Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 24 - Témoignages du 1er mai 2007
OTTAWA, le mardi 1er mai 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 1 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je souhaite le bonsoir aux honorables sénateurs, à nos témoins et à tous ceux qui regardent les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
En mai de l'année dernière, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. L'automne dernier, nous avons entendu le témoignage de plusieurs experts qui nous ont brossé un tableau du secteur rural canadien et de la pauvreté qui y règne.
Nous nous sommes appuyés sur ces témoignages pour rédiger un rapport intérimaire que nous avons publié en décembre et qui, d'après tous les commentaires que nous avons reçus, a vraiment touché un point sensible. Nous entamons actuellement la deuxième phase de notre étude qui nous amène à rencontrer des Canadiens des régions rurales de notre pays.
Jusqu'à présent, nous nous sommes rendus dans les quatre provinces de l'Est et les quatre provinces de l'Ouest, rencontrant tout au long de notre périple des représentants merveilleux et variés du milieu rural canadien qui nous ont accueillis à bras ouverts dans leurs collectivités et parfois même chez eux.
Cependant, le comité a encore du travail à faire. Nous devons nous rendre dans les collectivités rurales du Québec, de l'Ontario et des territoires. Nous voulons encore rencontrer autant de témoins que possible ici à Ottawa, étant donné que nous voulons faire le point sur la question et bien comprendre les caractéristiques fondamentales de la pauvreté rurale.
Les témoins que nous accueillons ce soir proviennent de l'Ontario Landowners Association, une organisation constituée en février 2006 de diverses associations de comté déjà existantes. Nous allons entendre ce soir Bill Duncan, de Packenham et Jacqueline Fennell, de Spencerville; tous deux sont directeurs de l'Ontario Landowners Association. Ils sont accompagnés de Merle Bowes, de Carleton Place, gestionnaire de l'association, et de Shawn Carmichael, membre de l'association résidant à Spencerville.
Bienvenue à tous.
Jacqueline Fennell, directrice, Ontario Landowners Association : Je vous remercie de nous avoir invités à venir témoigner ce soir. J'aimerais, si vous le permettez, donner quelques détails supplémentaires au sujet de l'Ontario Landowners Association. Je suis membre de la Leeds and Grenville Landowners Association, au sud d'Ottawa.
Notre association a vu le jour en novembre 1994 et nous représentons environ 550 familles de la région de Leeds et Grenville. L'Ontario Landowners Association représente plus de 15 000 familles de tout l'Ontario et réunit 16 associations de comté. Comme l'a mentionné le sénateur Fairbairn, nous avons fusionné nos diverses organisations pour créer l'Ontario Landowners Association en février de l'année dernière.
Nos chevaux de bataille sont la surréglementation et les droits des propriétaires fonciers. Nous estimons que les droits de propriété devraient être consacrés par la Constitution canadienne. Ce ne serait pas la solution parfaite, mais ce serait une façon d'examiner certains problèmes auxquels nous sommes confrontés; ce serait un pas dans la bonne direction. La pauvreté rurale est un problème très grave qui préoccupe de plus en plus les habitants de l'Ontario et même de l'ensemble du Canada.
M. Bowes va vous présenter brièvement les enjeux fondamentaux.
Merle Bowes, gestionnaire, Ontario Landowners Association : J'aimerais vous parler des importations de produits alimentaires et des problèmes qu'elles entraînent pour les producteurs canadiens. Au Canada, les normes de production et de transformation nous imposent de bien des façons une réglementation excessive.
Ce n'est pas la sévérité des normes qui nous pose problème. Ce n'est pas ce que nous leur reprochons. Nous nous plaignons surtout d'être envahis par de plus en plus d'importations en provenance de pays qui, dans bien des cas, n'appliquent absolument pas les mêmes normes de production ou de transformation que nous. Les règles du jeu ne sont donc pas égales et elles font du tort à notre marché.
Je vous ai présenté des documents de la Bibliothèque du Parlement concernant des produits importés de Chine. Je suis abasourdi par certains produits que nous importons. Certains sont tout à fait inutiles. Le problème le plus grave est, selon moi, la qualité des produits alimentaires importés de Chine. Nous savons que les normes de production et de transformation posent de graves problèmes en Chine, mais il existe des problèmes encore plus sérieux qui échappent à notre connaissance. Les problèmes sont graves et nous en avons de nombreux exemples.
Je vous ai présenté également un article de l'Associated Press en provenance des États-Unis qui relate les problèmes causés là-bas par certains produits importés de Chine.
Le Canada a érigé des conditions de marché qui sont très inéquitables pour les producteurs canadiens, étant donné que les exportateurs étrangers de produits alimentaires au Canada ne respectent pas et ne sont même pas tenus de respecter les règlements qui nous sont imposés ici.
La Commission du Codex Alimentarius est un organisme des Nations Unies créé afin d'élaborer des normes alimentaires mondiales et de promouvoir des pratiques loyales dans le commerce des aliments. Les membres de cette commission ne sont pas élus et n'ont pas de comptes à rendre aux Canadiens. Ils sont extrêmement influencés par d'autres organismes des Nations Unies tels que l'OMS, l'OMC, la FAO qui sont eux-mêmes très influencés par les grandes multinationales de l'alimentation.
Les normes de production alimentaire canadiennes sont très élevées comparées à celles de la plupart des autres pays du monde. Lorsqu'il est question de créer une norme mondiale, le Canada doit abaisser ses propres normes alimentaires pour se mettre au niveau d'une norme alimentaire mondiale.
Au Canada, nous avons l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui semble s'en prendre aux producteurs canadiens, même si nous proposons en fait des produits d'excellente qualité qui comptent probablement parmi les meilleurs du monde. Lorsque l'agence nous attaque, notre seul recours est de nous adresser aux tribunaux, ce qui représente une grande dépense. Il incombe aux producteurs de prouver leur innocence plutôt qu'à l'agence de prouver qu'ils ont commis une infraction. Cette démarche est trop coûteuse. La plupart d'entre nous n'avons pas les moyens de nous adresser aux tribunaux pour trancher de tels litiges.
Les programmes de salubrité des aliments mis sur pied par l'ACIA et les unités sanitaires provinciales mêlent délibérément le classement des aliments et la sécurité alimentaire. Par exemple, l'obligation de classer les légumes vendus sur un marché, n'est absolument pas reliée à la salubrité des aliments. Dans les magasins, le classement des produits frais et des produits alimentaires n'a, la plupart du temps, aucune incidence sur la salubrité des aliments. Le classement des produits se fait en fonction de leur apparence, de leur forme et de leur taille. C'est une procédure coûteuse pour des maraîchers comme moi et tous ceux qui vendent directement leurs produits aux consommateurs. Pour moi, l'obligation de classer tous mes produits alors que cela ne procure aucun avantage ni pour moi ni pour mes clients, est une pure perte de temps et d'énergie.
