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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 20 - Témoignages du 8 mars 2007 - Séance de l'après-midi


HUMBOLDT SASKATCHEWAN, le jeudi 8 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 13 h 1, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts. Nous entendrons tout d'abord cet après-midi Randy Johns, qui parlera au nom de la Corporation de promotion de carrière Keewatin.

Randy Johns, directeur général, Corporation de promotion de carrière Keewatin : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je vous ai remis un mémoire qui est à la disposition de quiconque souhaite le consulter.

La Corporation de promotion de carrière Keewatin est un organisme sans but lucratif fondé en 1996. Nous travaillons essentiellement dans le domaine de l'infotechnologie dans les collectivités rurales, et plus particulièrement les collectivités rurales autochtones. Nous sommes une organisation de gestion régionale chargée par Affaires indiennes et du Nord Canada d'administrer le programme Premières nations sur Rescol. Dans le cadre de ce programme, nous travaillons auprès de 160 écoles des Premières nations situées dans les réserves en Saskatchewan et en Alberta. Nous fournissons l'appui technologique. Une de nos innovations récentes est la mise au point d'un réseau de vidéoconférence reliant toutes ces écoles, grâce auquel ces écoles ont accès au téléapprentissage et à des ressources pédagogiques.

Beaucoup des difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités rurales découlent d'une pénurie de services locaux. Les services destinés à ces collectivités sont généralement conçus en milieu urbain à partir d'un modèle urbain, qui ne tient pas nécessairement compte des caractéristiques du milieu rural. Ces services ne donnent pas toujours de bons résultats pour les collectivités rurales.

Nous croyons que les technologies de l'information et des communications, ce qu'on appelle les TIC, peuvent stimuler l'économie et améliorer les débouchés pour les collectivités rurales en atténuant l'effet de la distance et en permettant à ces collectivités d'avoir accès à des services. L'effet des technologies de l'information est encore plus profond dans les collectivités autochtones, étant donné le profil démographique différent de cette population et le fait que les jeunes adoptent beaucoup plus facilement les nouvelles technologies.

Cet effet est visible dans le domaine de la santé. La télésanté est sur toutes les lèvres et c'est la principale application dans notre région. Le secteur de l'éducation peut bénéficier des programmes de téléapprentissage et de ressources auxquels les écoles n'avaient pas nécessairement accès auparavant. L'administration scolaire peut tirer parti de ces outils technologiques puisqu'ils rendent les déplacements moins nécessaires pour assister à des réunions. L'infotechnologie permet également d'améliorer les conditions pour l'industrie et les milieux d'affaires.

Nous croyons que l'application des TI offre aux collectivités rurales d'énormes possibilités. Nous croyons même qu'il y a un potentiel à long terme de décentralisation des entreprises et de l'industrie dans un plus grand nombre de municipalités rurales grâce à l'application de l'infotechnologie.

Nous avons formulé certaines recommandations. Premièrement, nous souhaitons le maintien des programmes qui ont donné de bons résultats, particulièrement du programme Premières nations sur Rescol et du Programme d'emploi jeunesse des centres de perfectionnement des ressources humaines. Ces programmes fonctionnent bien dans les collectivités rurales. Nous recommandons également le maintien du financement de la recherche-développement sur des applications de TI destinées aux collectivités rurales et que certaines recherches soient des recherches appliquées faites par des organismes ruraux et non pas urbains.

Marie Prebushewski, directrice générale, Thickwood Hills Business and Learning Network : Merci de nous avoir invités aujourd'hui. Au village, tout le monde était emballé à l'idée qu'une personne de Hafford, en Saskatchewan, prendrait la parole devant vous. Cependant, je dois dire que je ne représente pas seulement Hafford, mais tout le sud de la province, c'est-à-dire la région qui est comprise entre Meadow Lake et la frontière américaine d'une part, et entre le Manitoba et l'Alberta, d'autre part.

L'organisme que je représente a été créé en 2000. C'est un organisme sans but lucratif mis sur pied pour répondre à des besoins croissants en matière de technologie et d'accès dans nos collectivités. Le Programme d'accès communautaire, ou PAC, subventionné par Industrie Canada, est établi dans plus de 400 collectivités et a joué un rôle capital dans l'élimination du fossé numérique. Le PAC se termine à la fin de mars. Il est par ailleurs étroitement lié au projet Emploi jeunesse de DRHC. Tous nos jeunes participants à ce programme travaillent dans des points d'accès communautaires, dont 21 se trouvent dans des collectivités des Premières nations situées dans le nord-ouest de la province.

Nous avons cessé de considérer séparément les études et les programmes destinés aux Premières nations en milieu rural et les programmes communautaires qui s'adressent au non autochtones. Nous devons adopter une approche intégrée parce que les collectivités autochtones ont des effets sur la collectivité. Quand je veux recruter les travailleurs alors qu'il n'y en a pas dans ma collectivité, il faut que j'établisse des relations avec les collectivités voisines des Premières nations pour offrir à leurs jeunes travailleurs certains programmes de formation dispensés dans nos centres d'apprentissage. À l'heure actuelle, j'emploie un jeune homme des Premières nations. Il a 28 ans et une famille. Après avoir participé au programme d'emploi jeunesse du PAC, il a commencé à travailler dans une collectivité non autochtone et gagne bien sa vie. Il a cependant éprouvé certaines hésitations et angoisses parce qu'il ne savait pas ce que cela lui donnerait.

On entend parler d'un boom économique. J'ai entendu à la radio en venant ici que la Saskatchewan connaît un essor économique et une pénurie de main-d'œuvre, et nous n'avons pas encore tiré parti du taux de chômage de plus de 50 p. 100 qui afflige nos collectivités des Premières nations. J'étais dans une de ces collectivités il y a deux jours et le taux de chômage y est de 90 p. 100. Les 10 p. 100 qui travaillent sont employés par le conseil de bande. Les autres ont perdu leur emploi quand la scierie a fermé ses portes. En ce moment, nous essayons de créer une coopérative d'artisans pour leur donner certains débouchés et nous offrons tous les autres programmes de formation, des emplois, et cetera.

Il est temps pour nos collectivités non autochtones de commencer de s'approvisionner en main-d'œuvre dans les collectivités des Premières nations.

Le sénateur Mahovlich : Quel est le principal obstacle à l'intégration des Autochtones? Qu'est-ce qui nous empêche de le faire?

Mme Prebushewski : Je crois que c'est l'absence de mobilité et de lien entre les collectivités autochtones et non autochtones. Il nous a fallu trois ans pour établir des relations avec la collectivité des Premières nations et pour amener ces gens à comprendre qu'ils pouvaient me faire confiance et que je n'allais pas débarquer chez-eux un jour pour leur proposer une solution miracle à tous leurs problèmes pour ensuite disparaître. Nous devons avoir une présence durable. Les programmes doivent s'étendre sur de longues périodes. J'aimerais bien que ce jeune homme puisse garder son emploi, mais le financement du programme prend fin en mars. Nous pourrons le garder pendant le mois d'avril, mais c'est à peu près tout ce que nos fonds nous permettront de faire. Nous sommes un organisme sans but lucratif et notre survie dépend des stratégies d'emploi jeunesse et d'autres programmes. Nous tâchons de photocopier toute la documentation qui existe pour les collectivités qui nous entourent, mais il faut quand même offrir et développer des compétences professionnelles.

J'ai fait un sondage pour savoir combien de gens aimeraient apprendre comment mettre sur pied une entreprise dans la réserve de manière à pouvoir exploiter certains de leurs atouts. Je m'attendais à en trouver une quinzaine, mais j'ai une liste de 50 personnes qui se sont dites intéressées. Cependant, je n'ai pas la main-d'œuvre nécessaire. Je dois commencer à recruter pour répondre à ce besoin, mais je n'ai pas le budget. Les gens qui souhaitent de la formation ne sont pas mobiles. Ils ne peuvent pas se rendre à Prince Albert ou à North Battleford. La formation offerte doit être souple. Il faut créer un environnement sûr et adapté à leur réalité culturelle. Nous devons les inviter à venir dans des collectivités non autochtones pour qu'ils comprennent que ces endroits leur sont ouverts. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes déplacés entre ces deux endroits. Je me rends dans la réserve et ils viennent chez nous. Le plus grand obstacle pour nous est que nous sommes l'unique organisme de l'ouest de la province qui essaie d'établir ces liens. Voilà l'une des principales difficultés.

Le sénateur Mahovlich : Ce que vous dites est extraordinaire. Savez-vous ce qu'une personne peut faire? Je ne sais pas si vous avez entendu parler de James Houston. C'est un grand artiste qui est allé à Baker Lake et a initié les gens de l'endroit à différents genres d'art. Il y a quelques mois, à Toronto, on a honoré James Houston en invitant des Autochtones à apporter leurs œuvres d'art à la galerie McMichael. C'est un exemple qui montre que nous devons les aider à faire valoir leur culture. Je pense que James Houston en est un excellent exemple.

Que devrions-nous faire dans le secteur du transport pour faciliter l'apprentissage? Nous ne pouvons pas avoir des universités dans toutes les villes; il faudra donc assurer des services de transport.

M. Johns : Dans une certaine mesure il nous faut assurer une plus grande mobilité entre les communautés autochtones et les communautés non autochtones. La formation doit commencer dans les communautés autochtones, et la meilleure façon de faire les choses dans une petite collectivité, où nous avons peu de ressources et ne pouvons avoir une université ou même un programme de formation, est d'avoir recours aux technologies de l'information et à l'apprentissage à distance pour offrir ces cours là où les gens vivent. Nous offrons un cours de formation en technologie de l'information. Avant Noël, nous avons offert ce cours dans 16 collectivités de la Saskatchewan et de l'Alberta. Le chargé de cours n'a jamais rencontré les étudiants en personne, mais ces derniers ont eu accès à la formation qu'ils n'auraient pas pu recevoir normalement dans leur collectivité. Ces 16 personnes ont aujourd'hui un diplôme : ils sont techniciens et ils ont des compétences de premier échelon pour travailler dans leur collectivité ou ailleurs s'ils le désirent. Le message que je veux communiquer est le suivant. Les technologies de l'information peuvent servir de mécanisme pour offrir les cours, la formation et permettre aux Autochtones d'acquérir les compétences dans les communautés où ils vivent.

Le sénateur Mercer : J'essaie d'établir un lien entre ce que vous dites et ce que Dean Desjarlais nous a dit ce matin au sujet d'un de ces projets : la formation de jeunes pour travailler dans le secteur des sables bitumineux à Fort McMurray. La formation dure deux semaines puis les jeunes qui ont suivi la formation reviennent dans leur collectivité. On nous a parlé d'un taux de chômage renversant de 90 p. 100 dans une réserve. Quand on entend de telles choses, on se demande mais où commencer? Cependant, nous devons commencer en quelque part. Est-ce que les programmes dont vous avez parlé sont semblables à ceux dont nous a parlé ce matin M. Desjarlais, comme ceux qui sont offerts pour former les gens qui travailleront dans le secteur des sables bitumineux? Je viens de la région atlantique, et je n'aime pas penser que l'on forme les gens pour qu'ils déménagent travailler ailleurs parce que trop souvent ceux qui quittent la région n'y reviennent pas. Cependant, il faut certainement leur permettre d'acquérir des compétences. Je préférerais qu'ils travaillent à Fort McMurray plutôt qu'ils se livrent à des activités dommageables au point de vue social, physique ou mental.

M. Johns : Nous commençons à peine à repenser notre prestation de programmes de formation professionnelle. Je viens de la même collectivité que M. Desjarlais et je connais donc bien les projets de la Northern Development Board Corporation. Le défi que ce groupe doit maintenant relever est de trouver une façon d'offrir les cours aux gens dans leur collectivité ou de les convaincre à se rendre dans les collectivités où les cours peuvent être offerts. Je crois que nous commençons simplement à apprendre comment offrir ces cours de façon appropriée aux intéressés dans leur propre collectivité en ayant recours aux technologies de l'information, qui deviennent de plus en plus disponibles dans toutes les collectivités.

Nous avons constaté que les vidéoconférences sont une façon fort efficace d'offrir des cours, mais il faut quand même que les collectivités disposent d'organisations nécessaires pour appuyer le système. La collectivité doit être en mesure d'accepter techniquement ce type de prestation. Il faut donc d'abord et avant tout que la technologie utilisée puisse être acceptée par ceux qui veulent obtenir la formation. Lorsqu'ils arriveront à avoir un certain confort avec les nouvelles technologies, nous pourrons à ce moment-là offrir dans les collectivités une formation professionnelle. Nous ne sommes qu'à nos débuts, et il serait possible d'offrir pratiquement n'importe quel programme en ayant recours aux technologies d'apprentissage à distance.

Le sénateur Mercer : Le faites-vous maintenant? Vous servez-vous à la fois des technologies d'apprentissage à distance et des vidéoconférences, associant les technologies aux emplois qui seraient disponibles ailleurs que dans les collectivités ou les réserves?

