on rencontre partout. Elles veulent toutes rester la même petite unité; elles veulent lutter toutes seules. Maintenant que vous avez déjà entamé ce projet, si vous retourniez dans ces mêmes municipalités et si vous leur demandiez de reconsidérer leur position, de procéder maintenant à la fusion, de se regrouper, leurs réponses seraient- elles différentes?

M. McPherson : J'en doute. Les gens des milieux ruraux aiment aborder un conseiller municipal dans la rue ou lui demander d'arrêter sa voiture pour parler des questions locales. Ils aiment ce genre de situation, mais ils réalisent peu à peu qu'il faut une certaine structure régionale. Je crois qu'ils souhaiteraient soit un renforcement des capacités, qui ressemble au nôtre, au sein de leur organisation, soit la création d'organismes régionaux qui se chargeront de choses qu'ils ne sont pas eux-mêmes en mesure de faire telles que la planification ou les prévisions.

Le gouvernement provincial, à l'époque où la conjoncture le permettait, c'est-à-dire dans les années 1960 et après, a retiré aux municipalités la plupart de leurs responsabilités. Par conséquent, elles ne savent plus aujourd'hui que niveler, étaler du gravier et c'est à peu près tout. Dans les années 1930, le conseil municipal, dont faisait partie mon grand-père, avait les pouvoirs d'un gouvernement. Ottawa et Regina étaient des villes très éloignées et le bien-être, la pauvreté et les logements étaient l'affaire des autorités des collectivités rurales.

Aujourd'hui, la province semble vouloir redonner aux collectivités rurales certaines de ces responsabilités. Je crois qu'une compréhension est nécessaire, mais ce ne sera pas le fait du gouvernement central.

Je crois qu'il y a aujourd'hui une volonté de chercher de nouvelles solutions à ces problèmes et plus au niveau local qu'aux niveaux provincial et fédéral.

Le sénateur Mercer : Je suppose que vous continuez à surveiller l'évolution des programmes similaires dans d'autres régions du pays. L'Ontario a opté pour des gouvernements dans les régions et a imposé la fusion aux collectivités; une réussite dans certains cas et pas dans d'autres. Continuez-vous à suivre ce qui se passe dans ce domaine? Pas seulement en Ontario; ce n'était qu'un exemple.

M. McPherson : Eh bien, c'est devenu un exemple. La fusion volontaire, c'est un peu comme si vous et moi partagions le même compte en banque. Si j'ai plus d'argent que vous, je ne serai pas très content à l'idée de partager. Les municipalités ne sont pas toutes égales. La situation est difficile, pourquoi une municipalité riche voudrait-elle faire une fusion avec une municipalité pauvre? Cela dit, encore une fois, la volonté d'avoir une sorte de structure régionale est présente, mais je pense, en fin de compte, que si l'on veut la fusion, il faudra l'imposer. Des municipalités sont traversées par des oléoducs ou sont riches en potasse, ou elles avoisinent des municipalités essentiellement agricoles, et elles n'ont pas envie de fusionner. Il est très difficile de convaincre les contribuables en leur disant : « Il va y avoir une fusion avec la municipalité voisine et pour assumer les coûts de cette fusion, vos impôts augmenteront probablement de 20 à 30 p. 100, mais c'est la bonne chose à faire. » Vous le savez très bien, vous êtes politicien, ce ne sera pas facile de les convaincre.

Le sénateur Peterson : Madame Whittles, vous avez dit : « ... que l'on donne à la région centrale de la Saskatchewan la capacité de continuer à être un leader ». Que voulez-vous dire par capacité; financière; main-d'œuvre? Est-ce que ce serait un sous-ensemble du ministère de la Diversification de l'économie de l'Ouest, que voulez-vous dire par là?

Mme Whittles : Le Secrétariat rural, les politiciens et les représentants des gouvernement fédéral et provincial collaborent tous au projet WaterWolf. Je crains qu'ils ne l'abandonnent. C'est un projet pilote. Pour moi, il représente un espoir dans notre région. J'espère qu'ils continueront à les laisser faire ce qu'ils font.

Le sénateur Peterson : Monsieur Tucker, êtes-vous d'accord pour ce qui est du financement? La tendance est-elle de rapprocher le fournisseur du client, d'être à ce niveau plutôt qu'à Ottawa ou Regina?

M. Tucker : La capacité de notre bureau est répartie entre le financement du gouvernement fédéral, celui de la province et les cotisations des municipalités. Le projet WaterWolf a été entièrement financé par le gouvernement fédéral par le biais du ministère de la Diversification de l'économie de l'Ouest, du Secrétariat rural du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire dans leur programme en collaboration avec l'Université de Brandon. Il nous reste environ un an en capacité financière pour ce programme.

Je crois que ce que Mme Whittles essaie de dire, c'est que nous voyons les avantages tirés du travail effectué du bas vers le haut dans les régions et que nous commençons à constater un changement de mentalité. Nous commençons à constater un sens de la propriété chez les gens du terrain qui se perçoivent comme faisant partie d'une région, pas simplement de la ville de Central Butte ou du village de Riverhurst, ou d'ailleurs. Nous ne voulons pas que ce projet tombe à l'eau. Nous essayons constamment de pousser le gouvernement provincial à participer au programme. Nous faisons des progrès; mais cela a été difficile.

Le sénateur Mahovlich : Madame Whittles, vous me rappelez Wild Bill Hunter, une personnalité de l'Ouest qui a beaucoup fait pour sa région. Il a apporté les Oilers à Edmonton, l'arène à Saskatoon. Il ne s'arrêtait pas. Il a fait autant de choses pour le Canada que pour l'Ouest. D'après ce que vous dites sur votre région, il semble que vous avez un endroit magnifique et l'idée d'y ouvrir une université est excellente. L'université est un grand pôle d'attraction pour les gens et un excellent moyen, à mon avis, pour encourager les gens à s'installer dans une collectivité. C'est ce qui s'est passé sur la côte Est. Beaucoup d'universités en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick ouvertes depuis longtemps ont attiré une belle collectivité, une superbe collectivité. Je voulais simplement vous féliciter. Vous êtes sur la bonne voie.

J'aimerais signaler qu'il y a aussi des pauvres dans les villes. Toronto compte plus de pauvres qu'il y a 30 ans. Ce problème existe où que vous soyez et il persiste.

Mme Whittles : Oui, je sais qu'il y a aussi des pauvres dans les zones urbaines, mais comme votre rapport l'a souligné, il y est plus facile de se rendre dans une banque alimentaire; il y est plus facile de se déplacer. Dans les zones rurales il faut une voiture qui tient bien la route pour recevoir ce genre d'aide. Nous avons commencé une banque alimentaire dans la communauté voisine, à Davidson, elle n'y est qu'une fois par an. Nous devons obtenir le nom des personnes qui, à notre avis, ont besoin d'aliments, il y a de la fierté. Ils ne peuvent pas recevoir de la nourriture sans donner leurs noms. Puis, on nous dit : « Nous pensons que personne dans la région va venir, alors pourquoi devrions- nous avoir une banque alimentaire? »

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que l'Armée du Salut est installée dans la région? Dans notre ville, l'Armée du Salut est importante.

Mme Whittles : Non, nous n'avons rien.

Le sénateur Gustafson : Il me semble qu'à moins d'obtenir des fonds pour l'agriculture, nous n'y arriverons pas. Je l'ai dit souvent, et la situation actuelle le prouve bien : en 1970, le boisseau de blé coûtait 2 $ et aussi le baril de pétrole; aujourd'hui, le baril de pétrole oscille entre 50 et 70 $ et le boisseau de blé coûte encore un peu plus de 2 $. En fait, j'ai livré du blé dur de force roux de printemps pour 2,78 $. C'était le paiement initial et je crois que je serai plus qu'heureux si j'obtenais 75 cents ou 1 $ de plus.

Que faire? Nous devons injecter du capital. Nous devons penser à un projet de loi musclé sur l'agriculture canadienne qui offrirait une certaine protection pour l'avenir, mais cela va coûter de l'argent au gouvernement. Il semble que nous avons de l'argent pour tout le reste : des subventions pour le secteur pétrolier, des subventions pour les grands fabricants d'automobiles. Nous avons imaginé quelques programmes farfelus pour embaucher beaucoup de monde, mais on n'envoie pas beaucoup d'argent au niveau local ni aux agriculteurs.

