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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 23 - Témoignages du 26 avril 2007


OTTAWA, le jeudi 26 avril 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 4 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et mesdames et messieurs les témoins. Je salue également tous ceux qui écoutent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

En mai dernier, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. L'automne dernier, nous avons entendu un certain nombre de témoins experts qui nous ont brossé un tableau global de la pauvreté au Canada. À partir de ces témoignages, nous avons rédigé un rapport intérimaire qui a été publié en décembre 2006 et qui a vraiment touché une corde sensible.

Nous sommes dans la deuxième étape de l'étude. Jusqu'à présent, nous sommes allés en Ontario, dans les quatre provinces de l'Est et dans les quatre de l'Ouest. Nous avons rencontré un groupe de ruraux vraiment merveilleux et fort différents les uns des autres. Ils nous ont accueillis à bras ouverts dans leur collectivité et parfois même dans leur foyer.

Nous voulons entendre le plus de témoins possible, et c'est pourquoi nous continuons à tenir des réunions à Ottawa entre nos déplacements.

Le premier groupe de témoins que nous avoir le grand plaisir d'accueillir ce matin comprend Mme Cynthia Edwards, directrice nationale, et M. J. Barry Turner, directeur des relations avec les gouvernements dans une organisation fort populaire, Canards illimités Canada.

J. Barry Turner, directeur des relations avec les gouvernementales, Canards illimités Canada : Nous avons essayé de présenter cet exposé il y a environ un mois, mais il y a eu un vote ce soir-là. Il y avait une séance en soirée, et la mission a avorté. Je présume que, à 8 heures du matin à Ottawa, aucun vote ne va nous interrompre.

Merci beaucoup de nous accueillir de nouveau. Mme Edwards présentera l'exposé. Comme vous venez de le dire, elle est la directrice nationale des relations avec l'industrie et les gouvernements. Je suis chargé par Canards illimités des relations avec le gouvernement ici, à Ottawa. Nous avons hâte d'avoir des échanges et d'entendre vos questions.

Cynthia Edwards, directrice nationale, Relations gouvernementales et industrielles, Canards illimités Canada : Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître pour présenter le point de vue de Canards illimités Canada sur l'importance des régions rurales pour le Canada. Nous croyons que, en accordant une plus grande importance au capital naturel du Canada, nous contribuerons à améliorer le bien-être de la population rurale et urbaine canadienne. J'ai vécu une bonne partie de ma vie dans le milieu agricole, dans la Saskatchewan rurale. La ruralité a de l'importance pour moi sur les plans tant professionnel que personnel.

Canards illimités Canada est un organisme privé sans but lucratif dont la mission est la conservation, la restauration et la gestion des milieux humides et des zones sèches du Canada, avec les habitats qui s'y rattachent, au bénéfice de la sauvagine, d'autres espèces sauvages et des êtres humains. Depuis près de 70 ans, notre organisme s'efforce avec des partenaires d'offrir des mesures incitatives aux propriétaires fonciers ruraux, comme des baux, des servitudes de conservation et des paiements directs pour qu'ils convertissent des terres cultivables peu productives à des cultures fourragères, et des mesures incitatives pour encourager la culture du blé d'automne.

Nous avons aussi mené des projets pilotes axés sur l'utilisation d'incitatifs fiscaux pour encourager les propriétaires fonciers à conserver les espaces naturels. Depuis notre création, plus de 17 000 propriétaires fonciers canadiens ont participé à la conservation des habitats, en partenariat avec notre organisme. Nous avons investi des millions de dollars dans des zones rurales en vue d'améliorer les habitats. Notre budget annuel s'élève à près de 80 millions de dollars. Nous employons environ 400 personnes et nous comptons sur le concours de quelque 8 000 bénévoles, dont un grand nombre habitent dans des zones rurales d'un bout à l'autre du pays.

Le capital naturel du Canada est composé de ressources naturelles, d'écosystèmes, de terres et d'eau, et il est essentiel à la viabilité de notre économie et à notre richesse. La valeur du capital naturel réside dans la quantité et la qualité des biens et services écologiques qui en découlent comme, par exemple, le bois d'œuvre et les produits agricoles. Par contre, les services ne sont pas aussi bien compris. Ils sont extrêmement complexes, ils sont essentiels à la vie, et ils ne sont pas faciles à remplacer, une fois disparus. Notons par exemple l'épuration de l'eau, la lutte contre l'érosion et l'atténuation des effets des gaz à effet de serre.

Nous cherchons à mieux comprendre la valeur environnementale et économique du capital naturel du Canada et des biens et services écologiques qu'il procure, par des recherches sur le stockage du carbone dans les terres humides, l'impact de la conservation des terres humides sur la qualité et la quantité de l'eau, et par des études sur les retombées économiques et environnementales de la conversion aux cultures fourragères.

Comme vous l'avez dit tout au long de votre rapport, des industries primaires comme l'agriculture sont la principale source de revenus d'un grand nombre de régions rurales du Canada. Beaucoup de ces mêmes régions sont importantes pour la sauvagine et nous avons axé en conséquence bon nombre de programmes par le passé. Voilà pourquoi la future politique agricole du Canada nous intéresse directement.

Quiconque a passé du temps dans le secteur agricole sait que certaines activités agricoles ont un impact négatif sur l'eau, le sol, les poissons et les ressources fauniques.

Mon objectif aujourd'hui n'est pas d'attirer l'attention sur les aspects négatifs de l'agriculture, mais plutôt de souligner les avantages positifs pour l'environnement qu'on doit aux propriétaires fonciers. Grâce à une bonne gestion, les exploitants agricoles procurent de l'air pur, de l'eau saine et un habitat faunique, mais ils ne sont pas bien rémunérés pour ces biens et services précieux.

Comme le Cadre stratégique pour l'agriculture arrive à expiration en 2008 et que nous sommes sur le point de lancer une nouvelle politique agricole au Canada, le moment est bien choisi pour donner de l'expansion aux programmes conçus pour accroître les biens et services écologiques produits par nos agriculteurs. En prévision des débats sur la nouvelle politique, Canards illimités a formulé trois recommandations principales qui, si elles sont mises en œuvre, pourraient accroître les avantages que l'agriculture procure à la société et être bénéfiques aux producteurs eux-mêmes.

D'abord, il faut que la reconnaissance des avantages environnementaux soit entièrement intégrée à la politique agricole. Le Programme national de gérance agroenvironnementale devrait être amélioré et élargi afin d'offrir des avantages environnementaux encore plus importants et d'axer la politique agricole sur les avantages que procure l'agriculture plutôt que sur les risques qu'elle pose. Comme vous l'avez dit dans votre rapport intérimaire à la page 78, les habitants des milieux urbains ont besoin que les gestionnaires des terres rurales leur fournissent des biens comme de l'eau salubre. En déplaçant la discussion vers les aspects positifs, on permet à ceux qui gèrent des terres rurales de tirer un profit des biens et services qu'ils procurent. Il est peu probable qu'elle contribue à sauver l'exploitation familiale, mais elle pourrait fournir d'autres sources de revenus : écotourisme, crédits pour le carbone, fourniture de biens collectifs comme de l'eau salubre et la biodiversité.

Deuxièmement, nous recommandons d'améliorer le Programme de couverture végétale du Canada, qui a produit de nombreux résultats environnementaux comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'augmentation du nombre d'habitats pour les poissons et la faune, et l'amélioration de la qualité de ces habitats. La conversion de terres marginales aidera les producteurs à réduire le coût des intrants dans les terres en culture. Du point de vue de la sauvagine, l'élargissement du programme en vue de convertir deux millions d'acres dans les provinces des Prairies au cours des cinq prochaines années contribuerait à répondre aux besoins de cette faune tout en rapportant des avantages directs aux producteurs agricoles, surtout ceux qui cherchent à prendre de l'expansion dans le secteur de l'élevage.

Notre dernière recommandation veut qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux continuent de protéger les terres humides par un financement bonifié, voire préférentiel, comme activité admissible dans le Programme national de gérance agroenvironnementale. La reconnaissance de la contribution précieuse des propriétaires fonciers à la restauration des terres humides aidera à faire en sorte que ces zones soient à la fois remises en état et conservées comme éléments du paysage.

Les propriétaires fonciers qui conservent ou restaurent des milieux naturels pourraient aussi tirer profit des terres qui ont été retirées de la production agricole grâce à l'augmentation du tourisme et des activités de loisir. Votre rapport intérimaire signale brièvement la nécessité de promouvoir le tourisme rural. Nous sommes d'accord pour dire que les gîtes touristiques, les sentiers d'interprétation de la nature et les services de guides accompagnateurs sont des sources potentielles de revenus à valeur ajoutée pour les ruraux.

Comme vous l'avez également dit dans votre rapport intérimaire, le concept de la multifonctionnalité de l'agriculture est une reconnaissance du rôle qu'elle joue dans la société. Il faudrait y accorder plus d'importance et y consacrer des travaux de recherche. La conservation des milieux naturels devrait faire partie de la nouvelle approche à la politique agricole. On peut tirer profit des nombreux avantages qu'elle comporte et offrir de nouveaux débouchés aux habitants des régions rurales. On espère que cela contribuera à attirer de nouveaux résidents, y compris des immigrants, dans ces lieux particuliers.

C'est l'occasion pour le gouvernement du Canada d'abandonner les points de vue traditionnels qui ont contribué à développer l'économie de ce pays et d'adopter une nouvelle vision pour les régions rurales du Canada. Nous devons faire un choix : laisser les régions rurales se dégrader ou tirer profit de leurs richesses intrinsèques. Je ne suis pas prête à abandonner le Canada rural à son sort. Il nous faut une approche élargie qui reconnaît la valeur du capital naturel en dehors des industries traditionnelles axées sur le marché, et une approche stratégique en vue de mettre à profit nos atouts.

Je conclus. Une politique efficace sur les biens et services écologiques qui reconnaît et récompense la contribution des propriétaires fonciers et des gestionnaires des terres en régions rurales est un élément important d'une stratégie intégrée de lutte contre la pauvreté en milieu rural. En mettant l'accent sur le capital naturel et sur les biens et services écologiques qui en découlent, elle peut contribuer à diversifier les sources de revenus, promouvoir le développement durable de l'agriculture et améliorer la qualité de vie de l'ensemble de la population canadienne.

Canards illimités Canada est reconnaissant d'avoir pu exposer ses idées au comité. C'est avec plaisir que je répondrai aux questions.

Le sénateur Peterson : Merci beaucoup de votre exposé. Pour nous aider un peu dans les circonstances présentes, pourriez-vous nous expliquer en détail ce qui arrive maintenant à un propriétaire qui voudrait donner mettons une centaine d'acres de terres peu productives ou de terres humides? Il peut même s'agir de prairies. Quel avantage en retire-t-il? Que se passe-t-il au niveau municipal? Qui paie l'impôt foncier? Quels sont les problèmes auxquels il faut nécessairement faire face?

Mme Edwards : Les programmes actuels de Canards illimités Canada permettent d'accepter par exemple des servitudes de conservation et des servitudes de conservation données, par exemple, grâce auxquelles le propriétaire a droit à un avantage fiscal équivalant à la valeur des terres. Nous avons aussi des servitudes payées : si quelqu'un veut conserver des éléments naturels de ses terres, nous lui payons un certain pourcentage de la juste valeur marchande des terres, essentiellement pour qu'elle reste dans son état naturel. Cela permet la poursuite des utilisations agricoles comme la récolte du foin ou le pâturage.

Voilà nos deux programmes principaux. Par le passé, nous avons aussi loué des terres en culture, où nous avons semé des plantes fourragères et que nous avons gérées pour protéger la faune. Dans la plupart de ces cas, nous avons acheté les terres — ce qui est l'autre possibilité —, puis, nous payons les taxes en fonction de la valeur de terres exploitées pour l'agriculture, de façon à ne pas faire diminuer l'assiette fiscale de la municipalité. C'est du moins la pratique qui a généralement cours dans les Prairies.

S'il s'agit d'une servitude de conservation, le propriétaire conserve la responsabilité de payer les impôts. S'il s'agit de locations, c'est également lui qui paie les impôts fonciers.

Le sénateur Peterson : Pour rendre la chose plus attrayante, alors, nous avons vraiment besoin d'un plan complet, avec les nouveaux crédits pour le carbone qui pourraient venir s'ajouter. D'autres ministères interviendraient également. Tout cela afin qu'il soit plus attrayant pour le propriétaire de terres agricoles de collaborer avec vous.

Mme Edwards : Il y a d'autres organisations comme la nôtre qui ont des servitudes de conservation, par exemple la Société canadienne pour la conservation de la nature. Si nous voulons avoir un effet réel sur le paysage et aider à conserver un paysage plus vaste, une réorientation s'impose afin que les propriétaires soient encouragés à maintenir ces zones naturelles au moyen de programmes bonifiés d'Agriculture et Agroalimentaire Canada auxquels Environnement Canada pourrait contribuer. Il pourrait aussi y avoir des fonds du Programme national de gérance agroenvironnementale, et cetera.

M. Turner : Il est important de s'en tenir à ce cadre politique. Les décisions récentes du gouvernement, qui a ramené à zéro les gains en capital lorsqu'il y a don de terres importantes du point de vue écologique — dans certains cas, il peut s'agir de terres peu productives ou de terres qui abritent des espèces menacées —, ont accru l'incitation, pour les propriétaires, à protéger ces terres.

