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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 2 - Témoignages du 18 mai 2006


OTTAWA, le jeudi 18 mai 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, chap. 17) conformément à l'article 72 de ladite loi.

Le sénateur W. David Angus (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Je souhaite à tous la bienvenue à notre Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

[Traduction]

Je m'appelle David Angus et je viens de Montréal. Je suis le vice-président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Le président du comité, le sénateur Grafstein, est à l'étranger cette semaine, et nous nous débrouillons tant bien que mal en son absence.

Le Sénat nous a chargés d'examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de ladite loi, qui prévoit un examen quinquennal.

Nous avons commencé nos audiences sur ce sujet hier. Nous avons alors entendu des représentants du ministère des Finances et M. Carrière du CANAFE, qui est encore avec nous ce matin.

[Français]

La loi intérieure, la Loi sur les recyclages des produits sur la criminalité, a été examinée par ce Comité en juin 2000. Il est donc temps pour le Parlement de revoir cette loi. Aujourd'hui marque notre deuxième journée d'audience sur le sujet.

[Traduction]

Notre séance est diffusée par la chaîne parlementaire et sur le Web. Des sénateurs de toutes les régions du Canada participent à cet examen.

Le comité des banques a examiné beaucoup de mesures législatives. Il est crucial pour nous, en tant que législateurs, de nous assurer que la loi fonctionne de la façon envisagée par ceux qui l'ont adoptée. Étant donné que le Canada contribue à faire de notre planète un endroit plus sécuritaire, il importe que le système de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes réponde à nos besoins et à ceux de nos partenaires commerciaux et de nos autres partenaires pour que le monde soit libre et sécuritaire.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui des représentants du Bureau du surintendant des institutions financières : Nick Burbidge, directeur principal, Keith Martin, directeur, et Alain Prévost, avocat général.

Nous recevons également des représentants du CANAFE, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, qui a été créé pour recueillir toutes les déclarations et les renseignements financiers, conformément à la loi. C'est un organisme très important. Sandra Wing, sous-directrice principale, et Yvon Carrière, avocat-conseil, sont avec nous ce matin.

Plus tard, nous entendrons un groupe de témoins de la Gendarmerie royale du Canada.

Je crois comprendre que ce sont les représentants du CANAFE qui prendront la parole les premiers. J'espère que vous n'hésiterez pas à nous indiquer les lacunes de la loi et les ressources qui vous manquent pour vous acquitter du mandat que la loi vous confère. C'est l'occasion de nous informer. Nous allons vous écouter très attentivement pour essayer de vous aider du mieux possible.

[Français]

Sandra Wing, sous-directeur principal, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Monsieur le vice-président, je suis très heureuse de m'adresser aux membres du Comité et de vous parler de CANAFE et du travail que nous effectuons.

[Traduction]

Je crois comprendre que le ministère des Finances a comparu hier devant vous et a donné aux membres du comité un aperçu du système canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Aujourd'hui, j'aimerais vous parler du CANAFE. Je vais vous expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons et quels sont certains de nos défis et de nos objectifs.

Le CANAFE a pour mandat de faciliter la détection et la dissuasion du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes au Canada et partout dans le monde. Le centre est l'un des nombreux partenaires du système canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes.

En plus de nos partenaires fédéraux, nous avons de nombreux partenaires aux niveaux provincial et municipal et dans le secteur privé qui jouent tous un rôle essentiel. Le CANAFE est l'unité du renseignement financier du Canada. Nous recevons et analysons des renseignements financiers et autres sur les opérations financières et, le cas échéant, nous les communiquons aux organismes d'application de la loi et d'enquête ainsi qu'aux services étrangers du renseignement financier.

Nous sommes indépendants des organismes à qui nous communiquons les renseignements financiers. Cette indépendance assure un équilibre entre le besoin de protéger les renseignements financiers personnels et les besoins des organismes d'application de la loi et de sécurité dans le cadre de leurs enquêtes.

Les entités déclarantes assujetties à notre loi sont les institutions de dépôt, comme les banques et les coopératives d'épargne et de crédit, les comptables, les casinos, les entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables, les courtiers de change, les courtiers en valeurs mobilières, les compagnies d'assurance-vie, les courtiers et les agents immobiliers. Ils doivent déclarer au CANAFE les opérations douteuses peu importe leur valeur, les dépôts en espèces de 10 000 $ ou plus, les télévirements transmis à l'extérieur du Canada ou reçus de l'étranger de 10 000 $ ou plus et les biens appartenant à des groupes terroristes.

De plus, toute personne traversant la frontière doit déclarer à l'Agence des services frontaliers du Canada les déplacements d'espèces ou d'instruments monétaires de 10 000 $ ou plus. L'Agence fait parvenir toutes ces déclarations au CANAFE, qui reçoit également de l'ASFC des déclarations sur les saisies d'argent ou d'effets.

Nous devons analyser tous ces renseignements. Le CANAFE reçoit environ un million de déclarations d'opérations financières par mois. Plus de 99 p. 100 de ces déclarations sont reçues électroniquement. L'analyse des renseignements financiers qu'effectue le CANAFE peut être déclenchée de différentes façons mais, quel que soit l'élément déclencheur, les analystes font une recherche dans la base de données du Centre en utilisant des outils technologiques spécialement conçus à cette fin pour déceler des tendances dans les opérations financières. Lorsque, suite à son analyse, le CANAFE possède des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements pourraient être pertinents à une enquête ou à une poursuite pour infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes, le Centre doit communiquer ces renseignements aux services policiers compétents.

Lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner une menace à la sécurité du Canada, y compris le financement d'activités terroristes, le CANAFE doit communiquer ces renseignements au Service canadien du renseignement de sécurité. Dans certains cas, le Centre doit également fournir des renseignements à l'Agence des services frontaliers du Canada. Ces renseignements doivent, par contre, répondre à deux critères.

Le CANAFE a également conclu 30 ententes de partage de renseignements avec des unités étrangères du renseignement financier. L'information comprise dans nos communications comprend des détails sur les opérations financières, sur le moment et l'endroit où elles se sont déroulées, sur les personnes les effectuant et sur les comptes, les entreprises ou les autres entités concernées.

J'aimerais vous parler brièvement de nos résultats en matière de détection. Au 31 mars 2005, le CANAFE avait communiqué plus de 442 cas aux organismes d'application de la loi et de sécurité, ciblant des milliers de personnes et d'entreprises et des dizaines de milliers d'opérations financières douteuses. La valeur des opérations financières divulguées était de 3,2 milliards de dollars. Bien que l'on travaille toujours à assembler et à analyser les résultats du dernier exercice qui s'est terminé le 31 mars, je peux vous dire que le nombre de communications et la valeur des opérations ont augmenté de façon importante par rapport à l'an dernier.

Je vais maintenant vous parler de la fonction de conformité du CANAFE, qui est liée à notre rôle en matière de dissuasion. Le Centre a le mandat de s'assurer que les entités déclarantes respectent leurs obligations en matière de vérification de l'identité des clients, de tenue de documents et de déclaration d'opérations. Afin d'accomplir cette tâche, le CANAFE a mis sur pied un programme de conformité moderne et complet. Le CANAFE a travaillé activement afin de promouvoir la sensibilisation des entités déclarantes. L'année dernière, il a organisé près de 600 présentations pour les entités déclarantes et les associations, ce qui lui a permis d'établir le contact avec près de 15 000 personnes. Jusqu'à maintenant, nous avons effectué près de 400 examens de la conformité.

Je suis heureuse de vous annoncer que la grande majorité des entités déclarantes ont fait preuve de coopération, ont respecté leurs obligations et ont pris les mesures nécessaires lorsque certaines lacunes ont été portées à leur attention par le CANAFE. Seul un petit nombre d'entre elles ont fait l'objet d'un renvoi aux organismes d'application de la loi à des fins d'enquêtes et de poursuites.

Afin de minimiser le fardeau des entités déclarantes en matière de réglementation, le CANAFE a conclu des partenariats avec 15 organismes de réglementation, dont le BSIF.

Les résultats positifs que le CANAFE a obtenus sont des succès partagés. Ils représentent les efforts combinés des institutions financières et des intermédiaires, des organismes de réglementation et d'application de la loi, du SCRS et d'autres partenaires nationaux, et ils permettent de rendre le blanchiment d'argent au Canada plus difficile qu'en 2000.

Bien que nous ayons accompli beaucoup de choses au cours des cinq dernières années, bien des aspects peuvent encore être améliorés. Je sais que le ministère des Finances a traité du sujet hier, mais j'aimerais souligner quelques modifications proposées qui auront une incidence particulière sur le CANAFE.

Ces projets de modification sont les suivants : améliorer les exigences en matière de diligence raisonnable envers les clients; ajouter certains éléments à la liste des renseignements désignés pouvant faire partie des communications de renseignements financiers du CANAFE; permettre l'utilisation de sanctions administratives pécuniaires afin d'encourager la conformité; exiger l'inscription des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables; et ajouter les promoteurs immobiliers et les vendeurs de diamants et de métaux précieux à la liste des entités déclarantes assujetties à la loi.

Le document de consultation rendu public l'année dernière répond à un certain nombre de problèmes qui existent actuellement dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, mais les efforts ne peuvent se limiter à cela. Les méthodes utilisées pour camoufler et déplacer des fonds illicites évolueront. Les services financiers eux-mêmes vont évoluer et nous devrons suivre le rythme. Nous devons demeurer vigilants et explorer les nouveaux enjeux qui nécessiteront des nouvelles solutions.

Parmi les problèmes qui se profilent à l'horizon et que nous surveillons attentivement, il y a l'utilisation des guichets automatiques privés et les opérations bancaires sur Internet. Les criminels qui effectuent des télévirements internationaux pour un montant inférieur aux seuils actuels qui entraînent l'envoi d'une déclaration au CANAFE sont une autre source d'inquiétude.

Nous devons également évaluer l'importance des télévirements nationaux dans le cadre des stratagèmes frauduleux de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes. De nombreux problèmes nécessitent une plus grande étude afin de s'assurer que les mesures nécessaires pour les résoudre sont efficaces et réalisables. Les propositions législatives et règlementaires actuelles représentent toutefois une approche mesurée que le Canada peut facilement adopter au cours des prochaines années.

Voilà qui met fin à mon exposé. J'espère que vous l'aurez trouvé utile, et je vais céder ma place à M. Burbidge.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Wing. Votre exposé prépare bien le terrain aux questions que nous vous poserons quand M. Burbidge aura fait sa déclaration.

Nick Burbidge, directeur principal, Division de la conformité, Bureau du surintendant des institutions financières du Canada : Monsieur le président, au BSIF, je dirige le groupe qui évalue les mesures de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ne confère pas de rôle au BSIF. Toutefois, à l'instar d'autres grands organismes de réglementation ailleurs dans le monde, le BSIF est membre du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et de l'Association internationale des contrôleurs d'assurance. Il souscrit donc aux principes de base qui régissent la surveillance des institutions de dépôts et des sociétés d'assurances. En vertu de ces principes, nous devons être en mesure de déterminer si une banque est dotée de politiques, de pratiques et de procédures adéquates y compris de règles strictes de notoriété du client, qui favorisent l'application de normes élevées d'éthique et de professionnalisme dans le secteur financier, et empêchent les criminels de se servir des banques. Une norme semblable régit nos activités de surveillance des sociétés d'assurance-vie.

Nous transmettons au CANAFE les résultats de nos évaluations des mesures de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité de toutes les institutions financières fédérales. Nos évaluations portent sur trois éléments importants : les politiques et les procédures que l'institution a mises en place pour se conformer à la loi; le cadre de contrôle dont elle s'est dotée pour signaler les opérations douteuses au CANAFE; et, ce qui est conforme à notre rôle en matière de contrôle prudentiel, la qualité de ces contrôles et les processus connexes de gestion des risques.

Au Canada, les banques et les autres institutions financières fédérales consacrent d'importantes ressources humaines et financières à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Quelques-unes des institutions financières que nous avons examinées jusqu'à maintenant accordent une très grande importance à la mise en œuvre de mesures efficaces à cet égard. Certaines d'entre elles, en général les institutions de moindre envergure, ont eu besoin de directives plus précises. Nous avons pris l'initiative — et je dirais avec beaucoup de détermination — de leur fournir ces directives en intervenant auprès des institutions en cause, en abordant la question dans le cadre des nombreuses allocutions que nous prononçons et en organisant des séances d'information sur la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes afin de communiquer nos attentes à ce chapitre.

Nous collaborons très étroitement avec le CANAFE. Nous avons conclu un protocole d'entente avec lui il y a deux ans, mais nous avons commencé notre programme d'évaluation bien avant.

En évaluant pour lui les institutions que nous réglementons, nous mettons à contribution notre longue expérience d'organisme de réglementation bancaire dans ce domaine important de la gestion des risques en plus de permettre au CANAFE de s'investir dans d'autres secteurs.

Nous travaillons également de près avec le ministère des Finances et d'autres ministères clés afin de suivre l'évolution et les enjeux de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Enfin, nous participons aux travaux du Groupe d'action financière, dont vous avez entendu parler hier. C'est lui qui établit les normes internationales dans le domaine.

Ceci met fin à ma déclaration, et je serai heureux, avec mes collègues, de répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Le sénateur Tkachuk : On peut lire dans le rapport annuel du CANAFE de 2005 : « Nos communications porteront maintenant davantage sur la sensibilisation des entités déclarantes à haut risque », pour aider le Centre à améliorer son rendement. Quelles sont les entités déclarantes à haut risque et comment sont-elles régies par la loi actuellement?

Mme Wing : J'essaie de me rappeler ce qui figure dans le rapport annuel de 2005. Nous avons un programme de conformité fondé sur les risques. Nous évaluons les risques pour tous les secteurs visés par notre loi habilitante et les autres mesures législatives. Ce sont dans les secteurs non réglementés que les risques sont les plus élevés.

Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous nous donner des exemples?

Mme Wing : Il s'agit des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables et des courtiers de change.

Le sénateur Tkachuk : On peut lire dans une annexe du rapport annuel du CANAFE concernant le financement présumé d'activités terroristes et les collectes de fonds :

Le CANAFE a reçu des déclarations d'opérations douteuses qui lui ont permis d'établir des liens entre un certain nombre de particuliers et leurs entreprises et un organisme communautaire sans but lucratif. D'après les renseignements provenant de sources ouvertes, ces particuliers et entités étaient liés à un groupe terroriste radical bien connu. Certains des particuliers appuyaient également un terroriste connu.

L'analyse a révélé que, sur une période de deux ans, ces particulières et leurs entreprises avaient pris part à des opérations représentant plusieurs millions de dollars.

