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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 2 - Témoignages du 17 mai 2006


OTTAWA, le mercredi 17 mai 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, chap. 17), conformément à l'article 72 de ladite loi.

Le sénateur W. David Angus (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour et bienvenue à cette séance. Je suis le sénateur David Angus. Je viens du Québec et je suis le vice-président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Le sénateur Grafstein, président du comité, est retenu à l'extérieur du pays par des affaires importantes.

Le Sénat a demandé au comité d'examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — chapitre 17 des Lois du Canada 2000 —, conformément à l'article 72 de ladite loi. Il faut effectuer un examen parlementaire de l'administration et de l'application de la loi cinq ans après l'entrée en vigueur de cet article. Le texte de loi qui a précédé celui-ci ayant été examiné par le Comité sénatorial des banques et du commerce en 2000, le moment est venu pour le Parlement d'effectuer l'examen quinquennal prescrit.

Notre comité soutient depuis fort longtemps l'examen parlementaire des lois portant sur les services financiers. Nous sommes des législateurs. Il est donc essentiel que nous vérifions que la loi s'applique de la façon dont le Parlement l'avait prévu et envisagé. Le Canada est solidaire des autres pays dans les efforts déployés pour rendre le monde plus sûr. Il est donc important que nous nous assurions que le régime législatif canadien adopté pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes répond non seulement à nos besoins nationaux mais également à ceux de nos partenaires internationaux.

L'examen effectué par le comité commencera par les témoignages des fonctionnaires du ministère des Finances et des représentants du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE. Nous accueillons Mme Diane Lafleur, Mme Lynn Hemmings, M. Dan Hermosa et M. Yvon Carrière.

Madame Lafleur, vous avez la parole.

Diane Lafleur, directrice, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : C'est toujours avec plaisir que je comparais devant votre comité. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'aborder avec vous une question d'une telle importance.

Je crois que vous avez reçu un exemplaire de l'exposé que nous avons apporté et au sujet duquel j'ai préparé des observations. Monsieur le président, je m'en remets à vous pour déterminer les modalités. Je peux vous faire part de mes commentaires ou je peux répondre à vos questions dès maintenant.

Le vice-président : Madame Lafleur, j'ai lu le résumé du document de consultation. Si vous pouviez mettre le tout en perspective, cela serait utile non seulement aux sénateurs mais également à ceux qui regardent la séance d'aujourd'hui. Nous pourrons ainsi être mis au courant des faits saillants, de ce qui a bien fonctionné et des lacunes pendant la période d'application de la Loi, ainsi que des résultats des consultations menées.

Mme Lafleur : Mon exposé vise à faire le point sur les mesures prises pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans le cadre de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. J'espère que notre exposé vous éclairera et vous aidera au fur et à mesure de vos travaux.

Même s'il est difficile de mesurer le coût exact des crimes associés au blanchiment de l'argent, notamment la fraude, le détournement de fonds, le trafic de stupéfiants et le commerce des armes, les données non vérifiées foisonnent quant aux conséquences préjudiciables de ces crimes. Ce qui saute davantage aux yeux, ce sont les pertes de vie et la destruction énormes qu'entraînent les actes terroristes. Ne pas lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent peut entraîner des coûts économiques et sociaux importants pour un pays et pour sa réputation internationale. Le système financier est particulièrement susceptible d'être utilisé par les criminels pour dissimuler ces crimes

Les différents établissements financiers encourent plusieurs risques, notamment par rapport à leur réputation qui peut être ternie par la mauvaise publicité sur leurs pratiques et associations commerciales, par rapport à leurs opérations qui peuvent être perturbées par des défaillances dans les processus et les systèmes et par rapport aux poursuites juridiques possibles.

[Français]

Le Groupe d'action Financière est l'organisme international dont le but est de développer et de promouvoir les politiques nationales et internationales visant à lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement des actes terroristes. Fondé en 1989, il s'efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour réformer les lois et les règlements dans les domaines de son expertise.

Afin de réaliser cet objectif, le GAFI a publié 40 recommandations au sujet des blanchements de capitaux et neuf recommandations spéciales au sujet du financement des actes terroristes. Ces recommandations ont été révisées en 2003.

Le GAFI travaille en étroite collaboration avec des organismes régionaux, tel le Groupe d'action financière des Caraïbes, afin de promouvoir la mise en œuvre globale des normes.

Pour ce faire, il se fit à un processus d'évaluation mutuelle des pays membres. Le régime canadien sera de nouveau évalué par rapport aux normes révisées durant la première moitié de 2007.

[Traduction]

Le Canada a été un membre fondateur du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, le GAFI et a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de normes internationales. Le Canada assurera la présidence du GAFI pour une période de 12 mois à compter de juillet 2006.

Le régime canadien se base sur une initiative horizontale qui met à contribution plusieurs ministères et organismes pour donner un cadre homogène. Les principaux éléments de ce régime ont été établis initialement dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité. À la suite des événements du 11 septembre 2001, la loi a été modifiée en décembre 2001 pour englober le financement des activités terroristes. Elle exige entre autres que les établissements financiers et les autres intermédiaires financiers satisfassent aux normes en matière d'identification des clients et de tenue de documents et qu'ils déclarent les opérations douteuses et importantes en espèces ainsi que les mouvements transfrontaliers d'espèces. Toute exportation ou importation de devises supérieure à 10,000 $ doit être signalée aux autorités douanières.

La loi a créé le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Le CANAFE est l'unité du renseignement financier du Canada, l'URF. Il reçoit les rapports exigés en vertu de la mesure législative, les analyse en vue de déterminer les renseignements se rapportant au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme, transmet aux organismes canadiens d'application de la loi des renseignements signalétiques importants et fait en sorte que la loi soit respectée.

[Français]

Je sais que mes collègues de CANAFE seront ici demain pour répondre à vos questions. Je ne m'étendrai donc pas sur ce sujet.

CANAFE reçoit présentement des rapports de transactions d'un vaste éventail d'institutions et d'intermédiaires financiers, dont les banques, les coopératives de crédit et caisses populaires, les sociétés de fiducie et de prêts, les courtiers en valeurs mobilières, les sociétés représentant l'assurance vie, les courtiers et agents immobiliers, les comptables et cabinets d'expertise comptable, les entreprises de transfert de fonds, les cambistes et les casinos.

[Traduction]

Le régime canadien a fait l'objet de diverses vérifications et évaluations au cours des deux dernières années. La vérificatrice générale a exécuté une vérification de l'optimisation des ressources en 2004 et, à la demande du Conseil du Trésor, Les Associés de recherche EKOS ont effectué une évaluation au cours de la même année. Les résultats de ces deux exercices étaient similaires, et leurs conclusions dégageaient que les activités entreprises dans le cadre de cette initiative sont conformes aux normes internationales et aux priorités du gouvernement fédéral, particulièrement en ce qui concerne la protection des renseignements personnels et du système financier canadien.

D'après les évaluations, il est encore trop tôt pour dégager des résultats concluants, étant donné surtout qu'il faut beaucoup de temps pour recueillir des preuves, du signalement de renseignements par le CANAFE aux enquêteurs à l'engagement de poursuites. Il a été établi que le genre de renseignements que le CANAFE pourrait inclure dans l'information qu'il transmet aux organismes d'application de la loi et du renseignement pourrait parfois en restreindre l'utilité. EKOS a recommandé d'améliorer la coordination entre les ministères et les organismes fédéraux et de renforcer la façon de mesurer le rendement pour l'ensemble de l'initiative. Des pressions financières ont été signalées dans le rapport d'EKOS.

[Français]

Le gouvernement a rendu public un document de consultation en juin 2005. Ce document visait à expliquer les propositions du gouvernement en vue de mettre le régime à jour. Le document vise à satisfaire plusieurs grandes exigences, y compris le besoin, pour le Canada, de s'acquitter de ses obligations internationales au sein du GAFI, la nécessité de tenir compte des préoccupations et des recommandations de la vérificatrice générale ainsi que la nécessité de tenir compte des préoccupations des diverses parties prenantes.

[Traduction]

Environ 50 propositions ont été reçues, et la plupart peuvent être consultées sur le site Web du ministère des Finances. Dans l'ensemble, on dit appuyer l'esprit général de ce qui est proposé dans le document. Par exemple, on a recommandé d'établir un régime d'enregistrement des entreprises de transfert de fonds, et la création d'un comité consultatif a été considérée comme un élément positif par l'industrie. Cependant, on a fait remarquer que la mise en œuvre de certaines propositions engendrera des problèmes. Le ministère collabore étroitement avec l'industrie pour s'attaquer à ces problèmes et minimiser le plus possible les contraintes découlant de l'application.

Le régime canadien fera l'objet d'une évaluation par le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux au début de 2007, en fonction des normes modifiées de 2003. Il est primordial que nous disposions de la nouvelle loi et du nouveau règlement avant le début de cette évaluation afin qu'on puisse tenir compte de ces normes modifiées. À cette fin, nous attendons avec impatience les recommandations du comité en ce qui concerne la suite de notre travail.

[Français]

Merci, monsieur le président. Il me fera plaisir de répondre à toutes questions que vous pourriez avoir.

[Traduction]

Le vice-président : Merci, madame Lafleur. Je cède la parole au sénateur Moore, de Halifax, qui entamera les questions.

Le sénateur Moore : Où le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux se trouve-t-il?

Mme Lafleur : Il se trouve à Paris, où il partage des locaux avec l'OCDE.

Le sénateur Moore : Vous dites que le Canada est membre du CANAFE.

Mme Lafleur : Nous sommes un des membres fondateurs. Le centre a été créé en 1989 par le G7. Le Canada est également un des membres fondateurs du GAFI.

Le sénateur Moore : Madame Lafleur, vous avez fait allusion à une recommandation visant à établir un régime d'enregistrement des entreprises de transfert de fonds, principalement dans le secteur des prêts à très court terme. Est- ce envisagé dans la Loi?

Mme Lafleur : Sénateur, bien des entreprises de transfert de fonds sont visées. Par exemple, la Western Union est considérée comme une telle entreprise parce qu'elle transfert des fonds au Canada et à l'extérieur de celui-ci. La recommandation englobe beaucoup plus que les entreprises de prêts à très court terme.

Le sénateur Moore : Si je comprends bien, il y a une loi qui est en vigueur et en vertu de laquelle les provinces régissent ces types d'entreprise par l'intermédiaire d'un système de permis. Comment cela cadre-t-il avec les recommandations?

Mme Lafleur : Il y a deux séries d'exigences. Je suis à l'aise pour vous parler des exigences de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. En vertu de cette loi, les entreprises de transfert de fonds doivent signaler au CANAFE les transactions au comptant douteuses. Le régime provincial porte sur des mesures de protection des consommateurs et est assez distinct de ce qui est prévu dans la loi fédérale.

Le sénateur Moore : Le rapport propose notamment d'augmenter les moyens du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, en fonction de la situation dans les autres pays où les unités du renseignement financier communiquent généralement plus de renseignements sur les opérations financières douteuses à leurs organismes d'application de la loi et du renseignement. Pourriez-vous nous en dire plus à cet égard et nous indiquer où nous en sommes rendus au Canada? Quels renseignements supplémentaires faudrait-il transmettre et pouvons-nous les obtenir, compte tenu de nos lois?

Mme Lafleur : La vérificatrice générale a établi que, le CANAFE étant restreint quant au genre d'information qu'il peut communiquer aux organismes d'application de la loi en raison des questions liées à la protection des renseignements personnels, les organismes d'application de la loi ne sont pas en mesure de déterminer s'ils peuvent y donner suite.

Dans notre document de consultation, nous proposons d'augmenter la liste des renseignements que le CANAFE pourrait divulguer. Par exemple, nous pourrions envisager la divulgation de numéros de téléphone ou de renseignements non vérifiés provenant de sources ouvertes comme ce qui est rapporté dans les médias, ou encore de renseignements sur les relations entre les différentes parties à une opération financière.