Pendant ce temps, le système de classement des produits est régulièrement malmené. Il n'est pas rare de trouver dans les épiceries des produits étiquetés « catégorie Canada A ». Par exemple, j'ai déjà vu des carottes emballées sous cellophane arborant la mention « catégorie Canada 1 » sur le paquet, alors qu'il y avait de la moisissure à l'intérieur. La confusion est délibérée.
Il faut suspendre et mieux définir l'étiquetage « produit du Canada » afin que ce type d'étiquette soit réservé aux produits provenant du Canada, plutôt qu'aux articles dont 51 p. 100 des coûts de production ont été engagés au Canada. Il faut que l'étiquetage soit absolument authentique. J'avais apporté quelques exemples de mauvais étiquetage à notre dernière rencontre avec le sénateur Gustafson. Il s'agissait d'articles d'une marque connue dont il était impossible de savoir où ils avaient été produits ou fabriqués. De mon côté, les inspecteurs me pourchassent tout autour du marché si je n'inscris pas sur les produits que je cultive dans le comté de Lanark qu'il s'agit de produits de l'Ontario.
En matière d'étiquetage, il semble qu'il y ait deux poids, deux mesures. On met beaucoup l'accent sur les petits producteurs, alors que les multinationales utilisent impunément des étiquettes inexactes et se servent du label « produit du Canada » de manière tout à fait trompeuse pour les consommateurs. En effet, la plupart des consommateurs pensent que ces produits proviennent du Canada alors que ce n'est pas nécessairement le cas.
Shawn Carmichael, membre, Ontario Landowners Association : J'ai deux points importants à soulever. Le premier concerne l'accès au marché intérieur. En tant que petits producteurs, nous pensons que cet accès devrait être garanti, car nous en avons besoin. Il nous est garanti en vertu de la Charte.
Deuxièmement, M. Bowes a déjà parlé de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, mais j'aimerais ajouter que ce monstre créé en 1997 échappe totalement à notre contrôle. Le 19 avril, dans un arrêt de 27 pages, un juge de la Cour fédérale a statué que, dans une affaire qui nous concerne, ces gens-là ne suivent plus leurs propres règlements. On peut se poser la question suivante : quand les contribuables vont-ils cesser de payer pour les erreurs de ces gens-là?
Il y a deux ans, ils ont dû verser 9 millions de dollars à Don Salkeld de Northern Goose Processors Ltd. Ils m'ont joué également le même tour. C'est une chose lorsqu'un petit agriculteur vient vous dire que ces gens-là sont corrompus et partiaux, mais cela prend une toute autre dimension lorsque c'est un juge de la Cour fédérale qui l'affirme.
Ces gens-là relèvent de la responsabilité du ministre Strahl et nous venons vous dire ce soir qu'il faut faire quelque chose à ce sujet. Il faut que ces gens-là soient tenus de rendre des comptes.
Bill Duncan, directeur, Ontario Landowners Association : Les trois thèmes principaux sur lesquels nous souhaiterions nous concentrer ont déjà été mentionnés : surréglementation de l'agriculture canadienne; accès limité au marché intérieur canadien; et droits de propriété foncière. À notre point de vue, ces trois questions sont liées. Elles doivent être liées si nous voulons instaurer une économie rurale prospère.
La surréglementation est devenue un véritable « esclavage » pour les collectivités rurales et l'industrie agricole jadis prospère. C'est un mot que je n'aime pas utiliser, mais on nous impose tellement de règles que nous sommes surréglementés. Le gouvernement a autorisé les importations, faisant ainsi disparaître de bons emplois canadiens.
M. Carmichael a parlé de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. La seule chose que je pourrais ajouter au sujet de l'agence et des services de santé locaux est que l'ACIA n'a aucun contrôle sur les produits importés. Dans le cas des produits alimentaires importés au Canada, l'ACIA n'a aucun contrôle sur la transformation, les lois ou règlements qui s'appliquent en Chine ou dans d'autres pays étrangers. Par conséquent, tout ce qui reste à l'agence, c'est de réglementer et d'inspecter les produits canadiens. À mon sens, nous sommes surréglementés, au détriment de l'agriculture et des collectivités rurales.
Moi aussi, je préfère répondre aux questions. Ce soir, je ne veux pas faire de discours aux sénateurs. Pour nous, c'est du réchauffé, mais le but de notre témoignage ce soir est d'identifier ce que la population canadienne ne comprend pas au sujet de la situation de l'agriculture et des collectivités rurales. Lorsque vous nous posez des questions, nous comprenons mieux les éléments que nous devons accentuer dans notre message.
La présidente : Merci beaucoup. Nous sommes heureux que vous soyez venus témoigner ce soir.
Le sénateur St. Germain : Merci d'être venus ce soir nous présenter vos témoignages. Moi aussi, je suis d'avis que les droits de propriété devraient être inscrits dans notre Constitution. Ils ne sont pas protégés par la Constitution et cela pose problème. J'ignorais que c'était également une source de préoccupation pour des agriculteurs comme vous.
En Colombie-Britannique, la région d'où je viens, nous avons eu le cas d'un ruisseau dont le cours a été modifié dans la propriété d'un particulier. Les autorités lui ont dit qu'il n'avait pas de droits de propriété. J'aimerais savoir de quelle manière vous êtes touchés.
Je vais faire l'avocat du diable, parce que je pense que l'ACIA a fait un excellent travail dans le dossier de l'EBS et plusieurs autres dossiers.
Monsieur Bowes, vous avez dit que les inspecteurs vous poursuivent dans votre petit marché au sujet des produits que vous essayez de vendre. Je suppose que vous cultivez vous-même ces produits ou que vous les achetez à des agriculteurs de la région.
M. Bowes : Je les cultive moi-même. Dans l'Est ontarien, les marchés sont la plupart du temps approvisionnés par des producteurs qui cultivent et vendent eux-mêmes leurs produits. Il n'y a pas de revente.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que l'ACIA effectue vraiment des vérifications dans votre marché?
M. Bowes : Elle peut le faire pour les normes de classement et je m'attends à un plus grand nombre d'interventions de ce type à l'avenir.
Le sénateur St. Germain : Pouvez-vous nous expliquer comment les droits de propriété ont un effet négatif sur vos activités?
M. Carmichael : Si les droits de propriété étaient consacrés la Constitution, environ 80 p. 100 de nos problèmes seraient éliminés. Si les droits de propriété étaient inscrits dans la Constitution, nous n'aurions pas à nous soucier des nombreux règlements qui nous sont imposés. Le fait que nous n'ayons aucun contrôle sur notre propriété nous place dans une position vulnérable face à la prochaine saute d'humeur du gouvernement.
