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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 7 - Témoignages du 4 octobre 2006


OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2006.

Le Comité permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 16 h 10 pour examiner, afin d'en faire rapport, les obstacles au commerce interprovincial.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, témoins et collègues, je suis ravi de vous dire que nous entreprenons aujourd'hui une étude très importante, peut-être la plus importante depuis plusieurs années, concernant les obstacles au commerce interprovincial.

J'aimerais vous lire notre mandat, qui figure sur notre site Web, et j'invite les personnes qui suivent nos délibérations d'un bout à l'autre du pays à consulter notre site Web où elles trouveront beaucoup d'informations complémentaires que nous y diffuserons régulièrement. Le thème de nos délibérations est important car il touche les entreprises et l'économie de toutes les régions.

Les barrières au commerce interprovincial existent vraiment. Nous allons examiner dans quelle mesure elles limitent la croissance et la rentabilité des secteurs de l'économie, ainsi que la possibilité pour les entreprises des provinces et des États de former des régions économiques pour rehausser notre prospérité. Nous examinerons aussi les mesures que peuvent prendre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour les éliminer afin de favoriser le commerce et de développer une économie nationale.

Honorables sénateurs — et ceci s'adresse également à notre public virtuel — notre comité s'appelle le Comité des banques et du commerce. C'est l'un des plus anciens comités du Parlement, créé peu après la Confédération, et c'est le plus ancien comité du Sénat. À l'origine, son mandat consistait à étudier le secteur des banques et du commerce et à en assurer la supervision générale.

Quand nous nous sommes penchés sur ce mandat d'origine, nous avons conclu qu'il ne reflétait pas vraiment la réalité car nous n'avons pas d'économie nationale. Nous avons des économies régionales et locales mais pas d'économie nationale. Or, si nous voulons résister à la concurrence des pays qui veulent prendre nos emplois, la première chose à faire est d'établir une économie nationale qui permettra aux travailleurs canadiens et aux artisans qualifiés de circuler librement d'une côte à l'autre selon le principe de la mobilité de la main-d'œuvre.

Dans les jours qui viennent, des témoins viendront nous parler des problèmes existant à ce sujet et je peux leur dire que nous prenons cette question très au sérieux. De fait, l'instauration d'une économie nationale au Canada est l'essence même de notre mandat. Chacun pourra constater, dans les questions que poseront les sénateurs aux témoins, que nous sommes fermement décidés à examiner cette question.

Je tiens à dire dès le départ que je suis déçu de constater que les premiers ministres provinciaux ou leurs ministres que nous avons invités à comparaître, tout comme le Conseil des premiers ministres des provinces, pour nous faire profiter de leurs points de vue et nous exposer leurs problèmes ont décliné notre invitation. Certes, ils nous ont envoyé des documents que nous lirons attentivement mais nous sommes déçus qu'ils ne s'intéressent pas plus à une question aussi importante. Nous pensons que c'est une question qui n'a pas été prise assez au sérieux jusqu'à présent, et vous verrez que c'est l'avis d'un grand nombre de mes collègues des deux côtés du clivage politique.

Nous sommes résolus à examiner attentivement cette question pour voir s'il nous serait possible d'attirer très rapidement l'attention de la population et du gouvernement du Canada sur les problèmes pouvant ou devant être réglés immédiatement.

Un dernier mot. La meilleure définition de la politique que j'ai jamais entendue est celle du président Harry Truman qui avait répondu ceci quand on lui demandait quel est le rôle du président des États-Unis : « Ce rôle est très simple : faire en sorte que les gens fassent le travail pour lequel ils ont été engagés ». Bon nombre de politiciens et de bureaucrates de notre pays ne font pas le travail pour lequel ils ont été engagés, qui est d'améliorer leurs économies locales et de collaborer pour rehausser le niveau de vie de tous les Canadiens.

Après ce bref préambule à caractère relativement politique, je suis ravi de souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins, des représentants du ministère d'Industrie Canada qui assument la responsabilité de ces questions au sein du gouvernement fédéral. Il s'agit du directeur de Statistique Canada, M. Michel Girard, du sous-ministre adjoint principal invité, M. Ron Parker, et de l'analyste principal du commerce intérieur, M. Philip Morrison. Ces messieurs sont des spécialistes de la question dont nous sommes saisis.

Nous allons commencer avec M. Girard, de Statistique Canada. Vous avez la parole, monsieur Girard.

Michel Girard, directeur, Statistique Canada : Merci, monsieur le président. Je vais vous parler des exportations et importations interprovinciales et j'aimerais présenter le sujet en vous disant que la spécialité de mon service est de produire des statistiques sur la structure de l'économie canadienne et des économies provinciales. Nous produisons les statistiques du produit intérieur brut qui sont utilisées pour percevoir la TVH et la partager entre le gouvernement fédéral et les provinces, pour calculer les paiements du programme de péréquation et, bien sûr, pour mesurer la santé des économies provinciales.

Pour calculer le PIB, il est important d'avoir des statistiques sur les exportations et les importations. Quand on calcule le PIB d'une province, il importe de connaître les exportations de la province vers les pays étrangers ainsi que vers les autres provinces. C'est de cela que je veux vous parler cet après-midi, dans l'espoir que ces statistiques vous seront utiles.

La deuxième diapositive de la série que je vais vous présenter indique les importations et exportations totales de chaque province avec toutes les autres. Vous constaterez que l'Alberta et l'Ontario sont les seules ayant un excédent à ce chapitre. Toutes les autres ont un solde négatif. En Ontario, la majeure partie des exportations concerne les services financiers et, en Alberta, le commerce du pétrole et du gaz naturel.

Pour l'ensemble du Canada, le commerce est-ouest reflète essentiellement les transactions concernant le secteur financier, les services commerciaux et informatiques, les produits d'énergie, le commerce de gros et les services de transport. La majeure partie de ces transactions est-ouest concerne donc du commerce de services plutôt que de marchandises et de denrées.

La troisième diapositive est une comparaison. La courbe rouge du graphique reflète les échanges interprovinciaux, qui ont atteint environ 275 milliards de dollars en 2005, soit le double de leur valeur de 1992. À titre de comparaison, les exportations totales du pays, toutes provinces cumulées, s'élèvent à 490 milliards de dollars, et les exportations, à 440 milliards de dollars. Ce qui est intéressant dans ce graphique, c'est qu'il montre qu'il y a eu un déclin des importations et exportations étrangères durant la période 2000-2003, alors que les échanges entre les provinces continuaient d'augmenter.

La quatrième diapositive résume les éléments que nous mesurons dans nos statistiques. Supposez que vous fabriquiez des meubles au Québec qui vous sont achetés par un grossiste de l'Ontario, transportés en Alberta par une firme du Manitoba, et vendus en Alberta par un détaillant. Ce que nous allons mesurer, à Statistique Canada, c'est la transaction de l'Alberta avec toutes ces provinces. La première transaction concerne la valeur des meubles entre l'Alberta et le Québec. La deuxième, c'est la transaction entre l'Ontario et l'Alberta qui concerne la vente en gros. Finalement, nos statistiques intégreront une transaction entre le Manitoba et l'Alberta pour les services de transport. Vous et moi qui achèterons un meuble en Alberta effectuerons une transaction comprenant ces trois éléments mais nous, à Statistique Canada, allons essayer d'enregistrer ces trois éléments séparément pour produire les comptes économiques provinciaux.

Je saute les deux diapositives suivantes car mon temps de parole est limité. Toutefois, en tant que statisticien travaillant à Statistique Canada, je ne saurais m'adresser à un comité comme le vôtre sans vous mettre en garde au sujet de la source et de la qualité des données. Si vous avez des questions à ce sujet, je serai très heureux d'y répondre.

Il faut comprendre qu'il est difficile d'obtenir des statistiques sur le commerce car elles ne sont pas calculées isolément, l'une après l'autre. Elles le sont dans le contexte plus général du système des comptes nationaux, et les chiffres sont donc relativement manipulés avant d'être divulgués. Il y a un facteur de qualité à prendre en considération quand on les examine.

Si vous passez à la huitième diapositive, je vais vous donner un peu plus de détails sur le genre de statistiques que nous pouvons produire à l'intention de votre comité. Vous voyez par exemple, au milieu du tableau, que l'Ontario exporte pour 36,8 milliards de dollars de biens et services au Québec, et que le Québec en exporte pour 30,8 milliards en Ontario. À titre de comparaison, vous voyez un peu plus bas que l'Alberta exporte pour 12,7 milliards de dollars en Ontario.

Je prends ces trois provinces pour vous montrer le genre de statistiques que nous pouvons vous fournir. Dans le cas de Terre-Neuve, par exemple, sur le premier graphique, vous voyez l'évolution des exportations, des exportations- importations interprovinciales avec chaque autre province. Je précise qu'il s'agit de Terre-Neuve-et-Labrador. Vous pouvez voir que la situation évolue beaucoup. Au milieu de la page, vous voyez quels sont les grands partenaires commerciaux. Quand Terre-Neuve exporte, c'est essentiellement vers l'Ontario et, dans une moindre mesure, vers le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Pour ce qui est des importations, Terre-Neuve importe essentiellement de l'Ontario et, dans une moindre mesure, du Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.

Le nouveau facteur économique important, dans le cas de Terre-Neuve, est que la province exporte maintenant du pétrole, qui domine clairement le graphique. La plupart des exportations de cette province sont des exportations de pétrole brut, après quoi viennent la viande, les minerais, les services de communication, etc. Pour ce qui est des importations, la province importe toutes sortes de services, comme des services commerciaux et informatiques, des services de commerce de gros, etc.

Pour vous donner un autre exemple, prenez le cas de l'Ontario, à la page 15. Vous voyez que l'Ontario exporte beaucoup au Québec, ce qui n'est pas étonnant puisque les deux provinces sont très proches, mais qu'elle exporte aussi beaucoup en Alberta et en Colombie-Britannique. Elle exporte des services financiers, comme des services commerciaux et informatiques. Les véhicules automobiles ne sont que la quatrième exportation de cette province.

Voyons maintenant le cas de la Colombie-Britannique, à la page 19. Bien sûr, cette province commerce beaucoup avec sa voisine, l'Alberta, mais aussi beaucoup avec l'Ontario et le Québec. Elle exporte des services de transport et des services commerciaux et informatiques. Quand elle importe, elle importe également beaucoup de l'Ontario, essentiellement des services financiers.

Vous pouvez voir ainsi que l'échange de services entre les provinces est très important, beaucoup plus que l'échange de marchandises.

Ron Parker, sous-ministre adjoint principal invité, Industrie Canada : Je vous remercie, honorables sénateurs, de me permettre de participer à cet examen des progrès réalisés dans l'élimination des obstacles au commerce interprovincial avec l'Accord sur le commerce intérieur qu'ont signé tous les gouvernements du Canada — fédéral, provinciaux et territoriaux. Nous sommes heureux que le comité se penche sur cette question importante.

Cet Accord a été signé en 1995 et je suis heureux de dire que nous constatons actuellement un regain de coopération entre toutes les parties.