Pendant des années, on a considéré qu'il y avait un gain en capital sur les dons faits à Canards illimités ou à la Société canadienne pour la protection de la faune. Le gain en capital a été ramené à zéro.

Le sénateur Peterson : Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous expliquer comment nous pouvons vous aider à atteindre vos objectifs.

Le sénateur St. Germain : Nous avons entendu des exposés sur la façon de diversifier l'économie dans l'intérêt de la population rurale. Un type d'une certaine région de l'Ontario — je ne me souviens pas du nom de l'endroit, mais c'était près de North Bay — a proposé l'observation d'oiseaux. Il disait être allé en Europe, où, apparemment, cette activité se développe.

Je passe souvent près d'un grand nombre de sites de Canards illimités. A-t-on songé à y aménager des points d'observation, des petits centres d'interprétation? A-t-on pensé à essayer d'encourager les agriculteurs à en aménager sur leurs terres, ce qui pourrait leur rapporter de modestes revenus?

Dans certaines de ces zones rurales, comme vous le savez fort bien, ce n'est pas comme habiter au centre de Toronto ou de Vancouver, où tout le monde gagne 300 000 $ par année. On y fait beaucoup d'argent, si on compare au montant dont les ruraux, généralement, doivent se contenter pour survivre. Souvent, il ne faut pas autant d'argent. A-t-on jamais réfléchi à cette possibilité?

Mme Edwards : Je ne sais pas si vous connaissez tous très bien la Saskatchewan, mais j'habite juste au nord du lac de la Dernière-Montagne, un des refuges nationaux d'oiseaux. Dans ma localité, le tourisme est très important.

Canards illimités Canada a dans diverses provinces plusieurs brochures sur des sentiers de nature. Elles présentent divers projets, dont les nôtres. Nous n'avons pas de service d'interprétation sur les lieux de tous nos projets. Nous en avons des milliers d'un bout à l'autre du pays, et un grand nombre se trouvent sur des terres privées. Il faudrait obtenir la collaboration des propriétaires fonciers. Cela existe à certains endroits; il y a des sentiers d'interprétation de la nature sur les terres, par exemple. Nous collaborons à cet égard avec des partenaires comme Nature Saskatchewan et d'autres organisations.

Pour faire progresser l'écotourisme, il faut faire en sorte que le propriétaire privé — notamment un agriculteur — reçoive une partie du revenu. Parfois, on a recours à la copropriété de petites entreprises. Par exemple, l'hôtel local de Nokomis, chez moi, en Saskatchewan, est plein d'ornithologues amateurs et de chasseurs tous les mercredis soirs. Nous avons une zone importante pour les oiseaux migrateurs. C'est important non seulement pour les propriétaires fonciers, mais aussi pour la localité rurale elle-même.

Il y a deux ou trois manières de faire augmenter l'écotourisme. La plupart du temps, il faut que les propriétaires puissent tirer un avantage, soit par des incitatifs fiscaux à conserver des zones naturelles, soit par leur participation à leur propre entreprise écotouristique pour promouvoir ce type de développement en Saskatchewan. Bien des gens ont des chambres d'hôtes ou offrent des séjours de vacances à la ferme. Nous voyons surgir ce genre de chose. La formule gagne en popularité.

Quant à nous, nous estimons que, pour agir sur le paysage, il nous faut mobiliser un plus grand nombre de partenaires. Canards illimités Canada et les autres organisations semblables ne peuvent pas y arriver seuls. Pour une partie du travail, il faut collaborer avec des partenaires. C'est certainement une question à laquelle nous devons accorder plus d'attention.

M. Turner : Ce fut un plaisir de siéger avec vous à la Chambre des communes, sénateur St. Germain, et j'admire ce que vous faites au Sénat.

La question est vraiment importante. Sur le plan de la diversification de l'économie rurale, le potentiel est extraordinaire.

Permettez-moi un instant de faire preuve d'égoïsme pour Canards illimités. Comme le sénateur Fairbairn nous l'a dit, à Brian Gray et à moi, il y a quatre ou cinq ans au comité, lorsque, jeune femme, elle habitait à Lethbridge, il y avait partout des animaux sauvages et des terres humides, on pratiquait la chasse, il y avait beaucoup de canards, de bernaches, de cerfs, toutes ces créatures que nous aimons voir. Elle a dit que tout cela avait maintenant disparu.

La pression agricole sur nos paysages est devenue intense. Nous devons protéger les terres humides, peu importe où elles se trouvent — en Colombie-Britannique, dans la vallée inférieure du Fraser, à Amherst, en Nouvelle-Écosse, à la Pointe-Pelée, en Ontario, ou un peu partout dans les Prairies — parce que ces terres ont pour le Canada un extraordinaire potentiel sur les plans écologique et économique. Elles abritent des oiseaux chanteurs, des oiseaux de rivage, de la sauvagine et des mammifères qui viennent y boire.

Nous pouvons vous montrer des photographies aériennes des terres humides des Prairies en 1950 et d'autres qui en montrent l'absence en 2000. Ces terres disparaissent à un rythme effarant.

Ces oiseaux peuvent susciter une activité économique en milieu rural grâce aux services de guides et aux visites scolaires — notre centre d'interprétation situé à Oak Hammock, à l'extérieur de Winnipeg, accueille chaque année 250 000 élèves. Ils viennent observer les oiseaux et la faune. C'est une excellente occasion à saisir.

L'une de nos recommandations porte sur l'amélioration de l'habitat de la faune — et pas uniquement de la sauvagine — dont les ruraux pourraient tirer parti. Nous avons au Canada 92 réserves nationales de faune. Elles sont administrées par le Service canadien de la faune. Pour gérer ces 92 réserves, il n'a qu'un budget de 2 millions de dollars. Mission impossible.

Aujourd'hui, 80 p. 100 des Canadiens habitent dans les villes. Un grand nombre d'entre eux ne sont jamais sortis observer la nature, des animaux sauvages, des oiseaux qui ont un extraordinaire potentiel.

En 1996, le gouvernement a réalisé une étude économique intitulée « L'Enquête sur l'importance de la nature pour les Canadiens ». Elle a mis en évidence les dépenses brutes considérables qu'ils font pour avoir des contacts avec la nature. Aujourd'hui, le montant dépasse les 10 milliards de dollars par année : chasse, pêche, observation des oiseaux, randonnée pédestre, canoë, visite des parcs nationaux, fréquentation de centres d'interprétation, sorties avec les enfants pour leur faire voir la nature. Ces activités rapportent des centaines de millions de dollars en revenus fiscaux aux provinces et au gouvernement fédéral.

Comme Mme Edwards l'a dit, les Canadiens commencent à prendre conscience de l'extraordinaire valeur économique de leur capital naturel, qu'il s'agisse d'observer les oiseaux, de les photographier ou simplement de les écouter. Ne sommes-nous pas heureux, au printemps, lorsque les oiseaux reviennent? Il n'y a rien de mieux que d'entendre les merles et les geais bleus. Nous avons tous un regain d'énergie lorsque la neige disparaît et que les oiseaux reviennent. Nous abordons la vie avec un nouvel enthousiasme. Notre pays pourrait mieux tirer parti du potentiel de la nature.

Les Européens le font. À Cuba, c'est une activité importante. En Amérique latine, c'est énorme. Un grand nombre de nos oiseaux vont y passer l'hiver. Certains migrent depuis l'Alaska jusqu'au Pérou. C'est un long safari. Ils se posent dans le delta du Fraser pour se nourrir et se préparer à l'étape suivante du voyage. Si nous ne protégeons pas ces zones, nous perdrons cette richesse. C'est aussi simple que cela.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que, chez Canards illimités, on a un programme de repérage des lieux à aménager? Si je pose la question, c'est parce que j'habite dans la vallée inférieure du Fraser. J'ignore combien d'espèces de canards on y trouve, mais il ne semble y avoir aucun aménagement d'importance là-bas. Il y a des terres humides au bout de mon terrain et de celui de mon voisin. Ce n'est pas grand, mais il y a beaucoup de terres humides.

Comment trouvez-vous les lieux à mettre en valeur? J'ai des souvenirs comme ceux du sénateur Fairbairn : je me souviens que, dans les années 1950, au Manitoba, j'allais à la chasse avec mon père, le ciel était noir de canards qui arrivaient près des colonies huttériennes, le long de l'Assiniboine. Il n'y a plus rien, J'ignore où sont passés les canards. Est-ce que leur population diminue?

M. Turner : Nous avons drainé les terres humides. Nous avons modifié leur habitat.

Le sénateur St. Germain : Je le comprends, mais est-ce que la population de la faune diminue? Voici mes deux questions : comment trouvez-vous les lieux à conserver, et la population de sauvagine diminue-t-elle?

Mme Edwards : En ce qui concerne les lieux, nos services scientifiques, au siège social, l'Institut de recherche sur les terres humides et la sauvagine, font tous nos travaux de recherche sur la sauvagine. Les chercheurs étudient les habitats de reproduction et les zones d'importance pour la reproduction, l'hivernage et les haltes migratoires. Les lieux dont vous parlez sont probablement des zones d'hivernage et de halte migratoire.

À la lumière des résultats des recherches, nous choisissons les endroits où nous devons intervenir pour conserver les meilleurs habitats possibles grâce à nos programmes intensifs. Il s'agit des programmes d'achat et de location, qui nous coûtent le plus cher à l'acre.

Pour ce qui est des autres zones, nous avons des programmes de communication qui aident les propriétaires à mieux comprendre le rôle que jouent leurs terres dans le cycle des oiseaux, et nous leur montrons comment conserver eux-mêmes ces zones.

Si ces zones sont déjà là et sont dans un bon état naturel, comme vous l'avez dit pour la faune, nous n'intervenons pas, et nous ne faisons pas nécessairement quoi que ce soit pour améliorer la situation. Nous pouvons le faire s'il s'agit d'une zone de grande importance pour la sauvagine.

Dans les Prairies, par exemple, nous avons ciblé des zones où la densité en îlots de terres humides est la plus élevée pour les couples reproducteurs. C'est ainsi que se fait le ciblage. Dans l'est du Canada, nous cherchons les sites d'hivernage et les haltes migratoires dans les régions que les oiseaux fréquentent le plus. C'est de ce côté que nous orientons nos programmes les plus coûteux, car notre société ne peut seule assurer la protection de ces zones.

Nous avons recours à trois types de programmes : les programmes intensifs directs, qui consistent à verser de l'argent à des propriétaires pour qu'ils conservent certaines zones; les programmes de communication, qui sont un effort de sensibilisation des adultes — la culture du blé d'automne dans les Prairies, par exemple; et enfin nos efforts plus vastes sur le plan de la politique — nous essayons d'infléchir les politiques provinciales sur les lieux humides pour tenter d'en assurer la conservation. Cela peut porter sur des mesures incitatives ou l'atténuation de la perte de terres humides si une industrie s'implante dans un secteur ou s'il y a un lotissement résidentiel urbain. Cette atténuation des pertes de terres humides est un élément important si nous voulons préserver la fonction des terres humides qui subsistent.

M. Turner : Vous avez posé une question sur les propriétaires privés qui souhaitent protéger la sauvagine. Nous avons des accords avec environ 17 000 de ces propriétaires d'un bout à l'autre du Canada. Nous entretenons aussi une étroite collaboration avec les municipalités, les dix gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral pour définir des politiques et des pratiques visant à protéger les aires où habitent des oiseaux et d'autres animaux.

Dans votre deuxième question vous avez demandé si la population de canards diminuait. Difficile à dire. Notre point de repère, ce sont les niveaux de 1970, qui sont, je crois, les plus élevés de l'histoire de l'Amérique du Nord, pour diverses raisons.

En 1985, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont élaboré le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. Une grande partie des fonds dépensés au Canada proviennent de l'Amérique. La sauvagine se compose d'oiseaux migrateurs, et elle est une ressource commune aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Par conséquent, les autorités américaines versent de l'argent à Ducks Unlimited Incorporated des États-Unis, et une partie de cet argent est injecté au Canada. Un dollar voté par le Congrès qui est dépensé sur le terrain en Saskatchewan représente environ 4 $, car nous en ajoutons une contribution équivalente.

La population varie en fonction des précipitations, du climat, de la disponibilité d'habitats et de la prédation. Dans les Prairies, à l'heure actuelle, les changements climatiques ont de graves effets sur certaines parties du territoire. Il ne reste plus de zones assez humides pour la sauvagine. Elles ont été drainées ou les précipitations ne les ont pas alimentées naturellement.

Nous travaillons avec des propriétaires privés. Si vous voulez lancer un projet avec nous, vous le pouvez. Nous recevons chaque semaine de nombreux appels de gens d'un peu partout qui disent par exemple : « J'ai une centaine d'acres et les castors ont inondé les 40 acres du fond. Est-ce que je peux faire quelque chose avec Canards illimités Canada? Est-ce que je peux donner ces terres? Est-ce qu'une servitude est possible? Est-ce que je peux les protéger? »

Comme Mme Edwards l'a dit, nous utilisons nos ressources limitées dans certaines zones précises où nous savons scientifiquement que la production de canards au mille carré est la plus élevée. C'est une question de priorités.

