Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 24 - Témoignages du 3 mai 2007
OTTAWA, le jeudi 3 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 9 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, mesdames et messieurs. Je salue également les personnes qui suivent les délibérations de notre comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Au mois de mai 2006, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. Nous avons rédigé un rapport intérimaire fondé sur les témoignages, qui a été publié en décembre, juste avant Noël et qui, à tous les égards, a vraiment fait impression.
Nous sommes actuellement dans la deuxième phase de notre étude, au cours de laquelle nous allons à la rencontre des résidents des régions rurales du Canada. Jusqu'à présent, nous sommes allés dans les quatre provinces de l'Est et de l'Ouest et avons fait une excursion en Ontario rural, où nous ferons encore d'autres arrêts. Nous nous rendrons également au Québec et dans les Territoires du Nord-Ouest. Au cours de ces déplacements, nous avons rencontré des groupes de Canadiens vraiment intéressants et très différents, qui nous ont accueillis à bras ouverts dans leurs collectivités et, parfois même, dans leurs foyers.
Le comité a toutefois encore du pain sur la planche. Nous devons encore aller dans des localités rurales du Québec, de l'Ontario et des Territoires, et nous voulons aussi rencontrer le plus grand nombre de personnes ici, à Ottawa, car nous devons faire méticuleusement notre travail et comprendre la pauvreté rurale dans ses racines mêmes.
Les témoins de ce matin sont là pour discuter de santé rurale. C'est un sujet qui est souvent venu sur le tapis au cours de nos déplacements à travers le pays. Comme les recherches l'ont constamment démontré, la pauvreté et la santé sont étroitement interdépendantes. Plus on est pauvre et plus on est susceptible d'avoir toutes sortes de problèmes de santé.
Nous recevons aujourd'hui, pour nous informer davantage sur cet aspect et sur d'autres aspects de la santé rurale, les porte-parole de l'Agence de santé publique du Canada, le Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, qui nous a déjà aidés pour un autre comité sénatorial, et Mme Marie DesMeules, directrice de la Division des preuves et de l'évaluation des risques du Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques. Nous accueillons également, pour l'Institut canadien d'information sur la santé, Mme Jennifer Zelmer, vice-présidente de la Recherche et de l'analyse, et Mme Elizabeth Gyorfi-Dyke, directrice de l'Initiative sur la santé de la population canadienne.
Nous disposons de deux heures pour discuter d'un large éventail de questions. Étant donné que le Dr Butler-Jones ne peut rester que jusqu'à 9 h 30, je lui demande de prendre la parole le premier.
Dr David Butler-Jones, administrateur en chef de la santé publique, Agence de santé publique du Canada : C'est pour moi un grand plaisir d'être ici ce matin. Je pense que vous avez tous le document sur lequel s'appuie mon exposé. Comme vous le savez probablement mieux que quiconque, les collectivités rurales traversent une période de transition extrêmement importante et les changements ont également eu des incidences sur la santé.
L'Agence de santé publique du Canada a été créée il y a un peu plus de deux ans et demi. Elle a été créée en septembre 2004 et la loi nous concernant, qui fait entrer toutes les dispositions en vigueur, a été mise en place juste avant Noël. Mon rôle dans la fonction publique a un caractère un peu particulier car j'ai le rang de sous-ministre en ce qui concerne les activités liées à la fonction publique, à titre de second dirigeant de l'agence, et que je suis également administrateur en chef de la santé publique ayant pour responsabilité de s'entretenir avec les gouvernements et la population au sujet de questions de santé.
Le rapport sur lequel portent les discussions a joué un rôle très utile en décrivant certains des changements qui ont eu lieu. Il apporte un nouveau corpus de connaissances qui nous aidera à mieux comprendre les impacts sur la santé et les mesures que nous pouvons prendre pour remédier à cette situation.
Nous savons que, d'une manière générale, les Canadiens sont parmi les personnes en meilleure santé au monde, mais nous savons également que l'état de santé n'est pas uniforme pour tous les groupes et dans toutes les régions du Canada. Il est particulièrement important de le comprendre au moment où nous entreprenons de déterminer la nature des différences. Dans ce rapport, au cours de la première phase, les objectifs étaient d'expliquer si le fait d'être un rural ou de vivre en milieu rural était un déterminant de la santé comme tel. Il s'agissait aussi de déterminer s'il existait des inégalités et, si oui, de quelle nature et, si possible, à quoi elles sont dues pour contribuer à combler les lacunes dans nos connaissances générales et à identifier les facteurs clés responsables des différences et des ressemblances entre les régions rurales et les régions urbaines.
La deuxième phase, qui est davantage axée sur un examen des services de santé, est toujours en cours; nous espérons d'ailleurs pouvoir faire un rapport à ce sujet sans trop tarder. Ce travail est le fruit d'une étroite collaboration entre l'Agence de santé publique du Canada, l'Institut canadien d'information sur la santé et d'autres organismes. Cette expérience démontre qu'au Canada, notre façon de travailler nous donne la force que de nombreux pays n'ont pas pour saisir des problèmes et pour rassembler différents experts afin d'examiner des problèmes auxquels ils peuvent nous aider à trouver des solutions.
Le comité reconnaît en outre que le Canada est surtout rural. Les vieilles statistiques indiquaient que 90 p. 100 des Canadiens vivaient dans un couloir situé à une centaine de milles au maximum de la frontière américaine. Je ne sais pas si c'est toujours le cas, ni quel est le pourcentage, mais il s'agit essentiellement d'une longue zone étroite peuplée avec au-dessus des zones où la population est beaucoup moins dense et également quelques grands centres urbains.
Les régions rurales abritent près de 22 p. 100 des Canadiens et des populations variées. Quand ont compare les régions rurales de Terre-Neuve et les petits villages isolés aux Prairies et à la côte ouest ainsi qu'à d'autres localités, on remarque une grande diversité, non seulement sur le plan économique, mais aussi en ce qui concerne les contextes culturels et les activités auxquelles s'adonne la population.
Comme l'indique la diapositive no 5, les défis de la transition ne sont pas, comme vous le savez, spécifiques au Canada. Dans tous les pays, la population se concentre davantage dans les régions urbaines. Cette tendance est toutefois plus prononcée dans certains pays que dans d'autres. Cette situation a engendré un défi pour l'infrastructure rurale et pour le caractère des collectivités concernées. De nombreuses personnes parmi celles qui sont autour de cette table ont passé leur enfance dans de petites localités et se souviennent de leur dynamisme il y a quelques décennies. Vous êtes au courant de certains des défis actuels, qu'ils soient liés à l'ESB, à la sécheresse, aux inondations ou à d'autres événements qui ont des incidences sur l'agriculture et sur les autres activités rurales, et des questions qui sont soulevées.
En ce qui concerne l'état de santé des habitants des régions rurales, il est un fait généralement reconnu que les Canadiens vivant en milieu rural sont en moins bonne santé que ceux qui vivent en milieu plus urbain ou à proximité des zones urbaines. Ce n'est pas toujours pour les raisons qui nous viennent à l'esprit. Certaines raisons sont évidentes, notamment en ce qui concerne l'accès aux services d'urgence, mais en Saskatchewan par exemple, nous avons examiné la situation un peu après la fermeture de près de 50 très petits hôpitaux ruraux et avons constaté que bien que l'état de santé se soit amélioré dans toutes les régions de la province, en ce sens que les taux de décès avaient diminué, les avancées les plus importantes concernaient les localités dans lesquelles les hôpitaux avaient été fermés et c'est dans les localités qui les avaient gardés ouverts que la situation s'était le moins améliorée. Ce n'est donc pas seulement une question d'hôpitaux et d'accès à des soins médicaux, mais cela dépend aussi du type de soins médicaux auxquels on a accès et de divers autres facteurs ont une incidence dans la collectivité.
Nous savons en outre que les taux de suicide chez les jeunes sont beaucoup plus élevés dans les localités rurales. Pourtant, l'étude de Chandler et Lalonde portant sur différentes réserves — vous connaissez peut-être ces données — révèle que, dans les cas où les collectivités ont davantage de contrôle sur leur avenir ou sur leur vie, lorsqu'elles sont par exemple engagées dans le règlement de revendications territoriales ou qu'elles ont le contrôle sur l'éducation, la police, les services de santé, et cetera, le taux de suicide chez les adolescents disparaît. Il n'y a pas pratiquement pas de suicide dans ce groupe de collectivités. Par contre, dans les collectivités où n'intervenaient aucun de ces facteurs, le taux de suicide était quatre fois plus élevé qu'au niveau de l'ensemble de la population.
Ces autres facteurs ont, je le rappelle, un impact considérable sur la qualité de vie et sur la capacité des membres de la collectivité d'être en santé ou d'améliorer leur état de santé. Il est en outre clair que les habitants des communautés les plus éloignées ont la plus faible espérance de vie par rapport à l'ensemble du pays.
Le graphique de la page 6 décrit la portée du problème, surtout en ce qui concerne les régions les plus rurales par rapport aux zones urbanisées. Dans la plupart des zones rurales, les Canadiens du groupe d'âge de 20 à 44 ans avaient un taux de mortalité presque deux fois plus élevé que ceux qui vivent dans les villes. Dans le groupe d'âge des 45 à 64 ans, le taux de décès est près de 20 p. 100 plus élevé.
Il est essentiel de tenir compte de facteurs comme la période et le type de collectivité où l'on a passé son enfance, car quelques études ont indiqué que chez les personnes qui ont été pauvres dans leur enfance, le taux d'accidents cérébrovasculaires est plus élevé, même si elles ne sont plus pauvres. La nutrition, l'éducation, les soins et le soutien pendant la petite enfance ont des incidences durables sur la santé. Nous sommes encore en train d'apprendre l'importance de tous ces facteurs.
Nous ne disposons pas de données aussi récentes à ce sujet, bien que Mme Zelmer ait peut-être certaines intuitions, mais si l'on compare les personnes qui ont de bons liens avec la famille, des amis, la communauté, des collègues de travail, et cetera, à celles qui n'ont pas de bons contacts et sont isolées de la collectivité, on constate que chez ces dernières, quel que soit leur âge, et que ce soit des hommes ou des femmes, les risques de décès sont deux fois plus élevés que chez celles qui ont de bonnes liens. Le fait d'avoir des relations et de faire partie d'un groupe a un impact considérable.