Une union économique solide favorise la prospérité, comme vous l'avez dit. Elle permet aux Canadiens de vivre et de travailler n'importe où au pays et de trouver les meilleurs emplois possibles. Elle stimule la concurrence, ce qui multiplie les choix offerts aux consommateurs, elle réduit les coûts de production des entreprises et elle accroît la productivité. Elle contribue aussi à attirer des investissements.

Bon nombre des questions touchées par l'Accord sur le commerce intérieur relèvent entièrement ou partiellement des compétences provinciales. Par conséquent, l'amélioration du commerce intérieur exige que les provinces et territoires respectent les contraintes de l'Accord pour ne pas entraver leurs échanges. Ce sont elles qui ont la tâche difficile d'assurer la bonne marche du système. En ce qui concerne le gouvernement fédéral, son rôle est de favoriser et de faciliter le progrès de toutes les manières possibles et de continuer à respecter ses propres obligations au titre de l'Accord. Le mandat fédéral s'applique généralement lorsqu'il y a des échanges commerciaux d'une province à une autre.

Selon la plupart des estimations, les coûts économiques et les obstacles au commerce intérieur sont de l'ordre de 0,2 à 0,3 p. 100 du PIB, soit 2 à 3 milliards de dollars environ. Toutefois, les estimations varient considérablement selon la définition des obstacles au commerce, la portée de l'analyse et la méthode utilisée. Comme on vient de vous le dire, les données sont parfois difficiles à obtenir et à analyser.

Dans le budget de 2006, « Rétablir l'équilibre fiscal au Canada », le gouvernement fédéral insistait sur la nécessité de faire des progrès en ce qui concerne la mobilité de la main-d'œuvre qualifiée entre les provinces, notamment en ce qui concerne les travailleurs formés à l'étranger, et il insistait aussi sur l'inclusion dans l'ACI d'un chapitre consacré à l'énergie et sur une meilleure harmonisation de la réglementation entre tous les gouvernements.

Le gouvernement fédéral a traditionnellement fait preuve de leadership dans le renforcement de l'union économique, notamment avec la Commission Macdonald de 1986 qui avaient proposé un code de conduite économique entre les gouvernements et avait jeté les bases de la création d'un comité ministériel qui serait chargé de négocier la réduction des obstacles au commerce intérieur, ce qui déboucha sur la signature de l'ACI entré en vigueur en 1995. L'adoption de cet accord fut une étape importante pour éliminer les obstacles au commerce intérieur, empêcher l'apparition de nouveaux obstacles et favoriser l'harmonisation entre les provinces.

La mise en œuvre de l'accord déboucha aussi sur l'adoption de dispositions exigeant que le gouvernement fédéral et les provinces ne fassent aucune discrimination dans l'attribution des marchés publics, qu'ils abolissent les critères de résidence locale, qu'ils adoptent un code de conduite interdisant les incitatifs à la relocalisation des entreprises, qu'ils s'engagent à reconnaître les compétences professionnelles à l'échelle nationale, et qu'ils procèdent à l'harmonisation de certains règlements sur le camionnage. D'autres progrès furent réalisés après 1995, notamment l'extension aux municipalités, aux établissements d'enseignement, aux organismes de service social et aux hôpitaux des dispositions concernant les marchés publics, l'établissement d'un système fédéral-provincial d'appels d'offres accessible à tous par Internet, et la coopération dans la mise en œuvre des lois de protection des consommateurs.

Nous avons constaté un regain d'intérêt envers le commerce intérieur quand le Conseil de la fédération en a fait une priorité dans ses discussions et a adopté un plan de travail renouvelé en 2004. Cela s'est traduit par deux réunions productives du Comité sur le commerce intérieur en 2004 et 2005, qui ont débouché sur l'application de l'ACI aux marchés publics des sociétés d'État et sur l'engagement d'achever les travaux sur la mobilité des professionnels.

D'autres progrès ont également été réalisés quand les deux provinces de l'Ouest ont récemment conclu une entente. En effet, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont signé le 28 avril 2006 une entente globale sur le commerce bilatéral en vertu de laquelle elles s'engagent à reconnaître mutuellement leurs normes et règlements, à appliquer les mêmes règles en matière d'investissements, à rationaliser la réglementation des services de transport et à reconnaître les compétences professionnelles de leurs travailleurs respectifs. L'entente contient également un solide mécanisme de règlement des différends, comprenant des pénalités financières si l'une des deux provinces ne se conforme pas aux jugements d'un comité d'experts. L'Alberta et la Colombie-Britannique ont proposé que leur entente soit intégrée à l'Accord sur le commerce intérieur et elles ont invité les autres parties à l'ACI à se joindre à elles. L'ACI prévoit explicitement de telles ententes favorisant le commerce. En outre, le 2 juin 2006, le Québec et l'Ontario ont signé une entente sur la mobilité des travailleurs de la construction, ce qui rehaussera considérablement la mobilité des travailleurs de ce secteur entre les deux provinces.

Cela dit, il y a encore des obstacles et nous continuons de travailler avec les provinces et territoires pour tenter de les éliminer. C'est d'ailleurs pour ce faire que le Comité fédéral-provincial-territorial des ministres responsables du commerce intérieur s'est réuni à Halifax le 7 septembre sous la coprésidence du premier ministre Doer. Les participants se sont alors entendu sur un plan d'action ambitieux pour réaliser d'autres progrès en matière de commerce intérieur. L'un des éléments fondamentaux du plan est une stratégie d'amélioration de la mobilité de la main-d'œuvre. À partir d'avril 2009, les Canadiens pourront travailler n'importe où au Canada sans restriction. Cela exigera la reconnaissance mutuelle des titres de compétences étrangers des professionnels du Canada. Les ministres sont également convenus d'agir rapidement pour finaliser le chapitre de l'ACI sur l'énergie, et ils ont prévu que les ministres de l'Agriculture leur feront rapport en décembre 2006 avec un plan d'action pour l'achèvement de la révision de ce chapitre. Le processus de règlement des différends de l'ACI a été rationalisé et renforcé, et les parties feront rapport dans un an sur d'autres mesures destinées à renforcer la mise en œuvre des décisions des comités de règlement des différends de l'ACI. Les gouvernements continueront en outre à travailler sur l'élaboration de mesures pour atténuer les incidences des règlements. Finalement, les ministres se sont entendu pour examiner les possibilités d'intégration à l'ACI de divers éléments de l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Le comité du commerce intérieur tiendra une autre réunion en janvier 2007.

En conclusion, je tiens à souligner que le gouvernement fédéral participe activement au processus d'accélération des progrès en s'efforçant de tirer parti de l'impulsion produite par les récentes initiatives provinciales. L'intérêt de votre comité à cet égard est tout à fait bienvenu et important et nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui.

Philip Morrison, analyste principal, Commerce intérieur, Industrie Canada : Cela met fin aux déclarations liminaires d'Industrie Canada. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci de toutes ces informations très pertinentes.

Le sénateur Goldstein : J'ai plusieurs questions à poser, la première concernant les diapositives. Je voudrais m'assurer que je comprends bien comment les statistiques sont établies.

Au sujet de la quatrième diapositive, vous avez parlé de meubles fabriqués au Québec, vendus en gros à l'Ontario et transportés ensuite en Alberta. Quand vous préparez des statistiques au sujet de ces transactions, pour essayer de les quantifier, je comprends qu'il y a une valeur pour l'exportation des meubles par le Québec et une autre valeur pour l'importation des meubles par l'Ontario. Je suppose cependant que la valeur de vente des meubles et la valeur de leur achat par le grossiste sont les mêmes, n'est-ce pas?

M. Girard : Notre interprétation de la production d'un grossiste qu'elle est égale à la valeur de ce qu'il vend moins son prix d'achat. Par exemple, s'il vend 100 $ des meubles qu'il a achetés 90 $, la valeur de sa production en Ontario est dix dollars, et c'est la valeur qui est exportée.

Le sénateur Goldstein : Donc, dans votre exemple, la valeur d'exportation des meubles du Québec est 90 $?

M. Girard : Oui.

Le sénateur Goldstein : Passons au service de transport de la firme du Manitoba, qui l'a fait payer 10 $. Cette somme de 10 $ est-elle attribuée uniquement au Manitoba?

M. Girard : Oui.

Le sénateur Goldstein : Dans un sens, vous parlez d'une valeur nette, comme notre TPS?

M. Girard : Oui.

Le sénateur Goldstein : Monsieur Parker, pouvez-vous nous donner plus de détails sur le processus de reconnaissance mutuelle des titres de compétence des professionnels étrangers au Canada? Je crois comprendre que les associations provinciales du Barreau, par exemple, sont assez réticentes à reconnaître les compétences étrangères, pour diverses raisons. Je ne veux pas entrer dans les détails mais nous savons que c'est dans certains cas pour des raisons de concurrence et, dans d'autres, pour des raisons peut-être plus légitimes.

Que fait-on pour essayer d'aplanir les règles du jeu de façon à encourager l'immigration de professionnels étrangers? Dans quelle mesure oblige-t-on les professionnels étrangers à suivre une formation particulière au Canada pour satisfaire aux normes canadiennes? La formation qu'ils ont obtenue à l'étranger n'est peut-être pas au même niveau que celle dispensée au Canada. Y a-t-il un mécanisme pour encourager les professionnels à travailler partout au Canada?

M. Parker : Je n'ai pas d'informations détaillées sur chaque profession. Je crois savoir que les responsables des questions de mobilité de la main-d'œuvre ont commencé à se réunir pour discuter de partage d'informations. On commence à peine à concevoir la structure et le rôle de l'agence de reconnaissance des diplômes étrangers. Je ne pense pas qu'on ait déjà commencé à parler de professions particulières.

Le sénateur Goldstein : Savez-vous dans quelle mesure les provinces coopèrent? Y a-t-il de grandes disparités?

M. Morrison : Ressources humaines et développement des compétences Canada est le chef de file au palier fédéral. Il y a un groupe de travail fédéral-provincial-territorial et divers comités de SMA. Ils se réuniront et essaieront d'atteindre cet objectif en faisant participer des représentants des professions de chaque province pour respecter le délai fixé.

Le sénateur Goldstein : Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk : Je m'adresse à la deuxième personne qui a fait une déclaration. À la troisième page, vous dites que l'Alberta et la Colombie-Britannique ont signé une entente commerciale exhaustive. En Saskatchewan, nous sommes très déçus que notre gouvernement ait repoussé les avances de la C.-B. et de l'Alberta en rejetant leur invitation à participer à leur projet de libéralisation du commerce et d'accroissement de la mobilité. J'estime que leur entente aura beaucoup de succès et j'espère qu'un changement de gouvernement ou un changement d'attitude permettra à la Saskatchewan de se joindre à cette initiative.

