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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 22 - Témoignages du 30 mars 2007 - Séance du matin


ATHENS, ONTARIO, le vendredi 30 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à nos témoins et à l'auditoire. Les membres du comité sont heureux d'être dans votre collectivité ce matin.

En mai dernier, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. L'automne dernier, nous avons entendu un certain nombre de témoins experts qui nous ont brossé un tableau global de la pauvreté au Canada. À partir de ces témoignages, nous avons rédigé un rapport intérimaire qui a été publié en décembre 2006. Nous pensions que le rapport serait relégué à l'arrière-plan et qu'il passerait inaperçu, mais il a véritablement touché une corde sensible. Les sénateurs se sont fait dire par des gens de leur région qu'ils étaient étonnés de voir que quelqu'un se préoccupait suffisamment de cette question pour entreprendre une telle étude.

Nous sommes dans la deuxième étape de l'étude, celle où nous rencontrons des Canadiennes et des Canadiens qui vivent en milieu rural partout au Canada. Jusqu'à présent, nous avons visité toutes les provinces de l'Atlantique. Nous ne savons pas vraiment comment nous avons fait pour nous y rendre et en repartir pendant un merveilleux blizzard, mais les gens sont venus et l'effort a été admirable. Nous avons également visité les quatre provinces de l'Ouest. Au cours de ce voyage, nous avons rencontré des groupes variés et merveilleux de Canadiens qui nous ont accueillis à bras ouverts dans leur collectivité et, parfois même, dans leur foyer.

Sur ce, nous sommes heureux d'être accueillis à Athens, Ontario. Ce matin, nos témoins sont Mme Sue MacLatchie, vice-présidente du conseil du Centre de santé communautaire Country Roads; Mme Jen Bergman, promotrice de la santé, Centre de santé communautaire Country Roads; Mme Irene Selkirk, administratrice de Loaves and Fishes; et Mme Dianne Oickle, diététiste et hygiéniste alimentaire publique, Circonscription sanitaire du district de Leeds, Grenville et Lanark.

Je suis le sénateur Fairbairn, présidente du comité, et je viens de Lethbridge, Alberta. Les autres membres du comité présents ici aujourd'hui sont le sénateur Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard; le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Hugh Segal, de l'Ontario; et le sénateur Rose-Marie Losier-Cool, Présidente intérimaire du Sénat, du Nouveau-Brunswick.

Madame MacLatchie, vous avez la parole.

Sue MacLatchie, vice-présidente du conseil, Centre de santé communautaire Country Roads : Je vais suivre les notes que nous vous avons distribuées, bien que je puisse faire des digressions. Comme vous le savez, il y a 52 centres de santé communautaire en Ontario. Le gouvernement de l'Ontario a récemment convenu que 22 autres centres seront créés cette année. C'est une des façons que nous avons d'offrir des services dans les collectivités. Les centres de santé communautaire sont habituellement implantés dans les endroits où il y a un obstacle à la santé. Dans les régions rurales, ils sont nécessaires en raison des problèmes que les gens éprouvent. Je vais parler de ces problèmes aujourd'hui.

J'ai jeté un coup d'oeil sur le rapport intérimaire et je suis d'accord pour dire qu'il reflète un sens véritable de pauvreté. Le rapport est un bon début. J'ai travaillé sur des questions liées à la pauvreté comme travailleuse sociale dans un centre de santé communautaire à Ottawa. Plus particulièrement, je faisais partie du Groupe de travail sur la pauvreté de la ville d'Ottawa. Mme Bergman est promotrice de la santé auprès du Centre de santé communautaire de Country Roads, CSCCR, et possède un diplôme de baccalauréat en travail social de l'Université de Calgary. Elle a travaillé avec les gens qui vivent avec un faible revenu. À nous deux, nous avons beaucoup d'expérience.

Le CSCCR dessert 3 500 résidents de Rideau Lakes et d'une partie de Leeds Nord. Nous avons des médecins, des infirmières, des travailleurs sociaux, des praticiens, des promoteurs de la santé et une diététiste. De nombreuses personnes qui vivent avec un faible revenu trouvent difficile de venir à notre centre à cause de l'absence de services de transport et de garde d'enfants abordables. Souvent, ils n'ont pas suffisamment d'argent pour payer leurs médicaments d'ordonnance et autres matériels médicaux. J'ai vu des membres du personnel payer de leur poche des médicaments d'ordonnance à des gens.

Nous croyons que l'emploi, l'isolement, le revenu et l'éducation influent sur la santé d'une personne. Pour ces raisons, un centre de santé communautaire a pour mission de travailler sur les causes premières des problèmes de santé dans une communauté. En d'autres mots, nous ne nous limitons pas à des médecins et à des infirmières de soins primaires. Dans les régions rurales, les gens pauvres sont davantage stigmatisés que dans les régions urbaines. Il y a une énorme différence entre les deux. J'ai travaillé avec des gens vivant dans la pauvreté à Ottawa et la pauvreté est plus profonde dans les régions rurales. Étant donné que les gens vivent plus loin les uns des autres, l'isolement s'en trouve accru. L'absence de contacts sociaux diminue l'estime de soi et, lorsque les voisins constatent que quelqu'un vit dans la pauvreté, ils les regardent de haut. Par exemple, il n'y a aucun endroit où ils peuvent se rendre de manière anonyme et tout le monde le sait lorsqu'ils se rendent à la banque alimentaire locale. Cela aggrave les problèmes. Dans un centre urbain comme Ottawa, ils peuvent se cacher de manière que les gens ne savent pas qui ils sont.

Notre centre offre des programmes communautaires pour lutter contre la pauvreté, mais il faut en faire davantage. Nous avons animé le Programme de la boîte verte qui offre des fruits et légumes frais à bas prix. Notre diététiste travaille avec la collectivité locale pour mettre sur pied et améliorer les banques alimentaires de la région et amener les collectivités à travailler ensemble sur les questions alimentaires.

Le CSCCR travaille avec les écoles locales et les parents pour explorer la possibilité de créer un programme de garde parascolaire parce que la journée de travail d'un parent comprend du temps additionnel pour franchir les longues distances entre la maison et le lieu de travail en dehors des heures d'ouverture des écoles. Il n'y a pas d'autres ressources à la disposition de ces parents.

Pour réduire l'isolement des gens, des projets de communication et de réseautage pour personnes à faible revenu, CRPFR, ont été créés. Des femmes de l'endroit, dont un grand nombre vivent avec un faible revenu, se rencontrent pour trouver des façons de s'aider à trouver un emploi, peut-être dans une petite entreprise, et pour faire éclater les mythes autour de la pauvreté parce que les stigmates rendent leur vie d'autant plus difficile. Nous allons aborder certains des problèmes clés qui réduisent les occasions d'emploi dans cette collectivité. Notre matériel provient des discussions que nous avons eues avec les membres des projets CRPFR et d'autres membres de la collectivité. Le premier problème que je vais aborder, c'est celui de l'emploi.

De nombreuses personnes sont hautement spécialisées, créatives et à la recherche d'un emploi. Le plus gros problème, c'est l'absence d'emplois stables à l'année longue qui assurent une rémunération raisonnable. Des emplois saisonniers sont accessibles dans le domaine du tourisme et des services aux propriétaires de chalets. Les gens ne travaillent pas suffisamment longtemps pour être admissibles à l'assurance-emploi. Il faut apporter des changements à la politique d'assurance-emploi pour réduire le nombre de semaines de travail nécessaire pour avoir droit à des prestations. Dans les régions rurales, il n'y a pas de travail l'hiver et les gens doivent faire une demande d'aide.

Les emplois étant difficiles à trouver, les gens acceptent de travailler à un salaire inférieur au salaire minimum. Les petites entreprises risqueraient de s'effondrer si elles devaient payer un salaire même égal au salaire minimum. Ce dilemme qui touche les collectivités rurales aggrave la situation de la collectivité en matière de santé. Nous ne savons pas que faire à propos de cette question. Nous recommandons que davantage de fonds fédéraux soient mis à la disposition des groupes locaux pour la création d'entreprises communautaires de développement économique comme des petits restaurants, dont il a été question dans les projets CRPFR; un service de taxi; l'écotourisme; des jardins de serre comme celui que l'on retrouve près de Glenburnie et des boutiques où les gens peuvent vendre des objets d'artisanat local.

Je vais demander à Mme Bergman de commencer la deuxième partie de notre exposé et de parler du deuxième problème, le transport.

Jen Bergman, promotrice de la santé, Centre de santé communautaire de Country Roads : Je vais commencer par signaler un fait important. Du fait de mon expérience de travail dans la ville, je peux constater que les gens qui vivent dans la pauvreté constituent le plus important groupe marginalisé dans notre région rurale. Bien qu'il y ait d'autres groupes marginalisés, les gens qui vivent dans la pauvreté constituent le plus grand de ces groupes.

Le deuxième problème clé, c'est le transport. Dans notre région rurale, pour avoir accès à n'importe quel service, les gens doivent utiliser la voiture. Nous n'avons ni taxi ni autobus. Nous recommandons que le gouvernement fédéral aide les organismes locaux et les services de fournisseurs de soins de santé à faire l'acquisition de mini-fourgonnettes et d'autobus pour accroître la mobilité dans la collectivité. Par exemple, les mini-fourgonnettes pourraient servir au transport pour les rendez-vous médicaux, l'épicerie, les programmes pour enfants, l'éducation des adultes et les cours de santé.

Le troisième grand problème, c'est la garde des enfants. L'absence d'un système de garde des enfants abordable ou subventionné décourage les femmes de travailler à l'extérieur du foyer ou de retourner aux études. Lorsque les gens travaillent, ils ont souvent besoin d'un programme de garde des enfants en dehors des heures d'ouverture des écoles. Nous recommandons que l'on offre davantage de services de garde subventionnés. Le quatrième problème, c'est que le programme de remboursement des prêts étudiants doit être modifié. Les gens vivent souvent dans la pauvreté ou avec un faible revenu pendant des périodes de temps prolongées à cause de l'argent qu'ils doivent consacrer chaque mois au remboursement de leur prêt étudiant et je peux en parler en toute connaissance de cause. Je suis chef de famille monoparentale et je suis encore en train de rembourser une dette énorme, que j'accepte de rembourser parce que j'ai eu une excellente éducation. Toutefois, je n'ai pas d'argent et ce sera le cas pendant de nombreuses années. Lorsque l'on établit le calendrier de remboursement d'un prêt, il faut prendre en considération non seulement les dépenses, mais également le revenu.

Lorsqu'il n'y a pas d'emplois bien rémunérés dans une région rurale, les gens qui obtiennent un diplôme ne reviendront probablement pas dans la collectivité faute d'emplois appropriés. Par conséquent, nous perdons nos gens hautement spécialisés et éduqués au profit des villes. Nous recommandons qu'il y ait plus de bourses et que les taux d'intérêt soient plus faibles dans le cas des prêts étudiants.

Le cinquième grand problème, les services sociaux. On n'accorde pas suffisamment d'importance à la prestation de services sociaux comme les consultations dans les écoles, qui peuvent aider à prévenir des problèmes sociaux comme la violence au foyer, les toxicomanies et les questions de santé mentale non traitées, qui peuvent conduire à la pauvreté, si les gens n'y sont pas déjà. Les gens ont de la difficulté à se sortir de la pauvreté s'ils sont aux prises avec ces problèmes. Nous recommandons que davantage de services sociaux soient offerts dans les collectivités rurales et non pas dans la grande ville la plus proche située à une heure de route.

Le sixième problème, les services dentaires. Consulter un dentiste peut devenir très coûteux, non seulement pour les besoins dentaires de base, mais pour des services plus poussés. Par exemple, si les gens n'ont pas de dents, comment peuvent-ils obtenir un emploi? Peu importe leur degré d'éducation, on ne les embauchera pas. Bien que les services sociaux et d'autres programmes payent pour l'extraction des dents, il n'y a pas d'argent pour les dents de remplacement.

Nous recommandons que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces pour offrir des services dentaires, surtout dans les régions rurales. Dans un rapport au conseil de ville d'Ottawa présenté en 2005, Cliff Gazee a dit : « Les dents sont le seul os de notre corps qui n'est pas couvert par l'assurance-maladie provinciale. »

Le septième et dernier grand problème, c'est la sécurité alimentaire. Comme nous l'avons dit au tout début, l'alimentation est un problème important dans notre collectivité. Le CSCCR travaille avec des bénévoles de la communauté et des groupes religieux pour faire fonctionner des initiatives de comptoirs alimentaires dans les villages locaux, mais les gens ne peuvent s'y rendre qu'une seule fois par mois. Même certains programmes que nous offrons ne sont accessibles que sur une base mensuelle.

Nous recommandons que le gouvernement fédéral encourage les partenariats avec les producteurs locaux, les agriculteurs et les comptoirs alimentaires pour accroître la qualité des aliments et du marché local. Nous pouvons encourager des gens à consommer des aliments produits localement.

Irène Selkirk, administratrice, Loaves and Fishes : Bonjour et merci de cette occasion de prendre la parole ce matin. Loaves and Fishes est un restaurant sans but lucratif de Brockville, en Ontario. J'ai étudié la gestion de l'alimentation et de la nutrition au Collège de technologie agricole de Kemptville et j'ai une expérience étendue dans le domaine de l'alimentation.

Après avoir lu le rapport intérimaire du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, il ne fait aucun doute que la pauvreté existe dans les régions rurales du Canada. Qu'allons-nous faire à ce sujet et comment pouvons- nous aider? Loaves and Fishes a débuté comme le rêve de deux personnes qui voyaient la nécessité de simplement nourrir les gens dans le besoin. Nous avons ouvert nos portes en avril 1999 et avons commencé à servir un souper trois jours par semaine, pour nourrir 20 à 30 personnes par jour. Il y a trois ans, nous avons commencé à ouvrir nos portes cinq jours par semaine, du lundi au vendredi, de 16 heures à 18 h 30, et nous offrons le repas à quelque 80 à 90 personnes en moyenne par jour, ce qui équivaut à plus de 70 000 repas par année.

Nous avons deux employés rémunérés, un administrateur, un cuisinier, une base de bénévoles d'environ 300 personnes et un conseil d'administration. Le but du restaurant est d'offrir des repas nutritifs aux personnes et aux familles à faible revenu au coût de 1 $ par personne, et gratuitement pour les enfants de moins de 10 ans. Personne n'est refusé.

Chez Loaves and Fishes, nous sommes conscients que sans les bienfaits d'un régime alimentaire bien équilibré, la maladie chronique et la mauvaise santé guettent les gens. Nous nous efforçons de fournir à nos clients des repas nutritifs équilibrés, en nous assurant que tous les groupes alimentaires sont représentés. Les repas comprennent une soupe, une salade, un mets principal, un dessert, un jus, du lait et du thé ou du café.

Nos clients appartiennent à de nombreux groupes sociaux, par exemple, des familles, des chefs de famille monoparentale, des sans-emploi, des personnes ayant une toxicomanie, des veuves, des veufs, des personnes âgées, des étudiants, des personnes aux prises avec la maladie mentale et des travailleurs à faible revenu. Les familles comptant un ou deux parents qui travaillent au salaire minimum ou ayant plus d'un emploi à temps partiel, les personnes qui n'ont pas les connaissances nécessaires pour suivre les instructions culinaires de base et les personnes âgées qui vivent seules et trouvent difficile de préparer un repas nutritif. Certaines personnes n'ont peut-être pas ce qu'il faut pour préparer un repas parce que, par exemple, elles vivent dans une maison de pension. Le repas pris chez Loaves and Fishes peut être le seul repas que certaines personnes ont eu au cours de la journée.

Au cours des six dernières années, nous avons constaté que de plus en plus de familles ayant des enfants viennent manger chez Loaves and Fishes. Il n'est pas rare que des enfants viennent seuls. Au début, nous trouvions cette situation étrange, mais nous n'avons pas tardé à comprendre que ces enfants étaient peut-être seuls à la maison jusqu'au retour de leur mère ou de leur père après le travail. J'étais chef de famille monoparentale et j'avais quatre enfants; je me demande aujourd'hui si j'aurais pu utiliser un tel endroit lorsque mes enfants étaient plus jeunes. Certains clients réguliers se joignent à nous pour souper tous les soirs et restent pour socialiser avec les invités. Loaves and Fishes ne sert pas uniquement à nourrir les gens dans le besoin, mais sert également à développer un réseau social pour les gens qui ont peu de contacts avec le monde extérieur.

De nombreuses écoles de Brockville ont joint leurs efforts à ceux de Loaves and Fishes pour recueillir des fonds et participer à des campagnes de collecte d'aliments. Les élèves ont visité le restaurant et pris un repas. Certains enfants sont revenus avec leurs parents pour le souper dans la soirée. Loaves and Fishes n'est pas seulement un endroit pour manger, mais c'est également un milieu social et compatissant. Loaves and Fishes est fondé sur la conviction qu'en partageant le pain, on bâtit une communauté où les barrières entre les gens s'estompent, où la dignité et le respect fleurissent, où le service et l'acceptation créent l'unité et où la chaleur et la compréhension règnent en maîtres. Nous ne recevons pas un sou du gouvernement et dépendons de la collectivité pour nous aider dans notre mission. La communauté ne nous laisse pas tomber. Merci du privilège de pouvoir parler au comité.

Dianne Oickle, diététiste et hygiéniste alimentaire publique, Circonscription sanitaire du district de Leeds, Grenville et Lanark : Je veux saisir cette occasion pour remercier le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de tenir ces audiences. Il est merveilleux que vous soyez venus dans une petite ville comme Athens, en Ontario, pour savoir directement ce qui se passe dans une région locale.

