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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 27 - Témoignages - Séance du matin


NICOLET (QUÉBEC), le vendredi 18 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 38 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je vous souhaite à tous la bienvenue. Les membres du comité sont heureux d'être à Nicolet, au cœur de cette belle région du Centre-du-Québec, la ville natale du sénateur Biron.

[Traduction]

Au mois de mai de l'année dernière, le comité a eu l'autorisation d'examiner la pauvreté rurale au Canada. L'automne dernier, nous avons entendu de nombreux experts de partout au pays. Nous avons rédigé un rapport, et je crois que nous en avons des exemplaires ici. Nous avons publié le rapport, et avons été surpris de la réaction des gens partout au pays. On nous a encouragés à poursuivre et à approfondir notre étude, à nous déplacer et à visiter les Canadiens là où ils vivent et où ils élèvent leur famille dans les régions rurales du pays.

Nous en sommes à la deuxième étape de notre recherche. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes rendus dans toutes les provinces de l'est du Canada. Nous sommes également allés dans toutes les provinces de l'Ouest canadien. Nous tenons ces jours-ci des séances ici au Québec, de même qu'en Ontario. À l'automne, nous irons dans le Nord, dans les trois territoires. Nous rédigerons ensuite notre rapport définitif.

Nous estimions qu'à cette fin, nous devions rencontrer les Canadiens des régions rurales sur le terrain. Nous savons que nous avons encore beaucoup de travail à faire. Bref, nous voulons visiter et entendre autant de gens que possible qui comprennent cette question mieux que nous.

Aujourd'hui, je suis très heureuse de souhaiter la bienvenue à nos deux témoins, Alain Duhaime, président de Sogetel, et Jean-François Ménard, président d'Horizon Vert.

Jean-François Ménard, président, Horizon Vert : J'ai une courte présentation PowerPoint à vous faire ce matin, mais d'abord, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue à Nicolet. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici. Nous vous remercions de vous être déplacés.

Pour cette présentation, je pourrais vous lancer de nombreux chiffres, mais je vais plutôt vous montrer quelques images qui parlent d'elles-mêmes.

De nos jours, de nouvelles occasions se présentent aux agriculteurs canadiens. J'espère que tout le monde a entendu parler du changement climatique, de la façon qu'il touche notre quotidien ou de la façon qu'il risque de toucher notre quotidien dans les années à venir. Les changements climatiques ont beaucoup de répercussions sur l'environnement et l'économie au Canada. Je vais tenter de vous présenter la nouvelle économie fondée sur le carbone comme une occasion pour l'agriculture canadienne, comme une nouvelle source de revenus pour les Canadiens. Le Canada peut certainement réagir de façon favorable à cette nouvelle économie.

Les changements climatiques provoquent toutes sortes de catastrophes naturelles, comme l'ouragan Katrina en 2005, qui a causé pour 260 milliards de dollars américains de dommages. Ce n'est pas parce que ces catastrophes ont lieu de l'autre côté de la frontière qu'elles ne nous touchent pas. Par exemple, le prix de l'essence a augmenté au moment où nous labourions nos champs ici. Une autre image qui parle d'elle-même est cette photo, prise en 1935, du champ de glace Columbia dans les Rocheuses. En 2007, il avait changé de façon considérable. Je vous épargne les chiffres, mais vous pouvez voir que les changements climatiques ont des répercussions importantes sur notre climat et certainement sur notre environnement.

Que sont les effets de serre? Nous avons besoin des effets de serre pour vivre sur cette planète. Le problème est que nous avons perdu le contrôle. La température augmente rapidement, et nous ne pouvons composer avec les changements rapides actuellement.

Ces chiffres ne viennent pas d'un modèle théorique ou d'un laboratoire; il s'agit de mesures directes de CO2. Nous pouvons obtenir les niveaux de CO2 d'il y a 1 000 ans en perçant la glace et en extrayant des mesures directes des concentrations de CO2. Nous avions des températures relativement stables jusqu'à l'ère industrielle; à partir de 1850 environ, les températures ont commencé à augmenter brusquement. En moins de 150 ans, le monde industrialisé a provoqué cette hausse remarquable des températures.

Il y a de nombreuses années, à l'époque glaciaire, la différence de température entre cette époque et la nôtre était de seulement 4 degrés. Ici, il y a déjà eu trois kilomètres de glace qui couvraient cette salle. Nous avons gagné 2 degrés, et on prédit une augmentation d'au moins 2,5 degrés de plus d'ici 50 ans. Dans les faits, l'augmentation prévue est de 2,5 à 5 degrés. Cette augmentation aura des répercussions importantes sur notre planète et certainement sur notre économie.

L'ennui, c'est que 20 p. 100 du monde est industrialisé et que 80 p. 100 ne l'est pas. Pour ce qui est de la consommation de ressources, les 20 p. 100 du monde industrialisé consomment 80 p. 100 des ressources de la planète. À ce rythme, les dommages seront probablement encore plus importants. Avec l'émergence des économies chinoise et indienne, par habitant, si ces économies consomment autant que nous l'avons fait au cours des 150 dernières années, je ne sais pas ce qui va arriver; toutefois, je vous laisse le soin de décider où nous en serons dans 100 ans si nous n'agissons pas rapidement.

Comment aborder l'économie fondée sur le carbone? Simplement, la nature a transformé les arbres en arbres liquides, soit en carburant souterrain. Notre économie dépend de ce carburant pour produire des biens. Vous pouvez voir qu'il manque un quart de la tarte sur le diagramme. À quoi peut-on s'attendre pour la suite?

À l'économie fondée sur le carbone. Nous allons continuer de faire ce que nous avons toujours fait. Nous avons fait croître notre économie grâce aux carburants, et la prochaine étape consiste à utiliser l'économie pour produire des arbres. Cette étape rapportera tout autant. L'agriculture peut produire des crédits compensatoires. Actuellement, l'agriculture ne compte que pour 7,2 p. 100 de nos émissions. Au Canada, nous avons augmenté nos émissions de 27 p. 100 au lieu de les réduire de 6 p. 100. Il s'agit d'un défi important auquel nous devrons faire face dans les années à venir. Le Canada a vraiment besoin de crédits compensatoires pour neutraliser les effets de nos émissions de CO2.

Dans le cadre de ces marchés de carbone à venir, il y a des marchés réglementés, des marchés volontaires, comme les États-Unis, qui n'ont pas signé le Protocole de Kyoto, et les marchés carboneutres, soit un échange entre pairs de crédits de carbone — un genre de eBay du carbone, si vous voulez.

Comment fonctionne le Protocole de Kyoto? Essentiellement, nous voulons tous viser les niveaux d'émissions de 1990. Les pays industrialisés sont les émetteurs; ils doivent donc faire face aux défis. Les pays émergents sont perçus comme étant la solution. Je vous donne de nombreux détails, mais voilà plus ou moins la façon dont fonctionne le Protocole de Kyoto. Demain, les marchés réglementés prendront de l'expansion et les marchés bénévoles perdront du terrain aux dépens des marchés carboneutres qui deviendront la plateforme en ligne à partir de laquelle une bonne partie du carbone sera négociée.

À Nicolet, et avec d'autres partenaires canadiens, nous regardons ce qui est fait sur le terrain. Dans les Prairies, de nombreux projets de réduction du méthane sont prévus pour réduire les émissions de méthane.

Aux États-Unis en ce moment, nous avons la Bourse du carbone de Chicago, CCX, où se négocie le carbone. En ce moment, certains États, par leur culture, compensent la Bourse du carbone de Chicago.

Le prix du carbone à la Bourse du carbone de Chicago est de 3,75 dollars américains. L'année dernière, le prix du carbone aux États-Unis était de 1,10 dollar américain. Le prix a donc triplé, ce qui représente une hausse de 300 p. 100. Pendant ce temps, évidemment, l'administration Bush a sans cesse dénigré le carbone, et cetera, mais n'a pas empêché le prix du carbone de tripler aux États-Unis l'année dernière. En Europe, le prix du carbone est de 20 euros, soit environ 30 dollars canadiens. Il y a un marché; et il double chaque année. Une bonne partie de ce carbone peut être généré par les terres, par les agriculteurs. Environ 18 p. 100 du carbone négocié sur le marché provient de fermes. Des sommes importantes sont actuellement transigées dans ce marché.

Puisque vous étudiez la pauvreté en agriculture, je propose ce matin une nouvelle avenue possible pour les agriculteurs qui veulent tirer profit de leurs exploitations actuelles, sans trop avoir à investir. Il s'agit d'une économie régie par les forces du marché; l'argent est tout simplement là.

Sur cette diapositive, vous pouvez voir où les projets sont situés aux États-Unis. La carte au milieu de cette diapositive représente la Bourse du carbone de Chicago. La diapositive suivante montre l'ajout d'un nouvel emplacement au marché en expansion. On examine la Saskatchewan, peut-être comme un nouvel État américain. Je ne le sais pas.

Je ne prends pas cette possibilité à la légère. Il s'agit d'une entreprise sérieuse. Les produits de 50 p. 100 de la superficie en acre de la Saskatchewan vont vers ce pays. Nous avons des liens avec la Saskatchewan. Nous avons rencontré des gens des réseaux là-bas. Il y a des gens bien intentionnés, mais à court d'argent. Des agriculteurs surtout. Pour augmenter la production à un niveau où nous pourrions échanger du carbone d'un océan à l'autre dans ce pays, nous ne pouvons pas laisser les Américains aspirer tout notre carbone dans leur économie. Si les États-Unis utilisent leurs crédits de carbone, le Canada, tout en devant faire face à ces défis, n'aura plus de carbone.

Les démocrates arrivent au pouvoir au sud de la frontière. Ils ont quatre projets de loi devant le Congrès américain en ce moment, et tous visent plus ou moins une réduction de 50 p. 100 des émissions au cours des 50 prochaines années. Il s'agit d'un défi immense pour l'économie américaine, qui créera un immense marché du carbone aux États-Unis. À mesure que les démocrates acquerront plus de pouvoir, ils prendront probablement cette orientation. D'ici là, j'espère qu'il y aura suffisamment de carbone au Canada pour nous permettre de participer à ce marché, parce qu'en ce moment, tout le carbone va directement aux États-Unis. Les contrats que signent actuellement les agriculteurs de la Saskatchewan sont des contrats de dix ans. Ces agriculteurs auront une obligation juridique envers les États-Unis si nous n'agissons pas rapidement.

J'exhorte votre comité à examiner cette question et à proposer des solutions. J'ai quelques idées; vous pouvez m'appeler, et je pourrai certainement vous aider au besoin. Nous sommes en contact avec des partenaires de l'ouest, en Alberta et en Saskatchewan. Nous voulons créer un bassin de carbone d'un océan à l'autre.

Je terminerai en vous disant de ne pas négliger les avantages environnementaux et financiers. Il y a une solution pour les agriculteurs, qui ne nécessite aucun investissement du gouvernement. Aucun argent des contribuables n'est nécessaire. Tout ce qu'il faut faire, c'est prendre position et dire que le carbone canadien est canadien et demeurera canadien.

La présidente : Vous avez certes touché une corde sensible. Moi qui viens de l'Alberta, juste à côté de la Saskatchewan, je sais que le climat et toutes sortes d'autres choses nous ont donné du fil à retorde. La question du carbone est d'actualité, comme vous l'avez dit. Il reste juste à savoir comment lancer des choses. Je pense que c'est sans doute ce que vous faites dans l'Ouest.

[Français]

Alain Duhaime, président, Sogetel : Madame la présidente, je vous souhaite la bienvenue à Nicolet, en mon nom, et celui du maire, M. Drouin, que j'ai rencontré à l'entrée tantôt. Je suis le président de la compagnie Sogetel, qui a son siège social à Nicolet. Le but de ma présentation est de vous faire connaître les défis qu'ont et qu'auront à relever les fournisseurs de télécommunications pour offrir une gamme complète de service à un prix abordable en milieu rural.

Je crois que peu d'entre vous connaissent la compagnie Sogetel, donc je vais faire une courte présentation de l'entreprise. Sogetel, qui est l'acronyme de Société générale de télécommunications, est une compagnie privée fondée en 1892. En fait, la compagnie a commencé ses opérations avec l'arrivée de la téléphonie. Elle offre des services de télécommunications. Au tout début, elle ne desservait que la ville de Nicolet. Par la suite, profitant de la consolidation des marchés, Sogetel a acquis plusieurs autres petites compagnies de téléphone dans la région de La Beauce et Lac- Etchemin. Une vingtaine de petites municipalités rurales qui sont desservies dans cette région. On a aussi acquis des territoires dans la région de Maskinongé près de Louiseville, et dernièrement, un territoire rural dans la région de Saint-Liboire-de-Bagot.

Veuillez vous référer à l'annexe 1, la dernière page du document. À votre gauche, on voit Nicolet, à proximité du Lac Saint-Pierre et du Fleuve Saint-Laurent. On dessert le territoire de Maskinongé, situé à environ 65 kilomètres au nord-ouest. On dessert aussi à 80 kilomètres au sud de la région de Saint-Liboire. On dessert à environ 240 kilomètres, la région de La Beauce, au sud de la ville de Québec et le long de la frontière américaine.

Sogetel dessert donc des territoires ruraux non contigus. Nicolet est la plus grande ville qui est desservie, avec une population de 8 000 personnes. Le territoire desservi compte environ 45 000 personnes sur 4 300 kilomètres carrés, soit 10,5 personnes au kilomètre carré. Malgré tous les villages que l'on dessert, on n'a que 22 000 clients abonnés au service téléphonique. En ce qui concerne le service Internet, on a 16 000 clients. En dix ans, le service Internet a pris beaucoup d'ampleur. En tant que fournisseurs du service cellulaires, nous assurons le service à 4 800 clients.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir en arrière et regarder comment le système des télécommunications fonctionnait. Jusqu'au début des années 1990, le service des télécommunications ne comprenait que le service de ligne de base et les interurbains, et était complètement réglementé. À l'époque, il y avait des organismes de réglementation au fédéral et au provincial. Au Québec, on était régi par un organisme provincial. Les organismes de réglementation s'assuraient que l'ensemble des Canadiens avait accès à des services à prix abordable peu importe le prix coûtant.

Les grandes entreprises comme Bell ou Telus desservaient de grandes villes où la densité de la population et les revenus étaient très élevés. Ces entreprises, qui desservent aussi des régions rurales, devaient utiliser les revenus élevés des régions urbaines pour subventionner le service en milieu rural habituellement non rentable. C'est la raison pour laquelle le service en milieu rural était, et est toujours aussi abordable. Il était payé par les gens de la ville. Le service en milieu rural est encore vendu en bas du prix coûtant.

Pour les petites entreprises comme Sogetel, il était impossible de transférer les revenus provenant du lucratif marché urbain. Il existait tout de même un système de subvention pour s'assurer qu'il y ait un service téléphonique en milieu rural et que les tarifs soient abordables. Les grandes entreprises, Bell et Telus, avaient compris qu'il était avantageux pour leurs propres clients, que leur service soit disponible partout parce que les clients des villes veulent aussi appeler en milieu rural. Leurs clients avaient besoin de rejoindre des parents, des amis ou des relations d'affaires en milieu rural. Il y avait donc un système de subvention qui consistait à verser une compensation aux compagnies pour l'utilisation de leur réseau interurbain. Par exemple, pour un appel interurbain, la compagnie rurale facturait un dollar à son client, et elle gardait le dollar; les compagnies comme Bell ou Telus pouvaient remettre une subvention pouvant aller jusqu'à environ 50 p. 100 de plus du prix de l'appel. Donc, pour un appel facturé à un dollar au client, la compagnie de téléphone rurale avait un revenu de 1,50 $. C'est ce qui a permis aux compagnies de téléphone en milieu rural de maintenir un tarif local abordable.

Depuis l'arrivée de la concurrence dans les télécommunications, les systèmes de subvention ou de péréquation ne sont plus possibles. Les « télécommunicateurs » originaux, c'est-à-dire les Bell et Telus, et Sogetel dans son propre territoire, argumentent que si elles subventionnent des services non rentables, elles ne seront plus compétitives dans les régions où la concurrence existe.

Afin de conserver l'universalité du service, le système de subvention doit rester en place. Pour résoudre le problème, le CRTC a mis en place un fonds national pour subventionner le service en milieu rural. Ce fonds existe toujours. Tous les fournisseurs de télécommunications contribuent au fonds, mais seuls ceux qui offrent un service en milieu rural peuvent en bénéficier. Ainsi, l'universalité du service de ligne téléphonique en milieu rural est maintenue. Encore aujourd'hui, même s'il y a de la concurrence, le service en milieu rural est subventionné par les clients qui demeurent dans les villes où le marché est plus important et plus lucratif.

Pour vous donner une petite idée, Sogetel n'est pas une très grande entreprise, mais en subvention pour le service local-rural, nous recevons environ 2,2 millions de dollars par année. Ce sont quand même des sommes importantes. La subvention dépend de la grosseur de la municipalité, de son importance. En ce qui concerne les plus petites municipalités, nous recevons jusqu'à 17 $ par mois par client en subvention de ce fonds-là, ce qui est très important. Les grosses entreprises comme Bell et Telus reçoivent aussi le même genre de subvention pour les municipalités en milieu rural.

En ce qui concerne les services Internet haute vitesse et cellulaires, peu de mesures ont été mises en place pour assurer l'accessibilité. Ces deux services sont essentiels pour assurer un développement durable et par le fait même, améliorer la qualité de vie et peut-être même aussi, aider à vaincre la pauvreté. Vous savez tous que le service Internet est maintenant indispensable pour trouver un travail. De nombreuses offres d'emploi sont visibles uniquement sur le web. C'est aussi important pour l'éducation. C'est une source inépuisable d'information autant pour les étudiants que pour les parents. Le service Internet haute vitesse peut même sauver des vies en permettant la consultation des dossiers médicaux à distance. Le besoin est tout aussi criant pour les entreprises. Y a-t-il un moyen moins coûteux et plus rapide pour commander auprès de ses fournisseurs ou pour fournir de l'information à ses clients?

En milieu rural, les routes sont moins achalandées et habituellement plus enneigées qu'en milieu urbain. Le cellulaire s'avère un atout précieux pour améliorer la sécurité des automobilistes et des camionneurs. Il permet d'éviter des déplacements inutiles et ainsi de contribuer un peu à sauver notre planète.

Les deux fournisseurs habituels de service Internet haute vitesse sont les compagnies de téléphone et les câblodistributeurs. Ce ne sont pas les seuls, mais vous savez tous qu'ils ont la grande majorité du marché. La technologie utilisée par les compagnies de téléphone, le DSL, ne leur permet pas d'offrir le service à plus de sept kilomètres de leur centrale téléphonique qui est normalement située au centre du village. En fait, l'équipement DSL permet d'amplifier la vitesse de transmission sur les paires de cuivres, mais l'amplification n'est pas possible si on dépasse sept kilomètres. Donc, tout client potentiel situé à une distance supérieure ne peut être desservi tandis que les câblodistributeurs ne desservent habituellement que ce qui est rentable pour eux, c'est-à-dire le centre du village. Dans bien des cas, ils ne sont même pas présents dans les plus petits villages.