Nous avons formulé plusieurs propositions susceptibles de permettre aux organismes d'application de la loi de déterminer s'ils poursuivront l'enquête. Nous nous penchons sur sa situation à l'heure actuelle pour établir ce que nous pourrions faire et ne pas faire tout en nous assurant de toujours protéger le droit à la vie privée.

Le sénateur Moore : Compte tenu de l'expérience dans les autres pays, avons-nous parcouru 85 p. 100, 90 p. 100 ou 95 p. 100 du chemin? Vous manque-t-il beaucoup de renseignements?

Mme Lafleur : Les organismes d'application de la loi et je crois comprendre que des représentants de la GRC comparaîtront devant vous — seront en mesure de préciser ce qui leur est utile ou inutile. Dans le cadre de cette initiative, nous travaillons de concert pour apporter les modifications nécessaires afin d'améliorer l'efficacité du régime.

Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question de 85 ou de 90 p. 100. Les normes du GAFI ne précisent pas exactement ce que l'unité du renseignement financier devrait divulguer à l'organisme d'application de la loi et ce qui devrait être exclu. Elles ne vont pas jusque-là. Elles établissent que l'unité du renseignement financier devrait collecter les renseignements, les analyser et les communiquer au besoin.

Le sénateur Goldstein : Les renseignements restreints que vous êtes autorisés à communiquer sont énoncés dans la Loi. Vous êtes autorisés à transmettre des renseignements supplémentaires lorsqu'une ordonnance d'un tribunal l'exige, c'est-à-dire lorsqu'un n'organisme d'application de la loi en obtient une.

Mme Lafleur : Je demanderai à M. Carrière de vous expliquer en détail l'ordonnance de production.

Le sénateur Goldstein : J'attendrai parce que ma question porte sur cet aspect, à cause de la question du sénateur Moore.

Le sénateur Meighen : À la diapositive 10, je remarque que la mise en œuvre de certaines propositions entraîne des problèmes et que vous collaborez avec les intéressés pour alléger au maximum le fardeau de l'application de la loi. Pouvez-vous nous indiquer les propositions qui font problème? Quand prévoyez-vous que le tout sera réglé?

Mme Lafleur : Dès que vous demandez à des institutions, soit de modifier, soit d'ajouter une pratique quelconque, la mise en œuvre pose un défi. Nous essayons de travailler avec les secteurs qui sont visés par le régime, de voir où nous pouvons greffer ce que nous proposons à des pratiques existantes et exploiter leurs méthodes habituelles comme véhicule pour ajouter quelque chose.

Par exemple, selon les normes, en plus de faire preuve d'une diligence raisonnable pour connaître votre client, vous devriez le faire continuellement et mettre à jour régulièrement vos dossiers de manière à vous assurer de toujours faire affaire avec la même personne, et de connaître cette personne.

Nous demandons aux institutions si, dans le cours normal de leurs activités, elles cherchent à s'informer sur leurs clients ou à faire un envoi postal régulier qui pourrait ajouter quelque chose à cet envoi postal pour minimiser leurs coûts. C'est-à-dire, au lieu d'un envoi distinct, tirer parti de celui qui doit déjà se faire.

Le sénateur Meighen : C'est un processus continu, et probablement pas ce qui fait toute la différence.

Mme Lafleur : C'est un processus coopératif et continu aussi. Les secteurs qui sont visés par ces mesures législatives sont les experts de leur propre domaine; nous ne le sommes pas. Nous devons tirer parti de leur savoir et de leur expérience collective, en retenir des leçons et tenter d'adapter les normes et les exigences de manière à ce qu'elles aient du sens pour eux. On ne voudrait pas se retrouver à instaurer des normes que le secteur ne peut pas administrer. Il est important de comprendre l'entreprise et de travailler avec elle pour appliquer les normes.

Le sénateur Meighen : Comment mesurez-vous les progrès réalisés? C'est-à-dire, est-ce que cette loi a les effets escomptés?

Mme Lafleur : Il est très difficile d'avoir des mesures concrètes. Une façon de mesurer serait de regarder des chiffres comme les poursuites, le nombre d'accusations qui ont été portées, et le nombre de divulgations par le CANAFE.

Il faut aussi songer à la position du Canada dans le monde et dans la lutte mondiale contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Notre réputation internationale se passe fort bien de commentaires, et le fait que nous assumions la présidence du GAFI en juillet témoigne de notre leadership dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

L'argent est très mobile, et il ira vers le point de moindre résistance, alors l'objectif est de faire du système canadien un environnement aussi hostile que possible.

Le sénateur Meighen : Est-il important de faire que le système canadien soit aussi hostile que possible et qu'il concorde avec les systèmes en place dans d'autres pays?

Mme Lafleur : Absolument. C'est pourquoi le GAFI travaille avec plusieurs organes régionaux pour essayer de faire en sorte que les mêmes normes soient appliquées à l'échelle mondiale. Trente-neuf pays seulement sont membres du GAFI, mais par le biais de ces organes régionaux, nous nous efforçons d'assurer l'application des normes à l'échelle mondiale, et de manière uniforme.

Le sénateur Meighen : Et y parvenons-nous?

Mme Lafleur : Le processus d'évaluation mutuelle a commencé il y a environ deux ans, et dans cet intervalle, sept ou huit pays ont subi l'évaluation. Plusieurs pays font l'objet du même type d'évaluation par les organes régionaux, et la plupart de ces rapports, ou leurs résumés, sont publiés. C'est surtout pour asseoir leur réputation que ces pays veulent s'assurer de respecter les normes. Tous les pays sont évalués à la lumière des 49 recommandations, et il y a une échelle graduée d'observation des normes. Tout le monde veut obtenir la note de l'observation parfaite.

Le sénateur Meighen : Est-ce que des compétences étrangères ont été consultées, relativement à ce document de consultation? Est-ce qu'on leur a demandé leur avis?

Mme Lafleur : Le document était dans le site Web, mais je ne crois pas que nous ayons reçu de commentaires d'autres pays.

Le sénateur Meighen : Si un organisme étranger avait voulu dire « mais enfin, si vous faites ceci, cela nous causera des problèmes parce que nous avons une méthode différente », il pouvait le faire par le biais du site Web?

Mme Lafleur : Oui.

Le sénateur Meighen : S'ils avaient voulu faire des commentaires, ils en avaient la possibilité.

Mme Lafleur : Oui, et nous les aurions pris en compte.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Meighen, mais peut-être en jouant davantage l'avocat du diable, bien que je ne sois pas avocat.

C'est tellement important toutes ces questions de terrorisme et de blanchiment d'argent pour la crédibilité de notre système d'affaires et de notre système financier, et ce pour les transactions de toutes sortes et afin qu'on fasse bien notre travail.

Mon point de départ est un peu négatif. J'ai l'impression qu'au Canada on est gentils et dociles et que cette attitude contribue à minimiser ces transactions. Comme homme d'affaire qui voit plusieurs transactions douteuses — on ne connaît pas la vérité — je suis loin d'être convaincu qu'on en attrape un bon pourcentage.

Comment peut-on être certain de faire notre travail? On constate qu'il y a de nombreuses entreprises non rentables, mais qui sont en affaires pendant des années ; il y a évidemment là quelque chose qui ne fonctionne pas. Quelle est votre réaction?

Nous avons récemment entendu la GRC admettre qu'ils n'ont pas les ressources, les moyens financiers ou la main- d'œuvre nécessaires pour combattre la mafia et le blanchiment d'argent.

J'ai l'impression qu'on passe beaucoup de temps à rédiger des projets de loi; on a beaucoup de personnel travaillant sur des projets de loi mais, sur le terrain, je n'ai pas l'impression qu'on gagne la bataille.

Mme Lafleur : Je pense qu'il est important de garder en tête que le système est basé sur une évaluation des risques essentiellement, à savoir quels sont les secteurs et les industries où il existe le plus grand risque.

En 2003, quand les standards ont été haussés, on a identifié des nouveaux risques. Parce que lorsqu'on ferme une porte, il y en a souvent une autre qui s'ouvre. Une des choses proposées dans le document de consultation est d'élargir l'application du régime pour couvrir de nouveaux secteurs.

Par exemple, l'industrie des bijoux et des pierres précieuses; et l'industrie comptable qui, parfois, agissent en tant qu'intermédiaires financiers et participent à des transactions. Il y aura de nouveaux secteurs qui vont maintenant être couverts, justement pour essayer de fermer ces portes. Mais il faut vraiment observer où sont les risques dans le système et essayer de mettre l'accent là où il y a le plus de vulnérabilité.

Pour ce qui est des questions de financement et de ressources, je note que le budget déposé il y a quelques semaines allouait 64 millions de dollars sur deux ans pour rehausser les ressources dans ce domaine. Il y a une partie de ces fonds qui iront à la GRC.

Le sénateur Massicotte : Est-ce suffisant pour satisfaire nos objectifs?

Mme Lafleur : Nous pensons que pour le moment cela va permettre de rencontrer les objectifs. Je ne veux pas parler au nom de la GRC, car je sais qu'ils seront ici pour témoigner, mais nous croyons que, selon les pressions et les évaluations faites dans le passé par la vérificatrice générale et par Ekos, nous ciblons les pressions financières existantes.

Le sénateur Massicotte : Mais le point de départ, c'est de connaître son client comme vous l'avez dit tantôt. Si le banquier ou le comptable connaît son client, on espère minimiser ces transactions.

C'est toutefois une hypothèse très forte parce que même dans votre rapport on parle de transactions avec d'autres pays. On demande, par exemple, aux banques de vérifier que le système de connaissance du client dans les autres pays est correct et crédible. Il y a peut-être des situations où des gens représentant la mafia possèdent des entreprises rentables, profitables, très dominantes. Je suis certain que le banquier le connaît très bien, mais ne connaît toutefois pas son historique. Ce point de départ n'est donc pas très fort.

Mme Lafleur : Selon les normes, si un banquier connaît son client et connaît quelles sont les sources légitimes des revenus de son client et voit qu'il y a quelque chose qui ne s'additionne pas, normalement il devrait faire plus d'enquêtes sur la source de revenus et essayer d'approfondir la situation. Au minimum, s'il y a une transaction qui semble un peu douteuse, elle devrait être déclarée au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

Le sénateur Massicotte : Concernant le rapport reçu, je vois deux commentaires. On identifie dans la législation courante les comptables, les banquiers, les courtiers d'assurance, et cetera. Mais on ne nomme pas les avocats. Je sais qu'il y a eu des débats dans les journaux récemment à ce sujet, depuis un an ou deux, et je sais qu'une des recommandations a été d'inclure les avocats dans la législation.

Je dirais, en tant qu'homme d'affaires, que c'est bien plus souvent l'avocat qui va représenter le client dans une transaction qu'un expert-comptable ou un courtier d'assurance. Je pense qu'il y a une faille importante dans ce sens.

Cependant, je note qu'on remarque un risque plus élevé sur les gens politiquement informés. C'est peut-être très valable dans d'autres pays car il y a des pays certainement beaucoup plus corrompus que le Canada — et on peut être fier de notre pays dans ce sens — mais pourriez-vous commenter ces deux exceptions et ces deux points de vue et inclure ou exclure ces deux catégories de gens dans votre évaluation du risque?

[Traduction]

Le vice-président : Je pense que vous constaterez que les avocats étaient visés dans le projet de loi original. Nous avons entendu des témoignages, à ce comité, selon lesquels il y avait un risque d'interférence dans la relation entre l'avocat et le client, mais le gouvernement de l'époque insistait pour aller de l'avant avec la loi telle qu'elle était libellée. Je suis sûr que le témoin nous dira volontiers ce qui s'est passé.

Mme Lafleur : La profession juridique a réussi à obtenir une injonction, et nous, en tant que gouvernement, avons décidé, pour l'instant, d'exclure la profession juridique du régime et d'entreprendre des négociations avec la profession, relativement à un régime de remplacement qui serait acceptable pour tout le monde. Ces négociations se poursuivent. La profession a adopté certaines mesures, de son propre chef, mais selon nous, ces mesures ne respectent pas tout à fait les normes internationales qui veulent, par exemple, que les lois ou règlements de chaque gouvernement membre comportent des exigences relativement à l'identification du client et à la tenue de registres. Bien entendu, il y a des exigences quant aux transactions mettant en cause de vastes sommes, et cetera.

