Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 25 - Témoignages du 10 mai 2007
OTTAWA, le jeudi 10 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 5 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et mesdames et messieurs les témoins. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui vont assister aux délibérations du Comité sénatorial permanent sur l'agriculture et les forêts. En mai dernier, notre comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
L'automne dernier, nous avons entendu le témoignage d'un certain nombre d'experts, qui nous ont dressé le tableau de la pauvreté rurale au Canada et, en nous fondant sur ces témoignages, nous avons publié en décembre, juste avant Noël, un rapport qui, à tous les égards, a éveillé les consciences. Nous en sommes maintenant à la deuxième étape de notre étude, qui nous amène à rencontrer la population du Canada rural. Nous nous sommes rendus jusqu'à présent à Athens, en Ontario, et dans les quatre provinces de l'est et de l'ouest. Dans ce cadre, nous avons eu la chance d'apprécier toute la diversité de la population rurale canadienne et de rencontrer des gens qui nous ont accueillis à bras ouverts au sein de leurs collectivités et parfois dans leurs foyers.
Notre comité a encore beaucoup de travail à faire. Il nous reste encore à visiter les collectivités rurales du nord de l'Ontario, du Québec et de nos territoires du Nord. Nous voulons entendre le plus de monde possible. En résumé, nous devons nous assurer de ne pas faire fausse route et de bien comprendre à la base en quoi consiste la pauvreté rurale.
Dans ce but, nous continuons à inviter des témoins à Ottawa, et ce matin nous allons entendre Jake Kuiken, membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS). L'ACTS, qui a été fondée en 1926, représente, au niveau national, ces 15 000 membres. Nous avons une heure ce matin pour couvrir avec ces témoins un large éventail de sujets. J'invite mes collègues à poser au témoin des questions aussi concises que possible pour lui permettre de répondre très précisément à tout le monde. Monsieur Kuiken, vous avez la parole pour commencer. Faites-nous un exposé général et mes collègues ne manqueront pas ensuite de vous poser des questions.
Jake Kuiken, conseil d'administration, représentant de l'Alberta, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux : Merci, madame la présidente.
Je me réjouis de me présenter devant vous en tant que travailleur social, et plus particulièrement en ma qualité de membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux.
Nous sommes heureux d'avoir la possibilité de faire cette intervention et de prendre part à la discussion sur le sujet que vous venez d'exposer, soit au dialogue national sur la question de la pauvreté rurale.
Comme vous venez de l'indiquer, l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux a vu le jour en 1926. J'ajouterais, en citant l'un de mes collègues présent sur le terrain depuis bien plus longtemps que moi, que nous sommes la plus ancienne organisation de travailleurs sociaux dans le monde. Le Canada est intervenu très tôt dans le domaine du travail social.
Nous représentons quelque 15 000 travailleurs sociaux au Canada. Nous avons été l'un des membres fondateurs, en 1928, de la Fédération internationale des travailleurs sociaux et il y a donc très longtemps que nous intervenons dans le domaine, préconisant l'adoption de politiques publiques sur de nombreux sujets, notamment sur la question de la pauvreté et des programmes sociaux.
J'ai pensé ce matin qu'il était préférable de développer un ou deux sujets évoqués dans notre document, qui d'ailleurs, loin d'être un mémoire structuré, ne se compose que de quelques notes qui doivent me servir de rappel.
Je n'ai pas manqué de prendre connaissance de certaines transcriptions des délibérations de votre comité. Dès le départ, j'ai vu que l'on avait évoqué la question de la signification du fait d'être pauvre. Je pense que vous avez entendu Christopher Sarlo et une organisation intitulée Citizens for Public Justice, que je connais assez bien. En tant que travailleur social, j'ai été frappé par le fait que la question de la définition de la pauvreté se résumait souvent en ces termes : combien faut-il gagner de dollars pour ne pas être pauvre?
Sans vouloir diminuer l'intérêt d'un chiffre précis, j'en suis venu, ces dernières années, à la conclusion que le plus important était de savoir ce que chacun était capable de faire ou de ne pas faire, d'être ou de ne pas être. Je pense qu'en tant que Canadiens et qu'êtres humains, nous aspirons tous à être et à faire tout ce qui est inhérent à notre qualité d'êtres humains.
Dans cet ordre d'idée, j'ai jugé particulièrement utile de me référer à Adam Smith, un auteur qui ne nous est peut- être pas totalement inconnu, mais auquel nous n'avons certainement pas tendance à penser immédiatement lorsque nous cherchons à redéfinir ce qui pour nous est important.
M. Smith, qui est souvent considéré comme le père du capitalisme, et que l'on a parfois tendance à critiquer, a bien compris ce qui faisait une bonne qualité de vie.
J'ai souvent évoqué ce qu'il nous disait à propos des chaussures. Dans son livre, La Richesses des nations, il nous dit qu'il ne faut pas que les gens aient honte de ce qu'ils sont et de leur apparence. Selon lui, s'il faut que l'on ait honte de ne pas avoir des chaussures en cuir, il est alors nécessaire que les gens aient des chaussures en cuir. Autrement dit, il établit ce que j'appellerais une règle des conventions.
Nous nous jugeons nous-mêmes, et nous jugeons les autres, en fonction des apparences, et selon cet auteur, les chaussures en cuir font partie essentiellement des conventions. Je le cite :
J'englobe dans les biens de première nécessité, non seulement les biens naturellement nécessaires, mais aussi les objets nécessaires selon les conventions établies pour les gens les plus pauvres de la société.
Je pense que cette considération est importante. Parmi les contemporains qui ont traité de cette question figurent l'économiste, Amartya Sen, qui a reçu le Prix Nobel, je crois, en 1998, et Martha Nussbaum, juriste qui enseigne à l'Université de Chicago. Ils ont élaboré ce que l'on a appelé la théorie des capacités. Je l'ai résumée brièvement, notamment en ce qui concerne l'interprétation qu'en donne Nussbaum. Vous l'avez ici devant vous.
J'aimerais ensuite évoquer certaines questions sociales auxquelles font face généralement les travailleurs sociaux dans le Grand Nord et dans les régions éloignées du Canada. Certaines données sont de type statistique. J'en ai tiré un certain nombre des rapports publiés récemment par différents ministères du gouvernement. L'un d'entre eux se pose la question suivante : quel est l'état de santé des populations rurales du Canada? On peut lire dans ce rapport qu'un plus grand pourcentage d'habitants des régions rurales ont un faible revenu. Il y a davantage de personnes obèses et de fumeurs dans les régions rurales. Dans les villes, les hommes vivent plus longtemps. Les risques de mortalité dans les régions rurales sont plus élevés, en raison de la plus grande incidence des maladies du cœur, des blessures et des suicides.
Par contre, le nombre de cancers est en général un peu plus bas. Les risques de mortalité dus aux maladies respiratoires sont nettement plus élevés chez les résidents des régions rurales.
J'évoque ces questions liées à la santé, parce que de nombreux travailleurs sociaux opèrent dans des établissements de santé au Canada. Je peux vous dire qu'il y a un an environ, certains problèmes de santé se sont posés à Calgary en ce qui a trait aux services d'urgence. Le directeur des services de santé de Calgary a engagé un certain nombre de travailleurs sociaux pour les placer dans les salles d'urgence de la Foothills Hospital pour qu'ils puissent aider les malades à surmonter les tensions et l'émotion en attendant d'être dirigés vers les différents services de santé. Les travailleurs sociaux sont en première ligne en matière de soins de santé, non seulement dans les villes mais aussi dans les établissements ruraux.
C'est ainsi par exemple que dans le nord de l'Alberta, la province que je connais le mieux, les travailleurs sociaux sont en première ligne lorsqu'il s'agit de dispenser des services de santé mentale.
J'ai tenu à faire quelques observations au sujet de ce que peuvent expérimenter les travailleurs sociaux dans les campagnes, les régions éloignées et le nord de notre pays.
Je répète que je dois beaucoup à mes collègues, qui m'ont aidé à élaborer cet exposé. Nombre de travailleurs sociaux ont insisté dès le départ pour me dire que la pauvreté découlait dans ce cas du manque de services.
Pour résumer, il nous est bien difficile de dispenser les services que l'on retrouve normalement dans les villes du Canada et les régions urbaines de l'ensemble du pays.
Prenons l'exemple des garderies. Il est difficile de faire garder les enfants dans de bonnes conditions. Le pourcentage de personnes qui travaillent en Alberta, qu'il s'agisse des hommes ou des femmes, est l'un des plus élevés au Canada, que ce soit ou non des parents ayant des enfants jeunes. Pourtant, ces familles, notamment celles qui ont des enfants jeunes, éprouvent bien des difficultés en raison de l'absence de garderies de qualité.
Pour ce qui est notamment des soins accordés à l'enfance, le fait de vivre dans les régions rurales du Canada pose de gros problèmes, parce que les travailleurs sociaux qui opèrent dans les services d'aide à l'enfance doivent systématiquement envoyer les enfants dans des établissements situés dans les régions urbaines, loin de leur foyer rural. Ces enfants nécessitent souvent des soins qui ne leur permettent pas de bien profiter du traitement loin de leur foyer ou de la collectivité à laquelle ils sont habitués.