On peut également examiner la question du revenu à l'échelle mondiale. Les différentes études établissent toujours un lien entre le revenu et la santé. Il s'agit surtout d'avoir un revenu suffisant pour le logement, d'avoir un emploi, d'avoir des aliments appropriés en quantités suffisantes, d'avoir des vêtements sur le dos et d'être capable de participer aux activités de la communauté. Outre cela, la plupart des améliorations de l'état de santé sont liées à d'autres facteurs comme les questions d'inclusion. Nous estimons que la pauvreté n'est pas simplement une question d'argent. C'est également une question de pauvreté dans les contacts, dans les relations, dans l'éducation, et dans la capacité de participer aux activités d'une communauté et d'en faire partie.
Ces deux facteurs, notamment avoir une perception de contrôle sur son avenir, sur le lieu où l'on vit et sur la façon dont on vit, sur le travail que l'on fait et le fait d'avoir des contacts dans le cadre desquels on est aimé par quelqu'un et on aime quelqu'un, font le raccord avec tous les autres facteurs qui ont un impact sur la santé.
C'est une combinaison complexe. Nous savons que les communautés les plus en santé ont tendance à prospérer sur le plan économique. De même, lorsqu'on est dans une situation économique favorable, on a tendance à être en meilleure santé. La tâche de comprendre les divers facteurs est complexe et importante à la fois, car il n'existe pas de solution facile. On voit toutefois des collectivités prospérer ou sombrer, selon l'interaction entre ces divers facteurs.
J'ai travaillé dans le nord de la Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba, dans le nord et le sud de l'Ontario et dans des petits villages isolés de Terre-Neuve. J'ai remarqué qu'on pouvait savoir si une communauté était en santé dès qu'on y arrivait, sans jamais avoir vu de chiffres la concernant. L'aspect des maisons, les interactions entre les habitants et la façon dont ils vous accueillent peuvent donner une idée de son état de santé. Il existe des exceptions, naturellement, mais de façon générale, les interactions entre ces facteurs sont étonnantes.
Qu'est-ce que les inégalités en milieu rural signifient pour la santé publique? Un grand nombre de ces facteurs sont extérieurs au domaine de la santé publique et au système de santé. Quelles sont les interactions entre les sociétés? La santé publique est traditionnellement le fruit des efforts organisés déployés par la société pour améliorer la santé et réduire les inégalités dans ce domaine. Elle n'est pas uniquement liée à mes fonctions et à celles d'autres administrateurs médicaux, infirmières, inspecteurs ou promoteurs de la santé, mais plutôt à notre fonctionnement en tant que système. La plupart des questions fondamentales de santé publique ont été prises en charge par d'autres secteurs. La pureté de l'eau, la salubrité des aliments, le logement et toute une série d'autres facteurs ont une influence sur la santé.
Le lieu a de l'importance, mais ce n'est pas uniquement une question de revenu et d'instruction. Nous ne comprenons pas entièrement pourquoi mais — et c'est probablement ce que vous avez constaté au cours de vos déplacements à travers le pays — la vie rurale change, c'est clair. Quelques collectivités que nous considérons comme rurales prospèrent et sont en bonne santé alors que d'autres souffrent. Certaines d'entre elles sont très rapprochées. Dans le sud-ouest de l'Ontario et dans différentes régions des Prairies, il y a des villes qui prospèrent alors que d'autres s'étiolent à certains égards. Qu'est-ce que cela signifie? En Saskatchewan, de nombreux services que nous prenions pour acquis ont changé. L'école et le bureau de développement rural sont fermés. Tout ce qu'il reste, c'est l'établissement sanitaire. Qu'est-ce que cela implique pour l'économie de cette communauté, pour ses attentes et qu'est- ce qui fera vraiment une différence sur le plan de la santé?
Le but essentiel de l'agence est d'apporter une valeur ajoutée. La santé publique est fondamentalement une activité locale. Des gens tombent malades à l'échelle locale, des catastrophes frappent à l'échelle locale et des foyers de maladie et épidémies éclatent à l'échelle locale. Cela pourrait se passer à une centaine d'endroits en même temps, mais ça reste un événement local. Il est important que la santé publique et les services de santé soient axés sur les besoins locaux.
Il est en outre indispensable qu'ils soient reliés à l'échelle régionale, provinciale et internationale, pour pouvoir apporter le meilleur point de vue, les meilleures idées et les meilleures ressources. À chaque niveau de la santé publique, il y a des lignes verticales parallèles à différents niveaux de gouvernement et d'organisation ainsi que des lignes horizontales entre les divers secteurs.
Certaines des initiatives que nous prenons sont axées de plus en plus sur les questions rurales. Par exemple, le Programme canadien de nutrition prénatale dessert 254 communautés albertaines, soit environ 58 p. 100 de la province. En ce qui concerne le Programme d'action communautaire pour les enfants, il est accessible à près de la moitié des petites collectivités rurales de moins de 10 000 habitants. La fourniture de services et la collaboration avec les collectivités pour régler certaines de ces questions fondamentales peuvent faire une différence.
C'est la même chose en ce qui concerne le développement des collectivités et le travail que nous faisons dans les domaines de la prévention des maladies chroniques, de la promotion de la santé, et cetera. C'est un des gros avantages que présente une organisation nationale qui a des relations à travers le pays. Nous collaborons avec les provinces et les territoires pour combler certaines lacunes dans ce domaine. Nous avons accès à des experts auxquels les petites provinces ne seraient jamais capables d'avoir accès ou qu'elles n'ont pas les moyens de se payer; nous pouvons aider dans ce genre de domaine.
La dixième diapositive concerne les perspectives d'avenir. Je suis partisan de travailler de concert avec les autres secteurs. Il n'existe pas un seul palier de gouvernement, un seul gouvernement, une seule organisation non gouvernementale, une seule entité du secteur privé, une seule collectivité qui soit capable de régler les problèmes sans aide. Il est important d'examiner ces questions dans le menu détail et de collaborer non seulement pour reconnaître les effets de notre politique sociale et économique sur la santé, mais aussi être capables de s'adapter, de s'engager ou d'y réfléchir à fond. La vie en milieu rural au Canada n'est plus la même qu'elle était il y a une trentaine ou une quarantaine d'années. Quelles sont nos aspirations actuelles et comment pouvons-nous les réaliser dans le contexte dans lequel nous vivons?
Les questions de politiques dans ce domaine sont très intéressantes. Je citerai rapidement deux exemples concernant la Saskatchewan, où j'ai travaillé pendant neuf ans avant de venir ici.
Un des deux événements en matière de politiques qui ont probablement eu le plus gros impact positif pour la santé en Saskatchewan au cours des dix dernières années du siècle dernier — et il ne s'agit pas de fermeture d'hôpitaux — a été la mise en œuvre par le gouvernement de la Saskatchewan d'un programme permettant aux familles à faible revenu de continuer de toucher des indemnités pour maladie, pour médicaments et pour soins dentaires pour leurs enfants. Dans la plupart des provinces, on n'est plus admissible à ces prestations quand on cesse d'être assisté social. Dans ces circonstances, est-ce une décision logique de renoncer à l'aide sociale, même si l'on a fort envie de travailler? Le revenu ne sera peut-être qu'un peu plus élevé, mais on perdra l'accès à tous ces régimes pour les enfants. En Saskatchewan, lorsqu'on cesse d'être dépendant de l'aide sociale, on a toujours accès à ces régimes. L'impact de cette initiative est que, non seulement le nombre de personnes qui travaillent est plus élevé dans cette province — pensez notamment aux avantages liés au fait d'être capable de travailler et de participer à la vie de la collectivité ou au sentiment de faire partie d'une communauté de travail —, mais qu'on constate en outre des changements dans la façon dont les habitants utilisent le système de santé. Nous pensons qu'ils l'utilisent de façon plus efficace. C'est un exemple.
L'autre est que, quand on est assisté social, on peut avoir un téléphone, mais celui-ci est débranché si un membre de la famille fait un appel à Hong Kong et qu'on ne peut pas payer la facture d'interurbain. Il existe un dispositif qui permet de laisser passer uniquement les appels locaux sortants sans payer directement, et de laisser passer les appels entrants, mais un dépôt de 200 $ est nécessaire. Certaines personnes ont fait des démarches pour faire supprimer le dépôt. Du jour au lendemain, on a vu apparaître des milliers de téléphones dans des ménages qui n'en avaient pas. Pensez à l'impact qu'a eu cette décision pour rompre l'isolement social, pour les appels d'urgence et la capacité des services sociaux ou des services de santé — des infirmières de la santé publique ou d'autres personnes — de faire un suivi et de contacter les gens.
Ces deux initiatives toutes simples sont peu coûteuses mais ont un impact potentiel considérable sur la santé et sur l'esprit communautaire et le bien-être. Je n'irai pas plus loin.
Jennifer Zelmer, vice-présidente, Recherche et Analyse, Institut canadien d'information sur la santé : Merci pour votre invitation. Je me réjouis de vous communiquer quelques informations récentes de l'Institut canadien d'information sur la santé qui, je l'espère, pourront vous être utiles dans vos délibérations sur la pauvreté rurale.
Pour la gouverne des membres qui ne connaissent pas l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), nous sommes une organisation indépendante, à but non lucratif, dont l'objectif est d'éclairer les politiques de la santé, d'appuyer la prestation efficace de services de santé et de sensibiliser les Canadiens aux facteurs qui contribuent à une bonne santé.
Je suis accompagnée de Mme Gyorfi-Dyke, directrice de l'Initiative sur la santé de la population canadienne à l'Institut canadien d'information sur la santé. Comme l'a signalé le Dr Butler-Jones, cette initiative a pour objet d'examiner les profils de la santé au Canada ainsi que des données démontrant les initiatives efficaces pour améliorer la santé.
Ce point de vue nous rappelle que les profils de la santé et de la maladie sont, dans une large mesure, une conséquence de la façon dont nous nous instruisons, dont nous vivons, dont nous travaillons et dont nous délassons. Comme l'a fait remarquer le Dr Butler-Jones, bien que les Canadiens soient un des peuples en meilleure santé au monde, nous n'avons pas tous des chances égales de vivre vieux et en bonne santé.
Un grand nombre d'entre vous connaissent le rapport que le Dr Butler-Jones a mentionné et à la préparation duquel nous avons collaboré avec l'Agence de santé publique du Canada et l'Université Laurentienne. Nous avons des exemplaires du rapport sommaire en anglais et en français, si cela intéresse l'un de vous.
Étant donné que nous sommes là l'un et l'autre ce matin, le Dr Butler-Jones et moi-même avons décidé de présenter certaines des conclusions du rapport. Cependant, en guise d'introduction, je rappelle brièvement que ce rapport révèle que le taux de mortalité des Canadiens vivant dans les régions rurales et isolées est plus élevé que celui des habitants des zones urbaines, de façon globale et aussi en ce qui concerne de nombreuses causes précises de mortalité. Par exemple, les taux de mortalité dus aux blessures subies à la suite d'accident d'automobile sont de deux à trois fois plus élevés dans la plupart des collectivités rurales canadiennes que dans les centres urbains. Les Canadiens vivant en milieu rural sont en outre davantage susceptibles de fumer, d'être exposés à la fumée secondaire et d'avoir un excédent de poids ou d'être obèses.