Comme je l'ai dit, les discussions se poursuivent avec la profession juridique. Nous comprenons que notre régime comporte une grande lacune. Il est certain que la vérificatrice générale l'a remarquée et a insisté là-dessus. Bien des données anecdotiques, que diffusent les médias, et que comportent des typologies qu'effectue le GAFI, donnent à penser que la profession juridique peut être vulnérable aux abus.

En ce qui concerne les personnes politiquement exposées, nous avons affaire à deux standards. Il y a celui le du GAFI, qui dit qu'il faut des critères encore plus élevés de diligence raisonnable pour les étrangers qui sont politiquement exposés. La Convention des Nations Unies contre la corruption, qui dit que nous devrions faire preuve de vigilance, tant à l'égard des étrangers que des concitoyens qui sont politiquement exposés. C'est une recommandation qu'il est difficile aux pays membres d'adopter et d'appliquer. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'industrie pour essayer de trouver une solution qui soit réalisable et qui ne soit pas trop onéreuse. Nous espérons pouvoir fournir des conseils pour que tout le monde connaisse les règles et respecte nos obligations internationales.

Le sénateur Tkachuk : Le document de consultation du ministère des Finances parle de lacunes du cadre de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Les objectifs du ministère comprennent l'observation, la surveillance et l'application.

Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de lacune? Comment peut-on combler ces lacunes avant que des modifications soient apportées à la loi?

Mme Lafleur : Est-ce que vous parlez d'une proposition particulière dans le document de consultation?

Le sénateur Tkachuk : Ils ont reconnu une lacune, mais qu'entendez-vous par lacune?

Mme Lafleur : Les avocats sont une faille dans le régime. C'est cela que nous considérons une lacune.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce la seule?

Mme Lafleur : Le GAFI exige que les entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables, par exemple, les Western Union de ce monde, soient détentrices d'un permis ou d'une licence. Nous sommes en train de créer un système d'enregistrement pour ce genre d'entreprises.

Un autre aspect était celui des déclarations de transactions douteuses, quand une transaction était amorcée, mais pour une raison quelconque, n'était pas achevée et paraissait douteuse. Nous disons que ces transactions devraient être déclarées, elles aussi.

Le sénateur Tkachuk : Nous nous sommes beaucoup inquiétés de protection de la vie privée quand nous avons discuté de la loi d'origine en comité. Qu'entendez-vous pas « tentatives de transactions douteuses »? Pourriez-vous décrire ce qui arriverait et comment ce serait déclaré?

Mme Lafleur : Une personne pourrait aller à une institution financière demander à faire un virement électronique de fonds dans un compte situé à l'étranger. L'employé de l'institution financière répond que pour faire le virement, il faut fournir certains renseignements personnels. Le client peut devenir nerveux et refuser de fournir des pièces d'identité, par exemple, et choisir de ne pas exécuter la transaction. Cela pourrait paraître douteux à l'employé de l'institution financière. Pourquoi le client ne voulait-il pas fournir de preuve d'identité? L'employé de l'institution financière pourrait, à sa discrétion, décider de déclarer cette transaction incomplète.

Le sénateur Tkachuk : Comment protégez-vous la personne qui n'a rien fait de mal, même si elle y a pensé? Quelle preuve pourrait-il y avoir? De nos jours, quand tout le monde demande le numéro d'assurance sociale, les citoyens — dont j'ai déjà été — hésitent à fournir tous ces renseignements que tout le monde demande parce que, en soi, ce pourrait être dangereux.

Quelqu'un peut refuser de fournir ces renseignements. Dans ce cas, est-ce que vous déclarez cette personne?

Mme Lafleur : Dans ce cas, très peu de renseignements ont été fournis à l'institution financière. Le rapport ne comporterait aucun renseignement qui n'a pas été fourni, puisqu'il n'a pas été fourni.

Le fait qu'un rapport est transmis par une entité au CANAFE ne signifie pas nécessairement qu'il y a eu acte criminel. Cela veut tout simplement dire qu'il répond aux critères prescrits de quelque chose qui devrait être déclaré.

Il en est de même des transactions de grosses sommes. Le seul fait de déposer 10 000 $ dans une institution financière ne signifie pas qu'on ait participé à une activité criminelle, mais c'est le seuil qui a été établi pour la présentation de rapports. Cela ne veut pas nécessairement dire qu'une enquête sera faite sur vous. Ce sera un élément de l'analyse du CANAFE, qui déterminera s'il y a des motifs de soupçonner qu'il y a blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes.

Le sénateur Eyton : Je suis curieux de savoir comment est tenue cette liste. Est-ce que cela veut dire qu'au sein de votre organisation et d'organismes internationaux comparables, vous partagez des renseignements, et que vous avez une espèce de liste de signal de noms d'institutions ou de personnes suspectes? Est-ce que quelqu'un tient ce genre de liste?

Mme Lafleur : Je devrais préciser que le ministère des Finances n'a accès à aucun de ces renseignements. Les données vont au CANAFE.

Le sénateur Eyton : Il doit bien exister une liste quelconque, n'est-ce pas? Une fois qu'on y est inscrit, comment peut- on s'en sortir? Je m'inquiète pour mon ami, ici.

Yvon Carrière, avocat-conseil, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ministère des Finances du Canada : J'aimerais préciser que les représentants du CANAFE doivent venir témoigner demain. Ils pourront mieux vous renseigner sur le sujet.

Le CANAFE ne tient pas de liste de personnes ou d'entités suspectes. Le CANAFE reçoit ces rapports de diverses sources, par exemple, des renseignements fournis volontairement par des organismes d'application de la loi ou divers organismes de renseignement. Il a accès à des bases de données entretenues à des fins d'application de la loi et de sécurité nationale, et il analyse des rapports à la lumière de toutes les sources de données pour déterminer s'il y a motif raisonnable de soupçonner que les renseignements ont un rapport avec une enquête ou des poursuites relativement à un délit de blanchiment d'argent.

S'il parvient à cette conclusion, le CANAFE divulgue les renseignements désignés, des renseignements clés d'identification relativement à la transaction — où elle est survenue, qui l'a effectuée — à l'organisme pertinent d'application de la loi, l'organisme policier ou, si c'est en rapport avec des menaces, au SCRS.

Il n'y a pas de liste à laquelle nous pourrions comparer certaines transactions pour voir si elles sont liées à un groupe terroriste. Des entités financières, comme les banques, les compagnies de fiducie, et cetera, créent la liste de terroristes en vertu du Code criminel et du Règlement des Nations Unies sur la suppression du terrorisme. Les entités déclarantes peuvent vérifier si leurs clients sont sur cette liste. Le Code criminel exige qu'elles présentent un rapport d'après cette liste.

Le CANAFE n'a pas de liste particulière d'entités sur lesquelles elles doivent présenter des rapports si elles font certaines transactions.

Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'il ne devrait pas faire des recherches par ordinateur pour voir si un tel nom a surgi une dizaine de fois la semaine dernière? Il me semble que c'est une forme de liste.

M. Carrière : Voulez-vous dire s'il y a des rapports financiers de diverses entités?

Le sénateur Massicotte : Je veux dire d'une personne ou d'une entité.

M. Carrière : Si quelqu'un fait une transaction qui semble suspecte, les responsables des institutions financières signalent cette personne au CANAFE.

Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'ils font un rapport pour dire que c'est arrivé plusieurs fois?

M. Carrière : Oui.

Le sénateur Massicotte : Ce n'est pas une liste noire permanente, mais l'ordinateur peut facilement calculer le nombre de transactions par personne ou par entité.

M. Carrière : Le CANAFE ne se fie pas qu'aux rapports de transactions douteuses, et il analyse les rapports de transactions de grosses sommes, les rapports de transferts électroniques de fonds, les bases de données entretenues à des fins d'application de la loi et les bases de données commerciales. D'après les données recueillies de ces diverses sources, le CANAFE conclut s'il y a ou non soupçon de blanchiment d'argent.

Le sénateur Massicotte : Tous les Canadiens, sauf les avocats.

M. Carrière : Les entités déclarantes peuvent déclarer des transactions qu'ont effectuées des avocats. Les avocats eux-mêmes ne feraient pas de telles déclarations en vertu du présent régime.

Le sénateur Tkachuk : Quand vous parlez de tentative de transaction douteuse, on dit qu'il suffit de modifier le Règlement. Est-ce qu'il ne faudrait pas une modification à la loi elle-même?

Mme Lafleur : Plusieurs propositions pourraient être réalisées, parce que le pouvoir de réglementation existe déjà.

Lynn Hemmings, directrice de projet principale, Crimes financiers — domestique, ministère de Finances du Canada : Ceci exigerait une modification législative.

Le sénateur Tkachuk : Ce ne serait pas une infraction aux lois relatives à protection des renseignements personnels que d'inclure les tentatives de transactions.

Mme Lafleur : Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues du ministère de la Justice pour nous assurer de n'enfreindre aucune loi relative à la protection des renseignements. Ils sont plus en mesure que moi de répondre à cette question.

Le sénateur Tkachuk : Qu'arrive-t-il à ces listes? Est-ce qu'elles sont détruites chaque année, ou tous les deux ans?

Mme Lafleur : Je ne pense pas avoir les compétences pour répondre à aucune question qui concerne les activités du CANAFE. Je pense qu'il vaudrait mieux laisser mes collègues du CANAFE répondre à ces questions demain.

Le sénateur Tkachuk : De qui relève le CANAFE?

Mme Lafleur : Le CANAFE relève du Parlement par le biais du ministre des Finances. C'est un organisme indépendant. Nous ne participons pas aux activités courantes du CANAFE et nous n'avons pas accès aux renseignements qu'il détient.

M. Carrière : La loi, telle qu'elle est maintenant, exige que le CANAFE détruise tout rapport cinq ans après la date où il l'a reçu. Cela s'applique aussi à tout renseignement que le CANAFE a recueilli. La loi stipule aussi que tout renseignement qui a été divulgué à des organismes d'application de la loi, parce que le CANAFE aura conclut qu'il y avait des motifs raisonnables de supposer qu'il pourrait être utile à une enquête ou à des poursuites, doit être détruit après huit ans. La loi prévoit la destruction des rapports et des renseignements recueillis par le CANAFE.

Le sénateur Tkachuk : Ce même document de consultation du ministère des Finances traite des entreprises de transferts de fonds ou de vente de titres négociables comme d'une lacune. Quelles difficultés y a-t-il à composer avec ces groupes? Ils ne sont pas régis par la Loi sur les banques. Quel pouvoir avez-vous sur ces groupes? Faudrait-il une modification ou une loi stipulant qu'ils doivent présenter des rapports? Est-ce qu'ils relèvent de compétences provinciales?

Mme Lafleur : Ils sont visés par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, oui. Ils sont déjà assujettis à cette loi, et ils devraient présenter des rapports.

Ils forment, en fait, un secteur non réglementé et, dans certains cas, il n'y a pas d'associations nationales pour les représenter. C'est un défi que de leur faire comprendre leurs obligations en vertu de la loi et les conséquences qu'il y a à ne pas présenter de rapport.

La plupart, ils comprennent leurs obligations et veulent être des participants volontaires dans le système. Bien entendu, ceux qui ne sont pas visibles peuvent décider de mener certaines de leurs activités de façon clandestine plutôt que de s'intégrer au système.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'une tentative de transaction déborde des limites que fixe le GAFI comme obligation?

Mme Lafleur : Non, le GAFI recommande la déclaration de toute tentative de transaction douteuse.

Le sénateur Tkachuk : Comment les autres pays traitent-ils ce genre de rapports?

Mme Lafleur : Je pense que la plupart des pays l'exigent. Ce n'est pas tout le monde qui est passé par le processus d'évaluation mutuelle, mais c'est l'une des mesures mises en œuvre. Je ne sais pas si c'est considéré comme l'une de celles qui sont considérées les plus difficiles à mettre en œuvre. Cela dépend du point de vue de chacun.

