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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 27 - Témoignages - Séance de l'apres-midi


NICOLET (QUÉBEC), le vendredi 18 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 13 h 45 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous sommes d'abord heureux d'accueillir, le maire de Nicolet, M. Alain Drouin.

Nous vous remercions de votre présence aujourd'hui. Vous serez heureux d'apprendre que nous avons eu un avant- midi énergique et intéressant. Nous avons accueilli de très bons témoins qui nous ont dit exactement comment ils se sentaient. Ils nous ont donné de bonnes idées de changements que nous pourrions proposer à la fin de l'étude.

Cet après-midi, nous sommes heureux d'accueillir M. Robert Gendron et M. Charles Cartier.

[Français]

Alain Drouin, maire, Ville de Nicolet : Madame la présidente, merci d'abord d'avoir choisi Nicolet pour une séance du comité sénatoriale sur la pauvreté dans le milieu rural. C'est pour moi un honneur d'être avec vous cet après-midi. J'imagine que la présence du sénateur Biron n'est pas complètement étrangère à votre venue à Nicolet aujourd'hui.

Cela me rend un peu inconfortable que le thème de votre visite soit la pauvreté dans le milieu rural, non pas que ce sujet ne doit pas être étudié et qu'on doit se mettre la tête dans le sable, mais parce qu'on s'y attarde. On étudie la pauvreté en milieu rural parce que c'est une réalité. Cette réalité de la pauvreté en milieu rural, à mon avis, relève plus d'un élément structurel que d'un élément historique. C'est un problème structurel.

Ce matin, on a entendu M. Duhaime parler de la difficulté pour une entreprise de télécommunications d'établir des services à cause d'une faible densité de la population. En ce qui concerne les municipalités, le même problème, pour les mêmes raisons, peut se poser. C'est-à-dire le fait que la densité de population ne permet pas aux organisations municipales, quelles qu'elles soient, d'offrir des services, un collectif qui dépasse les services de base pour une communauté.

Ce matin, on a sommairement fait référence à l'électricité et à sa distribution. Au Québec, la nationalisation de l'électricité au début des années 1960 a permis au territoire du Québec de s'organiser d'une certaine façon et de se développer. Il y a des services de cette nature, et je nommerai simplement celui du transport collectif. On comprend que la mobilité des personnes est un élément important pour la vitalité d'un territoire. Le fait qu'une municipalité ne puisse pas s'offrir un service de transport en commun, par exemple, ou minimalement un transport collectif, cela pose des problèmes majeurs quant à sa vitalité.

Le jeune qui n'a pas accès au transport en commun pour se rendre à son école et poursuivre des études supérieures, abandonnera peut-être ses études plus rapidement. Il devra donc trouver un travail, qu'il ne trouvera pas nécessairement dans son village, et qu'il pourrait trouver à proximité du village ou dans une ville un peu plus importante. Si à partir de chez lui, il n'y a pas de transport, et qu'il n'a pas un salaire suffisamment important pour s'acheter une voiture, qu'est-ce qu'il fait? Il déménage près de son lieu de travail. Et cela a pour conséquence de dévitaliser son village. L'impact sur ces jeunes, qui sont pas nécessairement très riches et souvent sous éduqués, c'est qu'ils auront des emplois sous-payés.

Ce problème se pose pour les jeunes, mais aussi pour les personnes plus âgées qui ont besoin d'un service de santé et qui demeurent à l'extérieur d'un territoire organisé. Ils vont se déplacer vers le territoire organisé parce qu'ils n'ont pas de transport pour s'y rendre. Ils sont mal à l'aise de se déplacer avec leur voiture dans un centre plus urbain. Ces personnes vont aussi se déplacer vers un centre urbain, près des services. Cela fait en sorte que dans un petit village, à un moment donné, s'il n'y a plus de jeunes, l'école finira par disparaître. Le bureau de poste finira par disparaître. Le même problème se pose pour d'autres services comme l'épicerie et le dépanneur; ce n'est plus vivable pour eux. On voit cela dans certains villages.

À mon avis, il y a quelque chose qui relève de la structure même. Ce matin, on a sommairement abordé l'histoire de l'électricité et cela me ramène au sujet de la nationalisation de l'électricité. Je ne souhaite pas qu'on nationalise les services. C'est un peu l'intervention de M. Duhaime lorsqu'il parlait du support qu'on peut apporter, entre autres, aux entreprises de télécommunications. Je ne voudrais pas que mon intervention soit perçue comme une intervention strictement reliée à celles de M. Duhaime.

Globalement et sur l'ensemble des services collectifs, les municipalités à faible densité ont beaucoup de difficultés à offrir des services minimaux à leurs citoyens. Il en résulte, encore une fois, que les individus finissent par partir. Progressivement, le niveau de pauvreté dans le milieu rural nous touche beaucoup plus que l'agriculture. La pauvreté, maintenant on le sait, s'approfondit, c'est-à-dire les pauvres sont plus pauvres, mais le cercle s'élargit. Il y a de plus en plus de pauvres, de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cela nous préoccupe au plus haut point.

Je vais dire comme je le pense, on se tiers-mondialise, madame la présidente. Cela me préoccupe et m'inquiète. On se tiers-mondialise dans notre offre de services. On se tiers-mondialise dans la façon même d'offrir ces services. Je ne veux pas être dramatique, mais cela m'inquiète au plus haut point pour nos enfants, non seulement pour aujourd'hui, mais pour leur avenir.

Je souhaite que nos choix s'orientent vers la collectivité. Je ne souhaite pas que l'État s'en charge — je ne crois pas que cela soit la solution — mais que l'État supporte vraiment les interventions tournées vers la collectivité.

Madame la présidente, je vous remercie de votre présence, de votre écoute, du travail que vous aurez à faire parce que la tâche que vous avez à accomplir n'est pas simple.