Il est par ailleurs important de signaler que le rapport met en évidence quelques avantages qu'ont les habitants des régions rurales sur le plan de la santé. Ils ont tendance à signaler des niveaux de stress moins élevés et un sentiment plus fort d'appartenance à la collectivité que ceux des régions urbaines. Les probabilités que l'on diagnostique chez eux un nouveau cas de cancer sont également moins grandes.
Le rapport révèle des écarts importants en matière de santé entre les régions rurales et les régions urbaines. Cependant, d'autres travaux concernant les indicateurs de santé faits par l'institut en collaboration avec Statistique Canada révèlent que la santé et les soins de santé ne sont pas égaux d'une collectivité rurale à l'autre. Comme l'a fait remarquer le Dr Butler-Jones, certaines collectivités voisines se trouvent parfois dans des situations très différentes sur le plan de la santé.
Examinons à titre d'exemple la question de l'espérance de vie. Le projet concernant les indicateurs établit des grappes de régions sanitaires qui forment des groupes affinitaires ayant des conditions démographiques, des conditions de vie et des conditions de travail semblables. De façon générale, l'espérance de vie du groupe formé par les cinq régions nordiques et isolées était d'environ huit ans de moins que dans les grands centres métropolitains du Canada en 2001. Et même à l'intérieur de ce groupe, on constatait des écarts de dix ans dans l'espérance de vie.
La même constatation a été faite en ce qui concerne de nombreux autres indicateurs de santé, comme les taux d'arthrite et de rhumatisme. Environ 22 p. 100 d'adolescents et d'adultes d'un groupe affinitaire de régions rurales, surtout de la Saskatchewan et du Manitoba, ont signalé avoir reçu un diagnostic indiquant qu'ils étaient atteints de ces affections. Dans deux de ces dix régions, les taux étaient inférieurs à 20 p. 100, alors que dans deux autres, ils étaient supérieurs à 25 p. 100. On constate par conséquent des écarts d'une collectivité rurale à une autre.
Une étude intéressante que nous avons soutenue récemment a pour objet de déterminer pour quelles raisons certaines collectivités sont en meilleure santé que d'autres. Un grand nombre de déterminants de la santé comme le revenu, le niveau d'instruction, l'alphabétisation et l'emploi s'appliquent aux régions rurales et aux régions urbaines. Par exemple, comme l'a fait remarquer le sénateur Fairbairn dans ses observations liminaires, les Canadiens ayant les revenus les plus élevés sont davantage susceptibles de signaler qu'ils sont en excellente ou en très bonne santé que ceux qui ont des revenus moyens qui, à leur tour, sont plus susceptibles de déclarer être en assez bonne santé que ceux dont les revenus sont les plus bas. Ce profil se vérifie à travers le pays, au niveau des quartiers.
Fait intéressant, dans certains cas, les caractéristiques des régions rurales interagissent avec ces déterminants. J'aimerais citer quatre cas très différents.
Le premier exemple est celui de nombreuses collectivités tributaires des ressources qui sont soumises à des cycles en matière d'emploi et à des cycles économiques. Deux chercheurs financés par l'Initiative sur la santé de la population canadienne, M. Alex Ostry et M. Paul Demers, ont fait une étude sur la santé de plusieurs milliers de travailleurs, et de leur famille, de 14 localités de diverses régions de la Colombie-Britannique, dont l'économie repose sur une scierie. Ils ont relevé des associations entre les conditions ou les caractéristiques liées au travail et la santé des travailleurs de scierie ainsi que, dans certains cas, la santé de leurs enfants. Comme l'a signalé tout à l'heure le Dr Butler-Jones, ça ne touche pas forcément une seule génération; les incidences se répercutent parfois sur plusieurs générations.
Mon deuxième exemple est axé sur les caractéristiques particulières des milieux de travail dans les régions rurales. Les exploitations agricoles sont un lieu de travail, mais elles sont aussi généralement un milieu de vie et un milieu de loisirs; la prévention des blessures devient par conséquent plus complexe.
Pour les dernières années, les données de l'Institut canadien d'information sur la santé indiquent que plus de 1 100 personnes ont été admises dans des hôpitaux canadiens avec des lésions liées à l'agriculture, n'incluant pas des blessures qui auraient pu survenir à la résidence des exploitations agricoles. Environ un tiers de ces admissions sont dues à des chutes accidentelles. Les autres causes les plus courantes de blessures sont liées à des facteurs naturels et environnementaux — comme des intempéries ou des morsures d'animaux — ou sont des blessures associées à la machinerie. Le taux d'accidents agricoles avec blessures chez les personnes âgées de moins de 20 ans et les personnes âgées de 60 ans ou plus sont plus du double du taux des admissions liées à des accidents de travail dans d'autres secteurs. Il est intéressant de considérer que c'est un des principaux problèmes de santé dans les régions rurales.
Le troisième exemple, qui a déjà été signalé par le Dr Butler-Jones, est une étude sur les déterminants de la santé qui n'est pas limitée au milieu de travail. Il s'agit d'une étude menée en Colombie-Britannique par les Drs Chandler et Lalonde, qui se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles aucun suicide ne s'était produit dans certaines collectivités des Premières nations de la province sur une période de 14 ans alors que dans d'autres, les taux de suicide étaient très supérieurs à la moyenne provinciale. Ils ont constaté que les taux avaient tendance à être plus bas dans les collectivités équipées d'écoles, de services de santé, de services de police et de services d'incendie placés sous la responsabilité de la bande et dans les collectivités jouissant de l'autonomie gouvernementale, ayant des installations culturelles et ayant le contrôle sur leur territoire ancestral. Nous faisons actuellement une étude à ce sujet avec des chercheurs, des membres des Premières nations et d'autres partenaires afin de déterminer si d'autres résultats pour la santé que le suicide chez les jeunes étaient également associés à ces types de facteurs en Colombie-Britannique; nous envisageons aussi d'étendre cette étude et de l'adapter au Manitoba.
Le dernier exemple que je citerai concerne plutôt l'utilisation des services de santé que l'état de santé. Comme vous le savez, les services de santé sont souvent organisés de façon très différente selon qu'il s'agit de régions urbaines ou de régions rurales. Par exemple, en 2004, 16 p. 100 des médecins de famille étaient établis dans des localités rurales et de petites villes canadiennes où ne vit qu'un peu plus d'un cinquième de la population.
Ce qui est intéressant, c'est que le pourcentage de résidents qui ont déclaré être suivis régulièrement par un médecin était très différent d'une région rurale à l'autre, et pas seulement entre les régions rurales et les régions urbaines. D'une façon générale, les médecins de famille vivant en milieu rural sont davantage susceptibles d'accepter de nouveaux patients et ont tendance à offrir un éventail plus large de services de santé que les médecins établis en milieu urbain. Par exemple, un tiers des médecins de famille des régions du Canada où la densité de population est la moins élevée ont fait des accouchements alors que ce n'est le cas que pour un dixième des médecins établis dans les grandes villes.
Des données régionales très précises concernant les indicatifs de santé font en outre ressortir de nombreuses différences entre les zones urbaines et les zones rurales dans l'utilisation des soins de santé. Par exemple, dans les plus grands centres métropolitains du Canada, plus de 70 p. 100 des femmes âgées de 50 à 69 ans ont passé une mammographie au cours des deux dernières années. Dans certaines régions surtout rurales de l'est du Canada, ce niveau n'a pas été atteint, mais il a été largement dépassé dans plusieurs régions. Par exemple, les taux étaient supérieurs à 75 p. 100 dans la partie ouest de Terre-Neuve, ainsi que dans trois régions du Nouveau-Brunswick. On a aussi observé des différences semblables dans d'autres régions du pays.
Ces exemples indiquent que l'avenir d'une personne n'est pas toujours lié au lieu géographique. Par conséquent, qu'est-ce qui fait en fait une différence? Une étude manitobaine que nous avons cofinancée avec la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé donne des pistes en ce qui concerne quelques options. Deux chercheurs ont démontré que le pourcentage de femmes pauvres vivant en milieu rural qui se soumettent à des mammographies a plus que doublé lorsqu'on leur a donné directement accès à un programme de dépistage du cancer du sein. Cancer Care Manitoba a créé le programme en 1995. Outre les installations permanentes établies dans les régions urbaines, cet organisme a mis en place un service mobile de dépistage par mammographie assuré par des fourgonnettes se déplaçant dans toute la province et se rendant chaque année dans de nombreuses petites localités; ce service est accompagné d'un programme de sensibilisation. Quelques années après sa mise en place, le pourcentage de femmes se soumettant à des tests de dépistage était, dans les régions rurales, presque le même pour les femmes occupant le bas de l'échelle des revenus que pour celles se situant au sommet de cette échelle. Deux autres services de prévention, pour lesquels on n'avait pas déployé de semblables efforts de sensibilisation au cours de la même période, le service d'immunisation des enfants et le service de dépistage du cancer du col utérin, n'ont pas été aussi efficaces.
En conclusion, j'aimerais rappeler le commentaire que j'ai fait au début de mon exposé, à savoir que les profils de la santé et de la maladie sont, dans une large mesure, une conséquence de la façon dont nous nous instruisons, dont nous vivons, dont nous travaillons et dont nous nous délassons. Il existe des écarts entre les régions urbaines et les régions rurales du Canada en matière de santé et de déterminants de la santé. Alors qu'il nous reste encore beaucoup à apprendre sur les possibilités d'améliorer la santé dans les collectivités rurales, ces écarts pourraient être l'occasion de découvrir des pistes pour l'avenir, en nous basant sur notre expérience collective, exactement comme ce comité-ci tire des enseignements des commentaires entendus dans le cadre de ses déplacements dans différentes localités du pays.
Le sénateur Callbeck : Merci d'avoir accepté notre invitation. Je suis originaire d'une région rurale de l'Île-du- Prince-Édouard. Au cours des dix dernières années, de nombreuses initiatives, axées sur la santé rurale, ont été annoncées par le gouvernement. Il y en a deux en particulier pour lesquelles j'aimerais savoir ce qui se passe et si elles sont toujours en place.
En 1998, le gouvernement fédéral a créé le Bureau de la santé rurale, relevant de Santé Canada. Lorsque l'Agence de santé publique du Canada a été établie, je pensais que le programme était transféré à la nouvelle agence. Le Bureau de la santé rurale existe-t-il toujours?