Dans le Nord, la forêt boréale est une partie de notre continent qui n'a pas eu droit à autant d'attention et de protection qu'il aurait fallu. Canards illimités Canada s'occupe beaucoup de l'Initiative boréale canadienne. Nous avons cerné cinq zones prioritaires clés dans la vallée du Mackenzie et au Yukon, dans la plaine Old Crow, dans la pointe septentrionale du territoire. C'est un habitat merveilleux pour la reproduction de la sauvagine.

Au fur et à mesure que se développent les industries pétrolière, gazière, forestière et minière, nous faisons une promotion très énergique avec la coopération de la Société canadienne pour la conservation de la nature, le Fonds mondial pour la nature et Nature Canada. Nous devons protéger ces zones avant que le développement ne les touche. Établissons de bonnes règles avant d'exploiter le potentiel pétrolier et gazier de la vallée du Mackenzie. Certaines des zones que nous voulons protéger ont été clairement documentées pour le gouvernement et Agriculture et Agroalimentaire Canada.

La présidente : Je me permets d'ajouter que d'autres espèces sont touchées également. Dans notre région, la chevêche des terriers est sur la liste des espèces en voie d'extinction ou survit de peine et de misère.

Quand on dit qu'il faut initier les jeunes à l'histoire, il arrive souvent qu'on trouve des éléments de cette histoire dans des centres, par exemple sur les oiseaux de proie. C'est le seul endroit où ils peuvent observer ces oiseaux.

M. Turner : Il est intéressant que vous parliez de la chevêche des terriers. La plupart des gens qui ont une conscience écologique savent que cette créature est très menacée.

Si nous pouvons protéger et améliorer un refuge pour cette espèce, imaginez le potentiel pour l'écotourisme ou les services de guide. On emmènerait les visiteurs qui s'intéressent aux oiseaux observer la chevêche. Des gens viendront en voiture ou en avion et dépenseront de l'argent dans une zone rurale pour aller voir ces créatures. Le potentiel est considérable.

La présidente : Oui, c'est extraordinaire. Merci.

Le sénateur Mahovlich : Je m'intéresse au plongeon huard. J'ai acheté une propriété dans la région des lacs Muskoka. La ville de Toronto s'étend jusqu'à Barrie et a une population d'environ 5 millions de personnes. Et je crois que 4 millions d'entre elles s'en vont dans le Nord pendant les mois d'été.

J'ai acheté ma propriété dans les années 1970. Le soir, lorsque je regardais sur le lac, je voyais une ou deux lumières. Aujourd'hui, c'est comme une ville. Tous les terrains ont été achetés.

Ma baie, celle de Wiley, a appartenu à Woodrow Wilson, président des États-Unis, en 1917. Il était étudiant à l'université et il possédait tout ce territoire. Il y avait un marais au fond de la baie, et je croyais que les huards y seraient en sécurité. Ils se reproduisent pendant des années. Ce secteur a été aménagé, et je suis très inquiet. Où ces oiseaux iront-ils lorsque tout cet espace aura été aménagé. La localité prélève beaucoup d'argent en impôts. Je ne crois pas que Canards illimités Canada ait les moyens d'acheter des terrains là-bas et de payer les impôts, qui sont très élevés. La construction continue. Bientôt les lacs Muskoka n'auront plus de huards. Est-ce que c'est vers cela que nous nous dirigeons?

M. Turner : Malheureusement, je crois que vous avez raison. J'essaie de rester poli parce que d'autres gens écoutent, mais, à bien des égards, nous violons notre environnement. Tout cela parce que plus c'est gros, plus c'est beau. Ce n'est peut-être pas vrai. Peut-être devons-nous ralentir, comme on le propose à Fort McMurray. Dans cette région, l'expansion est effrénée. Nous pourrions voir ce qui se fait ailleurs dans le monde.

J'ai été garde-chasse en Afrique de l'Est, lorsque j'ai fini mes études universitaires, et j'ai géré une très importante réserve faunique à la frontière du Kenya et de la Tanzanie. Mon camp de base donnait sur le Kilimanjaro. Ce fut une occasion incomparable. C'était en 1969, 1970 et 1971. À l'époque, on voyait toutes sortes d'animaux sauvages. J'y suis retourné 15 ans après, et j'ai trouvé cela déprimant. Il n'y en avait plus ou presque plus. C'était plein de bétail et de chèvres.

Au Canada, nous faisons quelque chose de semblable. Nous empiétons sur l'habitat des huards que nous adorons et d'autres animaux que nous aimons tous admirer. Si nous n'élaborons pas des politiques pratiques pour protéger ces zones avant qu'elles ne soient aménagées, il ne nous en restera plus. Les habitants de l'agglomération torontoise exercent une forte pression sur le Nord. Ils veulent leur coin de villégiature, leur bout de rive sur un lac. Où cela finit-il? Que faire de la ceinture verte autour de Toronto, que le gouvernement a décidé de protéger? Les promoteurs sont livides, après cette décision, car, du jour au lendemain, la valeur de leurs terrains a été réduite à pas grand-chose. D'énormes pressions s'exercent sur les hommes et les femmes politiques pour qu'ils prennent des décisions courageuses et protègent ce paysage pour que les huards puissent y vivre.

Le plongeon huard est un animal sensible. Il n'aime pas la proximité des humains. D'autres animaux s'adaptent plus facilement. Nous avons des cerfs dans nos villes et des moineaux sur nos balcons. Ils peuvent s'adapter. Les huards en sont incapables; au lieu de s'adapter, ils vont disparaître. Ce sont des créatures tranquilles, secrètes. Ils ne forment pas de grands groupes ni de grandes familles.

Que faire? Vous soulevez un excellent point de vue. Il faut amener les décideurs, ceux qui délivrent les permis pour la construction de ces bâtiments et routes à retirer de la production les terres agricoles qui abritent des animaux. Il n'y a pas de réponse simple, car l'économie l'emporte parfois sur les décisions intelligentes en matière environnementale.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que Canards illimités Canada travaille avec les localités en vue de préserver certains lacs?

Mme Edwards : Nous collaborons avec des municipalités, mais cela dépend de la province en cause. En Ontario, cette collaboration est étroite, car les municipalités ont plus de responsabilités que ce n'est le cas ailleurs à l'égard de la politique sur les terres humides et d'autres éléments semblables. Nous travaillons en étroite collaboration avec elles, surtout dans cette province, dans des dossiers comme la politique sur les terres humides : comment concevoir des plans de développement pour conserver certaines zones naturelles tout en permettant une croissance économique? Les pressions sont fortes non seulement sous l'angle des espaces naturels, mais aussi du point de vue des terres agricoles. Beaucoup de Canadiens habitent sur des terres agricoles de la meilleure qualité. Il s'agit d'un capital naturel que nous perdons à cause de l'expansion urbaine, du développement et des routes qu'il faut construire pour que les Torontois se rendent dans la région de Muskoka, par exemple. C'est un problème énorme. Même dans les Prairies, là où la population est moins dense, le couloir Edmonton-Calgary est une zone où nous perdons beaucoup de zones naturelles. Les régions qui ont attiré les gens au départ sont détruites par leur présence.

Le sénateur Eyton : Je voudrais en connaître un peu plus sur Canards illimités Canada. Nos notes me disent que l'organisation a vu le jour en 1938. Je présume qu'il s'agissait au départ de quatre ou cinq amateurs de chasse au canard regroupés dans une cabane quelque part, près de terres humides.

J'ai l'impression que vous parlez avec une certaine autorité des huards. Est-ce que le nom Canards illimités Canada est vraiment le bon? Y avez-vous réfléchi?

M. Turner : La naissance de l'organisation, en 1938, est étrange. Des amateurs de chasse au canard, au Manitoba, sont partis à la chasse par temps de sécheresse. L'un d'eux était un homme riche de Philadelphie. Il a interpellé ses compagnons : « Les canards sont partis, cette année. Où sont-ils? » Son ami a répondu : « Il manque d'eau, cette année. » Ils se sont dit qu'ils réuniraient des fonds pour reconstituer les terres humides. C'est ce qu'ils ont fait. Ces terres, qui se trouvaient non loin de Winnipeg, s'appelaient Big Grassy Marsh, et elles existent toujours. Vous avez tout à fait raison de dire que les fondateurs étaient des chasseurs. L'organisation a pris de l'expansion et est devenue une grande organisation vouée à la conservation qui réussit fort bien, tant aux États-Unis qu'au Canada.

Comme nous avons l'habitude de le dire, nous ne sommes pas limités aux canards.

Le sénateur Eyton : Cela fait-il partie de votre mandat? Je voudrais savoir ce que dit votre énoncé de mission ou votre mandat au sujet de Canards illimités Canada. Quelle est votre raison d'être officielle?

Mme Edwards : Bien que beaucoup de zones dont nous assurons la conservation soient bénéfiques pour d'autres espèces, pour la qualité de l'eau, et cetera, notre mandat est toujours axé sur la sauvagine. Elle demeure notre priorité centrale. Les objectifs de l'organisation sont de ramener les populations de sauvagine à leurs niveaux des années 1970, ce qui est le but du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. Comme M. Turner l'a dit, l'organisation a été créée par des chasseurs intéressés par la sauvagine, qui demeure au centre de nos préoccupations. Nos recherches sont consacrées en grande partie à la sauvagine.

Au gré de l'évolution et de la croissance de l'organisation, nous avons constaté que tous ne s'intéressaient pas à la sauvagine, et nous avons cherché davantage à prendre en considération les avantages que procurent ces zones sur les plans de la qualité et de la quantité d'eau et du contrôle des inondations. Nous nous sommes demandé comment intéresser aux terres humides et à d'autres zones naturelles des gens qui n'ont pas d'intérêt pour la sauvagine. Voilà pourquoi nous collaborons avec des partenaires comme la Société canadienne pour la conservation de la nature, dont le mandat est bien plus large que le nôtre, et d'autres chercheurs pour essayer de voir comment intéresser à la conservation de ces zones des gens qui n'ont pas un intérêt particulier pour la sauvagine. Notre objectif est toujours axé sur la sauvagine, mais tous nos objectifs concernent la protection de l'habitat. C'est la clé de la conservation de la sauvagine.

Le sénateur Eyton : Il y a des années que l'organisation Canards illimités Canada a été fondée, et je suis sûr qu'elle a beaucoup évolué depuis le début. Pourriez-vous me donner une idée de la portée, de l'ampleur, du champ d'action de Canards illimités? Combien d'employés avez-vous? Combien d'antennes ou de bureaux avez-vous? Combien de terres administrez-vous?

M. Turner : Nous avons environ 400 employés au Canada. Notre budget s'élève à environ 80 millions de dollars par année. Aux États-Unis, Ducks Unlimited Incorporated, dont le siège est à Memphis, a environ 600 employés et son budget s'établit à environ 120 millions de dollars par an. À elles deux, les organisations nord-américaines ont un millier d'employés et un budget de près de 200 millions de dollars par an. Tous les ans, nous accumulons ces fonds au moyen d'activités de financement qui ont lieu un peu partout au Canada. Au Canada, nous avons environ 700 activités de financement. Le sénateur St. Germain a été l'un des deux hôtes de deux de ces activités sur la colline du Parlement. Nous comptons 7 000 bénévoles dans toutes les localités au Canada, et ils aident à trouver l'argent dont nous avons besoin pour améliorer l'habitat de la sauvagine. Bien sûr, d'autres animaux en profitent également.

Notre organisation est probablement, dans le domaine de la conservation, celle qui a le mieux réussi au monde. Mitchell Sharp m'a dit un jour, il y a un certain nombre d'années, lorsqu'il travaillait avec M. Chrétien : « Je me demande comment vous avez pu réussir de façon aussi éclatante. Votre organisation a été fondée par des chasseurs, mais, d'autre part, vous attirez tous ceux qui s'intéressent à la faune, et pas seulement à la sauvagine. » Je lui ai répondu que c'était une formule magique et que je ne pouvais pas la lui révéler. Il reste qu'il avait raison. Au départ, nous avions une mentalité de chasseurs. Nous appuyons toujours la chasse et nous comptons encore sur le soutien des chasseurs. L'organisation est très axée sur la sauvagine, comme Mme Edwards l'a signalé, mais les bienfaits de notre action pour les autres animaux sont incommensurables.

Nous avons travaillé fort, nous avons un excellent personnel, des scientifiques chevronnés qui sont instruits et dévoués. Il y a des spécialistes de l'eau, des agronomes, des experts forestiers et des biologistes, par exemple. Ils travaillent à notre Institut des terres humides et de la sauvagine. Nous faisons de notre mieux pour influencer les politiques et les pratiques afin de protéger les paysages.

Nous excellons, monsieur. Je n'hésite pas à le dire, car nous sommes parvenus là où nous en sommes à force de travail acharné.

Le sénateur Eyton : Je suis toujours intéressé par les tendances. Quelles sont-elles? Est-ce que vos revenus augmentent d'année en année? Le nombre de vos employés et des personnes qui participent à vos activités est-il à la hausse?

M. Turner : Depuis deux ou trois ans, la tendance est à la stabilité. Il y a deux ou trois ans, il y eu un fléchissement aux États-Unis. Comme nous dépendons de revenus mis en commun en Amérique, si l'organisation américaine recule, nous perdons des revenus et nous devons nous adapter en conséquence. Nous avons des réserves passablement importantes auxquelles nous faisons appel de temps à autre, mais le système d'activités de financement permet de recueillir beaucoup d'argent en Amérique du Nord pour Canards illimités Canada. Parfois, tout va à merveille, nos activités sont passionnantes et il y a un enjeu qui suscite une vive attention. Cette année, le sénateur Mahovlich participe à nos activités. Nous mettons aux enchères un veston très flamboyant qui a été porté par Don Cherry. Ces objets se vendent à 1 500 $ ou 2 000 $ à nos activités de financement. Les revenus vont peut-être augmenter cette année. Mais ils sont relativement stables depuis trois ou quatre ans. Si vous voulez proposer des moyens de les augmenter, nous ne demandons pas mieux que d'en discuter avec vous.