Le gouvernement du Canada, par le biais d'Industrie Canada, a mis en place le programme « Services à large bande pour le développement rural et du Nord ». Ce programme devait faire en sorte que toutes les collectivités aient accès à Internet à large bande. Sogetel a d'ailleurs bénéficié de ce programme. Je profite de l'occasion pour vous faire quelques observations.

Comme vous le savez, ce programme ne subventionne que l'achat des équipements. Les technologies sans fil, moins dispendieuses que l'installation d'un réseau de câbles, sont choisies par la plupart des bénéficiaires du programme. Il est cependant impossible de rejoindre tous les clients potentiels avec la technologie sans fil. Vous savez sûrement que les montagnes et les forêts sont souvent des obstacles infranchissables. La distance entre la station émettrice et le client est aussi un facteur limitatif. Par conséquent, il y a encore de nombreuses familles et entreprises qui ne bénéficient pas du service. Même dans les régions où le programme a été subventionné et appliqué, il y a encore des gens qui ne peuvent pas recevoir Internet haute vitesse.

En ce qui a trait aux coûts de fonctionnement, le programme subventionnait l'achat d'équipements, mais qu'en est-il des dépenses récurrentes? En effet, l'électricité, la main-d'œuvre, les taxes municipales ne sont pas subventionnées. La seule subvention à l'achat des équipements ne sera pas suffisante à long terme pour assurer la survie du service. Ceux qui ont reçu des subventions desservent des territoires qui étaient non rentables pour les câblodistributeurs, les compagnies de téléphone et pour ceux qui ont bénéficié du programme.

Le service cellulaire est un marché concurrentiel. Les fournisseurs n'ont aucune obligation et aucun avantage à desservir les milieux ruraux peu densément peuplés. Tout comme pour Internet haute vitesse, les régions rurales non rentables sont délaissées. Récemment, il y a deux semaines, j'ai fait une présentation à la MRC de Montmagny où il y a plusieurs villages situés le long de la frontière américaine. Il y avait deux municipalités situées sur le territoire de Sogetel près de la frontière américaine : Lac-Frontière et Sainte-Lucie-de-Beauregard. Je pense qu'il serait intéressant de regarder où sont situées ces municipalités à l'annexe 1. Il faut aller à l'extrême droite de la carte. Dans le territoire de Sogetel, le long de la frontière américaine en haut, on voit Sainte-Lucie et Lac-Frontière. Ces deux municipalités ont récemment fait, par le biais de la MRC de Montmagny, une demande pour être desservies par le service cellulaire. Elles sont dans une région assez montagneuse, le long de la frontière du Maine. La population totale de ces municipalités est de 474 personnes, pas 474 clients, mais bien 474 personnes. Un site de transmission cellulaire coûte entre 500 000 $ et 600 000 $. À ces investissements, il faut ajouter les coûts d'opérations annuels. Il est totalement impossible de rentabiliser le service dans de telles conditions même si Sogetel était le seul fournisseur. Même s'il n'y avait pas de concurrence, un seul fournisseur cellulaire ne peut rentabiliser le service dans des conditions semblables. Pour assurer la disponibilité de tous les types de télécommunications en milieu rural et ainsi favoriser le développement économique et, par le fait même, vaincre la pauvreté, il faudra que les gouvernements mettent sur pied un système permanent de péréquation entre les fournisseurs ou un système de subvention. Il est impératif d'agir parce que les problèmes actuels se répéteront lorsque de nouveaux services seront disponibles. Plus les services seront spécialisés et s'adresseront à une clientèle particulière, moins il y a de chance qu'ils soient disponibles en milieu rural parce qu'il n'y aura pas le volume pour payer les investissements.

Je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Les questions que vous évoquez aujourd'hui sont majeures et concernent toutes les régions du Canada, notamment du Canada rural. Nous avons parcouru le pays d'un bout à l'autre et entendu la même préoccupation quant au manque de liaisons à large bande. Je crois que le gouvernement commence à prêter l'oreille à ces préoccupations.

[Français]

Le sénateur Biron : Ma première question concerne la déréglementation du gouvernement fédéral qui sera effective le 1er juin prochain. Cette déréglementation en milieu rural permettra aux compagnies comme Bell et Telus d'augmenter leurs tarifs, mais est-ce qu'ils peuvent augmenter indéfiniment ou s'ils ont une limite?

M. Duhaime : Premièrement, cette déréglementation ne touche pas Sogetel. Ce n'est pas une déréglementation complète. Ils ont l'autorisation d'augmenter leurs tarifs, mais les territoires en milieu rural continueront à être réglementés au niveau des tarifs. Il y aura toujours un tarif maximum qui s'appliquera parce que, comme je le mentionnais un peu plus tôt, le coût du service en milieu rural est de beaucoup supérieur au tarif qui est facturé. Sogetel, en milieu rural, reçoit des subventions allant jusqu'à 17 $ par client par mois. Les coûts de Bell en milieu rural, quoique je ne les connaisse pas, sont sûrement semblables. Jamais Bell ne sera autorisé à augmenter ses tarifs en milieux ruraux de 17 $ par mois. Sûrement que le CRTC s'aperçoit que les coûts sont beaucoup plus élevés que les revenus et permettra une légère hausse, mais de là à dire que la déréglementation sera permise en milieu rural pour le service de base, je ne pense pas que ce soit le but du CRTC.

Peut-être diminuera-t-il légèrement l'écart entre les coûts et les tarifs chargés, mais de là à dire qu'il sera possible de facturer le prix coûtant et même avec une marge de profit, je ne pense pas que ce soit le but des changements annoncés par le CRTC.

Le sénateur Biron : Tous les territoires de Sogetel sont reliés par fibre optique et avec redondance.

M. Duhaime : C'est exact. Pour bien desservir ses territoires, Sogetel a dû installer de la fibre optique entre Nicolet et le territoire de Maskinongé, jusque dans La Beauce, en passant par Québec. Il a fallu aussi installer de la fibre optique jusqu'à Montréal pour acheter le signal Internet, entre autres, et livrer les appels interurbains. Les argents investis ne sont pas uniquement dans le territoire de Sogetel. Il faut aussi investir à l'extérieur pour acheter des services et les offrir à nos clients.

Le Sénateur Biron : La subvention que Sogetel a reçue, le territoire desservi par le système WiFi, dessert quelle région?

M. Duhaime : C'est un territoire d'environ 60 kilomètres à l'est et à l'ouest de Nicolet, une région rurale qui part de Pierreville et qui va près de Sainte-Marie-de-Blanford, jusqu'à l'autoroute 20. Comme je le mentionnais, malgré les subventions, les études qui ont été faites et les équipements installés, Sogetel n'est pas encore capable d'offrir le service à 100 p. 100 de la région à cause des contraintes, les forêts, la distance entre la station émettrice et la résidence, les maisons et autres obstacles.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : C'est une très belle région du pays, une très belle région du Québec.

Il y a toutes sortes de questions, monsieur Ménard, et j'aimerais que vous simplifiiez les choses pour moi. J'aime ce que vous dites, mais ne suis pas sûr de tout comprendre. L'échange de carbone est une nouvelle source de revenu pour les agriculteurs. Comment est-ce que cela fonctionnerait pour une exploitation laitière de Nicolet? Comment cette entreprise familiale tirerait-elle de l'argent de l'échange de carbone?

M. Ménard : Je vais vraiment simplifier les choses. En gros, dans l'est du Canada, le carbone est dans les grandes citernes à lisier. Dans l'ouest du Canada, le carbone est dans la terre, dans le sol. C'est assez simple.

À un stade de complexité plus élevé, je dirais que nous avons besoin de la technologie pour réduire les éventuelles émissions de carbone des citernes à lisier. Si nous y parvenons, nous sommes payés pour cela.

Dans l'Ouest, le processus est inversé. L'agriculteur fait pousser une culture, qui a des racines dans le sol. Si l'agriculteur empêche ces racines de retourner à l'air, il a capturé le carbone et donc réduit le carbone potentiel; il a en fait acquis du carbone qui était dans l'air et l'a mis dans la terre.

Il y a deux types de carbone, si l'on veut vraiment simplifier les choses.

Le sénateur Mercer : Cela étant, qui paye?

M. Ménard : Si un agriculteur a un système de gestion des données assez rigoureux —, nous gérons en fait les données d'une exploitation agricole — et si l'agriculteur prouve au marché qu'il y a eu une réduction ou une capture du carbone, comme dans l'Ouest, il peut être payé pour cela.

Le sénateur Mercer : Qui paye pour cela?

M. Ménard : Quiconque en a besoin, quiconque pollue plus qu'il n'y est autorisé par règlement. Ces gens savent quelles sont les limites et combien de crédits leur sont nécessaires. Ils espèrent que le marché leur offre ces crédits.

Au Canada, le besoin est énorme. Nous savons maintenant que nous ne serons pas en mesure d'atteindre notre objectif en matière de carbone. Il va être impératif pour le comité de proposer des solutions d'un océan à l'autre entre les agriculteurs de l'Ouest et ceux de l'Est. Nous pouvons mettre nos efforts en commun, créer un portefeuille équilibré de deux types de carbone, le proposer au marché et créer pour les agriculteurs une source de revenu entièrement nouvelle, ne requérant pas d'argent du contribuable, vu qu'il s'agit d'une entreprise privée. C'est ce que nous visons.

Le sénateur Mercer : La Nova Scotia Light and Power Company, qui produit de l'électricité dans ma province, a trop de centrales thermiques ou alimentées au charbon et au pétrole. Elle doit réduire son carbone. Elle pourrait donc acheter des crédits de carbone.

M. Ménard : Oui.

Le sénateur Mercer : Les choses me semblent un petit peu plus claires maintenant.

M. Ménard : Il existe des solutions pour ces sociétés. Les services publics dans l'Est ou l'Ouest qui ont recours au gaz pour leur production d'électricité, pourraient aussi planter des arbres dans le Sahara s'ils le désiraient et en utiliser les crédits là-bas.

En fait, ce que je propose, c'est qu'on rémunère les agriculteurs canadiens pour ce qu'ils font déjà.

Le sénateur Mercer : Est-ce que ça pourrait se faire rapidement?

M. Ménard : On pourrait commencer dès demain.

Le sénateur Mahovlich : Êtes-vous en train de dire qu'on pourrait créer une institution qui ressemblerait à la Commission canadienne du blé au Canada qui serait responsable de la réglementation?

M. Ménard : Il ne serait pas nécessaire de créer de nouveaux règlements parce qu'il s'agit d'un secteur qui répond aux forces du marché. Ce qui est urgent, par contre, c'est de déclarer que le carbone canadien doit rester au Canada.

Le sénateur Mahovlich : D'accord, mais il y a des agriculteurs qui sont indépendants. Il serait difficile de les assujettir à une quelconque réglementation sans avoir une sorte de commission nationale.

M. Ménard : Il existe des marchés nationaux assujettis à la réglementation de Kyoto. L'économie européenne, pour sa part, est autonome. D'autres pays, comme le Japon, sont également autonomes en matière de carbone. Ils pourraient former des regroupements, mais choisissent de ne pas le faire. Étant donné les besoins en carbone qui existent dans ces pays, la matière n'est pas exportée.

Pour ce qui est du carbone, la question du libre-échange n'est pas vraiment pertinente. En effet, il s'agit d'une question d'envergure nationale pour l'heure. L'objectif, c'est d'avoir une économie mondiale fluide et, dans l'avenir, l'échange d'unités d'émissions de carbone sera possible entre l'Europe et le Canada. La directive à cet effet a déjà été rédigée, mais n'a pas encore été avalisée par les autorités canadiennes en raison de la forte demande en carbone au niveau national. Comme nous avons véritablement besoin de notre carbone au Canada, il serait ridicule de l'exporter.

Les marchés non réglementés, comme celui des États-Unis, dont les autorités n'ont pas signé le Protocole de Kyoto, s'étendent vers le nord. En Saskatchewan, le carbone est très convoité et les crédits se retrouvent sur les marchés volontaires aux États-Unis. On devrait mettre un terme à cela. Il faut que les marchés soient réglementés. Nous sommes sur la bonne voie et il ne faudrait pas s'en écarter.

Le sénateur Mercer : Par rapport à ce que disait le sénateur Mahovlich, au lieu d'avoir quelque chose de semblable à la Commission canadienne du blé, il faudrait qu'on permette aux agriculteurs de saisir les occasions de commercialisation dont il est question. Vous dites que pour empêcher toute fuite vers les États-Unis, il faut que le marché soit réglementé.

M. Ménard : Il est réglementé. C'est en raison de l'existence de marchés non réglementés, comme celui des États- Unis, qu'il y a des forces étrangères qui mettent la main sur les crédits des producteurs pour les expédier à l'extérieur du pays. Mais il faut savoir qu'on ne peut pas compter deux fois les crédits. Par exemple, s'il y a un certain nombre d'acres qui n'ont pas été cultivées et que les crédits ont été vendus aux États-Unis, on ne peut pas les revendre au Canada le lendemain. Les crédits ont été utilisés et ont disparu.

Le sénateur Mercer : Je suis convaincu qu'il y aura quelqu'un qui trouvera moyen de les faire compter deux fois.

M. Ménard : Nous avons créé une société qui s'intéresse au carbone à l'échelle mondiale. Nous avons discuté avec beaucoup d'intervenants dans l'Ouest. En effet, au cours des quatre derniers mois, j'ai été dans l'Ouest sept fois. J'ai notamment été en Saskatchewan. On ne se rend pas bien compte que les provinces sont comme des pays différents. Il suffit d'aller dans l'Ouest pour se rendre compte que la Saskatchewan et l'Alberta sont deux endroits bien différents.

En Saskatchewan, les choses évoluent au ralenti. En effet, les agriculteurs sont à court d'argent. Ils sont donc prudents. Étant donné les marges des producteurs de nos jours, ils doivent l'être. Il nous faut une mesure incitative, quel que soit le nom qu'on lui donne, pour convaincre les producteurs d'adhérer à ce système de gestion des données qui nous permettrait de vendre ces crédits sous forme de crédits réglementés. Le Canada n'est pas un pays mais un continent. Son territoire est énorme. Le comité pourrait formuler une proposition en ce sens le moment venu. Le comité devrait faire valoir auprès de celui qui décide — on sait tous de qui il s'agit — l'importance de la réglementation des crédits canadiens et du fait qu'il faut que ces crédits restent des crédits réglementés.

Nous ne sommes pas contre le libre-échange. Si les autorités américaines acceptaient de réglementer leur marché, on serait heureux de permettre les échanges, mais leur marché n'est pas réglementé. On assiste à la fuite lente du carbone alors que notre économie en a grandement besoin. J'estime que le libre-échange à lui seul ne suffit pas. En effet, il faut également que les échanges soient équitables. Je répète que le contribuable ne devra rien débourser; le secteur réagit aux forces du marché. Il suffit d'élaborer de bonnes recommandations à l'intention des bonnes personnes.

Le sénateur Mercer : Monsieur Duhaime, comme vous le savez, notre étude porte principalement sur la pauvreté en milieu rural. Dans la région de Nicolet, vous avez 22 000 clients. Combien y a-t-il de comptes en souffrance? Combien de clients ne paient pas leur facture de façon régulière?

M. Duhaime : Il n'y en a pas beaucoup. Je dirais moins de un pour cent. Si les clients ne paient pas, on leur retire le service et par conséquent ça les motive à payer. Pour nous, les comptes en souffrance, ce n'est pas vraiment un problème.

Le sénateur Mercer : Effectivement, les services téléphoniques ne sont pas un luxe mais une nécessité.

M. Duhaime : Tout à fait.

Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de la disponibilité du service cellulaire. Personne ici ne peut se passer de son téléphone cellulaire ou, dans certains cas, de son BlackBerry. Sur les 22 000 clients, combien pourraient avoir accès au service cellulaire s'ils le désiraient?

M. Duhaime : Dix-sept mille, sans doute.

Le sénateur Mercer : C'est une grande proportion de clients.

M. Duhaime : Effectivement.

Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de subventions accordées pour les équipements. Cela comprend-il les tours émettrices pour le service cellulaire?

M. Duhaime : Si on voulait offrir le service partout, oui.

Le sénateur Mercer : Il y a très longtemps, il y avait un programme d'électrification rurale qui visait à acheminer le courant à toutes les régions du pays. Mais là je vous parle d'une époque que je n'ai pas connue moi-même et que vous n'avez certainement pas connue.

Pensez-vous qu'on devrait aborder la question des services cellulaires de la même façon? Il est plus facile de construire une tour d'émission que d'installer des câbles électriques reliant au réseau toutes les maisons du territoire.

M. Duhaime : Ce que vous proposez pourrait marcher, effectivement. Les fournisseurs de services pourraient se partager les coûts de la tour.

Le sénateur Mercer : Pas seulement les fournisseurs de services de la région.

M. Duhaime : Nos clients du service cellulaire finiront par profiter de la tour. Permettez-moi de vous donner un exemple : un client de Bell Mobilité pourrait avoir accès au service lorsqu'il se trouve dans ces régions. Dans le cas de ces clients, il pourrait être intéressant pour Sogetel de desservir ces régions rurales.

Le sénateur Mahovlich : La frontière américaine n'est pas très loin. Les Américains ont-ils accès au service dans les régions reculées? Vous avez parlé de la Beauce et de la région du Nord-Est.

M. Duhaime : Du côté américain de la frontière, il n'y a que des forêts. Il n'y a pas de service à proximité de ces zones aux États-Unis. Il s'agit de la frontière principale et, à vrai dire, il n'y a que des forêts.

D'ailleurs, les douanes et les services de protection frontalières américains sont des clients parce qu'il n'y a pas de service téléphonique là-bas.

Le sénateur Mahovlich : Vous offrez votre service aux États-Unis?

M. Duhaime : Oui. On ne devrait pas, mais on le fait.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit que la situation était particulièrement difficile dans les montagnes. Connaît- on les mêmes problèmes dans d'autres provinces canadiennes? La Colombie-Britannique, par exemple, est très montagneuse.

M. Duhaime : Les mêmes problèmes existent sans aucun doute là-bas.

Le sénateur Mahovlich : En tout cas, moi, je n'ai jamais eu de problèmes à Whistler, en Colombie-Britannique. Le service est offert là-bas.

M. Duhaime : Sans doute parce qu'il y a un marché.

Le sénateur Mahovlich : Voilà ce dont on a besoin, un marché.

M. Duhaime : Tout à fait.

La présidente : Ce n'est pas une coïncidence que nos deux premiers témoins aient abordé les sujets dont on vient de discuter. Dans toutes les régions rurales canadiennes où nous nous sommes rendus — on ne va pas dans les villes mais dans les villages — cette question de la large bande a été soulevée. Les citadins pensent que le service à large bande est disponible partout au Canada. C'est assez choquant de constater à quel point il ne l'est pas.

Je suis contente que vous soyez dans l'Ouest. Les agriculteurs connaissent depuis quelque temps des moments difficiles et ils n'en sont aucunement responsables. Pour eux, c'est une question très importante, une situation dont ils voudraient profiter. Ils tentent de convaincre les gouvernements d'agir au plus vite étant donné l'apparition rapide du phénomène et le fait qu'il semble se propager au nord de la frontière américaine. C'est une question de première importance.

Je vous remercie tous les deux de votre comparution.