Dr Butler-Jones : Le financement de ce programme ciblé est échu, mais nous en avons intégré les volets ruraux à nos divers programmes d'activités. La structure organisationnelle nécessaire pour maintenir ce ciblage est variable selon la période. L'intégration à des activités générales est une des façons d'atteindre cet objectif. Si on ne l'atteint toutefois pas, il est souvent utile de mettre à nouveau l'accent sur ce domaine, en particulier en mettant en place une nouvelle initiative. On observe deux tensions — quand tout le monde s'en mêle, personne ne fait le travail. C'est un des deux extrêmes. L'autre extrême, c'est lorsque tout le monde s'intéresse au secteur qui s'en charge mais que les enjeux chevauchent un large éventail de programmes et d'activités et que ce seul secteur ne peut par conséquent pas faire le travail. Je pense que ces responsabilités ont été intégrées aux activités courantes lorsque le financement et le programme sont arrivés à échéance et ce, avant la création de l'agence.
Les points de vue et les recommandations du comité sont les bienvenus et nous intéressent dans le cadre des efforts que nous poursuivons dans ce domaine.
Le sénateur Callbeck : Ce bureau a-t-il été démantelé parce qu'il n'était pas efficace?
Dr Butler-Jones : Non. Je pense que le financement de ce programme, qui était un programme ciblé, est échu et que divers volets ont été intégrés à d'autres activités.
Le sénateur Callbeck : En juin 2000, le gouvernement avait annoncé une Stratégie nationale pour la santé rurale assortie de huit objectifs généraux. Cette stratégie existe-t-elle toujours? Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous a participé à l'une de ces huit stratégies? Une d'entre elles consistait, par exemple, à élaborer une technologie de l'information sur la santé. L'Institut canadien d'information sur la santé a-t-il participé à cette stratégie? J'aimerais savoir si celle-ci est toujours là.
Mme Zelmer : La technologie de l'information sur la santé est en fait le mandat de l'Inforoute Santé du Canada qui est davantage axée là-dessus. Elle a un programme spécial sur la télésanté, qui s'inscrit dans le cadre de cet effort.
Nous collaborons avec différentes régions du pays. Nous avons par exemple une initiative qui a pour objet d'examiner les besoins particuliers des régions à faible densité de population. Nous avons constaté qu'en ce qui concerne l'information sur la santé et la façon dont elle est utilisée, les besoins ne sont peut-être pas les mêmes, à l'échelle locale, pour les habitants d'une grande ville que pour ceux d'une région à très faible densité de population. C'est une des initiatives en cours.
Je ne suis pas bien informée au sujet de la stratégie nationale. C'est cela le travail que nous faisons.
Dr Butler-Jones : Je donne la parole à mon historienne.
Marie DesMeules, directrice, Division des preuves et de l'évaluation des risques, Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques, Agence de santé publique du Canada : Pour vous donner quelques informations de base, la Stratégie nationale pour la santé rurale était étroitement liée au Bureau de la santé rurale, que vous avez mentionné dans votre question précédente. Il était prévu lors de leur mise en place que le Bureau de la santé rurale et la stratégie nationale seraient d'une durée limitée. L'initiative finançait le Bureau de la santé rurale et certains programmes communautaires administrés par Santé Canada à l'époque. Des fonds importants avaient également été accordés aux Instituts canadiens de recherche en santé; il s'agissait de fonds destinés exclusivement à la recherche sur la santé rurale. L'initiative a duré environ trois ans, jusqu'à l'épuisement des fonds. Après une période de transition d'environ un an, le Bureau de la santé rurale est devenu moins actif et a assumé des fonctions plus générales au sein du ministère. L'Agence de santé publique du Canada n'existait pas encore. Il est clair que le Bureau de la santé rurale et la stratégie nationale jouaient un rôle important dans deux domaines clés : accroître la capacité de recherche et d'établissement de programmes en santé rurale ainsi que sensibiliser la population à l'organisation de la santé publique et faire de la recherche pour prendre davantage d'initiatives dans ce domaine.
De nouveaux chercheurs ont fait des travaux dans ce domaine et les personnes en place ont été mieux informées sur les besoins en matière de santé rurale. Actuellement, à l'Agence de santé publique du Canada, on est très conscient du besoin de tenir compte de l'aspect rural de nos programmes. Certains de nos programmes, s'ils ne sont pas entièrement axés sur une optique rurale, mettent toutefois l'accent sur ce domaine. Ces programmes incluent des programmes de promotion de la santé, de prévention des maladies chroniques, de prévention des maladies infectieuses, le développement d'enfants en santé et des activités de surveillance. Nous travaillons en collaboration et avons vu une différence depuis le début dans le niveau d'activité dans ce domaine.
Le sénateur Callbeck : Cette stratégie n'a été en place que pendant trois ans. Elle n'existe plus et le Bureau de la santé rurale non plus.
Mme DesMeules : C'est bien cela.
Le sénateur Callbeck : Nos notes d'information indiquent que le terme « rural » n'est pas employé dans le Rapport sur les plans et les priorités de 2006-2007 de l'Agence de santé publique du Canada. Cela me préoccupe.
Dr Butler-Jones : Voulez-vous savoir pourquoi ce terme plutôt que d'autres n'y est pas employé? Eh bien, toutes nos activités couvrent implicitement les régions rurales aussi.
Le sénateur Callbeck : Nos notes indiquent que le terme n'y est même pas employé.
Dr Butler-Jones : Il est probable que le terme « urbain » n'y soit pas employé non plus. La démarche que nous adoptons consiste à affecter les ressources, les outils, les perspectives et les programmes aux secteurs où les besoins sont les plus grands. Je ne pense pas que cette omission soit forcément révélatrice d'une certaine attitude.
Le sénateur St. Germain : La question des collectivités autochtones m'a frappé dans votre exposé. Avec le sénateur Peterson, je suis membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Vous avez fait mention de leur autonomie gouvernementale ou de leur capacité de prendre leur avenir en main qui, d'après vos études, a donné des résultats positifs en ce sens qu'on y a observé une diminution des taux de suicide. Vous avez signalé que, lorsque le conseil de bande a le contrôle des écoles et de divers aspects de la vie de la collectivité, cela améliore vraisemblablement le niveau de vie de la collectivité concernée.
Avez-vous des liens de collaboration avec Affaires indiennes et du Nord canadien dans le cadre de vos activités?
Dr Butler-Jones : Nous avons non seulement des liens avec AINC, mais également avec la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada et avec divers organismes autochtones actifs dans le domaine de la santé ou dans d'autres domaines. Au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, nous avons examiné et présenterons un rapport de suivi concernant certaines des questions qui ont été posées en ce qui concerne l'intégration et la sensibilisation à ces questions dans le contexte du Réseau de santé publique, qui est l'organisation qui assure la supervision des services fédéraux, provinciaux et territoriaux dans le domaine de la santé publique. Nous sommes en constante discussion avec d'autres ministères au sujet de ces questions.
Le sénateur St. Germain : Depuis environ 18 ans, il y a au Sénat un projet d'autonomie gouvernementale qui n'arrive pas à voir le jour, peu importe le parti au pouvoir.
J'ai eu dernièrement des rencontres avec des chefs autochtones de certaines régions isolées du nord-est de l'Ontario et du nord-ouest du Manitoba. C'est un cauchemar. Notre président a pris la sage décision que le comité se déplacerait dans le Grand Nord, pour se rendre dans ces régions isolées. On m'a dit qu'il y avait quatre collectivités et 10 000 personnes. La seule chose remarquable au sujet de la communauté, c'est qu'elle dispose d'un dyaliseur en raison de l'incidence élevée du diabète.
C'est la pauvreté rurale sous sa pire forme. Il semblerait qu'on n'arrive pas à obtenir des résultats. Plusieurs ministères font des études différentes en prenant des orientations différentes, mais on ne constate aucune amélioration marquée du style de vie de ces personnes-là. En fait, il se détériore. Dans un grand nombre de ces communautés, les bandes prennent la relève à cause de l'effondrement du tissu social.
Avez-vous des commentaires à faire qui soient fondés sur le point de vue de votre ministère et qui s'appuient sur les études que vous faites? Y a-t-il une lumière au bout du tunnel?
Dr Butler-Jones : Je pense qu'il y a une lumière au bout du tunnel, mais quant à savoir où se trouve le bout du tunnel et comment y arriver, c'est une question d'une portée beaucoup plus générale et plus complexe.
Un pourcentage élevé des membres des Premières nations vivent hors réserve, dans des centres urbains. Que l'on ait ou non des ascendances autochtones, les problèmes liés à l'état de pauvreté, au chômage, à l'absence de relations et à d'autres facteurs sont les mêmes. Que l'on soit Européen, Autochtone ou Africain, l'état de santé est beaucoup plus précaire. Le défi pour de nombreuses collectivités des Premières nations et d'autres collectivités est lié à ces facteurs-là; le problème n'est pas lié au seul fait d'être Autochtone. Ces facteurs sont particulièrement ancrés dans de nombreuses collectivités des Premières nations, mais ce n'est pas parce qu'il s'agit de Premières nations, bien que nous sachions reconnaître les problèmes de discrimination et de racisme lorsqu'ils sont présents.
En termes d'organisation, d'autres collectivités sont prospères. Le défi pour les pouvoirs publics et les gouvernements des Premières nations est lié à l'identification des facteurs et des changements qui pourraient être apportés pour améliorer la situation. Ce ne sont pas toujours les premières choses auxquelles nous pensons. Il ne s'agit pas forcément d'un hôpital. Par exemple, le taux de diabète élevé est lié à un changement de régime alimentaire, à l'obésité, à l'inactivité et à d'autres facteurs; le diabète entraîne une insuffisance rénale et un arrêt de la circulation dans les jambes qui entraîne l'amputation, et ainsi de suite. Tous ces problèmes sont aggravés par un taux de tabagisme élevé, qui provoque également des troubles de la circulation sanguine. Ce ne sont que quelques-uns des facteurs qui interviennent.
Plusieurs facteurs interviennent sur le plan de la santé. Il est clair que les collectivités et les individus qui ont le sentiment d'exercer un certain contrôle — et il ne s'agit pas seulement d'un type de gouvernement de préférence à un autre, mais de la perception d'avoir un certain contrôle sur leur vie et sur le fonctionnement de ces collectivités — sont généralement en bien meilleure santé.
Aucun de nous ne pourra relever les défis qui se posent aux collectivités. Ce qui est important, c'est de travailler en étroite collaboration avec elles plutôt que de prendre des initiatives à leur place.