Le sénateur Eyton : Est-ce que Canards illimités Canada est une organisation indépendante?

M. Turner : Tout à fait. Il s'agit d'une organisation indépendante sans but lucratif.

Le sénateur Eyton : Les activités sont-elles limitées au Canada?

M. Turner : Nous avons un conseil d'administration, 75 hommes et femmes des quatre coins du Canada, qui établissent l'orientation de l'organisation.

Mme Edwards : Des Américains siègent au conseil canadien, tout comme des Canadiens siègent au conseil de U.S. Ducks Unlimited. Canards illimités Canada est une société canadienne.

Le sénateur Eyton : J'ai cru comprendre qu'elle était financée par des fonds privés. Est-ce exact?

M. Turner : Non, nous recevons des revenus de sources gouvernementales pour des projets particuliers. Depuis trois ans, par exemple, nous réalisons un projet intensif sur la séquestration du carbone pour atténuer les effets de ce gaz sur le climat. Nous recevons des fonds d'Environnement Canada, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et de Ressources naturelles Canada. Ils nous aident à établir le potentiel de séquestration des terres humides existantes, des terres humides remises en état et de l'habitat environnant. Certains résultats de nos recherches s'avèrent tout à fait remarquables. Par exemple, des terres humides restaurées dans une exploitation agricole de la Saskatchewan peuvent séquestrer le carbone quatre ou cinq fois plus rapidement que l'habitat ou la forêt qui les entourent. Les propriétaires seraient peut-être portés à restaurer des terres humides s'ils recevaient un certain montant par tonne de carbone séquestrée. L'aide monétaire dont nous avions besoin pour ce projet est venu du gouvernement fédéral.

Mme Edwards s'occupe beaucoup des projets que nous recevons d'Agriculture et Agroalimentaire Canada pour nous aider à réaliser des initiatives diverses à l'échelle nationale. Nous recevons également des fonds des provinces, mais la majeure partie de notre argent provient d'entreprises, de particuliers, de transferts des États-Unis vers le Canada et de nos activités de financement.

Le sénateur Eyton : Vous avez déjà dit à combien s'élèvent vos revenus, mais j'ai oublié. Quel a été le total de vos revenus l'an dernier?

M. Turner : Environ 80 millions de dollars.

Le sénateur Eyton : Combien d'argent est venu directement du secteur privé?

M. Turner : Bonne question.

Mme Edwards : Environ les deux tiers viennent des États-Unis, et la majeure partie est recueillie par Ducks Unlimited Incorporated au moyen de dîners de financement et de dons privés. Le gouvernement fédéral américain verse un montant équivalent et des fonds viennent au Canada. Le tiers restant, c'est avant tout le produit des activités au Canada qui produisent des revenus. Et cela englobe une partie des fonds obtenus du gouvernement fédéral pour des projets, dont M. Turner a parlé, mais la majeure partie des fonds proviennent de particuliers et d'organisations privées.

Le sénateur Eyton : J'essaie de comprendre le fonctionnement du processus. J'habite à la campagne. Il y a des terres qui sont désignées comme propriétés de Canards illimités Canada. D'après ce que vous avez dit tout à l'heure, je crois comprendre que l'organisation a trois types de participation. Elle peut être propriétaire de terrains, mais je présume que c'est plutôt rare. Pour qu'elle en soit propriétaire, il suffit que quelqu'un vous les transfère pour un dollar, par exemple. Elle serait tout de même le propriétaire et elle en serait responsable. Le deuxième type de participation serait une location qui dure un certain nombre d'années, sans doute. Et le troisième type est une servitude qui, là encore, dure un certain nombre d'années.

Dans le cas de la propriété, l'organisation est à la fois propriétaire et responsable, mais je présume que ce n'est qu'une part infime de son activité.

Mme Edwards : Effectivement.

Le sénateur Eyton : Pouvez-vous me parler des dispositions de location les plus courantes? Je voudrais savoir, lorsque vous êtes locataire, quelles sont les clauses du contrat et notamment quelle en est la durée.

Mme Edwards : Un grand nombre des projets où vous pouvez voir nos panneaux sont des terres qui font l'objet d'accords de gestion à long terme et sur lesquelles nous avons aidé le propriétaire à restaurer certaines parcelles. La plupart des accords portent sur 30 ans; le propriétaire a accepté au départ de remettre les lieux en état, et nous les gérons pour lui. Un grand nombre de ces locations ont été faites à la fin des années 1980 et au début des années 1990 dans le cadre du programme Prairie CARE, qui prenait des terres peu productives pour les cultures et y semait des plantes fourragères pour la récolte du foin ou le pâturage. Nous gérons ces terres environ une fois tous les cinq ans en recourant à la coupe du foin ou au pâturage. La plupart des baux sont d'une durée de dix ans prévoyant un versement pour le propriétaire tous les ans, comme tout autre bail. Et nous gérons les terres pour lui.

Nous nous sommes éloignées quelque peu de cette formule, optant pour une intervention plus étendue : blé d'automne, gestion des grands pâturages, arrangements qui aident à la fois le producteur et la sauvagine. Cela rend les terres plus productives pour la sauvagine, mais il reste une utilisation agricole, si bien que le producteur en tire toujours un revenu.

Le sénateur Eyton : Si vous assumez une certaine responsabilité à l'égard d'une parcelle, il vous faut l'avoir pendant un nombre minimum d'années.

Mme Edwards : Les baux durent au moins dix ans et un grand nombre durent 15 ans. Les accords de gestion sont le plus souvent d'une durée de 25 à 30 ans. Toutes nos servitudes de conservation sont acquises à perpétuité.

Le sénateur Eyton : Il y a le développement urbain. Les terres arables semblent prendre de la valeur. Les tendances vous sont défavorables. Par ailleurs, on a annoncé cette année qu'environ un demi-million d'acres seraient réservés. Comment vous en tirez-vous dans l'ensemble? Remportez-vous la bataille?

Mme Edwards : Dans l'ensemble, nous faisons des pas vers la victoire. Notre programme de servitudes est bien en place, plus particulièrement dans les Prairies. Dans les trois provinces des Prairies, nous avons environ 70 000 acres qui sont visés par des servitudes, mais nous continuons à perdre des terres humides d'année en année. C'est toujours au Manitoba, je crois que le rythme des pertes de terres humides est le plus élevé. C'est un gros problème, et c'est pourquoi nous nous sommes détournés quelque peu des programmes qui ne touchent que des parcelles, des locations et des servitudes de conservation, et cetera, pour collaborer avec les gouvernements provinciaux et les municipalités en vue de conserver les terres humides en influant sur la politique. C'est pourquoi nous participons également à l'élaboration de la politique agricole, car nous estimons que les programmes comme le Programme national de gérance agroenvironnementale peuvent offrir des incitations à la préservation et à la remise en état de ces zones naturelles.

En ce moment, nous proposons une incitation à remettre en état ce qui n'aurait jamais dû être perturbé. En disant « nous », je veux parler des programmes en général et des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous voudrions pouvoir utiliser ces programmes pour préserver les quelques zones naturelles qu'il nous reste.

M. Turner : La tendance nous est défavorable. Elle l'est depuis des dizaines d'années. Nous avons espoir dans la prochaine version du Cadre stratégique pour l'agriculture; le cadre actuel se termine en mars 2008. Hier, nous avons rencontré la sous-ministre d'Agriculture et Agroalimentaire Canada pour lui faire comprendre, ainsi qu'à ses collaborateurs, la nécessité de renforcer le pilier environnemental du prochain cadre stratégique. Nous avons espoir que le tournant environnemental dont tous sont tellement conscients aujourd'hui commencera à faire évoluer la situation en notre faveur, pas seulement pour les bernaches, les canards et la sauvagine, mais aussi pour toutes les espèces animales de notre pays.

Nous travaillons d'arrache-pied. Nous vous demandons votre appui également, afin que vous influenciez vos collègues pour faire en sorte que le prochain Cadre stratégique pour l'agriculture renforce le pilier environnemental, de façon à protéger ces zones à perpétuité.

La présidente : Chers collègues, le temps nous presse. Je propose à M. Turner de se procurer pour ses activités de financement, un chandail du sénateur Mahovlich pour le vendre aux enchères.

M. Turner : Nous avons déjà eu un chandail des Maple Leafs. C'était celui de Darrell Sitler.

Le sénateur Biron : Au lac Saint-Pierre, et plus précisément à Baie-du-Febvre, il y a un refuge d'oiseaux. Il y a une vingtaine d'années, il y avait beaucoup plus de canards. Actuellement, il y a plus d'oies des neiges au début de leur migration. Vient ensuite l'outarde.

Il y a plus de 50 ans, le ministre Élie, du gouvernement Duplessis, a constaté qu'il y avait trop d'oiseaux qui mangeaient ce qui restait au printemps. Aujourd'hui, il y a sur les lieux un refuge où affluent des milliers de touristes qui viennent observer les oiseaux.

Avez-vous de quelque manière collaboré avec les municipalités pour organiser ce refuge? Samedi, il y avait une activité de financement de votre organisation à Sorel, au Québec.

M. Turner : Vous parlez du lac Saint-Pierre. Nous ne travaillons au Québec que depuis 25 ans. Je ne connais pas le lac Saint-Pierre, mais vous parlez des oies des neiges. Leur migration entre le Nord et le Sud est devenue une énorme attraction touristique. Le Service canadien de la faune a protégé un certain habitat à proximité de Québec, au cap Tourmente. Des dizaines de milliers d'oies y font halte à leur migration d'automne. C'est une énorme attraction touristique qui suscite un vif intérêt. Bien des gens vont voir et photographier ces oiseaux. Nous ne pouvons qu'encourager cela. Au Québec, notre programme prend de l'expansion et se renforce constamment.

Nous avons un énorme projet dans l'Outaouais, ici même; un territoire d'environ 6 000 acres, entre Gatineau et Montebello, est protégé avec la coopération du gouvernement du Québec et Canards illimités Canada. Cela est en train de devenir une aire de protection pour les oies des neiges. Bien des gens commencent à les observer, à les entendre et à s'émerveiller devant la nature.

Le sénateur St. Germain : Nous étudions la pauvreté rurale et nous essayons d'améliorer le sort des ruraux; c'est pourquoi nous vous avons invités. Canards illimités Canada fournit du travail, cela ne fait aucun doute. Peut-être avez-vous déjà répondu à cette question, mais y a-t-il quoi que ce soit dans votre programme que vous prévoyez développer et qui favoriserait, qui aiderait les ruraux à développer une économie liée à votre activité?

Ma famille est originaire de Saint-Ambrose, au Manitoba, et beaucoup de mes ancêtres ont été guides. Y a-t-il des activités dont vous vous occupez, comme l'observation des oiseaux, qui pourraient nous aider dans l'étude que nous réalisons sous la conduite de la présidente et du vice-président, fort compétents, de notre comité?

Mme Edwards : Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l'industrie du bœuf pour accroître les possibilités dans cette industrie, ce qui est bon pour la sauvagine et les économies rurales. Nous avons particulièrement bien réussi dans certaines régions du centre-est de la Saskatchewan. Des propriétaires sont venus de l'Alberta, où il coûte très cher de donner de l'expansion aux activités — c'est carrément impossible dans certaines régions —, jusqu'en Saskatchewan, et nous avons travaillé avec eux afin de convertir des terres à la production fourragère.

Nous avons eu une étroite collaboration avec les associations de développement économique rural, ce qui a donné un bon coup de pouce à certaines régions et nous nous occupons d'autres programmes d'expansion en agriculture ainsi que des sentiers et des centres d'interprétation dont M. Turner a parlé tout à l'heure. Nous collaborons avec des associations touristiques provinciales, mais pas beaucoup en dehors des centres d'interprétation comme celui du marais Oak Hammock, de notre siège social ou du marais Chaplin, en Saskatchewan.

La vraie relance rurale que nous avons observée ces dernières années est l'expansion de l'industrie du bœuf, qui ramène des gens dans les campagnes pour y habiter et y travailler.

M. Turner : Nous ne nous occupons pas de tourisme, mais de protection de l'habitat et de remise en état de terres humides. Si l'habitat n'est pas là, il n'y a pas de tourisme. En somme, nous devançons le potentiel touristique en élaborant des politiques et pratiques visant à protéger l'habitat de façon qu'il y ait une certaine activité touristique.

Le sénateur Peterson : Vous avez dit que, depuis 1950, la superficie des terres humides avait diminué. Les agriculteurs, on peut le comprendre, essayaient d'accroître leur production. Le moment est probablement bien choisi pour commencer à récupérer ces terres, mais considérez-vous comme une menace l'industrie de l'éthanol et des biocarburants qui commence à émerger dans l'ouest du Canada? Non seulement vous ne pourrez pas récupérer des terres humides, mais, à cause de mesures incitatives, d'autres terres marginales pourraient être mises en production. Comment réagissez-vous?

