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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 19 juin 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 heures pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte.

[Français]

Pour les gens qui nous regardent, je vais expliquer le mandat de notre comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes perpétrées à New York, à Washington et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.

Vu l'urgence de la situation à l'époque, on a demandé au Parlement d'accélérer son étude de cette mesure législative et nous avons accepté. La date butoir pour l'adoption de cette loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

[Traduction]

Cependant, on craignait qu'il soit difficile d'évaluer en profondeur les conséquences potentielles de cette mesure législative en un si court laps de temps. Ainsi, il a été convenu que trois ans plus tard, on demanderait au Parlement d'examiner les dispositions de la loi et ses conséquences sur les Canadiens « a posteriori », en profitant du recul dans un climat moins chargé d'émotivité au sein de la population canadienne.

En décembre 2004, le Sénat a mis sur pied le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste pour s'acquitter de ce mandat. Au cours de la dernière législature, le comité spécial a tenu 47 séances sous la direction du sénateur Fairbairn. Nous avons entendu 141 témoins, y compris des ministres et des fonctionnaires du gouvernement, des experts canadiens et internationaux en matière de menace terroriste, des experts juridiques, des spécialistes de l'application des lois et de la cueillette de renseignements, des représentants de groupes communautaires et des proches de personnes tuées lors d'actes terroristes. Le comité s'est également rendu à Washington et à Londres.

Le Parlement a été dissous avant que le comité ne puisse terminer son travail. Le comité a été établi de nouveau par le Sénat en mai 2006, ce qui a occasionné par le fait même le transfert de tous les documents et tous les éléments de preuve déjà accumulés par notre comité. Quand notre étude sera terminée, nous allons présenter un rapport au Sénat pour lui indiquer les questions qui, selon nous, doivent être réglées et faire en sorte que les résultats de notre travail puissent être accessibles au gouvernement et à la population canadienne. Un processus similaire est en cours à la Chambre des communes. L'élection générale que nous venons de connaître a entraîné un changement de gouvernement, et nous avons pu entendre la semaine dernière les nouveaux ministres de la Sécurité publique et de la Justice.

Dans la séance à huis clos qui a suivi, tous les sénateurs ont convenu que nous devrions inviter les représentants de la Section du droit de l'immigration et de la citoyenneté de l'Association du Barreau canadien. Nous accueillons donc cette semaine Lorne Waldman, qui est membre de ladite section et qui a passé toute la semaine dernière devant la Cour suprême du Canada dans le cadre d'une importante cause tout à fait pertinente à notre étude. M. Waldman est accompagné de Tamra Thomson, directrice de la Section Législation et Réforme du droit au sein de l'Association. Les sénateurs se souviendront que ces deux témoins ont comparu devant nous lors de la dernière session.

Bienvenue à notre comité. Nous vous écoutons.

Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien se réjouit que vous ayez invité à nouveau ses représentants à comparaître devant vous. Nous l'avons déjà fait à deux reprises en mai 2005, au moment de la mise en place de votre comité. Nous avons alors parlé des différents aspects de l'examen triennal de la Loi antiterroriste.

Je crois que l'on vous a remis une copie de la présentation que nous avons faite à ce moment-là. Nous n'avons pas jugé bon de produire un nouveau document devant votre comité parce que nous estimons que les enjeux étaient très bien articulés dans ce premier mémoire.

Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur vos questions concernant la définition du terrorisme ainsi que sur les éléments nécessaires à une audience équitable dans le contexte des certificats de sécurité émis en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Je vais inviter M. Waldman à vous faire quelques observations préliminaires, après quoi nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Lorne A. Waldman, membre, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoynneté, Association du Barreau canadien : On nous a demandé de traiter de deux questions. La première est celle de la définition du terrorisme.

À la page 9 du mémoire que nous vous avons soumis lors de notre dernière visite, nous proposions la définition tirée directement de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. Si nous devons avoir une définition, il faut qu'elle soit concise et facile à appliquer et à comprendre pour les tribunaux et toutes les personnes en cause. Le problème, c'est que la définition prévue dans le Code criminel est beaucoup trop large. Il semble que l'une des propositions voulait que l'on supprime la section de la définition où l'on peut lire « au nom — exclusivement ou non — d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique ». Bien qu'en principe cela puisse être une idée valable, nous craignons, étant donné que cette définition est très large et à la lumière des préoccupations que nous avons soulevées lors de notre dernière comparution, surtout relativement à certains aspects de la définition qui selon nous pourraient avoir un impact sérieux sur la liberté d'expression, que si l'on supprime cette disposition sans modifier le reste de la définition, on se retrouvera avec une définition encore plus large qu'auparavant. L'Association du Barreau canadien ne saurait appuyer une proposition visant à supprimer cette partie de la définition sans rectifier le reste.

Pour ce qui est de l'intervenant désintéressé, comme le disait le sénateur Smith, j'étais devant le Cour suprême la semaine dernière, et je vais prendre quelques minutes pour vous présenter mes observations générales à ce sujet sans commenter l'affaire dont la Cour suprême est saisie.

D'abord une mise en garde. Même si ce genre de cas semble s'être produit principalement dans le contexte de l'immigration, cela pourrait survenir dans d'autres circonstances également. Au gré de l'intensification des préoccupations par rapport à la sécurité nationale exigeant la protection des renseignements confidentiels, nous verrons différents autres cas, extérieurs au mécanisme des certificats de sécurité, où le gouvernement, le SCRS ou les autres agences responsables de la sécurité nationale voudront que des éléments de preuve ne soient pas divulgués. Il devient alors impérieux de trouver le juste équilibre entre, d'une part, le droit de savoir, de discuter de la cause et d'être entendu et, d'autre part, le droit du gouvernement d'éliminer des preuves.