Le vice-président : Sénateurs, à titre d'information, il ne reste qu'une quinzaine de minutes avec ces témoins.

Le sénateur Goldstein : Bon après-midi et je vous remercie pour la partie de votre présentation que j'ai entendue, qui était excellente.

Vous avez compris qu'on se préoccupe d'équilibrer les besoins de votre organisation et ceux de la population pour essayer de suivre, protéger et prévenir la liberté de mouvement des narcodollars vers les organismes terroristes. C'est une valeur de la société qui, j'en suis sûr, est commune à tous.

On s'inquiète de la mesure dans laquelle cette préoccupation est en conflit avec les droits à la protection de la vie privée des Canadiens. D'après vos réponses à certaines questions, vous avez un parti pris, à juste titre. J'utilise le terme « parti pris » dans un sens neutre et non péjoratif. Il y a un parti pris en faveur de l'application de ce que vous êtes chargés d'appliquer.

Y a-t-il une structure, un protecteur du citoyen ou un élément de votre culture d'entreprise, dans un sens large, qui pondère, de temps à autre, les droits à la vie privée des Canadiens avec ce que vous essayez de faire et la mesure dans laquelle il y a conflit?

Mme Lafleur : Absolument. De fait, je ne suis pas sûre d'être d'accord avec ce que vous dites.

Le régime a été soigneusement conçu pour respecter le droit à la vie privée des Canadiens. Diverses mesures de prévention sont intégrées à la loi pour assurer la protection de ce droit. Tandis que nous nous efforçons d'apporter des modifications à la loi et au règlement, nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues d'autres ministères, notamment celui de la Justice, pour nous assurer de ne pas proposer des modifications qui enfreindraient le droit à la vie privée des Canadiens. La proposition de ces modifications est le fruit d'un effort collectif. Nous nous assurons de pouvoir les appuyer sans faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre.

Le sénateur Goldstein : Permettez-moi de vous donner un exemple pour me faire comprendre. Le règlement stipule la nature des renseignements que vous êtes autorisés à fournir, et toute tentative de la part de l'organisme d'application de la loi pour en savoir plus nécessite une ordonnance du tribunal. Je pense que la plupart des Canadiens, sinon tous, ont confiance dans le système de justice et sont rassurés par des mesures législatives de cette nature. Ils peuvent constater que la nature des renseignements fournis est limitée et que tout renseignement supplémentaire que demande l'organisme d'application de la loi nécessite le consentement du tribunal.

Cependant, dans l'un de vos documents, vous dites chercher à obtenir une modification qui vous permettra de fournir plus de renseignements sans qu'il soit nécessaire d'obtenir une ordonnance du tribunal. Vous nous disiez tout à l'heure que la loi originale était un équilibre assez délicat entre les besoins des organismes d'application de la loi, avec lesquels nous sommes tous d'accord, et le droit à la protection de la vie privée.

Ne voyez-vous pas un changement, ou une réduction de l'équilibre, si vous retirez aux tribunaux la capacité d'avaliser la divulgation de plus de renseignements, et faites que cette divulgation soit quasiment automatique?

Mme Lafleur : Les renseignements que nous proposons de rendre accessibles proviennent plus de sources ouvertes, comme des reportages et des numéros de téléphone qu'on peut obtenir dans des annuaires téléphoniques. Je vois mal comment cela pourrait être considéré comme une infraction à la vie privée quand ce sont, en fait, des renseignements publics.

Nous avons proposé l'idée que les organismes d'application de la loi obtiennent accès à une certaine partie des analyses du CANAFE. Qu'est-ce qui les a portés à conclure qu'il y avait motif de soupçons? Là encore, ce ne sont pas nécessairement des renseignements personnels ou privés. Le problème, c'est d'essayer de maintenir cet équilibre d'une façon logique. Nous nous acquittons de notre devoir de diligence raisonnable en tentant d'obtenir des avis juridiques dans le domaine, et nous travaillons avec des experts de la protection de la vie privée pour nous assurer de maintenir cet équilibre.

Le sénateur Goldstein : Bien des Canadiens estiment que c'est une invasion de leurs droits que de devoir fournir deux pièces d'identité avec photo quand ils ouvrent un compte en banque. Je peux comprendre une telle exigence quand une institution financière ne connaît pas la personne. D'après mon expérience et celle de mes anciens partenaires de droit, les institutions financières, même si celles que nous représentons, nous demandent, quand nous ouvrons un compte en tant qu'exécuteur testamentaire, de nous présenter personnellement pour fournir deux pièces d'identité et signer toutes sortes de documents, ce qui semble quelque peu superflu. Est-ce que votre organisme l'exige aussi, ou est-ce une interprétation, et à mon avis elle est exagérée, de la part de la banque?

Mme Lafleur : Cet aspect est dès plus intéressant, et est un défi pour le responsable des politiques. Les gouvernements ont tenté de réaliser des objectifs stratégiques. L'un, ce serait d'assurer la sécurité et la solidité du système financier et de prévenir les abus, et pour cela, les institutions doivent connaître leurs clients. Le deuxième objectif est que tous les Canadiens aient accès à des services bancaires de base. La question est comment concilier ces deux objectifs.

Par le biais de règlements afférents à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements sur l'accès aux services bancaires de base, nous devrons trouver une intersection dans ces deux objectifs stratégiques. Dans la mesure où les Canadiens fournissent deux pièces d'identité de base, l'une émise par le gouvernement et l'autre pouvant être d'une longue liste de pièces d'identité acceptable, ils peuvent ouvrir des comptes dans une institution financière canadienne. C'est la loi, et elle est très probablement à l'avant-garde de biens d'autres compétences.

Vous avez raison de dire que cela a posé un défi pour trouver un juste milieu entre les deux objectifs stratégiques. Nous avons bien réussi à trouver ce terrain commun.

Le vice-président : C'était une bonne question.

Le sénateur Moore : Dans l'exemple du sénateur Goldstein, qui dirait à sa banque les nouvelles exigences d'identification pour ouvrir un compte?

Mme Lafleur : Les exigences d'identification sont stipulées dans le Règlement sur l'accès aux services bancaires de base promulgué en vertu du projet de loi C-8, je crois, juste après 2001 et 2002. Ce sont des exigences législatives auxquelles sont assujetties les banques, et elles en sont parfaitement conscientes. Les banques sont responsables de former leur personnel de première ligne pour observer les exigences en matière d'identification. Nous travaillons avec les institutions pour nous assurer que cela se fasse.

Le sénateur Moore : J'ai vécu une expérience similaire il n'y a pas longtemps. Je ne pense pas qu'il y ait eu de règlement pendant des années, parce qu'il semble qu'il ait été mis en œuvre seulement ces derniers mois.

Mme Lafleur : Non, sénateur, auparavant, il y avait la divulgation volontaire.

Le sénateur Moore : Certaines banques exigent que vous vous présentiez personnellement avec un autre directeur dans le cas des organismes sans but lucratif, tandis que d'autres banques n'exigent pas de comparution en personne. Je ne comprends pas. Qui dit à cette banque d'exiger que la personne se présente en personne?

Mme Lafleur : Est-ce que vous parlez d'un compte personnel ou d'entreprise?

Le sénateur Moore : C'est un compte d'organisme bénévole sans but lucratif.

Mme Lafleur : Comme je l'ai dit, le règlement qui appui la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité stipule que certaines pièces d'identité doivent être fournies. Nous pensons avoir trouvé un lien logique entre les deux objectifs dont j'ai parlé tout à l'heure pour donner accès à autant de Canadiens que possible. Ces exigences sont probablement dans la Loi.

Mme Hemmings : Je voudrais ajouter quelque chose, si vous permettez. Le règlement sur le recyclage des produits de la criminalité stipule une exigence minimale d'une pièce d'identité émise par le gouvernement.

Le sénateur Moore : Est-ce qu'il importe qu'elle soit émise par un gouvernement provincial ou fédéral?

Mme Hemmings : Ce pourrait être, par exemple, un permis de conduire, un passeport, une carte d'assurance-maladie ou de numéro d'assurance sociale.

Le sénateur Harb : Il y a quelques jours, USA Today a fait un reportage sur une base de données de l'organisme de sécurité nationale qui, en principe, contient le numéro de téléphone de millions d'Américains. Ils gèrent cette base de données à des fins de mesures antiterroristes. Il a été révélé à un moment donné que les systèmes informatiques sont capables de faire le suivi des appels téléphones d'un secteur à un autre, ce qui aide l'organisme à évaluer s'il y a un risque. S'il y a risque potentiel d'activités terroristes, l'organisme peut obtenir une ordonnance du tribunal pour identifier les personnes en cause.

On a demandé à l'agence si c'était une invasion de la vie privée et la réponse a été non, parce que les compagnies n'ont fourni que les numéros de téléphone à l'organisme, et pas les noms. Êtes-vous au courant de l'existence d'un système similaire au Canada, ou du moins un système qui pourrait remplir les mêmes fonctions?

Mme Lafleur : Je ne connais pas de système semblable. La question devrait probablement être posée au SCRS ou à un organisme d'application de la Loi. Je ne connais pas, personnellement, l'existence d'un tel système.

Le sénateur Harb : Il est question de transactions suspectes, un volet important de la lutte contre le recyclage de l'argent et le financement des activités terroristes. Or, un touriste pourrait fort bien venir au Canada et se présenter dans une institution financière pour y faire une transaction, et l'institution pourrait soupçonner un problème et signaler la transaction au Centre. Qu'arriverait-il alors? L'information — numéro de passeport, nom, lieu d'origine et ainsi de suite — au sujet de cette personne serait-elle transmise au centre au Canada ou à un tiers, dans le pays d'origine du touriste, qui a un mandat analogue?

Mme Lafleur : Je ne crois pas me tromper en affirmant que les institutions financières canadiennes ne peuvent transmettre de l'information qu'au CANAFE. Celui-ci est mandaté pour partager l'information avec d'autres services du renseignement financier s'il a signé avec eux un protocole d'entente relatif à l'utilisation qui sera faite de cette information.

Le sénateur Harb : Avez-vous accès à d'autres fichiers? Ainsi, une base de données internationale pourrait se trouver en France, et vous auriez la vôtre ici au Canada. Y a-t-il communication électronique entre les deux grâce à un code conjoint?

M. Carrière : Non, il n'y a pas d'échange entre bases de données, mais comme l'a expliqué Mme Lafleur, parfois, le CANAFE peut fournir des renseignements sur certaines transactions financières, de même qu'une unité du renseignement financier peut fournir au CANAFE des renseignements sur des transactions financières quand il existe entre les deux pays un protocole d'entente.

Le vice-président : Je vous remercie tous. Je suis en train d'apprendre qu'en occupant le fauteuil, je suis muselé et que je ne peux pas poser toutes mes questions. Madame Lafleur, vous avez dit, ce qui a piqué ma curiosité, qu'un Canadien assumera la présidence du GAFI en juillet. Où se trouve le siège social? Quel est le mode de fonctionnement du GAFI et qui en assumera la présidence?

Mme Lafleur : Le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux a son siège à Paris, à l'OCDE, mais le pays qui assume la présidence accueille chaque année une réunion plénière. L'assemblée plénière du GAFI se réunit trois fois par année, de sorte que le Canada accueillera une réunion plénière en octobre.

Le vice-président : Ici, à Ottawa?

Mme Lafleur : Non, sénateur. L'assemblée aura lieu à Vancouver. M. Frank Swedlove, que vous connaissez je crois, sera le président canadien.

Le vice-président : Travaille-t-il au ministère des Finances?

Mme Lafleur : Il vient tout juste de quitter le ministère des Finances pour prendre sa retraite.

Le vice-président : L'un d'entre vous a-t-il un dernier mot à ajouter avant que nous ne passions au groupe suivant de témoins? Y a-t-il, dans la loi, une question pressant à régler, à tel point que vous serez malheureux si cela n'est pas fait?