M. Johns : Nous offrons une formation en TI, la formation pour la réparation d'ordinateurs, parce que c'est notre secteur. Nous collaborons avec des agents chargés de la prestation dans le Nord et dans d'autres régions de la province pour des cours comme la formation en matière de sécurité, le Système de formation sur les matières dangereuses utilisées au travail — le SIMDUT, et les compétences essentielles dont les gens ont besoin pour travailler dans le secteur primaire. Nous ne faisons que commencer.

Mme Prebushewski : Nous effectuons toujours une enquête dans la collectivité avant de débuter. Nous voulons répondre à ses besoins. Nous avons les mêmes programmes. Nous encourageons les gens à suivre ces programmes. Par exemple, deux jeunes femmes d'une collectivité autochtone éloignée suivent leur programme d'accréditation. La formation améliore les qualités de leadership, si bien que ces jeunes gens deviendront des mentors et animeront d'autres cours dans la collectivité.

Nous renforçons la durabilité de la collectivité et sa capacité en même temps. Il est crucial d'y veiller, parce que les gens qui ont un emploi à pourvoir ont parfois besoin d'un employé toute affaire cessante. Il faut nous préparer rapidement, mais on continue de voir d'un mauvais œil le départ de la collectivité. Les gens ont toutes sortes de craintes sur leur capacité de réussir et de s'intégrer. Il nous faut créer de petites expériences hors de la collectivité pour développer leur confiance en eux et les amener à accepter des emplois. Rares sont les jeunes Autochtones disposés à aller en Alberta travailler sur les appareils de forage ou devenir des soudeurs. Si vous effectuiez une étude, vous constateriez qu'il s'agit d'une infime minorité. Il y a les responsabilités familiales, et cetera, mais ils aimeraient avoir cette chance. Ils sont tout à fait disposés à suivre des cours. Leur coût est parfois prohibitif. J'ai eu l'occasion d'examiner une possibilité de donner une formation sur le travail sur les appareils de forage. La formation coûterait 10 000 $, pour le groupe de quatre à cinq hommes qui quitteraient la collectivité des Premières nations pour se rendre dans une ville éloignée et suivre la formation. La bande pourrait financer cette formation. Parfois les coûts sont prohibitifs, si bien que nous nous efforçons de travailler en étroite collaboration avec l'industrie, dans l'espoir que l'industrie finance une partie de la formation.

Le sénateur Mercer : Une partie de la formation pourrait s'effectuer à distance et par le biais de vidéoconférences. On nous a mentionné plus tôt aujourd'hui qu'il était parfois difficile d'avoir accès à Internet haute vitesse dans certains endroits de la Saskatchewan. Est-ce le cas ici?

M. Johns : C'est toujours un problème pour les collectivités rurales. Certaines Premières nations de la Saskatchewan ne sont pas desservies par Internet haute vitesse pour diverses raisons. Certaines se trouvent dans une vallée et ne peuvent être alimentées sans fil. L'infrastructure est coûteuse. Une des recommandations que nous faisons ici en matière de politique est que le gouvernement du Canada continue d'envisager des programmes de développement qui puissent amener l'infrastructure de large bande aux collectivités rurales.

Le sénateur Mercer : L'une des premières choses que nous devrions faire, dans les endroits où le taux de chômage est élevé, est de veiller à assurer un accès à Internet haute vitesse, pour les téléconférences et l'apprentissage à distance; faute de pouvoir ouvrir une session, on ne peut utiliser ces ressources.

M. Johns : Il y a des lacunes actuellement. Beaucoup de collectivités sont desservies, mais certaines pas encore. Il nous faut finir de relier toutes les collectivités rurales par large bande.

Mme Prebushewski : Il y a un service de large bande et de satellite. Parfois il y a seulement un point d'accès. Avec l'élimination du programme Rescol, le site du Programme d'accès communautaire sera sans doute le seul point d'accès pour toute la collectivité. Dans une collectivité de 2 000 résidents, un malheureux site PAC ne desservira pas tous les foyers. Nous sommes sur la marge de l'infrastructure Internet pour tous les foyers. Les résidants aimeraient bien en disposer. Il existe un nouveau programme appelé Last Mile qui utilise la technologie satellitaire pour relier les gens à Internet. Nous avons entamé des essais en Nouvelle-Écosse, dans de petites collectivités rurales isolées. Si on peut y parvenir par voie d'eau, dans l'intérieur des terres de la Nouvelle-Écosse, on peut y parvenir en Saskatchewan. Ce sont des collectivités qui ne seront jamais desservies par un fournisseur standard. Il n'y a pas d'argent à faire mais trop d'argent à dépenser pour l'infrastructure. Seul un service par satellite est susceptible de fonctionner, dans ces cas. La technologie s'améliore continuellement, mais il nous faut des fonds pour lancer l'initiative. La plupart des familles des Premières nations ne peuvent payer les 400 à 500 $ nécessaires pour relier chaque foyer. Les enfants auront donc seulement leur petit laboratoire d'information et un point d'accès.

Le sénateur Mercer : Je pense que Diversification de l'économie de l'Ouest finance une étude sur la construction d'une route reliant le nord de la Saskatchewan à la région de Fort McMurray. Est-ce une bonne idée, selon vous?

M. Johns : C'est une question à laquelle on peut répondre selon différents points de vue. Les gens de la région, dans leur ensemble, pensent toutefois que c'est une bonne idée. Cela a déjà commencé à ouvrir les économies dans certaines des collectivités de là-bas, comme La Loche, Buffalo Narrows, Île-à-la-Crosse et Beauval. Il est plus facile d'avoir un travail du côté albertain; et cela bénéficie aux petites collectivités de la Saskatchewan, quand des Albertains achètent des résidences secondaires, ou des choses de ce genre. Il y a déjà une route qui va à La Loche et La Loche est une grosse collectivité où il n'existe essentiellement aucune perspective d'emploi. Personnellement, je ne pense pas qu'on puisse maintenir isolées des collectivités.

Le sénateur Mercer : Étant de Nouvelle-Écosse, j'ai horreur de suggérer que les gens partent, mais c'est parfois la seule solution, dans certains cas.

Le sénateur Peterson : Le transfert du programme Rescol d'Industrie Canada à Affaires indiennes et du Nord Canada améliorera-t-il la longévité du programme ou sa qualité?

M. Johns : Le financement du programme est confirmé jusqu'au 31 mars de cette année. AINC envisage d'aller de l'avant avec le programme, bien que les fonds n'aient pas encore été approuvés par le Conseil du Trésor, et cetera. Nous pensons qu'AINC attend le budget fédéral pour s'assurer que les fonds sont effectivement disponibles. Il semblerait que les fonds soient disponibles d'un point de vue des politiques : on veut que le programme aille de l'avant. Ils ont un bon modèle de travail. Le programme a eu des résultats très positifs dans les écoles des Premières nations ces dernières années. AINC attend le dernier feu vert pour aller de l'avant. Nous espérons qu'une fois qu'AINC contrôlera le programme et sa prestation, le programme cessera d'être annuel, pour passer à deux ou cinq ans. Il serait bon de ne plus dépendre de l'exercice, vu que, bien entendu, les écoles ne ferment pas le 31 mars et ne peuvent se permettre de perdre leur connectivité à cette date.

Le sénateur Peterson : Effectivement, ce serait juste avant les examens. Madame Prebushewski, vous dites que vous vivez dans une ferme. Les faibles recettes agricoles ont-elles eu des répercussions sur votre exploitation et sur votre capacité de transmettre la ferme à vos enfants?

Mme Prebushewski : Oui, je vis dans une ferme. Cela fait 45 ans que je suis une agricultrice, en plus d'être une éducatrice. Si je suis devenue une enseignante, c'est pour aider à payer l'exploitation agricole et à la maintenir à flot. Nous avons cinq fils; aucun d'entre eux n'a choisi de reprendre l'exploitation. Ils auraient voulu, mais ne peuvent le faire. En 2000, nous avons dû prendre une décision radicale : savoir si nous élargirions nos terrains, en contractant des dettes, ou si nous préserverions ce que nous avions et donnerions nos terres en bail. La famille a voté et nous avons donné nos terres en bail. Tous mes enfants ont fait de bonnes études et ont de bons emplois. À un moment, nous étions trois à travailler en dehors de la ferme pour permettre à l'exploitation de se maintenir à flot. Et nous n'avions pas des emplois mal payés : j'étais enseignante, ma bru était directrice d'une caisse populaire et mon fils un acheteur pour un silo élévateur. Malgré nos bons salaires, le bilan de l'exploitation était déplorable.

Hier, nous avons reçu un catalogue des ventes aux enchères qui se tiendront dans le nord-ouest de la Saskatchewan. C'est un endroit où il y a eu des récoltes honnêtes, l'an dernier. Or, plus de 50 exploitations agricoles sont mises à l'encan. Quand j'ai demandé à l'encanteur s'il s'agissait de personnes qui prenaient leur retraite, j'ai appris que non; c'étaient des gens qui devaient décider, à un moment ou à un autre, s'ils voulaient continuer à vivre une situation où ils étaient hors de chez eux la plupart du temps. Le père récolte ou sème, la mère fait un deuxième quart à l'hôpital et les enfants en sont quittes pour se débrouiller tout seuls. Parfois, ils se préparent des macaronis pour le souper. J'ai vu ces scénarios et des variantes se répéter.

Dans ma collectivité, un petit groupe de consultation est allé parler d'agriculture aux jeunes et aux personnes âgées de ce milieu. Les perspectives y sont peu encourageantes. Certains agriculteurs estiment n'être pas trop mal lotis parce qu'ils peuvent tuer le cochon, ils ont de la viande et des pommes de terre, et ils travaillent très fort, mais ils s'inquiètent de ce qu'ils vont faire de leurs parents âgés, parce qu'ils n'ont pas de fonds de retraite : qui va payer? Ils n'ont pas de fonds de pension. Les règlements applicables à ceux qui quittent la terre sont un véritable fardeau pour les familles pauvres. Celui qui vend un petit terrain perd ses prestations de sécurité sociale s'il gagne plus de 102 000 $. Je l'ai vérifié hier auprès de Finances Canada. Ce montant de 102 000 $ ne mène pas bien loin pour celui qui vit dans un foyer d'accueil à 2 500 $ par mois. Et en plus, on le prive de sa pension.

Les retombées de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB, ont été catastrophiques pour les jeunes agriculteurs, en particulier ceux qui se sont diversifiés. Aujourd'hui, il y a plus de wapitis, de bisons et d'animaux de toutes sortes dans notre région que je n'en ai vus depuis que je suis au monde. La diversification n'apporte pas la stabilité. Un jeune producteur me disait que ses coûts de production avaient tellement augmenté que lui et sa femme devaient travailler à l'extérieur et que l'argent de l'exploitation couvrait à peine les factures mensuelles d'électricité et de téléphone.

Autrefois, on trouvait un agriculteur tous les trois ou quatre kilomètres, alors qu'aujourd'hui, nous sommes les seuls dans notre secteur. Les gens qui restent sont isolés. Les enfants n'ont pas de camarades de jeu. C'est catastrophique pour les écoles. Il faudrait trouver rapidement une solution à toute cette problématique, qui fait baisser les niveaux de scolarité et d'alphabétisation en milieu rural, car bien souvent, les enfants n'obtiennent pas de bons résultats parce qu'ils doivent travailler aussi fort que leurs parents. Je m'inquiète beaucoup de ces petits enfants qui restent seuls à la maison alors que leurs parents travaillent à l'extérieur.

Il y a aussi des bouleversements démographiques en ville. J'ai vu dans le rapport préliminaire que les gens quittent les petites zones rurales pour se rendre en ville. La modification de la démographie dans notre secteur touche les travailleurs dont nous avons besoin pour nos exploitations agricoles. Il y a beaucoup de maisons vacantes parce que les gens s'en vont dans des foyers d'accueil et mettent leur maison en vente. Des assistés sociaux quittent les villes en grand nombre pour s'établir dans nos villages. Les maisons qui se remplissent sont bénéfiques pour le milieu scolaire, car les gens arrivent avec des enfants en grand nombre, mais ces enfants ont eux-mêmes de gros problèmes. Le plus souvent, les deux parents sont au chômage et pour une raison ou une autre, ils ont été assistés sociaux pendant la plus grande partie de leur vie. L'école et la collectivité doivent donc s'adapter à cette nouvelle réalité. J'ai passé 27 ans de ma vie à Hafford et cette année, pour la première fois, il a fallu faire une collecte pour que certaines familles puissent passer décemment la période des fêtes. Je ne pensais jamais voir une chose pareille dans notre région.

Le président : Malheureusement, cela se produit aussi dans bien des régions, notamment dans les villes de ma propre région du sud-ouest albertain.

Le sénateur Gustafson : Madame Prebushewski, je tiens à vous remercier de votre franchise. Je m'interroge sur ce qu'on peut faire pour aider les jeunes Autochtones à trouver de l'emploi. Actuellement, il est difficile de recruter un travailleur agricole. Par contre, on ne peut pas s'attendre à ce qu'un jeune Autochtone travaille à 10 $ de l'heure quand son voisin en gagne 25. C'est un véritable problème. Avez-vous un programme de formation pour les plombiers, les charpentiers et les soudeurs dans cette région?