Deux problèmes différents se posent dans le contexte des certificats de sécurité. Le gouvernement présente une preuve et évalue la nécessité de la garder confidentielle pour des motifs de sécurité nationale. Dans le processus actuel, seul un juge a connaissance de cette preuve; il est le seul à décider si elle peut être rendue publique, et le seul aussi à pouvoir remettre en question la crédibilité de cette preuve. Tous les autres qui, comme nous, ont un rôle à jouer dans ce processus estiment qu'en imposant de telles exigences à un juge, on va à l'encontre du concept d'indépendance judiciaire. En outre, nous ne croyons pas qu'il soit faisable pour un juge, qui n'a pas la possibilité de rencontrer l'inculpé et de créer avec lui une relation de type avocat-client en raison de la nature même de son poste, de remettre en question de façon efficace la crédibilité de la preuve.

Le juge remplit deux rôles différents. Il doit d'abord déterminer si la preuve doit être gardée confidentielle. La semaine dernière, la Cour suprême s'est montrée très intéressée au modèle utilisé par la Commission Arar. Avant la tenue des audiences, le commissaire O'Connor a nommé Ron Atkey, ancien dirigeant du CSARS, à titre d'intervenant désintéressé, qui avait pour mandat de présenter au commissaire une argumentation quant à la pertinence de la confidentialité.

Dans ce dossier, où il s'agissait en fait de s'assurer que le processus était aussi transparent que possible pour l'intérêt public, il n'était pas important que M. Atkey ait une relation directe avec M. Arar. Dans un tel contexte, les questions de confidentialité étaient assujetties aux considérations liées à l'intérêt public, car on souhaitait que la plus grande partie possible de la preuve puisse être diffusée.

Par ailleurs, dans le cas du certificat de sécurité, si on veut aider le juge à décider de ce qui devrait être rendu public, un intervenant désintéressé pourrait s'en charger sans avoir aucun lien avec la personne.

Le second rôle à remplir dans le cas d'une audience secrète consiste à vérifier les éléments de preuve au nom de la personne présumément membre d'un groupe terroriste. Nous sommes tous d'avis que ce n'est pas une tâche qu'un juge peut accomplir; premièrement, parce que cela n'est pas conforme à la fonction judiciaire, et, deuxièmement, parce que le juge n'a tout simplement pas la possibilité de rencontrer le client et de discuter de la cause avec lui pour bien comprendre son point de vue.

Voici donc les solutions que nous proposons. Comme nous l'avons fait valoir devant la Cour suprême, il y a toute une gamme d'options possibles. La solution la plus radicale ne prévoirait aucune contestation; le juge se chargerait de tout. À l'autre extrémité du spectre, certains ont soutenu devant la Cour suprême qu'il ne devrait y avoir aucune preuve secrète.

La Cour suprême a bien fait comprendre que cela n'était pas acceptable, qu'il devait y avoir un moyen de tenir compte des préoccupations liées à la sécurité nationale tout en assurant une plus grande équité du processus. C'est là que l'intervenant désintéressé entre en jeu. Si on peut compter sur le concours d'un tiers qui possède les autorisations de sécurité requises et qui a prêté serment de confidentialité en s'engageant à ne pas révéler la preuve à l'intéressé ni au public, il n'y a aucune raison que cette personne ne puisse participer au processus d'audience et aider le juge à vérifier la crédibilité des éléments de preuve.

On presse le gouvernement de donner des justifications à cet égard. Lors des audiences tenues au moment de la modification de la Loi sur l'immigration pour inclure les certificats de sécurité pour les résidents permanents, on a simplement fait valoir que le système était ainsi plus efficient. On ne met pas en péril la sécurité nationale en faisant intervenir une personne détenant les autorisations de sécurité requises et ayant prêté serment de confidentialité pour représenter les intérêts de l'intimé lors d'une audience secrète. Il n'y a absolument aucun risque. Rien ne nous empêche d'assurer un processus plus équitable tout en respectant les exigences de confidentialité associées à la sécurité nationale.

Différents modèles ont été proposés. Au Royaume-Uni, il y a un conseil spécial. Il s'agit d'un avocat possédant la cote de sécurité voulue qui représente la personne. Il rencontre le client avant de participer à l'audience secrète et avant son examen de la preuve secrète de manière à bien comprendre la cause. Cependant, une fois qu'il a pris connaissance de la preuve secrète, il ne peut plus rencontrer l'intimé.

Ce mécanisme de conseil spécial a été sévèrement critiqué par les avocats participants eux-mêmes ainsi que par Amnistie Internationale et d'autres organisations non gouvernementales qui estiment qu'il n'est pas équitable étant donné qu'il ne permet pas au conseil spécial de s'acquitter efficacement de ses fonctions dû au fait qu'il ne peut plus entrer en contact avec le client une fois qu'il a reçu la preuve secrète. Il faut se rappeler qu'il est toujours sous serment de confidentialité et qu'il ne peut pas révéler cette preuve.

Le deuxième modèle proposé est celui du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Le comité tient des audiences toutes les fois qu'il y a des plaignants et des preuves secrètes. Il a son propre avocat, mais il arrive qu'on nomme un conseil indépendant. Cet avocat vérifie la preuve dans le contexte du processus d'audience et prête serment de confidentialité, mais continue à rencontrer l'intimé tout au long du processus.

L'avantage du modèle du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, c'est justement cette relation qui est maintenue pendant tout le processus. Le gros inconvénient de ce modèle vient bien évidemment du fait que l'avocat ne représente pas la personne, mais bien l'intérêt public en s'assurant que l'information est bien validée.