Mme Edwards : En ce moment, cette industrie est un grand point d'interrogation pour nous. Elle peut présenter un risque, si on utilise des terres peu productives pour des cultures de printemps afin d'alimenter l'industrie de l'éthanol ou des biocarburants, par exemple. Ou elle pourrait présenter des avantages si c'est du blé d'automne qu'on utilise pour alimenter les usines de production d'éthanol à partir de grains. Le blé d'automne peut offrir un habitat de nidification pour la sauvagine.

L'autre possibilité que nous étudions de près est l'utilisation de panic raide ou de plantes vivaces comme ressource pour la production d'éthanol, ce qui peut aussi être un avantage pour la sauvagine et d'autres animaux sauvages. L'industrie de l'éthanol est toujours une question qui se pose. Elle pourrait être bonne pour la conservation et des organisations comme la nôtre ou elle pourrait présenter un risque.

M. Turner : Cela dépend probablement du type de ressource première qui sera fourni aux usines. Mme Edwards a dit que nous préconisions le blé d'automne et le panic raide. Ces plantes seraient excellentes pour la conservation et la sauvagine.

Le sénateur Mahovlich : La diminution des superficies en terres humides a-t-elle fait diminuer la population de bernaches ou en avons-nous autant qu'il y a 40 ans?

M. Turner : Je ne suis pas un scientifique capable de vous donner une réponse détaillée, mais, d'après mes propres observations dans l'est du Canada, la population de bernaches est plus élevée que jamais. Je suis sûr que vous jouez au golf et que vous en avez vu dans les allées.

Le sénateur Mahovlich : On dirait que les terrains de golf les attirent.

M. Turner : C'est parce qu'elles aiment l'herbe verte rase; la nourriture qu'elles trouvent sur ces terrains leur plaît. Il y en a partout. Selon moi, il y en a plus qu'il y en a jamais eu dans l'est de l'Ontario.

Le sénateur Mahovlich : À Palm Springs, elles sont également populaires sur les terrains de golf. La population est à la hausse.

M. Turner : Je suis porté à dire la même chose.

La présidente : Merci beaucoup aux témoins et à leurs collègues. Tenez-nous au courant des progrès que vous faites. Je suis certaine que nous nous reverrons.

Nos prochains témoins sont Carol Hunter, directrice exécutive de la Canadian Co-operative Association, et Pam Skotnitsky, vice-présidente associée chargée des affaires gouvernementales à la Credit Union Central of Saskatchewan.

Bienvenue à vous.

Carol Hunter, directrice exécutive, Canadian Co-operative Association : Je suis très heureuse d'être ici pour vous entretenir d'une question qui me tient vraiment à cœur. En écoutant les témoins de Canards illimités Canada, j'essayais de voir quel pourrait être le rapport entre eux et les coopératives. Il m'a semblé que, au lieu de parler des canards qui volent en formation, nous étions ici pour vous parler des gens qui travaillent en formation. Il y a donc une certaine similitude.

Je suis heureuse de pouvoir être accompagnée de ma collègue, Pam Skotnitsky. Nous sommes ici pour vous entretenir du rôle des coopératives, tant dans le secteur financier, où nous avons des coopératives de crédit, que dans les autres secteurs, et de ce qu'elles peuvent faire pour bâtir les infrastructures rurales et lutter contre la pauvreté rurale.

La Canadian Co-operative Association, ou CCA, existe sous différents noms depuis une centaine d'années. Elle regroupe 33 coopératives et fédérations, ce qui englobe des coopératives de crédit, l'assureur Les Coopérateurs, des coopératives de commerce de détail comme les Federated Co-operatives Limited, la Mountain Equipment Co-op et les United Farmers of Alberta. Nous comptons également parmi nos membres des coopératives agricoles comme la Gay Lea Foods Co-op Limited, les Scotsburn Co-op Services Limited et la Northumberland Co-operative Dairy Limited.

En partenariat avec l'organisation francophone parallèle, le Conseil canadien de la coopération, nous formons un réseau de plus de 9 000 coopératives au Canada, et ces coopératives représentent environ 11 millions de membres au Canada. Notre secteur de la coopération emploie en tout près de 160 000 personnes.

Quatre Canadiens adultes sur dix sont membres d'au moins une coopérative. Au Québec seulement, environ 70 p. 100 de la population est membre d'une coopérative, alors que, en Saskatchewan, la proportion atteint 56 p. 100.

Aujourd'hui, on dénombre environ 2 800 coopératives rurales au Canada, ce qui représente environ 31 p. 100 de toutes les coopératives. Elles sont présentes dans de très nombreux secteurs, à tous les stades de la vie, depuis les garderies coopératives jusqu'aux coopératives funéraires; et il y a plus de 1 200 coopératives agricoles, qui comptent 476 000 membres.

Dans le monde entier, les coopératives ont près d'un milliard de membres et, collectivement, elles créent 20 p. 100 plus d'emplois que toutes les multinationales réunies.

Le mouvement coopératif est issu des régions rurales du Canada. Qu'il s'agisse de la croissance des coopératives de consommation dans l'ouest du Canada, dans les premières décennies du siècle dernier, ou du travail de Moses Coady et du mouvement d'Antigonish, dans les Maritimes, les coopératives ont toujours eu un lien avec le développement rural au Canada. Elles sont nées des efforts d'agriculteurs, de pêcheurs et de ruraux qui ont tenté d'utiliser leur force collective — encore une fois le travail en formation — pour améliorer leur situation économique en se donnant des instruments économiques démocratiques où chaque membre a une voix, qui appartiennent à la collectivité et dont les bénéfices sont partagés et conservés dans la collectivité. Moses Coady, qui était un prêtre du mouvement d'Antigonish, disait souvent : « Vous êtes assez pauvres pour le vouloir et assez intelligents pour le faire. »

Dans deux provinces, l'Ontario et l'Alberta, les coopératives principalement rurales ont aussi donné naissance à deux partis politiques coopératifs, mais nous tenons à souligner que, aujourd'hui, les coopératives sont des organisations résolument non partisanes, tout à fait neutres. Les United Farmers of Ontario ont formé le gouvernement de 1919 à 1923, et les United Farmers of Alberta ont dirigé leur province de 1921 à 1935. Les organisations coopératives qui leur ont succédé dans ces provinces et qui ne font plus de politique, sont toutes deux membres de la CCA.

Dans nos exposés communs d'aujourd'hui, nous essaierons de vous montrer comment les coopératives existantes et celles qui émergent contribuent au dynamisme des localités rurales.

Avant de discuter de la façon dont les coopératives peuvent lutter contre la pauvreté au Canada, nous tenons à dire un mot de notre travail au niveau international, car nous agissons aux deux niveaux, national et international. Nous travaillons en Afrique, en Asie, dans les Amériques et en Europe de l'Est. Nous le faisons surtout par l'entremise d'organisations partenaires dans des pays en développement pour améliorer la situation socioéconomique des particuliers, des ménages et des collectivités en réduisant la pauvreté, en répartissant les revenus et en faisant progresser la participation démocratique à la société civile. La CCA s'efforce, par l'approche coopérative, de renforcer la capacité d'organisations communautaires stratégiquement choisies, comme des coopératives de crédit et des coopératives agricoles, de gérer leur propre développement, d'offrir des services précieux aux membres et d'améliorer le contexte de leurs activités.

Notre travail à l'étranger est financé surtout par l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, ainsi que par une organisation de bienfaisance à nous, la Fondation du développement coopératif du Canada. Nous offrons une aide financière et technique à nos partenaires à l'étranger. Nous mobilisons de nombreux participants du mouvement coopératif au Canada pour qu'ils fassent profiter de leurs compétences nos projets réalisés à l'étranger.

Notre expérience à l'étranger confirme que les coopératives sont bien des structures de transformation efficaces qui aident les personnes et les collectivités dans le monde en développement à se donner des moyens de subsistance et des actifs, qu'ils s'agissent d'actifs humains, financiers, naturels, matériels ou sociaux.

Nous croyons qu'il y a là également de nombreuses leçons à tirer pour la lutte contre la pauvreté au Canada. Nous avons constaté que, trop souvent, au Canada et au sein de l'administration, nous cloisonnons le travail que nous appuyons à l'étranger et les stratégies que nous pourrions utiliser également au Canada.

Je vais maintenant vous parler du travail que nous faisons avec les coopératives au Canada. Le modèle coopératif est une approche prometteuse qui aide à répondre à des besoins qui ne sont pas satisfaits par des entreprises de forme classique, dans les secteurs privé et public et dans le secteur du bénévolat. Ce modèle s'est souvent avéré être la solution à divers problèmes : exode des jeunes, difficultés de la population vieillissante, absence de débouchés, accès insuffisant aux services de santé dans les collectivités rurales et même intégration des immigrants à la société canadienne.

Comme acteurs économiques et sociaux, les coopératives favorisent la responsabilisation et l'autonomisation au niveau local. L'entreprise coopérative donne à n'importe quel groupe un moyen efficace de réunir les ressources de ses membres, si modestes soient-elles, pour satisfaire ses besoins économiques et sociaux communs.

Je voudrais présenter quelques exemples provenant du secteur coopératif bien établi au Canada pour montrer ce que les coopératives font pour aider à développer le Canada rural. Les Federated Co-operatives Limited, les FCL, l'un de nos membres, sont, par le volume de leurs actifs, la coopérative financière la plus importante au Canada. Cette organisation appartient à 281 coopératives de détail réparties dans tout l'ouest du Canada, dans plus de 500 villes et localités, et déclare 1,2 million de membres.

Le Co-operative Retailing System a vu le jour dans le Canada rural de l'Ouest et il s'est étendu par la suite dans certaines des grandes villes de ces régions. Malgré tout, il a maintenu un grand engagement dans les collectivités rurales, qu'il continue d'appuyer, notamment en Saskatchewan. Dans le district 8 de Federated Co-operatives Limited, par exemple, qui comprend les villes de Regina et de Yorkton, il y a des coopératives dans 40 localités rurales. Dans 18 d'entre elles, la coopérative est le seul marché d'alimentation. Dans la plupart des cas, ces coopératives sont trop petites pour être particulièrement rentables, mais, comme elles font partie d'un réseau plus vaste de vente au détail, elles peuvent poursuivre leurs activités. Le réseau est leur fournisseur, mais il offre aussi une aide gratuite pour la gestion et l'exploitation. Comme membres des Federated Co-operatives Limited, elles peuvent recevoir une part des bénéfices des activités de grossiste et de fabricant de FCL. Dans un nombre semblable de localités, les coopératives de détail sont le seul établissement qui vend du bois d'œuvre, des produits agricoles ou des fournitures pour les agriculteurs; elles offrent non seulement des services aux clients, mais aussi un appui à la collectivité. C'est ce système de coopération qui peut aider à prévenir le cycle du déclin qui, à terme, fait disparaître les localités rurales.

Autre exemple, dans le Nord cette fois, un de nos membres, Arctic Co-operatives Limited, qui compte 36 coopératives au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. Les propriétaires sont 18 000 membres des collectivités inuites et des Premières nations. En 2005, quelque 2,6 millions de dollars en ristournes ont été rendus aux membres. À la différence des magasins de détail privés basés dans les grandes villes, les coopératives sont toujours la propriété des collectivités autochtones dans le Nord, et elles conservent les excédents et le contrôle dans la collectivité.

Les coopératives du Nord sont également un lieu d'initiation à la démocratie et à la participation communautaire, et de nombreux dirigeants du gouvernement du Nunavut ont connu leur première expérience de la prise de décisions en groupe et de la gouvernance dans le magasin coopératif local.

Co-op Atlantic a conçu toute une série d'initiatives pour aider les agriculteurs de l'Atlantique, qui avaient du mal à concurrencer les produits de l'extérieur de leur région et de l'étranger. Par exemple, Co-op Atlantic a fait la promotion de la marque de bœuf Atlantic Tender Classic. Cette marque est le produit d'un effort commun de l'Atlantic Beef Producers Co-operative Limited, abattoir coopératif. Les légumes frais de production locale ont été extrêmement populaires auprès des membres des coopératives.

Les coopératives sont également des modèles importants dans le domaine des soins de santé en zone rurale, plus particulièrement au Québec, où des cliniques de santé coopératives ont surgi, souvent dans les zones rurales, pour assurer des services médicaux lorsque les médecins sont partis. Il y a également au Québec environ 44 coopératives de soins au foyer comptant 35 000 membres; les usagers et les employés se sont réunis pour offrir des services de qualité contrôlés par ceux qui en ont besoin et ceux qui les fournissent.

Mme Skotnitsky parlera d'un rôle similaire joué par les coopératives de crédit dans les localités, comme seule institution financière, et elle expliquera à quel point cela est important pour la survie et le développement des zones rurales.

Je voudrais maintenant dire un mot des coopératives nouvelles et émergentes. Elles illustrent comment les coopératives, parce qu'elles montrent à pêcher plutôt que de donner du poisson, sont l'un des meilleurs moyens de préserver le Canada rural et de faire face à la menace de la pauvreté rurale. L'Initiative de développement coopératif, l'IDC, est un programme quinquennal qui prendra fin en mars 2008. Nous espérons qu'elle sera renouvelée et renforcée. Quand vous aurez entendu ce qu'elle a fait avec des moyens minimes, vous serez d'accord avec nous. Cette initiative est financée par Agriculture et Agroalimentaire Canada et le Secrétariat aux coopératives. Les services de conseils du programme sont gérés conjointement par la CCA et son organisation francophone, et ces services sont offerts dans l'ensemble du Canada par un solide réseau de 17 partenaires. Le million de dollars par année que coûte le programme est réparti en 17. Voilà qui montre à quel point le programme est modeste.