Mme Prebushewski : Permettez-moi, sur une note plus positive, de vous parler d'une réussite. Elle concerne quatre collectivités, dont trois regroupent des gens des Premières nations. La collectivité non autochtone se trouve dans le nord-ouest, à proximité de Chitek Lake. Les trois autres sont la première nation de Pelican Lake, la première nation de Witchekan Lake et la première nation de Big River. Dans la région, il y avait beaucoup de chômage et un manque criant de logements. Les gens ont lancé un projet de logements. On compte actuellement plus de 40 jeunes en apprentissage dans la construction. Le projet de construction se trouve hors réserve, de façon qu'il n'y ait pas de conflit quant à la propriété et aux considérations du même ordre. La localité voisine s'est jointe au mouvement et a proposé des experts en construction qui assurent la formation de ces jeunes.

Les jeunes combinent leur formation et leurs études avec la construction de ces maisons. Ils ont un site Web. Les maisons qu'ils construisent sont parmi les meilleures, elles sont dotées d'un système d'échange d'air, d'une meilleure isolation et peuvent accueillir davantage d'occupants. La plupart des maisons sont conçues pour accueillir deux ou trois personnes. Les gens des Premières nations ont de plus grosses familles et il arrive souvent que de la moisissure se forme dans les maisons. Je l'ai constaté à maintes reprises.

Ce projet de construction est une véritable réussite. Il offre des maisons neuves à bien meilleur marché et on commence maintenant à en vendre dans d'autres collectivités. Il a fallu quatre ans pour le mettre en marche et j'ai participé à l'effort de formation des responsables du site Web, qui a permis à ces jeunes de se faire connaître et d'étudier la gestion.

Lorsqu'on travaille auprès d'un si grand nombre de collectivités, la formation est incontournable. Nous donnons de la formation en fonction des besoins constatés. Trop souvent, on arrive avec une longue liste de programmes, pensant avoir à résoudre des problèmes de technologie ou de gestion. On essaie de proposer tout ce qui s'enseigne dans les universités et les instituts. Ce n'est pas la formation dont on a besoin ici. Nous répondons spécifiquement aux besoins de la collectivité. Ce projet a réussi parce que les jeunes ne perdent pas leur temps et nous ne perdons pas le nôtre. C'est à nous de nous imprégner de leurs besoins, au lieu de les imaginer à leur place. Pour établir une telle relation, il faut du temps, de la confiance et du leadership. La notion de succession est importante. Qui va prendre la relève? C'est eux. Le but ultime est de leur faire acquérir suffisamment de compétences pour qu'ils puissent en assumer la responsabilité. C'est cet esprit de formation qui convient aux collectivités des Premières nations éloignées des centres urbains. Le collège communautaire le plus proche se trouve à deux heures et demie de route. Les jeunes d'ici ne peuvent pas y aller. Il n'y a pas d'essence et de toute façon, les routes sont inutilisables. Voilà la réalité dans les régions rurales de la Saskatchewan. Elle existe également pour de nombreuses collectivités non autochtones. L'isolement empêche de faire bien des choses.

Le sénateur Mercer : Dans le domaine de la formation, est-ce que les filles en profitent autant que les garçons? Quelles sont les proportions?

M. Johns : Dans le domaine que je connais bien, la formation en technologie de l'information, il y a un peu plus de femmes que d'hommes, mais c'est presque moitié-moitié. Ce domaine n'est pas plus masculin que féminin. Les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à accéder aux métiers non traditionnels, et c'est très positif. Certains métiers sont encore à prédominance masculine, comme le camionnage et les activités de ce genre, mais on y trouve de plus en plus de femmes.

Mme Prebushewski : Il est bon que vous posiez cette question, car j'ai obtenu un financement modeste pour créer une coopérative artisanale, mais elle ne s'adressait qu'aux femmes. On se figurait sans doute que l'art n'intéressait que les femmes. Je suis allée dans la collectivité, j'ai fait une annonce d'ordre général et j'ai travaillé avec l'agent des ressources humaines. Les hommes ont été aussi nombreux que les femmes à montrer de l'intérêt pour la formation de cette coopérative d'artisanat. Il ne faut jamais présumer de quoi que ce soit. Pourtant, les ressources humaines et le leadership sont assurés essentiellement par des femmes. Dans mon travail, je rencontre beaucoup plus de femmes que d'hommes. Je n'ai jamais étudié la question. Dans la plupart des cas, la participation des hommes et celle des femmes est identique. Parfois, les femmes sont plus nombreuses, en particulier dans la formation en comptabilité, en traitement de texte et autres disciplines du même genre. Les femmes s'orientent en plus grand nombre vers ce genre de formation.

M. Johns : Nous parlons beaucoup d'activités et de formation pour les jeunes Autochtones. Nous considérons que la formation débute véritablement au niveau scolaire, à partir de l'âge de dix ans. Le problème, dans les collectivités autochtones, c'est que les jeunes n'ont pas de modèle de référence pour ces différentes activités professionnelles. Les jeunes Autochtones voient des professeurs, des travailleurs sociaux et des infirmières et veulent donc devenir professeurs, travailleurs sociaux ou infirmières. Les Autochtones qui travaillent dans l'industrie des ressources quittent leurs collectivités, prennent l'avion pour aller travailler deux semaines dans une mine et reviennent passer deux semaines dans la réserve. Ils ne peuvent pas servir de modèle au plan professionnel. Grâce au programme Rescol canadien, nous essayons de mettre des personnes-ressources en contact avec le milieu scolaire par vidéoconférence, pour qu'ils y parlent de leurs activités professionnelles s'ils travaillent dans des mines. Nous essayons de relier les écoles avec les mines et avec des leaders qui, normalement, ne pourraient pas s'y rendre. Le mois dernier, le chef Lawrence Joseph, de la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan, a inauguré une série de vidéoconférences. Le message qu'il a voulu adresser aux étudiants, c'est que nous sommes désormais en contact et que les Premières nations n'ont plus à se sentir isolées : la technologie nous met tous en contact. Nous y avons vu un message très puissant pour les jeunes de ces collectivités.

Il y a quelques semaines, le premier ministre de la Saskatchewan, Lorne Calvert, a fait un exposé destiné au milieu scolaire pour parler de son expérience, de sa jeunesse, et cetera. Son message était très terre à terre. Nous faisons appel à des célébrités ainsi qu'à des gens qui peuvent parler de leur travail, qui peuvent offrir une perspective aux étudiants et leur servir d'exemple. Il est important que dès leur plus jeune âge, les étudiants découvrent que l'adulte célèbre qui leur parle a commencé jeune, et qu'ils peuvent en faire autant. Cette démarche est indispensable si l'on veut intégrer les jeunes Autochtones en plus grand nombre à la main-d'œuvre active. Une fois parvenus à un certain âge, ils sont mieux préparés et mieux disposés mentalement à suivre un cours de formation, à réussir et à entrer sur le marché du travail.

Le président : Monsieur Johns, madame Prebushewski, je vous remercie. Vos propos nous seront utiles dans la poursuite de notre étude sur ces questions difficiles. Il est important pour nous d'entendre le point de vue de ceux qui s'occupent de ces questions sur le terrain, et nous vous remercions de vous être joints à nous.

Voilà qui met un terme à l'audition des groupes de témoins, et nous passons maintenant à notre discussion ouverte.

Ken McBride, président, Agriculture Producers Association of Saskatchewan : L'Agriculture Producers Association of Saskatchewan, ou APAS, représente les producteurs de toute la Saskatchewan. Au nom de mon organisme, je voudrais profiter de l'occasion pour vous remercier du fond du cœur d'être venus en Saskatchewan. Il est toujours agréable de voir la montagne venir à soi au lieu de devoir y monter soi-même. Il est très important que vous veniez nous parler de la situation en Saskatchewan.

L'APAS est le porte-parole de l'agriculture en Saskatchewan. Elle envisage un avenir où l'agriculture sera rentable, où les collectivités rurales seront viables et où la société reconnaîtra et appréciera le rôle de l'agriculture. Pour concrétiser cette vision, notre organisme s'efforce d'améliorer le bien-être économique des producteurs agricoles de la Saskatchewan et de venir en aide aux collectivités et aux infrastructures pour en assurer la durabilité en faisant pression auprès des pouvoirs publics pour obtenir des politiques agricoles progressistes.

L'agriculture est indissociable de l'économie rurale. Les problèmes du Canada rural se sont aggravés en proportion de la diminution de la valeur marchande de la production agricole au cours des vingt dernières années.

Le Canada a mis son agriculture dans une situation telle que nous devons produire à l'intérieur d'une structure canadienne de coûts alors que nous vendons sur un marché mondial composé de pays disposant de ressources limitées pour acheter des denrées alimentaires. L'Europe, les États-Unis et le Japon ont des programmes qui mettent leur agriculture à l'abri des accords qu'ils ont eux-mêmes fait signer au reste du monde. Le Canada n'a pas appliqué de politique semblable à son secteur agricole ni à son économie.

Les États-Unis, l'Europe et le Japon se sont intéressés spécifiquement à leur secteur rural. Ils ont investi directement dans leur agriculture et dans leurs collectivités rurales par différents moyens. Les programmes environnementaux ont préservé certains types d'exploitations agricoles et proposé des biens et services environnementaux ou écologiques.

Les États-Unis ont investi des montants considérables dans des programmes de conservation, qui devraient prendre de l'expansion dans le prochain farm bill.

La problématique de la ruralité au Canada risque fort de s'aggraver. Le secteur rural canadien connaît une très grande pauvreté.

Le revenu agricole dans notre pays n'a jamais été aussi bas, alors qu'il n'a jamais été aussi haut chez nos concurrents américains. Le ratio d'endettement par rapport à l'actif est à son niveau le plus bas au Canada, alors qu'il atteint un sommet aux États-Unis. La différence entre les politiques appliquées de part et d'autre a eu des conséquences énormes pour l'industrie et l'économie et elle a entraîné de graves problèmes pour le secteur agricole et les collectivités rurales, qui sont de plus en plus pauvres.

Les dollars investis dans le secteur agricole ont un effet de surmultiplication bénéfique pour l'économie, car ils créent de l'emploi et permettent de financer des activités qui stimulent le monde rural. C'est grâce à cet investissement qu'on peut réduire la pauvreté et permettre aux gens de vivre en secteur rural au Canada. En revanche, toute réduction de l'investissement dans le secteur agricole a aussi son effet de surmultiplication extrêmement négatif. Elle entraîne la perte de précieux emplois, fait augmenter la dette et les coûts et nécessite la mise en œuvre de mesures de survie. La pauvreté apparaît car on tente souvent d'apporter une intervention politique à un problème qui nécessiterait une intervention économique.

Le Programme canadien d'options pour les familles agricoles a été mis en œuvre pour garantir que les agriculteurs reçoivent un revenu correspondant au seuil de la pauvreté. Le programme ne tient pas compte des besoins financiers de l'industrie et de l'investissement. Ces besoins vont mener à des familles plus endettées et à une augmentation de la pauvreté en milieu rural. Cela se produit parce que la politique agricole est un échec. Cela se produit parce que le Canada ne fait aucun lien entre sa politique nationale et sa politique internationale.

La semaine dernière à Ottawa, notre ministre fédéral de l'Agriculture a indiqué à la Fédération canadienne de l'agriculture, pendant l'assemblée générale annuelle de la fédération, que la mondialisation n'est pas une course vers le bas. Ici, au Canada, quelles politiques avons-nous qui empêcheront l'agriculture d'être une course vers le bas? Tous les graphiques que nous voyons montrent que nous gagnons nettement cette course vers le bas. Et le prix pour le gagnant de cette course c'est la pauvreté.

Le premier graphique indique le ratio d'endettement — le Canada est en bleu et les États-Unis sont en rouge. Vous voyez clairement qu'entre 1981 et 2004, ce ratio a baissé aux États-Unis mais a continué à augmenter au Canada.

À la page suivante, on a un graphique qui compare les revenus agricoles nets aux États-Unis et au Canada entre 1981 et 2005. La ligne en haut représente le revenu agricole net aux États-Unis, et la ligne du bas représente le revenu agricole net au Canada. Là aussi, nous voyons que les lignes indiquent que la situation au Canada ne peut pas être soutenue.