J'ai le privilège de travailler avec les deux organismes qui siègent avec moi à cette table. Tout comme le CSCCR, je tiens, moi aussi, à féliciter le comité de son rapport intérimaire paru en décembre 2006. Il est merveilleux et reflète fidèlement les préoccupations en matière de santé soulevées par la pauvreté rurale. Il me sera très utile dans mon travail.

Je suis fière d'être ici pour représenter la Circonscription sanitaire du district de Leeds, Grenville et Lanark. Nous sommes l'organisme de santé publique responsable des programmes de santé publique des trois comtés de Leeds, Grenville et Lanark. Sur le plan géographique, la région est très étendue. Pour se rendre du point le plus au nord jusqu'au point le plus à l'est, il faut faire plus de trois heures de route. La population est de plus de 156 000 habitants. Il y a des préoccupations très importantes concernant la distribution des services dans une région rurale aussi étendue.

Je suis diététiste et une grande partie de mon travail porte sur le domaine de la sécurité alimentaire et des déterminants sociaux de la santé. Je veux traiter de certains points qui ont été soulevés dans le rapport intérimaire et indiquer comment ils s'appliquent localement, pour donner un portrait de notre santé locale. Nous savons tous que le fait de vivre dans la pauvreté augmente directement la probabilité d'avoir une maladie chronique et une mauvaise santé.

Lorsqu'il s'agit de la situation socioéconomique, le bien-être économique d'une collectivité, la proportion des gens qui vivent sous le seuil de la pauvreté, en particulier, influe grandement sur la santé et les préoccupations connexes de tous les résidents. Dans notre région des trois comtés de Leeds, Grenville et Lanark, nous avons cinq collectivités distinctes ayant un niveau de pauvreté plus élevé que la moyenne provinciale de 14,4 p. 100. Ces collectivités sont de petite taille, ayant une population inférieure à 10 000 habitants, ce qui correspond à la définition de « collectivité rurale ».

De plus, un certain nombre de groupes de populations sont affligés d'une pauvreté extrême. Certaines petites collectivités comptent plus de 25 p. 100 de leur population vivant sous le seuil du revenu faible — c'est le quart de la population. Dans certains groupes, la pauvreté est étalée, alors il est souvent difficile d'avoir une image exacte de la situation. L'insécurité alimentaire est définie comme le fait qu'une personne ou une famille a un accès limité à une alimentation suffisante pour se garder en santé. Dans les comtés de Leeds, Grenville et Lanark, nous avons des familles à risque d'insécurité alimentaire et qui risquent de ne pas avoir accès à des services de santé. On constate des taux élevés de faible scolarité et de chômage et une proportion élevée de familles monoparentales — près de 13 p. 100 de la population. De ces familles, 44 p. 100 vivent dans une situation de faible revenu, comparativement à un faible pourcentage pour les familles biparentales. Cela démontre l'importance d'avoir un revenu approprié.

Concernant précisément la question de l'insécurité alimentaire, près de 14 p. 100 de la population totale ne consomme pas la qualité ou la variété d'aliments qu'elle aimerait consommer à cause du manque d'argent. Dans ce domaine, de nombreuses personnes n'ont tout simplement pas suffisamment à manger quotidiennement. Au fur et à mesure que le degré d'insécurité alimentaire augmente, les apports alimentaires souffrent de plus en plus. Par exemple, la consommation des fruits et légumes est la plus faible chez les hommes et les femmes qui vivent avec un faible revenu. Des compromis sont faits dans les apports alimentaires en termes de qualité nutritive, ce qui peut accroître grandement la probabilité de maladie chronique chez une personne et compromettre la santé quotidienne pour lutter contre les rhumes et les virus et maintenir une énergie suffisante pour passer à travers une journée. Toutes ces choses sont affectées quotidiennement par l'apport alimentaire.

Le coût de la vie contribue au degré d'insécurité alimentaire d'une famille. Le logement est considéré comme non abordable lorsque le coût du logement est supérieur à 30 p. 100 du budget familial. Dans la région des trois comtés, 80 p. 100 des familles à faible revenu consacrent plus de 30 p. 100 de leur budget au logement en raison de l'absence de logements abordables dans les régions rurales. Il s'ensuit qu'il reste moins d'argent pour s'occuper des besoins de santé fondamentaux et pour payer les aliments.

Le coût de la vie est à hausse. Les données sur le panier à provisions nutritif que nous recueillons annuellement reflètent une augmentation de 19 p. 100 des coûts des aliments au niveau local au cours des neuf dernières années. Bien qu'une bonne partie de cette augmentation puisse être attribuée aux fluctuations économiques normales comme l'inflation, il est intéressant de noter que d'autres facteurs qui participent au coût de la vie ont également augmenté, comme l'essence, le chauffage et l'électricité. Cependant, le revenu des gens n'a pas augmenté proportionnellement. Cette situation se traduit par le fait qu'il y a moins d'argent pour les aliments et les besoins de santé. La capacité d'une famille vivant en milieu rural d'obtenir suffisamment d'aliments pour manger peut être affectée par un faible revenu, une mauvaise santé, une invalidité, l'absence de transport, l'accès à une épicerie abordable et l'absence d'un emploi stable et l'absence de sécurité, toutes des questions traitées par le CSCCR.

Les comtés de Leeds, Grenville et Lanark présentent des taux plus élevés de maladies chroniques graves, comme le cancer, les maladies cardiaques et l'obésité. La faible consommation de fruits et légumes par la population locale contribue à ce problème. Moins de 38 p. 100 de nos adultes consomment un minimum de cinq portions de fruits et légumes par jour. La recherche montre qu'une faible consommation de fruits et légumes augmente le risque de cancer. En plus de ce risque, les personnes qui consomment moins de fruits et légumes ont plus de chances d'avoir des problèmes de santé, un indice de masse corporelle plus élevé et un mode de vie qui est moins sain.

Les enfants constituent le groupe le plus à risque en raison des effets de la pauvreté rurale sur la santé. Dans les comtés de Leeds, Grenville et Lanark, près de 12 p. 100 de nos enfants vivent dans une situation de faible revenu, ce qui correspond à 4 200 enfants. Nous savons que lorsque les enfants ont suffisamment à manger, cela réduit la probabilité qu'ils aient des problèmes de santé mentale, des problèmes sociaux et des problèmes émotifs. Toutefois, les enfants constituent le groupe d'utilisateurs des banques d'aliments locales qui augmente le plus rapidement au Canada, ce qui est un fait bien connu de nos fournisseurs locaux d'aliments d'urgence.

Il est bien connu qu'une saine alimentation et qu'une saine activité vont de pair lorsqu'on parle de poids sain pendant l'enfance. Dans les régions rurales comme la nôtre, il y a de nombreux obstacles qui empêchent les familles d'avoir accès à des activités récréatives, que ce soit pour les adultes ou pour les enfants, comme l'absence de transport, les frais de participation élevés, le coût de l'équipement et le manque de sensibilisation.

Les enfants qui vivent en situation de faible revenu ont plus de chances d'avoir des maladies comme le rhume et les otites, et il est moins probable qu'ils se rendent à l'urgence pour recevoir un traitement à cause de l'absence de transport.

Le niveau de revenu des familles détermine ce qu'elles peuvent s'offrir et, en conséquence, les choix qu'elles peuvent faire concernant la façon d'élever leurs enfants. Les familles qui vivent dans les régions rurales dépensent une proportion plus élevée de leur revenu sur des biens et services comme le transport, ce qui leur laisse moins d'argent à la fin du mois pour les aliments.

En terminant, j'aimerais attirer l'attention des sénateurs sur deux éléments que je leur ai distribués : un rapport qui est un résumé administratif d'une évaluation de la sécurité alimentaire préparée par notre circonscription sanitaire en 2006. De plus, j'ai laissé à tout le monde un signet parce que l'alphabétisation est tellement importante et surtout, parce qu'il porte l'adresse du site web de notre circonscription sanitaire. Sur ce site, vous pourrez trouver nos rapports de situation en santé communautaire et des données statistiques plus précises sur les groupes à haut risque dans cette région, si jamais vous décidiez d'en savoir davantage sur cette question.

Merci du privilège que j'ai eu de pouvoir être ici aujourd'hui.

La présidente : Merci, madame Oickle. Je suis heureuse que vous parliez d'alphabétisation parce que cette question semble être présente dans tous les problèmes et c'est une question qui me préoccupe beaucoup.

Mme Oickle : C'est un des déterminants de la santé.

La présidente : L'alphabétisation a été au centre de ma vie à titre de sénateur.

Le sénateur Segal : Je tiens à remercier nos témoins d'avoir accepté de délaisser leur travail si important pour venir ici aujourd'hui nous brosser un tableau de leur réalité. Je suis certain que j'exprime le point de vue de tous les membres du comité, sans égard à l'affiliation politique, lorsque je vous remercie du travail que vous faites tous les jours pour améliorer la vie des gens qui passent des moments difficiles. Le but de l'ordre de renvoi qui a été confié au comité était de faire une étude détaillée de la pauvreté rurale, de comprendre quels sont les déterminants et d'élaborer des recommandations solides sur ce que peut faire le gouvernement pour faire une différence relativement rapidement d'une manière qui compte.

Je vais me concentrer sur deux parties des témoignages que nous avons entendus ce matin. Le premier était le côté nutritionnel, auquel quelques-unes d'entre vous avez fait allusion. Nous sommes ici à entendre que des concitoyens ontariens et des concitoyens canadiens n'ont pas suffisamment à manger. Nos écoutons cela comme s'il s'agissait d'un bulletin météo. Pourtant, la vérité, c'est que nous sommes au centre de certaines des meilleures et des plus riches fermes, grands pâturages et installations laitières du monde. Il est clair que nous avons un problème de distribution et un problème d'équité.

Madame Oickle, quel changement important unique le gouvernement pourrait-il apporter qui aurait les répercussions les plus visibles et les plus rapides sur les clients que vous desservez? Je vous mets dans la situation d'un politicien qui doit faire des choix à l'occasion.

Mme Oickle : Nous avons tous de nombreuses idées, mais je ne suis pas certaine dans quelle mesure la mienne peut être faisable rapidement, et je ne suis pas certaine comment vous y arriveriez.

Ce que j'entends le plus souvent quand je travaille avec les familles qui vivent dans la pauvreté et se battent pour avoir de quoi manger, c'est que les aliments les moins sains sont aussi les moins chers et que les aliments les plus sains sont les plus chers. Qu'il s'agisse des produits locaux, que nous voulons indéniablement privilégier, ou de produits et d'aliments qui nous viennent d'ailleurs, les aliments riches en calories, mais pauvres en valeur nutritive sont ceux qui coûtent le moins cher. Par nécessité, ces familles consomment beaucoup de ces produits et moins de fruits et de légumes, comme je l'ai mentionné.

Mon grand rêve serait de rendre ces choix plus sains abordables pour les familles quel que soit leur revenu. Je ne sais pas trop quelle est la meilleure façon d'y arriver : faut-il subventionner ces aliments, donner plus d'argent aux familles ou revoir nos politiques sur la distribution pour que les produits locaux coûtent moins cher aux collectivités locales? Je ne sais pas quelle est la meilleure solution, mais il faut rendre les aliments sains moins coûteux ou à tout le moins plus abordables pour que les gens puissent les acheter, plutôt que des aliments à faible valeur nutritive.

Mme MacLatchie : D'après ce que me disent les femmes de la collectivité, il est extrêmement difficile de trouver un emploi dans la région, et c'est l'une des grandes batailles de bon nombre d'entre elles. Elles occupent de petits emplois, pour lesquels elles reçoivent moins que le salaire minimum, ce qui ne couvre pas leurs dépenses. C'est à peine suffisant afin de payer l'essence pour se rendre au travail, mais elles sont assez désespérées pour aller travailler.

J'aime les partenariats, entre les agriculteurs et des organismes comme les centres de santé, entre autres. On pourrait offrir des fonds de démarrage pour favoriser le développement économique de la collectivité. Si les femmes qui se cherchent du travail n'ont pas les compétences nécessaires, peut-être pourraient-elles les trouver dans un centre de santé communautaire. Nous avons des travailleurs sociaux, des administrateurs et des comptables. Il y a de petits entrepreneurs aux alentours qui comprennent comment élaborer un plan d'entreprise. Peut-être que l'on pourrait obtenir des résultats si l'on faisait un petit effort communautaire en ce sens. Je pense que le développement économique de la collectivité fait parfois défaut en raison du manque de compétences chez les personnes qui veulent ces emplois.

J'ai essayé de les aider en leur disant qu'il pourrait y avoir d'autres organismes pouvant travailler en partenariat avec eux.

Le sénateur Segal : Votre organisme entretient-il des liens constants avec les administrations locales du bien-être social et les services sociaux?

Mme MacLatchie : Pas à ce que je sache. Je siège au conseil d'administration, mais je suis certaine que les intervenants de première ligne sont en contact avec le ministère. Cela se fait au niveau municipal, à Brockville. J'entends parler de l'incidence du bien-être social sur la vie des femmes, mais je n'en sais pas beaucoup sur les liens qui existent.

Mme Oickle : Il est bien certain que sur le plan de la santé publique, surtout en première ligne, nous avons des relations de travail constantes avec les services sociaux et les travailleurs sociaux d'Ontario au travail. Nous partageons les mêmes clients. Nos infirmières en santé publique travaillent en étroite collaboration avec les travailleurs sociaux afin d'aider les familles et d'offrir des services aux enfants et aux familles dans les diverses parties de l'Ontario. Cela se fait surtout en première ligne.

Le sénateur Segal : Madame Bergman et madame Selkirk, parmi vos clients, combien y en a-t-il qui viennent de foyers où le revenu agricole classique est encore primordial? Votre clientèle va-t-elle bien au-delà de l'agriculture et se compose-t-elle de personnes qui sont là parce qu'elles travaillaient dans une usine jusqu'à ce qu'elle ferme ou qu'elles vivent dans les banlieues-dortoirs de Brockville? Comment se compose votre clientèle, d'après ce que vous voyez?

Mme Selkirk : Le problème des clients de Loaves and Fishes est surtout le chômage. Nous n'avons pas tellement de clients qui vivent de l'agriculture rurale. Nos clients viennent surtout de la ville.

Mme Bergman : Notre clientèle est diversifiée, mais depuis que je travaille dans cette collectivité rurale, soit depuis un an et demi, je vois que bon nombre de nos clients sont là depuis des générations. Leurs familles sont là depuis des générations. On voit toujours les mêmes noms revenir. Ils ne sont pas toujours directement liés, mais ils sont là depuis assez longtemps. Sans donner de pourcentage, une grande partie de notre clientèle est là depuis des générations et se compose probablement d'agriculteurs qui ne font plus d'agriculture, mais qui ont commencé de cette façon.

Le sénateur Segal : J'aimerais savoir comment vos organismes sont financés. Je présume que l'unité de santé est financée par un quelconque gouvernement.

Mme Oickle : Il y a du financement municipal et du financement provincial.

Le sénateur Segal : Recevez-vous des dons?

Mme Selkirk : Nous recevons des dons en argent et en nourriture.

Le sénateur Segal : Les églises du coin participent-elles aussi?

Mme Selkirk : Oui, toutes les églises participent en donnant de l'argent et de la nourriture. Nos épiceries locales nous fournissent de la nourriture, et nous recevons des dons personnels. Nous dépendons totalement des dons.

Mme MacLatchie : Les centres de santé communautaire sont financés par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée, et il y a le nouveau système. À partir du 1er avril, notre financement ira aux administrations locales.

Le sénateur Mercer : C'est intéressant. Il y a des mots et des phrases qui reviennent constamment dans nos audiences partout au pays : la garde des enfants, le transport, l'alphabétisation et l'emploi sont des thèmes communs à la plupart des collectivités que nous avons visitées.

Pour la garde des enfants, le gouvernement actuel a mis en place un programme par lequel il donne 100 $ par mois par enfant aux familles admissibles. Cet argent a-t-il un effet dans la collectivité? A-t-il fait augmenter le nombre de places en garderie dans la collectivité, à votre connaissance?

Mme Bergman : Pour l'instant, je dirais qu'il ne change rien. Il manque de services de garderie professionnels subventionnés par le gouvernement dans la région. Les gens utilisent les services de gardiennes à la maison, entre autres, mais elles ne répondent pas nécessairement aux critères exigés pour être subventionnées. Je dirais que cet argent n'a rien changé d'après ce que je peux voir comme travailleuse dans ces collectivités.

Le sénateur Mercer : Vous recommandez qu'on modifie le régime de l'assurance-emploi en diminuant le nombre de semaines nécessaire pour être admissible. La même question se pose au Canada atlantique en raison de la nature saisonnière de la pêche et du tourisme. Vous parlez donc de diminuer le nombre de semaines exigé, mais avez-vous un chiffre en tête? À votre avis, combien de semaines seraient réalistes pour qu'une personne soit admissible à l'AE?

Mme MacLatchie : Je n'en suis pas certaine. Je peux constater les effets de la pénurie d'emplois et ce qu'il advient des gens qui essaient de vivre 12 mois par année de ce qu'ils gagnent pendant l'été. Je suis désolée, mais je n'ai aucune idée du nombre de semaines qu'on devrait exiger.

Le sénateur Mercer : Comme je le dis toujours en ce qui concerne ce comité, nous n'avons pas de difficulté à trouver les problèmes, mais les solutions à ces problèmes nous donnent bien du fil à retordre.