Quand vous avez parlé des accomplissements réalisés par l'entente, qui ne sont pas négligeables, j'ai eu l'impression que beaucoup de choses n'ont pas encore été réglées. Je ne sais pas jusqu'où elles iront mais elles discuteront à l'avenir de la possibilité que l'accréditation professionnelle d'une province soit acceptée par l'autre. Cela s'appliquera-t-il à tous les groupes professionnels? Un enseignant accrédité en Alberta sera-t-il automatiquement accrédité en Colombie- Britannique? Un médecin? Un avocat?

M. Parker : C'est le but visé. Il y a une liste des professions qui sont exclues et pour lesquelles elles se sont engagées à harmoniser les normes professionnelles. Si le travail n'est pas terminé en 2009, la position de repli sera d'accepter la reconnaissance mutuelle. L'analyse de chaque cas et l'harmonisation des professions exclues exigent beaucoup de travail. Quand le travail sera terminé, les membres de ces professions pourront passer d'une province à l'autre sans problème.

Le sénateur Tkachuk : Envisage-t-on la même chose dans les négociations nationales?

M. Parker : En effet. En septembre, les ministres sont convenus de mettre complètement en application les dispositions de l'Accord sur le commerce intérieur concernant la reconnaissance mutuelle et de mettre en route le travail dont nous parlons sur les ressources humaines, dans le cadre du forum des ministres du Travail.

Le sénateur Tkachuk : J'ai d'autres questions mais j'attendrai le tour suivant.

Le sénateur Moore : Merci d'être ici. Monsieur Girard, vous avez dit qu'il est difficile d'obtenir des statistiques sur le commerce interprovincial. Quelles sont les causes et pourquoi? Comment peut-on régler les problèmes?

M. Girard : Le principal problème est d'obtenir les informations du répondant. Par exemple, nous demandons à un grossiste de nous dire où il achète ses produits et où il les vend mais il n'est pas facile pour un grossiste de connaître la destination ultime de ses produits. Une entreprise comme Canadian Tire vend plus de 100 000 types de produits. Il ne lui est pas facile de répondre à une enquête de Statistique Canada.

Le sénateur Moore : Monsieur Parker, vous dites à la page 3 de votre mémoire que « l'Alberta et la Colombie- Britannique ont proposé que leur entente soit intégrée à l'Accord sur le commerce intérieur et elles ont invité les autres parties à l'ACI à se joindre à elles ». Je crois comprendre que ça ne s'est pas fait puisque vous dites à la page 4 que les ministres se pencheront en mai sur divers éléments de l'entente. Quelles sont les chances de succès?

M. Parker : L'entente entre la Colombie-Britannique et l'Alberta sera intégrée à l'Accord sur le commerce intérieur au moment où elle entrera en vigueur. Lors de leur dernière réunion, les ministres sont convenus de l'intégrer à l'ACI au moyen de mesures de facilitation du commerce. Si je ne me trompe, l'entente doit entrer en vigueur le 1er avril 2007 et il y aura ensuite une période de deux ans durant laquelle les deux provinces s'efforceront de régler les exceptions. Les provinces et les autres parties à l'entente auront la possibilité de signer prospectivement.

Le sénateur Moore : En parlant de reconnaissance, vous avez dit que cela comprendra un processus de reconnaissance mutuelle des diplômes étrangers des professionnels au Canada. Quand vous dites étrangers, vous voulez parler d'une autre province ou d'un autre pays?

M. Parker : Dans ce contexte, ça désigne aussi un autre pays. L'objectif de la mobilité de la main-d'œuvre est de faire reconnaître les normes et catégories professionnelles partout au Canada. Les ministres ont fixé 2009 comme date de mise en œuvre complète. Ce processus concerne la reconnaissance des diplômes de l'extérieur du Canada.

Le sénateur Moore : Vous dites aussi que « les participants se sont alors entendu sur un plan d'action ambitieux pour réaliser d'autres progrès en matière de commerce intérieur ». Quels sont les éléments de ce « plan d'action ambitieux »?

M. Morrison : Quand on parle de mobilité de la main-d'œuvre, il y a aussi la question de l'étranger qui s'établit en Ontario. Si ses compétences sont reconnues en Ontario, le seront-elles aussi quand il ira dans une autre province? Cette question doit être envisagée dans le cadre du problème global de la mobilité de la main-d'œuvre. Une fois que vous avez quitté l'Angleterre pour venir en Ontario, l'Ontario vous reconnaît. Si vous allez dans une autre province, celle-ci reconnaîtra-t-elle aussi vos compétences?

Le sénateur Moore : C'est l'une des questions qui seront abordées dans ce processus de reconnaissance?

M. Morrison : Oui.

Le sénateur Moore : Pourriez-vous nous donner les éléments dominants de ce plan qui, selon vous, sera tellement utile pour éliminer les obstacles intérieurs?

M. Parker : Certainement. La mobilité de la main-d'œuvre est extrêmement importante.

Le sénateur Moore : Est-ce la question la plus importante?

M. Parker : Oui. Nous n'avons pas de méthode absolue pour en juger mais c'est ce que nous pensons. Un autre aspect du plan de travail consistera à améliorer le processus de règlement des différends. En outre, les ministres sont convenus d'œuvrer pour intégrer à l'ACI des chapitres sur l'énergie et l'agriculture. Ces choses-là font l'objet de discussions depuis assez longtemps et constitueront un progrès réel.

Le sénateur Moore : Croyez-vous que toutes ces choses seront intégrées? Êtes-vous plus optimiste que pessimiste à l'heure actuelle?

M. Parker : Les ministres ont demandé à leurs collaborateurs de préparer quelque chose qui pourra être intégré à l'ACI.

Le sénateur Moore : Merci.

Le président : Nous souhaitons la bienvenue dans notre comité au sénateur Nancy Ruth. Je crois que c'est sa première présence et nous sommes ravis de l'accueillir.

Le sénateur Nancy Ruth : Mes questions porteront sur la mobilité de la main-d'œuvre. L'entente entre le Québec et l'Ontario sur les travailleurs de la construction est-elle la seule dans ce domaine ou les provinces en envisagent-elles d'autres?

M. Morrison : Le Québec et l'Ontario ont signé une entente pour régler ce problème qu'elles avaient. Évidemment, toutes les provinces se pencheront sur les demandes formulées par le comité des ministres sur le Commerce intérieur en ce qui concerne la reconnaissance des compétences professionnelles partout au pays d'ici à 2009. Dans le cadre de ce plan de travail, toutes les parties à l'Accord sur le commerce intérieur, les provinces et les territoires, s'efforceront de respecter cet engagement de 2009.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous savez qu'il y a dans la fonction publique fédérale 60 000 emplois qui sont réservés aux habitants de la région de la capitale nationale. Votre ministère ou le Conseil de la fédération ont-ils quelque chose à dire au sujet de cette restriction?

M. Morrison : La Commission de la fonction publique a annoncé qu'elle adoptera bientôt une zone de sélection nationale plutôt que géographique. Si je me souviens bien, elle a annoncé que tous les emplois de la fonction publique seront ouverts aux habitants de tout le pays d'ici à décembre 2007. Elle a pris cet engagement.

M. Parker : Je précise qu'elle a déjà ouvert à l'ensemble du pays tous les concours pour les postes du niveau d'agent en décembre dernier. Elle va évaluer le résultat de cette politique et l'engagement de décembre 2007 reste donc sujet aux résultats de cette évaluation.

Le président : Je vais peut-être poser quelques questions avant d'ouvrir le deuxième tour. J'ai une question pour chacun d'entre vous. Je veux parler des statistiques, du cadre constitutionnel et, enfin, de l'effet des obstacles au commerce sur le PIB.

Tout d'abord, monsieur Girard, avez-vous des études récentes permettant de comparer les résultats du commerce interprovincial? Je crois comprendre que certaines des données sont assez vieilles. Je sais que la Commission MacDonald avait fait des études à ce sujet et que certaines données ont été mises à jour. Peut-être pourriez-vous nous envoyer un aide-mémoire statistique qui nous permettrait de mieux saisir la situation actuelle?

En ce qui concerne votre graphique de la page 3, j'y vois une sévère mise en cause de l'absence de progrès dans l'élimination des obstacles au commerce interprovincial. Vous me direz si je me trompe mais votre graphique indique que les importations-exportations interprovinciales sont passées de 150 milliards de dollars en 1992 à environ 275 milliards en 2005. Toutefois, les importations interprovinciales — même pas les exportations — ont augmenté beaucoup plus rapidement. Ces chiffres, pris isolément, ne nous disent-ils pas que nous n'avons pas été productifs au sein de notre propre économie?

M. Girard : En réalité, je ne peux rien dire sur la productivité. Ce que nous mesurons ici, c'est la structure. C'est la réalité. C'est ce qui s'est passé. C'est comment nous commerçons entre nous. Bien sûr, il y a eu de nombreuses restructurations d'entreprises au cours des années et il se peut que ces chiffres en soit le reflet, mais ils reflètent aussi beaucoup d'autres choses.

Le président : Je sais que ce sont des statistiques mais il semble y avoir une croissance plus rapide des importations internationales externes venant au Canada. Évidemment, c'est très bon pour les exportations internationales, je ne le conteste pas. Toutefois, si l'on compare les importations aux importations-exportations intérieures, il semble qu'il y ait beaucoup moins d'activité à l'intérieur des provinces sur le plan du commerce extérieur.

M. Girard : Je ne saurais faire de commentaire à ce sujet.

Le président : Pourriez-vous obtenir des statistiques utiles qui nous permettraient d'arriver à une analyse quantifiable de ce problème? Tous les sénateurs ont le sentiment que ce processus ne fonctionne pas bien. On a commencé mais ça n'avance pas aussi vite qu'il faudrait. D'ailleurs, les témoignages de M. Parker et de M. Morrison montrent que, même si l'on parvient à un accord, ce ne sera pas avant trois ans. Au sujet de la mobilité de la main- d'œuvre, on pourrait espérer que les choses avanceront beaucoup plus vite s'il y va de l'intérêt national mais ce n'est pas le cas. Si vous pouviez nous donner des chiffres, ce serait utile.

En ce qui concerne les autres représentants du ministère, je trouve intéressant que votre analyse n'a pas été faite dans le contexte constitutionnel. Vous me direz si je me trompe. Notre comité étudiera ça très vite. Ce n'est pas très compliqué. Aux États-Unis, il y a dans la Constitution une disposition sur le commerce intérieur qui permet au Congrès et aux institutions fédérales d'intervenir si les États entravent les échanges. Je crois comprendre — je n'ai pas examiné ça attentivement mais nous avons l'intention de le faire — qu'il y a la même chose au Canada. Les provinces n'ont pas le droit d'entraver le commerce interprovincial, qui relève des compétences fédérales. Nous avons en outre une clause de désaveu qui permet au gouvernement fédéral d'invalider les lois provinciales qui entravent le commerce interprovincial ou qui, au fond, portent atteinte aux pouvoirs fédéraux.