Je dirais que la pauvreté est souvent à la base de ces différents problèmes sociaux. Dans un autre ordre d'idée, la Division criminelle de la GRC a publié, je crois, un rapport en 2006, au sujet des différents facteurs contribuant à la criminalité, notamment à la constitution de groupes criminels. Ce rapport isole notamment le facteur de la pauvreté en tant qu'élément contributif. Selon l'argumentation évoquée, les jeunes sont dans l'impossibilité d'être et de faire ce qu'ils veulent, et ils ne réussissent pas à réaliser leur potentiel. En conséquence, ils recherchent d'autres jeunes qui sont dans la même situation, ce qui entraîne la constitution de groupes criminels.
Je tenais aussi à évoquer la question du travail social en milieu autochtone. J'ai relevé ces différents facteurs lors de mes interventions devant mes collègues lorsque j'étais président du Collège des travailleurs sociaux de l'Alberta. En premier lieu, l'extrême pauvreté des Autochtones dans le Nord et dans les régions éloignées de notre pays a un effet dévastateur. L'abus d'alcool et de stupéfiants et la violence familiale y ont une incidence exceptionnelle. Là encore, tous ces facteurs sont liés à la pauvreté.
Dans ces milieux, les travailleurs sociaux éprouvent même de la difficulté à garder de l'espoir face à une situation qui apparaît désespérée. Votre comité sait peut-être que de nombreux travailleurs sociaux auxquels j'ai pu parler évoquent le problème des petits jeux politiques auxquels se livrent le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités et les Premières nations. Ces petits jeux empêchent de trouver des solutions à nombre de problèmes sociaux que rencontrent les travailleurs sociaux qui opèrent dans les collectivités autochtones.
Voilà tout ce que je voulais dire pour l'instant. Je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Le sénateur Callbeck : Votre association existe depuis longtemps. Elle a vu le jour en 1926. Vous nous avez rappelé que vous aviez pris part à l'élaboration de nombreuses politiques.
Vous avez évoqué les questions sociales touchant les régions rurales du Canada. Je voudrais vous interroger sur la stratégie à suivre. Nous savons que Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que le Québec ont des stratégies antipauvreté. Que pensez-vous d'une stratégie nationale? Faut-il envisager la question? Par où commencer, et quelles sont les recommandations que vous pourriez faire à ce sujet?
M. Kuiken : C'est une question intéressante. Je m'efforcerai d'y répondre de mon mieux. Dans le cadre d'une stratégie nationale, nous avons besoin comme jamais de l'excellent travail qui est fait au Québec ainsi qu'à Terre- Neuve-et-Labrador.
Il faut au Canada une certaine forme de revenu annuel garanti. Il y a d'autres façons de définir la chose. À certains égards, nous avons déjà établi toute une série de revenus garantis, mais nous n'avons pas beaucoup avancé sur le plan des programmes. Ainsi, nous avons les services du bien-être au niveau provincial. Au niveau national, il y a le régime des pensions et l'assurance-emploi. Nous avons toute une série de programmes que je qualifierais de parcellaires, qui s'adressent à différentes catégories de personnes.
Il est temps de mettre en place un mécanisme plus global et uniforme regroupant et éliminant tous ces programmes catégoriels. Le Canada l'a déjà fait par le passé. À la fin des années 1940, et tout au long des années 1950, nous avons discuté de ce qu'est devenu finalement le Régime d'assistance publique du Canada. À bien des égards, c'était là un magnifique programme, qui permettait aux crédits fédéraux, aux crédits provinciaux et, dans certaines provinces, aux crédits municipaux, d'être affectés à un certain nombre de questions sociales.
Cette loi, si je me souviens bien de son préambule, visait à éliminer la pauvreté et à éviter que les enfants soient confiés aux services de l'aide à l'enfance. C'était là l'objectif principal.
Il nous faut chercher à supprimer les programmes catégoriels et à adopter un cadre législatif global qui tire le meilleur parti possible des capacités du gouvernement fédéral et des provinces.
D'ailleurs, le Régime d'assistance publique du Canada a permis de se débarrasser de nombreux programmes parcellaires ou catégoriels mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Je propose que l'on s'oriente, faute d'une meilleure terminologie, vers un revenu annuel garanti.
Le sénateur Callbeck : Le Régime d'assistance publique du Canada présentait évidemment un autre intérêt, en ce sens que nous savions exactement à quoi les provinces allaient consacrer leurs crédits.
M. Kuiken : Effectivement.
Le sénateur Callbeck : Bien entendu, avec les enveloppes globales, tout devient différent.
M. Kuiken : Oui, je ne sais plus exactement quand cela a eu lieu, mais je crois que c'était dans les premières années du gouvernement Trudeau. Dans son livre orange, le ministre Lalonde a fait quelques expériences, je crois au Manitoba, sur la question du revenu annuel garanti. Je sais que la question a été étudiée. Je n'ai pas eu connaissance d'un rapport définitif, mais je me souviens que l'expérience avait relativement bien marché.
Que nous expérimentions ce genre de choses ou que nous partions de la situation actuelle, il nous faut supprimer les programmes catégoriels. Ils ne font que diviser les gens. Un grand nombre de lois provinciales s'appuient sur les valeurs de ceux qui ont certains mérites en les opposant à l'absence de mérite d'autres couches de la population. C'est ce qui ressort de la législation sur le bien-être de nombreuses provinces.
Le sénateur Callbeck : Donc, vous aimeriez que l'on instaure un cadre global et, qu'un seul palier de gouvernement s'en charge?
M. Kuiken : C'est là qu'intervient la complexité des compétences fédérales et provinciales. C'est une chose qui doit être négociée entre les deux paliers de gouvernement.
Le sénateur Callbeck : Dans un autre ordre d'idée, les conditions de travail des travailleurs sociaux ont comme toute chose largement évoluées ces dix dernières années. Quelle est l'influence d'Internet dans ce domaine? Vous servez-vous d'Internet pour dispenser certains services?
M. Kuiken : Oui, un certain nombre de travailleurs sociaux font de la consultation sur Internet. Certains travaux ont été faits au plan international, notamment aux É.-U., aux termes d'une collaboration entre l'Association of Social Work Boards et la National Association of Social Workers. L'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux a passé certains accords avec la National Association of Social Workers, la NASW, sur un certain nombre de questions. Nous savons que des consultations sur Internet ont lieu. Du point de vue réglementaire, domaine dans lequel ont été soulevées certaines préoccupations, la compétence est provinciale, et un certain nombre d'organismes de réglementation provinciaux examinent ces différentes questions ainsi que leurs implications.
Il y a des travailleurs sociaux qui dispensent des services de consultation sur Internet.
Le sénateur Callbeck : Vous nous dites que les provinces examinent la question des règlements. Donnez-nous certains exemples de questions qui peuvent se poser.
M. Kuiken : L'une des questions qui se pose, c'est qu'à partir du moment où l'on fait des consultations sur Internet, il n'y a plus de limites aux consultations. Les personnes concernées peuvent être à l'autre bout du monde. Que vont pouvoir faire les organismes de réglementation alors que leur compétence est provinciale? Que faire face à une plainte déposée en Europe, par exemple? Ce sont là des questions qui se posent. Il y a la question de la confidentialité. On peut toujours prendre des précautions pour garantir la confidentialité, mais les abus sont très répandus sur Internet.
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de votre exposé, monsieur Kuiken. En vous entendant dire certaines choses, je me suis inquiété des conditions de vie dans les régions rurales du Canada, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de facteurs positifs. Ainsi, vous nous avez dit qu'il y avait davantage de fumeurs et de personnes obèses chez les pauvres et parmi les gens qui habitent dans les régions rurales. Le risque de mortalité ainsi que l'incidence des maladies respiratoires sont plus grands dans les régions rurales. Le niveau d'instruction est plus faible chez les habitants des régions rurales. Ils ont une vie moins saine. Il y a toute une liste de facteurs négatifs.
La situation n'est pas bonne et je me demande bien pourquoi on voudrait vivre dans les campagnes du Canada s'il faut en croire les conclusions de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux. À quoi bon conseiller aux gens d'habiter dans les régions rurales du Canada si telle est la situation?
M. Kuiken : La question est intéressante. J'avouerai que ce pourrait bien être l'effet en partie des préjugés de notre profession vis-à-vis de ces statistiques. C'est le premier commentaire que je ferai.
Je dois aussi préciser que ces données sont celles du gouvernement du Canada. La question de savoir quel est l'état de santé des habitants des régions rurales de l'Alberta relève de l'initiative sur la santé dans la population canadienne. Je me suis contenté de résumer les statistiques publiées par ce programme.
Il y a bien des avantages aussi à vivre dans les régions rurales du Canada. Nombre de gens sont bien décidés à habiter les régions rurales du Canada et s'en sortent très bien, qu'ils travaillent dans l'agriculture, dans les forêts, ou dans le secteur pétrolier, puisqu'il s'agit de l'Alberta. J'ai habité toute ma vie à Calgary et je vois souvent les avantages qu'il y a à vivre en dehors des grandes zones très peuplées.