M. McPherson : Ce qui est vrai, c'est que où je réside, la ferme de 10 000 acres devient la norme. Si vous consultez la carte au début de notre exposé, la largeur de travail le long du côté sud compte une demi-douzaine de municipalités, des municipalités rurales. Certains villages peuvent avoir quelques enfants de plus. Dans les municipalités rurales, une demi-douzaine de ces villages ont de zéro à un enfant, allant du nouveau-né à l'école maternelle, et ce pour toute la municipalité. La ferme familiale, telle que nous la connaissions, a changé. Aujourd'hui, ce sont de grandes entreprises industrialisées. Je ne dis pas qu'elles n'ont pas leur place dans notre économie, mais je ferais attention à la façon d'investir de l'argent dans ces entreprises. Dans ma municipalité, située à 100 km de Saskatoon, 75 p. 100 des personnes âgées de 18 à 65 ans travaillent à l'extérieur de la ferme. Elles travaillent soit à Saskatoon ou dans des centres plus grands comme Outlook. Pratiquement personne ne dépend exclusivement d'un revenu agricole pour subsister. Notre économie s'est certainement libérée de la dépendance à l'égard de l'agriculture. Nous avons hâte de voir une certaine forme de traitement ou de valorisation, mais vu qu'il n'y en a pas, nous assistons à une plus grande dépendance à l'égard des trajets quotidiens vers Saskatoon et de l'interaction avec la ville pour y acheter biens et services. C'est une collectivité très différente. Par nécessité, nous ne dépendons plus des grains et de l'agriculture.

Le sénateur Gustafson : La situation n'en est que plus dramatique car au niveau de l'économie mondiale les Européens ont fait clairement comprendre qu'ils n'élimineront pas les subventions. Ils l'ont dit : « Nous avons connu la famine, nous ne permettrons jamais qu'elle revienne. » Les Américains lutteront toujours pour l'Amérique profonde. Ils investiront de l'argent dans l'agriculture et considéreront que c'est pour l'intérêt de leur pays. Le Canada n'a pas cette volonté et tant qu'il ne l'aura pas, on ne fait que se leurrer. Les fermes de 10 000 acres dont vous avez parlé seront les premières à faire faillite.

M. McPherson : Je dirai quand même, au sujet du milieu rural au Canada, je n'ai certainement pas voyagé autant que vous, que l'on retrouve dans les zones rurales de l'Ontario et des Maritimes le même dépeuplement, l'incapacité d'attirer les jeunes, l'attitude urbaine qui, je crois, existe dans tous les pays. L'ONU a dit que d'ici 2030 la moitié de la population mondiale vivra dans de grands centres urbains. C'est un problème beaucoup plus complexe qui dépasse l'agriculture dans l'Ouest canadien. Nous voulons tous que les jeunes reviennent après avoir fait leurs études, mais il semble que nous ne tenons pas compte des questions de qualité de la vie. Nous ne sommes pas aussi sensibles aux besoins.

Permettez-moi de vous donner rapidement un exemple, dans ma ville, Outlook, 650 enfants entre l'école maternelle et la 12e année fréquentent les écoles. Dans notre arène, qui absorbe 85 p. 100 de nos fonds destinés aux loisirs, seulement 66 enfants pratiquent les sports de glace cette année. Dix pour cent de notre population disposent d'une installation de loisirs. Cependant, sommes-nous prêts à changer et à reconnaître que les jeunes veulent peut-être jouer au soccer? Ils sont peut-être intéressés par d'autres activités. Nous ne réagissons pas assez rapidement à la demande des jeunes familles et de la jeunesse. Nous attendons qu'ils s'adaptent à notre culture et ce n'est pas facile.

Je comprends ce que vous dites. Si j'examine la situation partout au pays, les régions rurales du Canada éprouvent des difficultés, qu'il s'agisse du secteur des pêches ou de la foresterie; cela ne semble pas avoir vraiment d'importance, car les problèmes sont très semblables. Attirer les jeunes à nouveau, c'est une affaire culturelle, comme tout le reste.

Le sénateur Gustafson : Si vous prenez les industries, que ce soit les pêches, l'agriculture, le bois d'œuvre, le pétrole, les gaz, les mines ou la potasse, elles sont toutes exploitées dans les régions rurales du Canada, qui reçoivent bien peu en retour. Cela devient un problème politique pour les régions rurales au pays. Cela pose un sérieux problème au gouvernement, mais il devra le régler. Nous exportons 80 p. 100 de notre grain cultivé dans l'Ouest canadien, en Saskatchewan, et nous pourrions perdre complètement cette industrie. J'espère que cela ne se produira pas, mais c'est une situation très grave.

M. McPherson : L'autre sujet dont nous n'avons pas discuté porte sur les efforts considérables de partenariat avec les collectivités des Premières nations, qui offrent des possibilités d'avancement. Leurs jeunes sont prêts à rester dans les régions rurales. Ils ont un attachement culturel à la terre plus fort. Nous avons travaillé avec la Première nation des Dakota-Sioux de Whitecap et nous avons remarqué une grande volonté de collaborer et de mener des projets économiques conjoints. Il y a quelques aspects positifs comme celui-là. Je ne voulais pas partir sans avoir mentionné le bon travail que nous accomplissons avec les Premières nations.

La présidente : Nous allons maintenant entendre notre troisième groupe d'étude, Mme Nosbush et M. Desjarlais. Vous venez parler de sujets qui me tiennent beaucoup à cœur : l'apprentissage en bas âge, la garde des enfants et le développement des enfants.

Linda Nosbush, présidente du Conseil consultatif ministériel sur l'apprentissage en bas âge et la garde des enfants pour le ministre de l'Apprentissage et membre du Conseil national pour le développement des enfants en bas âge : Merci beaucoup de nous avoir invités. Je vais vous saluer dans ma langue maternelle, « Willkommen ». J'ai grandi à 20 milles d'ici dans une région rurale, où mes racines étaient et continuent d'être, et ce, même si je vis maintenant dans un milieu urbain.

Dans ma déclaration, je vais décrire très brièvement ce qu'est un bon développement de l'enfant. Je lirai ensuite un résumé d'entrevues menées cet été auprès de 15 femmes qui ont été membres de gangs pour illustrer ce qui arrive quand les choses tournent mal. Chacune de ces femmes a grandi dans un milieu rural, faisait partie d'une population fantôme et fait maintenant partie de la population fantôme dans un milieu urbain.

Je vais commencer avec le foyer. Chacun des éléments dont je vais parler est une fenêtre de possibilités qu'une collectivité et un pays peuvent ouvrir grâce à des systèmes d'aide et de soutien qu'ils mettent en place. Le foyer est un endroit sociologique vital. C'est où la vie prend son sens. C'est l'endroit où l'on nourrit l'esprit, la famille se réunit et le soutien social naît.

La passerelle constitue le premier filet de protection que nous pouvons établir pour les enfants. Il se rapporte à un revenu adéquat qui, en retour, vous permettra de rattacher un lieu physique au foyer, un logement. Par ailleurs, c'est lié au lieu de travail, qui peut être soit édifiant, soit avilissant. Pour de nombreux habitants des régions rurales, leur lieu de travail a changé radicalement. Nous observons une population qui pleure la perte d'un mode de vie disparu.

Le deuxième filet de protection est un bon départ dans la vie, exempt de substances comme les drogues, le tabac et l'alcool. Des distinctions claires ont été établies maintenant que nous savons que fumer durant la grossesse mène à de graves troubles du comportement chez l'enfant plus tard. Dans ma région en particulier, nous observons des cas de syndrome d'alcoolisme fœtal qui remontent à la quatrième et à la cinquième générations. Nous voyons des parents qui ne peuvent élever leurs propres enfants car leur capacité cognitive a été trop endommagée par l'alcool. Nous voyons aussi beaucoup de violence familiale. Dans les régions rurales, les systèmes de surveillance ne sont pas aussi bons car les distances sont beaucoup plus grandes. J'ai eu le privilège de travailler au Département des enquêtes criminelles du service de police de Prince Albert dans le bureau d'aide aux enfants victimes de violence pendant près de deux ans pendant que je menais mes recherches. Permettez-moi de vous dire, mesdames et messieurs, que j'ai été souvent témoin des dures réalités que de très jeunes enfants ont dû vivre. Ces expériences ont eu des répercussions irrévocables sur leur cerveau et leur vision du monde.

Le départ sain dans la vie dont ont besoin les enfants inclut la nutrition, la sécurité alimentaire et l'immunisation. La pauvreté a également une incidence sur la sécurité alimentaire des enfants. Dans mon mémoire, je suggère que dans les pays développés la sous-alimentation est l'obésité. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons entendu parler des taux d'obésité élevés au Canada. L'obésité va plus loin quand nous jetons un coup d'œil aux niveaux de stress des gens. Même en ayant la même alimentation, si vous êtes très stressés, vous avez tendance à prendre plus de poids.

Notre taux d'immunisation baisse dans le nord de la Saskatchewan. Certaines maladies, la tuberculose plus particulièrement, que nous pensions avoir éradiquée, réapparaissent.

Un départ sécuritaire et sain constitue le deuxième filet de protection.