Mme Fennell : Un document intitulé « The Problems », que l'on vous a remis, je crois, traite du problème principal qui se pose aux régions rurales du Canada — la surréglementation. Ce document passe en revue certains règlements qui nous sont imposés en Ontario. La Loi sur l'eau saine, la Loi sur les espèces en péril et l'énoncé de politique provinciale sont les trois textes législatifs qui permettent aux autorités de conservation d'invoquer le bien public pour nous interdire l'accès à notre propre propriété.
Vous avez parlé de cette personne dont le ruisseau avait été détourné. En Ontario, nous ne pouvons plus utiliser le terrain situé à proximité d'un ruisseau ou d'un drain municipal. À la suite de l'adoption de la Loi sur l'eau saine, l'an dernier, nous avons perdu le droit d'utiliser une partie de propriété située dans le voisinage d'une nappe aquifère.
Un agriculteur peut perdre des centaines d'acres, mais il n'a le droit à aucun dédommagement. Aucune indemnité n'est prévue pour un agriculteur ou un propriétaire dont les terrains abritent une pie-grièche migratrice, étant donné que cet oiseau fait désormais partie des espèces en voie de disparition. Essentiellement, le propriétaire d'un tel terrain ne peut apporter aucune modification à un secteur où une pie-grièche migratrice est susceptible de nicher. À Carleton Place, nous avons l'exemple d'une famille qui a perdu, je crois, 500 acres de sa propriété qui servait d'habitat à une pie- grièche migratrice.
Il n'existe aucun dédommagement pour ce genre de choses. Le propriétaire doit payer les taxes et son hypothèque, mais les droits des oiseaux ou de l'eau passent avant les siens.
M. Duncan : Je vais paraphraser la loi, puisque je ne l'ai pas sous les yeux, mais l'article 83 de la Loi sur l'eau saine prévoit la saisie d'une propriété privée sans le consentement du propriétaire, sans paiement ni dédommagement. Les articles 47 et 53 confèrent aux municipalités le pouvoir de faire payer l'eau en imposant par exemple des permis et l'installation de compteurs d'eau sur les puits des régions rurales.
Les articles 49 et 50 interdisent l'utilisation des terrains susceptibles de représenter une menace pour les eaux souterraines. En vertu de l'article 56, toutes les mesures exigées par un inspecteur permanent doivent être respectées, quelle que soit la dépense. Il sera impossible de déclarer faillite pour éviter le paiement des dépenses. Toutes les dépenses doivent être payées.
Si nos droits de propriété étaient confirmés, nous pourrions au moins obtenir un dédommagement. Si je suis propriétaire d'un terrain de 400 acres traversé par un ruisseau en son milieu, et qu'une zone tampon est désignée de part et d'autre de ce ruisseau — certaines zones tampons peuvent atteindre jusqu'à 400 mètres de large — je ne perçois aucun dédommagement. Les mesures de protection du ruisseau m'interdisent d'utiliser ce terrain, mais je ne reçois aucun dédommagement. La confirmation des droits de propriété fera en sorte que si le terrain est réquisitionné pour le bien public, nous obtiendrons une indemnisation équitable et en temps opportun.
Les gens ont peut-être du mal à saisir ce que représentent réellement les droits de propriété. Nous ne voulons pas décrire les droits de propriété dans un document juridique de 5 500 pages. Je vais utiliser l'exemple que je préfère pour vous expliquer ce que sont les droits de propriété. Les droits de propriété sont comme une cravate autour de votre cou. Vous pouvez porter une cravate bleue ou une cravate verte. Vous pouvez l'enlever de votre cou et la porter sur la tête comme un bandana. Vous pouvez la porter à votre taille. C'est votre cravate; elle vous appartient. C'est votre propriété et vous pouvez en faire ce que vous voulez dans la mesure où ce n'est pas pour pendre quelqu'un.
Vous pouvez utiliser ce qui vous appartient pour en faire ce qui vous plaît et pour subvenir à vos besoins, dans la mesure où vous ne nuisez pas à votre voisin. Dans le cas de l'eau, vous avez le droit d'accès à un cours d'eau, mais vous ne pouvez pas y construire un barrage et empêcher ainsi votre voisin d'avoir accès à ce cours d'eau. C'est, pour moi, l'essence même des droits de propriété.
M. Bowes : Permettez-moi de vous parler d'un autre problème. Le préambule de la nouvelle Loi sur les espèces en voie de disparition de l'Ontario affirme que la population de l'Ontario a décidé de faire sa part pour protéger la faune ontarienne et ses habitats. C'est absolument faux. Ce sont les propriétaires ruraux qui doivent assumer tout le travail et tous les frais. Les gens qui vivent dans la rue Bank à Ottawa ou dans n'importe quelle rue d'un centre urbain du pays ne se sentent pas concernés. Le fardeau repose sur nos épaules et nous ne recevons aucune indemnité. La population de l'Ontario n'a pas décidé de se mettre à la tâche; elle a décidé de me mettre à la tâche en tant que propriétaire terrien.
Il y a beaucoup d'autres exemples de ce type qui contribuent à imposer aux collectivités agricoles des coûts qu'elles ne peuvent se permettre. La Loi sur la gestion des éléments nutritifs, la Loi sur les espèces en voie de disparition, la Loi sur l'eau saine, les énoncés provinciaux concernant l'utilisation des terres en sont quelques exemples. Nous n'avons pas les moyens d'assumer de telles dépenses, surtout lorsque nous devons faire face à des produits alimentaires importés de pays qui n'ont pas la même réglementation que nous, ni les coûts qu'elle implique.
Le sénateur St. Germain : La domination du Canada urbain sur le Canada rural entraîne des conséquences négatives. J'habite moi-même à la campagne et je sais de quoi vous parlez. Les habitants des villes continuent à polluer avec leurs véhicules et leurs déchets, et pourtant, ils veulent que ce soit les régions rurales du Canada qui supportent tout le fardeau, parfois sans aucune distinction.
Je comprends ce que vous dites, mais, du même coup, à mesure que la population augmente, je me demande comment nous ferons pour réglementer certains aspects comme la salubrité de l'eau. Nous finirons peut-être par aboutir à d'autres catastrophes comme à Walkerton, en Ontario.
M. Carmichael : Soyons clairs. C'était deux soûlots qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Il est certain que nous voulons tous de l'eau propre. Tout le monde est bien d'accord, mais il faudrait que chacun paie sa juste part. Il ne faut pas que les propriétaires ruraux soient les seuls à supporter le fardeau.