Mme Bergman : J'ajouterais que dans notre région, beaucoup d'emplois saisonniers viennent du tourisme et des affaires que font les propriétaires de chalets. Ce travail ne représente pas six mois d'emploi à 40 heures par semaine. Bien souvent, il ne s'agit que d'un emploi à temps partiel qui ne dure que quatre mois. Il est difficile de dire combien de semaines il faudrait pour être admissible. Je sais que vous avez besoin qu'on vous fasse des propositions, mais la période d'admissibilité doit tenir compte de la réalité; il faudrait peut-être concevoir un système pour les collectivités rurales seulement. Je ne voudrais pas nécessairement favoriser cette solution, mais c'est certainement la façon dont nous sommes touchés.

Le sénateur Mercer : S'il y a un mot que les bureaucrates n'aiment pas, c'est bien le mot « souple », mais c'est ce qu'il faut pour que l'AE fonctionne en région rurale.

J'ai une question sur Loaves and Fishes. D'abord, vous faites un travail absolument fabuleux. Il est si important d'offrir un tel service dans une collectivité. Vous avez dit servir entre 80 et 90 personnes par jour. C'est beaucoup, et je vous félicite de cet accomplissement. Il est important de souligner, pour le compte rendu, qu'il n'y a aucun sou du gouvernement qui finance ce service et que tout le crédit en revient à la collectivité.

Pouvez-vous me donner une idée de l'âge de vos clients? Je pense que Mme Oickle a mentionné que les enfants constituaient le groupe de clients des banques alimentaires qui grossit le plus rapidement. Décrivez-moi la clientèle de Loaves and Fishes par tranche d'âge. J'aimerais tout particulièrement savoir combien de personnes âgées et d'enfants utilisent ce service.

Mme Selkirk : Un soir moyen, nous recevons de 10 à 15 enfants de moins de 10 ans. Cela ne comprend pas les enfants de plus de 10 ans ni les jeunes adolescents, qui viennent parfois seuls avec leurs frères et sœurs. Nous recevons de 15 à 20 personnes âgées par soir, environ. Il y a des veuves et des veufs, ainsi que des couples.

Le sénateur Mercer : Loaves and Fishes est situé...

Mme Selkirk : Le service est situé à Brockville, devant la gare de VIA Rail.

Le sénateur Mercer : D'où viennent vos clients? Mme Oickle a dit que la taille de cette collectivité rurale était importante.

Mme Selkirk : Nous avons un client qui vient d'Athens. Je pense que c'est un veuf. Il vient surtout pour l'aspect social. Certains de nos clients font aussi des dons. Ils paieront plus d'un dollar pour leur repas, s'ils le peuvent. Nous avons également des clients qui n'ont même pas un dollar, mais nous ne les refusons pas.

La plupart des gens peuvent venir chez nous à pied, donc ils ont une chambre dans une pension du coin. Nous avons des familles à faible revenu qui vivent dans des logements subventionnés, et elles peuvent venir chez Loaves and Fishes à pied elles aussi.

Le sénateur Mercer : En fin de matinée, nous allons entendre des témoins de Centraide et de l'Armée du Salut. Dans nos voyages, nous avons découvert que les églises font toujours ce qu'elles peuvent. Dans les collectivités rurales, Centraide semble parfois invisible. Les campagnes de levées de fonds se concentrent autour des villes, comme Brockville et Gananoque dans la région, et les services ne semblent pas sortir des limites des villes. Est-ce le cas ici?

Mme Selkirk : Nous ne recevons pas de financement de Centraide. Je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question. Nous demandons des subventions de différentes fiducies ou de l'association communautaire de Brockville, qui nous donne des subventions pour nous acheter du matériel. Je ne sais pas si c'est ce que vous vouliez savoir.

Le sénateur Mercer : Pouvez-vous constater la présence de Centraide dans les deux villes les plus grandes?

Mme Bergman : Notre collectivité rurale manque de services à tous les égards. Les gens doivent se déplacer pour tout. Il y a quelques activités récréatives chez nous, mais la plupart des activités pour les enfants exigent des déplacements. Ils doivent également se déplacer pour voir leur travailleur social. Certains services essayent de se faire connaître dans la collectivité, dans un bureau quelques heures par semaine, par exemple. En général, nous souffrons d'un manque de services ou il n'y a aucun service local du tout.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie du travail que vous faites.

Madame MacLatchie, j'aimerais vous interroger sur l'une des recommandations que vous avez faites afin qu'on augmente le financement pour le développement économique. Vous avez parlé du groupe de femmes qui cherche un moyen d'établir de petites entreprises.

En 2003, j'ai participé à un groupe de travail sur la façon de faire participer davantage les femmes aux entreprises et d'aider les entrepreneures en affaires. Nous avons entendu à quelques reprises qu'il faudrait offrir du microcrédit, soit par la Banque de développement du Canada, soit par un autre organisme responsable. Il y a tellement de cas où des femmes ont besoin d'une petite somme pour faire démarrer une entreprise et l'exploiter.

Dans ma province, à l'Île-du-Prince-Édouard, comme dans chacune des quatre provinces de l'Atlantique, l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, l'APECA, met du financement à la disposition des organisations d'entrepreneures sous la forme de programmes et de petites sommes depuis quelques années. Le nombre d'entrepreneures qui réussissent en affaires a augmenté radicalement. Les femmes sont bonnes pour diriger de petites entreprises.

Croyez-vous nécessaire d'offrir une forme quelconque de microcrédit à l'intention des femmes?

Mme MacLatchie : Ce serait une solution pour le petit groupe de femmes dont je vous parlais. Plusieurs font de l'artisanat et l'une d'entre elles est une excellente pâtissière. Elles pourraient miser sur ces compétences pour créer une petite entreprise. Elles ne disposent toutefois pas des fonds nécessaires à cette fin.

Le sénateur Callbeck : C'est exact. Dans bien des cas, il suffit de 1 000 $ ou 2 000 $, mais ces femmes n'ont tout simplement pas accès à de telles sommes.

Mme MacLatchie : En tout cas, pas jusqu'à maintenant.

Le sénateur Callbeck : Madame Selkirk, j'ai quelques questions au sujet de votre projet. Selon la documentation, il y aurait huit églises dans la région. Vous avez indiqué que les églises jouent un grand rôle dans votre projet. Dans les différentes régions du pays, notre comité a entendu parler d'une baisse de la fréquentation des églises et de la fermeture de certaines d'entre elles. Est-ce que la même chose se produit dans les comtés de Leeds, Grenville et Lanark? Dans l'affirmative, est-ce que cela a des répercussions sur vos activités? Autrement dit, devient-il de plus en plus difficile au fil des ans de poursuivre le travail?

Mme Selkirk : Il est toujours difficile de continuer. Chaque fois que nous nous retrouvons au bout de nos ressources, il se produit quelque chose pour nous permettre de poursuivre. C'est la même chose avec la nourriture. Nous en sommes à chercher le dernier oignon dans nos réfrigérateurs presque vides lorsque, soudain, quelqu'un nous arrive avec un sac rempli d'oignons. Nous avons la chance de nous en tirer de cette façon.

Les églises nous soutiennent beaucoup et la plupart de nos 300 bénévoles viennent des églises locales. Je ne pourrais pas vous dire où se situe la fréquentation dans les différentes églises. La mienne accueille environ 900 personnes chaque dimanche dans le secteur rural de Brockville.

Les églises nous soutiennent grandement dans tous les aspects de nos activités. Sans les églises et les bénévoles, il serait très difficile pour nous de continuer notre travail.

Le sénateur Callbeck : Est-ce plus difficile maintenant que ce ne l'était il y a cinq ans?

Mme Selkirk : Je suis avec Loaves and Fishes depuis peu, mais j'ai vu des statistiques et des documents faisant état de sa croissance. Nous avons besoin de plus d'argent aujourd'hui qu'au départ, parce que nous devons prendre de l'expansion. Je ne sais pas d'où vient notre argent, mais c'est un véritable miracle de le voir arriver.

Le sénateur Callbeck : Madame Oickle, vous avez cité certaines statistiques. Je ne me souviens pas du pourcentage de gens à faible revenu qui utilisent une certaine proportion de ce revenu pour se loger. Pourriez-vous répéter ces chiffres?

Mme Oickle : Les chiffres indiquent que 80 p. 100 des familles à faible revenu dépensent plus de 30 p. 100 de ce revenu pour le logement. On considère que le logement n'est plus abordable lorsqu'on doit y consacrer plus de 30 p. 100 de son revenu. Je voulais faire valoir que la majorité des familles pauvres doivent dépenser une trop forte proportion de leur revenu pour se loger.

Le sénateur Losier-Cool : C'est ma première expérience de travail au sein de ce comité et je dois avouer que je trouve cela très intéressant. Je vous félicite pour votre travail extraordinaire. Je viens d'une région du nord-est du Nouveau- Brunswick où sévissent tous ces problèmes dont vous nous avez parlé : assurance-emploi, alimentation, santé, et autres. J'ai enseigné pendant de nombreuses années dans une école secondaire et j'ai été à même de constater bon nombre de ces problèmes.

J'aimerais obtenir des précisions quant à la santé des femmes. Il y a un an ou deux, le Sénat a effectué une étude approfondie sur la santé mentale. Le comité a visité toutes les régions du pays pour entendre de nombreux témoins parler de questions liées à la santé mentale, y compris celles touchant particulièrement les femmes.

Est-ce que la santé mentale des femmes vivant en région rurale est plus fragile? Je vous pose la même question relativement au cancer du sein. Qu'en est-il de la grossesse chez les adolescentes? J'ai une liste de plusieurs sujets, mais je vais m'arrêter là.

Mme Oickle : Je n'ai pas de statistiques avec moi, mais je peux vous dire que notre service de santé publique reçoit de très nombreuses clientes. Je travaille auprès de nombreuses mères adolescentes, jeunes mères, femmes vivant dans la pauvreté et mères célibataires évoluant au sein de structures familiales variées. Si je me fie aux clientes que je vois, je peux vous dire qu'une grande proportion de ces mères, qu'elles soient adolescentes ou adultes, vivent en milieu rural avec très peu de possibilités de transport. Quand je parle de milieu rural, il s'agit pour certaines de nos clientes d'une route de terre entre la station d'essence et la ville située à une vingtaine de kilomètres. C'est tout ce qu'il y a de plus rural. En plus des risques auxquels elles sont exposées du point de vue de la santé physique, elles risquent davantage d'être victimes d'une situation de violence familiale, par exemple, étant donné qu'elles ne disposent d'aucun moyen de transport pour fuir. Elles sont donc davantage exposées à la violence. Une grande proportion de mes clientes souffrent de dépression à différents degrés et d'autres problèmes de santé mentale. En région rurale, il est difficile d'avoir accès à des services de santé mentale.

Nous avons également un certain nombre de clients souffrant de troubles de l'alimentation qui s'ajoutent à différents problèmes de santé mentale; il leur est aussi difficile d'avoir accès à des services. Une forte proportion de ces gens habitent en milieu rural et ont un revenu faible. Certains occupent une chambre dans une maison ou un édifice quelconque. Je me souviens d'une cliente de 15 ans qui était enceinte. Elle habitait une chambre sans eau courante, sans réfrigérateur ni équipement pour faire la cuisine. Il y avait une toilette au bout du couloir, mais pas d'eau courante. L'ampleur des difficultés peut varier, mais il ne fait aucun doute que la santé mentale est un problème généralisé.

Le sénateur Losier-Cool : Vous avez parlé des mères adolescentes. Est-ce que les adolescentes sont plus nombreuses à choisir de garder leurs bébés?

Mme Oickle : Parfois oui, parfois non. Cela demeure un choix personnel. Il existe des services à leur intention. Je travaille souvent auprès de ces mamans, car c'est comme ça que nous les appelons lorsqu'elles sont enceintes. Quant à savoir ce qu'il advient du bébé, c'est plutôt variable.

Le sénateur Losier-Cool : Diriez-vous que la grossesse chez les adolescentes est plus fréquente qu'il y a dix ans?

Mme Oickle : Je suis ici depuis huit ans, mais je ne connais pas les statistiques. Il y a davantage de mesures de soutien pour les jeunes qui choisissent de garder leur enfant, mais je n'ai pas les chiffres exacts. La grossesse chez les adolescentes n'est pas uniquement attribuable à des relations sexuelles non protégées. Il existe de nombreuses autres raisons, y compris des questions sociétales.

Le sénateur Losier-Cool : Si je pose la question, c'est parce qu'une étude menée au Nouveau-Brunswick il y a cinq ans indiquait une diminution des cas de grossesse chez les adolescentes. Aujourd'hui, les statistiques et les renseignements fournis par le conseil consultatif révèlent que ces chiffres sont à la hausse. Peut-être s'agit-il d'une tendance.

Avez-vous de l'information sur l'incidence du cancer du sein?

Mme Bergman : Je n'ai pas ces statistiques en main. Nous savons que des déterminants sociaux comme le revenu, l'instruction, l'isolement social et le manque de soutien social peuvent influer sur la santé. L'isolement social est un problème dans notre région. Si nous notions un accroissement des problèmes sociaux, je dirais qu'à long terme nous verrions ces chiffres augmenter. Je fonde cette estimation uniquement sur mon expérience et mes connaissances personnelles.

Les femmes qui fréquentent le centre de santé ont accès à des services et à des soutiens sociaux par le truchement de nos programmes et de notre coalition antipauvreté, ce qui fait qu'il est difficile de cerner exactement la situation. Est-ce que ces groupes forment une grande proportion de notre base de clientèle? Absolument pas.

Nous avons une unité s'occupant de dépression. Nous savons qu'il existe des problèmes de santé mentale. La plupart de nos groupes sont formés de femmes, mais certains comptent également des hommes. Je pourrais citer par exemple les problèmes d'emploi. Il est de plus en plus nécessaire que les gens sortent de leur isolement et apportent une contribution plus active.

Le sénateur Losier-Cool : J'ai une dernière question concernant les programmes de soins dentaires. Je me réjouis de cette recommandation en raison de la grande importance de ces soins pour les adolescentes. Nous savons à quel point ces soins sont coûteux et je vais me servir de ces renseignements. Je vais vérifier pour connaître la situation dans ma province à ce chapitre.

Mme Oickle : Si vous voulez des statistiques précises sur l'incidence du cancer du sein et de la grossesse chez les adolescentes, il est fort possible que vous puissiez trouver ces renseignements sur notre site web.

La présidente : Merci pour votre contribution fort intéressante à l'amorce de cette journée. Il s'agit là de questions très délicates. Vous nous avez appris plusieurs choses et nous vous sommes très reconnaissants pour votre travail.

La présidente : Nous passons maintenant à notre prochain groupe de témoins : Judy Baril, directrice administrative, Centraide de Leeds et Grenville; Sandy Prentice, ménagère visiteuse et organisatrice d'ateliers de jeu, Programme d'action communautaire pour les enfants, programme Perth Connections, Services communautaires et de santé de Lanark; Randy Gatza, agent des services communautaires et familiaux, Armée du Salut, Brockville.

Monsieur Gatza, nous écoutons votre exposé.

Randy Gatza, agent des services communautaires et familiaux, Armée du Salut — Brockville : J'ai connu des expériences diverses auprès de gens qui s'adressent à nous pour obtenir de l'aide. Je suis agent de l'Armée du Salut depuis 14 ans et j'ai vécu dans cinq collectivités bien différentes. J'ai été assigné à North Sydney, en Nouvelle-Écosse pendant trois ans; à Amherst, en Nouvelle-Écosse pendant trois autres années; à Dauphin, au Manitoba pendant cinq ans; et à Winnipeg pendant deux ans. L'été dernier, nous avons déménagé à Brockville. Ces cinq collectivités ont des populations qui varient de moins de 7 000 personnes dans le cas de North Sydney jusqu'à quelque 700 000 pour Winnipeg. J'ai donc connu différents environnements, contextes et cadres démographiques.

Tout au long de ces années, j'ai aidé directement des clients de ces régions qui souhaitaient obtenir un soutien concret. Il est arrivé que des gens nous viennent des collectivités rurales avoisinantes pour demander de l'assistance. Je dirais toutefois que plus de 95 p. 100 de nos clients proviennent du voisinage immédiat de la ville que nous desservons.

J'ai eu connaissance de certains des problèmes qui se posent en milieu rural grâce aux quelques clients provenant de ces régions. Le transport est toujours problématique. Récemment, quelqu'un est venu nous voir au volant d'une vieille camionnette fort mal en point, un véhicule très coûteux à garder sur la route.

Je constate que les gens des milieux ruraux qui devraient s'adresser à nous ne le font pas, ce qui est principalement attribuable à une question de fierté. Ces gens ont sans doute grandi dans une collectivité rurale où ils vivaient de la terre, pour ainsi dire, dans le cas des agriculteurs, et ils souhaitent conserver leur indépendance. Cependant, les choses ont changé au fil des ans.

Certains ne s'adressent pas à nous pour les services que nous offrons habituellement, comme l'aide alimentaire, mais ont des demandes qui sortent de l'ordinaire. Par exemple, j'ai accueilli récemment un homme de Delta, en Ontario. Sous l'effet du gel, les tuyaux de sa résidence se brisaient. Il n'avait qu'un revenu très limité. Il devait se rendre à l'hôpital pour un problème quelconque. J'ai pu constater à quel point il était perturbé lorsqu'il s'est adressé à nous. Je lui ai indiqué comment il pouvait obtenir l'aide dont je croyais qu'il avait besoin. Il s'est mis en colère et a jeté par terre la feuille que je lui tendais. Il a commencé à hausser le ton et à blasphémer. J'ai décidé de l'écouter un moment pour cerner son véritable problème. Il ne demandait pas grand-chose : quelques chaufferettes électriques pour sa maison. Une restriction l'empêchait de placer un poêle à bois dans cette résidence qu'il louait d'un parent. Rien ne jouait en sa faveur. Je comprenais bien que si rien n'était fait pour aider cet homme, la crise allait éclater : il pouvait se suicider ou causer des torts à quelqu'un d'autre. Il était devenu agressif à ce point. J'ai réussi à lui parler un peu jusqu'à ce qu'il se calme.