Le sénateur St. Germain : J'entends vos commentaires, monsieur, mais plus ça change, plus c'est pareil, en ce qui concerne nos Autochtones. Je fais partie de ce comité-là depuis 14 ans. Je pense que je connais assez bien le domaine. Je ne me considère pas comme un expert, mais je n'ai pas observé de changements concrets au cours de ces 14 années. Dans certaines régions, la situation s'aggrave même.
Je ne fais pas de reproches à votre ministère en particulier, mais il est un fait que différents ministères interviennent dans ce domaine, par exemple Santé Canada, Industrie Canada et le vôtre. Hier soir, nous avons fait une étude sur l'eau potable salubre. Nous n'avons même pas été capables d'assurer ce service. Il reste 97 collectivités exposées à des risques. Il y en avait environ 190 il y a un an. La situation s'est améliorée. Je pense que ces études sont fiables. Ce sont pourtant des problèmes flagrants, mais il semblerait qu'on n'agisse pas. C'est effrayant. Les chiffres qu'on nous cite concernant les jeunes enfants, comme l'ont fait hier des habitants du nord-est de l'Ontario qui sont venus à mon bureau, sont inquiétants. Des milliers de jeunes âgés de moins de 25 ans ne reçoivent pas une instruction adéquate ni même des soins de santé appropriés.
Le but de cet exercice n'est pas de s'en prendre à qui que ce soit. Il y a quelque part de la lumière au bout du tunnel, mais quelle est la longueur de ce tunnel? C'est là la question.
Dr Butler-Jones : C'est bien juste. C'est un défi considérable. Je pense que nous aimerions tous qu'il n'en soit pas ainsi.
La difficulté, y compris pour les gouvernements, est en partie liée au fait qu'on a fait des dépenses mais que ces problèmes subsistent. Notre agence participe à une série d'activités hors réserve. Les services en réserve relèvent de la Direction générale de la santé des Première nations et des Inuits de Santé Canada. En dehors des réserves, il y a le programme d'aide préscolaire aux Autochtones dans diverses collectivités à travers le pays, le plan d'action pour les enfants et plusieurs programmes qui ont pour objectif de réduire le risque du syndrome d'intoxication fœtale à l'alcool, améliorer la nutrition et améliorer la situation dans d'autres domaines. Nous ne percevons pas malgré tout le profond changement que vous mentionnez. Je pense que c'est un défi qui se pose, non seulement au Canada, mais à des gouvernements et à des collectivités à l'échelle mondiale. Cela nécessite une action concertée. J'ai dit que personne ne pouvait résoudre le problème seul mais qu'il était essentiel de mettre l'accent sur la collaboration et d'aider les collectivités à atteindre les objectifs qu'elles se sont fixés, car il s'agit d'un problème et d'un défi de taille.
Le sénateur Mercer : Madame Zelmer, dans votre exposé, vous avez fait référence à une étude intéressante faite en Colombie-Britannique. Je pense que cela confirme précisément les commentaires du sénateur St. Germain au sujet des taux de suicide chez les jeunes. D'après cette étude :
... dans plus de la moitié des collectivités des Premières nations de la province, aucun suicide de jeune n'a été enregistré sur une période de 14 ans; dans plusieurs autres, les taux étaient largement inférieurs à la moyenne provinciale. Les taux avaient tendance à être plus bas dans les collectivités dans lesquelles la bande avait le contrôle sur les écoles, la santé, la police et les services d'incendie, et dans celles qui jouissaient de l'autonomie gouvernementale, étaient équipées d'installations culturelles et avaient le contrôle sur le territoire ancestral.
Apparemment, cette constatation permet de faire le lien entre le problème et ce qui pourrait être une solution. Il n'est pas nécessaire de faire preuve d'un degré élevé de logique pour comprendre que c'est un problème qui se pose dans les collectivités qui n'ont pas ce contrôle et que ce problème ne se pose pas dans celles qui l'ont. Il est facile de faire le lien entre les deux.
Mme Zelmer : C'est une des raisons pour lesquelles cette étude est très intéressante. Elle a procédé fondamentalement par étapes. Elle a examiné chacun de ces différents facteurs. Dans les collectivités où plusieurs de ces facteurs étaient réunis, les taux de suicide ont diminué. C'est un document intéressant. Il ne s'agit pas toujours de facteurs qui sont uniquement liés aux individus; les caractéristiques de notre milieu de vie peuvent avoir une incidence profonde sur notre santé. Une des raisons pour lesquelles nous faisons un suivi est que nous voulons voir si on peut faire la même constatation dans d'autres domaines que celui du suicide chez les jeunes et dans d'autres régions du pays, comme le Manitoba, pour comprendre vraiment la situation.
Le sénateur Mercer : Il n'y a pas besoin d'être un génie pour comprendre. Est-ce bien cela?
Dr Butler-Jones : La difficulté n'est pas de prendre conscience de ces relations, car elles sont très réelles. Elles sont observables dans toutes sortes de groupes. Les employés de la fonction publique britannique ont tous des revenus raisonnables. Les taux de mortalité sont beaucoup plus bas chez les fonctionnaires qui ont le plus de contrôle sur leur vie et sur leur travail que chez ceux qui n'en ont pas beaucoup. C'est un constat universel.
Le défi est lié à ces relations comme telles. C'est pourquoi on fait de la recherche. Je suis certain qu'elle fera la même démonstration. Il ne s'agit pas uniquement de suicide chez les Autochtones, mais de toutes sortes d'impacts sur la santé. Si l'on y ajoute d'autres facteurs comme le contrôle, les relations des individus avec une communauté et tous les autres facteurs que j'ai signalés, cela améliorerait l'état de santé.
Le défi pour les gouvernements, pour les conseils de bande, pour les dirigeants et pour les membres de la collectivité consiste à déterminer quels types de changements permettraient d'atteindre cet objectif. Nous avons appris par exemple que l'état de santé de certaines collectivités qui étaient en mauvaise santé s'est amélioré sur une période de dix ou 15 ans. Pourtant, la situation économique n'a pas changé, mais c'est le fait que les gens ont pris leur vie en main qui a été en quelque sorte le ferment d'une amélioration considérable de leur état de santé.
Quels changements au niveau des politiques permettront de relever ces défis? J'ai cité deux exemples de types d'initiatives que les pouvoirs publics peuvent prendre qui concernent la Saskatchewan. C'est le style de travail que l'on peut faire avec les conseils de bande en termes d'autonomie gouvernementale et c'est ce que l'on fait en matière de contrôle de l'éducation au Manitoba et en Colombie-Britannique. Il est clair que toutes ces mesures sont un pas dans la bonne direction. C'est pourquoi je dis qu'il y a de la lumière au bout du tunnel, mais cela a pris plusieurs générations pour en arriver là. Cela nous prendra plusieurs années pour sortir de là. Il ne faut pas que nous perdions notre but de vue et il est essentiel de mettre les données que l'on a à profit pour établir des programmes efficaces et obtenir de bons résultats. Des sommes considérables sont dépensées sans que l'on obtienne les résultats espérés et escomptés.
Le sénateur Mahovlich : Je remercie les témoins. C'était un excellent exposé. Pourriez-vous signaler où se trouve au Canada la région rurale la plus inquiétante à cet égard? Dans quelle province?
Dr Butler-Jones : Je ne désignerais pas une province en particulier. Le fait est qu'il existe des écarts. Il existe même un gros écart, compte tenu des différences entre les régions rurales et urbaines, entre les différentes provinces et territoires, et même à l'intérieur des provinces. La région la plus démunie d'une province peut être aussi bien, mieux ou la meilleure par rapport à un autre endroit. Cela dépend des individus.
Les problèmes diffèrent selon la collectivité ou la région concernée. Dans de nombreuses régions rurales, surtout dans le Nord, les sans-abri ne sont pas des personnes qui mènent la vie d'itinérant. Ce sont des personnes qui vivent à trois ou quatre familles dans la même maison dépourvue d'installations sanitaires et de système d'alimentation en eau adéquats.
Dans une autre région du pays, même à distance de marche des hôpitaux les plus modernes au monde, on observe des taux de mortalité infantile largement supérieurs à la moyenne, qui sont dus à des problèmes de pauvreté et d'exclusion, et à d'autres facteurs que nous avons mentionnés.
Il n'est pas juste de dire qu'il s'agit d'une province, d'un district ou d'une région en particulier. Dans la ville de Saskatoon, dont la population est d'environ 200 000 habitants, il y a des zones où le taux de mortalité infantile est deux fois plus élevé qu'ailleurs.
Je pense qu'il est intéressant d'adopter non seulement un point de vue national ou provincial, mais aussi un point de vue local, et d'avoir en place des organisations, des services sociaux et des services de santé publique qui s'interrogent sur ce qu'il est essentiel de faire en ce qui concerne chaque collectivité en particulier. Le fait que les déterminants de la santé et du bien-être ont tendance à confluer accroît la difficulté. On ne peut pas se contenter de tirer sur une seule ficelle pour que tout aille mieux.
Le sénateur Mahovlich : Je suis originaire d'une ville du nord de l'Ontario appelée Schumacher. Vous avez parlé de fermetures d'écoles. La journée où je suis retourné dans ma ville, en 1968, alors qu'on fermait notre école secondaire, était une journée triste et émouvante. On y avait passé son enfance avec ses copains puis, un beau jour, on ferme l'école pour des raisons financières. Les jeunes devaient dorénavant se rendre en autobus dans une autre ville. Ce jour-là, une ambulance est passée pendant que nous étions à l'extérieur en train de prendre une photo scolaire; un de mes camarades d'école venait de se suicider. La fermeture des écoles a un impact sur les individus.
Je voudrais poser une question concernant l'école de médecine du nord de l'Ontario. Un médecin originaire d'une région aura davantage tendance à s'y établir. Si un jeune de Schumacher fait ses études de médecine, il y a de bonnes chances qu'il revienne dans cette région. Si nous pouvions inciter des Autochtones à faire leurs études de médecine, ne serait-ce pas une solution aux pénuries de médecins?
Dr Butler-Jones : Cela améliorerait les chances, mais ce ne serait pas une garantie, même en ce qui concerne les médecins ruraux non autochtones. Certains programmes ont pour objet d'encourager ce type d'engagement. En ce qui concerne la santé publique, l'agence offre des bourses de formation dans ce domaine, qui facilitent la formation et l'emploi.