Une analyse plus approfondie a fait ressortir que, par le biais de leurs comptes d'affaires et personnels, ces individus télégraphiaient de l'argent en provenance du Canada vers des destinations suspectes au Moyen-Orient et en Europe de l'Est. Ils déposaient également des sommes importantes en espèces dans le compte bancaire de l'organisme communautaire à but non lucratif, dépôts qui étaient suivis de télévirements de montants importants à l'intention d'entités et vers des régions critiques.

Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus? Le groupe dont vous parlez est-il l'un de ceux que le gouvernement a jugé nécessaire d'inscrire sur la liste des terroristes, ou votre analyse a-t-elle donné lieu à des poursuites? Que s'est-il passé?

Mme Wing : La loi nous interdit de donner des détails sur nos communications de cas. Il vaudrait mieux adresser vos questions aux agences de sécurité à qui nous transmettons ces renseignements.

Je peux par ailleurs vous expliquer notre fonctionnement et comment nous analysons les informations pour arriver à ces conclusions. Je ne sais pas si cela vous serait utile.

Dans le rapport annuel, nous avons donné des exemples de cas que nous avons communiqués et épurés pour permettre aux entités déclarantes et à d'autres d'avoir une idée des profils et des tendances que nous observons.

Le sénateur Tkachuk : Je ne comprends pas trop ce que cela veut dire. Quand vous parlez de la collecte d'informations et des vos résultats à ce sujet, que voulez-vous dire? Faites-vous des liens entre ces informations, les poursuites engagées et les criminels ou les terroristes arrêtés? Pourquoi recueillir des informations? Ce n'est pas cela qui donne une idée du succès de l'opération, mais si des gens ont vraiment été poursuivis et que cela a eu une incidence sur le système. Je ne sais pas si les activités de blanchiment d'argent ont augmenté ou non. D'abord, j'aimerais savoir comment vous pourriez le savoir et, ensuite, comment vous évalueriez la situation par rapport aux poursuites qui ont permis d'arrêter des criminels.

Mme Wing : Nos communications de cas sont semblables aux exemples que nous avons fournis dans le rapport annuel. Nous informons les organismes d'application de la loi et de sécurité. Dans le but d'évaluer le succès de notre service du renseignement financier pour le système, il y a à peu près un an, nous avons joint aux renseignements que nous communiquons à tous les organismes de sécurité, des formulaires pour connaître leur opinion sur les services que nous rendons. Nous pouvons ainsi avoir une idée de l'utilité des renseignements transmis. Par exemple, est-ce qu'ils ont fourni de nouveaux indices? Est-ce qu'ils ont permis aux forces policières de porter des accusations, d'engager des poursuites?

C'est un mécanisme que nous avons mis en place en partie pour répondre aux préoccupations formulées par la vérificatrice générale il y a un peu plus de deux ans. Nous n'avons pas reçu de réponse de tous les organismes d'application de la loi et de sécurité sur la qualité de nos services. Nous avons reçu la moitié des formulaires concernant les cas que nous avons communiqués l'an dernier, mais nous espérons pouvoir faire état de la totalité des formulaires envoyés dans notre rapport annuel de cet automne.

Cependant, concernant votre question sur l'utilité de nos services, nous avons constaté, à ce jour, que 74 p. 100 de nos communications étaient liées à des personnes ou à des entités qui suscitaient l'intérêt des organismes d'application de la loi ou de sécurité, et que 60 p. 100 de nos communications avaient fourni les noms d'individus jusque-là inconnus ou des indices à leur sujet. Nous savons que plusieurs cas que nous avons communiqués ont donné lieu à des accusations et à des poursuites au criminel.

Le sénateur Tkachuk : Parlez-vous de deux ou trois?

Mme Wing : Je dirais une dizaine. Mais ce sont les organismes d'application de la loi et de sécurité qui seraient mieux placés pour vous répondre.

Le sénateur Tkachuk : Quelqu'un a dû rédiger le rapport et l'envoyer au SCRC, à la police ou à quelqu'un d'autre. Personne ne demande ce qui s'est passé un mois tard? Quelqu'un a-t-il cherché à savoir si les résultats communiqués avaient été utiles? Ces quelques paragraphes sont assez incriminants. Personne ne cherche à savoir si les individus dont vous parlez font l'objet d'une enquête?

Vous avez parlé d'une douzaine de cas. Comment pouvez-vous savoir si ces individus n'auraient pas été arrêtés sans votre intervention? Ce n'est pas un nombre important. Ce n'est vraiment pas énorme.

Mme Wing : Nous avons également constaté que les délais sont longs entre le moment où les renseignements sont communiqués et celui où l'enquête a lieu et les accusations sont portées. Comme je l'ai dit, je ne peux pas donner de détails sur les cas que nous communiquons, mais nous avons remarqué que ceux qui font l'objet d'une enquête datent d'un certain temps. Il s'agit de cas que nous avons communiqués il y a deux ou trois ans, ce qui montre le temps qu'il faut compter entre l'obtention des renseignements et la conclusion d'une enquête ou la poursuite. Il nous faudra du temps pour recueillir de bons renseignements sur l'utilité des cas que nous communiquons, mais nous cherchons à le faire.

Le sénateur Tkachuk : Les législateurs aimeraient pouvoir obtenir des renseignements là-dessus. Pour ce qui est de tout l'argent dépensé pour recueillir des renseignements qui sont ensuite communiqués au SCRS, nous pourrions installer des webcams dans tous les foyers du Canada pour arrêter les criminels, mais ce ne serait pas acceptable. Les membres de notre comité se demandent si les informations qui sont recueillies portent atteinte à la protection de la vie privée ou si elles permettent de porter des accusations et d'aider la police.

Vous parlez d'une dizaine de cas, mais il me semble que vous devriez tenir des statistiques pour que nous puissions évaluer l'utilité de votre centre. Autrement, les renseignements que vous recueillez n'ont pas d'intérêt pour le gouvernement à moins qu'ils permettent d'établir des liens avec des criminels.

Mme Wing : Les organismes d'application de la loi et de sécurité nous ont dit que nos services étaient utiles. Le renseignement financier, tout comme le renseignement humain et le renseignement sur les transmissions, permet de mettre tous les morceaux ensemble et de se faire une idée complète de la situation.

Pour ce qui est de la protection des renseignements personnels, le CANAFE prend très au sérieux la question de la protection des renseignements financiers et personnels. Nous avons établi des mesures de sécurité pour que ces renseignements soient protégés et nous veillons à ce qu'aucun renseignement ne soit divulgué sans autorisation.

Le sénateur Tkachuk : Éliminez-vous ces renseignements?

Mme Wing : Il y a des dispositions dans notre loi habilitante à ce sujet, et je vais demander à M. Carrière de vous répondre plus précisément.

Yvon Carrière, avocat-conseil, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) : J'en ai parlé hier. La loi prévoit que tous les renseignements et les rapports recueillis par le CANAFE soient détruits après cinq ans. S'ils ont été communiqués à des organismes d'application de la loi, le délai est de huit ans.

Le vice-président : Je crois que le témoin hésite à donner des détails sur les cas parce que la loi l'interdit. Elle nous conseille de nous adresser aux organismes concernés.

Madame Wing, je tiens à vous dire que nous avons invité des représentants du SCRS à comparaître devant notre comité, mais ils ont décliné notre invitation. Ils ne peuvent pas être identifiés à la télévision; leurs activités sont trop secrètes.

Je tiens à préciser qu'il serait utile d'avoir des détails. Vous avez parlé d'autres organismes d'application de la loi — et nous allons entendre la GRC plus tard aujourd'hui — mais c'est frustrant pour le sénateur Tkachuk et nos autres collègues. Je comprends votre situation, mais je vous signale que nous renvoyer au SCRS est peine perdue.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Notre loi est-elle efficace? J'ai fait une recherche sur Internet pour connaître l'étendue des activités criminelles et du blanchiment d'argent. Il s'agit évidemment d'argent caché pour lequel il n'y a aucune statistique vérifiable, mais les experts s'entendent pour dire que les montants impliqués frôlent les 20 à 30 milliards.

Cependant, quand je considère ces montants et que je vois que depuis 12 mois, la loi nous a permis de prendre contrôle de seulement 27 millions d'actifs, ma réaction immédiate est de me dire que nous faisons du bon travail, mais il reste encore beaucoup d'efforts à faire pour contrôler les activités criminelles et de blanchiment d'argent.

Je sais que je mesure, d'une part, les activités transactionnelles et les actifs. Est-ce que cela nous laisse supposer que l'on fait peu de différence entre le blanchiment d'argent et les activités criminelles?

[Traduction]

Le vice-président : On ne dirait pas que vous poser une question complémentaire.

Madame Wing, si vous avez du mal à répondre, dites-le-moi. Autrement, votre réponse peut être brève.

Mme Wing : Faisons-nous une distinction entre le blanchiment d'argent et les produits de la criminalité?

Le sénateur Massicotte : Essentiellement, vous avez permis de saisir 27 millions de dollars, comme nous l'avons entendu hier, alors qu'il y a des milliards de dollars qui font l'objet d'activités criminelles ou de blanchiment d'argent chaque année. Que vaut la loi? Est-elle efficace? Nous semblons faire bien peu quand on compare ces 27 millions de dollars aux milliards de dollars qui sont blanchis chaque année ou liés à des activités criminelles.

Le vice-président : Hier, le sénateur Massicotte a interrogé des représentants du ministère de la Justice, qui est chargé de faire appliquer la loi, et ils n'ont pas voulu donner de chiffres sur l'ampleur du problème. Mon personnel a passé en revue nos précédentes audiences et a constaté que la GRC avait dit au comité il y a à peu près un an qu'elle évaluait les montants d'argent blanchis entre 5 et 27 milliards de dollars.

Le sénateur Massicotte : Même si on retient le chiffre optimiste de 5 milliards de dollars, c'est une grande différence par rapport à 27 millions de dollars.

Mme Wing : Je peux parler au nom du CANAFE. Nous fournissons des renseignements financiers sur le blanchiment présumé d'argent. Nous ne faisons pas de distinction. Les produits de la criminalité sont en fait des sommes d'argent blanchies. Nos méthodes de détection sont très efficaces pour fournir aux organismes d'application de la loi les renseignements dont ils ont besoin pour s'attaquer au problème. C'est ce qu'ils nous ont dit. Cependant, il y a tout un aspect du système qui peut être négligé parfois, et c'est celui de la dissuasion.

Au cours des cinq dernières années, les institutions financières et les services financiers ont établi des programmes de conformité. La déclaration des transactions douteuses est maintenant obligatoire. Tous ces renseignements nous sont transmis pour que nous puissions les analyser et transmettre les résultats de notre analyse aux organismes d'application de la loi afin de les aider dans leur travail.

Étonnamment, il n'existait aucune exigence à ce sujet il y a cinq ans. Les gens pouvaient déposer des millions de dollars en espèces dans les institutions financières, et rien n'obligeait personne à vérifier la source de ces fonds.

Le vice-président : Je vais maintenant donner la parole au sénateur Di Nino, qui vient de Toronto et qui a une vaste expérience dans le secteur des services financiers.

Le sénateur Di Nino : Ayant une certaine expérience dans le domaine et après avoir lu sur la question, je pense que nous avons affaire à des crimes économiques commis par des cols blancs habituellement très habiles. Dans certains cas, on les qualifie de génie. Nous n'avons pas affaire à des escrocs ordinaires qui travaillent à tâtons.

Nous participons à une initiative internationale. Est-ce que tous les pays sont mis à contribution ou s'il y en a qui ne le sont pas?

Mme Wing : Il y a plus d'une centaine de services du renseignement financier dans le monde aujourd'hui.

Le sénateur Di Nino : Autrement dit, il y a probablement une centaine de pays qui ne sont pas engagés ou qui ne participent pas au programme, n'est-ce pas?

Mme Wing : Je ne sais pas trop combien il y a de pays dans le monde. Je sais qu'il existe plus de 100 services du renseignement financier et que d'autres sont en voie d'être créés.

Le sénateur Di Nino : L'autre problème à ce sujet a trait aux entités non réglementées. Je parle des services de change en activité au Canada. Actuellement, ils ne sont pas visés par cette mesure législative, n'est-ce pas?

Mme Wing : Ces organismes sont visés par la loi, mais pas réglementés; par conséquent, il nous est plus difficile de les trouver et d'en faire le suivi.

Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas sûr d'apprécier la réponse à cette question. Je ne veux pas dire par là que vous m'avez donné la mauvaise réponse. Vous dites, en fait, qu'il existe de nombreuses entreprises cambistes dont certaines, dans le passé, ont été accusées d'effectuer des transferts qui seraient considérés illégaux selon nos règles. Dans certains cas, à ce que j'ai compris, il s'agissait de très gros montants. Nous ne savons pas qui sont ces gens, ni comment les atteindre. Où est le problème?

Mme Wing : C'est un secteur qui n'est pas réglementé, alors il n'y a pas d'associations formelles, il n'y a pas de moyen facile pour nous de déterminer le nombre d'entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables. Cela étant dit, nous savons que bon nombre d'entre elles fournissent des services financiers utiles et précieux et qu'elles respectent leurs obligations en matière de rapports et de tenue de dossiers. Puisqu'elles ne sont pas réglementées et ne font pas partie d'un secteur formel, comme celui des banques, nous sommes moins renseignés sur elles. Nous avons plus de difficulté à veiller à savoir qui elles sont, à toutes les connaître et leur rendre visite, et à nous assurer qu'elles présentent des rapports. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes favorables à l'enregistrement des entreprises de transfert de fonds de vente de titres négociables.

Le sénateur Di Nino : Dans le même ordre d'idée, je pense que le public vous appuie dans cette démarche, particulièrement en ce qui concerne ces types d'entités non réglementées. Est-ce que je me trompe? Est-ce que vous avez des gens qui téléphonent et qui disent « Nous pensons qu'il y a quelque chose qui se passe là, et vous devriez aller y voir? »

Mme Wing : Nous recevons effectivement des rapports volontaires de la part des secteurs des entités de déclaration elles-mêmes. Je ne voudrais donner à personne l'impression que toutes les entreprises de transfert de fonds et de vente de titres négociables participent à des activités criminelles. Ce n'est pas le cas. De fait, certaines de ces entreprises et d'entreprises cambistes, particulièrement les plus grandes, aimeraient qu'il y ait une espèce de système d'enregistrement. Et elles veulent des règles du jeu équitables pour tout le monde.

Le sénateur Di Nino : Je le comprends. D'après mon expérience personnelle, je suis d'accord que la grande majorité d'entre elles sont respectueuses de la loi. Il se peut que nous n'en connaissions pas quelques-unes, et nous ne pouvons peut-être pas leur imposer quoi que ce soit parce qu'elles ne sont pas réglementées, ce qui m'amène à poser la question suivante : est-ce qu'il faudrait modifier la loi? Y a-t-il quelque chose que nous devrions faire pour essayer d'amener ces gens-là sous l'emprise de la loi, pour que vous ayez plus de pouvoir?