Après avoir tiré ses besoins au clair, nous avons acheté quelques chaufferettes et je lui ai donné des denrées de notre banque alimentaire, même s'il n'en avait pas fait la demande. C'est moi qui lui ai offert ces aliments. Cette aide lui a permis de s'en tirer et je n'ai jamais revu cet homme. C'est le genre de situation qui peut survenir lorsque nous accueillons des personnes des milieux ruraux. On peut les voir une fois ou deux, puis plus jamais. En général, ces personnes ne s'adressent pas à nous, et ce n'est pas parce qu'elles n'en n'ont pas besoin. Le besoin existe de toute évidence mais, comme je l'ai indiqué, il y a la fierté de demeurer indépendant.

J'ai grandi dans une communauté rurale du Cap-Breton, ce qui me permet de mieux comprendre le contexte. Dans ma famille, nous n'avons jamais manqué de rien. C'est le chef de famille, mon père, qui subvenait à nos besoins grâce à son travail dans les mines de charbon. Dans les collectivités rurales d'aujourd'hui, les gens sont de plus en plus nombreux à vivre dans la pauvreté. À mon avis, ces gens sont aussi de plus en plus éparpillés. J'en conclus que les générations futures en viendront à déménager dans des collectivités plus peuplées où ils auront accès à davantage d'aide et à un réseau social mieux établi. Je crains fort que bon nombre de collectivités rurales ne deviennent ainsi rien d'autre que des villages fantômes. Les gens en viendront à se regrouper dans des villes plus peuplées où ce réseau social leur permettra d'avoir accès à un soutien à la fois pratique, financier et, sans doute, affectif.

La présidente : C'est une perspective nouvelle que l'on ne nous a pas présentée auparavant. Quand on pense aux éléments qui nous ont été signalés dans les différentes régions du pays, la situation est probablement semblable un peu partout.

Judy Baril, directrice administrative, Centraide de Leeds et Grenville : Je vous remercie d'avoir invité Centraide de Leeds et Grenville à participer à cette séance pour parler de la pauvreté dans notre secteur. Depuis 26 mois, nous participons à un projet intitulé Community Matters. Grâce notamment à la Fondation Trillium de l'Ontario, ce projet a permis de financer les activités de 17 petits groupes Centraide de la province, le nôtre agissant comme chef de file. Ce financement nous a permis de réaliser des choses exceptionnelles. L'aide apportée par chacun des 17 groupes Centraide auprès de sa population rurale au cours des 26 derniers mois a permis de dégager certaines tendances dans la province. Ceux parmi nous qui desservons nos collectivités depuis de nombreuses années n'ont pas été surpris de constater les problèmes exigeant une intervention qui ont été mis au jour.

Le projet Community Matters a été structuré en quatre phases. Au cours des trois premières, on a tenu des échanges avec les communautés, on a effectué des sondages et on a organisé des séances de discussion ouverte dans toutes les sous-régions des comtés unis. Nous avons demandé à des centaines de résidants qui ont assisté à nos réunions quelles étaient les particularités de leur communauté respective, quels défis se posaient à elle, quel changement serait bénéfique dans leur communauté et quelle était leur vision pour les trois à cinq prochaines années. Nos échanges nous ont amenés à côtoyer des personnes de tous les milieux : jeunes et vieux, employés et sans emploi, riches et pauvres. Ce que nous avons constaté était à la fois prévisible et surprenant.

Nous avons appris que les habitants de Leeds et Grenville avaient huit grandes préoccupations. Ce sont, dans l'ordre, les enfants et les jeunes, les transports, la pauvreté, le développement économique, l'emploi, les communications, l'accès aux soins de santé et les personnes âgées. Les enjeux cernés par les 17 organismes Centraide-United Way qui représentent les collectivités rurales sont les mêmes que ceux définis par notre organisme. On s'attendait à ce qu'une région diffère de la nôtre en raison de certaines particularités régionales. Par exemple, dans le nord, une importante pauvreté a été décelée chez les communautés de Premières nations.

Les pauvres en milieu rural font face à bon nombre de contraintes socioéconomiques, dont le manque de biens comme des logements abordables ou satisfaisants, le manque d'accès aux services, l'absence ou la disponibilité sporadique des technologies et des marchés, et l'absence de compétences et d'organisations. Bon nombre des problèmes sont attribuables à la pauvreté. La question de la pauvreté, qui est passée au troisième rang après nos consultations, comporte de multiples facettes.

Il y a notamment le manque de logements abordables ou satisfaisants, problème relevé dans toutes les régions. Les familles, les familles monoparentales et les individus nous ont confié qu'ils avaient beaucoup de difficultés à trouver un logement qui leur permette de vivre dans la communauté de leur choix tout en ayant les ressources nécessaires pour subvenir aux autres nécessités de leur famille, comme l'alimentation, l'électricité, le chauffage, les soins personnels et les possibilités de loisirs. Ces gens se trouvent pris au piège. Ils vivent là où ils ne peuvent se permettre de vivre, ce qui, jour après jour, les enfonce encore plus profondément dans l'endettement, et ils vivent dans des maisons que personne d'entre nous ne jugerait acceptables. Le manque de logements abordables enferme les gens dans la pauvreté et, si rien n'est fait, ils vont y rester.

La qualité et le coût du logement dans les grands centres ont connu une nette amélioration, mais l'accès à des logements abordables est un problème important pour bon nombre de résidants en milieu rural parce que les salaires, même pour ceux qui travaillent à temps plein ou plus, sont insuffisants.

Partout où nous sommes allés, on nous a parlé de la nécessité d'avoir de meilleurs emplois, des emplois mieux rémunérés et des emplois au-dessus du salaire minimum. Bon nombre d'adultes, qui travaillent au salaire minimum, sont forcés d'avoir un deuxième ou même un troisième emploi pour joindre les deux bouts.

Les échanges les plus difficiles ont probablement été avec les enfants et les jeunes. Nos travaux nous ont amenés dans 21 écoles, secondaires et primaires, dans l'ensemble du secteur, où nous avons eu des échanges avec plus de 1 200 jeunes de 12 à 19 ans. Leurs demandes et leurs besoins étaient différents de ceux exprimés par les adultes, mais bon nombre étaient directement liés à la pauvreté. Les étudiants déploraient le manque d'aliments abordables et bons pour la santé offerts dans les cafétérias des écoles. Ils ont demandé que l'on abaisse l'âge requis pour conduire ou que des autobus et des taxis soient disponibles dans les secteurs ruraux. Les élèves en milieu rural ont mentionné que les banques alimentaires étaient souvent trop loin pour qu'on y ait accès.

Des jeunes d'à peine 12 et 13 ans souhaitent avoir un emploi. Les enfants et les jeunes déplorent que les activités et les divertissements soient trop coûteux. C'est le cas notamment du hockey et des programmes de conditionnement physique. Les élèves plus âgés des écoles secondaires se préoccupent davantage des frais de scolarité et des frais de subsistance liés aux études postsecondaires. Une majorité d'élèves ont parlé du prix de l'essence lorsqu'ils ont abordé le problème de transport. Même s'ils s'intéressent à des programmes, ils ne peuvent y participer, compte tenu du coût supplémentaire du transport. Les élèves ont mentionné que le coût de la carte d'étudiant dans les écoles secondaires augmentait, ce qui les empêchait de participer à des activités et des programmes parascolaires.

L'éducation s'est améliorée mais, comme ils n'ont pas de possibilités d'emplois intéressants dans leur localité, un grand nombre de jeunes parmi les plus éduqués partent pour la ville où ils souhaitent avoir un style de vie impossible à trouver chez eux. Centraide-United Way s'inquiète de l'exode des cerveaux qui touche l'ensemble de la communauté. Les jeunes ont l'impression qu'il n'y a rien chez eux. Ils veulent plus que ce qu'ils voient ici.

Les jeunes chefs de famille monoparentale en milieu rural nous ont dit qu'ils se sentaient isolés et pris dans un piège. Bon nombre voulaient améliorer leur sort pour leurs enfants, mais leur situation précaire les empêchait de déménager dans une plus grande localité pour continuer leurs études. Bon nombre n'avaient aucun moyen de transport, aucun service d'autobus disponible, aucun accès à des garderies et aucun emploi dans leur communauté respective où ils pourraient rester et gagner leur vie.

Seule la ville leur permet de poursuivre des études, d'obtenir des emplois mieux rémunérés et d'avoir accès à des garderies abordables et subventionnées, mais ces personnes ne peuvent pas y aller. Déménager n'est pas une option parce que les loyers sont beaucoup plus élevés que ce qu'elles paient présentement, d'où le sentiment d'être prises au piège et isolées.

Les personnes âgées vivant en milieu rural sont plus susceptibles d'avoir un accès limité au transport. Celles à mobilité réduite, en particulier celles qui n'ont pas accès à un véhicule privé ou à un transport public quelconque, sont moins portées à quitter leur maison pour vivre des expériences sociales ou faire du bénévolat. Bon nombre nous ont dit que le manque de transport affectait leur vie à bien des égards. Par exemple, un grand nombre ont de la difficulté à se rendre à leurs rendez-vous médicaux, à visiter leur famille et leurs amis, à participer à des activités sociales, et ainsi de suite.

Les moyens de transport permettent d'accéder plus facilement aux villes des régions et aux centres commerciaux, mais privent davantage les économies locales et nuisent à la vitalité des centres des petites villes. En raison du peu de transport en commun, les gens ayant les revenus les moins élevés trouvent difficile de profiter des occasions d'achat ou d'obtenir des emplois qui les aideraient à se tirer d'affaire. Les politiques traditionnelles de développement rural font fi du sentiment d'impuissance et du manque d'espoir qui sont transmis d'une génération à l'autre et ne touchent pas aux causes profondes; elles s'attaquent à des problèmes limités qui ne sont que des symptômes et des conséquences de la maladie sous-jacente qu'est la pauvreté. Et encore, ces politiques touchent aux symptômes et aux conséquences de manière incomplète.

Bien que les programmes traditionnels de développement rural répondent à des besoins valables et pressants et permettent d'améliorer le sort des plus démunis, bien souvent ils contribuent peu ou aucunement à atténuer les causes de la pauvreté. Par conséquent, les plus démunis restent susceptibles de vivre encore en marge de la sécurité. On s'entend de plus en plus pour dire que les ressources consacrées à la réduction de la pauvreté doivent cibler davantage le développement agricole et rural.

Ce qui manque dans les politiques rurales, c'est un effort concerté pour amener les individus et les communautés qui vivent dans la pauvreté à prendre part à leur propre développement économique et social. Ce qui manque, c'est la volonté d'affronter les causes profondes de la pauvreté, qui sont bien souvent issues des divisions sociales passées et présentes qui écartent les pauvres du pouvoir, de l'égalité des chances et, finalement, de l'espoir. La pauvreté est encore largement un phénomène rural. Les gens les plus pauvres à qui nous avons parlé vivent principalement dans des secteurs ruraux. Les responsables de la prestation des services dans les comtés unis doivent s'attaquer à la pauvreté rurale à Leeds et Grenville.

Que peut faire Centraide-United Way pour régler ces problèmes? Nous essayons de nous attaquer aux problèmes que nos jeunes ont cernés, et des progrès sont faits dans de nombreux domaines. De plus, nous travaillons activement à un modèle en vue de régler les nombreux problèmes de transport qui ont été relevés dans Leeds et Grenville. Nous cherchons activement à conclure des partenariats et des ententes de collaboration pour offrir des services aux gens des communautés éloignées, tout particulièrement au chapitre de l'éducation et des loisirs. Nous avons engagé une équipe de ressources dans nos échanges communautaires et nous avons commencé à régler certains problèmes, comme l'absence de services de garde.

Nous en sommes à notre 50e année de service dans notre communauté. Ce sera vraisemblablement l'année la plus importante à cause de l'information que nous avons maintenant sur nos collectivités. Il faudra beaucoup de temps, d'effort et, très probablement, d'argent et de collaboration, mais nous tenons et nous sommes prêts à investir sur tous les plans.

Sandy Prentice, ménagère visiteuse et organisatrice d'ateliers de jeux, Programme d'action communautaire pour les enfants, programme Perth Connections, Services communautaires et de santé de Lanark : Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui. Cette tribune nous donne une excellente occasion de discuter de ce qui se passe dans nos comtés. Je vis dans la région de Leeds et Grenville et je travaille dans le comté de Lanark. Mon bureau se trouve à Perth, en Ontario, et je travaille à Perth et dans les secteurs au nord des îles.

Je travaille depuis 13 ans auprès des jeunes familles de la population rurale de la région de Perth. Mes collègues travaillent partout dans le comté de Lanark. J'ai vécu pendant 20 ans dans trois communautés rurales différentes. Mon expérience est à la fois personnelle et professionnelle.

Les familles avec lesquelles je travaille veulent que je sois ici aujourd'hui. Elles croient que c'est merveilleux que des gens se penchent sur cette situation et la prennent au sérieux. Elles ne croient pas pouvoir venir ici parce qu'elles ne reconnaissent pas qu'elles peuvent s'exprimer; elles m'ont donc demandé d'être leur porte-parole. Voilà qui en dit long, et je les entends dire : Je ne peux pas y aller; ce n'est pas ma place; je ne cadre pas dans cet endroit, qu'est-ce que je porterais?

À quoi ressemble la pauvreté? Je travaille avec des familles jeunes, pour la plupart âgées de 15 ans et plus. Les familles se trouvent surtout dans la vingtaine et dans la trentaine. Elles ont toutes de jeunes enfants de moins de six ans. La plupart des femmes avec qui je travaille ont un surplus de poids, sont stressées et souffrent de troubles mentaux. Bon nombre prennent des antidépresseurs et du lithium, souffrent d'anxiété, ont une très faible estime de soi et ont le sentiment d'avoir peu de contrôle sur leur vie.

Je travaille avec des parents seuls, des familles où il y a deux parents, des familles qui travaillent et des familles qui font partie du programme Ontario au travail. Dans presque toutes les familles, quelqu'un est sous médication continue, que ce soit du Prozac, du lithium ou des pompes pour l'asthme. Selon moi, la pauvreté affecte la santé et je le vois tous les jours.

Dans notre région, nous connaissons une pénurie de médecins. Je vais vous raconter quelques histoires personnelles. Elles sont représentatives et ne sont pas le fait de quelques personnes seulement. Il y a une jeune famille avec une enfant de deux ans qui n'a pas de médecin. Le médecin qui a mis le bébé au monde a dit qu'il continuerait à suivre la mère, mais il a ensuite déménagé à 50 kilomètres de distance. La mère et l'enfant ne peuvent pas trouver un médecin dans leur propre région parce que, techniquement, elles en ont un.

Heureusement, le centre de santé communautaire de North Lanark a récemment embauché une infirmière praticienne pour combler un poste vacant depuis longtemps. Aujourd'hui, cette mère peut consulter l'infirmière avec son enfant jusqu'à ce que cette dernière ait six ans. La mère a donc trois ans et demi pour trouver un médecin dans sa région. Cette famille n'a pas de moyen de transport. L'infirmière praticienne n'est qu'à environ 15 à 20 kilomètres de distance, plutôt qu'à 50 kilomètres.

J'ai écouté beaucoup de choses qui ont été dites et j'ai lu le rapport du comité. Je crois que nous parlons à des gens déjà convertis et j'apprécie vraiment le travail qui est fait.

Nous vivons en milieu rural et pourtant, les familles dont je m'occupe manquent souvent de bons aliments. La plupart ont régulièrement recours à la banque alimentaire. J'appelle souvent la banque alimentaire pour voir si une famille peut venir une deuxième fois même si son délai n'est pas écoulé. Lorsqu'elles s'adressent à la banque alimentaire, les familles reçoivent de la nourriture pour environ trois jours. Lorsqu'elles doivent attendre deux semaines avant de recevoir un peu d'argent, ces trois jours ne les amènent pas bien loin.

Les gens ont peu à dire sur ce qu'ils reçoivent de la banque alimentaire, et ce sont souvent des choses qu'ils ne peuvent utiliser, alors ils les ramènent pour que d'autres puissent en profiter.

Le transport est problématique, alors je vais conduire les gens aux banques alimentaires. Pourtant, ce sont les populations rurales qui devraient avoir accès à la nourriture. Je dirai que dans certaines familles, la ruralité a ses avantages, parce qu'elles peuvent obtenir de la viande lorsqu'un membre de la famille a des vaches ou des poules. À l'occasion, les gens vont chasser des écureuils pour se nourrir. Même lorsqu'ils vivent dans la ville ou dans le village de Perth, ils peuvent utiliser à profit ce savoir-faire, au grand dam de la police. Les enfants vont déclarer fièrement : « Voilà mon père. Il est un peu différent des gens de la ville. » Toutefois, c'est de la viande qu'ils peuvent manger.

Les conditions de vie sont atroces. Un grand nombre de personnes en milieu rural vivent dans de vieilles maisons aux prises avec des problèmes de moisissure. Certaines familles ont déménagé. D'autres me disent : « Que puis-je faire? Je me suis plaint et le propriétaire ne fera rien. Je ne peux pas déménager; où irais-je? Je ne pourrais trouver rien de mieux à un loyer équivalent. »

Dans les régions rurales éloignées, on voit des familles élargies s'entasser dans des roulottes de deux chambres. Ce sont les parents, leurs enfants et leurs petits-enfants. Deux sœurs et quelques enfants peuvent partager la même chambre.