Les petites collectivités de 10 000 habitants, comme celles que vous mentionniez tout à l'heure, sont un milieu différent, mais dans les très petites collectivités, on n'arriverait probablement pas à y faire revenir un médecin, quoiqu'il serait peut-être possible d'inciter des personnes comme des infirmières et des infirmières praticiennes, ou encore des agents de santé communautaire, à retourner dans leur région. Personnellement, je me réjouis de la création de la faculté médicale du Nord. C'est un fait que les personnes qui ont été formées ou ont travaillé dans des collectivités rurales et dans des collectivités du Nord sont plus à l'aise pour y retourner, pas seulement parce que l'école est située là, mais aussi en raison des occasions pratiques. En ce qui me concerne, je viens de Toronto, mais j'ai travaillé dans le nord de la Colombie-Britannique et dans le nord de l'Ontario; j'ai découvert que j'adorais les régions rurales et du Nord. Ces occasions sont très importantes pour les infirmières ainsi que pour les professionnels, dans le cadre de leur formation, et pas seulement dans l'école médicale du Nord, mais aussi dans toutes les écoles du pays.
Le sénateur Peterson : Nous avons entendu ce matin de nombreux chiffres qui signalent les domaines où des problèmes se posent. Ma question est la suivante : dans quelle mesure devrait-on mettre l'accent sur ces problèmes et pour quelles raisons. Vous signalez que la santé rurale est plus précaire que la santé en milieu urbain pour de nombreuses raisons comme l'absence de transport public et d'installations et l'incapacité d'avoir accès à un médecin; par conséquent, la plupart des soins que reçoivent les habitants de ces régions sont de nature corrective et pas de nature préventive.
Nous avons également discuté des accidents d'automobile en milieu rural. Les habitants des régions rurales sont bien obligés de prendre l'automobile pour se déplacer. Si vous aviez vu les routes en Saskatchewan, vous comprendriez les raisons de ces taux élevés. En outre, nous avons parlé d'une augmentation du nombre d'accidents en milieu agricole, qui sont dus au fait que les agriculteurs n'arrivent pas à obtenir de l'aide pour leurs récoltes et qu'ils font de longues heures de travail et sont totalement épuisés. Les causes d'un grand nombre de ces chiffres s'expliquent aisément. Continue-t-on à tenter de découvrir les causes dans votre rapport sans se limiter à des chiffres?
Dr Butler-Jones : Vous avez parfaitement raison. De nombreux facteurs interviennent. En Saskatchewan, par exemple, même si on vit dans une ville où se trouve un cabinet de médecin, le simple fait de s'y rendre pose de gros problèmes pour les personnes qui ne sont plus mobiles et qui ne sont plus capables de conduire. On voit cela même dans les villes. Lorsque je travaillais à Terre-Neuve, une des difficultés était liée aux cliniques dans des localités isolées. Une fois par semaine, à intervalles réguliers, un des médecins se rendait dans une des localités isolées pour tenir une clinique. Entre ces visites, si un pêcheur au chômage avait besoin de suivre un traitement, il devait payer 50 $ de taxi pour se rendre à l'hôpital. La question de l'accès aux traitements médicaux pose effectivement d'énormes problèmes mais par ailleurs, certaines de ces collectivités étaient très en santé. Il s'agit d'avoir à la base une bonne santé et d'avoir des contacts avec les gens pour être moins vulnérable à la maladie mais, quand on est malade, un mécanisme d'accès au bon endroit est essentiel.
Bien que nous ne connaissions pas tous les détails, un des problèmes qui se pose dans les petits hôpitaux est qu'ils n'ont pas la capacité de donner des soins intensifs, car le médecin ne sait peut-être pas faire une intubation, par exemple, dans une situation d'urgence. La fermeture de ces petits hôpitaux oblige simplement les gens à faire les 20 minutes de trajet supplémentaire pour se rendre à l'hôpital suivant qui a la capacité d'intervenir, sans les pertes de temps dues au fait de ne pas recevoir immédiatement de bons soins.
Le système de santé publique a besoin non seulement de l'infrastructure de base comme les hôpitaux et les services d'ambulance ou d'autres services d'urgence, mais aussi de moyens de transport pour permettre aux personnes âgées d'avoir accès aux services ou aux programmes de santé publique, et aux mères chefs de famille monoparentale d'avoir accès aux garderies pour qu'elles puissent participer aux programmes. Il est essentiel que nous réfléchissions à tout cela si nous voulons que la situation s'améliore. C'est un plus grand défi dans les régions rurales en raison des distances, de l'infrastructure et des autres problèmes que vous avez signalés. C'est une partie de la solution.
Le sénateur Peterson : Les habitants de nombreuses petites collectivités ont d'abord affaire à des agents de secours d'urgence qui téléphonent aux services d'ambulance qui les transportent à l'hôpital; s'ils ne peuvent pas y recevoir les soins nécessaires, il faut alors les transporter à l'hôpital suivant. Cela fait de grosses pertes de temps. Pensez-vous que les soins de santé publique soient, à l'échelle nationale, en danger de s'effondrer sous leur propre poids? Le financement est difficile et il semblerait que le système suffoque.
Dr Butler-Jones : Plusieurs initiatives ont eu pour objet de déterminer comment nous pouvons mieux nous organiser avec ce que nous avons. Le rapport Romanow a moins mis l'accent sur le besoin de fonds supplémentaires, quoique ce soit nécessaire, et il l'a mis davantage sur le fait qu'une meilleure organisation était essentielle.
L'autre recommandation est de mettre l'accent sur ce que l'on fait et sur les petits investissements nécessaires qui peuvent faire une grosse différence. Par exemple, au cours des 15 dernières années, le taux d'obésité chez les jeunes est devenu élevé alors qu'il était plutôt bas. La génération actuelle de jeunes pourrait être la première génération dont les membres ne vivront pas aussi vieux que leurs parents. Ce problème a mis une dizaine ou une quinzaine d'années à se développer et il est réversible. Le changement à apporter peut être la différence entre une canette de boisson gazeuse et un 20 onces. Nous n'avons pas fait cette sorte de prévention à long terme.
Il suffit d'examiner les listes d'attente pour les opérations de la hanche et du genou. On ne songerait même pas à faire ce type d'opérations s'il n'y avait pas eu le vaccin contre la poliomyélite, car tous les chirurgiens orthopédistes devraient alors s'occuper des victimes de cette maladie. Actuellement, environ 90 p. 100 des opérations de remplacement de la hanche ou du genou sont nécessaires en raison d'un excès pondéral et pas de l'usure normale de ces articulations. Un grand nombre des personnes qui sont sur les listes d'attente n'auraient plus besoin d'un nouveau genou si elles perdaient du poids.
Ce n'est que pour un seul secteur; si l'on examine la situation pour toutes les autres maladies chroniques et même infectieuses, on fera bien d'autres constatations. Il faut s'intéresser au genre de choses que font les habitants des régions en meilleure santé du pays; on constatera alors que leur bon état de santé est dû à l'effet conjugué de plusieurs des facteurs que nous avons mentionnés et à un système de soins de santé bien organisé. Si nous adoptons une tactique globale fondée sur les différents facteurs, nous pourrons reprendre le dessus.
Le sénateur Mercer : Dans l'exposé qu'il a fait devant le comité, le Dr Keith MacLellan, ancien président de la Société de la médecine rurale du Canada, a signalé que le Canada rural avait besoin de médecins généralistes et pas de spécialistes, contrairement aux régions urbaines. Êtes-vous d'accord avec cette opinion?
Dr Butler-Jones : Oui. Dans n'importe quelle région du pays, un bon système de santé publique de base avec des généralistes et un accès approprié, qu'il s'agisse d'infirmières praticiennes, de médecins de famille ou d'autres types de soignants, est essentiel pour avoir un système efficace. À partir de là, on peut améliorer très vite la situation.
Sans vouloir vanter les mérites du système de soins de santé à Cuba, qui est un pays beaucoup plus petit, un domaine dans lequel les Cubains excellent, ce sont les bonnes connexions. Tous les Cubains ont accès à une infirmière et à un médecin de famille au niveau local ou régional et les médecins de famille sont en contact avec une polyclinique où les patients peuvent être examinés par des spécialistes. Parfois, le médecin participe à la clinique également et cela devient une session d'enseignement. Si le patient a besoin de soins hospitaliers, les différents niveaux de soins de santé nécessaires sont reliés entre eux. Les médecins et les infirmières pensent aux besoins de la collectivité et de la famille; ils s'appliquent en outre à détecter les maladies chroniques. Les personnes malades n'ont pas l'impression d'être abandonnées à elles-mêmes dans le système pour ce qui est du suivi de leur maladie. Tous les éléments du système sont interconnectés et on ne se contente pas de diriger les patients vers d'autres services.
En bref, les généralistes jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de ce système. Sans les généralistes, les spécialistes ne peuvent pas remplir leurs fonctions, car ils ne s'occupent que d'un domaine spécifique de soins. Les généralistes ont une vue d'ensemble et aident à établir les contacts avec d'autres services dans la collectivité.
Le sénateur Mercer : Cela dit, que faudrait-il faire pour établir un meilleur équilibre dans la répartition géographique des médecins entre les zones rurales et les zones urbaines? Comment peut-on inciter les médecins à aller travailler là où on a vraiment besoin d'eux? Ça ne concerne pas uniquement de très petites collectivités, car le besoin peut exister dans une petite zone régionale. Comment y arriver?
Quelqu'un a mentionné qu'un gros secret obscur des ministères provinciaux de la Santé est que cela ne les intéresse pas qu'un plus grand nombre de médecins diplômés sortent des facultés de médecine, car une augmentation du nombre de médecins entraînerait une facturation supplémentaire du système de santé. Avons-nous besoin de médecins supplémentaires ou les médecins actuels sont-ils tout simplement mal répartis?
Dr Butler-Jones : C'est probablement les deux à la fois. Un plus grand nombre de généralistes serait certainement intéressant pour le système, car ils peuvent s'occuper de la grosse majorité des problèmes. Nous pourrions alors utiliser les spécialistes plus efficacement pour les cas qui nécessitent des soins spécialisés. C'est une question complexe avec laquelle les gouvernements sont aux prises à l'échelle mondiale. Personne n'a encore trouvé la réponse. Comme l'a mentionné le sénateur Mahovlich, il s'agit d'avoir de l'expérience et de se sentir à l'aise pour travailler dans une région rurale.
Quand j'étais en formation, dans les années 1970, on commençait à faire des tomodensitométries. Je comptais aller travailler en Afrique. J'ai demandé ce qu'il fallait faire quand on n'avait pas accès à un tomodensitomètre. On m'a dit de m'en procurer un. J'ai alors demandé ce qu'il fallait faire quand il n'y en a pas à moins de 100 milles. On m'a répondu qu'il fallait amener le patient à l'endroit où l'appareil se trouvait. J'ai répliqué que ce n'était pas suffisant. Cette discussion ne m'avait pas beaucoup rassuré en ce qui concernait ma formation.
