Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 22 - Témoignages du 30 mars 2007 - Séance de l'après-midi


ATHENS, ONTARIO, le vendredi 30 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 13 heures pour examiner, en vue d'en faire un rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue pour cette occasion historique au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts qui vient ici pour parler des problèmes que rencontre le milieu agricole dans notre pays et en particulier dans la région où nous sommes.

J'aimerais d'abord vous présenter le maire d'Athens, John Conley. Nous sommes ravis que vous ayez accepté notre invitation. Évidemment, vous êtes même témoin, ce qui est encore mieux.

Je crois savoir que vous êtes maire depuis quatre mois et que vous avez été avant cela conseiller municipal pendant six ans. Vous avez d'autre part 31 ans d'expérience dans le domaine de la conservation. Vous vivez ici depuis longtemps. Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Merci d'avoir pris le temps de venir.

John Conley, maire d'Athens : Je veux vous remercier moi-même et en particulier le sénateur Segal, de tenir cette réunion dans notre canton, cher à certains nouveaux venus comme aux anciens. Nous nous réjouissons de vous avoir ici pour la journée.

La présidente : De la Leeds and Grenville Landowners Association, j'aimerais présenter Shawn Carmichael, directeur, et Jacqueline Fennell, présidente.

Nous avons aussi Sandra Lawn, qui est ici à titre personnel. Peggy Sweet-McCumber est présidente de Seely's Bay- Lyndhurst and Area Non-Profit Seniors Residence Corporation. Bienvenue à tous. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire.

Shawn Carmichael, directeur, Leeds and Grenville Landowners Association : Vous voudrez bien me pardonner mais les agriculteurs ne sont pas toujours les meilleurs orateurs publics. Nous ferons de notre mieux.

On nous a demandé de venir discuter de la pauvreté rurale en Ontario. Il faut savoir que c'est ce que nous vivons ici, quotidiennement. Je vous dirais respectueusement que la majorité des gens qui sont dans cette salle aujourd'hui sont payés pour être ici, pas nous. Nous devons prendre sur notre temps.

Notre plus gros problème, c'est la liberté de choix pour commercialiser nos produits agricoles. En Ontario, et partout au Canada, nous ne jouissons pas de cette liberté. Elle nous est garantie en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés mais nous ne l'avons pas. Dans notre pays, nous avons un système de gestion de l'offre qui représente un monopole qui contrôle les produits agricoles. Ce qu'il nous faut, en Ontario, et évidemment partout au Canada, c'est la possibilité de commercialiser nos propres produits.

Considérons un peu l'histoire et voyons en quoi cela touche l'Ontario rural. Il y a 40 ans, on a mis sur pied des offices de commercialisation afin d'aider les exploitations familiales. Les producteurs et les agriculteurs se sont lancés là-dedans, mais pour rien. Nous avions l'impression que les transformateurs représentaient une menace et que, collectivement, nous pourrions avoir plus d'influence sur le marché si nous vendions notre produit en nous regroupant. Malheureusement, la bureaucratie s'est installée dans les offices de commercialisation et ils se sont développés indépendamment de nous. Ils n'ont jamais, comme promis, protégé l'exploitation familiale.

Il y a 40 ans, dans notre région, sur un mille carré autour de notre maison, il y avait 12 producteurs de lait qui trayaient en moyenne 30 à 40 vaches. Dans ce temps-là, les voisins s'entraidaient. Tout le monde s'entraidait et s'occupait des autres. Personne n'était riche mais personne n'était pauvre non plus. Aujourd'hui, sur ce même mille carré, il n'y a plus qu'un producteur et ce producteur trait 300 vaches.

Vous vous demanderez peut-être en quoi cela agit sur notre économie rurale. C'est qu'aujourd'hui, un producteur achète tous ses intrants en dehors de l'économie rurale alors qu'avant, 12 producteurs achetaient leurs intrants localement et soutenaient l'économie locale. Ils allaient chez le quincailler et l'épicier. Il y avait une fabrique de fromage presque tous les cinq milles le long de la route. Ces fabriques employaient des locaux. Nous approvisionnions ces fabriques de fromage en lait local. Aujourd'hui, il n'y a plus de fabriques de fromage locales; elles ont toutes disparu.

Pour comprendre en quoi cela joue sur l'économie locale, quand il n'y a plus de producteurs sur place, il n'y a plus d'argent à mettre dans l'économie rurale, pour aider la collectivité. La Leeds and Grenville Landowners Association n'est pas venue demander de l'argent au gouvernement pour régler ses problèmes. Ce n'est pas ce dont nous avons besoin. Ce qu'il faut, c'est que le gouvernement déclare qu'il veut nous aider et qu'il est prêt à faire quelque chose pour que les producteurs aient la liberté de choix, puissent commercialiser eux-mêmes leurs produits.

Nous ne venons pas quêter. Le gouvernement a-t-il la volonté d'aider l'économie rurale, d'aider le producteur local afin qu'il puisse commercialiser ses produits? C'est tout ce que nous demandons au gouvernement.

Je serai très heureux de répondre aux questions que voudront me poser les sénateurs.

Jacqueline Fennell, présidente, Leeds and Grenville Landowners Association : Je suis très heureuse que le Sénat ait reconnu que l'agriculture est en crise dans les régions rurales de l'Ontario.

La principale cause de la pauvreté ou des difficultés dans les régions rurales est la surréglementation. Nous sommes bombardés de nouveaux règlements pour tous les groupes de produits. Tous ces nouveaux règlements qui nous sont constamment imposés par l'administration nous empêchent de gagner notre vie à même nos terres. Qu'il s'agisse de la Loi sur l'eau saine, de la Loi sur les espèces en péril ou de la Loi sur la gestion des éléments nutritifs, cela n'en finit plus. Il est évident que ce sont des lois importantes; les agriculteurs ne veulent pas salir l'eau ni polluer les paysages. Toutefois, ces mesures nous empêchent de gagner notre vie. Elles coûtent toutes cher et elles obligent les agriculteurs à payer pour le bien public. L'eau propre c'est pour le bien public mais celui qui paie la facture, c'est l'agriculteur qui perd le droit d'utiliser ses terres et de gagner sa vie à même ses terres.

Nous devons revenir à une situation qui permette à la population urbaine d'avoir un lien tangible avec la source de son alimentation. Il y a tellement de gens dans les villes qui pensent qu'il suffit d'aller chez Loblaws et qui ne semblent pas savoir qu'il y a quelqu'un à une heure ou deux de là qui a la capacité de produire cette nourriture pour eux.

Si l'on remonte 30 ou 40 ans en arrière, pratiquement tout le monde connaissait quelqu'un qui avait une exploitation agricole. On comprenait comment cela fonctionnait — comment on produisait la nourriture, le travail et le temps que cela nécessitait. Aujourd'hui, la population urbaine croit que la nourriture arrive miraculeusement au magasin pour qu'elle puisse l'acheter; qu'il importe peu que cette nourriture soit produite ici ou ailleurs parce qu'on peut toujours en importer.

Le problème, c'est que, d'abord, nous ne pouvons pas être assurés de la qualité de ce que nous importons. Des événements récents nous ont révélé que certains aliments importés n'atteignent pas la qualité des aliments canadiens. C'est peut-être une question de pesticide utilisé dans le pays de production. Ces aliments ne sont pas contrôlés comme les aliments canadiens. L'Agence canadienne d'inspection des aliments ne se prive pas pour harceler les producteurs locaux, mais elle ne fait pas grand-chose lorsqu'il s'agit d'aliments importés.

Il faut donc que nous fassions à nouveau comprendre à la population d'où vient son alimentation. Lorsqu'un consommateur veut acheter des produits locaux, on devrait l'encourager. On ne devrait pas lui faire peur pour qu'il y renonce comme le font certains organismes gouvernementaux qui effraient les consommateurs en leur disant que la production locale ne sera pas aussi sûre que ce que l'on trouve à l'épicerie, ce qui est très triste et tout à fait faux.

Notre système actuel de réglementation, dont je vais vous entretenir quelques minutes, repose sur la gestion de l'offre; il a été institué avec de très bonnes intentions, afin de protéger les petites exploitations familiales. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe. Les producteurs laitiers ont déjà dit qu'ils ne peuvent pas survivre avec 20 vaches. Je dis que si l'on veut faire ce choix, on devrait pouvoir le faire; personne ne devrait dire à quiconque qu'il ne peut pas avoir une petite exploitation. Si on empêche ces agriculteurs de faire ce qu'ils veulent, ils vont finir par laisser tomber. Nous devrions encourager les petites exploitations agricoles. Nous devrions nous méfier des grosses exploitations commerciales qui semblent s'installer dans notre région.

Il faut que nous puissions vendre directement aux consommateurs. Il y a énormément de gens dans les villes qui veulent acheter directement des producteurs. Il y a des gens de la ville qui reconnaissent qu'en achetant directement des producteurs, ils savent où et comment les aliments sont produits. Cet achat direct crée une relation tangible avec l'agriculteur et sa terre. Les gens savent ce qu'ils achètent. Ils savent s'il s'agit d'un produit biologique ou d'un produit naturel, d'un produit qui n'a pas été traité aux pesticides ou produits chimiques. Malheureusement, nous avons presque un État policier en ce qui concerne l'agriculture. Les agriculteurs sont accusés de fournir de bons aliments aux gens qui en veulent. Il faut que nous mettions fin à ce système.

Je vous dirai quelques mots sur la pasteurisation. À l'heure actuelle, nous avons des règlements qui stipulent que le lait doit être pasteurisé. Ces règlements sont entrés en vigueur en 1938. Or, beaucoup a changé depuis 1938 et les règlements devraient être révisés, tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial. Je comprends qu'il y a de bons arguments de part et d'autre, mais il faut réexaminer la question pour nous assurer que nos lois sont à jour.

J'estime que les gens devraient avoir le choix d'acheter du lait à l'épicerie ou à la ferme; des oeufs à l'épicerie ou à la ferme; du pain ou des condiments à l'épicerie ou à la ferme. Dernièrement, dans notre région, on a accusé des gens de vendre des condiments. Les services de santé disaient à la population qu'elle serait malade si elle mangeait des condiments ou des tartes faits artisanalement.

Pendant des générations, les gens vivaient à la campagne en échangeant des aliments, en troquant ou en allant à des soupers collectifs prendre un repas qui avait été préparé par d'autres. Maintenant, ce n'est plus légal et c'est effrayant.

Ce que je veux dire, c'est que nous devons donner aux consommateurs la liberté de choisir et donner également à l'agriculteur de choisir de produire ce qu'il veut, sans réglementation.