Robert Gendron, à titre personnel : Madame la présidente, j'ai intitulé ma présentation, « Comment en est-on arrivé là? » Premièrement, on a subi beaucoup de fermetures d'entreprises; on peut nommer Vallières; American Optical, qui est passé aux mains des Chinois. Les Chinois sont venus ici et ils sont repartis avec le matériel et le savoir-faire, ainsi qu'avec la clientèle. Maintenant, l'usine est vide; il y a le groupe Magie, un fabricant de vêtements, qui est maintenant fermé. Les Ateliers Pépin, qui n'a pu résister la concurrence chinoise, a aussi fermé.

Il y a aussi le dossier de la Défense nationale, dossier que je connais parce que mon père était commandant. À l'époque, ils employaient de 160 à 200 employés ce qui faisait vivre presque autant de familles. Une transaction a été faite par Arsenaux canadiens avec SNC Tech, qui a ensuite réduit le personnel à 30 employés. Ils auraient, et là, mes sources ne sont pas sûres, payé 14 millions de dollars pour l'acquisition des Arsenaux canadiens. Plusieurs années après, SNC Tech a revendu à General Dynamics pour la somme de 315 millions de dollars et il n'y a pas plus de création d'emplois. Tout ce qu'on voit, ce sont les profits aux actionnaires, et ce, sans se préoccuper du contexte social.

La pauvreté a amené notre comté dans un narco-comté. Vous devez savoir que dans la région, on a de gros problèmes de « mari-culture », tout cela relié à la pauvreté. Quand quelqu'un se retrouve sans emploi, il cherche un moyen de s'en sortir. C'est un moyen illicite qui est une mauvaise direction à prendre. On a eu aussi ce qu'on appelle le BS corporatif, soit un paquet de subventions aux entreprises qui n'ont jamais servis à augmenter les salaires des employés, alors elles ont servi à quoi? C'est un mystère.

On a subi aussi, moi et beaucoup d'autres, l'importation des produits chinois, même en agriculture. Par exemple, dans la région, nous avons la culture maraîchère à Notre-Dame-de-Pierreville, Saint-Pierre-des-Baquets. Ces gens font la culture des fraises. Les compagnies telles IGA, Métro, Loblaws, et cetera, n'achètent plus ces fraises. Elles achètent des fraises en provenance de la Californie, qui sont des fraises blanches à l'intérieur, probablement pleines de produits chimiques et récoltées par des Mexicains qui traversent la frontière illégalement. Ces compagnies sont cotées à la bourse et tout ce que voient les actionnaires, ce sont les profits. Ils se foutent du côté social, de faire vivre les petits agriculteurs locaux. C'est un gros problème ici dans la région.

Quelles sont les alternatives? Il est vrai qu'on fait face à la mondialisation. La Chine et l'Inde importent des produits qui ne respectent pas nos normes environnementales et le côté humain. Il y a des pays tels l'Italie, la France et l'Allemagne qui tirent leur épingle du jeu. Par exemple, j'écoutais une émission l'autre jour sur un fabricant de lunettes italien; les lunettes sont fabriquées en Chine et les lunettes de très haute qualité restent en Italie.

Je crois que nous devons nous tourner vers ce mode de développement à l'échelle mondiale. On ne doit pas rester seulement assis à regarder le Québec. Nous avons la chance nous aussi de participer à ce grand défi qu'est la mondialisation. Pour ce faire, il faut sortir du Québec. Il faut aller sur les marchés étrangers. Il faut aller en Europe, en Asie, aux États-Unis. J'ai parcouru les États-Unis pendant 20 ans. Il y a un immense marché de ce côté. Il faut avoir des agents sur place. Il faut développer et être au courant du marché. Il faut innover, fabriquer et exporter. On va alors avoir une création d'emploi viable.

Charles Cartier, à titre personnel : Madame la présidente, je fais ma présentation un peu à la dernière minute. Je vais quand même vous parler de l'agriculture — je suis un agriculteur biologique — et du constat que j'en fais.

Si on regarde la situation au Québec dans les années de nos parents et nos grands-parents, la croissance démographique a prospéré avec l'économie et les enjeux sociaux ont évolué en même temps; les petites fermes ont été le moteur de la ruralité et c'était une période de prospérité, ce qui a favorisé la croissance économique; les enjeux économiques ont primé sur les enjeux sociaux et donnés libre accès là où il y avait propriété commune; on a en quelque sorte laissé les communautés à elles-mêmes, et misé plutôt sur une vision collective. Pourtant, durant cette période, on est sorti de l'alimentation de survie, et aujourd'hui, on fait de l'agriculture qui est encore en mode de survie.

Je me suis lancé en agriculture biologique. Après analyse et évaluation, l'agriculture conventionnelle telle que développée est en grande partie dépendante du pétrole, directement au diesel, essence et propane et indirectement aux engrais, pesticides et machineries. Aujourd'hui, on se retrouve dans une situation où l'on a laissé l'industrie s'approprier de l'agriculture à sa façon et également des profits. On est tombé dans une spirale économique. L'industrie a le droit de rentabiliser ses opérations parce que les agriculteurs et les producteurs ont été laissés à eux-mêmes. Les agriculteurs se trouvent dans une situation de dépendance. Si on regarde la Chine et l'Inde, ils ont toujours connu une croissance démographique assez constante et également, ils ont récupéré eux-mêmes la révolution verte, et ils ont augmenté leur niveau de production alimentaire. Aujourd'hui, ils sont encore capables d'exporter et ils viennent conduire nos marchés.

Nous, on a travaillé plus à se fermer sur nos marchés. On a ralenti notre croissance démographique. On veut également ralentir nos croissances de produits agricoles pour le style de la gestion de l'offre. Cela nous place dans une situation de dépendance.

Quand je me suis tourné vers l'agriculture biologique, j'ai fait le choix de me prendre en main. C'est souvent une question d'attitude. Ou on se prend en main ou on se laisse imposer un système qui conduit à la dépendance.

