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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 1 - Témoignages du 12 juin 2006


OTTAWA, le lundi 12 juin 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit ce jour à 18 heures pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue. Je vais expliquer à l'intention des téléspectateurs le but de ce comité.

En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes perpétrées à New York, à Washington et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi, ce que nous avons accepté de faire. Le délai pour l'adoption du projet de loi avait été fixé à la mi-décembre 2001. Toutefois, devant les craintes de ne pouvoir évaluer pleinement la portée de cette loi dans un délai si court, il a été convenu que le Parlement serait invité trois ans plus tard à examiner rétrospectivement les dispositions de la loi et ses répercussions sur les Canadiens, dans un climat moins chargé émotivement aux yeux du public.

En décembre 2004, le Sénat a constitué le Comité spécial sur la Loi antiterroriste pour respecter cette obligation. Au cours de la précédente législature, le comité spécial a tenu 47 réunions et entendu 141 témoins, dont des ministres et des hauts fonctionnaires, des experts internationaux et nationaux sur le climat de menace et des experts juridiques. Je ne peux m'empêcher de souligner que nous avons entendu beaucoup plus de témoins et tenu beaucoup plus de réunions que nos collègues de l'autre endroit, mais je suis sûr qu'ils feront tout leur possible pour respecter le programme.

Le comité spécial est allé à Washington, D. C. et à Londres, en Angleterre. Nous avons notamment entendu des représentants de familles qui avaient perdu des parents proches lors de ces attentats terroristes. Ces témoignages ont été émouvants.

Le Parlement a été dissout quand les dernières élections ont été déclenchées, avant que le comité puisse terminer son travail. Le Sénat a reconstitué le comité en mai 2006. Ce faisant, il lui a renvoyé tous les documents et témoignages reçus par l'ancien. Quand il aura terminé son étude, le comité exposera dans son rapport au Sénat toutes les questions sur lesquelles il estimera qu'il faut intervenir. Les résultats des travaux du comité seront donc mis à la disposition du Parlement et du grand public. Encore une fois, la Chambre des communes mène de son côté un travail analogue.

Les dernières élections générales ont entraîné un changement de gouvernement. Nous avons la chance ce soir d'accueillir deux ministres qui vont pouvoir nous donner la perspective du nouveau gouvernement sur la Loi antiterroriste. Nous accueillons l'honorable Stockwell Day, ministre de la Sécurité publique, accompagné de M. William Elliott, sous-ministre délégué; et l'honorable Vic Toews, ministre de la Justice et procureur général du Canada, accompagné de M. Bill Pentney, sous-ministre adjoint principal, et de M. George Dolhai, directeur et avocat général principal. Les sénateurs se souviendront que M. Pentney et M. Dolhai ont déjà comparu au comité lors de la précédente session.

Messieurs les ministres, je vous laisse le soin de choisir lequel de vous deux va commencer. Nous attendons vos remarques avec impatience.

L'honorable Stockwell Day, C.P., député, ministre de la Sécurité publique : Merci, monsieur le président.

[Français]

Merci honorables sénateurs, chers collègues. J'apprécie beaucoup le travail que vous avez fait à ce jour.

[Traduction]

Votre travail a été utile et va continuer de l'être. Nous comptons sur votre comité pour nous fournir des opinions expertes, des conseils et aussi nous stimuler pour que nous puissions faire en sorte que notre pays accomplisse ce qui me semble et ce qui semble au premier ministre être la première responsabilité de tout gouvernement, assurer la sécurité de ses citoyens. Nous lirons donc dans ce but les commentaires et recommandations de votre comité à propos de la Loi antiterroriste.

L'examen que mène le comité est stipulé par l'article 145 de la Loi antiterroriste. Nous considérons que cette loi demeure une composante vitale d'un cadre de sécurité efficace et qu'elle est un élément essentiel de la protection des Canadiens et de leurs familles. Elle nous fournit les outils nécessaires pour lutter contre le terrorisme et les garanties voulues pour utiliser correctement ces outils, en tenant toujours compte de l'équilibre entre les préoccupations de sécurité et la préservation de droits humains et de libertés individuelles importants et même vitaux.

La menace qui pèse sur le Canada n'a pas diminué. Le 11 septembre, 25 Canadiens ont perdu la vie, de même que des milliers d'Américains et autres ressortissants. Depuis, des attaques terroristes ont eu lieu dans plus de 30 pays, notamment dans une boîte de nuit de Bali où trois Canadiens ont été tués, des attentats ont frappé quatre trains à Madrid; une école à Beslan; et le métro et le réseau d'autobus de Londres. Ces événements nous rappellent que la menace du terrorisme est internationale. Elle est présente, elle est parmi nous et elle ne s'estompe pas.

Étant donné la nature internationale de cette menace terroriste, une réponse internationale s'impose et le Canada doit recueillir et partager des renseignements pour nous permettre de réagir et d'éviter des attaques contre le Canada et nos alliés. À cet égard, le renseignement est le nerf de nos efforts pour détecter et, espérons-le, bloquer des menaces sophistiquées et mondiales contre notre sécurité. L'ONU reconnaît l'importance du renseignement et a invité les États à intensifier et accélérer l'échange d'information avec sa Résolution 1373 en 2001. La Loi antiterroriste nous a permis de ratifier et de mettre en oeuvre diverses autres ententes internationales importantes, notamment les recommandations internationales sur le financement du terrorisme et d'autres résolutions de sécurité de l'ONU concernant les interventions contre le terrorisme. La loi nous a aussi permis de prendre la défense des Canadiens et de nous associer à nos alliés dans la lutte contre le terrorisme.

Nous constatons cependant que le renseignement ne suffit pas à lui seul à empêcher les attaques. Nous avons besoin de la coopération et du soutien de tous les Canadiens, de tous horizons et de toutes croyances. À cette fin, nos organismes de sécurité, de renseignement et d'application de la loi tendent la main aux communautés afin de mieux communiquer avec les Canadiens et de mieux leur expliquer leur rôle et leur mandat. Ces organismes respectent les normes de professionnalisme les plus rigoureuses lors de l'exercice de leurs fonctions dans le cadre du droit canadien et dans le respect de nos valeurs démocratiques.

Je reconnais que certaines communautés peuvent avoir le sentiment qu'elles sont injustement ciblées par les forces de l'ordre, mais je tiens à dire officiellement ici que ni moi, ni les organismes qui relèvent de moi n'appuyons le profilage racial sous quelque forme que ce soit. Nous recevons des réactions positives des représentants des communautés que nous rencontrons sur ces questions. Des agents de la GRC et du SCRS participent à ces rencontres au cours desquelles nous discutons des questions problématiques. Pas plus tard que samedi dernier, le premier ministre a tenu une importante réunion communautaire à Toronto. J'ai eu hier soir une rencontre très fructueuse avec des représentants de diverses confessions à Ottawa. Les gens apprécient notre travail et cette coopération continue.

Nous avons aussi une table ronde transculturelle sous les auspices du ministère de la Sécurité publique. Elle conseille le ministère et ses organismes ainsi que le gouvernement en général sur des questions de sécurité en les replaçant dans le contexte de la diversité de nos communautés. J'ai rencontré des membres de cette table ronde à Montréal en février et à Gatineau il y a une semaine. J'ai été encouragé de constater que le soutien à un dialogue ouvert entre le gouvernement et les Canadiens ne se dément pas. Les membres de cette table ronde culturelle ont tenu des réunions publiques à travers le pays et vont continuer.

Nous avons récemment entendu un de nos alliés, l'honorable John Howard, le premier ministre de l'Australie. À propos des objectifs et des pouvoirs, il a dit :

[...] Nous ne vaincrons pas le terrorisme en nous roulant en une petite boule, en nous cachant dans un coin et en nous imaginant que nous allons réussir à passer inaperçus.

Il a raison : la pensée magique n'est pas une politique; l'inaction est hors de question. Lutter contre le terrorisme, cela veut dire nous doter des outils voulus pour nous défendre. La Loi antiterroriste est un de ces outils. C'est un instrument. Elle complique la tâche des terroristes au Canada et à l'étranger. Elle comporte d'importantes mesures de prévention qui nous permettent d'enrayer les attaques et des garanties essentielles pour permettre une révision pertinente, comme c'est le cas actuellement. Sans cette loi, nous ne pourrions pas actuellement porter des accusations et intenter des poursuites contre les terroristes.

Les accusations dont font l'objet les 17 personnes arrêtées le 2 juin relèvent de la Loi antiterroriste. Ces personnes sont maintenant devant les tribunaux. Si le terrorisme est inspiré par une idéologie extrême et par la haine, il est aussi alimenté par l'argent.

En 2004-2005, le CANAFE, l'organisme canadien de renseignement sur les transactions financières, a fourni des renseignements sur 32 cas où l'on suspectait des activités de financement terroriste et d'autres menaces pour la sécurité du Canada. Il est essentiel de fournir ces informations aux organismes de maintien de l'ordre et de renseignement. Elles sont essentielles pour couper les sources de financement du terrorisme.

Encore une fois, cette loi antiterroriste a pour objectif de nous permettre d'être prêts, d'anticiper les menaces et d'éviter les dangers. Elle est proactive. Elle vise non seulement à poursuivre les activités terroristes, mais aussi à les empêcher.

L'inscription sur la liste du Code criminel modifié par la Loi antiterroriste est un autre moyen d'empêcher les groupes terroristes de lever des fonds, et par conséquent d'entraver leur capacité d'action au Canada. Ces dispositions s'inscrivent dans le cadre de l'effort international lancé par l'ONU pour priver les groupes terroristes connus de l'accès à un financement. C'est un moyen public de désigner des groupes susceptibles de nuire aux Canadiens. À cet égard, comme vous le savez, nous avons récemment inscrit sur la liste les Tigres de libération de l'Eelam tamoul, les TLET, ou Tigres tamouls, qui sont une organisation terroriste.

En empêchant ce groupe d'agir au Canada, nous renforçons la sécurité de nos communautés. Nous savons que les TLET ont recours à diverses tactiques terroristes pour atteindre leurs objectifs, notamment en s'en prenant à des cibles politiques, économiques, religieuses et culturelles aussi bien qu'à des civils.

Dans d'autres pays, les terroristes ont cherché à abuser de la générosité d'autrui. Au Canada, grâce à la Loi antiterroriste, nous protégeons l'intégrité des organismes de bienfaisance en empêchant les organisations qui appuient des activités terroristes d'obtenir le statut d'organisme caritatif. Les Canadiens peuvent donner en confiance à des organismes de bienfaisance en sachant que leur argent ne servira pas à appuyer des terroristes ou leurs causes.