Nous avons besoin de politiques qui sont concurrentielles avec les politiques d'autres pays. Il faut donner aux agriculteurs canadiens un avantage comparatif ici au Canada. Il nous faut des stratégies qui créent de la valeur pour notre agriculture, qui créent des emplois, et qui rémunèrent les agriculteurs et couvrent leurs investissements. C'est cette approche qui permettra de faire le plus pour bâtir notre économie et réduire la pauvreté en milieu rural.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

Marvin Scauf, directeur des politiques, Agriculture Producers Association of Saskatchewan : Nous avons préparé une feuille supplémentaire qui donne des exemples pour illustrer que le Canada n'a pas réussi à établir des politiques et des pratiques qui protègent et qui renforcent le secteur, et qui lui donnent de la valeur. Nous avons négocié à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, nous avons travaillé fort pour arriver à des ententes précises et avoir un accès particulier, et alors le Canada offre un accès supplémentaire à ce qui a été négocié. Par exemple, pour le bœuf, le Canada a un contingent tarifaire de 76 000 tonnes. En vertu des règles de l'OMC, nous devons accepter ici au Canada 76 000 tonnes de bœuf provenant d'autres pays. Avant la crise de la vache folle, le Canada acceptait 54 000 tonnes en permis d'importation supplémentaire. Qu'est-ce que l'importation supplémentaire signifie pour les producteurs canadiens? Elle signifie que les producteurs doivent faire concurrence au bœuf provenant d'autres pays, des pays où les coûts de production sont faibles. Ce bœuf entre sur le marché canadien, et les producteurs canadiens doivent y faire concurrence.

Nous avons demandé à nos producteurs canadiens de continuer avec les procédures de sécurité alimentaires, de traçabilité et de marquage pour que nous puissions retracer les animaux, même s'ils ne se déplacent que de quelques kilomètres de leur ferme. Tout cela engendre des coûts, mais nos importations d'autres pays ne sont pas assujetties à ces exigences. Nous ne savons presque rien sur ces animaux exportés. Ces exigences représentent un désavantage financier pour nos producteurs canadiens.

Dans le secteur des céréales et des oléagineux, nous avons un exemple où les États-Unis ont injecté des grandes sommes d'argent dans ce secteur aux États-Unis et ont extrait de la valeur de l'industrie canadienne pendant quatre décennies. La divergence entre les revenus et les ratios d'endettement des États-Unis et du Canada ont accéléré pendant les 20 dernières années. Le Canada a refusé de reconnaître ses torts. Le Canada a refusé d'offrir des programmes qui réduisent les torts et, dans beaucoup de cas, a refusé de mettre en œuvre des outils pour remédier à la situation, des outils qui auraient pu être disponibles si nous avions voulu les utiliser.

En regardant tout cela, nous constatons que le Canada doit développer une certaine attitude favorable au secteur agricole — l'attitude que le Canada doit gagner quelque chose pour ce secteur. Si cette attitude ne se manifeste pas, le secteur agricole ne pourra pas créer les emplois qu'il faut et payer ses factures.

Les producteurs canadiens ne peuvent pas faire concurrence aux pays qui subventionnent sans aide. Nous sommes un pays industriel. Nous avons une société à coût élevé. Nous avons un marché à faible rendement. Il nous faut des stratégies différentes pour réussir dans cette situation-là.

Toute une cargaison aérienne de produits horticoles peut quitter la Chine un jour et se retrouver sur le marché à Toronto le lendemain. La production horticole de la Saskatchewan n'est pas très importante, mais il s'agit d'un élément dont on doit tenir compte dans le contexte de la concurrence étant donné que le Canada achète beaucoup de produits étrangers. Les normes et les coûts de production varient d'un pays à l'autre, mais nous demandons à nos producteurs de faire concurrence à des pays où les coûts sont beaucoup moins élevés et où les procédures sont beaucoup moins lourdes. Qu'il s'agisse de l'électricité ou de la réglementation gouvernementale, tout doit correspondre aux valeurs canadiennes. Comment faire face à la concurrence étrangère dans ces conditions?

Il faudrait qu'il y ait concordance entre nos politiques internes et notre politique étrangère. Il faut aussi que ces politiques reflètent la réalité puisque c'est en fonction de la réalité que notre agriculture peut être concurrentielle ou ne pas l'être. Peu importe que nous ne voulions pas nous engager dans une course vers le plus bas dénominateur commun, c'est ce que nous ferons à moins d'adopter les bonnes politiques. Aujourd'hui, c'est l'agriculture qui est visée, mais demain ce seront tous les autres secteurs économiques.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Scauf. Je vous remercie tous deux de votre franchise.

Le sénateur Mahovlich : Vous trouvez à redire à notre politique. Il semble que les entreprises familiales disparaissent au profit des grandes sociétés agricoles. Pensez-vous que le gouvernement aurait pu être plus prévoyant et se rendre compte qu'il s'engageait dans la mauvaise direction? Or, nous poursuivons dans cette voie. Les grandes sociétés agricoles sont de plus en plus nombreuses. Elles achètent de plus en plus d'entreprises familiales. Je ne pense pas que ce soit la bonne voie dans laquelle se diriger. Nous voyons où cela nous mène à l'heure actuelle. Nos collectivités se désagrègent, mais nous poursuivons toujours dans la même voie. Pensez-vous qu'il faudrait empêcher les sociétés agricoles d'acheter des entreprises familiales et faudrait-il fixer une limite à l'étendue de terre qu'une société peut posséder?

M. Scauf : Je vous signale que les deux graphiques que nous vous avons fournis ne sont que deux conceptions politiques de l'agriculture. Le premier pays a mis en œuvre des politiques qui ont donné de bons résultats à long terme pas seulement pour le producteur primaire, mais aussi pour l'ensemble de l'industrie. Les politiques qu'a adoptées le pays qu'on voit au nord de cette ligne se sont soldées par un retentissant échec. Le problème n'est pas lié à la structure des entreprises.

Le sénateur Mahovlich : Les Américains n'ont pas adopté de politique à l'égard des entreprises agricoles, mais les producteurs américains font de bonnes affaires.

M. Scauf : À ma connaissance, ils n'ont pas adopté de politique sur la propriété des terres. C'est vrai que les agriculteurs américains font de bonnes affaires.

M. McBride : Comme M. Scauf l'a dit, ce n'est pas la structure des entreprises agricoles qui pose problème, mais le fait qu'elles ne sont pas rentables. Le taux de rendement des investissements agricoles n'est pas suffisant. Nous avons parlé l'autre jour à une dame qui a dit qu'elle avait essayé d'exploiter sa ferme avec l'aide de deux de ses enfants. Quel type d'entreprise réussirait dans ces conditions? C'est ce qui explique toutes les ventes aux enchères qu'on a connues ces derniers temps. Les revenus des agriculteurs ont été insuffisants ces dernières années. Beaucoup d'agriculteurs vieillissent, mais ils ne peuvent pas remplacer leur équipement parce que leurs revenus sont insuffisants. Ils finissent par vendre leurs terres à des gens qui peuvent exploiter des fermes plus grandes.

Le sénateur Mahovlich : Ils vendent leurs fermes à de grandes sociétés. Comment une grande entreprise peut-elle faire des profits? Les coûts de production sont les mêmes pour ces sociétés que pour les producteurs locaux.

M. McBride : Beaucoup de facteurs interviennent dans le domaine agricole. Il existe un certain nombre de grandes sociétés agricoles. Comment ont-elles été constituées au départ? Exploitent-elles la terre à d'autres fins? Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte. L'industrie pétrolière et gazière est très présente dans la région où se trouve ma ferme. Les agriculteurs tirent des revenus non seulement de l'exploitation de leurs fermes, mais aussi de l'exploitation de ressources pétrolières et gazières. Cette industrie existe depuis le début des années 1950. C'est donc la seconde génération d'agriculteurs qui tirent des revenus de l'industrie pétrolière et gazière. Certains m'ont dit qu'ils auraient abandonné l'agriculture s'ils n'avaient pas pu tirer des revenus de l'industrie pétrolière et gazière. Ce sont ces revenus qui ont permis à l'industrie de survivre ces temps derniers. Or, nous n'en tenons pas compte. Il faut que les agriculteurs puissent faire un revenu décent.

Le sénateur Peterson : Il est bien évident que c'est le manque à gagner des agriculteurs qui pose problème. Une part du problème est attribuable aux coûts variables. Faudrait-il essayer de prévoir une formule qui tienne compte de la fluctuation du coût des intrants? Il faudrait aussi prévoir un taux de rendement de 15 à 20 p. 100 et tenir compte également de l'inflation. Ce genre de formule fonctionnerait-elle? Nous n'avons pas nécessairement à utiliser la même formule que les Américains. Il faut que l'agriculture soit rentable. C'est le message que nous voulons vous transmettre.

M. Scauf : La rentabilité du secteur agricole ne doit pas dépendre seulement de programmes d'aide du gouvernement. Nous voulons être clairs là-dessus. Nous sommes en faveur d'un marché libre. Le succès repose sur un changement de mentalité. Nous vendons pour l'instant nos produits à bas prix sur les marchés étrangers. Il faut que cela change. La réglementation est également trop lourde. Notre système de transport doit aussi être amélioré. Le processus d'enregistrement des semences est aussi très lourd. Il faut modifier les forces du marché et alléger la réglementation. Nous devons accroître la rentabilité du secteur. Nous devons aussi faire en sorte que les coûts diminuent. Nous devons agir de façon concrète et agir sans délai. La survie de l'industrie en dépend. C'est la seule façon de vraiment lutter contre la pauvreté en milieu rural.

Le sénateur Peterson : Comment fait-on pour réduire le coût des engrais et des produits chimiques? Va-t-on simplement dire à Monsanto que le coût de ses produits est trop élevé?

M. Scauf : Comment réduire le coût des engrais et des produits chimiques? Le système d'enregistrement actuel est très coûteux. Il protège aussi ces entreprises en leur assurant la gestion de l'offre. Ce n'est pas avantageux pour les agriculteurs, mais c'est avantageux pour les sociétés chimiques parce qu'elles ne font face à aucune concurrence de l'extérieur. Ce n'est qu'un exemple. Dans le reste du monde, de 60 à 70 p. 100 des produits chimiques sont des produits génériques. D'autres producteurs ont accès à ces produits. Nous n'avons accès qu'à 20 à 30 p. 100 de produits génériques. Le producteur doit assumer une part importante du coût d'enregistrement. Le fait pour des agriculteurs de ne pas avoir accès à ces produits chimiques génériques entraîne des coûts très élevés pour eux.

M. McBride : De nombreuses usines d'engrais ont fermé leurs portes en raison de la lourdeur de la réglementation. Ces usines tournent sans doute maintenant à pleine capacité. Parce que la récolte de maïs sera abondante aux États- Unis comme elle l'a été ces dernières années, les producteurs américains peuvent donc acheter la majeure partie de la production d'engrais. C'est ce qui explique que le prix des engrais ait été si élevé dans l'Ouest Canadien au cours de l'hiver. Une bonne part du problème est également attribuable à la réglementation.

Le sénateur Peterson : Ce problème se répercuterait aussi sur les cultures de légumineuses, les conteneurs et le ralentissement attribuable à l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Le sénateur Mercer : Je suis toujours soucieux quand on me parle de personnes qui doivent travailler à l'extérieur pour continuer à exploiter leur ferme. Le travailleur d'usine de General Motors à Oshawa n'a pas besoin d'un deuxième emploi pour que General Motors demeure concurrentielle. Je me demande quand les Canadiens s'en rendront compte. Ça ne peut pas continuer ainsi. Voilà pour ma diatribe.

Les gens continuent de tourner autour du pot, de parler de gestion de l'offre, de ses aspects positifs dans les secteurs où il nous faut une gestion de l'offre. Personne n'a toutefois dit au comité qu'il fallait davantage de gestion de l'offre. Est-ce le cas?

M. McBride : S'il y a une chose qu'on peut dire au sujet de la production primaire, c'est qu'on y voit une concurrence naturelle. Le débat actuel portant sur une autre question a fait ressortir ce qu'il y avait de meilleur et de pire chez bien des gens, mais aussi la diversité des producteurs. Il est extrêmement difficile pour eux de s'entendre sur une chose. Les producteurs continueront de faire ce qu'ils font, dans bien des cas grâce aux revenus d'appoint ou parce qu'ils sont des fermiers de troisième génération, parce que les grands-parents, les arrière-grands-parents l'ont fait, et pourquoi pas eux aussi? Beaucoup d'activités sont maintenues sans que les gens prennent les meilleures décisions. Leur actif s'effrite alors qu'il serait bien plus rentable de sortir du secteur.

Il y a aussi une question d'attitude culturelle. Les gens veulent faire ce qu'ils font, parce qu'ils aiment ça. Je suis moi- même agriculteur. J'aime ce que je fais. Il est extrêmement important pour moi de planter quelque chose, de le voir pousser et de le récolter. L'agriculture est une activité satisfaisante, mais il faut aussi qu'elle soit rentable. Il faut comprendre que pour que cela continue, l'investissement des agriculteurs doit être reconnu.

Le sénateur Mercer : Vous avez raison. Nous avons écouté des agriculteurs et nous en avons visités, partout au pays, qui étaient sur une même terre depuis quatre, cinq ou six générations. Ils sont déçus de ne pas pouvoir faire les choses comme les faisait leur grand-père ou leur arrière-grand-père. Il s'agit de voir comment nous voulons qu'ils poursuivent leurs activités, mais si le gouvernement s'en mêle, il faut qu'il y ait des changements des deux côtés. L'intervention gouvernementale ne peut se limiter à sauver l'agriculture. Elle doit aider ce secteur à être plus efficient, en disant oui, les agriculteurs peuvent faire ce que faisaient leurs grands-parents, mais autrement.