Je dis souvent qu'il n'y a pas de solution collective. Si on regarde le problème du cannabisme, c'est un problème collectif, mais il n'y a pas de solution collective. Aussi bien quand on a un problème, on va faire un recours collectif, mais il n'y a pas de solution collective.

La force de l'agriculture biologique, c'est qu'on se démarque de l'industrie. On coupe la dépendance en éliminant indirectement les dépenses indirectes de l'énergie et du pétrole. On a à travailler et à développer une agriculture qui est moins dépendante des énergies directes en améliorant nos méthodes. Avec l'agriculture biologique, il y a possibilité de sortir de l'agriculture de survie. Par contre, cela doit demeurer un choix personnel. L'agriculture biologique, je pense que c'est la seule façon de ramener un peu de prospérité en étant en contrôle de notre agriculture.

En laissant l'industrie s'approprier à sa façon de l'agriculture, on a laissé l'agriculture à elle-même. C'est l'agriculture qu'il faut gérer. On travaille plus à gérer les productions qu'à gérer l'agriculture. Pour avoir des productions durables, il faut avoir une agriculture durable. L'agriculture biologique est une agriculture alternative. Dans le monde présentement, il se développe d'autres agricultures alternatives, entre autres, l'agroforesterie. La base, c'est l'agriculture qui est importante.

C'est dans ce sens qu'est mon intervention. Je n'étais pas tellement préparé à intervenir et vous avez peut-être des questions.

Le sénateur Biron : Dans les municipalités, il y a une augmentation de responsabilités dans certains cas qui ont été données par la province. La diminution de la population crée un déséquilibre fiscal si on veut. Les subventions pour les structures des municipalités pourraient-elles aider ou devraient-elles continuer ou être amplifiées pour vous aider?

M. Drouin : Sénateur, j'entends bien le sens de votre question.

M. Cartier disait que certains problèmes étaient de nature collective, mais il n'y a pas qu'une solution à ces problèmes. Il y a souvent plusieurs petites solutions qui vont faire en sorte que les problèmes puissent se régler. Si on compare les problèmes reliés à une municipalité de la taille de la ville de Nicolet, par exemple, avec environ 8 000 personnes aux problèmes d'une municipalité de la taille de La Visitation où il y a 400 individus, les problèmes ne se situent pas à la même place. La solution n'est pas à la même place non plus.

Il reste que ces municipalités ont des défis. Ici, par exemple, on regarde notre situation géographique et notre histoire récente, et si on recule en 1955, lors du glissement de terrain qui s'est produit près du pont qui traverse la rivière, et ce qu'il y a eu comme impact, ce n'est pas facile. Je ne vous apprendrai rien là-dessus, sénateur Biron.

Dans les années plus récentes, même l'année dernière, la situation géographique et la présence de la rivière Nicolet ont fait en sorte que la ville de Nicolet a dû, malgré le fait que notre budget annuel soit de 9 millions de dollars, investir chez nous durant les deux dernières années juste pour protéger nos investissements, protéger ce qu'on a. On a dû investir un million de dollars. Peut-être jugez-vous cela banal, mais dans le contexte d'un budget de 9 millions de dollars, c'est jusqu'à 12 p. 100 de notre budget qui est passé pour la protection de nos investissements.

Pour répondre à votre question, vous demandiez si l'aide financière de l'État peut nous aider. Bien sûr que oui, cela peut nous aider. Mais cette aide est balisée et régie par des normes. Je dis que c'est structurel; par exemple, le rang du bas de la rivière aurait besoin de travail urgent. Cela ne rentre pas dans les normes de subventions de l'État.

Le sénateur Biron : Des travaux d'infrastructures.

M. Drouin : Des travaux d'infrastructures, mais le travail qu'on a à y faire ne rentre pas dans les normes. Alors, probablement qu'on devra assumer cette responsabilité seuls. Particulièrement dans ce secteur de la ville de Nicolet où la densité de population est faible. Selon les règles de l'heure, on aura peut-être 1,5 million de dollars ou 2 millions de dollars à investir juste pour la protection. Je ne parle pas de faire du développement, mais de protéger nos équipements. Ce n'est pas si banal que cela.

Je sais que ce matin, une productrice agricole a témoigné et aujourd'hui, M. Cartier a aussi témoigné en ce qui a trait à tout le système alimentaire qu'on a tenté de développer au Québec, pour assurer une certaine autonomie alimentaire du Québec. La ville de Nicolet était en démarche pour ouvrir un incubateur agro-alimentaire. Cet incubateur agro- alimentaire visait à permettre à des producteurs agricoles, soit des éleveurs et des maraîchers, de transformer leurs aliments selon les normes reconnues par le ministère de l'Agriculture, des pêcheries et de l'alimentation, qui détermine les conditions pour la transformation ou la vente de leurs produits. Alors, on permettait à nos producteurs agricoles, nos éleveurs, nos maraîchers une transformation de leurs produits selon les normes et de les retrouver sur les tablettes des épiceries. Mais pour une raison administrative et une erreur administrative d'un fonctionnaire, l'incubateur agro- alimentaire est retardé d'un an, un an et demi, peut-être deux ans. Bien sûr qu'on a besoin de l'aide financière.

Quand je me suis présenté en politique municipale, il y a des gens qui m'ont dit, « On veut développer la culture chez nous. » J'ai dit, « Oui, c'est le fun. Qu'est-ce que vous demandez à la ville? » « De ne pas faire d'obstructions. » J'ai dis, « Quoi? Vous ne demandez pas de l'argent à la ville? » « Non, ne faites pas d'obstructions. Ne venez pas nous mettre des bâtons dans les roues. » Et cela, c'est au niveau culturel, j'entends.