Les emplois sont rares. Les gens qui ont un emploi travaillent au Mac's Milk ou au Tim Horton de la localité. Ils font des quarts de travail, y compris les fins de semaine et la nuit, lorsqu'aucun service de garde n'est disponible. Les garderies subventionnées n'existent pas pour ces familles. Nous pouvons obtenir des subventions pour les familles lorsqu'il y a des places, mais il n'y a aucune place pour les gens qui travaillent durant des heures inhabituelles. Les garderies sont ouvertes de 6 heures à 18 heures, ce qui est beaucoup, mais pas assez.

Je travaille auprès des familles qui se trouvent dans le cycle de la pauvreté. L'une d'elles a un enfant de trois ans qui est inscrit sur une liste d'attente depuis un certain temps pour pouvoir fréquenter la garderie deux jours par semaine. Il va commencer l'école en septembre et il a beaucoup de retard. Il reçoit de l'aide à la maison grâce à mon programme, et un peu d'aide du programme de développement de la petite enfance, au niveau du langage. En raison des lacunes de la mère, celle-ci ne peut en faire plus. Cet enfant n'est pas considéré comme étant à risque, alors il n'a pas été pris en charge par les services à l'enfance et à la famille, parce que ses besoins de base sont satisfaits. L'enfant a besoin d'aide pour son propre développement intellectuel et nous attendons d'avoir une place pour lui en garderie.

Ce sont les familles ayant les plus grands besoins qui ont le moins accès aux services. M. Gatza l'a mentionné lorsqu'il a parlé des populations en milieu rural. Ce sont des gens indépendants et fiers, qui veulent faire les choses seuls. Dans ce cycle de pauvreté, ils peuvent recevoir un peu d'aide de la famille, mais ce n'est pas suffisant pour sortir de ce cycle. Ils ont besoin de plus de soutien, et les familles qui se sont rapprochées de la ville trouvent souvent la situation plus facile parce qu'elles n'ont que quatre kilomètres à marcher pour se rendre à la ville. Auparavant, elles ne pouvaient même pas y songer parce qu'elles étaient trop loin. L'isolement a diminué.

Il n'y a pas d'argent pour les loisirs ou d'autres activités qui contribuent à réduire du stress. Je suis également professeure de yoga et je dirige un groupe composé de mères avec lesquelles je travaille. Celles-ci sont fascinées d'apprendre certaines habiletés qui peuvent les aider à réduire leur stress de tous les jours — à prendre quelques minutes seulement pour respirer. Se réserver quelques moments de tranquillité est tout à fait nouveau pour elles parce que leurs besoins ont toujours passé en dernier.

Je vois l'écart de revenu se creuser. Les familles qui vivent dans la pauvreté peuvent avoir assez de nourriture pour ne pas mourir de faim, bien que ce ne soient pas les aliments les meilleurs et les plus nutritifs. Elles peuvent avoir une maison, être au chaud la plupart du temps et donc s'en tirer assez bien sur l'échelle mondiale de la pauvreté. Toutefois, nous vivons au Canada et quand nous regardons leur situation par rapport à celle du reste de la population, le stress devient visible. Ces gens veulent la même chose que les autres, partir en vacances ou aller au cinéma. Or, ils doivent songer non seulement à payer leur entrée au cinéma, mais aussi à payer pour s'y rendre.

Le système économique dans lequel nous vivons crée cette situation. Nous avons besoin que ce groupe à faible revenu qui travaille chez Mac's Milk et Tim Horton. Il est clair que la structure économique doit être corrigée.

Au nom des familles avec lesquelles je travaille, je remercie le comité de faire cette étude. C'est extraordinaire, et j'ai déposé un document comportant les citations des personnes que je représente.

La présidente : Madame Prentice, vous avez dit que vous vous adressez à des gens déjà convertis. C'est vrai. Nous sommes convertis, mais nous devons en apprendre davantage sur ces questions. Les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui nous aideront dans ce sens.

Le sénateur Segal : Merci de prendre le temps de nous donner votre point de vue et de faire le travail que vous faites pour les personnes qui ont besoin de votre aide et qui en bénéficient énormément, et je suis certain que vous ne voyez pas tous les bienfaits que vous apportez — que ce soit par une main secourable, un conseil et un peu de réconfort durant les périodes difficiles.

Est-ce seulement un problème d'argent? Voilà une question essentielle. Je suis toujours étonné de voir que, lorsque les gens font plus d'argent ou occupent un deuxième emploi pour gagner un peu plus, Sa Majesté prélève plus d'impôt parce que c'est la façon dont fonctionne notre système fiscal. Plus nous faisons d'argent, plus nous payons. Quand, pour une raison quelconque, nous n'avons plus d'argent — perte d'emploi, handicap ou maladie — avant que Sa Majesté nous vienne en aide, que ce soit par le bien-être social, le programme Ontario au travail, et cetera, elle pose bien des questions détaillées, par l'intermédiaire de ses fonctionnaires. Pourquoi n'avons-nous pas d'argent? Parce que nous ne pouvons pas travailler? Sommes-nous handicapés? L'usine locale a-t-elle fermé ses portes? La ferme n'est-elle pas rentable? Je suis toujours frappé de voir que la question, que l'on aborde autour de la table familiale du Canada, qui devrait être assez grande pour que chacun y ait une place, porte toujours sur l'argent. Pour diverses raisons, souvent sans que ce ne soit de leur faute, les gens finissent par ne pas avoir assez d'argent pour se soigner, se nourrir ou se chauffer convenablement.

Nous avons un Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées. Cette mesure ne règle pas tout le problème, mais la situation des personnes âgées est bien meilleure qu'elle ne l'était il y a 20 ou 30 ans. Nous avons un crédit pour la TPS à l'intention des gens qui gagnent moins de 30 000 $ par année, ce qui apporte un certain allègement. Parmi votre clientèle, vous voyez ou côtoyez les gens que vos organismes desservent tous les jours. S'ils avaient l'argent nécessaire pour répondre à leurs propres besoins, selon les coûts réels dans leur communauté, est-ce que le problème serait réglé, ou les malaises sont-ils plus profonds que le simple manque d'argent? J'aimerais connaître votre point de vue respectif sur cette question.

M. Gatza : L'argent fait partie du problème, mais de nombreux autres facteurs entrent en jeu. Nous avons affaire à tellement de personnalités différentes, chacune ayant diverses habiletés d'adaptation. Il s'agit là d'un problème que je rencontre chez certaines personnes qui ont un dysfonctionnement. Le problème apparaît parfois clairement, mais il est parfois plus insidieux. Au fil des années, j'ai appris à étudier les gens et j'en suis venu à la conclusion que les habiletés d'adaptation sont parfois un obstacle.

Le manque d'estime de soi est aussi un problème fréquent, un problème critique à de nombreux égards. Je ne crois pas qu'il y ait assez de mécanismes de soutien en place, ou du moins qu'on les fait connaître aux gens. Les services peuvent être disponibles, mais on ne les fait pas connaître à ceux qui en ont besoin, pour aider les gens à développer leurs habiletés fondamentales pour qu'ils puissent dire : « Oui, je suis important. Oui, je peux faire cela ». Un système comme celui du bien-être social, par exemple, est générationnel, en ce sens que la dépendance se transmet d'une génération à l'autre. Je ne crois pas que les bénéficiaires y songent de façon générale, mais ils s'adaptent plutôt au mode de vie, et c'est là où ils se retrouvent coincés.

Par expérience, j'ai appris que les gens ont le sentiment de ne pas être capables. Même lorsqu'ils ont une intelligence moyenne ou supérieure à la moyenne, ils croient être pris dans un piège où ils sentent une inaptitude ou un manque d'importance, où ils se sentent incapables de remplir une tâche ou d'occuper un emploi qui pourrait les sortir de leur situation.

Je vois là une situation de rédemption lorsqu'un père, par exemple, peut se sortir de ce cycle de pauvreté. Il devient alors un citoyen plus productif dans la société, et les membres de sa famille le deviennent aussi. C'est peut-être une combinaison de soutiens systémiques, de facteurs démographiques ainsi que leurs propres systèmes de soutien dans lesquels ils ont grandi au fil des années. L'estime de soi est si importante.

Lorsque j'étais au collège de l'avenue Bayview, à Toronto, pendant deux ans, nous avions une formation en milieu de travail avec le Service correctionnel du Canada. Les étapes initiales que nous avons vues comportaient notamment l'estime de soi et les habiletés fondamentales. Ces choses semblent être à l'avant-plan. La manière dont ils se perçoivent se répercute dans la manière dont ils traitent les autres. Ce sentiment est projeté au-delà d'eux-mêmes.

Mme Baril : Ce n'est pas toujours une simple question d'argent. Même si on injectait de l'argent pour régler les problèmes des gens qui sont pris au piège de la pauvreté, on ne réglerait pas tout. Nous nous sommes penchés sur les causes profondes qui expliquent pourquoi les personnes se trouvent là où elles sont dans leur vie, et nous n'avons pas toutes les réponses. Personne n'aura toutes les réponses à la pauvreté. Nous examinons sérieusement les causes profondes pour voir pourquoi les gens dans différentes communautés sont là où ils sont. Il ne suffira pas d'injecter de l'argent pour régler tous les problèmes que nous observons. Si l'argent pouvait régler les problèmes de tout le monde, nous aurions pu le faire il y a longtemps.

Il reste encore beaucoup de travail à faire, en particulier dans le milieu rural. Leeds et Grenville est considérée comme une région rurale à 95 p. 100. Nous avons un problème énorme dans tous les comtés et, avec une population de 100 000 habitants, nous devons composer avec des enjeux importants. Il faudra des efforts de collaboration et un travail d'équipe extraordinaire pour aider certaines personnes à sortir de la situation dans laquelle elles se trouvent. Elles ont besoin d'un coup de main plutôt que d'un coup d'argent.

Mme Prentice : L'argent n'est pas tout, mais je trouve qu'il atténue le stress. C'est bon de savoir qu'on peut payer les factures, faire l'épicerie, payer le loyer et même faire le lavage, qui peut représenter des frais de 40 $ par mois si on utilise une buanderie; et ce n'est pas calculé dans les dépenses.

Si nous pouvons réduire le stress en fournissant assez d'argent pour assurer la subsistance, alors les gens pourront passer à l'étape suivante, et l'estime de soi joue un rôle important à cet égard.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie du travail que vous faites dans les communautés. Il est certes important et vital.

Madame Baril, le programme Community Matters est financé en partie par la Fondation Trillium de l'Ontario. Si ma mémoire est bonne, le financement assuré par Trillium est limité à une année — ou peut aller jusqu'à trois ans, selon le programme. Qu'arrivera-t-il au programme Community Matters lorsque ce financement cessera?

Mme Baril : Nous espérons que le programme sera maintenu. Le projet devrait être terminé le 30 juin 2007. Nous avons déjà entrepris des pourparlers avec la Fondation Trillium de l'Ontario pour la suite des choses.

J'espère que la prochaine proposition comportera trois autres années de financement. La subvention que nous avons eue la chance d'obtenir était une subvention à l'échelle provinciale, fondée sur le travail de collaboration que nous avons établi. La Fondation Trillium de l'Ontario n'était pas certaine que nous pouvions amener 17 organismes Centraide-United Way à travailler ensemble, mais elle a été ravie des résultats obtenus. Elle attend avec impatience les résultats que nous allons lui fournir.

Les groupes de Centraide qui font partie de mon groupe de coordination sont partout dans la province et desservent le milieu rural. Les résultats que nous avons pu obtenir comporteront d'importants renseignements pour la Fondation Trillium de l'Ontario, pour l'octroi de subventions futures. Centraide Canada s'intéresse aussi à notre processus. Nous voyons reproduire le projet Community Matters partout au pays, dans une grande partie de nos provinces.

Le sénateur Mercer : J'ai posé cette question à plusieurs reprises à des groupes comme Centraide et l'Armée du Salut. Vous avez vos bureaux dans des villes. Je peux comprendre que vous deviez avoir des bureaux quelque part; j'ai travaillé pour des organismes de Centraide dans ma carrière, alors je sais comment cela se passe. Il me semble que l'offre de services aux régions rurales à partir des villes pose un défi à Centraide — et à toutes les églises, mais en particulier à l'Armée du Salut.

Comment faites-vous? Vous ne pouvez avoir de bureaux dans tous les petits villages des comtés de Leeds et Grenville, ou de Perth et Lanark. Comment faites-vous?

Ce qui me préoccupe, c'est qu'on a tendance à voir dans Centraide, l'Armée du Salut et d'autres organismes une solution, mais la solution n'existe que dans les villes. La jeune femme et ses deux enfants qui vivent au bout de ce chemin de terre ne reçoivent pas de services.

Mme Baril : J'apprécie ces commentaires. Notre groupe de Centraide finance 28 organisations dans les comtés de Leeds et Grenville. Je suis heureuse de pouvoir dire qu'il n'y a pas une seule communauté dans ces deux comtés qui n'a pas un programme ou un service quelconque, fourni quotidiennement, et financé par Centraide par le biais des organismes que nous appuyons.

Certains de ces services sont discrets. Ils peuvent être fournis par quelqu'un qui, peut-être, travaille pour l'Institut national canadien pour les aveugles, l'INCA, qui conseille ou renseigne quelqu'un qui perd la vue sur les moyens d'avoir un bon niveau de vie, grâce à l'appui de l'INCA. Ce peut être par l'entremise des services sociaux Grand frères et Grandes sœurs qui auraient des organismes correspondants dans l'une des communautés. Nous sommes partout dans le comté de Leeds et Grenville, dans chacune des communautés, et nous en sommes fiers.

Même si certains bureaux de mes organismes sont situés à Brockville, ils ont un rayonnement étonnant, et ils font plus chaque jour. L'année dernière, ils ont desservi 29 000 clients. Sur une population de 96 000 habitants des comtés de Leeds et Grenville, il est absolument impressionnant d'offrir des programmes et des services à 29 000 personnes, grâce au financement des programmes de Centraide, et ils font un travail impressionnant. Nous sommes fiers de ce qu'ils font.

M. Gatza : Une personne qui vit dans une communauté rurale qui a besoin d'aide connaît peut-être notre existence. Elle communique directement avec nous, et nous prenons des dispositions pour qu'elle puisse venir nous voir, dans ce cas-ci, à Brockville. Il arrive souvent, aussi, que les gens communiquent avec d'autres organismes qui leur diront nous ne pouvons vous aider avec ceci, mais nous savons que l'Armée du Salut le peut, alors on nous envoie les gens qui ont besoin d'aide. Il est bon aussi de travailler avec d'autres organismes.

Une chose qui me préoccupe toujours, c'est comment nous rendre plus accessibles aux habitants de communautés rurales, pour que nous puissions les aider quand ils en ont besoin? C'est lié aux autres problèmes dont j'ai parlé dans mes observations préliminaires, à propos des gens qui tiennent à leur indépendance et qui ont aussi cet orgueil.

C'est pareil pour les pauvres qui travaillent. Les bénéficiaires de l'aide, qui reçoivent parfois de l'aide sociale et d'autres prestations, semblent mieux vivre que ceux qui essaient de travailler et sont payés le salaire minimum. Ils ont du mal à joindre les deux bouts. Ces gens tombent presque dans la même catégorie. Ils veulent être indépendants, et ils ont trop d'orgueil pour faire appel à nous.

Il y en a qui me disent c'est la première fois que je suis obligé de faire ça. Ils sont mal à l'aise, gênés. Je dis ne vous inquiétez pas, c'est pour ça que nous sommes ici, pour vous aider, et je suis heureux que vous soyez venu nous voir.

La question, c'est de savoir comment diffuser encore plus largement le message, et pas seulement pendant le temps des Fêtes. Il est diffusé à Noël, quand on reçoit des demandes de paniers de Noël et de jouets pour les enfants. On voit pas mal de gens à cette période de l'année. Et puis, tout le reste de l'année, c'est un nombre minimal de personnes qui font appel à l'aide. C'est en moyenne six à dix personnes ou familles par semaine. C'est peu comparativement au nombre de demandes qu'on reçoit pendant les Fêtes, quand les gens recherchent une aide spéciale, pour essayer de répondre aux besoins de la famille à Noël.

C'est ainsi que cela se passe pour nous. Nous espérons pouvoir trouver un moyen, quand j'aurai passé plus de temps dans le secteur, d'atteindre les gens. Pour l'instant, comme je l'ai dit, c'est par voie de référence, et ceux qui nous connaissent déjà communiquent avec nous directement.

Le sénateur Mercer : Madame Prentice, vous avez parlé d'infirmières praticiennes. Nous avons entendu parler de ce service qui est offert dans plusieurs communautés. Il revêt une importance de plus en plus grande dans les petites communautés rurales.

Ils ont embauché une nouvelle infirmière praticienne à North Lanark. Combien de patients peut-elle traiter? Une personne ne peut en traiter à elle seule qu'un nombre limité.

Mme Prentice : Je ne sais pas si Mme Bergman, du Centre de santé communautaire Country Roads de Portland, est encore ici mais elle pourrait peut-être répondre mieux que moi à cette question.

Je sais que cette infirmière praticienne travaille trois jours par semaine auprès des familles qui ont des enfants, parce que son financement provient du volet de la petite enfance, axé sur les familles qui ont des enfants de moins de six ans. Elle travaille aussi un jour par semaine pour la population générale de North Lanark : c'est-à-dire seulement pour les gens qui vivent dans la région de Lanark Highlands. Je n'ai aucune idée du nombre de personnes qu'elle peut voir.