Je sais, et nous savons tous, que le gouvernement fédéral ne tient pas particulièrement à invalider des lois provinciales. Il n'est pas nécessaire d'examiner pourquoi. C'est un phénomène historique. Quoi qu'il en soit, certains experts constitutionnels affirment, sans qu'on les influe, que ce pouvoir est tombé en désuétude par manque d'utilisation. C'est évidemment idiot mais je tenais à en parler parce que nous allons nous pencher de près sur cette question. Cela étant, j'aimerais savoir pourquoi votre ministère — il n'y a dans ma question aucun sectarisme politique car c'était la même chose sous les gouvernements précédents — n'a pas adopté une attitude beaucoup plus ferme à l'égard des obstacles au commerce interprovincial au lieu d'attendre le bon vouloir des provinces et d'essayer de former une coalition des bonnes volontés pour agir beaucoup plus rapidement quand il s'agit de questions de mobilité de la main-d'œuvre qui touchent le cœur même de la Charte.

M. Parker : Le modèle de l'Accord sur le commerce intérieur est fondamentalement basé sur une approche consensuelle. Auparavant, et depuis lors, le gouvernement fédéral et les gouvernements de manière générale ont choisi de travailler sur une base consensuelle plutôt que de se concentrer sur les questions constitutionnelles, et d'essayer de régler ces questions pour résoudre les différends.

Pour ce qui est de la constitutionnalité de la situation, je ne suis pas un expert en la matière et je ne voudrais pas faire de commentaires sur le déploiement de ces capacités, domaine que je ne connais pas bien.

Le président : Je vous comprends. Je comprends aussi que votre mandat ne porte pas là-dessus mais il serait très utile au comité d'obtenir la position de votre ministère sur les pouvoirs qu'il détient exactement et sur la manière dont ils ont été exercés dans ce domaine précis.

Finalement, avez-vous connaissance d'études réalisées par votre ministère, ou par Statistique Canada, sur ce que les obstacles au commerce interprovincial coûtent à notre économie? J'en connais une puisque j'y ai contribué pendant une quarantaine d'années; et elle porte sur le fait que nous sommes la seule économie occidentale moderne à ne pas avoir d'organisme unique de réglementation des valeurs mobilières. C'est la seule du monde occidental. J'avais entrepris une étude en 1966, il y a une quarantaine d'années, lorsque j'étais l'adjoint d'un ministre, et je constate que nous ne sommes pas beaucoup plus près aujourd'hui de la création d'un organisme unique et efficient de réglementation du commerce des valeurs mobilières. Notre comité s'était penché sur la question dans le cadre de son étude sur la productivité. Nous avions recommandé que ce problème soit réglé mais rien n'a changé.

J'ai deux choses à vous demander. Y a-t-il des études indiquant ce que les obstacles au commerce international coûtent à notre économie, à notre PIB, et quelle est la situation actuelle en ce qui concerne la création d'une commission nationale des valeurs mobilières dont l'absence, selon nous, nuit à notre productivité?

M. Parker : Oui. La plupart des études que je connais ont été faites à la fin des années 80 et au milieu des années 90 et les estimations ont tendance à tourner autour de 0,2 ou 0,3 p. 100 du PIB. Il s'agit là d'un effet permanent sur le PIB. Je ne connais pas d'études plus récentes. L'étude des obstacles au commerce se fait avec de nombreuses méthodologies différentes. On trouve dans au moins une étude une estimation de 1 p. 100 du PIB mais la plupart des estimations tournent autour de 0,3 à 0,4.

Le président : Notre comité doit se rendre à New York pour discuter de ces questions avec différents spécialistes, notamment des membres de la Réserve fédérale, et c'est l'une des questions que nous leur poserons. Il serait utile que vous nous aidiez à réunir le maximum d'informations possible. Je sais que les études sont dépassées mais on ne s'est pas beaucoup intéressé à cette question. Je peux vous dire en passant que notre comité a le sentiment que le problème est encore plus grave que ne le montrent ces chiffres vieux de 10 ans, mais nous voudrions avoir des données concrètes à ce sujet.

M. Parker : Nous avons une liste d'études que nous pouvons vous remettre.

En ce qui concerne la réglementation des valeurs mobilières, je dois vous dire que je ne suis pas équipé pour vous dire où en sont ces négociations, sur le plan de leur statut.

Le président : Peut-être pourriez-vous vous informer et nous donner le résultat de vos investigations au moyen d'un aide-mémoire?

Le sénateur Angus : Merci, messieurs, d'être venus aujourd'hui. La plupart d'entre vous étiez prêts à venir en en juin dernier mais cette séance avait malheureusement dû être annulée.

Monsieur Parker, vous êtes sous-ministre adjoint principal invité. D'où venez-vous?

M. Parker : De la Banque du Canada. Je participe à un programme d'échanges entre la Banque et le ministère.

Le sénateur Angus : Vous vous occupiez de ces questions, à la Banque?

M. Parker : Non, pas en détail. J'ai une formation d'économiste et c'est ce que j'apporte à Industrie Canada, c'est-à- dire les outils essentiels pour fournir une grande contribution.

Le sénateur Angus : C'est un dossier que vous connaissez bien? J'avais constaté, plus tôt dans la semaine, qu'il y avait quelqu'un d'autre qui devait prendre la tête de l'équipe d'Industrie Canada. Que s'est-il passé?

M. Parker : Je suis chargé de ce dossier depuis le mois d'août.

Le sénateur Angus : Nous avons des visites régulières du gouverneur de la Banque du Canada, M. Dodge, qui doit d'ailleurs revenir nous voir bientôt. Avec lui, nous traitons de macro-économie, de productivité et de croissance ou décroissance du PIB, selon le cas. Il a mentionné à plusieurs reprises qu'une des principales entraves à la croissance économique du Canada et à l'amélioration de sa productivité est l'existence de ces obstacles. Je trouve cependant bizarre que nous n'ayons pas fait mieux à ce sujet.

Prenons l'initiative de l'Alberta et la Colombie-Britannique — leur entente de cette année. À votre avis, et selon vos collègues, s'agit-il d'un premier petit pas qui va débloquer toute la situation? Voyez-vous finalement une lumière au bout du tunnel et pensez-vous qu'on va enfin régler le problème pour l'ensemble du pays? Ou suis-je trop optimiste?

M. Parker : Il y a plusieurs choses à noter. En 2004, le Conseil de la fédération a exprimé son intérêt envers les questions de commerce intérieur, ce qui est un développement positif. Dans ce contexte, l'Alberta et la Colombie- Britannique ont décidé d'agir.

Il y a actuellement plus de mouvement sur cette question que depuis longtemps. Lors de leur réunion de septembre, les ministres se sont entendu sur un plan de travail ambitieux, notamment en ce qui concerne la mobilité de la main- d'œuvre, l'inclusion de nouveaux chapitres, et la reconnaissance des diplômes étrangers. Tous ces éléments sont très encourageants.

Le sénateur Angus : L'une des choses dont on nous parle beaucoup, en tant que sénateurs, concerne tous les efforts qui ont été consacrés aux accords de libre-échange avec les États-Unis et à l'ALENA, et tout le bla-bla que ça a suscité. Évidemment, cela a mis en relief l'anomalie des obstacles intérieurs. Alors que nous faisions beaucoup d'efforts pour assurer le libre-échange à l'échelle du continent, on continuait à faire beaucoup de folies au sein même du Canada.

Je fais partie du Barreau du Québec, tout comme le sénateur Goldstein. Parlons de la situation des avocats. Nous savons qu'il y a une différence entre le droit civil du Québec et les critères d'admission au Barreau dans les autres provinces, et cela a toujours été un obstacle nous empêchant d'aller en Colombie-Britannique, en Alberta ou ailleurs pour plaider des causes pouvant avoir une portée nationale. C'est la première chose que j'ai apprise.

Parlons maintenant de ma situation comme simple canadien. Quelqu'un m'a envoyé une bouteille de Newman's, un bon Porto produit à Terre-Neuve. Je suis allé à la Régie des alcools du Québec pourront essayer d'en acheter d'autres bouteilles et je n'ai pas pu. Je suis allé en Ontario et je n'ai pas pu non plus. C'est là que j'ai commencé à réaliser que nous ne sommes qu'un pays de clochers. J'adhère à ce projet, tout comme le gouvernement, je crois. Le ministre Flaherty me disait ce matin qu'il est heureux que nous tenions ces audiences. J'espère qu'il en sortira quelque chose de bon.

Voici l'une des questions que l'on m'a suggérées — et elle représente en réalité le point de vue opposé : existe-t-il aujourd'hui des obstacles au commerce interprovincial qui sont bons, qui sont positifs et qu'il faudrait préserver? L'un de vous peut-il répondre à cette question?

M. Parker : Je dois reconnaître que je n'ai jamais envisagé la question sous cet angle.

S'il y a un domaine dans lequel des provinces se sentent particulièrement fortes et où il peut y avoir des différences, même à l'échelle internationale, c'est celui de la réglementation environnementale — c'est-à-dire, les questions de santé de sécurité, et la culture aussi. Quant à savoir si ces obstacles sont absolument nécessaires, cela exigerait un examen très attentif.

Le sénateur Angus : Voici comment les recherchistes de la Bibliothèque du Parlement ont formulé la question à notre intention : les obstacles au commerce comportent-ils des avantages? Si oui, quels types d'obstacles et dans quelles circonstances? Existe-t-il des obstacles au commerce au Canada qui ne doivent pas être abolis et, si tel est le cas, pourquoi?

Je pense que vous saisissez ma question. Si vous préparez une réponse à la question que vous a posée le président, pourriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet, peut-être une sorte d'analyse coûts-bénéfices?

Pour vous faire comprendre le contexte de notre étude, le gouvernement a dit qu'il souhaite aborder de front les questions de productivité et d'obstacles au commerce, que ce soit dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières — l'agence unique — ou dans n'importe quel autre, comme la mobilité de la main-d'œuvre. Il est utile au gouvernement, que ce soit pour des mesures budgétaires ou pour une déclaration d'ordre économique, d'avoir un organisme comme notre comité, avec des membres de tous les partis. Nous essayons de travailler sans sectarisme politique dans le but de proposer une solution équilibrée pour éliminer ces obstacles. C'est dans cet esprit que nous vous posons ces questions. Tout ce que vous pourriez ajouter nous sera utile.

Voilà pourquoi nous tenons cette table ronde. Vous aurez constaté que nous en avons tenu une récemment sur la bombe à retardement — dont le compte à rebours a commencé — concernant le nombre de gens qui occuperont un emploi dans cinq ans pour financer tous les gens qui auront pris leur retraite. C'est un problème effrayant. Nous avons publié un rapport intitulé La bombe à retardement démographique et le gouvernement nous a dit que ça lui était utile.

Le président : J'espère que vous nous donnerez toutes les informations possible. Nous pouvons lire les transcriptions. Nous n'avons plus assez de temps pour un autre tour de questions mais le sénateur Moore souhaite poser une question supplémentaire à la mienne.