Alors oui, on a besoin de l'aide financière de l'État pour être en mesure d'offrir minimalement les services, et d'essayer de les maintenir. Quand je dis qu'on se tiers-mondialise, — et M. Gendron a parlé des conséquences de l'appauvrissement et la culture du cannabisme — ce n'est pas exclusif à la région immédiate de Nicolet. On s'en va vers quoi? Je n'ai pas de solutions miracles. J'espère qu'on ne cherchera pas qu'une seule solution à la pauvreté en milieu rural. Il n'y en a pas qu'une, la solution, elle est multiple. Cela passe bien sûr par l'intervention et le support de l'État, qui doit être ciblé.

Je souhaite que le travail que vous amorcez, que vous avez amorcé depuis un certain temps déjà, en arrive à des solutions. Je ne suis pas en mesure de vous nommer ces solutions, je ne le sais pas. Je constate cependant, et encore une fois, M. Gendron l'a illustré de façon plus concrète que moi, les conséquences directement sur le terrain.

Ce n'est pas banal ce qui s'est dit, parce que ce sont nos jeunes du secondaire qui s'en vont travailler à 25 $, 30 $ et 35 $ l'heure et qui ne vont plus à l'école. Ils sont en secondaire III ou en secondaire IV, et ils vont travailler à ces salaires. Ils ne sont plus dans les écoles. Ils vont faire cela quelque temps et après cela, plus rien.

Ce sont des habitudes qu'on crée de faire travailler ces jeunes à 40 $ l'heure, pour un petit gars ou une petite fille de 16 ans, de façon illégale. Je dis « de façon illégale », mais la conscience n'est pas encore réveillée suffisamment, mais c'est sérieux.

La pauvreté s'élargit et s'approfondit. Il y en aura de plus en plus et les gens sont de plus en plus pauvres. Si les services publics, si la société, si nous, comme élus, comme membres du Sénat, comme politiciens ne pouvons pas offrir ces services à notre monde, les services publics minimaux à notre monde, c'est inquiétant. J'en prends large pour répondre à votre question qui aurait pu nécessiter une réponse beaucoup plus brève.

Le sénateur Biron : Monsieur Cartier, combien d'acres cultivez-vous?

M. Cartier : Trois cent cinquante acres.

Le sénateur Biron : Vous réussissez à couvrir vos frais.

M. Cartier : Je dirais que oui. C'est plus ou moins rentable, mais l'agriculture biologique, il faut voir cela comme un développement à long terme. Il faut avoir une perspective à long terme. On a toujours tendance à gérer à court terme et on a amené l'agriculture dans la spirale économique de l'industrie. On amène les producteurs à vouloir jouer le rôle de l'industrie.

Le sénateur Biron : Est-ce que vous avez développé un marché local?

M. Cartier : Les grains sont en partie local et une partie pour l'exportation. Il faut dire que ce qui était notre assurance quand on est allé en agriculture biologique, c'était le marché japonais. Les Japonais sont friands du soya bio et ils ont tout le temps apprécié la qualité du soya bio qui se faisait au Québec, ce qui était notre assurance dans notre mise en marché.

En agriculture biologique, il faut que tu bâtisses ton assurance, que tu développes ta confiance. Dans l'industrie, en général, les gens sont portés à aller vers de la facilité. L'industrie apporte ses solutions tandis qu'en agriculture biologique, il faut que tu trouves tes solutions. Il n'y a pas de solutions miracles.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : J'ai été très impressionné par la ville de Nicolet. Mon collègue nous a fait visiter la ville hier soir; il est très fier d'où il habite, et de ses racines, et avec raison.

J'ai été impressionné par les infrastructures, l'ancien couvent et le séminaire, qui existent depuis des années. J'ai été aussi impressionné par le fait que vous vous servez de ces bâtiments à d'autres fins, comme pour l'école de l'agriculture et le collège de police. Vous avez des institutions religieuses qui ont prospéré par le passé et qui ont été transformées en d'autres industries. Est-ce là un avantage pour Nicolet par rapport à d'autres villes de la même taille au Québec?

[Français]

M. Drouin : Oui, c'est un avantage pour la ville de Nicolet d'avoir sur son territoire ces institutions. Cela a permis effectivement un seuil d'emplois disponibles, des emplois reliés à l'État et qui sont relativement bien payés. Cependant, la ville de Nicolet, et M. Gendron y faisait mention tantôt, a aussi été une ville, il n'y a pas si longtemps, à caractère important au niveau industriel. Cela ne s'est effrité jusqu'à peau de chagrin ou à presque rien ces dernières années. Maintenant, ce sont de très petites entreprises qui sont présentes ici et, en moyenne, on peut penser que les entreprises de transformation emploient cinq ou six personnes, sauf une ou deux exceptions, Nicolet Plastique et Thermo Forma je crois. La plupart des entreprises sont de toutes petites entreprises.

La question que vous posez, est-ce que Nicolet bénéficie, oui, on bénéficie. On demeure cependant et on a été et on reste victime. On parlait de mondialisation. On en est victime. On n'est pas des acteurs. On n'est pas au devant. Les deux personnes à mes côtés ont dit la même chose. On n'a pas été en avant. On n'est pas partenaire de la mondialisation. On n'est pas proactif. Je dis « on », ce n'est pas exclusif à Nicolet. Je pense que dans la société Nord américaine, sauf quelques exceptions, quelques immenses entreprises peuvent en bénéficier, mais si on regarde celles qui sont à la base, les travailleurs, à mon idée à moi, sont les victimes.

Dernièrement encore ici, il y a l'usine Norsk Hydro qui a fermé, 400 emplois, de bons emplois, bien rémunérés ont disparu. Cela a un effet sur les individus bien sûr. L'entreprise elle-même a perdu. Les individus, les travailleurs ont perdu. Même la ville de Bécancourt, qui est à côté, perd, et c'est une ville qui est assez importante au niveau industriel, de méga-entreprises y sont. L'organisation municipale perdra 800 000 $ à 1 million de dollars de revenus par année en taxes parce que cette entreprise ne sera plus là. On fait quoi?