Mme Lafleur : Voilà une question difficile. Nous aimerions savoir ce qui, selon vous, a besoin d'être modifié dans la loi, et nous vous serions reconnaissants de nous le faire savoir en temps opportun. Comme je l'ai dit, le régime du Canada sera évalué à la fin de 2006. Nous souhaitons donc faire en sorte que nous serons à la hauteur des normes internationales. Par ailleurs, nous vous remercions beaucoup de nous avoir invités aujourd'hui.

Le vice-président : Vous avez mentionné, dans vos documents et lors de votre témoignage, que des pourparlers sont en cours avec la profession de juriste, des associations de barreaux et ainsi de suite. Est-ce le CANAFE qui mène ces pourparlers?

Mme Lafleur : Le ministère des Finances a participé aux négociations avec la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

Le vice-président : Dans sa version actuelle, le projet de loi C-22 continue de s'appliquer aux avocats. Si j'ai bien compris, les tribunaux ont émis l'injonction parce qu'il a été allégué qu'il était inconstitutionnel et qu'il violait le secret professionnel, comme l'avaient prédit certains membres de notre comité. J'aimerais savoir si une solution est en vue et, dans l'affirmative, quelle est-elle?

Mme Lafleur : Nous avons apporté en 2003 certaines modifications au règlement qui ont eu pour effet d'exclure complètement du régime la profession de juriste. Peu importe ce que dit la loi, les juristes sont exclus du régime par le règlement d'application.

Y a-t-il une solution en vue? Je dois avouer que les négociations ne se sont pas déroulées aussi bien que nous l'avions espéré. Nous en sommes maintenant au stade où nous devons examiner d'éventuelles modifications de la loi qui pourraient être incluses dans les propositions qui seront mises de l'avant pour respecter nos obligations internationales.

Le vice-président : Voilà qui m'amène au dernier point. Pour que la loi soit efficace, il faut qu'elle soit harmonisée avec celle des autres pays, de sorte qu'il faut un certain degré de collaboration. Qu'ont fait nos partenaires commerciaux de la profession de juriste?

Mme Lafleur : La plupart d'entre eux incluent la profession, dont le Royaume-Uni, je crois.

Mme Hemmings : Le Royaume-Uni inclut effectivement dans sa loi la profession du risque. Aux États-Unis, la profession est tenue de signaler l'argent, mais pas les transactions suspectes.

Le vice-président : La profession se plie-t-elle à ce règlement?

Mme Lafleur : Je suis désolée, mais je ne peux pas parler en son nom.

Le vice-président : Étant donné les faits, c'est res ipsa loquitur.

Nous poursuivons notre examen quinquennal, comme l'exige la loi, de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous avons le plaisir d'accueillir comme témoins un groupe du ministère de la Justice et de Sécurité publique et Protection civile Canada. Je crois savoir que Mme Miles sera la première à prendre la parole. Elle a une déclaration liminaire à nous faire.

Christine Miles, directrice générale, Application de la loi et stratégies frontalières, Sécurité publique et Protection civile du Canada (SPPCC) : J'aimerais situer dans son contexte le rôle tenu par le ministère de la Sécurité publique dans le cadre de cette initiative particulière. Mon secteur et la direction générale de mon collègue, Jamie Deacon, sont des partenaires non financés de l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent, c'est-à-dire l'INLBA. Pour parler simplement, l'INLBA est importante pour nous, car le travail effectué par le CANAFE, qui fournit des renseignements pertinents aux milieux de l'application de la loi et du renseignement, aide le portefeuille de la Sécurité publique et ses partenaires à lutter contre le crime organisé et le terrorisme.

Pour ce qui est de la lutte contre le crime organisé, mon secteur de responsabilité, je dois faire remarquer que le rôle du ministère consiste surtout à élaborer et à coordonner des politiques.

Notre travail est orienté par le Programme national de lutte contre le crime organisé qui a été élaboré et approuvé en l'an 2000 par les ministres du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires responsables de la justice, ainsi que par nos partenaires du milieu chargés de l'application de la loi.

Par l'entremise du Comité national FPT de coordination sur le crime organisé (CNC), un organisme qui regroupe des responsables du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires, ainsi que les procureurs et des représentants du milieu de l'application de la loi, nous concevons des stratégies et des politiques uniformes afin de respecter les grandes priorités de la lutte contre le crime organisé.

La lutte contre le blanchiment de l'argent figure au nombre des questions prioritaires définies dans le Programme national de lutte contre le crime organisé. C'est que, grâce au blanchiment d'argent, les trafiquants de drogue, les marchands d'armes et d'autres criminels — appartenant au crime organisé ou non — peuvent exploiter et étendre leurs empires criminels et tirer profit des recettes provenant d'activités criminelles.

En suivant la trace de l'argent, les responsables de l'application de la loi peuvent identifier les groupes du crime organisé, nuire à leurs activités, les démanteler et ainsi réduire le tort considérable qu'ils font à la société. Il s'agit d'un outil fort utile pour nous.

Pour remplir cette tâche, il faut établir un partenariat solide entre le CANAFE et le milieu de l'application de la loi et, à l'intérieur de la portée de la loi, favoriser un échange bilatéral d'information qui répond aux besoins des enquêteurs et qui permet la communication d'observations au CANAFE pour qu'il améliore la pertinence de ses renseignements.

Cette relation entre le CANAFE et les partenaires du milieu de l'application de la loi a été resserrée au cours des dernières années grâce au travail du CNC.

C'est au cours de ces réunions qu'une série de questions concernant le rôle du CANAFE ont été soulevées. Afin de mieux comprendre le rôle du CANAFE et de mieux utiliser les renseignements destinés à cet organisme ou émanant de celui-ci, le CNC a demandé au CANAFE de diriger un groupe de travail chargé d'examiner des options pour le suivi des renseignements communiqués par cet organisme et de perfectionner l'utilisation des rapports de renseignements volontaires transmis au CANAFE par les responsables de l'application de la loi.

Le groupe de travail a presque fini de remplir son mandat. Ses travaux permettront d'élaborer des documents sur les pratiques exemplaires en matière de communication volontaire de renseignements du milieu de l'application au CANAFE, ainsi que d'établir de nouvelles procédures par lesquelles les forces policières font part de leurs impressions sur les renseignements fournis par le CANAFE et par lesquelles est assuré le suivi convenable des communications.

Nous avons atteint ainsi deux objectifs. Premièrement, l'exercice aidera le CANAFE à mieux comprendre à quelles fins le milieu de l'application de la loi utilise les renseignements qu'il lui communique et, au besoin, l'organisme adoptera des mesures pour renforcer le processus de divulgation ou le produit final. Deuxièmement, le CANAFE sera maintenant en mesure de publier les résultats des renseignements communiqués au milieu de l'application de la loi à titre des mesures du rendement, ce qui était l'une des préoccupations soulevées par la vérificatrice générale dans son rapport publié en 2004 sur la Stratégie canadienne de lutte contre le blanchiment d'argent.

Pour ce qui est de l'antiterrorisme, le Canada et la communauté internationale ont pris des mesures importantes pour lutter contre le terrorisme et pour éliminer les possibilités de financement des terroristes.

Au Canada, nous avons ratifié la Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme qui vise le blocage des biens des terroristes et la criminalisation du financement du terrorisme. Comme l'ont mentionné mes collègues, les changements à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes permettent au Canada de remplir ses obligations en vertu de cette convention et de contribuer de manière plus efficace à la détection et à la dissuasion des activités de financement du terrorisme, ainsi de communiquer ces renseignements au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et aux organismes d'application de la loi.

La Loi antiterroriste a fait entrer en vigueur la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité) pour démontrer l'engagement du Canada à participer aux efforts internationaux concertés visant à refuser d'appuyer les personnes qui se livrent à des activités terroristes, afin de protéger l'intégrité du système d'enregistrement des organismes de charité, conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, et de maintenir la confiance des contribuables canadiens en leur assurant que les avantages découlant d'un tel enregistrement ne sont accordés qu'aux organismes qui œuvrent exclusivement à des fins caritatives.

En guise de conclusion, nous appuyons sans réserve les efforts déployés actuellement en vue d'améliorer notre régime national de lutte contre le blanchiment d'argent pour veiller à ce qu'il soit conforme aux normes internationales, qu'il continue à maintenir des normes nationales élevées, plus particulièrement pour ce qui est du respect de l'équilibre entre l'obligation de préserver la vie privée des citoyens et la nécessité de répondre aux besoins du milieu de l'application de la loi, qu'il réponde aux besoins du milieu d'application de la loi en aidant le CANAFE à communiquer des renseignements plus utiles et plus pertinents et qu'il donne suite aux conclusions de la vérificatrice générale.

Je crois comprendre que mes collègues de la GRC et de l'Agence des services frontaliers du Canada comparaîtront devant vous demain. Ils sont mieux placés que moi pour parler de l'initiative d'un point de vue opérationnel.

Le vice-président : Par simple souci de précision, l'appellation exacte de votre ministère est-elle le ministère de la Sécurité publique ou le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada?

Mme Miles : C'est le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. On nous appelle aussi le ministère de la Sécurité publique.

Le vice-président : Est-ce un ministère distinct?

Mme Miles : Oui.

Le vice-président : Quand fut-il établi?

Mme Miles : En décembre 2003.

Le vice-président : Serait-il analogue, par exemple, au ministère qu'ont créé les États-Unis, soit le Département de la sécurité intérieure?

Mme Miles : Il est du même genre. Nous assumons surtout des fonctions d'application de la loi et de renseignement de sécurité, mais nous faisons aussi de la protection civile.

Le vice-président : Nous avons appris aujourd'hui que vous avez quelque chose à voir avec le contrôle des armes à feu.

Mme Miles : C'est un fait.

Le vice-président : J'ai une liste de personnes qui souhaitent poser des questions. Pour l'instant, elle est courte. Le premier à poser une question est le sénateur Massicotte.

[Français]

Le sénateur Massicotte : J'aimerais entendre vos commentaires et faire suite à la question du sénateur Meighen. Étant en quelque sort à l'extérieur de l'agence comme telle, pensez-vous que nous remplissons les objectifs fixés? Je sais que nous nous conformons aux règlements et à tout le processus. Mais au niveau des résultats réels, pensez-vous que notre démarche soit la bonne? Parvenons-nous à contrer 80 p.100 du blanchiment d'argent? Si c'est le cas, dans quelle mesure y arrivons-nous? Pouvez-vous nous rassurer que les choses vont bon train et que nous allons dans la bonne direction?

[Traduction]

Mme Miles : Je ne peux me prononcer qu'au sujet du crime organisé. On peut dire que le blanchiment d'argent et l'IICPC, c'est-à-dire l'Initiative intégrée de contrôle des produits de la criminalité, sont importants parce qu'il faut pouvoir suivre la trace de l'argent. Nous avons pour raison d'être d'identifier les groupes du crime organisé et de découvrir quelles sont leurs activités grâce à des enquêtes. Les enquêtes et les poursuites sont structurées de telle façon que non seulement nous obtenons les biens dont ils font le commerce — que ce soit le trafic de la drogue, la fraude, la traite d'êtres humains ou la contrebande —, mais également nous coinçons l'organisation comme telle, nous la démantelons, puis lui confisquons les produits de la criminalité.

C'est la seule façon dont nous arriverons à maîtriser le crime organisé au Canada.

Je pense qu'on peut dire que nous avons de bonnes évaluations concernant notre initiative intégrée de contrôle des produits de la criminalité et les efforts que nous déployons pour lutter contre le blanchiment d'argent. Ce sont de bons outils pour nous aider à atteindre nos objectifs de lutte contre le crime organisé. Nous savons que nous en faisons beaucoup en ce sens. Pourrions-nous en faire plus? Oui, nous le pourrions. C'est un outil très fort pour nous.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi d'être plus spécifique. J'ai vraiment l'impression qu'on travaille très fort. Nous avons de beaux projets de loi. Toutefois, je suis loin d'être convaincu que l'on fasse notre part et que nous soyons en train de gagner la bataille contre le crime organisé.