Sandra Lawn, à titre personnel : Sénateurs et mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée. J'ai été élevée dans les régions sauvages du nord de l'Ontario, où les forêts avaient beaucoup d'importance. Petite-fille d'agriculteur, je connais bien le problème dont est saisi votre comité, à savoir la pauvreté rurale, en particulier dans le contexte de l'agriculture et des forêts.

Je suis ici à titre personnel mais ce n'est pas tout à fait vrai en ce sens que j'ai des avis très arrêtés que je tiens de la façon dont j'ai été élevée ainsi que de mon association avec certains groupes actifs dans notre secteur rural, en particulier les Mohawks d'Akwesasne. Je travaille avec eux depuis 15 ans.

Mes commentaires porteront sur les principes fondamentaux du système de connaissances fondé sur la loi naturelle des Mohawks car je crois que c'est tout à fait pertinent dans le contexte de la discussion très compliquée que nous avons au sujet de la pauvreté et de la vie en milieu rural.

Les Mohawks ont sept principes fondamentaux. Je crois que vous les avez sous les yeux. Je vous les donne dans le désordre : la coopération est le moyen de survivre; la responsabilité est la pratique exemplaire; la terre est notre mère; la connaissance est puissante mais seulement si elle est partagée; le spirituel se rapproche de la terre; et tout est lié à tout. Ils ont ajouté récemment, parce qu'ils en sont tellement convaincus, que le lieu est important.

J'aimerais revenir sur ces différents points, en commençant par le fait que la coopération est la façon de survivre et que la responsabilité est la pratique exemplaire. Très brièvement, j'aimerais souligner les grands changements qui sont survenus dans la population rurale au cours des 50 dernières années alors qu'autrefois pratiquement tout le monde dans ces régions était soit agriculteur soit bûcheron dans le Nord ou était associé au secteur agricole ou au secteur forestier. À l'époque, il y avait énormément de coopération et les familles s'entraidaient beaucoup. C'était là des modèles de collaboration et de décision par consensus. Nous continuons à voir cela à l'occasion de nos foires agricoles, des agences de conservation, des conseils de gérance de l'environnement, des associations agricoles, et cetera.

Tout est lié à tout, tout le monde est lié à tout le monde d'une façon ou d'une autre et c'est tout à fait réel dans le milieu rural. Je voudrais maintenant signaler certaines des choses essentielles qui nous inquiètent dans mes domaines d'emploi, notamment la santé mentale des enfants et des jeunes, l'environnement et le développement économique local.

Prenons l'exemple d'une localité rurale qui s'efforce de faire quelque chose au sujet de la pauvreté dans son milieu, où beaucoup des emplois qui existaient ont disparu. Cette localité examine ses points forts et la possibilité d'utiliser la ressource que représente le Saint-Laurent. Nous sommes sur la côte sud du Canada et nous avons réussi à nous doter d'une compagnie théâtrale professionnelle Shakespeare, ce qui n'est pas rare dans nos régions rurales. Dans la salle où nous sommes, ces dernières années, nous avons offert certaines représentations culturelles intéressantes. Sur la chaîne anglaise de la SRC, on a dit que le Conseil des Arts offre 6 $ par habitant aux Canadiens pour les arts. Nous aimerions beaucoup que cela atteigne nos régions rurales pour nous aider dans ce que nous essayons de faire.

Le savoir est important mais seulement s'il est partagé. C'est également là une notion essentielle qui rejoint l'importance de l'éducation et la nécessité d'avoir des programmes spéciaux qui s'appliquent aux populations rurales. À Matachewan, j'ai étudié l'agriculture. Il y a maintenant une localité, Norwood, qui a un programme forestier.

J'aimerais aussi vous dire quelques mots de l'environnement et du paysage. J'insisterai en particulier sur l'est de l'Ontario. Vous avez devant vous une carte qui montre les ressources forestières. Vous remarquerez, je l'espère, qu'il est question de 1978, 1991 et 1996. S'il y a ces dates, c'est parce qu'ici, en Ontario, nous sommes très en retard en ce qui concerne l'inventaire et notre connaissance du paysage.

Il est extrêmement important de savoir ce que fait le Service canadien des forêts qui a conçu 11 forêts modèles au Canada. Ici, dans l'est de l'Ontario, nous avons 1,5 million d'hectares de terres, dont l'essentiel est rural et appartient à des particuliers. Contrairement à la forêt boréale et à d'autres régions, qui sont des terres publiques, ici, c'est privé.

La Forêt modèle de l'est de l'Ontario, qui occupe 1,5 million d'hectares, déploie des efforts énormes depuis 15 ans. Une de nos dernières initiatives consiste à essayer de remédier au problème de la pauvreté rurale en examinant nos forces en matière de forêts mixtes. Nous examinons les recherches scientifiques qui s'appliquent au monde d'aujourd'hui, à la durabilité des populations et ressources, aux possibilités que cela représente pour l'est de l'Ontario, en particulier, dans les produits du bois à valeur ajoutée. Nous sommes en train de construire un parc écoindustriel dans le canton d'Edwardsburgh-Cardinal où il y a un port. C'était autrefois un port national mais il appartient maintenant au canton.

C'est la population locale qui prend cette initiative. Elle a des idées, elle pense à l'avenir et elle examine le genre de soutien qu'elle devra demander au gouvernement canadien. Par exemple, elle souhaiterait qu'il aide à maintenir cette forêt modèle, ou communautaire, comme on l'appelle maintenant. C'est une forêt unique pour tout le Canada. Je m'intéresse particulièrement à notre forêt mixte de l'est de l'Ontario qui est unique en son genre. Les seules terres forestières similaires aussi intéressantes se trouvent en Russie.

Il est extrêmement important de maintenir la vigueur de nos régions rurales. Bien qu'elles ne comptent plus que 20 p. 100 ou moins de la population, elles ont la responsabilité et la gérance d'environ 95 p. 100 du paysage. Cette population doit jouer un rôle majeur dans le maintien et la protection de l'identité de notre pays, car nos régions boisées et agricoles constituent l'identité de notre incroyable pays.

Peggy Sweet-McCumber, présidente, Seeley's Bay/Lyndhurst and Area Non-Profit Seniors Residence Corporation : Je suis née et j'ai été élevée à Seeley's Bay, à 15 ou 20 minutes d'ici, à la limite du canton de Leeds. Je suis revenue dans la région pour reprendre deux entreprises de troisième génération que mon grand-père et mon père avaient, à savoir une petite épicerie et des autobus scolaires. J'ai l'expérience des PME.

On m'a invitée ici à titre de présidente d'une société sans but lucratif. Nous essayons de construire des logements abordables pour les personnes âgées à Seeley's Bay. Nous y travaillons avec grande diligence depuis plus de trois ans. C'est un défi énorme. J'aimerais vous dire quelques mots de la situation du logement dans les comtés unis de Leeds et Grenville.

Près de 30 p. 100 des foyers de Leeds et Grenville ont un revenu inférieur à 30 000 $, soit le seuil nécessaire pour être propriétaire d'un logement. C'est beaucoup plus difficile si l'on gagne moins de 30 000 $. Nous avons fréquemment une forte demande de logements locatifs. Plus de la moitié de nos personnes âgées dans le comté ont un revenu inférieur à 20 000 $. Beaucoup sont propriétaires de leur logement mais préféreraient, alors qu'ils avancent en âge, louer un logement. Le coût élevé de l'entretien de leur logement et le prix du mazout font qu'il leur est difficile de garder leur propriété. Les responsables de la banque alimentaire me disent qu'ils savent qu'il y a plusieurs personnes âgées qui, durant l'hiver, se cloîtrent dans une pièce de leur maison, car c'est la seule qu'ils peuvent se permettre de chauffer.

Les taux de vacance diminuent et les loyers augmentent. Beaucoup des maisons dans notre région sont anciennes. Nous avons un pourcentage plus élevé de vieilles maisons que la moyenne nationale. Dans ma municipalité de Leeds and the Thousands Islands, 40 p. 100 des maisons nécessiteraient des réparations majeures et mineures, ce qui complique sérieusement la situation du logement.

Il n'y a pas eu de nouveaux investissements dans de nouveaux logements abordables en Ontario depuis le début des années 1990. Je sais qu'il s'agit d'une responsabilité provinciale, qui est maintenant passée au palier du canton, mais je crois qu'il est important que vous compreniez ce besoin.

Leeds et Grenville ont effectué une étude qui a permis de conclure qu'il nous faut construire 570 unités de logement abordables par an. Tout récemment, notre comté a signé une entente dans le cadre du Programme de logement abordable Canada-Ontario qui doit permettre de construire de nouveaux logements. Notre canton s'est vu attribuer 25 unités. Ceci pour une région qui inclut Brockville, Westport, et cetera. C'est pour loger les jeunes en difficulté, les victimes de violence familiale, les familles et personnes âgées à faible revenu. C'est une goutte dans un verre d'eau. C'est la raison pour laquelle nous sommes assez pessimistes et ne pensons pas que l'on nous attribuera une seule de ces unités.

Pour servir les besoins de la population rurale pauvre, il nous faut davantage de logements locatifs. C'est un droit fondamental qu'ont les Canadiens et c'est un problème inquiétant dans notre région. Il faut que tous les paliers de gouvernement, le secteur privé, les organismes de services et la population locale collaborent.

Le sénateur Segal : Je voudrais adresser ma question à M. Carmichael ainsi qu'à Mme Fennell. Je veux être sûr que j'ai bien compris ce que vous disiez. Si je me suis trompé, n'hésitez pas à me corriger.

Qu'arrivera-t-il si nous supprimons la gestion de l'offre?

M. Carmichael : Nous ne demandons pas de supprimer la gestion de l'offre du tout. Ce n'est pas ce que nous souhaitons.

La gestion de l'offre reflète ce que l'on pourrait appeler l'agriculture commerciale — les fermes usines. Elles ont un marché à servir. Nous ne demandons pas ce marché. Nous ne voulons pas avoir affaire avec ce marché. Ce n'est pas un marché qui intéresse les petits producteurs. Nous avons un marché totalement différent à servir mais nous ne pouvons pas le faire dans le cadre de la législation actuelle.

Nous ne voulons pas que l'on supprime la gestion de l'offre. C'est un marché qu'il faut servir. C'est une capacité à exploiter et ce n'est pas quelque chose qui nous intéresse le moins du monde.