M. Bowes : Notre région de l'Est ontarien a fait l'objet d'une étude de 2,1 millions de dollars financée par le ministère de l'Environnement afin de déterminer les menaces réelles ou potentielles à la nappe souterraine dans le secteur concerné, soit le bassin hydrographique des rivières Mississippi et Rideau. Dans ce secteur, 400 sites ont été repérés comme potentiellement dangereux pour les réserves d'eau souterraine. Parmi ceux-ci, 385 appartenaient au gouvernement. Pourtant, ce sont les propriétaires terriens que l'on montre du doigt. Cette étude a été réalisée par Golder Associates.
Le sénateur Peterson : Je vois où vous voulez en venir au sujet des droits de propriété, mais quel pourcentage de la population subirait des conséquences négatives? Tous les propriétaires n'ont pas de servitude sur leur terrain. Quelle est l'ampleur du problème? Est-ce qu'il touche l'ensemble des agriculteurs?
Mme Fennell : La plupart des agriculteurs ont des tuyaux de drainage dans leur propriété. La plupart des propriétés sont traversées par des drains municipaux. Ces drains se transforment ensuite en ruisseau, accueillent des grenouilles, des poissons, des castors et d'autres espèces. Lorsque c'est le cas, on prend des mesures pour protéger le ruisseau afin de préserver ces animaux mais pas pour faciliter le drainage de la propriété de l'agriculteur qui cultive des récoltes afin de nourrir le Canada.
Le sénateur St. Germain a souligné un aspect très important. Notre population augmente et bientôt, nous ne pourrons plus nourrir cette population, étant donné que l'agriculteur canadien aura disparu.
Certains répliqueront qu'il y aura toujours assez de produits sur les tablettes des épiceries, mais, selon le document que M. Bowes vous a remis au sujet des importations, les consommateurs n'achèteraient pas ces produits et s'ils savaient comment ils ont été cultivés. S'ils avaient la possibilité d'acheter des produits alimentaires dont le pays d'origine est le Canada plutôt que la Chine, par exemple, les consommateurs canadiens accorderaient leur préférence aux produits qui respectent les normes élevées en application au Canada.
Les règlements qu'on nous impose éliminent les agriculteurs du Canada et bientôt, nous ne pourrons plus cultiver les produits alimentaires que nous devons mettre à la disposition des consommateurs canadiens. C'est un problème énorme.
Le sénateur Peterson : Je ne pensais pas que c'était aussi grave. Je viens de Saskatchewan et je n'étais pas au courant de cette question qui mérite certainement notre attention.
M. Bowes : L'ensemble des divers règlements peuvent avoir de nombreuses conséquences. Permettez-moi de vous donner un exemple. J'ai une propriété de 65 acres qui forment un seul champ. Il y a quelques années, j'avais demandé un permis de construire sur cette propriété. Ce permis avait été refusé parce que ma propriété constitue une zone tampon pour une ressource en agrégats qui se trouve dans la propriété voisine. Par conséquent, il est impossible pour moi de construire une maison sur ma propre propriété.
Ensuite, ma propriété jouxte la plaine d'inondation de la rivière Mississippi qui est elle-même bordée par une zone tampon qui s'étend dans mon champ. Au bout de ma propriété, il y a un ruisseau qui a sa propre zone tampon. Je vais continuer à pouvoir cultiver mon terrain, mais si je le vends ou si je change la nature de mes activités, la réglementation fera en sorte que les 65 acres de terres productives de ma propriété seront réduits à environ 15 acres. Nous n'avons pas de droits de propriété et nous n'avons droit à aucune indemnité lorsque nos terres ne peuvent plus servir à la culture. Les répercussions sont énormes pour de nombreux agriculteurs.
Le sénateur Peterson : Qu'entendez-vous par « accès aux marchés intérieurs »?
M. Carmichael : Les producteurs canadiens veulent avoir accès aux marchés intérieurs et ne veulent pas être contraints de faire partie d'un cartel ou d'un office de commercialisation. Nous voulons pouvoir vendre nos produits sur le marché intérieur, étant donné que ce droit nous est garanti par la Charte. Nous demandons tout simplement au gouvernement de reconnaître ce droit.
Le sénateur Peterson : Comment avez-vous perdu ce droit? Je ne comprends pas pourquoi vous ne pouvez pas vendre vos produits sur le marché intérieur.
Mme Fennell : Actuellement, nous vendons exclusivement nos produits à un office de commercialisation ou un organisme chargé de la distribution, selon la nature du produit. Par exemple, il est impossible de se présenter chez M. Duncan pour lui acheter un poulet plutôt que de l'acheter au magasin. Pour que ce soit possible, il faudrait que M. Duncan investisse des centaines de milliers de dollars pour acquérir un quota l'autorisant à faire ce type de vente au détail. Par exemple, c'est un produit que vous ne pouvez pas acheter au magasin. Les produits vendus en magasin proviennent généralement de grandes fermes usines. Beaucoup de consommateurs veulent savoir d'où proviennent les produits alimentaires qu'ils utilisent et veulent établir des liens personnels avec le producteur. C'est une façon pour eux de savoir comment les animaux ont été nourris, s'ils ont été en contact avec des pesticides ou d'autres contaminants utilisés dans la propriété. À l'heure actuelle, c'est interdit. Si vous voulez acheter un poulet chez moi, je ne pourrai pas vous le vendre, étant donné que c'est interdit par la loi et vous, de votre côté, vous seriez en infraction pour avoir acheté ce poulet chez moi. Voilà le marché intérieur auquel nous n'avons pas accès.
M. Carmichael : Permettez-moi de vous expliquer l'incidence sur la pauvreté rurale. Avant les années 1960, nous avions accès au marché intérieur et tous les agriculteurs pouvaient produire et occuper une part sur ce marché. On parle de mondialisation, mais dans les régions rurales, on parle plutôt de « cannibalisation » étant donné que de nombreux aspects de notre économie ont été avalés, cannibalisés. C'est le cas par exemple des fromageries, des abattoirs et des postes de classement des différents secteurs commerciaux qui contribuaient tous à la prospérité de l'économie locale. Aujourd'hui, ces exploitations agricoles sont habitées par des gens qui travaillent en ville où elles ont été achetées par des fermes usines. Ces travailleurs urbains n'apportent rien à l'économie locale. Tant mieux pour eux, je ferais la même chose qu'eux si j'étais à leur place. Ils profitent d'être en ville pour acheter leurs provisions et les rapporter à la maison. Toutes ces dépenses de consommation ne sont plus investies dans l'économie locale.
Le sénateur Peterson : Est-ce que les offices de commercialisation sont partiellement en cause?
M. Carmichael : Absolument. Nous n'avons rien à faire avec les offices de commercialisation. Ils ont pour mission de négocier avec les Saputo et les Parmalat de ce monde. Ce marché ne nous intéresse pas. En tant que petits producteurs, nous avons un marché de consommateurs qui souhaitent acheter directement auprès du producteur afin de savoir d'où proviennent les produits qu'ils achètent.