La loi constitue un moyen sérieux de protéger notre sécurité, mais pas aux dépens de nos libertés. Certains ont eu des doutes sur la nécessité de cette loi. Pas moi. Il faut faire face à la menace terroriste au Canada comme dans le monde entier. Les Canadiens savent bien que le terrorisme menace directement tout ce à quoi nous sommes profondément attachés dans ce pays et notre droit le plus fondamental, le droit à la liberté et à la vie. Les sondages d'opinion le confirment. Les Canadiens savent bien que ces valeurs que nous chérissons sont étroitement liées à la sécurité dont nous jouissons chez nous, dans nos communautés et à nos frontières, et ils s'attendent à juste titre à ce que leur gouvernement fasse tout son possible pour les protéger.

Monsieur le président, le gouvernement prend cette responsabilité très au sérieux. Nous savons qu'il est essentiel pour le bien-être social et économique des Canadiens qu'ils puissent élever librement leurs enfants, poursuivre leurs rêves et vivre sans crainte.

Certains ont souligné que beaucoup des mesures prévues par cette loi n'ont pas été utilisées ou ne l'ont été que très peu. D'aucuns en concluent que ces dispositions sont donc superflues. Je soutiens au contraire que ce n'est pas parce qu'on ne les utilise pas souvent qu'il ne faut pas les avoir dans la loi. D'ailleurs, beaucoup de lois, y compris des lois pénales, sont rarement utilisées, mais ce n'est pas une raison pour les abolir. Je soutiens que les libertés civiles n'ont pas été sacrifiées dans la Loi antiterroriste et que bien des craintes exprimées à l'époque où cette loi a été adoptée se sont révélées sans fondement. Nous avons reconnu la légitimité de ces craintes à l'époque, et nous avons veillé à ce que ces dispositions ne soient pas utilisées à outrance. La police et les autres services exercent de façon prudente et responsable les pouvoirs que leur confère la loi. Tous ces pouvoirs et ces dispositions s'accompagnent de freins et contrepoids.

Comme je l'ai déjà dit, la Loi antiterroriste est un outil indispensable pour lutter contre le terrorisme. Mais nous en avons aussi d'autres à notre disposition, notamment les certificats de sécurité dont on parle beaucoup ces temps-ci. Bien qu'ils ne s'inscrivent pas dans le cadre de cette loi, je reconnais qu'il s'agit d'un des problèmes sur lesquels s'est penché le Sénat. Le processus des certificats de sécurité a été utilisé avec prudence et à bon escient. Il existe depuis 1978. Depuis 2001, les certificats de sécurité n'ont été utilisés que dans six cas.

Quand des non-citoyens se présentent à nos frontières et qu'on constate à l'occasion d'un contrôle de sécurité qu'ils constituent une menace grave pour la sécurité du Canada, on leur offre la possibilité de repartir dans leur pays d'origine. S'ils choisissent de ne pas le faire, ils peuvent opter pour une longue procédure d'appel et rester au Canada pendant des années. Que fait-on alors?

À ce moment-là, on émet un certificat de sécurité, en vertu duquel ces personnes ont accès à toute une gamme complète d'appels, mais ils restent en détention durant toute cette procédure d'appel. S'ils obtiennent gain de cause, ils sont libres de rester au Canada. Il y a une chose dont on ne parle pas beaucoup, c'est le fait que les individus détenus en vertu d'un certificat de sécurité sont libres de partir n'importe quand à condition de s'engager à repartir dans leur pays d'origine.

Comme vous le savez, la Cour suprême du Canada examine actuellement la validité de ce processus. Jusqu'à présent, la Cour fédérale a confirmé sa constitutionnalité. Nous espérons que la Cour suprême en fera de même, mais c'est aux honorables juges d'en décider.

Pour compléter le mandat de la loi et renforcer encore la sécurité des Canadiens, notre gouvernement a pris des mesures décisives pour les protéger ainsi que leurs familles.

[Français]

Nous avons augmenté le budget pour maintenir la sécurité des Canadiens et des Canadiennes.

[Traduction]

Nous allons continuer. Nous avons débloqué 1,4 milliard de dollars sur deux ans pour protéger les familles et les communautés canadiennes, assurer la sécurité de nos frontières et renforcer notre état de préparation face aux menaces pour la santé publique et aux urgences. Nous allons investir 303 millions de dollars dans les deux prochaines années pour mener à bien une stratégie frontalière facilitant le passage des marchandises et des voyageurs à faible risque en Amérique du Nord tout en protégeant les Canadiens contre les menaces sur leur sécurité, et nous investissons 95 millions de dollars sur deux ans pour intensifier la sécurité des transports ferroviaires et urbains.

Ces investissements constituent un important engagement à assurer la protection et la sécurité de tous les Canadiens. Ils vont se traduire par des résultats concrets, en permettant la création de 1 000 nouveaux postes pour permettre à la GRC d'exécuter ses fonctions fédérales de maintien de la loi et en renforçant considérablement l'Agence des services frontaliers du Canada. Il est aussi prévu de discuter avec les municipalités et les provinces de la création de 2 500 postes dans le domaine de la police au niveau municipal.

Monsieur le président, le 23 juin sera un jour national du souvenir des victimes du terrorisme. Comme vous savez, cette date a été choisie parce que c'est l'anniversaire de l'attentat de 1985 contre un avion d'Air India, le pire attentat terroriste de toute l'histoire du Canada, à l'occasion duquel 329 personnes innocentes ont perdu la vie. Cette journée sera l'occasion de nous souvenir des victimes terrorisme et de renouveler notre détermination à lutter contre ce fléau par tous les moyens dont nous disposons. C'est aussi l'occasion de nous souvenir que le travail n'est pas terminé, que la menace perdure et que la vigilance s'impose.

Honorables sénateurs, vous le savez bien.

[Français]

Vous avez étudié la situation et les implications de notre projet de loi, et vous savez que nous avons ici une situation sérieuse mais qui, je crois, offre l'espoir d'un pays en sécurité.

[Traduction]

Vous avez fait beaucoup de travail à cet égard, un travail qui est apprécié.

Je vous remercie encore de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui, de continuer à oeuvrer avec diligence à la protection des Canadiens, et de poursuivre vos efforts internationaux de démantèlement du terrorisme. Je suis prêt à écouter vos commentaires et vos questions et j'ai hâte de lire votre rapport.

Mon collègue, le ministre de la Justice et moi-même avons hâte de travailler avec vous tous à renforcer la sécurité de tous les Canadiens et de leurs familles.

[Français]

Merci pour votre travail et pour votre appui.

[Traduction]

L'honorable Vic Toews, C.P., c.r., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Je remercie les membres du comité de m'avoir invité. C'est pour moi un honneur de venir vous parler aujourd'hui de la Loi antiterroriste. Comme l'a fait remarquer mon collègue, le ministre de la Sécurité publique, on ne peut manquer d'être impressionné par toute l'expérience que vous avez acquise depuis 2001 au sujet de cette loi, ainsi que par l'attention que vous avez apportée à ce sujet lors de nombreuses rencontres au cours desquelles vous avez entendu un nombre impressionnant de témoins aussi bien canadiens qu'internationaux. Les Canadiens et nous-mêmes vous en sommes reconnaissants.

La Loi antiterroriste a pour objectif de protéger le Canada contre les menaces à sa sécurité, et elle le fait de diverses manières; par exemple, en utilisant de nouvelles méthodes pour mieux enrayer et détecter les activités terroristes, en appuyant des poursuites efficaces des auteurs de crimes terroristes et en cherchant à couper les sources de financement des groupes terroristes.

Elle sert non seulement à protéger la sécurité physique des Canadiens, mais aussi à protéger les intérêts fondamentaux des Canadiens menacés par le terrorisme.

Le préambule de la loi expose clairement ces deux objectifs. Nous voulons protéger notre sécurité sans renoncer à nos droits humains.

La question qui se pose dans cette équation est de savoir comment on renforce le droit des particuliers à la sécurité. En tant que ministre de la Justice, je tiens à souligner que les lois antiterroristes ont pour justification la protection de nos droits les plus fondamentaux en tant qu'êtres humains : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.

En fait, la promotion de la sécurité, c'est fondamentalement la promotion des droits de la personne. La sécurité se présente sous diverses formes. Nous avons le devoir de protéger notre vie et la vie des êtres qui nous sont chers. C'est aussi la liberté à laquelle les Canadiens accordent tant de prix. En fait, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit ce droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de l'individu.

Toutefois, l'article 1 de la Charte précise que les droits et libertés qui y sont énoncés ne peuvent être restreints que par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Les menaces contre notre sécurité et notre liberté prennent des formes diverses. Nous devons protéger les individus non seulement des abus de l'État, mais aussi des méfaits commis par des criminels et des ennemis extérieurs.

Alors, que faire face à une telle menace terroriste? En tant que ministre de la Justice, je crois qu'une législation antiterroriste puissante et efficace constitue le noyau central d'un ensemble complet de mesures destinées à protéger les Canadiens et autres des activités terroristes. Les mesures figurant dans la Loi antiterroriste constituent une réponse justifiée et proportionnelle à la menace mondiale du terrorisme. Elles ne vont pas plus loin qu'il ne le faut pour protéger le public canadien.

Les Canadiens ont exprimé des inquiétudes au sujet de leur sécurité et ils veulent des lois énergiques pour contrer le terrorisme efficacement. Ils veulent aussi l'assurance qu'il existe des garanties de protection de leurs droits et libertés. Dans toute la Loi antiterroriste, on a apporté une attention soigneuse aux exigences et aux garanties de la Charte des droits et libertés. Par exemple, elle prévoit une révision judiciaire et des appels. De plus, pour poursuivre quelqu'un pour infraction terroriste, et plus généralement pour prendre des mesures préventives, il faut obtenir le consentement du procureur général.

En outre, la portée des dispositions du Code criminel est clairement définie de manière à ce qu'elles ne ciblent que les terroristes et les groupes terroristes et ne soient pas utilisées à des fins générales d'application de la loi.

La Loi antiterroriste est une mesure législative unique pour faire face aux défis que pose le terrorisme international. Elle s'efforce d'empêcher et de prévenir les attaques terroristes. C'est ce que montre bien l'éventail des infractions visant à neutraliser et à démanteler les réseaux de terroristes et des outils tels que l'engagement assorti de conditions et l'audience d'enquête; si l'on veut entraver, bloquer et si possible neutraliser des individus susceptibles de nous causer des torts énormes, il faut utiliser des stratégies différentes des méthodes traditionnelles de réaction après coup utilisées pour les enquêtes ordinaires de droit pénal et l'application de ce droit.