Le sénateur Angus : À la fin de la déclaration de M. Parker, vous avez dressé la liste des initiatives et des choses positives qui se sont produites. Bien sûr, la principale est l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. En page 3, vous constatez quand même qu'il reste encore des obstacles. Pourriez-vous nous en dresser la liste dans un document séparé, en ajoutant peut-être un astérisque à ceux qui devraient subsister, d'après vous? Pourriez-vous en outre indiquer quels sont les grands domaines où il faudrait les abolir, que ce soit les commissions des alcools ou les marchés du travail?

Notre comité et un autre sont allés voir les sables bitumineux. Nous avons constaté que la demande de main- d'œuvre y est effarante, à un point tel que certains projets risquent de ne pas aller de l'avant à cause des pénuries de main-d'œuvre, alors qu'il y a du chômage dans d'autres régions.

Le sénateur Goldstein : Il y a au Nunavut une politique de recrutement préférentiel destinée à encourager le recrutement de résidents locaux plutôt qu'à importer de la main-d'œuvre. Les programmes sectoriels ou de développement régional de cette nature offrent des avantages sociaux et économiques à la région concernée, bien qu'ils puissent aller à l'encontre du principe d'uniformité nationale voulant qu'il n'y ait aucune exception à la mobilité. Pourriez-vous répondre par écrit à cette question précise?

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais ajouter quelque chose à ce qu'a dit le sénateur Angus au sujet des commissions des alcools en vous demandant si vous les considérez aussi comme des obstacles majeurs, comme moi. Font-elles partie des thèmes de négociation sur les obstacles au commerce? La Commission canadienne du blé et les offices de commercialisation sont-ils considérés comme des obstacles au commerce? Il s'agit là de monopoles gouvernementaux qui, de par leur pouvoir, empêchent certains produits d'être commercialisés. Ce sont donc à l'évidence des obstacles au commerce. Je voudrais savoir si les négociations portent aussi là-dessus.

Le président : En fait, c'est une question de jugement mais la réponse sera intéressante.

Le sénateur Moore : Monsieur Parker, je voudrais rester sur la question posée par le président au sujet du coût des obstacles pour notre économie. Vous avez dit que vous n'aviez pas de chiffre ni de moyen de le calculer. Si je peux vous aider, lorsque l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique a été annoncée, en juin, le Conference Board du Canada avait estimé que la combinaison des deux économies ajouterait 4,8 milliards de dollars au PIB réel et produirait 78 000 emplois rien qu'en Colombie-Britannique. Étant donné cette estimation du Conference Board à partir de cette entente, vos services pourraient peut-être faire une extrapolation pour calculer ce qui se passerait si les autres provinces se joignaient au mouvement. Je crois que le résultat serait impressionnant.

Quelqu'un a dit au début qu'abolir les obstacles au commerce serait très bénéfique pour notre PIB. Vos statisticiens pourraient peut-être faire le calcul? Cela vous donnerait peut-être une cartouche supplémentaire pour votre prochaine réunion avec les ministres? Vous pourriez dire : « Voici les chiffres ». Si j'étais l'un des ministres assis à cette table, j'aimerais savoir quel serait le résultat concret de l'abolition de ces obstacles.

Le président : Messieurs, je vous remercie beaucoup d'être venus aujourd'hui. Nous vous avons posé beaucoup de questions en très peu de temps et je m'en excuse. La période durant laquelle nous pouvons occuper cette salle est limitée et nous avons donc eu plus de questions que de réponses. Vous comprenez cependant que ce sujet nous intéresse beaucoup. Nous voulons aller au fond des choses et produire un rapport qui sera utile au législateur. Veuillez répondre le mieux possible aux questions qui sont restées en suspens et nous donner le plus d'informations possible. Je vois ici que l'on mentionne le Conference Board. S'il a publié une étude à ce sujet, elle nous serait utile. Nous consacrerons peut-être une journée supplémentaire à l'audition de ses représentants car il nous semble que ces obstacles pénalisent sérieusement notre économie.

Merci beaucoup de votre patience et des informations que vous nous avez données. Ce sera important pour notre étude.

Je souhaite maintenant la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins comprenant M. David Stewart-Patterson, vice-président exécutif du Conseil canadien des chefs d'entreprise, et Mme Carole Presseault, vice-présidente de l'Association des comptables généraux accrédités du Canada. Bienvenue.

Vous étiez dans la salle quand nous interrogions les témoins précédents et vous savez donc que notre étude est très importante si nous voulons contribuer à la prospérité économique de chaque Canadien. Nous avons le sentiment que les obstacles au commerce intérieur entravent notre croissance et notre productivité et que le Canada ne fait pas assez pour instaurer ce qui manque le plus à notre pays, à mon avis, une économie nationale.

Nous allons commencer avec vous, monsieur Stewart-Patterson, et nous entendrons ensuite Mme Presseault.

David Stewart-Patterson, vice-président exécutif, Conseil canadien des chefs d'entreprise : Honorables sénateurs, vous ne serez évidemment pas surpris de m'entendre dire que le Conseil canadien des chefs d'entreprise est parfaitement d'accord avec vous et partage votre sentiment que la libre circulation des marchandises, des services, des gens et des investissements est essentielle à la compétitivité de notre économie et à la prospérité des Canadiens. Je tiens à remercier votre comité d'avoir entrepris cette étude et de nous donner l'occasion de comparaître pour discuter de l'Accord sur le commerce intérieur et, de manière plus générale, de ce que nous pourrions faire pour renforcer l'union économique.

J'aimerais aborder trois questions : la mobilité de la main-d'œuvre, la réglementation des marchés financiers et le règlement des différends.

L'objectif fondamental de l'Accord sur le commerce intérieur négocié il y a plus de 10 ans était de faciliter la circulation des biens et des services. Aujourd'hui, le problème le plus pressant dans de nombreux secteurs économiques et dans plusieurs régions est la pénurie de main-d'œuvre. Le vieillissement de la population signifie que les pénuries de main-d'œuvre deviendront probablement plus fréquentes et plus graves dans les années à venir et il est donc de plus en plus important que le Canada favorise la libre circulation de la population sur son territoire. Comme l'a reconnu le Conseil de la fédération en juillet, lors de sa réunion de St. John's, la réduction des obstacles au commerce et à la mobilité de la manœuvre est cruciale pour renforcer l'union économique et rehausser la compétitivité et la productivité du Canada.

Nous voyons des signes de progrès encourageants. Les témoins précédents ont parlé de l'entente entre l'Ontario et le Québec sur les travailleurs de la construction et de l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre. Je prends note également des progrès réalisés par les ministres fédéraux et provinciaux responsables du commerce intérieur lors de leur dernière conférence en septembre, à Halifax, où ils ont décidé que les Canadiens pourront travailler partout au pays sans restriction à partir d'avril 2009.

Bien que nous soyons tout à fait en faveur de cet objectif, nous implorons les gouvernements d'agir encore plus vite si c'est possible. Je ne vois pas pourquoi les Canadiens devraient attendre deux années et demie de plus pour bénéficier de ce qui devrait être un droit fondamental de chaque citoyen, surtout dans un domaine aussi crucial pour notre prospérité collective.

Deux questions sont importantes au sujet de cet objectif général d'accroissement de la mobilité de la main-d'œuvre. La première concerne l'apprentissage et les métiers spécialisés. Les entreprises sont confrontées à une pénurie grave et croissante de travailleurs dans les métiers spécialisés mais, dans certains de ces métiers, les travailleurs mêmes les plus qualifiés ne bénéficient toujours pas d'une mobilité complète et butent sur des obstacles quand ils veulent passer d'une province à une autre. Plus grave encore, les apprentis qui changent de province perdent leur statut, ce qui semble être une cause fondamentale de la proportion malheureusement élevée d'apprentis qui ne finissent pas leur formation et n'obtiennent pas leur certificat.

La deuxième question va au-delà de l'Accord sur le commerce intérieur et porte sur ce que j'appelle les politiques publiques qui font obstacle à la mobilité de la main-d'œuvre. Je songe en particulier au régime d'assurance-emploi qui a pour effet de dissuader les gens de quitter une région de chômage élevé même lorsque leurs compétences sont très demandées ailleurs. Certes, je conviens immédiatement que la décision de faire déménager sa famille d'une ville à une autre ou d'une province à une autre n'est pas facile. L'ayant fait moi-même, je parle d'expérience. Toutefois, j'estime que les politiques publiques ne devraient pas aller contre ce genre de choses et rendre ce genre de décision encore plus difficile.

En ce qui concerne les marchés financiers, les milieux d'affaires sont continuellement frustrés par l'approche fragmentaire du Canada à l'égard des marchés de capitaux. À une époque où les capitaux circulent librement d'un bout à l'autre de la planète, nous avons encore 13 organismes différents de réglementation des valeurs mobilières. Cette fragmentation pénalise les investisseurs en limitant leurs options, en réduisant leur rendement et en leur assurant moins de protection que possible, sans compter qu'elle accroît le coût d'obtention de capitaux et nuit ainsi aux possibilités d'expansion et de création d'emplois des entreprises canadiennes.

Il est parfaitement clair et évident que notre pays a besoin d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières. La méthode du passeport envisagée par plusieurs gouvernements provinciaux serait une amélioration modeste ne répondant pas aux besoins des investisseurs et des émetteurs de titres d'aujourd'hui. En juin, le comité Crawford qui s'est penché sur cette question a proposé ce que j'estime être un modèle créatif qui permettrait de mettre l'expertise provinciale en commun, de respecter les principes constitutionnels et d'éviter toute domination par une juridiction donnée. Ce comité a aussi recommandé une présence fédérale dans une structure de gouvernance s'inspirant du modèle éprouvé et confirmé de l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada.

Le ministre fédéral des Finances a clairement pris position en faveur d'un organisme de réglementation unique, ce que nous apprécions. Il a également dit que nous devrions aborder cette question dans le contexte des discussions fédérales-provinciales plus larges sur des questions telles que la péréquation et les paiements de transfert.

Notre conseil a clairement indiqué qu'il est prêt à appuyer des idées audacieuses pour réformer le fédéralisme budgétaire mais qu'il estime aussi que les provinces doivent être prêtes à donner, et pas seulement à prendre, pendant ces discussions. Nous allons donc un peu plus loin que le ministre en disant que l'obtention d'une entente des provinces sur la création d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières devrait être une condition explicite de tout accord fédéral-provincial sur la réforme des arrangements budgétaires.

Permettez-moi d'aborder en conclusion le règlement des différends. L'absence de mécanisme efficace de règlement des différends est l'une des plus grandes faiblesses de l'Accord sur le commerce intérieur. L'entente récemment signée par l'Alberta et la Colombie-Britannique contient un mécanisme beaucoup plus efficace et nous sommes extrêmement heureux que les ministres fédéral et provinciaux aient décidé en septembre d'élaborer d'ici août 2007 un processus efficace, juste, efficient, responsable et exécutoire de règlement des différends, devant entrer en vigueur le mois suivant.