Le sénateur Oliver : Du point de vue des statistiques, sur le plan de la santé, pourquoi prendrait-on le risque?
M. Kuiken : C'est peut-être justement la raison pour laquelle votre comité tient ces audiences, parce qu'en effet ce sont là des questions importantes. J'ai évoqué la question du manque de services, du point de vue des travailleurs sociaux. Je n'ai fait qu'évoquer le cadre précis dans lequel opèrent les travailleurs sociaux.
Les études que j'ai consultées nous indiquent que les habitants des grandes zones urbaines ont accès à toute une gamme de services. Par contre, lorsqu'on habite dans les régions éloignées du nord de l'Alberta ou de la Saskatchewan, il n'y a pas beaucoup de services. À moins qu'ils soient intégrés à une collectivité particulière et, qu'à l'instar des Autochtones, ils s'identifient de façon bien particulière au territoire sur lequel ils vivent, de nombreux problèmes se posent sur le plan de la qualité de la vie.
Le sénateur Oliver : J'estime qu'à bien des égards, la qualité de vie dans les régions rurales du Canada peut être excellente.
M. Kuiken : C'est tout à fait vrai pour ceux qui ont certains moyens. Pour les pauvres, la situation n'est pas aussi bonne.
Le sénateur Oliver : Voilà qui m'amène à poser ma dernier question. J'ai été fasciné par votre théorie des capacités. Vous vous êtes référé à deux auteurs à la page 3. Si je comprends bien le document, Mme Nussbaum dresse la liste de 10 capacités qui, selon elle, permettraient aux gens de mieux fonctionner : en l'occurrence, les capacités correspondant à ce qui fait que nous sommes des êtres humains et que nous opérons comme des êtres humains. Nussbaum fait état des émotions, des questions pratiques et du rapport avec les autres. Notre étude portant sur la pauvreté rurale, j'ai pris l'exemple de la relation avec les autres. Vous nous dites dans votre exposé :
Être en mesure de vivre avec les autres, et en relation avec eux, pouvoir prendre conscience des autres et s'en préoccuper en tant qu'être humains, pouvoir prendre part à différentes formes de rapports sociaux [...]
Lorsqu'une personne est pauvre et qu'elle habite dans une région rurale du Canada, comment peut-elle ainsi entrer en relation avec les autres telle que cette notion est définie dans votre étude?
M. Kuiken : C'est une bonne question. Je vais vous faire part de ce qui m'est arrivé personnellement il y a deux ans, alors que je travaillais dans la banlieue est de Calgary au sein de collectivités diversifiées et relativement pauvres. Mon personnel avait mis en place un programme destiné aux femmes. Un certain nombre de femmes habitant à l'extérieur de Calgary s'en sont prévalues, l'une d'entre elles étant une Autochtone aux prises avec des problèmes de santé mentale et d'aide à l'enfance. Lors d'une de nos discussions de groupe, cette femme nous a dit qu'il lui fallait pêcher dans la rivière Bow pour que ses enfants puissent avoir des protéines. Elle habitait à 50 milles à l'extérieur de Calgary.
Lorsqu'on habite dans une région rurale, la possibilité d'entrer en relation avec les autres est très limitée. Les différentes caractéristiques que j'ai citées dans le cadre de cette étude sur la santé s'appliqueraient probablement à sa vie.
Le sénateur Oliver : Les 10 capacités évoquées dans votre mémoire seraient difficiles à atteindre pour les habitants pauvres des régions rurales.
M. Kuiken : Oui, en effet.
Le sénateur Oliver : Que devons-nous en conclure en tant que membres du comité chargés d'étudier la pauvreté rurale?
M. Kuiken : J'en reviens à la question posée par le sénateur Callbeck concernant la façon d'aborder le problème de la pauvreté. J'ai oublié de dire en répondant à sa question que nous avions une tradition au Canada lorsqu'on parle du salaire minimum. Il nous faut élargir la discussion et adopter un salaire qui permette de vivre. À mon avis, on ne devrait pas pouvoir exiger au Canada qu'une personne qui travaille ne puisse gagner suffisamment d'argent pour vivre une vie décente, raisonnable, dans les conditions exposées par AdamSmith en 1776.
On voit un peu partout au Canada des groupes communautaires locaux revendiquer de plus en plus des salaires décents plutôt qu'un salaire minimum. En Alberta, par exemple, le salaire minimum est actuellement de 7 $ de l'heure. Je regrette, mais on ne peut pas vivre avec 7 $ de l'heure lorsqu'on habite Calgary. On ne peut pas trouver un logement et se nourrir. Dans les zones rurales de l'Alberta, la question se pose dans les mêmes termes. Il nous faut un salaire qui permette aux gens de gagner suffisamment d'argent pour vivre raisonnablement, de manière décente. Au départ, c'est dans le cadre du marché qu'il faut aborder la question. C'est la façon dont nous avons décidé d'évoquer ces différents enjeux.
Pour ceux qui ne peuvent travailler pour une raison ou pour une autre, nous devons envisager la possibilité d'un revenu garanti ou d'un programme de soutien global des revenus.
Le sénateur Oliver : C'est l'un des éléments qu'envisage de son côté notre comité sur la question de la pauvreté rurale. Pensez-vous qu'un certain montant d'argent, des crédits ou un revenu soient susceptibles de régler la question? Cela étant, y a-t-il d'autres éléments dont vous voudriez que notre comité tienne compte?
M. Kuiken : J'ai évoqué le manque de services. Cela tient évidemment au manque de crédits. Nous devons faire preuve de plus d'initiatives concernant la façon de dispenser les services dans les régions rurales et éloignées de notre pays. Certains de mes collègues, notamment dans le secteur de l'aide à l'enfance, placent les enfants au sein de collectivités qui ne sont pas celles dans lesquelles ils ont été élevés. Il nous faut reconsidérer toutes ces questions lorsque nous séparons les enfants, avec raison dans bien des cas, non seulement de leur famille, mais aussi de leur collectivité locale. Que faut-il améliorer?
Le sénateur Peterson : Je vous remercie de l'exposé que vous nous avez présenté ce matin. Nous parlons de la pauvreté rurale, mais il y a aussi la pauvreté urbaine. Vous avez évoqué la question des fumeurs, de l'obésité et des maladies respiratoires en relation avec la pauvreté rurale. Doit-on entendre par là que ces problèmes ne se posent pas dans les zones urbaines, ou qu'ils ont des incidences différentes?
M. Kuiken : J'ai évoqué le rapport intitulé Comment se portent les Canadiens vivant en milieu rural, qui établit précisément les distinctions entre population rurale et population urbaine. Cela ne veut pas dire pour autant que ces problèmes ne se posent pas dans milieux urbains. L'incidence de ces facteurs est plus grande dans les régions rurales.
Le sénateur Peterson : Lorsqu'on dispense des services sociaux, quel est le plus petit dénominateur? Comment fait la population d'un village de 200 habitants pour accéder aux services sociaux lorsqu'il n'y en a évidemment pas sur place?
M. Kuiken : Dans certains cas, notamment dans le nord du pays, il n'est pas rare qu'un travailleur social se retrouve tout seul, et le plus souvent toute seule, au sein de la petite équipe de personnel qualifié de la collectivité. Les seuls responsables seront éventuellement le personnel de la GRC, une infirmière ou un travailleur social. Il se peut qu'ils habitent un village du type que vous venez d'évoquer et qu'ils desservent d'autres villages du même type dans la région.
Je dois vous dire en passant que j'ai été surpris, il y a quelques années, en tant que travailleur social en milieu urbain, d'entendre l'une de mes collègues me dire qu'elle allait suivre un cours spécialisé parce qu'elle était nommée dans le nord de l'Alberta. Quel cours, lui ai-je demandé? Elle m'a répondu qu'elle allait apprendre à conduire un véhicule à quatre roues motrices. Comme elle allait se retrouver dans une localité accessible uniquement avec ce genre de véhicule, il lui était indispensable de prendre un cours de conduite spécialisée.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé d'extrême pauvreté dans les régions éloignées. La définition est-elle alors différente? Il est évident que le manque d'argent n'est pas le critère absolu, j'imagine. Faut-il alors retenir des facteurs tels que la nutrition ou les soins de santé? Quels sont les critères que l'on doit considérer dans notre rapport?
M. Kuiken : Tout rapport, quel qu'il soit, doit nous servir de guide mais aussi, fixer les grandes orientations. J'espère que le rapport que va publier votre comité fixera de grandes orientations qui inciteront et habiliteront les Canadiens des régions rurales comme des villes à mieux vivre. Au Canada, nous mettons les choses en place progressivement, et il nous faut le faire aussi dans ce domaine. Ce rapport devra prévoir de grandes orientations vers lesquelles nous devrons tendre. Il faudra dépasser les besoins essentiels et s'orienter vers un certain nombre de projets dont a parlé le sénateur Oliver, en ce qui a trait à la relation avec les autres, par exemple, et à l'ensemble de nos aspirations.
Le sénateur Peterson : Nous avons pu lire que dans certains cas, les services sociaux ont mal servi leurs clients. Est-ce que cela s'explique par une surcharge de travail, un manque d'encadrement ou encore des chevauchements de compétence ou des doubles-emplois que l'on n'a pas su résoudre? Est-ce qu'au sens large, les services sociaux doivent faire partie intégrante de l'établissement de ces grandes orientations?