Nous accueillons maintenant un ami de longue date qui a comparu devant le comité de nombreuses fois, M. Laurent Pellerin de l'Union des producteurs agricoles — il s'acquitte merveilleusement bien de ses tâches — et cette fois-ci il est accompagné de M. David Tougas.

Nous avons également parmi nous Mme Maria Labrecque Duchesneau qui représente l'association Au cœur des familles agricoles. Nous sommes heureux de pouvoir vous accueillir.

Nous accueillons également Mme Marthe Tremblay qui comparaît à titre personnel, un témoin important. Elle aura également l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.

[Français]

Laurent Pellerin, président général, Union des producteurs agricoles : Madame la présidente, je ne m'attarderai pas sur la présentation de l'UPA. Vous connaissez notre organisation, toutefois je vous rappellerai quelques éléments. J'aimerais aussi ajouter que nous sommes heureux d'être ici ce matin, pour vous parler des préoccupations des producteurs agricoles et du milieu rural en général sur la question des revenus, en termes de pauvreté en milieu rural. Même dans le secteur agricole, la question des revenus et de la pauvreté, est une question fortement débattue par les temps qui courent.

On vous a remis un document détaillé de ma présentation. Je ne lirai pas le document. L'organisation de l'UPA compte 25 fédérations spécialisées et affiliées, dont 16 fédérations régionales couvrant le territoire du Québec au complet. Nous sommes associés aussi à différentes activités : développement de la main-d'œuvre, coopération internationale, fonds de recherches en partenariat avec le gouvernement du Québec.

Je suis d'autant plus fier d'être devant vous ce matin à Nicolet parce qu'on vous rencontre habituellement à Ottawa ou ailleurs au Canada. Ma ferme est à Saint-Grégoire, c'est rare qu'on fasse des présentations aussi près de la ferme.

Je voyais dans votre titre que vous vous préoccupez de la question des forêts. Une particularité de notre organisation, c'est que nous représentons les 130 000 propriétaires forestiers privés du Québec. La Fédération des producteurs de bois est affiliée à l'UPA. C'est une activité extrêmement importante en région, partout à travers le Québec et, je vous dirais, une activité, dans bien des cas, complémentaire pour plusieurs de nos agriculteurs. Ce boisé privé remplit à peu près 20 p. 100 de l'approvisionnement des usines de transformation de bois au Québec. Vous comprendrez que la période difficile dans le secteur de la foresterie vient ajouter aux difficultés financières traversées par le monde rural et le milieu agricole au Québec. Si vous regroupez les problèmes de revenus agricoles et ceux du secteur forestier, vous avez déjà en partant quelque chose d'assez catastrophique.

J'attirerais votre attention à la page 8 du document pour décrire la situation à l'aide de deux graphiques. On pourrait en parler longuement, mais l'illustrer dans un graphique vous donne une image claire de ce qui se passe dans le monde agricole. Vous avez dans le graphique du milieu, les revenus nets agricoles pour le Québec des 15, 16, 17 dernières années. Si vous regardez les trois dernières années — un revenu correct au Québec— les revenus nets gravitent autour de 600 millions de dollars et 800 millions de dollars par année — la prévision pour 2007 est de 171 millions de dollars. Ce sera le revenu annuel le plus bas, et jamais rencontré de toute l'histoire de l'agriculture moderne du Québec. Ce n'est pas seulement au Québec. Le graphique du bas démontre la même tendance à travers le Canada. Parfois, pour nous consoler, nous regardons la situation en Ontario; en 2007, l'Ontario aura 300 millions de dollars de revenus négatifs, c'est-à-dire que les producteurs devront emprunter pour terminer leur année 2007. C'est sûr qu'il y a des producteurs qui se tirent bien d'affaire dans la période actuelle, il n'y a aucun doute. Il y a certaines productions qui vont beaucoup mieux que d'autres. Il y a des productions qui sont plus organisées aussi et l'organisation est un facteur de succès. Je prends, par exemple, les productions sous gestion de l'offre, le lait, la volaille, ce sont des productions qui se débrouillent, bon an mal an, mieux que l'ensemble des productions. Certaines de ces productions se débrouillent relativement bien, par contre, on a une moyenne de revenu qui s'en va près du zéro dans plusieurs provinces canadiennes. C'est intenable et c'est ce qui fait que les producteurs canadiens ont alerté le gouvernement fédéral dans leur révision actuelle du cadre stratégique agricole canadien.

À la page suivante, vous constaterez que lorsque les marchés ne sont pas là pour suffire au revenu agricole, historiquement en Amérique du Nord, partout dans les pays développés, ce sont les interventions gouvernementales qui ont comblé ces écarts. Au tableau du haut de page, vous voyez l'évolution des paiements de programmes entre le Canada et les États-Unis; les États-Unis ont eu de grosses augmentations au cours des dernières années. Malgré toutes les ententes de commerce international, de l'entente du GATT de 1993, les États-Unis continuent à subventionner substantiellement leur agriculture; au Canada, les augmentations d'investissements en agriculture dans les dernières années visaient surtout le problème du ESB survenu dans le secteur bovin de l'Ouest canadien. Cela a eu des répercussions partout à travers le Canada.

C'est important qu'au Canada, l'on regarde ce qui se passe aux États-Unis. En plus d'être notre voisin, la frontière se traverse quotidiennement des deux côtés avec tous nos produits agricoles. Le prix de la plupart de nos denrées agricoles est fixé sur le marché américain, la Bourse de Chicago pour les grains, le porc et le bœuf. C'est là que sont déterminés les prix. Tout ce qui existe de l'autre côté de la frontière, comme politique agricole, comme décision politique ou comme pression sur le marché américain, a une incidence sur les prix et la situation des agriculteurs du Canada. C'est pour cette raison qu'il faut toujours regarder ce qui se passe de l'autre côté de la frontière.

C'est très inquiétant de voir le graphique du milieu de la page 9 où l'on voit l'évolution du revenu net total agricole des États-Unis et celui du Canada. La tendance aux États-Unis dans les dernières années, c'est une augmentation substantielle du revenu net des producteurs. Ça va bien. Pendant la même période, la tendance au Canada montre un revenu net à la baisse.

Cette semaine, j'étais à Ottawa et quelqu'un me posait la question. Je lui disais que cela faisait 30 ans qu'on produit des céréales et que l'on perd de l'argent presque tous les ans. Ce n'est pas parce que le prix des céréales est intéressant depuis quelques mois, que cela corrige les 30 dernières années. La personne du panel me demandait, « Pourquoi continuez-vous à produire des céréales si vous perdez de l'argent? » Bonne question. Dans l'Ouest canadien, c'est la même chose. Quand les producteurs agricoles ont comme biens fonciers des terres et qu'ils sont des producteurs de céréales, ils produisent des céréales. Il n'y a pas d'autre choix, ou bien vous vous retirez de l'agriculture. Les dernières données publiées cette semaine, du Recensement agricole 2006, indiquent encore 20 000 fermes de moins sur les cinq dernières années au Canada. Donc, il y a beaucoup de producteurs qui font le choix de se retirer de l'agriculture, certains par choix et d'autres par obligation. Les gens disent, « Si vous ne faites pas d'argent, vous le prenez où votre argent? » Ce n'est pas compliqué. Les producteurs le prennent quelque part leur argent quand les prix ne sont pas là, ils l'empruntent.

Regardez le tableau du bas. Pendant que les États-Unis ont des bons revenus nets, ils remboursent leurs dettes, pendant que nous, les Canadiens, avons des revenus nets à la baisse et on augmente notre endettement sur les fermes. On s'en va directement dans un mur.

À la page 10, vous avez le ratio du fonds de roulement (liquidités). Il n'y a pas de liquidité sur les fermes canadiennes. Donc, il n'y a pas de possibilité de se moderniser aussi rapidement que l'on devrait, contrairement à nos voisins du Sud.

Parmi les différents gouvernements qui sont passés au fédéral, et le gouvernement actuel, c'est un peu la même chose. Beaucoup de fonctionnaires au fédéral, beaucoup de gens du milieu des affaires nous ont vanté les vertus de l'exportation. Nous y croyons, mais avec une certaine réserve. Le tableau du bas de la page 10 illustre ce qu'on a fait au Canada dans les 20 dernières années. Je prendrais surtout la période 1990-2005 où l'on a eu au Canada des objectifs de développement des exportations, prenant pour acquis que si on développait les exportations, ce serait bon pour les producteurs et les fermiers. Mais regardez la ligne bleue, l'augmentation des exportations agricoles et agroalimentaires du Canada, c'est une courbe qui a augmenté d'une rapidité incroyable. Regardez pendant ce temps le revenu des producteurs, il a stagné au mieux et au pire. Si on interprétait la tendance, il y a une tendance à la baisse. Donc, il n'y a pas de lien entre le développement de volume d'exportation et les meilleurs revenus pour les producteurs.

À la page suivante, vous avez l'illustration du secteur du bois. J'ai dit qu'on représentait aussi le secteur forestier. Il n'y a pas de cachette. La crise des deux dernières années dans le secteur forestier, je pense que c'est comme cela à la grandeur du Canada, est due aux prix unitaires, qui sont à la baisse, et des difficultés substantielles pour les producteurs.

Les prochaines pages traitent du renouvellement du cadre stratégique agricole canadien, on y retrouve chacun des volets, par exemple, la salubrité des aliments, le renouveau, la gestion des risques, et cetera. Je vous ferai deux commentaires si on veut retenir l'essentiel de ce qu'on revendique dans le nouveau cadre stratégique agricole canadien.

Ce serait une bonne chose qu'il y ait un Farm Bill au Canada. Il n'y a jamais eu de Farm Bill ici. L'expression « Farm Bill » aux États-Unis et partout à travers le monde, fait trembler les politiciens et le monde agricole. On parle du Farm Bill américain et on sait que c'est lourd et efficace. Au Canada, on a toujours eu des politiques qu'on a appelées « programme catastrophe ». Pendant que les autres ont des stratégies, nous réagissions par des programmes catastrophes. Il faut dire que notre stratégie n'était pas très performante.

Ce serait donc bonne idée d'avoir un Farm Bill au Canada qui est consistant, qui se tient debout et qui est capable de « matcher »ce qui se fait du côté américain. Sinon, nos producteurs ne seront absolument pas dans le coup. Quand je dis « matcher », ce n'est pas nécessairement « matcher » dollar pour dollar. Oui, il y a une partie qui est une intervention financière, il n'y a pas de doute, mais peut-être qu'on peut être plus stratégique dans nos investissements, dans nos réglementations, dans nos stratégies de mise en marché et de développement. Il y a alors une combinaison des deux. Si on veut que le prochain Farm Bill canadien réussisse, il faudra qu'il soit développé en partenariat avec les producteurs et les gens de la transformation. Ce n'est donc, pas une imposition gouvernementale. Aux États-Unis, ce sont les sénateurs, ce sont les lobbys de producteurs qui, avec le gouvernement, développent les éléments du Farm Bill. Au Canada, historiquement, ce sont les fonctionnaires qui ont développé les programmes. Il faut donc reconnecter le développement d'un Farm Bill avec la population et les clients.

L'autre caractéristique, pour assurer la réussite d'un Farm Bill canadien, serait d'être flexible. Un des témoins qui m'a précédé disait que le Canada n'est pas un pays, c'est un continent. Effectivement, c'est un continent pour l'agriculture en particulier. Ce sont des situations extrêmement différentes d'un bout à l'autre du pays. Ce qui se passe en Colombie-Britannique en agriculture n'a rien à voir avec ce qui se passe en Saskatchewan. Nos producteurs de l'Ile- du-Prince-Édouard, qui semaient leurs pommes de terre cette semaine avec cinq centimètres de neige, n'ont rien à voir avec ce qui se passe ailleurs dans une autre province canadienne. On a chacun nos climats. On a chacun nos types de sol. On a chacun nos historiques de production, nos expertises. Pour qu'un Farm Bill canadien réussisse, il doit être adapté au moins à chaque région du Canada et favoriser des conditions de flexibilité suffisantes pour que les acteurs puissent adapter la stratégie canadienne à la réalité du terrain.

Dans le précédent Farm Bill, quelqu'un a dit, « One size fits all ». Le programme canadien devait être uniforme partout à travers le Canada, qu'il s'agisse d'un agriculteur au Québec ou d'un agriculteur en Colombie-Britannique. Il faut faire attention que le gouvernement actuel ne répète pas la même chose; il faut prévoir cette flexibilité.

C'est l'essentiel de ce que j'avais à vous dire ce matin. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la deuxième partie de la présentation.

Maria Labrecque Duchesneau, directrice administrative, Au cœur des familles agricoles : Madame la présidente, il existe différentes façons de définir et de mesurer l'appauvrissement. On est pauvre quand nos revenus ne suffisent pas pour faire face au coût de la vie. La pauvreté économique se définit donc par le rapport entre les revenus d'un côté et le prix des biens et des services nécessaires de l'autre. Voilà qui nous fait dire que la pauvreté a plus d'un visage. En dépit de l'attrait qu'exerce le milieu rural, en dépit de cette enviable prospérité qu'affichent la plupart des exploitations agricoles, ils doivent aussi lutter contre l'appauvrissement.

Aux yeux de la loi maintenant :

La pauvreté est la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société.

La politique de la santé et du bien-être social rajoute :

Les privations financières ont des effets directs et indirects sur la santé et le bien-être.

J'abonde en ce sens en constatant les effets désastreux que toute situation financière précaire peut avoir sur la santé mentale à moyen et à long terme.

Dans l'exercice de mes fonctions d'intervenante au sein de l'organisme Au cœur des familles agricoles, je côtoie les besoins sous toutes ses formes et je constate que le résultat est partout le même : lorsque l'essentiel manque, lorsqu'on ne peut joindre les deux bouts, lorsque la joie de vivre fait place à un casse-tête et aux préoccupations permanentes, notre dignité humaine prend un dur coup. On ne vit pas, on survit. C'est là une façade visible de la pauvreté qui est beaucoup plus insidieuse. Elle se mesure dans le taux de fréquentation des hôpitaux, dans le taux de criminalité, dans la hausse des cas de violence faite aux femmes et aux enfants. La pauvreté s'infiltre là où la structure a des failles. Car la pauvreté fait obstacle à l'éducation, à la qualité de vie, à l'épanouissement de la personne et aux rêves d'avenir. Autant de sources de motivation qui nous permettent de grandir et de nous hisser à la hauteur de nos défis et auxquelles les gens pauvres doivent souvent renoncer. En plus de nuire au développement de l'enfant et de compromettre ses chances de réussite dans la vie, la pauvreté crée des barrières sociales. Le taux de détresse est très élevé en milieu rural. Les familles agricoles ne font pas exception à la règle.

Venons-en à ces producteurs qui doivent investir plusieurs milliers de dollars en animaux, infrastructures, machineries et équipements de toutes sortes. Leur travail est très peu rémunéré compte tenu des nombreuses heures de travail consacrées à leur entreprise. Si les producteurs déploient autant d'efforts à leur entreprise, c'est qu'ils ont à cœur de réussir et de demeurer dans la course alors que les mots « productivité et rentabilité » donnent le ton à l'économie. Ils sont nombreux à composer avec le facteur de l'endettement. À la ferme, on manque rarement de nourriture sur la table et pourtant ... Ce secteur si vital de notre économie, qui est la source de notre alimentation, se fragilise et s'appauvrit, force est de l'admettre.

Il faut prendre conscience du tour de force que certains agriculteurs doivent réaliser au quotidien pour conserver leurs acquis malgré des revenus réduits ou stagnants, des prix coupés pour leurs produits, les coûts des intrants à la hausse et des liquidités réduites ou absentes pour mener de bonnes affaires. Il n'est jamais facile de gérer la décroissance, encore moins lorsque la situation se prolonge. Déjà que les producteurs agricoles administrent des usines à ciel ouvert, ils doivent de plus composer avec les hauts et les bas de leur secteur d'activités, tentant de repérer au fil des expériences les avenues les plus rentables. Plusieurs producteurs qui ont la passion et la vocation vont ainsi fonctionner à perte durant quelques années en nourrissant un certain espoir. Avec la mort dans l'âme, certains devront se résigner à mettre la clé dans la porte après avoir épuisé tous les moyens à leur disposition. La famille agricole, qui a vécu à 100 milles à l'heure durant plusieurs années, se retrouve soudain devant un cul-de-sac, obligeant ses membres à se réorienter. Connaissant bien leur patelin, ces producteurs savent que le gazon n'est pas plus vert dans la cour du voisin. Dans certains villages éloignés, on a parfois l'impression que la vie s'est arrêtée tellement les infrastructures sont négligées. Les services publics ont été réduits au strict minimum. Devant l'absence de transport collectif, même les familles les plus démunies doivent posséder une voiture pour se déplacer vers les centres commerciaux et les hôpitaux, souvent situés à une bonne trentaine de minutes de la maison.

Les villages qui possèdent un dépanneur, une cantine, une caisse populaire, un CLSC, un bureau de poste et une école doivent se compter chanceux. Les autres nous donnent l'impression d'avoir perdu leur âme. À une certaine époque, le curé de la paroisse agissait comme confident aux paroissiens. Aujourd'hui, plusieurs paroisses se partagent ses services. Autres temps, autres mœurs.

Le portrait démographique du milieu rural nous fait voir une population vieillissante. Phénomène relativement nouveau, ses espaces verts se transforment en oasis de paix pour les retraités qui fuient la ville. Plutôt que de se mêler à la collectivité, ces citadins convertis en ruraux vont choisir de vivre en reclus, à l'abri du voisinage.

Sur le plan de la consommation, l'absence de concurrence joue en faveur des détaillants. Le consommateur doit souvent se contenter d'un choix limité d'articles qu'il paiera néanmoins à gros prix. Les foyers qui ont peu d'argent et de ressources sont plus durement touchés lorsque le coût de la vie grimpe et lorsque le malheur frappe. Le fossé qui sépare les pauvres des riches se creuse.

Sur le plan industriel, les secteurs primaires, telles l'agriculture, la foresterie et les mines, qui ont été le moteur économique de nombreuses régions, subissent une profonde transformation qui fait craindre le pire aux plus optimistes. Plus on s'éloigne des centres névralgiques, plus l'activité économique bat de l'aile.

À quelques heures de la grande métropole, la pauvreté est là aussi pour hanter certaines communautés. Combien d'emplois en région ont disparu dans la vague des acquisitions alors que les grandes entreprises rationalisent leurs activités et consolident leur présence autour des grands centres? Combien d'entreprises employant 200, 300 ou 400 personnes ont plié bagage en invoquant le motif de la non-rentabilité, plongeant une bonne tranche de la population au chômage?

Les remous créés par la fermeture de certaines usines sont encore frais à notre mémoire. Pour ces communautés, les pertes d'emplois se vivent comme un deuil qui touche la quasi-totalité de la population. Pour le citadin, il est relativement facile de se tourner vers un autre emploi. Le travailleur du milieu rural a très peu d'alternatives devant lui. La situation de l'emploi en milieu rural est précaire et crée un profond sentiment d'incertitude. Les jeunes en quête d'un avenir prennent un à un la direction de la ville. Pour eux, la ville est pleine de promesses à tous les points de vue. Rares sont ceux qui reviennent s'y établir à moins d'avoir un métier qui cadre dans ce portrait. Bien sûr, il y aura toujours quelques jeunes adultes pour renouer avec leur région et trouver une façon de tirer leur épingle du jeu. Il faut voir ces jeunes comme une partie de la solution.