Pour répondre à votre question, j'y réponds par le ventre aussi, mais oui, on est content et oui, cela nous a rendu service et cela continue à nous rendre service. Cela offre des emplois intéressants et importants. Si on pense à l'École nationale de police, cela a permis la reconstruction de cette bâtisse. qui a été incendiée à quelques reprises; le dernier incendie en 1973, l'État québécois a réinvesti 50 millions de dollars pour la remettre sur pied. Maintenant, on peut même penser qu'avec l'école, il y a du développement qui va se faire. L'École nationale de police n'a pas atteint sa maturité encore.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Gendron, j'ai été intéressé par vos remarques et celles du maire concernant les fermetures d'usines. Nous avons entendu parler d'autres fermetures à de nombreux autres endroits. Les Canadiens ont tendance à penser que la base industrielle est située dans le corridor Montréal-Windsor, mais ce n'est pas le cas. Elle existe aussi dans votre région du Québec et dans d'autres régions du pays. Je sais que dans ma province, la Nouvelle- Écosse, nous avons perdu 1 000 emplois depuis janvier. C'est considérable pour une petite province.

Je trouve aussi intéressant de constater qu'une collectivité avec une école de police a un problème de culture de marijuana. Peut-être que les apprentis pourraient en profiter pour faire des exercices.

Vous avez parlé de marketing, de la Chine et de l'Inde. Faites-vous du marketing par l'intermédiaire soit du gouvernement du Québec, soit du ministère du Commerce international à Ottawa? Ces organismes ne commercialisent- ils pas des produits de votre région?

M. Gendron : J'expédie mes produits aux États-Unis surtout depuis les 20 dernières années. Je ne suis pas en mesure de devenir une grande entreprise. On a besoin de fonds, d'experts et de beaucoup d'employés pour y arriver. Il faut avoir quelqu'un sur place, à Boston, à New York et à Philadelphie, par exemple, pour vous dire ce qui se passe, quelles sont les tendances, afin de pouvoir prendre les bonnes décisions. Il faut avoir une grosse équipe pour ce genre d'activités. Il faut beaucoup d'aide, de bons conseillers et des fonds pour appuyer ces activités.

Le sénateur Mercer : Que commercialisez-vous?

M. Gendron : Je commercialisais ce qu'on appelle des accessoires, des lampes. J'ai commencé par des canards appelants. C'est ce que mon père faisait lorsque j'étais jeune, lorsque St. Peters était un bon endroit où chasser. J'ai commencé par des canards appelants lorsque j'avais 15 ans. Ensuite, un homme est venu chercher mes canards appelants chez moi. Je lui ai dit qu'ils n'étaient pas à vendre. Il est revenu l'année suivante, et il avait un nouveau camion, j'ai dit « mon Dieu, c'est une bonne entreprise », donc j'ai décidé d'aller à Boston. Voilà comment j'ai découvert le marché américain.

J'ai commencé à commercialiser des produits pour la pêche sportive en Floride. Il y a beaucoup de pêcheurs qui pratiquent la pêche sportive en Floride. J'offrais environ 15 modèles différents. Ensuite, un fabricant chinois m'a copié, un autre fabricant chinois a copié le premier, et le dernier était un modèle d'Haïti fabriqué de métal. J'ai entendu dire que le fabricant payait un homme à Port-au-Prince un dollar par jour pour dix heures de travail, ce qui représente dix cents l'heure. Comment pouvons-nous concurrencer avec ces gens? C'est impossible.

Nous devons prendre une décision. J'ai parlé des Italiens qui fabriquent des lunettes; celles à bas prix sont fabriquées en Chine. Si vous voulez quelque chose de qualité, nous pouvons le fabriquer ici au Canada. Les Italiens, les Français et les Allemands y arrivent et réussissent. Pourquoi pas les Canadiens? Peut-être que la culture au Québec fait en sorte que nous avons peur de traverser la frontière. Nous avons peur de parler aux gens.

Culpepper & Company de West Palm Beach est un de mes clients aux États-Unis. Mme Culpepper a déjà une usine en Chine. Ces gens se déplacent beaucoup et n'ont pas peur de prendre des risques. Je crois que si on veut faire quelque chose, il faut prendre cette orientation.

Le sénateur Mercer : Monsieur Cartier, nous sommes toujours prêts à parler aux agriculteurs biologiques. Nous n'avons parlé qu'à quelques-uns de ces agriculteurs durant nos déplacements, et nous sommes heureux de vous avoir avec nous.

J'ai été intéressé par deux choses que vous avez dites. D'abord, vous avez parlé de la gestion de l'offre. Je n'ai pas très bien compris si vous étiez en faveur de la gestion de l'offre et au fait qu'elle soit étendue. J'aimerais vous entendre parler un peu plus sur la gestion de l'offre.

[Français]

M. Cartier : La gestion de l'offre pour moi, c'est un système de gestion, mais ce n'est pas de l'agriculture. Un système de la gestion de l'offre, à mon point de vue, serait de permettre aux agriculteurs de prendre un moment d'arrêt, de se positionner et d'être capable d'avancer, de progresser. À mon avis, c'est beaucoup plus avoir une position assise et de ne pas aller vers une agriculture concurrentielle. Ce sont des choix de société, mais il reste que les conséquences négatives sont répercutées dans la société.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Vous avez dit que vous vendiez une partie de vos céréales au Japon. Je vais maintenant mettre mon chapeau de membre du comité sénatorial du transport. On nous dit qu'il est difficile d'assurer le transport de produits agricoles aux marchés asiatiques de façon rapide afin que les produits arrivent dans le meilleur état possible, pour maintenir leur valeur sur le marché. J'aimerais que vous nous parliez de vos expériences.