Mme Wing : L'une des propositions que comporte le document de consultation du ministère des Finances vise l'enregistrement des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables. Nous pensons que ce serait très utile.

Le sénateur Di Nino : Si des gens veulent vous fournir certains renseignements, avons-nous un mécanisme pour protéger leur identité?

Mme Wing : Le CANAFE protégerait ces renseignements, c'est certain.

Le vice-président : Le sénateur Goldstein, de Montréal, est un éminent avocat qui a une vaste expérience des institutions financières, et il aurait quelques questions à vous poser.

Le sénateur Goldstein : J'ai plusieurs questions sans lien de l'une à l'autre, en rapport avec des aspects dont chacun de vous avez parlé.

Le vice-président : Disons que vous pouvez en poser trois.

Le sénateur Goldstein : Est-ce que c'est une limite imposée aux sénateurs libéraux et pas aux sénateurs conservateurs, monsieur le président?

Le vice-président : Cela va de soi.

Le sénateur Goldstein : On a parlé hier à des avocats et de la mesure dans laquelle ils ne sont pas obligés de divulguer ce qu'on appelle des « transactions douteuses ». On nous a dit que la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et plusieurs autres en ont discuté. On nous a dit que le Royaume-Uni oblige les avocats à divulguer ces renseignements. On a appris hier que cette obligation est limitée par le privilège du secret professionnel et que lorsqu'il y a secret professionnel, ils ne sont pas tenus de divulguer de tels renseignements. Est-ce que vous êtes prêt à accepter le modèle du Royaume-Uni? Parce qu'il ne me semble pas l'avoir compris.

M. Carrière : Il y a un article dans la loi qui dispose que rien dans la loi n'oblige à enfreindre le privilège du secret professionnel. C'est depuis le début la position du gouvernement, et c'est clairement stipulé dans la loi.

Je suis absolument certain que le gouvernement n'a jamais eu l'intention, dans ses négociations, d'exiger que les clients enfreignent le secret professionnel. Je suis absolument convaincu que quelque soit la solution que le gouvernement trouvera, ce privilège sera encore protégé.

Le sénateur Goldstein : C'est réconfortant.

Lors d'audiences antérieures, nous avons exprimé des préoccupations sur la mesure dans laquelle les renseignements personnels des Canadiens et de tous les résidents du Canada sont protégés et préservés. Dans quelle mesure ce principe fait-il partie intégrante de la culture de votre ministère? Quels efforts ont été déployés pour assurer l'équilibre entre les obligations de divulgation et exigences en matière de sécurité d'un côté, et la protection des droits de la personne de l'autre?

Mme Wing : Nous prenons les questions de protection et de renseignements personnels très au sérieux, au CANAFE. Nous y sommes obligés. Nous le voulons, mais nous le devons aussi. Notre loi nous oblige à assurer la protection des renseignements que nous recueillons. Notre indépendance par rapport aux organismes d'application de la loi est un complément à cet équilibre de la protection des renseignements financiers. Des sanctions pénales sont prévues dans nos lois pour tout employé qui divulgue des renseignements qui ne doivent pas l'être.

Pour équilibrer les besoins de l'application de la loi avec la protection des renseignements que nous devons divulguer, nous devons passer notre seuil. Nous devons avoir des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements pourraient avoir un rapport avec une enquête ou des poursuites relativement à un délit de blanchiment de l'argent. Nous travaillons avec diligence pour atteindre ce seuil, et une fois que nous l'avons atteint, nous divulguons.

Tous les autres renseignements sont protégés. Tout notre personnel est détenteur d'une attestation de sécurité « top secret », ou admissible à cette attestation. Nous avons mis en place des mesures très rigoureuse de sécurité pour nos systèmes informatiques, et de très solides mesures de protection physique dans nos bureaux.

Le sénateur Goldstein : Est-ce que vous avez discuté à l'interne du financement d'activités terroristes par des états, qui passe par le Canada, par opposition aux fonds versés par des particuliers ou des organisations?

Mme Wing : Là encore, la loi m'interdit de discuter des détails de cas particulier de divulgation que nous avons pu faire.

Le sénateur Goldstein : Il ne s'agit pas d'un cas particulier, mais plus une situation générale.

Mme Wing : La loi m'interdit de dire que j'ai divulgué quoi que ce soit en rapport avec le terrorisme subventionné par des états.

Le sénateur Moore : Madame Wing, j'aimerais approfondir le concept des opérations par correspondants bancaires. D'après ce que je comprends du processus, c'est l'offre de service bancaire d'une banque à l'autre, qui permet à des banques outre-mer d'effectuer des transactions et de fournir des services à leurs clients dans des pays où elles n'ont pas de succursales. Une banque qui est accréditée dans un pays à l'étranger et qui n'a pas de bureaux au Canada pourrait recourir aux services de banques correspondantes pour attirer et retenir de riches criminels ou des clients corrompus qui chercheraient à blanchir de l'argent au Canada. Au lieu de s'exposer aux mesures de contrôle canadiennes et d'assumer les coûts élevés d'une succursale au Canada, la banque ouvrirait un compte de banque correspondante auprès d'une banque canadienne.

Est-ce que vous connaissez des transactions de ce type? Y en a-t-il? Les banques à charte sont des institutions qui doivent présenter des rapports au CANAFE. Quand elles vous présentent ses rapports, comment vous assurez-vous et vous convainquez-vous qu'une banque à charte canadienne n'est pas la dupe d'une banque étrangère dûment accréditée qui pourrait canaliser ainsi le produit d'activités criminelles?

Mme Wing : Plusieurs d'entre nous pourrions répondre à cette question, parce qu'elle concerne des éléments précis des propositions que contient le livre blanc.

M. Burbidge : On s'attend à ce que les banques du Canada qui entretiennent une relation de banque correspondante avec une banque extérieure au Canada s'assurent de la bonne foi de cette banque étrangère. Par exemple, on s'attendrait à ce qu'elles vérifient et soient convaincues que la banque a été correctement supervisée et réglementée par un organisme plus ou moins équivalent au BSIF; que le régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme de ce pays est à peu près comparable au nôtre ou qu'ils comprennent son fonctionnement; et que les processus internes de la banque dans ce pays étranger sont compris, en ce qui concerne les règles d'identification des clients de la banque. Nous cherchons un cadre qui ferait que les banques aient l'assurance raisonnable de faire affaire avec une organisation qui applique des normes et des méthodes assez similaires aux nôtres.

Les banques savent que les opérations par correspondants bancaires sont, de façon générale, vues comme une activité à haut risque parce qu'elles mettent en cause le virement électronique de grosses sommes d'argent dans le monde entier. Nous avons constaté, de par notre propre expérience, que les banques sont très conscientes des risques en la matière.

En ce qui concerne les détails du scénario que vous avez dépeint, mon collègue, Keith Martin, a une longue expérience du secteur financier et s'y connaît un peu plus que moi. Nous venons tous les deux du secteur privé, mais il a une plus longue expérience.

Keith Martin, directeur, Division de la conformité, Bureau du surintendant des institutions financières du Canada : Les opérations par correspondants bancaires se font lorsqu'une banque étrangère n'a pas d'établissement bancaire concret au Canada, et inversement lorsqu'une banque canadienne n'a pas de succursale dans le pays étranger. Les services bancaires correspondants visent à faciliter pour les clients de chacune de ces banques l'exécution de leurs transactions dans l'autre pays.

Est-il possible qu'une banque étrangère blanchisse le produit d'activités criminelles d'une source canadienne, ou inversement? C'est possible, mais pour ce faire — prenons d'abord l'exemple du Canada — les Canadiens devraient déposer ces fonds dans une banque canadienne. Par conséquent, dès le départ, ils seraient assujettis aux mesures de détection et de dissuasion relativement aux transactions pouvant être liées à des activités criminelles.

Le sénateur Moore : Ils seraient assujettis à nos mesures de contrôle.

M. Martin : Oui.

Supposons qu'il n'y ait pas détection d'activité criminelle. La banque canadienne transférerait alors ces fonds à la banque correspondante de l'autre pays, quel qu'il soit, et alors c'est à la banque correspondante d'agir.

En passant, nous nous attendons à ce que nos banques puissent nous donner des garanties raisonnables, en ce qui concerne les mécanismes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes que les correspondants ont établis. On s'attend à ce que nos banques connaissent les normes qu'appliquent leurs correspondants.

Le sénateur Moore : Elles devraient savoir que la banque correspondante est assujettie à la supervision d'un organisme similaire au BSIF ou au CANAFE.

M. Martin : Exactement. Si elles ne le sont pas, on s'attendrait à ce qu'elles fassent preuve de ce que nous appelons une diligence raisonnable accrue. Mais nous ne pouvons pas dire aux banques qu'elles ne peuvent pas faires d'affaires dans les autres pays du monde pour servir leurs clients. Nous disons cependant qu'elles devraient appliquer nos normes de diligence raisonnable accrue en l'absence d'un tel régime.

L'autre point de vue, c'est quand le client étranger veut faire entrer de l'argent au Canada. Cette transaction passe par le processus inverse. La banque étrangère en ferait une analyse. En arrivant au Canada, l'argent passerait aussi par les divers processus de dépistage du Canada. Que ce soit dans un sens ou dans l'autre, si l'argent passe par une institution financière canadienne, il est assujetti au mécanisme de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme du Canada.

Le sénateur Moore : Sans révéler de secrets, madame Wing, est-ce que nous avons déjà eu ce genre de situation depuis la création du CANAFE?

Mme Wing : Sans donner de noms, oui.

Une voix : Beaucoup, énormément?

Mme Wing : Je savais que cela arriverait.

Le sénateur Moore : C'est combien, beaucoup?

Mme Wing : Je me contenterai de répondre oui.

Le sénateur Moore : Est-ce que ce type de cas est en hausse, ou en baisse?

Mme Wing : Il nous est toujours difficile de parler de tendance, parce que notre organisme est tellement récent. Nous n'avons, en tout, que trois ans. Nous n'avons même pas encore eu la possibilité de recueillir et colliger nos chiffres de la troisième année et les comparer à ceux des années précédentes, alors il me serait difficile de répondre à cette question.

M. Burbidge : Vous ne devez pas oublier qu'avant que cette loi entre en vigueur, les banques participaient déjà à un système de divulgation volontaire directement à la GRC, relativement à divers types de transactions. Cette loi fait beaucoup plus que ce système, mais les banques ont déjà une vaste expérience de ces questions. Elles sont très conscientes que ce genre d'activités pourrait être très risqué, à moins qu'elles prennent les mesures appropriées.

Nous avons examiné ces systèmes que les banques ont instaurés depuis quelques années. Je ne dirai pas que nous n'avons pas relevé, ici et là, de processus méritant quelque amélioration. De plus, comme vous le savez probablement si vous avez lu les documents de recherche, les nouvelles normes du GAFI exigeront des banques de tous les pays membres du GAFI et d'autres pays qu'ils envoient l'intégralité des renseignements sur leurs clients avec chaque virement de fonds électronique. Certaines banques n'agissent que comme des espèces de bureaux de poste et virent les fonds à leurs correspondantes. Avec ce nouveau processus, tous les renseignements sur les clients que les banques d'origine ou auteures de la commande recueillent sur les virements y sont annexés. Ainsi, chaque banque participant au virement peut être certaine que les mesures exhaustives, ou du moins appropriées, de diligence raisonnable ont été appliquées en tout temps, tout au long de la transaction.

Mme Wing : J'ajouterai que le ministère des Finances consulte au sujet de propositions que contient le livre blanc de l'été dernier pour renforcer les dispositions entourant les banques correspondantes.

Le sénateur Moore : Est-ce que les banques à charte du Canada ne sont autorisées à transiger qu'avec les banques étrangères qui appliquent les normes du GAFI? Est-ce que nos banques sont assujetties à un règlement international quelconque?

M. Burbidge : À ce que je sache, il n'y a pas d'interdiction absolue, à part les dispositions juridiques particulières qui peuvent concerner un pays ou une personne sanctionné. Les banques, de façon générale, savent qu'il y a des certains pays qui tendent à présenter plus de risques que d'autres.

Il y a un standard du GAFI qui satisfait généralement les autres pays membres. Je ne suis pas expert sur la façon dont cela s'intègre à nos propres lois, mais de façon générale, on s'attend à ce qu'ils fassent preuve d'un certain degré de diligence raisonnable et qu'ils en sachent assez sur la banque étrangère avec laquelle ils font affaire, qu'elle soit ou non d'un pays membre du GAFI.

Le vice-président : Pour clarifier la question du sénateur Moore sur les banques correspondantes, si un électeur du sénateur Moore à Halifax achetait une maison en Floride pour 300 000 ou 400 000 $ et demandait à sa banque canadienne de virer les fonds à sa banque à Tampa, est-ce que la transaction de ce citoyen respectueux de la serait divulguée par le biais du processus du CANAFE?

Mme Wing : Le rapport serait transmis au CANAFE si la transaction était de plus de 10 000 $. Cependant, d'après notre mode d'analyse, à moins qu'il y ait quelque chose de douteux et que nous ayons aussi reçu un rapport de transaction douteuse relativement à cette transaction, ou qu'elle soit liée d'une façon ou d'une autre à un réseau de blanchiment d'argent, nous ne la verrions jamais. Elle serait dans nos banques de renseignements, mais nous ne la verrions jamais.

Le vice-président : Je pense que c'est ce que voulait savoir le sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Dans ce cas-là, la déclaration au CANAFE de l'achat légitime d'une maison, est-ce que ces données seraient de la catégorie de celles qui doivent être gardées cinq ou huit ans, dont a parlé M. Carrière?

Mme Wing : Les données sont conservées pendant cinq ans. D'autres unités de renseignements financiers du monde appliquent la même méthode que nous, quand elles recueillent des données sur des virements électroniques, mais pas toutes le font. C'est une exigence objective de déclaration, et c'est pourquoi nos normes relativement à la protection des renseignements personnels sont tellement rigoureuses. Les rapports sont reçus, et peuvent être analysés. Ce qu'on attrape dans ce filet de 10 000 $ et plus et ce qui nous intéresse vraiment — ce qu'on cherche, qu'on trouve, ce sont les transactions liées au blanchiment d'argent.

