Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste
Fascicule 3 - Quatrième rapport du comité
Le mercredi 28 mars 2007
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste a l'honneur de déposer son
QUATRIÈME RAPPORT
Votre Comité, qui a été autorisé par le Sénat le mardi 2 mai 2006 à procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch. 41), dépose maintenant un rapport intérimaire qui comprend d'autres observations sur certaines questions qu'il a abordées dans son troisième rapport déposé au Sénat le 22 février 2007.
Dans son rapport principal intitulé Justice fondamentale dans des temps exceptionnels, le Comité a indiqué qu'il pourrait présenter un rapport de suivi afin de formuler des commentaires sur les faits nouveaux qui toucheraient la Loi antiterroriste et le cadre de sécurité nationale du Canada à la suite du dépôt du rapport principal au Sénat le 22 février 2007. Le lendemain, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 SCC 9, concernant la constitutionnalité du régime de certificats de sécurité.
Nous constatons que la décision du plus haut tribunal du pays est en grande partie compatible avec les recommandations du Comité quant à la nécessité de nommer un intervenant spécial dans les procédures liées à la lutte contre le terrorisme lorsque des renseignements sont dissimulés à la partie concernée, et à ses recommandations pour un renforcement de l'équité procédurale lorsqu'une personne est détenue et fait l'objet d'une expulsion en vertu d'un certificat de sécurité. La Cour suprême a tout d'abord conclu que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) contrevient de manière injustifiable à la Charte en autorisant la délivrance d'un certificat de sécurité sur la foi de documents secrets, sans prévoir la participation d'un représentant indépendant durant l'examen judiciaire pour protéger les intérêts de la personne désignée (par. 3). Le processus actuel n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale, car il empêche la personne désignée de connaître les allégations et les affirmations invoquées contre elle et, par conséquent, de contester la thèse du gouvernement (par. 65).
La Cour suprême a estimé que des mécanismes conçus au Canada et à l'étranger peuvent faire davantage pour protéger les individus tout en préservant la confidentialité des renseignements sensibles, mais elle laisse au législateur le soin de déterminer précisément les changements et les améliorations à apporter au régime de certificats de sécurité. Le Comité a déjà fait connaître quelques-unes des mesures qu'il juge nécessaires : il réclame notamment l'établissement d'une liste d'avocats possédant une autorisation de sécurité et une expérience adéquate, financés par le gouvernement, sans toutefois être aucunement liés à celui-ci, qui représenteraient les intérêts de la partie concernée ainsi que l'intérêt du public dans les procédures où la divulgation de renseignements est refusée à une partie pour des motifs de sécurité nationale (recommandations 7 et 9 du rapport principal).
Bien que la Cour suprême se soit prononcée sur la constitutionnalité uniquement u régime de certificats de sécurité, nous pressons le gouvernement, comme le recommande notre rapport, de nommer un intervenant spécial dans toutes les procédures où la confidentialité des renseignements empêche une personne de bénéficier d'une défense pleine et entière, notamment dans les situations suivantes : l'examen judiciaire d'une décision d'inscrire une entité terroriste sur une liste en vertu du Code criminel et d'autres régimes d'inscription, l'examen judiciaire d'un certificat ayant pour effet de refuser ou de retirer le statut d'organisme de bienfaisance aux termes de la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité) et les demandes déposées aux termes de la Loi sur la preuve au Canada relativement à la divulgation de renseignements ou à l'annulation d'un certificat délivré par le procureur général du Canada pour interdire la divulgation de renseignements. Compte tenu de l'applicabilité de l'opinion exprimée par la Cour suprême à d'autres procédures antiterroristes, le gouvernement ne devrait certes pas limiter la nomination d'un intervenant spécial aux procédures engagées en vertu de la LIPR.
En outre, nous réitérons notre recommandation no 8, à savoir que l'intervenant spécial puisse communiquer avec la partie visée tout au long de la procédure après avoir pris connaissance des renseignements confidentiels, sous réserve de l'établissement de lignes directrices et de politiques garantissant le secret de ces renseignements et des intérêts de sécurité nationale. Comme le Comité l'a fait auparavant, la Cour suprême critique l'approche du Royaume-Uni qui, en général, empêche les intervenants spéciaux de recevoir les instructions de la partie visée une fois qu'ils ont pris connaissance des documents confidentiels (par. 83).
La deuxième conclusion importante de la Cour suprême est que l'absence de réexamen de la détention des étrangers, avant que ne se soient écoulés 120 jours après la confirmation judiciaire du caractère raisonnable du certificat, porte atteinte de façon injustifiable à la protection contre la détention arbitraire et au droit de faire contrôler promptement la légalité de la détention, garantis par la Charte (par. 91). Le lendemain du jour où le Comité invitait le gouvernement à faire pareil dans sa recommandation no 30, le plus haut tribunal du pays a immédiatement fait inclure les étrangers à l'article 83 de la LIPR de façon qu'ils soient admissibles à un réexamen de leur détention dans un délai de 48 heures.