Le sénateur Mercer : Est-ce qu'il vous en faudrait plus?

Mme Prentice : Oui, nous attendons avec impatience l'ouverture à Smiths Falls d'un centre de santé communautaire satellite, parce que cette infirmière praticienne dessert aussi maintenant la région de Smiths Falls. Nous espérons que l'ouverture de ce centre la libérera un peu. Il en est de même avec nos travailleurs sociaux qui sont rattachés au centre de santé communautaire : toute l'aide que nous recevons est indispensable.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venus ce matin. Je vous félicite pour l'excellent travail que vous faites.

Monsieur Gatza, vous avez dit voir peu de gens pauvres dans les régions rurales. Est-il plus facile pour un pauvre d'aller à un bureau du gouvernement pour obtenir de l'aide sociale que de s'adresser à l'Armée du Salut, ou est-ce qu'ils ne vont ni à l'un ni à l'autre?

M. Gatza : Dans certains cas, je pense qu'ils s'adressent au travailleur social chargé de leur dossier pour obtenir des services sociaux. Il arrive que certains disent s'être adressés à eux et leur avoir présenté leur problème, mais le travailleur social peut aussi faire beaucoup pour eux. Cependant, je ne pense pas que ce soit très répandu. Je trouve que c'est plutôt l'exception que la norme.

À Brockville, il y a tellement d'organismes et d'églises auxquels on peut faire appel — je ne connais pas exactement les statistiques — alors il y a aussi cette possibilité. On ne s'adresse pas qu'à nous pour obtenir de l'aide, mais aussi aux autres églises et organismes. Je ne pense pas que la majorité des gens le fassent, mais c'est possible. Il y en a qui passent par ce cycle aussi. Je pense qu'ils sont plus portés à suivre cette voie qu'à s'adresser à leur travailleur social.

Le sénateur Callbeck : Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, et je pense qu'ils seraient plus à l'aise pour faire appel à l'Armée du Salut qu'au gouvernement.

Vous avez parlé d'estime de soi. Que faisons-nous à ce sujet?

M. Gatza : Je sais qu'il existe divers groupes de soutien. Les journaux en parlent tout le temps — des groupes pour les troubles de l'anxiété et pour les personnes qui vivent d'autres types de problèmes. Il est de plus en plus difficile de faire face à ces problèmes, parce que ceux qui les ont ne disent pas toujours me voici, j'ai besoin de votre aide. C'est un défi constant.

Comment pouvons-nous atteindre ceux qui devraient recevoir de l'aide et qui n'en veulent pas? C'est un choix personnel de chacun. Comment parvenir à atteindre ces gens-là?

La seule solution à laquelle je puisse penser au pied levé est peut-être d'avoir plus de réunions dans la communauté pour traiter de ces enjeux : une espèce de remue-méninges ouvert au grand public. Les membres de la population viendront et nous retiendrons l'attention de certains; ils ne viendront pas directement vers nous, mais leur curiosité sera piquée et ils viendront à la réunion, au centre communautaire ou à la mairie, et écouteront les possibilités offertes. Par ce moyen, la population aura plus tendance à s'adresser à l'organisme ou au groupe de soutien pour demander le soutien qui lui est nécessaire. Si les groupes faisaient plus leur propre publicité dans les diverses communautés, particulièrement dans les plus petites communautés comme celle-ci, cette publicité pourrait ouvrir la porte et inciter ceux qui en ont besoin à venir demander de l'aide.

Le sénateur Callbeck : Pensez-vous que le gouvernement y ait un rôle à jouer?

M. Gatza : À mon avis, oui. Je ne suis pas sûr dans quelle mesure ou à quel niveau, peut-être à tous les niveaux — municipal, provincial et fédéral. Je pense qu'ils le font dans une certaine mesure, au moins pour promouvoir ce mode de pensée, et inspirer les groupes à plus s'engager dans ce domaine. Ils ont besoin de faire leur propre publicité, et de se rendre plus disponible pour la population, plutôt que de seulement publier un avis dans un journal ou peut-être un bulletin mensuel qui peut être diffusé dans certaines communautés, mais pas d'autres.

Le sénateur Callbeck : Est-ce que les autres témoins ont quelque chose à ajouter?

Mme Prentice : Nous travaillons avec une population difficile à servir, qui ne veut pas de service. Je travaille dans leur foyer; ils doivent m'y inviter.

Nous trouvons que c'est une approche fondée sur la relation. Nous avons des groupes, et ils ne s'intéressent pas à nos groupes tant qu'ils ne nous connaissent pas. J'ai un groupe de yoga, et je téléphone le matin de la séance aux participantes, pour leur rappeler de venir. Je les conduis, et il m'arrive même de conduire leur enfant chez la gardienne si c'est ce qu'il faut pour les faire participer à la séance.

Une annonce dans le journal ne sert à rien pour cette population. Plus le besoin de services est grand, moins il y a d'accès. Ceux d'entre nous qui pensent déjà ainsi passeront par ce genre de groupes de réflexion.

Je pense que l'approche doit être fondée sur la relation — le membre d'une église qui est leur ami, par exemple. Quelqu'un les amène à un service, ou les renseigne sur ce service, ou a eu recours à ce service. Plus il y en a dans la communauté qui connaissent les services, mieux c'est.

Mme Baril : Une chose que nous avons découverte, lors des consultations communautaires, c'est que la communication dans le milieu rural pose un énorme problème. Il n'y a pas beaucoup de possibilités. Comme le disait Mme Prentice, un entrefilet dans le journal pour annoncer un programme n'est pas toujours efficace. Les gens qui vivent dans la pauvreté n'ont pas les moyens d'acheter le journal. Cette approche pose problème.

La communication est le meilleur moyen d'encourager la participation aux programmes, pour stimuler l'estime de soi. Il y a une chose que nous avons découverte, même dans le cadre de nos dialogues communautaires, c'est que nous avons habilité les gens à parler de choses qui contribueraient à faire une différence dans leur vie. Alors, les fournisseurs de services qui font partie de ce processus aussi réalisent qu'ils ont une obligation de créer ce genre d'occasions dans les communautés rurales.

Et au début des années 1990, un grand nombre de mes organismes ont offert un service d'approche dans les communautés, et y ont renoncé en raison du manque de financement. Ils retournent maintenant dans les communautés rurales pour fournir à nouveau ce service. Il a eu un effet énorme en aidant les gens à accroître leur estime de soi et en les poussant à participer à des programmes conçus et prévus spécifiquement pour eux.

Le sénateur Callbeck : Madame Baril, j'aimerais vous interroger au sujet des bénévoles, parce que Centraide en a beaucoup. Nous entendons parler de certaines régions rurales du Canada où les bénévoles sont épuisés, et une des raisons à cela serait que les personnes âgées ont tendance à rester dans les régions rurales, tandis que les jeunes partent à la recherche d'emploi, pour faire des études, et ainsi de suite.

Que faisons-nous à ce sujet? Comment inverser cette tendance dans ces régions où les bénévoles sont épuisés ou ont l'impression d'être au bout de leur rouleau?

Mme Baril : Nous mobilisons le plus vaste groupe de bénévoles dans les comtés de Leeds et Grenville pour nous permettre de mener notre campagne sur une base annuelle. Nous apprécions beaucoup leur apport. Ils font un travail phénoménal. Cependant, vous avez raison. Ils tendent à devoir recommencer encore et encore le même travail, et ils finissent par être épuisés.

Si on revient à la cause fondamentale, pourquoi les gens ne font pas autant de bénévolat qu'ils le pourraient, nous avons conçu un programme appelé Aider les autres, par lequel nous allons dans les classes de quatrième année parler aux enfants de ce qu'ils peuvent faire à 8, 9 et 10 ans pour faire une différence dans leur communauté.

Nous essayons de semer le germe du bénévolat chez les enfants de cet âge pour que lorsqu'ils arrivent au secondaire, ils puissent participer aux merveilleux programmes qui existent pour les inciter à faire du bénévolat et à s'engager dans leur communauté. Nous essayons de semer ce germe le plus tôt possible dans leur vie. Quel que soit leur âge, ils peuvent faire une différence en aidant un voisin d'à côté ou d'en face, ou dans le milieu scolaire.

Nous espérons voir s'épanouir ces germes de volonté de faire une différence dans leur communauté. Quand ils atteignent le secondaire, et ces organismes se chargent de placer ces jeunes gens, nous espérons que cela fera une différence. Nous pensons que c'est déjà fait.

Le sénateur Callbeck : J'en suis sûre. C'est une excellente idée.

Madame Prentice, avec combien de familles travaillez-vous? Vous dites devoir être invitée dans les familles. Comment cela se fait-il?

Mme Prentice : Notre programme comporte divers aspects. Il y a un élément de programme de nutrition prénatale. Les femmes vont en groupe voir une diététicienne, une infirmière de la santé publique, et ce type de soutien. On leur donne un bon alimentaire. Quand nous avons commencé, on leur donnait un sac de lait, des légumes et des fruits frais. Nous avons trouvé plus facile de leur donner un certificat pour acheter des aliments à leur épicerie locale.

Elles ont été intégrées au programme avec du soutien et une aide réelle. Ensuite, elles entendent parler d'autres programmes et choisissent d'y participer ou pas.

Nous travaillons aussi en collaboration avec les infirmières en santé publique. Elles ont un programme Bébés en santé, enfants en santé. Dans le comté de Lanark, ce sont les agents de communication qui offrent le soutien à domicile. C'est ainsi que nous rencontrons les familles dès le retour de l'hôpital.

Nous ne présentons aucune menace, et nous offrons un soutien. Nous cherchons les aspects positifs et essayons d'appuyer les familles pour qu'elles puissent continuer à bénéficier des services et assister à nos activités de groupes. Dans le cadre de ces activités, elles rencontrent d'autres familles dont la situation est similaire à la leur, et cela met un peu fin à leur isolement. Elles ne sont pas les seules à souffrir ainsi, ou à avoir de la difficulté à payer le loyer.

Le sénateur Callbeck : Est-ce que la plupart des familles vous invitent chez elles?

Mme Prentice : Comme je le disais, celles qui en ont le plus grand besoin ne le font pas. Il y a des gens qui protègent leur vie privée et ne veulent personne dans leur maison. Nous avons toujours du mal à trouver des moyens de les aider un peu plus. Nous espérons, même si c'est la seule chose, pouvoir les intégrer au programme de nutrition prénatale pour qu'il y ait des résultats positifs pour le bébé.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de problèmes de santé mentale. Nous avons remis un rapport sur la santé mentale, il y a un an. Quels services de santé mentale sont offerts à votre clientèle?

Mme Prentice : J'essaie de les aider à accéder à nos services de santé mentale. Le centre de santé communautaire a un travailleur social pour les familles qui ont des enfants de moins de six ans. Plusieurs de mes familles ont accès à ce type de counselling, et nous avons le Lanark County Mental Health. Je leur ai envoyé plusieurs personnes, et certaines familles continuent de recourir à leurs services.

Le sénateur Losier-Cool : J'ai une question, rapidement, seulement pour Mme Prentice. Quelle est la taille moyenne des familles que vous voyez?

Mme Prentice : La plupart des familles ont en moyenne deux enfants. Les familles avec lesquelles je travaille, qui ne sont qu'un faible pourcentage de l'ensemble de notre programme ont, pour la plupart, deux enfants. J'ai eu des familles de quatre enfants, et d'autres avec un seul enfant. Beaucoup de jumeaux sont nés l'année dernière dans le comté de Lanark. Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'eau du puits là-bas, mais il y a beaucoup de jumeaux.

Le sénateur Losier-Cool : Il y a une plus vaste population?

Mme Prentice : Beaucoup de jumeaux sont nés l'année dernière.

Le sénateur Losier-Cool : C'est intéressant, parce que je constate qu'il y en a pas mal au Nouveau-Brunswick aussi.

La présidente : Nous allons faire une pause-santé de 10 minutes. Nous devrons nous dépêcher, pour pouvoir tout faire.

Notre groupe de témoins suivant est formidable. C'est le troisième groupe ce matin. Vous me pardonnerez si j'écorche un ou deux noms. Nous avons Geri Kamenz, président et président du Conseil de la Fédération de l'agriculture de l'Ontario, la FAO; Adrian Wynands, directeur régional de la FAO et président de la Fédération de l'agriculture de Grenville; Bill French, président de la Fédération de l'agriculture de Leeds; et Yuergen Beck et Jane Monaghan, qui sont tous deux ici à titre personnel. Bienvenue à tous.

Geri Kamenz, président et président du Conseil, Fédération de l'agriculture de l'Ontario : Bonjour et merci de nous donner cette occasion de vous rencontrer.

Sénateur Fairbairn, comme beaucoup d'entre nous du monde agricole, je porte plusieurs chapeaux. La dernière fois que j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, c'était dans votre région, à Lethbridge, lors du festival annuel de la betterave, il y a environ un an, et nous avons traité de questions environnementales.

Le sénateur Segal : J'aimerais bien que vous ne lanciez pas le sénateur sur le sujet de la betterave, parce que c'en sera fait de nous. Nous n'avons pas le temps.

M. Kamenz : Disons seulement que la betterave est une véritable histoire de succès, et nous devons garder l'œil dessus.

La présidente : Bravo. Continuez ainsi. Vous avez tout à fait raison, tout de même. C'est une industrie particulière dans ce pays qui, elle aussi, est assiégée. Il y a des gens là-bas qui sont beaucoup comme ceux d'ici— à cran.

M. Kamenz : Néanmoins, je portais à ce moment-là un autre chapeau, celui de président du Comité des sciences environnementales de la Fédération canadienne de l'agriculture.

Mes commentaires seront brefs, et bien évidemment, passent par le prisme de ceux d'entre nous qui ne sommes plus seulement que des fournisseurs d'aliments, mais qui nous positionnons comme les fournisseurs d'aliments, d'énergie, et d'un éventail de biens et de services écologiques. Je pense qu'une partie de la solution se trouve dans cette gamme de biens et services écologiques.

Je sais qu'il est facile de paraître négatif quand on parle du problème que vous essayez de circonscrire. Cependant, je pense à l'entretien que j'ai eu avec le premier ministre McGuinty il y a une semaine environ, avant le budget. Il m'a dit ce n'est pas à nous, avec les responsabilités que nous assumons, de désespérer, mais plutôt d'insuffler l'espoir. Ce problème pose un dilemme sérieux dans les régions rurales du Canada et de l'Ontario, mais j'en parlerai parce que je pense vraiment que nous avons la capacité, les outils et les ressources nécessaires pour le résoudre en grande partie.

Il y a une chose dont je vais tout de suite parler parce que je sais qu'il en est déjà question dans bien des cercles de discussion à votre niveau et à d'autres. C'est simplement ceci : je pense qu'un revenu agricole garanti est voué à un échec fracassant. Cela serait plus pour créer une nounoucratie que pour résoudre le problème de la pauvreté rurale.

Cela étant dit, hier après-midi, quand j'étais assis au côté du nouveau sous-ministre d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, je pense que nous nous sommes tous mis d'accord sur le fait que le programme d'option que le gouvernement fédéral a proposé dans le budget de mai 2006 a remporté un succès raisonnable dans tout le Canada; 17 000 familles agricoles ont pu faire des demandes de paiements par le biais de ce programme.

Probablement, quand vous y pensez, vous félicitez-vous du succès que cela a été. Nous ne devons pas confondre toutefois ce programme avec le programme de soutien du revenu agricole. C'était un excellent programme social, mais nous essayons de créer pour les agriculteurs des occasions de fournir des services réels et de véritables possibilités de revenus.

Sans cela, nous avons de nombreuses leçons à tirer d'autres administrations, notamment de l'Union européenne. En Grande-Bretagne, 40 p. 100 des revenus bruts sont sous forme de paiements que reçoivent les producteurs pour un éventail de biens et services écologiques.

Le programme du gouvernement est, c'est évident, maintenant axé sur les enjeux environnementaux. La population regarde son eau et constate l'énorme avantage que présente l'eau propre. L'air propre présente d'énormes avantages. Les espaces verts, la biodiversité et la protection des espèces en péril présentent d'énormes avantages.

Au Canada, c'est surtout apparent pour les provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard et l'Ontario, dont une grande partie des terres développées sont gérées par des agriculteurs. C'est donc que le rôle des agriculteurs consiste à protéger ces ressources et en faire profiter le grand public.

Si on regarde le problème de la pauvreté rurale, il apparaît évident que nous devons changer bien des choses que nous faisons maintenant. Il y a eu de fabuleuses histoires de succès dans le milieu agricole, au Canada, et il y en aura d'autres. Cependant, il est difficile de lancer de nouvelles initiatives et d'exploiter de nouveaux filons— et je suis sûr que vous l'avez entendu à maintes reprises déjà— quand le pays vient d'enregistrer les trois pires années de revenu brut agricole.

En agriculture, nous regardons la situation et disons que nous ne voulons pas et n'attendons pas de vastes opérations de sauvetage pendant une période indéfinie, mais ce qu'il faut, ce sont des investissements stratégiques. Quand nous longeons les routes de campagne, nous voyons les ressources, non seulement en termes de ressources physiques, mais l'ingénuité des agriculteurs qu'illustrent ces terres, ils sont prêts à générer de nouvelles richesses, mais ils ont besoin, pour cela, d'investissements stratégiques.