[Traduction]

Mme Miles : Puis-je vous dire seulement combien nous avons fait des percées importantes contre le crime organisé?

[Français]

Le sénateur Massicotte : Êtes-vous personnellement convaincus que nous faisons un bon travail et que nous allons contrôler ou minimiser ces transactions?

[Traduction]

Mme Miles : Nous avons fait des percées importantes. Nous ciblons certains des groupes les plus forts du crime organisé. Les représentants de la GRC qui seront ici demain pourront vous donner de plus amples détails.

Nous réussissons à repérer ces groupes et à réduire leur incidence dans plusieurs secteurs au Canada. Ils ont des liens tellement développés, cependant, au Canada ou aux États-Unis, que dès que nous pourchassons un groupe quelque part au Canada, il se métamorphose et migre vers d'autres activités illégales pour générer plus de profits. C'est une course sans fin pour atteindre ces organisations.

Jamie Deacon, directeur général, Politique de sécurité nationale, Sécurité publique et Protection civile du Canada (SPPCC) : J'aimerais dire une chose sur les outils de mesure. J'aimerais souligner que lorsqu'on examine les diverses activités financières, le blanchiment d'argent ou les nombreuses autres activités criminelles, il est difficile d'établir des estimations en pourcentages précises parce que ce sont nécessairement des activités clandestines. Il est difficile d'établir les paramètres de base. Cela dit, il y a de nombreuses initiatives d'application de la loi et de lutte contre le financement des activités terroristes pour lesquelles nous avons des outils et des ressources policières.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Il existe un lien très étroit entre le blanchiment d'argent et le crime organisé, qui est peut- être l'appareil le plus important. Quand on voit que les Hell's Angels tiennent une conférence aujourd'hui même, à Montréal, sur les jeux de hasard sur Internet, pratique qui est illégale, on ne peut que s'étonner et se poser la question à savoir si nous gagnons vraiment la bataille. On a l'impression que ces groupes sont très avancés technologiquement et très motivés par le profit. Je répète un peu les mêmes commentaires, mais je suis content de voir que vous êtes convaincus qu'il en est tout autrement.

[Traduction]

Le vice-président : Le sénateur regarde beaucoup de films de criminels. Je voulais lui donner une chance. J'ai oublié de demander aux fonctionnaires du ministère de la Justice s'ils voulaient faire une déclaration préliminaire, pour que lorsque vous aurez terminé vos questions, sénateur, vous puissiez profiter de l'information fournie par le ministère.

Mme Miles : Je conviens que le crime organisé et les groupes de motards criminalisés sont avancés technologiquement, particulièrement pour ce qui est du déplacement des produits de leurs crimes. Pour les combattre, nos unités d'application de la loi doivent avoir autant d'outils à la fine pointe de la technologie pour savoir exactement ce qu'ils font. C'est pourquoi l'initiative sur le blanchiment d'argent est importante; elle est également liée à l'initiative intégrée de contrôle des produits de la criminalité. Nous combinons les renseignements dont nous disposons à un vaste éventail d'outils d'application de la loi aux échelles fédérale, provinciale, et internationale. Nos collègues du ministère de la Justice et les procureurs y participent. Nous profitons de leurs connaissances sur les poursuites du début à la fin lorsque nous constatons une infraction.

Vous avez raison, ce sont des groupes très avancés technologiquement, et nous avons besoin des mêmes outils technologiques avancés qu'eux pour combattre leurs activités criminelles.

Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière pénale, ministère de la Justice du Canada : Pour me pas prendre trop de temps, comme vous nous l'avez demandé, nous n'avons pas de déclaration à faire. Nous sommes disposés à répondre à toutes vos questions.

Le vice-président : Si le ministère de la Justice a des critiques particulières ou des recommandations à présenter au comité sur les erreurs qui se trouveraient dans la loi en vue du rapport que nous prévoyons publier pour guider le gouvernement sur les modifications à proposer dans le cadre de cette révision, je comprends que vous n'avez pas de liste de recommandations, c'est bien cela? Voulez-vous que nous vous les arrachions une à une?

M. Saint-Denis : Mes collègues et moi n'avons pas de liste de critiques à faire. Cependant, il y aura sans doute dans nos réponses des points que vous voudrez prendre en considération.

Le vice-président : Honorables sénateurs, de toute évidence, il n'y a pas seulement notre groupe de la sécurité publique qui a un mandat intéressant, il y a aussi nos experts du ministère de la Justice.

Le sénateur Baker : Comme le sénateur Angus l'a souligné, notre comité a fait remarquer, lorsque ce projet de loi a été adopté au départ, qu'il enfreindrait le secret professionnel parce que les avocats doivent déclarer certaines activités de leurs clients. Bien sûr, la crainte du comité s'est avérée tout à fait juste.

J'aurais cru, bien que ce n'ait pas été le cas, que cela soit considéré comme une violation de l'article 7 de la Charte des droits et libertés sur la justice fondamentale. Ce n'est pas ainsi que les choses semblent avoir évolué. En fait, à la lecture du jugement, les tribunaux ont simplement dit qu'il s'agissait d'une violation du secret professionnel et que par conséquent, les avocats seraient exclus de l'application de la loi à cet égard par règlement.

Permettez-moi de vous demander s'il y a d'autres dispositions de la loi, dont le paragraphe 12(2), qui ont été déclarés contraires à la Charte des droits et libertés et ont nécessité l'application de l'article 1 de la Charte.

Je regarde M. Cohen, parce qu'il a beaucoup écrit sur le sujet.

Stanley Cohen, avocat général principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice du Canada : Je ne connais aucune autre disposition de la Charte ayant reçu autant d'attention que celle sur les obligations de déclaration des avocats.

Il serait certainement exagéré de dire que les tribunaux ont statué sur la question du secret professionnel des conseillers juridiques, parce que ce type de décision doit prendre par injonction. Tout le monde a décidé de reculer. Ce n'est pas parce que nous ne savions pas que les obligations de déclaration imposées aux avocats pourraient faire l'objet de poursuites en vertu de la Charte. Notre fonction est justement de faire connaître les risques de poursuite.

On a jugé que cette question pouvait faire l'objet d'une argumentation crédible sur la base d'exemples comparatifs. À votre dernière réunion, on vous a donné divers exemples d'expériences dans le monde. Il y a une multitude de façons différentes de régir les déclarations des avocats dans le monde. On vous a parlé de la déclaration des grandes transactions aux États-Unis. Les choses sont différentes au Royaume-Uni. En Belgique et dans d'autres pays de l'Union européenne, les exigences de déclaration sont plus directes. Tout cela est important pour les tribunaux lorsqu'ils examinent ces questions afin de déterminer si les normes canadiennes sont comparables à celles des autres sociétés libres et démocratiques.

Vous trouverez peut-être que je fais un grand détour pour dire que même pour les déclarations des avocats, nous ne savons pas comment s'articulera la réponse finale à la question de savoir si le fait d'imposer des obligations à des avocats constitue une violation fondamentale du droit à un avocat, du secret professionnel ou même de la justice fondamentale.

Le sénateur Baker : Vous devez admettre que nos tribunaux supérieurs, à commencer par ceux de la Nouvelle- Écosse, ont déclaré qu'il s'agissait d'une violation claire du secret professionnel. Comme on n'a pas interjeté appel de cette décision devant un tribunal d'appel, diriez-vous, selon votre vaste expérience, que la question est réglée?

M. Cohen : La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et le gouvernement du Canada, qui est représenté par les avocats du ministère de la Justice, ont justement amorcé des négociations à cet égard. Ces questions ont été laissées en suspens, sous réserve que la fédération puisse réactiver ses poursuites à l'avenir à ce sujet si le gouvernement décidait de reprendre l'initiative qu'il avait mise en place ou de la remplacer par une mesure ne faisant pas l'objet d'un consensus entre la fédération et le gouvernement.

Le sénateur Baker : Je vais continuer parce que nous manquons de temps. Si je ne me trompe pas, le paragraphe 12(1) de la loi exige la déclaration des exportations de plus de 10 000 $ du Canada. Connaissez-vous cette disposition? Une certaine jurisprudence s'est établie autour d'elle et a servi à justifier des saisies de sommes de plus de 10 000 $ par les douaniers à la frontière. Le ministre entre en jeu à la prochaine étape. Serait-ce le solliciteur général?

M. Cohen : C'est le ministre des Finances qui administre cette loi. Au début, on avait envisagé que ce soit le solliciteur général, mais enfin de compte, elle a été mise sous la responsabilité du ministre des Finances.

Le sénateur Baker : À ce moment-là, les sommes pourraient être confisquées. À moins qu'il n'y ait poursuite en vertu de la Charte, la décision du ministre pourrait-elle faire l'objet d'un appel judiciaire?

Daniel Murphy, avocat-conseil, Section des opérations stratégiques, ministère de la Justice du Canada : Si je ne me trompe pas, les appels concernant les saisies à la frontière relèvent du ministre du Revenu, comme toutes les autres formes de saisies à la frontière. Le ministre responsable de la loi détermine si la saisie sera maintenue ou rejetée. La personne dont l'argent a été saisi a le droit d'interjeter appel de la décision du ministre devant les tribunaux, et il y a déjà eu de tels appels.

Le sénateur Baker : Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que les tribunaux ont décidé que l'appel concerne la déclaration en tant que telle, le fait que l'argent a été déclaré ou non. Vous avez dit qu'il y avait eu des jugements sur la confiscation.

M. Murphy : Ce n'est pas l'un de mes principaux champs de compétences juridiques, mais je peux vous dire que cette question peut faire l'objet d'un procès allant jusqu'à la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada. Vous recevrez demain des experts de la question de l'Agence des services frontaliers du Canada. Ils seront mieux placés que moi pour vous répondre. La disposition d'appel est enchâssée dans la loi, aux alentours de l'article 30.

Le sénateur Baker : En effet. Je lis un jugement de la Cour fédérale de 2006 mettant en cause le ministre de la Sécurité publique, dans lequel il est dit que la confiscation ne peut pas faire l'objet d'un appel à moins qu'elle ne constitue une violation de la Charte. La décision sur la question de savoir si la personne avait déclaré l'argent et contrevenu au paragraphe 12(1) pouvait faire l'objet d'un appel devant le tribunal. J'y reviendrai avec les témoins.

Ma dernière question porte sur une affirmation de Mme Miles, qui a dit que des mesures extraordinaires avaient été prises parce qu'il s'agit de crimes organisés et technologiquement avancés. Avons-nous des renseignements, monsieur Cohen, sur le captage de courriels sur Internet à l'échelle internationale? A-t-il été décidé qu'il fallait un mandat pour pouvoir le faire sans contrevenir à l'article 8 de la Charte? Est-ce juste ou ces renseignements sont-ils considérés extrêmement privés et sont-ils, par conséquent, protégés par la Charte?

M. Cohen : Je ne suis pas certain de comprendre pleinement la question. Il y a une disposition sur l'interception de communications électroniques dans le Code criminel, qu'il s'agisse de courriels ou d'autres choses, qui s'applique à l'échelle nationale.

Dans la Loi antiterroriste, qui établit le rôle du CST, qui existait déjà auparavant, on reconnaît le pouvoir du CST d'intercepter des communications provenant d'une source étrangère unique vers le Canada. Je crois qu'il s'agit là d'un régime d'autorisation ministérielle.

Vous parlez de communications Internet. Je ne sais pas trop quelle est la situation sur les communications Internet internationales qui viennent de l'extérieur du pays. Cependant, je crois que la partie VI du Code criminel concernant le régime d'autorisation de mandats s'appliquerait dans ce contexte.

Le sénateur Baker : Des dispositions juridiques récentes autorisent le captage de courriels internationaux venant de l'extérieur du Canada ou envoyés à l'extérieur du Canada.

La loi est-elle différente aux États-Unis? La situation qui a causé tant de soucis au président des États-Unis n'a rien d'exceptionnel dans le contexte juridique canadien, n'est-ce pas?