La pauvreté nous montre ses multiples visages : désoeuvrement, éloignement, isolement, exclusion. Fort heureusement, l'entraide est une valeur encore bien vivante dans les petites communautés. Les corvées existent toujours lorsque, par exemple, un incendie jette une famille sur le pavé. Mais, il y a un envers à la médaille. Ce milieu est aussi propice à la création de clans, de classes et de hiérarchies. Les pauvres en milieu rural sont souvent mis à l'écart à la manière des habitants des ghettos dans les grandes villes. Pour ces derniers, un phénomène de socialisation est possible à l'intérieur de la marginalisation. Nos ancêtres établis en milieu rural proclamaient avec fierté qu'ils connaissaient leurs pauvres. Ils étaient aussi très fiers d'avoir dans leur maison un banc de quêteux et d'inviter ces derniers à prendre place à leur table à l'occasion. En est-il comme cela aujourd'hui? Dans les petites communautés, la formation de clans favorise l'isolement de certaines classes sociales. Rarement voit-on les pauvres se mêler à l'activité communautaire. Alors que dans les grandes villes, tous les genres sont permis, on a très peu de tolérance et d'ouverture face à l'exception en campagne. En milieu rural, un profil ethnique différent et le fait de s'exprimer dans une langue étrangère sont aussi des raisons additionnelles pour se faire cataloguer.

L'homogénéité, par contre, ne fournit pas nécessairement un remède à tous les maux : plus la communauté est réduite, plus les potinages et les rumeurs circulent rapidement. Les qu'en-dira-t-on ont aussi une grande influence sur les comportements. Ils incitent les plus originaux à ne pas sortir des sentiers battus. La réputation, si ce n'est l'histoire familiale, vous suit partout. Ainsi, dans un contexte où tout se sait et où les services d'aide offerts sont souvent méconnus, on aura tendance à se replier sur soi. Lorsque des rapprochements s'effectuent, ils se font généralement selon les affinités. Les agriculteurs, connus comme des gens d'action, s'engagent assez facilement dans la vie communautaire et occupent volontiers des postes dans les services publics. Pompiers, premiers répondants, ils sont souvent sur la première ligne.

En ce qui a trait aux recommandations : Les communautés qui perdent peu à peu leurs services essentiels et leurs activités économiques doivent chaque fois réorganiser leur vie. Lorsque le climat économique est au ralenti, il devient difficile d'envisager le développement. Comme en fait foi l'avis publié par le Conseil de la famille et de l'enfance sur son site Internet sous le thème, Créer des environnements propices avec les familles — Le défi des politiques municipales, « les capacités de développement des collectivités rurales où la concentration de pauvreté est élevée sont considérablement réduites ». Pour l'instant, la pauvreté et l'appauvrissement suscitent des réflexions, mais ne sont pas dans les priorités des élus municipaux. Plusieurs gestionnaires partent du principe qu'il faut de la richesse pour la partager. Ainsi, on favorise la création d'activités économiques sans directement s'attaquer à la pauvreté, tout en sachant que le chômage et le désoeuvrement coûtent très cher à notre société.

Éliminer la pauvreté pour un développement durable est certes la meilleure solution. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Sans prétendre qu'elle soit la solution à tous les maux, je suis pour une approche plus humaine qui permettrait aux moins nantis de ne pas s'enliser dans la pauvreté ou dans la détresse. Ainsi, si une difficulté ou un imprévu survient, les personnes les plus vulnérables trouveront du réconfort dans le fait de savoir que leur entourage n'est pas indifférent à ce qui leur arrive. À titre d'exemple, les soins médicaux spécialisés fournis à distance sur une longue période de temps peuvent constituer tout un casse-tête pour bien des foyers. L'entraide est précieuse pour ceux et celles qui doivent livrer des combats pour assurer leur subsistance ou simplement se garder en vie.

En milieu rural, et particulièrement dans les régions éloignées, l'appauvrissement et la pauvreté finissent par atteindre toutes les couches de la population si on ne sait pas les stopper : les enfants qui ont besoin de rêver et de croire en leurs rêves; les familles qui ont besoin de stabilité pour créer un foyer chaleureux et donner amour et éducation à leurs proches; les personnes âgées qui ont droit au repos et à la sérénité dans cette dernière étape de leur vie.

Nous connaissons tous la puissance des initiatives locales. Chaque communauté a ses leaders, ses porte-parole et ses partisans naturels. Il suffirait d'un coup de pouce de nos institutions pour éveiller leur sens de l'initiative, que ce soit par le biais de réseaux d'entraide ou autres moyens. Grâce à l'entraide, il y aurait possibilité de ramener les membres exclus et isolés dans le giron social. En encourageant un sentiment d'une grande famille où tous se respectent et s'acceptent avec leurs affinités et leurs différences, ferait en sorte que la misère soit moins lourde. À l'heure où de plus en plus de responsabilités reposent sur les citoyens, ce modèle est tout indiqué pour éviter que la situation ne se détériore irrémédiablement. Pour insuffler un maximum de dynamisme aux initiatives locales, la coordination de l'ensemble serait confiée à un « travailleur de rang », chargé de mobiliser et de canaliser les énergies. Le rôle du travailleur de rang est crucial à la réussite du projet. Cette personne, connue pour son entregent, sa capacité d'écoute et de résolution de problèmes, serait chargée d'établir et d'entretenir de bonnes relations et de favoriser les rapprochements et les interactions en s'entourant de ressources qu'il aura identifiées pour l'appuyer dans cette démarche. Le modèle « travailleur de rang » développerait aussi des liens solides avec les organisations locales pour la mise au point de solutions adaptées. Au lieu de laisser les régions s'enfoncer dans la torpeur, donnons une chance à l'entraide d'être réintégrée dans nos communautés. Toute la collectivité y trouvera son profit. Rappelons-nous aussi que tous les acteurs, autant que nous sommes, avons un pouvoir sur l'appauvrissement. De là naîtront les solutions.

Marthe Tremblay, à titre personnel : Madame la présidente, je vous remercie de m'accueillir. Je suis agricultrice, de la quatrième génération sur une ferme qui, aujourd'hui, représente 458 acres de terre. Je suis la preuve vivante de ce qui a été dit depuis une demi-heure ici. Simplement, mais en 10 minutes, je relèverai le défi de résumer 30 ans de ma vie en agriculture.

C'est à la suite de la lecture de votre rapport intérimaire, que j'ai eu les « guts » de venir vous rencontrer parce que j'ai constaté qu'il y a quelqu'un qui sait vraiment ce qui se passe. Il y a des études faites par des spécialistes pour comprendre l'exode rural et la lutte contre la pauvreté. Cela m'a donné le courage de venir vous dire que oui, c'est vrai, ces réalités existent.

J'ai fait des études en travail social, mais à l'âge de 22 ans, en 1977, je suis devenue l'associée de mon père parce que j'étais une passionnée de l'agriculture. Alors, j'ai exploité une production laitière de 1977 à 1992. En 1979, un de mes frères s'est joint à moi. On était une famille de dix enfants. En 1992, on a été obligé d'abandonner l'industrie laitière pour des raisons de santé. J'ai alors trouvé un métier à l'extérieur de la ferme et mon frère a gardé la ferme pour se lancer dans l'élevage de bovins, avec des parcs d'engraissement dans les années 1992-1993.

Je me suis réorientée, toujours en agriculture parce que je ne pouvais pas aller ailleurs. Je faisais un suivi des ventes et des vendeurs-conseils pour une compagnie de moulé. En 1998, suite à la crise concernant le boeuf à travers le Canada dans les années 1990 et à cause de baisses de prix épouvantables, mon frère ne pouvait plus. Alors, il a tout abandonné, et moi, encore avec ma passion, j'ai acheté le fond de terre, comme propriétaire unique, et j'ai dit : « Ce n'est pas vrai, on va continuer en agriculture, j'aime trop ça. » Alors, j'ai gardé mon travail qui me donnait à ce moment-là 30 000 $ par année de revenu extérieur. C'est avec cet acquis, que j'ai pu aller devant la financière agricole du Québec pour racheter le fond de terre. Étant donné qu'on était dix enfants, mes parents n'étaient pas capables de tout donner et ils avaient des dettes. Je suis mère monoparentale d'un enfant, en passant, qui a 19 ans aujourd'hui.

En 1998, on avait quand même 680 acres en culture et des bâtiments, parce qu'on avait eu 85 vaches laitières. Mais là, encore étouffée par ma passion, j'ai dit qu'on ne laisse pas des bâtiments vides. Alors, j'ai lentement mis sur pied une production ovine. J'ai acheté 18 brebis qui, pour les producteurs, n'étaient plus bonnes. Avec ces 18 brebis, j'ai monté un troupeau, jusqu'en 2002, à 140 brebis. Mes conseillers du MAPAC disaient, « Voyons Marthe, ça ne va pas trop vite. » J'avais mon revenu extérieur, alors ça allait. J'étais capable de faire mes paiements de frais fixes de cet investissement sur le fond de terre.

En 2002-2003, avec de bons conseils et avec ma passion de vivre de l'agriculture, j'ai plongé et je me suis endetté de nouveau en augmentant le troupeau à 270 têtes. Mais, selon le modèle québécois en production ovine, pour en vivre, je ne sais pas si c'est comme ça au Canada, il faut 476 brebis avec un endettement de moins de 1 000 $ par brebis. En achetant le fond de terre et en réinvestissant, j'étais à l 050 $ d'endettement, mais j'avais mon revenu extérieur. Mon travail à l'extérieur me demandait 50 à 55 heures/semaine, en plus de la ferme. Je l'ai quand même fait. J'ai l'air d'avoir une auréole sur la tête, mais il faut être passionné d'agriculture pour le faire.

Alors, en 2002-2003, quand j'ai commencé vraiment à produire de l'agneau, il y a eu l'arrivée du ESB qui a atteint tout ce qui était ruminant. Les prix ont chuté et puis les frontières ont fermé la grande agriculture. Alors, à mesure que je vendais des agneaux, je perdais 20 $ par agneau. Il a fallu assumer tout cela, avec les coûts fixes qui continuaient d'entrer. Ma situation restait la même, avec les coûts de production et le travail à l'extérieur. Là, il faut que le corps suive la santé. Il y a 60 heures aussi dans la ferme et il faut arrêter à un moment donné.

En 2004, devenue coach à la compagnie de moulé, j'avais un bon salaire — mais les compagnies de moulés étaient mal prises et souvent, ce sont ceux qui coûtent le plus cher qui sont mis à la porte en premier.Vu que j'avais bien fait ma job de coaching, je présume, ils me disent, « Cause de restructuration et vu que tu as beaucoup de travail sur la ferme, on va te donner un break pour six mois. » Ils m'ont mis sur le chômage et ils m'ont dit qu'à l'automne, ils m'engageraient à nouveau parce que les jeunes allaient bien. J'ai dit non, que j'avais trop d'engagements financiers. Je ne pouvais pas perdre ma job. J'étais essoufflée un peu, alors, j'ai pris le chômage. Dès que j'ai commencé à recevoir mon chômage, au Canada, le chômage prend en compte tous les revenus agricoles que tu as et ils prennent 15 p. 100 de tes revenus bruts agricoles et ils le soustraient de ton chômage. Au lieu de m'attendre à avoir un chômage de 475 $ par semaine, ils ont considéré les revenus que j'avais durant l'été avec la vente de mes agneaux, et pas le fait ce soit aussi un temps propice pour les dépenses : les semences, les récoltes et tout ça. Déjà, c'était un accro important et mon chômage était moins élevé. Donc, mes prévisions budgétaires étaient mal en point. Je suis retournée travailler à l'automne parce que je n'avais pas le choix. Je me suis battue parce que dans leur tête, ils ne me reprenaient pas, mais en fin de compte, j'ai pu travailler un an, pour ensuite tomber malade. Alors, j'ai été obligée d'arrêter.

Il me fallait vraiment trouver une solution. Avec 500 agneaux de production par année en moyenne à la ferme, il faut en vivre, il faut trouver une solution. Il ne faut pas être à la merci de l'offre et de la demande. Alors, j'ai décidé de faire ma propre mise en marché, afin de couper les intermédiaires et être capable de vivre de ma production d'agneaux. C'est ce que je fais depuis 2005. Mais tout ce temps-là, les frais fixes restaient les mêmes. Les coûts de production augmentent et les frais fixes qui étaient toujours là ont augmenté aussi, que ce soit l'électricité, le gaz ou les taxes foncières. Tout augmentait. Alors, la liquidité dont M. Pellerin et Marie parlaient tantôt, tout ça, tu le traînes tout le temps.

Je me suis alors dit, « Ça ne marche plus. Qu'est-ce que je vais faire? » En faisant ma mise en marché, je me suis rendu compte d'une chose. Je me suis impliquée dans ma région rurale, dans mon petit patelin de municipalités de 7 000 habitants, dans la MRC. Au Québec, une MRC c'est six municipalités regroupées. Nous sommes sept municipalités regroupées dans notre coin. J'ai loué une vieille maison. On s'est regroupé dix producteurs — on appelle cela un petit marché — où on vend localement nos produits à l'année, pas juste cinq mois par année comme on voit souvent dans les marchés publics. On a décidé de le faire à l'année pour avoir un but commun, de nourrir notre population et de se donner un petit revenu garanti par semaine. Depuis le 9 décembre, j'ai un petit revenu garanti de ma production d'agneaux, entre autres, avec ma propre mise en marché, entre 70 $ et 150 $ par semaine. J'ai dix producteurs qui sont devenus mes associés. Ils sont de moyens producteurs, pas du calibre de la grosse agriculture. Ce sont des jeunes entre 20 et 30 ans, beaucoup plus jeunes que moi. J'ai 52 ans. On rééduque les gens à recommencer à acheter localement. On voit une issue au bout de tout cela. Oui, on est dans la grande agriculture, on est dans une agriculture de masse au Québec, au Canada, partout. M. Pellerin parlait tantôt qu'on a misé sur l'exportation et tout cela a donné quoi? L'appauvrissement.

Oui, on a le droit de poser des questions, mais est-ce qu'on aurait le droit de se poser aussi une autre question sachant que cela peut créer deux agricultures : une agriculture de masse et une agriculture moyenne; comment pourrait- on en vivre en arrêtant de faire de l'exportation et en nourrissant d'abord nos milieux ruraux, nos milieux régionaux?

Auriez-vous l'intérêt de vous centrer sur des façons de soutenir, de réviser les politiques agricoles? Oui, on a de bonnes politiques agricoles, mais pour une agriculture de masse, non pas pour une agriculture plus petite.

Pour moi, ce que j'ai découvert dans mon petit patelin, c'est la réaction des consommateurs qui nous disent : « C'est sécurisant, on peut venir chercher quelque chose à manger toutes les semaines ici » et en même temps, ça nous donne un petit revenu. La sécurité des consommateurs se reflète sur ma propre sécurité en tant qu'agriculture, afin de pouvoir en vivre. Alors, est-ce qu'on pourrait avoir une sécurité alimentaire au Canada au lieu d'exporter tous nos produits bruts? On pourrait développer de nouvelles réglementations ou de nouvelles politiques pour favoriser cela dans le but de nourrir le peuple canadien; et s'il en reste pour d'autres, tant mieux,on continuera des exportations.

Avoir une vision sur l'intérieur du pays créerait, à mon avis, une plus grande sécurité alimentaire parce que si on envoie toujours nos produits bruts et qu'il manque du pétrole dans le camion pour ramener une carcasse, je ne suis pas certaine qu'on va manger toutes les semaines. On est pauvre, mais on va être encore plus pauvre quand on ne pourra plus s'alimenter. C'est aussi simple que ça.

Dans votre rapport, j'ai lu que cela fait 30 ans qu'on s'appauvrit, et que c'est alarmant. Je suis ici pour vous dire que ce n'est pas parce que je ne savais pas compter, que je n'aimais pas travailler, et ce n'est pas parce que je me suis mis la tête dans le sable, ce sont toutes les infrastructures qui font en sorte qu'on s'appauvrit. Il faut avoir un appui des politiques nationales, provinciales, régionales et locales si on veut continuer à alimenter le peuple et bien l'alimenter. Tout cela est une chaîne économique. On va être en santé si on est bien alimenté et tout le tralala va suivre.

C'est pour ces raisons que j'ai encore la passion, pour mon fils de 19 ans qui travaille depuis l'âge de 15 ans et qui veut reprendre la terre. Je ne suis pas sûre que je vais la lui laisser. Comme Mme Maria disait tantôt, c'est exigeant physiquement, mais psychologiquement très difficile, mais on y croit. On a des gens qui nous supportent, comme vous, et qui prennent la peine au moins de nous écouter.

J'espère qu'il va y avoir un autre rapport, mais aussi des actions réelles et concrètes.

[Traduction]

La présidente : Vous vous demandiez ce que vous pourriez faire. Eh bien, je suis ravie que vous ayez décidé de nous rencontrer aujourd'hui parce qu'il est important que nous entendions des témoignages comme le vôtre. Il faut que les choses soient dites. Ce groupe est extraordinaire. Vous avez chacun dit quelque chose d'un peu différent, mais vos propos sont tous interreliés.

Pour ce qui est de M. Pellerin, comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas la première fois qu'il comparaît devant notre comité. Tout ce que vous avez dit aujourd'hui reflète non seulement la situation des collectivités rurales du Québec, mais également celles de Saskatchewan et du Manitoba, surtout quand vous parlez des gens qui essaient de gagner leur vie, et cetera. Les agriculteurs dans l'Ouest sont inquiets. Ils ne seraient peut-être pas contents de me l'entendre dire, mais c'est quelque chose que nous avons constaté lors de nos déplacements là-bas. Les problématiques qui sous- tendent l'ensemble de vos propos sont graves. Il s'agit de questions que les citadins canadiens ne comprennent pas, dont ils n'entendent pas parler ou auxquelles ils ne prêtent pas attention.

Ce qui nous amène aux parlementaires. Les questions que nous avons abordées aujourd'hui ne sont pas nécessairement celles qui attirent l'attention, au niveau émotif ou intellectuel, du gouvernement. J'ai été heureuse d'apprendre ce matin que le ministre Strahl s'était déplacé dans la région, avait accepté de vous offrir de l'aide et embauché une personne qui serait responsable de travailler plus assidûment sur ces questions avec lui. Tout ça, c'est positif.

Votre histoire, madame Tremblay, et toutes les choses que 7vous nous avez racontées, madame Labrecque Duchesneau, se retrouvent partout au Canada. Donner la parole à quelqu'un qui a le courage de venir devant nous nous raconter son histoire, voilà pourquoi nous nous sommes déplacés. Ce sont les régions rurales du Canada qui nous intéressent et dont on n'entend pas parler.

Vous avez soulevé la question des farm bills. Les membres du comité estiment qu'il faut qu'on se dote d'un farm bill et ont exercé des pressions en ce sens. Il nous faut être concurrentiels par rapport aux États-Unis, mais on ne peut accorder des subventions comme celles qui sont attribuées aux agriculteurs par le gouvernement là-bas, subventions qui sont tellement importantes qu'elles ont presque pour effet d'inciter les producteurs à arrêter de produire. Ce n'est pas ce que nous voulons au Canada. Je l'ai dit à plusieurs reprises, et tous les membres du comité sont d'accord, les agriculteurs canadiens sont les meilleurs au monde. Dans notre pays, c'est une question fondamentale. S'il fallait qu'on dépende des pays étrangers pour se nourrir plutôt que de notre terre et de nos agriculteurs, on se retrouverait dans une situation réellement précaire.