Par ailleurs, comme dans le cas de la nomination d'intervenants spéciaux, le Comité est allé plus loin que la Cour suprême en recommandant que les motifs de la détention d'un résident permanent ou d'un étranger soient réexaminés non seulement tous les six mois, mais dans un délai de 30 jours suivant le début de la détention et une fois tous les 90 jours par la suite (recommandation 31). Nous espérons que le gouvernement reconnaîtra que la Cour suprême a seulement prévu des protections constitutionnelles minimales et que rien n'empêche le législateur d'adopter d'autres modifications garantissant une application régulière de la loi lorsque des individus sont privés de leur liberté. La même logique s'applique à la recommandation no 33 du Comité : même si la Cour suprême n'a pas conclu que la décision du juge au sujet du caractère raisonnable d'un certificat de sécurité devrait être susceptible d'appel, elle nous rappelle que les droits d'appel peuvent constituer d'autres garanties procédurales (par. 59).
Les questions que le Comité a soulevées dans le chapitre de son rapport principal portant sur la détention et l'expulsion en vertu d'un certificat de sécurité n'ont pas été considérées par la Cour suprême. Nous exhortons néanmoins le gouvernement à tenir compte de nos recommandations lorsque viendra le temps d'apporter les modifications requises à la loi d'ici un an à compter de la date du jugement. En plus de mettre en place un réseau d'intervenants spéciaux d'ici février 2008 et de permettre dès maintenant de procéder à des réexamens plus fréquents de la détention, le gouvernement doit proposer des modifications à la LIPR et aux politiques connexes de sorte que tout élément de preuve soit digne de foi avant d'être admis par le juge qui examine un certificat de sécurité (recommandation 32), qu'une personne faisant l'objet d'un certificat de sécurité ne puisse jamais être renvoyée dans un pays où elle pourrait être torturée (recommandation 34), et que soient acceptées des garanties diplomatiques qu'une personne ne fera pas l'objet de torture seulement s'il existe des mesures efficaces permettant d'assurer un suivi de son retour (recommandation 35). Sans s'être prononcée sur ces questions, la Cour suprême a tout de même relevé les risques que les renseignements ne soient pas fiables (par. 63), et elle a reconnu que l'expulsion vers la torture demeure possible, du moins en théorie (par. 7).
Enfin, la déclaration de la Cour suprême voulant que le Canada ne soit pas le seul pays aux prises avec le problème de la détention dans un contexte d'immigration où l'expulsion est difficile ou impossible (par. 124) a rappelé au Comité le bien-fondé de ses recommandations no 36 et 37, qui exhortent le gouvernement à susciter une réflexion au sein de la communauté internationale sur la manière appropriée de traiter les terroristes présumés ou reconnus afin de contrer la menace mondiale à la sécurité et de remplacer, au moment opportun, la détention indéfinie en vertu d'une loi nationale sur l'immigration par un processus pénal qui autoriserait la personne à répondre des faits qui lui sont reprochés.
En bref, le Comité accueille favorablement la décision de la Cour suprême en ce qui a trait au régime de certificats de sécurité, ses conclusions étant compatibles avec bon nombre de ses propres recommandations. En même temps, nous incitons le gouvernement et le Parlement à aller au-delà des exigences du jugement de la Cour suprême. Compte tenu de la polémique qui a entouré le projet de prorogation des dispositions de la Loi antiterroriste concernant les audiences d'investigation et les arrestations préventives, le Comité croit que le fait d'envisager de modifier nos lois d'une manière fragmentée à partir de questions, de dispositions ou de décisions prises isolément peut aller à l'encontre du but recherché. Dans la mesure du possible, il est préférable d'envisager une réforme de la législation terroriste dans son ensemble. La décision de la Cour suprême, d'autres affaires récentes (comme celles portant sur la définition d'activité terroriste dans le Code criminel ou encore sur l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information), les recommandations de la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, et le rapport principal du Comité donnent maintenant au gouvernement un encadrement suffisant pour apporter des changements à l'ensemble du cadre antiterroriste et du cadre de sécurité nationale du Canada. Nous espérons également que, lors de la préparation d'une législation qui respecte les exigences de la Cour suprême, le gouvernement en profitera pour examiner les recommandations faites par le Comité dans le cadre de son examen général des dispositions et du fonctionnement de la Loi antiterroriste et y donner suite.
Respectueusement soumis,
Le président,
DAVID P. SMITH, C.P.