M. McBride : Les gens le reconnaissent, mais ce n'est qu'un symptôme. Il faut trouver les causes profondes. Ailleurs, comme aux États-Unis, en Europe et au Japon, une stratégie coordonnée a été mise en place pour veiller à la croissance de l'ensemble de l'économie, au moyen d'une politique. Cela ne s'applique pas qu'au producteur primaire, mais à l'ensemble de l'économie et il faut s'en rendre compte.

Le sénateur Mercer : Faudrait-il une loi sur les fermes, assorti d'un plan sur 10 ou 15 ans? Serait-ce un bon point de départ?

M. Scauf : Oui, ce serait une excellente façon de commencer, mais il faut bien comprendre que l'argent est indispensable à l'agriculture. Le Canada ne peut s'adresser à l'OMC en disant : « Nous acceptons toutes ces règles et, en passant, vous pouvez donner tout l'argent que vous voulez à vos agriculteurs qui sortent du marché, mais nous ne le ferons pas pour les nôtres. » Ce serait illogique. Nous aurons un projet de biocarburant dès qu'on comprendra comment y arriver sans que ça coûte un sou. Nous accumulons les études de faisabilité. Un tel projet est faisable. Il y a des projets de biocarburant aux États-Unis. Nous essayons de trouver ce qui marchera. Ce n'est pas l'industrie qui croît, mais la bureaucratie. Il faut fixer clairement des priorités. Les priorités doivent être axées sur le fait que si nous investissons et si nous travaillons, nous sommes payés. C'est la seule façon de bâtir une économie sensée et aussi la seule façon d'avoir les moyens de nos programmes sociaux, en matière de santé, d'éducation, et cetera. Il faut boucler la boucle, de manière stratégique.

Le sénateur Gustafson : J'ai bien du mal à expliquer au sénateur Mercer le fonctionnement des offices de commercialisation. Il serait impossible d'avoir un office de commercialisation comme celui du lait pour les céréales que nous exportons, soit 80 p. 100, puisque seulement 20 p. 100 de nos agriculteurs resteraient. On peut sans doute en dire autant de l'élevage. Soyons honnêtes. Je ne veux rien enlever aux producteurs laitiers. Mais leur production se limite à ce qui est consommé au Canada. Vous ou un autre témoin parliez des exportations de céréales du Canada, et de ce qui y était importé. Le Canada n'importe pas de lait.

Une voix : Oui, il en importe.

Le sénateur Gustafson : Ah oui? Bien, je me trompais. Sans aucun doute, les producteurs laitiers défendent leurs intérêts, et grand bien leur fasse. Nous devons vendre notre produit sur les marchés mondiaux, et si les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour nous que pour les États-Unis et l'Europe, il n'y a aucun espoir, la partie est terminée pour nous. Rien ne sert d'adopter un farm bill, à moins de dire au gouvernement que cela lui coûtera quelque chose et que les résultats ne viendront peut-être que dans dix ou 15 ans. Si de l'argent revient au Trésor en provenance des pétrolières et du secteur automobile qui sont grassement subventionnés, on devrait certainement penser au secteur agricole. Autrement, ce secteur disparaîtra. On peut parler des grandes sociétés agricoles. Certains de leurs propriétaires qui exploitent 120 quarts de section sont actuellement en difficulté, j'en connais. J'ai un voisin qui a une grande exploitation et qui a dit à mon fils, l'autre jour, que son actif le plus précieux, c'est une dette de quelques millions de dollars, à la banque : la banque ne peut pas se permettre qu'il mette fin à ses activités. La situation est grave et vous le savez, messieurs. Vous êtes en mesure de le faire comprendre aux puissances agricoles du Canada. Vous faites partie de ces comités. Il faut s'entendre sur une orientation et aller de l'avant. Autrement, à la Fédération canadienne de l'agriculture, on sort des idées, et d'autres idées qui sont principalement menées par les bureaucrates d'Ottawa. Ils semblent nous dire que nous devons nous débrouiller, que si ça ne marche pas pour nous, tant pis nous pouvons toujours faire autre chose. Bien franchement, c'est ce que font nombre d'agriculteurs. Chez moi, j'ai deux fils. L'un est transporteur de bâtiment et l'autre travaille pour Enbridge Pipelines. À la fin de leur journée de travail, ils arrivent à la maison, prennent les commandes de mes tracteurs et font ainsi des journées de 16 à 18 heures. Sans leur travail, la ferme ne pourrait pas rester en activité. Il faut voir les faits et comprendre que la situation est critique. Nous avons entendu la même chose partout, dans les autres provinces. J'ai toujours cru qu'en Alberta, la situation était au beau fixe. Mais les agriculteurs albertains sont comme nous et éprouvent des difficultés.

La présidente : C'est en effet certainement ce que nous avons entendu.

M. Scauf : Le gouvernement doit voir dans un investissement dans l'agriculture un investissement qui pourra donner lieu à un rendement. En effet, cela peut créer des emplois, donner lieu au versement d'impôts et à tout ce qu'il y a de bel et bon dans notre économie, mais il faut pour cela investir. En venant ici aujourd'hui, j'ai entendu que le gouvernement allait annoncer aujourd'hui des sommes colossales pour le secteur pétrolier albertain. On peut investir dans un secteur déjà rentable. Le secteur de l'agriculture a besoin d'investissements pour devenir rentable. Vous dites qu'avec la gestion de l'offre, vous n'auriez que 20 p. 100 des agriculteurs, mais si 20 p. 100 des agriculteurs sont en bonne santé financière, c'est probablement préférable à la situation actuelle.

Le sénateur Gustafson : Ça va assez loin, mais je suis quand même tout à fait d'accord étant donné la gravité de la situation.

M. Scauf : Nous finirons par manquer d'agriculteurs, et les deux graphiques sont tellement clairs à cet égard qu'il faudrait les montrer au ministère de l'Agriculture. De toute façon, il les a déjà utilisés. Quelqu'un devrait demander à ses fonctionnaires de quoi ils sont fiers dans cette industrie, car ce sont leurs politiques qui nous ont amenés jusque-là.

M. McBride : Le Cadre stratégique pour l'agriculture II est actuellement mis en œuvre. Or, la seule chose dont on parle, c'est de la diminution du revenu agricole. Si, dans cinq ans, on maintient le même cadre stratégique, on aboutira à un échec complet. Il faut que nous tenions compte de ce qui s'est passé aux États-Unis. Là-bas aussi il y a une bureaucratie, tout comme au Canada. Chacun doit examiner son voisin et se demander en quoi ses propres programmes se comparent avantageusement à ceux de l'autre pays. Le programme ne donne pas les résultats auxquels on est en droit de s'attendre en agriculture.

Le sénateur Mahovlich : Avant de pouvoir réinvestir dans le secteur agricole, il faut que nous résolvions ce problème de commerce international. J'ai déjà participé à des matchs avec un joueur en moins, et je sais que ça ne peut pas durer bien longtemps. Tôt ou tard, il faudra bien qu'il y ait une équipe au complet, cinq joueurs sur la patinoire. Pensez-vous que l'Europe et les États-Unis sont au courant de nos problèmes agricoles? Je suis prêt à parier que oui. Le Canada est un pays agricole. Les autres savent qu'ils nous ont coincés. Il faut donc que nous leur envoyions notre ministre afin qu'il leur parle et qu'on règle ce problème avant de réinvestir de l'argent dans notre système.

La présidente : Je vous remercie tous les deux de votre présence parmi nous. Votre témoignage nous est précieux.

Marilyn Gillis, conseillère pour femmes, Syndicat national des cultivateurs : Je fais partie du Syndicat national des cultivateurs, mais je ne suis pas ici à titre de porte-parole, car il vous a déjà fait parvenir un mémoire. Je témoigne donc à titre personnel, en tant qu'aînée qui a des liens avec le secteur agricole.

Je vous donnerai le point de vue d'une personne qui a œuvré dans le secteur agricole pendant plus de 65 ans. Les politiques agroalimentaires actuelles m'inquiètent beaucoup. Je suis en train de recueillir les témoignages de femmes âgées, et j'en citerai donc quelques-uns.

En tant que femme âgée, j'ai observé que les politiques se fondent sur les priorités du monde des affaires et du marché et sont loin de répondre aux besoins sociaux d'une collectivité ou de respecter l'intégrité écologique de notre terre. Cela fait 50 ans que la politique gouvernementale cherche délibérément à décourager le modèle de la petite exploitation agricole familiale. Les agriculteurs ont quand même réussi à demeurer chez eux grâce à des emplois qu'ils occupent à l'extérieur ou grâce à deux ou trois emplois occupés par les deux conjoints. Quoi qu'il en soit, depuis 11 ans, il y a eu une accélération : on a maintenant l'impression que la politique est en train de tuer l'exploitation agricole familiale. Elle correspond à l'accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA et aux ententes commerciales internationales. Tout cela a des effets désastreux sur l'agriculture dans les Prairies canadiennes et même en général. On assiste à l'érosion des infrastructures qui ont soutenu les régions rurales de la Saskatchewan. L'exemple le plus récent de cela est l'attaque menée contre la Commission canadienne du blé.

Le modèle de l'agriculture industrialisée n'est durable ni sur le plan environnemental, ni sur le plan social ni encore sur le plan économique. Il gère en fonction des crises et se fonde sur des installations de recherches urbaines financées par le milieu des affaires. Les actionnaires réclament des bénéfices. Le dépeuplement des régions rurales ne les préoccupe en rien. N'importe quel agriculteur d'expérience sait d'instinct que réunir 100 000 têtes de bétail ou 30 000 porcs dans un seul lieu est contraire au bon sens.

Au sujet de l'industrie agroalimentaire actuelle, j'ai entendu des femmes de ma génération dire des choses comme : « C'est une régression »; « On est en train de jeter le bébé avec l'eau du bain »; au sujet de nos enfants maintenant — « Les meilleurs d'entre eux nous quittent »; et au sujet de notre recours aux produits chimiques — « Quand finiront-ils par apprendre »; et « Nous vivons dans une société de consommation et de produits jetables, conçus pour ceux qui ont de l'argent. »

Parlant de ce qu'elles ont vécu à la ferme familiale, ces femmes disent ce qui suit : « Quand j'étais enfant, même lorsque les temps étaient durs, nous avions assez à manger — notre propre viande, notre lait, nos œufs et nos légumes du potager »; « C'était gratifiant de voir pousser les choses, d'apprécier la nature et nos amis »; « Je me souviens de l'école rurale et de tout ce qu'on y faisait »; « Malgré la dureté du travail, je pensais, et je pense toujours, que je vivais à la plus belle des époques »; « Les voisins étaient comme des membres de notre famille »; « Enfant, j'aimais cueillir les petits pois parce qu'ils avaient si bon goût »; « Nous tenions à conserver nos propres semences »; « Nous étions très attachés au concept des coopératives » et « Ça fait mal d'entendre dire que nous sommes inefficaces étant donné l'abondance sans cesse croissante que nous avons produite ».

Ces réflexions sont pleines de sagesse. À mon avis, il faut que nous revoyions notre conception de la société, tant urbaine que rurale. Il faut obtenir la participation de ceux et celles qui peuvent nous donner sur les choses une perspective plus vaste qui tienne compte à la fois des préoccupations pratiques de la vie mais aussi de ses réalités intemporelles, immuables.

Les efforts suivants me permettent d'espérer que les individus et les collectivités réussiront à concevoir des pratiques agricoles durables et fondées sur le sens commun : des pratiques éco-agricoles qui s'écartent de la norme axée uniquement sur le profit, qui cherchent à diminuer les pratiques comportant des intrants à forte intensité énergétique et qui reconnaissent la nécessité d'établir des infrastructures rurales stables; le nombre croissant de producteurs biologiques accrédités, susceptibles de réduire la contamination causée par les produits chimiques; la consommation d'aliments locaux, qui réduit d'autant le transport énergivore et la souveraineté alimentaire qui permet aux collectivités rurales de se prendre en main.

Toutefois, c'est à regret que je dis ne pas voir de signes bien encourageants de la part des gouvernements. À preuve, les exemples suivants : les gouvernements approuvent les pratiques commerciales grâce auxquelles les consommateurs achètent le coûteux agneau de Nouvelle-Zélande dans nos magasins quand les producteurs d'ovins canadiens ne peuvent couvrir leurs coûts ni même vendre leurs produits; des fruits qui ne sont pas ramassés en Colombie- Britannique parce que des fruits importés inondent le marché; l'étiquetage « Produit du Canada » sur du miel coupé de miel importé de Chine; le gouvernement fédéral refuse d'étiqueter les aliments comportant des organismes génétiquement modifiés, les OGM; on permet aux grandes sociétés (les mégaporcheries) d'envahir les régions rurales sans crier gare et cela entraîne des dissensions; les gouvernements manquent de volonté pour traiter de la question des écarts entre les énormes bénéfices des sociétés et les faibles recettes qu'obtiennent le producteur et les collectivités rurales et enfin, les gouvernements invoquent la crainte de danger pour la santé et les coûts élevés pour dissuader les habitants des régions rurales de se prendre en main (en ne permettant pas, par exemple, des dîners de volaille très populaires et en fermant de petits abattoirs desservant les collectivités rurales).