Le modèle suivant est celui de la commission Arar où un avocat indépendant remplissait cette fonction et où M. Atkey contestait les assertions du gouvernement en faveur de règles spéciales de confidentialité. Il y avait donc deux personnes qui assistaient le commissaire dans cette affaire.

Le dernier modèle proposé par l'Association du Barreau canadien devant la Cour suprême du Canada est celui que nous avons appelé le modèle modifié du conseil spécial. Après avoir été désigné pour représenter l'intimé, cet avocat le rencontre avant l'audience, examine la preuve secrète et continue, toujours lié par son serment de confidentialité, de communiquer avec lui tout au long du processus.

Les juges de la Cour suprême m'ont demandé si ce type de relation pouvait vraiment apporter quelque chose. Si l'avocat ne peut rien révéler de la preuve, comment peut-il discuter des questions importantes? Je vais vous donner un exemple. Supposons que l'avocat apprend que le SCRS dispose d'éléments de preuve indiquant que l'intimé était en Afghanistan en 2000, il ne peut pas lui révéler cette information parce qu'elle a été reçue d'un service de cueillette de renseignements à l'étranger. Lorsqu'il rencontre la personne, le conseil spécial ne peut pas lui demander directement : « Étiez-vous en Afghanistan en 2000? » Il pourrait toutefois lui poser une question du genre : « Pourriez-vous me dire où vous vous trouviez au cours des dix dernières années avec preuves à l'appui? »

On constate donc qu'il y a différentes façons pour le conseil spécial d'obtenir l'information dont il a besoin pour bien défendre l'intimé tout en respectant le sceau de confidentialité aux fins de la sécurité nationale. Ce processus ne met pas en péril la sécurité nationale; il permet de la protéger tout en assurant une plus grande équité.

Je veux vous souligner que certains juges de la Cour fédérale vont vous dire qu'ils sont capables de le faire seul, qu'ils n'ont pas besoin d'aide, et qu'il est difficile pour nous d'en juger de l'extérieur, mais la considération la plus importante est celle de la confiance du public à l'égard de l'administration de la justice. Je crois que le processus d'audience secrète sans représentation pour l'intimé apparaît inéquitable pour une majorité des gens, ce qui mine vraiment cette confiance. Il faut faire quelque chose à cet égard.

Je vous ai présenté les différentes options. Votre rapport arrive à point parce que la Cour suprême va se pencher sur cette question. Deux possibilités s'offrent à la Cour suprême. On pourrait décider d'adopter une certaine interprétation ou de carrément supprimer le tout. Je ne suis pas ici pour vous dire ce que je pense que les juges vont faire ou devraient faire. En supposant que la Cour suprême opte pour la suppression, c'est au Parlement qu'il reviendra de faire le nécessaire. Le débat politique entourant cette question serait bien servi si votre comité déposait en temps utile un rapport recommandant une marche à suivre, au-delà de ce qui est déjà prévu.

Le président : Honorables sénateurs, l'essentiel de la question semble résider dans le concept d'intervenant désintéressé. Il y a eu quelques commentaires au départ sur la définition de terrorisme. C'est un peu comme se demander « Qu'est-ce que la vérité? Qu'est-ce que la beauté? »

Croyez-vous qu'il serait raisonnable que nous nous limitions à la notion d'intervenant désintéressé pour la première série de questions?

Le sénateur Nolin : Monsieur le président, nous avons invité les représentants de l'Association du Barreau canadien à comparaître devant nous aujourd'hui pour nous faire part de leurs observations sur les déclarations et les témoignages des deux ministres. Il est bien évident qu'ils ont parlé de la question de l'intervenant désintéressé, mais j'aimerais plutôt demander à nos témoins : « Vous avez pris connaissance des commentaires des ministres. Qu'avez- vous à dire au sujet de leur témoignage? »

Le président : Je croyais que nous avions un consensus, mais j'étais dans l'erreur.

Le sénateur Jaffer : Peut-être n'aurez-vous pas assez de temps pour y répondre, mais ma question concerne la façon dont notre pays aborde maintenant les grands dossiers internationaux. Les Forces armées canadiennes ne sont plus une force de maintien de la paix. Nous allons être mis à l'épreuve à l'intérieur de nos frontières. Est-ce que le moment est venu d'envisager la création d'un tribunal distinct pour le terrorisme? Nous avons un tribunal militaire, des tribunaux civils. Comme vous n'avez peut-être pas nécessairement réfléchi à la question, vous pourriez peut-être nous fournir vos réponses plus tard.

Ma deuxième question concerne l'intervenant désintéressé. Vous avez cité tous les modèles possibles. Si les avocats sont là pour représenter les clients et s'ils prêtent serment de confidentialité, il est bien évident que les règles du Barreau devront changer parce qu'ils ne représentent plus alors entièrement les intérêts de leurs clients; ils remplissent une double fonction. Il faudra régler cette question. Mais je voudrais surtout savoir quels éléments de preuve sont reçus par les juges, par les services de renseignements.

Je ne sais pas si ce jeu existe au Canada, mais lorsque j'étais petite, nous nous assoyions en cercle et quelqu'un disait quelque chose à l'oreille de son voisin. Une fois le cercle complété, l'histoire n'était plus la même. Je ne sais pas à quelles informations les services de renseignements ont accès; nous ne savons pas quels types d'éléments de preuve leur sont fournis. Les règles ne sont pas respectées. Ne serait-il pas temps d'établir un protocole quant au genre de preuves devant être présentées à la cour? Le tribunal va-t-il accepter les preuves obtenues grâce à la torture? Quels types de preuves la cour est-elle prête à accepter en provenance des services de renseignement?