Dans le départ intelligent, nous trouvons la stimulation et la capacité d'apprentissage. En aidant les enfants à vivre et à se développer de façon optimale, nous leur offrons une foule de possibilités. J'ai choisi d'axer mon discours aujourd'hui sur les enfants et les jeunes parce que le cerveau se développe le plus rapidement durant ces années et nos réussites et nos échecs durant cette période peuvent orienter toute une vie. Parfois aucune intervention ne peut remédier fondamentalement le tort qui a été fait. Notre médecin conseil en santé publique de notre région vient juste d'annoncer que toutes les femmes qui participent au programme de traitement à la méthadone ont été agressées sexuellement durant leur enfance.

Pour avoir un départ intelligent, nous avons besoin de toutes sortes de stimulations. Nous voulons le soutien des parents. Il est important de noter que ce ne peut être fait de façon précipitée. De nos jours, bien des gens qui vivent dans les régions rurales doivent occuper des emplois à temps plein en dehors de la ferme, le mari comme la femme, tout en maintenant l'exploitation agricole. Le temps passé en famille est sérieusement compromis. Le départ intelligent offre des possibilités et de l'espoir pour toute une vie.

Le départ sensible permet d'établir des relations. Afin de nous épanouir en tant qu'humains, nous avons besoin de tisser des relations positives, sûres et durables qui sont réciproques pour le temps qu'elles durent. Nous avons besoin de ces relations au moins durant les 24 premières années de notre vie. De nos jours, il y a tellement de parents qui sont en dehors de la maison pendant de longues périodes que c'est comme jouer à la roulette avec nos enfants. Les gens qui prennent soin d'eux changent sans cesse. La moitié des mariages finissent par un divorce. Nous enregistrons un nombre très élevé de familles monoparentales pour qui le fardeau est grand. Malgré tout cela, les relations positives constituent l'assise du développement de la personnalité et le cadre dans lequel la capacité d'adaptation s'acquiert.

Enfin, nous avons le bienfait de la collectivité, que nous appelons le départ social. Nous avons ici une série de programmes informels et formels rassemblés pour créer un réseau de soutien. Il est important de prendre note que nous devons trouver un terrain d'entente. Si nous parvenons à nous accorder sur ce qui compte le plus pour nous — nos enfants et nos jeunes — qui sont la raison d'être de notre présence aujourd'hui, nous pourrons alors affirmer que nos différences sont nos forces.

Au cours des dernières années au Canada et dans la plupart des pays développés dans le monde, nous avons essayé de donner un caractère professionnel aux soins, et c'est une grave erreur. Nous ne pourrons jamais demander à un professionnel de faire ce qui doit être fait par de simples citoyens d'une collectivité ordinaire. Nous avons besoin de professionnels, mais pas pour remplacer l'ensemble de la collectivité qui doit soutenir ses citoyens en tout temps.

En somme, nous avons besoin de protection, de possibilités et d'espoir, de relations et d'une collectivité. Ces fenêtres de possibilités doivent être ouvertes durant l'existence de tous les enfants et de tous les jeunes. Actuellement, un grand nombre de ces fenêtres sont fermées pour bien des enfants pour la majeure partie de leur vie. Il convient de signaler que si les enfants sont vulnérables dans plus de deux de ces aspects, ils risquent fort probablement d'en subir les effets négatifs tout au long de leur développement.

Une société bienveillante et juste permet que ces fenêtres de possibilités demeurent ouvertes. La pauvreté met en péril chacune d'elles, peut-être plus particulièrement le foyer, où la vie prend son sens.

Je vais maintenant parler des entrevues menées auprès de femmes qui ont été membres de gangs. Un grand nombre de ces jeunes femmes sont mères de plus d'un enfant. Voici mes commentaires après avoir écouté leurs entrevues de 45 minutes. Ça me brise le cœur de dire ce que j'ai à dire aujourd'hui.

Elles ne sont que des âmes brisées qui n'ont jamais eu un sentiment de confiance et d'appartenance dans leur milieu familial.

Toutes ces femmes, sauf une, décrivent des foyers en difficulté où les parents étaient souvent violents et maltraitants à leur égard. Certaines évoquent des abus sexuels prolongés en bas âge par des membres de leur famille. Comment des personnes peuvent-elles apprendre à faire confiance quand elles sont victimes de violence physique, sexuelle et affective à un très jeune âge? Quatre participantes ont donné des descriptions graphiques de ces abus prolongés en bas âge, parfois qui ont commencé avant l'âge de deux ans; d'autres en ont fait allusion en passant, comme si c'était normal.

Toutes les femmes ont rapporté directement ou indirectement des foyers négligents où les parents étaient dominés par leurs propres dépendances, vendaient de la drogue la plupart du temps et, trop souvent, initiaient leurs enfants à la drogue. Ces familles changeaient fréquemment de logis et les dépendances, en plus des troubles de santé mentale, les conduisaient quasiment à l'itinérance, ce qui créait une instabilité extrêmement profonde. Un grand nombre disent qu'il était monnaie courante qu'elles dorment sur le canapé de différentes connaissances, dans des cages d'escalier ou des bâtiments abandonnés. D'autres trouvaient refuge temporairement chez des parents ou des amis. Parfois, cette situation déstabilisait la famille et les amis. Un grand nombre de ces femmes ont révélé être sans cesse tenaillées par la faim. D'autres ont déclaré qu'elles auraient tant aimé avoir une personne à qui se confier, une personne qui les aurait écoutées.

En vieillissant, ces femmes ont pris conscience que le sentiment d'appartenance qu'un gang offrait n'était pas le fondement sur lequel bâtir des relations solides et bienveillantes. Cependant, malgré le fait qu'elles avaient besoin de la protection et de la solidarité que leur apportait le gang pour vaincre la solitude et les dures réalités de la vie, elles se sont rendu compte que ce n'était pas une solution à long terme. Douze des quinze participantes ont décrit leur participation à leur gang de quartier comme étant quelque chose d'inévitable, à laquelle elles ne pouvaient pas échapper. Ces femmes vivaient dans des réserves et des régions rurales. Onze jeunes femmes ont mentionné la participation de membres de leur famille. C'était la norme pour bon nombre d'entre elles; la façon d'être dans certains quartiers et une voie tracée qui offre une solution de rechange et est un attrait pour un grand nombre de jeunes enfants.

Près de la moitié des jeunes femmes ont raconté le rôle de premier plan qu'elles ont joué dans divers gangs. Elles y sont parvenues de deux façons : en fréquentant le chef ou en commettant des actes de violence ou des agressions. Une telle réputation exigeait beaucoup de travail et un dévouement indéfectible, mais donnait lieu à une autorité sur d'autres plutôt qu'à un pouvoir partagé. Pour y parvenir, elles sont nombreuses à avoir renoncé à des amitiés. Leur volonté d'être dans des relations positives, durables, réciproques où on ne porte pas de jugement fait de notre Centre de sensibilisation des jeunes un milieu extrêmement souhaitable et une voie pour transformer certaines de ces vies troublées.

Elles ne sont que des âmes brisées, qui ont vécu dans des milieux marqués par la violence et les agressions, des milieux qui ne les ont pas protégées durant leur croissance et leur développement.

Les liens affectifs de ces enfants étaient précaires, ce qui les menait souvent à fuguer, certaines dès l'âge de neuf ans, et essayaient de survivre dans la rue par tous les moyens. Ces enfants rêvaient d'établir des liens affectifs et d'appartenir à un groupe, et le seul moyen qu'elles pouvaient y parvenir était dans les rues. Ces enfants ont des notions déformées de l'amour et de la famille parce que leur foyer était marqué par les conflits, la violence et la toxicomanie. La première fois qu'elles ont eu le sentiment d'appartenance, pour bon nombre d'entre elles, c'était dans un gang de rue, où l'amour et l'acceptation étaient toujours extrêmement conditionnels. Elles étaient toujours initiées à la prostitution pour survivre. Nous avons des enfants de cinq, six, sept et huit ans qui sont exploités de cette manière à Prince Albert. Parfois, leurs propres problèmes grandissants de drogue les ont poussés, certains dès l'âge de huit ans, à la prostitution. Parfois, leur besoin de se nourrir, de se vêtir et de se loger les ont conduits à la prostitution, et la toxicomanie a suivi.

Pour certaines, qui ont été agressées sexuellement à un jeune âge, la prostitution leur donnait au moins l'option de dire non à certains de leurs partenaires. Pour d'autres, qui occupaient un rang élevé dans le gang parce qu'elles fréquentaient des membres masculins, elles étaient les proxénètes d'autres filles, souvent des membres de leur propre famille. Le fait d'avoir joué ce rôle pendant de nombreuses années a entraîné de graves répercussions sur leur santé mentale. La santé de toutes les filles qui ont été impliquées dans le commerce du sexe a été compromise. Le VIH/sida est courant et presque toutes les filles souffrent d'hépatite C et contractent régulièrement des maladies transmises sexuellement. Bon nombre d'entre elles bloquent toute émotion pour survivre et ne réagissent même pas quand elles sont brutalement violées. Certaines ont parlé ouvertement de leurs problèmes de santé mentale et de dépression, d'autres ont laissé entendre avoir déjà commis des tentatives de suicide.