M. Cohen : Si je comprends bien la situation des États-Unis, la controverse est née du fait que l'Agence de sécurité nationale des États-Unis a intercepté des communications sans obtenir l'autorisation prescrite dans la Foreign Intelligence Surveillance Act. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais leur loi ressemble probablement aux dispositions qui régissent le CST et les autres au Canada. Ces activités relevaient probablement de l'autorité présidentielle, elles se déroulaient hors du cadre législatif habituel et étaient assujetties à un régime punitif différent, découlant de l'autorité présidentielle ou exécutive.

Je ne suis pas un expert du droit étasunien sous cet aspect.

Le sénateur Baker : Un pouvoir semblable est accordé au ministre dans les cas touchant la loi sur le terrorisme au Canada.

M. Cohen : Oui, pour ce qui est de la loi du CST, si des activités de ce genre sont en cause, un tel pouvoir serait octroyé.

Le sénateur Moore : Pour autant qu'on ait des motifs raisonnables de croire qu'il en est ainsi.

Le vice-président : Quelle est cette loi du CST à laquelle vous faites allusion?

M. Cohen : C'est celle qui régit le Centre de la sécurité des télécommunications. Conformément à la Loi antiterroriste, cette entité s'est vu accorder un fondement législatif au Canada.

Le sénateur Baker : Elle s'applique aussi aux courriels?

M. Cohen : Ce n'est pas une question à laquelle je peux répondre.

Le sénateur Massicotte : Pour que nous comprenions tous un peu mieux, pourriez-vous nous expliquer brièvement en quoi consiste votre droit d'intercepter des appels téléphoniques, des courriels ou du courrier, tant au pays qu'à l'échelle internationale, sans ordonnance d'un tribunal?

M. Cohen : Je suis spécialisé dans le domaine de l'application de la Charte au droit criminel.

Le sénateur Massicotte : Il serait bon que vous nous fassiez un résumé en termes simples pour le public.

M. Cohen : En vertu de nos lois criminelles, ce sont les autorités en place, qu'il s'agisse ou non de questions de sécurité nationale, qui sont tenues d'obtenir les autorisations préalables nécessaires, que ce soit sous forme d'un mandat ou d'une autorisation en application des lois régissant l'écoute clandestine, avant de pouvoir intercepter des communications électroniques sous quelque forme que ce soit.

L'exception dont j'ai parlé se limite aux activités s'inscrivant dans un spectre beaucoup plus étroit du mandat du CST, relativement à des formes bien précises de communications internationales. Ces activités sont rendues possibles par une autorisation ministérielle.

Le sénateur Massicotte : Si une personne se trouvant au Canada téléphone en Angleterre, en France ou encore aux Îles Cayman, il y a très peu de risques, voire absolument aucun, que sa communication soit interceptée et écoutée par le gouvernement canadien ou un quelconque gouvernement étranger.

M. Cohen : Ce n'est pas ce que j'ai dit. Tout dépend si une autorisation à cet effet a été obtenue au Canada.

Le sénateur Massicotte : Si je comprends bien, le gouvernement canadien est limité en ce sens par rapport aux autres pays.

M. Murphy : En vertu de la partie VI du Code criminel, article 184, quiconque intercepte une communication privée commet une infraction criminelle lorsqu'il existe une attente raisonnable de protection de la vie privée. Quel que soit le moyen électronique ou acoustique utilisé pour cette communication privée, si vous l'interceptez sans autorisation légale, vous vous rendez coupable d'une infraction criminelle.

Le sénateur Massicotte : Y a-t-il également infraction criminelle lorsque la communication est interceptée dans l'espace aérien ou sur les eaux internationales?

M. Murphy : Si une communication est interceptée au Canada sans qu'une autorisation légale n'ait été obtenue, il y a infraction criminelle.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que le gouvernement canadien intercepte des conversations téléphoniques à l'extérieur de son territoire?

M. Murphy : Je ne sais pas.

Le vice-président : Avez-vous encore votre propriété aux Îles Cayman, sénateur?

Le sénateur Meighen : Il y a seulement un point sur lequel je voudrais davantage d'éclaircissements. J'essaie de débrouiller tous ces acronymes, ce qui est un peu gênant pour le militaire en moi. Je dois avouer que je suis légèrement perdu.

Madame Miles, si on en revient aux suites du 11 septembre aux États-Unis, l'un des problèmes était l'absence de communication entre la main gauche et la main droite. Les Américains ont reconnu ce problème.

Je me demande si le trop grand nombre de chefs ne risque pas de gâter la sauce, si nous avons les chefs compétents en cuisine et si vous êtes d'avis, même à l'intérieur du CNC, que l'échange d'information entre les différents groupes est non seulement libre de toute entrave, mais aussi encouragé. Sinon, chacun de ces groupes va se retrouver à tourner en rond et nous n'obtiendrons pas le résultat souhaité par tous, c'est-à-dire empêcher ces activités, toujours dans les limites de ce que la loi nous autorise à faire. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce que vous avez dit dans votre déclaration préliminaire?

Mme Miles : Je vais vous parler seulement du secteur que je connais bien. Notre comité national de coordination permet de conjuguer les efforts des procureurs, des forces de l'ordre et de nos collègues du ministère de la Justice. Dans l'examen du mandat dont nous discutons ici, nous nous sommes interrogés sur les mesures stratégiques que nous pouvions prendre en vue d'améliorer les outils disponibles dans la lutte contre le crime organisé. Nous avons convenu que nous devions compter sur des partenariats plus solides, sur une volonté de compréhension mutuelle et sur une culture favorisant l'échange des renseignements en notre possession, dans les limites permises par la loi.

C'est exactement ce que fait le groupe de travail dont je parle. Comme le CANAFE collabore avec les autorités policières, la GRC et d'autres partenaires chargés de l'application de la loi, il est davantage en mesure d'expliquer ce qu'il fait, les forces de l'ordre peuvent-elles aussi mieux expliquer leurs activités, ce qui permet à tous de travailler à des niveaux plus concrets et d'échanger des renseignements importants à l'intérieur des limites établies par la Loi. Par exemple, la GRC peut leur indiquer de quelle façon recueillir des renseignements précis de manière stratégique, ce qui permettra d'établir des pistes à suivre pour différentes enquêtes.

Ce n'est peut-être pas grand-chose, mais nous réalisons des progrès en encourageant les groupes à travailler ensemble pour discuter et réfléchir à la manière dont ils peuvent conjuguer leurs efforts dans les limites de la Loi.

Le sénateur Meighen : Je prends bonne note de votre restriction quant aux limites de la Loi. Qui serait alors responsable et à qui s'adresserait-on, si ces groupes estimaient que certains aspects de la loi les empêchent d'accomplir les tâches qui leur sont confiées? L'autorité responsable ne sera pas nécessairement d'accord pour proposer un changement à la Loi. Je pense notamment au document de consultation du ministère des Finances qui laissait entendre qu'il devrait être plus facile pour l'Agence des services frontaliers du Canada d'échanger des renseignements sur les saisies avec l'Agence du revenu du Canada. Je ne sais pas trop si c'est un problème de culture ou de lois, mais si je m'en tiens à ce dernier aspect, qui doit se lever pour dire : « Il y a un obstacle juridique qui rend extrêmement difficile l'échange d'information et l'accomplissement de notre tâche. Peut-on faire quelque chose à ce sujet? »?

Mme Miles : Je peux vous dire que le ministère des Finances dirige de main de maître un comité de SMA qui examine cette loi sous toutes ses coutures, et notamment au chapitre de l'échange de renseignements. En plus du document mentionné, le ministère des Finances a tenu de vastes consultations auprès des forces de l'ordre de tout le pays. Les autorités policières ont exprimé leur point de vue sur les mesures à prendre pour mieux travailler dans le cadre de la loi en vigueur et soumis quelques idées quant à l'amélioration ou à l'élargissement de cette Loi. Un groupe directeur se penche actuellement sur ces questions.

Le sénateur Meighen : S'agit-il d'une action proactive ou réactive? Comme on parle du ministère des Finances, je présume qu'une fois qu'un consensus est dégagé, on doit s'adresser au ministère de la Justice, et la roue continue.

M. Saint-Denis : C'est un peu des deux. Si on parle de la loi qui nous intéresse, le point de contact initial est le ministère des Finances qui est désigné comme autorité responsable de cette Loi. Si au fil de l'application de la Loi, le ministère des Finances est saisi d'un problème particulier, il examinera les solutions possibles. S'il devient nécessaire d'apporter des modifications à la Loi, on pourrait s'adresser au ministère de la Justice, selon la nature des changements requis. On peut se demander par exemple si les modifications touchent le droit criminel. Ont-elles des répercussions sur la Charte ou s'agit-il strictement d'aspects pour lesquels le ministère des Finance est l'unique responsable?

Tout bien considéré, selon la question en cause et l'entité qui l'a soulevée notamment, cela pourrait être strictement l'affaire du ministère des Finances, ou il pourrait s'agir d'un problème commun pour lequel ce ministère devrait consulter celui de la Justice, la GRC et tous les autres intéressés. En bout de ligne, on en arrivera à une solution pour le problème cerné. Comme je l'ai indiqué, ce sera un amendement à la loi ou une autre mesure.

Le sénateur Meighen : Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il n'aurait pas été préférable que Sécurité publique et Protection civile Canada assume la responsabilité de ce dossier, plutôt que le ministère des Finances, mais ce n'est pas à nous de décider.

Le vice-président : Sénateur Meighen, je dois absolument vous dire que nous vous sommes très reconnaissants de soulever cette question comme vous venez de le faire. C'est un aspect qui doit être porté à l'attention de nos témoins et des autres personnes ici présentes. Au sein des différents comités sénatoriaux comme celui-ci, qu'il s'agisse du Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense ou du Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, nous constatons que le Canada possède les outils nécessaires pour réaliser certaines choses. Le Canada compte un grand nombre de lois et notre rôle de second examen objectif nous amène à conclure que certaines des réalisations anticipées en application de ces lois ne se concrétisent tout simplement pas.

Cela découle tout naturellement du commentaire que vient de faire le sénateur Meighen parce que nous mettons au jour certaines lacunes dans le rapport sur la loi à l'étude ce soir, dans notre examen de la LCPE, la loi-cadre sur la protection de l'environnement, et dans certaines autres initiatives concernant la sécurité aux frontières qui sont étudiées par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous découvrons des lacunes importantes un peu partout. Le problème ne vient pas de l'absence des pouvoirs législatifs voulus pour combler ces lacunes. Le temps que les gens se consultent pour déterminer qui doit agir dans un cas particulier, les criminels sont déjà passés entre les mailles du filet.

Je ne m'attends pas à obtenir de réponse, mais je crois que mes paroles sont le reflet fidèle du point de vue des sénateurs des deux côtés de la Chambre. C'est une préoccupation de plus en plus importante. Je vous invite donc à en tenir compte dans la poursuite de nos discussions, car c'est un aspect que j'ai déjà abordé avec notre président lorsque nous avons traité de l'approche à adopter dans notre rapport.

Sénateur Baker, vous n'êtes pas un membre régulier de notre comité, mais d'autres comités sénatoriaux peuvent profiter de votre dynamisme et de votre perspicacité. Êtes-vous d'accord?

Le sénateur Baker : Je conviens avec le sénateur Meighen que la communication avec l'Agence du revenu du Canada semble déficiente.

Lorsqu'une décision judiciaire est rendue et qu'elle implique des produits de la criminalité quel qu'en soit le montant, l'Agence du revenu du Canada peut-elle décider à partir de là qu'un inculpé doit de l'impôt sur le revenu au titre des sommes en cause? L'ARC procède-t-elle ainsi directement ou attend-elle qu'un tribunal ait tranché?

M. Saint-Denis : Je ne peux pas répondre au nom de l'Agence du revenu du Canada. Cependant, si un tribunal conclut qu'une somme X est un produit de la criminalité, le Code criminel nous permet de confisquer les biens au profit de la province ou de l'État fédéral.