M. Waldman : Quant à la création d'un tribunal du terrorisme, nous devrons nous pencher sur la question. Nous n'avons pas pris position à ce sujet. Je ne vais pas tenir compte de cette question pour le moment.

Pour ce qui est des relations entre le client et l'avocat, si vous deviez adopter une formule de conseil spécial permettant le maintien des relations tout au long du processus, l'intimé devrait avoir la possibilité de choisir dès le départ en signant une renonciation. Je peux vous dire que c'est ce qui s'est produit pour les audiences de la Commission Arar. L'une des propositions initiales voulait que l'on nous accorde les autorisations de sécurité requises et que nous participions à l'audience pour entendre la preuve secrète en l'absence de M. Arar. C'est une option qui a été abandonnée par la suite par le gouvernement, mais elle a bel et bien été proposée. Il était évident pour nous que nous ne pourrions procéder de cette façon que si M. Arar y consentait et nous signait une renonciation, parce qu'après avoir participé à l'audience et pris connaissance de la preuve secrète, il ne nous serait pas possible d'en discuter avec lui. Comme vous pouvez le constater, cela remettait en question la relation client-avocat. Avec un tel modèle, il faut laisser le choix à la personne. « Acceptez-vous que nous participions à l'audience pour essayer d'y défendre vos intérêts? Nous faites-vous suffisamment confiance, en sachant que nous ne pourrons probablement pas vous en apprendre beaucoup sur ce que nous savons à l'issue de l'audience? » Ce modèle doit être facultatif. La renonciation écrite est la seule façon de préserver la relation client-avocat. Cette renonciation doit être irrévocable, parce qu'une fois la preuve connue, il est impossible de la révéler à la personne.

C'est pour l'évaluation de la preuve que la présence d'un représentant est nécessaire. Si vous ne pouvez pas compter sur quelqu'un capable de contester la source des éléments de preuve et d'essayer de remettre en doute leur crédibilité lorsque ces éléments proviennent de sources étrangères, vous êtes en difficulté. Selon le mode de fonctionnement actuel, on nous présente seulement des allégations de nature générale. Dans l'une des causes sur lesquelles j'ai travaillé, on disait que la personne était membre de la société des Babbar Khalsa. Nous n'avons vu aucun élément de preuve à cet égard. Il m'a été impossible de remettre en doute la crédibilité de l'argumentation du gouvernement, car je ne savais pas sur quoi elle s'appuyait. Je connaissais seulement l'allégation, sans plus. Il faut que quelqu'un soit présent dans la salle d'audience devant le juge pour lui dire : « Cet élément de preuve provenant de ces services secrets n'est pas crédible. Tout le monde sait qu'ils ont un intérêt dans cette affaire; regardez tous ces rapports qui révèlent qu'ils ont recours à la torture. » Toutefois, ce genre d'intervention n'est possible que si quelqu'un est vraiment présent dans la salle d'audience.

Relativement au dernier point concernant les éléments de preuve obtenus grâce à la torture, la Chambre des lords en Angleterre vient tout juste de faire connaître sa décision dans une affaire où le contexte était très similaire. On a déterminé que les tribunaux spéciaux établis pour examiner ces causes en Angleterre ne pouvaient s'appuyer sur des éléments de preuve obtenus grâce à la torture. Je ne saurais trop recommander à votre comité d'adopter la même approche. Il n'est pas acceptable de recourir à la torture pour obtenir des preuves.

[Français]

Le sénateur Nolin : Merci à vous deux, représentants du Barreau canadien. Comme je le disais au président tout à l'heure, la raison, telle que je l'ai comprise, pour laquelle vous étiez ici ce matin est que, la semaine dernière, nous avons entendu deux ministres, le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique, commenter l'opinion du nouveau gouvernement en matière de révision de la Loi antiterroriste. J'aimerais entendre vos commentaires, à savoir si les ministres ont annoncé une position qui était différente de celle de l'ancien gouvernement. Si oui, pouvez-vous nous donner vos commentaires ? Ce sera ma première question.

[Traduction]

M. Waldman : J'ai lu les commentaires des ministres. Je m'excuse de ne pas pouvoir répondre en français.

Ce qui m'a surtout frappé, c'est que le ministre songe à la possibilité d'extraire de la définition les dispositions touchant les motivations politiques et idéologiques. Comme je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas d'accord. Nous pensons que cette définition est excessivement large et que si nous retirons ces précisions en laissant le reste inchangé, nous obtenons une définition plus large encore.

J'inviterais le comité à se pencher sur une définition plus étroite du terrorisme, celle qui a été acceptée par la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.

Les ministres ont indiqué que les pouvoirs prévus par la loi étaient nécessaires, mais qu'ils ne pensaient pas qu'il leur en fallait davantage. C'est une réponse qui m'a soulagé. Je crois que l'Association du Barreau canadien a également appris avec soulagement que les ministres n'exigeaient pas des pouvoirs accrus. Nous avons bien pris soin de préciser dans notre mémoire que nous n'étions pas d'accord pour leur octroyer certains des pouvoirs demandés.

Depuis que la loi a été adoptée, nous avons pu constater dans quelle mesure ces pouvoirs extraordinaires ont été exercés au fil de ces quatre ans pour déterminer s'ils sont vraiment nécessaires. Pour autant que je sache, la disposition permettant la tenue d'investigations n'a été utilisée qu'une seule fois — et sans grand succès, à ce que j'ai pu comprendre. Lors des arrestations effectuées récemment à Toronto, on a déclaré que l'on n'utilisait aucun de ces pouvoirs extraordinaires. S'il est possible de continuer à protéger la sécurité nationale sans avoir recours à ces pouvoirs importants qui empiètent sur les libertés civiles, c'est l'avenue que nous devrions emprunter.