Mme Fennell : Autrement dit, nous pouvons travailler côte à côte sans nous déranger les uns les autres. Nous avons deux marchés distincts. Je crois que beaucoup de petits producteurs satisferont le marché direct, comme on le fait pour d'autres produits. Le marché de la gestion de l'offre traitera les gros volumes qu'utiliseraient vraisemblablement Parmalat ou Nielson, alors qu'une petite exploitation de vaches à lait ne pourrait jamais satisfaire ces grosses entreprises.

Dans ce système, nous avons un problème de transport. Cela devient un problème dans la région, à la campagne, parce que les gens doivent aller plus loin chercher leur lait du fait que les agriculteurs s'en vont. Il faut maintenant transporter le produit. Cela devient un problème. Cela élimine certains des petits arrêts, car les gros transporteurs s'arrêtent pour prendre 100 000 litres au même endroit et vous permettent d'entrer ou non dans le système. Nous ne voulons pas nous débarrasser de ce système, mais nous ne voulons pas qu'il soit obligatoire.

Le sénateur Segal : Vous avez parlé de lois imposées aux propriétaires de terres qui font qu'il leur est très difficile de diriger une exploitation. Pourriez-vous nous dire quelles sont les lois qui sont les plus néfastes et limitent le plus vos libertés?

Mme Fennell : La Loi sur l'eau saine aura des conséquences terribles pour l'Ontario rural. La Loi sur les espèces en péril fait également très peur, dès que l'on entend quelque chose qui rappelle les espèces en voie de disparition. Prenons l'exemple de la pie-grièche migratrice que l'on a trouvée dans la région de Smiths Falls. Il est impossible de faire quoi que ce soit de cette propriété. On peut être propriétaire de 500 acres, payer des impôts sur ces terres, les entretenir, mais pas question de les utiliser. J'estime que les droits de propriété doivent être examinés aux paliers fédéral et provincial afin que si des terres ou une propriété sont utilisées pour le bien public, le public paye.

Le sénateur Segal : Il y a quelques années, il y a eu une proposition de « constitutionnalisation ». Je suppose que vous seriez favorable à cela?

Mme Fennell : Oui, absolument.

Le sénateur Mercer : Moi aussi, j'aimerais quelques précisions. Vous aimeriez pouvoir travailler en dehors de la gestion de l'offre.

Mme Fennell : Oui.

M. Carmichael : Oui.

Le sénateur Mercer : Vous voulez concurrencer des gens qui ont recours à la gestion de l'offre, des grandes fermes usines? Comment vous y prendrez-vous? Nous avons la gestion de l'offre depuis longtemps. Les exploitations s'agrandissent. Elles ne sont pas aussi importantes ici que dans certaines régions de l'ouest du Canada, où l'on cultive des produits différents, mais elles sont beaucoup plus importantes qu'autrefois.

M. Carmichael : C'est la même chose que ce que le ministre Strahl va faire, espérons-nous, pour la Commission canadienne du blé. Ce que nous demandons, c'est ce qu'il demande pour la Commission, à propos de laquelle les agriculteurs ont voté et déclaré qu'ils voulaient avoir la possibilité de commercialiser eux-mêmes leur orge. Le résultat, c'est que la Commission du blé, la Commission de commercialisation des œufs, ou n'importe quelle autre commission, ne sont plus un monopole. Elles doivent faire concurrence aux autres sur le marché.

Nous disons que ce n'est pas que nous ne voulons pas vendre à la Commission; nous voulons la possibilité de signer des contrats privés avec le consommateur. Nous entendons dire depuis des années que cela mettra fin à la gestion de l'offre. Ce ne sera pas son coup de grâce. La gestion de l'offre va continuer pendant très longtemps. Ce que l'on constatera, c'est que l'économie rurale s'en trouvera revigorée parce que les gens remettront de l'argent dans l'économie. Cela réglera un grand nombre de ces problèmes.

Mme Fannell : Nous ne voulons pas leur faire concurrence parce que nous cherchons plutôt d'autres marchés. Nous ne sommes donc pas vraiment concurrents. Pour moi, il s'agit du même produit, peu importe qu'il s'agisse de poulets, de lait ou d'œufs, mais ce sont d'autres marchés qui nous intéressent.

Les marchés de créneau sont ceux qu'on nous encourage à exploiter. Je pense qu'un marché du créneau porteur est celui qui produit une vente entre le producteur et le consommateur. C'est quelque chose que nous avons perdu. C'est une valeur ajoutée parce qu'ils peuvent voir ce qu'ils obtiennent. Ils peuvent visiter la ferme, voir comment se fait la production, donner leur accord et dire au vendeur ce qu'ils veulent au juste. Il s'agit d'un produit alimentaire fait sur mesure. Il est impossible de faire ce genre de choses dans une épicerie où le produit est déjà emballé, le client étant libre de l'acheter ou non. Je ne pense donc pas que ce soit le même marché qui nous intéresse.

Le sénateur Mercer : Je ne peux que vous rappeler le discours que j'ai prononcé au Sénat au sujet de la Commission du blé. Le ministre Strahl comptabilise le nombre de producteurs agricoles qui sont contre la Commission et moi je comptabilise ceux qui sont pour, mais nous ne débattrons pas de cela aujourd'hui.

Le problème du logement est difficile pour nous tous. Ce n'est pas un problème qui intéresse uniquement la ruralité, mais n'empêche qu'il se trouve amplifié dès lors qu'on y ajoute les problèmes de transport ainsi que l'isolement.

Vous avec dit que la recommandation faisait état de 570 unités par an, mais en réalité vous n'en obtenez que 25, est- ce que je me trompe?

Mme Sweet-McCumber : Il s'agit de 25 unités cette année-ci, mais nous n'avons encore rien eu depuis les années 1990.

Le sénateur Mercer : S'agit-il de logements sociaux comme dans le temps, de logements qui appartiennent à l'État?

Mme Sweet-McCumber : Non, pas vraiment. Les administrations ne veulent ni en construire, ni en posséder. Elles veulent que la collectivité se charge de les construire et d'en devenir propriétaire; donnez-nous simplement l'argent nécessaire pour le faire.

Le sénateur Mercer : Si c'est la province de l'Ontario ou le gouvernement du Canada, ou encore les deux ensemble, qui disent que ce chiffre de 570 unités semble réaliste pour cet endroit-là, et si les deux s'entendent, pourriez-vous vous en charger? Pourriez-vous construire 570 unités en un an?

Mme Sweet- McCumber : Je le crois. Je sais qu'il existe, dans nos villes, toutes sortes d'organismes qui vont demander ces 25 unités. Si on avait l'argent pour en construire 570, nous pourrions nous en charger.

Le sénateur Mercer : Ces unités seraient éparpillées dans toute la région, c'est bien cela?

Mme Sweet- McCumber : Oui, sur tout le territoire des Comtés unis de Leeds et Grenville.

Le sénateur Mercer : Si vous obtenez 570 unités, je suis persuadé que le comté de Lanark voudra également sa part. J'en suis bien conscient.

Le sénateur Callbeck : Madame Lawn, on ne vous a pas encore posé de questions, n'est-ce pas? Vous avez parlé des principes fondamentaux et vous avez dit que la coopération était une façon de survivre.

Durant les audiences que nous avons tenues l'automne dernier, des représentants des milieux universitaire et gouvernementaux sont venus nous parler du fait que, pour que les collectivités rurales survivent, il fallait qu'elles s'unissent, qu'elles coopèrent entre elles, qu'elles mettent en commun leurs ressources et ainsi de suite. Est-ce de ce genre de coopération-là que vous parlez? Vous avez parlé des foires qui sont organisées dans les différentes localités.

Mme Lawn : Je pensais à toutes sortes de façons de coopérer pour les différents groupes, les particuliers et les familles intéressées. Je pense que c'est toujours ainsi que les choses se sont passées dans les milieux ruraux, et cela depuis les tout débuts. Mais l'une des choses qu'on a pu constater, c'est que la trame même de la ruralité a changé du tout au tout : auparavant, les ruraux cultivaient la terre et exploitaient la forêt, mais maintenant, il n'y a plus que 15 p. 100 des ruraux qui vivent de l'agriculture.

Il y a bien ici et là des secteurs ruraux qui s'en tirent bien, ce sont les riches. Mais il y a également les pauvres, des gens qui vivent dans des logements insalubres. Et ce sont surtout leurs enfants qui me préoccupent. Ce qui m'inquiète, c'est l'isolement des enfants et des familles, et le rapport entre cela et les problèmes de santé mentale. Comme 20 p. 100 des Canadiens sont, à un moment où à un autre de leur vie, victimes d'un problème de santé mentale diagnosticable, cette statistique est parfaitement validée.

Ce problème se trouve amplifié dans les collectivités rurales qui ne disposent pas de services. Nous parlons ici de personnes âgées qui souffrent, je ne sais pas, de la maladie d'Alzheimer ou d'un autre genre d'handicap, et qui se trouvent isolées. Jadis, les gens s'entraidaient. Tout le monde serait venu donner un coup de main, les grands-mères, ou encore les tantes et les oncles. Mais cela n'existe plus à la campagne, sauf dans de très rares cas.

Souvent, dans les campagnes qui entourent un centre urbain, les gens ne se connaissent pas. Chez nous, dans cette localité que nous appelions jadis « Farmersville », nous avons plus de chances. Si quelqu'un tombe victime d'épuisement, les voisins viennent l'aider. Par conséquent, la façon pour les entreprises qui travaillent la main dans la main dans une petite collectivité, pour les gens eux-mêmes et pour les familles, la coopération et l'entraide sont la clé de la survie. J'utilise ici la forêt modèle comme analogie, puisque dans ce cas-là, nous avons réussi à mobiliser les gens qui voulaient assurer la préservation du couvert forestier. Ils savent qu'il faut coopérer pour assurer la protection des eaux phréatiques. La coopération est assurément la clé de la survie. Pour l'être humain, l'entraide a été la seule façon de parvenir à survivre. Les Autochtones pensaient de la même façon lorsqu'ils sont arrivés pour la première fois ici.

Le sénateur Callbeck : Pensez-vous que les collectivités rurales devraient envisager de coopérer entre elles pour promouvoir l'activité touristique, le développement économique ou que sais-je encore?

Mme Lawn : C'est ce qu'elles font déjà. Nous avons fait un effort colossal pour coopérer avec les différentes collectivités afin d'organiser les jeux d'hiver. Nous constatons que la coopération est meilleure avec les villes séparées. Des quatre villes séparées de l'Ontario, trois se trouvent à proximité d'ici. Je pense que cela en dit long sur le caractère des gens qui ont grandi ici.