Les gouvernements doivent représenter le bien public. Les questions liées à la pauvreté en milieu rural nécessitent une démarche systémique. Les être humains sont en mesure de faire de leurs terres un jardin ou un désert. Notre planète assaillie de toutes parts a besoin de pratiques qui l'aideront à guérir.

Dan Hoover, à titre personnel : Je vous remercie d'être venus en Saskatchewan et de nous avoir permis de nous exprimer devant vous. Je ne fais pas partie du Syndicat national des cultivateurs. Je suis ici à titre personnel.

Ma famille a commencé à travailler la terre au Canada bien avant que le pays ne porte ce nom. Cela fait plus de cent ans que nous vivons dans la même exploitation agricole dans la région de Foam Lake en Saskatchewan. On peut dire que nous sommes assez stables.

Au milieu du siècle dernier, notre exploitation agricole faisait vivre 13 personnes en plus de la main-d'œuvre salariée. À présent, il ne reste plus que trois personnes. Le sujet à l'ordre du jour est la pauvreté. Eh bien, je me sens assez qualifié pour en parler. Au cours des dix dernières années, nos revenus n'ont pas une seule fois excédé 10 000 $ nets. Nous estimons bien nous en tirer si nous réussissons à éloigner les loups. Notre dette est à son plus faible. Le changement est survenu il y a à peu près 13 ans lorsque je me suis rendu compte que j'étais très endetté en raison des mauvais conseils que j'avais reçus et parce que j'avais très tôt adopté les nouvelles technologies. En tant que producteur, mes intrants étaient très élevés, je jouais gros jeu et j'ai perdu.

Depuis, j'ai modifié ma façon de faire et je suis passé à une agriculture beaucoup plus durable. Nos revenus demeurent modestes, mais notre problème le plus aigu, c'est le manque de débouchés pour nos produits. Étant donné le dépeuplement rural, nous sommes en train de perdre notre marché local et on ne nous permet pas d'expédier notre viande à l'extérieur de la province. Le sénateur Mahovlich a demandé comment les grandes sociétés peuvent réussir à tirer leur épingle du jeu à des coûts moindres que les nôtres. Eh bien, elles le font grâce à l'intégration verticale, ce qui signifie qu'elles contrôlent le produit dès le début et jusqu'à sa vente au détail. Quiconque ne peut pas s'intégrer à cette chaîne de production n'est pas le bienvenu, ne peut participer à aucune des étapes. Bien que la Saskatchewan produise le porc de la meilleure qualité, ses producteurs ne sont pas autorisés à le vendre sauf de gré à gré, ce qui est fort bien, mais nous avons de moins en moins de voisins à qui vendre.

Pour ce qui est des grains, même ceux destinés à l'exportation, qui font l'objet du commerce, nous avons gagné plus d'argent en les cultivant au moyen des méthodes d'antan que des méthodes jugées modernes. J'ai un revenu net, alors qu'il y a 20 ans, je n'en avais pas. Je produisais davantage et beaucoup de gens gagnaient plus d'argent que moi à même ma propre récolte, mais moi, je ne gagnais rien.

J'ai travaillé six ans comme camionneur afin de rembourser mes dettes et me suis rendu dans tous les coins de l'Amérique du Nord. Partout où j'allais, je tenais à parler à des agriculteurs. Or, nous pensons à tort que l'agriculteur américain se tire bien mieux d'affaire que nous. C'est tout à fait faux. Sa situation est tout à fait semblable à la nôtre. La politique agricole américaine a bien valorisé les terres agricoles et donc enrichi les propriétaires fonciers, mais la situation du simple agriculteur n'est pas meilleure là-bas que chez nous.

Seuls les gens qui ont réussi à imiter ce que les grandes sociétés font de mieux ont atteint la prospérité, je l'ai constaté moi-même. Ceux qui sont en mesure de produire quelque chose en utilisant surtout l'énergie solaire, en travaillant fort et en vendant le produit eux-mêmes gagnent le plus d'argent.

La présidente : Je vous remercie beaucoup tous les deux.

Le sénateur Mahovlich : Lorsque le gouvernement a décidé d'interdire aux producteurs de vendre leurs produits dans d'autres provinces, est-ce qu'il les a indemnisés? Ils auraient dû accepter cela. Dans un pays libre, si on interdit aux producteurs de commercer dans d'autres provinces, à mon avis, il faudrait les indemniser. Comment font-ils pour survivre?

M. Hoover : Les obstacles au commerce sont surtout de nature provinciale. Il est plus facile d'exporter aux États- Unis. Notre principal marché serait toutefois l'Alberta. C'est là que se trouvent tous les gens de la Saskatchewan et nous aimerions bien les nourrir. La demande pour nos produits est énorme à à peine quelques centaines de milles, mais il nous est impossible de les expédier là-bas.

Le sénateur Mahovlich : À la longue, les grandes sociétés auront la mainmise sur toutes les régions agricoles de notre pays.

M. Hoover : Elles dominent tous les marchés maintenant. Les producteurs biologiques demeurent les seuls à continuer à offrir aussi des services de transformation des aliments, mais eux aussi sont en train d'être progressivement monopolisés. Le secteur entier des produits commerciaux est déjà sous la coupe des grandes sociétés. Les producteurs n'ont d'autre choix que de leur vendre leur exploitation, car il n'y a pas d'autres acheteurs.

Le sénateur Mahovlich : L'avantage d'une grande société agricole, c'est sa rentabilité. Le gouvernement tient toujours compte des résultats financiers.

M. Hoover : L'enjeu, c'est la position de force sur le marché. Ainsi par exemple, en Saskatchewan, l'industrie porcine reçoit beaucoup de subventions, tant fédérales que provinciales, mais les petits producteurs n'en profitent pas. Tout va aux grandes exploitations agricoles commerciales.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que la structure actuelle de l'industrie porcine est viable?

M. Hoover : Non.

Le sénateur Mahovlich : Nous avons entendu dire que beaucoup d'agriculteurs albertains abandonnent la production porcine.

M. Hoover : Le prix du marché est de beaucoup inférieur aux coûts de production. Nous ne pourrions espérer faire un profit maintenant, mais le prix de détail demeure quand même acceptable. Nous sommes quand même en mesure d'offrir aux consommateurs une bonne affaire et le meilleur produit possible, si seulement on nous laisse le lui vendre.

Le sénateur Mahovlich : Il faut que vous passiez par toutes les étapes de la filière, et ça n'est pas rentable.

M. Hoover : On prend beaucoup de règlements sous prétexte d'assurer la sécurité alimentaire mais en fait, ces règles servent à établir la domination du marché. Les simples producteurs s'en voient refuser l'accès.

Le sénateur Mahovlich : J'ai passé mon enfance dans le nord de l'Ontario, et l'été était la saison des pique-niques. Mon père se rendait dans une ferme y acheter un agneau. Il nous paraissait en santé. En tout cas, il ne m'a pas rendu malade, je suis encore là. Nous l'abattions, le dépouillions de sa peau et le rôtissions au barbecue. C'était aussi simple que cela. Il n'y avait pas de règlement. Est-ce qu'il y en a maintenant? Est-ce que je peux toujours me rendre dans une ferme et y choisir un animal?

M. Hoover : Oui, si vous vous présentez en personne. Si vous habitez en ville, je ne peux pas vous le livrer. Vous ne pourrez pas l'avoir. Au cours des trois dernières années, dans un rayon de 20 milles autour de chez moi, trois abattoirs ont fait faillite parce qu'ils n'ont pas pu obtenir l'approbation de l'ACIA. Leurs produits sont donc devenus invendables.

Le sénateur Mahovlich : On dirait qu'il va falloir modifier un peu les politiques.

M. Hoover : Nous gagnons parfois des salaires ridiculement bas pour le travail que nous faisons. Nous sommes censés financer l'enseignement. Un revenu net de 10 000 $ au cours des dix dernières années correspond pratiquement à la taxe scolaire imposée à mes terres agricoles. Nous sommes censés consacrer 100 p. 100 de notre revenu net à cette taxe scolaire. Quels travailleurs accepteraient de continuer à travailler s'ils gagnent 20 000 $ par an et que leur maison leur coûte 20 000 $ de taxes?

Le sénateur Mercer : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Je viens de la Nouvelle-Écosse, où l'élevage porcin est en aussi mauvais état, sinon pire. En Nouvelle-Écosse, nous n'avons pas d'abattoirs inspectés par les autorités fédérales, et nous souffrons donc des mêmes problèmes.

L'ACIA est en train de devenir l'un des mauvais sujets de notre étude, parce que les gens nous parlent tous des règles. Pensez-vous que les règles provinciales de la Saskatchewan pour les abattoirs qui ont une licence provinciale sont aussi sûres que celles de l'ACIA pour les abattoirs inspectés par les autorités fédérales?

M. Hoover : Oui, absolument.

Le sénateur Mercer : Est-ce qu'elles sont aussi contraignantes?

M. Hoover : Comprenez-moi bien. Les règlements de sécurité en vigueur correspondent à une nécessité. Lorsque des abattoirs tuent 1 000 bêtes par jour, une quantité même minime de contaminants peut rendre bien des gens malades, et il faut donc que ces règlements s'appliquent. Un petit abattoir qui traite huit ou dix animaux par jour, voire six par semaine, est propre grâce à sa réputation. S'il n'est pas propre, il n'aura pas de clients. Son exploitant a la possibilité de procéder à un nettoyage complet entre chaque abattage, alors qu'un abattoir inspecté par le fédéral fonctionne comme une chaîne de montage : il ne s'arrête jamais. Dans un petit abattoir, on abat un animal puis on nettoie les lieux avant d'abattre le suivant. Les scénarios sont totalement différents. Je pense que les abattoirs inspectés par la province sont tout aussi propres que ceux qui sont inspectés par le fédéral.

Le sénateur Gustafson : Au niveau des marchés, il n'y a même pas de libre-échange entre les provinces. Lorsque j'étais député, on nous a soumis le cas d'un agriculteur qui avait une petite boucherie et il essayait de vendre des demi- carcasses de bœuf à Brandon, au Manitoba, à partir de Gainsborough, en Saskatchewan. Nous avons travaillé sur ce dossier, mais nous n'avons rien obtenu. Il est encore en souffrance aujourd'hui. En effet, si l'une des provinces, je ne sais plus laquelle, exigeait un bâtiment avec des poutres d'acier, l'autre province appliquait un règlement exigeant un bâtiment de briques ou de parpaings, et les producteurs n'étaient donc pas autorisés à vendre leur bœuf au-delà de la frontière. Le Canada est très fort en matière de surréglementation. Nous avons trop de lois, comme le montre cet exemple.

Lorsque j'étais enfant, il y a déjà quelque temps, mes parents pouvaient abattre trois porcs par jour. On élevait des porcs. On les ébouillantait dans un baril, on les sortait du baril et on essayait d'ébouillanter trois porcs dans la même eau. On les vendait à Estevan, une petite ville de 10 000 habitants, mais personne ne nous en empêchait. Nous recevions ainsi quelques dollars par porc, c'était plus avantageux que de les envoyer à Regina ou ailleurs. Il est certain qu'aujourd'hui, nous sommes surréglementés.

Je vous félicite pour ce que vous avez fait, et je tiens également à vous dire ceci : vous n'auriez pas dû avoir à le faire. Nous habitons un pays extraordinaire — je ne pense pas qu'il en existe de meilleur — mais nous ne pourrions pas traiter l'agriculture plus durement ni de façon plus déraisonnable. Espérons que notre comité réussira à ramener les autorités à un peu plus de bon sens.

La présidente : Nous sommes tous d'accord, sénateur Gustafson. Cela prend du temps, mais parfois, par frustration, nous nous regroupons et décidons d'agir. Vous pouvez en être certains : nous exercerons toutes les pressions possibles dès que nous aurons terminé cette étude.

Mme Gillis : J'ai une observation à faire au sujet de la réglementation excessive par le gouvernement. De mon point de vue, je me demande qui est visé par cette réglementation. S'appliquerait-elle à une société commerciale? Mon mari et moi avons un petit moulin à farine, et nous moulons notre blé. Cela fait plusieurs années que nous sommes des producteurs biologiques. Nous moulons notre blé parce qu'il y a une demande de la population locale et que l'épicerie du coin l'entrepose. On nous a dit qu'une nouvelle réglementation gouvernementale allait entrer en vigueur, exigeant un étiquetage nutritionnel qui coûterait environ 1 100 $ par année, alors que nous vendions notre farine pour un montant total de 800 $ environ. Il n'aurait pas été rentable pour nous de faire cet étiquetage, et pourtant les gens voulaient acheter ce produit. Ce type d'étiquetage est fait pour une grande industrie. Soit il est fait pour les grandes industries, ou alors l'objectif est de s'assurer qu'il soit difficile aux gens de vendre leurs produits et, ainsi, de se débarrasser d'eux. Je ne suis pas certaine des motifs, mais voilà ce qui s'est passé pour nous.