Nos mémoires indiquent clairement le point de vue de l'Association du Barreau canadien concernant les pouvoirs spéciaux. Vous pouvez comprendre que nous ne sommes pas d'accord dans tous les cas. Si les ministres soutiennent qu'ils croient toujours à la nécessité de ces pouvoirs spéciaux, nous leur répondrons respectueusement que l'expérience a démontré le contraire.

Le sénateur Nolin : J'aimerais que nous parlions de ces arrestations qui ont été effectuées il y a quelques semaines en Ontario. Je sais que c'est un dossier délicat, mais vous pouvez répondre de la manière qui vous conviendra. Pouvons- nous tirer des enseignements de ce qui s'est produit dans cette affaire?

[Français]

Je vais terminer ma question en français ; s'agissant, maintenant, d'une opération qui s'est manifestée publiquement avant la commission d'actes de terrorisme, s'agissant du processus judiciaire, avez-vous des commentaires à nous donner pour ce qu'on en sait à ce jour, au sujet des allégations de mauvais traitement — certains avocats ont même qualifié de torture la façon dont leur client étaient traités ? Y a-t-il des leçons que nous pouvons, dès aujourd'hui, tirer et qui pourraient influencer notre façon de rédiger nos commentaires et nos recommandations sur la Loi antiterroriste?

[Traduction]

M. Waldman : La principale leçon que nous pouvons tirer de cette affaire c'est que les fonctions de police ont pu être exercées sans avoir recours à aucun des pouvoirs extraordinaires demandés dans la loi.

Nous avons toujours cru que les forces policières avaient déjà un vaste arsenal d'outils à leur disposition. Lorsque ces propositions ont été mises de l'avant, nous nous demandions si ces outils additionnels étaient vraiment nécessaires. Je dirais que l'expérience récente de ce qui est survenu à Toronto montre clairement que ce n'est pas le cas. Les forces policières ont pu s'acquitter de toutes leurs obligations sans faire appel à ces pouvoirs extraordinaires. J'estime que cela confirme le point de vue adopté par l'Association du Barreau canadien dès le départ.

Le sénateur Nolin : Qu'en est-il de ces histoires de torture?

M. Waldman : C'est une allégation soulevée par un avocat. De toute évidence, cela n'a rien à voir avec nos délibérations. Si cette allégation très grave s'avérait fondée, il faudrait instituer une enquête. Il s'agit vraiment de déterminer le traitement auquel ils ont eu droit pendant leur détention. Les autorités compétentes doivent faire enquête à ce sujet. Je fais entièrement confiance à l'administration de la justice; je sais que les responsables prendront l'affaire au sérieux et entreprendront une enquête.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites que si l'on enlève les motifs politiques et religieux, on obtient une définition encore plus large, et j'ai tendance à être d'accord avec vous. Cependant, est-ce que cela n'éliminerait pas de façon définitive l'impression qu'ont certaines personnes au Canada, des avocats notamment, qu'en incluant ces dispositions dans la définition, nous ciblons indûment les institutions religieuses et le dialogue politique? Si cette partie était retirée, convenez-vous avec moi que les plaintes de ce genre ne seraient plus fondées?

M. Waldman : Nous croyons que la définition est trop large, surtout pour ce qui est des entraves aux services essentiels ou des perturbations importantes à ce chapitre. Si nous retirons les précisions concernant les motifs, alors ceux-ci perdent leur pertinence et l'infraction devient plus large. Bien que je comprenne les préoccupations des gens qui préconisent la suppression de cette partie, si on l'enlève sans modifier le reste de la loi, on se retrouve avec une définition beaucoup plus large et beaucoup plus dangereuse.

Le sénateur Andreychuk : Je suis sensible à cet argument. Vous avez fait valoir votre point, comme d'autres l'ont fait également, et il convient d'examiner la possibilité d'une autre définition.

Mais si nous laissons en place cette portion de la définition, c'est comme si nous ciblions un segment particulier de la société canadienne. Si cette partie est enlevée, croyez-vous que la police serait tout de même accusée de faire du profilage — autrement dit, sommes-nous en train de discuter pour rien?

M. Waldman : Je crois comprendre les raisons pour lesquelles certaines personnes font valoir ce point. D'après ce que j'ai entendu devant la Cour suprême ainsi qu'à d'autres endroits, le profilage n'est pas tant le résultat de cette définition que de l'identité des personnes effectivement inculpées. Par exemple, l'argumentation présentée devant la Cour suprême soulignait que les cinq personnes sous le coup d'un certificat de sécurité étaient de la même origine.

Je comprends les raisons pour lesquelles les gens souhaitent le retrait de cette partie, mais je ne pense pas que cela effacerait leurs inquiétudes. J'estime en outre que cela aurait pour conséquence d'élargir une définition déjà trop large.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez indiqué qu'il existait de nombreux modèles révélateurs concernant cet intervenant désintéressé. L'un d'eux consiste à faire appel à des avocats ayant subi un contrôle de sécurité. Dans quelle mesure ce modèle semble-t-il praticable à la lumière de l'affaire de Toronto? Dix-sept personnes ont été inculpées et chacune d'entre elle a droit à son propre avocat. Il serait un peu étrange de demander à tous ces avocats de se soumettre à des vérifications de sécurité. Qu'adviendrait-il si l'un d'entre eux ne pouvait obtenir son autorisation de sécurité?