Smiths Falls est une ville distincte du comté, tout comme Prescott et St. Marys dans une autre partie de la province. Mais actuellement, nous coopérons et nous les faisons intervenir pour des discussions plus approfondies. Il arrive que les petites villes aient le sentiment que les grandes villes ont plus souvent gain de cause que les petites municipalités rurales, mais la coopération est très présente dans les domaines du tourisme culturel, du tourisme sportif et de l'écotourisme. Il est évident en effet qu'une collectivité ne pourrait pas faire cela toute seule.

Le sénateur Callbeck : C'est merveilleux. Vous avez mentionné, je m'en souviens, un programme que vous n'avez toutefois pas précisé. D'autres témoins nous en ont parlé et, dans ma propre province, c'est un programme qui a eu d'excellents résultats. Je veux parler de la Société d'aide au développement des collectivités et j'imagine que votre sentiment est qu'il s'agit d'un bon programme. À votre avis, serait-il possible de l'élargir et si oui, de quelle façon?

Mme Lawn : J'ai travaillé dans le cadre de ce programme il y a une vingtaine d'années, au moment de son lancement. En 1989, nous avions ainsi pu réaménager une importante zone riveraine de la ville de Prescott. À l'époque, il s'agissait du Programme d'aide au développement des collectivités, et on lui donne encore ce nom aujourd'hui.

Le Programme de développement de l'est de l'Ontario est extrêmement important pour les gens de cette partie de la province. C'est un programme qui émane du palier fédéral, mais les décisions et les actions relèvent des collectivités locales, par exemple lorsqu'il s'agit de revitaliser des quartiers du centre-ville ou de mettre sur pied des usines de conditionnement d'aliments. En ce qui concerne la forêt modèle de l'est de l'Ontario, nous avons pu nous faire subventionner par ce programme, ce qui a été extrêmement utile. Il faut en effet être au courant de la situation, surtout là où l'industrie et l'exploitation forestière sont importantes. Et lorsqu'une industrie ne représente plus un maillon important de l'économie locale, il faut également le savoir. Il y a des façons de faire qui sont durables, et c'est cela précisément que nous voulons faire. Le PDEO, le Programme de développement de l'est de l'Ontario, intervenant par l'entremise du Programme d'aide au développement des collectivités, a été extrêmement utile à ce titre.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous des recommandations à faire en ce qui concerne l'élargissement de certains programmes ou encore des améliorations à y apporter?

Mme Lawn : Il est clair que nous sommes extrêmement satisfaits de la façon dont cela fonctionne. Je pourrais toujours recommander un meilleur financement. L'esprit d'entreprise et d'innovation est très présent dans la collectivité, et il faut écouter attentivement ce que les collectivités ont à dire au sujet de leurs besoins.

Je pense qu'un niveau d'aide accrue pour certains des grands projets qui s'annoncent dans le domaine de la bioénergie et des produits forestiers serait particulièrement utile. Quarante pour cent de nos producteurs agricoles vendent depuis toujours leur bois, et cela faisait partie également de l'économie locale. Mais les choses ont bien changé. On pourrait nous aider davantage à édifier, pour nos campagnes, une économie futuriste à la fois durable et scientifiquement fondée.

Le sénateur Callbeck : Madame Sweet-McCumber, j'en conviens avec vous, il faudrait consacrer plus d'argent au problème du logement. Dans ma province à moi, la Société canadienne d'hypothèques et de logement a un programme pour les habitants à faible revenu. Ce sont des gens qui doivent faire refaire leur toit ou qui ont un problème urgent à régler. Mais la liste d'attente est longue et il faut sept ans et demi pour en bénéficier. Alors, je suis assurément d'accord avec ce que vous nous dites.

Monsieur Carmichael, je vous comprends parfaitement lorsque vous parlez du fait que les gens avaient l'habitude de grandir là où il y avait plusieurs exploitations agricoles au kilomètre carré alors que maintenant il n'y en a plus qu'une. C'est précisément ce qui se passe à l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Carmichael : On entend souvent, dans l'argumentaire de cette industrie de l'énergie planifiée, que l'avenir, c'est la mondialisation. Mais il faut bien comprendre que ce n'est pas vrai. Ce n'est pas de la mondialisation, c'est de la phagocytation, chacun s'efforçant d'avaler son voisin. C'est tout le système qui nous a trahis. Il faut donc prendre un peu de recul et nous demander où nous avons fait fausse route pour alors régler le problème.

Comme l'a dit Mme Lawn, le problème, ce sont les voisins qui vont lui trouver une solution, ceux qui vivent dans la collectivité rurale. Il faut privilégier l'entraide entre voisins plutôt que la guerre fratricide.

M. Conley : Je voudrais ajouter une chose à propos du logement social. N'oubliez pas que je suis nouveau ici. Le mois dernier, nous avons visité les unités dont le comté est propriétaire et dont il assure l'entretien. Je pense qu'il y en a 667. D'après ce que j'ai pu voir, en ce qui concerne précisément ce genre de logements, le parc immobilier de Leeds et Grenville est l'un des plus vieux de la province. Le plus clair de l'argent que nous recevons, qu'il s'agisse de l'argent du contribuable ou des subventions que le comté reçoit pour assurer l'entretien des ses logements, doit être consacré à l'entretien de ces unités et à leurs réparations. Nous n'avons pas les moyens d'en construire d'autres. Sur ces 667 logements, il y en a deux qui devraient être vendus ou démolis dans une des collectivités. À ce moment-là, c'est à nous qu'il incombe d'en construire deux nouveaux pour reconstituer le parc immobilier. Mais de cette façon, nous n'allons jamais réussir à en construire davantage. À tout le moins, il nous faut plus d'argent pour faire ce genre de choses, pour rester au niveau auquel nous devrions être à l'échelle du comté. Il y a plus à faire au niveau du logement social, mais ce sont des gens qui ont besoin d'un toit. En tant que contribuable, je suis on ne peut plus prêt à faire ma part.

Je pense que si les contribuables savaient tout ce qu'on dépense dans le cadre de ce programme, ils seraient aussi étonnés que moi. Le logement social est un élément très important au niveau du comté.

La présidente : Merci beaucoup. Je pense qu'il y a pas mal d'endroits au Canada qui seraient également d'accord avec cela.

Merci d'être venus. Nous avons beaucoup apprécié ce que vous nous avez dit. Je vous souhaite à tous et toutes bonne chance.

Nous allons maintenant passer au volet discussion libre de notre réunion. Nous avons toute une palette de témoins qui nous attendent. Pour faciliter le bon déroulement des choses, je vais vous demander de vous présenter l'un après l'autre et de nous dire au juste de quoi vous êtes venus nous parler. Nous allons vous écouter l'un après l'autre. La greffière m'a dit qu'elle vous avait déjà demandé de limiter vos interventions à cinq minutes, ce qui donnera à nos sénateurs la chance de vous poser des questions. Nous allons donc commencer par M. Duncan.

Bill Duncan, président, Lanark Landowners Association : Je m'appelle Bill Duncan, et je suis le président de l'Association des propriétaires du comté de Lanark, la Lanark Landowners Association. Nous représentons plus de 2 200 propriétaires fonciers du comté, et nous aimerions vous parler des ruraux pauvres et de leurs problèmes.

Merle Bowes, à titre personnel : Je m'appelle Merle Bowes et je suis membre de la même association, et je représente en outre l'Eastern Ontario Producers Farmers Markets Association.

Deborah Heintzman, membre, LINKS : Je m'appelle Deborah Heintzman, je suis membre du comité de LINKS pour Portland en Ontario. Je suis également une mère monoparentale et les problèmes qui m'intéressent sont ceux de la pauvreté rurale et du développement économique dans notre région.

David Campbell, à titre personnel : Je m'appelle David Campbell. Je suis producteur agricole et je suis venu vous raconter mon histoire.

Dre Denise Bowes, à titre personnel : Je m'appelle Denise Bowes, je suis médecin et j'ai exercé en médecine générale ici à Athens depuis 1976 pour prendre une retraite anticipée pour cause de maladie en 1998. Je suis également, entre autres, bénévole à l'Université Queen's où j'ai participé à la mise sur pied d'un cours facultatif pour les étudiants de six facultés afin de leur apprendre à vivre et à travailler en région rurale. Je fais beaucoup de bénévolat dans la collectivité, et je vous souhaite la bienvenue chez nous.

Laurie Wight, à titre personnel : Je m'appelle Laurie Wight et j'ai choisi de m'établir à Leeds en région rurale où j'habite depuis 37 ans.

Rosemary Kralik, à titre personnel : Je m'appelle Rosemary Kralik, et je suis productrice agricole dans les hautes terres du comté de Lanark. J'appartiens également à la Fédération de l'agriculture de l'Ontario et à d'autres organisations à vocation agricole.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons 50 minutes devant nous, et je vais donc vous laisser la bride sur le cou. Si vous pouviez chacun et chacune vous limiter à cinq minutes, ce serait merveilleux parce que je sais que nos sénateurs tiennent à vous poser des questions.

M. Duncan : Vous avez demandé quelle était la cause de la pauvreté dans les régions rurales du Canada. Qu'est-ce qui provoque la ruine de l'économie rurale? La réponse n'est pas très compliquée. Il ne faut pas creuser très loin pour trouver les causes de la faillite de l'économie rurale. Pour l'essentiel, les réponses sont évidentes dans notre quotidien. Au Canada, les ruraux se sont trouvés acculés dans cette situation non pas par une catastrophe économique ou mondiale, pas plus que par la faiblesse ou la vigueur relative de notre dollar. Si l'économie rurale est en déclin, ce n'est pas à cause de la faiblesse du prix des produits agricoles ou d'une répugnance à affronter la concurrence étrangère. Mais quels sont donc ces facteurs qui ont provoqué cette dévastation?

Tout simplement, la réponse est le gouvernement et une bureaucratie échappant à tout contrôle et n'ayant de comptes à rendre à personne. Certes, pour l'essentiel, les intentions du gouvernement étaient honorables : il n'a jamais voulu négliger une région en particulier ou favoriser une économie au détriment d'une autre. Il n'avait pas non plus l'intention de nous livrer à une quelconque discrimination, mais l'appareil de l'État a trop profondément labouré le sol de nos campagnes avec pour résultat une récolte déficitaire pas seulement pour une saison mais pour longtemps, saison après saison.