C'est la même chose partout au Canada. Votre contribution à notre étude sera reflétée dans notre rapport final et reprise dans les discours que nous prononçons à titre personnel partout au pays.

Je vous remercie de tout cœur. Ce que vous avez fait n'est pas facile, j'en suis consciente, et je vous en remercie.

Le sénateur Mercer : Madame Tremblay, nous voulons parler à des gens comme vous dans les différentes régions du pays et c'est pour ça que je suis heureux que vous soyez venue. Je suis content que notre rapport vous ait incitée à prendre la parole. Grâce à ce que vous et Mme Labrecque Duchesneau avez dit, nous allons pouvoir rédiger un bon rapport.

Monsieur Pellerin, ravi de vous revoir. Merci d'avoir accepté notre invitation.

Vous avez dit que 130 000 membres, si j'ai bien compris, étaient propriétaires de forêts. Combien d'entre eux sont également agriculteurs?

M. Pellerin : Je dirais que plus de la moitié de nos agriculteurs sont également propriétaires de terres boisées dans leur exploitation agricole. Je dirais que 25 000 des 45 000 agriculteurs au Québec sont propriétaires de terres boisées et vendent du bois au moins une fois dans leur vie, parce qu'il faut savoir qu'on ne vend pas du bois tous les ans. Les agriculteurs peuvent par exemple couper leur bois une année puis ne pas y toucher pendant 10 ans. Ça dépend de la taille de la zone boisée.

Sur les 130 000 propriétaires de terres boisées au Québec, environ la moitié ne vend pas du tout de bois. Ils sont propriétaires de leurs terres boisées, en apprécient la beauté et attendent que les arbres poussent. Des fois il y a des investissements qui sont faits, mais les terres boisées ne sont pas pour eux une source de revenu. C'est plutôt comme un hobby, comme la chasse, par exemple. Ces personnes ne sont pas vraiment des marchands de bois, bien que le potentiel y soit. C'est vrai que potentiellement il pourrait y avoir un marché, mais ces agriculteurs ne sont pas tous marchands de bois.

Le sénateur Mercer : Dans ma région du pays, en Nouvelle-Écosse, la plupart des agriculteurs sont propriétaires de terres boisées et coupent du bois chaque année à différentes fins, pour faire de la pâte à papier ou générer d'autres revenus.

Vous avez parlé de céréales et de nouveaux marchés. On a remarqué, surtout en Saskatchewan, que les gens ont tendance à délaisser la production de céréales au profit des légumineuses, comme les pois et les lentilles. Une des questions qui a été soulevée dans le cadre des délibérations d'un autre comité auquel je siège, le Comité des transports et des communications, porte sur les problèmes que pose le transport de produits agricoles à destination de leurs marchés, surtout en Asie, en Inde et au Pakistan.

Les agriculteurs québécois ont-ils eu du mal à acheminer leurs produits vers leurs marchés d'exportation?

M. Pellerin : Pour ce qui est de la production de céréales au Québec, il est important que vous sachiez que nous sommes presque autosuffisants. En fait, nous produisons surtout des céréales qui sont destinées à l'alimentation animale; seule une petite part de notre production est destinée à la consommation humaine. Sachez également qu'au Québec, les agriculteurs qui élèvent des animaux doivent également être propriétaires de terres pour pouvoir épandre leur fumier. Il s'agit de quelque chose qui est très réglementé au Québec beaucoup plus que dans les autres provinces du Canada. Comme les agriculteurs doivent être propriétaires de ces terres, il faut bien qu'ils en fassent quelque chose. C'est ainsi qu'ils cultivent des céréales en essayant de boucler la boucle, c'est-à-dire de recycler le fumier en produisant des céréales qui serviront à nourrir les animaux.

Le transport de céréales à l'étranger n'est pas pour nous problématique. En effet, bien que nous exportions de petites quantités de maïs et de soja, nous sommes, de façon générale, autosuffisants.

Le sénateur Mercer : Ce matin, nous avons entendu un exposé portant sur les échanges de crédits de carbone et la participation des agriculteurs au processus. Est-ce quelque chose qui intéresse vos membres? Y a-t-il quelqu'un qui s'intéresse activement à cette question, parce que j'ai l'impression qu'il s'agit d'une source potentielle de revenu dont pourraient bénéficier les agriculteurs.

M. Pellerin : Je suis très prudent. Notre organisation a examiné cela, mais nous sommes très prudents avec ce type d'activité.

Premièrement, nous avons besoin d'une maison d'échange de crédits de carbone si nous voulons avoir un mouvement transparent entre les agriculteurs et ceux qui ont besoin de ces crédits. À l'heure actuelle, il n'existe pas de maison d'échange indépendante, transparente. Il faudrait sans doute qu'il y ait quelque chose du genre en place d'abord.

Deuxièmement, nous informons nos agriculteurs qu'avant d'échanger leurs crédits de carbone à l'extérieur de la ferme — et, comme quelqu'un l'a dit précédemment, à l'extérieur du pays — ils doivent s'assurer qu'ils n'auront pas besoin de ces crédits plus tard. Par exemple, s'ils veulent passer de 100 à 200 moutons, ils augmenteront leur production de carbone et ils auront peut-être besoin de crédits de carbone. C'est la même chose pour les éleveurs de bovins ou pour tous les éleveurs. S'ils consomment davantage d'énergie, ils auront sans doute besoin de crédits.

Il n'y a rien de clair à cet égard. Nous demandons aux agriculteurs d'être très prudents et s'ils prennent un engagement, de prendre un engagement à très court terme, non pas un engagement qui s'échelonne sur des années, car leurs enfants auront peut-être besoin de ces crédits à l'avenir.

D'un autre côté, il ne faut pas oublier que nous sommes au Québec, non pas en Saskatchewan. La Saskatchewan a 40 milliards d'hectares de terres, et peut vendre certains crédits. Au Québec cependant, nous n'avons que 2 millions d'hectares. Nous devons être prudents et ne pas vendre tous les crédits avant de savoir exactement ce qui va se passer.

Le sénateur Mercer : Vous serez cependant d'accord pour dire qu'on a sans doute besoin d'une sorte de surveillance, sinon de réglementation, pour aider à comprendre.

M. Pellerin : Oui, les règles doivent être plus claires qu'elles ne le sont à l'heure actuelle.

Le sénateur Mercer : C'est un domaine complexe. Que l'on soit un gros agriculteur ou un petit agriculteur, c'est toujours un domaine complexe, et nous devrions peut-être nous assurer de le mentionner dans notre rapport.

Madame Labrecque Duchesneau, vous avez parlé de la nécessité d'avoir un travailleur sur le terrain. Nous avons déjà entendu cela. Dans deux provinces, nous avons en fait rencontré des gens qui font cela — en Nouvelle-Écosse et en Ontario, par l'intermédiaire de la Foundation for Rural Living. Cette fondation est active en Ontario, en Nouvelle- Écosse et maintenant au Manitoba. Il vaudrait peut-être la peine d'examiner les possibilités que cela représente, car c'est quelque chose que la Fondation appuie. Elle envoie des agents de développement rural sur le terrain pour travailler avec les gens non pas pour résoudre leurs problèmes, mais pour les aider à s'y retrouver dans le labyrinthe gouvernemental.

Est-ce que ce serait quelque chose qui pourrait aider? Quelqu'un qui sache comment remplir ces formulaires que tout le monde doit remplir — en soi, il s'agit d'une tâche fastidieuse.

Mme Labrecque Duchesneau : Oui.

Le sénateur Mercer : Madame Tremblay, j'ai une question à vous poser concernant l'assurance-emploi que vous avez reçue pour votre travail dans l'entreprise.

Lorsque vous recevez votre assurance-emploi, est-ce qu'on tient compte de votre revenu agricole brut et est-ce que l'on calcule 15 p. 100 de ce revenu, réduisant ainsi votre assurance-emploi? C'est une autre question que nous devrions prendre en note, car c'est un problème qui touche tout le monde.

Mme Tremblay : Oui.

La présidente : Merci à tous.

Monsieur Pellerin, je devrais vous remercier d'avoir parlé de l'industrie forestière, car nous sommes un comité de l'agriculture et des forêts — en fait, un autre groupe de Canadiens qui a été durement touché.

Lorsque nous sommes allés en Colombie-Britannique, le premier endroit que nous avons visité était Prince George, région qui a été dévastée par le dendroctone du pin. Ce dernier est maintenant en train d'entrer dans ma province dans le nord et, on me dit, dans la partie sud-ouest, le pas du Nid-de-Corbeau. L'industrie du bois d'œuvre se fait bombarder de tous les côtés, comme les agriculteurs. Nous le reconnaissons, et cela fera sans doute partie de certaines de nos recommandations.

Le sénateur Mahovlich : J'étais à Rome l'été dernier et à deux heures du matin il y avait beaucoup de bruit à l'extérieur de mon hôtel. Je ne savais pas ce qui se passait. Il y avait bien des gens qui étaient en train d'installer des tentes. C'était un mercredi matin, c'est-à-dire jour de marché. Ils étaient en train d'installer leurs étals. Rome doit avoir 4 000 ans. Madame Tremblay, est-ce que Trois-Rivières a un marché ou est-ce qu'il y avait un marché?

[Français]

Mme Tremblay : Oui, saisonnier, cinq mois par année, du printemps à l'automne. Trois-Rivières a un marché public, oui.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Seulement pendant l'été.

[Français]

Mme Tremblay : Les marchés au Québec sont vraiment en effervescence. De plus en plus de régions ont leurs marchés, mais ils sont ouverts que cinq mois par année, du printemps à l'automne, parce qu'on est un pays nordique, on ne produit pas 12 mois par année. À cela, on ajoute la viande et tout plein de produits. Les plus gros marchés, comme Montréal ou Québec, sont ouverts à l'année. En regardant les grands marchés, je me disais pourquoi on arrête de manger après six mois? Est-ce qu'on peut continuer à fournir ou à vendre encore des produits après l'automne? Pourquoi pas? C'est pour cela que je me suis dit que sur une plus petite échelle, on va ouvrir à l'année. On ouvre pendant quatre heures, une journée/semaine.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Nous devons encourager les Canadiens à consommer davantage de produits canadiens. Nous sommes dans un système où presque tous nos aliments sont importés. Par exemple, j'étais en Nouvelle-Écosse, et la vallée d'Annapolis est connue pour ses pommes. À Loblaws, ils vendaient des pommes américaines en provenance de Washington. Il n'est pas possible d'acheter une pomme des fournisseurs locaux.

J'imagine que les grandes sociétés qui alimentent de grands marchés pour nous achètent leurs pommes en quantité telle que le Canada ne peut être concurrentiel. Nous nous retrouvons avec des pommes de partout dans le monde dans nos magasins.

C'est tout un problème. Je ne sais pas comment nous pourrions le résoudre.

[Français]

Mme Tremblay : À mon avis, on pourrait résoudre le problème, tout simplement en prenant et en consommant nos productions au Canada et dans chaque province avant de les exporter. J'adore les pommes qui viennent de l'Ontario. Des fois, on ne les a pas, mais on adore les pommes qui viennent du Québec aussi. Si on vise toujours une exportation, on n'est même pas capable de manger notre propre bœuf. « What kind of beef is it quand ça revient en carcasse? » Qu'est-ce qui revient? C'est qui? C'est quoi? D'où? C'est toute une rééducation. Ce sont les grandes surfaces qui créent cela; Loblaws, Maxi et compagnie. Avec la conscientisation des consommateurs, il y a des gens qui se disent, « Qu'est- ce qu'on mange? On aimerait aller dans un petit marché pour savoir ce qu'on mange. » Nous, on pourrait en vivre plus directement, sans intermédiaire. Cela coûterait moins cher au gouvernement aussi au bout du compte. Mais, nous avons besoin d'aide pour nous rendre là, sans cela, on ne s'y rendra jamais. Les gros sont trop gros. La mondialisation, c'est trop gros.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : La mondialisation, je crois que vous avez vu juste. J'ai posé une question lors d'une de nos séances et on m'a dit que le Canada ne pouvait pas subvenir à ses propres besoins alimentaires. J'ai du mal à le croire. Notre pays est si grand. À un moment donné, nous étions connus pour notre agriculture. Nos agriculteurs étaient connus partout dans le monde. Nous avons envoyé Eugene Whelan en Russie pour transmettre aux Russes une petite partie de notre expérience et les mettre sur la bonne voie. Nous étions connus comme un pays agricole. Pourtant, aujourd'hui, nous ne pouvons subvenir à nos propres besoins. Nous avons perdu de nombreux agriculteurs. Au Québec, y a-t-il moins d'agriculteurs aujourd'hui qu'il y en avait il y a 100 ans?

[Français]

Mme Tremblay : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Ce sont des questions que nous devons nous poser. Où est-ce que nous nous en allons avec tout cela?

[Français]

Mme Labrecque Duchesneau : J'aimerais vous répondre que quand je vais faire mon épicerie, je cherche des produits québécois. Entre autres, pas plus tard qu'hier, je cherchais des tomates du Québec et il n'y en avait aucune. Dans les chaînes d'alimentation, si vous voulez du porc, c'est du porc des États-Unis que je vois sur les tablettes. On se demande quoi faire. M. Pellerin est plus dans ce giron, mais je vous parle en tant que consommateur. J'ai de la misère à concevoir que pendant la saison des fraises du Québec, on est concurrencé par des fraises du Mexique. Acheter chez nous deviendrait une solution très importante. Malheureusement, en tant que consommatrice occupée, quand je vais dans une épicerie, je n'ai pas le temps d'en faire trois pour trouver les produits dont j'ai besoin.

Il importe que les produits du Québec soient très bien étiquetés et très bien affichés dans les chaînes d'alimentation. Je vous mets au défi d'essayer.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : C'est une bonne idée, acheter canadien.

La présidente : Je voudrais dire à Mme Tremblay et à Mme Labrecque Duchesneau — non pas que cela vous rassurera — que la région d'où je viens était au cœur de l'ESB, la maladie de la vache folle, la crise dans le secteur du bétail. Cette crise a été dévastatrice, tout à fait dévastatrice. Ce qui est assez surprenant, c'est que les Canadiens partout au pays ont réagi en mangeant davantage de bœuf pendant toute cette crise. Cela ne s'est pas vu ailleurs dans d'autres pays qui ont été touchés par l'ESB; en fait, dans ces pays, les ventes de bœuf ont considérablement chuté. Cependant, pour une raison ou une autre, les Canadiens se sont ralliés et ont mangé davantage de bœuf, et maintenant nous devons les convaincre de manger davantage d'autres produits.

Vous avez tellement raison. C'est si simple que cela m'étonne constamment que ce ne soit pas la première question sur la liste.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que l'accord sur le bois d'œuvre, la solution qu'ils ont trouvée, a aidé le Canada? À votre avis, est-ce que cela a aidé les entreprises de bois d'œuvre?

M. Pellerin : Je n'ai pas d'avis précis quant à l'impact sur tout le monde, mais pour ce qui est des propriétaires de terres privées, je dirais que non. À l'heure actuelle, les prix n'ont jamais été aussi bas depuis des années.

Le gouvernement a offert une aide aux grandes entreprises, aux travailleurs de l'industrie forestière. Il a offert de l'aide pour les villages qui ont des activités fondées sur le bois d'œuvre. Cependant, ces propriétaires fonciers n'ont rien reçu pour ce secteur de l'industrie.

Je ne crois pas que l'accord ait vraiment amélioré la situation. En fait, ils ont été frappés par accident par les subventions pour le bois au Canada, car les propriétaires privés ne reçoivent rien en subventions. Le problème a été créé par les coupes de bois que les entreprises font sur les terres publiques, et les États-Unis ont décidé que c'était un type de subvention. Les propriétaires privés n'ont rien reçu pour leurs droits de couper leur bois. Par conséquent, ils ont été frappés par accident; ils n'ont absolument pas été indemnisés.

Je ne crois pas que cela ait résolu quoi que ce soit. Le Canada a versé près de 4 milliards de dollars en taxes au cours de cette période pour résoudre le problème, et a laissé 1 milliard de dollars sur la table entre les mains de nos voisins, de nos voisins avec lesquels nous avons un accord de libre-échange.

L'ESB était un gros problème; le bois est un gros problème, et ces gens prétendent être des libre-échangistes. Ce ne sont sûrement pas de loyaux libre-échangistes.

Le sénateur Mahovlich : Madame Labrecque Duchesneau, vous avez mentionné qu'il n'y avait pas de prêtre dans les environs, que pour voir un prêtre, il fallait se rendre dans une autre ville. Y a-t-il beaucoup d'églises qui ferment au Québec? À une époque, le Québec avait une église dans chaque ville. Y a-t-il autant d'églises aujourd'hui?

[Français]

Mme Labrecque Duchesneau : Je dirais que oui. Elles sont devant un problème de rénovation. Les églises vieillissent. La population baisse. Alors, il y a un coût à une rénovation. Le gouvernement du Québec, à ce que j'en sais, a donné des subventions aux églises pour leurs rénovations, mais ce n'est pas dans toutes les municipalités. Il faut qu'elles aient un cachet historique alors que dans les petites municipalités, soit qu'on partage l'église avec les Méthodistes, les Baptistes et autres, ou on les démolit, on les ferme et on les vend. Avant, on pouvait se parler sur le parvis de l'église et on pouvait mieux s'entraider et se dire les vraies choses. Aujourd'hui, on n'a plus ça.

Les producteurs agricoles me disent, « La terre d'à côté m'appartient et la terre sur l'autre côté, c'est une personne de la ville qui l'a achetée, donc, je n'ai plus personne avec qui jaser dans mon rang. » C'est une situation qui se passe aussi dans les villages. Il n'y a plus de bureau de poste, il n'y a plus de curé dans l'église ou plus d'églises, quand il n'y a plus de lieux financiers, de banques ou de caisses populaires, et cetera, où les citoyens se rassemblent. Les maires des petites municipalités me disent, « Avec le budget que j'ai, quand j'ai sécurisé mes bâtiments de ville, l'infrastructure, les chemins sont sécuritaires, il ne me reste plus d'argent. Le budget ne suit pas. »

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Je crois que vous avez raison en ce qui concerne ce problème. Je viens d'une petite ville du nord de l'Ontario. En 1968, le gouvernement a revu son budget et fermé mon école secondaire. C'est un gros problème. Le gouvernement devrait intervenir et garder ces endroits ouverts car les gens veulent revenir. Si l'infrastructure n'est plus là, il n'y aura aucune raison pour eux de revenir dans cette ville.

Les gouvernements doivent examiner cela, garder les écoles, les hôpitaux, ouverts; garder les centres communautaires actifs et les garder en place.

[Français]

Mme Labrecque Duchesneau : J'aimerais ajouter que très souvent, l'édifice public du village est l'école, et si le concierge ne veut pas faire des heures supplémentaires, l'école reste fermée pour d'autres activités.

Le sénateur Biron : Madame Tremblay, le témoignage que vous avez fait est très intéressant, même touchant. Je vous félicite de vous être prise en main. J'espère que d'autres suivront votre exemple et on prendra en considération ce dont vous nous avez entretenus.