M. Kuiken : C'est indispensable, et je tiens à évoquer plus particulièrement le cas des collectivités autochtones, en raison de l'extrême pauvreté dont elles souffrent et de la complexité des problèmes auxquels elles font face. Je n'ai pas la solution. Une bonne part des efforts que nous avons faits pour aider et habiliter les membres des Premières nations autochtones à se prendre en charge ont échoué. Je considère qu'il faut que ce groupe en particulier soit visé par un tel rapport.
Le sénateur Mahovlich : Le fossé entre les riches et les pauvres est-il plus grand en milieu rural qu'en milieu urbain?
M. Kuiken : Je crois savoir qu'il en est bien ainsi. Je ne sais plus quel est l'écart-type permettant de mesurer l'inégalité des revenus dans les régions rurales du Canada mais, si je me souviens bien, la pauvreté est plus grande dans les campagnes que dans les villes du Canada. Cette situation pourrait bien être liée au manque de disponibilité des programmes de soutien du revenu. C'est ce que je crois comprendre.
Le sénateur Mahovlich : J'ai lu hier dans le journal que ce fossé s'élargit. Nous n'avons rien comblé du tout.
M. Kuiken : C'est exact. D'après ce que j'ai pu voir, la disparité des revenus entre les nantis et ceux qui n'ont rien s'est aggravée ces dernières années au Canada. Voilà 41 ans que je suis travailleur social, même si c'est en milieu urbain. Si j'en crois ma propre expérience, la situation s'est nettement aggravée ces 10 ou 15 dernières années pour les gens qui ont du mal à joindre les deux bouts.
Le sénateur Callbeck : À votre avis, est-ce que les cas de violence familiale ont largement augmenté dans les régions rurales du Canada?
M. Kuiken : J'ai eu la chance de suivre récemment un cours dont l'une des étudiantes était spécialisée dans les incidents et les problèmes de la violence familiale. Elle a relevé deux facteurs. Pour commencer, nous prenons aujourd'hui davantage conscience du problème. Les cas recensés sont peut-être plus nombreux qu'auparavant. En second lieu la complexité des problèmes de violence familiale et la compréhension que nous en avons augmentent. La population signale plus fréquemment les cas de violence familiale. C'est un élément qui est de plus en plus considéré comme étant critique pour le bien-être des enfants. Les enfants qui font l'expérience de la violence familiale finissent par se retrouver de ce fait pris en charge par le réseau d'aide à l'enfance.
Le sénateur Callbeck : J'en conclus que selon les statistiques, la violence familiale augmente, mais que cela s'explique en partie par le fait que nous en avons pris davantage conscience et que nous signalons plus facilement les différents cas.
En fonction de votre expérience, ou aux yeux de votre association, quelles sont les recommandations que vous aimeriez voir adopter par notre comité pour faire cesser ou diminuer la violence familiale en milieu rural?
M. Kuiken : En premier lieu, il faut qu'il y ait davantage de services disponibles. Les populations rurales souffrent d'un manque de services. Nous devons faire preuve de plus d'initiatives lorsqu'il s'agit de dispenser des services. Deux grandes institutions devraient s'avérer utiles, à mon avis. D'abord, le réseau des soins de santé, et ensuite le réseau de l'éducation. L'un ou l'autre de ces réseaux accueille tôt ou tard les membre des familles et leurs enfants. Nous ne tirons pas parti de tout le potentiel qu'offrent ces institutions lorsqu'il s'agit d'intervenir dans certains cas précis.
Je dois préciser sur ce point que toute la responsabilité ne doit pas incomber aux enseignants. Il appartient aux enseignants d'enseigner et il faut qu'ils aient tout le temps disponible pour ce faire. Il nous faut cependant établir d'autres services de soutien au sein des réseaux d'éducation et de la santé dans les régions rurales du Canada, services qui ne sont pas nécessairement disponibles à l'heure actuelle.
Le sénateur Callbeck : Vous nous dites qu'il faut faire preuve de plus d'initiatives lorsqu'on dispense des services. Vous faites état de la santé et de l'éducation ainsi que d'autres services de soutien. J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur ces deux points.
M. Kuiken : Les collectivités de bénévoles ont quelque chose à offrir. Les collectivités rurales ont un sens aigu du bénévolat et de ce que j'appelle le soutien communautaire, l'entraide mutuelle, le travail au sein des différentes organisations concernées, que ce soient les clubs 4-H ou les différentes associations agricoles, mais en intégrant un certain nombre de ces enjeux dans leurs discussions.
J'ai moi-même débuté ma carrière il y a des années en faisant de l'aide sociale, et c'est probablement la meilleure formation qui soit pour un travailleur social. J'ai rencontré toutes sortes de problèmes cette année-là. Je n'avais encore jamais rien rencontré de nouveau, comme ce fut le cas, notamment en matière de violence familiale, mais nous n'étions pas aussi familiarisés avec la dynamique de la violence familiale que nous ne le sommes actuellement. Je peux vous dire que je ferais les chose différemment. Il faut, à mon avis, faire prendre conscience des réalités. J'ai évoqué les réseaux de la santé, de l'éducation, du bénévolat et des différentes associations confessionnelles. Il y a là différents vecteurs de prise de conscience. C'est une première étape. Il faut ensuite dispenser les services. Ce n'est pas toujours facile dans les collectivités rurales du Nord.
Le sénateur Callbeck : Dans un premier temps, il faut une prise de conscience. Quel rôle doit alors jouer le gouvernement?
M. Kuiken : J'ai évoqué précédemment le Régime d'assistance publique du Canada parce que j'ai toujours pensé que la loi était un bon outil. L'Alberta est la seule province, si je ne me trompe, qui a directement impliqué les municipalités et, à leur tour, ces dernières continuent à financer des groupements locaux chargés de définir les besoins et de dispenser des services. En Alberta, les services sont dispensés, en fonction des besoins qui ont été constatés, en tirant parti des subventions fédérales, provinciales et municipales, et de l'ensemble des crédits disponibles, y compris en provenance des associations bénévoles. Je crois qu'à l'heure actuelle, 104 collectivités différentes dispensent en Alberta des services de soutien familial et communautaire. D'ailleurs, l'intervenant qui va suivre, qui est originaire de l'Alberta, a déjà été président de l'Association albertaine des services de soutien familiaux et communautaires. Ce programme, institué en vertu de la loi fédérale, s'est révélé très novateur dans tous ces domaines : prise de conscience, création puis fourniture des services.
Le sénateur Callbeck : De quel programme s'agit-il?
M. Kuiken : Au niveau fédéral, il s'agissait du Régime d'assistance publique du Canada. En Alberta, c'était à l'origine la Loi sur les services sociaux de prévention de 1966, qui est devenue par la suite la Loi sur les services de soutien familiaux et communautaires. Comme je vous l'ai expliqué, les trois paliers de gouvernement se sont partagé les coûts avec les groupements communautaires locaux afin de dispenser les services définis par ces derniers. Il s'agissait d'un programme novateur. Nombre de particularités parmi les plus intéressantes du Régime d'assistance publique du Canada ont disparu lorsque ce dernier a été remplacé par le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.
Le sénateur Callbeck : Le RAPC était financé à parts égales. Le gouvernement fédéral et la province versaient chacun 50 ¢.
M. Kuiken : L'Alberta bénéficiait d'une entente particulière. Le gouvernement fédéral versait 50 ¢, la province 30 ¢ et les municipalités 20 ¢.
La présidente : Lorsque le gouvernement fédéral a mis en place, il y a quelques années, le programme des infrastructures, à la grande surprise de bien des gens, c'est l'Alberta qui a été la première province à engager sa participation en donnant par la même occasion aux municipalités la possibilité d'intervenir. Ça a marché.
Le sénateur Oliver : Au début de votre exposé, vous avez évoqué une chose dont vous avez reparlé en répondant à une question posée par le sénateur Callbeck. Vous avez fait mention de l'ouvrage d'Adam Smith, La Richesse des nations, dans lequel celui-ci définit les biens de première nécessité dont chacun a besoin dans la vie, riche comme pauvre. C'est ainsi qu'en 1776, Adam Smith parle de « convention établie ». Pour plus de précision, je vous cite ce passage :
J'englobe dans les biens de première nécessité, non seulement les biens naturellement nécessaires, mais aussi les objets nécessaires selon les conventions établies pour les gens les plus pauvres de la société.
Selon vous, en tant que travailleur social expérimenté, quelles sont, à l'heure actuelle, ces conventions établies? Qu'est-ce qui fait partie aujourd'hui des biens de première nécessité?
M. Kuiken : En premier lieu, il faut que les gens aient un salaire qui leur permette de vivre. Il est évident que les biens indispensables sont l'alimentation, les vêtements, le logement, les transports, les soins de santé, les garderies et les loisirs. Partons du principe que nous dormons huit heures par jour, que nous travaillons huit heures et qu'il nous reste huit heures, ou une partie de celles-ci pour nos loisirs. Nous devons nous demander ce que nous allons faire pendant nos heures de loisirs, qu'il s'agisse de travail bénévole ou d'autres activités, mais toutes ces choses sont absolument indispensables à notre bien-être, quelle que soit la répartition que l'on fasse entre notre propre bien-être et celui de l'ensemble de la collectivité.