L'accent mis sur la prévention dans la loi demeure une nécessité. On constate de plus en plus souvent que des terroristes sont prêts à sacrifier leur vie lorsqu'ils commettent des attentats. Ces individus ne sont nullement dissuadés par la perspective d'un châtiment ultérieur. En outre, comme l'a dit Lord Carlile of Berriew, l'examinateur indépendant des lois antiterroristes du Royaume-Uni :

Dans le cas du crime organisé, les policiers qui enquêtent peuvent attendre la dernière minute pour procéder à l'arrestation. On ne peut toutefois pas prendre ce risque dans le cas du terrorisme. Je pourrais vous signaler plusieurs cas où la police et les services de sécurité du Royaume-Uni ont jugé devoir intervenir très tôt parce que des terroristes effrayés ou nerveux risquaient de passer à l'acte beaucoup plus tôt que prévu initialement.

En même temps, la Loi antiterroriste ne cible pas seulement la prévention et le démantèlement des activités terroristes. Le droit pénal est reconnu nationalement, régionalement et mondialement comme un moyen efficace de lutter contre le terrorisme et de sceller la coopération internationale pour cet effort.

Grâce aux modifications apportées au Code criminel et à d'autres lois, la Loi antiterroriste permet au Canada de s'associer à ses partenaires internationaux dans la campagne antiterroriste et de respecter les obligations internationales du Canada. Toutes ces améliorations à nos lois étaient indispensables, et je souligne qu'elles sont conformes à des normes internationalement reconnues. En fait, la loi continue d'aider le Canada à respecter les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU adoptées après l'entrée en vigueur de la loi.

J'en viens maintenant à la disposition de réexamen. Cette clause vise les dispositions d'audience d'enquête et d'engagement assorti de conditions de la Loi antiterroriste. Cela signifie que ces pouvoirs cesseront d'être utilisés au début de 2007 sauf si la Chambre des communes et le Sénat adoptent tous les deux une résolution visant à les prolonger pour une période pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Cet examen et les débats qui vont avoir lieu au Parlement au sujet de ces dispositions de temporarisation sont deux occasions importantes au cours desquelles le Parlement pourra discuter des questions complexes de politique gouvernementale que suscite la Loi antiterroriste à cet égard. Le recours à l'audience d'enquête permet au besoin de faciliter les enquêtes sur des infractions terroristes commises ou en gestation et d'empêcher le passage à l'acte des terroristes.

La personne entendue lors d'une audience d'enquête est un témoin et non un accusé. On lui donne le droit de retenir un avocat et de lui donner des instructions durant tout le processus et elle bénéficie de protection contre l'auto- incrimination. Le dispositif est assorti de protections juridiques qui garantissent un processus ouvert et transparent. Par exemple, le témoin a droit à un avocat, le juge peut imposer toutes les conditions qu'il veut à l'audience pour protéger le témoin, les tiers et l'intégrité de l'enquête, et ces audiences sont assorties d'une exigence du rapport annuel. La Cour suprême du Canada a jugé en juin 2004 que le pouvoir d'audience d'enquête était constitutionnel.

La disposition d'engagement établie par la Loi antiterroriste n'était pas une notion radicalement nouvelle. Avant les modifications apportées par la Loi antiterroriste, il existait déjà dans le Code criminel des restrictions à la liberté sous forme d'ordonnances d'engagement pour bloquer des intentions criminelles même s'il n'y avait pas imminence, et ces dispositions ont été jugées constitutionnelles. Je vous renvoie à l'article 810 concernant les blessures ou dommages. Nous savons à quel point ces engagements sont importants, surtout dans le contexte des différends familiaux, où ils sont souvent utilisés.

Cette disposition n'a pas pour but d'arrêter quelqu'un, mais simplement de placer la personne sous supervision judiciaire — et j'insiste bien sur l'adjectif « judiciaire » —pour empêcher qu'un acte terroriste soit commis. Elle a pour but d'enrayer la phase préparatoire d'une activité terroriste. Le pouvoir d'engagement assorti de conditions comporte de nombreuses garanties pour protéger dans toute la mesure du possible les droits des individus.

Nous proposons respectueusement que les dispositions d'engagement assorti de conditions et d'audience d'enquête soient au moins prolongées par résolution de façon à permettre au Canada de continuer à contrer la menace terroriste.

Le gouvernement estime que ces dispositions demeurent des outils importants pour la prévention du terrorisme et la poursuite de ses auteurs. L'importance de dispositions telles que l'audience d'enquête ou l'engagement assorti de conditions ne se juge pas à la fréquence de leur utilisation. Beaucoup de nos lois les plus essentielles, comme l'a dit le ministre Day, notamment notre droit pénal, sont utilisées parcimonieusement. Prenez pas exemple nos lois sur les crimes haineux qui sont utilisées avec parcimonie et constituent néanmoins un important élément de notre droit criminel.

Les Canadiens devraient être rassurés de constater que nous avons fait preuve de modération et de prudence dans l'utilisation de ces mesures. J'ai entendu les préoccupations exprimées à ce comité et ailleurs au sujet de certains aspects de la Loi antiterroriste. Je ne considère pas que ces critiques signifient que nous avons échoué sur certains aspects de la loi. J'y vois plutôt un témoignage de la santé de notre démocratie et une manifestation de la liberté des citoyens qui jugent leurs droits et libertés menacés de s'exprimer et de demander un changement.

On ne saurait suffisamment insister sur l'importance de cette loi. Nous avons besoin des outils nécessaires pour lutter contre les attentats terroristes. Les Canadiens veulent être certains que leur gouvernement a fait tout ce qu'il fallait pour les protéger du terrorisme tout en respectant leur liberté personnelle. Ils ont hâte de connaître le résultat de vos délibérations dans quelques semaines. J'espère que ces délibérations seront très fructueuses et j'attends maintenant vos questions et vos commentaires.

Le sénateur Jaffer : Je vous souhaite la bienvenue à tous deux et j'ai hâte de travailler avec vous sur ce grave problème qui touche notre pays parmi bien d'autres. J'ai été très réconfortée de vous entendre tous deux souligner les communautés.

En mars 2005, le ministre d'État au Multiculturalisme du précédent gouvernement dévoilait le Plan d'action canadien contre le racisme. Ce document présentait un aperçu de l'engagement du Canada à éliminer le racisme et promettait des mesures concrètes de la part des ministères. Précisément, l'une des promesses du ministère de la Justice était d'élaborer des options pour répondre aux préoccupations concernant le profilage racial et effectuer des recherches. La voici :

[...] le ministère [...] s'adonnera à de la recherche, à des consultations, à la cueillette de données, à l'élaboration d'options au chapitre des politiques afin d'éliminer du processus de prise des décisions tous les facteurs qui sont le reflet inapproprié de considérations raciales.

Nous avons commencé à voir ce plan du précédent gouvernement porter fruit. Le Canada a promis de devenir le premier pays non européen à signer un protocole additionnel du Conseil de l'Europe sur la prévention internationale de la cybercriminalité.

J'aimerais que les deux ministres nous disent s'ils ont l'intention de continuer à travailler à ce plan. Je sais que les deux ministères ont travaillé sur la question du profilage racial. J'ai été très heureuse d'entendre le ministre Day affirmer que le profilage racial était une notion inacceptable à son ministère. J'aimerais savoir quelles mesures proactives vous prenez dans ce domaine, car il est incontestable que certaines communautés se sentent victimes d'un profilage racial. Que faites-vous pour les rassurer en leur montrant que c'est inacceptable pour vous?

M. Day : Merci. Vous avez raison, et j'ai pris soin de le signaler. Je ne parlais pas seulement au nom de mon ministère, mais au nom de tout le gouvernement. Le premier ministre est le premier à se soucier profondément de cette question. Je tiens aussi à vous remercier de vos travaux passés, et pas seulement en ce qui concerne le profilage racial et les minorités. Vous avez aussi souligné qu'il fallait donner une bonne formation aux agents du maintien de l'ordre et des services de renseignement pour travailler au sein des communautés minoritaires.

Votre voix à cet égard a été entendue. Je peux vous dire précisément où — et je peux vous donner les dates, lieux et heures précis — les membres de la Table ronde transculturelle, un instrument au développement duquel vous apportez un soutien essentiel, se sont réunis à travers le pays. Ils veillent à faire participer à ces rencontres les représentants clés de la GRC et du SCRS responsables de cette question. C'est bien de parler d'une question, mais il faut que chaque organisme prenne des initiatives précises.

Quand les représentants du SCRS et de la GRC sont là, ils peuvent expliquer aux diverses communautés en quoi consistent véritablement les problèmes de sécurité. Ils ont aussi la possibilité d'apporter leur contribution en expliquant comment ils agissent face à ces situations.

L'une de ces rencontres doit avoir lieu dans deux semaines. J'ai reçu une demande de la région d'Edmonton. J'ai encore une fois donné des instructions pour que des représentants de la GRC et du SCRS soient présents.

Lors d'une importante rencontre samedi dernier avec des groupes transculturels, le premier ministre a tenu à écouter soigneusement les préoccupations formulées. En agissant aussi rapidement qu'il l'a fait, non seulement en permettant la tenue de cette rencontre, mais aussi en exposant les priorités du gouvernement à cet égard, il a envoyé un signal puissant au pays. Cette intervention renforcera les initiatives déjà prises en matière de profilage racial.

M. Toews : Le gouvernement est déterminé à s'assurer que le fonctionnement de la Loi antiterroriste n'ait pas de retombées discriminatoires et illégales sur les membres de minorités ethnoculturelles et religieuses.

Le gouvernement prend au sérieux les accusations de profilage racial portées contre les forces de l'ordre, et mes hauts fonctionnaires continuent d'examiner cette question dans le cadre de leur examen des questions d'ordre racial dans le système de justice.

La Table ronde transculturelle sur la sécurité continue pour le gouvernement du Canada d'être une source d'information sur les répercussions des politiques nationales en matière de sécurité ou les mesures qui peuvent avoir des retombées sur diverses communautés, et elle va poursuivre ce genre de contacts.

Je voudrais toutefois attirer l'attention des sénateurs sur la définition de la notion d'« activité terroriste ». Je sais que j'ai déjà soulevé la question quand j'étais dans l'opposition. Cette définition parle de croyances ou d'opinions politiques, religieuses ou idéologiques. Je souhaite vivement avoir vos commentaires au sujet de cette définition. Est-ce que cela précise la définition d'« activité terroriste », ou est-ce que ce sont des notions superflues?

Je crois qu'en Grande-Bretagne, on inclut ce genre de critères dans la définition, alors que ce n'est pas le cas dans certaines lois américaines.

J'aimerais donc que vous examiniez ce point. J'ai exprimé dans le passé certaines inquiétudes à ce sujet, bien que je n'aie pas eu de preuves directes d'utilisation à mauvais escient de ce genre de définition.