Il faut donc former les praticiens pour qu'ils soient à l'aise de travailler dans des régions rurales sans avoir à leur disposition tout l'arsenal d'appareils sophistiqués, même s'ils sont importants quand on en a besoin. La question de la rémunération entre également en ligne de compte. Le style de pratique compte également. Les pratiques de groupe sont beaucoup plus motivantes et intéressantes, car on a des collègues à qui parler. Ce sont des d'infirmières praticiennes, des médecins et d'autres professionnels qui travaillent en équipe dans une région. Il n'y a peut-être pas un médecin dans chaque localité, mais il y a, dans chaque petite collectivité deux ou trois infirmières et autres soignants qui assurent les contacts avec un groupe de médecins de la région; ça fait alors un système de soins.
Enfin, il y a quelque chose que nous avons constaté, pendant que nous travaillions en région rurale à Terre-Neuve, en ce qui concerne le recrutement et le maintien en poste des médecins. Je pense que cela s'applique aux autres régions également. Si vous avez du travail intéressant à faire, si vous êtes apprécié et appuyé dans ce travail et que vous avez un endroit raisonnable où vivre, ça représente 80 p. 100 du recrutement et du maintien en poste. Il ne faut pas que l'écart salarial soit trop grand, mais c'est réellement important. Même pour les petites collectivités, les contacts qu'un médecin a avec les résidents de la localité font une grosse différence pour ce qui est de l'inciter à s'en aller ou à rester.
Le sénateur Mercer : Nous entendons tous les jours des histoires de professionnels, de médecins ou d'ingénieurs ou autres spécialistes formés à l'étranger qui n'arrivent pas à trouver un emploi au Canada parce qu'ils sont incapables d'obtenir leur licence. C'est frustrant, et je rejette directement la responsabilité de cette situation sur les organisations professionnelles, qui sont autoréglementées, comme l'Association médicale canadienne et les diverses associations médicales provinciales. Je suis assez frustré pour suggérer qu'elles devraient même cesser de réglementer pour confier au gouvernement la responsabilité de réglementer l'octroi des licences aux médecins, par exemple, ce qui, Dieu nous en garde, paraît encore pire. Il y a dans notre pays de nombreuses personnes et à l'étranger de nombreuses autres qui sont disposées à émigrer et qui pourraient nous aider à résoudre en partie ce problème, mais elles n'arrivent pas à obtenir leur licence. Pensez-vous que c'est un élément de solution ou ce problème est-il un pur fruit de l'imagination?
Dr Butler-Jones : Ce problème revêt plusieurs aspects. À titre de clarification, l'Association médicale canadienne et les associations médicales provinciales ne réglementent pas. Ce sont des associations professionnelles. Ce sont les collèges de médecins et d'infirmières qui font la réglementation. Ce sont des organismes autoréglementés en vertu de lois provinciales. Leur fonction est d'assurer le respect d'une norme.
Ce problème est largement reconnu et il comporte deux aspects. Le premier est la façon d'évaluer la formation des professionnels étrangers et le deuxième concerne l'opportunité de recruter à l'étranger ou de recruter plutôt ceux qui sont déjà dans le pays. Par exemple, de nombreux médecins africains sont établis dans les Prairies alors que l'Afrique du Sud a d'énormes difficultés à fournir des services de santé à ses populations. Ce type de situation engendre une complexité à l'échelle internationale.
Je pense que les universités examinent la question des personnes qui ont été formées dans d'autres pays, des diplômés étrangers qui travaillent au Canada; les autorités réglementaires, les pouvoirs publics et d'autres entités tentent de trouver des possibilités de faire une évaluation. La qualité des diplômés formés dans une université canadienne est pratiquement uniforme. Ils sont différents mais, au moins, il existe une très bonne norme de base en matière de formation et d'expérience. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne toutes les facultés de médecine étrangères. Le défi réside dans l'évaluation de cette formation. J'ai donné des cours à des diplômés étrangers quand je travaillais à l'Université de la Saskatchewan; il y avait des diplômés d'autres pays qui étaient, à mon avis, au niveau de n'importe quel médecin mais, par contre, dans les mêmes pays, il y avait d'autres écoles qui avaient d'énormes difficultés en ce qui concerne les notions médicales de base. Certains Canadiens qui ont été formés dans des pays européens ont également de grandes difficultés dans certains domaines, alors que d'autres pas.
En définitive, il est essentiel de mettre en place des systèmes qui permettent de faire une évaluation de base et de la formation supplémentaire, mais les créneaux de formation médicale pour les diplômés qui permettent de pratiquer dans n'importe quelle province du Canada sont peu nombreux. Il y a des questions à régler à plusieurs niveaux. On examine la question au niveau gouvernemental et au niveau professionnel. Nous n'avons pas encore trouvé de solution, mais je pense que la solution est plus à notre portée maintenant qu'il y a trois ans.
Le sénateur Mercer : Les collèges de médecins ont-ils essayé d'accélérer le processus d'évaluation des néo-Canadiens qui ont reçu une formation dans le domaine médical? Si leur niveau ne correspond pas à nos normes, leur a-t-on donné une formation qui leur permettrait d'y répondre?
Dr Butler-Jones : La formation est assurée par les universités dans les postes d'internes. Il en est question. Je ne suis pas suffisamment au courant de leurs idées ou de leurs projets, mais je sais que les différents organismes qui octroient les licences et d'autres organismes s'appliquent actuellement à réfléchir aux possibilités dans ce domaine.
Le sénateur Peterson : Dans la région rurale que je connais en Saskatchewan, le problème auquel nous faisons face est que le médecin est de service pratiquement 24 heures par jour et sept jours par semaine. Les médecins font un burnout après deux ou trois ans. Même si vous pouviez mettre en place un programme dont le financement serait assuré par le gouvernement provincial et par les régions sanitaires, y aurait-il suffisamment de postes ou pourrions- nous avoir accès à un nombre suffisant de postes pour augmenter le nombre de médecins afin de ne pas perdre ceux qui sont déjà là?
Dr Butler-Jones : Cela dépend en partie de la spécialité, selon qu'il s'agisse de médecine familiale ou d'une autre spécialité.
Le sénateur Peterson : Le seul type de service que nous avons dans les régions rurales, ce sont des services de médecine familiale.
Dr Butler-Jones : Je le sais, mais je me demande s'il y a assez de médecins. Je ne connais pas la réponse exacte à cette question, mais je sais que la façon dont on organise les soins peut faire une énorme différence en termes d'impact. En Saskatchewan, au sud-ouest de Saskatoon, un certain nombre d'infirmières praticiennes de différentes petites collectivités travaillent dans une de ces localités avec un médecin de famille et assurent tous les contacts avec lui et avec l'hôpital où travaillent d'autres professionnels de la santé, des infirmières de la santé publique et d'autres personnes. Il existe des possibilités d'organiser la pratique de façon à réduire les risques qu'un médecin fasse un burnout parce qu'il est constamment sur appel et de façon à fournir des soins de qualité. Une bonne infirmière praticienne peut assurer 90 p. 100, ou du moins un pourcentage élevé, des soins et elle a accès à un bon médecin de famille qui est en contact avec des spécialistes compétents. Si nous organisions les soins primaires ainsi, et pas seulement les services médicaux, mais aussi les services sociaux, les services de santé publique et d'autres types de services qui y sont rattachés, nous pourrions mettre en place un système qui règle ces problèmes de façon plus efficace tout en réduisant les risques de burnout et en augmentant le degré de satisfaction professionnelle.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné Cuba. Recommandez-vous le système cubain pour le Canada?
Dr Butler-Jones : Non.
Le sénateur Mahovlich : Vous sembliez pourtant très enthousiaste à ce sujet.
Dr Butler-Jones : Lorsque je fais ce commentaire, je précise généralement au préalable que je ne recommande pas d'adopter le système cubain; je pensais d'ailleurs l'avoir fait. L'aspect du système cubain qui m'intéresse est la connexité et le ciblage sur les résultats. Les individus ne se sentent pas perdus dans le système. Par exemple, si j'étais un patient cubain, l'infirmière et le médecin qui collaborent sauraient que David Butler-Jones fait de l'asthme et qu'il devrait être suivi tous les trois mois; chaque famille reçoit une visite à domicile une fois par an pour connaître le milieu dans lequel vivent les patients; le médecin a en outre des contacts avec la polyclinique et, par conséquent, si ses patients ont besoin de soins spécialisés, ils peuvent y aller, et s'ils ont besoin d'être hospitalisés, c'est possible également. Ce qui m'intéresse dans ce système, c'est l'activité et l'accent qui est mis sur la bonne organisation à la base. Bien que les Cubains ne disposent que de maigres ressources, il y a des gens qui réfléchissent à des questions telles que : « Si nous n'avons qu'une quantité limitée de pénicilline, quelle est la façon la plus judicieuse de l'utiliser? »
Le sénateur Mahovlich : J'ai de nombreux amis qui ont de l'argent et s'ils ont un problème de santé, ils vont aux États-Unis où il n'y a pas de file d'attente. Quand on a de l'argent, on n'a pas de problème, car on peut aller aux États- Unis. Les Cubains vont-ils en Amérique en cas de gros problème?
Dr Butler-Jones : Non, pas aux États-Unis.
Le sénateur Mahovlich : Pas besoin de sortir de Cuba.
Dr Butler-Jones : Ils recevront les soins nécessaires. On prodigue des soins très élaborés dans les hôpitaux cubains.
On pourrait avoir de longues discussions sur les comparaisons entre différents systèmes de santé, mais je dois partir bientôt. N'est-ce pas une excuse commode?
La présidente : Un sénateur n'a pas eu l'occasion de poser une question. Nous ferons cela avant que vous ne partiez.
[Français]
Le sénateur Biron : J'aimerais vous poser une question d'actualité et peut-être un peu philosophique quant à des choix à faire pour intéresser les jeunes en milieu rural, c'est-à-dire examiner la possibilité d'ouvrir des cliniques privées et d'offrir de meilleurs salaires. Cela pourrait-il réduire l'attente des hôpitaux? Un ticket modérateur aiderait-il à l'amélioration de la qualité du service et à la réduction du temps d'attente dans les hôpitaux? Que pensez-vous du ticket modérateur et des cliniques privées?
Dr Butler-Jones : En ce qui concerne la qualité des services, c'est une question d'option pour les gens.
[Traduction]
Si j'ai bien compris la question, ce n'est pas un lien simple. Si l'organisation est bonne à la base, le besoin de l'hôpital est moins grand; cela dépend de qui fournit le service ou de la façon dont les services sont financés.