Madame Labrecque Duchesneau, suite à la question du sénateur Mahovlich, je pense que la question était aussi au fait que le nombre de prêtres a diminué et je crois que le nombre de psychiatres et de travailleurs sociaux a augmenté pour les remplacer, peut-être pas aussi bien, mais quand même!

Monsieur Pellerin, suivant le recensement de Statistique Canada, au 16 mai 2006, on a recensé 229 000 quelques fermes qui étaient en baisse de 7,1 p. 100 par rapport à 2001. Il s'agit d'une diminution de 17 550 fermes. Au même moment, on a dénombré 327,000 exploitants agricoles en baisse de 5,5 p. 100, 19 140 exploitants. Durant cette période, les prix que des agriculteurs ont dû payer pour les intrants ont augmenté plus rapidement que les prix qu'ils ont reçus pour les produits vendus. Ceci a été compensé par des gains d'efficacité. Est-ce qu'au Québec, dans un premier temps, il y a eu une consolidation des fermes?

M. Pellerin : Sur la réduction du nombre de fermes, ce serait intéressant de voir les parties régionales du dernier recensement. Cette semaine, il y avait des réunions pour annoncer ou rendre publiques les données principales du recensement 2006. Avec les prochaines semaines, on aura les données régionales et on pourra confirmer ce qui arrive au Québec.

La connaissance de ce qui s'est passé sur les fermes, et un recensement que nous-mêmes faisons chaque année d'après les cotisations des membres, nous laisse croire que c'est la même tendance au Québec; une réduction du nombre de fermes et du nombre d'exploitants; à peu près 1,5 p. 100 d'exploitants par ferme; au Québec, 30 000 fermes, 45 000 producteurs actuellement en réduction depuis 2001; un maintien et même une légère augmentation du volume de production agricole. Il y a moins de fermes, mais la production se maintient et augmente légèrement. Le développement de nouvelles productions aussi est une tendance qui sera sûrement observée partout à travers le Canada. L'augmentation des coûts de production, des intrants, tout augmente beaucoup plus vite que les prix de vente des produits agricoles. Par exemple, les produits pétroliers dans les dernières années, ont augmenté de 35 p. 100; les machineries, équipements, les fertilisants, de 15 p. 100. Si on regarde la moyenne d'augmentation des prix des produits agricoles, c'est de l'ordre de 2 à 3 p. 100 d'augmentation. C'est sûr que cela ne couvre pas tous les coûts.

Les tableaux que je vous ai présentés ce matin sont faciles à expliquer. Le revenu net des producteurs disparaît non pas parce que les producteurs travaillent moins, mais parce la production coûte plus cher et les produits se vendent de moins en moins cher.

Ce printemps, nous avons eu à concurrencer les producteurs. Par exemple, nos producteurs de carottes qui gardent les carottes en réfrigération tout l'hiver, au moment de les mettre en marché ce printemps à des prix plus intéressants qu'au moment de la récolte à l'automne, ont dû faire face à une importation massive de carottes fraîches venant de la Chine. Alors, on nous oblige à concurrencer avec des gens qui gagnent un dollar par jour ou un dollar de l'heure. Cela n'a aucun sens. Pour la culture des fraises, c'est la même chose. Avant d'arriver à notre période de production de fraises, les chaînes d'alimentation savent que les fraises du Québec vont arriver vers le 20 juin sur le marché. Alors dans les deux ou trois semaines avant le 20 juin, vous allez voir arriver une importation massive de fraises de la Californie et du Mexique. Quand le consommateur aura mangé des fraises pendant deux ou trois semaines, les nôtres vont arriver sur le marché et les prix seront dépréciés, et les gens en auront déjà consommé de façon régulière et l'appétit pour la fraise nouvelle aura diminué. Les grandes chaînes tuent ces marchés et ces pics de prix durant l'année.

Le revenu des producteurs ne disparaît pas pour rien. Il disparaît parce qu'on est dans un marché où les grandes chaînes ont un pouvoir disproportionné par rapport aux producteurs agricoles. Je dirais disproportionné aussi par rapport aux transformateurs agricoles de produits agricoles canadiens qui sont de moyens et petits joueurs. Nous avons peu de grandes compagnies de transformation au Québec. On a trois grands distributeurs au Canada qui dirige le show comme ils veulent. C'est ce qui explique la difficulté des revenus de la ferme.

Le sénateur Biron : La force du dollar canadien doit vous affecter aussi.

M. Pellerin : C'est clair, même si on n'exportait rien, cela a un impact constant sur nous, parce que la force du dollar canadien s'est améliorée à cause du pétrole et que nos prix sont fixés aux États-Unis. Les producteurs n'ont rien fait de moins bien, mais leurs revenus chutent à cause de cela. Nos consommateurs n'ont rien fait de moins bien, mais leurs possibilités de vente chutent à cause de cela aussi. Les produits étrangers sont beaucoup plus compétitifs sur le marché canadien à cause de l'échange du dollar canadien, autant les produits des États-Unis que les produits de la Chine ou d'un peu partout à travers le monde. On reçoit de plus en plus de produits frais qui nous viennent de partout à travers la planète.

Je pense que c'est un secteur sur lequel le comité devra insister dans son rapport. Le Canada a un peu de difficulté à avoir des standards similaires pour les produits d'ici et ceux de l'étranger. Par exemple, on a certains produits parasitaires, certains pesticides qui sont défendus. Quand les produits horticoles viennent de l'étranger, on regarde s'il y a des résidus dans le produit. Nous, on ne regarde pas s'il y a des résidus dans les carottes ou la laitue. On n'a pas le droit d'utiliser certains pesticides. Alors, il y a deux poids différents par rapport à ce qu'on exige de nous en matière de qualité, et ce qu'on exige des produits importés. Il faudra à un moment donné que le Canada tienne la ligne un peu plus dure.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Vous avez raison. L'an dernier nous avons eu un problème avec les épinards de la Californie. Dans certains pays, les agriculteurs sont subventionnés; il est donc assez difficile pour nous qui ne sommes pas subventionnés de leur faire concurrence.

La présidente : Je veux vous raconter l'histoire d'un succès car nous n'entendons pas seulement de mauvaises choses lors de nos audiences.

Je voudrais vous parler d'une petite ville qui s'appelle Warner, juste à l'extérieur de ma ville de Lethbridge, une petite ville des Prairies. Lorsqu'on était en train de démanteler les silos-élévateurs, on avait l'impression que la ville de Warner allait disparaître. Il y avait une banque et des entreprises qui fermaient. Environ 200 personnes ont alors décidé qu'elles n'allaient pas laisser leur petite ville fermer.

Le clergé d'une des églises quittait également la ville et a donné son église à la ville qui pouvait en faire ce qu'elle voulait. La ville a donc décidé d'avoir une école de hockey pour les filles, et que ce serait la seule du genre au Canada. Les gens espéraient que cela amènerait des jeunes dans cette école et que cela régénérerait leur communauté.

Warner a vraiment le vent dans les voiles. Ces filles viennent de partout au Canada. On leur a trouvé d'excellentes entraîneuses, dont une du Québec. On commence à parler d'elles non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis, où l'on offre maintenant des bourses aux étudiantes qui veulent participer à ce programme de hockey.

Nous nous sommes donc rendus dans cette petite ville et dans son école. Bien entendu, on nous a posé des questions sur le Sénat. Nous avons tous dû y répondre. Ensuite, on nous a amenés à ce petit mais excellent centre sportif. En route, nous avons vu l'église qui, grâce aux efforts concertés de l'ensemble de la population, a été rénovée et aménagée en dortoir. Nous y sommes donc entrés et y avons vu de très jeunes gens en train de pratiquer à une extrémité de la patinoire et de très solides jeunes filles faisant la même chose à l'autre bout. Nous sommes entrés à la file indienne, et, soudain, quand on m'a vue — sans grand enthousiasme — on a aussi aperçu quelqu'un d'autre, et tout le monde s'est alors déchaîné, parce qu'on avait reconnu Frank Mahovlich parmi nos sénateurs. Les jeunes voulaient le voir sur la glace. Elles m'ont dit qu'elles avaient de grands patins qu'il pourrait chausser et j'ai dû répondre non, car sa femme ne le laisse pas patiner, avec raison d'ailleurs. Toutefois, les plus impressionnées dans cette foule et les plus enthousiastes, étaient les mères. En regardant le sénateur Mahovlich, elles voyaient leur vie entière défiler devant elles.

Nous passons donc par toutes ces choses à l'occasion de nos déplacements dans notre pays, et c'est dur. C'est même très dur, et ce que nous avons entendu aujourd'hui s'inscrit parfaitement là-dedans. Si, en plus, j'ai évoqué cette anecdote, c'est pour montrer qu'il y a de l'espoir. En effet, si les gens peuvent réaliser ce genre de choses à Warner, d'autres peuvent faire de même ailleurs.

Je vous remercie beaucoup.

Je tiens maintenant à remercier vivement aussi les membres du prochain groupe de leur présence parmi nous à l'occasion de ces audiences. Chers collègues, ce groupe va nous parler de la situation de la santé. Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous. Cette question compte énormément par rapport à la situation d'ensemble que nous nous efforçons d'étudier et de comprendre.

Robert Pampalon est un chercheur et un géographe de l'Institut national de santé publique.

[Français]

Robert Pampalon, chercheur et géographe, Institut national de santé publique : Madame la présidente, on m'a dit que j'avais dix minutes pour parler. Je vais résumer les résultats de travaux qu'on a faits au Québec et qui s'appuient également sur la littérature internationale. La question qu'on s'est posée dans ces travaux sur la santé c'est : est-ce qu'il vaut mieux être en ville ou en milieu rural pour être en santé; est-ce que la santé des ruraux est aussi bonne, meilleure ou pire que celle des gens résidant en milieu urbain? Pour répondre à cette question, contrairement à ce qu'on retrouve dans la littérature, on a adopté une approche globale. C'est-à-dire qu'on a considéré un ensemble de bases d'informations, environ 70 mesures diverses de l'état de santé et on a centré notre propos sur l'état de santé de la population. Finalement, le but de la société est de maintenir sa population en santé et idéalement, d'améliorer cette santé. Donc, on s'est centré sur l'état de santé en adoptant un concept de l'état de santé qui est multidimensionnel, c'est-à-dire qu'il réfère à l'état de santé lui-même, mais aussi aux principaux déterminants de cet état de santé que sont les caractéristiques sociodémographiques, la pauvreté qui joue inévitablement, les habitudes de vie, les comportements et aussi les services de santé. En fait, les services de santé sont, dans la littérature, les éléments du monde rural qui ont reçu le plus d'attention. On peut se demander dans quelle mesure cette réalité des services est associée à l'état de santé.

Le but finalement était de nuancer ce discours négatif, pour ne pas dire alarmiste, sur la santé des populations rurales parce qu'en résumant rapidement ce qu'on entend sur la santé des populations rurales, c'est que ça va plus mal qu'ailleurs et que la santé est moins bonne. À la suite de nos travaux, on a observé que la santé des ruraux n'est ni meilleure ni pire que celle des urbains. Elle est seulement différente, mais ces différences sont quand même inquiétantes et elles nous interpellent.

Quelles sont donc ces différences? L'état de santé lui-même, quand on regarde des indicateurs très globaux comme l'espérance de vie à la naissance, l'espérance de santé, il y a très peu de différence entre les résidents de milieux urbains et ruraux. En fait, ce qui caractérise la santé et les problèmes de santé dans les milieux ruraux, c'est, entre autres, des décès prématurés, c'est-à-dire des décès avant 65 ans, par exemple, et les causes sont très bien connues. Dans les milieux ruraux, la mortalité infantile est élevée, les accidents de la route sont élevés, les suicides, surtout chez les hommes, sont élevés, le cancer du poumon, maladies pulmonaires et aussi le cancer de l'estomac. Mais heureusement, il y a des situations plus positives. Le cancer du sein est plus faible en milieu rural. Les infarctus du myocarde, les allergies et l'asthme le sont également. Donc, des décès prématurés ou des problèmes de santé qui frappent plus jeune.

Dans les conditions socioéconomiques, il y a énormément de différences et c'est, ici, l'objet de cette rencontre. Les conditions socioéconomiques, en général, sont nettement moins bonnes en milieu rural. L'emploi, la scolarité et les revenus sont plus faibles. La croissance de la population est plutôt négative. Par contre, il y a des aspects sociaux très positifs dans les milieux ruraux : les réseaux familiaux et sociaux sont nettement plus forts; il y a beaucoup moins de personnes qui vivent seules; il y a beaucoup moins de familles monoparentales; le sentiment d'appartenance, la satisfaction du réseau social sont beaucoup plus forts.

Donc, là aussi, il y a des différences, des points négatifs, mais aussi positifs. Quelles sont les différences sur le plan des habitudes de vie, des comportements? Les ruraux au Québec, ce sont toujours des informations qui valent pour l'ensemble du Québec, les résidents des milieux ruraux sont ce qu'on peut appeler de gros fumeurs. Ils fument beaucoup plus que les résidents des milieux urbains. Ils font moins d'activités physiques dans leurs loisirs. En conséquence, les niveaux d'embonpoint et d'obésité sont plus élevés dans les milieux ruraux que dans les milieux urbains. Sur les déterminants de l'état de santé, je vais terminer sur les services de santé, notamment les soins primaires. Quelles sont les grandes différences? En fait, la différence essentielle est dans l'organisation des soins primaires. Dans les milieux ruraux, la dominance est beaucoup à l'hôpital parce qu'on trouve moins de médecins spécialistes; on a moins de cliniques médicales; on a moins de cliniques ambulatoires dans les hôpitaux; on ferait moins de chirurgie d'un jour de sorte qu'on va hospitaliser davantage alors que dans les milieux urbains où il y a beaucoup plus d'interventions; les soins primaires se feront dans les cliniques médicales ou dans les cliniques ambulatoires et ainsi de suite. La différence essentielle est cette organisation au niveau des services. On s'est demandé si cette différence dans l'organisation des services de santé en milieu rural par opposition au milieu urbain a un impact sur l'état de santé des populations. Pour répondre à cette question, on a regardé certains indicateurs comme des décès évitables, c'est-à-dire des décès pour des causes comme la tuberculose, l'infarctus du myocarde, le cancer du col de l'utérus, pour lesquelles on a des traitements et normalement, on ne devrait pas trouver à certains endroits des taux de décès plus élevés qu'ailleurs. Ce que l'on constate, c'est qu'en ce qui concerne les décès dits évitables, il n'y a pas de différence entre les milieux ruraux et les milieux urbains.

Une autre mesure d'impact sur la santé du système de soin, c'est les chirurgies hospitalières qui améliorent nettement la qualité de vie, par exemple, le traitement de cataractes, les pontages coronariens. Ce qu'on observe, c'est qu'on n'en fait pas moins dans les milieux ruraux qu'on en fait dans les milieux urbains.

Donc, finalement, il y a une différence dans l'organisation des services de santé. Il y a des pénuries médicales, c'est certain, mais on n'observe pas, à partir de certains indicateurs assez généraux, de différence dans l'état de santé qui serait relié à ces différences dans l'organisation des services. J'ajouterais qu'une des différences fondamentales en ce qui concerne la santé et les déterminants de l'état de santé dans les milieux ruraux, c'est qu'il n'existe pas une réalité rurale. Il existe de multiples réalités rurales. Ce qu'on observe au Québec comme ailleurs au Canada, ou ailleurs dans le monde, c'est que plus on s'éloigne des centres urbains, plus la santé et les déterminants de l'état de santé se dégradent. Puis même les milieux ruraux proches des grands centres ont souvent des états de santé nettement meilleurs que les urbains. Les municipalités avoisinant les centres urbains ont des bilans de santé plus positifs.

Tous ces problèmes, ces différences rurales nous interpellent parce que la plupart des problèmes majeurs sont, en fait, des problèmes qu'on peut largement prévenir. On a parlé des décès infantiles, des accidents de la route, du suicide, des maladies pulmonaires. Cela nous renvoie finalement aux conditions de vie générale de la population, aux comportements de santé et aussi aux services de santé parce que, par exemple, comme la mortalité infantile, ils ont tous une composante reliée aux services de santé.

Je conclurais en disant que tous ces problèmes de santé sont visés dans les politiques de santé publique. Dans le programme national de santé publique du Québec que j'ai ici devant moi, on s'intéresse à tous les problèmes. Cependant, nulle part ici comme dans d'autres politiques, on ne reconnaît la spécificité des milieux ruraux quand on traite de ces problèmes.

Je terminerai en disant que la politique québécoise sur la ruralité a notamment recommandé que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec reconnaisse à l'intérieur de ses politiques, de ses programmes les besoins, les caractéristiques particulières des populations rurales pour que les interventions publiques soient mieux adaptées.

Réal Boisvert, conseiller en recherche, Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec : Madame la présidente, je suis conseiller en recherche au sein d'une organisation régionale qui s'occupe de l'organisation des services de santé et de bien-être. Mon travail, c'est d'exploiter des données de grands fichiers populationnels, mais contrairement à Robert, je le fais à une échelle beaucoup plus microscopique que macroscopique.

Ceci étant dit, je vous remercie de m'avoir invité devant votre comité pour parler des questions de la pauvreté. D'entrée de jeu, je dois vous dire que c'est avec modestie que j'ai accepté aux pieds levés votre invitation. Je suis loin de bien connaître l'étendue et l'importance de la pauvreté rurale au Canada et je ne saurais évaluer la situation relative au Canada à ce chapitre par rapport à d'autres pays de l'OCDE. Je peux néanmoins vous entretenir de l'apport des données populationnelles en regard d'une meilleure connaissance de la pauvreté. En particulier, en ce qui a trait à la dynamique de développement des communautés ce qui inclut, il va sans dire, les liens qui unissent les communautés urbaines et les communautés rurales.

Permettez-moi d'abord en guise d'entrée en matière de vous rappeler cette évidence qu'à l'instar des individus eux- mêmes, les communautés humaines, les paroisses, les quartiers ou les municipalités rurales sont inégalement choyés au plan socioéconomique et au regard de la santé, mais il y a plus. À défavorisions socioéconomique comparable, certaines communautés humaines s'en sortent mieux que d'autres. Au surplus, il y a aussi des communautés relativement bien nanties qui sont aux prises avec de sérieux problèmes sociaux.

En nous inspirant de ces observations, nous avons mis au point dans la Région sociosanitaire de la Mauricie et du Centre-du-Québec une typologie des communautés comprenant un certain nombre de catégories. En réalité, il y en a sept, mais parmi elles, on retrouve entre autres des communautés problématiques, des communautés où on rencontre une très grande défavorisation socioéconomique, de graves problèmes de mortalité et des taux élevés de problèmes sociaux. Il y a ensuite des communautés en émergence qui se distinguent, elles, par une situation socioéconomique assez enviable, une mortalité normale et des taux de problèmes sociaux plutôt élevés. La dernière catégorie sur laquelle je veux attirer votre attention concerne les communautés résilientes. Ce sont des communautés qui se caractérisent par des situations socioéconomiques plutôt détériorées, relativement défavorisées, mais où on observe une mortalité normale, voire même dans certains cas, une mortalité ou une espérance de vie supérieure aux valeurs auxquelles on devrait s'attendre. Surtout, on observe peu de problèmes sociaux.