M. Waldman : Le modèle du conseil spécial ne doit pas nécessairement s'appliquer dans le contexte pénal. Tout le processus est différent dans un tel contexte car les droits à l'application régulière de la loi sont beaucoup plus importants que dans un cadre d'immigration. Dans une affaire pénale, le gouvernement peut demander que des éléments de preuve ne soient pas divulgués. Il s'adresse alors à un juge de la Cour fédérale qui doit trouver le juste équilibre entre l'intérêt public et la nécessité de maintenir la confidentialité.

En bout de ligne, si les éléments de preuve ne sont pas divulgués et s'ils s'avèrent pertinents et cruciaux, le juge peut ordonner un arrêt des procédures. Ainsi donc, le gouvernement doit peser avec soin ses allégations voulant que la confidentialité soit requise pour des motifs de sécurité nationale. Dans bien des cas, je crois qu'on met tout en œuvre pour éviter d'avoir à s'en remettre à des éléments de preuve secrets.

Dans un contexte d'immigration, les droits à l'application régulière de la loi sont beaucoup moins importants et il s'agit simplement de déterminer si le gouvernement peut se fier à la preuve secrète. D'après les jugements déjà rendus par des tribunaux, il semble vraiment que ce soit le cas. Si l'on peut s'en remettre à des éléments de preuve secrets dans ce type de processus, qui n'est pas une procédure pénale, comment trouver l'équilibre et accroître l'équité? Il est possible que cela se produise également dans d'autres genres de processus non pénaux. Il faut considérer la nécessité de trouver un juste équilibre.

Les critiques du système actuel ont fait valoir que l'équité n'était pas possible si l'audience secrète se déroule en l'absence d'une personne pouvant représenter les intérêts de l'inculpé et contester la validité de la preuve produite. Si l'intimé ne peut pas prendre connaissance de la preuve, une situation pouvant être acceptable dans un processus non pénal, comment obtenir l'équilibre recherché? D'autres pays y sont parvenus en créant un poste d'avocat possédant la cote de sécurité requise. Dans ce contexte, des membres chevronnés du Barreau en Angleterre — je crois que la plupart d'entre eux faisaient partie du Conseil de la Reine et possédaient de 15 à 20 ans d'expérience — ont été soumis à une vérification de sécurité et un groupe de conseils spéciaux disponibles a été mis sur pied. L'intimé peut même choisir au sein de ce groupe celui qu'il veut comme représentant. Cela ne pourrait pas se produire dans un contexte pénal parce que toute une série de mesures de protection n'existant pas par ailleurs entrent alors en jeu.

Le sénateur Andreychuk : Pour ce qui est de la preuve, on nous a dit que les pouvoirs d'investigation et tous les autres que les ministres ont dit vouloir conserver n'ont pas été utilisés si ce n'est, comme vous l'avez dit, dans un cas particulier. Les autorités policières ont abondé dans le même sens.

On nous a également dit que l'on avait menacé d'avoir recours à ces pouvoirs dans certains cas. L'aspect positif qui en ressort est certes la prévention. L'envers de la médaille c'est qu'il s'agit d'un outil qui pourrait être utilisé à l'encontre de l'obtention d'éléments de preuve ou pour placer des gens dans certaines positions. Dans les causes que vous avez plaidées ou dans les discussions que vous avez eues, avez-vous pu constater que cela pouvait servir d'outil contre certaines personnes?

M. Waldman : Je n'ai jamais rien entendu en ce sens. Je ne crois pas que ce serait une bonne idée d'utiliser cela comme justification pour l'exercice d'un pouvoir extraordinaire qui porte atteinte aussi sérieusement aux droits d'une personne.

Lorsqu'il y a limitation des droits des individus, le gouvernement a toujours le fardeau de démontrer qu'il a un motif valable pour ce faire. Tout ce que le gouvernement a pu faire valoir à cet égard, c'est que ces pouvoirs n'ont pas été utilisés, mais qu'on a bel et bien menacé de le faire. J'estime que c'est un argument plutôt faible.

Le sénateur Day : Lorsque nous avons reçu votre rapport en mai 2005, on nous a dit qu'il était présenté au nom de l'Association du Barreau canadien et de l'ensemble de ses 34 000 membres. On nous a également indiqué qu'il avait été préparé par le groupe chargé de l'examen de la Loi antiterroriste. Monsieur Waldman, faites-vous partie de ce groupe?

M. Waldman : Comme c'est Mme Thomson qui a mis ce groupe sur pied, peut-être pourrait-elle répondre à la question.

Mme Thomson : La Loi antiterroriste et la portée des questions qui, selon l'Association du Barreau canadien, devaient être visées par l'examen triennal recoupent le champ d'expertise et d'intérêt de nombreux groupes au sein de l'Association. Nous avons demandé à chacun de ces groupes de désigner des représentants afin de mettre sur pied une équipe chargée de produire le mémoire que vous avez en main.

M. Waldman y a participé au nom de la Section du droit de l'immigration et de la citoyenneté. Les sections du droit pénal, du droit de la vie privée et de l'accès à l'information, du droit de l'information et des télécommunications, du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif et bien d'autres qui sont énumérées dans l'avant-propos ont également eu un rôle à jouer.

Le sénateur Day : C'est bon à savoir. Ainsi, les commentaires que vous formulez devant nous aujourd'hui ne traduisent pas uniquement le point de vue de la Section du droit de l'immigration, mais aussi celui de l'Association du Barreau canadien dans son ensemble.

Mme Thomson : Nous sommes ici pour représenter l'Association.

Le sénateur Day : Une fois que nous aurons amorcé nos délibérations après votre départ, pourrons-nous entrer en contact avec vous pour vous poser les questions qui pourraient survenir et pourrez-vous alors nous envoyer une réponse écrite?