En quatre ans, les partenaires de l'IDC ont obtenu des résultats impressionnants. Depuis le début du programme, plus de 800 coopératives ont reçu de l'aide et quelque 125 coopératives ont été lancées après avoir reçu un soutien de l'un des partenaires de l'IDC.

Le modèle de coopérative est un moyen efficace de créer ses propres débouchés, d'obtenir l'accès à des services à un prix raisonnable, de produire un revenu supplémentaire et de permettre aux gens de participer activement au développement de leur collectivité. Voici quelques-uns des nombreux projets qui ont été appuyés en zone rurale.

La Quality Agricultural Producer Co-operative est une nouvelle coopérative qui a reçu de l'aide de l'IDC. Elle aide les agriculteurs de la région de la baie St-Georges, à Terre-Neuve-et-Labrador à mettre en commun du nouveau matériel de récolte et de transformation pour accroître la capacité de production.

Il y a, dans la petite localité de Mossley, en Ontario, une coopérative agricole qui donne aux producteurs locaux le moyen de commercialiser et de distribuer leurs produits et de rejoindre une plus large clientèle.

Les petites entreprises de Baccalieu Trail, zone rurale de Terre-Neuve-et-Labrador, ont un intérêt commun : accroître leur potentiel sur le marché en offrant des biens ou services par Internet. Elles ont formé la Baccalieu E-Business Co-operative, qui offre des connaissances et des compétences techniques aux petites entreprises qui, autrement ne pourraient pas se les permettre.

Un autre projet intéressant qui reçoit actuellement un appui, dans le nord de la Colombie-Britannique, est la Community Woodworking Co-operative. La collectivité autochtone de Burns Lake a plusieurs défis à relever. Le taux de chômage est très élevé, soit environ 80 p. 100, ce qui est à l'origine d'autres problèmes sociaux dans la collectivité.

La coopérative donnera aux artisans du bois de Burns Lake et de plusieurs localités voisines la possibilité d'utiliser leurs talents tout en gagnant un revenu supplémentaire. En se joignant à la coopérative, les artisans au chômage obtiennent l'accès à du matériel de qualité satisfaisante et à des possibilités de formation pour faire preuve de leadership et développer leurs compétences en gestion, tout en devenant moins dépendants des transferts de l'État.

Dans la région acadienne d'Évangeline, à l'Île-du-Prince-Édouard, l'absence de logements acceptables et abordables pour les aînés a forcé plusieurs aînés à quitter la localité pour s'installer dans une résidence plus petite de la ville voisine, Summerside. Les membres de la collectivité ont décidé de s'attaquer collectivement à ce problème de pénurie de logements au moyen de la coopération et ils ont créé la Coopérative Le bel âge. Ils ont construit un bâtiment de 14 logements pour accueillir un certain nombre d'aînés. Il y a un projet semblable à Hanmer, en Ontario. La Hanmer Regional Development Cooperative construira un immeuble de 20 logements pour des retraités autonomes.

Je voudrais souligner certaines activités du secteur agricole qui ont reçu l'appui d'un nouveau programme mis en place l'été dernier, l'Initiative de développement coopératif — Agriculture, ou IDC-Agri, d'une valeur de 1 million de dollars. Grâce à cette initiative lancée en septembre 2006, un certain nombre de nouvelles coopératives agricoles dans le secteur des biocarburants et des produits à valeur ajoutée ont été mises sur pied. Vingt-sept ont reçu de l'aide du programme.

La Southern Manitoba Biofuels Co-operative Limited a été lancée afin de contrer la perte de revenus fiscaux et d'infrastructures dans la collectivité. Le projet consiste à créer une usine de production de 9 millions de litres de biodiesel par an, usine qui appartiendrait à la collectivité et qui produirait le carburant à partir du canola. Le but visé est d'offrir une source sûre de biocarburants pour les agriculteurs et les camionneurs de l'endroit tout en produisant une gamme de produits secondaires de valeur, comme de la farine protéinique de canola, du glycérol et des engrais.

Depuis quelques années, les éleveurs de bétail des Prairies ont du mal à survivre à cause de la crise de l'ESB — la maladie de la vache folle — et de la domination de leur secteur par plusieurs grands abattoirs. Trois groupes représentant plus d'un millier d'éleveurs créent une coopérative pour assurer eux-mêmes la transformation et la commercialisation du bétail à maturité, soit le bétail de plus de 30 mois, afin d'accroître le rendement pour les producteurs.

En Saskatchewan, la Craik Small-Scale Bioproducts Co-operative est le fruit des efforts de la collectivité pour trouver un nouveau dynamisme et inverser la tendance à l'exode. La coopérative prévoit créer une petite usine de biodiesel pour réduire le coût des carburants des agriculteurs locaux et protéger la planète. Cette collectivité est fermement convaincue que le modèle coopératif est l'idéal pour se renouveler et prendre son avenir en main.

Je voudrais maintenant parler du problème de la relève dans les entreprises. Dans les localités rurales, il arrive souvent que des entreprises ferment leurs portes lorsque leur propriétaire prend sa retraite.

D'après un article qu'a fait paraître dans le Financial Post du 11 août 2001 Rod Reynolds, président-directeur général de RoyNat Capital Incorporated, les entreprises familiales courent de grands risques lorsqu'un fils ou une fille prend la relève. Je cite directement l'article :

D'après notre expérience de banque d'investissement, expérience corroborée par des études américaines, seulement 30 p. 100 des entreprises familiales survivent à la génération suivante. Les chances sont un peu meilleures — 50 p. 100 — lorsque l'entreprise est vendue à quelqu'un qui n'est pas de la famille. Par contre, lorsque les employés empruntent pour prendre la relève, avec l'appui de gestionnaires clés, le taux de réussite est de 80 p. 100. [...]

L'étude a aussi montré que 27 p. 100 des propriétaires d'entreprise familiale qui ont un chiffre d'affaires d'au moins 1 million de dollars prendront leur retraite au cours des cinq prochaines années, 56 p. 100 au cours des dix prochaines et 78 p. 100 au cours des 15 prochaines. [...]

[...] L'étude signale qu'il y a actuellement au Canada 124 000 entreprises familiales dont le chiffre d'affaires est de 1 million de dollars et plus. Ces entreprises emploient environ 6 millions de Canadiens et ont un chiffre d'affaires brut de 1,3 billion de dollars.

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, la FCEI, a dit récemment que le Canada risque de perdre deux millions d'emplois parce qu'il n'y a pas de membres de la famille qui sont prêts à reprendre l'entreprise familiale. Ces propriétaires ne sont pas préparés à leur retraite imminente. Apparemment, il en résulte une tendance à vendre ces entreprises à des concurrents, et plus particulièrement à des concurrents américains. À cause de cette tendance, beaucoup d'entreprises devraient fermer leurs portes, car les acheteurs sont plus intéressés par la clientèle que par la capacité de production.

De plus, les données statistiques analysées par le Fonds de solidarité de la FTQ en 2005 montrent que 70 p. 100 des PME ne durent pas plus que la première génération et 90 p. 100 pas plus que deux générations; 56 p. 100 des fondateurs de PME prendront leur retraite d'ici 2010 et 73 p. 100 d'ici 2015; 70 p. 100 des propriétaires qui songent à la retraite n'ont pas encore choisi de successeur.

Le problème du transfert de la propriété des entreprises n'est pas limité à l'Amérique du Nord. La Direction générale de l'entreprise de la Commission européenne estime que, au cours des dix prochaines années, il y aura transfert de la propriété d'environ le tiers des entreprises européennes.

L'impact de cette tendance de plus en plus appuyée sur les zones rurales et les régions éloignées sera très profond. La CCA, en partenariat avec un certain nombre d'autres coopératives au Canada, cherche des solutions coopératives à la crise de la relève qui s'annonce dans les zones rurales, avec l'aide des fonds de l'Initiative de développement coopératif. En s'appuyant sur les recherches de la Fédération canadienne des coopératives de travail et les ressources de la Fédération des coopératives de développement régional du Québec ainsi que sur les travaux entrepris au Royaume-Uni par la Plunkett Foundation, les partenaires prépareront des approches et des outils pour conseiller les propriétaires de petites entreprises rurales qui songent à la retraite ainsi que les groupes communautaires ou les groupes d'employés qui souhaitent reprendre les entreprises. Il s'agira de préparer des exemples de transfert réussi d'entreprise vers le modèle coopératif. De plus, les partenaires mettront en place un système de surveillance avec d'autres intervenants comme des chambres de commerce, des agents de développement économique municipal ou régional, des bureaux de comptables et d'avocats pour repérer les entreprises dont le transfert est envisagé pour leur signaler la possibilité d'opter pour le modèle coopératif ou la propriété communautaire.

Ce projet présente un énorme potentiel et pourrait rapporter des avantages durables aux collectivités rurales de tout le Canada. Outre les outils de développement et de promotion, les ressources et les services de conseils, il peut aussi, pour répondre aux préoccupations croissantes au sujet des modèles classiques de propriété d'entreprise dans les collectivités rurales, élaborer de nouveaux modèles coopératifs.

Ce type de réaction qui consiste à trouver des solutions par soi-même aux problèmes dans les zones rurales et urbaines n'est pas inhabituel dans le secteur coopératif. La possibilité d'élaborer de nouveaux modèles trouve confirmation dans la croissance observée dans des régions rurales du Royaume-Uni, où les magasins de propriété locale sont achetés par la collectivité. Même s'il y a un déclin de plus en plus marqué des services de détail dans les zones rurales et au Royaume-Uni — plus de 70 p. 100 des collectivités rurales n'ont pas de magasin général — plus de 200 magasins généraux, pubs, stations-service et entreprises de fabrication appartenant à la collectivité ont été mis sur pied parce que de nombreux propriétaires de magasins traditionnels et de petites entreprises cherchaient à fermer leurs portes.

Le phénomène de la propriété communautaire ne s'observe que depuis 15 ans. Les recherches menées au Royaume-Uni ont montré que le magasin communautaire moyen en Angleterre compte plus de 110 membres, a un chiffre d'affaires de plus de 160 000 $ et est rentable. Ces magasins peuvent compter sur 25 bénévoles en moyenne, ce qui renforce les liens communautaires et sociaux dans les collectivités rurales, et ils emploient un personnel de 1,5 équivalent temps plein.

C'est une occasion très importante et enthousiasmante que l'élaboration de nouveaux modèles de propriété coopérative et communautaire au Canada pour relever le défi du transfert de nombreuses entreprises au cours des cinq prochaines années.

J'espère que cet exposé vous a donné une idée du rôle passé, présent et à venir des coopératives comme moyen d'assurer la pérennité rurale et comme rempart contre le déclin et la pauvreté. La CCA sera la première à vous dire que, même si les coopératives sont un facteur crucial qui doit jouer pour stopper le déclin rural et évoluer vers un avenir rural de plus grande valeur, elles ne sont qu'une réponse partielle. Dans cet exposé, nous nous sommes attardés surtout au rôle des coopératives, mais la CCA s'est aussi prononcée récemment pour une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté assortie d'objectifs et de calendriers qui conjuguerait les efforts de tous les ordres de gouvernement, y compris les gouvernements autochtones, pour abaisser le taux toujours très élevé de pauvreté, si on compare le Canada à bien des pays européens semblables.

Nous sommes également un membre fondateur de la campagne Abolissons la pauvreté, qui vise à éliminer la pauvreté au Canada et dans le monde. Elle compte maintenant 230 000 Canadiens parmi ses membres.

La présidente : Madame Hunter, puis-je vous interrompre un instant? Ai-je bien compris que Mme Skotnitsky doit également faire un exposé?

Mme Hunter : Je crois que son exposé dure dix minutes.

La présidente : Il nous restera peu de temps pour les questions. Je me demandais s'il était possible de conclure maintenant. Nous pourrions lire le reste et laisser Mme Skotnitsky faire son exposé pour que nous ayons le temps de poser des questions. Cela vous convient-il?

Mme Hunter : Avec votre permission, je vais simplement lire les titres qui concernent les avantages des coopératives.

Nous croyons que les coopératives sont un avantage pour le développement économique rural parce qu'elles créent des actifs communautaires, restent en affaires plus longtemps — nous avons des données qui montrent qu'elles restent en affaires plus longtemps que d'autres petites entreprises, sont des lieux d'apprentissage de la gestion des affaires et de la participation communautaire, appartiennent à la collectivité et sont contrôlées par elle. On trouvera à la fin de mon mémoire de plus amples détails qui étoffent le modèle coopératif.

Pam Skotnitsky, vice-présidente associée, Affaires gouvernementales, Credit Union Central of Saskatchewan : Bien que je participe aux travaux du comité national des affaires législatives de la Centrale des caisses de crédit du Canada et que je préside également un sous-comité de l'agriculture de ce comité, je vais vous parler aujourd'hui plus précisément de la Saskatchewan.