Le vice-président : Dans le cadre de la série de règlements et de lois qui ont été adoptés pour lutter contre ce qu'on appelle le blanchiment d'argent — et j'ai suggéré hier qu'il pourrait y avoir une autre raison — il y avait une exigence liée à la présentation de déclarations de revenus. Il faut maintenant déclarer les biens détenus à l'étranger. Des citoyens respectueux de la loi pourraient être propriétaires d'une maison en Floride ou au Colorado, d'une valeur de quelques centaines de milliers de dollars, mais il se peut qu'ils oublient d'en parler. S'ils devaient envoyer de l'argent pour payer la maison, la transaction serait enregistrée par le CANAFE. Le CANAFE, à son tour, en informerait l'ARC, et la personne pourrait être pénalisée pour ne pas l'avoir signalée dans sa déclaration de revenus. Lorsque j'ai parlé hier des cyniques qui laissent entendre que le véritable objectif de cette loi, c'est d'attraper les fraudeurs de l'impôt, ce genre d'exemple qui suscite ce cynisme.

Mme Wing : Je vais essayer d'expliquer cela. Le mandat du CANAF consiste en la détection et la dissuasion du blanchiment d'argent, du financement d'activités terroristes et d'autres menaces pour la sécurité au Canada. C'est notre travail, et c'est ce que nous faisons. Nous pouvons divulguer des renseignements à l'Agence du revenu du Canada, mais tout d'abord, nous devons avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu'il s'agit de blanchiment d'argent.

Le vice-président : Quelle que soit la raison.

Mme Wing : Il ne s'agit pas d'évasion fiscale.

Le sénateur Tkachuk : Comment est-ce que vous sauriez si quelqu'un ne fait qu'acheter une autre maison en Floride ou cherche à blanchir de l'argent? Que dirait l'analyste?

Mme Wing : En réalité, l'analyste ne relèverait jamais cette transaction.

Le sénateur Massicotte : Si l'analyste ne relèverait jamais cette transaction à moins qu'elle semble douteuse et liée à une activité criminelle, alors il doit bien exister une liste de ces personnes parce qu'il faudrait un point de référence pour pouvoir dire « à moins que ce soit lié à certains types de personnes ». Je suppose que le CANAFE a une « liste noire » de noms, ou une liste cumulative de transactions douteuses effectuées par certaines personnes. Si le nom de quelqu'un s'y trouve, comment cette personne peut-elle l'en faire retirer?

Mme Wing : Nous n'avons pas de listes. Je vais prendre un moment pour expliquer comment fonctionne notre processus.

Nous recueillons les renseignements sur les transactions douteuses, comme les virements électroniques internationaux de plus de 10 000 $, et les rapports de transaction de grosses sommes de plus de 10 000 $. Il y a aussi la communication volontaire de renseignements, par quiconque veut nous les fournir. Nous recevons de grandes quantités de communications volontaires du milieu de l'application de la loi. Je vais me concentrer sur le blanchiment d'argent dans mon exemple.

Notre base de données contient des millions de rapports de transactions. Nos systèmes analysent ces rapports et établissent un lien entre ceux qui sont douteux et les rapports de transactions et de virements mettant en cause de grosses sommes. Nous pouvons ouvrir un dossier en remettant les renseignements à un analyste pour qu'il les examine de plus près, peut-être parce que les rapports de transactions l'exigent. Ce peut être lorsque des entités de déclaration différentes émettent des soupçons sur les mêmes personnes ou groupes de transactions. Cela nous porterait à nous y intéresser de plus près. Nos systèmes de bases de données feraient l'extraction des données sur les transactions connexes. Aussi, nous pourrions ouvrir un dossier parce qu'un organisme d'application de la loi a volontairement fourni au CANAFE des renseignements sur une enquête. Là encore, nous verrions s'il y a des transactions connexes dans notre base de données.

Le vice-président : C'est un peu semblable à une recherche dans Google. Vous entrez simplement un nom, et l'ordinateur vous fournit le reste des données.

Le sénateur Massicotte : Si je vous écrivais une lettre sur les transactions d'une personne, vous feriez un suivi?

Je sais que le CANAFE est nouveau et que le processus d'analyse peut sembler un peu mystérieux, mais nous serions heureux de revenir vous faire une présentation sur la manière dont nous faisons nos analyses.

Le vice-président : Cela nous intéresserait beaucoup. Je demanderai à Mme Gravel, notre greffière, d'en prendre note.

Le sénateur Baker : Lorsque nous examinons une nouvelle loi, dans le cadre de l'examen quinquennal, nous communiquons nécessairement avec les organismes de déclaration relativement aux dossiers qui ont rapport avec la loi. Je suppose que le CANAFE, de temps à autre, s'intéresserait aux procès tenus en vertu de cette loi, puisqu'ils sont en rapport avec votre ministère; n'est-ce pas?

Mme Wing : Nous essayons de faire un suivi.

Le sénateur Baker : À part les cas déclaré, et, comme l'a souligné le sénateur Goldstein, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, pour le compte de chacune des provinces — la Saskatchewan, l'Ontario et la Colombie-Britannique — six cas ont été jusqu'au procès. Dans chaque cas, une exemption provisoire avait été accordée à la province pour les avocats, pour qu'ils puissent s'occuper de leurs clients. Le sénateur Goldstein a raison de parler de zone restreinte du secret professionnel.

À part cela, la majorité des litiges relatifs à cette loi ont rapport à la question de quelqu'un dont l'argent a été saisi et qui essaie de le récupérer. Les montants varient, comme l'a souligné Mme Wing, parce qu'il peut s'agir de n'importe quel montant supérieur à 10 000 $. La plupart des litiges sont à cause d'une omission de déclarer au passage de la frontière. Bien souvent, il apparaît qu'il y a inversion de la charge de la preuve en vertu de la loi, qui fait que c'est au détenteur de l'argent en question qu'il incombe de prouver que l'argent est légitime. La loi comporte des clauses de recours en appel à la Cour fédérale de toute saisie et confiscation par le ministre. Sur demande, le CANAFE fournit les renseignements pour que le ministre puisse déterminer s'il y a lieu faute vis-à-vis la loi. Votre mandat consiste en partie à fournir ces renseignements. Le ministre ne fait pas que s'asseoir et dire « Voici les faits ». Le ministre se fie aux renseignements que lui fournit le CANAFE.

J'ai écouté attentivement ce que vous avez dit aujourd'hui, et je comprends qu'il y ait une obligation de « soupçonner », de ne pas « croire ». Comme vous le savez, dans la loi, « soupçonner » est nettement moins exigeant.

La Cour fédérale a jugé dans plusieurs dossiers que cette loi est très injuste pour les gens qui essaient de récupérer leur argent. Pour ceux que cela intéresse, je voudrais citer ce qui a été dit dans plus d'un cas : Dans la décision Hoang en 2006, le juge a dit que la procédure d'appel est à la fois malcommode et peu pratique et, selon un autre juge, dans l'affaire Dokaj, elle est injuste.

La décision du ministre, fondée sur les soupçons du CANAFE, ne peut être qu'invalidée par l'inversion de la charge de la preuve qui fait que le détenteur de l'argent doit prouver que les fonds ont été obtenus de façon légitime, bien qu'aucune accusation n'ait été portée et qu'il n'a pas été prouvé que la personne ait eu de mauvaises intentions, ou mens rea. Est-ce que vous avez des suggestions au sujet de cette situation embarrassante dans laquelle bien des gens peuvent se retrouver?

Mme Wing : Je commencerai par dire que vous parlez de la saisie d'espèces par l'Agence des services frontaliers du Canada, avec laquelle nous n'avons rien à voir. Nous ne fournissons pas de renseignements au ministre pour l'aider dans sa décision. Je demanderais à M. Carrière de vous expliquer cela. C'est un aspect confus de la partie 2 de la loi.

Le sénateur Baker : D'après ce que vous déterminez, vous fournissez des renseignements au ministère du Revenu national.

Mme Wing : Non, ce n'est pas ce que nous faisons.

Le sénateur Baker : Vous n'avez pas de rapport avec le ministère de la Justice ou le solliciteur général?

Mme Wing : Nous ne pouvons divulguer les renseignements qu'à l'organisme d'application de la loi, aux services de renseignements financiers étrangers, mais pas au solliciteur général.

M. Carrière : Pour que ce soit clair, nous pouvons communiquer des renseignements à l'ARC quand nous soupçonnons qu'il y a blanchiment d'argent. Ces renseignements se rapporteraient à une enquête et à des poursuites pour blanchiment d'argent, et nous déterminons que c'est lié au délit d'évasion fiscale.

Le plus important, c'est que le CANAFE ne saisit pas d'argent. Le CANAFE n'est pas responsable de l'administration de la partie 2 de la loi, qui traite de déclarations de saisie d'argent à la frontière. Tout cela est administré par l'Agence des services frontaliers du Canada.

La loi interdit spécifiquement au CANAFE de fournir au ministre des Finances des renseignements sur quiconque a fait l'objet d'un rapport ou qui a présenté un rapport. Cette clause s'appliquerait certainement au ministre du Revenu national. Il me semble que l'ARC pourrait comparaître devant ce comité à un moment donné. Peut-être pourrait-il mieux vous renseigner sur la partie 2 de la loi.

Le vice-président : La prochaine question vous sera posée par l'un de nos nouveaux sénateurs, le sénateur Campbell, qui a fait une carrière distinguée en Colombie-Britannique en tant que maire de Vancouver.

Le sénateur Campbell : Avant d'être maire de Vancouver, je participais à l'application de la loi, alors je suis resté au fait des méthodes de renseignement.

Est-ce qu'il ne vous serait pas utile de tenir des statistiques sur le nombre de cas dans votre système et le nombre de dossiers qui ont été clos? Je reconnais qu'un cas peut s'étirer pendant deux ou trois ans, mais au bout du compte cela vous donnerait une idée de là où vous en êtes dans votre travail.

Mme Wing : Ce serait très précieux. La raison pour laquelle nous avons ajouté le formulaire de rétroaction dans notre trousse de divulgation, à l'automne dernier, était justement pour recueillir ce type de renseignements. Bien des partenaires y participent. Nous ne faisons pas affaires qu'avec la GRC et le ministère de la Justice fédéral, mais nous divulguons aussi des renseignements à tous les organismes d'application de la loi provinciaux et municipaux.

Nous produisons le formulaire de rétroaction et l'ajoutons à nos communications de renseignements. Nous commençons à recueillir des statistiques qui nous permettront de vous donner, ainsi qu'à d'autres et pour nous, à des fins opérationnelles, des statistiques pour déterminer si les renseignements que nous communiquons sont utiles et mènent à des accusations. La partie plaignante devra collaborer avec le ministère de la Justice pour aller au bout de la démarche.

Le sénateur Campbell : Ce serait avantageux pour vous.

Mme Wing : Oui.

Le sénateur Campbell : Nous avons discuté de l'ampleur du phénomène de blanchiment d'argent. La Colombie- Britannique a la distinction d'avoir une industrie agricole de 7 milliards de dollars par année contrôlée, en grande partie, par des gangs.

L'achat d'une maison en Floride ne m'inquiéterait pas. Toutefois, supposons que j'achète ensuite une deuxième, une troisième, puis une quatrième propriété. Ces achats vous sont-ils signalés sous mon nom?

Mme Wing : Le CANAFE verrait les virements électroniques internationaux faits à l'appui de ces achats. Si pareilles transactions étaient continuelles et d'un montant suffisamment élevé, il se pourrait qu'elles viennent à notre attention.

Le sénateur Campbell : Ce n'est pas très définitif comme réponse.

Mme Wing : J'aimerais pouvoir affirmer que nous serions au courant. Ce qui est révélateur, c'est le modèle des transactions. Si des centaines de milliers de dollars étaient déplacées, nous le remarquerions. De pareils montants attireraient notre attention.

Le sénateur Campbell : Disposez-vous d'un moyen quelconque de regrouper les personnes? Si je vous présente une série de noms, êtes-vous capables de me dire qu'elles appartiennent à tel ou tel groupe?

Je comprends la raison pour laquelle vous ne pouvez me fournir beaucoup de détails, mais j'essaie de comprendre comment le processus est déclenché. Par exemple, si je fais partie d'une brigade des stupéfiants et que je me rends compte qu'un homme est propriétaire d'une maison de 800 000 $, qu'il conduit une Porsche et qu'il a un bateau et un avion et si je sais, en plus, qu'il n'a jamais gagné légitimement plus de 35 000 $ par année, comment vais-je m'y prendre pour consulter votre banque de données?

Mme Wing : Le milieu de l'application de la loi nous transmet volontairement de l'information. Si quelqu'un enquête sur une personne et souhaite transmettre de son propre gré de l'information à ce sujet au CANAFE, nous examinerions nos données pour voir si elles incluent des renseignements sur des transactions que nous soupçonnerions être liées à l'enquête sur le blanchiment d'argent.

Le sénateur Campbell : Est-ce que vous me le diriez?

Mme Wing : Nous en informerions l'organisme d'application de la loi.

Le sénateur Campbell : On a l'impression que nous sommes informés de la transaction quand l'argent est déposé dans une banque canadienne. Cependant, supposons que je suis un trafiquant de drogues, que je fais entrer l'argent clandestinement en Europe et que je ne dépose pas l'argent dans une banque canadienne, mais dans une banque suisse, puis que je le retire et que je reviens ici. Comment allez-vous me repérer?

Mme Wing : Je vais reprendre l'exemple que vous avez vous-même utilisé, soit la culture de marijuana, qui n'est pas exclusive à la Colombie-Britannique. Typiquement, nous serions informés des transactions comme telles parce qu'il circulerait beaucoup de rapports signalant des transactions de change sur les devises d'un montant élevé. Nous pouvons supposer qu'une grande partie du produit est écoulée aux États-Unis, puis l'argent converti dans des bureaux de change ici, au Canada.

Pour répondre à votre question, si ces personnes plaçaient ensuite l'argent — il faudrait que ce soit dans un établissement de dépôt —, nous en serions probablement informés puisque d'importants montants seraient déposés. Des transactions comme celles-là nous sont aussi signalées. Ensuite, si ces personnes viraient l'argent dans un compte à l'étranger, nous observerions d'importants virements électroniques.

Le sénateur Campbell : Seulement si je l'envoie dans un des 100 pays dont vous avez parlé.

M. Burbridge : Il faudrait non seulement que le trafiquant de drogues fasse passer l'argent par le système bancaire canadien avant de l'envoyer en Suisse, mais également, quand...

Le sénateur Campbell : Je pourrais emporter l'argent avec moi en Suisse.

M. Burbridge : Dans ce cas-là, au départ se poserait le problème de lui faire franchir la frontière canadienne.

Le sénateur Campbell : Monsieur, nous parlons ici d'un trafiquant de drogues. Il fait passer clandestinement des centaines de tonnes de marijuana à la frontière. Je crois qu'il est capable de se rendre en Suisse avec une valise bourrée d'argent.

M. Burbridge : Les règles suisses sont assez semblables aux nôtres. En d'autres mots, une fois l'argent entré en Suisse, le même problème se poserait.