Les biens de première nécessité dans notre vie actuelle sont largement plus étendus que nous ne l'avons défini dans nos programmes de soutien du revenu, ou selon une mentalité axée sur le salaire minimum. J'y engloberais le temps de loisir. Le temps que les Canadiens consacrent à leurs loisirs est important pour leur qualité de vie.
Le sénateur Oliver : Les pauvres ont eux aussi besoin de cette qualité de vie.
M. Kuiken : C'est indispensable : d'ailleurs, les études portant sur les avantages procurés par les activités de loisir nous montrent qu'elles revêtent une très grande importance, notamment pour les enfants. Ils se sentent alors plus confiants à partir du moment où ils peuvent entrer en relation avec les autres. Compte tenu de la diversité de notre pays, il n'y a rien d'aussi important que les activités de loisir amenant tout simplement les enfants à jouer. Ces activités renforcent le sentiment d'appartenance à la collectivité, que l'on vive dans les campagnes ou dans les villes du Canada. Ces enfants joueront peut-être au hockey sur les chemins de nos campagnes pour aller sur les patinoires de nos villes, mais cela leur permettra de s'intégrer.
Le sénateur Oliver : Est-ce qu'il faudrait, selon vous, que le gouvernement fédéral ou que les provinces s'impliquent?
M. Kuiken : Oui, mais il faudrait peut-être que les gouvernements cherchent les moyens adéquats. Je ne demande pas nécessairement aux gouvernements de tout financer, mais il leur faut créer et multiplier des infrastructures pour rendre les choses possibles. Par infrastructure, j'entends éventuellement des crédits à l'investissement et non pas des crédits de fonctionnement.
Nous devons nous demander dans notre pays ce qu'il est possible de faire car, en fin de compte, il s'agit de l'avenir de nos enfants et des enfants de nos enfants. Nous avons la possibilité, de modifier véritablement la vie de la prochaine génération. Les études l'indiquent clairement, notamment en ce qui a trait aux loisirs.
Le sénateur Mahovlich : Lorsque j'étais jeune, il y avait un club Rotary et un Lion's Club. Où sont-ils passés? Exercent-ils toujours leurs activités dans les régions rurales du Canada? J'ai grandi dans le nord de l'Ontario.
M. Kuiken : Je ne sais pas jusqu'à quel point ils sont actifs dans les régions rurales du Canada, mais je peux vous dire que de nombreux clubs de service sont à la recherche de membres. J'ai pris récemment la parole dans un club Kiwanis de Calgary. Comme nous, ses membres avaient les cheveux gris. Ce sont des gens très bien, mais ils sont fatigués. Voilà 20 ou 30 ans qu'ils font ce travail, et il n'y a personne pour prendre la relève. Nous devons reconsidérer tout cela.
Le sénateur Mahovlich : Les jeunes ne s'engagent pas dans cette voie. Ils sont probablement trop occupés, ou ils n'ont pas suffisamment de temps de loisir.
M. Kuiken : Dans la mesure où l'on dispose de temps de loisir, il est bien rare que les personnes à faible revenu puissent en profiter.
Personnellement, j'étais membre, il y a quelques années, d'un club de loisir s'adressant aux travailleurs sociaux de la ville de Calgary et, tous les midis, j'avais pris l'habitude de me rendre au centre de conditionnement physique local de l'est de Calgary pour y faire des longueurs de piscine. Nous étions trois ou quatre dans la piscine en semaine. Chaque séance nous coûtait 5 $. Le dimanche, la ville organisait une séance spéciale pour 1 $. Il en coûtait 1 $ pour nager dans la piscine. En été, plus particulièrement, les familles faisaient alors la queue dehors parce que le prix était alors abordable, mais elles ne pouvaient pas payer les 5 $ de frais d'utilisation. Il y a une dichotomie entre les nantis et ceux qui n'ont rien, et cela a des conséquences bien précises sur la vie de nos enfants.
Le sénateur Mahovlich : Ce n'est pas normal. Un petit garçon pauvre devrait pouvoir aller nager dans la piscine.
M. Kuiken : Vous avez tout à fait raison.
La présidente : Il n'y a pas très longtemps, le service des sports du gouvernement fédéral a lancé une étude nationale pour savoir ce que les différentes collectivités jugeaient le plus important pour aider les jeunes à faire du sport et, au bout du compte, à prendre part aux sports de compétition, qui ont toujours été à l'honneur au Canada.
Dans toutes les régions du Canada, les localités ont répondu qu'il fallait en revenir à l'époque où il existait des endroits pour jouer facilement au hockey ou pour aller nager, des installations mises à la disposition de la population à tous les niveaux, intégrées à la communauté, à un prix abordable. Dans une large mesure — et ce sont des facilités qui existaient effectivement lorsque j'étais jeune — pour une question de rentabilité ou autre, tout cela a disparu. C'est une grosse perte, non seulement pour les milieux sportifs, mais aussi pour les milieux de la santé.
Ce fut un grand plaisir de vous accueillir parmi nous, monsieur Kuiken. Vous serez heureux d'apprendre que nous avons entendu un peu plus tôt cette semaine, Marie Logan, de Lomond, qui a souligné l'importance des clubs 4-H. Nous entendons parler de toutes ces choses et nous en tirons profit.
Notre deuxième groupe de témoins, ce matin, représente la Fédération canadienne des municipalités. Nous accueillons parmi nous Don Johnson, président du Forum rural, et Susan Villeneuve, analyste principale des Politiques, qui vont nous parler des municipalités rurales du Canada.
Nous avons une heure pour évoquer tout un éventail de sujets avec ces témoins, et j'invite donc mes collègues à faire preuve d'un maximum de concision lorsqu'ils posent leurs questions afin que nos témoins aient le temps de répondre de la façon la plus complète possible.
Don Johnson, président, Forum rural, Fédération canadienne des municipalités : C'est un honneur pour moi d'être ici ce matin. Merci de m'avoir invité à vous rendre visite. Nous espérons pouvoir apporter des éléments nouveaux qui seront utiles à vos délibérations.
Au nom de la population du sud de l'Alberta, laissez-moi vous remercier des initiatives que vous avez prises en faveur de la collectivité rurale du sud de l'Alberta. Je sais que cela s'est traduit par des résultats au niveau fédéral. Votre présidente est très connue et très respectée dans votre région.
La présidente : Je vous remercie.
M. Johnson : Nous vous souhaitons le meilleur séjour au nom de l'Alberta et de la FCM, la Fédération canadienne des municipalités.
Merci de nous avoir donné la possibilité de comparaître aujourd'hui devant votre comité. Le maintien du dynamisme de nos collectivités rurales dépend étroitement des succès que rencontrera le Canada dans la compétition économique mondiale, qui exige le maintien d'une bonne qualité de vie pour tout le monde.
Comme l'indique votre rapport intérimaire, il n'est pas toujours très simple de définir les termes « rural » et « pauvreté » mais il n'en reste pas moins que les problèmes économiques et sociaux dus à la pauvreté affectent une grande partie des régions rurales du Canada.
Les collectivités rurales du Canada jouent un rôle fondamental pour le tissu économique et social et l'écologie de notre pays, et pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à éprouver des difficultés. Elles font face à une pauvreté croissante, à une détérioration de leur économie, à la dégradation des infrastructures et au vieillissement de la population. Pire encore, elles voient partir leur jeunesse, qui va chercher mieux ailleurs. De ce fait, les collectivités rurales ne sont plus en mesure de favoriser l'activité économique et de garantir une bonne qualité de vie.
La question de la pauvreté en milieu rural et les nombreuses conséquences qui en découlent sont complexes. Comme vous l'indiquez dans votre rapport intérimaire, le problème dépasse largement celui de la pauvreté des exploitations agricoles et il est lié au déclin économique et démographique des campagnes du Canada.
Les politiques de la FCM en milieu rural s'appuient sur un certain nombre de principes de base. Les collectivités rurales contribuent de manière significative à la croissance de notre économie. Le rapport du Comité consultatif externe du premier ministre sur les villes et les collectivités fait précisément état du fait que les régions rurales du Canada jouent un grand rôle dans le PIB de notre pays, mais on n'en tient pas suffisamment compte. Ce rapport fait un certain nombre de recommandations à cet effet.
Tous les paliers de gouvernement devraient s'unir afin de promouvoir des collectivités rurales viables tirant parti des infrastructures économiques, sociales, écologiques et culturelle pour pouvoir améliorer la qualité de la vie de leurs résidents. Les programmes qui réussissent en milieu urbain ne sont pas nécessairement ceux qui ont du succès dans les collectivités rurales, dont les caractéristiques sont différentes.