Le sénateur Jaffer : J'allais justement y venir. Comme la loi parle de considérations politiques, religieuses ou idéologiques, les gens ont l'impression que cela donne aux autorités le droit de poser des questions sur la fréquence à laquelle on va à la mosquée, ce qu'on y fait, et cetera. C'est une crainte qui a été exprimée à notre comité. Des membres de ces communautés m'en ont parlé et je voudrais donc vous demandez si vous ne pensez pas qu'il serait temps de retirer cette définition et de parler simplement d'activités terroristes en général. Les représentants des autorités nous ont dit qu'il était plus difficile de prouver un acte terroriste si l'on devait démontrer que la personne en question était liée à une mosquée. J'aimerais bien vous entendre là-dessus.

Avant cela, je vous serais reconnaissante de bien vouloir nous dire tous les deux si vous êtes toujours déterminés à poursuivre le plan d'action lancé par le précédent gouvernement pour lutter contre le racisme.

M. Day : Je peux sans hésiter vous répondre affirmativement. J'ai parlé des activités en ce sens que nous avons. Le SCRS a un programme actif de liaison publique qui porte précisément sur ce genre de questions. Le SCRS et la GRC sont soumis à des processus d'examen indépendant qui permettent d'examiner ce qu'ils font, et les gens qui ont des doutes sur leurs activités, et sur les questions que vous avez mentionnées, peuvent se prévaloir de ces mécanismes d'examen indépendants. La GRC elle-même a une Stratégie de services de police dépourvus de préjugés, en majuscules, qui est au coeur de tout ce qu'elle fait, et elle est encadrée par divers autres organismes de supervision, pas seulement le processus d'examen indépendant, qui l'obligent à agir de façon ouverte et transparente à cet égard.

M. Toews : Tout ce que je peux faire ici, c'est me faire l'écho de ce que vient dire le ministre Day. Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il a dit.

Pour ce qui est de votre autre question, elle est très judicieuse. Le fait de devoir prouver qu'il y a un objectif ou une cause politique, religieux ou idéologique complique la tâche des procureurs.

Cette notion de motif restreint la portée des activités qui relèvent de la définition d'« activité terroriste ». Elle distingue ainsi les activités terroristes des autres actes criminels courants. Mais ne va-t-elle pas à l'encontre des autres objectifs que nous pouvons poursuivre — et dont le ministre Day a mentionné quelques-uns à propos des questions de race ou de culture? J'ai déjà formulé ces questions précédemment, il y a quelques années maintenant. Vous pourrez relire mes remarques à cet égard. J'ai hâte de connaître l'opinion du comité sur la question.

Le sénateur Jaffer : Par souci de clarté, je vous remercie beaucoup de ce que vous avez dit tous deux, mais êtes-vous ouverts à l'idée de revenir sur la question si notre comité suggère un réexamen de la définition du terme « terroriste »?

M. Toews : Je pense que nous y sommes ouverts. C'est un souci important qui a été exprimé initialement quand le projet de loi a été présenté. Il y a peut-être des raisons que je ne comprends ou que je ne connais pas qui font qu'il est nécessaire de maintenir ces précisions. Toutefois, je constate que d'autres pays ne le font pas.

En tant qu'ancien procureur, la question que je me poserais est de savoir si c'est une étape supplémentaire qui ne sert pas les intérêts de la justice. Est-ce que c'est quelque chose qui va à l'encontre des autres valeurs et politiques que nous partageons en tant que Canadiens?

Le sénateur Fraser : J'ai deux questions. Premièrement, d'après ce que vous avez dit tous les deux, je pense en gros que vous estimez qu'il faut conserver les pouvoirs énoncés dans cette loi. Souhaiteriez-vous en ajouter d'autres? Autrement dit, si je vous comprends bien, vous ne voulez pas qu'on affaiblisse la loi, mais souhaitez-vous qu'on la renforce?

M. Day : Je vais laisser mon collègue du ministère de la Justice vous donner son avis judicieux à propos de la loi.

Mais pendant qu'il y réfléchit, je tiens aussi à vous remercier, sénateur Fraser. Nous avons pris bonne note de vos inquiétudes concernant les retombées sur les libertés civiques et les droits garantis par la Charte. Cela a été utile. Votre intérêt pour les mécanismes de supervision a aussi été utile et instructif.

M. Toews : Pour répondre à votre question précise, la question de savoir si nous souhaitons des pouvoirs additionnels pour l'instant, non. Dans l'immédiat, nous avons la conviction que ces pouvoirs répondent au souci de sécurité du public et assurent un bon équilibre entre nos préoccupations et le respect des droits et libertés des particuliers. Je n'ai donc pas d'amélioration particulière à suggérer à cet égard.

Le président : Donc, vous proposez le statu quo?

M. Toews : En gros, oui, le statu quo. Si ce que vous me demandez, c'est si nous souhaitons que le Sénat renouvelle les pouvoirs visés par la disposition de temporarisation, la réponse est oui. Mais il n'est pas question de demander d'autres pouvoirs pour l'instant.

J'aimerais revenir sur la conversation que nous venons d'avoir à propos de cette clause restrictive, si l'on peut dire, la question de savoir si l'on considère qu'on rajoute des pouvoirs puisqu'on supprime une restriction. Personnellement, je ne le pense pas, mais pour ce qui est d'avoir d'autres pouvoirs, non.

Le sénateur Fraser : Je voudrais ramener le ministre Day à ce qu'il a dit à propos des mécanismes de supervision. Je vais lui poser une question que j'ai posée à divers ministres depuis que nous avons été confrontés à la nécessité d'adopter une loi comme celle-ci. Il s'agit de l'inscription sur la liste des entités.

En plus de décider qui doit être inscrit sur cette liste et de soumettre à cet effet une recommandation au Cabinet, le ministre — ou son successeur, conseillé en gros par les mêmes hauts fonctionnaires — revient deux ans après devant le Cabinet pour dire « Je pense qu'il faut renouveler cette liste ». À ma connaissance, on n'a jamais rayé un nom de la liste, qui se perpétue donc indéfiniment.

C'est quelque chose qui m'a inquiétée dès le début et qui m'inquiète toujours. J'aimerais que vous nous parliez de ce cercle vicieux. Ce sont les mêmes personnes qui établissent la liste au départ et qui sont amenées ensuite à se prononcer sur son renouvellement, à décider si quelqu'un doit y rester indéfiniment — ce qui n'est pas difficile pour un haut fonctionnaire. Je me demande simplement s'il y a une possibilité de participation extérieure à cette décision sur le renouvellement.

M. Day : Je vous remercie de cette question. N'oubliez pas que quand nous établissons la liste des entités, nous sommes guidés par les résolutions des Nations Unies, les résolutions afghanes qui ont incité les pays à s'engager sur cette voie au début en leur donnant la possibilité d'établir des listes. Ensuite, il y a eu d'autres résolutions de l'ONU plus directes et plus précises au sujet des listes. C'est cela qui nous guide au départ.

Pour obtenir une plus grande capacité d'action en vertu du Code criminel, nous avons examiné les listes de ce Code. Nous avons approuvé une bonne partie des listes établies naguère par le gouvernement libéral. Comme vous le savez, ces dernières années nos avons approuvé un certain nombre d'ajouts. Dans certains cas, cette position a porté fruit. Nous avons récemment fait un nouvel ajout à la liste.

Il s'agit d'une disposition sur deux ans. Toutefois, tous les groupes inscrits sur la liste peuvent demander à tout moment un réexamen. Ce n'est donc pas un cercle vicieux. En fait, le processus est très ouvert de cette façon. Non seulement il y a ce réexamen tous les deux ans, mais n'importe quel groupe qui s'estime injustement inscrit sur la loi ou traité de façon incorrecte peut réclamer ce réexamen.

Le sénateur Fraser : Monsieur le ministre, ils ne peuvent demander ce réexamen qu'après coup. La question que je vous posais était de savoir s'il ne serait pas possible de permettre à quelqu'un d'autre que ceux qui prennent la décision initiale d'intervenir au moment du renouvellement, avant que le renouvellement soit un fait accompli. Si je comprends bien, cela ne vous semble pas nécessaire.

M. Day : C'est une bonne question à soulever, mais du point de vue de la sécurité, si l'on inscrit un groupe sur la liste, c'est qu'il s'agit d'une question grave. Il ne serait pas prudent ni judicieux dans l'optique de la sécurité de les prévenir à l'avance qu'ils vont être inscrits sur la liste parce qu'ils peuvent par exemple participer à certaines activités ou faire certaines levées de fonds.

Toutefois, une fois qu'ils sont au courant, ils peuvent immédiatement demander à la Cour fédérale une révision et un réexamen. Ils peuvent le faire très tôt. Ils peuvent le faire dans le cadre du cycle de deux ans ou à tout autre moment s'ils estiment pouvoir présenter d'autres preuves qui méritent considération.

[Français]

Le sénateur Nolin : Messieurs, bonsoir. Merci d'avoir accepté notre invitation. J'aimerais revenir sur cette question que le sénateur Fraser avait posée à chacun d'entre vous au sujet des améliorations que vous jugeriez appropriées et que vous voudriez voir introduites.

Je voudrais que l'on soit un peu plus spécifique à la lumière de l'expérience britannique. Comme vous le savez, nos collègues britanniques ont amendé leur loi antiterroriste pour y ajouter l'incitation au terrorisme et la glorification de cette activité comme de nouvelles infractions.

Également, à titre d'améliorations, vous savez sûrement que, lors de la dernière législature, deux projets de loi, un au Sénat et un à la Chambre des communes, ont été introduits afin de permettre aux victimes canadiennes d'activités terroristes de poursuivre des États étrangers et d'autres entités aux fins d'indemnisation au Canada. Vous avez là deux ou trois exemples d'amélioration.

J'aimerais avoir vos opinions sur la possibilité que vous entrevoyiez d'introduire ces infractions et ces méthodes d'indemnisation dans notre corpus législatif canadien?

M. Day : Premièrement, ce n'est pas mon but d'avoir un projet de loi comme au Royaume-Uni avec le projet de loi sur la glorification. Parce que dans notre Constitution, nous avons des provisions pour protéger certaines libertés. Je ne veux pas proposer un système comme cela. Je respecte le droit de nos alliés du Royaume-Uni d'avoir leur projet de loi, mais ce n'est pas mon but d'avoir quelque chose comme cela.

Nous avons assez de droits, de protections, dans nos projets de loi, pour fournir l'appui et respecter les libertés des individus et des groupes.

Bien sûr, nous voulons améliorer si possible notre système, mais je ne vais pas proposer un autre projet de loi pour l'améliorer.