Elles ne sont que des âmes brisées, qui se retrouvent dans des établissements bien avant de savoir qui elles sont.

Presque toutes ont été impliquées dans des activités criminelles à un très jeune âge. Certaines de ces jeunes femmes ont pris part à des crimes violents alors qu'elles n'avaient que 12 ans. Pour la plupart, elles ont commencé par commettre des crimes contre les biens, mais pour au moins deux d'entre elles, elles ont été initiées aux crimes violents dès l'âge de 11 et de 12 ans. Pour la majorité, les produits de leur prostitution étaient remis à leur proxénète. Les jeunes femmes, sauf une, ont décrit le temps qu'elles ont passé dans des établissements carcéraux; certaines y ont purgé des peines qui ont duré plus de la moitié de la dernière décennie.

À Prince Albert, une ville de près de 40 000 habitants, nos dix pénitenciers comptent toujours un millier de détenus. Nous savons de quoi le milieu du crime est fait et nous travaillons sans relâche pour améliorer la situation.

Dix de nos 15 participantes ont été hospitalisées pour des problèmes liés aux gangs, notamment la violence, la surdose de drogue, des agressions physiques ou des troubles de santé mentale.

Dix des 15 participantes sont suivies par les services sociaux, parce qu'elles sont pupilles sous tutelle judiciaire ou, le plus souvent, parce qu'on leur a retiré la garde de leurs enfants. D'autres n'ont pas perdu leurs enfants parce que des membres de leur famille élargie en prennent soin pendant qu'elles essaient de régler leurs problèmes de toxicomanie.

Autrefois, les liens serrés de la famille élargie représentaient l'une des grandes caractéristiques des régions rurales du Canada. Avec l'effritement d'un nombre élevé de familles, des grands-parents deviennent parents et il n'y a plus personne pour jouer leur rôle.

La moitié des jeunes femmes ont raconté leur grossesse à l'adolescence et les difficultés d'élever des enfants quand elles avaient une dépendance et participaient à des activités de gangs. Plusieurs participantes ont évoqué la naissance de leur enfant comme étant un tournant décisif dans leur vie, qui les a poussées à réduire leur fréquentation des gangs ou à y mettre fin. D'autres ont signalé que leur bébé est né avec une dépendance et qu'elles se sentent coupables.

À Prince Albert, une adolescente sur cinq est enceinte. Trois cents bébés naissent d'adolescentes chaque année, certaines ayant à peine 11 ans. Il y a une autre expression pour désigner cela : c'est de l'exploitation sexuelle.

Presque toutes les jeunes femmes ont décrit de graves problèmes de toxicomanie, souvent d'utilisation de drogues infectables. L'année dernière, nous avons recueilli plus d'un demi-million de seringues souillées dans notre ville. L'alcool et la marijuana sont souvent les premières drogues consommées, mais un grand nombre de nos jeunes, encore au début de l'adolescence, utilisent déjà régulièrement des drogues injectables. Les participantes décrivent le pouvoir des drogues et comment la consommation les rend prisonnières de ce style de vie.

Ce sont des âmes brisées, qui ont appris à survivre comme elles pouvaient, mais ce qu'elles ont appris ne leur ouvre pas toujours la voie du succès.

De nombreuses participantes ont signalé avoir abandonné l'école tôt, même à l'âge de neuf ans pour certaines. Cependant, elles le regrettent toutes car elles voient l'éducation comme un moyen d'échapper à leur mode de vie actuel. L'une des participantes dans la trentaine a souligné la nécessité d'encourager les enfants à participer à la vie dans leur école, soutenant que c'était le moyen le plus positif d'éviter l'adhésion à des gangs. Nombre de jeunes femmes ont évoqué leurs échecs scolaires et l'une d'elles a dit que le racisme comme était un grave problème. À mesure qu'elles voyaient leur milieu familial se désagréger, elles se sentaient de plus en plus isolées et coupées de leur milieu scolaire, parfois parce qu'elles avaient peu en commun avec leurs camarades de classe, parfois parce qu'elles étaient incapables de se conformer aux normes de l'école. Lorsqu'elles décrochaient de l'école, le gang, ou leur groupe, étaient leur unique choix. Urie Bronfenbrenner, une sommité internationale dans le domaine du développement de l'enfance, fait état que les enfants vivent, aiment et apprennent dans quatre milieux qui se recoupent : le foyer, l'école, le groupe de pairs et la collectivité. Ces jeunes femmes ont évoqué un sentiment d'aliénation à l'égard de leur foyer, de leur école et de leur collectivité; le gang restait l'unique option — un groupe de pairs — qui s'offrait à elles. Quand elles décrivent leur participation à notre centre de sensibilisation des jeunes, elles le voient comme un milieu sûr et accueillant qui pourrait satisfaire la plupart de leurs besoins fondamentaux et leur ouvrir la voie vers d'autres choix positifs. Le fait qu'aucune des 15 participantes n'ait pris part à des activités récréatives avant son arrivée au centre nous a donné la volonté de nous renouveler. C'était comme si le centre de sensibilisation des jeunes avait offert de nouvelles possibilités de transformer leur vie.

Mesdames et messieurs, ce sont des âmes brisées. Malheureusement, les bouleversements sociaux dans notre pays sont responsables d'un grand nombre de ces blessures. Ces jeunes femmes cherchent désespérément une appartenance, une occasion d'acquérir des compétences positives, une compréhension de leur propre capacité et de leur bonté d'âme. Elles ont besoin d'un milieu familial solide où l'esprit est nourri, de milieux sûrs et d'un endroit sain où grandir, qui leur offrira des possibilités d'apprentissage et de développement. Elles ont besoin d'un milieu stimulant et sensible à leurs besoins où elles peuvent établir des relations de confiance, découvrir qui elles sont et nouer des relations dans leur collectivité où elles peuvent mettre à profit leurs talents.

Elles ne sont que des âmes brisées, qui ont besoin d'un coup de pouce et de modèles forts sur qui elles peuvent compter, qui peuvent leur donner des conseils et une structure pour se rependre en main et découvrir leurs propres possibilités.

Je suis ravie que le Sénat du Canada ne soit pas disposé à dire : « Tant pis, c'est regrettable. » Il n'est même pas prêt à dire : « Nous voulons déjouer les probabilités. » Les sénateurs sont plutôt ici pour nous écouter et nous aider à trouver une solution pour changer la conjoncture et rompre le cycle du désavantage créé par la pauvreté.

Dean Desjarlais, directeur général, Northern Development Board Corporation : Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire part de nos points de vue sur la pauvreté rurale dans le nord de la Saskatchewan. Je dois d'abord excuser l'absence de M. Al Rivard, qui devait venir aujourd'hui, mais qui a malheureusement dû répondre à un imprévu.

Je veux simplement faire une brève observation. Quand j'ai interrogé les 12 membres de la Northern Development Board Corporation (NDBC) sur les arguments que nous devrions soulever devant le comité sénatorial, un des commentaires intéressants qui a été formulé était que nous devrions inviter le comité à visiter l'une des régions les plus pauvres du Canada, soit le nord de la Saskatchewan.

La NDBC est responsable de gérer l'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord en partenariat avec les gouvernements provincial et fédéral dans le cadre d'un processus tripartite. La NDBC se compose de représentants élus de cinq organisations du Nord, y compris le Grand conseil de Prince Albert; le Meadow Lake Tribal Council; la Métis Nation of Saskatchewan; New North, qui regroupe l'ensemble des 35 municipalités du nord de la Saskatchewan; et l'Athabasca Economic Development and Training Corporation, qui englobe les communautés les plus au nord de la région d'Athabasca.

Les membres de la Northern Development Board Corporation offrent un éventail représentatif de connaissances sur les questions et les priorités touchant le Nord. Ils donnent aux gouvernements provincial et fédéral des conseils sur les priorités socioéconomiques du nord de la Saskatchewan.

L'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord est un accord quinquennal de 20 millions de dollars visant à améliorer les possibilités économiques offertes aux habitants du Nord et à promouvoir et à soutenir un développement économique durable dans le nord de la Saskatchewan. L'entente encourage également la participation à part entière des gens du Nord dans l'économie canadienne et donne l'occasion aux habitants du Nord d'être représentés adéquatement pour contribuer directement à l'établissement des priorités à réaliser. Elle joue aussi un rôle important dans le processus de prise de décisions.

L'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord a cinq priorités d'investissement : l'infrastructure économique, le renforcement des capacités, la création de perspectives d'emplois, l'attrait de la région pour des investisseurs potentiels et l'innovation.