J'attire ici votre attention sur le fait qu'à peu près 10 p. 100 des communautés de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec font partie de la catégorie des communautés problématiques et qu'un peu moins de 5 p. 100 sont en situation de résilience. Or, toutes les communautés problématiques se situent en milieu urbain, principalement dans les premiers quartiers des centres-villes et toutes les communautés résilientes sont localisées en milieu rural.

Vous aurez bien compris que je ne dis pas qu'en milieu rural, on n'observe pas de défavorisation, de problèmes de santé ou de détresse psychologique. Ce que je dis c'est quand on observe un territoire à l'échelle des communautés, on constate que c'est dans le milieu rural que les communautés sont les plus résilientes, qu'elles résistent le mieux aux effets difficiles de certaines conditions de vie. Ce clivage confirme que la défavorisation ne revêt pas les mêmes formes à la ville et à la campagne — les travaux de Robert Pampalon l'ont largement démontré — et qu'en conséquence, ces effets ne sont pas également délétères en milieu rural et en milieu urbain.

L'ensemble de la documentation spécialisée pointe en direction de certaines causes pour expliquer ce phénomène. Une fois que les questions de migration et de mobilité résidentielle ont été contrôlées, le concept de capital social et de ses notions associées comme le sentiment d'appartenance à son milieu, de la fierté d'y être, le sentiment de maîtrise collective sur son entourage, sur son milieu, la participation citoyenne, la mobilisation des gens au regard de leur participation à la vie collective, la concertation, la qualité des ressources communautés, l'intersectorialité, et cetera, constituent autant de dimensions aptes à saisir pourquoi, à pauvreté égale, telle ou telle communauté locale s'en tire mieux que d'autres.

Les communautés se développent inégalement, mais en plus des grands facteurs structuraux qui influencent leur développement, elles entretiennent en leur sein des dispositions ou des potentiels qui rendent compte de plusieurs différences. L'idée consiste à identifier ces dispositions pour mieux outiller les gens qui font du développement des communautés, toutes ces personnes qui luttent contre la pauvreté, qui cherchent à réduire les inégalités à la ville comme à la campagne.

Permettez-moi ici de présenter schématiquement le dispositif permettant d'apprécier le potentiel de développement des communautés que nous sommes en train de mettre au point pour le compte du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ceci étant fait, je conclurai en vous précisant les buts que ce dispositif entend servir.

Il y a trois éléments relatifs au dispositif. Le premier élément, les acteurs sociaux, qu'ils soient des élus, des décideurs, des gestionnaires, des professionnels, des bénévoles, des joueurs de hockey ou de simples citoyens, ne s'intéressent jamais tant à la vie de leur communauté que lorsqu'on leur présente des données sur des entités géographiques qui sont à l'échelle humaine, qui correspondent à des territoires vécus dont les frontières leur rappellent leur quartier, leur paroisse, leur voisinage, leur village. Les données du recensement, celles de grands registres de la population ou des grands fichiers administratifs doivent et peuvent surtout être diffusés à cette échelle.

En deuxième lieu, les données populationnelles portant sur les communautés d'un territoire particulier pour être utiles aux acteurs du développement local doivent être globales et distinctives, donc descriptives et explicatives à la fois. À cet égard, elles gagnent à être regroupées dans un cadre logique qui est formé de trois grandes composantes, soit les fondements socioéconomiques des communautés, les conséquences de ces fondements sur la santé et le bien-être des communautés et, enfin, le jeu des interactions sociales qui imprègnent son mouvement à l'évolution des communautés.

C'est avec l'ensemble de ces données que nous pouvons faire le portrait qui préside à la déclinaison des types de communautés que nous avons évoquées plus haut.

La troisième composante du dispositif, ayant en main le portrait générale des communautés d'une région donnée, les acteurs sociaux doivent avoir la possibilité de prendre la mesure du potentiel de développement de chacune d'elles. Chaque communauté a un potentiel de développement au motif qu'elle est composé d'êtres humains. Il en va ainsi pour ceux qui sont réunis au sein de communautés problématiques, pour ceux qui vivent dans des communautés avantagées, comme des personnes qui vivent dans des communautés moyennes. Une meilleure connaissance de leurs forces vives, de l'accès de leurs membres aux ressources publiques ou privées, de la qualité des liens sociaux, est une condition essentielle permettant d'optimaliser le potentiel de développement de toutes les communautés.

C'est ainsi à notre avis que l'on peut réduire les inégalités et faire en sorte que chaque communauté, suivant ses propres moyens, puisse contribuer au progrès du développement général de la société.

Ceci étant, si chaque communauté bien sûr a un potentiel spécifique de développement, encore faut-il en identifier les éléments. Il y a quatre grandes catégories de potentiels sur lesquelles on doit avoir de l'information. Il y a le potentiel des individus eux-mêmes, le potentiel communautaire de la collectivité, le potentiel de l'environnement de cette même communauté et le potentiel collectif. Je vous fais grâce des détails relatifs à chacun de ces potentiels sinon pour vous dire qu'ils permettent de poser les termes d'une nomenclature qui, d'une part, caractérise le cycle et la phase de développement des communautés et d'autre part, permettent d'identifier des pistes précises d'interventions en vue de l'action.

Pourquoi un tel dispositif? Comment celui-ci se distingue-t-il des autres? Ce dispositif a la seule prétention d'assurer, à l'échelle humaine au niveau des territoires vécus, la circulation des savoirs généraux et spécifiques qui, eux-mêmes, forcent une prise de conscience collective déjouant l'idée que le développement des communautés est l'objet de la fatalité ou des seules puissances extérieures.

Une communauté qui sait, qui apprend, qui suit pas à pas les étapes de son évolution est une communauté qui fait tourner la roue de son développement. À l'inverse, une communauté ignorante de son essence, privée d'informations comparatives sur les communautés qui l'entourent, ne peut pas prendre conscience de son devenir. Elle se laissera ballotter par les événements. La probabilité qu'elle développe le sentiment qu'elle peut exercer un contrôle sur son environnement est mince.

En terminant, la connaissance est un élément essentiel dans l'arsenal des moyens permettant de lutter contre la pauvreté, de réduire les inégalités et de stimuler la dynamique de développement des communautés rurales ou urbaines. Encore faut-il que cette connaissance soit produite en fonction des besoins des acteurs sociaux, quel que soit leur palier d'intervention, qu'il soit national, régional ou local. C'est l'objectif que poursuit le dispositif participatif dont on vous a donné ici les grandes lignes. Ce dispositif, implanté en partie en Mauricie et au Centre-du-Québec, est en voie de l'être dans quelques régions du Québec. Des travaux sont en cours pour étendre son implantation dans toutes les régions qui souhaitent se l'approprier.

Les membres du Comité permanent de l'agriculture et des forêts qui souhaitent avoir l'ensemble des informations relatives à ce dispositif pourront consulter le rapport détaillé sur le sujet qui sera publié par le ministère de la Santé et des Services sociaux en septembre prochain.

Alain Coutu, organisateur communautaire, Centre de Santé des services sociaux du nord de Lanaudière : Madame la présidente, d'entrée de jeu, j'aimerais préciser que je suis plutôt un intervenant-terrain. Cela fait une trentaine d'années que je travaille en milieu rural dans toutes sortes d'animations de développement dans les communautés, principalement du nord de Lanaudière, mais aussi en milieu semi-urbain si on compare Joliette et d'autres communautés du genre. Je suis content que vous ayez regardé la ruralité dans une approche de lutte à la pauvreté. Je pense que cela permet de combiner d'autres dimensions de la ruralité.

Vous avez un texte, mais je ne m'en servirai pas. Je vais plutôt vous parler d'expériences concrètes et regarder avec vous comment le gouvernement pourrait être facilitateur dans ce type d'approche.

Chez nous dans Lanaudière, on est train de développer un nouveau modèle d'intervention à l'échelle des communautés. Je fais le lien un peu avec mes collègues. On ne s'était pas parlé avant la rencontre, mais je pense qu'on va se compléter. Ce qu'on a développé, c'est dans le fond, d'offrir aux communautés un temps de réflexion et de mobilisation. Ce n'est pas nécessairement dans la période d'une crise, mais à n'importe quel moment de son évolution. On fait d'abord un partenariat avec le conseil municipal, l'ensemble des acteurs du milieu et on regarde avec le milieu ce qui devrait être développé ou considéré comme problématique ou comme opportunité de développement. On le fait dans une approche de développement durable. On regarde l'ensemble des dimensions du développement d'une communauté, que ce soit l'aspect économique, l'aspect social ou l'aspect écologique. Pour nous, le développement durable passe par une globalité d'interventions et surtout par la participation citoyenne. Ce n'est pas vrai que le développement d'un pays, d'une communauté ne se fait qu'avec des experts et des spécialistes. Cela se fait d'abord avec les populations qui y vivent.

Pour atteindre cet objectif, il y a un processus d'animation à développer. Il y a des outils à se donner. Il y a même aussi de la formation à s'octroyer en cours de route. Je vais vous donner l'exemple de la Haute Matawanie. Ce sont deux petites communautés, Saint-Michel-des-Saints et Saint-Xénon qui sont particulièrement touchés par la crise forestière. Les citoyens ont décidé de prendre cela en main et de faire une analyse diagnostique de leur milieu, de regarder où ils en sont rendus et d'essayer de dégager des pistes envers où ils pourraient aller. Ce qui est important, c'est que le diagnostic est fait par les citoyens. Il y a le côté plus statistique dont mes collègues ici sont les spécialistes, mais il y a aussi un côté plus empirique, où les gens connaissant leur milieu sont capables d'avoir des avis. En passant, je vous ferais remarquer que leur opinion est rarement contredite par la dimension statistique. Ce qui est intéressant aussi dans le modèle qu'on essaie de développer, c'est qu'on amène les gens à faire un travail de prospective. On essaie d'amener les gens à rêver à ce pourrait devenir leur communauté soit dans dix, 15 ou 20 ans. C'est quelque chose qu'on oublie de faire souvent. Si on ne se donne pas une vision de développement, c'est difficile d'atteindre des objectifs. Ce qu'on permet aux gens dans ces exercices, c'est de réfléchir, d'imaginer leur communauté dans 15, 20 ou 30 ans et de regarder comment, avec l'ensemble des citoyens, on peut mobiliser des actions structurantes par rapport aux problèmes identifiés ou par rapport aux projets qu'ils initient. C'est très créatif comme processus. C'est très innovateur aussi. Ce n'est pas rien que cela se fasse chez nous. Cela se fait en Europe, principalement en France. Cela se fait aux Antilles. Cela se fait ailleurs au Québec et sûrement au Canada, mais je ne le sais pas. Ce que je sais par contre, c'est qu'il y a un réseau de ces communautés qui est en train de se constituer. On les appelle les « universités de pays ». On les a reçues ici en Lanaudière il y a à peu près six mois. Quatre-vingt-dix communautés se sont rencontrées pour regarder ces modèles d'interventions.

Je pense que le gouvernement fédéral devrait considérer ce type d'approche et soutenir les communautés dans une démarche d'animation, des recherches-actions, des dimensions de formation des citoyens à animer des processus, afin qu'ils soient capables d'étudier et analyser les perspectives et les opportunités. Il serait important aussi que les différents paliers des gouvernements aident les citoyens quand ils imaginent un projet ou une action structurante par rapport à tel ou tel problème. Je vous ferais remarquer que ce sont des projets d'économie sociale qui en découlent. Je ne connais pas la réalité de l'économie sociale dans le reste du pays, mais je peux vous dire qu'au Québec, c'est quelque chose de plus en plus important.

Personnellement, je considère l'intervention du fédéral minime. L'économie sociale, c'est l'avenir de bien des communautés rurales au Québec. C'est le lien entre le social et l'économique et aussi la dimension écologique. Je considère que c'est très peu supporté, autant par le palier provincial que fédéral.

Il y a aussi un autre aspect que je veux mentionner avant de conclure, c'est les effets assez dramatiques suite au désengagement du gouvernement fédéral en matière de soutien au logement social, principalement dans les communautés rurales. La possibilité d'avoir un toit au-dessus de la tête est une première action structurante pour être capable de jouer un rôle social utile. Actuellement, les communautés rurales ne sont plus capables d'organiser du logement social parce que les mises de fonds du milieu sont trop importantes et il ne s'en fait à peu près plus. Les programmes existants sont principalement pour les milieux urbains.

Je demande au comité s'il est possible de sensibiliser nos décideurs à un programme qui financerait une action transversale? Actuellement, tous les programmes se font en silos. Il n'y a rien qui aide ou supporte des démarches intersectorielles. Ce serait important de le considérer et de le faire en lien avec le pacte rural qui se fait déjà au Québec, en lien avec le Secrétariat rural que vous avez aussi au niveau fédéral dans la province de Québec.

C'est un cri du cœur que je viens vous adresser. C'est un besoin que les communautés expriment de plus en plus. Cela fait le lien avec les agents de terrain, ou les agents de rang dont Madame Labrecque Duchesneau parlait tantôt. C'est un peu ce type de support qu'on vous demande. C'est le soutien à l'animation, soutien à de la recherche et soutien à de la formation, mais d'une façon ciblée et adaptée, souple et de façon transversale.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Coutu, vous nous avez demandé où nous allons et où nous espérons nous rendre. Eh bien, c'est précisément là où vous l'avez indiqué. Si nous avons décidé de nous déplacer dans l'ensemble de notre pays, c'est parce qu'à maintes reprises, des témoins venus à Ottawa pour discuter de diverses questions de nature agricole nous parlaient des problèmes des gens sur le terrain, des difficultés que ces derniers avaient et de ce qu'il fallait faire.

En fin de compte, nous avons estimé que cette question était aussi importante que toutes les autres qui se rapportent à l'agriculture et à la vie des collectivités, et que nous allions nous efforcer de la comprendre en nous rendant dans toutes les régions du pays. Elle a aussi été soulevée de la part d'autres témoins qui nous parlaient des problèmes des régions urbaines. On entend constamment parler de la pauvreté dans les villes et de ce genre de choses. On nous disait aussi autre chose cependant, une des raisons pour lesquelles la pauvreté urbaine s'aggravait, c'est que les gens provenant des régions rurales du Canada quittaient leur milieu d'origine où ils auraient préféré demeurer, et d'ailleurs nous en avons entendu ici aujourd'hui, et venaient dans les villes dans le vain espoir de trouver une vie meilleure.

Ce que vous faites est extrêmement important. Nous tâcherons de faire entendre votre voix dans ce domaine d'étude et j'espère que nos efforts seront fructueux.

Le sénateur Mercer : Je remercie nos trois témoins de leurs exposés fort intéressants, parce que les renseignements qu'ils ont présentés vont à l'encontre de ce que je croyais jusque-là.

Monsieur Coutu, vous avez abordé la question du logement social, qui est un véritable problème et dont on nous a parlé dans d'autres régions du pays. Le problème est certes grave dans les régions urbaines du Canada, mais il l'est encore davantage en milieu rural.

Quatre thèmes reviennent sans cesse depuis le début de notre étude, mais c'est le logement social qui vient au premier rang. Les autres thèmes, que vous n'avez pas mentionnés, sont les services de garde, le transport et l'accès au service Internet haute vitesse.

Vous travaillez sur le terrain. Je sais que le Québec s'est doté d'un système de garderies admirable et unique en son genre, mais fonctionne-t-il bien dans les régions rurales du Québec?

[Français]

M. Coutu : Je dirais que la dimension garderie et service à la famille s'est développée au cours des dernières années et soutenue par des politiques provinciales. Je dirais qu'en général, cet aspect va assez bien. La difficulté actuellement, c'est la dévitalisation des milieux ruraux. On est sur le point de fermer des écoles, et je ne pense pas qu'on puisse inventer ou organiser des solutions alternatives, mais intéressantes comme vous avez fait chez vous, partout. Le seul espoir qu'il reste finalement aux communautés, c'est d'être capable de se mobiliser et de se mettre en mouvement, d'identifier elles-mêmes les services ou les actions structurantes, les projets qui peuvent relier l'ensemble de la communauté, recréer de la solidarité, permettre aux gens à faibles revenus, les gens exclus de participer à ce processus. C'est vraiment vers cela qu'il faut aller si on veut faire une différence. C'est aussi de mettre des alternatives au service de proximité comme vous mentionnez. Des fois, ils sont moins développés, mais dans l'économie sociale, on peut organiser des solutions intéressantes et vraiment adaptées au milieu. Mais il faut donner les outils pour le faire et c'est ce qui manque.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Plus tôt aujourd'hui, Mme Labrecque Duchesneau, qui est encore dans la salle, a signalé le manque de travailleurs sur le terrain. Vous êtes un de ces travailleurs. Je lui ai fait une suggestion et j'aimerais bien savoir ce qu'il en est. Pour qui travaillez-vous et comment cet organisme est-il subventionné? Y a-t-il des travailleurs comme vous dans toutes les régions du Québec?

[Français]

M. Coutu : Oui, on a un réseau à l'échelle de la province en développement social. On s'est regroupé 14 ou 15 régions en un réseau à l'échelle de notre région. Personnellement, je suis un intervenant communautaire du réseau de la santé. J'ai des mandats qui sont assez ciblés vers des populations cibles comme les personnes âgées, les personnes handicapées et autres.

La dimension dont je vous parle ce matin est très peu développée au Québec. C'est une action de plusieurs intervenants qui viennent des centres locaux de développement ou des sociétés d'aide au développement des communautaires, financés par le gouvernement fédéral ou autres. On a commencé à considérer d'abord de se regrouper, de travailler des dimensions plus intersectorielles et d'accompagner ces communautés. Comme je vous dis, on a tous des missions très précises et personne actuellement a la capacité de livrer ces animations et d'encadrer ces populations dans un processus. Ce ne sont pas des coûts énormes dont je vous parle, mais ce serait un incitatif à travailler davantage ensemble, d'arrêter de travailler en silo, chose que vous avez sûrement rencontrée dans vos consultations. Les organismes, les ministères, tout le monde travaille de cette façon. Ce qu'on vous dit ici aujourd'hui, c'est de travailler davantage de façon transversale et intersectorielle et de nous aider dans ces processus de façon minimale.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : C'est très intéressant. Je ne sais pas si vous étiez dans la salle plus tôt aujourd'hui quand j'ai signalé à Mme Labrecque Duchesneau un autre organisme auquel vous pourriez vous adresser. J'ignore complètement si vous pourriez y recourir ici. Il s'agit d'un organisme appelé Foundation for Rural Living dont le siège social, en Ontario, se trouve à Guelph. Je sais cependant que cet organisme a aussi des activités en Nouvelle-Écosse et qu'on est en voie de l'établir au Manitoba.

Je crois que cet organisme fait exactement ce que vous souhaitez, c'est-à-dire qu'il rassemble toute la collectivité au lieu d'adopter une approche compartimentée. Il vaudra peut-être la peine d'explorer cette possibilité. Nous en ferons état dans notre rapport, ou du moins moi, je m'y attacherai.

Monsieur Boisvert, vous avez dit que 10 p. 100 des collectivités de la Mauricie éprouvent des problèmes. J'imagine que ce pourcentage exclut les collectivités importantes comme Trois-Rivières et Nicolet, n'est-ce pas? Elles ne font pas partie des communautés les plus durement touchées.