Je comprends le mandat du comité et reconnais la valeur du travail qu'il a accompli. La Credit Union Central of Saskatchewan est une institution financière démocratique qui regroupe 75 caisses de crédit dans la province. Ces caisses élisent chacune un représentant de district, si bien que chacune a un représentant qui est aussi un délégué. Parmi ces délégués, elles élisent le conseil de la Credit Union Central. Le conseil d'administration de 12 membres dirige notre action et nous fixe une orientation stratégique.

Nous comptons dans toute la province 527 000 membres, ce qui est tout à fait remarquable, avec une population de 1 million de personnes. Plus de 50 p. 100 des habitants de la province sont membres d'une caisse de crédit. Nous offrons des services à 316 endroits répartis entre 274 villes ou localités que nous servons dans toute la Saskatchewan.

Si on s'en rapporte à la définition du terme « urbain » qui figure dans le rapport préliminaire du comité, de huit à dix de ces localités seraient considérées comme urbaines, tandis que 264 sont rurales. Fait important, dans 160 localités, la caisse de crédit est la seule institution financière.

Si nous considérons notre orientation stratégique, nous pouvons dire que notre vision consiste à faire grandir les collectivités par l'innovation, la responsabilité sociale et la force financière. Nous avons un engagement envers la Saskatchewan et, chose certaine, les collectivités de la province.

Fidèle à cette vision, la Credit Union Central of Saskatchewan a élaboré une stratégie de développement économique en 2004. L'objectif de la stratégie était d'amener la population, l'entreprise et les partenaires non gouvernementaux à créer collectivement des conditions plus propices à la croissance économique et à la création d'emplois.

À un niveau de généralité élevé, la stratégie compte trois éléments fondamentaux : nous voulons coopérer avec des intervenants provinciaux clés; nous souhaitons exprimer des opinions et prendre des positions sur les politiques d'intérêt public; enfin, nous voulons proposer un programme qui consacrerait le capital surtout au développement économique.

À propos de ce dernier objectif concernant l'utilisation du capital pour faire croître l'économie, je tiens à signaler deux initiatives qui s'y rattachent, parce qu'il y avait une grande lacune dans la stimulation du développement économique dans la province.

Nous avons fait des recherches sur les principaux acteurs sur le marché du capital de risque en Saskatchewan, et nous n'avons pas tardé à remarquer une lacune dans la catégorie des petites capitalisations. Cette lacune était importante, car les petits investissements sont ceux où l'employeur compte moins de 50 employés et le chiffre d'affaires annuel est de moins de 5 millions de dollars. Sur le marché mondial, ces entreprises sont de petits joueurs, mais il s'agit d'un segment extrêmement important, car, au cours des dix dernières années, il a créé la vaste majorité des emplois dans notre province.

J'ai vu des chiffres selon lesquels entre 75 p. 100 et 95 p. 100 des nouveaux emplois sont créés dans ce secteur. De plus, ces entreprises sont un moteur économique dans les zones rurales. Environ 42 p. 100 de l'activité dans les zones rurales est à cette échelle.

La principale raison de cette lacune, c'est que les coûts à engager pour un prêt modeste — diligence raisonnable et frais juridiques — sont tels qu'il n'est pas possible de tirer un bénéfice net assez appréciable pour compenser l'effort nécessaire. De plus, il y avait des lacunes importantes à combler sur le plan du mentorat et de l'expérience si on voulait que ces entreprises réussissent.

Nous nous sommes attaqués à ce problème et nous avons créé une fondation et un fonds de l'entrepreneuriat. Disons très brièvement que la fondation aide les entrepreneurs en leur offrant des services de conseils et de mentorat. En tâchant de combler les lacunes dans les connaissances, les compétences et l'expérience, nous pouvons aider ces entreprises à mieux réussir.

Nous avons également un fonds de l'entrepreneuriat qui est tout à fait distinct de la fondation. Il a été créé pour faire des investissements de 100 000 $ à 1 million de dollars dans certaines entreprises que la fondation a aidées.

Le succès de cette initiative sera mesuré à l'aune du rendement sur l'investissement et du nombre d'emplois créés. Chaque investissement est évalué d'après trois types de résultats : l'impact social, l'impact économique et l'impact sur l'environnement.

Ces deux initiatives ont été élaborées et conçues en fonction de la participation d'un large éventail de partenaires. Pour l'instant, nous nous sommes associés au gouvernement provincial pour cette initiative et d'autres partenaires sont les bienvenus. Il s'agit d'une initiative très ouverte, car nous souhaitons mobiliser le plus grand nombre de partenaires possible.

Cette stratégie intègre également un fonds qui avait déjà été créé par les caisses de crédit, l'Apex Venture Capital Fund, qui finance des entreprises à hauteur de 1 à 4 millions de dollars. Ces deux initiatives associées peuvent fournir des capitaux de 100 000 $ à 4 millions de dollars. Au niveau local, les caisses de crédit jouent un rôle important afin d'établir un lien entre les idées d'entreprise, d'une part, et la fondation et le fonds, d'autre part.

Le deuxième point que je voudrais aborder est celui de l'importance du leadership dans les collectivités que nous servons. Notre stratégie de développement économique fait aussi appel aux organisations coopératives, qui peuvent participer à la fondation et au fonds de l'entrepreneuriat.

Dans les collectivités que nous servons, bien des initiatives différentes sont axées sur le développement économique local. Comme nous avons dans ces collectivités des employés, des membres du conseil et des dirigeants, nous participons à bien des initiatives déjà en cours. Je vais vous donner quelques exemples.

La Tisdale Credit Union, à Tisdale, collabore avec la Tisdale Home Support Co-operative Limited. Cette coopérative fournit des logements abordables aux aînés et des services non médicaux à domicile pour qu'ils puissent rester autonomes le plus possible, sans être forcés d'aller dans des foyers. Dans ce cas, la Tisdale Credit Union offre la planification stratégique et les locaux, dans son établissement, ainsi qu'un mentorat, de la formation et un soutien financier.

Mon deuxième exemple est celui de la Diamond North Credit Union. Elle a été active dans la Nipawin Biomass Ethanol New Generation Co-operative Limited. Elle a participé au comité de planification, lorsque le projet a été lancé, et elle siège maintenant au conseil de la nouvelle coopérative. Dans ce cas, la caisse de crédit a également offert des prêts au taux préférentiel pour que les membres de la collectivité puissent acheter une participation. À ceux qui voulaient participer à cette entreprise, la caisse de crédit a donné l'occasion d'acheter des actions.

Nous sommes un employeur majeur dans la province : 3 000 personnes sont employées directement par les caisses de crédit. De plus, 1 300 personnes sont au service de nos organisations partenaires. De plus, nous comptons quelque 700 membres de conseils d'administration qui sont élus au niveau local au conseil des diverses caisses. Ils assurent un leadership stratégique, et ces gens sont des chefs de file authentiques qui sont engagés dans leur collectivité.

Outre le développement économique, les caisses de crédit de la Saskatchewan versent chaque année une contribution de 5 millions de dollars à leurs collectivités et à des initiatives provinciales : commandites et dons, activité communautaire et bénévolat. De plus, en 2006, elles ont versé aux collectivités des ristournes de 22 millions de dollars.

Notre part de marché est impressionnante; les statistiques sont indiquées. D'après Statistique Canada, les caisses de crédit financent 27,5 p. 100 de la dette agricole en cours dans la province. De plus, elles ont 1,7 milliard de dollars en crédit autorisé pour les entreprises, dont la plupart sont des PME. Selon un sondage mené auprès des petites entreprises par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, les caisses de crédit sont au premier rang pour le degré de satisfaction à l'égard du service, la disponibilité des prêts et les frais. De plus, elles sont préférées comme partenaires bancaires par les petites entreprises de la Saskatchewan.

Notre engagement dans les collectivités nous rend très sensibles aux enjeux des localités rurales. Les membres du milieu agricole ont joué un rôle important dans le développement des coopératives et des caisses de crédit. Cette relation solide existe encore et subsistera à l'avenir. Par suite de cette relation, nous participons activement aux initiatives rurales et agricoles, et nous souhaitons assurément que les gouvernements veillent à maintenir des approvisionnements sûrs en denrées alimentaires. Nous voulons que ce soit là une priorité centrale de la politique, et nous souhaitons aussi qu'on sensibilise l'opinion à cette nécessité.

Quand nous examinons les programmes qui sont mis en œuvre, nous voulons nous assurer que ceux qui sont destinés aux producteurs et aux collectivités agricoles répondent aux besoins. Nous recherchons des engagements à long terme qui sont sûrs et des programmes faciles à administrer qui donnent des résultats prévisibles.

La Saskatchewan a appuyé à fond la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles et à la commercialisation selon la formule coopérative; 70 p. 100 des prêts consentis aux termes du programme fédéral prévu par cette loi ont été consentis en Saskatchewan. Les caisses de crédit de la province ont fait une promotion directe de ce programme auprès des agriculteurs qui en avaient besoin, et il est une réussite dans notre province.

Nous trouvons rassurant que le gouvernement ait laissé entendre qu'il élargira peut-être le programme de façon à tenir compte des problèmes de transfert intergénérationnel et de lancement des nouveaux agriculteurs.

Nous tenons assurément à ce que se développe un secteur agricole dynamique qui offre des produits à valeur ajoutée, et nous appuyons le rôle que les agriculteurs peuvent jouer directement dans les entreprises qui apportent une valeur ajoutée.

Nous sommes également intéressés par l'industrie des biocarburants. Cette production intéresse la Saskatchewan. Nous reconnaissons qu'il faut un cadre stratégique vaste et cohérent. Nous comptons donc que le gouvernement veillera à ce que tous les facteurs soient pris en considération pour appuyer ces programmes : environnement, fiscalité, commerce, recherche et développement assuré par l'État.

La présidente : C'est là une partie importante de ce que nous étudions dans l'ensemble du Canada. J'ai l'impression que, dans certaines régions, les gens n'entendent pas assez parler des coopératives et du travail qu'elles accomplissent. Je vous remercie.

Le sénateur St. Germain : Ma question concerne l'environnement et cette sorte d'hystérie qui envahit tout le pays à propos du biodiesel et de l'éthanol. C'est la pauvreté que nous étudions. Et cette production va faire monter le prix des denrées de façon vertigineuse.

J'ai entendu un expert expliquer que cette production ne remplacera qu'un faible pourcentage des carburants fossiles.

Il est possible que cette production ait pour effet d'accroître la pauvreté dans le Canada rural. Bien des gens y habitent parce que le logement ne coûte pas cher. Ils fréquentent vos établissements parce qu'ils obtiennent tous les ans une ristourne sur leurs achats. Comment envisagez-vous cette activité? Vous avez toutes les deux parlé du biodiesel dans vos exposés. Est-ce que cela ne vous préoccupe pas? Par le passé, vous avez été au service d'un segment de la population rurale canadienne qui n'est pas aussi riche que les citadins. A-t-on réfléchi à cette question?

Mme Hunter : Nous soutenons que les usines de biodiesel appartenant à des coopératives de producteurs sont une bonne solution pour les agriculteurs. Lorsque le prix des denrées est faible, ils peuvent tirer un bénéfice de la transformation d'une partie de la production et lorsque les prix des denrées sont élevés, les prix des intrants sont plus faibles pour la transformation. Du point de vue de la valeur ajoutée, les agriculteurs peuvent obtenir un meilleur rendement grâce à un modèle d'entreprise dans lequel il y a intégration et où l'agriculteur n'est pas seulement fournisseur, mais aussi propriétaire de l'entreprise de transformation. Voilà pour la première partie de votre question, qui portait sur le prix des denrées.

La deuxième partie concerne l'environnement. Les technologies de l'industrie des biocarburants sont en évolution. Il y a beaucoup de matières premières différentes — éthanol, maïs, cellulose — que certains considèrent comme plus respectueux de l'environnement que les produits du bois et la paille. J'estime qu'il est important d'examiner ces technologies en évolution et cette analyse de l'impact environnemental, selon les produits utilisés. Nous observons la situation.

Quant à la présence dans les collectivités rurales, nous estimons que l'éthanol est toujours un carburant bien plus propre que ne le sont les grandes industries qui extraient le pétrole des sables bitumineux. Par comparaison, nous estimons que l'éthanol est certainement toujours plus propre que les carburants fossiles extraits du pétrole. Nous avouons néanmoins que la technologie évolue, et nous sommes conscients des impacts environnementaux. Il s'agit d'une grande industrie qui utilise bien des matières premières différentes.

Mme Skotnitsky : Voilà une observation très intéressante. D'après les membres agriculteurs avec qui j'ai pu parler et les dirigeants des caisses de crédit, il est très évident que les agriculteurs veulent que leurs revenus proviennent de la production agricole, et non de programmes de l'État. Quant aux nouvelles initiatives, comme la production de biodiesel qui pourrait faire augmenter le prix des denrées, les agriculteurs seraient en faveur parce que cela leur permettra de toucher des revenus qui viennent de l'exploitation agricole.

Nous voulons aussi faire en sorte que les structures choisies pour les usines de biodiesel permettent une participation des agriculteurs aux initiatives. Nous estimons aussi que cela sera bénéfique.

Si nous considérons l'impact possible sur la Saskatchewan rurale, je crois que les agriculteurs de là-bas sont actifs et participent à la vie de leur collectivité. Ils achètent sur place et appuient les localités. Les avantages sont nombreux, selon moi.