L'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord a été signée le 17 octobre 2002. Nous en sommes actuellement à la dernière année de l'entente quinquennale. Elle a été également signée le même jour que l'Accord sur le développement du nord de la Saskatchewan. Cet accord est une entente très importante entre les gouvernements provincial et fédéral en collaboration avec les habitants du Nord afin de commencer à renverser les conditions socioéconomiques défavorables dans le nord de la Saskatchewan.

L'énoncé de vision de l'accord est le suivant :

Les gens du Nord disposent des moyens nécessaires pour réaliser les buts auxquels ils aspirent pour leurs collectivités, leurs familles et eux-mêmes. Pour les habitants du Nord, leurs cultures et leurs traditions, le gouvernement sera un partenaire actif auprès des collectivités, des organisations autochtones, des entreprises et des industries pour promouvoir le développement économique du Nord.

Les buts de l'Entente sur le développement du nord de la Saskatchewan sont les suivants :

i) établir une économie dans le Nord plus solide, plus diversifiée et plus durable qui crée des emplois et des occasions d'affaires pour les habitants;

ii) renforcer les infrastructures communautaires et régionales qui contribueront au développement économique et amélioreront les conditions de vie dans le Nord;

iii) renforcer l'éducation et la formation pour permettre aux habitants du Nord de poursuivre leurs études et d'être plus concurrentiels sur le marché du travail, tant dans le nord de la Saskatchewan qu'ailleurs;

iv) accroître l'autonomie des collectivités et renforcer l'influence et l'économie du Nord;

v) augmenter la participation des gens du Nord à la gestion et à la protection de l'environnement naturel du nord de la Saskatchewan.

Ce sont d'excellents buts prévus dans l'accord, mais jusqu'ici, aucune mesure n'a été prise pour les atteindre. Une fois le document signé, les gouvernements fédéral et provincial se sont tous deux esquivés.

Cependant, depuis la création de l'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord, nous avons investi environ 15 millions de dollars dans 44 projets. Puisque nous en sommes actuellement à notre dernière année et qu'il nous reste 5 millions de dollars, nous avons demandé de prolonger l'accord actuel d'un an. Une réponse favorable a été reçue presque immédiatement du gouvernement provincial, mais le gouvernement fédéral a choisi d'attendre les résultats de l'évaluation. Ces résultats devraient être communiqués au cours de la prochaine semaine. Le gouvernement fédéral décidera alors s'il accepte de prolonger l'entente pour une autre année afin de nous permettre d'investir entièrement les 5 millions additionnels.

En plus d'avoir investi 15 millions de dollars, nous avons également amassé 13 millions de dollars supplémentaires pour des projets dans le Nord, grâce à quoi 330 personnes ont été formées, en majorité des Autochtones du Nord, et 100 personnes ont pu trouver des emplois rémunérateurs.

Aux fins de la gestion de l'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord, la région géographique que l'on appelle communément le Northern Administration District dans le nord de la Saskatchewan est le secteur d'investissement principal. Le nord de la Saskatchewan est vaste. La région compte environ 300 000 kilomètres carrés et est peu peuplée, abritant environ 35 000 résidents dans 35 collectivités et 12 Premières nations. On calcule 0,12 habitant par kilomètre carré. Les résidents de la région sont majoritairement des Autochtones issus de la nation métisse ou d'une Première nation.

Le Northern Administration District représente environ 46 p. 100 de la province, mais seulement 3,4 p. 100 de la population provinciale. Nous sommes le peuple oublié.

Les régions du Nord, bien qu'elles ressemblent aux régions rurales du Canada à plusieurs égards, présentent des caractéristiques très différentes. Le Nord canadien abrite principalement des Autochtones, est plus éloigné que les régions rurales et est confronté à des problèmes sociaux différents. L'exode n'est pas un problème puisque la plupart des jeunes Autochtones restent ordinairement dans leur collectivité natale.

Il y a seulement deux collectivités dans le nord de la Saskatchewan qui jouissent presque de toutes les commodités offertes dans les grands centres urbains. Les autres collectivités n'ont que l'essentiel, un supermarché et un endroit où acheter de l'essence. Chaque collectivité a des services de vente de détail que les ressources financières de la collectivité peuvent soutenir et maintenir. Toute expansion dans ce secteur serait vaine sans une plus grande capacité financière locale. Pour obtenir d'autres services, l'habitant du Nord doit se déplacer vers le sud, ce qui peut prendre entre deux et 18 heures par la route.

Le nord de la Saskatchewan compte quatre hôpitaux qui fournissent des services médicaux de base. Les interventions majeures ou les services spécialisés sont offerts au grand centre hospitalier le plus près, qui est très souvent à Saskatoon. Le temps de déplacement moyen pour avoir accès à des interventions majeures ou des services spécialisés est d'environ six heures, pour l'aller. Pour se rendre à un rendez-vous à Saskatoon, le temps de déplacement est de 12 heures environ.

Le nord de la Saskatchewan est aux prises avec des taux de chômage élevés. Les dirigeants des collectivités et les sociétés d'aide au développement des entreprises évaluent le taux de chômage à environ 80 p. 100 dans certaines collectivités. C'est inacceptable dans un pays et une province qui jouissent actuellement d'une prospérité économique, où les taux de chômage sont de 6,2 et de 4,1 p. 100 respectivement.

Le taux de chômage élevé entraîne l'oisiveté qui vient miner l'estime de soi et la confiance en soi. C'est la cause première des problèmes sociaux qui ravagent le nord de la Saskatchewan. L'abus de l'alcool et des drogues est évident dans toutes les collectivités du nord de la Saskatchewan. Aucune collectivité de la région ne peut prétendre ne pas avoir de problème en matière d'abus d'alcool et de drogues.

Les problèmes sociaux mènent à une dissolution de la cellule familiale. La pauvreté conduit à des problèmes sociaux, qui, à leur tour, détruisent la cellule familiale, ce qui vient appauvrir encore davantage la famille étant donné que la capacité d'apporter des ressources si nécessaires au foyer est réduite de moitié.

Les coûts humains et la souffrance vont bien au-delà de toute mesure quantifiable. Les enfants sont les plus grandes victimes des problèmes sociaux engendrés par la pauvreté dans le Nord.

Au cours d'une enquête informelle récente sur l'usage des drogues dans une collectivité nordique, on m'a informé que les drogues illicites étaient si répandues que vous pouvez trouver quelqu'un qui a une dépendance à l'égard du crack dans un foyer sur deux. Cette forme de cocaïne est devenue la drogue de choix dans certaines collectivités du nord de la Saskatchewan. On m'a également dit que certaines mères monoparentales vendaient leurs meubles pour soutenir leur dépendance. Ce sont les enfants qui finissent par souffrir.

Dans le cadre de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, la consommation abusive d'alcool a été définie comme la prise de cinq verres d'alcool ou plus en une seule occasion, 12 fois ou plus par année. Dans les collectivités hors réserve, 46 p. 100 des personnes de sexe masculin âgées de 12 ans et plus du nord de la Saskatchewan qui consomment de l'alcool ont signalé une consommation abusive d'alcool comparativement à la moyenne provinciale qui est de 33 p. 100. Chez les femmes qui signalent une consommation abusive d'alcool, la proportion est de 25 p. 100 dans le Nord comparativement à la moyenne provinciale qui est de 16 p. 100.

Au cours de nos travaux, nous n'avons rien constaté concernant la consommation abusive des drogues illicites ou des médicaments d'ordonnance.

Les habitants du Nord ont grandement besoin d'aide. Ils sont découragés. Selon le ministère de la Santé de la Saskatchewan, le taux de suicide dans le nord de la Saskatchewan a été presque deux fois plus élevé que la moyenne provinciale de 1993 à 1999.

Récemment, une collectivité du nord de la Saskatchewan a attiré l'attention de la province après avoir connu cinq suicides depuis août dernier. Il y a eu 15 autres tentatives de suicide dans cette petite collectivité d'environ 1 500 habitants. Pourquoi les gouvernements attendent-ils que les habitants du Nord aient recours à une mesure aussi extrême avant de réagir? Les ressources humaines et financières qui sont maintenant consacrées à cette collectivité auraient dû avoir été consacrées il y a des années, et c'est le cas pour d'autres collectivités du nord de la Saskatchewan. Pendant des années, les dirigeants des collectivités nordiques ont informé les gouvernements provincial et fédéral des problèmes liés à la misère.

Je vais m'arrêter ici et répondre à vos questions.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Si j'étais venu en Saskatchewan pour me faire remonter le moral, de toute évidence, je me suis trompé d'endroit. Vous avez dressé un tableau honnête, mais assez déprimant de la situation. Monsieur Desjarlais, je cherche des données positives dans votre rapport. Vous dites avoir dépensé 15 millions de dollars dans 44 projets. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ces projets et nous dire si ces projets ont été couronnés de succès. Quels ont été les succès? Quels ont été les échecs?