Le sénateur Mercer : Je constate une sorte de paranoïa concernant l'intervention du gouvernement dans toutes sortes de domaines, de l'Agence canadienne d'inspection des aliments aux règlements fonciers, en passant par la protection de l'environnement. La tragédie de Walkerton a justement pu se produire parce que le gouvernement avait laissé sans contrôle deux ivrognes qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Lorsqu'une telle tragédie se produit, le gouvernement a l'obligation de réagir et de prendre des mesures pour protéger le bien supérieur des citoyens. Les événements de Walkerton nous ont amené à examiner de plus près les mesures que nous prenons pour gérer notre eau au Canada. À Walkerton, cette tâche était confiée à deux ivrognes qui faisaient du mauvais travail, exposant ainsi tous les habitants du pays, des régions rurales ou urbaines, au risque de consommer de l'eau contaminée.
Vous vivez dans des exploitations agricoles et vous savez que parfois les produits et les sous-produits des exploitations peuvent contribuer à la pollution s'ils ne sont pas gérés adéquatement par vous ou par la collectivité. Dans le cas de Walkerton, nous savons que ce travail était très mal fait.
Monsieur Carmichael, je crois vous avoir entendu dire que l'inclusion des droits de propriété dans la Constitution permettrait de réduire 80 p. 100 des problèmes. Vous ai-je bien compris?
M. Carmichael : En effet.
Le sénateur Mercer : Je ne comprends pas comment cela pourrait réduire 80 p. 100 de vos problèmes.
M. Carmichael : La question des droits de propriété est le trait d'union entre tous nos problèmes. Si nos droits de propriété étaient protégés, nous aurions le droit d'utiliser nos propriétés comme bon nous semble. Cela ne signifie pas que nous pourrions en toute liberté nuire à nos voisins ou contaminer l'eau. Nous devons tout simplement avoir le droit de profiter de nos propriétés et de les utiliser sans avoir à faire face à tous ces règlements qui nous empêchent de tirer un revenu de notre propriété.
Mme Fennell : Je reconnais qu'il faut mettre de l'eau propre à la disposition de tous les habitants du Canada. Cependant, les agriculteurs ne doivent pas être les seuls à supporter cette mesure prise pour le bien de l'ensemble de la population. Si c'est pour le bien public, l'ensemble du public doit en assumer les coûts et pas seulement les agriculteurs.
Prenons le cas d'une personne qui achète une propriété de 300 acres afin d'en tirer un revenu pour faire vivre sa famille et payer la scolarité de ses enfants. Par la suite, la Loi sur l'eau saine, les énoncés de politique provinciale, et la Loi sur les espèces en péril entrent en vigueur. Si cette famille n'a plus accès à une partie de ces 300 acres, soit 100 ou 150 acres, elle n'a plus la possibilité de subvenir à ses besoins. Bien entendu, il est important pour tous d'avoir accès à de l'eau saine. En revanche, un agriculteur qui fait l'achat d'une propriété a souvent un objectif précis en tête, un projet qu'il a soigneusement préparé après avoir étudié toutes les données pertinentes pour s'assurer qu'aucune restriction ne s'applique. Évidemment, les choses peuvent changer, mais les personnes qui se voient priver de leur droit à subvenir à leurs besoins, à utiliser leur propriété et à en profiter, devraient être indemnisées en temps opportun.
Le sénateur Mercer : Indemnisées par qui?
Mme Fennell : Je dirais par le public, c'est-à-dire le gouvernement.
Le sénateur Mercer : Prenons le cas d'une exploitation de 300 acres traversée par un ruisseau; certains règles s'appliquent; tout ce qui peut mal tourner tourne mal; et l'agriculteur perd l'utilisation de 150 acres sur 300. Qui devrait le dédommager?
M. Carmichael : La question est de savoir qui bénéficie des mesures appliquées. Dans notre cas, c'est la population urbaine qui en bénéficie. Les bénéficiaires des mesures devraient en assumer les coûts; étant donné qu'il s'agit dans ce cas du grand public, c'est le gouvernement qui devrait assumer les coûts.
Le sénateur Mercer : Selon vous, chaque fois qu'un règlement, que ce soit la Loi sur l'eau saine ou n'importe quel autre règlement adopté dans les années à venir — et vous êtes persuadés évidemment qu'il a beaucoup trop de règlements — les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux devraient reconnaître ceci : « Ces mesures vont toucher l'exploitation de Mme Fennell. Elle sera privée de l'utilisation de 50 acres. Nous allons la dédommager, elle et sa famille, en raison de cette incapacité d'utiliser ce terrain comme elle le faisait auparavant. »
M. Carmichael : Exactement.
Le sénateur Mercer : Poursuivons ce scénario. Supposons que le gouvernement accorde un dédommagement. J'ai de la difficulté à comprendre comment cela s'appliquerait dans les faits.
Si nous acceptons toutes vos demandes, que nous trouvons un moyen d'inscrire les droits de propriété dans la Constitution et que nous répondons à certaines de vos autres demandes, j'essaie de savoir qui va payer la note. Le contribuable est toujours le même. C'est vous et moi, que l'on vive dans le comté de Lanark ou au centre-ville de Toronto ou de Halifax. Tous les contribuables paieront. Ne pensez-vous pas que cela va contribuer à faire augmenter considérablement les coûts de fonctionnement du gouvernement?
Mme Fennell : Le gouvernement réfléchira aux mesures qu'il prend et à leurs répercussions sur les contribuables. Pourquoi devrais-je assumer ce coût alors que tous les autres contribuables n'auraient pas un sou à débourser?
Le sénateur Mercer : Je ne dis pas que votre raisonnement est mauvais. Vous trouverez de nombreuses oreilles sympathiques parmi les membres de notre comité qui sont prêts à reconnaître que les agriculteurs ne reçoivent pas un salaire équitable pour le travail qu'ils exécutent, ni pour les produits qu'ils cultivent. C'est probablement une des rares choses à faire l'unanimité autour de cette table.
Cependant, nous devons également nous demander comment nous pouvons procéder de la sorte sans causer une inflation rampante et une hausse faramineuse des impôts. Pouvons-nous imaginer une formule gérable?
M. Carmichael : Il faut commencer par se poser des questions sur les règlements. Ont-ils du bon sens? En a-t-on besoin?
Le sénateur Mercer : Prenons le cas de la législation adoptée par l'Ontario à la suite de la tragédie de Walkerton. Plusieurs personnes sont mortes à cause de l'eau contaminée. C'est vrai que ces personnes sont mortes à cause de...