L'autre chose, c'est tous ces biens et services écologiques, dont je parlais. Nous apprécions tous également l'eau. Nous jouissons tous également de la qualité de l'air. Tous ces biens et services environnementaux et écologiques différents, nous en jouissons également. Le défi, c'est de répartir les coûts équitablement sur l'assiette fiscale, sans m'imposer de fardeau disproportionné rien que parce qu'il se trouve que je possède 1 000 acres de terres alors que vous vivez dans un lotissement. Nous jouissons des mêmes avantages.

Je terminerai ici. Je pense avoir fourni des éléments de réflexion et de discussion, et je répondrai volontiers à vos questions.

Adrian Wynands, président, Fédération de l'agriculture de Grenville et directeur régional de la Fédération de l'agriculture de l'Ontario : M. Kamenz a fait la présentation pour nous trois, en agriculture.

Yuergen Beck, à titre personnel : Je vous remercie d'être venus nous écouter aujourd'hui. Bien qu'il y ait beaucoup de sujets de discussion, je viens avec grand plaisir proposer une solution.

Tout d'abord, j'aimerais souligner deux facteurs qui, à mon avis, contribuent à créer la pauvreté rurale qui existe aujourd'hui : la concurrence inéquitable des grandes entreprises et le manque d'infrastructure pour les petites entreprises.

Je suis ici à titre de citoyen. Je suis inspecteur en bâtiment, et charpentier certifié. J'entre chaque année dans les maisons de bien des familles, de la plus riche à la plus pauvre, et j'ai écouté le monde toutes ces années, parce que l'histoire doit être dite.

Je suis travailleur autonome, et j'adore pouvoir me lever le matin et décider de faire autant ou aussi peu d'argent que j'en ai envie un jour particulier. Je le fais, cependant, dans l'optique d'offrir à ma communauté un bon service tout en gagnant ma vie.

Ce qui me déplaît le plus, c'est la manière dont les grandes entreprises drainent nos collectivités locales rien que pour le profit, sans aucun égard pour les effets qu'elles ont sur nos communautés rurales. Elles le font par des méthodes non éthiques que les propriétaires de petites entreprises n'ont pas les moyens ni le manque de scrupules nécessaires pour s'y opposer.

Dans le secteur agricole, par exemple, un producteur d'Athens devrait pouvoir amener un produit sur le marché à moindre prix qu'une grande société de Toronto. Pourquoi est-ce le contraire, alors? À mon avis, cette entreprise ne joue pas le jeu équitablement, avec les mêmes règles que les petits producteurs, qui par la suite se trouvent incapables de concurrencer les grandes entreprises sur les marchés locaux.

Par exemple, voici ce qui se produit habituellement avec les grandes sociétés agricoles. Elles achètent les couvoirs régionaux où on élève les poussins, qu'elles revendent ensuite aux agriculteurs. Elles font la même chose avec les provenderies locales, qui fabriquent des aliments pour animaux. Puis, ces entreprises rachètent la volaille aux agriculteurs pour la transformer dans leurs usines et, finalement, la mettre en marché. Ainsi, dans ce domaine de l'agriculture, une grande société a évincé les entrepreneurs locaux de quatre secteurs d'activités.

Pourquoi s'empêcherait-on de le faire, dans un contexte de libre marché? Voici la triste réalité : chaque fois qu'un partenaire privé finance toute la chaîne de production parce qu'il en a les moyens, il prend les décisions qui lui chantent et les agriculteurs sont toujours perdants.

Laissons cette situation de côté et voyons où part l'argent après coup. Si l'essentiel de l'argent va aux agriculteurs, ceux-ci le réinvestiront dans leur exploitation ou aideront leurs enfants à se lancer en affaires, et les profits resteront dans leur communauté. Mais avec les grandes entreprises, l'argent demeure entre les mains d'une personne ou d'un groupe et n'est habituellement pas réinjecté dans l'économie locale. Quand on dame le pion aux petits producteurs en vendant moins cher qu'eux, on sape leur capacité de livrer concurrence.

Je crois que depuis bien des années, on constate l'absence d'une politique ferme destinée à protéger et à favoriser la capacité des petites entreprises à prospérer ou à survivre. Si notre gouvernement créait un environnement permettant à la communauté locale de produire et de commercialiser ses propres biens et services à des fins lucratives, nos concitoyens appuieraient ces efforts et nous serions plus autonomes.

La seconde question — qui, personnellement, me passionne— concerne le manque de soutien aux petites entreprises qui sont, dans une large mesure, établies dans les communautés rurales de partout au Canada. Depuis toujours, notre pays se caractérise par la ruralité. Les entreprises exerçant leurs activités dans ces régions sont, pour la plupart, de petite taille — c'est-à-dire qu'elles génèrent moins de 5 millions de dollars en ventes annuelles.

En comparaison, les infrastructures sont bien moins nombreuses dans les régions que dans les centres urbains. Les grandes sociétés se voient continuellement accorder des subventions et des allègements fiscaux financés avec l'argent des contribuables, pour les aider non seulement à survivre, mais aussi à prendre de l'expansion.

De la même façon, on a toujours voulu préserver les emplois. Malheureusement, avec toutes ces discussions au sujet de la mondialisation des marchés, nos communautés ont perdu les emplois du secteur manufacturier que nous avions financés, car les entreprises ont relocalisé leurs activités dans des pays du tiers monde. Résultat : plutôt que de protéger les emplois comme on l'espérait, on se retrouve avec davantage de chômage.

Pendant ce temps, partout au pays, de petites entreprises ferment leurs portes, et on utilise toujours le même argument selon lequel c'est ainsi; on ne peut combattre les tendances. Il en découle, pour le Canada rural, un inutile nivellement par le bas.

Les travailleurs indépendants des campagnes canadiennes, qui ne comptent pas seulement des agriculteurs, mais aussi des gens de métier, comme moi, et des détaillants, sont depuis longtemps les plus grands créateurs d'emplois, de richesses et de recettes fiscales au Canada. Aujourd'hui, il nous faut des infrastructures et de l'aide pour survivre.

En ce moment, en matière de politiques gouvernementales, il n'y a pas de stratégies commerciales viables à long terme. Cela revient à nier systématiquement les besoins des travailleurs indépendants, qui créent la plupart des richesses au Canada.

Il y a trois ans, j'ai commencé à rédiger un document de travail, que je vous ai apporté aujourd'hui, et qui décrit la réalité des travailleurs indépendants. Je l'ai remis à tous les politiciens et dirigeants d'entreprises que j'ai croisés depuis, car je crois que nous devons lancer le débat si nous voulons l'équité.

Nous sommes traités avec peu d'égards par le système; pourtant, comme le laissent croire les statistiques de Revenu Canada — que j'ai, soit dit en passant, mis 14 mois à obtenir et pour lesquelles j'ai dû faire des vérifications poussées afin d'y voir clair — les petites entreprises canadiennes génèrent plus de 81 p. 100 de la TPS perçue par le gouvernement.

De plus, le site Internet des petites entreprises et de l'entreprenariat de l'Ontario, qui couvre la province, révèle que ce pourcentage est en fait de 99 p. 100. En dépit de ces revenus, dans nos communautés, les écoles ferment et les gens partent car il est trop difficile de joindre les deux bouts aujourd'hui dans le Canada rural, vu le peu d'aide qu'on obtient avec les politiques existantes. Force est de constater que nous ne recevons absolument aucun avantage ni incitatif pour créer cette richesse année après année.

Les gouvernements de toutes allégeances ont toujours fait fi des efforts déployés par ces rêveurs qui triment dur, parce que nous sommes trop occupés à travailler pour réclamer l'équité. Mais il est payant de traiter les générateurs de richesse avec respect et en toute justice.

Imaginez par exemple qu'au Canada, l'agriculture soit un choix profitable pour une personne qui sort de l'école secondaire aujourd'hui. Les retombées pour notre économie et nos communautés seraient incroyables. Des politiques gouvernementales destinées à renforcer les petites entreprises rurales pourraient donner des résultats positifs s'il y avait suffisamment de discussions honnêtes et de volonté politique en ce sens. Encore une fois, des journées comme aujourd'hui sont formidables; elles montrent que ce débat a lieu.

Pour en arriver à ces résultats, nul besoin de discuter des enjeux mondiaux. Laissez-nous fournir des biens et services, à armes égales pour tout le monde au pays, et voyons ce qui se produira. Nous ne souhaitons pas priver les grandes entreprises de profits ou de parts de marché; nous voulons simplement obtenir notre part du gâteau, tout en offrant à nos communautés des biens et services que nous créons localement.

La présidente : Vous savez sans doute que c'est la première fois, dans l'histoire de notre Parlement, qu'une des deux chambres décide de se pencher sur cette question. Nous vous remercions donc de votre appui et de votre témoignage ici, aujourd'hui.

Jane Monaghan, à titre personnel : J'aimerais vous parler un peu de mon expérience et de mon parcours. Je vous décrirai ma communauté et vous ferai part de quelques idées qui me sont venues après avoir lu votre rapport provisoire.

Je suis avocate dans une petite ville de l'Ontario, Elgin, depuis que j'ai été admise au barreau, il y a 27 ans. Elgin est un petit village à l'ouest d'ici, dans le canton de Rideau Lakes. J'ai eu la chance de m'impliquer dans ma communauté autrement que par ma profession. Je travaille auprès des bibliothèques locales et pour mon association juridique, qui est établie à Brockville.

J'ai eu le plaisir d'œuvrer au sein de nombreuses sociétés engagées dans la préservation de notre histoire régionale, ainsi qu'auprès de diverses organisations s'occupant du canal Rideau, une merveilleuse ressource fédérale dans notre communauté. Je suis également active auprès de la chambre de commerce régionale et, de façon encore plus importante, au sein d'une organisation appelée la North Leeds Community Development Corporation, mise sur pied il y a une vingtaine d'années pour promouvoir la disponibilité des services sociaux à North Leeds.

Avant cela — et même actuellement —, les gens allaient dans les grands centres pour bénéficier des services sociaux. Nous voulions amener dans notre communauté certains de ces services, comme le counselling familial en matière de santé mentale, les services des Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada, ou VON, ainsi que les services de soutien aux aînés, pour que les gens puissent y accéder sur place.

À Elgin, nous avons acheté une maison ancienne de style victorien, qui est devenue un centre de ressources communautaires où les gens peuvent se prévaloir de ces types de services. Étant donné qu'on trouve plusieurs services sous un même toit, la confidentialité est quelque peu préservée parce que les gens ignorent pourquoi quelqu'un entre dans l'établissement; c'est un avantage.

En plus des services sociaux, nous nous intéressons aussi au développement économique local au moyen de l'emploi. Nous pensons qu'avoir un travail est utile à bien des égards, comme pour l'estime de soi, et ainsi de suite. Nous avons eu la chance de bénéficier de l'aide du gouvernement fédéral pour ouvrir un centre de ressources pour la recherche d'emploi, qui fournit du counselling dans la région de North Leeds.

Contrairement à la tendance dont fait état votre rapport provisoire, la population est à la hausse dans le canton de Rideau Lakes. Au cours des cinq dernières années, la croissance démographique a été légèrement supérieure à 6 p. 100. On dit que c'est dû aux résidents saisonniers qui deviennent résidents permanents dans notre communauté.

Je le répète, nous sommes assez chanceux qu'une bonne partie du canal Rideau traverse notre secteur, ce qui attire beaucoup de propriétaires de chalets et de touristes.

Nombre de ces propriétaires de chalets passeront leurs vieux jours dans notre communauté. Ces gens nous apportent beaucoup. Chez nous, nous avons également des agriculteurs.

J'ai lu votre rapport Comprendre l'exode, que j'ai trouvé riche en enseignements. J'aimerais vous soumettre d'autres questions concernant l'accessibilité. La première porte sur l'accès aux services financiers.

Dans le village de Delta, en Ontario, qui est situé à l'ouest d'ici, la succursale de la banque Toronto Dominion doit fermer ses portes en mai. Ce sera un coup dur pour cette communauté, parce que les commerçants et les autres devront faire beaucoup de route pour trouver une banque, ce qui aura une incidence sur les dépôts des magasins, les prêts et autres choses du genre.

Par ailleurs, il y a quelques années, l'école publique locale de Delta a fermé. Ce genre de choses fait mal à une petite communauté rurale.

Au cours de la dernière année, nous avons beaucoup entendu parler, avec la remise du prix Nobel de la paix, de microcrédit. Si j'ai bien compris, et bien que je n'aie pas eu l'occasion d'étudier la question de façon très détaillée, ce genre de microprêt devrait être utilisé aussi dans les communautés rurales de notre pays, et pas seulement dans les pays africains.

L'autre problème qui me préoccupe, en raison de ma profession, est l'accès aux services juridiques. Dans la région, les tribunaux sont tous à Brockville. Je ne m'attends pas à ce qu'on déménage tous les tribunaux du pays; mais le bureau d'aide juridique et le centre d'information sur les droits de la famille, où les gens peuvent aller pour demander conseil à des avocats sur des questions familiales, se trouvent à Brockville également.

En raison des problèmes de transport que vous avez relevés, il est difficile pour les gens d'accéder à ces services à Brockville. Peut-être ne possèdent-ils pas de véhicule ou, s'ils en ont un, un membre de la famille l'utilise peut-être pour son travail, auquel cas, les gens ne peuvent se rendre à Brockville ou dans d'autres centres. On aurait cru qu'à notre époque, avec les ordinateurs, Internet, et cetera, on trouverait le moyen de permettre aux gens d'accéder à ces services dans la communauté.

Voilà qui conclut mes remarques. Quelques questions semblaient avoir été laissées de côté dans votre rapport, et je les jugeais dignes d'intérêt.

Le sénateur Segal : J'aimerais demander à nos témoins de la Fédération de l'agriculture de l'Ontario de m'expliquer en quoi consiste cet investissement stratégique évoqué par M. Kamenz dans son exposé. Vous avez clairement dit que le soutien financier aux agriculteurs sous forme de revenu de base équivalait à un constat d'échec.

Je pense que ce que vous dites, c'est qu'il est normal que les citadins aient un revenu minimal qui les aide à vivre dignement, mais que la même chose chez les agriculteurs est un constat d'échec. Cela laisse sous-entendre que ces derniers n'ont pas les mêmes besoins économiques fondamentaux que nous tous parce qu'ils font partie de la famille.

Aidez-moi à comprendre comment l'investissement stratégique permettra de régler le cas des fermiers qui, cette année, ont dû soumettre une demande pour recevoir de l'aide en vertu du Programme canadien d'options pour les familles agricoles. Je suis ravi qu'ils aient pu le faire. Je pense que ce type de programme s'est fait attendre longtemps. Il s'appuie toutefois, comme vous l'avez fait remarquer à juste titre, sur le fait d'admettre qu'une personne n'a pas atteint un certain revenu de base une année donnée. Ce programme ne constitue pas un outil d'investissement pour l'avenir.

J'aimerais comprendre davantage en quoi, selon vous, le gouvernement pourrait apporter une aide avec ces investissements stratégiques, en facilitant leur mise en œuvre ou en créant des partenariats.

L'un des sujets dont tout le monde discute est l'énergie de source agricole — cellulose, déchets organiques, éthanol et autres. Ce que je crains — comme l'a dit M. Beck tout à l'heure à propos de la façon dont l'industrie se retrouve contrôlée — c'est que les agriculteurs soient exclus de ce secteur. On ne les paiera pas suffisamment pour le travail accompli dans leur exploitation. Ils sont non seulement là pour fournir les matières premières, mais ils devraient aussi, à mon avis, avoir leur part des profits des stations-service d'éthanol partout au pays, du réseau qui fournit l'éthanol. De cette façon, ils seraient, selon le sens traditionnel du terme coopérative, des propriétaires-exploitants qui bénéficieraient à titre d'actionnaires du travail qu'ils font, au-delà de leur exploitation agricole.

J'aimerais connaître votre avis là-dessus. J'ignore si c'est le cas dans le comté de Leeds, mais je sais qu'à Frontenac, diverses activités agricoles ont diminué ces 15 ou 20 dernières années, et cela me trouble énormément. Il y a de moins en moins de fermes qui sont transmises d'une génération à l'autre. Nous vous serions reconnaissants de nous dire quoi faire pour remédier à la situation afin que nous puissions l'inscrire dans notre rapport et l'ajouter à nos recommandations.

M. Kamenz : Je suis heureux que vous posiez la question. Quand on examine le développement rural au Canada, il faut évidemment se rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, nous n'étions qu'une société agraire. Notre pays s'est construit grâce à ses ressources agricoles, minières et forestières. Toutefois, je ne suis pas ici pour parler des mines ou de la foresterie, mais bien de l'agriculture.

Ce qui a découlé de cette évolution, étant donné la réduction du nombre de producteurs agricoles, ne surprend personne. Quand on regarde la situation depuis le début des années 2000, on peut faire des projections et avoir une idée assez juste de l'orientation que prend notre industrie. Ce qui est difficile, c'est d'essayer de s'adapter aux programmes agricoles; d'une part, nous considérons l'agriculture comme une industrie et, d'autre part, nous tentons de mettre en place des mécanismes. Ensuite, nous confondons ces mécanismes avec le volet social qui renvoie à la famille.

C'est pourquoi j'ai pris soin de dire que le programme d'options avait connu un franc succès, compte tenu de la nécessité de s'attaquer à la « pauvreté rurale ». Toutefois, même si on stabilise les revenus familiaux à un niveau légèrement supérieur au seuil de la pauvreté, le problème persiste.

Lorsque nous parlons d'investissements stratégiques, nous touchons au cœur du problème, qui est le manque de rentabilité dans le secteur agricole. Si on réalisait des bénéfices, la question du transfert de ces importantes ressources d'une génération à l'autre ne se poserait pas. Nous ne sommes plus aux prises avec un problème de liquidités, mais d'investissement. Vous avez parfaitement raison de parler de l'industrie de l'éthanol, produit à partir de céréales fourragères, mais qui, heureusement, à l'avenir, sera un dérivé de la cellulose.