[Français]

M. Cartier : Les agriculteurs biologiques du Québec n'exportent pas directement. On passe par des négociants. Par contre, l'été passé, j'ai rencontré un représentant japonais qui nous a expliqué la manière de transiter. Il nous a expliqué en même temps que ce qui est important — le Japon est un peu à côté de ce que vous demandez — c'est devoir conscience des consommateurs. Le Japon a mis en place la certification JAA, Japanese Accreditation System, une association pour protéger ses consommateurs parce qu'ils se sont aperçus qu'il rentrait trois fois plus de produits dits biologiques que vraiment biologiques.

Il nous a aussi expliqué que le Japon reconnaît deux types de produits alimentaires, le bio et le non-bio. C'est la tendance que le Japon se donne dans ses produits. Le Japon produit 40 p. 100 de son alimentation. Pour le reste, ils se promènent partout dans le monde pour acheter des produits de première qualité.

En termes de qualité, si on prend l'exemple du Japon, le prix payé pour la qualité est basé sur ces petits producteurs qui sont capables de vivre. Ils se préoccupent de leurs agriculteurs, de leurs fermes et de l'agriculture.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Il y a quelques années, le dirigeant tibétain des moines, le Dalai Lama, s'est rendu à Ottawa. Le sénateur Pierre De Bané a été le premier à poser une question : « Que feriez-vous pour aider le monde? » Le Dalai Lama a souri et a donné sa réponse. Il a dit qu'il comblerait l'écart entre les riches et les pauvres. La salle était pleine et tout le monde était stupéfait. Quelle bonne réponse il a donné.

Je pense que tous les gouvernements et tous les régimes qui ont été créés ont essayé de combler cette lacune, mais nous n'avons pas réussi à le faire. Vous dites que les pauvres s'appauvrissent dans votre région, ce qui signifie que nous sommes en train de creuser l'écart à nouveau.

Mais à l'époque où le pont a été construit, le pays est-il devenu alors prospère? Avions-nous des problèmes à cette époque? Si je regarde ce pont, je pense que votre région est assez riche. C'est un très beau pont et son existence est très pratique pour les affaires dans la région.

[Français]

M. Drouin : Le pont à l'époque, on disait qu'il nous le fallait, il nous le faut, nous l'aurons. Enfin, je pense que c'était le slogan qu'on a répété pendant plusieurs années. Oui, le pont a permis du développement. Le pont a permis à la ville de Bécancourt particulièrement d'établir son parc industriel, avec de l'industrie lourde, de grosses entreprises et des salaires intéressants. Le parc industriel de Bécancourt doit compter autour de 3 000 à 4 000 employés. C'est relativement important. Le pont a aussi permis à des gens de se rapprocher un peu plus des services et de travailler sur la Rive-Sud, soit chez nous à Nicolet ou à Bécancourt. Le pont a permis du développement, mais il a aussi permis à des gens de s'installer, de vivre à Trois-Rivières, une autre municipalité de l'autre côté du pont et de venir travailler chez nous.

Cela nous a permis bien sûr d'aller chercher des services à Trois-Rivières. Cela peut-être fait aussi à l'inverse. C'est- à-dire que les services qu'on aurait pu ouvrir ici, dont on aurait pu se doter ici sur la Rive-Sud, on n'a pas eu à le faire parce qu'on a concentré ces services dans la capitale régionale de Trois-Rivières. C'était simple pour nous d'aller les chercher là-bas. S'il n'y avait pas eu de pont, il serait arrivé quoi? On n'aurait peut-être pas développé autant au niveau industriel. Alors, oui, il a été bénéfique. Oui, cela nous a apporté une certaine forme de richesse industrielle. Cela a peut-être fait en sorte qu'on a perdu quelques-uns de nos services.

Une des preuves c'est que les religieuses ont construit, ici à Nicolet, un hôpital qui a réussi à se maintenir à flot financièrement pendant 50 ans à peu près. Cet hôpital est devenu un centre de santé, ce n'est plus un hôpital. Il y a une urgence, une petite maternité, mais ce n'est plus un hôpital. Il n'y a plus de malades qui y vivent. Ce sont des gens qui sont en fin de vie ou qui ont besoin de services de laboratoire, ou d'une consultation rapide avec un médecin, mais on a perdu cela aussi. Oui, le pont a permis du développement économique, mais il y a des pertes qui accompagnent cela aussi. Ce n'est jamais complètement blanc ni noir.

Je me permettrai une pensée et je ne vous apprendrai rien en vous disant cela. Quand on parle de richesse, nécessairement on parle d'argent et d'économie. Je crois que socialement, l'erreur c'est qu'on a concentré la totalité de nos efforts sur l'économie. On s'est appauvri en ne développant que l'économie. Je le répéterai, on s'est appauvri socialement en ne développant que l'économie. C'est important. On doit continuer à travailler sur le développement économique. On ne peut pas abandonner le développement économique. On doit, encore une fois, favoriser l'enrichissement. Mais on s'est appauvri en ne se dirigeant que dans ce sens.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Il faut établir un équilibre.

Le président : L'une des raisons pour lesquelles le comité a décidé de tenir ces audiences, c'est que nous entendions constamment parler de la situation désastreuse dans laquelle se trouvaient les régions agricoles partout au Canada. Je viens du Sud de l'Alberta, qui a connu la crise de la vache folle, des sécheresses et ce genre de choses. Nous nous sommes dit que si nous ne pouvons pas prendre des mesures pour aider le milieu agricole à demeurer solide, qu'arrivera-t-il alors à nos villages? Sans les villages, qu'arrivera-t-il alors aux villes? Il s'agit d'une réaction en chaîne.