Le sénateur Campbell : Plutôt que de prendre la Suisse comme exemple, choisissons un plus petit pays. Je pourrais me présenter dans une banque avec un millions de dollars et demander à ouvrir un compte. La banque le ferait, et vous n'en entendriez jamais parler. Je réimporte l'argent au Canada en achetant des terres que je paie au moyen d'un chèque tiré sur un compte bancaire dans Dieu sait quel pays. Comment va-t-on me prendre?

M. Burbridge : Il en a été question hier. La question est importante parce qu'elle illustre la raison pour laquelle tous devraient adopter les mêmes règles. Il est vrai que, dans certains pays, les normes ne sont pas tout à fait à la hauteur des normes relatives à la lutte contre le recyclage de l'argent.

C'est pourquoi le GAFI et ses organismes connexes existent. Ils travaillent dans plusieurs pays en développement et sous-développés. Le scénario que vous nous avez décrit est certes possible. C'est pourquoi il importe tant de persuader le plus grand nombre de pays possible d'adopter sans tarder la norme du GAFI.

M. Martin : À un certain stade, si cet argent aboutit dans un milieu réglementé — soit au Canada ou aux États-Unis —, il va déclencher tous les systèmes de détection et de dissuasion en place. En fin de compte, il finira par attirer l'attention. Quant aux sorties d'argent, vous avez raison.

Le sénateur Campbell : Quand j'ai choisi les comités dont je ferais partie, je n'ai pas choisi celui des banques parce que j'estimais le sujet trop aride, mais je suis en train d'apprendre. Il faudra peut-être que je laisse tomber un de mes autres comités.

Le vice-président : J'aimerais remercier les témoins. Il y a beaucoup de matière à assimiler, comme s'en rendent compte de plus en plus les membres du comité.

J'ai trouvé la remarque faite par un membre du système judiciaire canadien profonde. Il a dit que la loi à l'étude est injuste, maladroite et contre-indiquée. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez? Il s'agit après tout de l'objet central de notre travail.

Mme Wing : La loi frappe selon moi un juste équilibre entre, d'une part, la Charte, les droits individuels et la protection de la vie privée et, d'autre part, le besoin d'empêcher les criminels de faire mainmise sur nos services financiers.

M. Burbridge : Je crois pouvoir le mieux résumer notre raisonnement à cet égard en utilisant une analogie très chère à notre surintendant. Le blanchisseur d'argent peut se comparer au cambrioleur qui évalue plusieurs maisons sur une rue. Quelle maison dévalisera-t-il? Il choisira celle qui présente le moins de difficultés, celle qui a un système d'alarme médiocre ou qui n'en a pas, celle où il n'y a personne. Notre défi consiste à rendre nos établissements financiers le plus à l'épreuve des cambrioleurs possible et à nous concerter avec nos partenaires étrangers pour adopter une norme universelle, de manière à rendre nos services financiers le moins accueillants possible aux criminels.

Le vice-président : Est-ce que ceci répond à la question, à savoir si le projet de loi est juste, inopportun or incorrect?

M. Burbridge : Monsieur le président, je ne suis pas responsable de cette législation. Certes, il y a parfois des difficultés mais nous ne nous occupons pas du domaine auquel le sénateur Baker faisait allusion. On peut certainment trouver des façons d'améliorer la législation et de réduire les difficultés mais je ne suis pas un expert dans la matière.

Le vice-président : Le système judiciaire serait fier de vous. Je vous remercie de ces commentaires.

Nous attendrons avec impatience de recevoir l'analyse promise, madame Wing. Si l'un d'entre vous avait d'autres réflexions ou faits à nous transmettre, qu'il n'hésite pas à le faire par tous les moyens possibles, en tenant compte évidemment du peu de temps dont nous disposons.

Nous accueillons maintenant comme témoins Maureen Tracy, de l'Agence des services frontaliers du Canada, et Pierre-Yves Bourduas, de la Gendarmerie royale du Canada.

Monsieur, madame, le comité vous souhaite la bienvenue.

La loi en est encore à ses débuts, et de nombreuses suggestions ont été faites. Deux de nos tribunaux ont laissé entendre que la loi ne serait peut-être pas juste, alors que d'autres ont émis l'avis contraire. Notre mandat consiste à soit trouver ce qui ne va pas dans la loi et les moyens de l'améliorer, soit à la déclarer efficace. C'est là l'objet de notre examen.

Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire. Ce que vous faites nous intéresse. Nous sommes très fiers de vous et de vos deux organismes. Vous avez la parole.

Pierre-Yves Bourduas, sous-commissaire, Services fédéraux et Région du centre, Gendarmerie royale du Canada : Je vais commencer par vous parler du régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes, qui touche deux secteurs d'activité distincts de la GRC. La Sous-direction des produits de la criminalité (SDPC) supervise le régime de lutte contre le blanchiment de capitaux, autrement dit le régime LCBC, alors que la Sous-direction des opérations de sécurité nationale (SDOSN) supervise le régime de lutte contre le financement des activités terroristes, c'est-à-dire le régime LFAT.

La GRC a obtenu 34 postes, répartis entre les différents groupes de LCBC au pays et l'administration centrale de la GRC, afin d'évaluer les renseignements fournis par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et d'autres organismes. À l'origine, la GRC n'avait reçu aucune ressource en vertu de la LRPCFAT pour entreprendre la LFAT.

L'un des principaux aspects qui doivent être examinés porte sur l'élargissement de la liste des renseignements désignés que le CANAFE est tenu par la loi de communiquer aux organismes de renseignement et d'application de la loi.

Tel qu'il est précisé dans le Document de consultation, le Rapport de la vérificatrice générale du Canada de 2004 et l'Évaluation à la fin de la cinquième année de l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent et l'évaluation préliminaire des mesures de lutte contre le financement du terrorisme, l'efficacité des divulgations du CANAFE est limitée par les contraintes juridiques qui restreignent l'information pouvant être divulguée.

Le plus utile serait d'ajouter un exposé des faits motivant la divulgation et, plus particulièrement, les raisons de la suspicion. Cette information accroîtrait la valeur des divulgations du CANAFE, éliminerait les dédoublements d'efforts et, en définitive, améliorerait le régime canadien LCBC/LFAT.

L'article 462.47 du Code criminel permet à des nombreuses entreprises privées de communiquer de l'information volontairement et directement à la GRC. La plupart de ces divulgations contiennent plus d'information que ce nous recevons en réalité du CANAFE. Bien que certaines divulgations soient volumineuses, elles comprennent habituellement une brève explication des raisons pour lesquelles l'établissement considère la transaction douteuse. Ces explications peuvent faire économiser aux enquêteurs beaucoup de temps et d'efforts d'analyse.

Il convient de souligner que la collectivité canadienne d'application de la loi ne demande pas l'accès direct aux banques de données du CANAFE. En dépit de sa dimension internationale, la GRC continue de respecter sa relation d'autonomie par rapport au CANAFE et la nécessité pour celui-ci de garantir la protection des renseignements personnels. Cependant, dès que cet organisme indépendant a des motifs raisonnables de soupçonner des activités de blanchiment d'argent, il devrait pouvoir les transmettre plus rapidement aux organismes canadiens d'application de la loi.

Par ailleurs, la GRC croit qu'on devrait envisager d'assouplir les exigences liées à l'obtention d'ordonnances de communication, en passant des motifs raisonnables de croire à des motifs raisonnables de soupçonner, selon la prépondérance des probabilités. Cela accroîtrait l'efficacité du système et, en bout de ligne, renforcerait le cadre canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux.

La GRC s'intéresse vivement aux négociations en cours entre le ministère des Finances et la profession de juriste visant à élaborer un nouveau régime législatif et réglementaire qui tient mieux compte des fonctions du conseiller juridique. La GRC convient avec les parlementaires, la vérificatrice générale du Canada et les médias que l'exclusion de la profession de juriste crée une brèche importante dans le régime canadien.

Il s'agit-là d'une question délicate en raison des privilèges particuliers dont jouissent les avocats. C'est aussi la raison pour laquelle les notes d'interprétation des quarante recommandations donnent une certaine marge de manoeuvre, qu'elles permettent à des professions comme celle des juristes d'envoyer leurs rapports sur des transactions douteuses à leur organisme d'autoréglementation, à condition qu'il existe des formes convenables de coopération entre ces organismes et le service du renseignement financier.

Quiconque, y compris l'avocat, agit comme intermédiaire financier doit accepter la responsabilité de faire en sorte qu'il ne transfère pas des produits de la criminalité ou liés à des activités terroristes. Tout groupe de la société qui ne le fait pas devient un maillon faible et une cible éventuelle. De toute évidence, les recommandations du GAFI ne gênent pas l'accès à un conseiller juridique et servent les intérêts de la société sans toucher au secret professionnel.

La GRC appuie l'inclusion des diamants, des pierres et des métaux précieux (DPMP) dans la loi. Cela obligerait l'industrie à signaler toute transaction suspecte mettant en cause d'importants montants et lui imposerait une série d'exigences liées à l'identification des clients et à la tenue de dossiers.

À mesure que les entreprises du secteur des services financiers sont astreintes à des règlements plus stricts, les criminels cherchent d'autres moyens de blanchir les produits de leur activité criminelle. Diverses caractéristiques rendent le secteur des DPMP très vulnérable à l'activité criminelle.

La GRC appuie sans réserve la proposition du gouvernement visant à modifier la loi afin d'établir un régime d'enregistrement des cambistes et des ETFVTN, c'est-à-dire des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables, aux fins de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

De récentes enquêtes menées un peu partout au Canada montrent clairement comment l'absence d'enregistrement et de permis au Canada rend ce secteur très intéressant pour les criminels qui cherchent à blanchir de l'argent ailleurs que dans le secteur bancaire réglementé. Le secteur des EFTVTN ne cesse de croître, et on le retrouve maintenant dans les dépanneurs, les magasins de vêtements, les restaurants, les librairies, les clubs vidéo, les salons d'esthétique, les boutiques de téléphonie mobile, les boutiques de pose d'ongles, les bijouteries et les agences de voyage.

Les guichets automatiques sans nom sont des guichets privés qui appartiennent à des exploitants indépendants et qui ne portent pas le logo d'une institution financière connue. Ils sont mentionnés brièvement par le ministère des Finances dans son document de travail comme étant un secteur qu'examinera le gouvernement. La GRC encourage le ministère des Finances à entreprendre cet examen puisque les enquêtes continuent de montrer que ces guichets constituent un moyen idéal de blanchir d'importantes sommes d'argent.

La GRC participe à une initiative dirigée par le ministère des Finances qui a demandé des ressources supplémentaires dans le cadre du budget fédéral de 2006. Il semble que la GRC verra son niveau de ressources augmenter en vertu de l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent (INLCBA) au profit de la SDPC et de la SDOSN. La Sous-direction des opérations de sécurité nationale devrait recevoir 12 e.t.p. supplémentaires, qui seront répartis entre les divisions opérationnelles. Ces nouveaux enquêteurs aideront à augmenter la capacité d'enquête des trois principaux centres financiers où aboutit la majorité de l'information transmise par le CANAFE. L'ajout de nouvelles ressources au programme ne dispensera pas de la nécessité de prioriser les activités; cependant, il favorisera une approche plus équilibrée et, en bout de ligne, permettra au milieu d'application de la loi de tester la solidité de la Stratégie canadienne de lutte contre le blanchiment d'argent.

Maureen Tracy, directrice générale, Direction des programmes d'exécution, Direction générale de l'application de la loi, Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) : Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais au nom de l'Agence des services frontaliers du Canada remercier le vice-président de ses propos bienveillants à notre égard lorsqu'il nous a présentés. Il est réconfortant de voir que cette nouvelle agence dont le mandat est large et au sujet de laquelle on a créé beaucoup d'attentes jouit d'appuis au Sénat et ailleurs.

J'aimerais vous remercier infiniment de nous avoir invités à venir témoigner aujourd'hui. L'application de la partie 2 de la loi dont nous nous chargeons relativement au produit de la criminalité est une composante importante de notre programme d'exécution, et nous sommes très fiers des résultats que nous avons obtenus au cours des dernières années.

J'aimerais commencer mon exposé par un bref aperçu du rôle que joue l'ASFC dans l'Initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent (INLCBA) et la lutte internationale plus générale contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Je vous décrirai aussi comment nous nous sommes organisés pour exécuter le programme sur le terrain et les succès remportés jusqu'ici.

Comme vous le savez, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui a reçu la sanction royale en juin 2000, cherchait à remédier aux lacunes du droit canadien en matière de blanchiment d'argent. La loi visait à mettre en oeuvre des mesures précises pour lutter contre le phénomène, y compris la déclaration obligatoire au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) de tout mouvement transfrontalier d'espèces et d'instruments monétaires d'une valeur égale ou supérieure à un certain montant.

Le projet de loi C-36, c'est-à-dire le projet de loi omnibus antiterrorisme, a élargi la portée de la loi de manière à y inclure la lutte au terrorisme et en a changé le titre, qui est désormais la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

L'ASFC est responsable de l'application et de l'exécution de la partie 2 de la loi, aux termes de laquelle toute personne ou entité est tenue de déclarer à un agent des services frontaliers de l'ASFC l'importation ou l'exportation d'espèces ou d'instruments monétaires évalués à 10 000 $CAN ou plus. Les exigences de déclaration prescrite par la loi s'appliquent à tous les modes de transport (aérien, routier, ferroviaire et maritime) et à toutes les méthodes d'importation et d'exportation (par voyageur, par véhicule, par voie commerciale, par messagerie et par courrier).

Du point de vue administratif, l'ASFC recueille les déclarations de mouvements transfrontaliers d'espèces des voyageurs et des entreprises commerciales. Les agents aident également les voyageurs et les entreprises à remplir les formulaires de déclaration d'espèces. Une fois remplies, les déclarations sont transmises au CANAFE pour analyse.

Sur le plan de l'exécution de la loi, l'ASFC a le pouvoir d'effectuer une fouille et de saisir les espèces et les instruments monétaires non déclarés d'une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN. Les renseignements liés aux mesures de saisie sont également transmis au CANAFE. Toutes les saisies peuvent faire l'objet d'un appel auprès du ministre de la Sécurité publique et, en dernier recours, de la Cour fédérale du Canada.

Le Programme de déclaration des mouvements transfrontaliers des espèces de l'ASFC a reçu 3,2 millions de dollars par année environ pour faire respecter la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Ces crédits ont été affectés au traitement et à la communication des rapports sur le terrain, à la coordination de l'activité à l'administration centrale, à la vérification de la conformité et à l'exécution de la loi.