M. Carmichael : Deux soûlots.
Le sénateur Mercer : ... deux personnes incompétentes qui étaient chargées de contrôler l'eau à Walkerton. Je comprends cela. Cependant, le gouvernement a pour responsabilité de protéger la population rurale de Walkerton, ainsi que les habitants de la ville de Walkerton et des villes environnantes. J'essaie de trouver une réponse.
M. Bowes : Nous voulons tous de l'eau propre. Dans nos fermes, nous buvons de l'eau que nous pouvons contrôler. Nous vérifions si cette eau est polluée. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, une étude des nappes d'eau souterraine dans la grande région de l'Est ontarien a révélé que l'agriculture n'était pas une cause de pollution.
Dans le cas de la pie-grièche migratrice, par exemple, le ministre provincial des Richesses naturelles a conclu un contrat avec des éleveurs qui relâchent des pies-grièches à la limite nord de leur habitat, c'est-à-dire dans ma région. Je ne connais personne qui en a déjà vu, pourtant, un programme gouvernemental découlant de la loi est à l'origine de ce problème.
Le sénateur Mercer : Je crois que cet oiseau est en péril. Parlez-moi de la pie-grièche migratrice.
M. Bowes : C'est un petit prédateur qui mange des insectes, des taupes et des mulots. On l'appelle aussi l'oiseau boucher, à cause de son habitude d'empaler ses proies sur des épines ou des clôtures de fil barbelé.
Je vous propose une analyse différente du cas de la pie-grièche migratrice. Je suis un maraîcher certifié en agriculture biologique. J'ai établi un plan agricole environnemental. Tout est en place. Sur ces entrefaits, une pie-grièche fréquente le secteur où je fais mes cultures et construit un nid. On peut se dire que la pie-grièche a jugé que l'endroit lui convenait. Pourquoi sommes-nous pénalisés plutôt que d'être félicités d'avoir entretenu un environnement qui peut attirer et accueillir cet oiseau?
Le sénateur Mercer : Voilà un oiseau qui fréquente l'Est ontarien. Je n'ai pas l'intention de le mettre en cage, mais je veux le comprendre.
Le gouvernement nous dit que nous devons préserver cette espèce et la réintroduire dans des secteurs où elle ne vit pas actuellement. Ce que le gouvernement omet d'expliquer, c'est que si l'oiseau fait son nid dans l'exploitation de Mme Fennell, elle ne pourra plus utiliser certains secteurs de son exploitation qui auront désormais le statut de zone protégée. Elle n'est pas parvenue à vendre ses terres à des groupes de conservation de la faune qui auraient protégé cette espèce. Voilà le véritable problème. Vous affirmez qu'il n'y a pas de lien entre la protection des espèces et l'endroit où elles vivent. Dans ce cas, les mesures de protection interdisent l'utilisation de terres productives étant donné qu'il faut donner à cet oiseau un espace pour vivre, si nous souhaitons le réintroduire dans la région.
M. Duncan : Une fois qu'elle aura été adoptée en troisième lecture, la nouvelle loi ontarienne sur les espèces en voie de disparition s'appliquera non seulement aux animaux, mais également aux plantes. Elle concerne 150 espèces.
Si la pie-grièche décide d'élire résidence sur ma propriété, je suis tenu de réserver une zone tampon de 1 000 mètres autour de cet oiseau et de son habitat. Si je décide d'éliminer le problème en détruisant l'oiseau, je risque une amende minimale de 250 000 $.
Si nous voulons adopter une loi pour protéger les espèces, pourquoi pénaliser les gens qui en fait s'occupent de ces espèces? Dans la région où je vis, nous avons des chevreuils et toutes sortes d'animaux; ils vivent avec nous. C'est l'essence même de la vie à la campagne. Les animaux font partie de notre vie. Voilà comment nous vivons. Voilà ce que nous aimons.
Dans l'Est ontarien, la plupart des fermes ont un petit bois. Les agriculteurs gèrent également ces petits bois. Ils leur fournissent un revenu, mais ils servent également d'habitats pour la faune. De nombreux agriculteurs prélèvent du bois en procédant de la même manière que pour leur récolte, par coupe sélective.
Pendant des années, nous avons vécu en harmonie avec notre environnement. Pour quelle raison détruirais-je l'exploitation qui me permet de subvenir à mes besoins? Pourquoi détruirais-je toute la faune qui vit dans ma propriété? J'aime tout ce qui vit dans ma propriété, toute la faune qui m'entoure. Il y a beaucoup plus de dindes sauvages que je n'en voudrais, mais j'aime les voir, et c'est la même chose pour les chevreuils.
Quelqu'un a décidé de réintroduire cette espèce en péril. Elle n'est pas menacée en Amérique du Nord; elle ne vit tout simplement pas dans notre région. On me dit ensuite que je ne peux pas utiliser mes terrains ni être dédommagé et que j'ai perdu tout cela à cause de cet oiseau.
Quant à la protection de l'eau, une part de la responsabilité doit incomber à la municipalité qui puise l'eau et qui décide de l'emplacement des puits. De nombreuses municipalités ont décidé de cesser de puiser leur eau dans des cours d'eau et préfèrent creuser des puits. J'ai de nombreux documents pour le prouver. Les municipalités creusent des puits dans les régions rurales de l'Ontario, à côté des élevages bovins et des fermes laitières. Elles ont créé des zones tampons autour de ces puits et imposé une protection du bassin hydrographique d'une durée de 100 jours qui a été portée ensuite à cinq ans.
Si vous regardez l'emplacement des puits dans l'Est ontarien, dans le secteur protégé pendant cinq ans, vous constaterez que les zones de protection commencent à se chevaucher. Le message que reçoivent les agriculteurs qui se situent dans ces aires de captation est le suivant : « Vous pouvez continuer à exploiter votre ferme tant que vous êtes vivants et que vous vous livrez à des activités agricoles, mais dès l'instant où vous cesserez vos activités, votre exploitation ne sera plus considérée comme viable et vos terres devront demeurer vacantes. »
Si les municipalités veulent creuser des puits, elles devraient peut-être réfléchir à l'endroit où elles font des forages. Si vous vous rendez à Walkerton, vous constaterez que le puits incriminé ne se trouvait pas à la bonne place, pour commencer. Si le puits a été creusé au mauvais endroit il y a 30, 40 ou 50 ans, on n'y peut rien, mais quand on a connaissance d'un problème, on doit y remédier. On n'attend pas que le cheval soit parti avant de fermer la porte de l'écurie. Après, on cherche des responsables. C'est ce qui s'est passé à Walkerton. Qui est responsable? Mike Harris a été pointé du doigt, parce qu'il dirigeait le gouvernement provincial de l'époque. Certaines conclusions de l'enquête de Walkerton sont à l'origine de la Loi sur l'eau saine. Je défie quiconque de dire, après l'avoir lue, que la Loi sur l'eau saine concerne la protection de l'eau. Le but de la Loi sur l'eau saine est plutôt de faire payer l'eau. Vous devez lire cette loi.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais parler de l'étiquetage. Je sais que nous avons abordé cette question lorsque nous nous sommes rendus à Athens, en Ontario. Si j'ai bien compris, il est possible d'apposer une étiquette « produit du Canada » sur un article commercialisable, dès lors que l'on peut démontrer que 51 p. 100 du coût du produit a été dépensé au Canada. Qui donne l'autorisation d'apposer cette étiquette sur le produit?