Le Conseil canadien des chefs d'entreprise appuie vigoureusement cet engagement des ministres. Un mécanisme vraiment efficace de règlement des différends est essentiel pour atteindre les buts de l'Accord sur le commerce intérieur et pourrait même devenir la mesure la plus importante que pourraient prendre les gouvernements pour faire du marché intérieur canadien un marché vraiment libre et pour rehausser la compétitivité de notre économie et asseoir la prospérité des Canadiens dans les années à venir. Je vous laisse sur cette pensée.

Carole Presseault, vice-présidente, Association des comptables généraux accrédités du Canada : Honorables sénateurs, je reprends au bond la balle de M. Stewart-Patterson en parlant moi aussi du mécanisme de règlement des différends. Peu d'organisations ont autant d'expérience que l'Association des comptables généraux accrédités du Canada, le CGA, en ce qui concerne les tentatives de règlement de différends au titre de l'Accord sur le commerce intérieur, ACI.

Le président : Je dois déclarer un conflit d'intérêts. J'ai autrefois enseigné et donné des cours pour l'Association des comptables généraux accrédités du Canada. Ça m'a aidé à payer mes études.

Le sénateur Angus : Ce n'est pas un conflit d'intérêts, vous voulez simplement nous dire que vous êtes particulièrement qualifié pour présider ce comité.

Le président : Merci beaucoup.

Mme Presseault : Les comptables aiment bien que les conflits d'intérêts soient révélés, c'est une caractéristique importante de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font. Nous avons donc appuyé vigoureusement ce mouvement et avons rédigé trois études sur l'ACI et sur ce concept. Comme d'autres, nous savons qu'un mécanisme efficace, accessible et crédible de règlement des différends est essentiel pour accroître le commerce provincial. Toutefois, nous avons découvert à notre détriment que le mécanisme actuel ne fonctionne pas comme il devrait et qu'il faut le réformer.

Les efforts déployés jusqu'à présent par le secteur de la comptabilité publique ont donné des résultats mitigés. Nous avons invoqué l'ACI pour éliminer certains obstacles à l'accès des CGA à la comptabilité publique dans certaines provinces mais nous continuons de buter sur des obstacles dans d'autres. À l'heure actuelle, il n'y a aucune garantie que les gouvernements provinciaux mettront en œuvre les conclusions des comités de règlement des différends, et encore moins de manière opportune, car il n'existe dans l'Accord aucune disposition les y obligeant.

Il existe au Canada tout un ensemble de règles et de règlements pour assurer la loyauté des pratiques commerciales entre les provinces mais aucun moyen réel de les mettre en application. Les architectes de l'ACI avaient peut-être de bonnes intentions mais ils ont créé un tigre de papier. Et c'est l'absence de volonté politique qui explique ce problème. Tant que nous n'admettrons pas cette réalité, le Canada n'aura jamais de libre-échange à l'intérieur de ses frontières, sans parler du coût pour les entreprises et du risque pour les emplois. En bref, limiter le commerce se traduit par des pertes d'opportunités — ce qui ne profite à personne et surtout pas aux PME qui comptent sur l'accès à des marchés plus vastes pour devenir compétitives et pour grandir.

[Français]

Nous croyons qu'il existe une meilleure façon de faire. L'ACI est fondamentalement valable, mais il a besoin d'être peaufiné. Nous attendons que se concrétise l'adoption de mesures précises visant à régler les différends commerciaux de manière plus efficiente et plus efficace.

Nous croyons que le gouvernement devrait être tenu de respecter les termes de l'accord et d'appliquer les recommandations des groupes spéciaux. Voici donc les mesures précises que nous suggérons pour assurer l'efficacité des procédures de règlement des différends de l'ACI. Il faut d'abord rendre ces procédures plus simples.

[Traduction]

En guise d'illustration, j'attire votre attention sur l'une de nos études contenant un diagramme du processus de règlement des différends. Sachez qu'il a été très difficile de préparer ce diagramme mais, comme nous sommes déjà passés deux fois par ce processus, nous pouvons vous l'expliquer. Je sais que vous avez déjà examiné ça avec d'autres témoins mais c'est un mécanisme très dispendieux et complexe. Vous trouverez dans l'une de nos études des recommandations destinées à le simplifier.

[Français]

Nous pensons qu'on doit aussi rendre les procédures moins onéreuses et plus rapides pour les personnes qui déposent une plainte, et fournir une garantie que les gouvernements respecteront et appliqueront les recommandations des groupes spéciaux, dans un effort concentré pour éliminer les obstacles au commerce et à la mobilité des travailleurs.

[Traduction]

Jusqu'à présent, deux comités ont jugé en faveur de l'accès des CGA à la comptabilité publique dans deux provinces canadiennes. Le premier a rendu son jugement il y a cinq ans mais ce jugement n'a pas encore mis en œuvre. Le deuxième a rendu un jugement contre le Québec l'an dernier et, jusqu'à présent, les négociations et discussions n'ont rien donné.

[Français]

Enfin, il faut imposer des sanctions réalistes et pratiques qui assureront le respect par les gouvernements des obligations qu'ils ont contractées en vertu de l'ACI.

[Traduction]

Nous sommes encouragés par les progrès réalisés lors de la dernière réunion des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux. Les témoins précédents vous en ont parlé et il semble qu'il y aura des améliorations pour simplifier les mécanismes mais nous pensons qu'elles ne vont pas assez loin et nous avons donc nos propres recommandations à formuler.

Il y a quatre ou cinq ans, nous avons publié un rapport intitulé « L'issue ne tient qu'à nous » et nous comptons sur votre comité pour nous aider à arriver au bout du processus. L'expérience acquise par les CGA avec l'ACI est sans doute regrettable car l'ACI devrait être un outil de dernier ressort. L'objectif primordial devrait être de réduire et d'abolir les obstacles au commerce interprovincial.

Le sénateur Angus : Merci. Je vous félicite tous les deux de vos recommandations tout à fait pertinentes. Elles nous seront utiles, tout comme la documentation des CGA. Je connais bien votre organisation. Je sais que vous avez toujours un problème en suspens et je vous en parlerai dans un instant, madame Presseault.

Monsieur Stewart-Patterson, votre affirmation que certaines politiques publiques constituent des obstacles a retenu mon attention. Au sujet de l'assurance-emploi, vous avez dit, si j'ai bien compris, que nous avons d'énormes besoins de main-d'œuvre à Fort McMurray. Il y a d'énormes projets en jeu, dont les coûts dépassent les prévisions à cause des pénuries de main-d'œuvre. Si l'on veut que quelqu'un vous serve une tasse de café chez Tim Hortons à Fort McMurray, il faut lui payer le salaire d'un neurochirurgien de Montréal. Ça ne tient pas debout. Comment résoudre ce problème? Cela relève-t-il des pouvoirs du gouvernement fédéral? Devons-nous simplement changer nos politiques sociales et ne plus donner d'assurance-emploi? Est-ce votre argument?

M. Stewart-Patterson : Avec les politiques publiques, bon nombre de signaux peuvent être assez subtils. Bon nombre de nos politiques ont été formulées à une époque où le problème perpétuel des décideurs était que nous n'avions pas assez d'emplois. Le taux de chômage était élevé. Le principal souci des gouvernements se résumait à « des emplois, des emplois, des emplois ». Aujourd'hui, nous assistons à un profond changement démographique qui est encore loin d'être achevé. Nous avons de graves pénuries d'emploi dans certaines régions alors qu'il y a un chômage élevé ailleurs. Nous politiques fondamentales sont toujours axées sur la situation du passé, quand il n'y avait pas assez d'emplois pour tout le monde. Il est temps de songer à modifier ce cadre de réflexion car notre problème est maintenant de trouver assez de monde pour occuper tous les emplois disponibles. Nous allons de plus en plus manquer de travailleurs dans un plus grand nombre de secteurs, d'industries, d'entreprises et de régions. Il n'y aura jamais d'équilibre parfait entre la demande et l'offre d'emplois. Ça ne veut pas dire qu'il faille éliminer le filet de sécurité social. L'un des éléments importants du casse-tête est aujourd'hui de former des travailleurs et de s'assurer que chaque Canadien peut occuper un emploi productif dans des économies en pleine évolution.

Cela dit, je pense qu'il est temps de se pencher sur les signaux que nous envoyons aux gens en ce qui concerne leur carrière et les décisions qu'ils auront à prendre dans leur vie personnelle. Comme je l'ai dit, décider de déménager avec sa famille dans une autre région n'est jamais facile, surtout quand on a toujours vécu dans la même collectivité où l'on a des parents, des amis et tout un réseau familial. Il n'est jamais facile de se déraciner pour aller s'installer ailleurs à cause du chèque de paye.

Alors que nous entrons dans une économie de main-d'œuvre insuffisante, il importe d'admettre qu'on va devoir essayer d'attirer les emplois et l'investissement là où une main-d'œuvre est disponible. Autrement dit, l'investissement est mobile, peut-être plus encore que les travailleurs. Tout ne va pas dans le même sens. Nous ne disons pas qu'il faut pousser les gens à quitter les régions de chômage élevé. Nous devons nous demander comment les collectivités de chaque région peuvent attirer des investissements et des emplois afin d'offrir des possibilités de travail aux gens là où ils habitent.

Il est important de tenir compte du contexte de l'assurance-emploi. Nous avons des dispositions explicitement destinées à encourager les gens à rester dans les régions de chômage élevé et à conserver des emplois saisonniers parce que ces emplois étaient la pierre angulaire de l'économie régionale. Cela répond peut-être à des objectifs sociaux légitimes mais il est temps d'admettre qu'il existe d'autres options économiques. Du point de vue des politiques publiques, nous devons nous demander dans quelle mesure leur but doit être d'essayer d'amener les emplois là où sont les gens ou de laisser les gens libres d'aller chercher les possibilités d'emploi là où elles se trouvent.

Le sénateur Angus : L'organisme que vous représentez ne s'appelait-il pas autrefois, en anglais, le BCNI?

M. Stewart-Patterson : Si, c'était le Business Council on National Issues. Nos membres dirigent 150 grandes entreprises qui sont présentes d'un bout à l'autre du pays et, en tout cas, dans plusieurs régions.

Le sénateur Angus : Vos membres comprennent donc fort bien la problématique. D'après vous, disposons-nous des mécanismes adéquats, qu'il s'agisse de l'ACI ou de ce nouveau Conseil des ministres provinciaux, qui semble faire de bonnes choses? Quand le gouvernement a décidé d'adopter le libre-échange, ce fut toute une affaire. L'élection de 1988 avait porté sur cette seule question, qui avait provoqué de profondes divisions dans le pays. Aujourd'hui, les résultats commencent à montrer que ce fut la bonne décision, mais elle a provoqué de grandes perturbations dans l'économie. Il est pénible pour un détaillant de voir arriver un Wal-Mart dans sa collectivité mais on me dit que les chiffres montrent que c'était la bonne décision. Si l'on veut abattre ces obstacles, quelqu'un va-t-il devoir faire un acte de foi? Quelqu'un va-t-il devoir faire preuve de courage politique, comme ce fut le cas pour le libre-échange?