Mme Thomson : Oui, nous pourrons le faire par l'entremise de notre bureau.

Le sénateur Day : Le large éventail de talents et de points de vue que vous rendez accessible en puisant ainsi dans vos différentes sections pourrait fort bien éclairer notre lanterne.

M. Waldman : Nous devions également être accompagnés d'un représentant de la Section du droit pénal. Je suppose que je parle en son nom pour ce qui est de la définition d'activités terroristes. Il était ici la semaine dernière, mais ne voulait pas revenir de Vancouver pour être présent aujourd'hui. Normalement, un représentant de la Section du droit pénal vous aurait parlé de cet aspect pendant que je me serais occupé des questions liées à la défense des droits.

Le sénateur Day : Je suis persuadé que vous n'êtes pas toujours tous d'accord sur tous ces points. Vous devez en discuter pour arriver à vous entendre, n'est-ce pas?

M. Waldman : J'ai été impressionné par la portée des travaux et le niveau des délibérations qui ont été nécessaires. En fin de compte, nous avons pu dégager un consensus. Est-ce le reflet du point de vue de chacun de nos 34 000 membres? C'est le point de vue de l'Association à l'issue du travail qu'elle a effectué.

Le sénateur Day : Ma deuxième question concerne un élément qui est ressorti de questions précédentes concernant la possibilité d'un tribunal spécialisé et votre observation quant à l'importance de la confiance du public à l'égard du processus. Dans cette loi, nous demandons aux juges de remplir un rôle qui ne relève normalement pas d'eux pour ce qui est de l'examen et de la confidentialité. Vous avez indiqué tout à l'heure, monsieur Waldman, que certains juges pouvaient dire : « Nous pouvons le faire. Nous n'avons pas besoin d'un intervenant désintéressé. Nous pouvons nous charger de ce processus sans aucun problème. » Cependant, d'autres ont choisi de procéder différemment, notamment dans l'affaire Arar, comme vous nous l'avez indiqué.

Est-ce qu'une enquête a été menée auprès des juges? Est-ce une question sans importance? Savez-vous si les juges se sentent à l'aise dans ce rôle? D'une manière générale, savons-nous si les juges ont l'impression d'être en mesure de s'acquitter de ce rôle de la manière dont il se concrétise actuellement? Ou alors conviennent-ils avec vous que l'on devrait avoir recours à un intervenant désintéressé?

M. Waldman : Je ne voudrais surtout pas parler au nom des juges.

Je peux toutefois vous dire que le juge Hugesson a fait une déclaration publique à l'occasion d'une conférence il y a environ deux ou trois ans. Il est également juge à la Cour fédérale. Il a indiqué que les juges n'appréciaient pas du tout d'avoir à assumer ce rôle. Nous avons cité cette déclaration lorsque nous avons comparu devant la Cour suprême.

À la lumière des déclarations publiques faites par des juges, je peux vous dire qu'il n'y a pas consensus. Je dirais qu'un juge qui se voit confier cette tâche est tenu de s'en acquitter au mieux, que cela lui plaise ou non. Je ne vois vraiment pas pour quel motif la présence d'un intervenant pouvant assurer un processus plus équilibré ne serait pas une solution normalement acceptable pour les juges. Je ne prétends pas toutefois parler en leur nom.

J'estime cependant que cela est important en ce qui a trait à la confiance du public à l'égard du processus. Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Les audiences ont duré 15 jours. Nous avons fait de notre mieux pour répondre aux allégations. Du début à la fin, nous ne connaissions aucun élément de preuve. Il s'agissait simplement d'allégations générales. Lorsque le tout est terminé, vous restez avec une mauvaise impression lorsque le juge déclare : « Il est tout à fait clair pour moi qu'il existe des motifs raisonnables de croire que vous êtes bien celui que l'on vous accuse d'être. » À titre d'avocat d'un client à qui on refuse toute information du début à la fin, il est très gênant de ne pouvoir prendre connaissance d'aucun des éléments sur lesquels on s'appuie pour en arriver à un tel jugement.

J'ai trouvé par exemple que le modèle utilisé par la Commission Arar était beaucoup plus équitable. Même si nous n'avons pas vu tous les éléments de preuve secrets qui, d'après ce que j'ai appris, constituaient plus de la moitié, voire jusqu'à 80 p. 100 de la preuve, M. Arar et nous-mêmes, ses avocats, savions tout au moins qu'il y avait dans la salle d'audience un intervenant indépendant qui était prêt à faire le nécessaire pour contester la validité des preuves produites par le gouvernement.

Du point de vue de M. Arar et de ceux parmi nous qui l'ont représenté, ce n'était pas nécessairement le processus idéal, mais compte tenu de l'équilibre à obtenir, nous sommes convaincus que c'était beaucoup plus équitable ainsi et je crois que c'est un avis partagé par la population.

Quant à la confiance du public à l'endroit du système, il est important de faire intervenir quelqu'un d'autre, peu importe ce qu'en pensent les juges, car ceux-ci doivent remplir leur mandat de la manière dictée par le Parlement.

Le sénateur Fraser : Si j'ai bien compris, vous proposez que l'on adopte la définition de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. Cette définition se limite essentiellement aux actes destinés à tuer ou à blesser grièvement un civil. Que feriez-vous dans le cas de personnes qui font exploser des lignes de transmission électrique ou des pipelines ou qui se livrent à des actes que nous avons vu certains groupes commettre dans le passé? L'IRA avait l'habitude de poser une bombe dans un édifice avant d'appeler pour dire : « Tout le monde dehors. Nous ne voulons tuer personne, mais nous allons faire exploser votre station de police... ou l'hôtel où votre premier ministre réside. » Ne considéreriez-vous pas qu'il s'agit là aussi d'actes terroristes, ou bien y a-t-il d'autres éléments de cette définition qui m'ont échappé?