M. Desjarlais : Certains des projets qui ont le mieux réussi étaient dans le domaine du renforcement prioritaire des capacités. L'exploitation des sables bitumineux du nord de l'Alberta crée un grand besoin de main-d'oeuvre et d'autres types d'employés. Nous avons donné de la formation dans le nord-ouest de la Saskatchewan, dans la région de Buffalo Narrows et de Meadow Lake. Une fois que les gens ont suivi cette formation, ils sont en mesure d'utiliser leurs compétences pour travailler à l'exploitation des sables bitumineux du nord de l'Alberta.

Le NDBC voulait que j'insiste sur le fait que nous devons commencer à créer des occasions ici même en Saskatchewan. La seule façon d'y arriver, c'est d'investir dans l'infrastructure économique.

Le sénateur Mercer : Quel était le niveau d'éducation des gens que vous avez formés pour travailler à l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta?

M. Desjarlais : Les exigences minimales de ces programmes de formation correspondent à une 10e année. C'est le minimum. Mais nous avons constaté que la moyenne est tout juste supérieure à une 10e année. Pour clarification, ces gens vont travailler là-bas, mais ils reviennent vivre en Saskatchewan.

Le sénateur Mercer : Est-ce qu'ils vont travailler pendant un mois, puis reviennent chez eux?

M. Desjarlais : Certains travaillent pendant deux semaines et sont en congé pendant deux semaines, mais les horaires de travail varient.

Le sénateur Mercer : C'est bien qu'ils reviennent dépenser leur argent en Saskatchewan parce que le gouvernement de la Saskatchewan a fait des investissements.

Vous avez indiqué que vous en étiez à la dernière année de votre programme et que le gouvernement de la Saskatchewan a accepté une prolongation. Qu'attendez-vous du gouvernement du Canada?

M. Desjarlais : Au niveau du gouvernement fédéral, le programme est administré par l'intermédiaire de Diversification de l'économie de l'Ouest Canada. Lorsque nous avons demandé à DEO de nous accorder une prolongation d'un an pour nous permettre d'investir pleinement les 5 millions de dollars additionnels, on nous a répondu qu'on voulait attendre l'évaluation. L'efficacité de l'Entente Canada-Saskatchewan pour le développement du Nord fait actuellement l'objet d'une évaluation. Nous avons effectivement reçu un rapport préliminaire de l'évaluateur la semaine dernière et les résultats sont quelque peu encourageants.

Le sénateur Mercer : Madame Nosbush, il y a tellement de questions que j'aimerais vous poser, mais les problèmes que vous avez décrits sont si complexes et si profondément enracinés. Si le gouvernement du Canada pouvait faire une chose pour aider à régler les problèmes que vous avez décrits, de quoi s'agirait-il?

Mme Nosbush : Le gouvernement du Canada pourrait créer un système d'apprentissage précoce et de garde à la petite enfance de qualité et universellement accessible comme l'a décrit l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, l'OCDE. Il serait de qualité, aurait un accès universel et des pratiques appropriées du point de vue du développement, pour amorcer le développement. Nous avons de nombreux exemples où des enfants non verbaux et n'ayant pas de réactions ont été apportés dans des centres d'apprentissage précoce et de formation des parents et qui, en l'espace de trois mois seulement, ont vu leur développement commencer à progresser. Pour briser ce cycle, nous devons nous concentrer sur l'enfant dans le contexte de l'unité familiale et travailler avec les deux en même temps, de manière qu'ils puissent voir d'autres possibilités.

Le sénateur Mercer : Est-ce que le programme de 100 $ pour la garde des enfants que le gouvernement actuel a instauré lorsqu'il a été élu a un effet quelconque?

Mme Nosbush : Non, parce qu'une place pour un nourrisson dans la région où je vis coûte environ 600 $ par mois. Le programme de 100 $ a un effet très minimal en ce qui concerne le genre de personnes dont nous parlons.

Le sénateur Mercer : Dans d'autres parties du pays, nous avons vu les tarifs de garde augmenter d'une somme presque équivalente à la contribution du gouvernement.

Mme Nosbush : Les nôtres n'ont pas augmenté parce que notre gouvernement provincial a vraiment contrôlé de nombreux salaires. La Saskatchewan a commencé à élaborer un plan au début des années 1990, alors nous avions un plan qui était prêt et que nous avions déjà commencé à mettre en oeuvre lorsque l'argent a été annoncé.

Le sénateur Mercer : Est-ce que l'entente précédente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Saskatchewan pour la création de nouvelles places de garderie aurait eu un effet plus positif que le programme actuel?

Mme Nosbush : Nous avons vu que cela a fourni une base et ensuite, le nouveau programme nous permettait de mettre en oeuvre la totalité du plan que nous avons développé en consultation. Nous avions un élément spécial dans le plan pour répondre aux besoins du Nord parce que nous savions que les besoins du Nord étaient très différents.

Le sénateur Mercer : Parmi les filles dont vous avez parlé dans votre rapport, combien viennent à Prince Albert en provenance des collectivités rurales?

Mme Nosbush : C'est le cas de toutes les filles qui faisaient partie de cette étude et l'une d'elles est morte depuis. Elle est décédée suite à des problèmes liés aux drogues. Elles sont venues parce que la vie, pour une raison quelconque, n'allait pas terriblement bien là-bas, et ensuite, elles ont fait partie d'une population fantôme à Prince Albert.

Le sénateur Peterson : Madame Nosbush, vous avez parlé du phénomène de gang. À Regina, c'est le véritable foyer des jeunes gens qui sont allés en ville, parce que beaucoup de foyers sont dysfonctionnels et qu'il n'y a personne dans ces foyers. Devrions-nous nous concentrer davantage sur les réserves en milieu urbain où nous pourrions alors offrir l'infrastructure, un centre culturel, pour résoudre cette question? De toute évidence, une fois que les jeunes quittent la réserve, il n'y a pas d'aide en ville. S'agirait-il d'une meilleure façon d'essayer de régler ce problème?

Mme Nosbush : Nous avons un phénomène dans notre région où les gens font la navette entre les réserves et le centre urbain. Ce n'est pas qu'ils passent tout leur temps en ville; ils reviennent passer du temps sur la réserve. En conséquence, ils ne sont comptés dans ni l'un ni l'autre endroit. Certainement, nous aurions un groupe type plus grand. Nous avons un programme, intitulé Prince Albert Grand Council Urban Services, très actif, qui travaillait avec nous dans ce domaine pour essayer de faciliter cette transition pour aller vivre dans une ville plus petite.

Nous voyons ce problème non seulement dans la collectivité autochtone, mais nous voyons également qu'il s'agit d'un problème plus envahissant dans lequel les adultes ont tendance à croire que les jeunes peuvent se débrouiller par eux-mêmes. Les chercheurs spécialisés dans le développement de l'enfant appellent cela la transmission horizontale des cultures, les pairs qui guident les pairs, plutôt que ce soit des adultes qui montrent le chemin aux jeunes. Nous constatons ensuite que les jeunes présentent tous les problèmes que nous voyons aujourd'hui parce que les adultes n'ont pas joué un véritable rôle. Je pense que les centres urbains seraient certainement un bon point de départ.

Un des projets qui a été très réussi et qui a fait intervenir les gouvernements régional, provincial et fédéral, et certains organismes communautaires, a été un complexe d'habitation qui a été complètement réaménagé. Ils ont placé dans le complexe un agent de développement communautaire, qui agit comme une sorte de mère qui aide les jeunes à devenir des locataires et à garder leur appartement. Il y a un centre d'apprentissage précoce et de garde des enfants avec un appui pour les parents; le transport entre l'école et le complexe est assuré. Devant les besoins complexes de nos jeunes et de nos adultes, nous ne pouvons régler ces questions une à la fois : monoparentalité, absence de logement stable, sûr et abordable, absence de savoir-faire pour être locataire et absence d'accès à des emplois et à la communauté. Alors tous leurs besoins sont maintenant comblés dans un même contexte.

Le programme de La Loche a été très efficace parce qu'il comporte cet élément d'enveloppement. En fait, ce projet a gagné un prix national. Il s'agit d'un guichet unique où l'on dispense les systèmes de soutien qui sont nécessaires dans une grande variété de domaines, et où il peut s'établir une relation de confiance avec les fournisseurs de services.

Le sénateur Peterson : Monsieur Desjarlais, vous avez dit dans votre rapport que le chômage est un problème très important dans les collectivités des Premières nations. Pour régler cette question, il faut améliorer la structure de l'éducation. Il y a des établissements à Prince Albert et à Saskatoon, de même que la First Nations University of Canada à Regina, qui dispensent une formation davantage axée sur les métiers. Est-ce qu'à votre avis, cela fonctionne bien? Y a-t-il des façons que nous puissions améliorer les choses?