Demandez-vous un peu ce qu'il aurait pu advenir du Canada, un pays qu'on appelait jadis le grenier du monde. Cette prospérité a été remplacée par des règlements et des restrictions. Qu'est-il donc arrivé qui a ainsi empêché les producteurs agricoles canadiens d'avoir accès au marché intérieur tout en permettant aux producteurs étrangers de rejoindre de plus en plus facilement les consommateurs canadiens? Le Canada n'est déjà plus capable de produire suffisamment pour nourrir sa propre population. Nous sommes actuellement un importateur net de produits alimentaires. Quatre-vingts pour cent de ce que nous servons à table au Canada vient d'ailleurs.

Trois ordres de gouvernement et les administrations qui leur sont associées ont joué un rôle capital dans cette ruine de l'économie rurale. Au plan provincial, la Société d'évaluation foncière municipale évalue les exploitations et les entreprises rurales en fonction de la valeur du bien-fonds au moment de la vente, ce qui ajoute un fardeau financier injustifié. Cette société qui échappe à tout contrôle et ne rend de comptes à personne va bientôt évaluer les propriétés foncières tous les quatre ans. Toute amélioration apportée à l'exploitation se traduit par une augmentation de l'évaluation. Les acériculteurs risquaient de se faire évaluer comme producteurs industriels parce qu'ils conditionnent leurs produits. Les producteurs de fraises risquent une évaluation plus élevée s'ils vendent leur confiture. Toute exploitation agricole affichant une valeur ajoutée sera évaluée à un taux supérieur.

La multiplication des lois et des règlements, par exemple la loi sur la ceinture de verdure qui empêche les agriculteurs d'étendre leurs activités a pour effet de dévaluer les terres agricoles et de restreindre les méthodes de production ainsi que la production elle-même. Alors que cette loi limite les activités des agriculteurs, le gouvernement provincial permet l'aménagement de routes, de lignes de haute tension, de champs d'épandage, de voies de chemin de fer, d'oléoducs et de gazoducs. Le gouvernement a en projet bien d'autres ceintures de verdure. La ceinture de verdure reliant le parc Algonquin aux Adirondacks reliera également l'Est ontarien à la ceinture de verdure de l'autoroute 401, ce qui restreindra encore plus la production agricole.

La Loi ontarienne sur l'eau saine donnera aux fonctionnaires des pouvoirs sans précédent. Ainsi, l'article 83 permet de confisquer un bien-fonds privé sans le consentement de son propriétaire et sans aucune indemnisation financière. Les articles 47 à 53 donnent aux municipalités le pouvoir de facturer les permis d'extraction de l'eau et de faire installer des compteurs d'eau à tous les puits en région rurale. Les articles 49 et 50 interdisent toute activité réputée nuisible pour les eaux souterraines. L'article 56 stipule que tout propriétaire est dans l'obligation, peu importe ce qui lui en coûtera, de faire tout ce qu'exige l'inspecteur des permis. Il ne sera plus possible de déclarer faillite pour éviter de payer les frais.

La politique provinciale en matière d'utilisation du sol permet à la province de créer des zones tampons autour des terres humides et des cours d'eau. Cette politique interdit toute exploitation agricole à moins de 150 mètres de l'eau et permet la création d'aires d'intérêt naturel et scientifique. Le producteur agricole qui perd ainsi une partie de ses terres n'a droit à aucune indemnisation.

La Loi sur la gestion des éléments nutritifs prévoit qu'il pourra y avoir réparation sans aucune indemnisation. Même si un producteur agricole est obligé de se conformer à la politique provinciale, il n'est pratiquement pas indemnisé.

Il doit se conformer à la loi, une loi qui n'est guère bénéfique pour son exploitation ou pour l'environnement, ce qui lui impose un fardeau financier. Le ministère des Richesses naturelles, en appliquant la Loi sur la protection du poisson et de la faune, laisse les chevreuils, les dindons et les oies ravager en toute impunité les champs sans que les producteurs agricoles en soient indemnisés, au lieu d'assurer la gestion de la faune.

Simultanément, le ministère ne se prive pas pour menacer et intimider les producteurs agricoles qui obtiennent des permis d'abattage en toute légalité. Le ministère des Richesses naturelles a le pouvoir de pénétrer dans n'importe quelle propriété et dans n'importe quelle dépendance sans mandat, seul le domicile du propriétaire étant interdit d'accès. Le ministère de l'Environnement a des pouvoirs illimités. Des travaux peuvent être ordonnés sans motif et sans justification. Si une ordonnance du ministre n'est pas respectée, il y a des amendes et des procès interminables. Le ministère a fait fermer sept scieries dans le comté de Lanark, privant de travail des centaines de gens. Il a jugé que la sciure de bois représentait un danger environnemental pour les eaux phréatiques, alors même que des millions de consommateurs et toutes sortes d'administration ne se privent pas pour répandre des sacs et des sacs de paillis de sciures et d'écorces dans les jardins et sur les plates-bandes.

M. Bowes : Les marchés ont toujours joué un rôle important en Ontario et au Canada, partout où des produits agricoles étaient vendus directement depuis la ferme. Mais il y a environ trois ans, le ministère ontarien de la Santé et les services de santé des districts sont passés à l'attaque contre les marchés fermiers de l'Ontario. Je représente ces marchés où les producteurs vendent directement à la clientèle, sans intermédiaire.

Tout a commencé par des lettres envoyées par les services de santé de districts pour informer les producteurs qu'ils allaient commencer à évaluer les marchés, quitte à condamner la vente de produits alimentaires. Un groupe a été constitué pour étudier la situation et, dans un premier temps, plusieurs représentants des marchés fermiers en faisaient partie. Mais au moment où la deuxième et la troisième séries de recommandations ont été proposées, il n'y avait plus à ce conseil que deux représentants du monde agricole. Le conseil a donc travaillé sans véritablement être en contact avec les marchés et sans véritablement bien connaître ceux-ci.

Pour vous donner un exemple, le service de santé a produit une liste énumérant les produits qui pouvaient être raisonnablement vendus sur ces marchés. On y trouvait notamment les boissons froides vendues dans leur conditionnement d'origine, les boissons gazeuses et les jus en canettes, les produits glacés vendus dans leur conditionnement d'origine ainsi que les boissons chaudes. Ce n'est qu'en numéro quatre sur cette liste qu'on peut voir quoi que ce soit qui est en rapport direct avec ce qui est produit à la ferme.

Ces trois séries de propositions allaient du mauvais au pire. Elles étaient inacceptables. Si on les avait acceptées, cela aurait contraint tous les marchés fermiers de l'Ontario à déclarer faillite. Pour finir, M. Smitherman et le ministère ontarien de la Santé ont créé une série d'exemptions à ces règles très strictes en matière alimentaire. Mais les services de santé ont aussitôt fait de critiquer cela, disant que la décision de M. Smitherman risquait d'exposer les Canadiens à toutes sortes de risques inconnus. Lors de nos négociations avec les services de santé ainsi qu'avec le ministère, nous avons demandé des exemples de produits alimentaires qui avaient entraîné des problèmes de santé ou des maladies. Ils ne nous ont pas donné un seul exemple, et cela alors même que ces deux administrations continuaient à nous attaquer.

L'Agence canadienne d'inspection des aliments ne rend compte à personne. Elle est censée protéger la population de tout danger de nature alimentaire. Il nous est impossible de nous adresser à l'Agence ou de contester ses politiques. Par exemple, l'Agence insiste pour créer des catégories de légumes. C'est de propos délibéré qu'elle sème le doute chez le consommateur en disant que c'est un élément de la salubrité des aliments. Mais cela n'a rien à voir avec la salubrité des aliments. Je sais très bien comment on classe les légumes et je sais très bien qu'un concombre qui aurait baigné dans l'essence pourrait facilement être considéré comme appartenant à la catégorie Canada numéro 1. Cela n'a rien du tout à voir avec la salubrité des aliments, c'est simplement une question d'aspect, de forme et de taille.

L'étiquetage lui aussi est extrêmement trompeur pour le consommateur. La règle des 51 p. 100, qui permet de marquer de la mention « Produit du Canada » les conditionnements de produits alimentaires. Cela veut simplement dire que 51 p. 100 du prix de revient du produit en bout de chaîne doit avoir été encouru au Canada et que l'aspect du contenu doit avoir changé de façon notable. Cela ne veut pas dire qu'un conditionnement dont l'étiquette mentionne « Produit du Canada » contient un produit alimentaire originaire du Canada. Il arrive tout le temps qu'on mélange des produits canadiens ou ontariens à des produits importés. C'est ce qu'on peut lire sur le site web de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Mais c'est aussi parfaitement ridicule : la plupart d'entre nous savons pertinemment que le Canada ne produit pas d'olives. Mais en vertu de la réglementation de l'ACIA, on peut vendre des olives avec la mention « Produit du Canada ».

L'Agence a toujours été prompte à s'en prendre aux petites entreprises. La boulangerie artisanale de Renfrew vient ainsi d'être attaquée de façon tout à fait injuste. Lorsque nous nous en sommes plaints, l'Agence a dû faire volte-face parce qu'elle avait outrepassé son propre mandat. D'ailleurs, il lui aurait été impossible de faire appliquer toutes les restrictions qu'elle avait ainsi tenté d'imposer à cette boulangerie.

Alors que de plus en plus de gens parlent au Canada d'acheter des produits locaux, des produits frais, ils trouvent sur leur chemin leur propre gouvernement, leur propre bureaucratie.

Mme Heintzman : Je vais vous parler de mon cas à moi, mais également de certains problèmes qui me concernent et qui concernent des gens que je connais. Je suis une mère de famille monoparentale et, après alors que j'étais salariée, après mon mariage, j'ai fini par m'inscrire à l'aide sociale pour essayer de parfaire mes études. J'ai dû me battre contre le système pour y arriver parce que celui-ci ne permet pas de reprendre les études, de toucher l'aide sociale et de recevoir l'assurance-emploi en même temps. Si cela était possible, je pourrais terminer mes études. J'ai très peu d'argent pour faire quoi que ce soit. J'essaie de me trouver du travail saisonnier ou de petits boulots au salaire minimum. J'ai du mal à trouver des garderies abordables, c'est presque impossible parce que je ne gagne pas suffisamment pour pouvoir payer ce genre de choses. Dans cette région, les boulots sont pratiquement inexistants, du moins les bons emplois.