Les ressources destinées à une fin particulière ont été affectées aux points d'entrée à risque élevé, couvrant ainsi les modes aériens et routiers. Des équipes d'exécution de la loi en matière de mouvement des espèces et des équipes de chiens détecteurs sont aussi déployées à des emplacements clés.

L'ASFC a également investi dans l'acquisition de toute une panoplie d'instruments de détection comme des unités mobiles de radioscopie et des vidéoscopes. Nous avons à notre disposition une vaste gamme d'autres technologies qui facilitent l'examen non intrusif des marchandises.

Depuis le début du Programme de déclaration des mouvements transfrontaliers d'espèces, le 6 janvier 2003, l'ASFC a reçu plus de 100 000 déclarations d'importation et d'exportation d'espèces.

L'exécution par l'ASFC de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes depuis sa création le 30 avril 2006 a donné lieu à plus de 5 100 saisies représentant plus de 132 millions de dollars. De ce nombre, moins de 600 ont fait l'objet d'un appel auprès du ministre. Les décisions ont été maintenues dans 321 cas, modifiées dans 111 et annulées dans 49. Les tribunaux sont actuellement saisis de 37 cas.

En guise de conclusion, l'Agence des services frontaliers du Canada estime que la mise en oeuvre de ce programme lui a permis d'accroître sa contribution à la lutte internationale contre la criminalité transfrontalière, plus particulièrement en ce qui concerne le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le programme a eu pour effet direct de confisquer plus de 34 millions de dollars de présumés produits de la criminalité et de les retirer de la circulation.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Dans votre rapport, monsieur Bourduas, vous faites état du rôle des avocats. La présente législation fait une exception importante aux avocats relativement au privilège client-avocat. Le droit qu'a tout citoyen d'être représenté par un avocat. C'est en même temps une ouverture très large à notre objectif du blanchiment d'argent.

Si un avocat dépose de l'argent dans une banque canadienne, la banque a-t-elle une obligation de poser davantage de questions sur la provenance de l'argent? Si la banque connaît l'avocat et le juge crédible et sérieux, est-ce que le questionnement s'arrête là? Quelles sont les règles de divulgation au sujet des fonds? Cela s'arrête-t-il à la divulgation de l'avocat ou à celle de son client?

M. Bourduas : Votre question comporte deux volets dont le premier est la responsabilité de l'avocat vis-à-vis son client. En regardant l'écart, on cherche ce qu'il y a à l'intérieur de la loi, c'est-à-dire de s'assurer que l'avocat a aussi une responsabilité vis-à-vis la société dans son ensemble en s'assurant des origines des fonds que son client transige à l'intérieur de l'étude légale.

On vise par ces modifications à ce que l'avocat adopte les mêmes procédures que les institutions bancaires, c'est-à- dire connaître son client, enregistrer l'origine des fonds comme tel et transiger ces fonds.

On reconnaît l'importance du droit aux clients et aux solliciteurs. C'est un privilège qui existe et qui doit être bien encadré à l'intérieur du processus de blanchiment d'argent puisque la première étape est de placer cet argent.

On veut éviter que les avocats se retrouvent dans une situation où ce sont plutôt les corps policiers qui viennent effectuer une perquisition dans l'étude légale. Je dois souligner qu'un nombre assez important de nos enquêtes nous amènent éventuellement vers des études légales, puisque certaines transactions ont eu lieu et ont soulevé du questionnement.

Le sénateur Massicotte : Je veux être clair. Je comprends votre interprétation, mais les avocats sont-ils exclus totalement aujourd'hui ou seulement relativement à certaines transactions de leurs études? Les experts comptables et les courtiers d'assurance sont inclus.

M. Bourduas : C'est relatif aux transactions qui apportent des sommes d'argent considérables vers l'étude légale. Dans ce contexte, sur le plan des études légales, l'ensemble des avocats disent avoir cette relation privilégiée avec leur client et ne doivent pas nécessairement divulguer l'origine de ces fonds.

Le sénateur Massicotte : Prenons l'exemple d'un avocat qui fait un dépôt. Il représente un client qui est « moins que correct ». Il reçoit des sommes d'argent importantes et fait un dépôt à une banque canadienne. L'avocat n'a aucune obligation, aujourd'hui, selon la loi, de faire rapport de l'argent suspect. Quelle est l'obligation de la banque canadienne? Elle connaît bien l'avocat, l'étude a des comptes de banque sérieux à cette banque. La responsabilité de la banque s'arrête-t-elle là? La banque doit-elle questionner la provenance des fonds de toutes les transactions? A-t-elle une obligation d'interroger le client?

M. Bourduas : Un des premiers éléments c'est « know your customer ».

Le sénateur Massicotte : Le « customer », c'est l'avocat, n'est-ce pas?

M. Bourduas : Exactement.

[Traduction]

Il faut donc connaître son client, non pas le client de son client.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Cela s'arrête à l'avocat.

M. Bourduas : Voilà. Si, par exemple, l'étude légale est une étude sérieuse dans laquelle les gens apportent des sommes d'argent considérables, l'obligation de la banque a été rencontrée jusqu'à un certain point.

Le but visé par la modification à la loi est de rendre les études légales imputables. Ces études doivent connaître l'origine exacte des fonds qui leur sont acheminés. Ce faisant, on évitera que celles-ci ne profite de leur crédibilité et ne deviennent une courroie de transaction pour amener ces fonds vers les institutions financières.

Le sénateur Massicotte : Nous retrouvons plusieurs avocats autour de cette table, tous très honorables. Toutefois, nous en retrouvons parfois ailleurs qui sont moins honnêtes. La loi offre donc une ouverture très large pour ceux qui aimeraient en profiter. Il est possible de passer d'énormes sommes d'argent.

M. Bourduas : Le point que vous soulevez est important. On reconnaît que l'ensemble des avocats sont des gens honnêtes. Cette législation cherche à protéger les avocats ou la profession comme telle en donnant une obligation légale aux avocats de déclarer ces fonds. L'avocat doit donc dire à son client qu'il a l'obligation de déclarer ces fonds et que, par conséquent, il doit connaître leur origine. Cette obligation place donc l'avocat dans une position beaucoup plus facile où il doit gérer en quelque sorte son client. Le fardeau de l'obligation et la légitimité de la transaction sont ainsi transférés sur l'avocat et, éventuellement, sur l'institution financière qui, elle, ne posera pas de question étant donnée la crédibilité déjà établie de l'avocat.

Le sénateur Massicotte : Ma deuxième question s'adresse à Mme Tracy. J'étais récemment à Hong Kong où je visitais le port, un des plus importants au monde de par le nombre de conteneurs qui y transitent.

Mme Tracy : De quel port parlez-vous?

Le sénateur Massicotte : Je parle du port de Hong Kong et également de celui de Singapour. J'ai remarqué que tous les camions et les gens qui accèdent au port doivent passer par une barricade de contrôle où un détecteur s'assure qu'aucune matière suspecte ne franchit le seuil ou n'est présent dans les conteneurs.

Il y a deux ou trois semaines, un article paru dans la presse canadienne indiquait que cette pratique ne se faisait pas au Canada. L'article ne donnait toutefois aucune explication pour cette lacune. Le Canada est pourtant un pays plutôt riche si on le compare à Hong Kong ou à Singapour. On parle continuellement des ports canadiens où s'effectue le trafic de produits de toutes sortes. Pourquoi cette pratique n'est-elle pas en vigueur au Canada?

[Traduction]

Mme Tracy : Se peut-il que l'équipement dont vous parlez est du matériel de détection du rayonnement?

Le sénateur Massicotte : C'est possible.

Mme Tracy : L'ASFC a de bonnes nouvelles sur ce front. Elle a consacré plus de 18 mois à se documenter sur le matériel de détection du rayonnement. Elle a choisi de l'équipement qui, pour l'instant, du moins d'après la technologie actuellement utilisée, semble le mieux adapté à nos circonstances. Je parle des portiques détecteurs que devront franchir les camions pour vérifier qu'ils ne dégagent pas de rayonnement.

Pour les mettre au point, nous avons installé, dans le cadre d'un projet pilote, le matériel dans un petit port à conteneurs du Nouveau-Brunswick. D'ici à la fin de l'année, nous avons bon espoir d'en doter les terminaux portuaires de Halifax, de Montréal et de Vancouver. De la sorte, presque tous les conteneurs qui entrent dans ces ports seront inspectés.

De plus, nous avons déployé des appareils faisant appel à la technologie d'imagerie gamma, soit une dizaine à peu près d'unités mobiles d'inspection des véhicules et du fret, mieux connues sous l'appellation VACIS. Grâce à cette technologie, on peut voir ce qui se trouve à l'intérieur d'un conteneur en 30 secondes environ et vérifier si la déclaration est exacte ou si le conteneur renferme des produits de contrebande.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Pourquoi cette pratique ne s'applique qu'aux ports et non aux frontières en général ou à tout autre point d'accès important?

[Traduction]

Mme Tracy : Les ports sont le premier élément de notre stratégie. Je suis consciente que les États-Unis utilisent des appareils de détection du rayonnement à leurs postes frontaliers terrestres. Toutefois, le Canada ne projette pas de le faire. Nous croyons avoir ciblé le secteur le plus à risque. Dans le cadre du partenariat entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, nous nous sommes engagés à élargir le programme de détection du rayonnement de concert avec les États-Unis, tant sur le plan de la recherche que sur celui du déploiement d'autres appareils, mais à ce stade-ci, nous ne projetons pas d'en installer à nos postes terrestres.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais creuser une question abordée par le sénateur Massicotte. Les avocats s'occupent de toutes sortes de transactions. C'est vrai qu'il existe des avocats moins honnêtes que d'autres. On peut l'affirmer de toutes les professions. Comment donneriez-vous suite aux préoccupations qu'ont fait valoir les avocats? Indépendamment du secret professionnel, quand une transaction n'est pas privilégiée, c'est-à-dire que la transaction se fait entre deux parties, les deux savent que l'argent vient peut-être du Royaume-Uni, d'une source tout à fait légitime, ou d'une autre source. C'est ensuite à l'avocat de juger s'il devrait déclarer la transaction ou pas. Vous nous avez fourni une piste de solution, soit que les avocats qui sont connus pour être honnêtes ne seront pas considérés comme ayant pris part à une transaction douteuse, alors que les avocats connus par leurs institutions pour être moins honnêtes le seront. Comment justifie-t-on de pareilles décisions quand on sait que la Charte interdit de poser de pareils jugements?

M. Bourduas : Nous reconnaissons qu'il existe des instances dirigeantes au sein de la profession de juriste, et c'est justement ce que reflète notre position. Les avocats, par l'intermédiaire de leurs instances dirigeantes, déclareraient au CANAFE toutes les transactions de plus de 10 000 $.

Comme l'a mentionné le sénateur Massicotte, il y a une énorme brèche. L'exigence de connaître son client est une pente glissante. On compte sur le bon jugement d'une personne qui ne serait peut-être pas au courant de toutes les circonstances qui entourent l'entrée dans le cabinet de ce montant. Nous disons qu'il suffit d'assumer la fonction de discernement et de simplement transférer, par voie de réglementation, cette responsabilité à un organe indépendant comme le CANAFE. Il serait en mesure de juger de la transaction mettant en cause telle personne et de consulter sa banque de données pour s'assurer que la personne n'a pas eu recours à ce cabinet particulier pour effectuer une seule transaction qui pourrait être liée à d'autres transactions douteuses. Selon nous, il suffirait de mettre en place un système qui permettrait de connaître beaucoup mieux le contexte qui entoure certaines transactions.

Le sénateur Goldstein : Je ne suis pas sûr que votre réponse donne réellement suite à la préoccupation que je tente de faire valoir. Vous avez laissé entendre que, lors de la prochaine série de modifications, le critère permettant d'entamer des poursuites devrait être non plus des motifs raisonnables de croire, mais des motifs raisonnables de soupçonner. Voilà qui est très arbitraire.

M. Bourduas : Permettez-moi de rétablir les faits. Je n'ai pas parlé d'aller en cour. J'ai simplement parlé d'une ordonnance de communication. Nous demandons de pouvoir obtenir une ordonnance de communication quand nous avons des soupçons raisonnables, plutôt que lorsque nous le savons hors de tout doute raisonnable.

Le sénateur Goldstein : De qui obtiendriez-vous cette ordonnance de production?

M. Bourduas : Nous nous adresserions au CANAFE. Il n'est pas question d'avoir recours au tribunal. Il est important de noter que nous voulons d'abord et avant tout nous attaquer au maillon le plus faible possible dans le processus de blanchiment d'argent. Quand je parle de maillon faible, je pense à ces sacs de hockey remplis de billets. Je le sais d'expérience, car j'ai été en charge d'un important dossier de blanchiment d'argent à Montréal entre 1990 et 1994. Quatre agents d'infiltration de la GRC ont alors participé au blanchiment de quelque 162 millions de dollars sur une période de quatre ans. Des gens se présentaient avec des sacs de hockey pleins d'argent qu'ils voulaient placer. C'est donc à ce niveau que nos efforts organisationnels et collectifs doivent être concentrés. Nous devons compliquer la tâche à ces personnes qui souhaitent blanchir d'aussi importantes sommes d'argent.

Le sénateur Goldstein : Vous nous avez dit, madame Tracy, que de l'équipement avait été mis en place dans plusieurs endroits au pays pour servir à différentes fins; on veut notamment installer des écrans de détection des radiations un peu partout au Canada. Si une personne souhaite faire entrer quelque chose au pays, et si elle connaît vos intentions, elle peut simplement traverser la frontière ailleurs.

Mme Tracy : C'est juste. L'Agence des services frontaliers du Canada doit installer l'équipement dans les endroits les plus à risque, d'après nos évaluations. Il nous faut bien reconnaître qu'une personne dispose de nombreuses options pour faire entrer des choses au Canada. Dans le cadre de notre processus d'évaluation des risques, nous mettons tout en œuvre pour combler ces lacunes. Nous poursuivons nos efforts pour évaluer les risques encourus ainsi que pour la R-D de nouvelles technologies.

Je crois que l'équipement actuellement en place — et je risque fort de me tromper, mais pas de beaucoup — est d'une valeur d'environ 68 millions de dollars. En 2000, c'était à peu près 1,5 million de dollars, ce qui montre bien que des investissements ont été consentis.

En outre, les équipements actuels sont beaucoup plus perfectionnés que ceux dont nous disposions il y a quatre ou cinq ans à peine. Comme je l'ai déjà indiqué, nous sommes entrés dans l'ère de la détection des radiations. Nous pouvons compter sur des systèmes de détection par rayon gamma beaucoup plus puissants qui permettent un meilleur contrôle et l'inspection d'une plus grande quantité de marchandises.