Le sénateur Mercer : Vous avez inclus des citations intéressantes dans votre exposé. Je suppose que celles que vous avez mentionnées n'étaient pas les seules que vous ayez recueillies?

Mme Gillis : Les dernières citations concernant les souvenirs de la vie à la ferme proviennent toutes de celles que j'ai recueillies moi-même.

Le sénateur Mercer : Si vous en avez recueilli d'autres, il serait intéressant de les entendre. J'ai parlé à ma mère hier soir, et elle n'a de cesse de me rappeler que j'ai beaucoup appris d'elle et de mon père; nous ne devrions donc pas manquer cette occasion.

Mme Gillis : J'ai recueilli ces histoires auprès d'une vingtaine d'agricultrices. Nous sommes en train de les regrouper dans un petit livre. Leurs histoires sont d'environ une ou deux pages chacune. Les citations provenaient de ces histoires.

La présidente : Merci beaucoup. C'était une partie importante de notre réunion aujourd'hui.

Rob Barber et Ray Orb sont nos deux derniers témoins. M. Barber est le président-directeur général du Collège régional de Carlton Trail. M. Orb est directeur de l'Association des municipalités rurales de la Saskatchewan.

Rob Barber, président-directeur général, Collège régional de Carlton Trail : Le Collège régional de Carlton Trail est le collège communautaire qui dessert la proche région, c'est-à-dire les collectivités rurales du centre-est de la Saskatchewan. Dans ce contexte, je souhaite vous présenter mon point de vue sur la pauvreté et son lien avec l'éducation et la formation. Je m'en tiendrai à ce thème. Je crois que nous devons éliminer des obstacles, ce qui n'a rien d'étonnant, mais voilà mon sujet.

La littérature reflète les faibles taux de littératie dans les régions rurales du Canada, et c'est une réalité ici aussi. L'un des obstacles à la littératie est le manque de programmes éducatifs disponibles, surtout des programmes électroniques en ligne. Je pense qu'une solution serait d'élaborer une stratégie fondée sur toute une gamme de matériaux plus cohérents, à défaut d'être uniformes, afin d'encourager la littératie à l'échelle du Canada. Des efforts s'inscrivant dans le même contexte que celui de la littératie visent à élaborer une gamme d'outils de compétences essentielles en milieu de travail pour évaluer les travailleurs et leur donner les moyens de perfectionner leurs compétences. Malheureusement, la participation est faible. L'initiative est particulièrement pertinente pour nos entreprises et nos industries. Mais l'intérêt est faible. Je ne puis qu'encourager une approche plus volontariste en vue d'acquérir les compétences essentielles en milieu de travail. C'est la principale façon pour nos entreprises de devenir mondiales et concurrentielles.

Un autre sujet touche à l'immigration. La Saskatchewan se tourne de plus en plus vers l'immigration pour combler ses besoins en matière de main-d'œuvre. Il y a quelques obstacles : l'anglais langue seconde, et également l'intégration des immigrants dans nos collectivités. À mon avis, le logement social est l'une des solutions. Que cela relève du palier fédéral, provincial ou municipal, c'est un problème dans les régions rurales de la Saskatchewan, et il est difficile de trouver un logement adéquat.

D'autres personnes se sont déjà exprimées sur les métiers, et la nécessité au Canada, et pas seulement dans les régions rurales, d'une participation accrue des jeunes, en particulier, dans les métiers. Il existe plusieurs obstacles dans les régions rurales de la Saskatchewan et du Canada dans son ensemble. Le taux de participation des entreprises avec les gens de métier est décevant. J'ai vu des données qui indiquent que le taux de participation va de 10 à 20 p. 100. Le système dépend du jumelage entre les apprentis et les gens de métier, et si nous n'avons pas plus de participation, nous aurons à faire face à d'importantes difficultés dans un avenir proche. Cela était exacerbé par le fait qu'il y a moins de gens de métier dans les régions rurale du Canada, tout particulièrement dans nos collectivités de Premières nations et les collectivités voisines de nos réserves. Nous devrions nous pencher sur d'autres modèles d'autres pays et d'autres provinces, pour trouver d'autres façon d'apparier les gens de métier aux apprentis, ou pour donner aux personnes qui aspirent à devenir des gens de métier le travail et la formation dont elles ont besoin. La pénurie de gens de métier est un véritable problème dans les régions rurales du Canada.

Un autre problème évident, ce sont les distances, et certains ont déjà abordé la question de l'éducation à distance aujourd'hui. Une solution, même si elle ne permettra pas de régler tous les problèmes, consisterait à améliorer l'accès en ligne aux programmes et aux cours. Nous dépendons de l'accès par ligne commutée. Je ne puis qu'encourager les divers gouvernements à nous aider autant que possible à mettre sur pied des systèmes de haute vitesse pour aider nos collectivités rurales.

Pour ce qui est des Premières nations et des Métis, il y a de nombreux obstacles, qui ont déjà été mentionnés par d'autres ou par moi-même. Les taux de chômage dans les réserves dont décourageants, ainsi que le fait que nous n'encourageons pas les micro-entreprises et l'esprit d'entreprise. Le gouvernement a peut-être, ou non, un rôle à jouer dans ce domaine, toujours est-il que les lacunes dans nos réserves sont considérables et il nous faut y développer les ressources humaines.

Le dernier obstacle est d'ordre démographique. Bien sûr, on constate un exode rural au Canada et en Saskatchewan, pour des raisons souvent bien connues. Je propose que l'on adopte une perspective différente lorsqu'il s'agit des collectivités rurales. Parfois, on ne se rend pas compte des inégalités entre les collectivités rurales et urbaines en matière de politiques. Je vais vous donner un exemple qui illustre bien ce problème. Dans le cadre des prêts étudiants en Saskatchewan, on donnait aux étudiants des allocations de déplacement mensuelles pour faire le trajet entre leur lieu de cours et leur domicile. Une allocation de 40 $ pour un étudiant en région rurale permettra de couvrir peut-être deux trajets en voiture jusqu'à son collège. Une allocation de 40 $ pour un étudiant en région urbaine lui permettra peut-être de s'acheter une carte d'abonnement d'autobus mensuelle. L'inégalité est évidente, et cela est, bien entendu, dû à des situations différentes. Nous devons adopter une perspective différente quant à ces inégalités.

Toutefois, je souhaiterais conclure mes observations en revenant sur la question de l'éducation et de la formation, et le fait que je suis absolument convaincu qu'elles ont un rôle clé à jouer dans la réduction de la pauvreté. Nous connaissons des réussites ici, découlant autant de politiques fédérales que de politiques provinciales. C'est en vous parlant de ces réussites que je vais conclure mes observations.

Le Programme des services canadiens de développement des compétences en agriculture, qui appuie des programmes d'apprentissage personnalisé pour les agriculteurs et leur famille, a connu un succès retentissant en Saskatchewan. Des milliers de participants à ce programme sont en train de se perfectionner, d'améliorer leur exploitation agricole lorsque c'est possible, et d'apprendre comment augmenter leur niveau de revenu.

Job Start/Future Skills est un programme de la Saskatchewan, et je pense que c'est un modèle que le Canada pourrait suivre. C'est principalement un programme de formation en milieu de travail pour des personnes nouvellement embauchées qui permet de jumeler un employeur avec un nouveau stagiaire. C'est un programme à coût partagé entre l'entreprise et la province, et les perspectives sont vastes dans les régions rurales de la Saskatchewan lorsqu'il s'agit d'apparier des employeurs avec des nouveaux stagiaires. Nous pourrions doubler la portée de ce programme. Cette formation permet d'accroître notre compétitivité dans un marché mondial. En Saskatchewan, les zones rurales reçoivent environ la moitié des fonds. Un ajout récent concerne le relèvement des compétences des employés pour qu'ils puissent rester à jour en matière technologique. Le Programme de relèvement des compétences adopte la même approche que la formation en milieu de travail. Je ne saurais suffisamment insister sur les résultats exceptionnels de ce programme.

Comme d'autres collèges en Saskatchewan, notre collège consacre beaucoup de temps aux programmes qui mettent l'accent sur l'aptitude à l'emploi et les notions de vie pratique. Cette formation vise véritablement à contrer la pauvreté, car quiconque est inapte à travailler et n'a pas de notions de vie pratique ne trouvera pas, c'est clair, un emploi. Une grande partie de nos ressources sert à cette formation et nous pensons que cela porte fruit.

En terminant, étant donné que j'ai entendu le témoignage de certains agriculteurs ici, je recommanderais que l'on examine un projet d'existence durable mis en œuvre à Craik, localité située entre Saskatoon et Regina. Le projet porte sur l'agriculture durable, les pratiques et la vie de la collectivité de façon générale, y compris l'instruction et la formation. Ce n'est sans doute pas la seule voie à emprunter mais je pense que pour l'avenir, cette formule est prometteuse.

M. Ray Orb, directeur, Association des municipalités rurales de Saskatchewan : Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. Notre président, David Marit, a présenté un témoignage à Ottawa et notre organisation, ne voulant pas être en reste, a tenu à vous souhaiter la bienvenue lors de votre passage en Saskatchewan. Cela explique ma présence ici aujourd'hui. Tout à l'heure, on a évoqué une manifestation à Cadillac, dans la région sud de Swift Current, à l'occasion d'une grave sécheresse là-bas. Le reste du pays ne le sait peut-être pas bien mais ces collectivités sont en très mauvaise passe en raison d'une sécheresse qui dure depuis près de deux ans et demi. On a parlé de politique agricole. Cette région illustre bien ce qui se passe quand des localités rurales ne bénéficient pas de politiques quand des désastres comme la sécheresse les frappent. On dit que le gouvernement fédéral va offrir un programme d'aide en cas de sinistres distinct du programme de gestion des risques opérationnels, et nous nous félicitons de cette initiative. Nous espérons que cela va résoudre certaines des difficultés qu'on éprouve là-bas.

Aujourd'hui, je voudrais aborder notamment la question de l'éducation, car vous en parlez dans votre rapport. Je l'ai lu et je pense que c'est une des raisons pour lesquelles l'Association des municipalités rurales de Saskatchewan a tenu à s'exprimer sur ce qu'elle considérait constituer des solutions. Nous pensons que l'éducation est la clé de la diversité agricole et nous voulons encourager nos producteurs, du mieux que nous pouvons, à suivre des cours. Assurément, dès que nous pouvons, nous tirons partie du partenariat de Carlton Trail et nous utilisons les services de l'Institut de technologie et de sciences appliquées de la Saskatchewan, et toutes les autres entités provinciales qui nous permettent de pousser plus loin les connaissances de nos producteurs dans les petites localités.

Le problème encore est que nous faisons face à toute une série de fermetures d'écoles dans les régions rurales de Saskatchewan. Actuellement, on envisage de fermer 52 écoles rurales et on continue de songer à en fermer davantage. En fait, ce chiffre est exactement le même que le nombre d'hôpitaux ruraux qui ont été fermés il y a quelques années. En effet, 52 hôpitaux ruraux ont été fermés. Nous pensons que ces fermetures se font au détriment des régions rurales de Saskatchewan. Les villes s'en tirent mieux dans cette province. Bien entendu, il est plus facile de gagner sa vie dans un grand centre urbain. Ces fermetures, par ailleurs, n'incitent pas les gens à souhaiter s'installer dans les régions rurales.

Nous avons fait une analyse de ce qui s'est produit dans les régions rurales de Saskatchewan. Elle s'intitule Clearing the Path. Je ne pense pas que notre président vous en ait parlé, mais nous cherchions à déterminer si le nombre des municipalités rurales constituait un handicap. Il y a eu des critiques, car il existe 296 municipalités rurales, avec une superficie correspondante mais sans population correspondante. Après consultation avec les gens du secteur manufacturier, les gens des villes et les responsables provinciaux et fédéraux, nous avons découvert que les municipalités rurales n'étaient pas un handicap. Les problèmes sont davantage sur le plan de l'infrastructure et peuvent être causés par un manque d'information — il nous faut renseigner nos homologues urbains sur la situation dans les régions rurales de Saskatchewan. À cette fin, nous avons préparé un rapport, et nous avons eu jusqu'à un certain point l'oreille du palier fédéral et du palier provincial. Les quelques dernières années ont été importantes pour nous, car nous nous occupions de cette tâche.