Il faut davantage de développement économique, davantage aussi de services comme les soins dentaires à prix raisonnables. Dans les environs de chez moi, il y a trois dentistes, mais certains d'entre eux ne prennent plus les assistés sociaux. Ils vous acceptent comme patients pourvu que vous ayez les moyens, ou encore que vous vous entendiez avec eux. Mais ce n'est pas garanti. Cela dépend du dentiste. Il faut davantage de dentistes chez nous, davantage de dentistes qui seraient prêts à laisser leurs patients payer une cotisation mensuelle raisonnable. Voilà en partie mon problème. Je n'ai pas les moyens de consulter un dentiste et de me faire arranger les dents. Je sais que je ne suis pas toute seule. Je connais des gens qui ont besoin de soins dentaires mais qui n'en ont pas les moyens. Il n'existe rien pour aider ces gens- là.

Comme je vous le disais aussi, les boulots sont très rares. J'ai un diplôme de l'Université Queen's, un diplôme qu'il m'a fallu neuf ans pour obtenir. J'ai dû travailler très dur. Je continue à me bagarrer. Je me suis inscrite à un programme pour la petite entreprise par l'entremise de ce que l'on appelait jadis l'assurance-chômage et qui s'appelle maintenant l'assurance-emploi. Mais il y a de nombreux obstacles à franchir avant d'y arriver, et pour être admis et pour pouvoir rester, c'est encore une autre histoire. J'attends encore qu'ils approuvent mon plan d'affaires. J'espère qu'ils le feront, mais je n'ai aucune garantie.

Il est difficile de faire des affaires dans cette région. Il nous faut plus d'entreprises. Il nous faut plus d'emplois qui paient convenablement afin que les gens puissent subvenir à leurs besoins et à leur famille. C'est très important. Il nous faut de bons soins médicaux, dentaires et oculaires.

Dans la région, les emplois qu'on est obligé d'accepter sont essentiellement saisonniers. J'ai travaillé dans des situations dangereuses mais je n'avais pas le choix. Je devais faire le travail de toute façon parce que j'avais besoin de l'argent.

Je répète qu'il faut que les choses changent dans la région en ce qui concerne l'emploi et le développement économique. C'est extrêmement important. Il faut se pencher sur la question.

M. Campbell : En tant qu'agriculteur, je suis tout à fait d'accord avec elle. J'ai fait de l'agriculture dans deux provinces. J'ai été d'abord en Alberta. J'ai été élevé dans le comté de Lanark.

La présidente : Où en Alberta?

M. Campbell : À Vermillion.

Durant les années Mulroney, il nous aidait tellement que nous avons dû tous cesser nos activités, alors nous sommes revenus en Ontario. Nous avons commencé en Ontario en 1987 comme producteurs de crème, ce qui représentait un combat intéressant. Nous avions 45 truies et élevions des cochons. Nous n'avions jamais assez d'argent pour faire quoi que ce soit d'autres que de produire de la crème. Ma femme a toujours continué à travailler pour aider la famille. Heureusement qu'elle bénéficiait de l'assurance dentaire, sinon on aurait perdu la ferme.

Il y a quelques années, nous avons réussi à passer à la production laitière. Nous sommes passés à 100 p. 100 au lait et c'était une bénédiction parce que tout d'un coup nous étions payés pour la valeur totale de notre lait. Nous sommes de petits producteurs. On venait chercher notre lait parce que nous avions ce quota. C'était très important pour nous. Tout d'un coup, nous avions de l'argent, ce que nous n'avions jamais eu jusque-là.

Nous avons dû acheter du matériel d'occasion. Nous travaillions avec nos voisins. Nous avons de jeunes agriculteurs qui voudraient reprendre l'exploitation de leurs parents. Mes filles attendent de le faire. Je suis tellement heureux de voir ces jeunes qui veulent rester dans l'agriculture parce que cela m'encourage à continuer à travailler.

Je sais qu'il y a des tas de règles et règlements. Dans certains cas, en effet, ça va trop loin, mais il y en a qui sont nécessaires.

Je fais énormément de choses pour essayer d'aider les jeunes agriculteurs. Je sais que c'est difficile et qu'il faut se battre. C'est terrible, lorsqu'il faut avoir deux emplois pour continuer à faire tourner l'exploitation. Ce n'est pas normal. Nous devrions pouvoir gagner notre vie à la ferme. Mais ce n'est pas possible.

Chaque fois qu'il y a des élections, les gouvernements ne cessent de promettre d'aider les agriculteurs. J'ai souvent eu l'impression que nous ne comptions même pas. Nous n'existons pas, tant qu'il n'y a pas une grande crise et que tout le monde tombe. À ce moment-là, ils se réveillent et s'aperçoivent que les pauvres agriculteurs sont en difficulté. Ils se font élire mais ne font toujours rien. Un an après que M. Harper ait pris le pouvoir, nous n'avons toujours pas reçu beaucoup d'aide. Beaucoup de nos agriculteurs sont en difficulté. L'anxiété n'a plus de borne. Or, nous ne devrions pas être anxieux.

Les agriculteurs ont besoin d'aide. J'ai traversé beaucoup de périodes difficiles et je ne veux pas que la prochaine génération fasse ce que j'ai dû faire et vive comme j'ai dû vivre. C'est tout.

Vous pouvez influer sur le gouvernement et peu importe que ce soit des conservateurs, des libéraux ou des néo- démocrates, il faut qu'ils écoutent. Nous avons besoin d'aide maintenant, sinon hier, mais certainement pas peut-être la semaine prochaine ou dans un mois. Nous avons des agriculteurs qui ne peuvent payer leurs factures. Évidemment, il y en a qui gagnent bien leur vie mais la majorité des agriculteurs dans le comté de Lanark sont en difficulté. C'est aussi simple que cela.

La présidente : David, nous ferons notre maximum. Merci.

Dre Bowes : Je vais commencer par recommander un livre que nous utilisions comme manuel pour le cours dont je vous ai parlé. Il s'intitule Writing Off the Rural West : Globalization, Governments, and the Transformation of Rural Communities. Ce texte inclut une série d'essais de géographes, spécialistes de sciences politiques et sociologues qui expliquent comment, depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique gouvernementale à tous les paliers a été néfaste à la population des régions rurales et est en grande partie responsable de l'exode des régions rurales vers les régions urbaines.

Cet ouvrage a servi de base à un documentaire pour l'émission Ideas de la station radio anglaise de la SRC intitulée « The Canadian Clearances ». Si vous connaissez l'histoire des « Clearances », le Grand Nettoyage, des Hautes Terres en Écosse, c'est exactement la même idée, c'est ce qui arrive ici. On parle de toutes les industries qui ont eu une incidence sur la vie rurale au Canada et je vous recommande fortement cette lecture.

Les étudiants des six facultés nous ont dit pourquoi ils avaient peur d'aller exercer leur profession dans des régions rurales. Ils ont peur d'être isolés, de ne pas pouvoir bénéficier de possibilités de collaboration avec d'autres, de ne pas voir respecter leur vie privée et d'avoir du mal à satisfaire aux besoins professionnels et personnels de leur conjointe. J'estime que le nombre de professions libérales dans les régions rurales se doivent de défendre le reste de la population, leurs élèves et leurs patients. C'est un rôle essentiel qu'ils doivent jouer. Alors que nous perdons ces gens-là dans les régions rurales, nous perdons des défenseurs de la cause de gens qui ont besoin de nous. Cela réduit également le nombre de personnes qui peuvent assumer des rôles de direction. Nous le constatons ici, alors que nos bénévoles sont de plus en plus âgés. Dans une organisation, tous nos bénévoles ont plus de 70 ans et personne ne vient les remplacer.

Il y a une organisation bénévole, ici, à Leeds-Grenville, qui encourage à acheter des produits locaux à la ferme. Il s'agit de Local Flavours. Vous n'en avez probablement pas entendu parler et c'est pourquoi je voulais la mentionner. Ce groupe donne des cours de cuisine à Gananoque pour apprendre aux gens à utiliser des produits locaux qui viennent directement de la ferme. Une personne qui donne ces cours m'a dit qu'il y a beaucoup de gens de moins de 50 ans qui ne savent pas comment conserver ou congeler les produits. Et ils n'ont aucune idée non plus de la façon de cuire une courge ou un navet. Ils n'utilisent que des aliments transformés qui coûtent cher. Ces aliments ont à long terme des effets négatifs sur notre santé.

Le sénateur Callbeck a demandé tout à l'heure quel était le rôle du gouvernement pour aider les collectivités rurales à survivre. Il pourrait renverser beaucoup de décisions qui ont été prises. La fermeture des petits hôpitaux, des écoles et des stations de police locaux, et cetera, qui facilitent la vie dans une région rurale, est une erreur. C'est aux gouvernements à tous les paliers de faire le nécessaire. Ce n'est pas en se déchargeant de leurs responsabilités que nos gouvernements nous aident. Les administrations locales n'ont pas l'argent voulu pour assumer les nouveaux rôles qu'on leur demande d'assumer.

Mme Wight : Je suis venue ce matin pour écouter ce que les autres avaient à dire au comité. Lorsque le sénateur Segal a demandé au premier groupe de témoins ce qu'ils suggéreraient, s'il n'y avait qu'une chose que pouvait faire le gouvernement, j'ai réfléchi.

Une chose que pourrait faire le gouvernement fédéral et qui aurait un effet immédiat sur la pauvreté rurale serait de réduire la taxe sur les carburants. Venir ici m'a coûté environ 2 $ de taxe sur les carburants. Je devrai en payer encore deux autres pour rentrer chez moi. Dans un milieu rural, il faut prendre sa voiture pour aller au magasin, à la banque, se faire soigner et même aller travailler.

J'ai lu qu'un des facteurs qui contribuent à l'excédent budgétaire croissant du gouvernement fédéral est la taxe sur les carburants, qui ne cesse de croître avec l'augmentation des prix de l'essence. Une partie de cet excédent est censée revenir aux Canadiens urbains sous forme de crédits d'impôt pour les transports publics. Nous n'avons pas ici de transports publics comme beaucoup vous l'ont dit ce matin. Si vous rendez une partie de cet argent aux pauvres des régions rurales, en recourant peut-être au même système que celui par lequel vous remboursez la TPS aux familles à faible revenu, cela laisserait aux gens plus d'argent pour vivre. Les crédits d'impôt pour les transports publics ne sont qu'un exemple parmi d'autres de politiques qui ne tiennent pas compte des habitants des régions rurales. Ces politiques nous touchent tous d'une façon ou d'une autre, mais elles ont des répercussions plus graves sur les pauvres. Ils ne peuvent pas absorber ces coûts supplémentaires comme tout le monde.