Ce que vous nous avez dit aujourd'hui, probablement plus que tout autre commentaire, m'a fait prendre conscience de la raison pour laquelle nous faisons cette étude. Nous ne voulons pas que nos villages disparaissent. Ils représentent les assises de notre pays, tant pour les villes que pour les terres agricoles.

Vous avez tous trois répondu de façon très pertinente à nos questions. Nous lirons vos déclarations et nous nous rappellerons de cette très belle région, la région de Nicolet, que nous ne voulons pas voir disparaître, pas plus que tout autre village.

Je tiens à vous remercier de votre présence ici aujourd'hui.

[Français]

Jacques Corriveau, président, Fédération de l'Union des producteurs agricoles, Centre-du-Québec : On en avait eu vent un peu avant cette consultation. J'ai rencontré le sénateur Biron, qui avait parlé d'une consultation et on devait avoir des nouvelles à la fédération de l'UPA. On n'a pas eu d'autres nouvelles. Ce matin, j'ai appris par la radio que vous siégez ici à Nicolet. Disons que je n'étais pas au courant.

Je suis Jacques Corriveau, producteur de bois de grains à Saint-Léonard-d'Aston à environ 20 ou 25 kilomètres de Nicolet, producteur agricole, aussi président de la Fédération régionale de l'UPA Centre-du-Québec. Quand j'ai entendu la nouvelle ce matin à la radio de votre visite, je me suis dit que je devais y aller. Je ferai vraiment de l'improvisation, car j'ai fait qu'une préparation rapide, mais je pense qu'il y a des points concernant l'agriculture canadienne qu'il faut apporter.

L'agriculture au Québec est une agriculture qui est soutenue peut-être plus que la moyenne canadienne. On sait que la mise en marché collective et l'organisation collective au niveau de l'agriculture est forte au Québec. Il faut parler de la gestion de l'offre pour mettre en marché des produits, parce que c'est une question d'égaliser l'offre et la demande au niveau canadien dans les productions, qu'on appelle les plumes, volailles et les œufs et ainsi de suite. Ces productions ne sont aucunement subventionnées par les gouvernements. Donc, je pense qu'on devrait avoir des systèmes semblables ou qui se rapprochent.

Notre agriculture aujourd'hui diminue. Les statistiques canadiennes depuis 2001-2002, si on enlève les subventions, démontrent que les revenus des producteurs sont tous négatifs. En 2005, on a ajusté les subventions pour supporter les producteurs qui n'ont pas un revenu de 15 000 $ pour un individu, et de 25 000 $ pour une famille. Il ne faudrait pas oublier que ce sont des entrepreneurs.

Au Québec, on parle de 6 000 ou 7 000 producteurs, qui ne faisaient pas 15 000 $, pour un entrepreneur seul, et des familles qui ne faisaient pas 25 000 $. Y a-t-il un groupe, en aussi forte proportion, d'entrepreneurs qui accepteraient de vivre comme cela? Ceux qui en ont bénéficié n'étaient pas majoritaires. Dans la gestion de l'offre, il y en a très peu.

La mondialisation en agriculture, c'est une chose. Il ne faut pas avoir peur de la mondialisation. Mais dans la mondialisation, on ne joue pas « fair-play ». Ce qu'on fait, on subventionne. Je prends l'exemple des subventions américaines sur les céréales. On parlait l'an passé que les subventions américaines atteignaient 22 milliards de dollars. Ici au Canada, on avait un maigre budget, 1,5 milliard de dollars dans le budget de l'an passé, pour supporter l'agriculture. Il y avait 900 millions de dollars pour couvrir le PCSRA des années 2003-2005, des choses qui pouvaient être calculées, mais qui ne l'avaient pas été. Cela vient à la miette.

Au Québec, on s'en est mieux tiré. Il faut dire que les producteurs cotisent à un système d'assurance stabilisation et le gouvernement du Québec paie deux dollars pour chaque dollar cotisé par les producteurs. Ce système a été mis en place dans les années 1980 et les producteurs du Québec se tiraient passablement bien d'affaire. Mais depuis 2002-2003, les subventions américaines sont arrivées, les primes deviennent trop élevées et il y a plusieurs productions qui ont de la difficulté à avoir un salaire pour travailler.

Madame la présidente, vous avez parlé de la crise de la vache folle. Je pense que cette crise est quelque chose de ponctuel et de conjoncturel. Quand on parle de mondialisation, on parle de quelque chose qu'on établit et qui devient structurel.

Les gens ici à la table tout à l'heure ont mentionné que dans l'industrie, la lutte devient déloyale à cause des salaires ou de toutes sortes de choses qui se passent. Quand on parle d'agriculture, on peut parler d'utilisation de produits. Quand on produit des herbicides, par exemple, qui sont interdits au Québec et au Canada — et qui ont déjà été utilisés et qui ne coûtaient à peu près rien — c'est interdit aujourd'hui pour des raisons. Je pense qu'elles sont justifiables, mais quand on importe des produits de pays où tous ces herbicides sont permis, on ne vérifie même pas ou on vérifie à l'occasion.

Par exemple, les Américains, quand il y a une vache folle qui sort du Canada, ils n'ouvrent pas les frontières. Certains produits doivent être utilisés pour la production dans certains pays et ces produits ne devraient pas entrer ici.

Si on veut laisser vivre nos producteurs sans les supporter et laisser entrer toutes sortes de choses sur leur marché, j'appelle cela une concurrence déloyale.

Pour revenir aux subventions américaines sur l'agriculture et la mondialisation, cela devient structurel et c'est une agriculture qui s'en va. On parle d'industries qui ont de la misère, mais l'agriculture s'en va.

Si nos gouvernements veulent qu'on nourrisse nos gens adéquatement avec des aliments de qualité, il va falloir qu'ils nous aident, non pas uniquement avec des subventions, mais avec des choses qui comptent et qui protègent l'entrée de produits.