[Traduction]

M. Toews : À propos de l'incitation, et plus précisément de la position des Britanniques sur l'incitation directe, j'estime que la Loi antiterroriste répond de façon satisfaisante au problème de l'incitation au terrorisme et à d'autres activités préparatoires. Par exemple, si vous prenez les définitions d'« activité terroriste » ou d' « infraction terroriste », il n'y est pas question d'incitation. Il y a aussi d'autres infractions qui incluent des activités préparatoires, par exemple le fait de faciliter délibérément une activité terroriste.

Ce qui me préoccupe, c'est de savoir à partir de quand le fait de discuter d'une idée dans l'abstrait devient une incitation indirecte. Dans son ouvrage The Lesser Evil, le député Ignatieff parle du recours nécessaire à la force face aux terroristes et à ce genre de problèmes. En écrivant cela, peut-on dire qu'il fait de l'incitation à la torture des terroristes capturés? Je ne le crois pas. Je pense que c'est un débat qui se justifie légitimement. Je ne voudrais pas que le débat légitime sur les questions de terrorisme soit entravé par une notion d'incitation indirecte. Pour moi, et je suis peut-être influencé par notre régime juridique, j'estime que c'est un pas excessif. C'est une question d'équilibre : en quoi consiste une mesure de sécurité appropriée et en quoi consiste le fait d'empiéter exagérément sur les droits de la personne?

Je m'inquiète du risque d'aller trop loin. Nous aimerions avoir les commentaires de votre comité pour savoir s'il est possible de trouver un équilibre. Des membres de divers groupes religieux ont laissé entendre que ce genre de discussion pourrait avoir lieu dans leurs lieux de culte. Nous pourrions discuter assez longtemps pour savoir si nous devrions avoir une loi pénale interdisant ce genre de discussion. Quant à savoir s'il faudrait se contenter d'observer la situation plutôt que porter des accusations criminelles pour empêcher les choses d'aller plus loin, c'est une question qui relève du ministre Day.

Je ne pense pas pouvoir vous aider sur ce point. J'hésite à dire que nous aurions besoin de ce genre de mesure pour l'instant.

[Français]

Le sénateur Nolin : Comme vous le savez, l'usage de la technologie fait en sorte qu'aujourd'hui, les activités criminelles peuvent être promues via Internet. Est-il de l'intention de votre gouvernement de revoir, d'améliorer ou d'étendre le bras de la justice en ce qui a trait à l'usage d'Internet dans les activités terroristes?

M. Day : Du point de vue du monde entier, sénateur, nous avons demandé plus de ressources en ce qui a trait à la capacité technologique de nos agences afin, entre autres, d'observer ce qui se passe sur Internet mais seulement en ce qui a trait à la possibilité des crimes contre les enfants, et les crimes de terrorisme. Parce que les groupes de crime organisé et ceux qui commettent des actes terroristes ont accès à beaucoup de technologie. C'est pourquoi nous devons prévenir les attentats terroristes ou des groupes organisés et que nous allons poursuivre afin d'obtenir les ressources à ces fins.

Le sénateur Nolin : Encore là, vous conviendrez avec moi que la Charte canadienne des droits et libertés vient vous mettre des bâtons dans les roues sur cette capacité de pouvoir envahir les activités humaines privées.

Jusqu'à quel point allez-vous vouloir que vos obligations gouvernementales ne soient pas mises en jeu par l'exercice d'une loi aussi fondamentale que la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Day : Nous avons un système différent des États-Unis, et si je comprends ce que je lis dans les journaux, l'administration peut prendre de grandes mesures envers Internet, sur les communications téléphoniques, contrairement à notre situation ici au Canada. Si nos agences de sécurité veulent intervenir dans le monde d'Internet ou dans les courriels, ils doivent obtenir le droit et quelques députés doivent signer un certificat pour cela. Ils doivent également se présenter devant la Cour fédérale afin d'obtenir la permission d'intervenir dans le monde des télécommunications.

[Traduction]

M. Toews : Sur la question de savoir si la Charte des droits et libertés risque de nous empêcher de contrer efficacement le terrorisme et d'autres menaces, il ne faut pas oublier que les droits et libertés énoncés dans la Charte ne sont pas illimités. Nous disposons d'une arme puissante avec l'article 1 de la Charte qui stipule que ces droits et libertés sont sujets à des limites raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Il est important que notre gouvernement construise cette argumentation de façon à ce que, lorsque nous présenterons un projet de loi ou nous prendrons certaines mesures, nous soyons toujours prêts à les justifier en tant que limites de ce type. À mon avis, c'est quelque chose qui ne retire rien aux droits et libertés mais qui sert plutôt à mieux les définir.

L'abus de liberté, l'abus des droits ne sont pas garantis par la Charte, il ne faut pas l'oublier.

Je crois que nous pourrions mieux expliquer pourquoi les libertés ou les droits s'inscrivent dans certains paramètres. L'article 1 de la Charte nous en donne la possibilité.

Pour répondre à votre remarque particulière, bien que le terrorisme et le droit pénal soient globalement deux domaines distincts, ils sont aussi étroitement liés. Si l'on prend la question de la technologie et de l'Internet, comme vous l'avez dit, on peut tirer beaucoup de leçons des enquêtes de droit pénal pour les appliquer au domaine du terrorisme et de la haine. Si l'on prend par exemple les progrès considérables accomplis en matière de pornographie juvénile, on constate que le gouvernement a pu, en coopération avec des organismes privés, signaler des cas de pornographie juvénile aux autorités locales qui ont pu à leur tour intervenir. Nous avons donc de bonnes lois. Peut-on les améliorer? Peut-être.

J'aimerais vous rappeler les commentaires du rabbin Cooper, du Centre Simon Wiesenthal, qui a récemment déclaré que le Canada pouvait faire figure de modèle pour ses interventions visant à écarter les documents terroristes et à caractère haineux du Web. De la part d'une personne qui fait aussi autorité, je trouve cela réconfortant. Est-ce que cela me satisfait totalement? Absolument pas.

Je le dis parce que nous savons très bien qu'à chaque fois que nous franchissons un pas pour rattraper les terroristes et les promoteurs de haine et de pornographie juvénile, ils font eux-mêmes un autre pas sinon plusieurs. Nous devons donc rester constamment vigilants.

Ceci rejoint la remarque concernant les mesures préventives de la loi. Elles sont indispensables. Est-ce que je peux vous dire exactement quand elles seront nécessaires? Pas du tout. J'estime cependant que toute société libre et démocratique doit conserver un pouvoir juridique approprié, dûment supervisé par le pouvoir judiciaire, pour enquêter et prendre des mesures préventives avant les attentats.

[Français]

M. Day : Monsieur le président, j'aimerais clarifier une chose que j'ai dite un peu plus tôt. Quand j'ai décrit le processus, je pense que j'ai dit qu'il faut qu'un député signe le document, mais c'est plutôt le ministre.

Le sénateur Nolin : Nous avons compris votre précision.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Merci, monsieur le ministre d'être venu nous rencontrer ce soir. Vous avez manifestement été bien préparé. Vous connaissez les dossiers que nous examinons et cela nous facilite les questions.

Tout d'abord, l'une des préoccupations que je remets toujours sur le tapis concerne les TLET. Je suis heureuse de constater qu'on a pris soin de les inscrire sur la liste pour le bien et la protection de nos concitoyens. Le facteur d'intimidation de ce groupe était très préoccupant.

L'autre problème que j'ai concerne les certificats de sécurité. Je respecte le fait que cette question est actuellement devant les tribunaux. Je crois qu'on a pris bonne note de nos inquiétudes.

Je voudrais maintenant passer à la partie de la loi consacrée aux définitions. On nous a dit que le but de cette loi était de trouver le bon équilibre entre la sécurité des citoyens et la protection des droits civiques, si tant est qu'on puisse équilibrer ces deux droits concurrentiels. J'ai l'impression que la définition d'« activité terroriste » a été élaborée juste après le 11 septembre, quand on a présenté cette loi au Parlement. Je trouve préoccupant qu'on ait inclus dans cette définition la notion de motif.

Monsieur le ministre Toews, j'ai l'impression qu'avec cette notion de « motif », on ne facilite pas les poursuites éventuelles et l'on cible globalement toute une communauté. Comme on ne parle pas de motif ailleurs dans le droit criminel, je me dois de vous demander pourquoi on l'utilise ici. S'il s'agit de faciliter les poursuites et de contribuer à notre sécurité, soit. Mais si ce n'est pas le cas, je considère que c'est une définition qui contribue à réaliser un certain type de profilage racial. Je suis heureuse de constater que vous étudiez ce point. En l'occurrence, la perception de la justice est tout aussi importante que la justice elle-même. Je suis heureuse que vous l'ayez dit.

J'en viens maintenant aux audiences d'enquête. Monsieur Toews, vous dites que les personnes visées ont le droit à un avocat. Vous avez parlé du rôle du juge et de la poursuite. Il s'agit d'une procédure unique. Nous en discutons depuis plusieurs années au comité, et nous avons parlé de la possibilité de permettre à quelqu'un d'observer le système sans en être un représentant. Le juge a un rôle à jouer, de même que le procureur et l'avocat de la défense. Bien qu'ils soient court-circuités dans certains cas, ils font quand même partie du système. Il me semble qu'il serait bon que quelqu'un puisse examiner le système pour s'assurer qu'il fonctionne correctement, sachant toutes les limites imposées par le secret de l'information concernant les individus en question. Cela rassurerait les citoyens en leur montrant que ce processus ne diffère pas vraiment du cours de la justice auquel on s'attend. Que pouvez-vous me répondre?

M. Toews : Le pouvoir d'audience d'enquête est unique à bien des aspects. Toutefois, à d'autres égards, il n'a rien d'exceptionnel. Je pourrais vous renvoyer à des enquêtes de coroner au Canada où ce genre de choses se produit régulièrement, où un accusé potentiel ou quelqu'un qui a été accusé se présente à la barre pour témoigner. Cela se fait en audience publique.

L'autre type d'audience parallèle, dont la constitutionnalité a été réaffirmée à maintes reprises, c'est le système du grand jury américain. Ces audiences sont totalement secrètes. Pour autant que je sache, elles ne se déroulent même pas sous la supervision d'un juge. L'accusé n'a pas droit à un avocat-conseil. En fait, je crois que c'est le procureur local ou quelqu'un de son bureau qui dirige le grand jury. Il vous appartient de répondre à ces questions.

On a vu d'autres sociétés libres et démocratiques recourir en secret à des mesures que je qualifierais de beaucoup plus dures, mais qui ont été déclarées constitutionnelles.