M. Waldman : La définition énoncée dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme englobe tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne. Une partie de ces actions seraient donc visées.

Les autres actes que vous avez décrits, comme le fait de poser une bombe, sont des infractions criminelles. Il n'est pas nécessaire de les qualifier d'infractions terroristes. Il s'agit d'infractions criminelles très graves. On pourrait même parler de complot en vue de commettre un meurtre. C'est là l'essentiel. Bon nombre des infractions visées par la définition de terrorisme sont des infractions criminelles de toute façon.

Le sénateur Fraser : Est-il vraiment nécessaire d'avoir une définition de ce qu'est une activité terroriste?

M. Waldman : C'est une excellente question. Bien des gens sont d'avis que ce n'est pas vraiment essentiel, mais dans la mesure où il en existe une, il est important, compte tenu de toutes les conséquences qui en découlent, que cette définition soit bien précise.

Nous appliquons une définition parce que les Nations Unies, par l'entremise du Conseil de sécurité, ont dit que nous devions le faire; alors si c'est notre réponse, nous devons convenir d'une définition. Cette question a été au cœur de nombreux débats. Voilà 30 ans que les Nations Unies essaient de définir le terrorisme sans grand succès. Une réunion est prévue en septembre et on ne semble pas certain de pouvoir en arriver à une définition.

C'est un sujet délicat. D'une part, vous voulez que la définition s'applique aux actes que vous souhaitez cibler. D'autre part, vous ne voulez pas qu'elle ait comme effet secondaire de porter atteinte au droit légitime à la liberté d'expression. Par conséquent, si nous devons avoir une définition, il ne faut pas qu'elle soit trop large de manière à protéger autant que possible les libertés civiles. Les définitions prévues au Code criminel permettent de couvrir les autres actes dont il a été question.

Le président : Si notre comité devait choisir l'option d'un intervenant désintéressé — vous avez cité plusieurs formules à cet égard sous différents gouvernements — y a-t-il une version en particulier que vous jugez préférable?

M. Waldman : Devant la Cour suprême du Canada, nous avons préconisé une solution que nous avons appelée la formule modifiée du conseil spécial. Nous estimons important que l'avocat qui représente les intérêts de la personne pendant l'audience puisse maintenir une relation client-avocat. C'est l'une des questions sur lesquelles la Cour suprême s'est penchée de très près et a beaucoup insisté.

S'il doit y avoir une relation client-avocat, il est important qu'elle soit continue. Nous envisageons un processus où un conseil spécial ayant obtenu la cote de sécurité requise pourrait participer à l'audience sous serment de confidentialité, mais continuerait de communiquer avec le client, pour autant que celui-ci ait signé une renonciation autorisant une telle façon de procéder.

Sinon, plusieurs personnes sont favorables au modèle du CSARS qui fait appel à un avocat indépendant. Le point crucial — et je pense que c'est la raison pour laquelle le modèle britannique a été critiqué — c'est que peu importe la formule retenue, il doit y avoir une possibilité de communication permanente entre la personne qui représente les intérêts de l'intimé lors de l'audience secrète et l'intimé lui-même.

Le président : Lorsque vous indiquez que la Cour suprême a beaucoup insisté sur la question de la pertinence du maintien d'une relation client-avocat, dois-je comprendre que la cour était favorable à cette option ou qu'elle penchait pour votre définition?

M. Waldman : Les juges voulaient absolument obtenir des éclaircissements quant aux points de vue des différents intéressés. Je ne prétends pas savoir ce à quoi ils étaient favorables ou non, mais ils ont posé la question : devrait-il y avoir une relation client-avocat?

Je ne connais absolument pas leur point de vue à ce sujet et je n'oserais pas en présumer. Ce serait inapproprié pour moi de le faire. Ceci étant dit, c'est la principale question à régler.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Waldman?

M. Waldman : L'essentiel, à mon avis, c'est qu'il y ait quelqu'un dans la salle d'audience qui représente les intérêts du public et de la personne inculpée par la preuve secrète.

Comme je l'ai dit, il y a différentes options. L'autre élément important, et je crois que l'Association du Barreau canadien est d'accord à ce sujet, est que la relation client-avocat doit être continue. Il y a deux possibilités. La personne désignée peut être un avocat indépendant qui n'entretiendra pas de relation client-avocat. Cette option offre certains avantages et certains inconvénients. L'autre possibilité est que la personne établisse une relation continue avec l'inculpé. Si vous jugez ce délai raisonnable, je me ferai un plaisir de préparer un rapport d'ici une semaine ou environ pour vous exposer les différentes options avec leurs avantages et leurs inconvénients.

Pour résumer mon point de vue en quelques phrases, je dirais qu'une relation continue est essentielle. Quelqu'un doit participer à l'audience pour représenter les intérêts de l'intimé, et il doit y avoir une relation continue. Quant à savoir si cette personne doit effectivement être avocat, je dirais que c'est préférable, mais je ne crois pas que ce soit aussi crucial que les deux autres facteurs.

Le sénateur Jaffer : Je ne vais pas vous poser d'autres questions maintenant, mais j'en aurais quelques-unes. Puis-je vous les soumettre pour que vous fassiez parvenir vos réponses au comité?

M. Waldman : Certainement.

Le président : Ce serait bien, car nos témoins se sont déjà engagés à se pencher sur ces questions.

Au nom de mes collègues, je veux remercier nos témoins pour leur présence aujourd'hui.

Le comité poursuitses travaux à huis clos.


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