Les municipalités rurales n'ont généralement pas les mêmes ressources et les mêmes compétences que leurs homologues en milieu urbain. On s'inquiète de plus en plus dans les milieux ruraux du Canada des possibilités pour le gouvernement fédéral de relever les défis et remédier aux difficultés de nos campagnes. Le Forum rural de la FCM a réclamé la création d'un poste de représentant chargé de défendre les régions rurales du Canada au sein du cabinet ainsi que d'un organe administratif disposant de toutes les ressources nécessaires pour coordonner l'action des différents ministères fédéraux et répondre aux besoins des campagnes. Nous avons en fait proposé que l'on mette en place un ministère des régions rurales chargé précisément de remédier à un certain nombre des difficultés qui sont les nôtres.
Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous présentons un certain nombre de recommandations. Nous vous demandons de les intégrer à votre rapport et d'exiger du gouvernement fédéral :
D'abord, qu'il s'assure qu'une part significative des crédits du nouveau Fonds Chantiers Canada soit affectée aux projets sur les infrastructures municipales.
Qu'il prévoit un programme de financement distinct tenant compte de la situation propre et des défis bien particuliers que doivent relever les municipalités rurales.
Qu'il améliore les conditions et la diversification du développement économique rural de façon à ce que ces collectivités profitent d'avantages concurrentiels comparables à ceux des régions urbaines. Il y aura un volet qui consistera, par exemple, à permettre aux agriculteurs de prendre part à la production de biocarburant et d'en tirer profit.
Qu'il s'assure que les collectivités rurales disposent d'un accès à haute vitesse à Internet en mettant sur pied et en finançant un programme s'inspirant des succès du Programme pilote sur les services à large bande pour le développement rural et du Nord.
Qu'il s'assure que les politiques et les programmes fédéraux tiennent compte des liens qui existent entre collectivités rurales et urbaines. Cette composante est essentielle. Les collectivités rurales et urbaines sont liées entre elles : on ne peut pas les séparer.
Qu'il s'assure que les collectivités rurales aient accès aux ressources, qu'il s'agisse des outils, des compétences ou des crédits.
Qu'il mette sur pied des politiques, des programmes et des règlements fédéraux en collaboration avec les municipalités. La FCM considère que les stratégies visant à favoriser le développement économique rural doivent faire appel à des méthodes novatrices pour attirer la population dans les collectivités rurales et l'inciter à y rester.
Les collectivités rurales doivent pouvoir attirer les jeunes, les immigrants et les Autochtones et, pour ce faire, il faut y bâtir ou rebâtir des infrastructures économiques, techniques, sociales et culturelles. Parmi ces infrastructures doivent figurer des bibliothèques, des parcs, des bureaux de poste et des centres communautaires. Les bureaux de poste jouent un grand rôle. C'est une chose qui est mal comprise. Lorsqu'une population perd son bureau de poste, elle ne peut plus se raccorder aux autres, et nous avons perdu beaucoup de bureaux de poste dans les régions rurales du Canada. C'est au moyen des routes, des ponts et des aéroports que l'on fait venir la population dans les collectivités rurales, mais elle n'y restera que si elle jouit d'une bonne qualité de vie.
J'ajouterais pour terminer que les solutions de fortune apportées par le gouvernement fédéral pour remédier à la pauvreté dans les campagnes et aux difficultés des collectivités rurales ont fait leur temps. Pour remédier à la pauvreté rurale, il faut pouvoir compter sur des collectivités rurales fortes et prospères. Le collectivités rurales ont besoin de stratégies de développement viables visant à renforcer et à diversifier leur assise économique. Nous estimons, par exemple, que le rôle du gouvernement est de créer un cadre positif et qu'il devrait travailler avec les municipalités pour appuyer les initiatives locales.
L'un des facteurs clés à l'échelle des individus mais aussi des collectivités, est d'apporter de l'espoir. Certains ont perdu tout espoir. Comment y parvenir? Comment agir? Le rôle des gouvernements, au niveau fédéral, provincial et municipal, est de donner des outils et des possibilités, d'apporter de l'espoir aux gens.
Nous devons prendre des initiatives, planifier et élaborer des projets pour que tous nos citoyens aient accès aux services essentiels. Nous estimons que toute mesure visant à améliorer la situation des collectivités locales doit être prise au niveau local. Il faut commencer à partir de la base. Les solutions apportées doivent faire preuve de souplesse, s'appuyer sur l'innovation et compter sur la collaboration des régions et des collectivités rurales.
Nous considérons que quatre conditions sont indispensables si l'on veut que nos collectivités rurales soient viables. Ce sont : la croissance économique; les moyens dont dispose la collectivité, qui dépendent de la qualité de vie et des infrastructures; les services de soin de santé qui sont dispensés, que vous avez évoqués avec le témoin précédent; et enfin, la formation et le développement des compétences.
La priorité doit être accordée à la participation de la population rurale aux discussions, à l'amélioration de l'accès aux ressources, à la mise en place d'infrastructures communautaires, notamment en matière d'encadrement, et au développement rural régional.
Pour être efficaces, au niveau de chaque province ou territoire canadien, les solutions doivent être coordonnées à long terme par tous les paliers de gouvernement et partir d'une véritable compréhension de l'interdépendance entre les villes et les campagnes et des difficultés propres aux régions rurales.
Ce n'est qu'à ces conditions que l'on parviendra à combler le fossé qui sépare de plus en plus les zones urbaines et rurales et qui fait apparaître deux Canada : un Canada urbain, peuplé et prospère, et un Canada rural, dépeuplé et pauvre.
Je vous remercie du temps et de l'attention que vous m'avez accordés ce matin. Je suis tout disposé à répondre à vos questions. J'ai apporté d'autres documents qui pourraient vous être utiles.
La présidente : Merci, monsieur Johnson.
Le sénateur Callbeck : Merci, madame la présidente, et merci à vous d'être venu ce matin.
Monsieur Johnson, vous représentez la Fédération canadienne des municipalités, et vous êtes président du Forum rural.
M. Johnson : En effet.
Le sénateur Callbeck : En quoi cela consiste-t-il? De quoi se compose le Forum rural? Est-ce qu'il regroupe les municipalités rurales? Est-ce qu'il se réunit fréquemment, par exemple?
M. Johnson : Ce sont les collectivités rurales. Il faut alors nous entendre sur la définition des collectivités rurales. Nous considérons que ce sont chez nous les collectivités qui ont moins de 10 000 habitants. Notre conseil d'administration se réunit quatre fois par an dans différentes régions du Canada. Nous allons nous rencontrer à Calgary dans le cadre de notre conférence annuelle regroupant toutes les municipalités rurales et urbaines. Il y aura une composante spécifiquement rurale. C'est tout un ensemble représentatif d'un bout à l'autre du pays.
Le sénateur Callbeck : Vous avez des représentants de toutes les provinces.
M. Johnson : Oui, il s'agit des associations municipales. Je préside l'Alberta Association of Municipal Districts and Countries et, à ce titre, je siège au sein du conseil d'administration de la FCM, et je suis par ailleurs président du Forum rural.
Le sénateur Callbeck : Il y a là les représentants des collectivités de moins de 10 000 habitants?
M. Johnson : Oui, il y a des représentants de petits villages de pêche de Terre-Neuve, des collectivités du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest, et d'autres encore dans les prairies.
Le sénateur Callbeck : Vous évoquez le chiffre de 1 400. Est-ce qu'il s'agit là du nombre de municipalités représentées au sein de la Fédération canadienne des municipalités?
M. Johnson : Il y a 1 400 municipalités, urbaines et rurales, qui sont membres de la Fédération.
Le sénateur Callbeck : Combien y en a-t-il qui sont de type rural?
M. Johnson : Probablement la majorité, si l'on considère qu'il faut qu'elles aient moins de 10 000 habitants. Certaines municipalités se considèrent à la fois comme étant urbaines et rurales. C'est ainsi qu'en Alberta, par exemple, la définition n'est pas la même que dans les autres régions. En Ontario, à partir du moment où il y a un village, on considère qu'il s'agit d'une municipalité urbaine. Ce n'est pas nécessairement le cas dans les autres provinces.
Ainsi, dans le sud de l'Alberta, Joyce, Enchant, Taber et High River sont en fait des collectivités rurales. Il y a des centres de service desservant les collectivités agricoles environnantes.
Le sénateur Callbeck : Comment êtes-vous financés?
M. Johnson : Comment est financée la FCM?
Le sénateur Callbeck : D'où vous vient l'argent?
M. Johnson : La FCM fonctionne grâce aux cotisations des municipalités qui en sont membres. Elle ne bénéficie d'aucune subvention gouvernementale.
Le sénateur Callbeck : Quel est le montant approximatif des cotisations de vos membres?
M. Johnson : C'est de l'ordre de 400 ou de 500 $ pour les petites localités. Les grandes villes, comme Calgary ou Toronto, paient beaucoup plus. C'est en fonction du nombre d'habitants.
Le sénateur Callbeck : Vous avez évoqué l'accès aux services à large bande. Quelles sont, parmi ces 1 400 municipalités, celles qui ont accès à ce service?
M. Johnson : Trop peu d'entre elles. Il y a un an et demi environ, je me suis démené pour que l'on institue un groupe de travail sur les questions rurales dans le cadre du Forum rural. Le ministre Godfrey nous a invités à faire appel davantage au gouvernement, à lui faire part de notre situation et à lui exposer les difficultés des régions rurales du Canada. Nous avons répertorié trois grands domaines : l'infrastructure des transports, dont l'importance est essentielle pour la viabilité économique des régions écartées; l'accès à des services Internet à haute vitesse, et enfin, la viabilité écologique, en particulier dans le domaine du traitement des eaux usées.