Selon la situation, il est possible que l'Agence du revenu du Canada tienne compte ou non de cette décision et qu'elle intente ou non des poursuites contre l'individu en cause qui a peut-être omis de déclarer ses revenus. Peut-être pourrez- vous poser la question aux représentants de l'Agence du revenu du Canada que vous allez accueillir demain, je crois.

Le sénateur Baker : Lorsqu'il est question de produits de la criminalité, je présume que l'on communique aux autres ministères les résultats de la vérification judiciaire effectuée dans chacun des cas?

M. Murphy : Il y a bien évidemment consultation entre les forces de l'ordre et l'ARC lorsque la situation s'y prête.

Les dispositions de la loi sont autant d'outils pour lutter contre le blanchiment d'argent. Les efforts en ce sens vous amènent tout droit à l'application du Code criminel. C'est le Code criminel qui établit les principales infractions en matière de blanchiment de capitaux. Ces infractions font l'objet d'enquêtes par les forces de l'ordre, ce qui donne lieu à des accusations menant à des poursuites. Ainsi, depuis le 1er avril 2002, le Service fédéral des poursuites a été impliqué dans 567 poursuites pour blanchiment d'argent au Canada. Ces poursuites peuvent déboucher ou non sur des inculpations. Tout dépend de la preuve présentée au tribunal. Il est bien évident que la poursuite en elle-même a des répercussions néfastes pour la personne sous enquête qui en fait l'objet.

Si elle est fructueuse, la poursuite peut donner lieu à une ordonnance de confiscation à l'égard des produits de la criminalité ou des biens qui y sont reliés. Ces biens sont alors confisqués au profit du gouvernement du Canada. L'Agence du revenu du Canada a alors parfaitement le droit d'essayer de récupérer les impôts qui n'ont pas nécessairement été payés. Il s'agit d'une question distincte, totalement parallèle à celle du blanchiment d'argent et à l'objectif de confisquer les fruits de la criminalité.

En plus du Code criminel et de ses dispositions permettant la confiscation des produits de la criminalité, cinq provinces disposent de clauses civiles pouvant être utilisées à bon escient pour récupérer des actifs, instruments et autres biens obtenus grâce à des activités illicites.

Donc, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes n'est pas le seul instrument utilisé. Plusieurs autres lois, appliquées concurremment avec celle-ci, permettent à l'État de saisir les produits de la criminalité.

M. Saint-Denis : Mme Miles a fait allusion, dans son exposé, aux unités mixtes des produits de la criminalité, un sujet qui pourrait vous intéresser. Ces unités regroupent des représentants de divers organismes d'application des lois, y compris de l'Agence du revenu du Canada. Si elles tombent sur cas majeur qui concerne l'ARC, elles peuvent en saisir l'Agence, qui prendra les mesures nécessaires une fois l'enquête terminée et les poursuites engagées, ou en marge de celles-ci.

Le sénateur Baker : Lorsque des produits de la criminalité sont en cause, on procède habituellement à une vérification judiciaire, et l'ARC envoie un avis à la personne concernée avant que des poursuites ne soient engagées. C'est ce que prévoit le Code criminel.

En vertu de la loi, lorsque des devises d'une valeur de 10 000 $ sont saisies à la frontière, dans la majorité des cas, par un agent des douanes, il faut déterminer si cet argent est tiré ou non d'activités criminelles. J'imagine qu'il faut attendre que des accusations soient portées avant que la personne ne puisse réclamer les fonds. Lorsqu'aucune accusation n'est portée, est-ce que la personne récupère automatiquement l'argent?

M. Murphy : Concernant les saisies transfrontalières, aux termes de la Partie 2 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la personne peut présenter une demande en vue de récupérer son argent et s'adresser aux tribunaux si ses efforts ne portent pas fruit. Cette démarche n'a rien à voir avec l'enquête criminelle qui pourrait s'ensuivre et amener les autorités chargés de l'application des lois à saisir ou bloquer l'argent afin d'empêcher la personne d'y avoir accès et de l'utiliser. On touche ici à des dispositions assez techniques de la partie XII.2 du Code criminel, notamment l'article 462.34, qui autorise la personne dont l'argent a été saisi ou bloqué de s'adresser aux tribunaux afin de récupérer l'argent et ainsi faire face à ses dépenses commerciales, personnelles et courantes.

Le sénateur Baker : Et payer ses frais juridiques.

Le vice-président : Il est intéressant de noter que, lorsque cette mesure législative a fait l'objet d'un examen parlementaire, certains cyniques ont laissé entendre que l'objectif premier de la loi était de mettre un terme non pas au blanchiment d'argent et aux activités terroristes, mais plutôt à l'évasion fiscale.

Le sénateur Moore : Madame Miles, vous êtes la directrice générale du secteur de l'application de la loi et des stratégies frontalières. Monsieur Deacon, vous êtes le directeur général de la sécurité nationale. Vous avez dit que vos deux secteurs sont des partenaires non financés. Qu'entendez-vous par là?

Mme Miles : Nous ne recevons aucun financement dans le cadre de cette initiative précise. Toutefois, en raison de l'intérêt que nous portons à ce dossier, notamment aux activités criminelles et à la lutte antiterroriste, nous participons en tant que partenaires à ce programme. Nous collaborons avec le ministère de la Sécurité publique, mais nous ne recevons aucun financement de lui.

Le sénateur Moore : Vous ne recevez aucun financement de cette initiative.

Mme Miles : De façon plus précise, le portefeuille de la Sécurité publique regroupe deux grands organismes qui reçoivent du financement dans le but de favoriser l'atteinte des objectifs de la loi : il s'agit de l'Agence des services frontaliers du Canada et de la GRC, qui vont tous deux comparaître devant le comité, demain.

Le sénateur Moore : L'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent regroupe vos deux directions et les deux autres organismes que nous allons rencontrer demain?

Mme Miles : Les saisies transfrontalières des capitaux blanchis relèvent de l'Agence des services frontaliers du Canada, qui fait partie du portefeuille de la Sécurité publique. La GRC, principal organisme d'application de la loi au niveau fédéral, en fait également partie. M. Deacon et moi travaillons tous les deux pour le ministère de la Sécurité publique, qui joue un rôle de coordination majeur entre les divers organismes. Nous sommes placés sous l'autorité du ministre de la Sécurité publique.

Nous avons un portefeuille imposant qui regroupe un ministère et de nombreux organismes différents.

Le sénateur Moore : Merci.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je ne sais pas qui de vous est en position de pouvoir répondre à ma question. Nous savons tous que, certainement, on compte en milliards de dollars par année les sommes d'argent qui font l'objet de blanchiment et qui sont reliées au crime organisé. Aux termes de la loi actuelle, il existe un droit de confiscation de tout biens ou actifs reliés aux transactions pour lesquelles il a été démontré devant un tribunal qu'elles relevaient d'activités liées au crime organisé ou au blanchiment d'argent. Par curiosité, pouvez-vous nous dire la valeur des biens ou actifs qui ont été confisqués dans les 12 derniers mois, en application de la loi existante, à 10 ou 100 millions de dollars près?

[Traduction]

M. Murphy : Il est extrêmement difficile de chiffrer, même de façon approximative, les actifs qui ont été confisqués, en raison de l'existence d'une double compétence au Canada. Comme je l'ai déjà mentionné, le service fédéral des poursuites, qui relève du Procureur général du Canada, a intenté 567 poursuites relatives à des infractions de blanchiment d'argent. Il y a dix services provinciaux de poursuites au Canada.

Le sénateur Massicotte : Combien de cas ont été traités par le gouvernement fédéral?

M. Murphy : Le montant net, une fois terminées les poursuites judiciaires, est de 25 millions de dollars environ.

Le sénateur Massicotte : Est-ce beaucoup?

M. Murphy : Oui, parce que c'est ce qui reste une fois toutes les dépenses payées — tous les coûts liés à l'administration des biens, à la restitution des actifs afin de permettre aux personnes visées de faire face à leurs dépenses commerciales et courantes et de payer leurs frais juridiques. Ce montant ne tient pas compte des coûts liés aux biens administrés en vertu des cas existants. On ne peut pas traiter 500 affaires en six mois.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Pour ce qui est des cas traités en 2005, vous dites que c'est entre 25 et 29 millions de dollars, net des dépenses de procédures juridiques, n'est-ce pas? C'est curieux, j'aurais plutôt pensé qu'on pouvait chiffrer en centaines de millions, voire autour de un milliard ou deux, le niveau d'activité du crime organisé au Canada. A-t-on une idée du niveau du crime organisé? Pour ma part j'aurais volontiers spéculé qu'il se situait autour d'un milliard de dollars.

[Traduction]

M. Murphy : J'hésite à chiffrer le montant d'argent qui est blanchi. Les renseignements que j'ai fournis récemment dans mon formulaire de recensement et ma déclaration d'impôt sont véridiques. Les criminels ont l'habitude de ne pas dire ce qu'ils font.

À mon avis, on a tort d'essayer de chiffrer le montant d'argent que les criminels blanchissent. Les gens commettent des crimes pour se procurer de l'argent. L'objet de la partie XII.2 du Code criminel est de récupérer cet argent, de faire obstacle aux activités des criminels si possible et, si nos efforts portent fruit, de confisquer la plus grande part de cet argent.

Mme Miles : Nous n'avons pas les chiffres sous la main, mais nous pouvons vous fournir les renseignements que nous avons par écrit, surtout ceux qui ont trait aux produits intégrés de la criminalité, c'est-à-dire les actifs que nous saisissons en application de la loi et dans le cadre des poursuites.

Le vice-président : Je vous demanderais d'envoyer ces renseignements à notre greffier.

La réunion d'aujourd'hui montre à quel point il est difficile de faire le tour de la question en deux brèves séances. J'aimerais que les représentants du ministère de la Justice nous donnent un aperçu de l'efficacité de la loi et qu'ils abordent tout autre point qu'ils jugent pertinents. Nous aurions pu continuer à vous poser des questions pendant quatre heures en nous fondant sur les documents de recherche qui nous ont été fournis. Vos conseils, en tout cas, nous sont très utiles.

Monsieur Murphy, votre dernier commentaire est fort révélateur. Ceux d'entre nous qui exerçons le métier d'avocat comprennent parfaitement bien ce que vous dites. Toutefois, nous avons le devoir de faire en sorte que notre examen aide les responsables du ministère des Finances à mettre au point une mesure législative plus efficace et plus simple, une mesure qui va permettre d'éliminer les chevauchements et de régler tout autre problème assez évident, comme, par exemple, le rôle joué par les avocats et l'harmonisation de nos activités avec celles de nos partenaires commerciaux.

Vous n'êtes pas obligé de le faire, mais j'aimerais bien que vous nous fournissiez un document qui résume le point du ministère de la Justice concernant cette loi.

M. Saint-Denis : Je tiens à préciser que nous intervenons uniquement en bout de ligne. Nous intentons des poursuites contre les blanchisseurs d'argent une fois ceux-ci identifiés, que ce soit par l'entremise du CANAFE ou dans le cadre d'enquêtes policières menées indépendamment des renseignements que possède le CANAFE.

L'application de la loi ne relève pas directement de notre ministère. Bien entendu, le rôle joué par les avocats au regard de la Charte, par exemple, nous intéresse dans une certaine mesure. Toutefois, l'application générale, et au jour le jour, de la loi relève plutôt du ministère des Finances, du CANAFE et peut-être de la GRC. Nous ne sommes pas en mesure de vous fournir des renseignements utiles à ce sujet.

Le vice-président : C'est ce que je pensais que vous alliez dire. Je voulais tout simplement vous donner l'occasion de nous fournir votre point de vue, car même si vous intervenez à la toute fin du processus, vous avez besoin d'outils législatifs pour pouvoir intenter des poursuites. Si les infractions définies dans le Code criminel, la Loi de l'impôt sur le revenu ou autre vous suffisent et que vous n'avez aucune difficulté à intenter des poursuites, alors soit. Nous allons partir du principe que la loi, selon vous, ne pose aucun problème. Autrement, vos commentaires nous seraient très utiles.

La séance est levée.


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