[Français]

M. Boisvert : Ce sont des communautés dans les centres-villes de Trois-Rivières, de Shawinigan et de LaTuque, les communautés des premiers quartiers en milieu urbain. Qu'est-ce qui distingue ces communautés des autres communautés? Lorsqu'on examine avec un test statistique, par exemple, de probabilité ou d'écart type par rapport à la moyenne, ce sont des communautés qui se retrouvent dans la marge de 2 p. 100 des communautés les plus rares, là où on retrouve, par exemple, de la mortalité prématurée, de la surmortalité, des taux de signalements à la Protection de la jeunesse. Je ne sais pas si au Canada il y a l'équivalent pour la loi de la protection de la jeunesse, mais c'est un acte légal, un acte qui est dûment recensé en rapport avec la négligence qui est faite aux enfants, de la violence, de l'inceste et ainsi de suite. C'est là où on retrouve aussi le pourcentage d'élèves qui éprouvent en plus grand nombre des difficultés d'apprentissages ou des problèmes de comportement.

Les observations qu'on fait sont relatives. On ne dit pas qu'il n'y a pas ces problèmes ailleurs dans les communautés rurales, mais elles sont concentrées dans les centres-villes, les capitales ou les principales villes de la région. On observe exactement le même phénomène dans d'autres régions du Québec aussi, en particulier à Montréal. Est-ce que cela est dû au fait qu'il y a une mobilité des personnes les plus vulnérables depuis le milieu rural jusqu'au centre-ville? Bien sûr, les gens les plus appauvris des milieux ruraux peuvent se déplacer vers les centres-villes pour avoir des services. On ne contrôle pas toujours ces variables, mais dans un premier temps, ce qu'on observe, dans une grande typologie des communautés, d'un territoire ou d'une région donnée, c'est que la pauvreté et ses effets n'ont pas les mêmes formes en milieu rural ou en milieu urbain.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Pampalon, vous avez dit que les soins de santé primaires sont essentiellement offerts dans les hôpitaux et que les séjours à l'hôpital sont habituellement plus longs pour les habitants de milieux ruraux. Vous ai-je bien compris?

M. Pampalon : Vous parlez de la durée des hospitalisations.

[Français]

La durée d'hospitalisation est plus courte, mais le nombre de personnes hospitalisées est plus élevé. Pourquoi? Finalement, si on ne trouve pas de clinique médicale pour le suivi d'un diabète, le suivi d'une hypertension, on va aller à l'hôpital, et si on reste à 100 kilomètres, on va être obligé d'être hospitalisé. C'est ce qui explique qu'on a recourt beaucoup plus souvent à l'hospitalisation dans les milieux ruraux que dans les milieux urbains, l'absence relative de services médicaux et la présence d'hôpitaux qui se substituent à l'absence de cliniques.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Vous n'avez pas évoqué de pénurie de médecins. Toutefois, d'autres témoins nous ont dit qu'il manquait de médecins dans les milieux ruraux et ils ont souligné le rôle important que jouent les infirmières praticiennes en suppléant aux médecins dans un réseau où il n'y a pas de médecins. Vous avez parfaitement raison. Les endocrinologues et les néphrologues veulent travailler dans les villes et dans les hôpitaux. Voilà pourquoi il n'y en a pas en milieu rural, mais il est censé y avoir des omnipraticiens.

Dans les régions rurales du Québec, connaît-on une pénurie de médecins comme dans les autres provinces? Fait-on appel aux infirmières praticiennes pour tenter de contrer le problème?

[Français]

M. Pampalon : En milieu rural, c'est vrai, il y a un manque de médecins. Cette absence est moins flagrante pour les GPS, les omnipraticiens. Elle est beaucoup plus importante pour les spécialistes, notamment pour les soins dentaires. Plus on s'éloigne des centres urbains, dans les milieux ruraux, moins on a recours au dentiste parce que, finalement, il n'y en pas. C'est la même chose pour beaucoup de spécialités médicales. Il y a quand même des choses intéressantes. Les habitants des milieux ruraux ont davantage un médecin de famille que les résidents des milieux urbains. Ils sont moins nombreux, mais finalement, ils sont plus attachés à leur clientèle. Ce qui ne fait pas que les gens des milieux ruraux vont consulter davantage. En fait, ils vont consulter moins que dans les milieux urbains, peut-être parce qu'en ayant un médecin de famille, on a moins le goût de magasiner et quand on a un problème, on s'y réfère.

Pour ce qui est des infirmières cliniciennes ou « practitioners », c'est tout à fait nouveau au Québec. On commence à en fournir. Je pense que c'est un peu tôt pour connaître l'avenir qu'on leur réserve.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Si on instituait un revenu garanti, est-ce que ça permettrait d'améliorer les soins de santé et d'assurer le bien-être des populations rurales au Canada et au Québec? Vous avez parlé de santé et de logements sociaux. Si tout le monde avait un revenu garanti, chacun pourrait s'occuper soi-même de se trouver un logement. Alors, on n'aurait plus besoin de logements sociaux. Il y aurait également suffisamment d'argent pour attirer les médecins dans les régions qui en sont privées. Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Pampalon : Je n'ai pas d'opinion personnelle sur ce sujet. En ce qui a trait aux logements sociaux, je peux dire que malgré la faiblesse des revenus dans les milieux ruraux, les résidents des milieux ruraux sont beaucoup plus propriétaires de leur logement que les résidents des milieux urbains. Les logements coûtent moins cher. Je ne saurais répondre à votre question pour savoir s'ils avaient un minimum de revenu, est-ce que cela pourrait améliorer la qualité de leur logement, peut-être faire en sorte que davantage s'en procure. Je laisserais les autres répondre, s'ils ont un point de vue sur le sujet.

M. Coutu : Je trouve votre intervention très intéressante. Je pense que fondamentalement, quand le revenu de base n'est pas assez important, on a une problématique à différents niveaux et cela aurait dû être une mesure développée au Canada depuis longtemps. Cela fait longtemps qu'on en parle, mais on n'a peut-être jamais assez considéré cet aspect.

En même temps, je dirais qu'il y a toute la dimension communautaire qu'il ne faut pas perdre dans ces interventions. Le fait d'avoir un revenu supérieur ne dynamise pas nécessairement la vie sociale de la communauté comme telle.

Je pense qu'il faut aussi regarder la dimension, si on parle du logement social, d'une façon différente en milieu rural par opposition au milieu urbain. Je travaille en ce moment avec un groupe dans le nord de Lanaudière où on veut organiser du logement social. Ce sera des petites unités, des maisons unifamiliales, mais réseautées sous forme de coopératives. Chacun va être chez soi, mais il va y avoir un patrimoine communautaire commun. C'est ce type de formule qui répond au milieu chez nous. C'est tellement important que les municipalités donnent les terrains pour sauver leurs communautés. C'est d'adapter des mécaniques. Ce n'est plus nécessairement de faire des ghettos à caractère social comme on faisait autrefois. Ce n'est pas gagnant. On marginalise les gens. Ce n'est pas ce qu'il faut faire.

La question du revenu est importante, mais l'aspect de l'intégration sociale l'est davantage, car jouer un rôle social dans la communauté est important si on veut se réaliser dans toutes les dimensions humaines. La question du revenu, oui, mais il faut jouer un rôle social pour permettre aux gens de s'impliquer dans quelque chose et d'avoir une reconnaissance sociale. C'est fondamental.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Dans certains cas, le salaire minimum est tellement dérisoire qu'après avoir payé leur loyer, les gens n'ont plus un sou; ils sont presque obligés de faire appel aux banques alimentaires pour se nourrir. On devrait s'attarder à cette question de revenu garanti qui permettrait aux gens d'avoir suffisamment d'argent à leur disposition et de vivre dignement. Il est clair que l'argent, à lui seul, ne pourra pas tout résoudre mais il faut que les gens en aient assez pour garder leur dignité.

[Français]

M. Coutu : J'ajouterais que même dans le domaine caritatif, on s'en va vers des façons de faire différentes où les gens sont interpellés à se prendre un peu plus en main et à organiser eux-mêmes leur magasin communautaire. Ce n'est pas en donnant à quelqu'un un chèque ou sa nourriture qu'on avance sur le plan sociétal. Ceux qui interviennent en première ligne au niveau alimentaire commencent à comprendre cela et à trouver des formules où il y a une implication, un engagement social et une valorisation sociale aussi à faire quelque chose pour la communauté. Je pense qu'il faut aller vers des formules d'appropriation et de responsabilisations citoyennes. C'est majeur.

M. Boisvert : J'aimerais insister sur la question du logement. À la suite de ce que Robert vient de dire, ce que j'ai observé très souvent, c'est une variable qui est très discriminante sur le plan de certains indicateurs de santé, principalement de l'espérance de vie et aussi des problèmes sociaux. C'est le pourcentage dans une communauté de propriétaires-résidents, le pourcentage dans une communauté humaine, une communauté de 2 000 à 3 000 personnes, de gens qui possèdent leur logement ou quand ce sont des logements locatifs ou le propriétaire habite l'immeuble. Pourquoi est-ce si discriminant? Je pense que les enchaînements explicatifs ou de cause à effet peuvent aller dans le sens suivant. Quand il y a des propriétaires-résidents dans une communauté, les maisons sont mieux entretenues. C'est clair. Quand les maisons sont mieux entretenues, les gens qui y vivent ont une fierté, ont un meilleur sentiment d'appartenance à vivre dans la communauté puisqu'ils vivent dans une communauté où l'environnement est propre et correct. Cela a un impact sur l'estime personnelle qui est une des conditions essentielles dans la vie pour se développer, pour s'impliquer, pour participer au développement de son milieu. Alors avec la question du logement, et avec les ressources qu'on a au Québec et au Canada pour soutenir les communautés, si on dépensait autrement notre argent, en fournissant à chaque être humain une allocation universelle au seul motif qu'il vit sur notre territoire plutôt que de lui donner un chèque de bien-être, encore là, on aurait un impact sur l'estime personnelle des individus, sur leur confiance en eux-mêmes. Ces gens seraient beaucoup plus entreprenants, contribueraient davantage au développement de leur communauté que lorsqu'on les confine, comme Alain vient de le dire, dans des situations sociales qui sont « ghettoisées » et dans des situations d'assistance et de dépendance qui briment toute l'initiative personnelle.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Dans quelle mesure les centres communautaires, comme les arénas, sont-ils importants pour les différentes communautés? Sont-ils très importants?

[Français]

M. Coutu : J'ai le goût de vous répondre là-dessus. Il y a beaucoup de communautés dans ma région qui essaient d'organiser des lieux de rassemblement. À l'époque dans laquelle on vit, il y a de moins en moins de rapports sociaux. Les gens sont de plus en plus derrière une télévision ou devant un ordinateur. Cela a un impact sur toute la dimension de vie de la communauté. Il faut organiser des lieux de rencontre, des forums, de discussions, d'échanges d'une façon ou d'une autre.

Je connais chez nous un groupe de personnes handicapées qui le font par Internet. Ils sont tous, isolés et éloignés, et ils ont organisé un forum de 150 personnes. Ils ont utilisé une faiblesse et ils en ont fait une force.

Il faut organiser toutes sortes de lieux de rassemblement, de ralliements, comme les animations dont je vous parlais tantôt. Quand on prend un samedi toute la journée ensemble pour voir où l'on va comme communauté, c'est un lieu de rapprochement de faire en sorte que des gens qui ne se parlent plus, se parlent de quelque chose qui les concerne, leur milieu de vie. Il faut multiplier ce genre de chose. Un aréna est un lieu de rencontre aussi. Une église peut être aussi un lieu de rencontre. C'est tout cela qu'il faut animer.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Un lieu de rassemblement, en fait.

[Français]

M. Pampalon : L'avantage de l'aréna, c'est qu'on peut organiser des activités physiques. C'est aussi bon pour la santé, surtout pour des jeunes. Il y a donc beaucoup d'avantages. Aux infrastructures sportives, des cours d'école, des terrains de jeux, tout cela rassemble les jeunes. En plus, cela les fait bouger, les garde en santé et cela permet aussi aux parents de se parler. Il y a donc beaucoup d'avantages à conserver les infrastructures multiples dans les petites localités.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Les bénévoles jouent un rôle très important. Il faut s'investir et faire du bénévolat pour trouver des entraîneurs, et cetera. Dans la petite ville où j'ai grandi, c'étaient les bénévoles et les entraîneurs qui étaient l'âme de la communauté.

La présidente : Je voudrais vous poser une question dont on n'a pas parlé mais qui est souvent soulevée. Il s'agit d'une problématique à laquelle je m'intéresse depuis mon entrée dans la vie publique, à savoir la grande question de l'alphabétisation.

De nos jours, il est quasiment impossible de lire le journal sans voir un titre nous informant que nous avons raté une occasion ou perdu quelque chose parce que notre main-d'œuvre n'est pas suffisamment qualifiée. Cela s'explique en partie par le fait que nous avons énormément de gens au pays qui, pour une raison ou une autre, ne savent ni écrire, ni lire, ni communiquer comme nous le faisons ici, en cette salle. Le problème est très grave. Il touche un énorme pourcentage de la population d'âge adulte.

Les nouvelles technologies, comme les BlackBerry, nous permettent de communiquer plus facilement qu'auparavant. C'est ainsi que ceux qui sont incapables de lire, d'écrire ou de communiquer sont marginalisés dans un pays comme le Canada et, en fait, dans la plupart des pays occidentaux.

Dans vos sphères d'activités respectives, faites-vous face à ce problème? Dans quelle mesure y a-t-il dans vos collectivités des groupes militants qui tentent de venir en aide aux gens, peu importe leur âge, pour qu'ils puissent se réinsérer dans la société?

[Français]

M. Coutu : Il y a beaucoup de groupes communautaires. Il y a aussi le milieu institutionnel qui fait des efforts dans ce sens, c'est bien évident, les commissions scolaires et tout ça. Il y a beaucoup de groupes communautaires qui se sont spécialisés dans l'alphabétisation au Québec. C'est reconnu et financé par l'État en partie.

Par rapport à cette population, lorsqu'on anime les projets citoyens, tout se fait par contact direct. On a compris que ce n'est pas par de grands sondages, que ce n'est pas par l'écrit dans les journaux que l'on rejoint le monde. C'est par des liens directs, soit de prendre une heure ou deux avec la personne et lui demander comment elle se voit dans le projet citoyen et quel rôle elle entend y jouer.

On fait un effort important pour permettre à des gens qui n'ont aucun rôle d'avoir une responsabilité, un engagement et une contribution. Cela vient changer l'image que les autres en ont aussi. On met un effort important pour que des personnes handicapées jouent un rôle, quand même que ce serait de recevoir les jeunes le matin d'une animation locale au niveau de l'accueil.

Il faut faire un effort constant. Actuellement, on anime une recherche là-dessus, comment on peut faire participer les gens qu'on ne voit jamais, les gens dits exclus, dans des processus citoyens comme ceux-là. Je pense qu'on a besoin du milieu de la recherche aussi pour être capable d'aller plus loin et de s'adapter à la réalité, de ne pas penser que les manières habituelles de rejoindre ces gens sont efficaces. Il faut travailler sur le terrain de façon concrète. C'est la seule manière, mais il faut le faire.

[Traduction]

La présidente : Ceux qui militent en faveur de l'alphabétisation, à l'échelle du pays, ont été durement frappés cette année par l'élimination puis la remise en place partielle du financement. Cela nous met très mal à l'aise de savoir que certains des meilleurs programmes et organisations au pays sont en péril. Il s'agit là d'une question fondamentale.

Au Québec, il existe des organisations merveilleuses. Ces organismes, tout comme leurs partenaires ailleurs au pays, souffrent de la diminution du financement. Aider, ce n'est pas difficile mais très souvent la façon la plus efficace de procéder, comme vous l'avez dit, c'est de travailler sur une base individuelle. Après tout, ça ne se compare pas à une classe d'école.

Cette question revêt une importance critique. J'espère que les efforts des militants du secteur aboutiront.

Madame Labrecque Duchesneau, je vois que vous faites un signe de tête. C'est bien.

[Français]

M. Boisvert : J'aimerais ajouter une remarque, si vous permettez, suite à vos interventions.

L'alphabétisation, mais aussi la littéracie. Le concept de littéracie est absolument incontournable dans un contexte de globalisation des marchés ou de mondialisation ou des échanges. C'est évident qu'à l'échelle des pays, les pays qui investissent davantage dans l'éducation, dans l'instruction de leurs citoyens sont actuellement à l'échelle de la planète, à l'évidence, des pays de tête, mais aussi à l'échelle des communautés, pour lesquelles l'alphabétisation peut être aussi quelque chose d'intégré. À l'échelle des communautés, le secret des communautés qui se développent, c'est que les relations sont intégrées entre chacune des composantes ou des éléments contributifs au développement de la communauté.

Le décrochage scolaire est relié à la pratique des sports. Les élèves qui font du sport, développent en même temps des réseaux d'entraide, ont un sentiment d'appartenance à leur communauté. Il y a des communautés qui font de l'entraide intergénérationnelle. Il y a des programmes au Québec où des personnes âgées sont encouragées à aider les enfants à faire leurs devoirs après l'école. Il s'agit d'intégrer à l'échelle d'un milieu de vie l'ensemble de ces composantes pour les faire fonctionner de façon dynamique plutôt que de construire des programmes incitatifs qu'on suggère, peu importe le type de communauté, à l'ensemble d'une région ou d'un territoire. C'est de laisser aux citoyens la chance de s'approprier avec le soutien des pouvoirs publics, la façon de développer leur milieu en tenant compte de chacun de ces éléments.

M. Pampalon : J'ajouterais un point. C'est probablement que l'alphabétisme ou l'analphabétisme commence avant l'entrée à l'école. Dès l'arrivée à l'école, déjà chez les jeunes et surtout chez les jeunes pauvres, il y a des difficultés langagières, des difficultés de comportements. Déjà très tôt, ces jeunes échouent leur 1ère année, 2ième année. C'est avant l'entrée à l'école qu'il faut investir et soutenir les familles qui vivraient des difficultés financières ou autres pour que précisément, en arrivant à l'école, ces jeunes arrivent à égalité d'habilités langagières.

[Traduction]

La présidente : Tout à fait, et je suis heureuse que vous l'ayez dit. J'aurais dû moi-même soulever cette question. Nous savons maintenant, grâce aux sciences médicales, que c'est au cours des 18 premiers mois de la vie d'un enfant que se font toutes les connexions et c'est à partir de là que tout commence.

Un défenseur de cette cause m'a dit il y a bien des années que c'est pendant la petite enfance que tout commence. En effet, si un enfant est incapable d'apprendre parce que ses parents n'en sont pas capables non plus, ou n'ont pas eu l'occasion d'apprendre, ça devient un cercle vicieux et le train déraille.

Je n'aurais pas pu partir sans avoir mentionné cette question parce qu'elle est pertinente où qu'on soit, dans une petite ou une grande ville. La problématique est la même et elle est tout à fait fondamentale.

Nous vous remercions tous de votre comparution et vous souhaitons bonne continuation. Sachez que ce que vous faites est primordial. Nous ne regretterons pas du tout d'être venus à Nicolet et remercions notre collègue, le sénateur Biron, de nous y avoir encouragés.

La séance est levée.


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