Par contre, dans le cas présent, on dispose de diverses protections des droits et libertés, notamment le droit à un avocat et à la supervision d'un juge. Comparé au système du grand jury aux États-Unis, comparé aux enquêtes de coroner ou de juge provincial, et comparé à d'autres procédures où l'accusé n'a le droit d'avoir aucun contact direct, même en cour, avec la victime, je trouve que ce dispositif-ci est un dispositif équilibré qui ne restreint aucunement les libertés fondamentales de l'accusé. Certes, on lui demande de témoigner, mais au même titre que n'importe quel autre témoin appelé à témoigner en cour. Je pense que l'exigence du secret est bien compensée par la protection que constitue le droit à un avocat et la supervision d'un juge.

Le sénateur Andreychuk : Ce que je vous dis, c'est que c'est équilibré. J'ai entièrement confiance dans le fonctionnement du système, sauf qu'il y a tout de même un facteur « faites-moi confiance ». Autrement dit, il faut faire confiance au bon fonctionnement du système. Nous savons que les systèmes fonctionnent mieux quand on renforce les contrôles. Avec un intervenant désintéressé, ou quelqu'un qui analyserait le système plutôt que d'en faire partie, nous pourrions présenter des garanties caractéristiques du Canada par opposition à d'autres pays aux préoccupations semblables.

M. Toews : La question de l'intervenant désintéressé est intéressante.

Je pourrais vous communiquer des informations à ce sujet, car j'ai eu l'occasion de me pencher sur la question. Un amicus curiae — un ami de la cour — pourrait-il être utile? On a montré que ce n'était pas nécessairement la panacée que veulent bien imaginer certains. Les avocats spéciaux du Royaume-Uni qui interviennent sur des dossiers d'expulsion d'immigrants auprès de la Commission spéciale des appels sur l'immigration sont des avocats ayant une autorisation de sécurité qui sont nommés pour représenter les gens qui comparaissent devant la Commission. Toutefois, ces intervenants désintéressés n'ont pas le droit de communiquer à leurs clients certaines des preuves dont ils ont connaissance. La relation avocat-client est donc compromise. Certains avocats ont refusé de participer à ce genre de procédure en disant : « Comment voulez-vous que nous défendions correctement les intérêts de notre client si nous avons ces informations mais qu'il n'a pas le droit d'en prendre connaissance? »

Comme les personnes concernées sont dûment protégées puisque leurs déclarations de témoin ne peuvent pas être utilisées contre elles, et qu'elles disposent d'un juge et du droit à un avocat, je ne vois pas la nécessité de rajouter encore une couche de protection dans ce cas. Il faut voir quel est le préjudice ultime que peut subir la personne comparativement aux avantages de cette situation. Franchement, si l'on parle de préjudice au détriment des individus et de leur sécurité, j'estime qu'on empiète vraiment très peu, voire pas du tout sur leurs droits et libertés et je crois qu'on est largement dans le cadre du scénario envisagé à l'article 1 de la Charte des droits et libertés, c'est-à-dire une mesure raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le sénateur Andreychuk : Il y a longtemps que nous étudions la question. C'est une question grave.

Je crains que nous ayons octroyé avec cette loi des pouvoirs que nous n'aurions pas accordés pour la lutte contre des menées criminelles, par exemple le trafic de drogues, parce que nous avons estimé qu'en raison du problème de l'insécurité du terrorisme, il fallait donner ces pouvoirs supplémentaires à la police, et cetera.

Le précédent gouvernement a déclaré qu'il ne pensait pas que ces pouvoirs empiéteraient sur d'autres domaines du droit pénal. Autrement dit, une fois qu'on légitime ces pouvoir d'intervention contre des activités terroristes, risquent- ils de s'infiltrer dans d'autres domaines du droit? J'aimerais avoir une réponse, et elle pourrait être par écrit si cela peut aider le président.

Le président : Ce serait certainement utile.

M. Toews : En gros, quand la question a été étudiée en comité à la Chambre, les libéraux et les conservateurs étaient d'accord sur ces mesures. Je vous ai parlé des préoccupations que suscitait la définition d'« activité terroriste » en vous disant qu'on se demandait s'il était nécessaire ou même prudent d'y ajouter des notions de motifs politiques, idéologiques ou religieux.

Si vous comparez les pouvoirs octroyés par cette loi à ceux dont disposent les services de sécurité britanniques, par exemple, et si vous tenez compte de l'expérience directe du terrorisme qu'ils ont eu dans leur pays, vous pouvez dire que les mesures que nous prenons sont largement acceptables sur le plan constitutionnel. En fait, notre pays pourrait aller plus loin si nous le souhaitions.

Disons pour l'instant que je ne peux pas vous démontrer la nécessité d'avoir des pouvoirs supplémentaires. Si ces pouvoirs sont correctement utilisés, ils sont suffisants pour ce que nous voulons faire — toujours avec cette réserve concernant la définition d'« activité terroriste ».

Le sénateur Kinsella : Messieurs les ministres, quand cette loi nécessaire a été adoptée initialement par le Parlement, nous avons tous eu des inquiétudes profondes car c'était une nouvelle dynamique pour les Canadiens. Comme vous l'avez dit et répété ce soir, c'est une question d'équilibre et il s'agit d'avoir une solide loi sur la sécurité ou sur la lutte contre le terrorisme tout en préservant notre tradition de libertés civiques et de droits humains. Merci de nous avoir notamment rappelé le texte de l'article 1 de la Charte.

Mais il ne s'agit pas simplement des tribunaux ou de l'article 1. Il y a une protection parlementaire. Je voulais y venir parce que quand le projet de loi a été adopté, cette protection parlementaire, à mon avis, c'était l'article 145 qui autorise notre comité et notre Chambre, ainsi que le comité de la Chambre des communes, à revoir la loi. De nombreux témoins ont convenu avec nous qu'il fallait préserver ce genre de disposition. Or, elle disparaît une fois que notre travail est terminé.

Le gouvernement serait-il d'accord pour préserver ce mécanisme dans la loi, avec un horizon de trois ou de cinq ans, de façon à permettre au Parlement de refaire à l'avenir le point sur cette loi spéciale antiterroriste?

M. Toews : Je n'ai pas d'objection à ce genre de réexamen. Il est sain dans une perspective de démocratie que nous soyons appelés à venir justifier cette loi auprès de vous. Je dois reconnaître que j'ai des objections aux clauses de temporarisation. Je ne voudrais pas me laisser entraîner dans tout un débat à ce sujet. La clause de temporarisation expire, les pouvoirs nécessaires expirent, et tout d'un coup on se trouve confronté à des activités fort regrettables. Je préférerais que ces pouvoirs soient maintenus et en même temps que cette Chambre ait le pouvoir de revoir régulièrement la loi. Je n'ai aucune objection à cela. En fait, il pourrait même être question de revoir certains de ces points en privé. À propos d'informations privées, nous reconnaissons qu'il faut parfois éviter de partager des informations parce que cela risque de compromettre des enquêtes en cours, et cetera. Je ne suis pas opposé à des pouvoirs de réexamen ou à la possibilité que votre comité dispose de pouvoirs extraordinaires pour tenir des réunions à huis clos. Je précise cependant que ce qui me dérange personnellement, c'est l'idée d'avoir une clause de temporarisation qui pourrait mettre fin à un pouvoir qui pourrait s'avérer nécessaire pour lutter contre le terrorisme.

Le sénateur Kinsella : Je voudrais expliquer un peu plus les raisons pour lesquelles le sénateur Andreychuk a attiré l'attention sur le cas des Tigres de libération de l'Eelam tamoul. Il en a été question bien des fois à notre comité, comme l'a dit le sénateur.

Je crois savoir, monsieur le ministre Day, au cas où mes recherches ne seraient pas totalement exactes, qu'en avril, le gouvernement a décidé d'inscrire les TLET sur la liste des organisations terroristes comme l'avait déjà fait l'ONU. J'aimerais savoir si, d'après vous, cette initiative a compromis le processus de paix au Sri Lanka, car c'est un des arguments qu'avaient avancés les gens qui ne voulaient pas qu'on inscrive cette organisation sur la liste?

Et de plus, cette inscription des TLET sur la liste a-t-elle permis aux forces de l'ordre de mieux surveiller leurs activités de grande envergure au Canada?

M. Day : Tout d'abord, en ce qui concerne le processus de paix, nous avons réfléchi à la question car divers intervenants nous avaient dit que cela risquait d'avoir des retombées néfastes. Nous sommes arrivés à la conclusion que cette disposition montrerait aux gens du nord et de l'est du Sri Lanka que d'autres pays avaient une position ferme à l'égard des activités terroristes et des levées de fonds à cette fin, et que le Canada allait peut-être restreindre les levées de fonds qui, d'après ce qu'on nous avait dit, étaient considérables, ce qui les inciterait à nous prendre plus au sérieux.

Le processus de paix a été engagé, et à ce stade de note examen, il avait été violé un peu plus de 3 000 fois depuis que les parties l'avaient accepté. Le gouvernement du Sri Lanka était responsable d'environ 168 de ces 3 000 violations. Je le dis pour bien montrer que même si, de toute évidence, c'était loin d'être la majorité de ces violations, le gouvernement du Sri Lanka doit prendre bien soin de ne pas donner l'impression qu'il viole les droits de la communauté tamoule.

Face à ces 168 violations, les TLET, qui en avaient plus de 3 000 à leur compte, ne manifestaient pas le respect voulu au processus de paix qu'ils mettaient au contraire en péril. J'estime donc — et les événements subséquents l'ont confirmé, je crois — que nous avons agi avec prudence.

Pour ce qui est d'aider le forces de l'ordre, vous savez que notre gouvernement ne dirige pas les enquêtes de la police pas plus qu'il ne dit aux services de police qui ils doivent surveiller et ce qu'ils doivent faire. Vous remarquerez cependant que peu après l'inscription de ce groupe sur la liste officielle, des descentes légalement organisées ont été effectuées auprès d'organisations liées aux TLET. Peut-être les policiers ont-ils pensé qu'ils allaient pouvoir trouver des preuves qui tiendraient la route en cour maintenant que l'organisation était inscrite sur la liste; je n'en sais rien, mais cette intervention est arrivée à point nommé.

Enfin, nous avons entendu la réaction de cette communauté — la nombreuse diaspora présente au Canada. La majorité des Tamouls sont arrivés ici dans le cadre d'un dispositif de sécurité mis sur pied par un gouvernement conservateur dans les années 80 et 90, donc je ne fais pas preuve de parti pris politique ici.

Les membres de cette communauté nous ont dit qu'ils se réjouissaient de notre action. Ils se sentent plus en sécurité. Toutefois, il faut reconnaître aussi qu'ils ont dit qu'ils demeuraient assez circonspects lorsqu'ils parlent à certains de leurs membres qu'ils soupçonnent d'être mêlés à ces activités.