Vous avez bien raison de dire que c'est une lutte de tous les instants lorsqu'on considère l'étendue de notre pays et les nombreuses possibilités qui s'offrent à ceux qui veulent y entrer. Quoi qu'il en soit, nous travaillons en fonction des risques déterminés et nous continuerons d'installer de l'équipement dans les secteurs que nous jugeons vulnérables.

Le sénateur Goldstein : Monsieur Bourduas, quel genre de formation vos 34 analystes, sans compter ceux que vous voudriez avoir en plus, reçoivent de telle sorte qu'ils puissent bien saisir le juste équilibre à trouver entre les besoins d'une enquête et les exigences de la Charte?

M. Bourduas : Lorsqu'il est question de produits de la criminalité, nos analystes doivent pouvoir faire la distinction entre les différents types de crimes sur lesquels nous enquêtons. Nos enquêteurs possèdent une expérience pratique et se sont déjà présentés devant le tribunal pour le traitement d'infractions substantielles. Ils doivent composer depuis plusieurs années avec la réalité de la Charte et ont été intégrés au processus d'établissement de la Loi sur les produits de la criminalité de manière à pouvoir dégager une image plus nette des défis qui nous attendent et des options qui s'offrent à nous dans le déploiement stratégique de nos ressources limitées pour s'attaquer à ces défis.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Bourduas, on peut lire ce qui suit à la page 2 de votre mémoire :

[...] la GRC continue de respecter la relation d'autonomie avec le CANAFE [...] cependant, à partir du moment où cet organisme indépendant a des motifs raisonnables de soupçonner des activités de blanchiment d'argent, il devrait pouvoir les transmettre plus rapidement aux organismes canadiens d'application de la loi.

On pourrait en conclure que vous n'êtes pas satisfaits de l'information que vous obtenez et de sa disponibilité pour vous. Pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements à ce sujet?

M. Bourduas : Pour ce qui est du CANAFE, nous sommes d'avis que la loi actuelle définit ce qui devrait constituer des « renseignements désignés ». Nous croyons également que l'interprétation légale qui en a été faite est de portée trop étroite. Nous souhaiterions un élargissement de la définition de « renseignements désignés » de manière à ce que nous puissions avoir accès à des informations additionnelles du CANAFE relativement à l'origine de leurs motifs raisonnables de croire qu'une transaction peut être jugée suspecte. Nous demandons des renseignements justificatifs à cet égard et des informations supplémentaires qui permettront à nos enquêteurs de mieux cibler leurs efforts dans un secteur donné.

Nous sommes satisfaits des relations que nous entretenons avec le CANAFE, mais nous souhaiterions une définition beaucoup plus large des « renseignements désignés » ou une interprétation plus ouverte de cette définition.

Le sénateur Tkachuk : Vous préféreriez que le processus soit moins lourd de leur côté de manière à ce que vous receviez davantage d'information, c'est bien cela? Est-ce un problème de qualité ou en voulez-vous simplement plus?

M. Bourduas : C'est autant lié à l'information qu'aux critères utilisés pour celle que nous voudrions obtenir.

Le sénateur Tkachuk : Faudrait-il modifier la loi pour augmenter la quantité d'information pouvant être transmise à la GRC?

M. Bourduas : Dans sa forme actuelle, le paragraphe 55(7) de la loi traite des renseignements désignés et mentionne le nom et l'adresse, la valeur et la nature des espèces ou des effets, le type d'opération, le numéro de compte, puis, à l'alinéa e), fait référence à « tout autre renseignement identificateur analogue désigné par règlement ». Dans les décisions rendues, cette précision a été jugée dans la droite ligne des quatre éléments précédents, sans élargir la définition pour permettre tout au moins aux enquêteurs de savoir pour quelles raisons le CANAFE a désigné comme « suspects » certains renseignements. Nous voudrions que cette définition soit élargie de telle sorte que les enquêteurs puissent avoir une meilleure idée des raisons pour lesquelles certaines transactions sont jugées suspectes.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque nous avons discuté de la question de la protection de la vie privée avec les représentants du CANAFE, ils nous ont répondu que différentes mesures ont été mises en place pour protéger la confidentialité des renseignements. Ils nous ont aussi dit qu'on se débarrasse des renseignements au bout de cinq ans, à moins qu'ils aient été transmis à la police, auquel cas on les conserve pendant huit ans. Que faites-vous avec ces renseignements? Si on augmente la quantité d'information qui vous est transmise, alors les autorités policières peuvent compter sur davantage de renseignements, mais cela demeure simplement de l'information. Nous ne savons pas si une personne a commis des actes répréhensibles; c'est seulement de l'information. Est-ce que vous éliminez ces renseignements après un certain nombre d'années ou demeurent-ils au dossier à jamais?

M. Bourduas : Notre but est bien évidemment de pouvoir faire quelque chose avec ces renseignements; c'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle nous voulons les obtenir. Nous voulons des renseignements supplémentaires pour avoir une meilleure idée de ce que font certains groupes ou individus relativement à leurs transactions financières. Grâce à ces informations supplémentaires, nous serions mieux en mesure de cibler nos ressources limitées vers un dossier ou un mandat particulier, plutôt que de simplement placer le dossier en file d'attente. Comme nous disposons de ressources restreintes, nous devons aussi gérer les risques et établir des priorités.

Le sénateur Tkachuk : Je comprends cela, mais supposons que l'on pourrait effectivement vous fournir des renseignements plus détaillés. Qu'advient-il si ces renseignements supplémentaires ne vous mènent nulle part? Que feriez-vous de ces renseignements? Allez-vous les éliminer ou les conserver indéfiniment? En supposant qu'il s'agit seulement du nom de la personne avec un tas de détails financiers et que ces informations dorment dans un dossier à la GRC sans avoir aucune utilité. Vous débarrasseriez-vous de ces renseignements après un certain temps?

M. Bourduas : Si c'est simplement un nom et quelques renseignements, nous mettons le dossier de côté. Nous avons aussi des règles internes quant à la durée de conservation de certains renseignements au dossier. Comme dans toute autre organisation, certaines informations sont simplement éliminées au bout d'une période donnée.

Le sénateur Tkachuk : Les dossiers sont-ils détruits ou transférés dans un autre édifice?

M. Bourduas : Nous en venons à manquer d'édifices, sénateur; c'est notre réalité.

Le sénateur Tkachuk : Le groupe de travail sur le blanchiment d'argent a formulé un certain nombre de recommandations en 2003-2004. L'une d'elles concernait les casinos sans permis d'exploitation, un régime de réglementation et de surveillance plus rigoureux pour les casinos, ainsi que les exigences à remplir pour en être propriétaire. Je pense que toutes ces questions relèvent des provinces. Est-ce que les provinces desservies par la GRC — comme la Saskatchewan, par exemple, où la GRC est notre force policière — accordent des permis d'exploitation sans suivre les règles? Croyez-vous que la réglementation en place est suffisante pour empêcher le blanchiment d'argent dans les provinces où il y a des casinos?

M. Bourduas : Dans ma vie antérieure de commandant sous-divisionnaire au Québec, j'ai eu à participer à des enquêtes qui nous ont menés aux casinos de la province. Soyez assurés que ces établissements, comme tous les autres, veulent absolument éviter que des organisations criminelles se servent d'eux pour blanchir de l'argent. Ils sont très réglementés et coopèrent avec les autorités policières — que ce soit la police provinciale ou la GRC — parce qu'ils savent très bien que leur établissement pourrait être utilisé à cette fin. Ils surveillent de très près leurs transactions et font, de leur propre initiative, des rapports aux services de police lorsqu'ils ont connaissance d'une opération suspecte. Conformément au Code criminel, les casinos nous fournissent des renseignements que nous n'obtiendrions pas normalement d'un établissement comme le CANAFE. Ils veulent s'assurer de nous fournir tous les renseignements nécessaires et de nous exposer toutes les circonstances qui s'y rattachent pour permettre aux enquêteurs de mettre l'information en perspective.

Le sénateur Tkachuk : Étant donné que le jeu était auparavant une activité criminelle, il est possible que les casinos en connaissent davantage à ce sujet qu'une banque ou une caisse populaire.

M. Bourduas : Il va sans dire que c'est maintenant une activité légale. Vous pouvez être certains que les gouvernements provinciaux veulent éviter que les activités de ce genre soient infiltrées par le crime organisé, car c'est celui-ci qui en assurait plus ou moins l'administration auparavant.

Le sénateur Tkachuk : Dans la recommandation en question, le groupe de travail indiquait que les mesures judiciaires ou réglementaires nécessaires devaient être prises pour empêcher des criminels ou leurs associés de détenir ou d'être les propriétaires bénéficiaires d'une part importante ou majoritaire d'un casino, d'y occuper une fonction de gestion ou d'en être les exploitants. Y a-t-il des raisons de croire que les casinos du Canada sont infiltrés par des criminels ou des gens intéressés à blanchir de l'argent?

Le vice-président : Parlez-vous de la propriété?

Le sénateur Tkachuk : Ou de la gestion.

M. Bourduas : Ou du conseil d'administration.

Le sénateur Tkachuk : Oui.

M. Bourduas : Encore là, les autorités policières collaborent étroitement avec les casinos. Constitués en majorité d'anciens policiers, les services de sécurité des casinos vérifient les antécédents de toutes les personnes participant à la gestion du casino pour assurer une transparence totale dans leur exploitation. Ils sont tous conscients de ce qui pourrait arriver si une personne associée au crime organisé en venait à occuper un rôle important dans l'exploitation d'un casino ou au sein de son conseil d'administration.

Le sénateur Campbell : Lorsque la GRC reçoit des renseignements du CANAFE, qu'est-ce qu'il en advient? À qui transmettez-vous ces informations?

M. Bourduas : Dans la foulée du projet de loi C-22, nous avons mis sur pied un groupe d'enquêteurs spécialisés qui traitent l'information reçue du CANAFE ou de l'ASFC. Ces enquêteurs essaient de mettre les renseignements obtenus en contexte de manière à pouvoir les acheminer à nos unités s'occupant des produits de la criminalité dans les différentes régions du pays.

Le sénateur Campbell : Ces renseignements peuvent-ils être transmis à l'Agence du revenu du Canada?

M. Bourduas : Nos enquêteurs se concentrent sur les possibilités d'infraction au Code criminel. C'est donc ainsi qu'ils vont acheminer, comme je l'ai indiqué, les renseignements pertinents vers quelques-uns de leurs collègues qui s'intéressent aux produits de la criminalité.

Une fois l'enquête en marche et les renseignements reçus du CANAFE pour nous aider à dégager un tableau plus clair de la situation, c'est à cette enquête que nous accordons la priorité. Nous nous intéressons alors aux individus, à l'organisation, à l'infraction substantielle et à la question des produits de la criminalité de manière à pouvoir poursuivre ces personnes ou cette organisation devant les tribunaux. Nous avons également un agent de liaison qui traite avec l'Agence du revenu du Canada, et il est possible que certains des renseignements financiers soient transmis à l'ARC.

Le sénateur Campbell : Qu'en est-il des autres services de police?

M. Bourduas : Les autres services font partie de nos Unités mixtes d'enquête sur le crime organisé, ou UMECO. Ces unités sont réparties dans tout le pays. Notre objectif est en fait de mettre ces criminels hors d'état de nuire.

C'est la raison pour laquelle nous voulons obtenir l'accès à des renseignements additionnels. Nous avons besoin de plus de détails qu'un simple nom et une somme d'argent. Nous serions ainsi mieux en mesure de diffuser ces renseignements via nos UMECO à nos unités s'occupant des produits de la criminalité ainsi qu'à d'autres services de police, au besoin.

Le sénateur Campbell : Il est bien évident que je penche du côté des forces policières, mais il y a une question de confiance. Je n'ai rien contre le fait que ces renseignements se retrouvent entre les mains de la police. Il n'y a pas de problème à ce que l'information soit transmise à une organisation donnée, mais je commence à m'inquiéter lorsqu'elle passe ensuite à une autre organisation, qui peut elle-même l'acheminer vers toutes sortes d'autres entités. Au fil de ce processus, la population doit être absolument assurée que les renseignements sont toujours utilisés pour les fins auxquelles ils ont été recueillis. Le problème c'est que chaque organisation a une raison différente de vouloir obtenir ces renseignements. C'est ce qui m'inquiète. Où se situe le point d'équilibre? Nous voulons tous attraper les truands et les mettre en prison; nous voulons tous lutter contre le terrorisme. À partir de quel moment les choses basculent-elles? Je suppose que c'est ce que nous cherchons en fait à déterminer ici.

Je sais également que vous avez une réglementation précisant que ces renseignements doivent conservés pendant une certaine période, mais nous ne parlons pas ici d'un entrepôt; nous parlons d'un disque rigide dont la capacité est illimitée. Quelle est la durée minimale de conservation des dossiers avant qu'ils ne soient expurgés du système?

M. Bourduas : Il ne faut pas oublier que lorsque nous enquêtons sur des dossiers touchant les produits de la criminalité, une partie des renseignements concernant un individu donné doivent être conservés pendant un certain temps. Ainsi, nous avons eu des problèmes lorsque nous avons éliminé certains renseignements et que 10, 15 ou 20 ans plus tard, nous avons eu besoin d'information additionnelle pour établir devant le tribunal qu'un individu se livrait à des activités criminelles depuis toutes ces années. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes penchés sur une politique traitant de la divulgation d'information. Comme nous l'avons déjà indiqué, ces renseignements sont la plupart du temps mis en contexte, puis conservés jusqu'à ce que le dossier soit fermé. Il arrive aussi que l'on conserve l'information parce que l'individu en question est impliqué dans un autre dossier auquel l'organisation s'intéresse.

Le sénateur Campbell : Si j'avais participé à une activité criminelle il y a 30 ans, j'aurais un dossier et vous l'auriez en votre possession. Il ne disparaîtrait jamais, n'est-ce pas?

M. Bourduas : Tout dépend du dossier. Si on parle de vos dossiers personnels...

Le sénateur Campbell : Je ne suis pas en train de parler de moi, Larry Campbell. Je ne suis pas criminel depuis 30 ans. Je donnais seulement un exemple. Vous disiez que vous aviez perdu toute cette information parce que vous n'aviez pas le dossier de la personne en cause. Cependant, si je participais à une activité criminelle et si j'étais trouvé coupable, alors j'aurais un casier judiciaire qui devrait se retrouver dans vos dossiers. Vous parlez de quelqu'un qui a été impliqué dans une activité et qui peut être ou non un criminel — vous l'ignorez — et vous voulez maintenant en savoir davantage. Cela crée un problème. Il y a un délai de prescription dans la plupart des cas. Nous voudrions ici en fait que ce délai soit prolongé.

Je me souviens que lorsque je travaillais dans le secteur, nous n'avions jamais assez de renseignements. Il s'agit de recueillir tout ce qu'on peut et d'essayer d'y voir clair. C'est une question qui me préoccupe vraiment.