M. Bowes : L'Agence canadienne d'inspection des aliments.
Le sénateur Callbeck : Depuis combien de temps cette pratique a-t-elle cours?
M. Bowes : Depuis 1997, probablement. Elle est en vigueur depuis de nombreuses années et personne ne semble être intéressé à parler de ce problème à la population canadienne. Pour moi, c'est un véritable problème. Pourquoi l'Agence canadienne d'inspection des aliments n'est-elle pas tenue de dire la vérité au sujet de l'étiquetage et des autres aspects de la production des aliments? Voilà plusieurs années que l'on étudie ce dossier.
M. Carmichael : Il y a également des répercussions plus grandes pour les producteurs canadiens. En tant que titulaire inscrit de poste de classement des œufs, je peux acheter des œufs au Mexique et les revendre au Canada comme produit de catégorie Canada A. Le consommateur n'y voit que du feu. Dans la mesure où les œufs sont réemballés et manipulés au poste de classement, on peut leur donner l'étiquette de catégorie Canada A. Le consommateur ne sait absolument pas ce qu'il y a dans le carton qu'il achète.
Le sénateur Callbeck : Il vous suffit de démontrer que 51 p. 100 des coûts ont été engagés au Canada.
M. Carmichael : Non, pas pour les œufs. Aujourd'hui, il est possible d'acheter au Mexique des œufs au coût de 30 cents la douzaine. Pourquoi une entreprise de conditionnement canadienne s'approvisionnerait-elle auprès d'un producteur canadien dont les prix sont quatre fois plus élevés? Le résultat de tout cela, c'est que les producteurs canadiens sont mis au rancart.
Le sénateur Callbeck : Quels sont les autres produits qui sont dans la même catégorie que les œufs?
M. Carmichael : Actuellement, certains produits laitiers proviennent de l'extérieur. La liste est longue et on y trouve aussi le poisson. Actuellement, des poissons pêchés sur la côte est sont expédiés en Chine, transformés et retournés sur le marché canadien pour être vendus comme poissons canadiens.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que vous pouvez inclure dans les coûts de 51 p. 100 les frais de publicité que vous engagez pour le produit?
M. Bowes : Absolument; la main-d'œuvre, tout.
M. Carmichael : Le produit peut venir entièrement d'un autre pays, dans la mesure où vous dépensez 51 p. 100 des coûts pour le mettre sur le marché canadien.
M. Bowes : Le critère, c'est que 51 p. 100 des coûts du produit final soient engagés au Canada. Dans le cas des légumes et des fruits, l'aspect du produit doit avoir beaucoup changé. On a déjà utilisé l'exemple des morceaux de pêches en boîte. Un tel conditionnement change beaucoup l'apparence.
Il existe une autre formule qui consiste à mélanger les produits et à prétendre qu'il s'agit de produits canadiens. Par exemple, un mélange de pois et de carottes peut être composé de pois provenant d'un pays et de carottes d'un autre pays, dans la mesure où on respecte la règle des 51 p. 100.
Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que cela a débuté en 1997.
M. Carmichael : Avant, l'ACIA c'était Agriculture Canada. En 1997, le gouvernement Chrétien a décidé de les isoler. Il voulait que l'ACIA soit indépendante du gouvernement et du public afin que l'Agence soit libre de toute influence. Il y a problème lorsqu'une telle administration est indépendante de tous. Une fois que le cancer s'installe dans l'organisation, il se répand. L'Agence n'a plus aucun compte à rendre au gouvernement ni à la population et voilà ce qui nous vaut ces règlements.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que cette règle des 51 p. 100 applicable à l'étiquetage a vu le jour après la création de l'ACIA?
M. Carmichael : L'Agence a commencé à adopter des règlements concernant l'étiquetage vers 2001. Depuis 2001, la réglementation est devenue plus sévère.
Le sénateur Callbeck : Quel était le règlement qui s'appliquait dans les années 1990 aux étiquettes « produit du Canada »?
M. Carmichael : Je ne peux pas vous dire. Je ne sais pas quelle était la règle à cette époque. Je pourrais deviner, mais je ne sais pas exactement.
M. Duncan : L'étiquetage est devenu tellement ridicule au Canada que l'on peut maintenant trouver des olives portant la mention « produit du Canada ». Ce n'est pas la peine de faire beaucoup de recherches dans ce domaine pour s'apercevoir qu'on ne cultive pas les olives au Canada. Cette pratique fait du tort aux producteurs canadiens. Le consommateur doit savoir d'où viennent les produits qu'il achète, parce que les règles ne sont pas équitables. Avec les règlements et les dispositions qui s'appliquent aux marchandises au Canada, nous avons ouvert la porte à toutes sortes d'importations qui ne respectent pas les mêmes normes qu'ici.
Par exemple, le bœuf est un des rares produits que nous exportons encore. Le blé et le bœuf sont les deux seuls produits que le Canada exporte encore. Essentiellement, 80 p. 100 des produits consommés au pays sont désormais importés. Scott Reid, député de Lanark—Frontenac—Lennox et Addington nous a expliqué, au cours d'une des réunions qu'il a tenues dans sa circonscription, que le Canada n'est plus en mesure de subvenir à ses besoins alimentaires. Le secteur agricole ne peut plus nourrir notre pays. En cas de fermeture des frontières pour une raison quelconque, nous aurions un problème grave. Nous ne disposons jamais de plus de trois jours de réserves de nourriture au Canada. Nous ne sommes pas en mesure actuellement de subvenir à nos besoins alimentaires.
Le premier exemple nous est donné par la crise de l'EBS et du rôle magnifique joué par l'Agence canadienne d'inspection des aliments à cette occasion. Je ne suis pas tout à fait de cet avis. Par exemple, au cours des dix dernières années, 100 abattoirs ont disparu en Ontario. Nous avons perdu notre capacité de transformation du bœuf. Au moment de la crise de la vache folle, nous devions rapidement trouver une solution pour nous débarrasser de notre bétail. Il fallait bien expédier quelque part ces bœufs bien gras et nous n'avions aucun marché d'exportation. Notre marché d'exportation est toujours réduit. Toutes sortes de règlements ont été imposés aux abattoirs et ont fini par les faire fermer. Les méthodes éprouvées depuis 100 ans n'étaient plus appropriées. Le coût de la modernisation des abattoirs était tel qu'ils ont dû fermer. On continue à se demander quoi faire des produits que nous créons en abondance et que nous devons exporter. Nous nous retrouverons dans la même situation en cas de problème à la frontière.