On a récemment annoncé que l'on offrirait un incitatif à l'achat de véhicules éconergétiques. Cela n'aide certainement pas les pauvres qui ne peuvent pas se permettre d'acheter une nouvelle voiture. Cela ne nous aide pas beaucoup non plus dans une région rurale parce que la voiture qui obtient le remboursement le plus important est le véhicule hybride qui n'est justement pas bien coté pour sa consommation sur les routes.

Je trouve encourageant que le Sénat ait trouvé bon d'examiner la situation de la pauvreté en milieu rural et j'espère que cette expérience vous permettra de mieux comprendre comment les politiques ne s'appliquent pas toujours de la même façon aux Canadiens des régions urbaines et à ceux des régions rurales.

La présidente : Merci beaucoup. C'est précisément la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.

Mme Kralik : Merci beaucoup d'avoir organisé ces réunions. J'ai connu la rupture d'un mariage, je suis monoparentale, j'ai dû retourner aux études et travailler comme un chien à la moitié du salaire de l'homme qui faisait la même chose que moi pour pouvoir m'en sortir. J'ai réussi à acheter une exploitation de 722 acres où j'ai 100 animaux pour apprendre qu'il faut 10 000 $ de foin pour produire 5 000 $ de viande.

Tout le monde a dit des choses intéressantes. J'aimerais vous rappeler un peu l'histoire. Les problèmes dont nous souffrons aujourd'hui viennent de politiques gouvernementales qui favorisent les multinationales aux dépens de nos agriculteurs. Leur seule loi est d'optimiser les bénéfices immédiats pour leurs actionnaires, sans égard pour notre santé, notre environnement, l'humanité ni l'avenir.

L'économie d'échelle s'applique très bien à l'industrie. La révolution industrielle nous a montré comment l'on peut produire pour pratiquement rien. Dès que l'on applique l'économie d'échelle à des êtres vivants, l'on souffre des conséquences de la maladie, de ressources compromises et de la destruction de l'environnement, sans parler d'un milieu propice à des pandémies.

C'est l'agriculture qui a permis la civilisation. C'est sur l'agriculture que s'est fondée la civilisation et l'histoire de l'humanité. Dès que la civilisation se détache de la terre, dès qu'elle tourne le dos à l'agriculture, sa fin est proche.

Par exemple, entre 1988 et 2002, les exportations ont augmenté de 159 p. 100, passant de 10 ou 11 milliards de dollars à 28,5 milliards de dollars. Le revenu net des agriculteurs est passé de 3 à 4 milliards de dollars. La réduction, si vous calculez le coût de la vie, est de 24 p. 100.

Aucun autre secteur n'a subi les politiques de compensation et continue à produire. Depuis 50 ans, c'est l'agriculteur qui se bat alors que tout est contre lui. Seul l'agriculteur a la détermination, la loyauté, la persévérance et l'honnêteté de continuer. Les agriculteurs sont les spartiates de notre sol. Ce sont les premiers gérants. Ils se sont assurés que tout restait sain. S'ils ne s'occupaient pas de l'avenir, il n'y aurait plus d'avenir. Ils ne peuvent s'inquiéter de gains à court terme.

J'ai entendu des politiques dire que ce l'on pouvait faire de mieux pour le paysan et l'agriculteur, c'était de le transplanter dans une ville où il pourrait aller à l'opéra et au ballet et faire de bonnes études. Si l'on prend une personne qui peut discuter de Tolstoï ou d'Archimède et qu'on la laisse à elle-même, comment survivrait-il? L'agriculteur n'a pas forcément de diplôme mais l'agriculteur, jour après jour, relève un défi qui englobe science, médecine, architecture, génie, tout ce qui est nécessaire pour survivre. Si l'agriculteur n'agit pas immédiatement et positivement, Mère nature n'attendra pas deux ans parce qu'il est en réunion. On meurt immédiatement et le bétail ou la récolte aussi. L'agriculteur est donc quelqu'un d'exceptionnellement créatif qui répond à une multitude de choses. On peut compter sur le génie des agriculteurs pour nous aider à traverser tous les problèmes que nous connaissons aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'environnement, de la santé ou de l'éducation.

La présidente : Merci beaucoup à tous. Je remarque que M. Duncan nous a remis son texte et nous l'intégrerons à notre dossier. J'espère que ceux d'entre vous qui ont préparé quelque chose par écrit pourront en faire autant.

Nous avons eu une excellente discussion. J'ai appris beaucoup de choses aujourd'hui car, quelquefois, quand on est à Ottawa, on n'entend pas ce genre de choses. Il nous faut les entendre constamment, mais je peux vous dire que les agriculteurs de l'Alberta ne me ménagent pas.

Le sénateur Mercer : Merci à tous. Madame Kralik, tout ce que je puis dire, c'est amen; bravo! Vous avez touché à tout ce qui est important et vous avez certainement fait ressortir certains des problèmes que nous examinons. Je sais personnellement faire cuire une courge et un navet. C'est déjà ça.

Madame Wight, vous avez répondu à une question que le sénateur Segal avait posée à d'autres et je pense que c'est la question que nous nous posons probablement tous. J'aimerais en particulier avoir la réponse de Mme Heintzman qui est témoin de la pauvreté en milieu rural.

S'il y avait une chose que le gouvernement pourrait faire immédiatement pour remédier à la pauvreté en milieu rural, qu'est-ce que vous recommanderiez? Si nous pouvions lundi matin entrer dans le bureau de Stephen Harper et lui dire voici ce qu'il faut faire immédiatement, qu'est-ce que vous nous recommanderiez?

Mme Heintzman : Il est difficile de répondre tellement il y a de choses à faire dans ce domaine.

Une chose qui aiderait serait le développement économique. Il nous faut de meilleurs emplois et plus d'emplois. Il nous faut des emplois qui sont accessibles à des gens de tous les milieux. Il nous faut de bons emplois qui nous aident à améliorer notre sort. En plus des emplois, il nous faut l'instruction nécessaire pour obtenir ces emplois. Il faut l'instruction et l'accessibilité aux études. Il n'y a rien pour aider les mères et les pères monoparentaux à reprendre des études pour obtenir de bons emplois.

Dre Bowes : Je recommande un revenu minimum garanti parce que les pauvres dépensent leur argent localement et que s'ils ont plus d'argent, cela sert à toute la collectivité.

Le sénateur Mercer : Tout le monde semble parler de revenu garanti. On nous l'a suggéré dans des tas de régions. Je n'aurais jamais pensé qu'on en parlerait autant.

Monsieur Campbell, vous êtes le premier agriculteur que nous ayons rencontré à l'occasion de ces audiences qui dit que ses enfants veulent lui succéder à la ferme.

M. Campbell : Ils sont un peu fous comme moi.

Le sénateur Mercer : C'est de famille.

M. Campbell : Mon beau-frère en Alberta a des enfants qui veulent aussi lui succéder à la ferme. C'est la même chose là-bas. Nous y étions l'automne dernier parce que nous avons des amis partout dans l'Ouest, au Manitoba et en Saskatchewan. C'est partout la même chose. Il va falloir qu'un gouvernement ou l'autre se réveille un jour et comprenne que le monde agricole est en difficulté. Si l'on n'a plus d'agriculteurs, on peut avoir toute la réglementation du monde, cela ne signifie rien.

Le sénateur Mercer : Nous avons entendu des agriculteurs jeunes et moins jeunes en Alberta, au Manitoba et en Saskatchewan nous dire qu'ils ne veulent pas que leurs enfants pratiquent l'agriculture. Le problème, c'est de savoir quoi faire de tout ce que l'on investit dans la terre.

Je me pose donc la question, est-ce parce que vous avez un quota pour le lait?

M. Campbell : J'ai vendu le quota. Je gagne mieux ma vie maintenant. Nous avons investi nos produits de cette vente.

Le sénateur Mercer : Qu'est-ce qui pousse vos deux enfants à vouloir reprendre l'exploitation? Je vous dis que c'est la première fois que nous entendons cela durant ces audiences.

M. Campbell : C'est probablement parce que ma femme et moi n'avons jamais parlé de nos difficultés. Nous les avons simplement supportées. J'ai beaucoup d'amis qui ont des enfants qui veulent reprendre aussi l'exploitation. Ils savent qu'il leur faudra peut-être travailler aussi à l'extérieur pour survivre. C'est un mode de vie.

Si nous obtenons du marché ce que nous méritons, soit 3,40 $ au lieu de 1,40 $ pour les veaux, nous n'aurons plus à occuper un autre emploi. D'autres travailleurs pourraient occuper la plupart des emplois qu'ont actuellement des agriculteurs.

Le sénateur Mercer : Combien de personnes travaillent dans votre ferme?

M. Campbell : Mes filles travaillent pour moi.

Le sénateur Mercer : Si le marché vous payait le juste prix pour vos produits, seriez-vous prêt à embaucher quelqu'un?

M. Campbell : Fort probablement. Je serais ravi de prendre un jour de congé de temps en temps.

La présidente : Quand nous étions dans le sud-ouest de l'Alberta, nous avons entendu des gens dans les villes, les villages, les fermes et les parcs d'engraissement. Ils nous ont parlé des difficultés traversées au cours des dernières années. Nous avons entendu de jeunes agriculteurs qui étaient déjà au bout du rouleau. Ils faisaient de leur mieux, mais affirmaient ne pas pouvoir rester longtemps dans ce secteur. Le même jour, nous avons rencontré un autre jeune homme, ainsi que ses trois frères et son père, qui nous ont fièrement fait visiter leur parc d'engraissement. Il était prêt à se lancer en affaires.

M. Campbell : C'est une question d'attitude. Il faut aimer ce qu'on fait.

La famille de ma femme est de Consort. Elle l'a quitté dans les années 1930. Ma femme et sa famille ont vécu la sécheresse de sept ans des années 1930. Ma femme connaît les difficultés de la vie à la ferme. Elle a grandi sur une ferme. Il y a toujours des difficultés. Voilà quel est le problème. Il nous faut un meilleur prix pour nos produits.

Le sénateur Segal : Je voulais poser une question à MM. Bowes et Duncan. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour la question du marché. Je pense que le gouvernement a eu une réaction exagérée en prenant des règlements qui n'étaient pas vraiment nécessaires.

Si le gouvernement adoptait l'analyse de M. Duncan, il y aurait une réaction publique. Vous proposez qu'on revienne en arrière, qu'on abolisse l'ACIA, qu'on cesse le classement des produits alimentaires, qu'on cesse de déterminer s'il faut ou non pasteuriser, et cetera.