On parlait de la gestion de l'offre. Dans le domaine de la production laitière, les protéines laitières qui entrent dans la fabrication de fromage, ces produits sont subventionnés à tour de bras ailleurs et on les rentre ici. À un moment donné, on était dans le marché de la crème glacée. On importait de la crème avec du sucre. On sait que nos importations, si on a moins de 50 p. 100 d'un produit, on importait du sucre, 51 p. 100 de sucre, 49 p. 100 de crème. On sait que du sucre et de la crème entrent dans la fabrication de la crème glacée. Donc, quand on parle de gestion de l'offre basée sur des quotas de lait, basée sur la quantité de gras, cela veut dire qu'à ce moment-là, tous ces produits qui étaient dans la crème glacée, les mélanges, venaient diminuer les capacités de production de nos producteurs canadiens.

La même chose se produit dans d'autres productions. Comme M. Cartier mentionnait tout à l'heure, la production biologique, les marchés de créneaux ou les produits de terroir qu'on essaie de mettre en marché. Aujourd'hui, on dit que 70 à 80 p. 100 des produits biologiques sur les tablettes sont importés parce qu'on n'en produit pas assez au Québec. Sauf que dans la concurrence de ces produits et dans la façon de les produire, il devrait y avoir des certifications, des vérifications pour s'assurer de suivre les normes. On sait qu'au Québec et au Canada, on a des normes sévères, que l'on parle d'inspection ou de salubrité d'aliments.

Ce sont tous des systèmes que l'on se doit en tant que producteurs et collectivement, d'organiser le plus possible. Quand il y a toutes sortes de choses qui rentrent par en arrière et par toutes sortes de moyens, la compétitivité est difficile. Soit que le Canada accepte qu'on puisse nourrir notre population et qu'il dise, « Si on n'est pas capable de vous faire vivre, on fera autre chose » et on se nourrira avec ce qu'on nous enverra d'ailleurs.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Vous avez parlé plusieurs fois de la gestion de l'offre. Vous avez mentionné que les agriculteurs qui travaillent dans le contexte de la gestion de l'offre font de l'argent et se débrouillent assez bien. Puis vous avez parlé de subventions américaines.

Êtes-vous en train de recommander que nous élargissions les systèmes de gestion de l'offre pour y englober d'autres produits, ou êtes-vous en train de recommander que nous recourions aux subventions comme le font les Américains et l'Union européenne? Est-ce que vous recommandez une combinaison de ces deux options ou aucune?

[Français]

M. Corriveau : Je vous dirais que je suis dans une production qu'on appelle stabilisée au Québec. J'étais en production laitière, en association, de 1974 à 1995 et on n'a jamais eu besoin d'attendre qui que ce soit pour être capable de se payer un salaire et de vivre, et encore aujourd'hui, même s'il y a des choses qui sont un peu plus serrées.

Je vous donnais l'exemple des produits de protéines laitières dans la gestion de l'offre. Cela s'est affaibli tranquillement. Le plus bel exemple qui n'était pas de la gestion de l'offre, mais qui était bien organisé au Canada, c'était la Commission canadienne du blé. C'était un organisme qui a mis au monde la production céréalière dans l'Ouest canadien. Ce qui a fini par miner ce système de la Commission canadienne du blé, c'est les subventions américaines. Depuis longtemps, depuis qu'elle existe, les multinationales ou des entreprises de commerce souhaitaient la détruire. Je pense que le gouvernement canadien a commencé à faire des votes, qui s'attaquent à la production de l'orge qui a été détruite, mais en fin de compte, ce sont encore les grosses multinationales qui réussissent à faire sauter cela.

Ce qui se passe dans nos systèmes de gestion de l'offre, si on prend le poulet, on dit qu'il faudrait importer plus, qu'on serait plus compétitif. Par contre, on a des entreprises laitières canadiennes et québécoises qui font affaires au Québec et au Canada, et avec de la gestion de l'offre, ils font affaires du côté américain. C'est un beau système, le côté américain. Ils font de l'argent au Canada et au Québec et ils en mangent du côté américain. Ce n'est pas logique qu'on vienne nous dire cela.

Ce sont toujours les producteurs qui paient parce qu'on est les premiers. Avec la gestion de l'offre, on s'organise pour suffire aux besoins. À ce moment-là, on crée un équilibre. On a des agences qui contrôlent les prix. C'est la gestion de l'offre. Il peut y avoir différentes méthodes, mais si le gouvernement canadien est prêt à mettre les argents pour supporter les producteurs, pour qu'il ne soit pas obligé de soutenir les 25 ou 30 p. 100 d'entrepreneurs au Québec pour que leurs revenus s'élèvent à 15 000 $ ou 25 000 $ de revenu familial, il va falloir qu'il augmente ces revenus à 50 000 $. Au Canada, on n'a pas le pouvoir américain et on ne s'endettera pas comme les Américains font.

Je pense qu'il faut s'organiser pour avoir des systèmes qui coûtent peu à la population et qui vont leur profiter, et qui vont être profitables également pour les producteurs. Je pense que la gestion de l'offre est un des plus beaux exemples.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Corriveau. Nous tenons à nous excuser de devoir nous dépêcher pour prendre l'avion. Je suis très heureux que vous ayez comparu devant nous parce que vous avez traité d'un aspect qui est extrêmement important au Canada, c'est-à-dire le commerce et la circulation de produits.

Je viens de l'Ouest, et je sais que de nombreux agriculteurs là-bas sont très inquiets du fait que nous n'avons plus de commission du blé. Nous avons une excellente réputation dans les autres pays du monde concernant la façon dont nous produisons nos produits, et il est fort possible que ces pays ne souhaitent plus s'approvisionner chez nous. C'est une grave question, et nous devrons attendre de voir comment les choses se dérouleront. La raison d'être de notre comité, c'est d'aider les agriculteurs. Tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui a été très utile à cet égard, et nous tenons à vous en remercier.

La séance est levée.


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