M. Stewart-Patterson : Il ne fait aucun doute que l'histoire des accords touchant le commerce intérieur est caractérisée par plus de bonnes intentions que d'actions concrètes. Il faut dire aussi que plus les actions concrètes sont ambitieuses, plus elles risquent de causer des perturbations dans l'immédiat. Ce qu'il faut, c'est juger leur incidence à longue échéance. Votre exemple du libre-échange avec les États-Unis est excellent. Quelqu'un parlait tout à l'heure de l'alcool et du vin. Sur le plan régional, le libre-échange menaçait de faire disparaître l'industrie vinicole du Niagara. Bien des gens étaient convaincus que tout ce secteur disparaîtrait à cause de la concurrence américaine. Or, voyez ce qu'est devenue la région du Niagara : beaucoup d'entreprises produisent un produit de qualité supérieure, gagnent plus d'argent et jouissent d'une réputation internationale. Personne ne pourrait dire aujourd'hui que l'industrie vinicole du Canada est dans une moins bonne situation qu'avant la signature de l'accord de libre-échange.

Quand on parle d'abolir les obstacles et d'ouvrir les marchés, que ce soit à l'intérieur du pays ou entre plusieurs pays, les gens qui veulent continuer à agir comme avant s'exposent à un risque plus élevé. L'ouverture des marchés favorise le changement, et tout changement est une source de perturbations. En revanche, il est généralement admis que, moins il y aura d'obstacles au sein du marché canadien, mieux ça vaudra pour tous les Canadiens à longue échéance.

Le président : Je surveille l'horloge. Il nous reste 20 minutes et il y a encore plusieurs sénateurs qui veulent vous interroger. Je vais donner la parole au sénateur Angus et nous entreprendrons ensuite un deuxième tour.

Le sénateur Angus : Je voudrais conclure avec vous, monsieur. Vous m'avez entendu parler plus tôt du but de cette table ronde. Les ministres, l'honorable M. Bernier et l'honorable M. Flaherty, attendent avec beaucoup d'intérêt le résultat de notre travail. Si je vous demande de m'indiquer une recommandation que nous devrions inclure dans notre rapport, quelle serait-elle?

M. Stewart-Patterson : Si je devais en choisir une seule, je me ferais l'écho de ma collègue en vous invitant à réfléchir au mécanisme de règlement des différends existant dans l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Voyez s'il serait possible de l'adopter au palier national. Il y a trois aspects à prendre en considération. D'abord, il faut que les particuliers autant que les gouvernements aient accès au mécanisme. Ensuite, il faut que les décisions des comités de règlement des différends soient exécutoires. Finalement, il faut que le mécanisme soit mordant et comporte des pénalités et des amendes assez sévères pour être pris au sérieux. Si nous pouvions instaurer un processus national de règlement des différends doté de ces caractéristiques, ce serait la chose la plus importante que les gouvernements pourraient faire.

Le sénateur Goldstein : Je voudrais revenir sur votre affirmation que certaines politiques sociales ont un effet dissuasif. Votre exemple était très frappant car vous disiez que l'assurance-emploi semble inciter les gens à rester là où ils sont au lieu d'aller chercher du travail ailleurs. Laissons de côté pour le moment les perturbations causées à la famille qui doit quitter une région pour aller dans une autre. Quand on examine ce problème, peut-on imaginer, au lieu de réduire les prestations de chômage, d'adopter un système dans lequel récompensant les gens qui acceptent de partir, ou leur donnant un incitatif financier, afin qu'ils aillent là où leurs compétences seraient utiles quand elles ne le sont pas dans leur région d'origine?

M. Stewart-Patterson : Les incitatifs positifs sont généralement une caractéristique de tout programme social valable. Comme vous le dites, emmener sa famille dans une autre province n'est pas seulement un facteur de perturbations, ça coûte aussi de l'argent. En vertu de notre régime fiscal, les frais de déménagement sont déjà déductibles. Je crois qu'il faudrait renforcer ce genre d'incitatifs positifs au lieu de renforcer les incitatifs négatifs. Concevoir des programmes sociaux est une chose très complexe mais envisager des incitatifs positifs serait une bonne idée.

Le sénateur Goldstein : Ma deuxième question vous mettra peut-être dans l'embarras et, si tel est le cas, vous pouvez ne pas y répondre. S'il existe 13 commissaires des valeurs mobilières dans le pays, est-ce parce que les provinces et territoires tiennent absolument à avoir chacun le leur ou parce que les commissions existant dans chaque province défendent bec et ongles leur bout de gras, ce qui signifierait que les provinces sont incapables de prendre des mesures adéquates et audacieuses et qu'il conviendrait de rappeler aux commissions qu'elles existent pour être au service de la population?

M. Stewart-Patterson : Je crois que les gouvernements, et même certaines parties du monde des affaires, désirent honnêtement préserver un contrôle local car c'est le système avec lequel ils sont familiers et sont plus à l'aise. Par exemple, un dirigeant d'entreprise saura qu'il peut aller s'adresser à quelqu'un qu'il connaît personnellement. Par contre, on est de plus en plus conscient que c'est aussi un facteur de coût. Prenez le cas d'une entreprise relativement petite qui veut être cotée en bourse et songez à ce qu'il lui en coûte en frais d'avocats, en frais de comptables et en frais d'enregistrement de s'adresser à 13 commissions différentes au lieu d'une seule.

S'il y a une préoccupation fondamentale, elle découle aussi de l'expérience que nous venons de connaître à l'échelle internationale avec les problèmes de gouvernance des entreprises et avec les retombées de la loi Sarbanes-Oxley des États-Unis, phénomènes qui ont engendré une approche plus rigide en matière de réglementation, laquelle est perçue dans certaines provinces comme étant impulsée au Canada par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Je crois que certains gouvernements du Canada refusent de s'engager dans cette voie et c'est aussi pourquoi je pense que le rapport Crawford était important car il mettait en relief les gains d'efficience qui résulteraient de l'instauration d'un organisme de réglementation unique doté d'un pouvoir exécutoire. Toutefois, nous devons aussi envisager sérieusement une approche plus axée sur des principes fondamentaux répondant autant aux besoins des petites entreprises que des grandes dans le contexte canadien et permettant d'éviter la domination du système par une seule entité, ce qui est une manière de dire que le système ne doit pas être dominé par l'Ontario. C'est mon interprétation de la situation.

Le sénateur Goldstein : C'est exactement ce qu'on a dit.

Le sénateur Angus : Avant le rapport Purdy-Crawford, il y avait eu le rapport des sages, de ce Michael Phelps et des autres, et que s'est-il passé? Le rapport a-t-il été mis sur les tablettes?

M. Stewart-Patterson : La réponse à cette question est que, comme le comité des sages avait été mis sur pied par le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ont utilisé cette excuse pour ne pas en tenir compte. Le comité Crawford a été mis sur pied par un gouvernement provincial pour contourner cette excuse.

Le sénateur Angus : Devrait-on maintenant les considérer comme des rapports complémentaires?

M. Stewart-Patterson : Il n'y a pas qu'un seul modèle de réglementation du marché des valeurs mobilières. Le comité Crawford a bénéficié du fait qu'il y avait eu plusieurs années de débats et de progrès sur des choses telles que le système de passeport. Le modèle de gouvernance est plus avancé et plus réfléchi, ce qui le rend peut-être plus acceptable. L'objectif ultime est clair pour tout le monde, la seule question est de savoir comment l'atteindre.

Le président : Je m'adresse maintenant aux deux témoins. Le gouvernement a décidé, comme politique générale, de ne pas utiliser de méthode législative constitutionnelle pour exercer des pressions sur les provinces afin de réduire les obstacles. On préfère une méthode consensuelle pour essayer de convaincre les provinces. Ensuite, en réaction à ça, il y a eu une explosion d'activité avec des ententes bilatérales locales ou régionales dont certaines ont fort bien marché.

Tout ce processus est lourd et lent et je veux maintenant m'adresser à la représentante des CGA en l'interrogeant sur son paragraphe de conclusion. Je veux exposer clairement ma position pour qu'il n'y ait pas de malentendu au sujet de ma question. Nous avons décidé de ne pas utiliser la méthode législative, nous avons décidé de ne pas utiliser la méthode constitutionnelle et nous avons décidé de chercher un consensus. Vous dites ici que l'ACI n'est pas un texte exécutoire sur le plan juridique. L'accord que les provinces ont négocié est en réalité un document consensuel qui n'a pas force de loi et ne peut donc pas être invoqué devant les tribunaux. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation assez curieuse qui n'est pas très différente de celle dans laquelle nous étions avec l'accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. Nous avons deux pays souverains qui réclament des mécanismes plus efficaces et exécutoires de règlement des différends mais, au sein même de notre propre pays, nous n'avons pas le moyen législatif de régler rapidement les problèmes dans l'intérêt de tout le monde. Ça ne vous semble pas curieux?

Mme Presseault : On peut trouver ça curieux. Nos membres trouvent plutôt ça frustrant. De fait, dans la déclaration qu'ils ont publiée à la fin de leur conférence de Halifax en septembre, les ministres ont parlé dans l'un des premiers paragraphes du renforcement du caractère administratif de la résolution des différends, contrairement à l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre, ou TILMA, qui prévoit une révision judiciaire. Ce qui est frustrant pour nos membres, c'est que cela pourrait engendrer de grosses dépenses. Je sais que votre comité aimerait beaucoup avoir des données et des chiffres mais, malheureusement, nous ne pouvons pas vous en donner plus que les autres témoins. Par contre, nous pouvons vous dire que nos membres situés à la frontière entre le Nouveau-Brunswick et le Québec perdent des clients parce qu'ils ne peuvent pas fournir de services de comptabilité publique au Québec à cause d'un texte de loi. Ils ne perdent pas des gros clients, ce ne sont pas les membres de l'organisation de David, mais ils perdent des petits clients. Voilà le coût réel de cette situation, et c'est un coût quotidien.

L'affaire que nous avons portée devant le comité de règlement des différends concernait un exploitant de garderie d'enfants qui avait dû changer de comptable à cause d'un vieux texte de loi du Québec. Devant le comité, le gouvernement du Québec a défendu vigoureusement — mais sans succès — l'idée qu'il avait le droit de réglementer les professions. C'est de là qu'était venue cette restriction.

Le président : D'après vous, est-on en droit de conclure que cette approche consensuelle est trop lente et trop coûteuse? Y a-t-il un meilleur modèle que nous pourrions proposer pour obtenir des décisions plus rapides, ce qui serait dans l'intérêt national aux yeux de toute personne logique et objective?

M. Stewart-Patterson : Je pense qu'il y a deux choses qu'on peut faire, la première étant d'admettre qu'on fait des progrès.

Le président : Certes.

M. Stewart-Patterson : L'Alberta et la Colombie-Britannique sont parvenues à la conclusion qu'une entente bilatérale était tout à fait justifiée. Il serait facile de dire aux autres provinces qu'elles devraient faire la même chose. La deuxième chose que l'on peut faire concerne la création d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières.