Trente pour cent de nos collectivités rurales n'ont actuellement pas accès au service à large bande.
Le sénateur Callbeck : C'est 30 p. 100 de ces 1 400 municipalités?
M. Johnson : Non, 30 p. 100 des municipalités rurales.
Susan Villeneuve, analyste principale des politiques, Fédération canadienne des municipalités : Le Programme SLBDRN, soit le Programme pilote sur les services à large bande pour le développement rural et du Nord, a pris fin le 31 mars 2007. À l'heure actuelle, il n'y a pas de crédits disponibles pour les programmes susceptibles d'être instaurés à l'avenir.
M. Johnson : Non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les provinces, ont la responsabilité de dispenser des crédits. Nous avons pour mission de traiter avec le gouvernement fédéral, mais aussi avec les provinces, afin d'obtenir leur appui et de les inciter à participer à des programmes de ce genre.
L'orateur qui m'a précédé a évoqué le programme de soutien des services familiaux, unique en son genre au Canada, qui fait appel aux municipalités à concurrence de 20 p. 100 des crédits, et aux gouvernements provinciaux pour les 80 p. 100 restants. Les collectivités locales ont largement leur mot à dire dans le cadre de ce programme. La loi leur donne la possibilité de déterminer les besoins locaux et d'obtenir les crédits dont elles ont besoin pour financer les programmes.
Le sénateur Callbeck : Madame Villeneuve, d'après vos états de service, vous avez pris part à plusieurs projets permettant de dispenser des services aux enfants des collectivités rurales de Terre-Neuve. J'aimerais en savoir davantage sur ces programmes.
Mme Villeneuve : Ces projets faisaient appel à des services de santé, notamment sur les pathologies du langage. La localité éloignée de Twillingate, dans laquelle j'habitais, qui comptait environ 3 000 habitants, ne disposait pas de bons services en raison des difficultés de transport. Nombre de parents avaient bien du mal à aller voir l'orthophoniste avec leurs enfants à l'hôpital. Nous tenions à améliorer ce service au niveau local. Nous avons lancé un projet de recherche, puis élaboré plusieurs projets pilotes. On a réussi à mettre en contact différents spécialistes qui s'occupaient des mêmes questions, mais qui, jusque-là étaient restés isolés dans leur coin. Nous avons mis en contact l'infirmière spécialisée dans la santé publique avec l'orthophoniste et le médecin de l'hôpital. Par l'intermédiaire du service à large bande, nous avons pu dispenser des traitements d'orthophonie à distance aux enfants et aux parents qui ne pouvaient se rendre à l'hôpital. Au bout du compte, le projet a eu du succès car il a permis d'améliorer considérablement le service. Lorsque le projet a été mis en route, la liste d'attente pour consulter un orthophoniste était de trois ans, ce qui est bien trop long. Nous avons pu largement améliorer la situation. Comme l'a indiqué M. Johnson, il faut dans ce domaine partir du niveau local, les initiatives doivent être locales.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que ces services existent toujours?
Mme Villeneuve : Oui, effectivement.
Le sénateur Peterson : Je vous remercie de votre exposé. Quel est votre lien avec la Fédération canadienne des maires et des municipalités?
M. Johnson : Je suis l'un des 75 membres du conseil d'administration à l'échelle du pays et je représente notre association rurale provinciale. Je siège de droit au sein du conseil, en ma qualité de président de cette association rurale de l'Alberta. Je suis aussi président du Forum rural.
Le sénateur Peterson : Merci pour ces précisions.
Le vice-président de notre comité, le sénateur Gustafson, a déclaré à maintes reprises que la plus grande partie de la richesse du Canada nous vient des régions rurales, qui n'obtiennent pas grand-chose en retour. En votre qualité de fédération de provinces et de municipalités, pensez-vous que c'est équitable? Que recommandez-vous pour remédier à ce problème? Quelles seraient vos priorités pour l'avenir?
M. Johnson : C'est une question difficile. Je n'y ai jamais pensé en termes d'équité. Ce n'est pas ma façon de voir. Je considère qu'il y a un défi à relever et qu'il nous faut agir. Je suis d'accord pour dire que la plus grande partie de la richesse nous vient des régions rurales. Il y a longtemps que je dis que les villes peuvent se considérer comme les moteurs de la croissance économique de notre pays, mais je leur rappelle que les moteurs ne fonctionnent pas sans carburant et que c'est moi qui fournit le carburant. Dans la pratique, si nous étranglons les habitats dispersés en raison d'un manque d'infrastructure, nous remettons en cause les possibilités économiques des régions urbaines comme des régions rurales. Elles sont inextricablement liées par l'intermédiaire de l'extraction des ressources, de l'exploitation forestière, de l'agriculture, des mines, du pétrole et du gaz, et cetera.
La redistribution des richesses dans les régions rurales est insuffisante. Il faut qu'une partie de ces richesses soit consacrée aux infrastructures, tels que les investissements dans les services Internet à large bande, pour que les entreprises puissent décider de s'installer dans les régions rurales. Dans son rapport, le comité consultatif externe du premier ministre a recommandé qu'on réimplante des activités à valeur ajoutée dans les régions rurales qui sont à l'origine des ressources pour que tout ne soit pas systématiquement concentré dans les grandes régions urbaines. Pour faciliter cette orientation, nous avons besoin d'investir dans les infrastructures.
De manière générale, 70 p. 100 des budgets des collectivités rurales sont affectés aux routes. Les contribuables fonciers ont bien du mal à défrayer ces coûts.
C'est ainsi que dans le nord-est de l'Alberta, on ne peut transporter le pétrole lourd par oléoduc et qu'il faut faire appel au transport routier. Tout le transport se fait par des camions-citernes sur des routes qui ont été conçues pour des camions de céréales de trois tonnes. L'infrastructure n'est pas prévue pour cette activité et l'on voit alors l'industrie pétrolière s'adresser au gouvernement et aux municipalités pour leur dire : « Si aucun investissement n'est fait dans ces infrastructures, nous ne pourrons plus venir sur place extraire les ressources nécessaires. » Le manque d'investissement dans ce domaine a des conséquences négatives sur l'économie, pas seulement en Alberta.
Bien des gens ne comprennent pas que 27 p. 100 des emplois de l'industrie pétrolière de l'Alberta se trouvent désormais en Ontario. Les activités manufacturières de la Nouvelle-Écosse sont liées directement à cette activité. Il y a une interrelation entre les provinces. On ne peut séparer les régions urbaines des régions rurales, qui sont intimement liées entre elles.
Je ne sais pas si cela répond à votre question. Nous avons proposé que le gouvernement réinvestisse dans ces infrastructures. Il lui faut réinvestir dans nos collectivités. Nous ne réussirons pas à attirer des médecins de campagne si la qualité de vie est insuffisante dans nos régions. Le médecin n'ira pas dans nos campagnes si son conjoint ne veut pas s'y installer, si ses enfants ne peuvent y jouer au hockey ou au soccer, faire de la danse ou suivre des leçons de musique. Pour attirer des professionnels dans ces régions, il faut soigner la question de la qualité de la vie.
Le sénateur Peterson : Comme vous l'avez indiqué précédemment, je ne crois pas que les gens de la ville comprennent vraiment cette réalité. Il faut avant tout éduquer la population canadienne et lui faire comprendre qu'il y a là une question d'équité. On pourra ensuite dispenser les services nécessaires. Il y a bien des choses à faire. Il ne faut pas se limiter. Étant originaire de la Saskatchewan et connaissant les petits villages de cette province, je peux vous assurer que ce sont les bénévoles qui font marcher les choses et qu'ils savent mieux utiliser les crédits disponibles que le gouvernement fédéral, la province ou les municipalités. Nous devons nous efforcer de leur remettre directement l'argent, en passant par-dessus tout le monde, parce qu'ils tireront un meilleur profit des quelques crédits disponibles — et je ne parle pas ici de gros montants d'argent — pour garantir la viabilité des collectivités, faire en sorte que tout le monde s'implique et fournir des services aux enfants et aux adolescents. C'est ce que nous devons chercher à faire.
M. Johnson : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Dans cet ordre d'idée, j'en reviens à l'exemple donné par M. Kuiken au sujet de la répartition 80-20 p. 100 et de la participation des collectivités rurales. Dans le cadre de cette répartition 80-20 p. 100 les crédits versés ont un effet multiplicateur et l'on ajoute la participation des bénévoles aux crédits fédéraux, provinciaux et municipaux. La province de l'Alberta a versé environ 80 millions de dollars. Les municipalités ont versé plus de 20 p. 100, rajoutant quelque 30 millions de dollars à cette somme. Lorsqu'on ajoute la participation bénévole et les crédits fédéraux, l'effet de levier qui se produit alors est d'environ de cinq pour un. Les 80 millions de dollars versés exercent donc le même effet qu'une subvention d'un demi-milliard de dollars, principalement dans les collectivités rurales. Cet effet de levier est excellent, et il est exercé à partir des collectivités locales.