Dans l'ensemble, l'accès est certainement plus facile aux États-Unis pour ceux qui ont l'argent, mais les Américains dépensent deux fois plus par personne en soins de santé que les Canadiens. En outre, les résultats pour les mêmes problèmes ne sont pas aussi bons que chez nous, même s'ils dépensent deux fois plus d'argent, du moins dans les domaines sur lesquels portent les études.
C'est moins une question de choix entre un système privé ou un système public qu'une question d'organisation des soins; cela dépend davantage du type de service fourni et de la façon de faire ces connexions.
Le sénateur St. Germain : Docteur, je viens d'avoir un problème au genou après avoir couru après des vaches dans mon ranch.
La présidente : À cheval?
Le sénateur St. Germain : Non, à pied.
J'ai payé 875 $ pour un examen par imagerie par résonance magnétique afin de découvrir ce qui n'allait pas et de régler le problème. Si j'avais eu recours au système public, il aurait peut-être fallu des mois pour passer ce type d'examen. Quand il y a des installations, on s'occupe des personnes qui ont les moyens de payer. La Commission des accidents du travail et divers autres organismes ont recours à ces cliniques privées pour que ça aille beaucoup plus vite pour les travailleurs et pour atténuer leurs coûts dans les diverses provinces.
J'aimerais avoir d'autres éclaircissements sur la réponse que vous avez donnée au sénateur Biron.
Dr Butler-Jones : Pour moi, ce n'est pas vraiment une question de choix entre un service privé et un service public, mais plutôt une question d'organisation et d'exécution des services. Le service peut être efficace dans un système comme dans l'autre. Il y a des avantages et des inconvénients dans l'un et l'autre cas.
Pour faire une comparaison avec le système américain, comme je l'ai déjà signalé, les Américains dépensent beaucoup plus dans ce domaine et, en fin de compte, ils n'obtiennent pas d'aussi bons résultats que nous pour le même type de problème de santé, aux mêmes étapes. Cela dit, on peut dispenser les soins beaucoup plus rapidement, mais ce n'est pas toujours une bonne chose en termes de complexité. Une intervention moins perturbatrice est parfois plus efficace ou moins dangereuse. On a signalé que plusieurs milliers d'Américains décèdent des suites d'un pontage qui n'était probablement pas nécessaire au moment où l'opération a été faite.
Une étude sur l'opération de la cataracte a été faite à Vancouver. On a constaté que la vue de 25 ou 26 p. 100 des personnes qui avaient subi ce type d'opération s'était détériorée, au lieu de s'améliorer. Ces personnes avaient-elles vraiment besoin de ce type d'opération à ce moment-là?
Il faut déterminer ce qui est essentiel pour la santé et ce qui est important pour la qualité de vie. Si quelqu'un a par exemple besoin d'une arthroplastie totale du genou pour pouvoir se déplacer, comment peut-on s'assurer que la liste d'attente ne soit pas trop longue? Par contre, de nombreuses personnes ayant suivi un traitement amaigrissant et fait de l'exercice pendant la période d'attente pour leur opération au genou ont ainsi pu éviter l'opération.
La plupart des médecins qui travaillent au Canada sont des praticiens d'exercice privé. Le débat concernant le choix entre un système public et un système privé masque certains des problèmes plus profonds. Si nous voulons régler les problèmes qui se posent dans le système de santé, il est essentiel avant tout d'avoir une connaissance approfondie du système, puis de s'attaquer aux problèmes, peu importent les méthodes de rémunération et d'organisation.
Le sénateur St. Germain : La question ne concerne pas vraiment le système américain. Est-ce que des établissements privés augmenteraient l'efficacité du système au Canada? Je ne pense pas que l'exemple américain soit applicable dans notre cas. Il s'agit de notre système.
Dr Butler-Jones : Je le sais, mais je ne suis pas sûr que nous connaissions la réponse.
La clinique Shouldice, par exemple, qui est financée par l'État, est un établissement privé. C'est probablement une des meilleures cliniques au monde pour se faire opérer d'une hernie. Elle fait un travail très efficace et les risques sont faibles. C'est une façon très efficace d'organiser des soins privés dans un système public. Si vous demandez au système privé de fournir des services qui l'intéressent, il le fera, car certaines cliniques ont tendance à dispenser les soins faciles, rentables ou à faible risque et à laisser la charge des soins plus complexes au système public. Cette situation provoque une distorsion du système et allonge les files d'attente dans le système public, comme on l'a constaté en Grande- Bretagne.
Je le rappelle, il n'y a pas de réponse facile à cette question. Personnellement, je pense qu'il est important d'examiner toutes les options et de tenir compte de tous les impacts sans trop généraliser, car c'est à partir de ce moment-là que des problèmes se posent.
La présidente : Je sais que vous devez partir, docteur Butler-Jones. Nous vous remercions d'être resté plus longtemps que prévu pour nous aider.
C'était extrêmement intéressant. Si les sénateurs veulent poser des questions à vos collaborateurs, serait-ce possible?
Dr Butler-Jones : Je suis le seul à devoir partir. Merci encore. Ce fut un grand plaisir pour moi d'être ici.
La présidente : Nous n'avons pas insisté beaucoup sur le cas des personnes âgées qui ne sont plus capables de se déplacer en voiture et qui vivent parfois dans un endroit trop éloigné de leur famille pour que celle-ci puisse leur venir en aide. Ça pose un problème dans les régions rurales. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?
Mme Zelmer : C'est peut-être surtout le cas dans les collectivités rurales où le pourcentage de personnes âgées est élevé par rapport au reste de la population, parce que les jeunes sont partis chercher du travail ailleurs. C'est un défi intéressant de réfléchir à ce problème. Le centre de Toronto est un milieu totalement différent de celui de la petite localité située à proximité de la ferme de mon enfance, dans le nord de l'Alberta.
Les solutions sont peut-être différentes également. C'est un des intérêts d'un examen des indicateurs de santé régionaux. Cela permet de constater que deux communautés différentes peuvent obtenir des résultats très différents en ce qui concerne les personnes âgées, en matière de santé comme telle et aussi en ce qui concerne les déterminants de la santé.
Que peuvent nous apprendre ces comparaisons? Nous n'avons pas toutes les réponses, mais nous pourrons peut-être tirer des enseignements de nos expériences respectives et aller frapper en quelque sorte à la porte de nos voisins pour leur demander d'expliquer leurs procédés qui sont différents des nôtres. La différence est peut-être due à la façon dont ils ont collaboré avec les groupes communautaires locaux ou au fait qu'ils su tirer parti d'un sous-sol d'église, car c'est un lieu de rencontre fréquemment utilisé dans la région où j'ai passé mon enfance. Ce n'est peut-être pas aussi facile quand on a des difficultés à se déplacer; il est peut-être nécessaire que ce soit au rez-de-chaussée.
Nous devons examiner les possibilités d'utiliser de façon créative les ressources communautaires pour fournir les soutiens sociaux qui ont été mentionnés par le Dr Butler-Jones et régler les problèmes d'accès dont nous avons également discuté.
La présidente : Cela peut poser également un problème pour ceux qui n'ont pas de voisins, qui vivent à la campagne et qui n'ont pas de famille dans le voisinage. J'ai entendu parler de cas semblables dans ma région.
Mme DesMeules : Je voudrais faire des commentaires sur les personnes âgées. C'est un segment de la population dont il est très important d'examiner le cas. Notre étude a révélé que les personnes les plus vulnérables dans les régions rurales et pour lesquelles les résultats en matière de santé sont les plus déplorables sont les populations moins âgées, surtout la jeunesse. Cette situation est liée au nombre d'accidents, de suicides, et cetera. Lorsque nous avons examiné spécifiquement le cas des personnes âgées, nous avons constaté que les différences entre les régions rurales et les régions urbaines étaient minimes, ce qui indique que quelque chose se passe et que, en milieu rural, les personnes âgées sont peut-être confrontées à des difficultés supplémentaires dans la vie quotidienne; il faudrait peut-être examiner la possibilité d'établir d'autres structures pour les aider. Elles pourraient rester plus longtemps avec des membres de leur famille au lieu d'aller dans une maison de soins infirmiers, par exemple. Nous avons constaté qu'il était essentiel d'examiner séparément le cas des personnes âgées, car il se passe peut-être des choses intéressantes à ce niveau-là.
Nous avons consacré beaucoup de temps ce matin aux soins de santé, et c'est une question d'une importance cruciale, mais le rapport à la préparation duquel nous avons participé met en évidence l'importance de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie. C'est un rôle important dans la société. En milieu rural, il est absolument impératif de trouver des possibilités novatrices d'améliorer la situation dans le domaine de la prévention.
Pour citer un exemple, nous venons d'entamer une étude ayant pour objectif de lutter plus efficacement contre le diabète. Cela aiderait certainement beaucoup en milieu rural. Il est essentiel d'accroître nos capacités de diagnostiquer le diabète. Comme nous le savons, un tiers des diabétiques ne savent pas qu'ils sont atteints et, dans les régions rurales, il faut peut-être plus de temps pour les repérer. S'ils ne voient pas régulièrement un médecin, des complications se sont peut-être déjà développées quand la maladie est diagnostiquée. Nous faisons actuellement des essais de nouvelles méthodes de diagnostic précoce avec des tests autoadministrés dans trois provinces. La population recevrait une trousse, un questionnaire et un test à faire soi-même. On peut détecter si on est prédiabétique, autrement dit si l'on risque de devenir diabétique; alors, on en est conscient et on peut faire de la prévention précoce.
C'est une des études que nous faisons en santé publique. Certaines interventions feraient une différence avant d'avoir besoin de dialyse. Il est essentiel d'examiner la solution en fonction de l'éventail complet des interventions différentes possibles.
Le sénateur Mahovlich : Est-il difficile de trouver des bénévoles pour aider les personnes âgées dans les régions rurales?
Mme DesMeules : Notre étude a notamment révélé que le sentiment d'appartenance est beaucoup plus fort dans ces régions; les personnes âgées et les autres habitants des régions rurales peuvent profiter de ce sentiment d'appartenance. Il est toutefois clair qu'il est essentiel de trouver des possibilités d'améliorer les structures sociales. Les bénévoles peuvent être une solution pour faciliter les connexions dans la collectivité. Vous attirez l'attention sur une option très prometteuse, mais vous avez raison de dire que c'est probablement plus difficile.
Par contre, le bénévolat n'est pas forcément populaire en milieu urbain non plus. Les citadins sont un peu plus individualistes dans le cadre de leur vie et au sein des collectivités. La vie communautaire a peut-être un peu moins d'importance à leurs yeux.
La présidente : Merci beaucoup. Si nous pensons à d'autres questions, nous vous le ferons savoir.
La séance est levée.