L'intention de la réglementation est très louable puisqu'il s'agit en fait de garantir la sécurité des aliments. Ce qui est bon pour les uns est bon pour les autres.
Ce soir, nous avons parlé de l'eau et de la pollution. Nous avons dit que le bien public justifie d'interdire l'utilisation de certaines terres dans certaines régions rurales du Canada. Pourtant, combien de villes canadiennes dépourvues d'usines de traitement des eaux usées sont-elles autorisées à rejeter leurs eaux sales dans les océans?
Le ministère des Pêches et des Océans a essentiellement entraîné l'élimination des pêches sur la côte Est et sur la côte Ouest. Maintenant, le ministère continue à réglementer et à s'attaquer à l'étang le plus proche de chez vous. Le prochain objectif du ministère est en effet de protéger le moindre cours d'eau susceptible d'abriter un mené. Cependant, toutes ces activités sont financées par des gens comme moi et ne vient pas des poches des citoyens des centres urbains. Et là, nous crions à l'injustice.
Si vous voulez que les producteurs canadiens connaissent la prospérité, il faut aborder la situation en s'appuyant sur le bon sens. La réglementation doit être avantageuse à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs.
J'aimerais savoir quel est l'âge de nos agriculteurs. Je ne parle pas de l'âge moyen. J'aimerais connaître le pourcentage. Par exemple, combien d'agriculteurs septuagénaires sont-ils encore en activité? Combien compte-t-on de sexagénaires, de quinquagénaires ou de trentenaires? Je suis prêt à parier que la majorité des agriculteurs qui produisent encore des denrées alimentaires au pays ont largement dépassé la soixantaine; ce sont peut-être les septuagénaires qui sont nos plus grands producteurs d'aliments.
Une étude dans ma petite région révélerait que dans toute la communauté agricole, deux agriculteurs ont moins de 40 ans. Il y a dix ans, on en aurait compté 60. La situation est grave. Le temps presse car, une fois que ces agriculteurs auront pris leur retraite, il n'y aura personne pour les remplacer.
Sénateur Peterson, étant donné que vous venez de Saskatchewan, une grande région rurale, vous devez connaître l'âge des agriculteurs de votre province.
Le sénateur Peterson : Soixante-trois ans.
M. Duncan : Soixante-trois ans, est-ce l'âge moyen?
M. Carmichael : Comme on l'a dit, si on enlevait tous les septuagénaires des champs, il y aurait des pannes de courant. C'est ça le problème.
M. Duncan : Si vous voulez encourager la prospérité des collectivités rurales, il faut donner un certain espoir à l'agriculture. L'existence des collectivités rurales repose sur l'agriculture. Nous ne le savons pas, mais j'ai bien l'impression que l'agriculture est encore la principale industrie du Canada.
Nous vivons à l'ère de la technologie et de l'Internet à haute vitesse. Les gens qui travaillent dans ces domaines ont des postes de prestige. Les métiers manuels sont dans une situation précaire. Les jeunes ne sont pas assez nombreux à choisir des métiers manuels. Qui produira nos denrées alimentaires?
M. Bowes : Je suis père de famille. J'ai quatre enfants qui sont tous pour la plupart dans le début de la vingtaine. Je suis assez vieux et assez bien établi pour terminer tant bien que mal ma carrière d'agriculteur, mais je n'ai aucune idée de ce qu'il adviendra de mes enfants.
Je suis un canadien de la sixième génération. Beaucoup de membres de notre famille ont pratiqué l'agriculture. Si je fais le compte de toute ma famille proche, y compris mes enfants, je crois bien que je suis le dernier à pratiquer l'agriculture. Et je pense que c'est une situation courante.
Cette situation devrait aussi nous alerter, car il ne s'agit pas uniquement du triste sort de l'agriculture au Canada. Les producteurs primaires de denrées alimentaires représentent environ 1,5 p. 100 de la population canadienne. C'est l'autre partie de la population, soit les 98,5 p. 100 restants, qui en pâtiront à long terme.
Je suis très inquiet et je me demande notamment : Où mes enfants se procureront-ils leurs produits alimentaires? Devrons-nous compter sur des pays comme la Chine, le Brésil ou l'Argentine pour nous approvisionner? Je n'aime pas ce scénario.
M. Carmichael : Ensemble, nous pouvons trouver une solution. À notre point de vue, le problème de la pauvreté rurale ne coûtera pas un sou au gouvernement fédéral. Nous avons les réponses et nous savons que nous pouvons résoudre ce problème. Il suffit de maintenir le dialogue et d'apporter les changements nécessaires.
La présidente : Merci beaucoup.
Deux sénateurs, les sénateurs Mahovlich et Segal, ont manqué la plus grande partie de la réunion. Je crois qu'ils étaient au comité des affaires étrangères.
Le sénateur Segal : J'étais à Athens, en Ontario, pour la présentation du premier exposé.
La présidente : Oui bien sûr, mais je pensais à la séance de ce soir qui a été assez animée.
Ce fut une excellente soirée, puisque vous avez brossé un tableau très précis de la situation. Vous n'avez pas mâché vos mots et vous avez terminé sur une note positive. Nous reprendrons dans notre rapport les questions que vous avez soulevées. Nous nous sommes rendus dans à peu près toutes les régions du pays et nous avons constaté que la situation est partout très grave. Cependant, nous avons noté également qu'il y a encore beaucoup de dynamisme et de volonté, ainsi que du talent et de l'expérience dans le secteur agricole. Si les personnes clés acceptent de collaborer, la situation ne pourra que s'améliorer. C'est une des choses les plus positives que nous ayons entendues.
Au nom du comité, je vous remercie d'être venus ce soir. C'était agréable de vous revoir. Je vous souhaite bonne chance et si vous avez d'autres commentaires à formuler, n'hésitez pas à communiquer avec nous.
Mme Fennell : Je vais laisser à la greffière du comité le document de travail de l'Ontario Landowners Association intitulé « Finding Profits on Canadian Farms ». Il approfondit certaines questions, mais il propose également des solutions. Je pense que c'est important de ne pas venir ici uniquement pour se plaindre, mais d'apporter également des solutions. J'aimerais vous laisser ce document, en plus de ceux que je vous ai apportés ce soir.
La présidente : Merci beaucoup. Nous veillerons à ce qu'il soit distribué à tous les membres du comité.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.