M. Bourduas : Il nous faut aussi mettre tous ces renseignements en contexte; vous avez absolument raison. Notre organisation conserve un élément d'information qui viendra s'insérer dans un puzzle quelque part de manière à ce que nous puissions compter sur une image complète de l'individu qui nous intéresse. Il est toutefois important que nous fournissions un certain contexte. Si l'information n'est pas utile pour une enquête en cours ou ne peut être reliée à aucun dossier ou si le sujet ne nous intéresse pas, alors il y a bien d'autres organisations et personnes sur lesquelles nous pouvons porter notre attention.

Le sénateur Campbell : Je vais revenir à ce que vous avez dit tout à l'heure. Supposons que vous détenez des renseignements au sujet de Larry Campbell, mais rien d'important. Les renseignements de ce genre ne sont pas éliminés. Dans 20 ans, vous voulez être capable d'entrer mon nom dans le système, avec ma date de naissance si vous la connaissez, et voir apparaître ces renseignements. Comme vous l'avez dit, si vous perdez ces informations, vous n'avez aucun moyen de relier Larry Campbell à des activités qui ont eu cours il y a 20 ans. Mais voilà toutefois qu'une nouvelle enquête est ouverte et que mon nom apparaît. C'est alors moi qui ai un problème.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une question supplémentaire. J'ai déjà posé une question semblable, mais je ne sais pas trop si on m'a vraiment répondu.

Le sénateur Campbell et moi-même sommes tous deux préoccupés. Lorsque vous obtenez le nom d'une personne ayant fait l'objet d'une enquête, on a déjà accumulé différents éléments de preuve qui n'ont rien à voir avec une activité criminelle quelconque. Il peut s'agir simplement de renseignements personnels mis au jour par votre enquêteur qui a parlé à des amis, un banquier, un employeur, et cetera. Tous ces renseignements accumulés restent sans utilité parce qu'il n'y a aucune preuve d'acte répréhensible. Qu'advient-il de ce dossier? À mon avis, le dossier n'est jamais fermé et est simplement conservé. Je pense que vous n'éliminez jamais ce dossier.

M. Bourduas : Comme je l'ai indiqué, les dossiers sont assortis de dates de conservation parce qu'il deviendrait ridicule de tous les garder ouverts.

Le sénateur Tkachuk : Il est maintenant possible d'emmagasiner tous ces renseignements dans un ordinateur. Est-ce que vous détruiriez un tel dossier électronique?

M. Bourduas : Tous les renseignements sont éliminés au bout d'une certaine période. L'organisation a des paramètres pour la destruction de certains dossiers. Par exemple, nos dossiers sur les individus coupables d'introduction par effraction sont détruits au bout d'une certaine période, alors qu'on conservera toujours les dossiers se rapportant à des crimes plus graves, comme les cas de meurtre. Il y a différents niveaux.

Comme je suis féru des chiffres, je vais vous transmettre certaines statistiques sur les divulgations par le CANAFE. Nous avons reçu au total 382 divulgations du CANAFE. Neuf pour cent d'entre elles concernaient des personnes que nous ne connaissions pas. Cela ne signifie pas que nous avons entrepris des enquêtes au sujet de ces personnes, mais simplement que nous ne les connaissions pas auparavant. Quatorze pour cent ont fourni des renseignements additionnels aux fins d'enquêtes en cours. Vingt-cinq pour cent faisaient directement suite à des rapports volontaires soumis précédemment par la GRC. Seize pour cent ont été transmis à d'autres agences. Vingt-neuf pour cent des divulgations étaient associés à des enquêtes menées à terme par la GRC qui disposait des ressources nécessaires. Seize pour cent ne renfermaient pas suffisamment d'information pour qu'une enquête soit enclenchée. Cinquante-trois pour cent des dossiers de divulgation ont été fermés pour les motifs suivants : aucune activité criminelle détectée, information insuffisante, absence d'infraction, information désuète ou manque de ressources. Voilà en gros ce qui se passe avec ces dossiers de divulgation.

Le sénateur Baker : Malheureusement, je n'ai pas le temps de poser une question concernant l'agent de la GRC qui était commandant sous-divisionnaire pour la plus importante saisie de cocaïne dans l'histoire du pays, dont le nom de code était, je crois, « Opération Bijoux », dans l'est du Canada.

M. Bourduas : Vous êtes bien renseigné, sénateur, c'est bien cela.

Le sénateur Baker : Il était également responsable de l'enquête sur une bande de motards qui a donné lieu à de nombreuses poursuites devant les tribunaux. Il s'y connaît très bien en matière de mandats de perquisition et d'exigences à remplir à cet égard, surtout pour ce qui est des cabinets d'avocats.

Je vous rappelle, monsieur Bourduas, que l'article 488 du Code criminel concernant les perquisitions dans les cabinets d'avocats a été abrogé par la Cour suprême du Canada et remplacé par un ensemble de règles. Dans ce contexte et compte tenu de vos opérations passées, je suppose que vous nous dites que vous voulez obtenir ces renseignements additionnels sans mandat de perquisition, alors même qu'il vous en faudrait normalement un. Dans les recommandations que vous formulez à notre comité, vous demandez qu'il vous soit plus facile d'accéder à l'information sans avoir à vous donner la peine d'obtenir des mandats.

Madame Tracy, ma question porte sur les préoccupations au sujet de la loi et sur les critiques émises par les tribunaux concernant le paragraphe 12(1) de la partie 2, dont vous êtes chargée de l'administration. Les tribunaux canadiens se sont penchés sur une multitude de cas où des gens essayaient de récupérer des sommes saisies à la frontière. Les critiques des tribunaux concernaient le point mentionné il y a un moment par le représentant de la GRC : la différence entre un soupçon et une opinion. Si les agents de l'ASFC suspectent quelque chose, ils peuvent saisir des fonds à la frontière. C'est le ministre qui décide ensuite si les sommes saisies doivent être confisquées au profit de l'État.

Si les tribunaux ont été critiques à l'endroit de cette façon de procéder, c'est que la loi ne permet aux gens de récupérer les sommes confisquées que dans les cas où ils peuvent prouver de façon irréfutable que les fonds n'ont rien d'illégal. Le fardeau de la preuve est ainsi renversé au détriment de l'individu, et la loi ne prévoit aucune disposition lui permettant de ravoir son argent, si ce n'est de contester la saisie effectuée par le garde-frontière.

Mme Tracy : Il s'agit précisément de déterminer s'il y a soupçon raisonnable. J'ai appris ce matin même que le comité s'intéressait à cette question à la suite des témoignages entendus hier. J'ai commencé à me renseigner sur les jugements rendus jusqu'à maintenant et sur les causes actuellement devant les tribunaux.

Je ne prétendrai pas être en mesure de vous donner une réponse, d'autant plus que je sais maintenant que vous êtes avocat. Je ne vais pas vous fournir de plus amples détails, mais plutôt vous offrir de transmettre des renseignements plus complets au comité en provenance de l'ASFC à ce sujet.

Je peux toutefois vous dire que si je n'ai pas eu à composer avec cette loi depuis son entrée en vigueur, j'ai été responsable, dans le cadre d'un emploi antérieur, d'une partie de sa conception — la partie 2, comme il se doit, compte tenu de mon expérience des douanes. Parmi les éléments qui étaient très importants pour les rédacteurs, et pour nous également, il y avait la volonté de ne pas prendre au piège des personnes qui avaient simplement commis une erreur, qui n'étaient pas au courant ou qui craignaient de parler de leur argent de crainte d'être volées. Nous avons conçu notre programme sur cette base.

La norme est effectivement le soupçon raisonnable et j'ai certaines statistiques à ce sujet. Des 5 000 mesures coercitives qui ont été prises, 595 étaient des confiscations. Ce n'est pas du tout la même chose. Parmi les cas où il n'y a pas eu confiscation, on a estimé qu'il y avait eu négligence et peut-être même omission volontaire de déclarer pour quelque raison que ce soit, mais on ne soupçonnait aucunement qu'il pouvait s'agir de produits de la criminalité. Nos agents ont reçu des lignes directrices très claires quant à la façon d'aborder une saisie de niveau 4, soit une confiscation.

Je veux vous dire que nous sommes au courant de la situation. L'Agence des services frontaliers du Canada a une double fonction. Dans un premier temps, nous sommes à n'en pas douter une organisation chargée de l'application de la loi, mais nous demeurons par ailleurs également très conscients de la manière dont nous influons sur la vie des gens et des entreprises en relation avec les importations et les exportations. Nous en avons tenu compte dans la conception de ce programme et je crois pouvoir dire que nous en sommes également conscients dans son administration. Bien évidemment, si des erreurs ont été commises, nous allons apporter les correctifs nécessaires, mais nous avons pris nos précautions et nous avons bon espoir que les 37 causes actuellement devant les tribunaux seront réglées en faveur de la loi et en faveur de l'agence.

Le sénateur Goldstein : Dans quelle mesure l'efficacité de votre travail serait minée par une loi prévoyant qu'en l'absence de poursuites, vous devriez détruire les dossiers dans un délai prédéterminé, plutôt que de vous en remettre à vos critères internes actuels?

M. Bourduas : Nous conservons les dossiers parce que les circonstances peuvent varier d'un individu à l'autre. Cinquante-trois pour cent de ces divulgations n'ont mené nulle part. Ainsi, nous n'insistons pas si les renseignements sont insuffisants. Nous essayons simplement de mettre les choses en contexte; en bout de ligne, le dossier est détruit. C'est à l'interne que nous pouvons mieux gérer la situation.

Le vice-président : La réponse était très préjudiciable.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Bourduas, votre résumé note qu'en moyenne 80 transactions suspectes ont été rapportées à la GRC sur une période de cinq-six ans. J'ai l'impression que les personnes qui s'occupent de crime organisé sont très créatives d'autant plus qu'elles ont les moyens de l'être puisque leurs activités sont lucratives. Le sénateur Campbell, anciennement maire de Vancouver, nous a dit que les activités criminelles généraient 7 milliards de revenus en Colombie-Britannique seulement pour le trafic de la marijuana, ce qui ne représente qu'un petit secteur des activités du crime organisé. J'ai l'impression qu'on parle de 30 à 40 milliards de dollars de transactions, pourtant environ 10 transactions sont retracées annuellement par CANAFE. Trente-cinq millions d'actifs seulement ont été saisis. J'ai vraiment l'impression qu'on affecte un pourcentage très faible de toutes les activités criminelles ou de blanchiment d'argent.

M. Bourduas : Vous ouvrez la porte à mes conclusions. C'est seulement tous ensemble que nous pourrons travailler à obtenir des outils législatifs qui permettront aux policiers et aux agents des services frontaliers d'avoir un impact sur le crime organisé. Les outils législatifs actuels ont donné des résultats — vous pouvez les qualifier de mitigés ou non —, mais avec des outils beaucoup plus pointus, les résultats seraient plus probants.

Il y a déjà des étapes qui ont été faites par le gouvernement, mais il s'agit simplement de resserrer certains outils législatifs pour permettre justement à nos enquêteurs de pouvoir accomplir le travail pour lequel ils sont payés.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que je me trompe quand je dis que je trouve que l'effet de notre législation a peu d'influence sur tous les types d'activités criminelles au Canada?

M. Bourduas : Non, mais notre impact est important si nous nous comparons au reste du monde et si nous tenons compte de nos ressources. Nos effectifs accomplissent un travail important mais nous devons les renforcer.

Le sénateur Massicotte : À quel point sommes-nous efficaces? À 20, 30, 80, 90 p.100?

M. Bourduas : Notre commissaire a mentionné que nous avions un impact sur 25 p. 100 des 600 organisations criminelles. Il y a quand même un élément important qui est complètement ignoré. C'est dans ce contexte que je vous présente des suggestions pour resserrer ces outils et permettre à nos enquêteurs de pouvoir travailler avec des outils qui vont leur permettre de cibler le crime organisé là où cela fait le plus mal, dans leur portefeuille.

[Traduction]

Le vice-président : Chers collègues, nos deux prochaines réunions auront lieu le 31 mai et le 1er juin, et nous traiterons alors des deux rapports qui ont été envoyés à vos bureaux. Nous étudierons le 1er juin celui qui touche l'étude démographique. L'autre porte sur la version révisée du rapport concernant la consommation.

[Français]

Monsieur le sous-commissaire, je vous remercie sincèrement.

[Traduction]

Madame Tracy, merci pour votre présence. D'après vos témoignages, vous semblez tous les deux disposés à nous fournir de plus amples informations, et particulièrement Mme Tracy concernant la jurisprudence.

Compte tenu de l'importance de notre travail pour notre sécurité collective, nous n'avons pas eu assez de temps pour étudier ces questions. Notre sous-comité directeur envisagera la possibilité que nous tenions de nouvelles audiences à ce sujet. Si vous souhaitez être de nouveau des nôtres ou nous transmettre d'autres renseignements, que ce soit du point de vue de la GRC ou de votre agence, je vous invite à le faire.

M. Bourduas : Il nous faut apporter des éclaircissements sur l'élimination d'une partie de ces dossiers; il s'agit de toute évidence d'une préoccupation pour les membres du comité.

Je vais m'efforcer de faire le nécessaire pour vous fournir une réponse écrite quant à nos politiques relatives aux délais de conservation. Si cette réponse ne vous suffit pas, je suis tout à fait disposé à comparaître de nouveau pour répondre à vos questions.

Le vice-président : Ce serait parfait.

Vous avez parlé de la situation des avocats. Je me souviens qu'au départ, la loi s'appliquait également aux avocats, mais ceux-ci ont soulevé des motifs liés au secret professionnel, ce qui a créé un genre de moratoire pour l'application de la loi dans leur cas particulier. Je peux vous dire d'expérience que certains cabinets d'avocats agissent dans les faits comme s'ils étaient assujettis à la loi. Ils s'y conforment et font les déclarations requises; tout va très bien. Cependant, il y a aussi les firmes qui ne comptent qu'une, deux ou trois personnes, et je crois que ce sont celles qui vous préoccupent le plus. Nous avons appris à la lumière de certains témoignages qu'il y avait des discussions à cet égard.

[Français]

Il y a des pourparlers entre les autorités et les avocats.

[Traduction]

Quelle est la teneur de ces discussions? On nous a dit qu'aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays qui ont le même système judiciaire que nous et les mêmes codes de déontologie pour les avocats, on n'a pas été confronté à ce problème qui touche le Canada.

Notre comité aimerait bien trouver une solution. Si j'ai bien compris votre témoignage, c'est l'une des plus importantes lacunes de la loi. Si vous pouviez nous en dire davantage au sujet du déroulement de ces discussions, cela nous serait profitable.

M. Bourduas : Je vais certainement le faire.

La séance est levée.


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