Nous n'avons pas besoin d'ouvrir des coopératives partout au pays. Celles-ci ont connu du succès dans certaines régions du Canada. En Ontario, malheureusement, pour des raisons de culture ou autre, les coopératives ont plutôt fait chou blanc. Toutefois, si nous réussissons à en faire de nouveau une industrie rentable, les cultivateurs pourraient s'intéresser à la Potash Corporation of Saskatchewan et vouloir participer à cette chaîne de valeur. S'ils ont acheté des actions l'an dernier à 123 $, celles-ci valent aujourd'hui 185 $ chaque.

Si nous accroissons la rentabilité de l'industrie, il se passerait la même chose que dans toutes les autres : étant donné qu'elle aura du potentiel, les gens chercheront le moyen de tirer profit de la chaîne de valeur, au-delà de la production primaire. Cela nous ramène à la question des investissements stratégiques.

En ce moment, exemple classique, l'industrie du tabac est sur le point de disparaître dans la province. Il y a plusieurs années, on a donné de l'argent aux tabaculteurs afin qu'ils réorientent leurs activités, et nous avons assisté à quelques réussites. Il n'en demeure pas moins que nous nous sommes retrouvés avec plusieurs plans et projets d'entreprise que des cultivateurs croyaient pouvoir mettre en œuvre et ainsi apporter quelque chose de plus à leur communauté. Ils disaient que cela permettrait de générer des emplois au sein de la communauté, mais que sans investissements stratégiques, ils n'auraient pas suffisamment de capitaux et leur plan serait voué à l'échec.

Encore aujourd'hui, on constate que leurs projets sont restés des vœux pieux. Si nous voulons qu'ils s'en sortent, nous devons les aider à créer ces débouchés. Et cela vaut aussi pour de nombreux autres secteurs de la production agricole.

Lorsqu'on discute de cette question, il faut toujours se rappeler du plus bel exemple de réussite de l'agriculture au Canada, qui est le système de gestion de l'offre. Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est une panacée, mais il faut reconnaître que même dans ces secteurs, les marges bénéficiaires sont minces. Par contre, si on transpose cela dans n'importe quel autre secteur, les producteurs n'hésiteront pas à demander comment améliorer leur travail, accroître leur productivité et réaliser plus de profits.

Mais pour ce faire, il faut effectuer des investissements stratégiques. Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes d'un seul coup; nous devrons y aller secteur par secteur, plan d'entreprise par plan d'entreprise. Je sais que ce n'est pas ainsi que nous aimons aborder les problèmes, mais nous n'avons pas d'autre choix si nous voulons réellement faire avancer les choses. Il faut prendre les problèmes séparément et non dans leur ensemble.

Le sénateur Segal : J'aimerais discuter de la question du financement de la communauté agricole, en ce qui a trait aux plans d'entreprise, tant pour les petites entreprises que pour les activités agricoles. Ma question s'adresse directement à M. Kamenz, mais si M. Beck souhaite intervenir, qu'il n'hésite pas à le faire.

Après la Grande Dépression, le parti United Farmers a créé la Caisse d'épargne de l'Ontario afin que les agriculteurs puissent avoir une institution bancaire avec qui faire affaire et obtenir du crédit pendant les périodes difficiles. C'était il y a longtemps. Qu'est-ce qui aide les agriculteurs? Est-ce la combinaison des banques, des coopératives, des caisses populaires dans les régions francophones de l'Ontario et de Financement agricole Canada qui donne une certaine souplesse et qui permet d'avoir une vision à long terme et d'évaluer les actifs? Ne faudrait-il pas qu'il y ait une banque agricole dirigée par des agriculteurs, étant donné que ce sont eux les mieux placés pour comprendre les problèmes du secteur? Ne faudrait-il pas que cette banque assure une présence sur le marché en ne se limitant pas à produire les rapports trimestriels typiques, mais plutôt en étant sensible aux réalités des agriculteurs et des petites entreprises dans le Canada rural, en tenant compte des années de vaches maigres comme des années de vaches grasses et en intervenant lorsque nécessaire tout en continuant d'investir pour l'avenir?

À votre avis, quelles relations vos membres entretiennent-ils avec leur banque? Mme Monaghan a fait référence à une banque qui allait bientôt fermer ses portes à Delta. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

M. Kamenz : Il faut rendre à César ce qui lui appartient. En agriculture, Financement agricole Canada est la société qui comprend le mieux les problèmes actuels du secteur agricole. Les instruments et les outils qu'elle a mis au point ces dix dernières années pour l'industrie sont tout à fait exceptionnels. Elle est sans contredit celle qui fixe la barre.

La réalité, c'est que nous sommes très présents dans le secteur de l'agriculture, et parfois — comme nous l'avons vu au cours des dernières années —, la CIBC aussi. Différentes banques doivent rééquilibrer leur portefeuille. Elles le font parfois à l'échelle provinciale et à l'échelle locale, mais à vrai dire, elles laissent tomber les gens.

Les décisions se prennent à Bay Street, c'est la triste réalité du libre marché. Toutefois, c'est encore le libre marché. Comme je l'ai dit, Financement agricole Canada a réellement été un chef de file dans l'élaboration de ces instruments.

Quant à l'idée de créer une banque agricole gérée par des agriculteurs, je pense que Financement agricole Canada se rapproche beaucoup de ce que nous cherchons. Est-ce parce que nous voulons offrir davantage de souplesse aux gens?

M. Beck : Toutes les petites entreprises vous diront qu'une banque n'est jamais là quand on en a besoin. Nous devons lui prouver pendant plusieurs années que nous n'avons pas besoin d'elle pour qu'elle finisse par accepter de travailler avec nous.

Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus.

Le sénateur Mercer : C'est toujours frustrant de discuter des problèmes avec les gens de l'industrie agricole. Si le gouvernement octroie des fonds à General Motors, à Oshawa, c'est une stratégie industrielle. Quand il en fait autant pour les agriculteurs, c'est de la charité. Ce qui me fâche aussi, c'est que l'employé qui travaille sur la chaîne de montage à General Motors n'a pas à occuper un autre emploi après le travail pour aider General Motors à demeurer concurrentiel face aux Japonais, contrairement aux agriculteurs et à leur famille qui doivent aussi travailler à l'extérieur de l'exploitation.

Malgré tout, quelque chose m'intrigue. Dans mon coin de pays, les coopératives sont une bonne chose; nous avons contribué à créer le mouvement des caisses de crédit. Je crains que lorsque nous passerons aux biocarburants, si les producteurs ne possèdent pas de parts, les grandes compagnies pétrolières contrôleront tous les profits. Il n'y a rien de mal à ce que les profits aillent à Calgary, mais je préférerais qu'ils se retrouvent dans les poches des agriculteurs plutôt que dans celles des riches pétrolières.

Lorsque j'ai rencontré certains de mes homologues américains, ceux-ci m'ont dit que, d'après leur expérience, les usines appartenant à des producteurs ont reversé de l'argent aux agriculteurs. Cela leur permet non seulement de continuer à produire du maïs ou d'autres céréales pour la production de biocarburants, mais aussi de survivre pour entreprendre autre chose et réussir.

Dire que les coopératives ne fonctionnent pas bien en Ontario, revient-il à écarter la possibilité d'exploiter les débouchés dans le secteur de l'énergie? Lorsque vous avez décrit ce que font les agriculteurs, vous avez utilisé trois termes très importants : alimentation, énergie et production de biens et de services écologiques.

M. Kamenz : J'aimerais attirer votre attention sur un cas qui, selon moi, est connu dans toute la région. Il y a de nombreuses années, en 1992, une coopérative locale avait élaboré un plan visant à construire une usine d'éthanol. Naturellement, à cette époque, nous étions très en avance sur notre temps. Malgré tout, toute la communauté locale appuyait cette initiative, et on réussissait à attirer des capitaux. À mesure que le plan progressait, il devenait apparent qu'il y avait plus de fonds propres que nécessaire.

La meilleure chose qui soit arrivée, c'est que Financement agricole Canada est entrée en jeu et a offert à la coopérative de lui prêter de l'argent afin qu'elle puisse investir dans ce que nous appelons aujourd'hui une coopérative de la nouvelle génération. La société a indiqué qu'elle garantissait le prêt et qu'elle garderait l'argent pour être en mesure, si le projet ne se concrétisait pas, de rembourser la coopérative. On avait immédiatement atteint les objectifs.

Depuis ce temps-là — je sais que cela a même paru dans les journaux d'Ottawa — l'usine éprouve toujours des problèmes. Parallèlement, une autre compagnie, soit le plus gros producteur d'éthanol au Canada, est venue s'établir dans notre région et, en très peu de temps, a énoncé ses objectifs et s'est employée à les atteindre.

Pour créer ce soutien communautaire et donner la possibilité aux agriculteurs de profiter non seulement d'un cycle de prix fondés sur la demande, mais aussi des activités d'une usine d'éthanol, ils ont permis aux membres d'investir des capitaux. Les gens seront traités au même titre que leurs actionnaires privés.

Ce n'est pas un échec lamentable : cela fonctionne avec les partenaires, et si une coopérative n'a pas sa place dans notre région, il faut chercher des façons de s'intégrer davantage à la chaîne de valeur. Je pense que les compagnies sont ouvertes à cela. Il s'agit de savoir ce qui fonctionne à tel et tel endroit, mais ici, une coopérative risque de faire faillite, alors il faut arrêter de penser qu'un modèle de coopérative qui réussit exceptionnellement bien dans une région donnée connaîtra du succès partout ailleurs. Il faut se pencher sur chaque région en tenant compte de ses réalités culturelles, et puis concevoir un modèle adapté à la situation. Si on répond à leurs besoins, les gens vont s'engager.

Le sénateur Mercer : Vous avez introduit deux notions importantes dont nous n'avons pas beaucoup parlé. D'une part, il y a le manque d'institutions financières dans les campagnes au Canada. Le départ de la banque TD de Delta représente un gros problème pour la population locale, et de telles fermetures ont lieu partout au pays. D'autre part, il y a l'accès insuffisant aux services juridiques. Personne n'aime se rendre à la banque ou chez un avocat, mais nous devons tous y aller un jour ou l'autre.

Pensez-vous qu'une des solutions serait de donner accès à Internet haute vitesse à large bande à la population canadienne vivant dans les régions rurales? Est-ce que cela nous aiderait à résoudre une partie du problème?

Mme Monaghan : Oui, ce serait un bon coup de pouce. Dans ma communauté, le Programme d'accès communautaire (PAC) — qui relève d'Industrie Canada, je crois — a popularisé l'utilisation de l'ordinateur et d'Internet au sein des collectivités rurales. Je pense qu'une initiative de cette nature pourrait être utile.

Le sénateur Mercer : Est-ce que l'Association du Barreau de l'Ontario a abordé le problème des services juridiques, en particulier pour les Ontariens vivant en milieu rural? La province compte beaucoup d'avocats — certains diraient qu'il y en a même trop —, mais ils ne sont pas présents dans les zones rurales. Ils ne sont pas là où les gens en ont besoin.

L'Association du Barreau s'est-elle attaquée à ce problème? Comment fournir des services aux Ontariens vivant à la campagne et comment les rendre accessibles? Est-ce qu'Internet serait une possibilité?

Mme Monaghan : Il me semble que les avocats pratiquant dans de petites villes se font rares, parce que les étudiants en droit n'y voient pas d'avantages. Ils préfèrent travailler dans les grands centres, et ce, pour diverses raisons.

Je pense que le Barreau du Haut-Canada, qui est l'organisme qui chapeaute les avocats ontariens, se penche sur le dossier. C'est peut-être un peu exagéré de dire que parce qu'il n'y a pas d'avocats comme moi dans les petites villes, il y a un problème d'accès à la justice. L'organisme commence à peine à examiner la question.

Je ne sais pas si l'usage d'Internet et de l'ordinateur suffit à régler ce genre de problème, mais cela permettrait au moins d'obtenir quelques conseils.

Le sénateur Mercer : Je suis certain que les avocats trouveront une façon de contourner la question de la facturation des services Internet, ce qui est important.

Mme Monaghan : Oui. Par contre, il faut reconnaître que beaucoup d'avocats...

Le sénateur Mercer : J'essaie d'être le plus gentil possible avec eux.

Le sénateur Callbeck : Madame Monaghan, toujours au sujet de la pénurie de services juridiques dans les zones rurales, il faut savoir aussi que même quand il y a des avocats, beaucoup de gens n'ont pas les moyens de payer leurs honoraires.

Dernièrement, je parlais à une dame qui est actuellement devant les tribunaux. Jusqu'à présent, elle y est allée trois fois et elle assure elle-même sa défense. Il y a quelque chose qui cloche. Je n'aimerais pas devoir me présenter devant un tribunal et me défendre seule, sans avocat. Qu'en est-il de l'aide juridique?

Mme Monaghan : J'aimerais bien le savoir. J'ai étudié à l'école de droit de l'Université Queen's, à Kingston. À l'époque, il y avait un service d'aide juridique en milieu rural dirigé par des étudiants. Nous avions un véhicule et nous allions dans diverses petites villes, dans des régions rurales du comté de Frontenac au nord de Kingston, pour offrir un service de consultation juridique.

Cela semblait bien fonctionner et très utile. C'était peu, mais les gens pouvaient au moins obtenir des conseils. Instaurer quelque chose de semblable permettrait de régler en partie le problème.

Quelqu'un qui se présente sans avocat à la cour pose un problème majeur pour les tribunaux, non seulement pour les gens qui essaient d'y avoir accès, mais aussi pour les juges. En effet, comment procéder de façon juste, sans trop aider la personne lorsqu'elle se présente au tribunal sans avocat?

Le sénateur Callbeck : C'est un vrai problème.

Mme Monaghan : Oui, et particulièrement lorsque cela concerne des situations familiales.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé de la fermeture de la banque TD. Est-il possible qu'une coopérative de crédit prenne sa place?

Mme Monaghan : Je crois comprendre qu'une coopérative de crédit a envisagé de remplacer la banque Toronto Dominion de Delta et qu'elle a conclu, pour des raisons d'affaires, que ce ne serait pas viable.

Le sénateur Callbeck : Vous avez également parlé du microcrédit. C'était une recommandation du groupe de travail du premier ministre visant les entrepreneurs. Cela aiderait grandement les femmes chefs d'entreprises, particulièrement dans les zones rurales. J'appuie ce genre d'initiative.

Mme Monaghan : Ce serait une voie intéressante à explorer.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Beck, j'ai reçu ce document seulement ce matin, je n'ai donc pas eu le temps de le lire dans le détail, mais j'ai été contente de voir la partie portant sur le congé de maternité pour les femmes chefs d'entreprises ou les travailleuses autonomes. C'était également une recommandation du groupe de travail.

Vous parlez aussi d'un crédit d'impôt pour le bénévolat reconnu. Comment cela fonctionnerait-il?

M. Beck : Je suis certain que beaucoup de gens pourraient expliquer que c'est impossible à réaliser et pourquoi.

Si quelqu'un offre gracieusement ses compétences professionnelles ou quelques heures de son temps, pourquoi ne pas lui donner quelque chose en retour, que ce soit 10 ou 20 cents par dollar? Comme nous l'avons entendu aujourd'hui, beaucoup de nos travaux visent la communauté. Cela reviendrait à dire que si une personne sur le marché facturait X dollars de l'heure pour un travail reconnu accompli pour le bien de la communauté, nous lui remettrions une partie de ce montant sous forme de crédit d'impôt déductible de l'impôt sur le revenu.

Quel en est l'avantage? C'est plus une question de reconnaissance que d'argent. Plus tôt, vous avez parlé d'épuisement professionnel chez les bénévoles. Je pense que leur donner un montant symbolique en guise de remerciement pour les services qu'ils nous rendent permettrait d'aider considérablement ces gens qui en font déjà beaucoup pour leur communauté. Il n'est pas nécessaire que ce soit un gros montant; le but est de faire un geste pour les remercier d'aider nos communautés à grandir.

Le sénateur Callbeck : Cela permettrait de reconnaître leur contribution.

Monsieur Kamenz, vous disiez que Financement agricole Canada a été un chef de file, en défiant les banques de mettre la barre encore plus haut. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples?

M. Kamenz : Les prêts destinés aux améliorations agricoles, qui sont soutenus par le gouvernement, en sont un parfait exemple; on peut citer aussi la souplesse dont ont fait preuve les banques à charte à l'égard des éleveurs bovins pendant la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Ces facilités ou cette souplesse n'auraient pu être possibles si Financement agricole Canada n'avait pas fait preuve de leadership et reconnu la nature cyclique des problèmes : tout n'est jamais perdu, la situation s'améliorera plus tard. Heureusement, aujourd'hui, les prix du bétail sont les plus hauts jamais enregistrés depuis la fermeture de la frontière en 2003.

Je ne sais pas quels exemples concrets donner, sinon dire que les banques à charte — et Financement agricole Canada, dans une certaine mesure — sont axées sur le profit. Elles sont d'importants bailleurs de fonds pour l'agriculture et offrent visiblement des services semblables à ceux de la concurrence. Financement agricole Canada représente, de plusieurs façons, la concurrence, et nous nous en réjouissons.

La présidente : Merci beaucoup, chers collègues. Notre discussion pour ce matin tire à sa fin. Je vous remercie tous de vos témoignages. Nous ne savons jamais, en arrivant dans les communautés, si ce dossier question intéressera les gens. C'est gratifiant de vous voir tous ici.

La séance est levée.


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