Je sais que le temps est précieux mais je tiens à vous parler de la politique agricole de l'Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, car nous avons un Comité de l'agriculture où je siège avec Jim Hallick. M. Hallick est notre vice-président et un membre sénior de l'association. Il y a deux ans, il nous est venu une idée et il est fort possible que ce soit ce comité sénatorial-ci qui nous l'ait inspirée. Nous pensons que c'est une bonne idée. En effet, il s'agit du Programme de mise hors culture. Nous avons élaboré une politique. Nos membres ont adopté une résolution il y a deux ans à l'occasion du congrès annuel et il nous incombait à nous d'élaborer la politique et de l'appliquer. Les gens nous ont adressé quelques critiques, et elles étaient plus nombreuses en provenance de l'industrie de la manutention des grains et des fournisseurs d'outillage agricole, car ces gens estiment que de mettre en jachère des terres en Saskatchewan, c'est énorme, car nous réunissons dans la province la moitié des terres arables du pays. Nous pensons que ce programme va être utile, car nous avons l'impression quelque part de trop produire. Nous vendons nos exportations sur des marchés qui sont subventionnés. Nous ne sommes pas sûrs d'être dans la bonne voie. Nous demandons au gouvernement fédéral de continuer de verser le peu de subventions qu'il verse actuellement mais peut- être qu'il faudrait instaurer d'autres programmes en vue de diversifier les cultures au Canada rural. Une solution serait peut-être de se borner à ensemencer.

Les cultures biologiques seraient aussi une solution. Nous saluons bien bas les cultivateurs qui s'y adonnent, car ils sont probablement ceux qui sont le plus durables pour l'instant. Les produits chimiques et les engrais coûtent très chers et cela peut expliquer pourquoi bien des agriculteurs ne peuvent pas honorer leurs factures et ne peuvent pas ensemencer. Le problème est exactement le même qu'il y a un an. Même si le prix des céréales a grimpé, le prix des intrants a aussi grimpé de façon spectaculaire. On demande actuellement plus de 500 $ la tonne pour l'engrais à l'azote. C'est renversant. Le prix n'en a jamais été aussi élevé.

Grâce à ce programme, on va verser une indemnité à l'agriculteur qui acceptera de mettre des terres en jachère. Pour 40 p. 100 d'une parcelle de terre, nous avons établi un paiement de 40 $ l'âcre, et nous pensons que c'est une petite somme. Cela pourrait permettre à certains agriculteurs de ne cultiver que les terres qui leur permettent une exploitation abordable tout en maintenant la vitalité de leur collectivité.

Je n'ai pas d'exposé officiel à présenter aujourd'hui mais je tenais à faire part au comité de cette idée pour voir s'il pourrait s'adapter aux besoins de notre pays ou si au contraire, on décidera de l'abandonner.

La présidente : Merci beaucoup à tous deux. Nous avons été ravis d'accueillir notre président, David Marit, à une séance de notre comité il n'y a pas très longtemps à Ottawa. Notre dialogue avec l'association remonte à longtemps et nous avons apprécié sa visite.

Le sénateur Peterson : Monsieur Orb, avez-vous envisagé avoir recours au programme de réduction des stocks de céréale qui existait dans les années 1970? Pourquoi l'a-t-on abandonné et comment cela se compare-t-il à votre projet?

M. Orb : À propos de ce programme de 1971, je pense que la conception de la politique était alors trop timide. Je pense que la pénurie de céréale sur le marché était une coïncidence. Le Canada est un gros fournisseur de céréale, c'est indéniable, mais en même temps, d'autres pays ont connu des pertes de récoltes. Sénateur Peterson, vous comme le sénateur Gustafson savez ce qui s'est produit : la Russie a acheté l'excédent de céréale, ce qui a fait grimper les prix. Notre programme sera-t-il couronné de succès? Nous n'en savons rien mais nous ne pensons pas qu'il provoquera nécessairement une flambée des prix. Nous pensons qu'il pourra aider les agriculteurs qui n'ont pas les moyens d'ensemencer toutes leurs terres chaque année.

Le sénateur Mercer : Monsieur Barber, combien y a-t-il d'étudiants inscrits à votre collège?

M. Barber : Nous sommes un petit collège et nous avons 400 étudiants équivalent à temps plein, mais nous accueillons chaque année 3 000 étudiants.

Le sénateur Mercer : D'où viennent-ils? De la région de Humboldt?

M. Barber : Notre région se trouve entre les banlieues de Saskatoon et de Regina, jusqu'à 150 km de chaque côté de la route. La plupart de nos étudiants viennent de nos collectivités locales, mais on en recrute dans d'autres régions de la Saskatchewan également.

Le sénateur Mercer : Quels programmes sont offerts?

M. Barber : Nous offrons l'enseignement de base pour adultes, des programmes de soins infirmiers, de préposés aux soins prolongés, d'électriciens, de soudeurs, et cetera.

Le sénateur Mercer : Est-ce que le programme de soins infirmiers est complet?

M. Barber : C'est un programme pour les infirmières cliniciennes et pour les soins infirmiers.

Le sénateur Mercer : Est-ce que les diplômés du collège se précipitent à Saskatoon, Regina ou Calgary?

M. Barber : Cela dépend du programme, mais la plupart restent en Saskatchewan. Beaucoup d'étudiants vont aux deux villes et ne restent pas dans la région.

Le sénateur Mercer : Pouvez-vous me dire si certains diplômés reviennent? Nous savons que les jeunes aiment quitter le domicile familial, surtout entre 18 et 25 ans. Est-ce que certains d'entre eux reviennent?

M. Barber : C'est la raison pour laquelle nous ne recrutons pas beaucoup d'étudiants dans les écoles secondaires. Nous sommes très conscients de ce fait. Nous visons ceux qui ont appris que tout n'est pas forcément mieux loin de chez soi.

Le sénateur Mercer : Mais ils vont quand même à Saskatoon et à Regina à la fin de leurs études.

M. Barber : Là encore, ça dépend du programme. Par exemple, nos étudiants qui suivent le programme pour les préposés aux soins prolongés restent dans la région où ils font leurs études. Les diplômés du programme de soins infirmiers ont tendance à aller aux villes.

Le sénateur Mercer : Monsieur Orb, vous avez dit que 52 écoles rurales doivent fermer, et vous avez également dit que 52 hôpitaux ruraux avaient fermé. Je ne suis pas de la Saskatchewan, mais je me souviens que la fermeture des hôpitaux est devenue une question politique très importante. Est-ce qu'il y a une corrélation directe : est-ce que la fermeture des hôpitaux a entraîné une réduction de la population?

M. Orb : Non, je ne le pense pas. C'est une coïncidence qu'il s'agit du même chiffre.

Le sénateur Mercer : Les 52 collectivités ne sont pas les mêmes?

M. Orb : Non.

Le sénateur Mercer : Combien de députés y a-t-il à l'assemblée législative de la Saskatchewan?

M. Orb : Il y en a 62 ou 63, je crois.

Le sénateur Mercer : J'ai essayé de formuler une théorie, mais ça n'a pas marché.

M. Orb : Malheureusement, il n'y a pas de lien.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé d'une ville entre Regina et Saskatoon. C'est quoi le nom de cette ville?

M. Barber : Il s'agit de Craik. C'est une petite collectivité qui était en perte de vitesse. Certaines personnes ont décidé de tenter une expérience de vie communautaire durable et de pratiques agricoles durables. Presque toute la région autour de Craik participe à cet effort. Ils ont construit un centre écologique avec du matériel recyclé et un terrain de golf écologique. On arrive avec des terrains pour la construction domiciliaire.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'il y a un centre communautaire?

M. Barber : Pas encore, mais on y pense. La collectivité a attiré des entreprises dans le domaine de la production durable.

Le sénateur Mahovlich : Je suppose que les entreprises seraient attirées par une collectivité prospère ou qui est sur la bonne voie.

M. Barber : Je pense qu'ils n'avaient pas le choix, mais je pense qu'ils sont vraiment dans la bonne voie.

Le sénateur Gustafson : L'idée d'un programme de réduction des stocks de blé est bonne, mais il ne faut pas oublier ce que John Diefenbaker a dit à Otto Lang : il a dit que s'il y avait deux bouses de vache dans un quart de section de terre, il mettrait le pied dans les deux. Il a dit cela à cause du programme de réduction des stocks de blé. Cependant, je pense que c'est une bonne idée, mais tout dépend des convictions de mise en œuvre. Est-ce que vous envisagez le programme seulement pour la semence de fourrage pour le bétail, ou est-ce qu'il serait possible de mettre les terres en jachère? Dans notre cas, avec le programme de réduction des stocks de blé, nous avons dû préparer nos terres et il était préférable de les mettre en jachère. Cela a bien fonctionné pour nous. Pour d'autres, cela a moins bien fonctionné. Je pense que si les terres servaient à la culture de fourrage pour le bétail, elles ne seraient plus utilisées pour la production de céréales et le sol serait enrichi de cette façon.

M. Orb : Nous avons discuté de cette possibilité et la mise en jachère en fait partie. Je n'ai pas lu la politique dans son ensemble, mais elle comprend la mise en jachère. Certains producteurs se servent de cette pratique déjà. J'ai mentionné des producteurs biologiques. Je sais que certains producteurs biologiques ne font pas de mise en jachère, mais ils ont recours à des cultures de couverture, entre autres. En réalité, il n'y a pas de production céréalière sur ces terres, donc elles devraient être admissibles. En même temps, nous essayons d'agrandir notre industrie de production animale dans cette province. Je crois que le programme pourrait compléter notre industrie de production animale. Cela ne fera pas de tort. Je sais que l'on parle beaucoup de biocarburant. Les éleveurs d'animaux ont réagi vivement, car les biocarburants ont entraîné une augmentation des prix des céréales fourragères. Cette augmentation est le résultat de ce qui s'est passé de l'autre côté de la frontière. Je sais que les éleveurs réagissent, car notre organisme a encouragé la participation des éleveurs. Ces derniers disent que nous faisons augmenter le prix des céréales au détriment des exploitations agricoles. Nous disons que non. Nous encourageons les éleveurs à construire des installations intégrées, avec des parcs d'engraissement. Ils peuvent donner la moulée à leur bétail. Nous avons visité les installations Poundmaker à plusieurs reprises à Lanigan, qui n'est pas très loin d'ici, et nous croyons que cette usine en est une des plus efficaces au Canada. Il n'y a pas de rebut. On se sert de tout. Ce programme de retrait pourrait fonctionner et aidera peut-être l'industrie de la production animale.

Le sénateur Gustafson : Je crois que l'initiative vaut la peine pourvu que les montants versés soient au moins l'équivalent de deux pulvérisations et d'une récolte. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les producteurs s'endettent davantage, et on peut faire ces calculs.

Le président : Vos commentaires à propos de votre collège et votre observation quant à l'importance de la formation en milieu du travail à ce moment-ci ont suscité mon intérêt. Les problèmes d'alphabétisation constituent un des défis les plus grands auxquels nous sommes confrontés en matière de formation en milieu du travail. Presque tous les jours, nous voyons dans les grands journaux, dans les petits journaux, et à la télévision qu'un des plus gros problèmes au Canada, compte tenu de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, c'est que nous n'avons pas de main d'œuvre qualifiée. Pourquoi? Si environ 40 p. 100 de notre population adulte ne peut ni lire, ni écrire, ni faire des calculs, eh bien nous avons besoin d'un collège comme le vôtre ainsi que des programmes d'appui pour venir en aide à notre population active et voir à ces défis. Il faut s'attaquer à ces défis qui à bien des endroits, y compris dans ma province, créent une situation ou des industries fleurissantes cherchent désespéramment des gens d'ici que nous avons formé. Est-ce que la partie alphabétisation de ce processus de formation bénéficie de l'appui de votre collège?

M. Barber : C'est une épée à deux tranchants. Notre financement consacré à l'alphabétisation représente, au mieux, 5 p. 100 de notre financement de programme. Ce montant est évidemment insuffisant, compte tenu du fait que notre clientèle cible a un taux d'analphabétisation très élevé. Par contre, nous avons des services de counselling et d'évaluation qui sont au cœur de nos collèges, des services communautaires. Grâce à ces services, nous sommes mieux en mesure d'utiliser ces ressources aussi petites soit-elles pour cibler les gens qui en ont besoin. L'établissement des objectifs du counselling est lié à l'alphabétisation en milieu du travail et aux aptitudes à la vie quotidienne. Comme bien d'autres collèges en région rurale, nous aurons peut-être besoin d'enlever des fonds d'autres programmes pour élargir celui-là.

La formation et l'éducation au Canada, comme nous le savons, est toujours une zone grise entre les compétences fédérales et provinciales. Je vois la formation en milieu de travail, pour employer ce terme, comme étant une responsabilité fédérale. Je crois qu'il sera sage d'investir dans les compétences essentielles pour le milieu du travail. Je crois qu'il s'agit d'un bon investissement.

Le président : Merci pour cette réponse. Je suis entièrement d'accord avec vous qu'il s'agit d'une responsabilité nationale, une responsabilité fédérale. Les gens comme vous continuent à se battre, et ensemble nous vaincrons.

Mesdames et messieurs, merci beaucoup d'avoir pris le temps, pour certains d'entre vous, d'avoir fait preuve de patience en passant à travers ce processus. Cette journée a été formidable. Une variété de gens formidables sont venus. Tout a été inscrit au procès-verbal. Lorsque nous aurons terminé nos audiences, nous aurons hâte de nous pencher sur toutes les idées que nous avons reçues ici à Humboldt.

Je remercie tous mes collègues. Notre horaire est aussi très chargé et les sénateurs sont des Canadiens formidables, et je les remercie.

La séance est levée.


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