Le sénateur Prud'homme : Je tiens à dire aux ministres que moi qui suis ces questions au Parlement depuis 42 ans, je leur accorde ma confiance. Le fardeau des responsabilités que vous assumez fait de vous à mon avis des hommes différents parce que ce fardeau est immense. Je suis rassuré de savoir que vous comprenez tous les deux la gravité de la situation. Toutefois, je ne vais pas en discuter; je préfère faire des suggestions et poursuivre cette question lors d'un débat au Sénat, où les règles sont plus souples.

En 1984, je me suis opposé à la création du SCRS et j'en ai longuement discuté avec Mr. Trudeau. Je voulais moderniser et renforcer la GRC. Je suis toujours du même avis aujourd'hui. J'estime qu'il vaut mieux avoir une seule force puissante, bien financée et bien huilée, et je parle de la GRC. On ne peut pas avoir une relation vraiment productive entre deux organisations qui poursuivent les mêmes objectifs. J'ai trop de raisons de penser qu'à un certain moment les deux services n'ont pas coopéré autant que je l'aurais attendu de leur part. Et je ne dénigre nullement le travail du SCRS.

Deuxièmement, vous recherchez maintenant des milliers de jeunes gens pour vous aider à accomplir votre tâche. Je constate que nous n'avons jamais songé à faire appel à des milliers de jeunes gens parfaitement formés qui sont actuellement utilisés, dans un monde en évolution, comme officiers provinciaux. Je parle des jeunes gens de la GRC, qui constituent la police provinciale dans certaines provinces et qui sont éminemment bien formés. J'estime que c'est ce genre de personnes que nous devrions maintenant réintégrer pleinement pour lutter contre la criminalité en col blanc, le trafic de drogues et le terrorisme. J'y reviendrai à l'avenir, mais je voulais vous le signaler.

Enfin, en ce qui concerne la réputation du Canada dans le monde, partout où l'on allait au cours des 40 dernières années, dès qu'on mentionnait le mot « Canada », les portes étaient grandes ouvertes. Maintenant, nous sommes pratiquement écrasés au Comité des droits de l'homme de l'ONU. Nous sommes arrivés dernier à l'occasion du vote à bulletins secrets. Cela veut dire que les gens ont changé d'opinion sur le Canada, et cela ne me plaît pas du tout. Nous avons eu la dernière place des pays du monde occidental de même mentalité, suivis par le Portugal et aussi, si je ne me trompe, la Grèce qui n'a même pas été élue.

Cela me préoccupe en tant que fier Canadien. Je ne parle pas en tant que Québécois, je dis qu'en tant que fier Canadien, cela m'inquiète. Donc, si nous voulons vraiment rassurer les gens, nous ne devons pas avoir peur de nous attaquer à des sujets qui sont censés être intouchables. Nous devons traiter politiquement de ce que vous avez appelé une poudrière — j'espère que je prononce bien le mot.

J'estime que l'Afrique — avec laquelle je compatis profondément à cause de sa pauvreté et de tout ce que nous avons appris à son sujet lors de notre étude ici au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères — ne menace pas la planète. Je ne crois pas que l'Amérique latine, l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale, l'Europe de l'Est et de l'Ouest et l'Asie mettent la planète en danger. Mais il y a un endroit — et cela fait 42 ans que je le répète — qui est une poudrière, c'est le Moyen-Orient.

J'ai été incompris, mais cela m'est égal parce que je travaille pour l'intérêt du Canada. J'ai parfois l'impression que nous manquons de sensibilité et de compréhension à l'égard de cette région, et aujourd'hui...

[Français]

Aujourd'hui, nous voyons l'héritage d'avoir refuser d'aborder ce sujet très sensible.

[Traduction]

Je vous invite, vous et vos collègues, à faire preuve de sensibilité quand vous parlez du Moyen-Orient. Je crois que nous sommes injustes et partiaux. Je suis peut-être partial moi aussi, mais je ne crois pas. Si je le suis, je demande qu'on me le prouve dans un débat public. Je pense cependant que nous devons être très prudents. Cela dit, je tiens à vous remercier tous les deux.

Nous avons très peu de représentants élus ici. Mon estimé ami, M. Smith et moi-même sommes les seuls à avoir été autrefois élus comme vous l'avez été. Nous pourrions peut-être trouver un vocabulaire qui ferait moins peur aux personnes âgées.

Nous sommes censés savoir de quoi il s'agit. Pourtant, on entend des parlementaires faire des déclarations à tort et à travers en disant que la planète va exploser, que le Parlement n'est plus en sécurité et que le terrorisme est partout. J'estime que nous avons le devoir de calmer la situation. Je pense que le Canada, dans vos mains, est entre de bonnes mains. Voici ce que vous devriez dire aux Canadiens : Dormez bien — en particulier aux aînés qui me téléphonent parce qu'ils croient encore que je vais me relancer dans la politique. Peut-être que je le ferai.

Je compte sur vous deux en particulier. Transmettez ce message au premier ministre. Ce serait utile.

M. Day : Vous pensez que vous allez refaire de la politique?

Le président : Il est prêt pour un mandat de huit ans. Nous allons considérer que cette intervention était une déclaration plutôt que des questions.

Le sénateur Fairbairn : Je vous prie de m'excuser d'être en retard. Je présidais le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, où votre estimé collègue, M. Strahl, était à la barre. C'est une bonne journée.

La question que je veux vous poser nous a préoccupés lors des deux séries d'audiences que nous avons eues sur le projet de loi C-36. Elle n'est pas inhérente au projet de loi mais elle y est liée, et il s'agit des certificats de sécurité. Cette question concerne le ministre Day.

Au cours des discussions que nous avons eues jusqu'ici, de nombreux intervenants ont exprimé des inquiétudes en raison du caractère secret de ce mécanisme en Cour fédérale et du fait que la personne qui est au coeur de l'affaire ne peut pas participer à la discussion, pas même l'avocat.

Seriez-vous prêt, avec votre collègue du ministère de l'Immigration, à revenir sur la possibilité de faire intervenir un avocat qui aurait une autorisation de sécurité ou un intervenant désintéressé, car on critique constamment ce processus en partie parce qu'on maintient généralement la personne concernée enfermée pendant une longue période? Est-ce que vous vous êtes déjà occupé de cette question, monsieur le ministre? Si oui, le secret du processus du certificat de sécurité vous préoccupe-t-il?

M. Day : Je vais laisser mon collègue, le ministre de la Justice, vous parler plus précisément de l'intervenant désintéressé. Je sais que c'est à un autre comité que vous avez abordé cette question, mais je comprends que vous la posiez.

Je tiens à vous remercier de votre contribution d'ensemble à la Loi antiterroriste. Vous avez présidé avec talent les deux comités sénatoriaux lors de son adoption et apporté votre contribution à l'examen. Je vous en sais gré.

Ce processus existe depuis 1978 et il a été rarement utilisé. Depuis 2001, le certificat de sécurité n'a été utilisé qu'à six occasions. On y a recours quand un non-Canadien se présente à notre frontière et qu'après un contrôle de sécurité on constate qu'il présente un risque très important pour la sécurité. Je dis bien un risque « très important ». À ce moment- là, on donne à ces personnes la possibilité de repartir dans leur pays d'origine.

Comme vous le savez, si ces individus refusent, ils peuvent invoquer le processus d'appel auquel a droit toute personne qui pose le pied sur le rivage du Canada. Nous savons bien que ce processus prend plusieurs années.

Nous avons donc un véritable casse-tête car ces gens qui sont perçus comme une menace grave pour les Canadiens vont rester là pendant des années à faire appel de cette décision. À ce moment-là, le ministre de la Sécurité publique — le ministre de l'Immigration et moi-même, si nous estimons que les preuves sont justifiées, signons un certificat qui est alors transmis à un juge de Cour fédérale qui examine aussi l'information. À ce stade, les individus sont placés en détention en attendant que leur appel soit entendu. Si les tribunaux estiment qu'il n'y a pas de raison de les maintenir en détention, ils sont libres d'aller où ils veulent au Canada. Ils ont aussi la liberté de quitter le centre de détention à tout moment durant tout le processus d'appel pour retourner dans leur pays d'origine.

Les juges de Cour fédérale ont confirmé à plusieurs reprises ce processus, pas plus tard qu'en septembre 2005. C'est maintenant la Cour suprême qui va l'examiner, et les dépositions débutent demain. Nous devrions probablement avoir une décision vers la fin de l'automne.

Nous sommes favorables au processus du certificat de sécurité. C'est un compromis. À mon avis, quand on parle à la fois de sécurité et de libertés individuelles, il y a toujours un compromis à faire. Si l'on veut renforcer la sécurité, il faut renoncer à une certaine liberté. Si les gens trouvent qu'il y a trop de personnes dans cette salle et demandent au service de sécurité de ramener leur nombre à 10, c'est possible. On va autoriser seulement 10 personnes à entrer, mais en empiétant sur certaines libertés, dont la liberté de faire participer un plus grand nombre de personnes à la réunion.

Vous connaissez manifestement le point de vue du gouvernement. Nous avons appuyé ce processus à l'époque où les libéraux s'en servaient parcimonieusement, et nous continuons de l'appuyer pour le bien de notre pays. C'est comme la Loi antiterroriste elle-même.

[Français]

La loi antiterroriste demeure un élément essentiel d'un cadre de sécurité efficace et une composante clé des mesures visant à protéger les Canadiens et leurs familles.

[Traduction]

J'en suis convaincu. Non seulement j'appuie la loi, mais j'appuie le processus du certificat de sécurité. Attendons de voir ce qu'en dira la Cour suprême.

Le sénateur Fairbairn : Je pose surtout la question parce que nous avons été étonnés par le nombre de témoins qui ont soulevé cette question les uns après les autres. Merci beaucoup. C'est une bonne chose d'avoir cette réponse officielle, monsieur le ministre.

Le président : Ma question s'adresse au ministre de la Justice et concerne son prédécesseur, M. Cotler. Il est allé l'an dernier à Strasbourg, où avaient lieu des rencontres avec divers autres pays pour discuter de la cybercriminalité. Je ne sais pas si l'on peut vraiment parler d'ententes ou d'engagements multilatéraux pour lutter contre la cybercriminalité, qui a sa place ici.

Étant donné le consensus qui s'est dégagé à Strasbourg sur cette lutte multilatérale contre la cybercriminalité, pouvons-nous nous attendre à avoir un projet de loi sur la question un de ces jours?

M. Toews : Je sais que ces consultations vont entraîner quelques modifications techniques mineures. Le précédent gouvernement avait présenté un projet de loi visant à moderniser les techniques d'enquête, et je crois que le ministère planche actuellement sur la question. Je ne pense pas qu'il s'agisse de changements majeurs.