M. Desjarlais : En plus du Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology, SIAST, qui est un collège provincial, nous avons le Northlands College, un collège nordique. Ces derniers assurent la plus grande partie des besoins en matière de formation. Nous estimons qu'ils font un travail approprié pour tenter d'inculquer des compétences de travail aux habitants du Nord. Nous avons constaté récemment que certaines collectivités des Premières nations ou métisses elles-mêmes voulaient que la formation spécialisée vienne directement dans leur collectivité. Nous avons constaté que cela fonctionnait bien également.

Le sénateur Peterson : Avant la création de la First Nations University, un des problèmes, c'était que les étudiants partaient de Prince Albert pour aller à Saskatoon où il n'y avait pas d'appui culturel. Les jeunes se retrouvaient parmi de nombreuses autres personnes douées, mais ils se sentaient seuls. Par conséquent, ils repartaient. La First Nations University a permis de surmonter ces difficultés, leur assurant un milieu où ils étaient à l'aise et où ils pouvaient continuer à se développer. Que faites-vous pour vraiment encourager cela et faire de cette université un modèle? Il s'agit de la seule université du genre au Canada.

M. Desjarlais : Nous avons constaté que les gens du Nord préféraient rester dans leur collectivité si la formation se donnait sur place. C'est le besoin que nous essayons de combler parce que nous ne voyons pas un grand nombre d'entre eux se déplacer à Regina pour avoir accès à une formation à la First Nations University.

Mme Nosbush : Au cours des dernières semaines, j'ai parlé à 45 étudiants et étudiantes en soins infirmiers qui commençaient leur programme de formation sur le campus nordique de la First Nations University à Prince Albert. Il s'agissait d'un groupe très dynamique de jeunes hommes et de jeunes femmes qui ont le désir de revenir travailler dans les réserves. Une des premières étudiantes, qui a suivi une partie de son programme à l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon et qui a ensuite travaillé avec moi au Prince Albert Integrated Human Services Practicum que nous avons mis sur pied, est maintenant infirmière dans un centre de santé primaire dans la Première nation de Sturgeon Lake. C'est un exemple très puissant. D'après ce que je peux voir, nous avons un programme de travail social solide sur le campus nordique de la First Nations University à Prince Albert. Nous avons un programme de soins infirmiers solide. Nous avons eu un programme d'éducation solide par l'intermédiaire du Saskatchewan Urban Native Teacher Education Program, SUNTEP, et du Northern Teacher Education Program, NORTEP — tous les deux des programmes de formation d'enseignantes et d'enseignants autochtones. Nous fournissons ces ressources et nous voyons de plus en plus de jeunes gens profiter de ces occasions, sachant qu'ils pourront revenir dans leurs réserves natales pour y travailler.

Le sénateur Peterson : Ces étudiantes et étudiants deviennent des modèles à suivre pour les autres. Je crois que nous devons construire là-dessus et montrer aux autres que c'est possible. Ils peuvent connaître beaucoup de succès et continuer dans la vie.

Mme Nosbush : Il y avait tellement d'énergie dans cette salle de 45 personnes. Je suis sortie de cette rencontre pleine d'espoir. Nous avons été en mesure de parler de toutes les forces que nous avions et de tous les problèmes. Ils sont prêts à aller faire une différence dans l'avenir.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de spiritualité. Est-ce que nous perdons nos églises dans les collectivités rurales actuelles?

Mme Nosbush : Dans bien des cas, oui, parce que le clergé vieillit et qu'il n'y a pas beaucoup de relève. Partout au Canada, nous avons un besoin profondément enraciné de voir comment nous nous inscrivons dans l'au-delà, ce qui est plus grand que nous et à l'extérieur de nous. Si nous ne comblons pas ce besoin par le biais de la religion organisée, un certain nombre de nos jeunes se tourneront vers les cultes et d'autres façons de combler leur besoin de spiritualité.

Dans les collectivités rurales — dont je suis un produit — nous avions sept élévateurs à Lake Lenore; nous en avons maintenant deux et probablement que nous n'aurons pas le deuxième encore bien longtemps. Nous avions une économie très dynamique. Il ne reste que quelques magasins. Nous avions une grande école; sa taille est maintenant réduite, mais elle est encore viable. Les élèves en provenance de partout dans la région arrivent par autobus. Nous avons une grande église qui continue d'être vivante, mais la population diminue parce que déjà il y avait une famille par quart de terre, maintenant huit quarts ne suffisent pas, et 12 quarts ne suffisent pas. Nous avons des familles qui doivent cultiver jusqu'à 20 quarts de terre. Un jour, nous allons arriver à la ferme constituée en société où les gens vivent à l'extérieur de la ferme. Les facteurs qui gardent une collectivité ensemble — les affaires agricoles, l'église, l'école, les activités récréatives — ne sont plus appuyés maintenant parce ces choses ne sont accessibles qu'à une certaine distance. Dès que les gens deviennent pauvres, ils n'ont plus de transport. Certains des clubs communautaires — la notion que nous avions de nous-mêmes en tant que collectivité — sont très tenaces et essaient de s'accrocher.

Dans ma propre famille, j'ai un beau-frère qui possède sept quarts de terre qui ne pourrait pas se payer tout l'équipement dispendieux nécessaire. Il a loué sa terre à son neveu et il ne conserve que les quartiers d'habitation pour le bétail. Il est dans la cinquantaine et ne croit pas qu'il puisse se permettre d'acheter le nouvel équipement nécessaire pour la taille de sa ferme.

Nous sommes arrivés à un véritable point tournant, ou bien nous devrons grossir et ainsi, détruire le tissu social de nos collectivités rurales, ou bien nous devrons trouver une façon de maintenir une certaine vitalité. Nous avons un certain nombre d'industries localisées dans certaines de nos petites villes dans cette région qui ont réussi à conserver cette vitalité et cette solide capacité qui permet à la Saskatchewan de recueillir 5,6 millions de dollars pour la Kinsmen Telemiracle Foundation la fin de semaine dernière, pour une population à peine supérieure à 900 000 habitants.

Le sénateur Mahovlich : Le gouvernement a mis de l'ordre dans ses priorités. Je viens d'une petite collectivité où je crois que le premier immeuble qui a été construit était une église. Partout au Canada et aux États-Unis, il y a une église dans chaque ville. Il doit bien y avoir une raison.

La spiritualité a toujours été très importante pour les Autochtones. Est-ce que c'est toujours le cas chez les jeunes?

M. Desjarlais : Dans certaines Premières nations du Nord, on offre des camps culturels pour essayer d'enseigner les traditions aux jeunes. Cette spiritualité en ferait partie.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'ils continuent de parler la langue?

M. Desjarlais : L'enseignement de la langue est un élément clé des camps culturels.

Le sénateur Mahovlich : Je crois que c'est important pour eux. Je suis catholique; j'ai été élevé comme catholique et j'ai fréquenté l'école catholique. Cette spiritualité m'a aidé dans les situations difficiles. Je suis certain que les Autochtones estiment que c'est important, surtout les Anciens.

M. Desjarlais : C'est très important. J'ai aussi été élevé dans la religion catholique. Dans les communautés du nord de la Saskatchewan que j'ai visitées, j'ai remarqué qu'il n'y a plus de prêtres, mais les gens se mobilisent pour que les messes soient célébrées quand même.

Le sénateur Mahovlich : Il faut bien que quelqu'un assure ces services.

Je ne sais pas s'il y a une loi sur la prostitution, qui permettrait de condamner les clients et proxénètes, ceux qui profitent de ce système. Qu'en pensez-vous? Serait-ce une mesure positive?

Mme Nosbush : J'ai trouvé mon travail au sein des services de police vraiment très intéressant, parce que j'ai pu voir les choses de l'intérieur et de l'extérieur. Mes collègues policiers me disaient de faire très attention dans mes efforts visant à supprimer la prostitution, car une fois que celle-ci devient clandestine, nous en perdons le contrôle. Plutôt que de poursuivre les proxénètes, je crois que nous devrions examiner les causes profondes de ce problème. Plusieurs sont partis et certains s'en sortent mieux que d'autres, toutefois, nous observons que le proxénète est quelqu'un de la classe moyenne, plutôt bien considéré dans la communauté. Dans notre localité, l'Armée du Salut est sur le point de construire une maison de transition pour de jeunes filles détenues au centre correctionnel Pine Grove et qui veulent sortir de la prostitution. C'est à environ 15 milles de la ville.

Je vais vous donner un exemple illustrant à quel point ceci est très enraciné; un matin, au service de police, alors qu'il pleuvait, j'ai entendu un agent dire : « Hey, Linda, viens ici. » C'est alors que j'ai vu deux jeunes filles âgées de 15 ans sortir de cellules. La nuit d'avant avait été vraiment horrible, et les agents de police avaient recueilli plusieurs prostituées pour leur permettre de passer une nuit au chaud, à l'abri. Ces adolescentes sont reparties avec les rares effets personnels qu'elles possédaient dans un sac à ordures noir qu'elles serraient sous le bras. Ce n'étaient que des jeunes filles. Pour beaucoup d'entre elles, la prostitution est le seul moyen qu'elles ont d'obtenir tout ce dont elles ont besoin pour vivre, et c'est quelque chose qui se pratique dans leur famille depuis qu'elles sont très jeunes. Il faut chercher des façons de valoriser le foyer familial. Cela fait partie de nos racines culturelles et spirituelles que de comprendre qui nous sommes et quelles valeurs nous défendons en tant que peuple. Je crois que nous devons être très attentifs aux besoins de nos jeunes.