Le fait est que les provinces viennent continuellement demander de l'aide à Ottawa. Il me semble que le gouvernement fédéral pourrait fort bien leur dire en réponse qu'il y a aussi des choses que les provinces devraient faire dans l'intérêt national. Je pense que ce serait parfaitement raisonnable et que ça n'exigerait pas de texte de loi. Dans le contexte des négociations fédérales-provinciales, quand une partie demande quelque chose, il est légitime que l'autre demande quelque chose aussi.

Le président : Il y a quelques semaines, nous discutions de la réduction de la pauvreté. L'une des méthodes consisterait à rehausser le salaire minimum mais cela touche des questions de compétence provinciale et nous ne pouvons pas le faire à cause des différences entre les provinces. Ceci nous empêche donc d'aider beaucoup de gens à sortir de la pauvreté pour avoir un meilleur niveau de vie. C'est aussi un problème négatif.

Vos deux organisations doivent être extrêmement frustrées d'aller continuellement dans des réunions pour proposer des méthodes d'accroissement de la productivité, dans l'intérêt national, et de constater que les choses ne changent pas assez vite à cause du modèle consensuel avec lequel nous travaillons.

Donnez-nous des conseils. Nous sommes des politiciens. Nous représentons le parlement. Y aurait-il moyen de communiquer un certain sentiment d'urgence à ces provinces, bureaucraties ou agences, et peut-être aussi à certains des syndicats? Je suis pro syndicats mais je sais que, récemment encore, un maçon immigrant qui avait travaillé pour un entrepreneur de Montréal pouvait obtenir un emploi offert par cet entrepreneur à Toronto. Il lui suffisait de prendre le train et d'aller travailler là-bas deux ou trois semaines puis de rentrer à Montréal. Cela réduisait certainement la productivité, et ça valait aussi dans l'autre sens — aller travailler à Montréal puis rentrer à Toronto.

Nous avons besoin de votre aide. Ce sera le thème central de notre étude. Comment faire pour résoudre ces problèmes rapidement et plus efficacement?

Mme Presseault : C'est une question difficile. Vos témoins se regardent. Cela ramène à ce que nous disions, c'est-à- dire qu'il faut s'assurer que l'accord sur le commerce soit pleinement exécutoire mais, plus important encore, accessible et transparent.

Le président : Pourquoi avons-nous besoin d'un accord sur le commerce?

Mme Presseault : Parce qu'il faut un mécanisme permettant aux gens d'intervenir si les gouvernements ne s'acquittent pas de leurs responsabilités. Avant l'accord sur le commerce, les gouvernements qui l'ont signé il y a 11 ou 12 ans doivent s'engager...

Le président : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Les États-Unis ont l'économie la plus dynamique au monde. Leurs États ont des droits, il y a des problèmes frontaliers, des obstacles, etc., mais ils ont quand même une économie nationale très efficace, même si elle est fragmentée. Nous, non. Notre rapport démontre que nous prenons un retard spectaculaire sur le plan de la productivité. Évidemment, les obstacles au commerce contribuent à cette situation.

Aux États-Unis, je ne sache pas qu'il y ait de mécanismes de règlement des différends entre les États. Les gouverneurs se parlent et essayent de résoudre leurs problèmes mais il n'y a pas de mécanisme. Pourquoi devrions-nous mettre sur pied un mécanisme de règlement de questions que les gouvernements devraient régler rapidement entre eux?

Le sénateur Goldstein : Il y a un mécanisme aux États-Unis.

Le président : Mais ce n'est pas un obstacle.

Le sénateur Goldstein : Il fonctionne.

Le président : Il fonctionne mais il est législatif.

Mme Presseault : D'après ma connaissance très limitée du système comptable des États-Unis, je crois comprendre qu'il existe des obstacles entre les États. Je ne sais pas vraiment comment le système fonctionne.

Je vais laisser M. Stewart-Patterson vous répondre mais les gouvernements devraient respecter les engagements qu'ils prennent quand ils signent un Accord sur le commerce intérieur. Cet accord devait réduire et, à terme, abolir les obstacles. Les gouvernements doivent respecter cet engagement. Ils ont pris l'engagement, qu'ils le respectent.

Le sénateur Angus : On entend parler depuis très longtemps de ce problème du Québec. Il doit y avoir un puissant lobby des comptables agréés. C'est comme avec les notaires et c'est stupide.

Mme Presseault : Le Bureau de la concurrence a entrepris une étude des professions et nous souhaitons qu'il se penche sur ce genre de situation. On s'y intéresse beaucoup des deux côtés de la question. Chaque fois qu'il y a une question de commerce, il y a des intérêts puissants en jeu — certains sont plus puissants que d'autres, et certains sont plus traditionnels que d'autres.

Le sénateur Angus : Vous avez obtenu un jugement qui doit être respecté. Le gouvernement du Québec a appris qu'il n'aura que 35 000 $ de frais à payer, en vertu de l'Accord, mais il est censé modifier sa loi — et l'abolir, me semble-t-il.

Mme Presseault : Le comité de règlement des différends a conclu qu'il doit modifier l'article 24 de sa loi sur les comptables agréés. Il est incompréhensible qu'un comptable général licencié de l'Alberta ne puisse pas travailler pour le même client au Québec.

Le sénateur Angus : Si nous voulons mettre la réponse dans notre rapport, il faudrait demander au premier ministre Charest d'envoyer quelqu'un nous expliquer quand la loi sera modifiée.

Mme Presseault : Il faut que les gouvernements expliquent pourquoi ils ne respectent pas leurs obligations au titre de l'ACI et pourquoi ils ne mettent pas en application les décisions du comité de règlement des différends. Il faut les obliger à rendre des comptes.

Le sénateur Moore : Qui fait partie de ce comité dont vous parlez? Combien a-t-il de membres et comment sont-ils choisis?

Mme Presseault : Les gouvernements fédéral et provinciaux ont une liste de participants. Quand un comité est constitué, chaque partie peut choisir ou nommer une personne de la liste. Il y a toute une procédure à suivre pour constituer un comité.

L'un des problèmes des comités est que certains gouvernements peuvent ne pas désigner de représentants. S'il manque un membre, il ne peut pas y avoir de comité.

Le sénateur Moore : C'est pour bloquer le processus?

Mme Presseault : Oui.

Le sénateur Moore : Combien y a-t-il de membres dans un comité?

Mme Presseault : Trois.

Le sénateur Moore : Une province dont c'est le tour de nommer un membre peut donc décider de ne pas le faire et ça bloque le processus?

Mme Presseault : Oui. Par exemple, si je décidais d'invoquer le mécanisme de résolution des différends contre le territoire du Yukon, je nommerais un membre de la liste du Yukon. Par contre, si le Yukon n'a pas de liste — et ça serait la même chose avec n'importe quelle province — il n'y aura pas de comité.

Dans TILMA, l'entente entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, on a simplifié ce processus. S'il n'y a pas de comité, on peut en désigner un. Il y a donc certaines manières d'entraver le processus, oui.

Le sénateur Moore : Je vois un rapport du 20 septembre 2005 de la Bibliothèque du Parlement concernant l'Accord sur le commerce intérieur. On y parle des diverses activités prises en considération et je lis notamment ce passage intéressant :

Un rapport de comité a été publié le 10 novembre 2004 au sujet d'une contestation de la Loi sur les produits oléagineux comestibles par l'Alberta et la Colombie-Britannique. Le gouvernement de l'Ontario a ensuite abrogé la loi. Les plaignants considèrent néanmoins que l'Ontario n'a pas totalement respecté la recommandation car il a introduit de nouveaux règlements provisoires sur les produits oléagineux comestibles.

Je devrais peut-être poser cette question au vice-président : qui est chargé d'assurer l'exécution d'une décision de comité? Qui peut s'assurer que la décision est vraiment mise en œuvre et que les parties concernées la respectent?

Mme Presseault : Ce doit être le plaignant. Je ne connais pas bien le cas dont vous parlez mais nous espérons qu'une des recommandations des conférences provinciales-territoriales des ministres sera de reconstituer le comité. Ce cas nous intéresse et nous le suivons de près. Dans notre cas, en Ontario, le gouvernement a adopté des mesures qui ne sont pas complètement mises en application. Il faudra bien au bout d'un certain temps vérifier si ces mesures correspondent aux recommandations du comité.

Le président : Ce sera pour plus tard. Pour le moment, le sénateur Moore veut savoir ce qui se passe dans l'immédiat.

Mme Presseault : Mon interprétation de l'Accord est que le plaignant commencera par entreprendre des consultations avec le gouvernement provincial pour voir si ses mesures correspondent aux recommandations du comité.

Le sénateur Moore : Dans ce cas, deux provinces ont intenté une action contre une autre devant le comité. Elles ont obtenu gain de cause mais c'est quand même elles qui doivent vérifier que la province perdante respecte la décision du comité. C'est bien ça? Il me semble que le respect de la loi est le fondement même de toute société civile. Voilà pourquoi je n'aime pas l'accord sur le bois d'œuvre.

Mme Presseault : Je ne peux rien ajouter car je ne connais pas bien le processus de contestation d'un gouvernement contre un autre.

Le sénateur Moore : Est-ce que ce sont les plaignants qui sont obligés de s'assurer que la décision du comité est respectée? Qui fait le suivi? Y a-t-il des sanctions?

Le sénateur Angus : C'est inexécutable.

Le sénateur Goldstein : C'est volontaire, pas obligatoire.

Le président : Selon les témoignages que nous avons recueillis, si c'est correct et si c'est un accord consensuel, il y aura une coalition des bonnes volontés. Si une décision est prise et que les partenaires de bonne volonté sont prêts à la mettre en application, même s'ils la contestent, ce ne sera rien de plus qu'un processus. Si je comprends bien, c'est ce que nous disent les témoins.

Le sénateur Angus : C'est comme l'accord sur le bois d'œuvre.

Le président : Ils essayent continuellement de trouver des moyens de bloquer le processus.

Je vais demander aux témoins d'analyser le modèle américain, qui est efficace. Le Interstate Commerce Committee, ou ICC, est un organisme exécutoire de règlement des différends. Nous ne voulons pas nous retrouver avec toute une série de mini-principautés intentant des poursuites les unes contre les autres, sans résolution. Il faut que les Canadiens sachent ce qui se passe depuis des années et qu'ils commencent à comprendre comment cela affecte leurs revenus et leurs impôts. Tout le monde ici approuve de la tête. Nous partageons votre frustration et espérons aller au fond du problème.

J'implore les premiers ministres des provinces et leurs homologues à venir devant notre comité expliquer leur inaction. Nous les avons invités mais ils ne veulent pas venir et, maintenant, je comprends pourquoi. Ils ne veulent pas entendre le Sénat du Canada les critiquer. Ça serait terrible. Très franchement, je vois là un manque de responsabilité publique et, pour reprendre le mot clé du nouveau gouvernement, d'imputabilité. Nous reviendrons sur cette question.

Si les témoins ont d'autres informations à nous communiquer par écrit pour nous aider dans nos délibérations, je les invite vivement à nous les envoyer.

La séance est levée.


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