Comme il est dit dans notre mémoire, nous souhaitons une étude complète et approfondie des biodiesels et des biocarburants, une étude qui porte non seulement sur la recherche, mais aussi sur tous les autres aspects. Y a-t-il des avantages et des inconvénients? Sans doute. Le réseau des caisses de crédit a-t-il fait des recherches approfondies là-dessus? Non. Nous avons quelques points de vue, mais pas de réponse globale.

[Français]

Le sénateur Biron : Concernant la question de la biodiversité et les crédits de carbone, je dois dire que, en Saskatchewan, suivant une évaluation concernant les crédits de carbone qui pourraient être faits par les agriculteurs, sans compter la partie de la culture de l'éthanol, on aurait un million de crédits de carbone et sur le marché volontaire, aux États-Unis, à Chicago, cette valeur pourrait être d'environ de 40 million. Et sur un marché réglementé au Canada, suivant Kyoto, cela pourrait valoir jusqu'à 300 million de dollars de plus pour les cultivateurs de la Saskatchewan, non compris ce qui pourrait être crédité pour le marché de l'éthanol.

Je comprends que cela peut être le complot socialiste du secteur rural de la Saskatchewan contre d'autres parties, mais c'était seulement pour mentionner ces possibilités selon lesquelles les cultivateurs de la Saskatchewan pourraient recevoir des millions de dollars, suivant les crédits de carbone.

Mon autre question concerne un autre sujet. Je voudrais, dans un premier temps, vous féliciter pour les efforts déployés par les coopératives. Je voudrais féliciter Credit Union Central of Saskatchewan pour le développement économique qui aidera certainement les moins nantis de la société. Je vous félicite pour votre responsabilité sociale.

Concernant les plus nantis, en 2004, environ 1 200 points de vente d'entreprises de services de prêt sur gage, de prêt sur salaire ont été ouverts et cela augmente de plus en plus. Sous peu, une loi sera adoptée pour contrôler les coûts que ces entreprises génèrent sur les prêts sur gage. Un prêt sur salaire de 50 dollars pourrait entraîner un intérêt d'emprunt de 435 p. 100, et une avance de fonds sur carte de crédit serait de 36 p. 100, une protection sur un découvert à la banque ou à une caisse populaire ou un Credit Union, serait de 21 p. 100; et un emprunt sur marge de crédit serait de 10 p. 100.

Est-ce que la création de toutes ces entreprises de prêt sur salaire n'est pas due, d'une certaine façon, à un défaut de la part des banques et des coopératives de crédit, de remplir ce rôle d'aide pour ceux qui sont en difficulté temporaire? De quelle façon les coopératives ont-elles l'intention de laisser les plus pauvres aux mains de ces entreprises? Ont-elles un plan pour contrer ces prêts à des taux qu'on pourrait appeler usuraires et qui ne le seront plus avec la nouvelle loi?

Une des raisons pour lesquelles les personnes sont en difficulté financière, c'est qu'elles n'ont pas de compte de banque ou de Credit Union. Lorsqu'elles veulent échanger un chèque, soit du gouvernement fédéral, soit du gouvernement provincial, elles doivent se rendre dans ces entreprises. Est-ce que l'obligation éventuelle qu'auraient les banques et les Credit Union d'ouvrir un compte de banque, lorsqu'une personne a un chèque provenant du gouvernement se présente, ne coûterait pas moins cher aux gouvernements? Une fois que ces personnes auraient des comptes ouverts, elles pourraient faire des transferts électroniques, ce serait une économie pour tous les gouvernements.

Aussi, au moment où ces comptes seraient ouverts, ces personnes qui reçoivent de l'aide sociale ou des chèques de pension de vieillesse pourraient emprunter sur un découvert de banque ou possiblement avoir une marge de crédit.

Est-ce que cela ne serait pas une façon de contrer l'abus que les entreprises comme les prêteurs sur gage exercent? J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

Mme Skotnitsky : Tout d'abord, à propos de ce que vous dites des crédits pour le carbone et des possibilités qu'ils présentent, j'ai parlé des collectivités que nous servons. Nous y avons de l'expérience dans les prêts, et la plupart des caisses ont des relations avec de nombreux producteurs agricoles.

Il s'agit d'un nouveau domaine. On nous pose bien des questions sur les possibilités offertes par les crédits pour le carbone. Ces crédits suscitent un vif intérêt.

Quant aux sociétés de prêt sur salaire, vous touchez une corde sensible, car nous ne connaissons pas les causes de la croissance de ce type d'activité. J'ai parlé de notre vaste réseau. Si on considère les statistiques sur les caisses de crédit, on constate que leur clientèle tend à être plus âgée que l'ensemble de la population de la province et à avoir un revenu inférieur à la moyenne provinciale.

La croissance des sociétés de prêt sur salaire inquiète les caisses de crédit. Pourquoi sont-elles là et quelle est leur clientèle? Nous constatons que des consommateurs manquent de connaissances. Font-ils des choix éclairés? Nous voulons nous assurer qu'ils le font. Nous faisons donc de plus grands efforts pour faire connaître les taux d'intérêt et les frais exigés par ces sociétés.

Nous travaillons aussi avec les cinq caisses de crédit de la province, là où il y a des sociétés de prêt sur salaire, pour voir s'il y a des lacunes à combler. Nous croyons que c'est un problème et nous cherchons à savoir quelles sont les lacunes dans les connaissances et quels sont les besoins non satisfaits.

Nous offrons un compte bancaire de base pour garantir l'accès aux services des caisses. Il n'y a pas d'obstacle qui empêche de faire affaire avec les caisses de crédit. Nous étudierons davantage ce marché pour voir où nous avons des lacunes et comment nous pouvons les combler.

[Français]

Le sénateur Biron : Il ne fait pas de doute que nous serions intéressés de connaître les résultats de vos études et de savoir pour quelles raisons ces personnes se tournent vers ces institutions. Cela pourrait certainement intéresser le comité.

[Traduction]

Mme Skotnitsky : Il y a peut-être, nous l'avouons, des lacunes que nous pouvons combler. Il peut y avoir aussi des problèmes sociaux auxquels il faut s'attaquer.

Le sénateur Peterson : Lorsque les grandes banques ont déserté la Saskatchewan rurale, les caisses de crédit ont rapidement comblé le vide, et je les en félicite. Il y a tout de même aujourd'hui deux ou trois tendances préoccupantes.

L'une d'elles est le regroupement. Les caisses de crédit plus petites sont reprises par les caisses des villes. Une autre concerne les jours de service. Au départ, c'était cinq jours par semaine; aujourd'hui, on en est rendu à deux.

Est-ce que c'est une tendance? Cela pourrait-il changer la dynamique, au risque de sacrifier tout le bon travail qui se fait?

Mme Skotnitsky : La tendance observée en Saskatchewan est nationale. Ce sont les fusions et les regroupements dont vous parlez. Nous nous efforçons de continuer à offrir les services dans tout notre vaste réseau. Le nombre de points de service a culminé en 1965; depuis, il y a des fusions et des regroupements. Cela attire davantage l'attention qu'alors, mais c'est à cette époque que le nombre de caisses a culminé.

Cela dit, les fusions et regroupements ont pour seul but de réaliser des économies d'échelle. Les consommateurs, où qu'ils habitent, exigent les mêmes commodités; ils ont besoin d'accéder aux services financiers où qu'ils aillent. Cela donne lieu à de vrais problèmes comme ceux de l'automatisation, qui coûte cher. Les caisses de crédit se regroupent pour avoir accès à différents réseaux et offrir aux consommateurs les services dont ils ont besoin. C'est ce qui motive la restructuration.

Cela aura-t-il un impact sur la prestation des services en zone rurale? Nous essayons toujours de maintenir notre présence le plus possible, mais, petit à petit, certaines collectivités perdent la capacité de faire vivre une succursale. Il y a donc un effet sur la prestation des services. D'abord, nous cherchons comment assurer les services différemment. Dans certaines localités rurales, nous avons réduit le nombre d'heures d'ouverture, mais nous maintenons les services autant que possible.

Nous essayons aussi de voir s'il est possible d'accroître le nombre de services offerts dans chaque point de service. Nous avons collaboré avec le gouvernement provincial pour réduire les obstacles à l'offre d'assurance, car cela nous permettrait d'allier services bancaires et services d'assurance. À certains endroits, en campagne, l'offre de plus nombreux services pourrait justifier économiquement le maintien des services — pas indéfiniment, mais pendant plus longtemps. Lorsque la population diminue, il peut arriver que la caisse de crédit ne soit plus rentable, si le niveau d'activité n'est pas assez élevé. C'est la triste réalité.

Mme Hunter : Bien que le nombre de caisses diminue, le nombre de points de service ne suit pas la même tendance. Ces points de service restent ouverts, mais le nombre de caisses diminue à cause des fusions.

Mme Skotnitsky : C'est juste. Il y a même plus de points de service qu'en 1965, malgré les fusions et regroupements. Vous avez raison de dire que, à certains endroits, le nombre d'heures ou de jours de service a diminué. C'est loin d'être la majorité des cas, mais il y a quelques endroits où il a fallu les réduire.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit que, à Burns Lake, le taux de chômage est de 80 p. 100. J'y suis passé il y a dix ou quinze ans, et il y avait une banque là-bas. La banque est partie et les caisses de crédit l'ont remplacée?

Mme Hunter : Je dois avouer que je ne connais pas la réponse, mais je me ferai un plaisir de vérifier s'il s'y trouve une caisse de crédit.

Le sénateur Mahovlich : Savez-vous pourquoi le taux de chômage est de 80 p. 100?

Mme Hunter : À Burns Lake?

Le sénateur Mahovlich : Oui. À cause des insectes?

Mme Hunter : Je n'en sais pas plus long sur cette localité. Je devrai vous répondre plus tard.

Le sénateur Eyton : Vos chiffres sur la relève dans les entreprises familiales m'ont étonné. Je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que cela représente concrètement. Je présume qu'elles ferment leurs portes. Évidemment, il doit y avoir d'autres fournisseurs de biens ou de services, ou bien les consommateurs doivent faire 25 milles de plus pour se rendre dans un magasin plus important. Pourtant, il me semble que c'est une idée du tonnerre que d'aider à assurer la relève. Je ne suis pas sûr d'avoir une question à poser, mais je cous remercie d'avoir donné ces renseignements. Je souhaiterais en avoir davantage. Je n'avais jamais pensé à ce problème sous l'angle de l'économie et de la pauvreté rurale.

J'ai deux ou trois questions à poser. Vous représentez les coopératives et les caisses de crédit. Quelle est la relation entre les deux? J'ai toujours cru qu'elles étaient très indépendantes dans leur action, et pourtant, à vous entendre aujourd'hui, c'est presque comme si vous étiez associés dans tout ce que vous faites. Quelles sont les relations?

Mme Hunter : La Canadian Co-operative Association est multisectorielle. Elle représente de la coopérative dans les secteurs financier et non financier. Je dirais que jusqu'ici, les caisses de crédit se sont identifiées au mouvement et se sont présentées comme des coopératives. Elles sont toujours des coopératives, mais dans un effort pour redorer leur blason et moderniser leur image, elles ont mis davantage l'accent sur le fait qu'elles sont le secteur des caisses de crédit, et elles n'emploient plus tellement le terme « coopérative ». C'est une question d'image de marque ou de commercialisation, mais les caisses de crédit font bel et bien partie du mouvement coopératif. Elles respectent les sept principes que suivent toutes les coopératives du monde. On entend l'expression « le secteur des coopératives et des caisses de crédit », comme s'il s'agissait de deux secteurs distincts, mais c'est une façon de mettre en évidence ce secteur, qui représente une grande partie de l'économie coopérative.

Le sénateur Eyton : Elles doivent aussi avoir leur mode de gouvernance propre et des évaluations de risque régulières. Ce doit être différent des coopératives.

Mme Hunter : Oui, c'est exact.

Le sénateur Eyton : Rapidement, quelles sont les trois recommandations que vous feriez au gouvernement fédéral pour réduire la pauvreté en travaillant avec le mouvement coopératif et les caisses de crédit?

Mme Hunter : L'Initiative de développement coopératif dont j'ai déjà parlé et qui se termine en 2008 a été un programme très important pour favoriser l'émergence de nouvelles coopératives au Canada. Nous sommes très en faveur d'un renouvellement de l'IDC. Il y a aussi l'Initiative d'économie sociale, à laquelle le gouvernement conservateur n'a pas donné suite. De l'argent a été versé au Québec seulement, et il y a là maintenant, grâce à cet argent de l'Initiative, un important Fonds de capital patient. Nous préconisons que les bienfaits de cette initiative soient étendus à toutes les régions du Canada et non pas au Québec seulement.

L'autre recommandation est un plan d'investissement coopératif pour les agriculteurs, de façon qu'ils puissent investir dans leur coopérative agricole et recevoir un crédit d'impôt grâce à ce plan.

Le sénateur Eyton : C'est très clair. Merci.

La présidente : Merci de votre témoignage. Je viens d'une région rurale du sud-ouest de l'Alberta. Nous constatons souvent dans nos déplacements que l'action de vos deux mouvements est très mal comprise. À un moment où la collectivité rurale a besoin de toute l'aide et de tout l'appui qu'on peut lui accorder, il est excellent que vous soyez venues aujourd'hui et que nous ayons eu cette réunion. Comme vous le savez, vous en recevrez la transcription intégrale. Nous pourrons en tenir compte dans notre rapport.

Bonne chance, et merci.

La séance est levée.


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