Le sénateur Mahovlich : Le fossé existant entre les régions urbaines et rurales au Canada était-il aussi grand qu'aujourd'hui, il y a 40 ou 50 ans?
M. Johnson : Non, absolument pas.
Le sénateur Mahovlich : Je sais qu'il y a eu de l'inflation, mais cela vaut pour tout le monde, n'est-ce pas?
M. Johnson : En effet.
Le sénateur Mahovlich : Le fossé s'est élargi depuis 50 ans.
M. Johnson : Oui.
Le sénateur Mahovlich : À la suite d'une rencontre entre le maire de Timmins et d'autres responsables, on a déclaré : « La fermeture de l'école secondaire de Schumacher nous fera économiser de l'argent. » C'est à partir de ce moment-là que la localité de Schumacher a commencé à s'appauvrir. Je considère que la fermeture de l'école a été un coup dur. Il n'y a eu aucune économie d'argent. Personne ne veut vivre à Schumacher s'il faut prendre le bus de Timmins pour aller à l'école. Au bout du compte, on a appauvri la ville en fermant l'école.
M. Johnson : C'est tout à fait vrai, vous avez absolument raison. Lorsqu'on ferme une école dans nos petites localités rurales, la collectivité se meurt. Il y a des cas où les collectivités ont cherché à inverser cette tendance. La présidente est certainement au courant du cas de l'école de hockey féminin de Warner.
La présidente : Notre comité y est passé lorsque nous nous sommes déplacés en Alberta. C'est bien entendu le sénateur Mahovlich qui a eu le plus grand succès.
Le sénateur Mahovlich : Ce fut une expérience positive. L'école a relancé la ville.
M. Johnson : Cette école risquait de disparaître.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez évoqué la question des bureaux de poste. Ils ont leur importance dans les collectivités. Il est probable que Schumacher avait perdu son bureau de poste.
M. Johnson : Il y a la disparition des bureaux de poste, la rationalisation des réseaux scolaires ainsi que celle des établissements de santé qu'a évoquée le témoin qui m'a précédé. Votre rapport préliminaire traite dans une certaine mesure des frais d'équipement par rapport aux autres postes de dépense. Au sein même d'une collectivité agricole, je transportais auparavant mes produits sur un demi-mille jusqu'au plus proche élévateur. À l'heure actuelle, le transport se fait sur 45 milles. Les équipements ne sont plus là. Je n'utilise plus mon tandem. Je fais venir quelqu'un équipé d'une remorque B-train. Les répercussions des infrastructures rurales ne sont plus les mêmes.
L'initiative de l'école de hockey Warner a été prise au niveau de la collectivité. La réussite a été totale. Tous ceux d'entre nous qui ont pris part à cette opération et qui ont encouragé cette activité ont été ravis de voir l'émission de Radio-Canada sur cette ville de hockey.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que cette école de hockey est encouragée ou plutôt négligée par le gouvernement?
M. Johnson : À ma connaissance, il n'y a pas beaucoup d'investissement du gouvernement.
Le sénateur Mahovlich : C'est là qu'est notre erreur. Il en est de même avec les écoles et les hôpitaux. Le gouvernement devrait intervenir et aider les collectivités en difficulté. C'est là qu'est notre erreur.
M. Johnson : Le sénateur Fairbairn a évoqué Marie Logan. J'ai siégé avec Mme Logan au sein du Groupe de travail sur les stratégies de développement rural de l'Alberta. Nous avons examiné un certain nombre de choses. Elle fait partie aujourd'hui du Conseil d'administration d'un fonds de développement rural de 100 millions de dollars dans la province de l'Alberta. Des programmes tels que celui de l'école de hockey de Warner étaient déjà en activité, mais il aurait été bon de disposer d'un certain montant de crédits pour les encourager. La municipalité de Vauxhall, au nord de Taber, en Alberta, s'est désormais dotée d'une école de baseball. Elle reçoit des jeunes de la Nouvelle-Écosse, du Québec, de l'Ontario et tout le pays, qui viennent faire de la compétition avec des écoles des États-Unis. Les résultats scolaires sont excellents. C'est ce genre de choses qu'il faut faire pour renforcer l'identité et donner de l'espoir à nos collectivités.
Le sénateur Mahovlich : Comme l'a indiqué le sénateur Peterson, le gouvernement ne donne pas grand-chose en retour aux collectivités rurales. C'est là où nous faisons erreur.
La présidente : Afin que la liste soit complète, la municipalité de Cardston s'est dotée d'une école de rodéo.
Le sénateur Biron : Vous nous avez dit dans votre exposé qu'il y avait des difficultés dans les services de santé et d'éducation et que l'on pouvait remédier à nombre des problèmes rencontrés avec Internet à haute vitesse. Vous nous avez précisé que 30 p. 100 des municipalités rurales ne disposaient pas du service Internet à haute vitesse. Est-ce parce qu'il n'était pas financièrement rentable pour la société de téléphone en place d'installer ces services même s'ils étaient subventionnés, ou est-ce parce que le programme a pris fin avant leur mise en place?
Mme Villeneuve : Dans les collectivités qui ont été laissées de côté, c'est parce que le programme avait pris fin et parce que l'installation était onéreuse. En ce qui a trait aux services de santé et d'éducation, le programme pilote a permis de financer l'installation en collaboration avec les sociétés de téléphone.
C'est ainsi que dans ma collectivité de Terre-Neuve, un projet pilote de télésanté a permis à des médecins de St. John's ou de Montréal d'examiner des malades à Twillingate. Des élèves de l'école secondaire ont pu suivre des cours, éventuellement des cours spécialisés, qu'ils n'auraient pas pu suivre autrement. Voilà en quoi ce service est important, et 30 p. 100 des collectivités ont été laissées de côté parce que le financement de ce programme pilote est arrêté. Nous attendons maintenant de voir si l'on va investir des crédits supplémentaires dans un nouveau programme.
Le sénateur Biron : C'est une recommandation que vous feriez au gouvernement?
Mme Villeneuve : En effet.
Le sénateur Peterson : Je pense que vous avez recommandé quelque part dans votre mémoire qu'un ministre des régions rurales se penche sur ces problèmes. Est-ce qu'on en est réduit, à l'heure actuelle, à s'adresser à divers ministres chargés de ces questions, chacun disant que l'autre est responsable?
M. Johnson : Nous avons rencontré aujourd'hui le responsable du secrétariat chargé des questions rurales et, après l'avoir interrogé, nous avons pu constater qu'au sein du ministère qui s'occupe actuellement des questions liées aux villes et aux collectivités, au transport et à l'infrastructure, on affecte peu de personnel et de ressources aux questions rurales. Il en va de même lorsqu'on s'adresse au ministère de l'Agriculture, qui chapeaute à l'heure actuelle le secrétariat chargé des questions rurales.
Il y a des choses qui se perdent en route, et je suis constamment aux prises avec le fait qu'il n'y a pas de ministère chargé clairement d'affecter les ressources et de prendre fait et cause pour les collectivités rurales au sein du cabinet. Il est facile pour des villes comme Toronto, Montréal, Calgary ou Vancouver de bénéficier d'articles de presse. Le maire de Calgary peut toujours prendre l'avion pour rencontrer le premier ministre, ce qu'il a déjà fait par le passé, mais que peut faire le conseiller municipal d'un petit village? Il n'y a pas au sein du gouvernement de responsable chargé précisément des questions rurales.
Les différents gouvernements ont traité les questions rurales de différentes manières. À un moment donné, il y avait plus ou moins un ministère chargé des questions rurales, et Wayne Easter en avait la responsabilité en tant que secrétaire d'État. Il s'est intéressé de près aux questions rurales et a fait un excellent travail.
La présidente : Il était ministre d'État, je crois.
M. Johnson : Je pense que c'est incontournable. Nous avons besoin d'un responsable, de quelqu'un qui comprend. Nous avons besoin de quelqu'un qui siège au sein du cabinet et qui puisse dire qu'il y a des problèmes qui se posent dans les collectivités rurales du Canada.
Le sénateur Peterson : Cela fait partie aussi de l'équité.
M. Johnson : En effet.
La présidente : Je vous remercie. C'est avec grand plaisir que nous vous avons reçu en ces lieux et nous nous félicitons de l'heureuse coïncidence qui vous a réuni avec le témoin précédent. Continuez votre magnifique travail et, pour notre part, nous ferons de notre mieux.
M. Johnson : J'ai évoqué la stratégie de développement rural de l'Alberta et j'ai ici un certain nombre d'exemplaires de notre brochure. Je suis tout disposé à vous les laisser si ça peut vous être utile.
Je considère que lorsque nous nous présentons devant un comité comme le vôtre, ou devant le gouvernement, nous avons la responsabilité, non seulement de tendre la main pour demander de l'argent, mais aussi de venir présenter des solutions, des idées et des initiatives. Ce document fait état très précisément d'un certain nombre de solutions susceptibles de vous aider dans votre tâche. Si cela vous convient, je laisse ce document à votre disposition. Il pourra s'avérer utile dans vos délibérations.
Merci de m'avoir reçu.
Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.