Voici ce que je veux savoir. Comment renseigner le public? Dans une démocratie, qu'il s'agisse des conservateurs, des libéraux ou des néo-démocrates, on réagit en fonction de l'attitude du public, mais il faut que le public soit renseigné sur la réalité agricole et ce n'est pas le cas. Les citadins n'ont pas de liens avec les gens des régions rurales. Nous ne savons pas ce qui se passe.

Pouvez-vous imaginer que le ministre Strahl annonce la fermeture de l'ACIA, parce que c'est une épine dans notre pied? Il y aurait des émeutes. Que nous conseillez-vous?

M. Duncan : L'ACIA réglemente trop les produits alimentaires canadiens et pratiquement pas les produits importés. Comme pays, nous réglementons constamment ce que nous produisons au Canada et ce que les consommateurs canadiens mettent dans leur assiette. Comme pays, nous n'avons aucune influence sur les États-Unis, la Chine ou le Costa Rica pour leur production alimentaire, pour l'épandage de produits chimiques, et cetera.

Nous avons assisté à la fermeture de l'usine Hershey ici, à Smiths Falls. Hershey compte 500 employés et toute la région en profite, économiquement. L'usine de Hershey consomme suffisamment de lait pour acheter celui de 300 fermes laitières de l'Est ontarien. À cause de l'ACIA, l'usine de Hershey a été fermée pendant deux mois. Or, le problème de salmonelle était attribuable à de la lécithine de soya importée du Brésil. Elle n'était même pas fabriquée au Canada. Elle n'avait pas été testée. C'est Hershey qui a constaté le problème et l'a signalé à l'ACIA. Pour éviter la honte ou pour toute autre raison, l'ACIA a gardé l'usine fermée pendant deux mois, ce qui a représenté une perte de 14 millions de dollars.

Si nous étions le conseil d'administration de Hershey, en Pennsylvanie, qu'on parlait de la situation mondiale de la société et de la fermeture d'une usine à Smiths Falls pendant deux mois, assortie d'une perte de 14 millions de dollars, nous pourrions être tentés de faire des affaires ailleurs. Ce n'est qu'un petit exemple.

Nous avons actuellement un problème associé au gluten de blé importé de Chine. Le gluten de blé est contaminé au raticide, qui est aussi un composé chimique faisant partie des engrais. Il n'a pas été testé par l'ACIA.

Si on veut préserver l'Agence canadienne d'inspection des aliments, laissons-la inspecter les aliments, mais tous les aliments. Ne laissons pas l'Agence s'en prendre aux producteurs canadiens, et fermer leurs portes en vertu de règlements que peut appliquer l'Agence. L'ACIA doit être plus vigilante au sujet de la qualité des aliments importés. L'ACIA étouffe les agriculteurs canadiens.

Je ne sais pas si vous connaissez le terme « monopsone » : c'est un marché où des sociétés achètent les aliments, mais fournissent aussi les intrants. C'est un cercle vicieux. Je ne m'étendrai pas sur la question de la gestion de l'offre du lait pasteurisé ou non pasteurisé, mais il nous faut au Canada retrouver la liberté que nous avions. Il nous faut avoir accès à la table des consommateurs, sans réglementation.

Je vais vous donner un petit exemple. Si j'étais briqueteur à Ottawa, je n'aurais qu'à m'annoncer et aller travailler. Je prendrais ma truelle et ma boîte à goûter, je monterais dans mon camion et j'irais travailler. Pour produire des aliments au Canada, il faut investir 1,5 à 2 millions de dollars. Malgré cet investissement, je ne sais pas si je vais pouvoir subvenir aux besoins de ma famille. Je peux peut-être subsister, mais il n'y aura pas suffisamment d'argent pour alimenter la deuxième génération de la famille, qui pourrait vouloir reprendre les affaires.

Revenons à la comparaison avec le briqueteur, qui peut construire des murs, sans réglementation. Il met son casque de chantier et va travailler. En agriculture, la réglementation est étouffante et nuit à la croissance.

Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'arbres dans votre rue qu'il n'y en a pas en abondance chez moi. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas à creuser un puits pour avoir de l'eau que je n'ai pas à le faire moi. Je ne pollue pas l'eau. On n'a pas à me dire qu'il me faut une zone tampon de 500 pieds par rapport aux cours d'eau. C'est ce que j'ai toujours fait, comme mon père et son père, et comme nous le faisons depuis des générations. Nous avons maintenant des lois pour nous obliger à respecter des pratiques que nous avons adoptées volontairement il y a longtemps.

Ce qui s'est produit à Walkerton est une tragédie, et l'agriculture a été victime de cette tragédie. La tragédie de Walkerton est due à deux ivrognes qui n'ont pas fait leur travail. Mais tout le monde en a profité pour pointer du doigt l'agriculture. Nous n'avons rien fait de mal. L'agriculture a été exonérée, mais l'histoire retiendra que c'était la source du problème. Ma fille a des cours d'enseignement de plein air, qui sont donnés tant en plein air qu'en classe. Une partie du cours porte sur la gestion de l'eau. J'ai écrit à l'école et j'ai demandé la possibilité de m'adresser à l'ensemble de l'école sur ce sujet. Dans ce cours, on dit que le pH de l'eau est de 4,5 et on donne la liste des secteurs industriels en amont. On y trouve l'agriculture. Pour réussir l'examen, il fallait répondre à une question sur les industries en amont. L'élève devait désigner l'agriculture dans la liste des coupables. C'est une question biaisée et la réponse, c'était que l'agriculture était coupable.

Il faut changer de mentalité. Là où je vis, l'herbe est bien verte, le maïs pousse dru et nous nourrissons la population. On nous punit de faire ce travail.

Des voix : Bravo, bravo!

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venus aujourd'hui. Monsieur Bowes, j'aimerais que vous étoffiez vos commentaires sur la publicité trompeuse. J'aimerais en savoir davantage sur ce qui peut être appelé un produit canadien.

M. Bowes : Si 51 p. 100 du coût final est payé au Canada, alors, c'est un produit canadien. Ainsi, un transformateur peut acheter des concombres n'importe où dans le monde et les convertir en marinades ici, au Canada. Il peut payer un prix modique pour ces concombres. Si le coût de la marinade, de la mise en conserve et de l'étiquetage est de 51 p. 100 du coût final, il s'agit alors d'un produit canadien, même si les concombres ne sont pas du Canada.

Je suis contre la réglementation. Je suis pour l'élimination de la réglementation qui ne sert ni le consommateur, ni le producteur. Nous avons trop de règlements. Nous sommes inondés de règlements. Ils ne font que nous coûter cher, notamment en temps et en efforts. Le gouvernement excelle lorsqu'il s'agit de désavantager les producteurs canadiens. Les règlements empêchent les producteurs alimentaires canadiens d'être concurrentiels avec les producteurs étrangers, dont les produits sont importés sans être réglementés.

Les politiques gouvernementales étrangères ne sont pas aussi strictes que les nôtres. Nous avons un approvisionnement alimentaire sûr, ici, au Canada. Là n'est pas la question. Ce que je redoute, ce sont les aliments malsains qui ne sont pas inspectés.

En passant, l'Agence canadienne d'inspection des aliments est directement responsable de la plupart des aliments vendus dans les épiceries canadiennes. Or plus de 80 p. 100 des aliments importés au Canada ne sont pas inspectés. L'ACIA est responsable. Aucune autre agence n'a ce pouvoir. Nous sommes tous pour l'innocuité des aliments, cela va de soi. Il faut une politique alimentaire nationale qui donne aux producteurs une politique alimentaire objective. Il faut renseigner les consommateurs canadiens sur ce qui est inspecté et sur ce qui ne l'est pas.

Au lieu de s'autocongratuler sur son travail bien fait, l'ACIA devrait renseigner le public sur les dangers réels relatifs aux aliments importés. Voici la liste, en date d'hier, des rappels d'aliments pour le mois de mars. Pour certains de ces articles, les consommateurs canadiens ont servi de cobayes. L'ACIA n'empêche pas la vente de ces produits aux consommateurs. Le système ne fonctionne pas bien. Les consommateurs canadiens ont entendu parler de politiques sur la sécurité alimentaire, mais il s'agit de vœux pieux.

Les agriculteurs vivent des temps difficiles. Ils représentent de 1,5 à 2 p. 100 de la population. Les temps sont durs pour eux, mais ceux qui ont le plus à craindre sont les consommateurs canadiens.

Le sénateur Callbeck : Docteure Bowes, vous étiez à énumérer les éléments d'une liste quand vous avez déclaré qu'il fallait renverser certaines tendances. Vous avez parlé de la fermeture des écoles et des hôpitaux et de la dévolution des services. Pourriez-vous étoffer vos propos?

Dre Bowes : Les règlements pris par le gouvernement comme le crédit d'impôt pour la TPS n'aident pas vraiment les gens qui n'ont pas les moyens de s'acheter un réfrigérateur ou une nouvelle voiture. Beaucoup des gens que je connais ont un revenu inférieur à 20 000 $ par année.

Je crois aussi que le gouvernement a un rôle de réglementation et je suis tout à fait d'accord avec M. Bowes et M. Duncan. Je ne pense pas que le rôle de réglementation du gouvernement soit celui qui a été adopté par une commission d'hygiène publique dans le cas des marchés publics. Je suis tout à fait pour l'innocuité des aliments produits localement. Je pense qu'il faut protéger le public. Le rôle du gouvernement est donc en partie de renseigner la population sur ce dont vient de parler M. Bowes, parce que les gens ne savent pas ce qu'ils achètent. Ils ne savent pas que ces produits ne sont pas nécessairement sains, autrement, ils n'en consommeraient pas.

Nous consommons des quantités effarantes de produits chimiques qui sont dans l'air, le sol, l'eau et les aliments. La plupart des gens n'en sont pas conscients. Il faut à la fois renseigner le public et légiférer. C'est en vain qu'on a attendu que les grandes entreprises agissent pour le bien de l'environnement. C'est au gouvernement d'agir pour nous protéger.

La présidente : Nous avons eu toute une journée. Nous vous remercions tous de votre patience. Nous voudrions rester ici encore des heures. Nous pourrions certes continuer. Il nous faut entendre tout cela, et l'entendre partout au Canada. Nous sommes ravis d'être ici aujourd'hui. Manifestement, vous vous êtes donné bien du mal pour venir à cette rencontre. Nous vous remercions et remercions tous ceux qui sont restés ici, tout au long de la journée.

Cela a été une très belle occasion pour le comité. J'espère que vous constaterez, quand notre rapport sortira dans plusieurs mois, qu'il reflète certaines de vos préoccupations et suggestions.

Merci, chers collègues, de votre bon travail.

La séance est levée.


Haut de page