Il y a eu quelques problèmes techniques quand il a fallu nous assurer que nos lois étaient conformes à la Charte et efficaces. Pour l'instant, je n'ai pas d'autre information à vous donner.

Le président : C'est utile. Merci de cette précision.

Le sénateur Jaffer : Traditionnellement, quand nous sommes à court de temps, nous avons coutume de remettre aux témoins des questions écrites par le biais de notre président et nous annexons les réponses au procès-verbal.

M. Toews : Deux de mes hauts fonctionnaires pourront vous donner plus de détails à cet égard. Vous pouvez leur remettre vos questions ou me les transmettre et de toute façon vous aurez une réponse.

Le sénateur Jaffer : Nous vous les ferons parvenir par le président.

M. Day : M. Elliott va aussi rester là. Il était précédemment conseiller en sécurité et il est maintenant sous-ministre adjoint de la Sécurité publique. Il pourra répondre aux autres questions concernant la sécurité publique.

Le président : Merci d'être venus et merci de votre collaboration, messieurs. Sénateur Jaffer, vous aviez d'autres questions à poser aux hauts fonctionnaires?

Le sénateur Jaffer : Oui, je les mettrai par écrit, mais j'aimerais que vous nous aidiez sur la question de certificats de sécurité et de l'intervenant désintéressé. En Grande Bretagne, plusieurs de ces intervenants ont été réticents à poursuivre ce travail en raison des contestations. Nous avons aussi des contestations au Canada et j'aimerais donc avoir votre avis. Nous avons un système accusatoire dans lequel les juges ne sont pas habitués à s'occuper des intérêts d'une partie ou de l'autre. Cela pose des problèmes et beaucoup d'entre eux se sont plaints de la difficulté que cela présentait. J'aimerais avoir votre opinion sur les contestations que vous envisagez. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'intervenant désintéressé?

Bill Pentney, sous-ministre adjoint principal, Secteur de la politique, ministère de la Justice Canada : Tout d'abord, la question est devant la Cour suprême. Le gouvernement a clairement exprimé sa position, les arguments écrits seront précisés et les arguments oraux seront présentés en Cour suprême. Je ne veux rien dire qui soit susceptible de compromettre la position du gouvernement.

Quand on lit les dernières décisions de la Cour fédérale, on constate que plusieurs juges ont pris soin d'expliquer comment ils voient leur rôle. Je crois que personne n'est heureux de participer à ce processus car ce n'est tout simplement pas une expérience très réjouissante. La sécurité nationale est une question délicate. En ce qui concerne les professionnels, il ne s'agit pas d'une science exacte, mais plutôt d'essayer de déterminer à quel moment la menace pour la sécurité de la nation justifie le recours à des mesures extraordinaires. Il n'est donc pas étonnant que cela ne réjouisse pas les juges. La plupart des juges qui interviennent sur des crimes graves — meurtre, viol et autres — vous diront que ce n'est pas une partie de plaisir.

Cela dit, ils ont écrit ce qu'ils pensaient du rôle qu'ils jouent, de la nature de l'examen, du résumé et de la possibilité qui est donnée à la personne concernée de présenter des preuves. Je crois que vous avez lu le résumé établi à partir de l'audience précédente. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est qu'il y a eu récemment une conférence d'universitaires à laquelle un juge de Cour fédérale a parlé de la difficulté d'expliquer concrètement en quoi consiste le rôle des juges. On peut dire que les opinions en provenance de la Cour fédérale ne sont pas toutes unanimes pour dire qu'il est impossible de fonctionner dans ce système. C'est ce qui a été confirmé récemment dans les déclarations judiciaires et extrajudiciaires de cette cour.

Néanmoins, tout le monde reconnaît que c'est une situation difficile. Je peux vous confirmer ce que vous ont dit les ministres : le gouvernement a hâte de connaître le point de vue mûrement réfléchi du comité qui s'est débattu avec cette question. Nous apprécions en outre l'apport de votre comité car vous avez entendu de nombreux témoignages et vous avez énormément réfléchi à cette question et vous allez continuer à le faire jusqu'à ce que le rapport du comité soit terminé. Vous allez nous donner sur le défi que cela constitue des opinions plus sérieuses et plus réfléchies que celles qu'on trouve dans les articles d'opinion envoyés aux journaux. Nous pourrions partir du principe que le gouvernement ne peut pas dissimuler d'information et doit tout révéler à chaque individu avant de prendre des mesures administratives contre des civils ou des criminels. Si nous ne reconnaissons pas que le seul moyen de défendre la sécurité du Canada est de s'appuyer sur le droit pénal et rien de moins, nous ferions bien de nous demander ce que nous devons faire quand nous trouvons des gens que nous soupçonnons d'être des terroristes ou des criminels à l'étranger. Devons-nous revendiquer le droit de leur interdire l'entrée au Canada? Ou devons-nous interdire l'entrée seulement à ceux à qui nous appliquerions une norme de droit pénal? Ce sont les questions qu'il faut se poser ici.

Certains juges ont exprimé un certain malaise à l'égard du processus, et plus récemment certains d'entre eux ont essayé d'expliquer en détail ce qu'ils faisaient dans ce cadre. Aucun pays n'a trouvé un équilibre parfait. Nous serons heureux d'avoir les opinions réfléchies du comité s'il trouve des améliorations possibles à cette situation.

Le sénateur Fraser : J'ai des questions sur deux domaines; premièrement, la Loi sur la protection de l'information, et plus précisément l'article 4 qui a été invoqué par la GRC quand elle a fait une descente au domicile de Juliet O'Neil, une journaliste du Ottawa Citizen. Cela m'intéresse parce qu'on exclut la défense d'intérêt public. Pouvez-vous nous dire si l'on a déjà invoqué l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information pour intenter des poursuites? Quelles sont les protections éventuelles contre des poursuites injustifiées?

George Dolhai, directeur/avocat général principal, Section des opérations stratégiques, ministère de la Justice Canada : Jusqu'ici, il n'y a pas eu de poursuites en vertu de l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information depuis son entrée en vigueur. Il y a eu des poursuites en vertu de l'ancienne loi sur les secrets officiels. La dernière affaire de ce genre qui s'est soldée par une condamnation remonte à 1989. C'était une affaire d'espionnage où l'on a constaté qu'un individu appréhendé par la police à la suite d'une opération d'infiltration avait essayé de vendre des secrets. L'affaire a débuté en 1986, il a été condamné en 1989 à neuf ans.

Le sénateur Fraser : Y a-t-il d'autres protections que la procédure normale quand on décide d'intenter des poursuites contre quelqu'un?

M. Dolhai : La procédure normale s'applique, y compris tout le système accusatoire et aussi les obligations de divulgation complète de la Couronne. La décision Stinchcomb de la Cour suprême du Canada explique tout cela de façon très détaillée. La Cour a par la suite précisé ce critère pour définir clairement jusqu'où la Couronne devait aller pour s'assurer de tout divulguer à l'exception de ce qui est manifestement sans objet. Le droit pénal prévoit des protections considérables dans les conditions normales, et si la loi fédérale doit être utilisée pour porter des accusations, toutes ces protections fonctionnent.

Le sénateur Fraser : Dans le cadre de la Loi antiterroriste, le procureur général peut émettre des certificats pour bloquer des enquêtes ou des procédures en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. A- t-on déjà émis des certificats en invoquant l'une de ces lois? A-t-on établi des critères pour s'assurer que ce pouvoir ne soit utilisé que dans les circonstances les plus rares et les plus impérieuses?

M. Pentney : À ma connaissance, on n'en a pas émis. En général, les critères de la loi renvoient à la notion de pouvoir extraordinaire, un pouvoir qui peut être invoqué lorsqu'on juge que c'est nécessaire pour protéger la sécurité du Canada.

Le sénateur Fraser : Il y a beaucoup de pouvoirs qu'on n'utilise jamais. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Je remercie mes collègues et les hauts fonctionnaires de leur patience.

Le sénateur Kinsella : Nous avons rencontré nos collègues de Washington qui réexaminaient le Patriot Act, comme l'a dit le président au début de la réunion. Nous sommes aussi allés à Londres où nous avons rencontré nos homologues britanniques. Je crois qu'à la suite de notre passage à Londres, à Westminster, la Chambre des communes et la Chambre des lords ont adopté une loi antiterroriste qui réprime la glorification du terrorisme. J'ai deux questions.

Premièrement, suivez-vous l'évolution des lois antiterroristes, notamment aux États-Unis et éventuellement en Australie? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous donner la liste des nouveaux amendements proposés? Deuxièmement, la glorification du terrorisme relève-t-elle de la Loi antiterroriste ou s'agit-il de quelque chose de distinct?

M. Pentney : Nous sommes en train de vérifier le contenu du dossier de mise à jour des informations qui a été remis au comité. Nous savons qu'on l'a mis à jour en tenant compte des nouveautés législatives. Puis-je m'engager à vous communiquer ces renseignements s'ils ne figurent pas dans ce dossier?

Effectivement, nous suivons l'évolution de ce dossier au plan international. J'ajoute que le ministère de la Justice, de pair avec le ministère des Affaires étrangères, représente activement le Canada dans les négociations internationales sur de nouvelles mesures antiterroristes. Je crois qu'un certain nombre d'entre elles sont mentionnées dans les classeurs de mise à jour de l'information. Comme les sénateurs le savent, c'est un domaine qui évolue constamment. L'ONU discute depuis un certain temps pour trouver une bonne définition internationale de la notion de « terrorisme ». Je crois qu'elle n'a pas encore résolu ce problème épineux. Le débat se poursuit et le Canada y participe activement.

Si ces informations ne figurent pas dans le classeur, nous nous engageons à vous communiquer les dernières nouveautés internationales à ce sujet.

Le sénateur Kinsella : Il y a eu quelque chose à propos de la glorification du terrorisme, et ce serait peut-être une bonne chose d'examiner cela vu ce qui s'est passé ces jours derniers.

Le sénateur Prud'homme : J'aimerais demander aux deux témoins inconnus de se présenter pour le compte rendu.

William Elliott, sous-ministre adjoint, Sécurité publique et Protection civile Canada : Merci. Je vous présente mon collègue à ma gauche : il s'agit de M. James Deacon, directeur général, Politique de sécurité nationale, Sécurité publique et Protection civile Canada.

Stanley Cohen, avocat général principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice Canada : On m'a demandé de me présenter. Je suis Stanley Cohen, avocat général principal, Section des droits de la personne, au ministère de la Justice. J'ai déjà eu le plaisir de comparaître au comité dans le passé.

La séance est levée.


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