Ce que tentent le plus souvent les forces de l'ordre, c'est de supprimer la prostitution, mais c'est ce qui est le moins efficace pour régler les problèmes. Il serait beaucoup plus utile de donner des emplois adéquats à ces gens, pour leur permettre de garder leur dignité, et d'étudier — comme nos jeunes nous l'ont demandé — dans des domaines où ils peuvent exercer leurs forces. Beaucoup découvrent qu'ils ont de grandes capacités lorsqu'ils arrivent dans notre centre, mais ils sont tellement habitués à ce qu'on ne voie que leurs lacunes, qu'ils n'ont même pas conscience de leurs talents. Grâce à notre programme, beaucoup de jeunes obtiennent des diplômes. Ils travaillent comme employés occasionnels ou occupent des emplois à temps plein, et c'est là qu'ils comprennent vraiment le monde du travail. Par la suite, ils sont capables de se débrouiller dans la communauté et d'exploiter d'autres débouchés. C'est donc en obtenant des diplômes que les gens deviennent autonomes, et puis il convient aussi de faire preuve de vigilance pour voir ce qui ne fonctionne pas correctement.

Le sénateur Gustafson : Combien d'Autochtones travaillent dans les mines d'uranium? Avez-vous des chiffres là- dessus? Il y a d'autres projets dans le Nord.

M. Desjarlais : Les deux géants de l'uranium dans le nord de la Saskatchewan sont Areva Resources Canada Inc. et Cameco Corporation. En vertu de leurs contrats de bail de surface, ces entreprises doivent employer au moins 50 p. 100 d'Autochtones. Jusqu'à présent, elles respectent les quotas; dans quelques cas, elles les dépassent même. D'un autre côté, les entrepreneurs qui travaillent pour ces compagnies minières ne sont pas liés par les mêmes exigences en matière d'embauche d'Autochtones. Nous aimerions nous attaquer à ce problème, même si certains des entrepreneurs qui travaillent pour Areva Resources Canada Inc. ou Cameco Corporation tentent de faire leur part à ce chapitre.

Le sénateur Gustafson : Est-ce que les réserves proposent de nouvelles idées pour créer des emplois sur leur territoire?

M. Desjarlais : Dans chaque réserve, il y a un conseiller en matière de développement économique, dont la responsabilité est de tenter de créer des activités économiques pour la réserve. Étant donné les maigres capacités financières des résidants de cette communauté autochtone, il est pratiquement impossible de développer quelqu'activité que ce soit. C'est la raison pour laquelle, dans mon rapport, je dis qu'ils ont le strict minimum, c'est-à-dire l'épicerie et la station-service.

Le sénateur Gustafson : Je siège aux Comités des peuples autochtones et à celui de l'agriculture. Il y a au moins 1 000 affaires devant les tribunaux, dont quelques-unes traînent depuis longtemps. La plupart, évidemment, concernent des problèmes d'ordre économique. Ceux-ci semblent avoir une incidence majeure sur ce qui arrive dans les réserves. Qu'en pensez-vous?

M. Desjarlais : Il y a quelques bons exemples de développement économique réussi au sein des Premières nations. La bande indienne de Lac La Ronge, avec le Kitsaki Management Limited Partnership, qui emploie de nombreux Autochtones, en est un probant. Il y a aussi la nation crie de Peter Ballantyne, qui capitalise sur des débouchés économiques, même dans la ville de Prince Albert, où elle possède un hôtel et un poste d'essence qui vend confiseries et carburant. Le conseil tribal de Meadow Lake était très actif dans le domaine de la foresterie, jusqu'à tout récemment, depuis qu'il y a eu une diminution de l'activité. Il y a des Premières nations qui réussissent, comme celle qui gère le terrain de golf Dakota Dunes, situé au sud de Saskatoon. On envisage d'y construire un grand casino, ce qui permettra de créer énormément d'emplois pour les Autochtones.

Le sénateur Gustafson : Est-ce que les organisations sociales et religieuses, comme l'Armée du Salut, travaillent beaucoup auprès des Autochtones?

M. Desjarlais : Dans le nord de la Saskatchewan, il n'y a pas de services, comme ceux de l'Armée du Salut, mais nous avons remarqué que les Autochtones tendent à s'entraider. Quand un homme part à la chasse et tue un orignal, par exemple, il partage la viande avec le reste de la communauté.

La présidente : Merci. J'ai une question brève, mais peu courante. Je n'ai pu m'empêcher, en écoutant vos deux témoignages, de réfléchir à mes 23 années passées au Sénat et au fait que dès le début, j'ai été confrontée au problème de l'alphabétisation. En vous écoutant aujourd'hui, et après les témoignages d'autres personnes que nous avons rencontrées un peu partout au pays, je me rends compte que c'est un problème fondamental lié à la santé de notre pays, et je ne suis pas sûre que nous le traitions adéquatement. La Saskatchewan a toujours été très bien connue pour la qualité des programmes qu'elle offre aux Autochtones, aux personnes âgées, aux adultes et surtout aux enfants. À la lumière des informations et des réflexions que vous nous avez livrées ici, en Saskatchewan, comment la situation évolue-t-elle? Nous avons éprouvé quelques difficultés ces derniers mois. J'espère que tout revient à la normale. Est-ce que les infrastructures qu'a bâties la Saskatchewan pour aborder ces questions depuis de nombreuses années continuent de fonctionner dans vos communautés? Est-ce que les gens vont encore suivre des cours? Est-ce qu'ils ont des tuteurs? Est-ce qu'on se concentre toujours sur les enfants?

Mme Nosbush : Avant les dix dernières années, je me consacrais essentiellement à l'alphabétisation, tant au niveau universitaire que scolaire. Je dirais que l'aptitude à lire ouvre aux gens une fenêtre sur le monde et leur permet de s'émanciper. C'est absolument essentiel. Pour parler de notre province voisine l'Alberta, des statistiques internationales indiquent qu'elle est sur une pente très descendante. Elle enregistre un des scores les plus élevés en moyenne au Canada, mais elle accuse aussi un des plus bas à certains égards. La Saskatchewan se porte mieux. J'aimerais croire que c'est en raison de l'énorme intérêt que porte la communauté à l'éducation scolaire dans cette province, où nous nous efforçons de faire tomber les barrières. Les infrastructures dont nous nous sommes dotés ont donné d'excellents résultats. Le Saskatchewan Department of Learning a également lancé une nouvelle initiative appelée SchoolPlus, selon laquelle l'école est considérée comme un portail pour l'accès à d'autres services sociaux — c'est comme un guichet unique. Comme le sénateur Mahovlich l'a indiqué, ces gens disent que les écoles sont au cœur des communautés, là où se trouvent les gens, et que nous pouvons en faire des portails donnant accès à des services.

Ceci dit, lorsque je vois ce qui se passe dans le reste du Canada, j'ai beaucoup d'espoir pour les Saskatchewannais. Si je vous donnais les statistiques de la dernière année pour les 750 jeunes femmes qui ont été envoyées au Centre correctionnel Pine Grove, qui est le seul centre pour femmes en Saskatchewan, vous verriez qu'elles n'ont même pas le niveau d'une 11e année, je dirais même qu'il se situe entre la 5e et la 8e année. Pour les gens qui passent entre les mailles de notre système, l'alphabétisation est un énorme défi à relever. Dans les milieux pénitentiaires de la Saskatchewan, le niveau d'alphabétisation est également bas. Les gens qui y sont ont un niveau tournant autour de la 10e année, ce qui est considéré comme le niveau fonctionnel au Canada aujourd'hui.

La présidente : Je vous remercie pour ce que vous faites. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est continuez.

Mme Nosbush : Sénateur Fairbairn, j'aimerais pouvoir lire une courte citation pour conclure. L'artiste Thomas Kinkade a dit un jour : « La vie humaine est un chef-d'œuvre qui peut aspirer à l'éternité. Chaque vie a la capacité de toucher d'autres vies qui à leur tour touchent encore plus de vies. Ainsi, personne après personne, génération après génération, le monde et l'avenir se dessinent. »

Je crois que nous ne devons jamais perdre de vue que tout ce que nous ferons maintenant aura son importance pour l'avenir.

La présidente : Je vous remercie beaucoup et merci aussi à vous deux d'avoir fait l'effort de venir aujourd'hui.

La séance est levée.


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